Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 16 - Témoignages du 18 novembre 2010
OTTAWA, le jeudi 18 novembre 2010
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C- 464, Loi modifiant le Code criminel (motifs justifiant la détention sous garde), se réunit aujourd'hui à 10 h 34 pour étudier le projet de loi.
Le sénateur John D. Wallace (vice-président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le vice-président : Bonjour et bienvenue à nos collègues du comité et à nos invités.
Je suis John Wallace, sénateur du Nouveau-Brunswick et vice-président du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Le sujet sur lequel notre comité doit se pencher aujourd'hui est le projet de loi C-464, Loi modifiant le Code criminel (motifs justifiant la détention sous garde). Cette mesure va bien sûr faire l'objet d'une réflexion et d'un examen très approfondis. Il s'agit d'un projet de loi qui contient un seul article et qui, s'il était adopté, modifierait une des dispositions régissant l'octroi ou le refus de la mise en liberté provisoire par voie judiciaire, plus couramment appelé cautionnement, que l'on retrouve à l'article 515 du Code criminel.
Plus précisément, l'article 1 du projet de loi modifierait l'alinéa 515(10)b) en ajoutant les mots « ou celle des personnes âgées de moins de 18 ans » à l'article régissant l'octroi ou le refus de la mise en liberté provisoire de personnes qui ont été accusées d'une infraction contre un mineur.
Autrement dit, le projet de loi C-464 a pour but d'inviter les juges à examiner avec une attention particulière la question de savoir si la détention de la personne accusée d'une infraction est nécessaire pour la protection et la sécurité de mineurs lorsqu'ils doivent décider si la détention est nécessaire pour la protection et la sécurité du public en général.
Les dispositions relatives à la mise en liberté provisoire des personnes accusées d'avoir commis un acte criminel et détenues par des policiers à la suite d'une arrestation se trouvent principalement aux articles 515 à 523 du Code criminel.
D'une façon générale, lorsqu'une personne accusée d'avoir commis un acte criminel est détenue par un agent de la paix après son arrestation, le juge de paix ou le juge de la cour provinciale doit, en principe, libérer l'accusé à l'audience sur cautionnement pourvu que celui-ci ait signé une promesse sans condition. Si le ministère public souhaite que l'accusé soit détenu en attendant son procès, ou souhaite assortir de conditions sa mise en liberté, le procureur doit justifier sa demande. Autrement dit, il incombe au procureur de justifier le maintien en détention de l'accusé ou sa mise en liberté assortie de conditions.
Ce projet de loi a d'abord été présenté à la Chambre des communes lors de la session précédente, puis déposé à nouveau au début de la présente session. Le projet de loi C-464 a d'abord été présenté à cette session du Sénat le 23 mars 2010, puis il a été renvoyé à notre comité le 22 juin 2010. Le comité commence aujourd'hui ses audiences sur le projet de loi C-464.
Pour discuter de ce projet de loi plus en détail, je suis heureux de vous présenter le sénateur qui a parrainé le projet de loi, l'honorable sénateur Tommy Banks. Il est accompagné par le parrain du projet de loi à la Chambre des communes, M. Scott Andrews, député d'Avalon de la province de Terre-Neuve-et-Labrador.
Nous commencerons avec les déclarations du sénateur Banks et de M. Andrews.
Aujourd'hui nous accueillons également des personnes qui pourront répondre aux questions techniques concernant le projet de loi. Il s'agit de Mme Anouk Desaulniers, avocate-conseil, Section de la politique en matière de droit pénal, et de Mme Laura Hodgson, avocate, Section de la politique en matière de droit pénal, toutes deux de Justice Canada.
Une fois que le sénateur Banks et M. Andrews auront fait leurs déclarations, nous passerons aux questions des membres du comité.
Sénateur Banks, vous avez la parole.
L'honorable Tommy Banks, parrain du projet de loi : Merci, monsieur le président et honorables sénateurs de l'opportunité que vous m'offrez. M. Andrews est l'auteur de ce projet de loi de même que son parrain à la Chambre des communes.
Je crois vous avoir entendu dire, sénateur Wallace, que ce projet de loi faisait référence aux personnes qui sont accusées d'avoir commis des crimes reliés à des mineurs, bien que j'aie pu mal comprendre. De fait, ce projet de loi porte sur la décision de libérer une personne accusée d'une infraction criminelle moyennant un cautionnement, dans les cas où cette mise en liberté pourrait avoir un effet sur un mineur qui est concerné, souvent un membre de la famille.
Il y a actuellement devant les tribunaux de Terre-Neuve-et-Labrador un cas mettant en cause un dénommé David Folker qui pourrait, potentiellement, avoir un lien avec l'affaire à l'origine du projet de loi de M. Andrews. Quiconque a perdu un enfant pour quelque raison que ce soit sait qu'il s'agit d'une aberration, parce que ce n'est pas l'ordre normal des choses.
Mon intérêt a été piqué pour cette affaire lorsque ma femme et moi, à l'invitation d'un critique de cinéma, avons assisté à la projection du film intitulé Dear Zachary : A Letter to a Son About His Father au Festival du film international d'Edmonton il y a des années. J'ai obtenu des copies de ce film que j'ai envoyées à chacun des députés de la Chambre des communes et à chaque sénateur, et aussi aux membres de votre comité. Je vous invite à le regarder parce que, malgré qu'il s'agisse d'un film, le sujet suscite la polémique d'une certaine façon et représente le témoignage le plus probant qui puisse être fait, davantage peut-être que les propos de M. Andrews ou les miens en faveur des mesures qui sont proposées et des effets que ce projet de loi pourrait avoir.
Ce projet de loi n'est rien d'autre qu'un signal d'alarme. Il attirera l'attention des tribunaux, du moins l'espérons- nous, sur la possibilité que la mise en liberté judiciaire, la mise en liberté sous caution d'une personne accusée d'avoir commis un crime ait des conséquences pour des enfants.
En l'occurrence, c'est le meurtre de Zachary Turner qui est à l'origine de ce projet de loi. On pourrait soutenir que, si tous les faits avaient été connus des juges saisis de cette affaire, particulièrement du juge qui a accordé à la Dre Shirley Turner sa dernière mise en liberté sous caution, si le ministère public avait été au courant de toutes les circonstances qui auraient pu mettre la vie d'un enfant en danger, en l'occurrence le propre enfant de l'accusée, si la poursuite s'était opposée vigoureusement à la mise en liberté sous caution et si le tribunal avait été bien informé des faits qui auraient pu amener une personne raisonnable à croire que la vie de l'enfant en cause pourrait être mise en danger, il est peu probable que la liberté sous caution aurait été accordée. De même, il est peu probable que les événements subséquents qui ont entraîné la mort de deux personnes se seraient produits. L'enquête menée par Terre-Neuve-et-Labrador après coup a permis de le démontrer et d'établir que, si la mise en liberté sous caution avait été refusée dans ce cas particulier, l'enquête n'aurait pas été nécessaire.
Je vous invite vivement à considérer positivement ce projet de loi, parce que j'estime qu'il pourrait avoir un effet utile et qu'il ne peut faire de tort. Je suppose que vous avez eu la chance d'entendre ce que j'ai déjà dit au Sénat au sujet de ce projet de loi ou que vous avez eu la chance de voir le film; je vais donc m'abstenir de vous raconter l'histoire du meurtre de Zachary Turner et je passerai aux questions, car selon moi, il est plus utile de prévoir un peu de temps pour les questions. Je demanderais maintenant à M. Andrews, l'auteur de ce projet de loi, de vous en parler.
Scott Andrews, député, parrain du projet de loi : Merci, monsieur le président et membres du comité. Permettez-moi d'abord de vous remercier de m'inviter à témoigner devant votre comité pour parler du projet de loi C-464. Ce projet de loi a été déposé au Sénat il y a un certain temps et je suis heureux de constater que votre comité a coopéré et que vous avez modifié votre calendrier de travail pour faciliter l'étude du projet de loi. Je tiens à remercier particulièrement le sénateur Banks pour son intérêt constant et son engagement continu en faveur du projet de loi. Comme vous le savez, le sénateur Banks parraine le projet de loi au Sénat, et j'apprécie grandement sa coopération.
Après moult recherches et consultations, j'ai déposé le projet de loi C-464, Loi modifiant le Code criminel (motifs justifiant la détention sous garde), à la Chambre des communes le 23 octobre 2009. La deuxième lecture a suivi le 4 décembre 2009. Le comité permanent de la Justice et des droits de la personne de la Chambre des communes a approuvé le projet de loi avec un seul amendement mineur proposé par le gouvernement et tous les partis ont accepté le projet de loi le 16 mars 2010. Quelques jours plus tard seulement, j'ai eu le plaisir de voir le projet de loi C-464 adopté en troisième lecture par la Chambre. Je suis surpris de l'évolution de ce projet de loi jusqu'à maintenant. Tous les partis ont accordé leur appui au projet de loi C-464, ce qui est sans doute une indication de l'importance de la mesure, et du soutien qu'on lui accorde pour que les plus vulnérables de notre société soient protégés.
Permettez-moi de prendre quelques minutes pour vous faire part du contexte à l'origine de ce projet de loi, et vous raconter comment j'ai amorcé ce travail et aussi pour vous parler des personnes et de leur tragédie qui m'ont poussé à profiter de la première opportunité qui m'était accordée de présenter un projet de loi d'initiative parlementaire pour essayer de faire progresser les choses.
Nous tous de Terre-Neuve-et-Labrador et plusieurs autres personnes au pays avons entendu parler du terrible meurtre d'un jeune médecin prometteur en 2001, le Dr Andrew Bagby. Il a été assassiné dans un parc de la Pennsylvanie et, à l'époque, la police des États-Unis avait questionné la Dre Shirley Turner, de St. John's, Terre-Neuve-et-Labrador, sur son lien avec ce crime horrible. Peu après, la Dre Turner a fui à Terre-Neuve-et-Labrador et a annoncé être enceinte de l'enfant de feu Dr Bagby. Des procédures judiciaires ont suivi et la Dre Turner a cherché à demeurer au Canada. Peu après, Zachary Turner est né, et les grands-parents Kate et David Bagby ont déménagé à Terre-Neuve-et-Labrador pour réclamer la garde de l'enfant.
Lors des procédures judiciaires, la Dre Turner a obtenu sa mise en liberté sous caution, elle a conservé la garde de l'enfant Zachary et les grands-parents ont obtenu des droits de visite supervisée. Le 18 août 2003, la Dre Turner s'est enlevé la vie et a tué son fils Zachary âgé de 13 mois, alors qu'elle était en liberté sous caution. La Dre Turner a plongé dans l'océan Atlantique, à Conception Bay, et elle et Zachary sont décédés.
Depuis, Kate et David Bagby racontent leur histoire et cherchent à faire modifier les règles régissant la mise en liberté sous caution au Canada. J'ai eu le privilège de voir M. et Mme Bagby se joindre à moi et témoigner devant le comité de la Chambre des communes plus tôt cette année.
Il est important également de reconnaître les efforts constants de notre ami Kurt Kuenne. M. Kuenne était un ami proche du Dr Bagby et de son fils Zachary Turner, et il a produit le documentaire Dear Zachary : A Letter to a Son About His Father, auquel le sénateur Banks a fait référence. Ce film a été projeté partout au Canada et mentionné dans les médias nationaux. Je puis vous assurer que M. Kuenne prend à cœur cette question et qu'il s'est servi de ses talents pour raconter l'histoire et pour promouvoir une réforme de la législation.
Il y a environ deux ans, j'ai été invité à un visionnement spécial du documentaire pour les sénateurs et les députés à Ottawa. À cette époque, j'ai eu le plaisir de rencontrer Kate et David Bagby et Kurt Kuenne pour la première fois, et d'échanger avec eux. Le visionnement du documentaire et l'histoire personnelle de ces personnes ont eu un profond impact sur moi, et c'est peu après que j'ai compris que mon tout premier projet de loi d'initiative parlementaire contribuerait à faire réformer les conditions de la mise en liberté sous caution au Canada.
Bien évidemment, j'ai dû apprendre très rapidement le mécanisme et les procédures reliés à un tel projet de loi de même que les options qui s'offraient pour modifier le Code criminel du Canada relativement à la mise en liberté sous caution. Il a fallu concilier la Charte canadienne des droits et libertés et la nécessité pour notre système judiciaire d'assurer la sécurité des mineurs, lorsqu'il s'agit de mettre en liberté sous caution des personnes accusées d'un crime grave.
Après avoir consulté M. et Mme Bagby, discuté de mes intentions avec mes collègues et travaillé avec la Direction générale des affaires législatives de la Chambre des communes, j'ai déposé le projet de loi C-464 en octobre de cette année. Comme vous le savez, le projet de loi s'intitule Loi modifiant le Code criminel (motifs justifiant la détention sous garde).
En résumé, l'adoption de ce projet de loi modifiera le Code criminel et fera en sorte que la détention d'un accusé pourrait être justifiée, s'il y a lieu, pour assurer la protection et la sécurité de toute personne âgée de moins de 18 ans.
Je n'ai jamais fait du projet de loi C-464 une affaire personnelle. Comme vous le savez, les députés peuvent déposer des projets de loi d'initiative parlementaire pour deux raisons : d'abord, pour faire une déclaration politique en sachant fort bien qu'elle n'ira nulle part ou deuxièmement, s'ils croient vraiment que des changements peuvent être apportés et qu'ils sont confiants que leurs actions pourraient faire une différence pour nos collectivités.
Ce projet de loi reflète la force et la détermination de David et Kate Bagby, les parents de feu Andrew Bagby et grands-parents de feu Zachary Turner. Comme le sénateur Banks pourra vous le confirmer, ces deux personnes extraordinaires se sont servies de leur force et de leur détermination pour attirer l'attention des décideurs et pour les amener à se concentrer sur des changements à la législation courante portant sur la mise en liberté sous caution. C'est pour respecter la mémoire d'Andrew Bagby et de Zachary Turner que nous voulons faire adopter ce projet de loi et que nous ferons tout en notre pouvoir pour éviter que la même chose n'arrive à une autre famille.
J'ai promis d'accorder mon soutien aux Bagby et à tous les Canadiens qui souhaitent une réforme législative du Code criminel. Il faut espérer que les changements législatifs renforceront les conditions de la mise en liberté sous caution et permettront de réaliser un objectif commun, c'est-à-dire que personne n'ait à supporter la perte d'un être cher dans des circonstances qui, avec le recul, auraient pu être évitées.
À la suite de cette tragédie, le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador a annoncé qu'il examinerait les circonstances entourant le décès de Zachary Turner et qu'il ferait enquête. Le Dr Peter Markesteyn a été nommé pour examiner ce cas et pour faire rapport de ses conclusions au gouvernement provincial. Le Dr Markesteyn a une longue expérience de l'examen de décès d'enfants et d'adultes, et il a travaillé comme consultant pour Justice Canada. Son expérience professionnelle comprend de nombreuses années d'enseignement à la faculté de médecine de plusieurs universités canadiennes, y compris les universités de l'Alberta et du Manitoba, et l'Université Memorial à Terre-Neuve-et-Labrador. Il a également été consultant pour la Gendarmerie royale du Canada (GRC), division de la formation à Regina, pour l'Académie de police de l'Atlantique à Charlottetown et pour le Collège canadien de police, ici à Ottawa.
Le Dr Markesteyn a mené une enquête poussée sur une période de 15 mois et il en est venu à deux conclusions auxquelles le sénateur Banks a fait allusion : premièrement, le décès de Zachary Turner aurait pu être évité et, deuxièmement, Zachary Turner était sous la responsabilité de sa mère, mais cela n'aurait pas dû être le cas.
Bien que le Dr Markesteyn n'ait pas été mandaté pour revoir les dispositions fédérales régissant les conditions de la mise en liberté sous caution, le ministre provincial de la Justice de l'époque a porté les conclusions du Dr Markesteyn à l'attention du ministre fédéral. Lors de l'examen du projet de loi et des circonstances entourant sa formulation, c'était le seul aspect du droit fédéral qui pouvait être modifié pour tenter d'épargner la vie de jeunes personnes qui sont sous la protection d'un adulte.
Comme je l'ai dit continuellement, ces événements tragiques nous permettent de réformer les conditions de la mise en liberté sous caution afin que d'autres familles n'aient pas à subir les horreurs que Kate et David Bagby ont dû subir. Nous avons fait des progrès considérables avec ce projet de loi et j'espère que ces progrès vont se poursuivre lorsque le projet de loi sera étudié par le Sénat.
Au cours des deux dernières années et depuis le dépôt de ce projet de loi, j'ai entendu plusieurs groupes d'intervenants, notamment ceux du Centre canadien de ressources pour les victimes de crimes, et les parrains du projet de loi Cordon en Colombie-Britannique, qui porte sur la réforme législative et sur les ordonnances de non- communication avec les enfants. De plus, des personnes qui ont connu les mêmes événements ou qui vivent des situations tragiques similaires ont communiqué avec moi. Je puis vous assurer de leur soutien et de leur intérêt pour l'adoption de ce projet de loi.
Encore une fois, j'aimerais remercier le sénateur Banks de son soutien. Je remercie également votre comité pour l'intérêt qu'il porte à l'examen de ce projet de loi. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.
Le vice-président : Avant de donner la parole à Mme Desaulniers et à Mme Hodgson, je dois vous féliciter, vous et le sénateur Banks, pour tout ce que vous faites pour atténuer le caractère extrêmement triste et tragique de cet événement et pour tenter d'éviter que cela ne se reproduise.
Nous discuterons de ce projet de loi. Je ne veux pas porter de jugement préalable sur les discussions, mais je vous félicite tous les deux pour vos efforts. La tristesse et la tragédie sont indescriptibles, et je vous remercie de votre travail.
Le sénateur Banks : Pour aider à cibler les questions, il pourrait être utile que les membres sachent qu'au moment où nous avons cherché à déterminer comment procéder, nous avons d'abord cherché à frapper un grand coup. Nous avons examiné attentivement le projet de loi et consulté de nombreuses personnes de la Direction générale des affaires législatives et d'ailleurs pour savoir jusqu'où nous pouvions aller et quel était le chemin le plus sûr, le plus efficace, mais aussi le plus compatible avec les autres lois, la Constitution, de même que la Charte. Comme M. Andrews l'a dit, nous pensons que le projet de loi est bon. Nous le pensons parce que nous avons reçu de bons conseils et que nous avons été patients et prudents pour les obtenir.
Le vice-président : Merci. Madame Desaulniers, madame Hodgson, avez-vous une déclaration à faire?
[Français]
Anouk Desaulniers, avocate-conseil, Section de la politique en matière de droit pénal, Justice Canada : Monsieur le vice- président, nous sommes à la disposition du comité pour répondre à des questions techniques, s'il devait y en avoir. Ma collègue, Laura Hodgson, en charge du dossier chez nous, pourra répondre principalement à vos questions précises. S'il y a des questions d'ordre plus général, il me fera plaisir de tenter d'assister le comité.
[Traduction]
Le vice-président : Merci. Nous apprécions votre présence ici aujourd'hui. Nous passons maintenant aux questions des membres de notre comité.
Le sénateur Runciman : J'en déduis de votre présence ici que le ministre de la Justice appuie le projet de loi. Ai-je raison?
[Français]
Mme Desaulniers : Sincèrement, je ne peux pas répondre à cette question. Il nous a été demandé de nous présenter pour répondre à des questions techniques. Mon intervention ici aujourd'hui ne saurait se substituer au témoignage de mon ministre.
[Traduction]
Le sénateur Runciman : Je n'ai pas bien saisi ce que vous avez dit, mais je considère que c'était positif.
Je vous remercie tous deux d'avoir présenté ce projet. J'y suis très favorable, même si, comme vous l'avez dit, monsieur le sénateur, il se pourrait qu'il n'ait pas d'impact concret. Toutefois, la simple possibilité qu'il puisse être utile dans le futur le justifie.
Je m'interroge sur ce qui s'est produit ici. Je n'ai pas vu le documentaire, mais j'ai vu un épisode de Dateline, je crois — avec Keith Morrison et produit par NBC — et je dois dire que c'était très émouvant. J'en ai gardé un profond respect pour les parents du médecin assassiné et pour la façon dont les parents se sont battus pour épargner la vie de l'enfant. Tout au long du processus, ils ont exprimé de vives préoccupations concernant la sécurité de leur petit-fils.
Je m'interroge aussi sur le processus, particulièrement en ce qui a trait à l'inversion du fardeau de la preuve lors de l'audience sur la libération sous caution en cas d'accusation de meurtre. Il me semble, selon la loi, que l'accusé doit fournir une raison convaincante pour obtenir la mise en liberté sous caution. Que s'est-il produit lors de ce processus? Vous avez parlé d'un ensemble différent de règles en vertu de l'extradition. Est-ce que le fardeau de la preuve ne s'appliquait pas dans cette situation?
Le sénateur Banks : Je crois comprendre — et corrigez-moi si j'ai tort — que l'inversion du fardeau de la preuve ne s'applique pas dans les cas de mise en liberté sous caution et que, faute d'un argument probant à l'effet contraire, la mise en liberté sous caution doit être accordée en raison de la présomption d'innocence. Je crois comprendre que le fardeau de la preuve incombe au procureur de la Couronne — et peut-être pourrions-nous poser la question aux fonctionnaires à ce sujet — et qu'il doit baser son argumentation sur les trois motifs existants, c'est-à-dire qu'il doit démontrer que la personne ne se présentera vraisemblablement pas devant le tribunal à une date ultérieure, qu'un tort ne sera pas causé à autrui ou que la mise en liberté ne risque pas de discréditer l'administration de la justice. Il incombe au procureur de la Couronne de faire valoir les motifs pour lesquels la mise en liberté sous caution ne devrait pas être accordée.
Toutefois, je ne suis pas avocat et je m'en remettrai donc aux réponses des autres sur cette question. Peut-être que les fonctionnaires pourront me dire si j'ai tort.
Le vice-président : Madame Desaulniers ou madame Hodgson, voulez-vous commenter?
Laura Hodgson, avocate, Section de la politique en matière de droit pénal, Justice Canada : En vertu de notre Code criminel, le procureur de la Couronne doit généralement démontrer pour quelle raison l'accusé doit être gardé en détention. Il y a une présomption en faveur de la mise en liberté, mais le Code criminel prévoit également le renversement du fardeau de la preuve pour certaines infractions et le meurtre en est une. L'accusé doit établir la raison pour laquelle il devrait être libéré. Les infractions sont énumérées aux articles 516 et 522.
Dans les cas d'extradition, les articles 18 et 20 de la Loi sur l'extradition incorporent notre Code criminel. Cette disposition du Code criminel a été incorporée pour les questions de l'extradition. Sans aborder les détails de la cause, il y a eu inversion du fardeau de la preuve dans les circonstances particulières de ce cas. Du moins, je le pense.
Le sénateur Runciman : Il incombait à l'accusée de fournir un motif convaincant pour lequel elle devait être libérée. Il me semble que le juge a commis là une erreur tragique, et je ne sais pas comment nous devons composer avec cette réalité, sauf en aménageant un meilleur encadrement.
Je me pose aussi des questions sur les procureurs dans cette affaire. Nous pouvons bien parler de leur efficacité ou de leur dynamisme dans ce cas, mais le ministère public en a-t-il appelé de la décision?
M. Andrews : Si je me souviens bien, il était frustrant de constater comment toute cette affaire a pu dégénérer parce que tout était lié au processus d'extradition et que l'on a ajouté la notion de mise en liberté sous caution.
Il serait préférable de poser ces questions à David et à Kate Bagby qui ont suivi le processus au complet. Je pense qu'il y a eu une combinaison d'éléments qui ont mal tourné — le bien-être de l'enfant qui est de compétence provinciale et le manque d'information de la part du tribunal.
C'est une combinaison de plusieurs éléments qui ont permis à l'accusée d'être mise en liberté sous caution. D'une part, il y a le fait que Shirley Turner a tenté de se suicider alors qu'elle était en détention. Ce renseignement ne s'est jamais rendu jusqu'au juge. Il y a eu plusieurs erreurs.
Le sénateur Runciman : Le ministère public a également failli dans ce dossier. De toute évidence, l'accusée risquait de s'enfuir. On m'a raconté que huit ordonnances de non-communication avaient été émises à son endroit. C'est une véritable tragédie. Cela ne fait aucun doute.
Je sais qu'il s'agit d'un domaine de compétence provinciale, mais il me semble aussi que la faute incombe au ministère public. Je ne sais pas exactement ce qui s'est passé à Terre-Neuve-et-Labrador à la suite de ces événements. Il faut espérer que le ministère public a émis une forme de directive concernant l'approche à adopter dans ces cas et aussi pour s'assurer qu'à tout le moins il y ait appel lorsqu'un juge rend une décision aux conséquences tragiques comme celle-là.
Le sénateur Banks : Vous avez raison, sénateur Runciman. C'est là où se situait le fardeau de la preuve — et vous avez corrigé mon erreur. Le ministère public ne s'est pas opposé avec fermeté à la demande de mise en liberté sous caution dans cette affaire. Peut-être est-ce parce qu'il ne disposait pas de tous les faits qui ont été révélés plus tard ou pour toute autre raison, mais nous n'en sommes pas sûrs.
Nous avons examiné la façon dont nous pourrions inclure dans la loi d'autres obligations, fardeaux de la preuve ou directives pour les poursuivants afin qu'ils soient obligés dans des circonstances similaires de prendre des mesures qui, dans le cas présent, et peu importe la raison, n'ont pas été prises. Nous avons constaté qu'il n'y avait aucun moyen de le faire. Il n'y a rien dans quelque loi que ce soit qui puisse obliger les poursuivants à faire quoi que ce soit.
Le sénateur Runciman : Je pense que vous pourriez le faire par le biais d'une directive venant du procureur général de la province.
Le sénateur Banks : Toutefois, nous parlons ici de droit fédéral.
Le vice-président : Sénateur Banks, votre intention était de créer une obligation supplémentaire pour que le poursuivant fasse quelque chose d'autre, qu'il prenne en considération d'autres éléments dans le cas où l'on demande une mise en liberté sous caution. Estimez-vous que l'ajout des mots « ou celle des personnes âgées de moins de 18 ans » crée une nouvelle obligation pour le poursuivant ou vient simplement préciser ce qui existe déjà?
Si je comprends bien le sens de l'actuel article 515(10)b), la question porte sur la nécessité de la détention pour la protection ou la sécurité du public. Bien entendu, le public inclurait les personnes âgées de moins de 18 ans. Compte tenu de l'état actuel du droit et de ce que vous proposez de faire, est-ce que la modification crée réellement une autre obligation pour le ministère public? Peut-être ai-je mal saisi votre observation.
Le sénateur Banks : Je ne crois pas que ce soit le cas. Nous aurions aimé le faire, mais nous avons constaté que cela ne pouvait se faire en droit fédéral.
Le vice-président : D'accord.
Le sénateur Banks : Nous espérons bien que ce petit signal d'alarme incitera les juges à se poser des questions. C'est d'une importance cruciale, et vous avez raison : il est question du public en général. Cette modification fait spécifiquement référence aux enfants. Nous espérons fort que ce signal d'alarme incitera le juge à se poser cette question, en plus des trois autres questions concernant la mise en liberté sous caution.
Le vice-président : Cet ajout rendrait presque impossible d'oublier un enfant ou quelqu'un de moins de 18 ans dans ce processus.
Le sénateur Banks : C'est l'espoir que nous avons.
M. Andrews : Comme l'a dit le sénateur Banks, nous avons tenté de le faire de la manière forte. Toutefois, nous risquions de violer plusieurs éléments de la Charte. Nous voulions faire quelque chose qui n'irait pas jusque-là, mais qui donnerait au juge la possibilité de refuser la mise en liberté sous caution s'il estime que cela protégerait des mineurs ou des enfants.
Le sénateur Joyal : Bienvenue à notre comité. Ma première question s'adresse à Mme Desaulniers et à Mme Hodgson, puis j'aurai une autre question pour les autres.
Je m'interroge d'abord sur l'interprétation de l'article 515(10)b) du Code criminel donnée par les tribunaux dans des décisions passées. Je pose ma question uniquement en termes de règles d'interprétation judiciaire. À votre avis, l'amendement proposé que nous étudions ce matin est-il nécessaire pour l'interprétation de cet article ou est-ce qu'il compliquera l'interprétation ou est-ce qu'il risque même de faire en sorte que l'interprétation restreigne la portée de l'article 515(10)b)?
Je devrais ajouter que je pose la question en mettant de côté tous les objectifs que poursuivent les deux témoins de ce matin en nous proposant quelque chose qui est socialement souhaitable.
[Français]
Mme Desaulniers : Votre question a plusieurs volets. À la question de savoir si le projet de loi est nécessaire, si vous voulez par là demander s'il est essentiel, s'il répond à un problème qui a été identifié, à une carence législative qui a été identifiée, la réponse est non, le projet de loi n'est pas essentiel. Je pense que tout à l'heure même, on en a convenu dans les discours qui ont été prononcés.
Par contre si votre question est de savoir si le projet de loi est utile, oui, les résultats du projet de loi pourraient être utiles en ce sens que, comme on l'a signalé tout à l'heure, il servirait à rappeler au juge de paix, qui a à rendre une décision sur la remise en liberté, donc à lui rappeler plus spécifiquement de garder en tête la question de la sécurité des enfants, que ce soit les enfants de l'accusé ou les enfants en général. J'espère que cela répond à ce volet de votre question.
Pour ce qui est de savoir si ça peut poser une difficulté au niveau de l'interprétation, l'article inclut déjà des illustrations de ce qu'on entend par la notion du public, on parle déjà des témoins, des victimes. Alors ici, on ajouterait un autre groupe vulnérable à cette liste d'illustrations, et à ma connaissance, il n'y a pas eu de difficulté, jusqu'à présent, de dire qu'on a tenté de cerner la notion du public en y ajoutant des illustrations. Au contraire, c'est tout simplement pour envoyer un message et pour pointer vers des groupes particuliers qui font, néanmoins, partie du concept général du public.
[Traduction]
Le sénateur Joyal : C'est l'interprétation à laquelle j'en suis arrivé parce que, comme vous le savez, le texte de l'article actuel mentionne « nécessaire pour la protection ou la sécurité du public, notamment [...] ». En d'autres mots, il s'agit d'une énumération des choses auxquelles le juge doit porter attention pour évaluer la protection ou la sécurité du public.
Justice Canada nous a dit que dans le cas de certains autres projets de loi d'initiative parlementaire que nous avons étudiés, les modifications n'étaient pas nécessaires parce que les éléments étaient déjà inclus dans la définition large de l'objectif de l'article à l'étude.
Toutefois, selon ce que je comprends de l'article 515(10)b), il ne me semble pas que cela permettrait au juge de limiter l'interprétation de la notion de sécurité du public parce qu'il n'y aurait que trois groupes de personnes qui seraient comprises dans l'objectif de protection, c'est-à-dire les victimes, les témoins ou les personnes âgées de moins de 18 ans.
J'aimerais que vous me confirmiez que ma perception et ma compréhension de cet article ne compromettent pas l'objectif général de la loi, qui est d'assurer la sécurité du public de manière générale.
Mme Desaulniers : Je pense que vous avez tout à fait raison. Les deux notions qui sont actuellement incorporées dans la disposition — les témoins et les victimes — n'ont pas été, à ma connaissance, interprétées comme étant une liste limitative qui par conséquent limiterait la notion de « public ». Ce sont simplement des exemples et peut-être aussi des signaux d'alarme, comme quelqu'un l'a mentionné, pour que le juge de paix sache qui sont les personnes comprises dans la notion de public. Toutefois, la formulation ne se veut pas limitative.
Le sénateur Joyal : Mon autre question porte sur les divers facteurs que le juge qui entend la demande devrait prendre en considération. Dans le cas actuel, il était assez clair que la femme en état d'arrestation souffrait d'un trouble mental. Si une personne cherche à se suicider, c'est qu'elle souffre de problèmes psychiatriques d'une certaine gravité. Si quelqu'un a déjà tenté de se soustraire à la justice, ce serait, à mon avis, un élément très important à considérer lorsque vient le temps de décider de lui accorder une mise en liberté sous caution.
Je vous réfère à l'arrêt R. c. Rondeau de 1996 dans lequel le juge énumère divers facteurs qu'il voulait prendre en considération afin de refuser la mise en liberté sous caution et un de ces facteurs était la santé mentale de la personne. Bien entendu, il y a aussi les antécédents judiciaires et les antécédents familiaux.
Il me semble que dans le cas qui nous intéresse, ces trois facteurs faisaient partie de ceux qui étaient énumérés dans l'arrêt R. c. Rondeau. La santé mentale de la personne était certainement un facteur. En outre, le fait qu'elle était accusée d'avoir tué son mari faisait en sorte qu'il existait un problème dans cette famille; puis, le fait qu'elle cherchait à se soustraire à la justice était un autre facteur important à considérer.
Quand je lis l'article 515 du Code criminel, il me semble que ces bons éléments que le juge doit prendre en considération avant de rendre sa décision ne sont pas nécessairement énumérés au paragraphe 515(10). La jurisprudence les identifie, mais à la lecture de l'article 515 vous ne trouvez pas ces facteurs. Les articles 515(10)a), b) et c) énumèrent trois ensembles de facteurs, mais aucun de ces facteurs ne comprend celui dont je vous ai donné lecture, qui a été identifié en 1996 et qu'un juge a estimé essentiel pour rendre une décision et que le ministère public, bien entendu, a jugé essentiel pour décider de l'attribution d'une mise en liberté sous caution.
À Justice Canada, n'êtes-vous pas préoccupés par le fait que l'article 15(10) devrait être modifié pour inclure un autre ensemble de facteurs qui donneraient des directives au tribunal sur la façon de procéder ou sur les éléments à considérer avant d'accorder une mise en liberté sous caution?
[Français]
Mme Desaulniers : L'article 515(10) du Code criminel énumère les motifs de la détention, à savoir que a), le risque que la personne ne se représente plus devant les tribunaux, b), le risque au niveau de la sécurité du public et c), un risque au niveau de la perception du public quant à l'administration de la justice. Ce sont les trois motifs prévus à cet article. Ce dont vous parlez, effectivement, ce sont les facteurs qui viennent informer si oui ou non le motif a été prouvé.
Alors quand vous parlez de la condition, de la santé mentale de la personne, c'est un facteur qui peut être pertinent, si cette personne souffre de problèmes de santé mentale, on peut penser que cela l'amènera à ne pas se présenter devant le tribunal. Ce facteur peut être pertinent au premier motif. Il peut aussi être pertinent au deuxième motif prévu à b), à savoir si la personne souffre de problèmes de santé mentale, peut-être qu'elle est plus susceptible de récidiver. Il faut donc faire la nuance ici.
Votre question est très pertinente, mais de la façon que le paragraphe 10 a été conçu, c'est tout simplement de prévoir les motifs de la détention et laisser au tribunal toute la flexibilité de choisir les facteurs qui sont pertinents dans sa décision pour évaluer si oui ou non un motif a été prouvé.
Le sénateur Joyal : Est-ce que, à votre connaissance, lorsque les procureurs de la Couronne reçoivent des instructions sur les éléments à identifier lorsqu'ils s'opposent à une remise en liberté d'un prévenu, ils ont clairement sous les yeux ces différents facteurs qu'ils doivent prendre en considération lorsqu'ils doivent plaider sur l'un ou l'autre de ces paragraphes a), b) ou c) de l'article 515(10) du Code criminel?
Mme Desaulniers : Je sais que plusieurs directives signalent aux procureurs les problématiques qu'ils doivent garder à l'esprit. Il y a plusieurs juridictions au Canada qui ont des instructions particulières en matière de violence conjugale. Les procureurs sont bien entraînés pour reconnaître certaines problématiques particulières, la violence conjugale en est une, le problème d'alcoolisme en est un autre. La réponse simple à votre question est oui.
Le sénateur Joyal : Mais vous n'avez pas d'exemplaire de ces dispositions particulières dont les procureurs doivent tenir compte dans les causes de remise en liberté?
Mme Desaulniers : Non. Chaque province a ses instructions particulières à ses procureurs. Je me souviens qu'au Québec, on avait des dispositions à l'égard de la violence conjugale. Je sais de par mes discussions avec mes collègues provinciaux que des directives similaires existent dans les autres provinces. Je n'ai pas le document sous la main, mais je sais que c'est un document qui peut être obtenue.
Le sénateur Boisvenu : Merci, monsieur le président. Monsieur Banks, Monsieur Andrews, merci beaucoup. Nous n'aurons jamais suffisamment, au Canada, des porte-parole pour les victimes d'actes criminels. Je tiens à le souligner. J'ai quelques préoccupations par rapport au projet de loi. Ma première préoccupation est la suivante : est-ce qu'on va créer une disposition positive envers les enfants? C'est ma première question.
Est-ce qu'on crée un préjugé favorable par rapport aux enfants et par rapport aux victimes? Je pense que toute la problématique de la violence conjugale où souvent des maris vont être accusés, dans un premier temps, de violence physique, vont être relâchés entre le procès et les premiers actes de violence et souvent, cela va se terminer par l'assassinat de la femme.
Je pense à des gens qui ont des problèmes psychiatriques, qui vont être envoyés pour une étude psychiatrique à Pinel. L'examen psychiatrique est souvent demandé en urgence. Lorsqu'on traite un malade psychiatrique, urgence et professionnalisme ne vont pas ensemble. Les évaluations vont être plus favorables au criminel par rapport à la victime. Est-ce qu'on vient créer un préjugé favorable par rapport aux enfants?
[Traduction]
Le sénateur Banks : D'une certaine façon, je l'espère bien. Cela se rapporte à la question posée au début par le sénateur Joyal qui voulait savoir s'il n'était pas néfaste d'accorder une attention indue à certaines personnes plutôt qu'à d'autres? Je fais le lien avec ce que je disais plus tôt.
Est-ce que cela cause un préjudice? J'espère que cela ne nuit pas et je pense que les fonctionnaires ont dit que, selon eux, cela ne nuira pas; c'est-à-dire que ce n'est pas une disposition impérative. La mesure ne privilégie aucun intérêt particulier et on peut supposer que tous les intérêts sont couverts par le juge qui évalue la possibilité d'accorder une mise en liberté sous caution.
Je demanderais à M. Andrews de répondre à cette question. Cela se rapporte aussi à la deuxième question du sénateur Joyal. Je suis sûr qu'il y a d'autres circonstances et d'autres situations qui ne mettent pas en cause des enfants, mais pour nous, il est inconcevable que dans ce cas particulier la situation dans laquelle se trouvait la Dre Turner ait échappé à l'attention de la poursuite, du ministère public et du juge.
Les arguments qui ont été invoqués, dans la mesure où je puis m'en souvenir, pour accorder la liberté sous caution n'ont pas tenu compte de l'existence de Zachary Turner. Si je me souviens bien, les arguments invoqués — notamment sur la base du témoignage du psychiatre qui était engagé dans le dossier à cette époque —faisaient état du fait qu'il était peu probable qu'elle s'évade et qu'il était probable qu'elle se présenterait en cour à la demande du tribunal et qu'elle ne représentait pas un danger pour autrui, ce qui est incompréhensible.
Pour répondre brièvement à votre question, je dirais que j'espère que l'accent que l'on met sur cet aspect dans la présente affaire ou dans d'autres affaires similaires, y compris celle à laquelle j'ai fait allusion plus tôt et qui est présentement devant les tribunaux à Terre-Neuve-et-Labrador, ferait en sorte qu'un juge lisant la disposition modifiée concernant la mise en liberté sous caution, telle qu'inscrite dans le Code criminel, serait peut-être contraint de demander au procureur de la Couronne s'il y a un enfant en cause, au lieu de demander s'il y a un témoin, une victime ou quelqu'un d'autre. Y a-t-il un enfant en cause, que cet enfant soit spécifiquement de la famille ou non? Y a-t-il un enfant en cause, un enfant qui n'a rien à voir avec ce qui se passe, et qui pourrait être affecté par la mise en liberté sous caution?
J'espère que, lorsqu'on aura modifié la loi avec ce signal d'alarme, le juge sera contraint de demander au procureur de la Couronne s'il y a des enfants en cause dans le dossier et si la mise en liberté pourrait porter préjudice aux enfants, et que cet aspect primera sur tous les autres éléments habituellement pris en compte.
Pour répondre brièvement à votre question, oui, la modification met un accent particulier sur les enfants.
M. Andrews : Le sénateur a parlé du psychiatre. Il y a une tout autre histoire derrière ce qui s'est passé et comment l'accusée a manipulé le système pour s'en sortir.
Quand la chose a été portée à l'attention de notre comité de la Chambre des communes, le projet de loi traitait spécifiquement des enfants mineurs de l'accusé. Nous en avons discuté en comité, le Parti conservateur a proposé une modification pour l'élargir afin d'inclure tous les enfants mineurs et de ne pas nous limiter à un groupe d'enfants mineurs. Nous élargissons la définition pour inclure tous les enfants mineurs afin de tout prendre en considération.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Vous allez comprendre que ma préoccupation porte vraiment sur le principe de précaution. Un juge, lorsqu'il a à libérer un présumé criminel, il a devant lui la Charte des droits et libertés et il a le Code criminel. Souvent, la Charte des droits et libertés est plus utilisée pour reconnaître des droits aux présumés criminels que pour reconnaître le principe de précaution, lequel est reconnu dans le Code criminel pour les victimes ou leurs proches.
Cinquante pour cent des meurtres au Canada sont causés par le conjoint ou l'ex-conjoint; c'est énorme. C'est énorme. Je ne suis pas avocat, je n'ai pas les connaissances du sénateur Joyal, mais n'y aurait-il pas lieu, en même temps qu'on protège les enfants, de confirmer dans le Code criminel cette notion de précaution?
Je le répète, trop de femmes sont assassinées par leur conjoint et ex-conjoint. Et si on avait fait preuve de précaution, ces personnes seraient encore vivantes aujourd'hui. Tout comme le petit Zachary qui, si on avait fait preuve de précaution, serait encore vivant.
Est-ce qu'il n'y aurait pas lieu, par cet exercice, de protéger les enfants et d'avoir aussi une préoccupation pour les femmes? À mon avis, dans notre société, on va souvent plus protéger les conjoints et ex-conjoints dans leurs droits de liberté que les droits de vie de cette épouse ou ex-épouse.
[Traduction]
M. Andrews : C'est exactement la difficulté à laquelle nous nous sommes heurtés pour produire un texte qui nous permettrait d'atteindre notre objectif. Nous savions que refuser d'accorder la mise en liberté sous caution à toute personne ayant un enfant d'âge mineur serait contraire à la Charte. Nous aurions aimé aller plus loin dans cette direction, mais nous savions que nous n'arriverions pas à atteindre notre but. Nous avons donc été obligés de faire un compromis et de faire un petit pas en avant.
Le sénateur Banks : Peut-être que d'autres iront plus loin, sénateur Boisvenu. Dans le cas présent, nous avons choisi, comme l'a dit M. Andrews, de faire un premier petit pas. Mon impression de l'application du principe de précaution est qu'il s'agit d'un aspect fondamental des règles concernant la mise en liberté sous caution, telle qu'inscrite dans le Code criminel. Cet aspect serait fondamental et je ne sais pas s'il deviendrait impératif. Je ne sais pas si vous voulez dire « épouse » ou « conjointe ».
Nous ne voulions pas aller aussi loin parce que chaque fois que nous le faisions, nous nous exposions à une contestation constitutionnelle, et on nous a dit qu'il y avait un risque très réel que la disposition soit invalidée. Nous avons fait ce que nous savons être sûr et ce qui donnera un signal d'alarme.
Le vice-président : Merci, sénateur Boisvenu. Est-ce que cela met un terme à vos questions?
[Français]
Le sénateur Boisvenu : J'aurais un dernier commentaire. Dans la Charte des droits et libertés, il y a un article qui porte sur la sécurité des gens. Oui, il y a un article qui parle du droit du criminel ou du présumé criminel à la présomption d'innocence. Mais il ne faut jamais oublier que dans la Charte des droits et libertés, il y a aussi un article qui porte sur la protection de la population. Je tenais à vous le rappeler.
Le sénateur Carignan : Ce projet de loi est très intéressant, très important. Vous avez souligné une problématique particulière avec un exemple précis. Je pense que ce sont des situations qui peuvent se produire beaucoup plus souvent qu'on peut l'imaginer.
Lorsqu'on propose un amendement ou lorsqu'on rédige un projet de loi, j'aime essayer de couvrir la situation et de régler le problème, et non seulement avoir une interprétation ou un amendement qui touchera seulement une partie du problème.
Je m'explique : l'article 515(10)b) du Code criminel dit que lorsque « sa détention est nécessaire... ». Même s'il y a un renversement du fardeau de preuve, la nécessité est quelque chose qui est quand même assez important. C'est un fardeau que je considère quand même élevé.
Donc, on se retrouve quand même assez fréquemment avec des gens qui sont remis en liberté et qui peuvent quand même constituer un danger, à un degré moins élevé que la nécessité, mais qui peuvent quand même constituer un danger.
Ma conjointe est spécialiste en droit de la famille, elle pratique uniquement en droit de la famille. Donc j'ai souvent entendu ou discuté avec elle de problématiques où elle avait des conjoints ou des parties qui étaient en accusation. Elle considérait qu'il y avait un risque pour les enfants, mais il y avait des délais de cours, des problèmes d'accessibilité au dossier de l'accusé, ce qui fait en sorte qu'elle n'avait pas nécessairement tous les outils afin d'agir rapidement pour avoir des ordonnances de garde provisoire, ou de supervision, ou de droits de visite avec supervision, ce qui comporte des risques pour les mineurs.
Avez-vous examiné la possibilité d'amender également le sous-alinéa 515(4)e.1) du Code criminel, soit les conditions de remise en liberté? On peut comprendre que cela ne sera peut-être pas nécessaire, mais que le juge comprenne qu'il y a quand même des risques et qu'il pourrait à ce moment au moins fixer la condition interdisant tout contact avec l'enfant ou, lorsqu'il est en présence de mineurs, qu'il y ait toujours une personne ou un adulte raisonnable en présence de cette personne.
Si vous regardez l'article 515(4) du code, on dit :
e.1) observer telles autres conditions indiquées dans l'ordonnance que le juge de paix estime nécessaires pour assurer la sécurité des victimes ou des témoins de l'infraction;
C'est un peu le même principe, les mêmes personnes visées; ici vous avez pensé à ajouter « et les personnes mineures ou toute personne âgée de moins de 18 ans », de façon à ce que le juge, même s'il considère que ce n'est pas nécessaire, mais qu'il y a un risque, puisse au moins fixer les conditions et combler le vide entre la liberté de l'individu à risque et le temps qu'il faut pour mettre en œuvre les procédures judiciaires pour obtenir la garde ou la supervision d'un enfant par une personne significative pour lui — un des grands-parents, dans la situation dont vous avez parlé, la Protection de la jeunesse ou un conjoint. Surtout que le juge, au criminel, a en plus le dossier du criminel, ce qui n'est pas nécessairement facile dans un cas de droit de la famille, à savoir avoir accès à l'ensemble du dossier du criminel.
Je m'excuse, c'est une longue question, avec un long préambule.
[Traduction]
Le sénateur Banks : Voilà une bonne question. Je demanderai à M. Andrews de préciser ce point, mais j'ai envisagé cette possibilité lors de la première étude. Je pensais que le pouvoir discrétionnaire du juge l'emportait dans l'article que nous proposons de modifier. Le juge a toute la discrétion voulue pour imposer les conditions à la mise en liberté sous caution qui sont énoncées dans les articles qui précèdent et l'amendement proposé autoriserait le juge à le faire et ne l'empêcherait pas de le faire. Ce serait tout simplement un signal d'alarme pour attirer son attention sur le fait qu'il existe peut-être des conditions dont devrait être assortie la mise en liberté sous caution. Nous avions l'impression que l'amendement actuel en tenait compte.
M. Andrews : J'ajouterais qu'il s'agissait d'un défi. Tout a commencé avec le rapport Markesteyn, qui était une étude sur la question. Tout cela avait beaucoup à voir avec le droit de la famille et la protection des enfants, le bien-être des enfants et la façon dont les choses se sont emmêlées. Il s'agissait principalement d'un domaine de compétence provinciale.
C'est sur cela que nous avons porté notre attention lorsque nous avons examiné la notion de mise en liberté sous caution — parce que tout cela formait un tout. Je ne sais pas si le sénateur Banks a fait des recherches sur cet aspect, mais je ne suis pas allé aussi loin. Quand nous avons envisagé la modification, nous avons essayé de nous en tenir à la mise en liberté sous condition, parce que si cette mise en liberté avait été refusée pour ce motif, les événements que nous connaissons ne se seraient pas produits. C'est sur cela que nous nous sommes concentrés, mais il s'agit d'une question d'intérêt.
[Français]
Le sénateur Carignan : Est-ce que, madame Desaulniers, vous avez aussi une réponse à la question, à savoir si on peut amender et ajuster pour s'assurer de couvrir l'ensemble? À première vue, en tout cas pour ma part comme avocat, je ne vois pas comment un juge pourrait fixer les conditions pour un mineur.
Mme Desaulniers : L'article (4)d) du Code criminel prévoit explicitement le pouvoir d'un juge de paix d'interdire à un accusé de communiquer directement ou indirectement avec toute personne — ici on donne l'illustration : victime, témoin ou autre — identifiée dans l'ordonnance. Si, effectivement, au moment de remettre l'accusé en liberté, le juge de paix considère que des contacts entre l'accusé et un enfant pourraient être dangereux, il peut certainement interdire toute communication directe ou indirecte. Par ailleurs, le paragraphe f) du même article donne le pouvoir au juge de paix d'ordonner toute autre condition qu'il juge raisonnable. Le juge de paix a un pouvoir très vaste d'imposer toute condition. La seule limite est, naturellement, le droit constitutionnel d'un accuser de ne pas se voir privé de sa mise en liberté sous des conditions raisonnables.
Le sénateur Carignan : Je reviens à votre prémisse. Vous avez posé la question de savoir si l'amendement que nous proposons actuellement est essentiel, et vous avez dit : « la réponse est non ». Vous avez ensuite dit : « est-ce qu'il est utile? La réponse est oui », parce que cela va permettre de donner un signal au juge, disant qu'on veut porter une attention particulière à cette contre situation. Est-ce qu'on devrait également lever un drapeau rouge concernant les conditions de remise en liberté?
Mme Desaulniers : Le juge de paix qui, au stade de la remise en liberté, en vient à la conclusion qu'il serait nécessaire d'imposer une condition pour protéger un enfant, tel qu'on lui aura rappelé par le biais de l'article 515(10)b), a à ce moment-là devant lui tous les outils nécessaires pour imposer les conditions raisonnables pour protéger l'enfant. Le drapeau aura servi au stade initial pour dire : est-ce que la liberté conditionnelle peut être accordée? Est-ce que j'ai considéré la sécurité des enfants? Et si l'accusé peut effectivement être remis en liberté, toujours en considérant la sécurité des enfants, quelles conditions devraient être imposées? À ce moment-là le drapeau rouge initial aura déjà eu son effet. Par ailleurs, il a devant lui tous les pouvoirs pour imposer des conditions utiles.
Le sénateur Carignan : Je n'ai pas d'autres questions, monsieur le président. Je ne suis pas nécessairement en accord avec la réponse dans le sens où, oui, le juge a les outils, mais, dans la pratique et dans le feu de l'action, quand un juge rend des décisions, et compte tenu de la vitesse et de la quantité de dossiers que les procureurs de la Couronne traitent — et nous voyons souvent des procureurs de la Couronne qui viennent nous parler du volume important de leurs dossiers — cela ne me rassure pas nécessairement de voir que le drapeau rouge sera seulement à cette étape et ne sera pas également prévu à l'alinéa (4)e.1), d'autant plus qu'on a mis le drapeau à cet endroit; on enlèverait un e.1) et les outils sont là quand même pour protéger les victimes et les témoins, mais on a senti le besoin de le mettre à e.1). Il me semble que, étant donné que c'est la même formulation, les mêmes individus, je pense que, par concordance, on devrait mettre un autre drapeau à cet endroit. Je crois que c'est à nous, comme membre d'une législation, d'en décider.
[Traduction]
Le sénateur Baker : Le sénateur Carignan demande que l'on ait la même condition que celle qui se trouve dans divers articles du Code criminel, par exemple faire en sorte qu'une personne ne soit pas autorisée à s'approcher d'une arme à feu, ce qui est prévu pour une période de 10 ans dans la loi, que la personne ne soit pas autorisée à posséder telle chose, à aller à tel endroit, des éléments qui sont inscrits dans la loi. Le sénateur a soulevé un point très intéressant.
J'aurais des précisions à demander avant de m'adresser aux témoins principaux. Les représentants de Justice Canada sont-ils d'accord pour dire que les dispositions de l'article 515(10)b) du Code criminel ont été confirmées à plusieurs reprises par la Cour suprême du Canada et que la norme est maintenant établie? Les juges et les procureurs suivent ce que dit le droit, c'est-à-dire ce qui correspond à l'interprétation que donne la Cour suprême du Canada de chacun des mots de l'actuel article 515(10)b), et que c'est ce qui fait foi de tout.
Je me souviens des affaires R. c. Morales et R. c. Pearson. Je vous vois opiner, ce qui signifie que vous êtes au courant de ces causes. Dans ces arrêts, chacun des mots de l'alinéa 515(10)b) a été analysé. Est-ce que les témoins sont d'accord pour dire que c'est ce que les juges et les procureurs examinent lorsqu'ils se réfèrent à l'article 515(10)b)?
[Français]
Mme Desaulniers : Oui, certainement. Les tribunaux qui appliquent la loi et les procureurs qui plaident basent leur argumentation sur le texte du paragraphe b), absolument.
[Traduction]
Le sénateur Baker : C'est exact. La Cour suprême a clairement défini des expressions comme « toute probabilité marquée » et « la protection ou la sécurité du public » et des directives ont été données aux juges et donc aux procureurs sur le sens de ces mots. Leur signification est claire. Je veux que l'on en prenne note parce qu'un juge ne peut se prononcer que sur les preuves présentées et sur ce que dit le droit. Non seulement sur le droit écrit, mais ce sur quoi la Cour suprême du Canada s'est prononcée.
Je tiens à féliciter les témoins pour leur initiative. La formulation initiale était « les enfants d'âge mineur de l'accusé ». Est-ce exact? C'est ce que vous venez de dire.
Le sénateur Banks : Oui.
Le sénateur Baker : Au Canada, « enfant mineur » désigne quelqu'un qui a moins de 18 ans. C'est la définition qui en est donnée. C'est ce que vous faites dans la version modifiée. Les seuls mots que vous n'avez pas sont « de l'accusé ». Est-ce exact? Vous avez élargi le sens.
Vous avez bonifié le sens de votre motion de départ en précisant qu'il s'agit d'un enfant mineur tel que défini, c'est- à-dire une personne âgée de moins de 18 ans. Est-ce exact?
M. Andrews : Oui. Quand nous avons proposé cette modification au comité, le comité savait que « mineur » serait défini comme un mineur. Les députés ont proposé cette modification pour préciser et élargir le sens. Nous ne pensions qu'à l'accusé, mais lors des débats en comité, le gouvernement a proposé une modification pour que la définition s'étende à tous les enfants mineurs parce qu'il pourrait y avoir d'autres enfants mineurs dans la famille ou n'appartenant pas à l'accusé. Cette modification élargit un peu la portée de l'article. C'est un compromis que notre comité a fait.
Le sénateur Baker : Est-ce que pour Justice Canada la formulation suggérée « des personnes âgées de moins de 18 ans » est une expression relativement courante? Elle est inscrite dans plusieurs textes de loi et à plusieurs endroits du Code criminel, de sorte que son sens n'est pas contesté.
Mme Desaulniers : On trouve cette expression aux articles 171, 172 et 718.2 du Code criminel; vous avez raison.
Le sénateur Baker : Tout à fait. Je vois où les mots « les personnes âgées de moins de 18 ans » sont inscrits à l'article 718.2 du Code criminel, oui. Les mots y sont et c'est très clair.
Je pose la question aux témoins. Cet article comprend maintenant une nouvelle directive claire à l'intention des juges, des tribunaux et des procureurs. Voilà un nouvel élément que l'on incorpore à la loi pour leur imposer l'obligation de tenir compte des personnes âgées de moins de 18 ans. Ils reliront les débats du comité, ceux de la Chambre des communes et diront « Quel est le but de cette expression? Que veut-on dire? » Vous avez donc accompli ce que vous aviez l'intention de faire. Êtes-vous d'accord avec cela?
Le sénateur Banks : C'est ce que nous espérons.
Le sénateur Baker : Il n'y a pas « d'espoir » ici. C'est ce que vous avez accompli.
J'aimerais que Justice Canada s'assure que les juges qui examineront cet ajout à la loi se demanderont « Quelle est l'intention? Pourquoi l'a-t-on mis là?» Ils pourront alors reconsidérer les modalités de mise en liberté et peut-être refuser d'accorder la garde d'un enfant à quiconque fait l'objet d'une accusation dans une autre province ou territoire. Est-ce que les fonctionnaires du ministère de la Justice seraient d'accord avec cela?
Mme Desaulniers : Je soumets respectueusement que ce projet de loi n'ajoute pas une notion nouvelle à l'alinéa b) actuel. La notion d'enfant est déjà incluse quand il est question du public. C'est aussi le cas actuellement lorsqu'il est question de victimes ou de témoins. Ce sont des exemples de divers groupes qui sont déjà inclus dans la notion de public en général.
Si vous laissez entendre que ce projet de loi ajouterait une nouvelle notion à cette disposition, je vous soumettrais respectueusement que tel n'est pas le cas. Toutefois, comme il a été mentionné plus tôt, ce projet de loi rappellera aux juges de paix qu'il est nécessaire de considérer la sécurité de l'enfant, entre autres choses.
Le sénateur Baker : Cela s'appliquerait également aux juges de la cour provinciale.
Mme Desaulniers : Oui.
Le sénateur Baker : C'est une seule et même chose, n'est-ce pas?
Mme Desaulniers : Oui.
Le sénateur Baker : Non, vous n'apportez pas un nouvel élément parce que tout le monde fait partie du public. C'est vrai, mais cela amène les juges à tenir compte de l'âge et à revenir aux motifs à l'origine de la modification apportée au Code criminel. Admettez-vous que cette modification aura le même effet?
Mme Desaulniers : Je n'en suis pas sûre. Je reconnais que cela aura un rôle utile pour rappeler aux juges de paix ou aux juges de la cour provinciale qu'il est nécessaire de considérer la sécurité des enfants, en qualité de membres du public, de même que celle des témoins et des victimes.
Le sénateur Baker : Ils y reviendront et prendront parfois vos paroles comme s'il s'agissait d'une expression officielle du ministère de la Justice du Canada pour motiver leurs jugements. Ils y reviendront et s'appuieront sur notre comité. Je voulais simplement que cela soit noté. Vous avez accompli quelque chose d'incroyable en modifiant la loi. Je vous en félicite.
Le sénateur Banks : C'est la raison pour laquelle M. Andrews et moi-même étions heureux de la décision du gouvernement d'élargir la portée de cette disposition parce qu'il y a des situations où les enfants sont en cause et, bien souvent, ils n'ont pas 18 ans, mais plutôt 6 ans ou 6 mois, et parfois ne sont pas les enfants de l'accusé. Ils se trouvent à cet endroit et pourraient être les enfants du voisin, un cousin, une nièce ou un neveu. Ils pourraient être associés à une union de fait, par exemple, et si nous avions continué de dire « les enfants de l'accusé », la définition serait différente. Est-ce un enfant de l'accusé? Il y aurait ensuite d'autres questions. Nous avons fait bon accueil à l'intervention du gouvernement à cet égard.
Le sénateur Joyal : Je poursuis dans la même veine. Pouvons-nous nous attendre à ce que Justice Canada invite les procureurs généraux des provinces à émettre de nouvelles instructions à l'intention du ministère public pour s'assurer que l'on en tiendra compte dans le futur et non pas au premier niveau, du fait que cela est déjà inclus dans la loi et que cela ne change rien?
[Français]
Je sais que ma question est truquée.
Mme Desaulniers : Comme vous le savez, notre ministre n'a certainement pas l'autorité d'imposer aux provinces comment instruire leurs procureurs ou non. Mais quand la loi entrera en vigueur, si c'est le cas, elle sera portée à l'attention des procureurs. Et cela indique clairement un message que le Parlement aura voulu envoyer.
[Traduction]
Le sénateur Banks : Je connais quelques procureurs de la Couronne et je le leur mentionnerai, sénateur Joyal.
[Français]
Le sénateur Joyal : Donc on peut raisonnablement s'attendre que l'effet utile de ce projet de loi devrait normalement être porté à l'attention des procureurs de la Couronne. Je comprends qu'ils sont sous la responsabilité des provinces, mais au moins on doit s'assurer que les procureurs reçoivent l'avis habituel.
On peut s'attendre raisonnablement à ce que le procureur général du Canada, dans l'hypothèse où ce projet de loi serait adopté par le Parlement, attirera l'attention des procureurs généraux des provinces pour qu'eux-mêmes donnent instruction à leurs propres procureurs de la Couronne, attirant leur attention sur le fait que dorénavant, il y a là un motif précis dont ils devraient tenir compte dans leur représentation au sujet de la remise en liberté ou non d'un prévenu.
Mme Desaulniers : Je puis vous dire que, à chaque rencontre que nous avons avec les provinces, dont notamment au sein du groupe coordonnateur sur les hauts fonctionnaires, à chaque réunion, — il y en a deux par année, il y en aura une la semaine prochaine — on informe les collègues des provinces des projets de loi déposés et des projets de lois entrés en vigueur, incluant les projets de loi privée. Celui-ci, au même titre que les autres, fera l'objet d'une présentation à nos collègues des provinces.
Le sénateur Joyal : À mon avis, privé ou public, cela ne change rien. C'est une modification au code pénal, point à la ligne.
Mme Desaulniers : Absolument, tout à fait.
Le sénateur Joyal : Qu'elle soit d'origine publique ou privée, l'effet est le même. L'effet n'est pas moindre parce que l'origine du projet de loi est parlementaire.
Mme Desaulniers : Vous avez tout à fait raison.
[Traduction]
M. Andrews : Je sais que vous vous êtes posé des questions au sujet du ministre de la Justice. Quand je lui ai parlé de ce projet de loi particulier et de l'appui du ministère, il a indiqué qu'il y aurait une période d'attente après la sanction royale avant que les provinces puissent l'adopter officiellement. Je ne sais pas exactement comment cela fonctionne, mais il a dit qu'il y a un processus à suivre.
Le sénateur Banks : Je tiens à ce que nous nous assurions que nous comprenons bien qu'il s'agit d'une loi du Parlement et qu'une loi du Parlement est une loi du Parlement.
Le vice-président : Merci, sénateur Banks.
[Français]
Le sénateur Chaput : J'aurais besoin d'une clarification. J'ai entendu, à quelques reprises, l'expression « les criminels » et je me posais la question suivante : il s'agit d'une loi qui a pour but de justifier la détention sous garde, lorsque c'est nécessaire, pour la protection que ce soit des victimes ou des témoins, et cetera. Je suis d'accord avec l'objectif de protéger les victimes, mais à cette étape, la personne a-t-elle déjà été trouvée coupable? Sinon, ne devrait-on pas alors parler de détention préventive et ne pas utiliser le mot « criminel »? Pouvez-vous m'expliquer cela?
Mme Desaulniers : La remise en liberté traitée à l'article 515 vise les gens qui ont été accusés d'une infraction, mais qui n'ont pas encore été trouvés coupables. Nous devons effectivement faire référence à ces personnes comme des accusés et pas comme des condamnés. J'espère que je n'ai pas prononcé ces mots. Si je l'ai fait, je m'en excuse.
Le sénateur Chaput : Je ne sais pas qui a prononcé ces mots, mais j'écoute attentivement, et comme je ne suis pas avocate, j'ai ressenti le besoin de clarifier ce point.
[Traduction]
Le vice-président : J'ai une question que j'adresserais peut-être au sénateur Banks. L'article 515(10) du Code criminel définit les éléments qui doivent être prouvés pour que la détention de l'accusé soit maintenue, dans le cas où la mise en liberté n'est pas accordée. Les trois motifs sont assez larges. Votre projet de loi propose de modifier un de ces trois motifs. Toutefois, ils sont encore assez larges, et ils sont associés à une discrétion judiciaire considérable puisque c'est le juge qui décide si ces motifs sont établis. Dans le cas de Zachary Turner, on s'interroge toujours sur la façon dont ce pouvoir discrétionnaire a été exercé.
Je me demande si vous seriez prêt à considérer que l'intention de votre projet de loi est, dans une certaine mesure, de circonscrire la discrétion judiciaire pour éviter une répétition de cette situation ou, en d'autres mots, de clarifier les choses pour apporter une limite raisonnable au pouvoir discrétionnaire des tribunaux.
Le sénateur Banks : Je suis un ardent partisan du pouvoir discrétionnaire parce que je suis conscient qu'il est impossible de rédiger une loi, une règle ou un contrat pour tenir compte de toutes les possibilités et de tous les aspects qui peuvent se présenter. Selon mon expérience limitée, c'est certainement vrai en ce qui a trait au droit pénal.
Je suis opposé à tout ce qui restreindrait le pouvoir discrétionnaire des tribunaux. Je ne dirais pas que le projet de loi de M. Andrews limite ce pouvoir discrétionnaire. J'espère que l'on pourra dire qu'il élargit un peu la portée des trois conditions dont le juge doit tenir compte lorsqu'il se demande s'il doit accorder la mise en liberté sous caution.
Je déteste reprendre constamment cette métaphore, mais le but est d'en faire un signal d'alarme. C'est un rappel. Selon moi, toutefois, la disposition ne limite en rien le pouvoir discrétionnaire des juges.
Le vice-président : N'êtes-vous pas d'accord pour dire que si le projet de loi est adopté, il aura pour effet d'obliger un juge à demander si des enfants de moins de 18 ans pourraient être touchés par une mise en liberté? Cela ferait partie du processus. Tel n'est pas le cas aujourd'hui. Aujourd'hui, le juge pourrait choisir d'exercer son pouvoir discrétionnaire et de ne pas aller plus loin.
Je ne veux pas me lancer dans une discussion théorique, mais il me semble que cela restreindrait le pouvoir discrétionnaire actuel, qui fait en sorte que le juge n'est même pas tenu de demander s'il y a des enfants de 18 ans ou moins qui pourraient être touchés par la demande de mise en liberté.
Le sénateur Banks : Je n'ai pas les connaissances nécessaires pour affirmer que les trois conditions — notre projet de loi cherche à en modifier une — peuvent être qualifiées de disposition impérative ou facultative pour le juge. Je n'ai pas l'expertise nécessaire pour le faire.
Nous n'avons pas l'intention d'obliger le juge à faire quoi que ce soit. Notre intention est simplement de dire au juge « Veuillez s'il vous plaît tenir compte de cet élément ». C'est là la réponse d'un profane à votre question, sénateur.
Le vice-président : Madame Desaulniers, pensez-vous que cette disposition, si elle était incorporée au Code criminel, exigerait du juge qu'il se demande si des enfants de moins de 18 ans risquent d'être affectés par sa décision?
Mme Desaulniers : Ils sont déjà tenus de faire cette évaluation.
Le vice-président : Parce les enfants font partie « du public », oui.
Mme Desaulniers : Quand j'ai répondu au sénateur Baker qui se demandait si cette modification ajoute quelque chose de nouveau, j'aurais peut-être dû dire que ce projet de loi ne changera pas l'état du droit. Si vous laissez entendre que cela pourrait limiter le pouvoir judiciaire discrétionnaire, je vous dirais que tel n'est pas le cas, parce que cela ne change rien à l'état du droit.
La modification apporte une nouveauté parce qu'elle rappelle au juge un élément qui n'y était pas auparavant. Peut-être est-ce là quelque chose de nouveau, mais cet élément ne change rien au droit. Actuellement, les juges doivent considérer la sécurité du public et le public comprend les personnes âgées de moins de 18 ans.
Le vice-président : Merci beaucoup.
[Français]
Le sénateur Joyal : Madame Desaulniers, j'aimerais revenir sur la différence conceptuelle qu'il y a entre l'article 515(10)b) et 515(4) du même article du Code criminel sur les conditions autorisées. Je vais vous expliquer comment je conçois l'interprétation à donner à 515(10)b) que nous amendons. L'article 515(10)b) permet de refuser la remise en liberté pour des motifs qui sont liés à la protection et à la sécurité du public dans certaines circonstances. Donc on refuse la remise en liberté.
Dans le cas de l'article 515(4) du code, on autorise la remise en liberté sous certaines conditions et on énumère ces conditions sous a), b), c), d), e) et f).
Ce qui est étonnant, c'est que pour refuser la remise en liberté, on invoque des motifs reliés à la protection et à la sécurité du public, mais pour remettre en liberté sous condition, les motifs de protection et de sécurité du public ne sont pas spécifiquement mentionnés. À moins que vous vous rabattiez sur l'article 515(4)f), qui dit : « observer telles autres conditions raisonnables, spécifiées dans l'ordonnance [...] » Donc dans le cas du refus de la remise en liberté, la protection et la sécurité du public est un motif déterminant que le juge doit prendre en considération, alors que lorsque la personne est remise en liberté sous condition, le juge n'a pas d'obligation plus précise à l'égard de la protection et la sécurité du public que quelque autre motif qu'il puisse vouloir prendre en considération.
Mme Desaulniers : L'article 515, de façon générale, est construit de la façon suivante. On prévoit que la règle, c'est la remise en liberté.
Le sénateur Joyal : À cause de la présomption d'innocence?
Mme Desaulniers : Effectivement, et aussi à cause du droit constitutionnel d'être remis en liberté prévu à l'autorité (11)e). Cela étant dit, on prévoit des pouvoirs additionnels d'un juge, sachant que, à prime abord, on doit remettre en liberté; mais on dit que par contre, vous pouvez imposer certaines conditions, et on en donne des exemples. Parce que dans le fond, le dernier alinéa, à f), prévoit toutes les conditions qui sont nécessaires et opportunes. Tout ce qui précède se trouve à être des exemples de ce qui pourrait être des conditions nécessaires et opportunes.
Par la suite, à l'article (10), on crée l'exception de dire que la remise en liberté est la règle. Par contre, il pourra être nécessaire de refuser la remise en liberté pour les trois motifs suivants.
Alors c'est la façon dont le régime est construit. Dans la pratique, c'est certain que les tribunaux, lorsqu'ils ont à évaluer quelles conditions sont opportunes ou nécessaires pour remettre quelqu'un en liberté, ont toujours en tête la sécurité du public. C'est l'inquiétude première d'un juge de paix qui remet en liberté.
Je suis d'accord avec vous avec le fait que cela n'a pas été explicitement prévu au paragraphe (4). Ici encore, comme on le dit, la règle à l'entrée du jeu est la remise en liberté.
Le sénateur Joyal : De la même façon que dans le cas du refus de remise en liberté, on tient compte évidemment de la protection des victimes, des témoins et du public. Donc de tout autre catégorie de personnes qui pourrait représenter une cible pour le prévenu.
Dans le cas de 515(4), on ne vise qu'à protéger, comme on le mentionne à (4)d), qu'à s'abstenir de communiquer seulement avec les victimes, les témoins ou autres, mais dans le cas des autres conditions, on ne mentionne pas le public comme étant un des domaines qui pourrait faire l'objet d'une condition spécifique.
On se retrouve uniquement sous la définition de f), qui est simplement une condition générale.
Mme Desaulniers : Quand même, à e).1, on a la notion d'assurer la sécurité des victimes ou des témoins. Je suis d'accord avec vous, cependant, qu'on n'a pas la notion plus générale d'assurer la sécurité du public en général.
Le sénateur Joyal : Exactement, parce que lorsqu'on on a e).1, comme le disait le sénateur Carignan, on veut protéger la sécurité des victimes ou des témoins, mais si on veut protéger d'autres personnes, il faut aller sous f). Ce serait donc une autre démarche de réflexion du juge par rapport à e), qui lui, spécifiquement et nommément, mentionne la sécurité des témoins et des victimes.
Mme Desaulniers : Oui.
Le sénateur Joyal : C'est là où il y a une nuance entre les articles 515d) et b) et 515(4)e).1, qui renvoie la protection du public à f).
Mme Desaulniers : Effectivement.
Le sénateur Joyal : Donc, dans le cas présent, de la question soulevée par le sénateur Banks et M. le député Andrews, si on veut protéger les personnes de moins de 18 ans, il faut aller sous le paragraghe f) comme étant une des portes ouvertes au juge pour évaluer s'il y aurait un impact, un danger additionnel ou une restriction additionnelle qu'on ne devrait pas imposer au prévenu pour assurer la sécurité d'une personne de moins de 18 ans.
Mme Desaulniers : J'apporterais un bémol, en ce sens que si la mesure que le tribunal envisage pour assurer la sécurité d'un enfant est celle d'ordonner une interdiction de contact, direct ou indirect, à ce moment-là on a l'article plus spécifique du paragraphe d), qui traite de l'interdiction de contact. C'est souvent le moyen que les tribunaux utiliseront pour protéger une personne, d'interdire le contact.
Le sénateur Joyal : Oui, dans le cas du contact ou encore de l'endroit, qui est identifié dans l'ordonnance d'aller dans un lieu qui est mentionné. C'est dans le cas, par exemple, des personnes accusées de délit sexuel à l'égard des enfants : on leur demande de ne pas s'approcher d'une école ou un terrain de jeu ou autres. C'est à l'intérieur du droit à la mobilité du prévenu que l'on impose une restriction.
Mme Desaulniers : Oui.
Le sénateur Joyal : Mais, encore une fois, ce n'est pas lié à la sécurité ou à la protection des personnes de moins de 18 ans.
Mme Desaulniers : Effectivement.
Le sénateur Joyal : Je vais tenter de vous poser la question suivante. Est-ce que, à votre connaissance, vous avez déjà pratiqué, il y a plusieurs conditions imposées dans la jurisprudence où un prévenu se voit imposer comme condition, par exemple, ou se voit dépouillé de sa capacité à l'égard d'un type de public ou d'un type de personne pour assurer sa remise en liberté?
Mme Desaulniers : Dans certains dossiers, oui, on peut interdire à l'accusé d'être en présence d'enfants de moins de 16 ans. C'est une condition que j'ai vue à l'occasion. J'essaie de penser à d'autres cas où un groupe en particulier a été ciblé. Je vous dirais que les enfants sont probablement le groupe le plus généralement nommé comme faisant l'objet d'une protection particulière.
Le sénateur Joyal : Il me semblait avoir lu — je le porte à votre attention — le cas d'une personne qui a été accusée d'agression contre des personnes âgées dans un centre de retraite et à qui on avait imposé de ne pas s'approcher des personnes âgées ou des personnes handicapées. Cela m'apparaissait possible.
Mme Desaulniers : Si je vous parle des enfants, ça ne veut pas dire que d'autres groupes de personnes ne peuvent pas faire l'objet d'une interdiction de communication. Chaque dossier est différent et chaque fait particulier dans les dossiers peuvent amener à des conditions particulières. On peut parfois penser à une interdiction de communiquer avec des collègues de travail. Parfois à une interdiction à se rendre à tel établissement, tel magasin. Chaque dossier amène le juge de paix à créer une condition sur mesure selon les faits au dossier.
Le sénateur Joyal : Donc à votre avis, l'article tel que rédigé actuellement au paragraphe 4 a été interprété de façon suffisamment judicieuse pour ne pas requérir, comme vous l'avez dit dans votre présentation, ou de brandir un drapeau à l'attention des juges pour leur dire d'avoir une attention particulière pour les personnes de moins de 18 ans?
Mme Desaulniers : Je peux vous dire que je copréside au groupe fédéral-provincial-territorial sur la procédure pénale. Je rencontre mes collègues des provinces plusieurs fois par année. Il n'y a aucun problème particulier quant à l'article 4, qui a été porté à ma connaissance.
Le sénateur Joyal : Merci.
Le sénateur Carignan : Je ne sais pas si vous rencontrez souvent des avocats spécialisés en droit de la famille; j'en vois une à tous les jours ou presque quand je ne suis pas ici.
La pause m'a permis de communiquer avec elle pour confirmer mes appréhensions et elles sont confirmées. Ce qu'on m'explique, c'est que surtout dans les cas de violence conjugale, la formule type c'est de ne pas entrer en communication avec le conjoint, sauf sur autorisation d'un juge de la Cour supérieure, donc pour transférer la juridiction au niveau du juge de la Cour supérieure en droit de la famille.
Mais il n'est jamais fait mention des enfants. Et il semble que le réflexe des juges de droit pénal, c'est que ce n'est pas de leur juridiction. Il semble y avoir un vide judiciaire pour la protection des enfants, dans le court laps de temps entre la mise en liberté et le temps qu'une personne significative — parce qu'il faut une personne significative ayant un intérêt pour protéger — prenne une procédure. Il semble qu'il y ait un vide.
J'ai noté le commentaire du sénateur Joyal sur la question de la protection du public, qui m'amène à être encore plus convaincu de la nécessité d'agiter le drapeau à 4e).1. Je ne sais pas si on peut faire ça pour ce projet de loi, peut-être que cela peut retarder sa mise en vigueur, peut-être que cela peut se faire ailleurs. Il serait bon de le transmettre aux procureurs provinciaux lors de vos rencontres pour les informer qu'il semble y avoir un vide dans le cas de personnes mineures dans les cas de violence conjugale.
[Traduction]
Le sénateur Banks : Peut-être ai-je une perception un peu simpliste de ces questions. Toutefois, je pense et j'espère que cet amendement porte sur une question : Faut-il accorder la mise en liberté sous caution, oui ou non? C'est au juge de le déterminer.
Si le juge décide de ne pas accorder la mise en liberté sous caution, à cause des trois motifs actuels et qu'il ajoute cet élément à l'un de ces motifs, la question des conditions dont serait assortie la mise en liberté ne se poserait plus. Si un juge estime qu'il ne doit pas y avoir de mise en liberté sous caution, il n'est pas question de conditions.
Je ne crois pas que cette modification ait quelque effet que ce soit — peut-être devrait-elle en avoir un — sur les conditions qu'un juge peut fixer s'il décide d'accorder la mise en liberté sous caution. J'estime que la modification actuelle ne porte que sur la seule question de savoir s'il faut accorder ou non la mise en liberté sous caution.
Le vice-président : Madame Desaulniers, aviez-vous une observation à formuler? Avant que le sénateur Banks ne prenne la parole, j'ai pensé que vous aviez quelque chose à ajouter.
Mme Desaulniers : Non, j'estime que cela est exact.
Le sénateur Joyal : La seule chose que j'ajouterais à votre observation, sénateur Banks, est que c'est vrai. Je suis tout à fait d'accord avec la façon dont vous décrivez le projet de loi.
Toutefois, puisque ce projet de loi propose de modifier une partie d'un article du Code criminel portant sur la mise en liberté sous caution, il est tout à fait justifié que nous nous interrogions sur les conséquences que cela pourrait avoir sur l'alinéa b) du paragraphe (10) ou sur l'interprétation des autres paragraphes de l'article 515. C'est essentiellement ce que nous essayons de faire ici, c'est-à-dire de demeurer cohérents avec ce que vous proposez.
Je ne crois pas que vous ayez pu percevoir quelque opposition que ce soit autour de la table à ce que vous avez proposé. Il nous appartient maintenant de déterminer si le Code criminel demeure cohérent et s'il permet de respecter l'objectif plus large que vous cherchez à atteindre, qui est également de protéger les enfants lorsqu'il y a des conditions reliées à la mise en liberté d'une personne.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Vous me permettrez de traiter de ce sujet très important. Permettez-moi de terminer avec une petite note d'humour. Vous savez que notre gouvernement milite pour mieux protéger la population. Mais cela a malheureusement des impacts sur les coûts d'incarcération. Je suis heureux de constater que ce sont nos amis d'en face qui proposent cet amendement, qui pourrait avoir des impacts sur les coûts d'incarcération. À ce moment-là, j'espère qu'ils vont appuyer nos mesures également.
Sénateur Banks ou monsieur Andrews, avez-vous une idée du nombre de personnes qui pourraient être incarcérées au Canada en appliquant cette mesure qui protégerait davantage les enfants?
[Traduction]
Le sénateur Banks : Non, je n'en ai aucune idée, sénateur, mais nous devons tous espérer — et je sais que vous partagez mon espoir — qu'il y en aura de moins en moins avec le temps.
Le vice-président : Voilà qui conclut la période de questions. Je tiens à remercier le sénateur Banks et M. Andrews de leur exposé. Manifestement, il s'agit d'une question très importante, et qui a été très bien présentée. Madame Desaulniers et madame Hodgson, je vous remercie de votre apport. Vous nous avez été très utiles.
Le comité se réunira de nouveau mercredi prochain, à 16 h 15.
(La séance est levée.)