Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 18 - Témoignages du 8 décembre 2010
OTTAWA, le mercredi 8 décembre 2010
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, saisi du projet de loi S-12, Loi no 3 visant à harmoniser le droit fédéral avec le droit civil du Québec et modifiant certaines lois pour que chaque version linguistique tienne compte du droit civil et de la common law, se réunit aujourd'hui, à 16 h 8, pour examiner ladite loi.
Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Bienvenue au comité. Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles poursuit son étude du projet de loi S-12, Loi no 3 visant à harmoniser le droit fédéral avec le droit civil du Québec et modifiant certaines lois pour que chaque version linguistique tienne compte du droit civil et de la common law.
[Français]
Aujourd'hui nous avons le privilège d'entendre un témoin de l'Association du Barreau canadien, division du Québec. Il s'agit de M. Patric Besner. Aussi, à titre personnel, nous entendrons M. Stéphane Rousseau, qui est professeur titulaire à la faculté de droit de l'Université de Montréal.
Messieurs, merci beaucoup d'avoir accepté de nous aider dans nos travaux. Monsieur Besner, la parole est à vous.
Patric Besner, représentant, Association du Barreau canadien, Division du Québec : Madame la présidente, l'Association du Barreau canadien regroupe environ 37 000 membres à travers le Canada. Elle se compose de notaires, de juges, d'étudiantes et d'étudiants et compte évidemment des notaires pratiquant plus particulièrement au Québec.
Je représente aujourd'hui la Division du Québec, qui compte 24 sections, dont la section Affaires qui est plus particulièrement concernée par le projet de loi. Évidemment, pour ce qui est des consultations, l'équipe de bijuridisme a débuté il y a un certain temps. D'un point de vue public, j'ai eu le privilège d'assister au lancement de Themis. De par son choix d'auteurs, c'est une initiative assez importante en termes de contribution. J'en ai ici un exemplaire.
Le gouvernement fédéral a contribué à s'assurer de l'existence de textes et de données de certains auteurs, dont mon collègue le professeur Rousseau. Vous avez également d'éminents auteurs dont Paul Martel, Me Payette également. Cela a permis à la communauté de se sensibiliser davantage sur la nécessité d'examiner les questions relatives au bijuridisme.
Le lancement s'est fait le 20 février 2008. À cette époque, un document de consultation a été préparé par l'équipe de bijuridisme. Au mois d'avril de la même année, le professeur Stéphane Rousseau, dans le cadre de l'Université de Montréal, a organisé une table ronde où plusieurs praticiens, professeurs et étudiants se sont rencontrés. Il y avait également des fonctionnaires d'Industrie Canada, qui étaient présents à cette réunion.
Le 13 octobre dernier, l'ABC a organisé une rencontre de représentants des gouvernements fédéral et provinciaux sur toutes les questions corporatives et il y avait un volet pour lequel l'équipe de bijuridisme était présente. Je vous donne un peu cet historique, que vous connaissez peut-être, tout simplement pour souligner l'importance de ces démarches, surtout au niveau des praticiens, où souvent la pratique nous accorde peu de temps.
Et lorsque les gouvernements mettent en place des procédés où on peut échanger avec les rédacteurs ou avec des gens qui prennent ultimement les décisions pour suggérer des projets de loi, cela permet d'avoir des projets de loi beaucoup plus performants, qui se penchent autant sur les aspects politiques que pratiques. On considère qu'il faut absolument continuer à suivre cette méthode sur le plan législatif.
Quant au projet de loi S-12, l'ABC l'accueille évidemment d'un très bon œil et considère que les modifications sont appropriées. Elle considère également que la réflexion et les discussions ont été adéquates et qu'il n'y a pas de problématique en soi au niveau de la loi.
Au contraire, je crois que c'était bien attendu et que chaque province doit voir d'un œil très positif ce projet de loi et ce, pas uniquement le Québec. Souvent, c'est peut-être la façon pour les gens de comprendre la nécessité de l'harmonisation, mais il faut aussi comprendre qu'il existe de la common law française et que ces concepts de droit ont été intégrés, autant pour le bénéfice du Québec que pour celui des provinces qui utilisent la common law. C'est un élément qu'il ne faut pas oublier.
Cela peut permettre aussi de respecter des traditions provinciales au sein d'une législation fédérale, et je crois que c'est une approche importante. Une suggestion que l'ABC aimerait apporter à l'équipe de bijuridisme serait celle de faire comme le rapport Dickerson. Dans les années 1970, plusieurs professeurs d'universités et praticiens ont préparé un projet qui a permis de mettre au monde la Loi sur les sociétés par actions, qui a été mise en vigueur en 1975.
C'est un document qui contient beaucoup de références et plusieurs praticiens le consultent régulièrement, même aujourd'hui. C'est la même chose pour les modifications qui ont eu lieu en 2001. Il y a eu beaucoup de travaux préparatoires et il y a eu un cahier des charges. Ce sont des documents qu'on utilise régulièrement dans nos pratiques.
Il faut comprendre que pour les praticiens et les gens en affaires, la chose la plus importante, surtout dans le milieu des affaires, c'est d'avoir une certitude. Et s'il n'y a pas de certitude au niveau d'un projet de loi, même si cela semble banal, cela peut mener à d'énormes problématiques et faire en sorte que certaines transactions sont faites différemment et que les coûts fiscaux sont plus importants parce qu'on veut éviter une problématique au niveau de la loi.
En conclusion concernant cette idée, il serait souhaitable que l'équipe de bijuridisme prépare un document expliquant les différentes modifications qui sont apportées et qui sont présentes dans le projet de loi S-12.
Je ne sais pas si ce document serait public, mais ce serait quelque chose d'important étant donné la présence d'éléments excessivement techniques. Étant donné que la pratique évolue rapidement, il faut pouvoir se référer à un texte qui nous permet de comprendre pourquoi on a inséré le mot « mandataire » à cet endroit ou pourquoi on a mis le mot « séquestre ». Il y a des subtilités à l'intérieur de cela et c'est difficile pour un praticien de prendre le temps de les analyser article par article.
Si un document était disponible pour la communauté juridique et pour les gens d'affaires, je crois qu'il serait très consulté et très apprécié. Il serait également apprécié des tribunaux qui pourraient s'y référer dans des cas d'interprétation de la loi. Donc, si je rattache ce besoin de certitude aux modifications, je peux dire que pour beaucoup d'années les praticiens du Québec comprenaient parce qu'on faisait déjà cette interprétation. Mais évidemment, avec les modifications qui ont été apportées, un document explicatif nous offre un meilleur confort et nous donne une certitude au niveau de nos pratiques et des opinions qu'on doit rendre régulièrement dans le cadre de notre travail.
Bref, l'Association du Barreau canadien a eu le bénéfice d'assister aux différentes rencontres que je vous ai mentionnées au point de départ, et est en faveur de ces modifications.
Stéphane Rousseau, professeur titulaire, faculté de droit, Université de Montréal, à titre personnel : Madame la présidente, d'abord, je souhaiterais vous remercier de votre invitation et de prendre le temps de m'entendre cet après-midi.
J'aimerais formuler deux types d'observation relativement au projet de loi S-12, d'abord des observations générales et ensuite des observations plus particulières sur le projet de loi.
Les observations générales consistent en la formulation d'un appui général et sans équivoque au processus d'harmonisation et de révision, qui est mené en matière de bijuridisme et qui donne lieu actuellement à cette proposition de projet de loi S-12.
Ce programme et les travaux qui ont été menés sont d'une grande importance et d'une grande pertinence, à deux égards tout au moins, d'abord parce qu'ils nous permettent de nous doter progressivement d'une législation qui rend compte des systèmes juridiques que sont la common law et le droit civil dans toute la législation fédérale, et ce dans les deux langues officielles. Ils rendent donc cette législation fédérale accessible à tous et à toutes sur le territoire canadien dans les deux systèmes juridiques et dans leurs langues officielles. Et cela, je pense, est d'une grande importance.
Évidemment, placée dans la perspective québécoise, cette opération de révision revêt une importance encore plus grande du fait que nous ayons la seule province de tradition de droit civil. Cela créé un impératif premier pour s'assurer de cette révision et de cette mise à niveau de la législation fédérale.
De ce côté, sans équivoque, il y a un rôle très important au programme de révision.
Deuxièmement, je ne voudrais pas passer sous silence non plus le fait que les travaux qui ont été menés depuis le début des années 1990 environ, en matière de bijuridisme, ont permis d'améliorer et d'enrichir nos connaissances sur nos propres systèmes juridiques. D'un point de vue historique et du droit positif, on a eu le bénéfice de travaux universitaires, de fonctionnaires fédéraux, des ordres professionnels qui ont fait en sorte que, progressivement, on a appris à mieux connaître notre droit, ce qui est quand même assez intéressant et qui est certainement un bénéfice à souligner.
Et il m'apparaît difficile de passer sous silence à cet égard le rôle très important qu'a joué l'Université de Montréal, dès le début de ce programme de bijuridisme, pour appuyer par des études fouillées toute cette réflexion et qui a donné lieu progressivement à des lois qu'on connaît maintenant.
Je pense qu'il faut saluer aussi le rôle en termes d'activités intellectuelles qui a été généré par ce programme et qui l'est encore. On souhaite qu'il demeurera encore d'une grande actualité.
En même temps, en parallèle, il faut souligner l'excellent travail mené tout au long de ces années par des personnes qui ont agi au sein du ministère de la Justice pour mener ces programmes de révision des différentes législations.
C'étaient les commentaires généraux que je voulais partager avec vous relativement au programme de bijuridisme.
Dans un troisième temps, mes commentaires sur le projet lui-même et surtout sur le volet du droit des sociétés, parce que c'est d'abord mon expertise et ensuite parce que c'était le noyau dur de la réforme qui s'est traduit après par des ramifications dans différentes législations particulières.
Sur ce second volet, il faut souligner la grande pertinence d'avoir effectué la révision de la législation en matière de société par actions. Pertinence parce qu'il faut savoir que notre législation fédérale en matière de société par actions est d'inspiration britannique et anglo-américaine, si on veut utiliser cette expression. Ce choix que l'on a fait, en 1975, en faveur d'un modèle anglo-américain moderne nous a très bien servis, avec une législation flexible et, en même temps, protectrice des actionnaires et des différentes parties intéressées. C'était donc un choix résolument positif en faveur de ce modèle anglo-américain et britannique.
En revanche, évidemment, le fait d'avoir choisi ce modèle peut soulever des difficultés — lorsqu'on se place dans la perspective du droit civil — d'interprétation et d'application puisqu'on est parti d'un modèle de tradition de common law anglo-américain pour bâtir notre législation sur les sociétés.
Beaucoup de travaux ont quand même été réalisés pour essayer d'atténuer ces difficultés au plan de l'interprétation et de l'application. Il y a eu des travaux d'abord pour essayer de préciser quel était le droit supplétif en matière de droit des sociétés fédérales. Sur ce, si on retrace les grands jalons, on se souviendra d'abord qu'au Québec, en 1994, avec le Code civil, on est venu préciser le rôle du code en matière supplétive face aux droits des personnes morales et des sociétés par actions. On se souviendra que, en 2001, la Loi d'interprétation a été modifiée avec l'article 8.1, pour venir donner un ancrage formel à ce rôle supplétif du Code civil. On a vu aussi en 2004 et en 2006, des arrêts de la Cour suprême du Canada prendre acte de ces choix et donner effet au rôle supplétif du droit civil, rôle supplétif qui, antérieurement, était déjà présent mais qui a été formalisé avec ces interventions législatives.
En ce qui concerne l'autre volet des difficultés, à savoir l'application de la loi elle-même, là aussi il y a du chemin qui a été parcouru. L'article 8.2, cette fois-ci, de la Loi d'interprétation a permis de nous indiquer qu'il faut interpréter et appliquer la loi au regard du système juridique de la province ou du territoire où on se trouve, et donc donner un sens compatible avec le droit civil ou la common law le cas échéant. Mais on n'avait pas eu d'études systématiques sur cette question de la compréhension et de l'application de la loi fédérale jusqu'à présent. Pas d'études systématiques pour voir quelles étaient les difficultés et les points sur lesquels des améliorations étaient nécessaires. C'est donc dans cet esprit que les travaux de l'équipe du bijuridisme ont été amorcés et ils étaient des plus opportuns. Donc, mise en contexte très pertinente pour saisir l'importance que revêtait l'initiative prise qui a donné lieu au projet de loi S-12, initiative qui s'explique par les particularités du droit des sociétés fédérales et, de par cette nécessité, de s'assurer d'une bonne harmonisation avec le droit civil en l'occurrence.
La révision de la LCSA, mon collègue, Me Besner l'a évoqué, a été menée par l'équipe du bijuridisme avec un grand souci de transparence et de consultation. Là aussi il faut saluer ce travail qui a permis en amont de réaliser des études fouillées sur les différentes questions qui pouvaient susciter des difficultés et qui ensuite, au fur et à mesure, ont mené à des travaux de consultation et de réflexion avec les personnes intéressées.
Ayant eu le privilège de suivre ces travaux, je dois dire qu'ils ont été menés avec beaucoup de sérieux et avec une volonté de faire la part des choses pour en arriver avec un projet de loi et des modifications, qui allaient être adaptés et répondre aux difficultés précises qui étaient soulevées. Parce que le défi est là : on ne veut pas faire une réforme du droit substantif du droit des sociétés, on doit faire une réforme dans l'esprit de faire une harmonisation. Les travaux de consultation, qui ont été menés, ont permis vraiment d'en arriver à un projet qui atteint cet objectif, c'est-à-dire qu'il formule des recommandations et des modifications sur des points qui sont spécifiques et qui donnaient lieu à des difficultés.
Là-dessus, sur le processus, je pense qu'il faut se réjouir de sa qualité et de son résultat également dans ce projet de loi.
Quelques commentaires peut-être dans un dernier temps sur le projet de loi lui-même, puisqu'il est bien technique, me direz-vous. C'est difficile de s'enthousiasmer, à part si on est un professeur de droit des sociétés, peut-être, devant un projet de loi comme celui-là. C'est vrai. Vous excuserez mon enthousiasme, néanmoins, mais je pense que ce projet, s'il est technique, c'est qu'il reflète justement le fait que l'équipe du bijuridisme a bien fait son travail. Il reflète le fait qu'on a voulu régler des problèmes spécifiques et de le faire d'une manière qui ne bouleverse pas l'état du droit. Et lorsqu'on parcourt l'ensemble des dispositions de modification, on se rend compte qu'il y a un certain nombre de noyaux durs qui se présentent.
On a voulu d'abord s'assurer que le langage de la loi fédérale soit bien intégré au droit civil en matière de sûreté, en utilisant les termes appropriés, comme le terme « hypothèque ». Voilà une modification qui, malgré son apparence cosmétique car elle est mineure, revêt une grande importance pour créer un pont avec le droit civil des sûretés.
Deuxièmement, en matière d'acte de fiducie, et en l'occurrence l'article 42 du projet de loi S-12, le fait d'intégrer le concept d'administrateur du bien d'autrui dans la législation sur les sociétés et toutes les législations qui s'en inspirent est un élément très important. Cela vient signifier que l'on peut avoir recours au régime de l'administrateur du bien d'autrui dans le Code civil pour comprendre le rôle de la personne qui agira dans le cadre d'un acte de fiducie. Sinon, la tentation est de dire, étant en présence d'un fiduciaire, nous aurons recours au devoir fiduciaire de la common law. Il s'agit d'une modification mineure, mais d'une grande importance pour faire ce lien avec le droit civil.
La troisième série de modifications que l'on retrouve aux articles 44 et suivants du projet de loi S-12 sont en matière de séquestre. Il est intéressant de noter que le régime de séquestre fut établi en 1975 avec le souci d'harmoniser le droit provincial, mais sens le droit provincial de la common law. On n'avait pas mis en place un régime de séquestre ayant à l'esprit ce qui allait se passer en droit civil. Avec les modifications proposées, on a fait en sorte que ce régime puisse bien s'agencer avec le régime de séquestre qu'on connaît dans le droit civil et dans le Code de procédure civil.
Mon intention n'est pas de décortiquer chacune des dispositions du projet de loi, mais de mettre en relief le fait que derrière certains termes très spécifiques, très techniques, que l'on retrouve dans l'ensemble de ces dispositions, se cachent des choix importants en matière d'harmonisation. Ces choix rempliront l'objectif d'harmonisation et nous amèneront à avoir une législation qui s'intègre bien au droit civil québécois. Malgré la teneur plutôt technique du projet de loi, je crois que nous devons bien comprendre l'importance des modifications réalisées.
En conclusion, je réitère qu'il s'agit d'un projet de loi technique, mais d'une grande importance. Il résulte d'un travail rigoureux de la part de l'équipe du bijuridisme. Le processus suivi mérite d'être souligné de par sa qualité et de par son ouverture. On ne peut que souhaiter que ces travaux se poursuivent pour d'autres régimes législatifs. Ce serait mon souhait le plus cher en matière d'harmonisation.
Il me fera maintenant plaisir de répondre aux questions dans les deux langues officielles.
La présidente : Avant de céder la parole à mes collègues, j'aimerais soulever quelques points.
On nous a remis un document extraordinaire préparé par le ministère. Nous vous le montrerons après la séance du comité. Vous pourrez nous dire, monsieur Besner, si c'est de ce genre de chose dont vous parlez. Je dois dire que ce document nous a été précieux.
Monsieur Besner, quand vous parlez de la common law française, vous parlez de notre common law exprimée en français, n'est-ce pas?
M. Besner : Oui.
La présidente : Un sénateur avait entendu l'expression et avait indiqué que la common law n'existe pas en France. Je tenais juste à apporter cette précision.
M. Besner : On parle de la common law d'expression française. Toutefois, on retrouve certains termes particuliers et il faut garder à l'esprit ces traditions.
La présidente : J'en conviens. Je ne tenais qu'à préciser qu'on parle en effet de notre loi.
M. Besner : En effet.
La présidente : Il arrive qu'avec la version harmonisée on utilise deux mots dans chaque version : un mot pour exprimer le concept de la common law, et un mot pour exprimer le concept du Code civil — et ce, dans les deux langues. Dans la version anglaise, on met d'abord l'expression qui traduit la common law, puis le Code civil. En français, il se produit le phénomène inverse : on met d'abord l'expression qui vient du Code civil, puis l'expression de la common law.
Est-ce que le fait qu'on n'ait pas le même ordre des choses pose problème quant à l'interprétation?
M. Besner : Pour une personne qui n'est pas habituée à lire la loi, par exemple, un concitoyen qui n'a pas suivi de formation en droit, la compréhension peut être un peu plus difficile. C'est pourquoi je soulevais le point qu'un document d'interprétation pourrait aider à cet égard.
En pratique, cette situation ne pose pas problème. Au contraire, on suit une logique. Je dois d'ailleurs féliciter les gens de l'équipe de bijuridisme à Justice Canada. Je considère que le travail qu'ils ont accompli depuis une dizaine d'années est tout à fait extraordinaire. On a apporté des solutions, et la lecture est vraiment extraordinaire du point de vue d'un praticien et même d'un professeur d'université.
C'est une question à la fois d'habitude et d'expertise. Il y a un respect au niveau des traditions. Les lois fédérales sont appliquées dans toutes les provinces. Toutefois, le droit civil est propre à chaque province. Aux États-Unis, le problème ne se pose pas. Les lois sont très bien compartimentées. Au Canada, je crois que c'est merveilleux, en termes législatifs, d'en arriver à respecter chacune des provinces et, en plus, deux systèmes qui, de façon historique, ont souvent eu des vues différentes sur plusieurs sujets. Le fait d'intégrer le tout dans une même loi est, à mon avis, un réel tour de force de la part des légistes qui arrivent à faire ce type de rédaction.
À titre de praticien, le problème ne se pose pas. C'est une méthode et une façon de comprendre la législation qui est tout à fait appropriée à cet égard.
Le sénateur Carignan : Je suis au Sénat depuis un peu plus de 12 mois, et j'ai rarement vu une aussi grande unanimité entourant un projet de loi. Vous avez même parlé de merveille législative, ce qui n'est pas peu dire.
Avez-vous identifié des éléments qui pourraient poser problème ou qui constitueraient des imperfections qu'on aurait intérêt à corriger? Étant praticiens, vous n'avez peut-être pas eu le temps de vous pencher sur chacun des articles. Toutefois, avez-vous identifié des éléments qui pourraient poser problème?
À titre d'exemple, on retrouve certains articles en français où on dit spécifiquement « au Québec ». L'article 45 fait référence à l'article 96. En comparant la version anglaise à la version française, on se rend compte que cette dernière est beaucoup plus synthétique. Dans la version française, on dit :
Les administrateurs ne peuvent exercer les pouvoirs conférés, au Québec, au séquestre ou ailleurs au Canada, au séquestre-gérant nommés par le tribunal [...]
Donc à plusieurs endroits dans le texte, on fait spécifiquement référence au Québec, ce qui est assez unique, dans une loi fédérale. Est-ce que cela, par exemple, pourrait poser problème? Au contraire, est-ce une modification qui doit être répétée dans le futur au niveau du contenu précis?
M. Besner : Au niveau de l'aspect de l'utilisation du terme « Québec » ou « ailleurs au Canada », cela a le mérite d'être clair. Je parlais de certitude d'un point de vue de praticien. L'intention du législateur est claire. Au Québec, voici le régime, voici le concept qui doit s'appliquer au Québec. Ailleurs au Canada, voici ce qu'il en est. On voit cela de façon très positive sans aucun problème.
Peut-être que les autres provinces peuvent se poser la question : est-ce qu'il y a un bénéfice? Ce serait peut-être la seule interrogation. Est-ce que d'autres provinces pourraient avoir le bénéfice de cette terminologie? Mais du point de vue strictement québécois, de dire « au Québec », voici le terme utilisé ou « ailleurs au Canada », on voit cela de façon très positive.
J'ajouterais, par contre, soulever un point sur l'esprit de l'harmonisation, pas tant le projet de loi comme tel parce qu'il s'adressait sur des aspects techniques. Il y a des modifications qui devraient être apportées au fond de la Loi sur les sociétés par actions.
À titre d'exemple, les contrats « préconstitutifs »; actuellement dans la loi, une personne qui, devant faire une transaction, avant la constitution de l'entreprise, doit suivre un procédé où la société pourrait être ultimement responsable et dégager la personne qui s'est engagée pour et au bénéfice de la société.
Par contre, la mécanique d'un point de vue civiliste ne traite que des contrats écrits. Donc une personne qui aurait une entente verbale ne pourrait pas bénéficier de ce qu'on pourrait appeler des clauses « préconstitutives » à cet égard et se libérer. Dans l'esprit de l'harmonisation — je comprends que ce n'était pas le mandat de l'équipe de bijuridisme, leur mandat était de faire des modifications qui ne touchaient pas le fond de la loi. Je sais qu'il a été déclaré dernièrement que dans les deux prochaines années, il y aura des consultations pour regarder s'il n'y avait pas lieu de modifier des dispositions à la Loi canadienne sur les sociétés par actions.
J'inviterais justement l'équipe de bijuridisme et les praticiens de prendre en note ce genre de modifications et de faire les modifications de fond qui sont importantes dans la loi elle-même pour respecter justement, encore plus loin, les traditions de droit civil. C'est quelque chose qui est important. Mais le cadre actuel du projet est de vraiment modifier ce qui existe sur place et sur des aspects techniques.
Un autre exemple dans ce même cadre, le chapitre sur le transfert des valeurs mobilières; chacune des provinces, dernièrement, dans les dernières années, ont adopté ce qu'on appelle la Loi sur les transferts des valeurs mobilières. Historiquement, dans la Loi canadienne sur les sociétés par actions, on avait un cadre pour procéder au niveau du transfert des actions. Maintenant, il y a une espèce de duplication. Le transfert touche beaucoup le droit civil, mais historiquement, dans les années 1975, c'était une nouveauté, donc c'était important de le mettre en place. On estime que probablement dans la prochaine refonte de la loi canadienne, qu'il y aura, soit des articles d'éliminés ou bien une section au complet. Maintenant, les gouvernements provinciaux se sont dotés de législation qui couvre le même champ.
C'est un autre exemple où je crois qu'il faut amener une deuxième étape à cet égard. Est-ce que cela répond à la question?
Le sénateur Carignan : Oui, je comprends que dans le cadre du mandat du projet de loi sur l'harmonisation, l'objectif est atteint. C'est-à-dire qu'il y a les améliorations qui tiennent compte de la particularité, entre autres, du droit civil et ce que vous soutenez, c'est que s'il y a des améliorations, ce sont des améliorations de fond, hors du cadre, qui pourraient être faites comme dans beaucoup de lois. Il y a toujours possibilité d'améliorer.
M. Besner : En fait, ils doivent se faire si on veut continuer dans l'esprit de respecter les deux systèmes de common law et de droit civil.
Le sénateur Carignan : Est-ce que vous avez quelque chose à ajouter?
M. Rousseau : Je partage largement les observations de Me Besner. Je compléterais seulement quant à la question à la référence « au Québec ». Je pense que c'est une bonne façon de se garder contre les risques des faux amis. C'est-à-dire que dans la langue, on a souvent des faux amis. On pense qu'un terme anglais veut dire quelque chose en français et vice versa. En faisant cette technique, on évite le risque parce que le terme peut avoir un sens en anglais et en français, en droit civil, en common law, on se retrouve avec une ambiguïté au niveau de l'interprétation.
Je pense que si c'est fait avec doigté et qu'on n'en abuse pas, c'est une technique qui se défend, même si je suis conscient que cela alourdit le texte dans sa lecture. Peut-être qu'en complément, pour répondre incidemment à une remarque que formulait la présidente, c'est comme ça que je voyais aussi le jeu de commencer par en français le terme de droit civil et en anglais par le terme de common law. On évite le réflexe de chercher le synonyme de l'autre dans la langue française ou anglaise. Je pense que c'est une façon habile de faire en sorte qu'on se concentre sur le texte et qu'on s'assure qu'on soit dans le régime de droit civil ou de common law, anglais, français.
Je pense que les réformes substantielles seront menées par Industrie Canada dans le cadre de la révision qui s'amorce. Je pense que s'il y a une telle unanimité, c'est parce que probablement on a été neutre dans les choix qu'on a faits dans le cadre de la réforme. On n'a pas changé le droit. C'était l'objectif. Si on avait changé le droit, on serait plus nombreux ici à dire qu'il y a des problèmes avec la réforme. Je pense que c'est probablement un bon signe d'une certaine manière.
Le sénateur Carignan : Je comprends que le résultat de votre comité conjoint avec les praticiens, les professeurs d'université, donc le consensus de ce comité est transmis par les propos que vous tenez aujourd'hui. C'était le consensus du comité également?
M. Rousseau : Aujourd'hui, je ne peux que parler en mon nom personnel, mais ma perception des travaux et du résultat, c'est en termes d'effets neutres et que cela ne suscite pas de controverse dans les impacts que générera l'entrée en vigueur du projet de loi.
On va se retrouver avec une situation qui va refléter ce qu'on souhaitait en matière d'application, au Québec, de la Loi sur les sociétés par actions en droit civil. Je pense que c'est ce qu'on fait actuellement.
La présidente : Sénateur Carignan, si vous permettez, le sénateur Joyal attend depuis un petit moment. Si on a le temps, on va revenir à vous.
Le sénateur Carignan : J'étais emballé.
Le sénateur Joyal : Bienvenue, messieurs, et merci d'avoir pris le temps de venir partager vos connaissances sur le projet de loi.
Est-ce que vous aviez été impliqué dans la préparation des premier et deuxième projet de loi d'harmonisation dont le Parlement du Canada a déjà adopté le contenu antérieurement ou si c'est la première fois que vous êtes impliqués dans un processus d'harmonisation?
M. Besner : Évidemment, comme praticien, j'ai suivi les travaux de ces deux tentatives, mais je n'ai pas été impliqué dans les travaux préparatoires. Évidemment, les articles 8.1, 8.2 de la Loi d'interprétation étaient tout à fait les bienvenus. On a suivi comme praticien, mais je n'ai pas été impliqué.
Le sénateur Joyal : Dans la conception.
M. Besner : Dans la conception, mais ma compréhension était assez avant-gardiste et assez innovatrice, surtout dans la première phase.
M. Rousseau : C'est la même chose pour moi. Je suis devenu impliqué dans l'ensemble de ces travaux de par mon expertise en droit des sociétés qui, compte tenu de ce que je vous faisais comme mise en contexte, nécessairement, m'amenait depuis longtemps à naviguer entre le droit civil et la common law pour appliquer la législation fédérale et comprendre la législation fédérale sur le droit des sociétés et donc naturellement, je m'y intéressais, mais l'implication a démarré avec les travaux dont l'aboutissement a été le projet de loi S-12.
Le sénateur Joyal : L'équipe que vous avez constituée à l'Université de Montréal, à la faculté de droit, c'est une équipe ad hoc pour ce projet de loi, ce n'est pas une équipe qui, par exemple, pourrait être appelée dans le processus d'élaboration du quatrième projet d'harmonisation? Si vous avez lu les procès-verbaux des représentants du ministère de la Justice, vous avez vu que nous avons tenté de savoir d'eux quelle était la prochaine étape. Je comprends que les professeurs, ou les personnes à la faculté de droit qui ont été impliquées, étaient ceux qui avaient une expertise eu égard à l'objectif global de ce projet de loi, qui s'attardait principalement au droit corporatif.
M. Rousseau : Je nuancerais en disant que nous avons une grande tradition à l'Université de Montréal en cette matière. On a des travaux qui remontent à 1995, 1996. Le regretté professeur André Morel avait travaillé beaucoup sur ce sujet; mes collègues Jean-Maurice Brisson, Jean Leclair et bien d'autres ont travaillé au fil des années, donc dès les premiers balbutiements du bijuridisme et des travaux. On a une expertise, à l'Université de Montréal, qui demeure et qui est toujours présente. Je pense que le travail qui s'est fait sur la législation sur les sociétés impliquait effectivement des gens d'un point de vue ad hoc, mais en même temps, il y a une expertise qui s'accumule au fil du temps et qui pourrait être sollicitée à nouveau au besoin.
Le sénateur Joyal : Donc, quand vous avez terminé vos travaux, vous ne vous êtes pas dit adieu, mais au revoir.
M. Rousseau : Oui, c'est une façon de le dire.
Le sénateur Joyal : Pour le quatrième projet de loi éventuel, vous considérez que votre expérience antérieure serait utile pour la préparation de la prochaine étape?
M. Rousseau : Voilà.
Le sénateur Joyal : Est-ce que d'autres universités du Québec ont été impliquées, à votre connaissance, dans tout ce processus de consultation? Je voulais revenir sur l'étape de consultation dont M. Besner a parlé au début, en particulier le document de consultation. À qui ce document de consultation a-t-il été envoyé?
M. Rousseau : Il a circulé parmi une très longue liste de tous les professeurs, ceux en droit des sociétés et les professeurs qui avaient, de près ou de loin, un intérêt pour le droit comparé ou pour les aspects fondamentaux de l'interprétation du droit. Il y a une très longue liste de personnes qui ont eu entre les mains les travaux, qui ont pu lire les documents. Le fait que ce document a été publié ensuite dans une revue universitaire à large diffusion a permis à la fois aux professionnels et aux universitaires d'en prendre connaissance. Donc, la consultation s'est faite à la fois physiquement, avec des individus, et virtuellement au sens où la diffusion des travaux se faisait de manière très large par les différents canaux qu'on connaît maintenant.
Le sénateur Joyal : Donc, toutes les universités qui peuvent avoir un intérêt au niveau de leur capacité professionnelle — je parle de facultés de droit — ont été sollicitées pour participer ou pour soumettre leurs propositions ou leurs réflexions dans le cadre des objectifs du projet de loi?
M. Rousseau : Absolument, et c'est en droite ligne avec ce qui s'était fait dans les projets antérieurs. En matière de faillite, par exemple, on a eu des collègues de Sherbrooke, de l'Université Laval, de Montréal, de McGill, qui avaient tous été impliqués. Donc il y a vraiment une très grande ouverture et je pense que, au Québec, parmi les universitaires, on est si peu nombreux dans nos domaines d'expertise que, naturellement, on se consulte et on discute de ce genre de projet.
Le sénateur Joyal : Est-ce que, monsieur Besner, l'Association du Barreau canadien, de la même façon, a un comité qui s'occupe plus particulièrement des objectifs poursuivis par les lois d'harmonisation des deux systèmes?
M. Besner : Il y a plusieurs structures. Premièrement, au niveau national où des gens sont responsables de la législation, et également au niveau provincial, au niveau du Québec, où on a un comité de législation; notamment, je siège à ce comité et au comité du droit des affaires comme responsable de la législation. Une des fonctions, c'est de suivre toutes les modifications, tant provinciales que fédérales, qui pourraient toucher le milieu des affaires, plus à mon niveau.
Évidemment, dans une quatrième phase, par exemple s'il s'agissait de la loi fiscale ou la loi des banques, si ce n'est pas touché directement dans la section affaires — nous avons 24 sections au niveau québécois, nous avons une section fiscale, en droit des affaires, une section bancaire et institutions financières —, c'est relativement facile pour nous de rassembler des praticiens, des experts et des professeurs, et de suivre de près ces projet de loi.
Un commentaire important, surtout du point de vue des praticiens, est que, souvent, pour les consultations ou lorsqu'on doit venir comparaître, les délais sont excessivement courts. Nous sommes conscients que l'agenda politique est très rempli, mais, d'un point de vue de praticien, c'est souvent excessivement difficile de trouver la disponibilité, de se préparer adéquatement et de venir se présenter. Dans certaines circonstances, pour certains projets de loi, j'ai vu le cas où des interventions auraient pu être faites, mais, malheureusement, par manque de temps, les praticiens n'arrivent pas à soumettre leurs idées. Donc, dans ce cas-ci, pour le projet de loi S-12, il y a eu amplement de temps et je pense que cela a été très bien fait, très bien conduit.
Mais il arrive pour certains projets de loi qu'on soit réellement avisé quelques jours auparavant. Par exemple, pour la Loi canadienne sur les sociétés par actions, on a eu un préavis d'une semaine, une semaine et demie — je pense que c'était pour comparaître devant le comité sénatorial. Tout le monde cherchait ses notes pour savoir quoi dire pour faire des pressions et suggérer des modifications au niveau de la loi. Ce ne sont pas nécessairement les meilleures conditions.
Le sénateur Joyal : Quand vous avez fait référence, au début, au document de consultation, pouvez-vous, en termes très limités — je regarde l'heure car les cloches sonneront à 17 h 15 pour un vote — nous dire quels sont les éléments essentiels de la consultation? Sur quoi porte la consultation?
M. Besner : La consultation portait sur les différentes lois du projet, mais plus particulièrement sur la Loi sur les sociétés par actions.
Il y avait un premier chapitre initialement qui était la présentation de la série un, série deux, mettant en relief également la jurisprudence pour laquelle les tribunaux ont fait un suivi de près.
Le sénateur Joyal : C'est-à-dire qu'ils ont appliqué l'article 8.1.
M. Besner : Oui, exactement; c'est écrit dans plusieurs pages et cela a été pris article par article, un peu comme le projet de loi S-12, où on voit la version anglaise et française et quelles sont les modifications. Un certain nombre d'articles étaient dans la consultation, mais n'ont pas été reproduits dans le projet de loi S-12. En soi, il n'y a rien de particulier, on ne voit pas de manquement.
Le sénateur Joyal : Est-ce que ces articles n'ont pas été retenus parce qu'on estimait que ce n'était pas nécessaire, qu'il n'y avait pas d'ambiguïté possible?
M. Besner : C'est probablement dans un souci de limiter les modifications législatives. J'ai eu plusieurs contacts avec les membres de l'équipe de bijuridisme; à ma connaissance, une des raisons était : « ce serait bien de l'avoir, mais ce n'est pas indispensable »; je pense que c'est plutôt dans cette perspective que cela a été considéré.
Le sénateur Joyal : Professeur Rousseau, est-ce que les experts, par exemple dans le domaine du droit des sociétés, dont vous êtes, se concertent pour arriver à déterminer leur proposition, ou est-ce que les représentants du ministère de la Justice reçoivent individuellement les suggestions, les analysent dans leur for intérieur et arrivent à en retenir une? Comment le processus d'homogénéisation des suggestions se fait-il pour arriver à la proposition que nous avons devant nous aujourd'hui?
M. Rousseau : C'est un mélange des deux. C'est-à-dire qu'il y a des universitaires qui ont une habitude de collaboration, par exemple parce qu'ils écrivent déjà et travaillent ensemble sur certains projets — je pense à ma collègue Raymonde Crête, professeure à l'Université Laval, qui est ma coauteure pour notre traité. Évidemment, nous sommes en dialogue constant sur l'évolution de la législation ou de la jurisprudence. Nous pouvons donc aisément acheminer un commentaire commun. Il y a d'autres collègues avec lesquels on a, soit moins de contacts, soit avec lesquels on n'est pas toujours d'accord — et c'est tant mieux, cela fait partie de la vie universitaire et du monde juridique — auquel cas, les commentaires seront acheminés individuellement.
À cette occasion, nous avions différents forums pour le faire. Nous avions organisé une table ronde, qui était un endroit où chacun pouvait prendre la parole et formuler des commentaires.
Outre cela, rien n'empêchait l'ensemble des personnes consultées et ayant en main le projet de formuler des commentaires directement.
En bout de ligne, l'arbitrage se fait au niveau du ministère de la Justice dans les positions qui sont exprimées par l'ensemble des universitaires ou des professionnels.
Le sénateur Joyal : Parmi ces arbitrages dont on voit les résultats, y en a-t-il certains pour lesquels vous avez des réserves par rapport à la solution retenue par le ministère de la Justice?
M. Rousseau : Pas particulièrement. Comme je l'ai évoqué tout à l'heure, je pense que cela s'est fait avec un certain doigté et une volonté de ne pas bouleverser l'ordre juridique existant.
Un des domaines potentiellement plus lourd de conséquences était celui du séquestre. Il y a beaucoup de changements parce qu'on passait vraiment d'un régime bâti en fonction de la common law à quelque chose fait pour le Québec. Et nous l'avons fait, je crois, avec beaucoup de doigté.
J'avais rédigé l'étude dans la revue Thémis sur cette partie et de voir le résultat ne me choque pas du tout car je pense que nous avons été habiles pour bien faire ce pont avec le régime de droit civil.
C'est donc un bon exemple de situation où je pense que nous avons tout à fait atteint l'objectif, sans nécessairement prendre la solution mutatis mutandis que j'avais proposée dans mon document.
Ensuite, il y a la technique législative et une expertise à l'équipe du bijuridisme qui fait en sorte qu'ils en arrivent à des solutions qui sont parfois plus harmonieuses que celles que nous pouvons envisager comme universitaires.
Je n'ai pas de contentieux particulier avec les choix législatifs ou les réformes que l'on trouve de ce côté. Je pense que cela a atteint l'objectif. Et s'il y a des souhaits, comme nous les avons formulés plus tôt, cela concerne le fait qu'ils glissent rapidement vers le droit substantif. Et c'est là l'écueil.
Le sénateur Joyal : Vous revenez au cœur du statut.
M. Rousseau : Voilà.
Le sénateur Joyal : Et vous en connaissez les faiblesses soit par la pratique, soit par l'analyse de la réflexion.
M. Rousseau : Voilà. C'est l'écueil qui nous guette si on fait de l'harmonisation. On est tenté d'y aller parce qu'on voudrait régler des problèmes en même temps, mais on ne peut pas y aller. On reste donc un peu sur notre faim sous cet angle, mais ce n'est pas une critique de la substance; c'est la nature même de ce projet de loi.
Le sénateur Joyal : Sur la base de votre expérience professionnelle, quel serait d'après vous le prochain domaine d'intérêt qui serait prioritaire au niveau de la poursuite de l'harmonisation?
M. Rousseau : J'en verrais deux : le secteur bancaire financier est important; un autre domaine complexe et où il y a du droit fédéral important est celui des transports. Il y a quand même beaucoup de chevauchements entre la législation fédérale et les questions de droit privé. Je verrais des questions intéressantes de ce côté. Ce sont les deux qui me viendraient à l'esprit. Je sais qu'on réfléchit déjà pour les banques. J'ignore si pour les transports cela a été évoqué, mais je le verrais comme étant un élément assez important.
M. Besner : Il y a définitivement la loi fiscale, mais vue dans deux perspectives : par une harmonisation et, en parallèle également, par des changements de fond. Les praticiens québécois vont lire actuellement la loi fédérale et essayer de la décortiquer. Je prends, par exemple, toute la relation au niveau du droit de propriété. Plusieurs concepts sont excessivement difficiles et donnent beaucoup de fil à retordre aux fiscalistes. Ultimement, on arrive à s'y comprendre, mais c'est un exercice difficile lorsqu'on se retrouve devant les tribunaux québécois avec des concepts de common law.
Je sais que l'équipe de bijuridisme a déjà fait beaucoup de travaux concernant cela. C'est un travail colossal, compte tenu de la quantité de législations au niveau fiscal et de l'épaisseur de la loi. Cela reste toutefois, à notre sens, d'un point de vue affaires, probablement la prochaine loi. Mais il faudrait vraiment faire les deux : l'harmonisation et des changements de fond. Cela serait idéal à cet égard parce que, dans la loi fiscale, ne s'occuper que des aspects techniques ne serait probablement pas assez.
Le sénateur Joyal : Est-ce que vous, les professeurs, recevez une compensation lorsque vous faites partie d'une telle consultation? Est-ce qu'on vous donne une certaine forme d'honoraires professionnels ou de compensation déterminée, indépendamment du nombre d'heures que vous pouvez travailler pour produire un document ou un rapport?
M. Rousseau : Il y a eu une rémunération pour la production des études publiées dans la revue Thémis. Il s'agissait de commandes pour creuser des enjeux particuliers de la loi. Ensuite, la réponse est non; cela faisait partie du travail d'universitaire et de l'intérêt que j'avais; et que la chaire que j'occupe a, en matière des droits des sociétés, que de jouer un rôle pour faciliter les consultations et établir des liens avec le milieu professionnel. C'est un rôle aussi important pour une chaire en droit des affaires que pour les universitaires que de s'assurer qu'on ne soit pas dans notre fameuse tour d'ivoire et qu'on y demeure constamment. C'était cet intérêt que j'y voyais aussi : le fait d'être partie prenante à un projet que je trouvais, intellectuellement, très intéressant.
Le sénateur Joyal : Et du côté de l'Association du Barreau canadien?
M. Besner : C'est du pur bénévolat. Je soulèverais une problématique. J'ai un bureau-boutique en droit des affaires. Je suis un passionné du droit, c'est une des raisons pour lesquelles je suis ici.
Mais pour beaucoup de praticiens, souvent, les heures facturables doivent être minimales dans chacun des bureaux. Dans un grand bureau, c'est déjà plus facile de bénéficier de certaines ressources assignées à l'étude d'un projet de loi ou à faire de l'étude à cet égard, mais lorsqu'on arrive dans un bureau plus petit, cela devient pratiquement une mission. Bénéficier d'une rémunération pour ces différents points de vue pourrait être une bonne chose. Par exemple, avec ce projet de loi, personne ne va gagner ou perdre ses élections, mais cela touche une grande quantité de personnes dans le milieu des affaires, entre autres. C'est donc important de faire ces modifications.
Le sénateur Joyal : Ce sont des dispositions d'intérêt public, indépendamment des allégeances politiques, puisque, finalement, elles sont utiles pour l'ordre et le bon gouvernement.
La présidente : Professeur Rousseau, parmi votre réseau de collègues universitaires qui travaillent à ces questions, y a-t-il des gens de l'Université d'Ottawa? Vous avez nommé à peu près toutes les universités du Québec, mais pas celle- là.
M. Rousseau : Vous excuserez mon oubli.
La présidente : La question était sur les universités québécoises, mais je voulais aller un peu plus loin.
M. Rousseau : Oui, et dans le processus de consultation, les documents sont de fait transmis à l'ensemble des universitaires canadiens. Évidemment, dans un projet comme celui-là, cela interpelle davantage le droit civil, y incluant la section de droit civil de la faculté de droit de l'Université d'Ottawa. Effectivement, ils étaient tout à fait impliqués s'ils voulaient participer dans le processus de consultation sur ce projet.
La présidente : Monsieur Besner, je dois faire un petit commentaire sur votre plainte tout à fait légitime au sujet des difficultés que les témoins que nous invitons, à cause de délais trop souvent très courts. Comme vous l'avez suggéré vous-même, nous ne contrôlons pas toujours notre propre calendrier. Nous ne savons pas exactement quand un projet de loi fera l'objet d'un renvoi en comité, ni quels seront les autres projets de loi ou les autres études que nous devrons compléter avant telle ou telle date.
Pour les sénateurs et les membres du public qui suivent nos travaux, j'aimerais dire que lorsque nous avons une bonne idée qu'un tel projet de loi finira devant notre comité, nous essayons de faire une présélection des témoins qui nous semblent logiquement impliqués, mais on ne peut pas envoyer d'invitation formelle avant que le projet de loi soit définitivement envoyé en comité.
Vous voyez, c'est difficile et on comprend que c'est difficile pour tout le monde. C'est pourquoi on apprécie doublement et même triplement que des témoins de votre acabit soient disponibles pour nous aider dans nos travaux. C'était seulement pour vous dire qu'on essaie de faire ce qu'on peut. Sénateur Carignan, il vous reste cinq minutes à peine.
Le sénateur Carignan : J'aurais une question pratico-pratique en deux volets. Versus le droit provincial et versus les actes ou contrats déjà signés et déjà effectués entre des parties, est-ce que vous entrevoyez des difficultés par rapport aux actes qui sont déjà signés ou qui faisaient peut-être référence aux anciennes dispositions par rapport à l'application avec les nouvelles? Est-ce qu'on devrait prévoir des dispositions transitoires ou prévoir une période de modification de façon à ne pas nuire aux contrats, parce que les gens ont signé un contrat dans un sens déterminé et celui qu'il avait dans l'ancienne loi et non pas dans la nouvelle?
Deuxièmement, est-ce qu'on devra avoir une discipline avec les provinces lorsque viendra le temps de changer les termes afin d'avoir un genre de « copier-coller » pour adapter la loi? Peut-être faudra-t-il prévoir une disposition générale d'interprétation qui dit, par exemple, que le mot est utilisé et qu'il sera modifié dans le futur par la province si tel était le cas? Est-ce qu'on devrait avoir ce type de disposition transitoire et est-ce que vous entrevoyez des difficultés?
La présidente : Je vais vous demander des réponses modérément courtes parce que le sénateur Joyal a une dernière question qu'il voudrait vraiment poser.
M. Besner : Sur l'aspect transition, je ne vois pas vraiment de problème en soi, même au niveau contractuel. Il faudrait peut-être la regarder de près parce qu'il y a plusieurs termes. Notamment on parlait d'agent et là on ajoute « mandataire ». Donc on arrivait à se comprendre sur le plan de la loi, mais je pense que l'équipe de bijuridisme pourrait sans doute vous renseigner à cet égard sur chacune des dispositions.
Peut-être qu'il y a des mesures transitoires dans la section séquestre, mais il s'agirait de regarder point par point, mais à première vue, rien ne me vient à cet égard. Sur la question des modifications, je vous donne un autre exemple. Au niveau de la Loi sur les sociétés sans but lucratif, qui est un projet de loi qui a été adopté, j'imagine que les modifications ont suivi parce que le projet de loi a été adopté, mais il n'est pas encore mis en vigueur. J'imagine que le projet de loi S-12 suit les mêmes parce que la loi est à peu près identique. Au lieu d'avoir « membre » dans la Loi sur les sociétés sans but lucratif, nous avons « actionnaire ». Puisque la Loi canadienne sur les sociétés par actions a été utilisée comme canevas, on parle donc de convention entre membres au lieu de convention unanime. Donc il faudrait peut-être s'en assurer, mais c'est le genre de transition.
Puis pour chacune des provinces, évidemment beaucoup de provinces utilisent comme canevas de base la loi fédérale. Ce sont des ententes simplement de bonne collaboration entre les provinces qui doivent être accentuées pour s'assurer qu'il y a de bonnes modifications. Le Yukon est actuellement en réforme, et l'Alberta est en processus de consultations actuellement. Je pense que c'est aux praticiens et aux légistes à s'échanger l'information à cet égard.
Le sénateur Joyal : Je voudrais revenir sur votre dernière recommandation qui est de rendre digestible et accessible au plus grand nombre de ceux qui pourraient utiliser la substance du projet de loi S-12. Puisque nous en sommes à la troisième prise de cette initiative d'harmonisation, est-ce qu'il n'y aurait pas lieu, dans les discussions que vous avez avec le ministère de la Justice, de convenir de la manière dont les résultats seront rendus accessibles par la suite, plutôt que simplement envoyer le projet de loi tel quel à un certain nombre de professeurs ou de praticiens dans le domaine touché par le projet de loi?
Il me semble qu'on devrait convenir d'un protocole qui se retrouverait pour chacune des étapes de l'initiative d'harmonisation. Vous ne l'avez pas soulevé avec les représentants du ministère de la Justice dans l'initiative de consultations, une fois que vous avez fait la conclusion — pour employer un terme de common law, le « wrap-up » — de vos discussions avec le ministère de la Justice?
M. Rousseau : Pas que je me souvienne, mais je crois que l'idée mérite d'être explorée. Cependant, le défi est de faire en sorte que le document explicatif permette de rendre compte fidèlement des modifications. Et comme on se retrouve parfois dans des modifications très techniques, est-il vraiment possible de rendre compte des modifications? C'est ma seule question.
C'est une très bonne suggestion qui, d'un point de vue conceptuel, pourrait venir poser les jalons de ce que serait le projet de loi qu'on est en train d'amener à maturité. Toutefois, à côté on ne pourrait pas faire l'économie d'avoir un texte moins accessible parce que de cette façon, on se trouve à ne pas vraiment rendre compte de la véritable réforme que l'on fait. À mon avis, on pourrait le faire.
La présidente : Messieurs, c'est fantastique. Vous nous avez livré un témoignage riche et précieux et nous vous en remercions.
[Traduction]
Honorables sénateurs, nous nous réunirons demain matin à 10 h 30 dans cette même salle.
(La séance est levée.)