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Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 19 - Témoignages du 3 février 2011


OTTAWA, le jeudi 3 février 2011

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui, à 10 h 35, pour étudier les dispositions et l'application de la Loi modifiant le Code criminel (communication de dossiers dans les cas d'infraction d'ordre sexuel), L.C. 1997, ch. 30.

Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Chers collègues, bonjour. Nous poursuivons ce matin notre étude sur les dispositions et l'application de la Loi modifiant le Code criminel (communication de dossiers dans les cas d'infraction d'ordre sexuel), appelé projet de loi C-46 au moment de son adoption en 1997.

Nous avons la chance d'avoir parmi nous ce matin Mme Julie McAuley, directrice du Centre canadien de la statistique juridique, M. Craig Grimes, analyste principal pour le centre, et Mme Mia Dauvergne, analyste principale du Programme des services policiers du centre. Nous les connaissons tous très bien. Nous sommes ravis de vous accueillir de nouveau.

Je signale aux membres du comité que Mme McAuley devra peut-être s'absenter pendant la séance, mais M. Grimes et Mme Dauvergne resteront avec nous si elle doit quitter.

Je crois que vous avez une déclaration préliminaire, madame McAuley.

Julie McAuley, directrice, Centre canadien de la statistique juridique, Statistique Canada : En effet. Je vous remercie de m'avoir invitée à prendre la parole devant le comité au sujet des infractions sexuelles au Canada.

Il existe au Canada deux sources complémentaires de données nationales sur les infractions sexuelles. La première catégorie, les données administratives, sont recueillies par les corps policiers et les tribunaux partout au pays et renferment de l'information sur toutes les infractions signalées à la police. Il y a trois catégories d'infractions d'ordre sexuel signalées à la police : les agressions sexuelles, les infractions liées à la prostitution et les autres infractions sexuelles. Dans le cadre de mon exposé, le terme « infractions sexuelles » regroupera ces trois catégories.

La deuxième source de données, qu'on appelle données autodéclarées, sont recueillies auprès des Canadiens de 15 ans et plus dans le cadre de l'Enquête sociale générale — Victimisation. Cette enquête sert de complément aux données administratives et vise à recueillir de l'information contextuelle sur les victimes de crimes au Canada. D'après les données de l'enquête de 2009, 88 p. 100 des agressions sexuelles ne seraient pas signalées à la police.

L'exposé que nous avons préparé renferme nos plus récentes données sur les infractions sexuelles au Canada. Toutes les sources y sont clairement indiquées, de même que les notes pertinentes sur les données. Nous vous avons distribué les derniers numéros de la revue Juristat, qui pourraient vous être utiles pour votre examen de la législation canadienne en matière d'agressions sexuelles.

Comme je l'ai mentionné tout à l'heure, mes collègues Mme Dauvergne et M. Grimes m'aideront à répondre à vos questions. Regardez la première page du document.

Les données transmises par les corps policiers de tout le Canada nous permettent de dégager certaines tendances dans les infractions sexuelles signalées par la police. Au cours des 10 dernières années, la fréquence des agressions sexuelles déclarées par la police, ce terme englobant les trois catégories d'agressions sexuelles, et la fréquence des infractions liées à la prostitution ont diminué tandis que la fréquence des autres infractions sexuelles déclarées à la police a augmenté. La catégorie « autres infractions sexuelles » englobe différentes infractions prévues par le Code criminel et principalement commises à l'endroit d'enfants.

En 2009, la police a fait état d'environ 30 000 agressions sexuelles commises au Canada, soit une légère diminution par rapport à l'année antérieure. Ce fléchissement confirmait la tendance à la baisse des agressions sexuelles signalées par la police constatées au cours des 10 dernières années.

Comme le type d'infractions sexuelles varie en fonction de la région du Canada, nous avons présenté sur trois pages distinctes les agressions sexuelles, les infractions liées à la prostitution et les autres infractions sexuelles.

À la diapositive 3, on peut voir qu'en 2009, c'est dans le Nord que la plus grande fréquence d'agressions sexuelles signalées par la police a été enregistrée, la fréquence maximale, soit 656 incidents pour 100 000 habitants, correspondant au Nunavut. Cinq provinces avaient un taux d'agressions sexuelles signalées par la police inférieur à la moyenne canadienne, mais le plus faible taux a été enregistré à l'Île-du-Prince-Édouard.

En 2009, les plus forts taux d'autres infractions sexuelles signalées par la police ont également été enregistrés dans le Nord, le Nunavut venant encore une fois au premier rang avec un taux de 81 infractions pour 100 000 habitants, suivi par le Yukon et les Territoires du Nord-Ouest. L'Ontario et l'Alberta ont été les seules provinces dont le taux d'autres infractions sexuelles signalées par la police était inférieur à la moyenne nationale.

En ce qui concerne les infractions liées à la prostitution déclarées par la police, le tableau de la diapositive 5 indique que les plus forts taux correspondent aux provinces de l'Ouest; en 2009, le taux de cette infraction en Saskatchewan, en Alberta et en Colombie-Britannique a dépassé la moyenne nationale. Contrairement à ce que l'on a constaté dans le cas des agressions sexuelles et des autres infractions sexuelles, les plus faibles taux des infractions liées à la prostitution ont été enregistrés au Yukon et au Nunavut.

Le tableau de la page suivante se fonde sur les données de 2009 transmises à Statistique Canada par les corps policiers et présente une vue d'ensemble de l'âge des victimes d'agression sexuelle et d'autres infractions sexuelles déclarées par la police.

En 2009, peu importe leur âge, les filles et les femmes étaient plus susceptibles que les garçons et les hommes de subir une agression sexuelle ou une autre infraction sexuelle déclarée par la police. Les enfants et les adolescents étaient proportionnellement plus nombreux à en être victimes que les personnes de 18 ans et plus.

Le tableau de la diapositive 7 illustre la situation des enfants et des adolescents victimes de tels crimes. En 2009, la police a pu identifier quelque 14 000 enfants âgés de zéro à 17 ans ayant été victimes d'une agression sexuelle. La très grande majorité des victimes, soit environ huit victimes sur 10, étaient des fillettes.

Les fillettes de tous âges sont plus souvent victimes d'agression sexuelle que les garçons. Cet écart dans les taux d'agressions contre les filles et les garçons est particulièrement évident pendant l'adolescence, les filles courant beaucoup plus de risque. Ainsi, chez les adolescentes de 13 à 17 ans, une sur 160 environ avait été victime d'une agression sexuelle en 2009. Ce taux est neuf fois plus élevé que celui observé chez les garçons du même groupe d'âge.

Comme on peut le voir à la diapositive 8, le nombre d'affaires d'agression sexuelle réglées par les tribunaux de juridiction criminelle pour adultes au Canada est relativement stable depuis quatre ans. En 2008-2009, près de 15 000 accusations d'agression sexuelle ont été portées au Canada, lesquelles ont donné lieu à quelque 6 700 procès dans lesquels l'infraction sexuelle était l'accusation la plus grave. Pendant la même année, environ la moitié des causes d'infractions sexuelles réglées par les tribunaux de juridiction criminelle pour adultes au Canada comportaient comme infraction la plus grave l'agression sexuelle de premier niveau; un peu moins du quart portaient sur des infractions liées à la prostitution et 21 p. 100 portaient sur d'autres infractions sexuelles.

Il ressort du tableau à la diapositive 9 qu'en 2008-2009, les autres infractions sexuelles ont été plus nombreuses à aboutir à un verdict de culpabilité que les accusations d'agression sexuelle ou de prostitution. Le taux d'acquittement a été le plus élevé chez les personnes accusées d'agression sexuelle tandis que les condamnations avec sursis et les retraits d'accusation ont été les plus fréquents dans les affaires liées à la prostitution. Les statistiques sur les condamnations avec sursis et le retrait des accusations comprennent les cas où l'accusé a bénéficié d'un programme de déjudiciarisation ou de mesures de rechange.

Le tableau de la diapositive 10 montre les différentes peines imposées pour les trois catégories d'infractions comprises dont les agressions sexuelles au Canada. En 2008-2009, l'emprisonnement a été la peine la plus sévère imposée par les tribunaux dans 78 p. 100 des causes relatives à d'autres infractions sexuelles, alors que la probation a été la peine la plus sévère imposée dans 36 p. 100 des causes liées à la prostitution.

Dans les cas d'agression sexuelle, la peine la plus sévère imposée dans 54 p. 100 des cas était l'emprisonnement. Toutefois, si on examine de plus près les différents genres d'agression sexuelle, on constate qu'en 2008-2009, l'emprisonnement a été imposé dans 80 p. 100 des cas d'agression sexuelle grave et dans 73 p. 100 des cas d'agression sexuelle armée.

En 2008-2009, pour les cas où l'accusé a été condamné à la détention, l'incarcération médiane la plus longue visait les agressions sexuelles graves, suivies des agressions sexuelles armées. Ces peines d'incarcération médiane imposées sont parmi les plus longues dans les tribunaux criminels pour adultes, après les homicides et les tentatives de meurtre.

Bien que les peines de détention médiane pour d'autres infractions d'ordre sexuel étaient de 180 jours en 2008-2009, 19 p. 100 de tous les cas de culpabilité ont donné lieu à des peines de détention de deux ans ou plus, c'est-à-dire sous responsabilité fédérale, comparativement à seulement 4 p. 100 des cas de culpabilité chez les adultes en général. Ces durées de détention plus longues imposées par les tribunaux reflètent peut-être le sérieux avec lequel les tribunaux traitent ces cas.

La prochaine diapositive renvoie aux conclusions de l'enquête sociale générale de 2009 sur la victimisation.

Dans l'ensemble, les Canadiens ont signalé des taux semblables de victimisation sexuelle en 2009, en 2004 et en 1999. Comme c'était le cas auparavant, la majorité des agressions sexuelles signalées dans l'Enquête sociale générale de 2009 étaient les moins graves. Par exemple, les incidents d'attouchements sexuels, d'agrippements, de baisers et de caresses non désirés représentaient 81 p. 100 des agressions sexuelles signalées dans le cadre de l'Enquête sociale générale. En revanche, les attaques sexuelles, qui comprennent l'utilisation de menaces ou de violence physique, représentaient environ un incident d'agressions sexuelles sur cinq. Ces conclusions correspondent à celles que démontrent les données consignées par les policiers, qui indiquent qu'en 2009, les types d'agressions sexuelles moins graves représentaient la majorité des infractions d'ordre sexuel.

Les taux d'agressions sexuelles sont plus élevés chez les femmes plutôt que chez les hommes. En 2009, les taux de victimisation par agression sexuelle signalée par les femmes étaient deux fois ceux des hommes. De toutes les agressions sexuelles signalées par les répondants à l'Enquête sociale générale, 70 p. 100 visaient une femme. En revanche, les femmes étaient les victimes de 38 p. 100 des agressions physiques.

Passons à la diapositive 13. Dans chacun des cycles de l'Enquête sociale générale, on demandait aux victimes si les incidents avaient été portés à l'attention des policiers. Dans l'ensemble, près de deux tiers des incidents n'ont pas été signalés à la police en 2009, tandis que 88 p. 100 des incidents d'agressions sexuelles n'ont pas été signalés.

De nombreux facteurs contribuent à déterminer si les incidents criminels sont signalés à la police. Lorsqu'on leur a posé la question, les personnes qui ont dit avoir été victimes d'une agression sexuelle dans les 12 mois précédant l'enquête ont donné de nombreuses raisons pour expliquer le non-signalement à la police. Ces personnes ont entre autres indiqué que la question n'était pas suffisamment importante pour être signalée et qu'il s'agissait d'une question personnelle, qu'elles allaient régler le problème autrement et qu'elles ne tenaient pas à ce que la police s'en mêle.

Encore une fois, je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de faire un exposé au comité. Je vais m'arrêter là.

La présidente : Merci beaucoup. Comme d'habitude, c'était extrêmement intéressant.

Le sénateur Wallace : Je vous remercie de votre exposé. Vous nous avez donné beaucoup d'information à saisir.

Comme vous le savez, le but de cette audience est d'examiner l'efficacité de ce qui constituait le projet de loi C-46 en 1997, lequel, comme vous le savez, porte sur l'exigence de produire des rapports sur l'information liée aux plaignants et aux témoins. Selon vous, lesquelles de vos statistiques pourraient nous aider à évaluer l'efficacité du projet de loi C-46?

Si j'ai bien compris, l'un des principaux objectifs du projet de loi C-46 était d'encourager les plaignants à signaler les infractions sexuelles à la police. Je crois qu'il y a une certaine réticence, pour toute une gamme de raisons, et vous en avez parlé. Les gens craignent peut-être par exemple que des éléments de leur passé qu'ils tiennent à cacher soient présentés devant un tribunal. Je pense qu'on croyait que le projet de loi C-46 allait réconforter davantage les plaignants et les témoins dans ces circonstances.

Selon vous, quelles statistiques pourraient nous aider à évaluer l'efficacité du projet de loi C-46 à donner lieu à des plaintes auprès de la police?

Mme McAuley : Bien qu'il s'agisse d'une question qui soit bonne et pertinente à l'étude que vous avez entreprise, malheureusement, Statistique Canada ne peut pas s'exprimer sur l'efficacité d'un projet de loi, alors pour l'instant je ne suis pas en mesure de vous renvoyer à quelque chose de précis à cet égard. Toutefois, je vais demander à mes collègues s'ils ont quelque chose de précis à ajouter.

Le sénateur Wallace : Je comprends que vous ne pouvez pas exprimer d'opinion. Vous avez peut-être une opinion, mais ce n'est pas la raison pour laquelle vous êtes ici aujourd'hui. Pour ce qui est de l'information que vous avez, y a-t- il des données en particulier que vous aimeriez porter à notre attention et qui pourraient nous aider dans notre tâche, qui nous seraient utiles.

Mme McAuley : Pour ce qui est de la volonté des gens à communiquer avec la police, je vous renvoie aux résultats de l'Enquête sociale générale de 2009 et à l'article de Juristat que je vous ai fourni, et qui est intitulé La victimisation criminelle au Canada, 2009. Dans ce rapport, une section porte directement sur les raisons pour lesquelles les personnes ne communiquent pas nécessairement avec la police. Des tableaux de données sont également fournis dans Juristat. Si vous voulez autre chose, nous serons ravis de vous en faire part en temps opportun.

Le sénateur Wallace : Avez-vous des données sur les demandes qui ont été faites auprès des tribunaux pour la production de documents qui seraient assujettis à ce qu'était le projet de loi C-46? Nous avons entendu des témoignages hier sur cette question, mais je me demande si Statistique Canada a de l'information sur le sujet.

Craig Grimes, analyste principal, Centre canadien de la statistique juridique, Statistique Canada : Nous travaillons à la compilation de plus d'information sur toutes les questions qui passent par les tribunaux criminels, mais il n'y a actuellement aucune donnée sur les demandes ou motions autres que ce qui est disponible au moyen des pratiques normales d'accusation criminelle. Les motions et les demandes ne font pas partie des données publiées parce qu'il ne s'agit pas d'accusations criminelles. Le problème est en partie attribuable au lien entre les motions et demandes et la personne et les accusations. Nous n'avons pas examiné cette question en profondeur.

Le sénateur Lang : J'aimerais parler des statistiques sur les agressions sexuelles signalées par la police, particulièrement au Yukon, aux Territoires du Nord-Ouest et au Nunavut. Évidemment, une agression en est une de trop, mais c'est vraiment renversant de voir le nombre d'agressions qui ont lieu dans ces trois territoires.

Les cas d'agressions sexuelles signalés par la police aboutissent-ils vraiment devant les tribunaux, ou est-ce que ces plaintes ne vont pas plus loin?

Mia Dauvergne, analyste principale, Programme des services policiers, Centre canadien de la statistique juridique, Statistique Canada : Il s'agit du nombre d'incidents portés à l'attention des policiers puis confirmés au moyen d'enquêtes policières comme étant des incidents criminels.

Le sénateur Lang : Ont-ils donné lieu à un procès?

Mme Dauvergne : Pas nécessairement. Il n'y a pas de lien avec nos données des tribunaux. Il s'agit simplement d'information provenant directement des services policiers, qu'il y ait eu procès ou non.

Le sénateur Lang : Je veux avoir des précisions. On dit ici que, au Yukon, il y a eu 205 incidents pour 100 000 habitants. Dois-je comprendre que 205 agressions sexuelles ont été signalées cette année-là?

Mme McAuley : Il s'agit du nombre pour 100 000 habitants. Le nombre réel d'agressions sexuelles au Yukon en 2009 était de 69. Parce qu'il s'agit d'un taux, c'est toujours utile pour nous, si la chose vous intéresse, de fournir les chiffres réels quant au nombre d'infractions également.

Le sénateur Lang : Il s'agit d'une précision importante. Puisque j'habite au Yukon, je savais que les taux d'agressions sexuelles étaient plus élevés qu'ils ne devraient l'être, mais à partir de ces données, je croyais qu'il y avait eu 205 agressions sexuelles, ce qui n'est évidemment pas le cas. Le document peut être trompeur, à moins d'analyser la façon dont les données sont présentées. Je craindrais que les médias publient un article indiquant qu'il s'agit du nombre d'agressions au cours d'une année donnée. Il faut dire que 69 agressions constituent un nombre trop élevé également.

J'ai une question de procédure. Le comité a été chargé d'examiner une loi qui est en vigueur depuis de nombreuses années, toutefois à ma connaissance, nous n'avons aucune information des provinces et autres administrations qui ont eu à appliquer cette loi quant à l'effet de la mise en vigueur de cette loi pour eux.

Je propose qu'à l'avenir, on corresponde avec ces administrations bien à l'avance pour les avertir que la loi fera l'objet d'un examen, comme le demande le Parlement, et que nous aimerions avoir leurs commentaires avant d'entreprendre l'examen de la loi.

La présidente : C'est ce que nous faisons pratiquement toujours. Aux premières séances du comité de direction sur la façon d'entreprendre une étude, qu'il s'agisse d'un examen législatif ou d'un projet de loi, nous décidons presqu'automatiquement de communiquer avec toutes les provinces et tous les territoires pour leur demander leurs commentaires sur leur expérience ou sur les effets escomptés du projet de loi, le cas échéant. Parfois on reçoit des commentaires, souvent on n'en reçoit pas.

Il y a exception lorsqu'un projet de loi dont nous sommes saisis n'a aucune conséquence pour les administrations provinciales ou autres. Compte tenu du mandat du comité, c'est plutôt rare. On peut presque toujours tenir pour acquis que nous avons déjà envoyé des invitations à tous les gouvernements provinciaux et territoriaux.

En effet, c'est ce qui a été fait dans ce cas. Évidemment, nous ne pouvons forcer personne à communiquer avec nous, et ce n'est pas ce que nous voudrions faire d'ailleurs.

Le sénateur Angus : Si j'ai bien lu la loi, l'examen devait avoir lieu il y a deux ou trois ans, et nous voilà en 2011. Vous devez en avoir parlé au comité de direction.

La présidente : Oui. La situation est probablement attribuable au fait que les comités de la Chambre des communes et du Sénat qui traitent de justice ont toujours un programme très chargé et qu'il y a une très longue liste de projets de loi qui exigent un examen prescrit par la loi, examen qui n'a toujours pas été effectué. Nous tentons de réduire cette liste. Si je me souviens bien, cet examen était celui qui avait été le plus retardé.

Le sénateur Angus : Je suis heureux d'avoir posé la question.

La présidente : Nous faisons notre possible.

Le sénateur Angus : Aussi, si j'ai bien lu, il aurait pu s'agir d'un comité de la Chambre des communes ou du Sénat. Y a-t-il des négociations visant à déterminer qui sera chargé de l'examen? Pourquoi avons-nous été saisis de celui-ci?

La présidente : Non. Nous avons vérifié, mais n'avons pas négocié. L'examen ne figurait pas au programme du Comité de la justice de la Chambre des communes, et nous estimions que, puisque nous avions dit que nous nous en occuperions, qu'il valait mieux s'en occuper.

Le sénateur Angus : Je vous remercie.

La présidente : Veuillez nous excuser de cette interruption interne.

Mme McAuley : Si les données étaient utiles au sénateur Lang, nous serions ravis de vous lire le nombre réel de violations dans chacune des administrations, ou de les fournir à la greffière plus tard. Nous pouvons aussi vous donner la raison pour laquelle nous indiquons un taux plutôt que le nombre réel. Si cela peut vous être utile.

La présidente : Si vous pouviez nous donner cette information, ce serait bien. Cette séance n'est pas télévisée, alors il n'y a pas des centaines de milliers de Canadiens tenus en haleine à l'idée qu'environ 200 infractions sont commises au Yukon, mais aux fins du procès-verbal, je crois que cette documentation est importante.

Cela vous irait, sénateur Lang?

Le sénateur Lang : Oui. Merci beaucoup.

Mme Dauvergne : Si vous le souhaitez, je peux vous donner un exemple qui pourrait vous aider à comprendre pourquoi nous calculons des taux plutôt que d'utiliser des chiffres. Serait-ce utile?

Le sénateur Lang : Oui.

Mme Dauvergne : Si nous étudions seulement les chiffres, nous pouvons observer, par exemple, qu'il y a plus de 7 000 agressions sexuelles déclarées par la police en 2009, et, comme l'a dit Mme McAuley, il y en avait 69 au Yukon.

Le calcul du taux nous permet de comparer les provinces et les territoires selon le même point de référence. Grâce au taux, nous observons que parmi les provinces et les territoires, l'Ontario présente un des plus faibles taux d'agressions sexuelles déclarées par la police, alors que le Yukon présente un des taux les plus élevés. Cela nous permet de voir le nombre d'incidents selon le même nombre de personnes à l'échelle nationale.

La présidente : De cette façon, un habitant du Yukon et un habitant de Toronto peuvent savoir le risque qu'ils courent d'être victimes d'une agression.

Mme Dauvergne : Exactement.

La présidente : Est-ce exact? Non?

Le sénateur Lang : Ça n'augure pas très bien, n'est-ce pas?

La présidente : Comme vous l'avez dit, même 69, c'est trop, mais une agression sexuelle c'est également trop.

Le sénateur Lang : Oui.

La présidente : Je pense qu'à l'Île-du-Prince-Édouard, le taux est de 1. C'est encore trop : 1 par 100 000 habitants.

Mme Dauvergne : Si nous ne le faisions pas de cette façon, puisque les populations sont si grandes en Ontario, au Québec et en Colombie-Britannique, les nombres seraient typiquement beaucoup plus élevés que dans le reste du pays. Nous calculons le taux afin d'être en mesure de comparer les provinces et les territoires.

Le sénateur Lang : J'aimerais en savoir plus sur ces statistiques.

Lorsque nous parlons de 69 incidents déclarés, serait-il possible qu'une seule personne ait déclaré trois ou quatre différentes agressions? S'agit-il de 69 contrevenants différents?

Mme Dauvergne : Dans cette situation, nous présentons le nombre d'incidents, pas le nombre de contrevenants. Oui, en théorie, il pourrait s'agir de la même personne.

La présidente : Avez-vous des données sur le nombre de contrevenants?

Mme Dauvergne : Nous avons des données sur le nombre de contrevenants, que nous pouvons fournir au comité.

La présidente : Vous pourriez peut-être nous les envoyer. Ce serait intéressant.

Le sénateur Lang : Je tiens à signaler...

La présidente : Oui, sénateur Lang. Il s'agit de votre dernière question.

Le sénateur Lang : Je pense que ces statistiques ont été recueillies en 2009. En avez-vous pour 2008 et 2007 également? Vous pourriez peut-être ventiler ces statistiques selon ce que nous avons demandé?

Mme McAuley : Certainement, nous pouvons revenir en arrière. Nous pouvons même revenir 10 ans en arrière.

Le sénateur Lang : Trois ans suffiront.

Mme Dauvergne : Nous fournirons ces statistiques à la greffière.

Mme Dauvergne : Nous pouvons vous fournir cette information, mais il faut garder à l'esprit qu'il s'agit seulement des incidents résolus par la police. Nous avons seulement l'information sur les personnes accusées et reconnues coupables.

Le sénateur Runciman : Dans votre déclaration préliminaire, vous avez dit que 88 p. 100 des agressions sexuelles ne sont pas déclarées à la police. Depuis combien de temps recueillez-vous ces statistiques? Ont-elles été recueillies avant l'adoption de la loi qui est examinée?

Mme McAuley : Nous menons l'Enquête sociale générale sur la victimisation tous les cinq ans depuis plusieurs cycles. Je ne sais pas depuis combien de cycles, mais je pense que nous avons des données qui datent de 1994, ce qui précèderait l'entrée en vigueur du projet de loi C-46. Nous pouvons revenir en arrière, si vous le souhaitez, et vous fournir cette information.

Le sénateur Runciman : Ce serait intéressant de les voir et de les comparer.

Dans une de vos diapos, vous parlez des raisons de ne pas signaler les agressions sexuelles. Qui a mené cette enquête?

Mme McAuley : C'était une enquête de Statistique Canada menée sur un échantillon aléatoire de Canadiens de 15 ans et plus.

Le sénateur Runciman : Comment cette enquête a-t-elle été menée? Ces questions sont-elles posées? Les personnes ont-elles été guidées, ou ces personnes vous ont-elles donné une raison de leur propre cru pour ne pas avoir signalé l'incident?

Mme McAuley : Non, c'était une entrevue menée par un enquêteur. Un employé de Statistique Canada pose les questions. Les questionnaires sont conçus en consultation avec un certain nombre d'intervenants et de groupes d'utilisateurs. Nous pouvons vous fournir le questionnaire si vous souhaitez le consulter. Dans ce cas la question posée serait : « Dans les 12 mois précédant l'enquête, avez-vous été victime d'agressions sexuelles? Une agression sexuelle comprendrait... » On fournit ensuite aux répondants une liste de ce qui serait compris dans la définition d'une agression sexuelle, c'est-à-dire une activité sexuelle forcée, une tentative d'activité sexuelle forcée, ou le fait de se faire toucher, prendre, embrasser ou caresser contre son gré.

Le sénateur Runciman : En regardant ça et en regardant l'autre diapositive où vous avez parlé de la durée médiane des peines pour agressions sexuelles graves, qui, selon le Code criminel, se définit par « blesse, mutile ou défigure le plaignant ou met sa vie en danger », j'ai été frappé par le fait que la peine moyenne est de moins de deux ans et demi. Il s'agit de la peine médiane moyenne. Dans le cas de l'agression sexuelle armée, elle est de moins de deux ans. C'est la durée médiane de la peine.

On aurait dû en tenir compte étant donné les peines infligées. Il me semble qu'une victime aimerait s'assurer que l'agresseur soit incarcéré et reçoive une peine proportionnelle au crime. Étant donné les données que vous avez recueillies, je pense qu'il aurait fallu s'en préoccuper.

La présidente : Nous sommes bien loin du projet de loi C-46.

Le sénateur Runciman : Je ne pense pas.

Le sénateur Lang : Pas vraiment.

Le sénateur Runciman : Nous parlons du témoignage que nous avons entendu aujourd'hui. Je ne vois pas de quelle façon je digresse de ce qui nous a été présenté. Je pense soulever les questions légitimes.

Le sénateur Lang : Je...

La présidente : Un instant, sénateur Lang. Permettez au sénateur Runciman de terminer sa question.

Le sénateur Runciman : Lorsque nous recevons des représentants de Statistique Canada, et nous en avons reçu à de nombreuses occasions, et qu'ils ne peuvent répondre aux questions liées aux politiques — et, ils ont été très clairs — lorsqu'il s'agit de statistiques liées à la criminalité, je pense que nous devrions pouvoir nous écarter du sujet un peu. Je vous demande cette marge de manœuvre. J'aimerais poser quelques questions qui n'ont pas un lien direct à ce sujet.

La présidente : Allez-y alors.

Le sénateur Runciman : Merci beaucoup.

Vous avez parlé de l'Enquête sociale générale sur la victimisation que vous menez tous les deux ou trois ans. Un de ces aspects intéressants, c'était les caractéristiques des victimes. Beaucoup d'informations sont recueillies à propos des caractéristiques des victimes, par exemple le revenu, l'âge, le statut en matière d'immigration, si elles sont oui ou non membres d'une minorité visible, entre autres.

Pourquoi ne recueillons-nous pas des informations semblables sur les personnes qui commettent les crimes? Ne serait-ce pas utile lors de la mesure du rendement systémique et lors de la suggestion de réformes? J'aimerais que vous en touchiez quelques mots parce que j'ai toujours trouvé curieux que nous recueillions ces détails sur les victimes mais pas sur les contrevenants.

La présidente : Quelles données recueillez-vous sur les gens qui commettent les crimes?

Mme McAuley : Nous recueillons des données sur l'âge et le sexe. Dans le passé, nous avons tenté de recueillir de l'information telle que le statut autochtone, mais sans succès. Nous le faisons en collaboration avec les forces policières à l'échelle du Canada, mais à l'heure actuelle nous n'avons comme information que l'âge et le sexe.

Le sénateur Runciman : Si vous le souhaitiez, vous seriez en mesure, je pense, d'obtenir des données sur les contrevenants telles que les crimes commis par les personnes libérées sous caution, en probation, qui purgent une peine avec sursis, en libération conditionnelle de tous types avec un casier judiciaire; les contrevenants chroniques; les contrevenants illégalement en liberté, précédemment exclus, sous ordonnance de déportation ou déportés pour conduite criminelle précédente, et cetera. S'agit-il de données que vous êtes en mesure de recueillir? Serait-ce utile?

Mme McAuley : Actuellement, nous n'avons pas les moyens de recueillir ces données. Certaines de celles-ci sont disponibles à l'heure actuelle par l'entremise des Services correctionnels du Canada et de la Commission des libérations conditionnelles du Canada pour les individus qui purgent actuellement une peine avec sursis et s'il est possible qu'ils récidivent durant cette période. À l'heure actuelle, Statistique Canada n'a pas les capacités lui permettant de recueillir cette information.

En ce qui concerne les données de la police, j'aimerais une précision. J'oublie de mentionner qu'en plus de l'âge et du sexe, nous savons également le lien avec la victime.

Le sénateur Runciman : Pourriez-vous envoyer une note au comité expliquant pourquoi vous n'avez pas la capacité de recueillir ce genre de données pour que nous puissions en avoir une explication officielle?

Mme McAuley : Certainement.

Le sénateur Lang : J'aimerais faire le suivi sur la question du sénateur Runciman, car il a soulevé un argument valide. La durée médiane d'incarcération est de deux ans et parfois de moins de deux ans. Pouvez-vous nous dire quelle a été la peine moyenne réelle infligée? Cela nous donnerait une idée de la peine réellement autorisée par les tribunaux et la durée de la peine purgée par le contrevenant.

M. Grimes : C'est semblable au projet de loi C-25, la différence entre ce qui aurait été imposé par rapport à ce qu'il reste à purger, en tenant compte de la durée de la détention avant la détermination de la peine?

Le sénateur Lang : Oui.

M. Grimes : Nous sommes en train de recueillir cette information auprès de nos répondants. Nous n'avons pas cette information à l'heure actuelle.

Le problème, c'est que nous devons recueillir cette information dans les systèmes desquels nous recueillons les données pour ensuite les intégrer dans nos rapports. En ce moment, nous ne recueillons pas cette information auprès de nos répondants. Nous avons de l'information sur la peine qu'il reste à purger. Elle ne tient pas compte de la durée de la détention avant la détermination de la peine et du crédit accordé lors du prononcé de la sentence.

Le sénateur Joyal : Ma première question porte sur le graphique à la page 6, qui donne les chiffres selon l'âge.

Ma question pourrait avoir un rapport avec votre exposé. Des 88 p. 100 des incidents d'agressions non déclarées, pouvons-nous supposer qu'ils seraient distribués dans les mêmes proportions de groupes d'âge que vous avez présentés comme ayant déclaré l'incident? Ce que vous nous avez présenté en termes d'âge sont les incidents déclarés. Toutefois, pour ceux qui n'ont pas déclaré l'incident, pouvons-nous supposer que la distribution des âges serait semblable?

Mme McAuley : Nous ne serions pas en mesure de faire cette interprétation. L'Enquête sociale générale sur la victimisation a posé des questions à des Canadiens de 15 ans ou plus, donc on ne peut pas attribuer ce qui se passe dans ces situations pour la fourchette d'âge de zéro à 14 ans.

De plus, les agressions sexuelles non déclarées, 80 p. 100, ou les agressions sexuelles déclarées à l'Enquête sociale générale sont des interprétations personnelles de la situation. Cela ne signifie pas que ces agressions correspondaient à la définition d'une réelle agression sexuelle dans le Code criminel. Nous faisons confiance à leurs réponses, mais celles-ci n'ont pas été corroborées par la police. Toutefois, ce que vous pouvez observer ici à la diapo 6 est le taux selon l'âge de la victime, de réponses corroborées par la police.

Le sénateur Joyal : Si nous tentons d'élaborer une approche afin de mieux informer les victimes pour qu'elles sachent qu'elles devraient rapporter le crime, comment devrions-nous cibler notre campagne d'information ou nos mesures visant à sensibiliser ces gens pour qu'ils témoignent? Autrement dit, comment devrions-nous cibler le groupe de personnes qui devraient être informées davantage ou rassurées afin qu'elles témoignent?

Comment pouvons-nous faire le lien avec ceux qui ne rapportent pas les crimes et comment nous pouvons les aborder pour les encourager à le faire. Comprenez-vous mes questions?

Mme McAuley : Oui; j'essaie de réfléchir.

Mme Dauvergne : Il s'agit d'une autre bonne question. Malheureusement, Statistique Canada ne peut pas faire de recommandations sur la façon dont les politiques devraient être mises en oeuvre. Mais nous pouvons vous dire que dans le cas des infractions sexuelles déclarées par la police, le taux atteint un pic chez les adolescents.

Le sénateur Joyal : Ma prochaine question porte sur le graphique à la page 13, qui indique les raisons de ne pas déclarer les incidents dans le cadre de votre enquête générale.

Lorsque je regarde les différentes raisons données, j'essaie de faire le lien avec les statistiques que vous nous avez présentées plus tôt, qui vous ont menés à conclure que la plupart des accusés proviennent du cercle familial ou de personnes qui exercent une certaine forme d'autorité par rapport à leurs victimes. La majorité des victimes sont jeunes. Ce sont des adolescents, comme vous l'avez dit. La majorité des raisons données indiquent qu'il s'agissait d'une question personnelle qui a été gérée d'une autre façon, ou que ce n'était pas assez important. Ils ont tendance à dire qu'ils sont avec des gens en qui ils ont une certaine confiance — c'est-à-dire des membres de la famille, des gens dans une position d'autorité dans le système scolaire ou dans les activités de loisirs telles que les équipes de hockey.

Pouvez-vous nous indiquer le lien entre les statistiques de ceux qui sont reconnus coupables d'agressions sexuelles ou d'infractions sexuelles et celles des victimes?

Mme McAuley : Nos données fournies par la police vous informeraient à ce sujet. Toutefois, il s'agirait de données administratives. Ces données sont recueillies dans le cadre de l'enquête chez les jeunes de 15 ans et plus. Vous n'auriez pas d'information pour les enfants de moins de 15 ans jusqu'à la naissance.

Nous aurions de l'information — et corrigez-moi si je me trompe — sur ce lien grâce à l'Enquête sociale générale sur la victimisation. Nous savons si les personnes ont été victimisées par un étranger ou par une connaissance. Je ne pense pas, par contre, que nous avons des données assez précises nous permettant de dire s'il s'agissait d'un entraîneur ou d'un enseignant.

Le sénateur Joyal : Ou d'un oncle, d'un cousin ou quelqu'un de ce genre?

Mme McAuley : Nous n'aurions pas cette information. Le nombre de cas est également petit, donc nous ne serions peut-être pas en mesure de publier ces données si nous les avions. Je peux vous revenir là-dessus.

Pour les cas rapportés par la police, nous pouvons regarder la diapo 7 qui va de la naissance à 14 ans; nous l'avons présentée à un autre comité sénatorial pour le projet de loi C-268. Le graphique montre le lien entre les jeunes hommes et femmes qui sont victimes d'une agression sexuelle et leur lien avec le contrevenant. Nous pouvons vous fournir ces données si vous le souhaitez.

M. Grimes : Il n'y pas d'information provenant des données des tribunaux sur le lien entre la victime et l'accusé. En ce qui concerne les cas de personnes reconnues coupables, ce n'est possible sans établir un lien avec les dossiers de la police, par exemple.

Le sénateur Joyal : Si je reviens à ma première question, si nous élaborons une politique ou une recommandation afin de mieux informer le groupe cible, les victimes potentielles, nous devons alors les informer ou donner des informations plus pertinentes, par exemple de qui elles devraient se méfier et quel degré de confiance elles devraient avoir ou ne pas avoir en certaines personnes qui pourraient être des prédateurs pour ces adolescents et les plus jeunes. Vous aviez dit que ce sont les plus jeunes qui présentent des statistiques de victimisation à la hausse. C'est ce que j'essaie de comprendre grâce aux données que vous nous présentez : Dans le cadre de notre conception d'une approche efficace pour ce qui est de sa cible et du groupe qui devraient recevoir cette information, où se situent les plus grands risques?

Mme McAuley : Encore une fois, malheureusement, nous ne pouvons formuler d'observation sur l'efficacité du projet de loi présenté. Il nous fera plaisir de vous fournir des informations, que ce soit à partir des données administratives, de l'information sur les cas déclarés par la police ou l'information de l'Enquête sociale générale. Si vous le souhaitez, nous pouvons vous aider à interpréter ces données.

Le sénateur Joyal : Vous pourriez peut-être nous donner vos statistiques sur le nombre que vous avez mentionné. Quelles sont vos données en lien avec les gens qui étaient des connaissances des victimes?

Mme McAuley : Oui.

Le sénateur Joyal : Cela nous permettrait au moins de circonscrire les risques. C'est-à-dire, y a-t-il un plus grand risque dans le cas d'une connaissance que dans le cas d'un prédateur?

Mme McAuley : Nous pouvons certainement fournir ces données à la greffière.

Le sénateur Joyal : Ma dernière question porte sur la page 11 de votre exposé. Vous avez discuté de la durée médiane de détention pour agression sexuelle, et vous avez mentionné un lien avec les statistiques sur les homicides et les tentatives de meurtre. Pouvez-vous répéter ce que vous avez dit à ce sujet?

Mme McAuley : Certainement, et je peux vous donner les chiffres exacts.

En 2008-2009, dans les cas où les accusés ont été détenus, la plus longue durée médiane de détention était pour les agressions sexuelles graves, suivies des agressions sexuelles armées. Ces durées médianes de détention parmi les plus longues qui ont été infligées à la cour criminelle adulte, précédées seulement par les homicides, ou la durée médiane de détention est de 1 825 jours, ou cinq ans; et les tentatives de meurtre, ou la durée médiane est de 1 715 jours ou 4,7 ans.

La présidente : Est-ce 1 715?

Mme McAuley : Oui, ou 4,7 ans.

Le sénateur Joyal : Autrement dit, sur l'échelle de toutes les accusations criminelles et des accusations criminelles les plus graves, ces données, surtout les chiffres pour les agressions sexuelles graves ou les agressions sexuelles armées, sont moins élevées que pour les homicides ou les tentatives de meurtre?

Mme McAuley : Elles seraient au troisième et au quatrième rangs pour ce qui est de la durée médiane de détention infligée.

Le sénateur Joyal : Merci.

[Français]

Le sénateur Chaput : Comme membre du comité, j'essaye de me situer en fonction du projet de loi que nous sommes à étudier. J'essaye de comprendre ou de voir si ce projet de loi a eu des impacts, s'il a fait une différence en fonction de l'objectif ou du but pour lequel il a été développé. Je comprends qu'il y a plusieurs questions auxquelles vous ne pouvez répondre. D'après votre interprétation des statistiques, est-ce qu'il est possible de nous dire si ce projet de loi a eu un impact sur les victimes d'agression sexuelle? Est-ce que vous êtes en mesure de nous dire aussi si cela a fait une différence sur le nombre de cas reportés ou de demandes de communication de dossier? Êtes-vous en mesure de nous donner des informations?

[Traduction]

Mme McAuley : Je vous renvoie à la deuxième diapositive dans laquelle sont représentés les taux par 100 000 habitants des infractions relatives aux agressions sexuelles, des infractions relatives à la prostitution et d'autres infractions sexuelles déclarées par la police.

Statistique Canada n'est pas en mesure de dire que le fléchissement général est le résultat des pressions qui se sont exercées. Je vous fais remarquer, toutefois, la façon dont la tendance se manifeste. Il y a une tendance générale à la baisse des infractions sexuelles au Canada. Comme je l'ai indiqué dans mes commentaires, la tendance à la baisse concerne principalement les agressions sexuelles dont la majorité entre dans la catégorie des agressions sexuelles de niveau 1. Les infractions liées à la prostitution sont également à la baisse; les autres infractions sexuelles augmentent et ce sont les enfants qui en sont surtout les victimes.

Le sénateur Chaput : Très bien; merci.

La présidente : J'aimerais vous poser des questions sur les données autodéclarées.

Mme McAuley : Elles se trouvent dans les deux dernières diapositives, 12 et 13.

La présidente : Oui, à la page 12. Environ 64 p. 100 des victimes ont dit n'avoir pas signalé l'agression car elle n'était pas assez grave. Dans ce cas, il me semble que l'on parle du niveau 1, soit une agression sexuelle de faible gravité. Je ne laisse pas entendre que certaines agressions ne sont pas graves, mais certaines sont clairement plus horribles pour une victime que d'autres. Je pense comprendre que si un grand nombre de ces agressions sexuelles non déclarées s'inscrivent dans la catégorie où les victimes diraient qu'elle était désagréable; qu'elles ne voulaient plus le revivre, mais ne diraient pas qu'il s'agit d'une agression grave.

Mme McAuley : Comme je l'ai dit lorsque j'ai discuté de la diapo 12, les incidents de contacts sexuels, de se faire prendre, embrasser ou caresser contre son gré comptaient pour 81 p. 100 des cas. Ces agressions font partie du niveau d'agression sexuelle 1. Toutefois, nous ne posons pas des questions précises sur les différentes sortes d'agressions sexuelles.

La présidente : C'est ce que je voulais savoir.

Mme McAuley : Le point de vue est général.

La présidente : Vous séparez les niveaux 1, 2 et 3, mais 81 p. 100 font partie du niveau 1?

Mme McAuley : Oui. Nous pouvons faire le lien avec la ventilation des catégories d'agressions sexuelles. Toutefois, comme je l'ai dit plus tôt au sénateur Runciman, la question portait précisément sur des activités sexuelles forcées, des tentatives d'activités sexuelles forcées, des contacts sexuels, des attouchements, des baisers ou des caresses non voulues.

Le sénateur Joyal : Ce serait au graphique 13, la première catégorie, « l'incident n'était pas assez grave, 64 p. 100 ».

La présidente : Oui. « L'incident a été réglé d'une autre façon ». On présumerait que ces 81 p. 100...

Le sénateur Joyal : Je veux comprendre ce que ces données pourraient signifier et pourquoi elles sont si élevées en terme des raisons données de ne pas avoir signalé les agressions sexuelles.

La présidente : J'hésitais à soulever cette question parce que cela fait peut-être partie d'un tout nouveau chapitre. Toutefois, à la page 13, votre note en bas de page dit « exclu les incidents d'agression sexuelle entre conjoints ». On retrouve cette note également à la page 12. Pouvez-vous m'expliquer pourquoi ils seraient exclus?

Mme Dauvergne : La raison est méthodologique. Dans les questions posées aux répondants dans le cadre de l'enquête, certaines demandaient également le lien entre la victime et la personne ayant commis l'infraction.

Lorsque c'était un conjoint qui aurait commis l'infraction, l'enquête place ce cas dans un module distinct qui ne peut être combiné avec le module global, si vous me suivez. Il s'agit de deux bases de données distinctes qui ne peuvent être combinées.

La présidente : Vous avez donc des données quelque part sur des agressions sexuelles entre conjoints?

Mme Dauvergne : Nous avons des données sur les agressions sexuelles entre conjoints qui pourraient être fournies au comité, mais ne peuvent pas être combinées avec les données globales.

La présidente : Sénateur Lang, je vais vous donner un peu de temps pour ce que je suppose est votre deuxième intervention.

Le sénateur Lang : Non, je voulais faire le suivi sur la question que vous alliez poser : pourquoi les données des Territoires du Nord-Ouest, du Yukon et du Nunavut ont-elles été exclues?

Mme Dauvergne : Encore une fois, la raison est méthodologique. Les données pour les Territoires du Nord-Ouest ont été recueillies dans le cadre d'une autre enquête; étant donné qu'il est parfois difficile de joindre les répondants aux enquêtes dans les territoires, nous nous sommes rendus en personne dans ces régions. Il y avait des raisons méthodologiques qui faisaient en sorte que nous ne pouvions pas combiner cette information avec les données provenant des provinces.

La présidente : Mais vous les avez?

Mme Dauvergne : Nous avons effectivement ces renseignements, et nous sommes en train de les analyser. Ils n'ont pas encore été publiés, mais ils le seront au cours des prochains mois.

Le sénateur Lang : J'aimerais en avoir un exemplaire.

La présidente : Il nous faudra un certain temps pour faire cette étude, de sorte que nous n'aurons sans doute pas terminé lorsque ce sera fait.

Le sénateur Baker : Au fait, pouvez-vous nous dire combien de ces peines ont été purgées dans la collectivité, ce qu'on appelle communément la détention à domicile?

M. Grimes : Pour les agressions sexuelles, pour toutes ces infractions?

Le sénateur Baker : Oui.

M. Grimes : Oui, il y a des données qui sont présentées à la diapo 10. En plus des pourcentages que l'on voit ici, je peux vous donner de l'information au sujet du nombre de ces peines. Techniquement, une peine d'emprisonnement avec sursis est un placement sous garde et c'est une peine qui est purgée dans la collectivité.

Le sénateur Baker : L'expression « dans la collectivité » est celle que l'on utilise dans les documents des tribunaux; nous parlons plutôt de détention à domicile.

La présidente : Oui, une peine provisoire.

Le sénateur Baker : Je ne parle certainement pas ici de probation; c'est pour purger la peine. Je vois que vous avez fait allusion à cela.

Mme McAuley : Nous pouvons vous fournir plus de détails que ce qui est présenté à la diapo 10. Nous pouvons diviser les infractions d'agression sexuelle selon les trois niveaux d'agression sexuelle, selon le type de peine qui est imposée, si cela vous intéresse également.

La présidente : Le sénateur Runciman a une question supplémentaire à poser à la suite de la question supplémentaire du sénateur Baker à celle du sénateur Lang. Cela fait donc partie de la catégorie des questions supplémentaires.

Le sénateur Runciman : Je regardais les statistiques des tribunaux de juridiction criminelle pour adultes, l'article de Jennifer Thomas publié dans le Juristat. On fait allusion ici à des facteurs d'identification qui causent des retards dans le processus judiciaire. Vous ne recueillez pas ce genre de renseignements, mais vous dites que d'autres pays le font.

En ce qui concerne le délai déraisonnable dans le processus judiciaire, a-t-on l'intention d'examiner ce qui se passe au Canada à cet égard? Les délais dans le système constituent réellement un problème dans bien des pays. Je suis certain qu'il y a des facteurs uniques au Canada, notamment la réduction de peine avant procès; le nombre d'ajournements, pour toutes sortes de raisons; et ce genre de questions. Je pense qu'il serait intéressant pour notre comité et pour les législateurs en général d'avoir ce genre de renseignements.

M. Grimes : Il y a beaucoup d'information concernant le temps passé devant les tribunaux. La difficulté consiste à faire la différence entre ce qui est un délai raisonnable et ce qui ne l'est pas. Il est très difficile d'obtenir ce genre d'information à partir des dossiers administratifs. Avec les statistiques que nous recueillons, il est difficile de déterminer si ce sont les actions de l'accusé ou des problèmes systémiques qui sont la cause du délai.

Le sénateur Runciman : Vous pouvez recueillir les données sans poser de jugement.

M. Grimes : C'est exact. Nous pouvons inclure de nombreux facteurs — s'il y a eu un mandat d'arrêt décerné sur le siège, le nombre d'accusations, le nombre d'ajournements, le nombre de comparutions. Absolument, c'est exact.

La présidente : Merci beaucoup à vous tous. Cela a été très instructif et utile. Comme d'habitude, nous vous avons donné d'autres devoirs à faire, mais cela est très utile pour notre travail.

Chers collègues, nous allons maintenant demander aux témoins suivants de venir s'installer. Nous poursuivons notre étude sur les dispositions et l'application de la Loi modifiant le Code criminel (communication de dossiers dans les cas d'infractions d'ordre sexuel) adoptées en 1997, ce qui était à l'époque le projet de loi C-4.

Nous sommes donc ravis d'accueillir Mme Karen Busby, professeur à la faculté de droit à l'Université du Manitoba, directrice académique du Centre for Human Rights Research Initiative de l'université, et spécialiste dans un domaine qui nous intéresse. Je crois que Mme Busby va faire une déclaration préliminaire.

Karen Busby, professeure, à titre personnel : C'est pour moi un plaisir d'être ici, et je tiens à remercier le comité de m'avoir invitée aujourd'hui.

J'aimerais tout d'abord dire que vous avez des notes devant vous, mais que je ne les lirai pas entièrement; je choisirai certains passages, et cela devrait vous aider à voir où je veux en venir. Par la suite, il me fera plaisir de répondre aux questions.

Pendant les années 1990, j'étais membre du comité juridique du Fonds d'action et d'éducation juridique pour les femmes, le FAEJ. À ce titre, j'ai travaillé sur de nombreuses interventions de la Cour suprême du Canada dans des causes de violence sexuelle. J'ai par ailleurs participé très activement au processus qui a mené à l'adoption du projet de loi C-46, et je parlerai du projet de loi C-46 car cela porterait trop à confusion de donner tous les numéros d'articles.

Je ne suis pas ici en tant que représentante du FAEJ. J'ai eu des entretiens avec le FAEJ au sujet de cet exposé, mais je ne représente pas sa position. Cela dit, ce que je dis est conforme à ce que le FAEJ vous dira — on leur a demandé de venir témoigner dans le cadre de ces audiences — dans quelques semaines ou quelques mois.

Mon exposé portera sur trois éléments. Comme je suis l'un des premiers témoins à comparaître devant votre comité, je voudrais prendre le temps de parler des raisons pour lesquelles le projet de loi C-46 a été adopté en 1997. Je parlerai ensuite de la façon dont les dispositions du projet de loi fonctionnent. Finalement, je ferai quelques suggestions pour faire en sorte que l'esprit et l'intention du projet de loi C-46 puissent être réalisés plus pleinement.

Je regrette de ne pas avoir un mémoire plus officiel à présenter à votre comité. J'aurais bien aimé en avoir un, mais j'ai reçu l'invitation il y a moins de deux semaines et comme nous sommes en plein semestre universitaire, je suis très occupée à enseigner.

J'ai assisté aux audiences hier car je voulais avoir une idée de ce qui préoccupait les membres du comité. J'ai apporté des documents aujourd'hui pour répondre à certaines des questions que vous posiez hier. Je pense qu'on est en train de les distribuer. Plus particulièrement, je parlerai de la recherche qui a été faite l'an dernier par une de mes étudiantes, Jennifer Guiboche. Elle s'est penchée particulièrement sur la représentation indépendante dans des causes de violence sexuelle et elle a fait un sondage à l'échelle de tout le pays. C'était un projet de recherche assez complexe pour une étudiante en droit de troisième année. Je vous ai distribué ce document. Il n'a cependant pas été examiné par les pairs. Je l'encourage à poursuivre son travail à cet égard, mais il n'y a pas encore eu d'examen par les pairs.

Permettez-moi de commencer par vous raconter une histoire. En 1993, je travaillais avec un groupe d'experts en matière d'agressions sexuelles dans une cause qui était devant la Cour suprême du Canada. Quelqu'un lors de la réunion nous a demandé si nous avions entendu parler de l'affaire Osolin, et personne d'entre nous n'en avait entendu parler. C'était une affaire terrible. Les faits étaient horribles et la victime d'agression sexuelle était une jeune fille de 17 ans.

Cependant, ce n'est pas ni la brutalité de l'agression ni même le ridicule de la défense qui nous a choqués. C'est plutôt le fait que l'accusé avait le dossier psychiatrique de la victime et voulait la contre-interroger à ce sujet. Nous avons tous été choqués. C'était en 1993. Nous n'avions jamais entendu dire qu'un accusé puisse avoir eu accès au dossier psychiatrique d'une plaignante. Nous avions tous au moins une dizaine d'années d'expérience de travail avec les lois liées à la violence sexuelle ou dans la prestation de services de première ligne.

Comment ces dossiers pouvaient-ils avoir quelque pertinence que ce soit? Comment avait-il pu les obtenir? L'affaire avait déjà été débattue devant la Cour suprême du Canada sur un certain nombre de questions, notamment l'utilisation de ces dossiers par le défendeur.

Nous avons appris que le défendeur avait obtenu les dossiers tout simplement en affirmant lors de l'enquête préliminaire que la plaignante n'était peut-être pas un témoin compétent parce qu'elle recevait des soins psychiatriques. Une fois qu'il a eu les dossiers en main, il est devenu évident qu'il n'y avait aucun problème de mémoire ou de compétences lié à ses problèmes psychiatriques, mais dorénavant le défendeur savait qu'elle avait eu une relation difficile avec ses parents. Or, il croyait qu'elle avait peut-être un motif : avait-elle prétendu qu'elle avait été agressée pour expliquer les raisons pour lesquelles elle n'était pas rentrée de la nuit?

Nous avons immédiatement commencé à poser des questions aux travailleurs de première ligne partout au pays : les dossiers personnels des plaignantes se retrouvaient-ils entre les mains des défendeurs? Ils ont répondu que c'était le cas, mais qu'il s'agissait d'une toute nouvelle pratique. Ils avaient commencé à voir cette nouvelle tactique pour la première fois en 1988.

Les avocats de la défense essayaient d'obtenir toutes sortes de dossiers, pas seulement les dossiers psychiatriques et de counselling. Ils essayaient d'obtenir les dossiers de la protection de l'enfance; les dossiers scolaires, notamment les dossiers des pensionnats indiens; les dossiers d'hôpitaux; les dossiers relatifs aux avortements; les dossiers d'emploi; les journaux personnels et tout sur quoi ils pouvaient mettre la main. Comme je l'ai dit, je tiens à souligner que c'était là une toute nouvelle pratique.

Quelques mois plus tard, la Cour suprême du Canada a publié l'arrêt Osolin, et a dit qu'une fois que le défendeur avait les dossiers, il était libre de les utiliser comme il le voulait. Cela a eu pour conséquence de déclencher toute une série de demandes de la part des avocats de la défense pour obtenir tous les dossiers possibles dans tous les cas de violence sexuelle. En fait, certains avocats sont rapidement devenus d'avis que la bonne pratique exigeait qu'ils essaient d'obtenir tous les dossiers possibles concernant une plaignante dans les cas de violence sexuelle.

Plus souvent qu'autrement, les juges leur remettaient tout simplement les dossiers parce qu'ils l'avaient demandés. Il n'y avait pas de loi ni de procédure en place. Tout cela était tout nouveau, de sorte que les demandes étaient présentées lors des enquêtes préliminaires et on a commencé à donner des dossiers.

Nous avons par ailleurs appris que dans bien des cas l'avocat de la défense écrivait directement aux archivistes en leur disant qu'ils devaient leur remettre les dossiers. Les archivistes, allant souvent à l'encontre de leurs obligations professionnelles, éthiques ou législatives voulaient éviter de comparaître devant les tribunaux de sorte qu'ils ont tout simplement commencé à envoyer par la poste les dossiers aux avocats de la défense. Cette tactique a eu un succès surprenant.

Après l'arrêt dans l'affaire Osolin, la Cour suprême du Canada a autorisé un appel dans une affaire intitulée O'Connor. Il s'agit d'une affaire assez connue car elle mettait en cause un homme qui est maintenant un évêque catholique accusé d'avoir agressé sexuellement quatre jeunes femmes qui étaient élèves puis employées d'un pensionnat dont il était le directeur dans les années 1960 et 1970. Il disait que rien de tout cela ne s'était produit.

Il a demandé l'accès à tous leurs dossiers au pensionnat et à tous leurs dossiers médicaux et de counselling pour les 30 dernières années. Il voulait les 20 ans pendant lesquels elles étaient au pensionnat et 30 ans de counselling et de dossiers médicaux. Il voulait que tout ce qui avait été inscrit dans des dossiers au sujet de ces femmes lui soit communiqué. Les tribunaux inférieurs ont accepté que tous ces dossiers lui soient remis.

Le FAEJ a travaillé avec des intervenants de première ligne et d'autres experts et j'ai participé à ce processus pour déterminer quelle serait notre position dans l'affaire O'Connor. Notre position était que les dossiers personnels ne devraient jamais être divulgués car l'utilisation de tels dossiers rétablissait le sexisme, distorsionnait l'instruction et violait l'intégrité personnelle d'une plaignante.

Il est important de souligner que des neuf juges qui étaient saisis de l'affaire O'Connor, quatre étaient d'avis que les dossiers devraient être communiqués uniquement dans les cas les plus rares. Ils étaient d'accord avec nous pour dire que ces dossiers étaient rarement pertinents. Cependant, tout juste à la majorité, cinq des neuf juges de la Cour suprême ont conclu que la pratique qui consiste à évaluer les dossiers personnels comme documents qui pourraient discréditer ou gêner les plaignantes, une pratique qui n'existait à l'époque que depuis peut-être cinq ans, constituait dorénavant un droit protégé pour ceux qui étaient accusés d'agressions sexuelles.

Les conséquences des jugements rendus dans les causes O'Connor et Osolin et d'autres encore ont été désastreuses pour les femmes et les enfants. Elles ont non seulement rétabli des croyances traditionnelles mais extrêmement discriminatoires au sujet des victimes d'agression sexuelle et rétabli l'idée selon laquelle les plaignants doivent être soit sujets au délire, soit vindicatifs, mais elles ont eu pour effet aussi de séparer les femmes de leurs réseaux de soutien, lesquels avaient été mis sur pied pour aider les survivants à comprendre et à contester l'oppression de la violence sexuelle.

Avant que la cause O'Connor ne soit entendue par les tribunaux, des groupes favorables à l'égalité se sont immédiatement adressés au ministère fédéral de la justice pour l'avertir qu'une crise était en train de se préparer dans notre pays. La situation est chaotique. Toutes les réformes mises en oeuvre au cours des deux dernières décennies seraient abolies si l'on permettait que de telles façons de faire continuent. Vous n'ignorez pas toutefois qu'on a fini par présenter le projet de loi C-46.

Le projet de loi avait été conçu afin de réduire de bien des manières l'accès par la défense aux dossiers du plaignant, je me contenterai toutefois de ne mentionner que deux de ces mécanismes. En premier lieu, il est dit que certaines affirmations relatives à la pertinence ne suffisent pas pour établir que les dossiers sont en soi pertinents; une fois qu'on a affirmé avoir besoin du dossier, il faut en plus invoquer d'autres raisons, par exemple, qu'il risque de contenir une affirmation précédente contradictoire.

En second lieu, le projet de loi exigeait que les juges étudient sérieusement les droits à l'égalité des plaignants à la lumière de la Constitution. Or, ces droits à l'égalité ne sont même pas mentionnés dans les causes Osolin ou O'Connor. Il est renversant qu'on ait fait carrément fi des droits à l'égalité. On a bien mentionné quelque peu la vie privée mais on a totalement passé sous silence les droits à l'égalité.

Au sujet des droits à l'égalité, j'espère que les juges vont réfléchir au fait que ces manières d'utiliser les dossiers réintroduisent des justifications discréditées permettant d'attaquer la crédibilité d'un témoin et aux conséquences dissuasives que l'accès aux dossiers risque d'avoir sur la victime, qui hésitera peut-être à faire un rapport ou à demander de l'aide lorsqu'il s'agira de produire et de communiquer des décisions.

Le projet de loi C-46 ne reflétait pas la position adoptée par les groupes de femmes dans la cause O'Connor. Souvenez-vous que nous avions affirmé qu'on ne devrait jamais se servir des dossiers. Nous étions malgré cela disposés à appuyer le compromis faisant partie du projet de loi C-46 en tant que protection minimale à accorder aux plaignants.

J'aimerais maintenant parler de la manière dont les dispositions fonctionnent. Elles sont en vigueur depuis 14 ans. Je concentrerai mes propos sur deux points au sujet desquels des recherches ont été effectuées : je parlerai d'abord de l'analyse du droit jurisprudentiel qui porte sur certaines des questions posées ce matin et hier par les sénateurs; je passerai ensuite en revue certaines des recherches ayant porté sur la représentation des plaignants par des procureurs indépendants dans ce genre de cause.

Je vais commencer par ma conclusion car elle répond aux questions soulevées hier par les sénateurs Wallace et Runciman et par le sénateur Chaput aujourd'hui à savoir s'il est préférable pour nous que le projet de loi ait été adopté. À cela, nous répondrons oui sans la moindre hésitation; il est bon que le projet de loi ait été adopté.

Le spectre de la production obligatoire de documents personnels a toutefois créé une situation chaotique qui menaçait de défaire toutes les réformes adoptées par le Parlement en ce qui a trait aux droits relatifs à la violence sexuelle pendant les années 1980 et 1990. Le projet de loi C-46 a fait prévaloir la raison et la largeur de vue pour traiter ces problèmes.

Ce serait négligent de ma part de ne pas mentionner les services extraordinaires rendus par Catherine Kane lors des étapes menant au projet de loi C-46. Vous avez entendu son témoignage hier.

Cela dit, le projet de loi est-il irréprochable tel que libellé et tel qu'il a été mis en oeuvre? Je répondrai non, mais, à mon avis, les problèmes survenus ne peuvent être corrigés par simple bricolage législatif, bien que je m'apprête à vous faire des propositions à cet égard.

L'autre question posée par le comité a été à savoir si, en fin de compte, ces nouvelles dispositions ont réussi à persuader les femmes à signaler davantage ces incidents, la réponse est non. Nous avons observé que moins de femmes sont disposées à se présenter devant les autorités au sujet de ces problèmes, et je vais d'ailleurs parler de certaines des raisons de cela un peu plus loin.

Selon ces recherches — à portée limitée puisqu'elles ne portent que sur les causes ayant fait l'objet de rapports — le défendeur peut encore obtenir des documents dans à peu près 30 p. 100 des causes; cela signifie que dans 30 p. 100 des cas, on répond favorablement à sa demande de documents.

Dans le cadre d'une étude effectuée par le ministère de la Justice en 2003, Mme Tina Hattem s'est entretenue avec une centaine de victimes d'agressions sexuelles, y compris certaines ayant déposé des plaintes à la police et d'autres ne l'ayant pas fait; or ces femmes ont affirmé ne pas être disposées à être de nouveau victimisées en étant scrutées à la loupe lors d'un procès, où on exposerait leur vie personnelle devant leur agresseur et d'autres personnes, ou en étant personnellement attaquées au moyen de leurs renseignements personnels. Elles n'étaient tout simplement pas disposées à subir cela.

Permettez-moi maintenant de parler de certaines des constatations tirées de l'analyse de la jurisprudence. Par rapport aux études effectuées, nous nous sommes efforcés d'analyser chacune des causes qui avaient fait l'objet d'un rapport. Cela ne couvre donc pas toutes les causes où l'on a demandé d'avoir accès aux documents personnels, mais plutôt chaque cause où le juge a expliqué les raisons de sa décision et choisi de les faire publier. Je dois ici préciser que nos recherches ont été limitées d'une manière importante par le fait qu'aucun juge du Québec n'a jamais fait publier son jugement dans les cas où l'accusé avait demandé l'accès aux documents personnels, nous ne disposons donc d'aucun renseignement sur ce qui se passe dans les cours québécoises dans ce genre de cause car aucune d'entre elles n'a fait l'objet d'un rapport.

Que nous révèle la jurisprudence? Eh bien, c'est intéressant, par rapport aussi à la question posée par le sénateur Joyal aujourd'hui. Dans aucune des causes où l'on a demandé accès aux documents personnels, il s'agissait d'étrangers. Dans aucune d'entre elles. Dans chaque cause où l'on a demandé d'avoir en main des documents personnels, il s'agissait de défendeurs ayant des liens personnels, familiaux ou professionnels avec le plaignant ou la plaignante. Autrement dit, dans les causes où l'on a demandé l'accès aux documents personnels, les défendeurs connaissaient les plaignants et étaient au courant de leurs points faibles. Les défendeurs ont de bonnes raisons de faire ce genre de demandes.

J'aimerais aussi préciser que dans le cas où un défendeur détiendrait des documents, par exemple, s'il a trouvé un journal intime ou si certains des documents se trouvent dans ses dossiers, il est tout à fait libre de s'en servir comme éléments de preuve sans être obligé d'en faire préalablement la demande officielle. Si le responsable de la gestion des documents lui envoie ce genre de choses, le défendeur peut en faire usage. Ainsi par exemple, si un père accusé d'agressions sexuelles sur son enfant demande au service d'aide à l'enfance d'avoir accès aux documents de la victime, l'organisme va parfois acquiescer à la demande du fait qu'un parent a le droit de les voir.

Ce sont le plus souvent des documents portant sur des consultations thérapeutiques, psychologiques ou autres qui font l'objet d'une demande ainsi que ceux qui proviennent des services d'aide à l'enfance, des hôpitaux et des médecins, et il s'agit là de dossiers n'ayant rien à voir avec l'agression. Il ne s'agit pas de dossiers ouverts dans le cas où la victime serait allée à l'hôpital après avoir subi les sévices sexuels. Les journaux intimes font eux aussi souvent l'objet de demandes. La plupart des défendeurs cherchent à mettre la main sur plus d'une sorte de documents.

La jurisprudence détient très peu de renseignements sur la situation sociale, raciale ou économique. Les juges ne se s'y réfèrent pas souvent, mais on s'attendrait quand même de leur part qu'ils fassent des remarques sur les faits établissant la maladie mentale qui affecterait la compétence et la fiabilité des témoignages. Un processus différent peut être utilisé à cet effet. Si un témoin souffre d'une maladie mentale grave affectant sa compétence ou sa fiabilité, les dispositions en sont modifiées, mais nous n'avons observé aucun cas où il en a été question.

Je tiens à préciser qu'encore souvent, les défendeurs affirment avoir besoin d'avoir accès aux documents afin d'établir des cas de faux souvenirs, et j'ajoute même que je n'ai pris connaissance d'aucune cause où les documents obtenus ont établi ou même aidé à établir qu'une plainte avait été déposée en raison de souvenirs retrouvés de la part du plaignant ou de la plaignante. Cela n'a rien d'étonnant car la police n'intente pas des poursuites dans les causes de souvenirs retrouvés. Trop de problèmes sont associés avec ce genre de causes et elles ne font donc pas l'objet d'action en justice. Or, en dépit de cela, la défense va affirmer qu'elle va peut-être trouver une preuve quelconque de la mémoire retrouvée dans le dossier ou la preuve d'une manipulation thérapeutique de la pensée dans le même dossier, mais elle n'en trouve pas. Je le répète, dans aucune des causes ayant fait l'objet d'un rapport, et où le défendeur a eu accès aux documents de la plaignante, on a retrouvé des souvenirs retrouvés, ou même que les documents avaient aidé à établir que tout cela était le fruit de la mémoire retrouvée.

Les documents sont-ils souvent divulgués aux juges? J'ai déjà précisé qu'ils sont communiqués dans à peu près 30 p. 100 des cas ayant fait l'objet de rapports. Compte tenu de cela, ceux et celles qui conseillent les plaignants et plaignantes ne sont pas en mesure de les rassurer en leur disant qu'il est peu probable que les documents soient remis aux défendeurs, c'est-à-dire à leur pères, frères, prêtres, voisins et médecins. Nul besoin d'être un grand savant pour comprendre qu'un tel pourcentage dissuadera les victimes de déclarer l'agression sexuelle.

Par rapport à tout cela, il est utile de jeter un coup d'oeil sur ce qui s'est passé ces 15 dernières années, c'est-à-dire depuis le jugement dans la cause O'Connor. J'anime un séminaire de recherche sur le genre et la loi, et après examen de la cause O'Connor et d'autres semblables, je demande à mes étudiants en droit, dont la plupart sont des femmes intelligentes et s'exprimant avec aisance, si elles porteraient plainte à la police ou encourageraient d'autres personnes à le faire, et elles répondent toujours fermement non et presque toujours à l'unanimité. Elles ne déclareraient donc pas une agression sexuelle à la police et n'encourageraient donc pas non plus quelqu'un d'autre à le faire. Ces femmes savent quelle utilisation peut être faite des documents personnels et qu'il est fort possible que ces document se retrouvent entre les mains d'un défendeur et elles décident donc de ne pas aller à la police. Si ces femmes intelligentes et qui s'expriment bien doutent qu'on les croit ou veulent éviter l'humiliation au tribunal, quelle chance aura une petite fille ou une femme moins avantagée sur le plan social qu'une étudiante en droit? Elles non plus ne porteront pas plainte.

J'arrive au bout de mon temps de parole, je ne vais donc pas parler des raisons justifiant la communication et la divulgation de ces documents personnels. Le comité a déjà entendu des témoignages à ce sujet.

Je tiens toutefois à souligner le fait que notre analyse de la jurisprudence montre constamment que les juges se sont penchés sur les conséquences de la communication des dossiers personnels sur la vie privée mais omettent presque toujours ce qui dans cette communication concerne l'égalité. Dans chacune des causes, ils tiennent compte du droit du défendeur à un procès équitable, mais ne se reportent pas aux dispositions relatives à l'égalité, alors je développe quelque peu cette question. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions à vous sur le sujet, mais pour le moment, je vais sauter par-dessus.

J'aimerais faire deux observations au sujet des omissions qui ressortent de notre analyse du droit jurisprudentiel ou des rapports portant sur les causes. Rappelez-vous qu'il y a 20 ans que j'effectue des recherches dans ce domaine du droit et que je suis attentive. Si par conséquent j'affirme ne pas avoir réussi à trouver quelque chose, c'est significatif et cela indique que je n'ai rien vu de tel nulle part.

En premier lieu, je n'ai trouvé aucune cause où le fait qu'on n'a pas obtenu les dossiers personnels du plaignant ou de la plaignante a fait craindre que la condamnation a été obtenue à tort. À ma connaissance, il n'y a pas de cause de ce genre en cours et, de toute manière, les condamnations injustifiées au Canada n'ont jamais porté sur un accusé reconnu coupable d'une agression sexuelle et n'ayant pas réussi à obtenir des documents personnels. Ça n'arrive tout simplement pas. Lorsqu'on soulèvera le spectre d'une condamnation injustifiée lors de vos audiences, comme cela se produira inévitablement, demandez des preuves concrètes. Demandez de quelle cause il s'agit. Demandez qu'on vous soumette l'exemple pertinent. Ne vous contentez pas d'une hypothèse. Je suis en mesure de vous affirmer que je n'ai vu aucune cause de ce genre. Or, les condamnations injustifiées sont l'un des points essentiels sur lesquels se penche le Centre for Human Rights Research Initiative, et en tant que directrice de cet organisme, ces questions m'intéressent et je les étudie. Eh bien, il n'existe aucune cause de ce genre, et aucune enquête en cours n'indique non plus que le non- accès à des dossiers personnels a mené à une condamnation injustifiée.

De plus, à ma connaissance, je n'ai observé aucune cause où l'accès obtenu par un défendeur à des documents personnels lui a apporté quelque chose qui n'était pas disponible ailleurs, qui a miné la fiabilité de la plaignante. À mon avis, les défendeurs cherchent à entraîner des conséquences discriminatoires. Ils veulent convaincre le juge et les jurés que cette femme ou cette petite fille ne mérite pas d'être protégée. Je peux vous assurer qu'ils n'ont jamais trouvé une véritable déclaration incompatible antérieure faite par une femme, ni un véritable motif justifiant le mensonge. Ils ont beau affirmer que c'est ce qu'ils cherchent dans les documents personnels, mais je peux vous dire qu'ils ne le trouvent pas.

Encore une fois, je vous demanderais d'être particulièrement sceptiques quand vous entendez des assertions venant d'autres parties voulant que les dossiers des plaignants soient nécessaires pour assurer une défense pleine et entière. Demandez quels sont les impacts réels, des exemples, des affaires de ce genre et évitez les suppositions et les hypothèses : parce que vous ne serez pas saisis de ces affaires.

Enfin, quelques mots sur l'indépendance des avocats. L'un des aspects innovateurs du projet de loi C-46, c'est qu'il permet aux plaignants, qui sont en fait des témoins, d'être représentés quand on demande la production de renseignements à leur sujet. C'est une disposition très inusitée. Il y avait une certaine confusion à la séance d'hier sur ce point, je crois : il est important de se rappeler que les procureurs ne peuvent avoir pour rôle de protéger les plaignants contre les demandes faites par la défense au sujet des dossiers personnels. D'après la jurisprudence, le poursuivant ne peut pas et ne doit pas représenter et défendre les droits à la protection des renseignements personnels des plaignants.

L'hiver dernier, Jennifer Guiboche a fait une étude sur représentation indépendante. Elle a essayé de déterminer le nombre de fois où les plaignants et les responsables de la gestion des documents avaient eu droit à des conseillers juridiques indépendants et si cela avait fait une différence. La variation est considérable, comme vous pouvez le voir. Je vous ai donné des statistiques à la page 11, au bas de la page. Ce sont ses résultats. Elle a examiné toutes les affaires où il y avait eu demande de communication de renseignements au cours de la dernière décennie et a constaté que les plaignants avaient eu droit aux conseils d'un avocat dans environ la moitié des cas. Le bilan est parfait pour le Manitoba et l'Île-du- Prince-Édouard. À Terre-Neuve-et-Labrador, en Alberta et en Ontario, c'était la moitié des cas. Ailleurs, ce n'est pas disponible ou presque jamais. Je le répète, nous n'avons pas les données pour le Québec. Au cours des dernières années, il y a eu une amélioration chez certaines administrations. Ainsi, en Ontario, au cours des quatre dernières années, les services d'un avocat ont été offerts dans près de 80 p. 100 des cas.

Mme Guiboche a pu constater que les services d'un avocat faisaient toute la différence. J'ai résumé cet impact. Il y a un effet intéressant : la demande de renseignements est souvent abandonnée lorsque la défense se rend compte que le plaignant a joui des services d'un avocat indépendant. Quand le plaignant se rend compte qu'on vérifiera si ses questions sont justifiées, qu'on contestera devant le juge le bien-fondé de sa demande de communication, cette demande est retirée. Quand la plaignante est représentée par un avocat indépendant, la demande est abandonnée. Les services d'un avocat permettent aussi de simplifier les dispenses. La plaignante peut offrir une dispense pour que les dossiers soient consultés sans la nécessité d'une demande. La présence d'un avocat fait en sorte que le plaignant ou la plaignante offre une dispense en toute connaissance de cause.

Comme on le disait hier, le budget limité ou les restrictions quant à l'accès au financement sont des obstacles à l'accès à un avocat dans tout le pays. Ce qui est grave aussi, c'est que les plaignantes savent rarement qu'elles ont droit à une représentation et on ne sait pas très bien qui doit les en informer. Le troisième problème, pour l'accès à l'avocat, c'est l'impossibilité de trouver dans des délais relativement courts un avocat qualifié. On apprend souvent moins d'une semaine à l'avance qu'une demande sera présentée, et il faut trouver un avocat, obtenir un certificat de l'aide juridique, se faire conseiller et s'assurer que l'avocat sera au tribunal au moment voulu. En outre, les services de l'avocat ne peuvent être retenus qu'après l'enquête préliminaire. Les plaignantes ne sont pas représentées à l'enquête préliminaire et le mandat de représentation en justice ne dure pas tout au long du procès.

Je vois que j'ai largement dépassé mon temps. Voulez-vous que je vous parle rapidement des améliorations qui pourraient être apportées au projet de loi ou dois-je m'arrêter ici?

La présidente : Ne vous arrêtez pas, nous sommes là pour vous écouter.

Mme Busby : Comment peut-on améliorer le projet de loi? C'est un projet de loi important qu'il faut garder, mais comment pourrait-on l'améliorer?

Il faut d'abord penser à la preuve directement liée à l'affaire. Pensons à l'affaire Batte, en Ontario. La Cour d'appel de l'Ontario a déterminé dans cette affaire que les dossiers ne pouvaient être communiqués que si le juge avait des preuves qu'en l'instance, ces dossiers fourniraient à l'accusé des renseignements dont il ne disposait pas déjà ou s'ils avaient une valeur pour attaquer la crédibilité d'un témoin, par exemple lorsqu'on y trouve des faits contradictoires. Mais il faut que la preuve soit liée à l'affaire. Cette norme de preuve oblige l'avocat de la défense à aller au-delà d'une mythique discrimination ou d'autres assertions illogiques. C'est le genre d'assertions qu'on entend dans de nombreuses affaires à l'extérieur de l'Ontario. Le jugement dans l'affaire Batte ne s'applique qu'en Ontario et ne lie aucun tribunal ailleurs au Canada. Il faudrait que la décision s'applique ailleurs aussi.

De nos jours, pour obtenir la communication des dossiers de la plaignante, les accusés évoquent souvent des troubles émotifs chez les plaignantes. Ensuite, s'ils ne peuvent prouver le trouble émotif, ils disent qu'elle n'a pas été agressée et s'ils prouvent le trouble émotif, qu'elle manque de crédibilité. Voila la logique invoquée. Le tribunal dit alors : « Il faut donc trouver des preuves de troubles émotifs et vous pouvez donc avoir accès aux dossiers. » Nous proposons donc que les critères énoncés dans l'affaire Batte soient codifiés, pour en faire un seuil relatif à la communication de ces dossiers.

Deuxièmement, je propose que le projet de loi soit amendé pour interdire le recours à ces dossiers si la défense y a eu accès autrement que par consentement éclairé. Je le répète, parfois l'accusé détient les dossiers parce qu'il les a trouvés ou les a volés, quand on parle de journal intime ou de lettres. Il peut mettre la main sur ces renseignements parce qu'il est un membre de la famille et parce qu'il sait où les trouver. Dans d'autres cas, ceux qui gardaient ces dossiers les ont divulgués directement à l'accusé faute de bien connaître la loi. Dans d'autres cas encore, il possède les dossiers parce que c'est lui qui les a créés au départ, comme dans l'affaire O'Connor ou, en Ontario, l'affaire Au, où un médecin était accusé d'agression sexuelle.

J'ajoute que la plaignante n'est protégée que si elle peut raisonnablement s'attendre à ce que sa vie privée soit protégée. On a soutenu que si l'accusé avait participé à la création des dossiers, ou s'il y avait eu accès, par exemple dans le cas d'un employé d'un établissement psychiatrique ou d'un établissement où vivent des personnes ayant des problèmes de santé mentale, ou si le défendeur avait déjà vu le dossier, on ne peut pas alors s'attendre à ce que la confidentialité soit respectée, puisque le défendeur aurait pu avoir accès au dossier de toute façon. C'est un grave problème. Je n'ai pas de suggestion concrète dans ces cas-là. Je n'ai pas eu le temps d'y réfléchir de manière approfondie, mais c'est un problème qu'on constate parfois.

La loi est claire, trois choses doivent être prises en compte dans les demandes de communication : le droit du défendeur à une défense pleine et entière, la confidentialité et l'égalité. Comme je l'ai déjà dit, on invoque chaque fois la défense pleine et entière, la confidentialité dans certains cas, mais l'égalité, presque jamais. Que peut-on faire pour attirer l'attention du juge sur les effets sur l'égalité? J'ai quelques suggestions.

Le préambule du projet de loi C-46 explique les raisons qu'a le Parlement d'adopter ce régime. On y trouve des dispositions détaillées sur l'égalité destinées à le renforcer. Pourtant, le préambule ne fait pas partie de la loi elle-même. Ainsi, dans le recueil annuel Martin sur le Code criminel, pour ces articles, on ne peut pas lire le préambule. Ce n'était que dans le projet de loi, adopté par le Parlement. Je n'ai pas eu le temps d'étudier les affaires des 10 dernières années, mais je serais bien étonnée si sur 100 cas, on avait invoqué le préambule plus de deux ou trois fois. On n'en parle pas. Les juges ne connaissent pas son existence. Je soupçonne que beaucoup d'avocats qui plaident dans ces affaires ont oublié son existence, s'ils ne l'ont jamais connue.

Nous recommandons l'intégration du préambule aux dispositions du projet de loi qui ont été versées dans le Code criminel.

Nous suggérons aussi qu'on s'engage à donner la formation nécessaire aux membres de l'appareil judiciaire, y compris aux procureurs, et que cela fasse partie des campagnes de soutien et d'éducation des plaignants. Il faut poursuivre les recherches sur les incidences de ces dispositions. Je devais vous dire à quel point il était difficile de mener des recherches là-dessus actuellement.

Enfin, nous devons nous assurer que les plaignants ont droit à la représentation d'un avocat indépendant et qu'ils aient accès à d'autres services de soutien, surtout en raison du fait que les tribunaux ont clairement dit que les procureurs ne peuvent pas invoquer les droits à la confidentialité et à l'égalité.

La présidente : Beaucoup de sénateurs veulent vous poser des questions mais contrairement à nos habitudes je vais commencer, pour m'assurer d'obtenir des précisions.

Vous avez dit que juste avant l'adoption du projet de loi C-46, on en était au point dans presque toutes les affaires d'agression sexuelle, la défense faisait des recherches au hasard, en demandant la production des dossiers personnels des plaignants. Le projet de loi C-46 a été adopté il y a plus de 10 ans et j'aimerais savoir ce que cela a changé. Quelle est maintenant la proportion? Le savez-vous? Avez-vous une idée du nombre de cas où l'avocat de la défense veut mettre la main sur ces renseignements?

Mme Busby : Il est en fait impossible de le savoir. Avant la décision rendue dans l'affaire O'Connor et avant le projet de loi C-46, la norme professionnelle voulait que les avocats demandent l'accès à ces renseignements, dans chaque cas. Nous ne savons s'ils le faisaient ou pas. Il est impossible de le savoir. À moins d'étudier chaque dossier, et d'avoir un chercheur au tribunal qui enregistre ces délibérations en tout temps, il est impossible d'avoir ce renseignement. Ce que je dis toujours, c'est que les avocats de la défense en étaient venus à croire qu'il était professionnel d'exiger l'accès à ces dossiers personnels, et c'est ce qu'ils faisaient. Mais le faisaient-ils vraiment? Je ne sais pas.

Après le projet de loi C-46 et l'affaire Mills, on ne pouvait plus invoquer l'obligation professionnelle de le faire, le projet de loi ayant été adopté et la jurisprudence ayant modifié la situation. Il est difficile de savoir à quelle fréquence la demande est faite. Nous ne pouvons pas le savoir. Nous n'avons de données que sur les cas rapportés. Habituellement, ces demandes sont faites avant le début du procès. Les juges doivent formuler leurs motifs, mais ils le feront dans le cadre de la transcription du procès. À moins qu'un appel soit interjeté, cela ne figure pas dans les transcriptions. Nous n'avons donc pas les données. Il n'y a pas moyen de savoir.

Cela dit, d'après mes observations et ce qu'on m'a dit, je crois que les demandes ne sont pas fréquentes. Elles ne surviennent certainement pas dans toutes les affaires. Je présume qu'elles sont présentées dans moins de 50 p. 100 des cas, mais ce n'est qu'une estimation.

La présidente : Sénateur Wallace, pardonnez-moi d'avoir pris votre tour.

Le sénateur Wallace : Je vous félicite pour votre exposé, madame Busby. Vous avez bien réfléchi à ce que nous faisions, et l'avez bien compris. Nous voulons évaluer l'efficacité de l'ancien projet de loi C-46. Je vous remercie de vos efforts. J'aurais voulu avoir votre mémoire à l'avance parce que vous y soulevez de nombreuses questions. Elles sont tout à fait pertinentes à notre travail et je vous en félicite, en plus de vous en remercier.

Ma première observation est primordiale. Nous nous demandons si le projet de loi C-46 a eu une quelconque utilité. A-t-il eu un effet positif? Faut-il revenir en arrière, a-t-il été positif ou peut-on l'améliorer? Je suis ravi que vous puissiez dire avec fermeté que les circonstances se sont améliorées depuis 1997.

Lorsque j'y pense, j'ai tendance à croire que cela a dû encourager les plaignants à déclarer l'incident, et cette façon a été bénéfique. Toutefois, comme vous le remarquez, ce n'est pas ce qui est arrivé dans les faits. Toutefois, cela a amélioré la qualité de l'examen judiciaire du moment où ces dossiers devraient être présentés, ce qui est intéressant.

Si vous avez suivi les témoignages d'hier, vous avez peut-être entendu la référence au paragraphe 278.5(2) et aux facteurs que les juges doivent prendre en considération lorsqu'ils déterminent s'ils devraient ordonner la communication du dossier. Ces facteurs sont très vastes et ne semblent pas restreindre les juges dans leur examen. Avez-vous des observations à propos du caractère approprié de ces facteurs? Devraient-ils être plus clairement définis ou limités, ou devrait-on ajouter d'autres facteurs?

Mme Busby : Je vais d'abord expliquer ce que font les juges. En fait, ils prennent cette liste, choisissent certains facteurs et rédigent une liste de vérification. Ils excluent souvent les alinéas f) et g). Ils n'examinent pas la déclaration ni l'encouragement ni l'obtention des traitements. Ces éléments sont souvent exclus. Ils vont dire, « Ce dossier est nécessaire pour que l'accusé puisse présenter une défense pleine et entière. Ce dossier pourrait avoir une valeur probante. Oui, elle a droit à sa vie privée dans ce dossier, mais la valeur probante l'emporte sur la vie privée, ce qui clos la question ». Typiquement, voilà à quoi ressemblent les raisons pour la décision, et elles sont catégoriques. On n'y trouve pas d'autre information, surtout si la décision est d'ordonner la communication. C'est tout ce qu'on y trouve. Lorsque la décision est plus détaillée, les droits à la vie privée sont examinés et on souligne le fait qu'il s'agit d'un ordre de nature psychiatrique. La plupart du temps, les dossiers psychiatriques et psychologiques ne sont pas obtenus. D'autres types de dossiers sont obtenus. Vous voyez là la volonté de protéger la relation thérapeutique. On observe ce genre de situation, et on observe les juges qui en discutent. Les autres facteurs, que j'appellerais les facteurs d'égalité car ils ont une dimension beaucoup plus égalitaire, ne sont pas pris en compte. Les juges ne tiennent tout simplement pas compte de la possibilité de présenter une mythique discrimination comme celle que toutes les femmes souffrent d'illusions ou quelque chose de ce genre, et ils ne tiennent tout simplement pas compte des autres facteurs. C'est problématique. Toutefois, je n'ai pas de suggestion. La loi est claire. Elle dit que c'est ce que vous devez faire, et que vous devez le faire deux fois.

Le sénateur Wallace : Oui.

Mme Busby : Toutefois, il y a une sorte de boîte à cocher.

Le sénateur Wallace : Cela dit, et avec les nombreux projets de loi où nous étudions la question de la magistrature et de l'importance de communiquer la décision et les raisons, nous avons eu cette discussion à propos d'autres projets de loi où, comme dans ce cas-ci, il y a de nombreux facteurs à prendre en compte, et nous avons toujours cru fermement qu'il devrait y avoir des preuves dans le dossier indiquant que les juges ont tenu compte de ces problèmes. Votre observation qu'au Québec il n'y a pas de décision communiquée par le juge sur ces demandes de communication de documents est préoccupante, je pense.

Pensez-vous donc que nous devrions envisager de recommander que les juges aient l'obligation dans les raisons qu'ils donnent de faire référence à chacun de ces facteurs pour qu'ils aient au moins été mentionnés?

Mme Busby : Je ne vois pas comment cela pourrait être exprimé de façon plus claire, et je n'ai pas eu le temps d'y penser en raison du trop court préavis. Dans la cause Mills, la Cour suprême du Canada a dit qu'il n'était pas nécessaire d'examiner chaque facteur séparément. Il faudrait consulter ce qui a été dit dans Mills et essayer de manier la langue, et je ne suis pas légiste. Je pense que cet article est assez clair. Pourrait-il être amélioré pour obliger les juges à prendre ces facteurs au sérieux? Je pense qu'il est utile de se rappeler que le fait de permettre l'accès dans cette cause particulière découragera d'autres personnes de déclarer leurs agressions.

Le sénateur Wallace : Vos observations à la page 10 de votre exposé portent sur les dossiers personnels et la façon dont ils peuvent être utilisés, les répercussions de la communication de ces dossiers et les préoccupations des plaignants à propos de la communication de certains renseignements personnels. Pensez-vous qu'il est approprié d'envisager de réétudier la définition d'un dossier dans le projet de loi et de la restreindre d'une certaine façon? Qu'avez-vous à dire à ce sujet?

Mme Busby : Je pense que ce serait utile. Encore une fois, tout ce que je peux faire maintenant c'est cerner le problème, mais je ne peux pas cerner la solution. C'est un travail que je ferai en consultation avec d'autres personnes. Je n'ai simplement pas eu le temps de le faire.

Je voulais signaler que, à mon avis, les attentes raisonnables en matière d'exigence liée à la protection des renseignements personnels posent problème. À l'époque, elles nous semblaient raisonnables, mais nous ne nous étions pas rendu compte que les dossiers thérapeutiques obtiendraient un privilège particulier, ou que le dossier auquel le défendeur a pu participer ou auquel il avait un certain accès — par exemple, les dossiers médicaux s'il s'agit d'un médecin ou les dossiers scolaires s'il s'agit d'un enseignant — ils diraient qu'il n'y a pas une attente raisonnable de protection de la vie privée car ils ont déjà accès à ces documents. Je n'ai pas de suggestion concrète de changement. Je suis certaine que le FAEJ travaillera là-dessus. Le FAEJ a été convoqué comme témoin à ces audiences et fournira une recommandation plus concrète, mais je voulais attirer votre attention aux problèmes de cette définition car elle inclut des choses qu'elle ne devrait pas inclure à mon avis.

Le sénateur Wallace : Vous avez soulevé un certain nombre de points importants, et je vous en remercie.

Le sénateur Baker : Le témoin a mentionné que Mills indique que chacun de ces facteurs n'a pas besoin d'être identifié précisément et abordé précisément, mais Mills a également défini la loi avec l'expression « est tenu de » — que le juge est tenu de prendre ces facteurs en considération sans identifier chacun d'entre eux séparément.

Vous connaissez bien le droit de la famille.

Mme Busby : Oui.

Le sénateur Baker : Vous êtes originaire du Manitoba?

Mme Busby : Oui.

Le sénateur Baker : Dans votre loi sur le droit de la famille, votre loi sur la garde d'enfants, le même libellé est utilisé pour un juge qui étudie les questions de garde. Je pense que 13 ou 14 facteurs sont signalés qui doivent être pris en considération lorsque la garde est confiée. Bien sûr, les juges les examinent chacun précisément sous chaque en-tête des jugements. C'est une décision finale. Bien souvent, cela donne lieu à des appels, fondés sur si oui ou non le juge a tenu compte de chacun de ces facteurs de façon adéquate.

Ne diriez-vous pas que ce cas est différent — et je sais que c'est très important étant donné qu'il s'agit d'une question criminelle — étant donné que le jugement n'est pas définitif? C'est-à-dire, qu'il ne s'agit pas du jugement final. Comme vous l'avez fait remarquer, il s'agit de détention avant procès et, ainsi, ne peut être portée en appel. En fait, elle ne peut pas du tout être portée en appel car ce serait un appel interlocutoire. N'est-ce pas exact?

Mme Busby : Il y a quelques éléments. Elle peut être portée en appel...

Le sénateur Baker : Après.

Mme Busby : Après.

Le sénateur Baker : Toutefois, le mal est fait.

Mme Busby : C'est exact. Du point de vue d'une personne qui dispenserait des conseils aux plaignants, on ne peut aucunement les rassurer que les dossiers ne seront pas communiqués, et c'est de cette assurance dont ils ont besoin. Vous pouvez constater grâce aux statistiques données ce matin — des raisons personnelles, le fait de ne pas se faire prendre au sérieux, les catégories des 60 p. 100 et plus — qui le font car ils ne veulent pas que leurs renseignements personnels soient rendus publics. Ils ne veulent pas que l'on connaisse leur identité. Lorsque vous ne pouvez leur donner cette assurance, ils disent qu'ils ne veulent pas participer.

Le sénateur Baker : Pour revenir au fait de la disposition dont nous parlons, la question se pose lors d'une demande avant le procès. Une fois que le juge autorise la communication, la personne devrait avoir droit de faire appel de sa décision. La personne doit attendre que toute l'affaire soit close. S'il s'agissait de poursuites au civil, cela pourrait se faire au titre de la Loi sur les tribunaux judiciaires ou des règles de procédure. Vous connaissez les règles de la Cour du Banc de la Reine du Manitoba. Vous les avez annotées, n'est-ce pas?

Mme Busby : Oui, effectivement.

Le sénateur Baker : C'est bien ce que je pensais. S'il y avait des poursuites au civil, il y aurait appel, mais ce dont il s'agit ici est une question si importante qu'elle ne peut pas faire l'objet d'un appel. Peut-être est-ce pour cela que les juges peuvent faire fi des facteurs précis évoqués par le sénateur Wallace, parce qu'il n'y a pas de risque immédiat d'appel de sa décision, puis le procès va de l'avant et cette décision reste.

Si la loi précisait qu'il peut y avoir exception, que l'on peut faire appel de ce point avant le début du procès, pensez- vous que ce serait une bonne chose?

Mme Busby : Quand j'écoutais les représentants de Statistique Canada, je me disais qu'il était dommage qu'ils ne puissent pas répondre à cette question. Mais je me retrouve à faire la même chose, ce n'est pas parce que j'ai peur d'exprimer une opinion, mais simplement parce que je n'en sais pas assez sur les répercussions que cela serait susceptible d'avoir sur le système judiciaire dans son ensemble. Il y a de fortes raisons de ne pas autoriser d'appel interlocutoire. Notre système de justice criminelle a tant de retard que, si c'était autorisé, il y aurait des allers et retours sans fin avec la Cour d'appel. Il y aurait une montée en flèche des dépenses et rien ne ferait l'objet d'un procès; les retards se multiplieraient. Peut-être y a-t-il des raisons structurelles pour ne pas permettre cela. Peut-être avec autorisation, mais la plupart des affaires d'agression sexuelle prennent au moins deux ans avant le procès et il serait vraiment dommage d'imposer encore plus de délais.

Le sénateur Baker : Oui, mais il s'agit d'une question importante ici. Il ne s'agit pas d'une demande ordinaire et de la décision d'une cour. C'est la communication des renseignements personnels de quelqu'un. Ne pensez-vous pas que cela devrait, en soi, justifier la présence dans la loi d'une disposition disant que la décision du juge de première instance pourrait faire l'objet d'un appel dans le cadre de la procédure?

Mme Busby : Eh bien, peut-être, c'est tout ce que je peux dire. Je ne suis pas assez au courant pour pouvoir dire de façon responsable si oui ou non ce serait une bonne idée. Je ne sais pas.

En tout cas, l'intention du projet de loi C-46 était bien cela et j'ai oeuvré fortement pour son adoption, si bien que je suis surprise que cela ne se soit pas avéré. Avec le projet de loi C-46, nous souhaitions arriver à une situation où les dossiers personnels seraient communiqués uniquement dans des cas exceptionnels. Curieusement, telle n'est pas la situation.

Le sénateur Baker : Non, effectivement.

Mme Busby : Quelles lacunes de rédaction ont conduit à cette situation? Je l'ignore. C'était pourtant l'intention : que les dossiers personnels fassent rarement l'objet d'une communication. S'ils font l'objet d'une communication aux juges dans 50 p. 100 des cas et, au bout du compte, aux accusés dans 30 p. 100 des cas, ce n'est plus l'exception. Je ne sais pas comment, mais la loi ne reflète pas l'intention.

Le sénateur Baker : Les dégâts commencent lors de l'enquête préliminaire.

Mme Busby : Vous avez raison.

Le sénateur Baker : Contraignable au contre-interrogatoire. Dans l'immense majorité des cas, la victime présumée n'a pas de représentation juridique, pas d'avocat. Si la loi stipulait que la personne dispose d'un avocat lors de l'enquête préliminaire, soit au moment clé, étant donné le caractère inique de la procédure dans ces circonstances, est- ce que cela résoudrait en partie le problème?

Mme Busby : Je pense qu'assurer une représentation serait une bonne idée. À l'heure actuelle, aucun témoin n'a le droit d'être représenté par un avocat lors de poursuite au criminel, sauf si c'est stipulé par la loi, si bien que ce fondement législatif est nécessaire. Le projet de loi C-46 stipule clairement que plaignants et détenteurs de dossiers ont un droit d'intervention lors d'une demande de communication des dossiers. Autrement dit, ils n'ont pas droit d'intervention lors d'une enquête préliminaire ou lors du procès lui-même. C'est problématique, parce que l'on pose toutes sortes de questions et parce que les avocats de la Couronne n'ont pas l'obligation de faire valoir les droits à la vie privée et à l'égalité de la plaignante. Ils ne peuvent pas exprimer d'objections à ce type de question lors de l'enquête préliminaire.

Et les enquêtes préliminaires deviennent des épreuves sur la question des dossiers personnels. Les plaignantes y vont sans même savoir que ce type de question va être posé. Si vous êtes dans une région où la direction des services aux victimes n'est pas hâtive, vous ne savez pas que cela va se produire et, d'un coup, on vous demande qui est votre psychiatre, si enfant vous avez été pris en charge par le système d'aide à l'enfance, qui était votre travailleur social et quel est son numéro de téléphone, vu que la défense veut lui téléphoner pour obtenir votre dossier. On comprend bien pourquoi, après l'enquête préliminaire, les plaignantes refusent d'aller plus loin.

Le sénateur Baker : Comme vous le savez, étant experte sur les règles du Manitoba, un juge de la Cour du Banc de la Reine a une compétence inhérente dans les affaires où la justice permettrait la nomination d'un avocat. Le juge peut faire cela. On le voit souvent dans les affaires civiles ou les questions de garde d'enfant, ce que je comprends bien. Toutefois, ne pensez-vous pas qu'on pourrait introduire une disposition permettant d'avoir également une représentation dans les affaires dont nous discutons? La compétence inhérente du juge de première instance permet d'habitude la nomination d'un avocat en utilisant le procureur général. C'est-à-dire que le procureur général assumerait les frais.

Auriez-vous des objections à ce qu'on introduise une disposition disant que, dans ces cas, vu l'importance que cela a pour les gens, le procureur général pourrait assumer les frais de représentation pour la victime présumée durant l'enquête préliminaire?

Mme Busby : C'est une idée qui mérite d'être approfondie. On sait pertinemment qu'avoir son propre avocat change les choses. Les résultats, on les connaît : les demandes de communications sont abandonnées immédiatement; les juges sont plus susceptibles de tenir compte des éléments d'égalité; cela fait une différence dans ces affaires. De plus, les plaignantes ne sont pas prises au dépourvu, parce qu'elles ont leur propre avocat.

Je pense que l'on pourrait élargir la représentation à l'enquête préliminaire et au procès lui-même, au lieu de la limiter à la demande de communications seulement. Si vous n'avez pas droit d'intervention, lors du procès, vous ne pouvez pas présenter d'objection à une question, parce que vous n'y êtes pas habilité. Je pense qu'améliorer ceci serait une bonne chose.

Il y a différents modèles. Dans son article, Jennifer Guiboche parle des différents modèles utilisés selon la province. Au Manitoba, chaque affaire est financée. Est-il impératif que la loi précise le modèle? Je n'en suis pas sûre, mais il existe des modèles que les provinces peuvent utiliser pour assurer une représentation dans tous les cas.

[Français]

Le sénateur Carignan : La question du sénateur Baker en a soulevé une autre. Concernant la question du droit à l'avocat pour un témoin, vous avez dit que cela n'existe pas actuellement. J'aimerais clarifier ce point, parce que, personnellement, j'ai souvent vécu la situation où un témoin se présentait accompagné de son avocat parce qu'il croyait que ses droits étaient susceptibles d'être affectés par son témoignage ou, tout simplement, pour protéger ses intérêts.

Lorsque nous sommes devant un juge, il me semble assez clair qu'on a une opposition au droit à l'intimité et à la protection de la vie privée. Il me semble que sans mettre ce droit dans le Code criminel — je pense qu'il existe déjà, parce que la décision risque de porter atteinte à un ou des droits.

Cela n'a peut-être jamais été mentionné, mais ne pensez-vous pas que ce droit pourrait être invoqué de plein droit et qu'un juge l'accorderait si la demande en était faite?

[Traduction]

Mme Busby : Votre question, si je la comprends bien, est la suivante : faut-il une mesure législative précise ou peut- on faire la demande quoi qu'il arrive? On s'appuierait alors sur l'article 7 de la Charte. C'est le cas déjà pour les journaux ou les médias, par exemple si les médias souhaitent intervenir alors qu'il y a une ordonnance d'exclusion; depuis longtemps, les médias sont en mesure d'avancer avec succès le droit à l'intervention pour protéger la liberté d'expression. On peut avoir recours à la Charte pour ce type d'argument.

Toutefois, pourquoi opter pour cette solution? Nous pouvons le faire dans la loi. Pourquoi obliger un argument fondé sur la Charte et par la suite être obligé de faire des arguments fondés sur la Charte dans l'ensemble du pays? Je pense que ce comité pourrait facilement s'occuper de cette question.

Il y a eu une décision complémentaire à la décision O'Connor, qui s'appelle Beharriell. Une des questions qui a été soulevée est la suivante, un plaignant peut-il avoir une représentation juridique indépendante. La Cour suprême du Canada a dit que, oui, c'était possible. Par conséquent, de la même façon qu'elle a permis une petite exception pour les médias lors de procès à huis clos, elle a permis cela aux plaignants dans des procès pour violence sexuelle. Cela a ensuite été codifié dans le projet de loi C-46, parce que les gens craignaient que le cas obscur Beharriell serait oublié, parce que seuls des mordus comme moi connaissent cette décision et que tout le monde l'oublie. Ainsi, il est important de l'intégrer dans la loi parce que cela le rend effectif dans l'ensemble du pays. Il n'est pas nécessaire d'avoir un argument fondé sur la Charte; cela éclaircit les choses, et il suffit d'invoquer cet article. Et il y a une valeur éducative en l'insérant dans la loi. On peut ensuite élargir le concept aux enquêtes préliminaires et au procès lui-même.

[Français]

Le sénateur Carignan : Mon deuxième point est le suivant : je n'aime pas un des termes utilisés dans cette loi, et ce mot est « plaignant ». Je comprends que quand on parle du plaignant, ici, on parle de la victime de l'acte criminel. Lors de notre réunion d'hier, je disais à un témoin que j'essayais de trouver une situation dans laquelle on pourrait avoir une victime sans qu'elle soit témoin ou plaignante et pour laquelle on ne prévoit pas de mécanisme de protection.

L'exemple qui me vient en tête est celui d'un enfant de moins de deux ans qui serait victime d'abus sexuel; il n'est pas témoin, il ne peut pas être plaignant, donc qui protège ses droits? Est-ce qu'on ne devrait pas introduire également le concept de « victime » à l'intérieur du Code criminel? Donc « plaignant », « victime » ou « témoin ». Est-ce qu'à votre connaissance, le fait d'utiliser le mot « plaignant » amène une réticence des victimes, parce qu'ils se considèrent plaignants, alors que dans le fond, ils ne sont pas plaignants, ils sont justes victimes. C'est la poursuite qui doit faire la preuve, leur donner le concept de plaignant. Ce titre de « plaignant » leur créé une pression supplémentaire. Ils peuvent être sous l'impression que c'est eux qui attaquent alors qu'ils sont simplement victimes. Est-ce que vous comprenez bien ce que je veux dire?

[Traduction]

Mme Busby : C'est une question intéressante et vous avez posé cette même question hier. C'est pour cette raison que j'ai apporté avec moi un document que j'ai rédigé en 2006 et qui s'intitule, Not a Victim until a Conviction is entered. C'est le point de vue de la Cour suprême du Canada, à savoir que vous n'êtes pas une victime tant et aussi longtemps qu'il n'y a pas eu de déclaration de culpabilité. Tout ce que vous avez fait c'est de présenter une plainte. Vous n'êtes que témoin d'un crime. C'est la terminologie que j'ai utilisée. Je trouve cela problématique, le fait que vous n'êtes pas une victime tant et aussi longtemps qu'une déclaration de culpabilité n'a pas été faite, parce que nous savons tous que le taux de condamnation est très faible. Le fait qu'une personne soit acquittée ne signifie pas qu'elle n'a pas commis ce crime. Cela signifie tout simplement qu'on ne l'a pas prouvé. La Cour suprême du Canada a clairement stipulé qu'il faut utiliser le terme « plaignant ». Je vois maintenant une tendance troublante chez les avocats de la défense et cela se répand dans d'autres sphères d'activités où la terminologie utilisée est en fait « accusateur », qui en anglais sonne tout à fait horrible. « L'accusateur » — cela évoque davantage autre chose.

Je n'utilise pas le terme « victime. » Il y a également des raisons politiques pour lesquelles je ne l'utilise pas parce que c'est tellement paralysant. Une agression sexuelle est paralysante; cela vous laisse K.-O. Je préfère le mot « survivant », mais dans un contexte juridique j'utilise toujours le mot « plaignant » parce que la Cour suprême du Canada a indiqué clairement que c'est le terme qu'il fallait utiliser, et le mot « accusateur » me fait peur. Par conséquent, j'irais pour « plaignant. »

[Français]

Le sénateur Carignan : On pourrait utiliser les mots « présumée victime ».

[Traduction]

Mme Busby : Vous pouvez dire « la victime présumée ».

La présidente : Toutefois, si l'on suit le raisonnement de la Cour suprême...

[Français]

Le sénateur Carignan : Je ne suis pas toujours d'accord avec la Cour suprême, mais bon.

[Traduction]

La présidente : Montrez-moi cet avocat.

Le sénateur Angus : Madame Busby, je veux également vous remercier d'être ici aujourd'hui et je dois dire que votre exposé a été l'un des meilleurs que j'ai entendu depuis 18 ans que je suis sénateur. C'était clair et équilibré. C'est de toute évidence un sujet qui vous passionne, mais cela n'influe pas sur l'information que vous présentez. Vous apportez une importante contribution à ce que nous essayons de réaliser ici. Je comprends le sujet tellement mieux depuis que je vous ai écoutée. De toute évidence, vous avez réalisé cela hier soir après avoir entendu les témoignages d'hier. C'est bien exprimé et c'est présenté de façon directe, et je vous en remercie.

Il y a deux choses qui m'intéressent. D'abord, à la page 10, vous avez dit que vous ne connaissez aucun cas où le fait de ne pas obtenir les dossiers personnels d'un plaignant aurait pu soulever des préoccupations quant à une condamnation injustifiée. C'est une bonne nouvelle. Toutefois, dans les recherches que vous avez faites, comment savez-vous si on avait demandé les dossiers ou pas ou bien parlez-vous des cas où on avait essayé d'obtenir les dossiers en vain ou encore s'agit-il tout simplement de cas où ces dossiers ne constituaient pas un facteur important?

Mme Busby : J'essaie de soulever deux points. C'est toujours difficile de prouver que quelque chose n'a pas eu lieu. C'est toujours difficile. Cela représente un problème méthodologique.

Cette déclaration repose sur le fait que c'est quelque chose que je surveille de près et que j'ai toujours surveillé de près pendant 20 ans. S'il y avait un décompte médiatique — le centre de recherche pour lequel je travaille a un projet portant sur les condamnations injustifiées. Si David Asper, qui est à la tête de ce projet, venait me dire : « J'ai cette affaire », j'en serais avisée, et il sait qu'il s'agit d'un domaine de recherche pour moi. Il dirait : « J'ai cette affaire pour laquelle nous aurions eu besoin des dossiers. Étant donné qu'ils n'ont pas été présentés la condamnation était injustifiée. » Je suis assez bien en vue dans ce domaine, et personne n'est jamais venu me dire : « Il y a eu une condamnation injustifiée et nous entamons une procédure et c'était de votre faute. » Cela ne s'est pas produit. Si on entamait une procédure pour condamnation injustifiée fondée sur cette allégation, j'en entendrais parler, et je n'ai jamais eu vent d'allégations de condamnation injustifiée. Je pense qu'on me l'aurait signalé.

Par contre, cette méthode a des limites. Il y a peut-être des affaires dont je n'ai pas eu vent, mais on ne m'a jamais signalé une seule affaire.

Le point suivant est plus subtil mais plus important : suis-je au courant d'une affaire pour laquelle l'aboutissement a changé en raison d'un motif valable et qu'il y a eu un acquittement qui était mérité? Avez-vous trouvé la preuve irréfutable dans le dossier? Avez-vous trouvé une déclaration où elle aurait dit au psychiatre : « Je mens parce que je hais mon père et je veux qu'il soit mis en prison; c'est une excellente façon de m'en débarrasser? » A-t-on déjà trouvé ce genre de déclaration dans un dossier? Non, cela ne s'est jamais produit. Je puis dire avec suffisamment de confiance que les dossiers n'ont fait aucune différence de façon légitime.

Par contre, ils ont soulevé des doutes : « Cette femme ou cette fille ne mérite pas d'être protégée. Elle a tellement d'ennuis. » Ils mettent ainsi en doute la véracité de ses dire, le but étant de soulever un doute raisonnable.

Le sénateur Angus : Très bien. Je voulais m'en assurer parce que c'est un élément important de votre témoignage pour ce qui est d'évaluer si l'intention ne se retrouve que dans les cas les plus rares, et vous avez signalé qu'il y avait un problème à cet égard. Toutefois, au moins, on a vu beaucoup d'amélioration depuis que ce projet de loi a été adopté.

Ce qui ressort de votre témoignage, du moins pour moi, ce sont les endroits où nous pourrions aider à faire une différence, c'est-à-dire apporter des corrections et renforcer le tout. Vous avez une opinion positive sur la loi, et vous essayez de nous orienter dans les domaines où nous pourrions peut-être la renforcer, et c'est très bien. Il s'agit des droits de la femme — il ne faut pas lui imposer d'étiquette en tant qu'accusatrice, plaignante, victime, victime présumée ou autre. Il faut trouver une solution à ce problème — au conseil. J'appuie fortement la proposition du sénateur Baker, parce que c'est très complexe. Certains d'entre nous sont des avocats, et ils se penchent sur ces questions presque quotidiennement, alors c'est assez simple. Dans le cas de ces femmes qui sont impliquées dans ce genre de litige, ce sont des questions très complexes avec des nuances difficiles à comprendre quant aux documents, aux dossiers ou peu importe comment on les appelle.

Les procureurs de la Couronne sont les demandeurs dans ces affaires criminelles, tandis que le véritable demandeur, bien sûr, c'est la personne dont nous parlons, et je dois croire qu'elle a besoin de consulter un avocat dès le début de l'affaire, dès l'enquête préliminaire. Comme le sénateur Baker l'a souligné, les dégâts sont faits. On a découvert le pot aux roses avant qu'elle n'ait eu une chance sur ce point très précis qui la protège légalement. Telle que rédigée, la loi ne lui donne pas droit à un avocat, sauf à un moment bien précis de la demande pour les dossiers.

Je sens que j'ai besoin de comprendre davantage. Comment est-ce que cela fonctionne? Le procès a lieu. Les accusations ont été déposées. Comment cela fonctionne-t-il aujourd'hui, selon vous? Je sais que toutes les affaires sont différentes, mais en règle générale, comment ces personnes obtiennent-elles les conseils d'un avocat? Qui leur fait part de leurs droits? Qui explique cette loi et le projet de loi C-46, ainsi que tous les éléments qui peuvent être simples pour nous?

Mme Busby : Jennifer Guiboche, dans son papier, a questionné les services aux victimes, les avocats et les procureurs de la Couronne d'un bout à l'autre du pays. C'est une étudiante qui n'a pas de budget et qui a fait ça par téléphone. Elle avait obtenu l'approbation des responsables du code de déontologie pour procéder à son enquête et ce fut un superbe projet. Ce papier fournit des détails sur presque toutes les provinces de sorte que vous pouvez en prendre connaissance. Cela varie d'un endroit à l'autre.

Au Manitoba, les services aux victimes aviseront la plaignante dès que quelqu'un veut faire une demande de dossier, et ce afin qu'elle en soit consciente très tôt dans le processus.

Le sénateur Angus : C'est ce qu'on suppose.

Mme Busby : C'est ce qui devrait se produire à Winnipeg. C'est peut-être un peu différent lorsqu'on est à l'extérieur des centres métropolitains. Au Manitoba il y a Winnipeg et cette ville peut être éloignée. Voilà comment ça fonctionne à Winnipeg. Il existe différents services à l'extérieur de la ville. Les services aux victimes entrent en communication et donnent ces explications.

Cela étant dit, ces responsables ne sont pas des avocats, alors il est difficile de savoir combien d'information ils donnent sur une enquête préliminaire. La plupart des plaignantes n'ont pas d'information lors de l'enquête préliminaire. Elles ne savent pas ce qui se passe, et la Couronne n'a pas le temps ni l'obligation de leur expliquer.

La plupart des plaignantes se rendront compte que quelque chose peut avoir lieu en ce qui a trait au dossier environ une semaine avant le procès, parce que quelqu'un dépose une requête préalable au procès. Cette requête est faite juste avant le début du procès. Les documents sont présentés une semaine avant. Ces gens mettent l'accent sur ce qui se produira au procès et tout d'un coup ils se rendent compte qu'une demande a été faite. Ils reçoivent la requête un lundi, et cette requête sera entendue le lundi suivant, de sorte qu'ils doivent immédiatement déterminer comment faire pour obtenir un avocat.

Le sénateur Angus : C'est ce qui préoccupait le sénateur Baker et moi. Vous avez donné un témoignage convaincant lorsque vous avez parlé de ces quatre ou cinq étudiantes en droit qui étaient sophistiquées et privilégiées. Elles connaissaient la loi. Elles sont peut-être d'un niveau social différent des témoins dont nous parlons, mais, même les étudiantes en droit ne présenteraient pas de plainte en connaissant la situation. Je pense que c'est un exemple absolument essentiel.

Mme Busby : Et ce, depuis 15 ans, c'est-à-dire depuis la décision O'Connor. Je pose cette question tous les ans : porteriez-vous plainte ou encourageriez-vous quelqu'un à porter plainte? Ils répondent tous presque systématiquement non, à moins qu'ils ne déterminent qu'ils pourraient empêcher le défendeur de faire du mal à quelqu'un d'autre.

Le sénateur Angus : Ai-je raison de dire que la loi a été grandement améliorée par rapport à ce qu'elle était avant la décision O'Connor? Ces femmes ont été victimisées. Elles ont présenté une plainte. Un processus a été entamé.

Maintenant, nous le savons, parce que vous nous l'avez dit — vous confirmez les questions que le sénateur Baker et moi avions — il existe un véritable champ de mines. Disons qu'elle aurait connu des problèmes psychiatriques familiaux par le passé et que tous ces dossiers existent, et qu'elle ne voudrait jamais qu'ils soient divulgués.

Voilà la réalité. Comment protégeons-nous ces femmes? Que pouvons-nous faire dans ce comité pour permettre à la loi de résoudre ce problème? Pour moi, c'est un problème immense. Ai-je raison de dire cela?

Mme Busby : Oh oui. C'est un immense problème. J'ai essayé de présenter des façons concrètes dont la loi pourrait être améliorée ou des suggestions qui pourraient au moins porter à réfléchir relativement à la rédaction. Ces éléments ne sont peut-être pas très solides parce que je n'ai pas véritablement eu le temps d'y réfléchir beaucoup.

On pourrait avoir de meilleurs programmes d'éducation du public et on pourrait garantir une représentation indépendante, parce qu'une fois que l'accusé réalise qu'il y a une représentation indépendante il est embarrassé en raison de la demande qu'il a faite devant le juge parce que le représentant signalera toutes les lacunes de la demande; c'est difficile pour le juge de faire cela en l'absence de tout argument provenant de la partie adverse. Cela aura également un effet positif.

Le sénateur Joyal : Sur cette question, étiez-vous ici lorsque nous avons eu ce matin l'exposé de Statistique Canada?

Mme Busby : Oui j'étais ici.

Le sénateur Joyal : Avez-vous une copie du tableau 13, qui dresse la liste des raisons pour lesquelles les victimes ne déclarent pas les agressions sexuelles à la police? J'ai écouté attentivement vos observations, et je n'ai pas vu dans les raisons qui ont été présentées la divulgation de renseignements personnels ou de documents privés. Je pense que la plupart des victimes — et je vais utiliser le mot « victimes » dans le sens utilisé par le sénateur Carignan — ne se rendent pas compte lorsqu'elles déposent une plainte qu'elles courent le risque que tous leurs dossiers personnels soient transmis aux contrevenants. Je ne pense pas que ce soit connu. En fait, cela ne figure pas dans les raisons présentées. On voit que ce n'est pas dans les raisons qui ont été données comme justification pour ne pas formuler de plainte.

Mme Busby : J'ai deux réponses à vous donner. D'abord, je ne sais pas quelle question on a posée dans ce sondage. Y avait-il une phrase comme celle-ci, « la raison pour laquelle vous n'êtes pas allé à la police est... » et par la suite il y aurait un choix de réponses comme celui-ci « ce n'était pas suffisamment important », « pour des raisons personnelles », et ainsi de suite — s'il s'agit d'un sondage à choix multiples, eh bien il n'y a pas vraiment la possibilité de présenter certaines raisons. S'agissait-il d'une question ouverte demandant pourquoi la personne n'est pas allée voir les policiers et que par la suite on leur permet de donner une raison, à savoir parce que ce n'était pas suffisamment important. Voyez-vous ce que j'essaie de dire?

Deuxième point, on pourrait interpréter les raisons données sous la rubrique « raison personnelle » ou « je ne veux pas avoir affaire avec la police » comme ne voulant pas à subir ce que le processus risque de vous faire subir. La personne perçoit cette question comme une question personnelle et elle ne veut pas que de l'information personnelle soit diffusée partout. Il peut s'agir de son petit ami et la personne ne veut pas que tous ses amis sachent ce qui s'est produit entre elle et son petit ami. C'est une raison personnelle. Vous ne voulez pas que les gens apprennent ce qui vous est arrivé parce que c'est trop embarrassant. Ces deux réponses « raison personnelle » et « je ne veux pas faire affaire avec la police » sont des réponses qui pourraient vouloir dire « je ne veux pas que mes renseignements personnels » soient accessibles à tout un chacun. Ainsi, ces deux catégories pourraient inclure cette raison.

Il ne faut pas oublier qu'il s'agit des gens qui ne se sont pas adressés à la police. Ceux qui s'adressent à la police, formulent une plainte et qui participent au processus voient que les dossiers peuvent être examinés une fois le processus enclenché. Nous n'avons pas de statistiques fiables sur ce qui arrive lorsqu'une femme se rend compte qu'une demande de dossier a été effectuée. Nous avons entendu dire que certaines femmes refusent de coopérer davantage. Nous ne savons pas quel pourcentage des femmes qui font une plainte changent ensuite d'idée. Nous savons que c'est le cas parfois, mais nous ne savons pas à quelle fréquence.

Le sénateur Joyal : Pour revenir à votre proposition d'amélioration à la page 12, vous dites que nous devrions imposer une épreuve décisive au juge, qui serait propre au cas et qui prouverait que l'information sera utile pour l'accusé.

Si vous lisez le paragraphe 278.5(2), le premier critère est le suivant. Je vais vous le lire. Si vous avez un exemplaire du projet de loi, c'est à la page 6 :

a) La mesure dans laquelle le dossier est nécessaire pour permettre à l'accusé de présenter une défense pleine et entière;

Je me demandais si vous proposiez que nous amendions ce critère pour faire en sorte qu'un juge ait à tenir compte de la présentation de preuve précise nécessaire au dossier. Au lieu de « la mesure dans laquelle », nous présenterions au juge des preuves propres au cas. Ce serait une façon d'y arriver.

Toutefois, je me disais qu'il s'agit d'une impasse parce qu'on nous a dit hier, et certains collègues ont soulevé la question aussi, qu'il y a un manque d'uniformité entre les juges depuis Mills, en ce sens qu'ils ne tiennent pas compte de tous les critères.

Je me suis ensuite dit que nous pouvions amender le paragraphe 2, le premier paragraphe. Il devrait faire entièrement partie des critères. Il devrait figurer au paragraphe 2 au lieu de figurer au critère afin que les juges se sentent davantage obligés d'en tenir compte.

Et puis je me suis dit que peut-être une autre façon de procéder serait de demander au juge de suivre une liste de vérification, comme le sénateur Baker l'a dit dans un cas familial touchant la garde des enfants. Nous pourrions changer la loi afin que les juges aient à évaluer chacun des facteurs, énumérés aux alinéas a) à h), à prendre en compte.

Quelle est votre recommandation? Selon votre expérience et votre évaluation de tous ces cas, quelle option, à votre avis, serait la plus efficace?

Mme Busby : Je ne suis pas rédactrice, alors il est difficile pour moi d'être précise.

Le sénateur Joyal : Ce n'est pas seulement une question de rédaction, mais aussi de porter un jugement sur ce qui est plus efficace, parce que le projet de loi n'est pas aussi efficace que nous pensions qu'il pouvait l'être au début.

Mme Busby : Ce que j'essaie de démontrer avec le cas Batte, c'est qu'il a eu des répercussions importantes sur la pratique en Ontario. Les défendants doivent présenter la preuve à savoir pourquoi ils croient qu'un élément du dossier est propre et utile au cas, alors il faut que ce soit propre au cas.

Dans d'autres provinces, les avocats de la défense peuvent simplement avancer qu'il y a eu auparavant une déclaration incompatible. « Elle a dit aux policiers qu'elle avait raconté les événements à son thérapeute, alors il faut voir le dossier du thérapeute pour savoir de quoi il en est. » Ce n'est rien de précis. On fait monter le niveau de la preuve et la situation se complique. On ne peut pas faire un interrogatoire à l'aveuglette si le cas Batte s'applique. Toutefois, le cas Batte ne fait jurisprudence qu'en Ontario seulement, et il a amélioré les choses en Ontario, mais n'a pas de répercussions à l'extérieur de l'Ontario. Ce qui est proposé, c'est de trouver une façon d'incorporer dans le projet de loi C-46 les exigences de Batte en matière de preuve propre au cas afin qu'elles y soient énoncées clairement.

Le sénateur Angus : J'invoque le Règlement. Pourquoi est-ce qu'un jugement rendu par un tribunal de l'Ontario sur une disposition du Code criminel ne constitue-t-il pas à un précédent dans d'autres provinces?

Mme Busby : Il s'agit d'un précédent, mais il n'est pas exécutoire.

Le sénateur Angus : Quel est le raisonnement?

Le sénateur Joyal : Cela dépend du niveau du tribunal, s'il s'agit ou non d'une cour d'appel.

Le sénateur Angus : S'agissait-il d'une cour de première instance?

Mme Busby : Il s'agissait d'une décision de la Cour d'appel, alors elle a un pouvoir de persuasion, mais elle n'est pas exécutoire. Je peux vous dire qu'on renvoie parfois à l'affaire Batte, mais pas de façon uniforme.

Le sénateur Joyal : Ainsi, il s'agit d'un élément supplémentaire pour modifier la loi. Nous ne pouvons pas fonder nos conclusions sur le fait qu'il ne s'agit pas de jurisprudence, et comme vous l'avez dit, il faut respecter les décisions de la Cour suprême, qui s'appliquent partout au pays.

Vous avez dit que nous devons modifier la loi, si nous acceptons votre recommandation selon laquelle il faut qu'il y ait une preuve propre au cas qui s'applique pour qu'un juge ordonne la production de documents.

Mme Busby : Vous avez raison.

Le sénateur Joyal : Encore une fois, comme je le dis, selon votre analyse de la façon dont la cour a interprété le paragraphe (2), comment devrions-nous traiter l'article de la loi? Comme le sénateur Fraser l'a dit hier, la loi, aux paragraphes 278.8(1) et (2), exige que les raisons soient énoncées au procès-verbal ou, s'il n'y a pas de procès-verbal, qu'elles soient consignées par écrit.

Autrement dit, comment pouvons-nous rendre l'exigence exécutoire pour le tribunal et un jour, à la Cour suprême? Il faut renverser une décision de la Cour suprême ici. Voilà le problème. La Cour suprême a une interprétation qui ne concorde pas avec l'intention de la loi, et nous voulons revenir à l'intention de la loi. Nous ne pouvons pas garder la loi telle quelle. Il n'y a pas d'autre façon. Si nous gardons la loi telle quelle, nous resterons dans la même situation, et nous sommes ici pour voir comment la loi a été interprétée et en venir à des conclusions pour déterminer si des modifications sont nécessaires. Voilà la situation dans laquelle nous nous retrouvons, si j'ai bien compris.

Le sénateur Angus : C'est la situation qui existait en 1997 après l'affaire O'Connor.

Le sénateur Joyal : Je suis désolé de vous bousculer. Ce n'est pas mon intention.

Le sénateur Angus : Cela lui plaît, en fait.

Mme Busby : J'aime en effet mon travail. Je crois que vous avez proposé des modifications pour faire en sorte que les juges prennent tous les facteurs en considération. Si vous pouviez faire quelque chose pour que cette exigence devienne réalité, ce serait une bonne chose, mais le libellé est clair dans la loi, alors je ne sais pas comment y arriver. Toutefois, ce serait un bon problème à présenter aux rédacteurs : comment surmonter l'approche de la considération générale dans l'affaire Mills pour passer à une considération concrète et propre à chaque cas? Les rédacteurs sont fabuleux et pourraient trouver une solution, mais je n'ai pas la réponse.

Dans le cadre de mes recherches, j'examine ces cas et glane ce que je peux des cas signalés. Toutefois, le problème que vous avez évoqué, c'est qu'il n'y a pas suffisamment de cas signalés, ou nous n'en sommes pas certains. Le juge lit les raisons pour qu'elles figurent au procès-verbal, mais ensuite aucune transcription n'est préparée.

Y aurait-il moyen de faire en sorte que les raisons lues soient en fait publiées, ce qui permettrait une reddition de comptes? Je ne dis pas que les juges ne rendent pas de comptes, mais il faudrait que les raisons soient publiées afin que nous sachions ce qui est arrivé. Ce serait utile.

Ce serait bien si on pouvait utiliser une technique de rédaction pour cet article en particulier pour faire en sorte que les raisons ne soient pas perdues au dossier, qui dans la majorité des cas n'est jamais transcrit et donc non disponible au public; ainsi nous ne pouvons pas faire de vérification après coup et compter tous les cas pour voir si une différence est observée. Ce serait utile de veiller à ce que les décisions soient publiées, afin d'être versées dans Quicklaw ou Westlaw. C'est ce que je propose puisqu'il s'agit de mon éditeur.

Le sénateur Joyal : Puis-je faire un commentaire sur le prochain enjeu que vous soulevez à la page 13, c'est-à-dire d'empêcher l'utilisation de dossiers, même si le défendeur les a obtenus par un moyen autre qu'une renonciation éclairée? J'ai de la difficulté à cet égard. Pouvez-vous me répéter le raisonnement sous-jacent, lequel pourrait être inclus dans la loi?

Mme Busby : Je vais donner trois exemples distincts.

Un cas a été renvoyé à la Cour suprême du Canada aux environs de 2003; il s'agissait de l'affaire Shearing. Shearing était chef d'un culte; il avait une commune, et de nombreuses femmes et de nombreux enfants vivaient avec lui, enfants dont il était le père et ainsi de suite. Il avait des croyances religieuses qu'il a transmises aux jeunes filles de sa commune : si elles avaient des relations sexuelles avec lui, elles seraient guéries et auraient certains pouvoirs. Ces filles ont subi un lavage de cerveau et ont été convaincues d'avoir des relations sexuelles avec lui pour cette raison.

Des années plus tard, il a été accusé d'agressions sexuelles contre des mineurs, et il a nié tout ce qui était arrivé. Parce que les filles avaient vécu avec lui et qu'elles l'avaient ensuite quitté, il avait trouvé des effets personnels et leurs journaux intimes, et il voulait avoir l'occasion de faire un contre-interrogatoire à partir du contenu de ces journaux. Il voulait dire qu'il n'y avait rien dans leurs journaux à propos d'agressions sexuelles, ainsi ce n'était pas arrivé, autrement elles auraient noté les agressions sexuelles. Il ne s'agit pas d'une conclusion logique à tirer, mais c'était celle qu'il voulait tirer : rien n'est arrivé parce que rien ne figurait dans les journaux personnels.

Nous avons fait valoir que les journaux étaient inadmissibles parce qu'ils ne lui appartenaient pas et parce qu'ils n'étaient pas assujettis au processus prévu dans le projet de loi C-46.

Le tribunal dans le cas Shearing a indiqué que s'il détenait les documents, il pouvait s'en servir; il pouvait donc se servir des journaux. Ainsi, on a divulgué le contenu des journaux à de nombreuses personnes et au juge, ce qui est gênant. Voilà un exemple.

Dans un autre exemple, : un homme a pris une lettre du sac à main de son épouse. Il a trouvé une lettre. Plus tard, lorsqu'elle a formulé une plainte pour agression sexuelle, il voulait se servir de la lettre privée pour la discréditer puisque la lettre portait sur un avortement qu'elle avait subi. Il lui a volé la lettre, et parce qu'il l'avait en sa possession, il a pu s'en servir. Voilà la préoccupation.

Une autre préoccupation découle du fait que les responsables de la gestion des documents peuvent envoyer les dossiers par courrier au défendeur, qui peut s'en servir. Le responsable de la gestion des documents pourrait être passible de sanctions professionnelles. Je ne connais pas la fréquence de cette pratique, mais c'est arrivé par le passé. Certainement, avant l'affaire O'Connor, c'était une pratique fréquente. Un avocat de la défense rédigeait une lettre convaincante à un responsable de la gestion des documents, et le responsable envoyait le dossier. La cour a dit que si le défendeur a les dossiers en sa possession, il peut s'en servir, alors je crois que cette règle encourage les défendeurs à tenter de les obtenir.

Le sénateur Joyal : Nous soulevons toute une gamme d'enjeux, comme l'admissibilité de la preuve dans les tribunaux. Avez-vous examiné la question dans ce contexte?

Mme Busby : Je ne suis pas experte en matière de preuve à cet égard. Les tribunaux admettent maintenant la preuve s'ils pensent qu'elle a une valeur probante, puis ils déterminent le poids à y accorder.

Du point de vue du plaignant, ce n'est pas important. Un journal a été reproduit et remis à un juge et à un avocat de la défense, et la plaignante doit maintenant craindre ce qui arrivera à la barre des témoins. Il y a un effet de dissuasion; la question n'est pas l'utilisation qui sera faite du journal. Je crois que la plupart des gens verront au-delà de la valeur probante d'un journal et diront que le journal d'une adolescente de 14 ans ne constitue pas un compte rendu des faits.

La présidente : Nous pourrions vous garder ici tout l'après-midi, mais c'est impossible.

Le sénateur Chaput : Je n'ai pas d'autres questions, mais j'aimerais remercier Mme Busby de son excellent exposé. Je peux dire que j'ai maintenant une meilleure compréhension du projet de loi et des raisons pour lesquelles il a été rédigé. Je comprends aussi qu'au comité, nous pouvons faire une différence si nous voulons et améliorer la loi en y apportant des modifications. Il s'agit de notre travail, d'améliorer les choses autant que possible. Je vous remercie encore une fois, madame Busby.

La présidente : J'ai une question qui peut sembler immensément naïve. Si nous ne sommes pas satisfaits de la communication des raisons des juges, serait-il possible de simplement demander à ce qu'un formulaire soit rempli? Je peux voir les difficultés. D'un autre côté, s'ils devaient remplir ce formulaire, peut-être qu'ils le feraient.

Mme Busby : Il y a une solution qui est simple. Les juges peuvent ordonner qu'une transcription soit faite. Ils peuvent dire aux sténographes : « Veuillez transcrire les raisons qui étayent ma décision », et ensuite les publier. Elles doivent être versées au dossier de toute façon; c'est déjà fait.

Le problème est que nous avons des jours et des jours de transcriptions et aucune raison de les publier, alors les transcriptions ne sont pas transcrites à moins qu'il y ait appel ou quelque chose de ce genre. Je ne sais pas comment ce pourrait être énoncé dans la loi, mais on pourrait dire à un juge que toutes les raisons des décisions devraient être rendues publiques, ou quelque chose de ce genre.

On renvoie toujours à ces demandes comme étant les demandes O'Connor, ce qui à mon avis pose problème parce qu'on fait référence à autre chose que le projet de loi C-46. Il faudrait plutôt parler de « demandes visées au projet de loi C-46 », et non pas de demandes O'Connor. Si le juge dit : « Je vais maintenant donner les raisons pour la décision dans le cas d'une demande O'Connor, et ces raisons devraient être transcrites », alors on sait où doit commencer et terminer la transcription qui sera rendue publique, et je suis certaine que Quicklaw ou Westlaw s'en occuperait.

La présidente : Madame Busby, merci beaucoup.

Le sénateur Angus : Bravo. Excellent.

La présidente : Je joins ma voix à celle de mes collègues qui sont reconnaissants du travail que vous avez fait pour nous. Comme le sénateur Angus, je suis particulièrement impressionnée par le fait que vous avez réussi à produire un mémoire après la fin des travaux hier soir. Vous vous êtes jointe à nous et vous avez répondu à nombre de nos questions. C'est extrêmement utile. Je vous remercie.

Mme Busby : Je vous remercie.

La présidente : Chers collègues, la semaine prochaine, nous nous réunirons à l'heure habituelle. La première séance aura lieu mercredi, à 16 h 15. Toutefois, peut-être malheureusement, nous ne continuerons probablement pas cette étude. Nous allons l'interrompre parce que nous allons probablement devoir examiner un projet de loi. Nous ne l'avons pas encore, alors nous ne pouvons pas officiellement l'inscrire à l'ordre du jour, mais nous nous y préparons.

Le sénateur Runciman : Duquel s'agit-il?

La présidente : Il s'agit du projet de loi sur la pornographie juvénile. Tous les projets de loi qui sont présentés au comité traitent d'enjeux importants, et le projet de loi sur la pornographie juvénile est un de ceux-là.

Le sénateur Angus : Je crois que nous devrions réserver Mme Busby, parce qu'elle est la meilleure dans l'Ouest.

La présidente : Dès que nous l'aurons, nous vous avertirons par courriel. Entre-temps, la séance est levée.

(La séance est levée.)


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