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Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 20 - Témoignages du 10 février 2011


OTTAWA, le jeudi 10 février 2011

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C- 22, Loi concernant la déclaration obligatoire de la pornographie juvénile sur Internet par les personnes qui fournissent des services Internet, se réunit aujourd'hui à 10 h 38 pour en faire l'examen.

Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Je constate que nous avons le quorum. Je souhaite la bienvenue à mes collègues et à ceux qui nous regardent.

[Français]

Nous poursuivons notre étude du projet de loi C-22, Loi concernant la déclaration obligatoire de la pornographie juvénile sur Internet par les personnes qui fournissent des services Internet.

[Traduction]

Nous sommes très heureux d'avoir parmi nous Mme Sue O'Sullivan, ombudsman fédérale du Bureau de l'ombudsman fédéral des victimes d'actes criminels, qui sera notre premier témoin ce matin. Je pense que vous avez une déclaration préliminaire à faire. Vous avez la parole. Nous vous poserons ensuite des questions.

[Français]

Sue O'Sullivan, ombudsman fédérale, Bureau de l'ombudsman des victimes d'actes criminels : Madame la présidente et membres du comité, je vous remercie de m'avoir invitée à prendre la parole devant le comité et à vous présenter notre point de vue sur le projet de loi C-22, Loi concernant la déclaration obligatoire de la pornographie juvénile sur Internet par les personnes qui fournissent des services Internet.

Notre discussion sur le sujet est d'actualité considérant que la Journée internationale de la sécurité sur Internet a eu lieu mardi dernier. Comme vous le savez, le Bureau de l'ombudsman fédéral des victimes d'actes criminels a été créé en 2007 pour venir en aide aux victimes d'actes criminels partout au Canada.

Nous faisons ceci aussi bien au plan individuel, lorsque les victimes communiquent avec notre bureau pour demander des renseignements ou déposer une plainte, qu'au plan collectif en formulant des recommandations et en présentant notre point de vue sur les mesures législatives importantes comme le projet de loi que vous examinez aujourd'hui.

[Traduction]

Dans le cas de l'exploitation sexuelle d'enfants facilitée par Internet, le bureau a aussi produit un rapport spécial intitulé Chaque image, chaque enfant, dans lequel il a formulé neuf recommandations au ministre de la Justice et au ministre de la Sécurité publique sur les moyens les plus efficaces et systématiques de s'attaquer à ce problème particulièrement épineux. J'ai fait parvenir à la greffière des exemplaires de ce rapport à l'intention des membres du comité.

Avant d'aborder directement les dispositions du projet de loi C-22, je crois qu'il est important d'examiner en contexte la vraie nature des crimes dont nous discutons et de comprendre la portée du problème. Les discussions entourant la création et la distribution d'images de l'exploitation sexuelle d'enfants sont souvent axées sur l'arrestation des délinquants et les peines à leur infliger. Il s'agit aussi bien des personnes qui exploitent physiquement les enfants que de celles qui cherchent et téléchargent ces images ignobles pour leur propre usage.

Ça fait clairement partie de la solution du problème. Toutefois, si je peux réorienter très légèrement notre façon de voir les choses, je dirai aussi que nous ne devons pas perdre de vue le fait que ce que représente chaque image et vidéo qui circule sur Internet — et nous savons qu'il y en a des centaines de milliers — est bien plus important : un enfant exploité.

Ces enfants sont victimisés non seulement lors de la création des images, mais aussi chaque fois que celles-ci sont échangées, téléchargées et regardées. Comme l'a dit une victime de 13 ans :

Habituellement, lorsqu'un enfant est blessé et que l'agresseur va en prison, l'abus prend fin. Mais parce que XXX a publié mes photos sur Internet, l'abus se poursuit toujours [...]

Quant à l'ampleur du problème des images et des vidéos de l'exploitation sexuelle d'enfants, vous savez sans doute déjà qu'il s'accroît à un rythme alarmant. Le problème s'aggrave tant en ce qui concerne la quantité de matériel disponible que le nombre de personnes qui le cherchent et le consultent. D'après les Nations Unies, quelque 750 000 prédateurs sont branchés sur Internet à tout moment.

D'après l'Internet Watch Foundation, la quantité de matériel représentant une exploitation grave d'enfants a quadruplé de 2003 à 2007. En même temps, le contenu devient de plus en plus violent et les enfants, de plus en plus jeunes. En grande majorité — 82 p. 100 —, les enfants représentés dans ces images ont moins de 12 ans, et dans plus de 80 p. 100 des images, il y a pénétration. Le Fonds des Nations Unies pour l'enfance estime que, sur plus de 4 millions de sites, les victimes sont de jeunes mineurs, même des enfants de moins de deux ans. De toute évidence, le problème est grave et nous impose de prendre des mesures.

Le problème de l'exploitation sexuelle d'enfants facilitée par Internet est étendu et nécessite notamment de rechercher et de traduire en justice les délinquants, de porter secours aux enfants, de favoriser la guérison des jeunes victimes et de trouver des moyens d'arrêter la circulation de ce matériel.

Le projet de loi C-22 traite de deux des quatre aspects. Premièrement, il impose aux fournisseurs de services Internet qui apprennent l'existence d'une adresse IP ou d'un site web où se trouve de la pornographie juvénile accessible au public d'en informer un organisme désigné. Certaines recherches permettent de croire que la déclaration obligatoire peut faciliter l'identification des particuliers et des entreprises qui accèdent à du matériel de pornographie juvénile ou qui en distribuent.

En avril 2009, le Manitoba a été la première province à adopter une loi imposant la déclaration de la pornographie juvénile. Selon cette loi, les résidents de la province sont tenus d'informer Cyberaide.ca s'ils soupçonnent l'existence de matériel de pornographie juvénile. Au cours de l'année suivante, une étude menée par le Centre canadien de protection de l'enfance a révélé que le nombre de déclarations avait augmenté de 126 p. 100.

La loi a ultérieurement permis de transmettre aux Services manitobains à l'enfant et à la famille 17 déclarations concernant des enfants ayant été victimes d'exploitation sexuelle ou soupçonnés de l'avoir été. Ces services ont déterminé que plusieurs de ces enfants avaient effectivement été exploités sexuellement par le suspect identifié dans une des déclarations, et celui-ci va être inculpé. Les services continuent d'enquêter activement sur huit des déclarations.

Même si la loi manitobaine impose la déclaration à tous les citoyens, par opposition aux seuls fournisseurs de services Internet, elle prouve que la déclaration obligatoire peut donner des résultats. Au-delà de l'augmentation du nombre de signalements, la déclaration obligatoire peut aussi accentuer la responsabilité de ceux qui facilitent la transmission et le partage de ces images, même si ce n'est que par inadvertance, et garantir leur collaboration en vue d'arrêter la circulation de ce matériel.

La déclaration obligatoire peut aussi offrir l'avantage d'amener les fournisseurs de services Internet à s'intéresser davantage au problème, ce qui peut susciter davantage de progrès et d'innovation dans la recherche de moyens de dépister et de trouver le matériel en cause et d'en arrêter la circulation. Ces répercussions éventuelles auraient des effets positifs pour les victimes.

Outre l'obligation de signaler, le projet de loi C-22 impose aux fournisseurs de services Internet d'informer un agent de police ou un autre responsable de la sécurité publique s'ils ont des motifs de croire que leurs services sont utilisés pour commettre une infraction relative à la pornographie juvénile. Cela peut, si les circonstances s'y prêtent, aider les autorités policières à identifier, à localiser et à sauver des enfants. Toutefois, nous devons être conscients de la complexité de ce type d'infraction et du fait qu'elles peuvent être commises n'importe où dans le monde. Les images qui circulent peuvent avoir transité par des dizaines et même par des centaines de serveurs et d'adresses IP.

Dans l'étude que je viens de mentionner, le Centre canadien de protection de l'enfance a constaté que la majorité des déclarations, soit 90 p. 100, avaient été transmises à des autorités policières hors du Manitoba. Pour réussir à sauver un enfant, les autorités policières doivent essayer de trouver où le matériel a été produit, ce qui prend un temps considérable, puis communiquer avec les autorités compétentes.

Enfin, le troisième point que le projet de loi aborde concerne un aspect que notre bureau a souligné dans son rapport sur l'exploitation sexuelle d'enfants facilitée par Internet, la préservation des données. Pour prouver ce type d'infraction et être en mesure d'intenter des poursuites, il est essentiel d'avoir accès au « journal client » du suspect, qui contient des renseignements sur les périodes de connexion à Internet, l'activité du client pendant ces périodes et les adresses IP utilisées. Ces renseignements sont très utiles aux autorités policières qui enquêtent sur une affaire.

Pour les obtenir, celles-ci doivent avoir l'autorisation d'un juge, un mandat. Il arrive, dans certains cas, qu'une fois le mandat obtenu, on découvre que les journaux clients ont déjà été détruits.

Le projet de loi C-22 impose à quiconque signale du matériel d'exploitation sexuelle de préserver toutes les données relatives aux rapports pendant 21 jours, de façon à laisser aux autorités policières le temps nécessaire pour obtenir une autorisation judiciaire. Même s'il s'agit d'une mesure positive et certainement utile, elle ne règle pas le problème des données qui sont souvent perdues concernant des infractions découvertes par les autorités policières dans le cadre de leurs propres enquêtes.

C'est pour cette raison que notre bureau a recommandé au gouvernement fédéral d'adopter des mesures législatives imposant aux fournisseurs de services Internet de garder pendant deux à cinq ans le nom et l'adresse des clients, ainsi que les données de trafic et de contenu. C'est une recommandation que j'encourage le comité à envisager dans le cadre de l'examen du projet de loi.

Dans l'ensemble, comme je l'ai indiqué pour chacun des trois principaux points de cette mesure législative, le projet de loi C-22 renforce notre capacité de trouver le matériel d'exploitation sexuelle d'enfants et de le préserver dans le but de poursuivre les délinquants et, nous l'espérons, de sauver des enfants innocents.

De ce fait, notre bureau appuie pleinement le projet de loi et encourage le gouvernement à l'examiner et à l'adopter le plus rapidement possible.

Mais, malgré notre appui ferme à ce projet de loi, je dois souligner qu'il reste encore beaucoup à faire pour combattre efficacement le problème de l'exploitation sexuelle d'enfants facilitée par Internet. Le projet de loi C-22 n'empêchera pas à lui seul la production ni la communication du matériel d'exploitation sexuelle d'enfants. Il ne réglera pas non plus les problèmes que connaissent les autorités policières pour enquêter sur les affaires de ce genre sans pouvoir obliger, sans autorité, les fournisseurs de services Internet à leur communiquer le nom et l'adresse des clients afin de leur permettre d'identifier les personnes associées à une adresse IP particulière.

À l'heure actuelle, les fournisseurs de services Internet sont autorisés à communiquer sans mandat le nom et l'adresse du client, mais ils ne sont pas obligés de le faire. Même si de nombreuses compagnies acceptent de collaborer avec la police, certaines peuvent refuser, et refusent de le faire. En fait, selon un mémoire soumis par le Centre national de coordination contre l'exploitation des enfants en 2007, de 30 à 40 p. 100 des demandes sont rejetées. Si elles ne peuvent obtenir ces renseignements, les autorités policières devront fermer certains dossiers avant même d'avoir entrepris une enquête détaillée.

De plus, même s'il est très probable que ce projet de loi aidera les autorités policières à découvrir de nouvelles pistes, il ne réglera pas le problème de l'arriéré accumulé par de nombreux services de police dans l'enquête de ces affaires à cause du manque de ressources et de main-d'œuvre.

En conclusion, permettez-moi de répéter que notre bureau appuie le projet de loi C-22 et les mesures qu'il prévoit pour faciliter la découverte des cas d'exploitation sexuelle d'enfants facilitée par Internet et la préservation des données informatiques. Je voudrais également insister sur l'importance d'inclure dans nos discussions non seulement les poursuites contre les délinquants, mais aussi les mesures à prendre pour sauver et guérir des enfants innocents.

[Français]

Comme je l'ai déjà mentionné, j'ai mis à la disposition des membres du comité notre rapport, — chaque image, chaque enfant — dans lequel nous formulons neuf recommandations au ministre de la Justice et de la Sécurité publique sur les moyens de lutter d'une manière plus efficace et plus systématique contre ce problème particulièrement difficile.

Je serai maintenant heureuse de répondre à vos questions. Je vous remercie du temps que vous m'avez accordé.

[Traduction]

Le sénateur Wallace : Merci, madame O'Sullivan. C'est toujours un plaisir de vous avoir parmi nous. Nous vous avons vue ici à plusieurs titres dans les dernières années. Votre opinion nous est toujours utile. Vous avez donné une excellente vue d'ensemble de la question ce matin.

Pourriez-vous nous donner des précisions sur la situation actuelle au Canada en ce qui concerne la pornographie juvénile sur Internet? Vous avez dit que le Manitoba était la première province à avoir adopté une loi de ce genre, et que selon une étude qu'il a faite, le nombre de déclarations avait augmenté de 126 p. 100.

Puisque le projet de loi C-22 porte sur la pornographie juvénile sur Internet qui provient du Canada, et non des autres pays, que savez-vous sur la quantité de contenu de ce genre provenant non seulement du Manitoba, mais du Canada? Est-ce une grande quantité, et quelle est la tendance? Ces problèmes surviennent-ils surtout dans une partie du pays, ou est-ce généralisé?

Mme O'Sullivan : Je sais que plusieurs témoins, qui ont une grande expertise, vous parleront après moi, dont des représentants du Centre national de coordination contre l'exploitation des enfants, qui seront les prochains à prendre la parole, et je sais qu'ils pourront apporter des précisions à ce sujet.

Nous examinons le problème à partir des données qui nous sont transmises, c'est-à-dire de l'information que des gens ont vue sur Internet et déclarée, ou des déclarations des gens qui se manifestent. Une partie du problème réside dans le fait qu'un grand nombre de cas ne sont pas signalés, comme c'est souvent le cas avec beaucoup de données. Nous devons nous fier ici aux études qui ont été réalisées, et j'en ai nommé quelques-unes.

Vous pouvez constater que c'est un problème mondial, et qu'il est complexe. Je suis au courant de Cleanfeed, qui cherche aussi à bloquer les images d'exploitation sexuelle d'enfants sur Internet provenant de l'extérieur du Canada. Beaucoup d'organisations et de fournisseurs de services Internet tentent de bloquer les images qui proviennent de l'étranger.

La question est souvent de déterminer combien de gens qui regardent des images d'exploitation sexuelle d'enfants pour la première fois continuent par la suite de le faire. Je sais que certaines recherches indiquent que c'est la moitié. Je n'ai pas de données fiables sur ça. C'est une grande préoccupation.

L'autre aspect, si je peux parler franchement, c'est que nous ne disposons pas de beaucoup de recherches au sujet des répercussions sur les victimes et du fait que leur agression est dans le cyberespace pour toujours. Nous n'avons pas trouvé de recherche significative sur les répercussions que ça aura sur les victimes. Nous aimerions voir plus de recherche dans ce domaine, puisque c'est quelque chose de différent. Une fois que les images sont là, on ne peut pas contrôler où elles aboutiront ni combien de fois elles seront vues. Je n'ai utilisé qu'une citation pour souligner ça, et elle témoigne de l'effet dévastateur de savoir que chaque fois qu'elles sont revues, les enfants sont de nouveau victimisés, et de ne pas savoir ce qui circule et en quelle quantité. C'est un domaine qui mérite, selon nous, plus de recherche.

Le sénateur Wallace : Savez-vous comment les autres pays se sont attaqués à ce problème sur leur territoire? Encore une fois, les lois que nous adoptons au Canada sont soumises à certaines contraintes. Elles portent sur le matériel qui provient du Canada et sur les criminels qui se trouvent au pays. Dans le cadre du travail de votre organisation, avez- vous déterminé ce qu'avaient fait les autres pays dans des circonstances semblables, l'approche qu'ils avaient adoptée face à ce problème, s'ils avaient imposé le type de déclaration prévue dans le projet de loi C-22?

Mme O'Sullivan : Les États-Unis utilisent le chapitre 110 de la Loi 18 du Code des États-Unis, adopté en 2002, pour obliger quiconque fournit un service de télécommunication à signaler la pornographie juvénile. En 2005, l'Australie a adopté une loi semblable à celle des États-Unis. Le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l'enfant, concernant la vente d'enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants des Nations Unies de 2000 exige des États parties qu'ils protègent les enfants de toutes les formes d'exploitation et d'agression sexuelles en prenant des mesures appropriées. Il existe des lois de ce genre. Le fait de rendre la déclaration obligatoire est un premier pas important.

L'autre partie de ce projet de loi est mentionnée dans mon témoignage, soit l'importance de la préservation des preuves pour pouvoir engager des poursuites.

Le sénateur Wallace : Madame O'Sullivan, vous avez parlé du rapport de votre organisation intitulé Chaque image, chaque enfant : l'exploitation sexuelle d'enfants facilitée par Internet au Canada, qui contient neuf recommandations. Le projet de loi C-22 met-il en œuvre certaines de ces recommandations?

Mme O'Sullivan : Certaines, mais pas toutes. J'en ai remis des exemplaires au comité pour qu'il puisse en prendre connaissance. Évidemment, il y aura des problèmes de ressources et de capacité lorsque ce projet de loi sera adopté, s'il est adopté. Il est important de fournir aux autorités policières les outils nécessaires pour qu'elles puissent, à tout le moins, obtenir le nom et l'adresse des clients.

Le sénateur Wallace : Merci.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Madame O'Sullivan, je veux d'abord vous remercier et vous féliciter pour votre mémoire — je pense qu'il fait un très bon tour de la question — et également pour votre nomination. Le ministre de la Justice a fait un très, très bon choix et je lui garantis que les victimes seront très bien représentées à votre bureau par votre nomination.

Je vais surtout échanger avec vous sur votre rapport, à savoir : pouvons-nous aller plus loin? Je partage un peu votre opinion : ce qui est dans le projet de loi C-22 m'apparaît être la base. Je n'entrerai pas, comme mes collègues l'ont fait, dans une discussion plus légaliste des termes du projet de loi. Je ne suis pas avocat, je vais donc laisser cela à mon collègue d'en face, le sénateur Baker, qui est un spécialiste des détails sur le plan législatif. Personnellement, c'est plutôt le volet philosophique qui m'intéresse.

Vous dites que ce projet de loi, c'est le minimum, et je pense que tout le monde va être d'accord avec la philosophie de ce projet de loi, mais j'aimerais savoir comment aller plus loin. Ce qui m'interpelle, c'est que ce type de criminalité va en augmentant de plus en plus au Canada ainsi que dans plusieurs pays modernes où Internet est facilement accessible. La clientèle d'Internet est de plus en plus jeune. Les clients d'Internet, il y a 15 ans, étaient les adultes parce que ça coûtait cher et c'était nouveau. Maintenant, les jeunes sont sur Internet à compter de sept ou huit ans et c'est un outil quotidien, comme le téléphone l'était pour nous, à l'époque. Mais beaucoup plus dangereux, parce que beaucoup de communications sur Internet se font de façon anonyme.

Votre passé d'ancienne policière vous donne un œil plus critique sur ce genre de criminalité, alors j'aimerais que vous élaboriez plus amplement sur la manière d'aller plus loin dans la protection de nos enfants qui utilisent cet outil, en dehors de la responsabilité parentale — parce que les parents ont toujours une responsabilité. Comment pourrait-on aller plus loin dans notre Code criminel et notre législation pour protéger davantage les enfants?

[Traduction]

Mme O'Sullivan : Merci. Je sais que des experts prendront la parole après moi, et j'ai passé 30 ans à réfléchir à ça. Vous avez soulevé un point important.

La loi est une partie de la solution qui permettra d'éradiquer ce type de crime. C'est comme un continuum. La sensibilisation, la prévention et l'information des enfants pour qu'ils puissent se protéger adéquatement sont tout aussi importantes que les mesures législatives.

En décembre, j'ai eu l'occasion de visiter le Child Exploitation and Online Protection Centre à Londres, en Angleterre, et j'ai vu certains des outils qu'ils ont élaborés, comme notre centre l'a fait aussi. Dans notre pays, nous avons des autorités policières très expérimentées et engagées qui enquêtent sur ces cas et travaillent avec des partenaires à l'étranger. La réponse à ça doit être un continuum. Il faut donner à nos enfants l'information nécessaire pour qu'ils se protègent, et il faut que les parents s'assurent que les bons outils d'application sont en place.

J'aimerais revenir sur l'autre aspect, c'est-à-dire l'effet dévastateur sur les victimes, la nécessité de mettre en place le soutien approprié et d'axer la recherche sur les effets dévastateurs, que nous connaissons mais dont nous ne savons pas grand-chose. C'est la réalité, et ce type d'infraction en particulier a pour effet de victimiser les enfants à répétition. Nous n'avons pas répondu à toutes les questions. Par exemple, si, au cours d'une enquête, on découvre des victimes qui ne savent pas que des images d'elles circulent, doit-on le leur dire? Que doit-on leur dire? Comment doit-on le leur dire? Une quantité énorme d'information doit être prise en compte. J'espère que ça répond à votre question, mais je serai heureuse de préciser ma pensée si vous le voulez.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Un point qui m'a beaucoup interpellé dans votre rapport, c'est lorsque vous dites qu'il faut aller plus loin, vous dites qu'il ne règlera pas tous les problèmes que connaissent les autorités policières pour enquêter sur les affaires de ce genre sans pouvoir obliger, sans autorité, c'est-à-dire sans mandat, les fournisseurs de services Internet à leur communiquer les noms et adresses des clients afin de permettre d'identifier la personne associée. Est-ce que le projet de loi actuel devrait inclure une provision à cet effet?

[Traduction]

Mme O'Sullivan : Les autorités policières doivent pouvoir, à tout le moins, obtenir le nom et l'adresse de l'utilisateur de l'adresse IP. Si je peux me permettre de faire une analogie, lorsqu'une voiture est immatriculée à votre nom, la police peut obtenir votre nom et votre adresse. C'est un outil. Je suis consciente que nous devons tenir compte de la protection des renseignements confidentiels, mais l'obtention de tout autre renseignement exigera une autorisation judiciaire. Pour pouvoir obtenir le nom et l'adresse de l'utilisateur d'une adresse IP, oui.

La présidente : J'aimerais, si je peux me le permettre, poser une question supplémentaire. L'article 12 de ce projet de loi confère au gouverneur en conseil le pouvoir de prendre des règlements concernant la déclaration que le fournisseur de services Internet doit respecter. Pourquoi ces règlements ne diraient-ils pas tout simplement que lorsque le fournisseur fait une déclaration, il ne peut pas juste dire qu'il y a du contenu étrange à telle adresse Internet, qu'il doit aussi fournir le nom et l'adresse correspondants? Est-ce que ça pourrait être fait par règlement?

Mme O'Sullivan : Je m'en remets à vous pour ce qui peut être fait par règlement. Ces renseignements seraient fournis par le fournisseur de services Internet.

La présidente : Il m'apparaît que la police ne peut pas faire grand-chose sans savoir qui est responsable.

Mme O'Sullivan : Je m'en remets aux experts juridiques assis à la table.

Le sénateur Runciman : Cette question m'intrigue aussi, tout comme la conservation des données pendant deux à cinq ans. J'essaie de comprendre, mais je ne connais pas grand-chose à l'informatique. Pouvez-vous nous expliquer comment vous pensez que ça devrait fonctionner du point de vue des autorités policières?

Mme O'Sullivan : Je vais essayer de ne pas marcher sur mes anciennes plates-bandes.

Comme vous le savez, pour ses enquêtes, la police a besoin d'un mandat ou d'une autorisation judiciaire afin d'obtenir les données nécessaires pour entamer des poursuites.

Le sénateur Runciman : Pouvez-vous partir du début? Les autorités policières découvrent quelque chose en agissant de leur propre initiative. Je pense que c'est dans votre déclaration. Elles découvrent quelque chose elles-mêmes, la section des crimes sexuels ou peu importe, puis elles essaient de déterminer qui est impliqué.

Mme O'Sullivan : Les autorités policières reçoivent d'un citoyen ou de Cyberaide une déclaration de pornographie juvénile ou elles trouvent des images elles-mêmes. Elles essaient ensuite de repérer l'adresse IP de l'ordinateur à partir duquel les images ont été échangées ou distribuées. L'adresse de protocole Internet, ou adresse IP, est l'identificateur numérique qui est attribué à un ordinateur donné lorsqu'il se connecte à Internet. L'adresse IP est analysée par les autorités policières en vue de déterminer l'emplacement du délinquant, car elle fournit des renseignements sur le fournisseur de services Internet utilisé par le délinquant et sur l'endroit où se trouve l'utilisateur. Une fois que l'endroit est connu, les autorités policières peuvent demander au fournisseur le nom et l'adresse du client qui utilise cette adresse IP, et le fournisseur peut, à l'heure actuelle, fournir le nom et l'adresse du client aux autorités policières, mais il n'est pas obligé de le faire.

Ce que nous disons, c'est que les fournisseurs de services Internet devraient être obligés de fournir le nom et l'adresse de l'utilisateur. Je ne suis pas, moi non plus, une experte en matière de technologie, mais je sais que ça représente d'énormes quantités de données à stocker, alors les fournisseurs détruisent généralement les renseignements de façon assez régulière.

Le sénateur Runciman : Nous avons entendu dire que c'était chaque année.

Mme O'Sullivan : Je dis que s'ils les gardaient pendant deux à cinq ans — et je ne connais pas la capacité de stockage que ça exigerait —, ça permettrait d'avoir les données pour les enquêtes. Comme vous le savez, certaines de ces enquêtes, en particulier celles qui touchent plus d'un pays, peuvent prendre beaucoup de temps.

Le sénateur Runciman : Un fournisseur nous a dit être préoccupé par la capacité de stockage, donc ça pourrait être le problème. Je vous remercie d'avoir soulevé ce point, et nous pourrons en parler avec d'autres témoins.

En ce qui concerne votre rôle de défenseur des victimes d'actes criminels, nous avons eu connaissance, en décembre, d'une affaire où 57 personnes ont été accusées, dont près de la moitié au Canada. Quatre, je pense, se trouvaient dans la région d'Ottawa, et une des victimes était un enfant de quatre ans.

Qu'est-il arrivé à ces enfants? Quels défis — faute de pouvoir trouver un mot plus juste — doit-on relever pour les sauver? Qu'est-ce qui attend les enfants qui se retrouvent dans cette malheureuse situation?

Mme O'Sullivan : Je vous remercie de poser cette question, car la nécessité de se pencher sur les implications à court et à long terme de ce type de crime est un des messages que nous voulons faire passer aujourd'hui.

Je crois que des fournisseurs vous ont parlé des difficultés concernant l'accès aux services, peu importe dans quelle communauté du Canada. Chaque victime est unique et a des besoins différents. Il reste à voir quels services sont offerts. Dans certains cas, il faut des spécialistes capables de travailler avec de tout jeunes enfants. De plus, nous n'avons pas parlé des enfants qui sont plus âgés, ni des enfants qui ont d'autres problèmes. Les besoins sont criants. Je suis certaine que des milliers de fournisseurs de services pourraient expliquer ces besoins.

Je vous remercie d'avoir soulevé ce point, parce que l'autre enjeu consiste à mener des recherches sur les répercussions, en particulier parce que cette victimisation répétée se trouve dans le cyberespace pour toujours, à l'heure actuelle.

Le sénateur Baker : Merci pour votre présentation. Les autres sénateurs et moi l'avons trouvée instructive.

Vous avez mentionné le projet de loi C-46. Pour les gens qui suivent nos délibérations, le projet de loi C-46 est l'ancien projet de loi qui a été présenté à la Chambre des communes et qui est mort au Feuilleton.

C'est le même projet de loi que celui que nous avons devant nous, sauf que, comme vous l'avez souligné, ce projet de loi contenait une procédure relative à l'ordonnance de communication qui aurait permis à la police d'obtenir les renseignements dans le court délai de 21 jours. Ce point devrait plutôt être ajouté dans le Code criminel, si j'ai bien compris. Est-ce de ça que vous parliez, d'un mécanisme qui permettrait à la police d'obtenir les renseignements contestés dont nous parlons?

Mme O'Sullivan : Il y avait deux textes, le projet de loi C-46 et le projet de loi C-47. Un traitait des ordonnances de communication, mais le projet C-46 obligeait les fournisseurs à transmettre le nom et l'adresse de l'utilisateur de l'adresse IP. C'est un début. Ils doivent pouvoir obtenir ces renseignements.

Le sénateur Baker : Pourquoi pensez-vous que ça ne figure pas dans ce projet de loi?

Mme O'Sullivan : Je ne connais pas la réponse à ça.

Le sénateur Baker : J'ai une autre question concernant les 21 jours. Grâce à votre expérience de policière, vous connaissez parfaitement bien les difficultés que rencontrent les policiers lorsqu'ils essaient d'obtenir un mandat, qui exige des motifs raisonnables. Vous le savez, tout comme les autres membres de ce comité. C'est une norme très complexe et élevée parce qu'un ordinateur est aussi privé qu'une maison. La Cour suprême du Canada l'a décrété sans aucune équivoque. Un ordinateur est très privé, et il faut prouver au juge ou au juge de paix qu'il y a des motifs raisonnables de croire, ce qui est impossible en 21 jours. C'est ce que nous avons dit, et vous suggérez qu'une période de deux à quatre ans serait raisonnable.

Est-ce que ça vous inquiète de constater que le projet de loi spécifie que les fournisseurs de services Internet doivent détruire les renseignements après 21 jours? Non seulement ils n'ont pas à les conserver, mais ils doivent les détruire.

Mme O'Sullivan : Oui.

Le sénateur Baker : Est-ce que ça vous inquiète? Est-ce que vous trouvez ça alarmant aussi?

Mme O'Sullivan : Quand il est question de la protection de la vie privée, celle de la victime doit avoir préséance. Je ne pense pas qu'il y ait quoi que ce soit qui porte plus atteinte à votre vie privée que de voir circuler votre agression sexuelle dans le cyberespace. C'est une question d'équilibre et de respect du droit à la vie privée des victimes d'agression sexuelle.

Je sais qu'on cherche à marquer ces fichiers lorsqu'ils circulent grâce à la technologie. Les gens dans le monde technologique ne peuvent probablement pas le faire, mais ils peuvent signaler les images pour mettre fin à leur distribution. C'est la technologie que nous voulons.

Je ne peux pas parler des problèmes de capacité. Il y en a peut-être qui sont légitimes, et je vais laisser les experts en témoigner. Nous demandons de conserver ces images et les preuves requises pour entamer des poursuites pendant une période jugée raisonnable, comme vous le dites, dans un environnement d'enquête complexe et compliqué.

Le sénateur Baker : Vous avez parlé des groupes intégrés de LCEE. Les gens qui suivent nos délibérations ne savent pas nécessairement ce qu'est un groupe intégré de LCEE. Les membres du comité savent ce que c'est, mais pourriez-vous l'expliquer?

Mme O'Sullivan : Ce sont des enquêteurs qui ont un certain niveau d'expertise et de formation.

Le sénateur Baker : À quoi correspond l'abréviation LCEE?

Mme O'Sullivan : Elle signifie « lutte contre l'exploitation des enfants ».

Le sénateur Baker : C'est une équipe distincte du centre à Ottawa. Cette équipe travaille avec Interpol et tous les autres, et elle montre aux policiers de tout le Canada comment remplir les demandes de mandat de perquisition et comment faire ceci et cela.

Nous nous sommes inquiétés quand nous avons remarqué cette année dans la jurisprudence des preuves fournies par les équipes intégrées de LCEE. Le caporal Filotto, qui a travaillé à la GRC pendant 19 ans, a expliqué qu'ils ne disposaient pas des ressources nécessaires pour assumer pleinement leur charge de travail. C'est tiré du paragraphe 23 de CarswellBC 3669 (2010), ça date de quelque mois seulement.

Je suis certain que vous conviendrez avec moi qu'il est très important que ces gens disposent des ressources adéquates, puisqu'ils auront maintenant une toute nouvelle charge de travail sur les épaules. Êtes-vous d'accord?

Mme O'Sullivan : Je suis tout à fait d'avis qu'il faut régler les problèmes de ressources et de capacité aussi.

[Français]

Le sénateur Chaput : Je vous remercie, madame O'Sullivan, c'est plus qu'intéressant. Cela nous apprend des choses que j'aurais peut-être aimé mieux ne pas connaître. Mais la réalité est ce qu'elle est.

J'ai rapidement regardé le rapport que nous avons reçu. Je suis allé aux recommandations et dans ces recommandations, je me demandais si vous seriez en mesure de dire aux membres du comité lesquelles seraient prioritaires. Dans le sens que si le comité considérait des amendements au projet de loi, lesquelles de ces recommandations devraient faire partie ou pourraient faire partie d'amendements? Tout est important et le projet de loi est un bon début. Si on ajoute pour perfectionner le projet de loi, quels seraient les ajouts ou les amendements que nous pourrions faire. Je ne sais pas si vous voulez répondre.

[Traduction]

Mme O'Sullivan : C'est une question très difficile. Je vais vous donner un exemple. Tout d'abord, on recommande notamment de ne pas parler de « pornographie juvénile », même si c'est le terme utilisé dans la loi, mais de parler plutôt d'« images d'enfants exploités sexuellement », puisque c'est de ça qu'il s'agit. La pornographie sous-entend un consentement quelconque. Il n'y a aucun consentement ici. Ce sont des images et du matériel représentant des enfants exploités sexuellement.

J'ai de la difficulté à répondre à votre question parce qu'il est important que nous adoptions rapidement cette loi, que nous obligions les fournisseurs de services Internet à fournir les noms et les adresses aux autorités policières et que nous obligions les fournisseurs à conserver les données pendant une période raisonnable.

Je vais être franche. Si certaines de ces données sont protégées par mot de passe, il faut que la loi les oblige à fournir ce mot de passe aussi pour que les autorités policières puissent accéder aux données.

Ce qui est important, ici, c'est que le gouvernement fédéral, en partenariat avec les provinces, s'assure que nous établissions une stratégie nationale. Je précise « nationale » parce que c'est si complexe. Ça concerne évidemment la communauté mondiale aussi. Pour vraiment régler la question, nous devons pouvoir utiliser la technologie pour un jour saisir ces images et mettre fin à leur circulation dans le cyberespace. Les victimes sauraient alors que ces images sont saisies dès qu'elles sont consultées, et nous pourrions détruire ces images.

Nous parlons des centres de défense de l'enfance, et le gouvernement fédéral leur a récemment accordé des fonds. Le sénateur Runciman a posé une question là-dessus. Il ne fait aucun doute qu'il faut de l'expertise pour s'occuper d'enfants de différents âges et niveaux de développement. Les services devraient entourer la victime. La victime ne devrait pas avoir à recourir à 10 services différents pour satisfaire ses besoins. C'est un exemple d'approche qui entoure les victimes pour garantir que les services leur sont fournis sur place.

Ce projet de loi est une étape importante, et je vous encourage à l'adopter rapidement. Le bon sens veut que nous donnions aux autorités policières les outils nécessaires pour accomplir leur travail et que nous nous assurions, en tant que pays et que communauté mondiale, que nous investissons dans l'examen des besoins de ces victimes et que nous faisons ce qu'il faut, soit les aider et leur offrir ces services.

Le sénateur Joyal : J'aimerais revenir au paragraphe 4(1) du projet de loi, qui porte sur la préservation des données informatiques pendant 21 jours.

J'ai posé la question hier au ministre, et sa réponse m'a surpris. Il a répondu que si la période est si courte, c'est pour obliger les forces policières à agir rapidement, dans le délai de 21 jours. J'ai de la difficulté à concilier cette réponse et vos recommandations de ce matin. La troisième recommandation de votre rapport, qui se trouve à la page 45, est que le gouvernement fédéral devrait déposer un projet de loi pour obliger les fournisseurs de services Internet à conserver le nom et l'adresse de leurs clients ainsi que les données relatives au trafic et au contenu pendant une période de deux à cinq ans.

Je me demande comment couper la poire en deux ici. Vaut-il mieux mettre de la pression sur les forces policières pour qu'elles agissent rapidement, comme l'a dit le ministre, ou faut-il nous assurer de préserver les preuves et les éléments de preuve requis pour poursuivre les délinquants? Dans votre déclaration, vous mentionnez qu'il y a un arriéré de plusieurs années, et, à la dernière page, vous dites que ça ne réglera pas le problème de l'arriéré accumulé par de nombreux services de police dans l'enquête de ces affaires à cause du manque de ressources et de main-d'œuvre.

Il me semble que, d'un côté, le ministre dit que nous devrions penser à court terme afin de mettre de la pression sur la police. Cependant, d'un autre côté, la police n'a pas les ressources ni la main-d'œuvre nécessaires pour engager des poursuites. Autrement dit, nous perdons les éléments de preuve dont la police a besoin pour faire une enquête, d'après ce que vous nous avez dit ce matin. Que devrions-nous faire?

Mme O'Sullivan : La réponse serait de préserver les preuves pendant une certaine période, et c'est ce que je recommande ici. D'autres témoins vous donneront plus d'information à ce sujet.

Le travail associé à ce type de crime est énorme. Il faut de la capacité et des ressources. Encore une fois, je m'en remets aux experts, mais lorsqu'on saisit un disque dur, il faut analyser son contenu, ce qui, selon le niveau de la technologie, peut prendre beaucoup de temps. Les experts pourront en témoigner.

Pour ce qui est d'accélérer le travail de la police, je sais que je suis ici à titre d'ombudsman, mais nous avons consulté les organismes pour produire le document d'origine, et nous avons aussi fait un suivi pour nous assurer que le message était le bon avant de le porter à l'attention du Sénat. Nous avons consulté le Centre canadien de protection de l'enfance, le Réseau Éducation-Médias, l'organisme Victimes de violence, le Child Abuse Prevention Network, le Centre national de coordination contre l'exploitation des enfants. Je pourrais continuer, mais nous avons consulté beaucoup d'organismes nationaux pour élaborer ce rapport.

Cette information n'est pas propre au Bureau de l'ombudsman fédéral des victimes d'actes criminels. C'est le résultat d'une consultation.

Le sénateur Joyal : C'est un consensus.

Mme O'Sullivan : Je ne sais pas si je peux dire « consensus » — ce n'est pas le mot que j'utiliserais —, mais c'est le résultat d'une consultation.

À la lumière de mon expérience, je tiens à vous assurer que les policiers et les civils qui travaillent aux enquêtes de ce genre travaillent aussi fort que possible et aussi vite que possible. La réalité, c'est qu'il y a un nombre énorme d'images et d'infractions, et il faut avoir les ressources et la capacité nécessaires pour s'en occuper.

D'après mon expérience personnelle auprès des personnes qui mènent des enquêtes dans ce domaine, je vous dirais qu'elles sont très déterminées à travailler aussi rapidement que possible afin d'identifier et de sauver les enfants ainsi que d'effectuer des enquêtes détaillées et objectives dans ce domaine.

Le sénateur Joyal : Merci pour votre réponse. Je sais à quoi m'en tenir maintenant.

Mon autre question porte sur l'article 6 du projet de loi. J'aimerais aussi établir un lien avec une des recommandations que vous avez formulées ce matin. L'article 6 dit :

La présente loi n'a pas pour effet d'autoriser ou d'obliger quiconque à chercher de la pornographie juvénile.

Je trouvais au départ que cet article n'était pas nécessaire et qu'il pouvait même être nuisible. Dans vos observations, sous le titre Il faut aller plus loin, vous recommandez :

[...] [d']obliger les fournisseurs de services Internet à leur communiquer le nom et l'adresse des clients afin de leur permettre d'identifier les personnes associées à une adresse IP particulière.

Vous poursuivez en disant qu'ils devraient coopérer davantage grâce aux dispositifs qu'ils peuvent intégrer dans leurs systèmes pour identifier ceux qui consultent des sites de pornographie.

Mme O'Sullivan : C'est là :

[...] ce qui peut susciter davantage de progrès et d'innovation dans la recherche de moyens de dépister et de trouver le matériel en cause et d'en arrêter la circulation.

Le sénateur Joyal : C'est ça. D'un côté, nous leur disons dans la loi qu'ils ne sont pas obligés de le faire ni autorisés à le faire. S'il existait un dispositif qu'ils pourraient intégrer dans le système, un bogue quelconque qui bloquerait les sites, il me semble que ce serait la chose à faire pour lutter efficacement contre la pornographie juvénile.

Mme O'Sullivan : Je pense que nous tenons des propos semblables. Le projet de loi n'impose pas aux fournisseurs de services Internet de repérer les images d'enfants exploités sexuellement ni de surveiller s'il y en a.

Je sais que beaucoup d'entreprises travaillent avec les autorités policières à trouver des façons qui leur permettraient de marquer des éléments. D'après ce que je comprends, chaque image a une empreinte numérique qui lui est propre. Il y a peut-être une façon d'utiliser cette technologie pour qu'une fois qu'une image d'enfants exploités sexuellement circule, si elle continue d'être consultée, la technologie puisse la repérer, mettre fin à sa circulation et la bloquer.

Il y a deux choses différentes. D'après ce que je comprends du projet de loi, il ne vise pas à imposer aux fournisseurs de services Internet de déployer des efforts considérables pour surveiller le trafic énorme sur leurs serveurs. Ce travail revient aux autorités policières qui font les enquêtes. C'est ce que j'en comprends.

Le sénateur Joyal : Par contre, vous dites à la même page :

Même si de nombreuses compagnies acceptent de collaborer avec la police, certaines peuvent refuser, et refusent de le faire. En fait, de 30 à 40 p. 100 des demandes sont rejetées.

Mme O'Sullivan : Oui.

Le sénateur Joyal : Nous allons leur dire que dans la loi, rien ne les oblige ni ne les autorise à chercher de la pornographie juvénile. Nous avons déjà de la difficulté à obtenir leur coopération et nous allons leur donner notre bénédiction dans la loi?

Mme O'Sullivan : Je reviens au but visé quand le projet de loi a été conçu. Je me trompe peut-être, mais d'après ce que je comprends, cet article est là pour préciser qu'ils n'ont pas la responsabilité de former activement des groupes spéciaux de surveillance. Je reviens à l'objectif de départ.

Ce n'est pas seulement une question de loi, à vrai dire. Selon moi, c'est aussi une question d'engagement moral, entre autres, du public qui peut en trouver. Le projet de loi rendra la déclaration obligatoire, mais je pense que la plupart des gens veulent de toute façon le faire, et savoir où et comment le faire. Il faudra informer les citoyens, si le projet de loi est adopté. On devrait discuter non seulement de la manière dont les gens pourront signaler les cas, mais aussi de la manière dont il faudra faire circuler cette information. Il faut faire savoir aux gens comment faire un signalement et à qui, une fois que les décisions auront été prises.

Je suis d'accord avec vous. Nous voulons encourager les fournisseurs de services Internet à coopérer avec les autorités policières. Je sais que beaucoup d'entre eux continuent d'essayer de trouver de nouvelles technologies pour nous aider à appliquer la loi dans l'avenir.

L'article du projet de loi qui spécifie qu'ils ne sont pas obligés d'en chercher activement, selon moi, vise à ne pas leur imposer de former des équipes spéciales. Je me trompe peut-être. Ils n'auraient pas à créer des équipes spécialement pour surveiller toutes les activités. C'est ce que je comprends.

Le sénateur Joyal : Honnêtement, j'aurais préféré un article disant que les fournisseurs de services Internet sont invités à coopérer avec les forces policières. Ça aurait été plus positif que de leur dire « faites ce que vous voulez, vous n'êtes pas obligés de faire quoi que ce soit ».

Mme O'Sullivan : Je ne peux qu'abonder dans votre sens.

Le sénateur Joyal : Je ne comprends pas l'intérêt de cet article relativement à la lutte contre la pornographie juvénile. J'ai encore des doutes sur la présence de cet article dans le projet de loi. J'y vois une échappatoire pour les 30 à 40 p. 100 qui ne veulent pas coopérer et qui restent assis sans rien faire.

Mme O'Sullivan : Je vous en remercie, parce qu'il y a eu des agressions atroces ici, au Canada. Je pense en particulier à une affaire dans laquelle l'enfant était toujours maltraité. Je crois que vous êtes au courant. Il a fallu déployer de véritables efforts. Il s'agissait d'une agression qui se poursuivait. Merci pour vos commentaires.

La présidente : Je ne sais pas si je me fais l'avocat du diable ou si c'est simplement une question naïve de ma part. D'après ce que nous ont dit hier le ministre et ses collaborateurs, j'avais conclu que cet article était une protection contre un pédophile qui naviguerait sur Internet en quête de sites et qui, pour se défendre devant le tribunal, dirait qu'il essayait seulement d'être un bon citoyen et de trouver des sites pour les signaler, conformément à son devoir de citoyen selon le projet de loi C-22. Avez-vous déjà entendu quelqu'un soulever une telle inquiétude?

Mme O'Sullivan : Non.

La présidente : D'accord. Pouvez-vous clarifier pour moi la question de la conservation pendant une période de deux à cinq ans? Parlez-vous d'une disposition qui obligerait les fournisseurs de services Internet à conserver toute l'information relative au trafic pour tout le monde, ce qui serait énorme, ou seulement le nom et l'adresse des clients ainsi que les données relatives au trafic et au contenu pour les cas qui intéressent les autorités policières?

Mme O'Sullivan : Pour tout le monde. Encore une fois, je ne connais pas la capacité ni le coût que ça représente. Pour ce rapport, nous avons consulté le plus de gens possible, et c'est la recommandation qui en a découlé.

La présidente : Je déduis de vos propos qu'il est impossible pour les autorités policières qui découvrent une agression d'obliger les fournisseurs de services Internet à conserver les données. Je suppose qu'elles pourraient se rendre devant les tribunaux et demander une ordonnance de préservation, mais sans ça, elles peuvent seulement aviser l'entreprise.

Mme O'Sullivan : À l'heure actuelle, ce n'est pas une obligation légale.

La présidente : Ce n'est pas une obligation légale de fournir le nom et l'adresse, et ce n'est pas une obligation légale de conserver les preuves non plus?

Mme O'Sullivan : Ils peuvent obtenir une autorisation judiciaire pour que les preuves soient préservées.

La présidente : Une autorisation judiciaire, d'accord. Nous éclaircirons ça.

Mme O'Sullivan : Je crois que c'est au tour de la Gendarmerie royale du Canada, du centre de l'enfance.

La présidente : Merci infiniment, madame O'Sullivan. Vous nous avez été d'une aide précieuse.

Mme O'Sullivan : Merci de m'avoir invitée à participer.

La présidente : Chers collègues, nous poursuivons notre étude du projet de loi C-22, Loi concernant la déclaration obligatoire de la pornographie juvénile sur Internet par les personnes qui fournissent des services Internet.

Nous avons la chance d'accueillir comme prochains témoins, de la Gendarmerie royale du Canada, le surintendant principal Daniel Comeau, et du Centre national de coordination contre l'exploitation des enfants, le sergent d'état- major S.K. Parmar. Merci beaucoup à vous deux de vous joindre à nous. Je crois que vous avez une déclaration préliminaire.

Surintendant principal Daniel Comeau, commissaire adjoint par intérim, Opérations techniques, Gendarmerie royale du Canada : Oui, en effet. Je vous remercie beaucoup de me donner l'occasion de faire pour vous un bref survol du travail que font les organismes canadiens et internationaux d'application de la loi dans le domaine des technologies de l'information et de la lutte contre la cyberexploitation sexuelle des enfants.

Je me sens privilégié d'être ici aujourd'hui à titre de représentant du Centre canadien de police pour les enfants disparus et exploités, ou CCPEDE, de la Gendarmerie royale du Canada. Un des secteurs de programme du CCPEDE est le Centre national de coordination contre l'exploitation des enfants. Depuis la mise en place de la stratégie nationale, les organismes canadiens d'application de la loi ont pu faire des progrès considérables dans leurs stratégies d'intervention contre la cyberexploitation sexuelle des enfants. D'un bout à l'autre du pays, nous avons créé des groupes intégrés de lutte contre l'exploitation des enfants, ou LCEE, et comptons désormais des enquêteurs dûment formés dans chacune des provinces et chacun des territoires. Peut-être vous rappellerez-vous l'efficacité de la présence policière partout au pays à l'occasion du Projet Salvo, en 2009, qui avait donné lieu à l'arrestation de délinquants dans pratiquement toutes les provinces et tous les territoires.

À titre de centre national, un de nos rôles les plus importants consiste à aiguiller les signalements vers les organismes compétents. Les signalements nous parviennent de plusieurs sources, notamment de Cyberaide, des services de police canadiens, de la population ainsi que des partenaires de partout dans le monde. Le Centre national de coordination contre l'exploitation des enfants collabore étroitement avec le US National Center for Missing & Exploited Children (NCMEC). Nous recevons aussi des signalements d'organismes policiers internationaux, par exemple le département de la Sécurité intérieure des États-Unis, et de services de police nationaux d'Europe, d'Asie et d'Amérique du Sud. Nous ne nous contentons pas de retransmettre ces dossiers, nous y ajoutons un document d'enquête dans lequel nous consignons toute l'information utile, comme les résultats de brefs d'assignation administratifs qui permettent aux enquêteurs d'établir l'identité des détenteurs de compte, des renseignements de source publique, l'analyse des résultats de recherche. Nous offrons une panoplie de services pour aider les organismes à faire avancer leurs enquêtes.

Le CCPEDE demeure comme à son origine une équipe intégrée. Pour le moment, on y trouve un représentant de l'Agence des services frontaliers du Canada, un policier de Saanich, un agent du Service de police d'Ottawa et un enquêteur du département de la Sécurité intérieure des États-Unis. Nous négocions actuellement avec les services de police de Toronto et de Saskatoon pour obtenir de chacun un membre en détachement.

Parce qu'ils sont regroupés sous un même toit, ces postes confèrent à notre centre national davantage de capacité et d'efficacité pour appuyer nos policiers sur le terrain. Ayant contribué à fonder le Virtual Global Taskforce, le CCPEDE continue de représenter la collectivité policière canadienne auprès de cette alliance policière internationale vouée à la lutte contre la cyberexploitation sexuelle des enfants. Des agents d'infiltration et des enquêteurs du CCPEDE participent actuellement à plusieurs opérations du Virtual Global Taskforce, et il convient de voir dans ce réseau international d'agents un lieu propice à la collaboration et à l'échange de techniques et de pratiques exemplaires.

Au centre national, une des pierres angulaires de la prestation de services est la communication. Bien sûr, nous avons contribué au développement d'une expertise policière dans l'ensemble du Canada, mais encore faut-il que ces experts se consultent et communiquent entre eux et avec nos partenaires à l'étranger. Avant la stratégie nationale, le travail de la police se faisait à peu près entièrement en vase clos. Déjà, cette stratégie manque en soi d'efficacité, mais devant des délits commis dans le cyberespace, elle devenait extrêmement néfaste. Il n'y a pas de frontières dans Internet. Les enquêtes prennent à peu près toutes une dimension interterritoriale : le délinquant ne vit pas nécessairement dans la même ville, ni dans le même pays que la victime.

Comme d'autres technologies de pointe, Internet permet de communiquer avec n'importe qui, n'importe où dans le monde. C'est à la fois ce qui le rend attrayant et ce qui le rend effrayant. Laissez-moi pourtant vous rassurer : il n'y a pas que les délinquants qui exploitent la technologie pour parvenir à leurs fins. Grâce à la mise au point et à la mise en œuvre du Système d'analyse contre la pornographie juvénile, ou CETS, dans tous les services de police canadiens, la collectivité policière est en mesure d'échanger de façon protégée des renseignements sur les enquêtes. Le système CETS évite que d'innombrables heures soient consacrées en double aux enquêtes et constitue un moyen de consolider les partenariats et la collaboration. Rappelons que ce système a été élaboré en grande partie grâce à un partenariat entre la société Microsoft Corporation, le Service de police de Toronto et la GRC. Ce partenariat met en évidence un autre élément clé du centre national, soit la conclusion de partenariats avec l'industrie, les organisations non gouvernementales, ou ONG, et les organismes voués à la protection des enfants.

Comme nous le savons tous, la lutte contre l'exploitation sexuelle des enfants est l'affaire de tous et appelle un engagement général. Par exemple, nous continuons à tendre la main aux membres d'ONG comme Vision Mondiale, Beyond Borders, KINSA, ou Kids' Internet Safety Alliance, et Child Protection Partnership. Certaines de ces organisations œuvrent pour la protection des enfants depuis de nombreuses années. Nous avons tous un rôle à jouer dans la lutte du Canada contre la cyberexploitation sexuelle des enfants.

L'engagement envers la collaboration est de la plus grande importance, particulièrement en matière d'identification des victimes. L'identification des enfants est souvent le fruit des efforts de nombreux agents d'organismes nationaux et étrangers.

Le Groupe de l'identification des victimes du CCPEDE prend de l'expansion et est de plus en plus reconnu pour ses pratiques exemplaires à l'échelle mondiale. Le groupe est responsable de la consignation des cas d'agression au pays où de la pornographie juvénile a été saisie. Il est également chargé d'entamer le processus d'analyse des images afin d'identifier les enfants.

Les enquêteurs en identification des victimes de divers organismes canadiens se réunissent régulièrement à des fins de formation, d'élaboration de politiques et de pratiques, et collaborent aux enquêtes en cours. C'est là d'ailleurs un des principaux objectifs du CCPEDE : soutenir la coordination des efforts policiers au Canada.

Toutefois, l'identification des victimes ne se limite pas au Canada. Les statistiques et les images recueillies au Canada sont versées dans la base de données internationale d'Interpol. Des membres d'un groupe de travail international, dont fait partie un analyste de l'identification des victimes du CCPEDE, consacrent temps et efforts à l'identification des enfants afin d'éviter le dédoublement des efforts.

L'identification internationale de victimes a permis de sauver 2 083 enfants à ce jour. Il importe de souligner que ce sont là des cas où on a découvert de la pornographie juvénile sans connaître l'identité des enfants ni le lieu où ils se trouvaient. Sans identification, on ne pourrait pas soustraire de nombreux enfants à leurs agresseurs. Des 2 083 victimes à l'échelle mondiale, 206 étaient des enfants canadiens qui ont pu être sauvés.

Nous en sommes à une étape où nous pouvons raffiner nos méthodes. Au CCPEDE, nous améliorerons celles de l'identification des victimes et du renseignement et nous veillerons à ce que nos services — recherche, technologie et formation — soient constamment adaptés aux besoins changeants des services de police canadiens tout en accordant de la place au travail remarquable de nos partenaires non policiers.

Je tiens à vous assurer que les services de police, dans votre collectivité et à l'étranger, collaborent, offrent de la formation spécialisée à leurs membres, comptent des experts en technologie, sont entièrement voués à la cause et accomplissent des progrès. Cependant, la cyberexploitation sexuelle des enfants n'est pas uniquement l'affaire de la police. Il s'agit plutôt d'un fléau social qui nécessite l'engagement de multiples organismes de divers secteurs. Cela dit, tout nouvel outil pouvant nous aider à contrer la cyberexploitation sexuelle des enfants sera le bienvenu.

La présidente : Merci beaucoup.

Le sénateur Wallace : Merci. C'était très instructif. Votre exposé portait surtout sur les stratégies nationales et internationales auxquelles vous et vos collègues participez de près dans la lutte contre ce grave problème.

Plus tôt ce matin, nous avons entendu le témoignage de Mme O'Sullivan, ombudsman fédérale des victimes d'actes criminels. Elle a réitéré l'importance d'adopter une stratégie coordonnée à l'échelle internationale. Elle m'a donné l'impression que nous n'en avions pas au Canada, mais si je me fie à ce que vous avez dit, nous en avons une. Pouvez- vous nous dire ce que vous en pensez?

M. Comeau : Je vais laisser le sergent d'état-major Parmar, qui travaille au centre, répondre à cette question.

Sergent d'état-major S.K. Parmar, Centre national de coordination contre l'exploitation des enfants, Gendarmerie royale du Canada : Je travaille au centre national depuis 2009, et notre officier responsable a toujours mis l'accent sur les volets national et international. Nous représentons le Canada, la GRC et les services de police canadiens dans différents groupes de travail où nous faisons la promotion de la protection des enfants dans une perspective canadienne. Le ministère de la Sécurité publique du Canada nous a donné le mandat d'administrer le centre national de coordination, un rôle que nous prenons très au sérieux.

Le sénateur Wallace : Visiblement, vous collaborez aussi de près avec les provinces.

M. Parmar : Oui, en effet. Nous tenons des réunions d'officiers responsables du volet sur l'exploitation des enfants sur Internet environ quatre fois par année pour discuter des changements, des nouveaux enjeux et des nouvelles stratégies. La prochaine réunion aura lieu dans trois semaines.

Le sénateur Wallace : Vous n'avez pas dit dans quelle mesure le projet de loi C-22 serait un outil utile à votre travail. Que pensez-vous de ce projet de loi?

M. Parmar : Tous les outils mis à notre disposition pour protéger les enfants sont les bienvenus.

Le sénateur Wallace : Croyez-vous que l'exigence de déclaration obligatoire imposée aux fournisseurs de services Internet soit une nette amélioration par rapport au système de déclaration volontaire actuel?

M. Parmar : Comme le surintendant principal Comeau et moi l'avons dit, n'importe quel outil pouvant aider à assurer la protection des enfants, peu importe s'il s'agit d'enfants du Canada ou d'ailleurs, est grandement apprécié.

Le sénateur Wallace : Selon vous, le principe actuel de déclaration volontaire des fournisseurs présente-t-il d'importantes lacunes? Vous semble-t-il poser un grave problème?

M. Parmar : À ma connaissance, non.

Le sénateur Wallace : Merci.

[Français]

Le sénateur Carignan : Ma question va être un peu plus pratique. Et je vais vous faire une introduction. Je suis en accord avec le projet de loi. Je vais le soutenir et travailler toujours pour essayer de combattre ce fléau de la pornographie juvénile et toutes formes de crime surtout contre les enfants.

Mais je me soucie aussi de l'applicabilité des dispositions des lois qu'on adopte pour s'assurer qu'on ne fait pas juste les adopter, mais qu'il y ait une application réelle dans le milieu. J'ai eu la chance dans une autre vie de présider le Conseil des services policiers du Québec, qui avait pour mandat de conseiller le ministre sur les affaires policières et l'organisation policière au Québec.

Il est venu à mes oreilles, si on peut dire, des difficultés des fois dans l'application de certaines dispositions, que ce soit le contrôle de drogues dans les véhicules, qu'on n'ait pas de techniciens qualifiés pour appliquer, que ce soit au niveau de la drogue dans les résidences où il y a peut-être 10 ou 15 p. 100 des cas qui sont enquêtés, connus des milieux policiers mais qui sont seulement enquêtés, les autres sont ``brûlés'' comme on dit dans le milieu.

Je sais qu'il y a énormément de cas de crimes par Internet. Au point où j'ai assisté à une formation la semaine dernière. Le formateur sur la cybercriminalité disait : si vous avez des clients qui sont victimes de fraude, n'appelez même pas la police, ne perdez pas le temps d'appeler la police, ils n'auront pas le temps de s'en occuper, il y en a beaucoup trop. Dans un cas ici, on ne parle pas de fraude économique mais de pornographie juvénile. J'imagine que c'est un cran plus élevé, au niveau de l'urgence, que ce soit traité. Mais je connais bien les ressources des milieux des corps policiers municipaux qui sont de plus petit corps municipaux. Et même si vous avez des possibilités en lien, ça sort toujours du cadre des policiers municipaux et ils risquent d'être appelés.

Et je suis très inquiet du délai de 21 jours pour conserver la preuve, parce que connaissant le niveau d'organisation dans certains corps municipaux, connaissant le niveau d'appel de plaintes de fraudes par Internet que vous recevez quotidiennement, j'ai peur que les 21 jours ne soient pas suffisants pour arriver à des enquêtes ou lorsque vous allez arriver sur les lieux, que les preuves soient déjà disparues.

Pouvez-vous nous rassurer par rapport au délai de 21 jours, autant dans la durée de ce délai, est-ce qu'il est suffisant, et deuxièmement, dans les démarches organisationnelles que vous entendez prendre pour l'application de ces nouvelles dispositions pour s'assurer, qu'autant dans votre organisation que dans vos autres partenaires à travers le Canada, qu'il y ait des liens privilégiés pour agir à l'intérieur des 21 jours?

M. Comeau : Avant de passer le micro à mon collègue qui va répondre et vous dire ce qu'on doit faire dans ces 21 jours, j'aimerais vous dire que vous avez raison d'être inquiet. Oui, les ressources policières sont manquantes souvent. Dans ces domaines, on peut mettre toutes les ressources qu'on veut et on va les tenir occupés si on veut à 100 p. 100, presqu'autant qu'on peut en mettre.

Une chose que j'aimerais indiquer, c'est que dans la coopération entre les corps policiers, vous avez touché à la fraude. C'est un exemple. Les corps policiers sont souvent occupés avec leur territoire, avec leur réalité locale et la coopération souvent reste en deuxième.

Quand vient le temps des enfants, coopération policière nationale, internationale, c'est quasiment du jamais vu. C'est-à-dire que les chicanes de clocher disparaissent. Donc, au moins, on a ça qui travaille pour nous, on a ça qui est en notre faveur pour ce dossier.

En ce qui a trait au 21 jours, mon collègue peut vous expliquer possiblement ce qu'on doit faire quand une plainte est arrivée, à savoir qu'est-ce qui doit se passer dans ces 21 jours.

[Traduction]

M. Parmar : Comme l'a mentionné le surintendant principal Comeau dans sa déclaration préliminaire, au centre national, nous recevons des signalements de partenaires d'ici et d'ailleurs, de Cyberaide et d'organismes comme Interpol et le département de la Sécurité intérieure. Lorsque nous recevons un signalement, notre rôle est de déterminer si nous avons assez d'information avant de le transmettre aux services de police pour ne pas les accabler avec des signalements ponctuels. Pour ce faire, nous leur préparons des documents d'enquête. Nous essayons de recueillir le plus d'information possible sur les cibles visées, que ce soit une adresse IP, une adresse URL ou même une personne qui a été identifiée.

Quand toute l'information disponible a été recueillie et que l'autorité compétente a été déterminée, le dossier lui est transmis.

Nous sommes convaincus que l'information que nous transmettons à l'enquêteur lui permettra de poursuivre le travail à l'échelle locale. Notre rôle n'est pas de mener l'enquête sur place. Nous produisons des documents d'enquête permettant de passer à l'étape suivante.

La présidente : Combien de temps ce processus prend-il?

M. Parmar : Ça dépend du type d'information que nous cherchons. Par exemple, nous avons la chance d'avoir un agent du département de la Sécurité intérieure qui travaille avec nous et qui nous aide à obtenir les assignations administratives pour recueillir de l'information auprès des fournisseurs de services américains. Ça prend en moyenne 20 ou 21 jours pour obtenir cette information des États-Unis.

Le sénateur Baker : Vous dites que ça prend 21 jours par voie d'affidavit. J'imagine que les délais sont semblables pour obtenir une information au Canada?

M. Parmar : Non. Au Canada, nous aurions recours à ce que la Coalition canadienne contre l'exploitation des enfants sur Internet, ou CCCEEI, nous permet d'utiliser, soit une demande de communication des autorités d'application de la loi visant spécifiquement l'exploitation sexuelle des enfants. Nous décrivons la situation dans un formulaire que nous soumettons ensuite au fournisseur de services Internet. Le fournisseur n'est pas obligé de nous donner l'information, c'est fait de façon volontaire.

Le sénateur Baker : Et de 30 à 40 p. 100 des fournisseurs ne vous fournissent pas l'information demandée.

M. Parmar : Je n'ai pas cette donnée avec moi, monsieur le sénateur.

Le sénateur Baker : C'est ce que le témoin précédent a affirmé. Ça provient d'un rapport de la GRC, produit par le Centre national de coordination contre l'exploitation des enfants en octobre 2007. De 30 à 40 p. 100 des demandes sont refusées. C'est ce que le témoin précédent a affirmé, et l'information provient de votre centre.

M. Parmar : Oui. Malheureusement, monsieur le sénateur, je ne travaillais pas au centre en 2007, je ne peux donc pas vous fournir de données pour cette période, mais c'était sans doute vrai à ce moment-là.

Le sénateur Baker : Les infractions dont nous parlons ont des peines minimales d'emprisonnement obligatoires, qu'elles soient poursuivies par procédure sommaire ou par voie de mise en accusation, et le Parlement, le Sénat, a adopté une loi qui prévoit des peines minimales d'emprisonnement obligatoires pour toute personne reconnue coupable d'avoir accédé à de la pornographie juvénile ou d'en posséder. Je ne sais pas si vous pourrez répondre à cette question, mais lorsqu'un délinquant télécharge quelque chose d'Internet et qu'il se rend compte par la suite que la police mène une enquête, peut-il supprimer rapidement les données de son ordinateur? Pouvez-vous quand même savoir ce qui a été téléchargé?

M. Parmar : Faites-vous allusion à un ordinateur personnel à domicile? C'est impossible pour nous de vérifier sans autorisation judiciaire.

Le sénateur Baker : N'importe quel ordinateur, oui. Avec une autorisation judiciaire, évidemment — si on présume que vous avez reçu le rapport et qu'un juge vous autorise à aller saisir l'ordinateur, parce que c'est là que vous obtenez les preuves nécessaires à l'accusation, n'est-ce pas? Vous l'avez déjà mentionné.

Je parle d'une situation où la personne sait qu'un mandat va être délivré et se met à supprimer des données dans son ordinateur.

M. Parmar : C'est une possibilité, en effet, monsieur le sénateur.

Le sénateur Baker : Le cas échéant, êtes-vous capable de savoir ce qui a été téléchargé après que le contenu a été supprimé?

M. Parmar : Ça dépend de la façon dont les données ont été supprimées. Ici, il est question de traitement de preuves numériques, et la meilleure source d'information à ce sujet serait la Sous-direction de la criminalité technologique de la GRC. Les gens là-bas seraient mieux placés que moi pour répondre à cette question.

Le sénateur Baker : Le témoin ne peut pas répondre à cette question.

Madame la présidente, ce serait intéressant d'obtenir les réponses à ces questions, parce que, comme vous le savez, comme tout le monde le sait, pratiquement tous les ordinateurs au Canada sont susceptibles, tôt ou tard, que ce soit par accident ou à cause du pourriel, de télécharger du contenu de ce genre. Selon les dispositions sur la pornographie juvénile, un enfant est une personne âgée de moins de 18 ans.

M. Comeau : Si je peux me permettre, sénateur, je ne suis pas un expert, mais on me dit que si quelqu'un supprime quelque chose, un enquêteur en informatique judiciaire sera en mesure de récupérer les données. Par contre, s'il y a reformatage du disque ou un reformatage en profondeur, ou encore un formatage complet, ça peut s'avérer impossible.

Si votre question avait trait à une suppression faite en vitesse parce que la police arrive sur les lieux, un enquêteur en informatique judiciaire pourrait récupérer les données.

Le sénateur Baker : En lisant des cas de jurisprudence, nous avons appris que vous aviez les ressources et les spécialistes nécessaires pour extraire d'un ordinateur tout ce qui a été mis en cache, même temporairement, en plus des fichiers qui ont été téléchargés, et cetera. C'est pourquoi je posais cette question.

J'ai une autre question sur les groupes intégrés de LCEE. J'ai été frappé par le témoignage, il y a cinq ou six mois, d'un employé d'un groupe intégré de LCEE qui a déclaré que le groupe n'avait pas les ressources suffisantes par rapport à la charge de travail. Je l'ai mentionné précédemment pour le compte rendu.

Vos ressources sont limitées. Ce projet de loi entraînera sans doute une augmentation spectaculaire de votre charge de travail, parce que s'il est adopté et que quelqu'un, un technicien ou autre, soupçonne qu'un délit a été commis avec un ordinateur, ça déclenchera une enquête qui nécessitera l'intervention des groupes intégrés de LCEE.

Qu'est-ce que la GRC compte faire? Le gouvernement vous a-t-il laissé entendre que vous obtiendriez de nouvelles ressources si le projet de loi était adopté? Je ne sais pas si vous pouvez répondre, et, évidemment, vous n'avez pas à le faire si vous ne le voulez pas.

M. Comeau : Nous ne pourrons pas connaître avec certitude les effets du projet de loi sur la charge de travail tant qu'il n'aura pas été adopté.

M. Parmar : Je peux vous donner des précisions à ce sujet. Dans les provinces, nos groupes intégrés de LCEE, ou groupes intégrés de lutte contre l'exploitation des enfants, sont financés par les provinces et habituellement rattachés aux groupes sur les crimes graves. Quant à nous, au centre national, nous sommes financés par le fédéral. Concernant le manque de ressources au fédéral dont vous parlez, nous sommes financés par Sécurité publique Canada pour offrir un soutien à l'échelle nationale, mais nos fonds ne sont pas consacrés directement aux provinces.

Le sénateur Baker : Chaque province fournit des agents de la GRC pour son groupe, mais c'est le gouvernement fédéral qui fixe les salaires. Ce ne sont pas les provinces qui paient les salaires. Les groupes intégrés de LCEE ne sont pas payés par le provincial. L'argent reste au fédéral, parce que les forces policières proviennent de la GRC.

J'ai une dernière question, si vous permettez. Vous encadrez la police à différents endroits au pays. Vous avez mentionné les affidavits, les mandats sous serment, et cetera. Devez-vous vous tenir au courant des plus récentes décisions de la Cour suprême du Canada sur le caractère inadéquat de bon nombre de ces mandats, de ces motifs raisonnables de croire? Est-ce vous qui les formulez? Vous connaissez sans doute l'expression « paragraphe passe- partout ». Est-ce vous qui proposez les formulations sur les déclarations sous serment présentées pour obtenir un mandat utilisées par les forces policières partout au pays? Si c'est le cas, êtes-vous actuellement en train de revoir en grande partie les formulations proposées pour répondre aux exigences des derniers jugements rendus par la Cour suprême du Canada?

M. Parmar : Je ne saurais pas vous dire pour l'instant, puisque mon poste au centre ne touche pas à l'aspect opérationnel. Je ne suis donc pas au courant de ces changements en particulier.

Le sénateur Lang : J'aimerais que nous nous penchions sur la question du blocage de sites web, qui a été abordée par le témoin précédent. J'essaie de bien comprendre ce processus, et peut-être pourrez-vous me parler de son efficacité. Compte tenu de nos capacités technologiques, dans quelle mesure sommes-nous capables d'empêcher les personnes au pays d'utiliser cette information? Est-ce même possible?

M. Parmar : Il y a le programme Cleanfeed, qui distribue bénévolement aux fournisseurs de services Internet une liste de sites contenant de la pornographie juvénile pour qu'ils soient bloqués. C'est une initiative qui lui est propre. Elle n'a pas été lancée ni mandatée par la GRC. Cyberaide a repris l'initiative, ce qui fait partie de son mandat. Cyberaide est un de nos partenaires dans la stratégie nationale, et nous évitons de faire ces efforts en double.

Le sénateur Lang : Quel est le taux d'efficacité à ce chapitre? C'est aussi un aspect important de la stratégie.

M. Parmar : Je n'ai pas les données exactes avec moi. Cela dit, la technologie est mise en application par les fournisseurs de services Internet. Ainsi, un fournisseur reçoit le nom de domaine, l'adresse IP ou l'adresse URL d'un délinquant, puis il le bloque. En tant que Canadien qui fait appel aux services Internet d'un fournisseur canadien, je ne peux pas accéder au site lorsque j'entre son adresse. On me bloquera, parce que la mesure est prise directement par le fournisseur. C'est fait sur une base volontaire, encore une fois.

Le sénateur Lang : Je comprends que c'est fait de façon volontaire, mais y a-t-il quelqu'un au sein de votre organisation qui saurait à quel point c'est efficace, ou ne faisons-nous que tenir pour acquis qu'ils bloquent des sites et cultiver l'impression que beaucoup d'adresses sont bloquées?

M. Parmar : Nous pourrions vérifier.

La présidente : Ce serait utile si vous pouviez le faire, s'il y a quelque mesure, analyse ou donnée que ce soit à cette fin. Comme c'est généralement le cas avec les comités, je vous demanderais de nous transmettre l'information dès que vous le pouvez — hier, si possible.

M. Parmar : Oui, monsieur le sénateur, j'y verrai.

Le sénateur Runciman : Pendant la pause, on m'a informé de la question soulevée par Mme O'Sullivan concernant l'obtention de l'information de base, de l'identité et de l'emplacement des personnes associées à une adresse IP. C'est un des points qu'elle a soulevés. Le sénateur Baker a mentionné le projet de loi C-46, je crois, qui est mort au Feuilleton lors de la prorogation, pour ensuite ajouter que l'enjeu était abordé dans le projet de loi C-51. Ce serait bien si notre attaché de recherche pouvait obtenir ces données et les transmettre aux membres du comité.

La présidente : Considérez qu'il s'agit d'une demande officielle.

Le sénateur Runciman : Merci.

J'aimerais revenir sur la question des 21 jours. Le sénateur Joyal a insisté sur le fait que le ministre tentait de faire pression sur la police. Ce n'est pas ce que j'ai compris. Je croyais que sa priorité était les enfants, la victimisation et l'application rapide de mesures, et je pensais qu'on déployait des efforts pour établir, en collaboration avec la police, un délai adéquat afin que nous puissions en faire le plus possible du côté des services de police tout en ayant comme première priorité la protection des jeunes victimes.

Les 21 jours posent-ils des difficultés pour votre organisation ou d'autres services de police? Avez-vous l'impression que ça fonctionnera? Pouvez-vous nous dire ce que vous en pensez?

M. Parmar : Lorsque la consultation a eu lieu, en 2008, ça aurait été approprié, sans contredit.

Le sénateur Runciman : Voulez-vous dire que ça ne l'est plus aujourd'hui?

M. Parmar : À la façon dont nous préparons les documents d'enquête, à l'heure actuelle, ça prend en moyenne 21 jours pour préparer un document à soumettre à la section d'enquête.

Le sénateur Runciman : Nous allons entendre d'autres services de police. Diront-ils la même chose? Vous faites affaire avec ces gens régulièrement. Est-ce sensiblement la même chose pour l'ensemble des services de police?

M. Parmar : C'est ce qu'on peut dire du point de vue du centre, c'est ce qu'on observe.

Le sénateur Runciman : J'aimerais parler de l'ampleur du problème. J'ai parlé d'une affaire en décembre dans laquelle 57 hommes ont été inculpés, dont 27 au Canada et 10 en Ontario, mais je me trompe peut-être dans les chiffres. L'été dernier, Statistique Canada a rapporté — mais, pour une raison étrange, n'a pas insisté là-dessus — que le nombre de crimes sexuels contre des enfants était passé de 1 435 à 2 620, une augmentation de 80 p. 100. Si on compare avec 2007, c'est une augmentation de 350 p. 100.

Ces chiffres sont effarants. Quelle est l'ampleur du problème au Canada, et quelle proportion est produite ici, par exemple? Vos efforts ont-ils porté des fruits à ce jour?

M. Parmar : Certaines des statistiques que nous recueillons comprennent le nombre de signalements reçus, et oui, nous avons vu une augmentation constante depuis que nous avons commencé à les compiler. Par exemple, nous avons des données sur la pornographie juvénile et le leurre, c'est-à-dire le recours à la coercition en ligne pour rencontrer un enfant. En 2006, nous avons reçu 1 588 signalements, et en 2009, 3 611. L'augmentation est constante. Une partie de cette augmentation constante est due à l'essor d'Internet dans la société.

Le sénateur Runciman : Je pense que la plupart des témoins que nous avons entendus à ce jour sur la question estiment que le projet de loi est un pas dans la bonne direction pour régler le problème. Selon vous, quelles autres mesures les gouvernements fédéral et provinciaux pourraient-ils ou devraient-ils prendre pour accroître votre capacité à vous attaquer véritablement à ce problème grandissant?

M. Parmar : Je vais m'inspirer de ce qu'a dit le surintendant principal Comeau à la fin de son exposé : tout outil qui nous permet de soutenir les enfants, qui nous aide à soutenir les enfants...

Le sénateur Runciman : C'est une réponse politique. Nous voulons des suggestions précises que nous pourrons peut- être retenir.

M. Parmar : Malheureusement, mesdames et messieurs les sénateurs, au rythme où les technologies évoluent, ce que je vous dis aujourd'hui ne sera plus pertinent demain. Il est très difficile pour moi de me prononcer et de dire « faites ceci, et ça va faire l'affaire ». Ça peut être vrai pour une semaine, six mois ou un an. Les technologies évoluent rapidement.

Le sénateur Runciman : J'ai une circonscription pour vous.

La présidente : J'ai une courte question supplémentaire. À propos du délai de 21 jours, vous dites que vous mettez actuellement 21 jours à préparer un document d'enquête à l'intention des autorités locales. Est-ce que vous partez du tout début, à partir du moment où vous trouvez un site? Est-ce que ce délai serait plus court si vous aviez déjà un avis d'un fournisseur de services Internet?

M. Parmar : C'est à partir du signalement, que ce soit du tout début ou de la découverte.

Nous préparons des documents d'enquête premièrement pour cibler l'autorité compétente et, deuxièmement, pour que les autorités policières concernées aient tous les renseignements dont elles ont besoin pour prendre les choses en main et passer à la prochaine étape.

La présidente : Ma question visait surtout à savoir si les dispositions du projet de loi vous permettront de préparer les documents plus rapidement, ou simplement d'en préparer un plus grand nombre.

M. Parmar : C'est difficile à dire parce qu'il faut voir ce que les fournisseurs nous donneraient. Ça dépend de cette information.

La présidente : Ma question était une question supplémentaire à celle du sénateur Runciman, alors je suppose qu'il a droit à une question supplémentaire à son tour.

Le sénateur Runciman : Le délai de 21 jours me laisse encore perplexe. J'aimerais savoir ce que suppose la préparation d'un document. Si nous disions qu'un délai de 31 jours serait plus raisonnable, mais qu'en 20 ou 15 jours, l'autorité policière peut établir que l'avis est probablement fondé, elle peut donc dans l'intervalle s'adresser aux tribunaux. Encore une fois, pourriez-vous nous expliquer plus en détail ce que contient le document que vous transmettez à un autre organisme pour qu'il puisse prendre le relais? Les motifs sont-ils suffisants à ce stade pour vous adresser déjà aux tribunaux, de sorte que la question du délai de 21 jours ne se poserait plus?

M. Parmar : En entendant votre question, je réalise que je dois clarifier une chose. Nous partons de l'hypothèse que tous les signalements, ou la réception dans son ensemble, seraient faits au Centre national de coordination contre l'exploitation des enfants. Mais des fournisseurs de services Internet pourraient signaler des sites directement aux autorités locales. Nous partons de l'hypothèse que le centre recevrait tout. Si le signalement était fait au centre, notre document d'enquête, comme nous l'appelons, comprendrait des renseignements de sources ouvertes, par exemple des adresses de courriel si nous en avons.

Je vais utiliser sunny@hotmail.com comme exemple. Si nous avons ça comme information sur l'agresseur, nous faisons une analyse de cette adresse. Nous demandons au département de la Sécurité intérieure de communiquer pour nous avec Microsoft pour obtenir une assignation administrative pour trouver qui est l'abonné. Ce faisant, nous essayons de déterminer l'autorité compétente, et lorsque nous recevons l'information sur l'abonné, si nous avons son nom, nous cherchons sur Internet des renseignements de sources ouvertes sur cette personne. Il s'agit peut-être d'un enseignant ou d'un policier, ou tout simplement d'un citoyen ordinaire.

Lorsque les enquêteurs de l'autorité compétente reçoivent le document, ils savent qu'ils ont quelque chose de concret en main. Ils n'ont pas à repasser les renseignements au crible ni à refaire le triage. Ce document donne une longueur d'avance aux enquêteurs sur le terrain.

La présidente : Il ne nous reste plus beaucoup de temps.

Lorsque vous nous transmettrez l'information demandée, pourriez-vous nous fournir une description d'une page du contenu d'un document d'enquête type? Si nous pouvions l'étudier, nous comprendrions peut-être mieux en quoi consiste ce document. Il faut savoir qu'aucun de nous n'a d'expérience à la GRC, autant que je sache, et nous avons besoin d'aide pour bien comprendre ce que vous faites.

[Français]

Le sénateur Rivest : J'aimerais revenir aux propos d'autres sénateurs sur les effectifs. Vous avez indiqué que le problème est immense, d'une part, et l'ombudsman a évoqué que vous ne pouviez pas traiter toutes les plaintes que vous avez présentement, d'autre part. Voici un nouveau projet de loi qui va vous amener de nouveaux dossiers.

Avant de présenter ce projet de loi, est-ce que le gouvernement a rencontré les autorités policières et que les autorités ont pu transmettre au gouvernement un plan d'effectifs, combien de policiers et de ressources humaines et financières additionnelles ils auraient besoin pour mettre en œuvre ce projet de loi? Déjà, vous avez beaucoup de retard. Si ce projet de loi a pour effet de vous amener de nouveaux dossiers que vous ne pourrez pas traiter pour manque d'effectifs, qu'est-ce que cela donne? C'est toujours le même problème.

Le gouvernement a resserré les lois criminelles, a rendu plus difficile la libération. Cela a pour conséquence de garder les gens en prison et les prisons sont bondées. Là on s'engage dans la même voie.

Est-ce que ce plan d'effectifs existe? S'il existe, pouvez-vous le transmettre au comité? S'il n'a pas encore été complété, ce serait utile à l'ensemble de mes collègues d'en prendre connaissance et de prendre connaissance des actions financières et administratives que le gouvernement a en tête pour mettre en œuvre ce projet de loi parce qu'autrement, si cela n'existe pas, ce projet de loi va grossir les plaintes qui ne seront pas traitées. Ce sera un projet de loi inutile, malgré ses mérites et ambitions.

M. Comeau : Je ne suis pas au courant que si avant que le projet de loi soit mis de l'avant, s'il y a eu des consultations avec les forces policières. Par contre, avant de voir vraiment l'effet, la loi devra être mise en œuvre pour voir l'effet sur notre charge de travail.

Lorsqu'on dit qu'on prépare des packages pour aider les enquêteurs, même si à notre niveau on est en mesure de le faire rapidement, et de faire le travail qu'on a, sur le terrain il y a possiblement des difficultés. Le triage est important. Même si on a une surcharge de travail, peut-être que les enquêteurs travailleront sur de meilleurs dossiers et qu'ils auront plus de succès au lieu de travailler sur des dossiers moins chauds ou plus difficiles à avoir du succès. On pourra faire un triage plus serré à ce moment.

Je vais laisser mon collègue vous répondre.

[Traduction]

M. Parmar : Je sais que le groupe de travail fédéral-provincial-territorial a tenu une consultation en 2008, je crois. Je sais aussi que depuis 2009, il n'y a eu aucun mémoire demandant des ressources supplémentaires ou des fonds à cet égard.

[Français]

Le sénateur Joyal : Monsieur Comeau, j'aimerais revenir sur le témoignage entendu hier de la part des représentants du ministère de la Justice et de l'ombudsman ce matin. La personne qui vous transmet l'information de l'existence d'un site ou de l'utilisation de la pornographie juvénile n'est pas obligée de vous donner le nom et l'adresse de la personne contre qui vous devez aller devant un tribunal pour obtenir un ordre de la cour vous autorisant à revenir auprès du fournisseur de services Internet pour qu'on vous donne ces informations.

Ne croyez-vous pas que ce serait l'amendement le plus utile pour vous pour raccourcir les délais d'enquête et l'accumulation des causes éventuelles si cette possibilité d'obtenir en même temps que la dénonciation du site, l'adresse et l'identité des utilisateurs ou de l'utilisateur, cela faciliterait davantage le déroulement de votre enquête. Évidemment, souvent, comme on nous l'a déjà dit, on pourrait rescaper un enfant mineur. Parce qu'à la fin, c'est ce qu'on essaie d'atteindre, c'est l'objectif, récupérer les victimes.

Ne croyez-vous pas que ce serait la prochaine étape dans l'amélioration des outils à votre disposition pour pouvoir être plus efficace et plus rapide et éliminer ce qu'on nous a dit ce matin et que vous reconnaissez.

[Traduction]

Au cours des enquêtes, beaucoup d'organismes chargés de l'application de la loi font face à un manque d'effectifs.

[Français]

Ils n'ont pas suffisamment de ressources parce qu'il y a trop de cas et il y a des cas plus difficiles que d'autres certainement à investiguer.

Est-ce que ce n'est pas là la chose qui devrait être faite en priorité pour vous aider dans vos enquêtes et dans vos recherches dans la lutte contre la pornographie juvénile?

[Traduction]

M. Parmar : Si je comprends bien votre question, vous parlez du futur projet de loi sur le nom et l'adresse des clients, ou NAC, qui portera sur la prochaine étape. Ce projet de loi est une des étapes qui nous y mèneront, et, même si je ne m'y connais pas beaucoup, si je me souviens bien, ce projet nous permettra d'obtenir le nom et l'adresse des clients.

Actuellement, nous avons la participation volontaire des membres de la Coalition canadienne contre l'exploitation des enfants sur Internet. Ce sont des fournisseurs de services Internet qui ont une vision semblable de la protection des enfants en ligne. Ils se sont montrés très coopératifs par rapport aux demandes des autorités policières.

M. Comeau : Certains d'entre eux.

Le sénateur Joyal : Oui, certains d'entre eux, mais la question est, pourquoi pas tous? Que devons-nous faire pour qu'ils vous fournissent tous les renseignements dont vous avez besoin pour ouvrir l'enquête immédiatement?

À mon avis, ce n'est pas un mauvais projet de loi. Il a un objectif louable, que nous appuyons tous. Cela dit, à l'ère d'Internet, sera-t-il suffisant d'adapter l'information, d'écourter les délais et de contraindre tout le monde?

Ce que je n'accepte pas, c'est que certains fournisseurs de services Internet soient très coopératifs, qu'ils utilisent des dispositifs modernes pour recueillir l'information dont vous avez besoin, alors que d'autres ne lèvent pas le petit doigt tant qu'il n'y a pas d'ordonnance d'un tribunal. À mon avis, ce n'est pas équitable pour l'objectif de la politique, car si cette aide est fournie spontanément par un fournisseur de services Internet, elle devrait être la responsabilité de tous. C'est pourquoi j'estime qu'il y a une lacune dans le système que nous devrions combler pour vous permettre d'être plus efficaces et de sauver un plus grand nombre d'enfants.

M. Parmar : Ça tombe absolument sous le sens. Comme je ne suis pas législateur, je ne peux que dire que tout outil que vous pourrez nous fournir sera un pas dans la bonne direction, et celui-ci en est un.

Le sénateur Joyal : Quels autres outils pourrions-nous prévoir dans ce projet de loi pour vous rendre plus efficaces, pour répondre à vos besoins les plus pressants?

M. Parmar : Celui que vous proposez nous faciliterait déjà grandement la tâche.

La présidente : Le taux de refus de 30 à 40 p. 100 qui nous préoccupe tant provient d'un mémoire soumis par votre centre à Sécurité publique Canada en octobre 2007 à la suite de la consultation sur l'accès aux renseignements relatifs au nom et à l'adresse des clients. S'il s'agit d'un document public, pourriez-vous, s'il vous plaît, nous en fournir un exemplaire?

M. Parmar : Absolument.

La présidente : Merci à tous deux de votre aide. C'était très intéressant, nous vous sommes reconnaissants d'avoir pris le temps de venir. Permettez-moi aussi de vous remercier au nom de tous les citoyens canadiens pour le travail que vous accomplissez.

Chers collègues, nous accueillons de nouveau Mme Julie McAuley, directrice du Centre canadien de la statistique juridique de Statistique Canada, ainsi que M. Craig Grimes, analyste principal au Centre canadien de la statistique juridique, et Mme Mia Dauvergne, analyste principale du Programme des services policiers du Centre canadien de la statistique juridique. Vous savez maintenant comment fonctionne notre comité, et j'imagine que vous souhaitez faire une déclaration préliminaire.

Julie McAuley, directrice, Centre canadien de la statistique juridique, Statistique Canada : Je vous remercie de me donner l'occasion de témoigner aujourd'hui devant le comité au sujet des infractions de pornographie juvénile et de leurre par Internet au Canada. Statistique Canada ne prend pas position sur les modifications proposées dans le projet de loi. L'exposé que nous avons préparé présente nos données les plus récentes. Les sources sont clairement citées sur les diapositives, et nous avons ajouté des remarques sur les données. Nous vous avons aussi remis à titre informatif des numéros récents de Juristat qui pourraient être utiles à votre examen des lois canadiennes sur la pornographie juvénile et le leurre par Internet.

Mes collègues, Mme Mia Dauvergne et M. Craig Grimes, m'aideront à répondre à vos questions.

Grâce aux données obtenues de services de police des quatre coins du pays, nous sommes en mesure d'étudier les tendances en matière d'infractions sexuelles commises contre des enfants et déclarées par la police. Ces 10 dernières années, le taux d'infractions sexuelles commises contre des enfants et déclarées par la police est demeuré à peu près stable. En 2009, la police a signalé environ 14 000 cas comportant une infraction sexuelle commise contre un enfant au Canada. Ce nombre est en légère hausse par rapport à l'année précédente.

En utilisant ces mêmes données fournies par les services de police du pays, nous pouvons examiner plus particulièrement les infractions de pornographie juvénile et de leurre par Internet, présentées à la diapositive 3. Ces deux types d'infraction sont peu courants si on les compare aux autres infractions de nature sexuelle commises contre des enfants.

En 2009, la police a signalé environ 1 600 cas de pornographie juvénile et 400 de leurre par Internet au Canada. Ces deux nombres sont en hausse par rapport à l'année précédente et s'inscrivent dans une tendance à la hausse dans le nombre de cas de pornographie juvénile et de leurre par Internet déclarés par la police au cours des 10 dernières années.

Les pratiques des services de police locaux peuvent avoir une incidence sur le nombre de cas de pornographie juvénile et de leurre par Internet qui sont rapportés. Un certain nombre de services de police ont, par exemple, mis sur pied ces dernières années des équipes spécialisées en cybercriminalité qui ont pour mission d'enquêter sur les activités criminelles liées à ces deux types d'infraction. Grâce à notre collaboration avec les services de police du pays, nous savons que des campagnes sont aussi menées pour sensibiliser les enfants et les parents aux risques d'Internet et pour encourager les victimes à faire une déclaration à la police.

Le leurre d'enfant par Internet est devenu une infraction en juillet 2002. Comme tous les services de police du pays n'ont pas commencé à déclarer cette infraction immédiatement, le nombre réel d'infractions pourrait avoir été plus important au début. Ces données doivent donc être interprétées avec prudence. Cela dit, nous pouvons constater une augmentation du taux de leurre par Internet déclaré par la police au cours des sept années qui se sont écoulées depuis que cet acte est devenu une infraction.

La diapositive 4 nous montre, pour chaque région du pays, le taux et le nombre de cas de pornographie juvénile et de leurre par Internet déclarés par la police. En 2009, le taux de cas de pornographie juvénile et de leurre par Internet déclarés par la police était plus élevé dans les zones nordiques. Nous utilisons les taux pour que les tendances ne soient pas faussées par la taille de la population. Il est toutefois essentiel de comprendre que la distribution géographique du nombre de cas et celle du taux de cas de ce genre au Canada diffèrent fortement.

En 2009, c'est en Ontario et au Québec que le plus grand nombre de cas de pornographie juvénile et de leurre par Internet ont été déclarés par la police.

Toujours en 2009, environ 80 p. 100 des infractions de pornographie juvénile et de leurre d'enfant par Internet ont été commises par des personnes de moins de 50 ans, la vaste majorité étant des hommes. On peut aussi voir à la diapositive 5 que, dans 17 p. 100 des cas de pornographie juvénile, des accusations ont été portées contre des adolescents de 12 à 17 ans.

La diapositive suivante se fonde sur des données de 2009 fournies à Statistique Canada par les services de police. Elle donne un aperçu de l'âge des victimes de leurre par Internet dans les cas signalés par la police. En général, dans le cas d'infractions sexuelles commises contre des enfants et des jeunes et déclarées par la police, nous savons que les victimes sont le plus souvent des filles, et que ce sont les adolescentes qui sont le plus à risque. Cette constatation s'applique aussi aux infractions de leurre d'enfant par Internet déclarées par la police.

En 2009, sans égard à l'âge, plus de jeunes filles que de jeunes garçons ont été victimes de leurre par Internet déclaré par la police. Qui plus est, les jeunes femmes de 13 à 15 ans ont été plus nombreuses que toutes les autres à en être victimes.

Comme le montre la diapositive 7, le nombre de cas de pornographie juvénile et de leurre par Internet réglés par un tribunal criminel au Canada est en hausse. En 2008-2009, quelque 1 100 accusations de pornographie juvénile ont été portées au Canada dans le cadre d'environ 470 affaires judiciaires. Ces données reflètent une hausse par rapport à l'année précédente et s'inscrivent dans la tendance à la hausse qui se dessine depuis 2000-2001. En 2008-2009, 185 accusations de leurre d'enfant par Internet ont été portées dans le cadre d'environ 70 affaires judiciaires.

Les affaires liées à des infractions sexuelles envers des enfants comprennent souvent aussi des accusations pour d'autres infractions. On peut voir à la diapositive 8 la proportion d'accusations de pornographie juvénile ou de leurre d'enfant par Internet qui ont mené à un verdict de culpabilité, que ces accusations aient été les plus graves de l'affaire ou non.

En 2008-2009, 69 p. 100 des affaires comptant une accusation de pornographie juvénile et 77 p. 100 de celles comptant une accusation de leurre d'enfant par Internet se sont soldées par un verdict de culpabilité.

La diapositive 9 expose plus particulièrement la distribution des accusations de pornographie juvénile selon les quatre sous-catégories applicables à cette infraction, soit la publication, la distribution, la possession et l'accès. Comme je le disais tout à l'heure, il y a eu plus de 1 100 accusations de pornographie juvénile en 2008-2009 au Canada. Ce nombre est plus élevé que celui de l'année précédente et s'inscrit dans la tendance à la hausse. Toujours pendant la même année, c'est pour l'accès à de la pornographie juvénile qu'il y a eu le plus petit nombre d'accusations, alors que la possession de pornographie juvénile a fait l'objet du plus grand nombre d'accusations.

En 2008-2009, 46 p. 100 des accusations de possession de pornographie juvénile ont mené à un verdict de culpabilité, alors que cette proportion a été de 33 p. 100 pour les accusations de distribution, de 28 p. 100 pour les accusations d'accès et de 24 p. 100 pour les accusations de publication.

On peut voir à la diapositive 10 les écarts entre les types de peine imposée dans les affaires de pornographie juvénile et de leurre d'enfant par Internet. En 2008-2009, l'emprisonnement a été la peine la plus sévère imposée dans 85 p. 100 des affaires comportant une accusation de pornographie juvénile et dans 70 p. 100 des affaires comportant une accusation de leurre par Internet. Les condamnations avec sursis et la probation ont été plus courantes dans les affaires de leurre d'enfant par Internet. La peine la plus sévère imposée pour l'une ou l'autre des accusations n'a jamais été une amende.

En 2008-2009, dans les affaires où la sentence a été l'emprisonnement, la durée moyenne de l'incarcération a été de quatre mois dans les cas de pornographie juvénile, et de neuf mois dans les cas de leurre d'enfant par Internet. Sept pour cent de toutes les affaires où l'accusé a été reconnu coupable de pornographie juvénile, et 16 p. 100 de toutes celles où l'accusé a été reconnu coupable de leurre par Internet, ont mené à une peine d'emprisonnement de deux ans ou plus dans une prison fédérale, comparativement à seulement 4 p. 100 de l'ensemble des affaires où un accusé adulte est reconnu coupable. Ces peines d'emprisonnement plus longues reflètent sans doute le sérieux avec lequel les tribunaux traitent ces affaires. Voilà, j'ai terminé ma présentation. Je vous remercie encore une fois de m'avoir donné l'occasion de témoigner devant votre comité.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je vous remercie pour votre présentation très intéressante. Les statistiques en termes de criminalité m'intéressent beaucoup. Nous sommes souvent témoins de portraits un peu différents de ceux décrits par les statistiques officielles; il y a toujours les crimes déclarés, les crimes rapportés, la victimisation et, fréquemment, il y a un très grand écart.

Vous n'êtes pas du milieu policier, mais j'aimerais vous poser une question sur un point qui m'interpelle. Nous savons que, dans le milieu de la pornographie sur Internet, nous retrouvons beaucoup de pédophiles. Nous savons également que la pédophilie est une déviance et non pas une maladie. Qui plus est, le comportement déviant est souvent présent pour toujours. Cela ne se guérit pas, ça se contrôle.

Prenons les peines imposées lorsqu'on attrape ces criminels, il s'agit majoritairement d'emprisonnement. Nous savons qu'un pédophile en prison, qui se retrouvera avec d'autres hommes, aura des comportements relativement équilibrés. Ce n'est que lorsqu'il se retrouve en liberté, sans surveillance, qu'il sera alors en contact avec des enfants et que le manège reprendra.

Je constate qu'aucune amende n'a été imposée. Il faut rappeler que ces gens ne reçoivent pas tous de l'aide sociale parce que la pédophilie touche toutes les couches sociales : des gens qui ont des sous et des gens qui n'en ont pas.

Pourquoi n'y aurait-il pas un équilibre entre l'emprisonnement et les amendes imposées? Il faudrait qu'on atteigne leur portefeuille à quelque part. Nous savons que, pour ces gens, même avec une période d'emprisonnement d'un an ou deux, les effets de réhabilitation sont presque nuls.

Une étude a été faite sur les pédophiles par le Dr Ben Simon; 800 pédophiles en Colombie-Britannique ont été suivis par les programmes de réhabilitation. Le taux de récidive pour ceux qui suivaient un programme de réhabilitation était de 20 p. 100 et le taux pour ceux qui ne suivaient pas un programme de réhabilitation était de 21 p. 100. C'est donc dire que, de suivre ou non un programme de réhabilitation en prison, l'effet de réhabilitation reste très minime.

Ne devrait-il pas donc y avoir un équilibre entre l'emprisonnement et les amendes imposées à ces gens?

Je vous pose cette question tout en sachant que vous n'êtes pas du milieu policier.

La présidente : Ni avocat.

Le sénateur Carignan : Ce qui n'est pas un défaut.

Le sénateur Boisvenu : Cela m'a frappé que ces données ne soient pas disponibles.

[Traduction]

Mme McAuley : C'est une question très pertinente. Mais je ne peux malheureusement pas y répondre. Je ne peux que vous renvoyer aux informations que nous avons présentées concernant les sanctions imposées par les tribunaux aux personnes reconnues coupables de ces infractions, qu'il s'agisse de leurre d'enfant ou de pornographie juvénile.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Il est évident que ce type de criminalité, selon les données présentées, est en progression constante depuis dix ans. Si nous voulons stabiliser ce type de criminalité, et peut-être le faire décroître — je pense que c'est le souhait de tous — êtes-vous confortable avec les positions que le gouvernement prend afin de resserrer, dans le Code criminel, les lois pour faire en sorte qu'on stoppe cette criminalité pour ne pas avoir, dans dix ans, des statistiques qui vont dépasser le cadre de votre présentation?

[Traduction]

Mme McAuley : Je suis ici à titre de représentante de Statistique Canada, et non pour donner mon opinion personnelle. J'ai mentionné dans ma déclaration préliminaire que Statistique Canada ne prend pas position sur les modifications proposées dans le projet de loi. Je ne peux donc pas me prononcer.

La présidente : À la diapositive 9, vous présentez un taux d'accroissement effrayant du nombre d'accusations pour possession de pornographie juvénile. Ces infractions sont terribles, et le nombre d'accusations portées est en hausse.

En plus de présenter des données sur les cas signalés par la police, les accusations portées et l'issue des procédures, Statistique Canada réalise aussi une enquête sur la victimisation, c'est-à-dire sur les personnes qui affirment avoir été victimes d'un crime, mais qui ne l'ont pas signalé à la police. Vous n'êtes pas en mesure de faire ce genre d'enquête dans le cas de l'exploitation sexuelle des enfants ou de la pornographie juvénile, n'est-ce pas? Avons-nous une idée de l'ampleur de l'écart entre le nombre de cas signalés à la police et le nombre réel d'agressions?

Mme McAuley : L'Enquête sociale générale de 2009 comprenait des questions axées sur la victimisation, de même que sur les crimes associés à Internet, comme l'intimidation et les infractions sexuelles. Nous analysons actuellement ces données. Je transmettrai avec plaisir les questions à la greffière. Mais les données n'ont pas encore été analysées. Un résumé des conclusions de l'analyse devrait être publié d'ici quelques mois. Si, à ce moment-là, vous souhaitez que nous revenions pour en discuter, nous serons heureux de le faire.

La présidente : Nous aimerions bien en prendre connaissance. Même si j'imagine qu'à ce moment-là, nous aurons terminé depuis longtemps notre examen du projet de loi. Malheureusement, nous aurons probablement à nous pencher sur cette question de nouveau. En fait, je crois que la Chambre des communes est saisie d'un projet de loi qui porte sur d'autres aspects de cette horrible situation. Je vous remercie.

[Français]

Le sénateur Carignan : La question que je voulais poser a été posée par la présidente du comité. Je faisais état de la documentation que vous nous avez transmise, et j'aimerais vous remercier de votre travail. Vos informations sont toujours d'une pertinence et d'une aide vraiment très appréciée.

Cyberaide faisait état, en 2008, de 21 000 signalements entre le début de ses activités, en 2002, et janvier 2008; 90 p. 100 de tous ces signalements portaient sur la pornographie juvénile. Lorsque j'ai observé le nombre de causes rapportées par la police, j'ai pu constater que nous sommes loin de la coupe aux lèvres. Quand on voit le taux de condamnations quand même assez élevé lors des accusations qui sont portées, on peut s'attendre à ce que le nombre de victimes ou de cas non déclarés soit très important.

Nous allons suivre avec beaucoup d'intérêt les résultats de votre enquête et nous espérons en avoir une présentation dans un court délai.

[Traduction]

Le sénateur Runciman : Vous parlez d'infractions sexuelles commises contre des enfants et déclarées par la police, puis d'infractions sexuelles envers des enfants. Quelle est la différence entre les deux catégories dans ce graphique?

Mme McAuley : Nous présentons ici les incidents découverts et ensuite signalés par la police, contrairement aux incidents signalés par les victimes elles-mêmes dans le cadre de l'Enquête sociale générale, lorsqu'on leur pose la question directement.

Le graphique de la diapositive 2 englobe les trois catégories d'agression sexuelle. Il comprend aussi d'autres infractions sexuelles généralement commises contre les enfants — nous vous les avons exposées la semaine dernière —, comme l'exploitation sexuelle ou l'incitation à des contacts sexuels. Il s'agit ici des incidents portés à l'attention de la police.

Le sénateur Runciman : Dans votre rapport de l'été dernier, vous mentionniez que le nombre de crimes sexuels commis contre les enfants était passé de 1 435 à 2 620, une augmentation de 80 p. 100. Dans votre déclaration préliminaire, avez-vous dit que ce graphique confirmait ou contredisait ces données?

Mme McAuley : Ce graphique ne présente pas le nombre réel d'agressions ni la tendance en la matière. Il montre plutôt le taux d'agression par 100 000 habitants. Nous pourrions néanmoins transmettre les données utilisées à la greffière pour qu'elle vous les communique, si vous le souhaitez.

Le sénateur Runciman : Il y a le nombre, et il y a le taux.

Mme McAuley : C'est exact.

Le sénateur Runciman : Les gens font peut-être l'erreur de penser que ce problème n'est pas grave.

J'ai une dernière question à ce sujet. J'aimerais parler de votre méthodologie en ce qui a trait à l'infraction la plus grave. Si une personne est arrêtée pour pornographie juvénile, que des accusations sont portées relativement à cette affaire et qu'au moment de l'arrestation la police découvre que cette personne a violé les conditions de sa mise en liberté sous caution ou de sa probation ou qu'elle consomme de la drogue, autrement dit s'il y a d'autres infractions, selon les calculs de Statistique Canada, s'agit-il là d'une seule infraction?

Craig Grimes, analyste principal, Centre canadien de la statistique juridique, Statistique Canada : En ce qui concerne les affaires criminelles, nous avons étudié les données sur les chefs accusations multiples dans ce genre de cas, et nous avons examiné toutes les affaires comprenant au moins un de ces types de chef d'accusation, qu'on parle de pornographie juvénile ou de leurre par Internet.

Le sénateur Runciman : Prenons une personne qui est accusée de multiples infractions à la suite d'une affaire unique associée à la pornographie juvénile, par exemple. Vous nous dites que vous ne présentez pas ça comme une infraction unique, que vous ne le considérez pas ainsi.

Mme McAuley : Lorsqu'ils enquêtent, les policiers peuvent déclarer jusqu'à quatre infractions pour chaque cas rapporté. Nous pouvons examiner toutes les infractions signalées. Lorsque nous étudions l'information provenant des tribunaux, nous pouvons vérifier s'il y a eu des condamnations ou même examiner les dossiers et voir ce qui s'est passé relativement à l'infraction la plus grave et aux autres, puis calculer le taux de verdict de culpabilité pour chaque personne accusée.

Le sénateur Runciman : J'ai de la difficulté à trouver la réponse à ma question dans ce que vous dites.

Considérez-vous souvent ces cas comme s'il n'y avait eu qu'une seule infraction? C'est tout ce que je veux savoir.

La présidente : C'est un seul cas, mais pas une seule infraction. Est-ce que je me trompe? Je crois que c'est ce que le sénateur Runciman aimerait savoir.

Le sénateur Runciman : Ce à quoi je veux en venir, c'est la possibilité que des crimes ne soient pas signalés.

Mme McAuley : Nous pouvons faire deux choses avec les données sur les cas rapportés par la police. Nous pouvons additionner les violations les plus graves qui ont eu lieu dans le contexte de chaque affaire, ou nous pouvons tenir compte du nombre total de violations pour toutes les affaires, jusqu'à concurrence de quatre.

La présidente : Je vais tenter une approche plus profane de la question. Imaginons quelqu'un qui s'introduit dans une maison et s'empare de l'argenterie, puis s'installe à l'ordinateur, vole une clé USB et télécharge de la pornographie juvénile. Ensuite, espérant effacer ses traces, il met le feu à la maison et s'enfuit. Cet événement comporte de multiples infractions, probablement quatre, peut-être même plus. Le cas vous sera rapporté comme un seul cas comportant quatre infractions.

Mme McAuley : Oui.

La présidente : Et l'élément « pornographie juvénile » fera partie des données.

Le sénateur Runciman : Pas nécessairement.

M. Grimes : Si on considère la façon dont nous organisons les données pour aider le comité à répondre à certaines questions, la réponse est oui; nous avons examiné tous les cas comportant au moins une infraction liée à la pornographie juvénile ou au leurre par Internet, même ceux où il y a eu...

La présidente : ... un incendie criminel, et cetera.

M. Grimes : Tout à fait. Nous considérons généralement l'issue la plus grave dans une affaire criminelle; elle correspond à l'infraction la plus grave. Si, dans l'exemple que vous avez utilisé, la personne était blanchie de l'accusation de pornographie juvénile pesant contre elle, son cas serait tout de même compris dans les données.

La présidente : Bien. Étais-je à peu près sur la même longueur d'onde que vous, sénateur Runciman?

Le sénateur Runciman : Oui, ça a aidé. Merci.

Le sénateur Joyal : Merci de nous aider à comprendre les faits à l'origine de ce projet de loi.

Ma première question porte sur la diapositive 4, qui précise pour chaque province et chaque territoire le nombre d'infractions liées à la pornographie juvénile et au leurre par Internet déclarées par la police. Je suis surpris du nombre très élevé de cas au Québec. On y trouve le plus grand nombre de cas d'infractions liées à la pornographie juvénile et au leurre par Internet par comparaison aux autres provinces, notamment à l'Ontario, où 383 cas ont été recensés. Avez-vous des informations qui permettraient d'expliquer pourquoi il y a plus de signalements au Québec que dans toute autre province de population équivalente?

Mme McAuley : Je n'ai pas d'autres données que celles-ci. Il vous faudrait probablement consulter des représentants des services de police du Québec pour savoir s'ils ont mis sur pieds des initiatives particulières qui pourraient avoir une incidence sur le taux de signalement à la police, que ce soit par l'entremise de leurs équipes spécialisées en cybercriminalité ou de campagnes de sensibilisation.

Le sénateur Joyal : C'est là où je voudrais en venir, en gros. Sommes-nous en mesure d'évaluer l'efficacité d'une campagne de sensibilisation visant les adolescents, parce qu'on dirait, quand on regarde la diapositive 6, que c'est dans ce groupe d'âge-là qu'on trouve le plus grand nombre de victimes? La tranche des 12 à 15 ans compte le plus grand nombre de victimes. Est-ce le fait d'une campagne de sensibilisation dans les écoles visant à inciter les adolescents à signaler ce genre de crime? Est-ce que d'autres facteurs pourraient expliquer que les gens rapportent plus souvent ces cas au Québec?

Mme McAuley : Malheureusement, monsieur le sénateur, je ne dispose encore une fois pas de cette information. Il vous faudrait consulter des gens du Québec.

Le sénateur Joyal : Mon autre question porte sur le graphique de la diapositive 5 concernant l'âge des accusés. Lorsque vous avez comparu la semaine dernière, nous vous avons posé des questions sur les statistiques ayant trait au type de relation qui liait la victime à l'adulte. Est-il possible de connaître cette relation dans le cas des infractions de pornographie juvénile et de leurre par Internet?

Mme McAuley : Je n'ai pas avec moi les données pour la pornographie juvénile, mais j'ai quelques statistiques obtenues de la police concernant les infractions de leurre par Internet. On constate qu'en 2009, la majorité des infractions de leurre, c'est-à-dire 70 p. 100, ont été commises par un inconnu, et que 17 p. 100 étaient le fait d'une simple connaissance. Nous n'avons pas les données pour la pornographie juvénile.

Le sénateur Joyal : Dans les cas de leurre par Internet, c'est presque l'inverse de ce que vous nous disiez la semaine dernière, c'est-à-dire que 80 p. 100 des infractions étaient commises par des membres de la famille de l'enfant ou par une personne en position d'autorité par rapport à l'enfant.

Mme McAuley : C'est exact. Les pourcentages que je vous donne aujourd'hui ne concernent que le leurre par Internet. Nous n'avons pas l'information pour la pornographie juvénile.

Le sénateur Joyal : Le danger réside donc davantage dans l'inconnu que dans le cercle d'adultes qui entoure l'enfant et qui est formé des membres de sa famille et des autres adultes qu'il connaît.

Mme McAuley : Pour ce qui est du leurre par Internet, on constate que l'accusé était un inconnu dans 79 p. 100 des cas portés à l'attention de la police en 2009.

Le sénateur Joyal : Ma prochaine question concerne l'emprisonnement et le graphique de la diapositive 10. La dernière fois que vous êtes venue témoigner, vous avez fait un lien entre la gravité du crime et la durée de l'emprisonnement. Qu'en est-il des sentences d'emprisonnement ici? Le graphique indique 80 p. 100 dans les cas de pornographie juvénile, et 75 p. 100 dans les cas de leurre d'enfant, par comparaison aux autres crimes graves sur lesquels vous nous avez donné des statistiques.

Mme McAuley : Je n'ai pas ces chiffres-là avec moi, mais je les obtiendrai et les transmettrai à la greffière.

Le sénateur Joyal : Comprenez-vous la question?

Mme McAuley : Je la comprends.

Le sénateur Joyal : Ça nous aidera à savoir jusqu'à quel point les tribunaux reconnaissent la gravité du crime de pornographie juvénile.

Mme McAuley : En effet.

M. Grimes : J'ai certaines de ces statistiques ici. J'ai les chiffres pour l'ensemble des emprisonnements, par comparaison à la diapositive devant vous. Pour l'ensemble des infractions qui ont mené à une condamnation, c'est 34 p. 100. Pour les crimes contre la personne, qui comprennent les homicides, les tentatives de meurtre, les vols qualifiés, les agressions sexuelles, les voies de fait graves et les voies de fait simples, on parle de 32 p. 100. Ce taux semble étonnamment bas, mais c'est parce que la catégorie inclut les voies de fait simples, les voies de fait de niveau 1. La plupart des autres infractions entraînent plus souvent une peine d'emprisonnement. Pour les homicides, par exemple, c'est 76 p. 100, pour les tentatives de meurtre, 81 p. 100, et pour les vols qualifiés, 76 p. 100. Je peux transmettre ces chiffres à la greffière.

La présidente : Nous vous en serions reconnaissants, merci.

M. Grimes : Les taux d'emprisonnement de 85 et de 70 p. 100 que vous voyez sur ce graphique sont beaucoup plus élevés que ceux de la plupart des infractions jugées par un tribunal criminel.

Le sénateur Joyal : Peut-on en conclure que les tribunaux imposent plus souvent une peine d'emprisonnement pour ces types de crime que pour tout autre?

M. Grimes : Je ne dirais pas « tout autre », parce que nous ne considérons ici qu'un petit sous-ensemble, alors que certaines statistiques que j'ai citées il y a quelques minutes englobent des catégories plus larges. Il s'agit tout de même d'un taux élevé de condamnation à l'emprisonnement si on le compare à ces catégories plus larges.

Le sénateur Joyal : C'est particulièrement vrai quand on le compare aux taux de condamnations avec sursis et de probation, qui sont assez faibles. Ces chiffres sont-ils comparables à d'autres données dont vous disposez?

Mme McAuley : Nous pourrons vous transmettre ces chiffres; ils vous permettront de mieux comprendre ces statistiques et la proportion relative des condamnations pour chaque type de peine.

La présidente : Toujours au sujet de la diapositive 10, quels sont en général les « autres » types de peine? Pardonnez- moi si je vous oblige à vous répéter.

M. Grimes : La catégorie « autres » comprend les absolutions sous condition et inconditionnelles, les condamnations avec sursis et d'autres peines imposées par les tribunaux.

La présidente : Merci.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : J'ai des questions techniques sur la façon dont vous calculez vos statistiques. Je donne l'exemple de ma fille qui a été assassinée. Avant l'assassinat, elle a été enlevée, séquestrée, violée et assassinée. Dans les statistiques du Canada, elle compte pour une statistique, le meurtre. Les autres crimes, comme le criminel a été condamné pour meurtre, le crime de séquestration et de viol n'apparaît pas dans les statistiques parce qu'il a reçu la condamnation la plus grave.

La présidente : Est-ce qu'il y avait des accusations?

Le sénateur Boisvenu : Oui, mais comme il a été reconnu coupable pour meurtre, le crime le plus grave, les autres accusations tombent automatiquement.

De la façon dont vous calculez vos statistiques, je sais que dans les crimes contre la personne, vous avez un rapport de gravité du crime en rapport à des crimes moins graves. Vous faites une proportion, ce qui donne une tendance. On donne une cote au crime. Exemple, un assassinat, c'est dix points, effraction d'un domicile, deux points. On en vient à une moyenne de criminalité sur la gravité du crime, n'est-ce pas?

[Traduction]

Mme McAuley : Lorsque nous calculons l'indice de gravité de la criminalité, nous tenons compte de l'ensemble des crimes commis au Canada et de leur gravité en étudiant la durée des peines ordonnées par les tribunaux. Nous ne considérons pas les territoires de compétence individuellement. Tout se passe à l'échelle nationale. C'est la façon que nous établissons la gravité. C'est aussi ce qui nous permet de voir que les crimes violents entraînent une peine plus sévère que les crimes non violents.

Le sénateur Boisvenu : Est-ce la même chose pour les infractions sexuelles?

[Français]

Est-ce que vous donnez une cote de gravité dans vos statistiques?

[Traduction]

Mme McAuley : La diapositive 1, à laquelle vous faites référence, ne comprend pas de statistiques provenant de l'indice de gravité de la criminalité. Elle montre plutôt le nombre d'infractions déclarées par la police par tranche de 100 000 habitants.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Si la population, entre 1999 et 2009, a augmenté de 20 p. 100 au Canada, cela veut dire en nombre de termes absolus, si la courbe est similaire, le nombre en termes absolus a augmenté de 20 p. 100.

[Traduction]

Mme McAuley : Nous utilisons les taux pour que les données ne soient pas faussées par la taille de la population.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Ce n'est pas ma question. Si on a, par exemple, 300 crimes par 100 000 habitants, nous étions 25 millions de population en 1999 et nous sommes 35 millions, donc il y a eu 25 p. 100 d'augmentation de la population, si le taux est le même en pourcentage mais que la population a augmenté de 20 ou 25 p. 100, le nombre de victimes a augmenté aussi de 25 p. 100?

Mme McAuley : Oui.

La présidente : Il faut que ce soit la dernière.

Le sénateur Boisvenu : La courbe nous donne l'impression que la criminalité reste la même mais, en termes absolus, elle augmente avec la population. C'est ce qui est trompeur dans les statistiques quand on voit un tableau.

La présidente : Quand on ne voit que les taux. Oui.

[Traduction]

Mia Dauvergne, analyste principale, Programme des services policiers, Centre canadien de la statistique juridique, Statistique Canada : Si vous ne considérez que le nombre, alors oui, ce sera le cas; c'est pourquoi nous comparons avec la population.

La présidente : Comme vous pouvez l'entendre, on nous appelle. Comme chaque fois que vous avez témoigné devant nous, les renseignements que vous nous avez fournis ont suscité un nombre incalculable de questions. Nous vous remercions de votre patience et de votre contribution à notre travail.

Chers collègues, la réunion suivante aura lieu dans cette salle mercredi prochain, à 16 h 15.

(La séance est levée.)


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