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Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 18 - Témoignages du 9 décembre 2010


OTTAWA, le jeudi 9 décembre 2010

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, saisi du projet de loi S-12, Loi no 3 visant à harmoniser le droit fédéral avec le droit civil du Québec et modifiant certaines lois pour que chaque version linguistique tienne compte du droit civil et de la common law, se réunit aujourd'hui, à 10 h 36, pour étudier le projet de loi.

Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles poursuit son étude du projet de loi S-12.

[Français]

Nous avons comme témoins aujourd'hui, de la Fédération des associations de juristes d'expression française de common law inc., Madame Josée Forest-Niesing, avocate, présidente; à titre personnel, Aline Grenon, professeure titulaire, directrice du Programme national de la Section de common law, faculté de droit, Université d'Ottawa et Danielle Manton, directrice générale de l'Association des juristes d'expression française de l'Ontario.

Josée Forest-Niesing, avocate et présidente, Fédération des associations de juristes d'expression française de common law inc. : Madame la présidente, je m'appelle Josée Forest-Niesing et je suis présidente de la Fédération des associations de juristes d'expression française de common law. Je suis accompagnée aujourd'hui de Me Danielle Manton, directrice générale de l'Association des juristes d'expression française de l'Ontario. Maître Manton m'aidera à répondre à certaine de vos questions, après ma très courte présentation d'ouverture.

Vous avez aussi invité et j'ai le plaisir d'être accompagnée aujourd'hui par Me Aline Grenon, professeure à l'Université d'Ottawa, qui saura sûrement vous faire bénéficier de son expertise, qui dépasse de loin la mienne.

J'aimerais vous parler très brièvement de la FAJEF et de son réseau ainsi que de l'AJEFO. La FAJEF regroupe sept associations de juristes d'expression française. Ces associations sont des organismes à but non lucratif qui œuvrent afin de promouvoir et défendre l'accès à la justice en français. À titre d'information, il y a des associations de juristes d'expression française au Manitoba, en Saskatchewan, en Alberta, en Colombie-Britannique, en Ontario, au Nouveau-Brunswick et en Nouvelle-Écosse. Les sept associations de juristes d'expression française représentent ensemble environ 1 400 juristes et le nombre de juristes augmente de façon importante depuis quelques années, y compris en Ontario où l'AJEFO a présentement environ 650 membres.

La FAJEF et son réseau ont pour mandat de promouvoir et de défendre les droits linguistiques des minorités francophones, notamment, mais pas exclusivement en matière d'administration de la justice.

En outre, à titre de regroupement national et provincial de juristes d'expression française œuvrant en common law, la FAJEF et l'AJEFO ont aussi pour but d'appuyer et de promouvoir le développement de la common law en français en Ontario et au Canada.

D'ailleurs, c'est principalement pour cette raison que nous voulons vous adresser la parole aujourd'hui. Nos présentations porteront davantage sur l'inclusion de la common law en français dans les lois fédérales. Cela dit, nous appuyons fermement et sans hésitation un processus d'harmonisation qui inclut les quatre langues juridiques de notre pays.

Nous tenons à souligner qu'en tant qu'organisation, la FAJEF et l'AJEFO ne sont pas expertes en matière d'harmonisation. Cette expertise se trouve plutôt, entre autres, au sein de certaines facultés de droit, comme à l'Université d'Ottawa, où œuvre maître Aline Grenon, qui fera sa présentation suite à la mienne.

Toutefois, la FAJEF et l'Ontario trouvent essentiel de souligner qu'elles appuient fortement le plein respect du bijuridisme et du bilinguisme canadien au niveau des lois fédérales.

Comme vous le savez probablement déjà, le Canada a effectivement quatre langues juridiques, soit le français civiliste, le français de la common law, l'anglais civiliste et l'anglais de la common law. La FAJEF et l'AJEFO croient que ces quatre langues juridiques, y compris la common law en français, doivent toutes être respectées et reconnues dans l'ensemble des lois fédérales.

D'ailleurs, depuis environ une trentaine d'années, beaucoup d'efforts ont été déployés au Canada afin de rendre la common law plus accessible aux francophones qui vivent en situation minoritaire à l'extérieur du Québec. C'est ainsi que par de multiples efforts de la part de juristes, d'universités, de chercheurs et de gouvernement, que la common law, en dépit d'avoir une origine anglaise, depuis des siècles, s'est ouverte à la langue française. L'intégration dans la législation fédérale harmonisée, de termes français, propres à la common law, vient donc davantage reconnaître et officialiser le rôle que joue aujourd'hui au Canada la common law en français. En outre, en intégrant la common law en français à la législation fédérale, celle-ci devient plus accessible aux juristes d'expression française qui travaillent dans les provinces de common law et à leur clientèle francophone. Pour ces raisons, la FAJEF et son réseau, incluant l'AJEFO, tiennent à remercier le législateur fédéral pour tous leurs efforts en matière d'harmonisation des lois fédérales. Voilà nos quelques commentaires préliminaires et c'est avec plaisir que nous répondrons à vos questions.

Maître Manton, plutôt que de faire une présentation qui s'arrime parfaitement avec ce que nous avons à dire en mot d'ouverture, va plutôt participer avec moi à répondre à vos questions si vous en avez.

Aline Grenon, professeure, Université d'Ottawa, à titre personnel : Madame la présidente, je suis professeure titulaire au programme de common law en français à l'Université d'Ottawa. J'y suis depuis 1990. Je suis membre de l'AJEFO depuis 1981. Je n'ai pas eu l'occasion malheureusement de participer à la réunion de la fondation de l'AJEFO en 1980 ou 1981, mais je suis de très près ce qui a été fait par l'AJEFO et aussi par la FAJEF depuis un bon moment.

Je m'intéresse aussi, depuis un bon moment, au droit comparé dans le contexte canadien et aussi, il va sans dire, car les deux sont liés, je m'intéresse beaucoup au processus d'harmonisation de la législation fédérale.

C'est vraiment dans ce contexte que j'aimerais pouvoir me prononcer. Je pense que c'est évident, à la lumière de ce que je viens de vous dire, que j'appuie les commentaires de mes collègues relatifs à l'importance de la common law en français dans le processus d'harmonisation entrepris par le législateur fédéral. Je n'en dirai pas plus sur cette question, puisque deux personnes ici sont en mesure d'en discuter.

Je vais surtout et avant tout commenter, à titre personnel, certains aspects du processus d'harmonisation, notamment deux aspects.

J'ai indiqué, dans le texte écrit que je vous ai distribué, que la législation fédérale repose, dans certaines circonstances, sur des concepts issus du domaine de la propriété et des droits civils. On pense, par exemple, à un texte qui fait référence à des contrats, à des fiducies ou au concept de compensation.

À moins que le législateur fédéral ne décide d'incorporer une définition très précise dans la législation, des références à de tels termes, de telles notions, seront des références à des concepts issus du droit provincial, du droit privé provincial.

Cela veut dire, puisque le droit provincial varie d'une province à l'autre, tant en ce qui concerne les provinces et territoires de common law qu'en ce qui concerne le Québec, où le droit civil entre en jeu. Il peut y avoir des variantes en ce qui concerne l'application de la législation fédérale lorsque cette législation s'appuie sur des concepts de droit provincial.

Ce n'est pas un problème qui date d'hier, c'est un problème qui existe depuis fort longtemps, en fait. Ce qui se produisait, c'était que les tribunaux, lorsqu'ils étaient appelés à interpréter des dispositions législatives fédérales bijuridiques, se trouvaient parfois dans des situations où ils se rendaient compte que le droit provincial sous-jacent était discordant, c'est-à-dire que la solution mise de l'avant au Québec n'était pas la même que la solution utilisée ailleurs au Canada.

Ce qui s'est produit, c'est que, par le passé, les tribunaux ont eu tendance à vouloir — et on le comprend très bien — uniformiser la législation fédérale et ils l'ont fait par le biais d'interprétation de cette législation reposant sur la common law. C'est la raison pour laquelle on s'est retrouvés, entre autres, avec des situations comme le droit maritime au Canada, un droit qui relève entièrement de la common law.

C'est évident que cette situation posait de très sérieux problèmes d'arrimage entre la législation fédérale et le droit provincial sous-jacent, notamment le droit civil. Lorsqu'on a procédé à la réforme du Code civil au Québec, il y a eu des modifications très importantes de la terminologie. C'était très clair que la législation fédérale ne concordait pas du tout. Il y avait vraiment de sérieux problèmes à ce niveau.

C'est dans ce contexte, je pense que vous êtes tous au courant de ce contexte, que le gouvernement fédéral a entrepris cette belle initiative, selon moi, qui est l'initiative de l'harmonisation de sa législation fédérale. Dans ce contexte, on a adopté les articles 8.1 et 8.2 de la de la Loi d'interprétation.

C'est clair — je l'ai constaté en lisant les questions posées au doyen Grammond il y a quelques jours — que certains sénateurs se posent des questions concernant cette absence d'uniformité. J'aimerais reprendre ce qui avait été dit par le professeur André Morel, lors des études préliminaires qui ont mené à la première loi d'harmonisation. André Morel avait dit :

[...] l'on reconnaîtrait le fait que, sauf dérogation expresse ou par implication nécessaire, l'application des lois fédérales n'est pas nécessairement uniforme à tous égards partout à travers le Canada; et que cette diversité est acceptable comme étant une conséquence du fédéralisme lui-même.

Donc même avant l'adoption de la première loi sur l'harmonisation, on se rendait compte de cette possibilité. J'ai fait une étude détaillée, récemment, de la législation de la Cour suprême du Canada qui a été appelée dans les décisions où elle a été appelée à interpréter des lois fédérales bijuridiques. Je dois vous dire que cette absence d'uniformité ne risque pas de se produire très souvent.

Et cela pour différentes raisons. Entre autres, vous avez le fait que très souvent les solutions que l'on retrouve, de part et d'autre, sont identiques ou les variantes sont relativement mineures. Il existe aussi certaines dispositions dans l'article 8.1, qui permettent justement de conclure qu'il n'est pas nécessaire dans certaines circonstances de recourir au droit provincial sous-jacent.

Par contre, il peut arriver qu'il y ait absence d'uniformité en ce qui a trait à l'application de la législation fédérale et je pense que cela peut comporter des avantages, de très grands avantages. Je m'explique.

Dans un premier temps, lorsqu'on se retrouve dans une situation comme celle qui existe actuellement, où le concept de compensation au Québec n'est pas le même que le concept de compensation dans les provinces de common law, on peut se retrouver dans une situation où lorsqu'on applique la Loi sur l'insolvabilité et la faillite, cela pourrait avoir un résultat différent au Québec qu'au Canada.

Dans de telles circonstances, lorsqu'il s'agit de dossiers d'envergure nationale, les juristes canadiens vont devoir nécessairement tenir compte de ces variantes. À partir du moment où ils tiennent compte de ces variantes, ils sont en train de faire du droit comparé. On n'est pas dans la théorie, on est dans la pratique. À partir du moment où les juristes canadiens vont devoir se pencher plus souvent sur de telles variantes, c'est excellent au niveau de la sensibilisation. C'est aussi utile, parce qu'en faisant cette comparaison entre les solutions mises de l'avant en droit civil québécois et en common law, à ce moment-là, on doit nécessairement se poser la question à savoir : quelle est la meilleure solution?

Cela veut dire qu'on peut se retrouver dans des situations où les juristes canadiens se disent : « Ah, dans le contexte de la Loi sur l'insolvabilité et sur la faillite, au fond, telle ou telle solution serait probablement préférable à l'autre. » Et je reviendrai sur cette question tantôt. On peut aussi se retrouver dans une situation où le gouvernement fédéral, s'il se rend compte qu'il y a effectivement divergence pourrait dire non, ce n'est pas possible, il faut que cette disposition soit appliquée de façon uniforme à travers le Canada.

Lorsque je lis, dans les notes que vous avez, c'est qu'aujourd'hui, le gouvernement fédéral ne pourrait pas se permettre d'adopter une solution qui serait issue exclusivement de la common law. Il va devoir nécessairement se pencher sur les deux systèmes de droit. Il va devoir trouver une solution qui est acceptable aux deux systèmes, qui ne heurte pas les deux systèmes.

En même temps, le gouvernement fédéral tentera d'améliorer le droit sous-jacent. Alors c'est la raison pour laquelle je dis que ces dispositions, lorsqu'il y a absence d'uniformité, ce n'est pas une catastrophe, au contraire. C'est l'occasion idéale de faire du droit comparé et c'est aussi l'occasion idéale de réfléchir aux meilleures solutions qui pourraient être utilisées de façon uniforme à travers le Canada.

Cela nous amène vers ce qu'on appelle en anglais « better law ». Vous avez d'ailleurs les documents et vous pourrez nous poser des questions en temps et lieux.

La présidente : Votre présentation nous aide beaucoup. Alors on passe justement à la période des questions. On commence par le sénateur Carignan, qui sera suivi des sénateurs Joyal et Angus.

Le sénateur Carignan : Ma question sort un peu du projet de loi spécifique. À écouter les témoins qui ont vanté le projet de loi, depuis que je suis ici, j'ai rarement vu une aussi belle unanimité, autant de la part des partis, des témoins, des praticiens et des professeurs de droit. C'est quelque chose d'assez unique. Je me suis posé la question, à savoir : est- ce que le Canada n'est pas devenu, avec ce troisième projet de loi, un exemple dans la conciliation de deux droits avec deux langues différentes?

Est-ce qu'on ne devrait pas en faire plus la promotion et l'exporter? Je pense, entre autres, à certains pays d'Afrique où ils ont une tradition francophone, avec des éléments anglophones, à cause des changements, donc des inspirations de droit anglais et de droit français. Ce sont des pays en construction.

Ne devrait-on pas aller plus loin, pousser plus notre exercice à l'interne et aussi l'exporter dans d'autres pays?

Mme Forest-Niesing : Il me fait plaisir de répondre. Je suis certaine que mes collègues auront quelque chose à ajouter. D'abord, sur le commentaire initial que vous faisiez sur l'unanimité des témoignages ou de la teneur des témoignages que vous avez reçus, cela ne m'étonne absolument pas. Nous avons au Canada un système judiciaire qui est vraiment exceptionnel, riche de par le fait qu'il y a ce bijuridisme et ce bilinguisme, ses caractéristiques si formidables.

Je suis tout à fait d'accord avec cette idée d'exporter et faire bénéficier d'autres pays, qui pourraient envisager un défi semblable en raison de bilinguisme ou de bijuridisme ou une combinaison des deux. J'ignore de quelle façon on pourrait s'y prendre pour le faire. Je ne prétends vraiment pas être une experte en ce domaine, ne le connaissant vraiment pas, je ne pourrais pas vous identifier un pays où il y a un système judiciaire semblable au nôtre. Même que je soupçonnerais qu'il n'en existe pas d'identique. C'est une situation unique au Canada et qui est une richesse dont tous les Canadiens peuvent bénéficier.

Danielle Manton, directrice générale, Association des juristes d'expression française de l'Ontario : J'appuierais ce que ma collègue vient de dire. Le fait qu'on est rendu au troisième processus d'harmonisation rend quand même le Canada et notre fédération experte en la matière. Je trouve que c'est une très bonne idée, une bonne proposition d'amener l'expertise du Canada dans d'autres pays, qui ne sont pas rendus au niveau où nous en sommes.

À l'AJEFO, nous ne sommes pas des experts en la matière, mais nous serions prêts à appuyer le gouvernement dans de telles démarches.

Mme Grenon : C'est évident qu'avec tout ce qui a été fait au Canada depuis 10 ans, avec tout le processus d'harmonisation, c'est clair qu'on a des spécialistes, des experts qui sont définitivement en mesure d'aller ailleurs et de parler dans d'autres pays des expériences qu'ils ont vécues, tant dans la rédaction législative que dans la comparaison entre différents modèles juridiques.

Je pense que cela se fait peut-être déjà un tout petit peu, à une très petite échelle. Je pense que cela va se faire beaucoup plus avec les années. Par contre, je trouve qu'ici à l'interne, on peut en faire encore plus. À titre d'exemple, dans un article que j'ai soumis pour publication récemment, j'indique que peut-être que le gouvernement fédéral pourrait songer à la création d'un organisme indépendant voué au droit comparé. Dans le contexte qui est le nôtre, cela pourrait être extrêmement intéressant. C'est clair. J'indique aussi dans cet article que les facultés de droit pourraient en faire beaucoup plus pour sensibiliser les juristes, non seulement au sujet de, disons, ces différentes traditions juridiques — et là j'utilise le terme en faisant référence à la common law, le droit civil, mais aussi toute la tradition autochtone qu'on retrouve au Canada. Il y aurait moyen de faire des choses extrêmement intéressantes dans les facultés de droit pour sensibiliser tous les juristes, pas seulement ceux qui obtiennent des formations trans-systémiques et nationales, mais pour que tous les juristes soit sensibilisés à l'importance des deux langues et des trois systèmes et différentes traditions en somme.

Le jour où on va atteindre cet état de nirvana, la Canada sera extrêmement bien placé pour exporter et expliquer à l'extérieur ce qu'il est en train de faire, mais c'est un processus de longue haleine. On a déjà accompli beaucoup de choses.

Le sénateur Carignan : Quels sont les autres domaines, de façon plus spécifique, que vous identifiez comme étant les prochaines étapes d'une harmonisation où le gouvernement devrait se concentrer où vous identifiez les problématiques les plus importantes?

Mme Forest-Niesing : En prenant connaissance des propos du ministre de la Justice, M. Nicholson, j'ai retenu que le projet actuel de cette troisième harmonisation est le résultat d'une constatation qu'il y avait une certaine urgence dans le domaine comparatif, particulièrement la Loi sur l'expropriation et en même temps, les neuf autres lois modifiées dans cette troisième harmonisation qui relèvent d'Industrie Canada.

Alors je pense que ce n'est pas nécessairement un plan qui va se développer en fonction d'un désir, mais plutôt en fonction des besoins particuliers que pose le système juridique ou législatif du moment.

Mme Grenon : Il va y avoir d'autres projets de loi pour harmoniser parce qu'il en reste encore. On a parlé de 350, je crois. Alors c'est évident que c'est quelque chose qui va devoir être fait. Et le fait que maintenant ça commence à être beaucoup mieux connu partout au Canada, les gens commencent à mieux comprendre la méthodologie qui est sous- jacente à l'interprétation de cette législation. Tout cela va concorder à sensibiliser l'ensemble des juristes parce qu'il y a encore beaucoup de travail à faire au niveau de la sensibilisation de l'ensemble des juristes canadiens. C'est sûr que si le gouvernement fédéral pouvait peut-être travailler un peu plus sur cette sensibilisation, ce serait très utile.

Je reviens à mon idée d'un organisme fédéral voué au droit comparé. Je pense que cela pourrait être très utile au niveau de la sensibilisation.

Le sénateur Carignan : Juste une question supplémentaire.

La présidente : Très courte, car d'autres sénateurs attendent.

Le sénateur Carignan : Vous parlez de comparer à l'interne entre les deux types ou avec les autres pays?

Mme Grenon : Dans un premier temps, je pense qu'on en a déjà pas mal sur la table sur le plan strictement national. Mais à partir du moment où on commence à faire ce genre de travail, nécessairement, ça va avoir un effet sur l'international. Parce qu'on sait que dans l'Union européenne, il y a beaucoup de choses très intéressantes qui se passent. Alors c'est sûr que ça aura un effet, un impact à l'international à long terme ou à moyen terme.

Le sénateur Joyal : Merci de votre comparution et des propos que vous avez tenus. Est-ce que vous avez reçu le document de consultation, qui a été émis par le ministère de la Justice, dans le contexte de la préparation de ce projet de loi? Et avez-vous fait partie de ce processus de consultation?

Mme Grenon : Vous parlez du cahier d'analyse avec les notes explicatives?

Le sénateur Joyal : Exactement.

Me Grenon : Je n'ai pas fait partie de ce processus, mais j'en ai obtenu une copie. Je n'ai pas passé le projet de loi au peigne fin, mais je l'ai parcouru rapidement et j'avais une ou deux questions concernant certains éléments. J'avais justement demandé à la greffière si je pouvais obtenir une copie de ce document et j'en ai obtenu une copie et je l'ai consultée.

Mme Forest-Niesing : Pour ma part non.

Le sénateur Joyal : Comme organisme, nous n'avez pas été formellement consulté comme le Barreau canadien ou le Barreau du Québec l'ont été?

Mme Forest-Niesing : À ma connaissance, c'est la première fois que la FAJEF participe ou contribue à une discussion sur la question de l'harmonisation.

Le sénateur Joyal : Donc, à l'avenir, vous auriez intérêt à être inscrit sur la liste des organismes concernés.

Mme Forest-Niesing : C'est toujours un plaisir pour nous de venir à Ottawa.

Mme Manton : C'est le cas pour l'AJEFO également.

Le sénateur Joyal : De la même façon, vous n'avez pas été consultée non plus?

Mme Manton : Non. L'AJEFO n'a pas été consultée dans le passé, dans les processus d'harmonisation. Comme la FAJEF, c'est la première fois, mais nous serions heureux et fiers de pouvoir participer dans le futur.

Le sénateur Joyal : Ma deuxième question s'adresse à maître Grenon. Quel est l'effet de l'initiative d'harmonisation au niveau de l'enseignement du droit? C'est bien d'adopter des lois telles que nous les proposons, mais comment passent-elles dans le système, c'est-à-dire comment sont-elles expliquées? Comment sont-elles enseignées et comment s'assure-t-on qu'au niveau des organismes universitaires, on en tient compte dans les travaux de recherche et de publication?

Mme Grenon : Il y a un certain nombre de professeurs évidemment qui s'intéressent de très, très près à ces questions. Je pense que vous en avez rencontré plusieurs jusqu'à maintenant.

De façon générale, cela va varier évidemment selon les facultés de droit. C'est évident que les facultés de droit au Québec, l'Université d'Ottawa, certaines facultés comme l'Université de Toronto, possiblement aussi certaines facultés de droit de l'Ouest sont au courant, où certains professeurs suivent le processus de près, mais je vous dirais que c'est surtout au niveau des cours sur la législation qu'on est vraiment en mesure de discuter en classe et faire bien comprendre aux étudiants ce qui se passe.

Dans les cours sur la législation, on va devoir nécessairement parler de l'importance, de la valeur des deux versions linguistiques des lois fédérales et aussi de certaines lois provinciales. Également, on va devoir nécessairement expliquer le pourquoi des articles 8.1 et 8.2 de la Loi d'interprétation et aussi comment lire, comment bien comprendre une loi bijuridique harmonisée. C'est vraiment dans le contexte de ces cours.

Je sais qu'à un moment donné, le gouvernement fédéral, le ministère de la Justice avait préparé un document — en français et en anglais — qui avait été envoyé à l'ensemble des facultés de droit pour les sensibiliser à ces questions. Je ne sais pas ce qu'il en est, s'ils ont fait un sondage auprès de ces facultés pour connaître l'utilité de ces documents. Je sais que dans certains de mes cours, je ne manque jamais l'occasion de faire référence à ces dispositions.

Le sénateur Joyal : Mais vous ne pouvez pas nous informer sur la manière dont c'est perçu, reçu et diffusé dans les autres facultés ailleurs au Canada?

Mme Grenon : Non. La solution serait vraiment un sondage. D'ailleurs, cela pourrait faire l'objet d'un article très intéressant.

Le sénateur Joyal : J'aimerais revenir à la page 3 du document que vous avez préparé à notre intention. Je fais référence à la version française, au sous-titre b), une approche par le haut. Cela m'apparaît un élément important de la réalité dont on traite. Vous n'avez pas abordé cette question dans vos propos verbaux. Pourriez-vous résumer l'argument que vous y voyez?

[Traduction]

Une approche de haut en bas plutôt que de bas en haut, si je peux employer cette expression de la common law.

[Français]

Mme Grenon : Je vois difficilement comment l'approche « bottom up » pourrait fonctionner actuellement parce qu'il y a une absence de sensibilisation. Par conséquent, c'est ce qui a fait que par le passé, on s'est retrouvé dans des situations où les tribunaux adoptaient des approches sans réfléchir à l'effet que leurs décisions pourraient avoir sur, entre autres, le droit civil québécois. Alors, dans le contexte actuel, il me semble que le processus bottom up ne peut pas vraiment fonctionner.

Par contre, ce que j'indique, c'est qu'à partir du moment où le gouvernement fédéral a décidé de privilégier une approche « top-down », à la suite de consultations — vous avez sans doute lu les rapports, les études et les analyses qui ont été rédigés —, alors à partir du moment où il a adopté cette approche de « top-down », qui est le propre du législateur, je pense que c'est vraiment à partir de ce moment que la sensibilisation peut débuter.

Je pense que c'est là où nous en sommes actuellement. On parle de problème systémique; un problème systémique ne se règle pas du jour au lendemain. C'est quelque chose qui va se régler avec le temps et une sensibilisation accrue de la part des juristes canadiens.

Le sénateur Joyal : Puis-je revenir sur une explication que vous avez donnée dans la dernière partie de vos propos, dans votre présentation?

Vous dites que lorsqu'il y a une divergence de solutions à travers le Canada, on doit trouver une solution acceptable aux deux systèmes. Ensuite, vous avez soutenu que lorsqu'il y a absence d'uniformité, c'est une occasion de faire du droit comparé et de trouver les meilleures solutions pour une loi uniforme.

Je suis surpris par l'expression « loi uniforme », parce que c'est le contraire de l'objectif de l'harmonisation. L'objectif de l'harmonisation n'est pas de faire une loi uniforme, c'est de permettre aux deux systèmes d'évoluer en complémentarité, mais d'évoluer avec leur identité propre et leur esprit propre.

Pourriez-vous préciser ce que vous entendiez par « loi uniforme »? Parce que j'ai noté vos propos. Je n'ai pas la transcription devant moi, mais cela m'a frappé parce qu'il m'apparaît contraire, fondamentalement, à l'objectif de tout ce que nous faisons dans cette initiative.

Mme Grenon : Je vous réfère à la page 2 du texte en français. Vous remarquerez qu'au premier véritable paragraphe, j'indique :

Quant au législateur fédéral, celui-ci sera probablement porté à accepter en règle générale, l'absence d'un résultat uniforme lorsque celui-ci se produit, afin de préserver l'intégrité de chacun des systèmes juridiques.

Si vous me permettez l'expression anglaise, « it's a given ». Il faut être réaliste aussi. Il faut comprendre que dans certaines circonstances, il pourrait y avoir des divergences qui sont d'une importance telle que le gouvernement fédéral dirait qu'il serait inéquitable de permettre cela. C'est la raison pour laquelle j'enchaîne, à la page 2, en disant :

Par contre, si le législateur fédéral juge qu'un résultat uniforme est souhaitable, voire essentiel, une modification de la législation pertinente s'impose.

C'est à ce moment-là que je dis que, dans de telles circonstances, le législateur fédéral, lorsqu'il adopte une disposition uniforme, va devoir tenir compte du droit civil québécois et de la common law canadienne, et trouver finalement une solution qui ne heurte pas, qui va finalement bien s'agencer avec les deux systèmes. C'est certainement possible de le faire, mais il faut vraiment y réfléchir au préalable.

Ce serait vraiment suite à de telles circonstances qu'on pourrait se retrouver avec des dispositions législatives uniformes après coup. En temps normal, c'est clair que le gouvernement fédéral va tenter, dans la mesure du possible, de respecter les deux systèmes. Je ne peux pas parler pour le législateur fédéral, mais il me semble qu'il va tenter de respecter, dans la mesure du possible, les deux systèmes.

Le sénateur Joyal : Y a-t-il de tels exemples, dans ce projet de loi?

Mme Grenon : Lorsque j'ai parcouru le texte, j'ai vu des modifications de nature terminologique. On fait, par exemple, référence au mandataire. On fait beaucoup référence au droit personnel qui est un terme issu de la common law française. Ce sont vraiment des termes qui viennent préciser l'aspect bijuridique de la disposition en question.

Le sénateur Joyal : Donc il n'y a pas de solution uniforme, qui aurait été incluse dans le projet de loi, qui violenterait l'esprit ou l'identité de l'un ou l'autre des systèmes?

Mme Grenon : Non. Je pense que le jour où cela se produira, ça ne pourra pas se faire dans le contexte du processus d'harmonisation. On l'a clairement dit et le ministère de la Justice l'a dit aussi, le processus d'harmonisation de la législation est vraiment de nature beaucoup plus technique. Si à un moment donné, le législateur fédéral voulait adopter une solution uniforme dans un contexte précis, il aurait à le faire par le biais d'un processus différent. Je pourrais vous donner un exemple.

Le sénateur Joyal : Oui, s'il vous plaît.

Mme Grenon : On pourrait s'en reparler. Est-ce que nous avons le temps? Mes commentaires sont publiés à ce sujet. Je pourrais vous envoyer mes textes publiés à ce sujet.

La présidente : Ce serait apprécié si vous pouvez l'envoyer à la greffière.

Le sénateur Angus : Merci beaucoup pour vos présentations. Mes questions sont pour vous, maître Grenon. J'imagine que malgré votre français impeccable que vous êtes confortable en anglais.

Mme Grenon : Je suis Franco-Ontarienne.

Le sénateur Angus : Je suis Québécois d'expression anglaise et j'ai pratiqué le droit civil pendant 48 ans au Québec, spécialisé dans le droit maritime.

[Traduction]

Voilà pourquoi j'aimerais revenir à votre remarque sur le droit maritime. Vous avez manifestement étudié ce sujet.

Premièrement, de façon générale, vous semblez appuyer sans réserve le processus d'harmonisation en cours qui a donné lieu à ce projet de loi.

Mme Grenon : En effet.

Le sénateur Angus : Connaissez-vous l'affaire Resolute Shipping Ltd. c. Jasmin Const. Inc.?

Mme Grenon : Vous abordez là un sujet...

Le sénateur Angus : Je tente de copier le sénateur Baker, voyez-vous, et ce n'est pas facile.

Mme Grenon : Je ne travaille pas du tout dans ce domaine. Je sais toutefois qu'une controverse entoure toute la question du droit maritime.

Le sénateur Angus : Quand vous y avez fait allusion, je suis certain que mes yeux se sont mis à briller.

Mme Grenon : Je vous ai donné une ouverture.

Le sénateur Angus : Oui, mais il y a plus : c'est un sujet que j'ai beaucoup étudié. J'en ai traité lors d'une séance spéciale de la Cour fédérale à l'occasion de son 25e anniversaire. Mon exposé figure dans un très beau livre que le juge Isaac a fait publier.

Quoi qu'il en soit, l'affaire Resolute Shipping Ltd. c. Jasmin Const. Inc. était une affaire de droit maritime entourant un contrat d'affrètement conclu en droit civil, conformément au code civil du Québec. En première instance, le savant juge, formé en droit civil du Québec, a tranché en faveur de la partie que je représentais. En Cour d'appel fédérale, c'est feu le juge Wilbur Jackett qui a entendu l'appel, et je représentais l'intimé. Or, l'appelant n'a même pas été invité à témoigner. Le juge Jackett s'est tourné vers votre humble serviteur et a dit : « Dites-moi pourquoi je ne devrais pas accueillir cet appel et je ne veux pas entendre parler du droit civil du Québec. » J'avais des papillons dans l'estomac, mais j'ai essayé de rester calme.

Quoi qu'il en soit, la situation s'est envenimée. Le juge Jackett a confirmé la décision de première instance. Il n'a rien voulu entendre sur le droit civil, même si la décision du juge Walsh avait été rendue en fonction du droit civil.

Devant la Cour suprême du Canada, le contraire s'est produit :

[Français]

« Maître Angus, nous n'avons pas besoin d'entendre vos arguments. Cela nous est vient de la Cour d'appel fédérale. »

[Traduction]

Je n'ai pas de scrupule à vous en parler parce que j'ai déjà raconté toute l'histoire au biographe du juge Jackett, Richard W. Pound, qui l'a reprise dans sa biographie.

Ma question est la suivante : est-ce que cela fonctionne mieux maintenant? Une décision injuste avait été rendue et quand la Cour suprême a enfin infirmé la décision de la Cour d'appel fédérale, l'entreprise en question avait fait faillite. Cela a été terrible. De grosses sommes d'argent étaient en cause.

D'après votre expérience, est-ce qu'il y a une meilleure compréhension du droit civil du Québec, de la common law et surtout du droit maritime — le droit maritime du Canada découle de la common law et remonte aux lois d'Oléron du XVIe siècle — chez les juristes et ceux qui travaillent dans l'administration de la justice? L'exemple que je viens de donner témoigne des injustices qui peuvent se produire tant qu'il n'y a pas harmonisation et que l'on n'accepte pas que le droit civil du Québec est parfois différent.

Mme Grenon : Oui, le droit civil du Québec est de mieux en mieux compris et accepté. Il y a eu des cas intéressants à la Cour fédérale et à la Cour d'appel fédérale. Comme je l'ai indiqué plus tôt, j'ai récemment examiné les décisions de la Cour suprême du Canada rendues depuis 2000 qui traitaient du droit civil et de la common law, et le droit civil est de mieux en mieux accepté.

En étudiant ces décisions, j'ai noté que les trois premières décisions de la Cour suprême du Canada adhèrent à l'article 8.1. Puis, il y a trois ou quatre arrêts où la Cour suprême semble un peu hésitante. Dans ses décisions les plus récentes, elle revient à l'article 8.1.

On n'entend certainement plus de remarques comme celles du juge Jackett, mais ce n'est pas encore gagné. Même au niveau de la Cour suprême, il faut un certain temps pour faire passer le message. J'ai analysé les neuf causes dans l'article, et il est évident qu'il y a encore des concepts que les juges comprennent mal. C'est donc un processus à long terme, car ces juges n'ont souvent pas de formation en droit civil et en common law. Certains ne parlent pas couramment les deux langues. C'est un processus de longue haleine, mais nous sommes sur la bonne voie.

Le sénateur Angus : Je crois savoir que ces lois d'harmonisation s'appliquent assez facilement aux affaires relevant du droit législatif.

Mme Grenon : C'est exact.

Le sénateur Angus : Comme nous l'avons vu dans les annexes, il suffit de faire la concordance dans chaque loi de termes comme « real property » et « immeubles ». Toutefois, la common law et le droit maritime remontent à plusieurs siècles, les termes ont un sens bien précis et ce sont des domaines du droit où l'harmonisation est difficile. A-t-on réalisé des progrès en droit maritime?

Mme Grenon : Jusqu'à présent, seules les lois ont été harmonisées, mais un jour, surtout si...

Le sénateur Angus : Vous et moi pourrions écrire un livre.

Mme Grenon : Une de mes collègues s'intéresse beaucoup au droit maritime. Elle pourrait écrire un livre avec vous. Excusez-moi, j'ai oublié ce que je voulais dire.

Le sénateur Angus : Je suis désolé. Vous nous disiez que l'harmonisation est beaucoup plus difficile en common law qu'elle ne l'est en droit législatif, n'est-ce pas?

Mme Forest-Niesing : L'harmonisation est-elle possible en droit maritime?

Mme Grenon : Oui, c'est ça.

Ce serait formidable que le gouvernement fédéral crée un organisme de droit comparé qui examinerait les différents codes. On pourrait alors étudier en profondeur tout le domaine du droit maritime pour déterminer comment bien l'harmoniser.

Le sénateur Angus : C'est un vaste sujet d'étude. Les termes « Charter party » ou « contrat d'affrêtement », par exemple, ont un sens bien précis.

On les compare souvent, mais ils renvoient à des concepts tout à fait différents, comme l'a constaté le juge Jackett quand il a lu la décision de la Cour suprême.

[Français]

Le sénateur Chaput : J'ai en effet seulement une question, car une autre de mes questions a été posée par le sénateur Joyal. J'aimerais tout d'abord appuyer les propos du sénateur Carignan lorsqu'il a mentionné que cette initiative d'harmonisation mérite d'être mieux connue. Je suis d'accord avec vous, sénateur, car c'est une initiative d'envergure. Je pense que je n'ai jamais réfléchi à quel point c'était une initiative d'envergure depuis que je siège à ce comité. Alors chapeau à ceux qui travaillent constamment sur ce sujet.

[Traduction]

Le sénateur Angus nous a montré encore une fois la complexité de ces enjeux et leurs conséquences possibles.

[Français]

Je suis totalement d'accord avec cela et le fait demeure que dans le contexte canadien, c'est une très bonne initiative et que cela contribue à rapprocher les deux systèmes, la common law, d'une part, et le Code civil, d'autre part.

Maître Forest-Niesing, dans votre présentation, vous avez dit que dans le contexte canadien, le Canada a effectivement quatre langues juridiques : soit le français civiliste, le français de la common law, l'anglais civiliste et l'anglais de la common law. Car effectivement, on se retrouve avec quatre langues, n'est-ce pas? Et vous avez dit que ces quatre langues juridiques doivent être respectées et reconnues. Alors, ma question est la suivante : est-ce le cas? Est- ce quand même suffisamment respecté et reconnu? Sommes-nous dans le bon chemin?

Mme Forest-Niesing : Avec ce troisième projet d'harmonisation et avec ce que j'anticipe à l'avenir être la conclusion de cet exercice, qui je souhaite ne prendra pas un autre 10 ans, mais qui pourrait de façon très compréhensible le prendre, je souhaiterais voir ce résultat.

Ces caractéristiques de notre système judiciaire sont enrichissantes et méritent l'effort et la lourdeur des modifications statutaires qui s'imposent.

Le sénateur Chaput : Avez-vous quelque chose à ajouter, maître Manton?

Mme Manton : On parle plutôt pour les juristes d'expression française en common law, et avec tous les efforts faits dans les 30 dernières années, incluant les facultés de common law en français qu'on a au Canada, oui, il y a une reconnaissance. Je pense que les efforts que nous avons faits combinés avec les efforts que le fédéral a fait avec le processus d'harmonisation, effectivement, on a une plus grande reconnaissance des quatre langues juridiques.

Le sénateur Chaput : J'aurais une autre question.

La présidente : C'est la dernière.

Le sénateur Chaput : Le sénateur Watt et moi avions des préoccupations à l'égard de l'absence d'uniformité. Qu'est ce que cela pourrait apporter en fin de compte? Mais maître Grenon, vous avez dit que cela permet de faire du droit comparé et de réfléchir à de meilleures solutions. Alors j'ai bien aimé votre réponse. Croyez-vous que c'est ce qui se passe lorsqu'il y a des difficultés?

Mme Grenon : Oui, je le pense et je pourrais vous donner, à titre d'exemple, la Cour suprême du Canada, dans la décision D.I.M.S., a dit qu'il y a une disposition dans la Loi sur l'insolvabilité et la faillite où on fait référence à la compensation. Avant, la Cour suprême du Canada s'est penchée sur la disposition qui n'avait pas été encore harmonisée. La compensation au Québec telle qu'on l'entend en vertu du Code civil était en cause. On ne s'est pas prononcé évidemment sur la compensation à l'extérieur du Québec puisque c'était une décision qui s'appliquait au Québec. Mais actuellement, on se retrouve avec une situation où au Québec, on a la compensation du Code civil alors qu'ailleurs au Canada, on a dans le contexte de la faillite et de l'insolvabilité on a « equitable set-off ». Il faut savoir que ce concept avait déjà fait l'objet de critique. Le recours à « equitable set-up » dans le contexte de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, dans la doctrine on avait critiqué cela car on disait que cela accordait une très grande latitude aux juges et que les juges pouvaient contourner la politique sous-jacente de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité.

Avant, on ne se posait pas trop de questions sur cela, mais maintenant qu'on a deux solutions différentes, une qui s'applique au Québec et l'autre ailleurs, là nécessairement, il faut se poser la question à savoir : dans le contexte de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, est-ce qu'il y a de la place pour le « equitable set-off »? S'il n'y en a pas, c'est au législateur fédéral de prendre cette décision et peut-être que le législateur fédéral va tout simplement dire : non, ce n'est pas une situation où l'uniformité est souhaitable.

Mais si, à un moment donné, il jugeait que l'uniformité était souhaitable, ce qui m'étonnerait dans ce contexte, mais on ne sait jamais, là il aurait à prendre une décision, à savoir qu'est ce qu'on entend par compensation dans le contexte de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité. À ce moment-là, ce serait une définition.

La présidente : Cela a été fort intéressant et utile pour nos travaux, alors vraiment, nous sommes très reconnaissants.

[Traduction]

Chers collègues, avant de faire une courte pause, nous allons tenir une très brève réunion à huis clos dès maintenant. Je demande donc à tous ceux qui ne sont ni sénateurs, ni membres du personnel des sénateurs ou du comité de bien vouloir quitter la salle. Nous ferons ensuite une pause de quelques minutes avant de reprendre nos travaux.

(La séance se poursuit à huis clos.)

(La séance publique reprend.)

Chers collègues, comme vous le savez, le comité de direction a convenu de procéder sans plus tarder à l'examen article par article du projet de loi S-12. Auparavant, j'aimerais savoir si vous estimez souhaitable et acceptable de regrouper les dispositions aux fins de la mise aux voix.

Les projets de loi comptent 165 dispositions et deux annexes. Nous pouvons les mettre aux voix individuellement ou les regrouper; sommes-nous d'accord pour les regrouper?

Des voix : D'accord.

Le sénateur Joyal : Je suis d'accord, madame la présidente, car aucun des articles n'a fait l'objet de témoignages ou d'observations particulières. Notre étude et notre débat ont porté sur la mesure législative dans son ensemble. Aucun de ces articles n'a été scruté à la loupe ou n'a donné lieu à des questions qui auraient rendu nécessaire sa mise aux voix séparément. Voilà pourquoi je suggère que nous regroupions les dispositions.

La présidente : C'est un excellent résumé du principe fondamental qui nous guide.

[Français]

Honorables sénateurs, est-il convenu de procéder à l'étude article par article du projet de loi S-12, Loi no 3 visant à harmoniser le droit fédéral avec le droit civil du Québec?

Des voix : D'accord.

[Traduction]

La présidente : D'accord.

Êtes-vous d'accord pour suspendre l'adoption du titre?

Des voix : D'accord.

La présidente : D'accord.

Êtes-vous d'accord pour suspendre l'adoption de l'article 1, qui contient le titre abrégé?

Des voix : D'accord.

La présidente : D'accord.

[Français]

Le comité consent-il à ce que les articles soient groupés selon les parties du projet de loi, comme il est décrit dans la table analytique du projet de loi S-12?

Des voix : D'accord.

[Traduction]

La présidente : C'est convenu.

La partie 1, qui contient les articles 2 à 160, est-elle adoptée?

Des voix : Oui.

La présidente : Adopté.

La partie 2, qui contient les articles 161 à 166, est-elle adoptée? Sénateur Joyal?

Le sénateur Joyal : Vous avez dit 166, mais la version française dit 164.

La présidente : Toutes mes excuses, chers collègues.

[Français]

Pour notre gouverne, je répète la question. Est-ce que la Partie 2, qui contient les articles 161 à 164, est adoptée?

Des voix : D'accord.

[Traduction]

La présidente : Adopté.

La partie 3, qui contient l'article 165, est-elle adoptée?

Des voix : Oui.

La présidente : Adopté.

L'annexe 1 est-elle adoptée?

Des voix : D'accord.

La présidente : Adopté.

[Français]

L'annexe 2 est-elle adoptée?

Des voix : D'accord.

[Traduction]

La présidente : Adopté.

L'article 1, qui contient le titre abrégé, est-il adopté?

Des voix : Oui.

La présidente : C'est adopté.

Le titre est-il adopté?

Des voix : Oui.

La présidente : Le titre est adopté. Le projet de loi est-il adopté? Pour? Contre? Abstentions? C'est adopté.

Le comité veut-il annexer des observations au rapport?

Des voix : Non.

[Français]

Le sénateur Carignan : Si vous me permettez quelques observations. Des souhaits ont été exprimés pour que se poursuive le processus entamé.

La présidente : Je ne crois pas qu'il y a consensus sur le besoin de faire des observations. Si vous voulez bien, sénateur Carignan, on pourra revenir sur la question, car il existe plusieurs formules pour faire ce genre de chose. Il est à noter que si nous décidons de faire des observations, cela va retarder le processus.

Le sénateur Carignan : Je n'ai donc pas d'observations.

[Traduction]

La présidente : Est-il convenu que je fasse rapport de ce projet de loi au Sénat?

Des voix : Oui.

La présidente : D'accord.

Chers collègues, j'ai encore deux choses à vous dire. Le sénateur Carignan a fait quelques remarques sur d'éventuelles observations, et si vous êtes d'accord, si les observations sont non controversées, comme je crois qu'elles le seront, et si le vice-président y consent, j'allais suggérer que le vice-président et moi écrivions une lettre aux intéressés et que nous l'indiquions au Sénat lors de la présentation de notre rapport sur le projet de loi et du débat en troisième lecture. Ainsi, la présentation du projet de loi comme telle ne serait pas retardée.

Cela vous convient-il?

Le sénateur Joyal : Je n'y vois absolument aucune objection. Nous pourrions aussi y prévoir un porte-parole des ministériels et de l'opposition qui indiqueront approuver les observations de façon générale; cela figurera bien entendu aux Journaux du Sénat et témoignera des opinions que nous partageons.

La présidente : Cela ne fera pas partie du rapport du comité. Ce sera une initiative distincte approuvée par le comité.

On peut procéder de diverses façons. Nous pouvons en discuter dès maintenant ou laisser au comité de direction le soin d'en discuter avec le sénateur Carignan et quiconque veut en discuter, ce que vous préféreriez, je crois.

[Français]

Le sénateur Carignan : Oui.

[Traduction]

La présidente : J'ai maintenant des remarques plus joyeuses à faire. Comme vous le savez, chers amis, c'est notre dernière séance avant le congé des Fêtes et la nouvelle année. Je suis certaine que vous vous joindrez à moi pour remercier tous ceux qui assurent le bon fonctionnement de notre comité. J'hésite à dresser une liste, car je risque d'oublier quelqu'un, mais il y a les interprètes, les attachés de recherche, les greffiers, les sténographes, les pages et des douzaines d'autres personnes. Sans elles, notre travail serait impossible et vous voudrez certainement vous joindre à moi pour leur souhaiter un joyeux temps des Fêtes.

Des voix : D'accord.

Le sénateur Joyal : C'est unanime.

La présidente : Et de très belles Fêtes à vous tous, chers collègues.

(La séance est levée.)


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