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Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 23 - Témoignages du 9 mars 2011


OTTAWA, le mercredi 9 mars 2011

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C- 30, Loi modifiant le Code criminel, se réunit aujourd'hui, à 16 h 31, pour étudier le projet de loi.

Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, bienvenue à cette séance du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Nous allons commencer notre étude du projet de loi C-30, Loi modifiant le Code criminel, ou loi donnant suite à la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire R. c. Shoker. L'honorable Robert Nicholson, ministre de la Justice et procureur général du Canada, est notre premier témoin. Bienvenue encore une fois, monsieur le ministre. Je pense que vous allez faire une déclaration d'ouverture.

L'honorable Robert Nicholson, C.P., député, ministre de la Justice et procureur général du Canada : Effectivement. Je suis accompagné par Doug Hoover, avocat, Section de la politique en matière de droit pénal et Catherine Kane, directrice générale et avocate générale principale, Section de la politique en matière de droit pénal.

Je suis heureux de pouvoir comparaître devant vous au sujet du projet de loi C-30, loi donnant suite à la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire R. c. Shoker. L'objet du projet de loi est de veiller à ce que les délinquants se trouvant dans la collectivité respectent les ordonnances leur intimant de s'abstenir de consommer des drogues et de l'alcool. Ces modifications sont nécessaires, étant donné que la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire R. c. Shoker a mis un terme à la capacité du tribunal qui fixe la peine d'intimer au délinquant de fournir des échantillons de substances corporelles pour vérifier s'il respecte bien l'interdiction de consommer des drogues et de l'alcool.

La Cour suprême du Canada a déclaré que le paragraphe 732(1) du Code criminel n'accorde pas à un tribunal le pouvoir exprès d'imposer à un délinquant l'obligation de fournir des échantillons de substances corporelles sur demande, à titre de condition d'une ordonnance de probation. C'est ainsi que la condition relative à la fourniture d'échantillons n'a pas respecté le premier volet du critère énoncé dans R. c. Collins, l'arrêt qui fait autorité au sujet de la protection contre les fouilles et les perquisitions déraisonnables que prévoit la Charte canadienne des droits et libertés.

L'arrêt R. c. Shoker n'a pas empêché les tribunaux d'imposer à titre de condition l'obligation de s'abstenir de consommer des drogues et de l'alcool, mais il a mis un terme à l'utilisation de cet outil pour faire respecter les conditions en matière d'abstinence.

Il est impossible de trop insister sur l'importance de ces conditions et sur la nécessité de les faire respecter. L'abus des drogues et de l'alcool est un des principaux facteurs qui contribue aux comportements criminels au Canada. Le Service correctionnel du Canada estime qu'environ 50 p. 100 des 250 000 condamnations pénales prononcées chaque année sont reliées à l'abus d'une de ces substances.

En outre, près de 80 p. 100 des délinquants condamnés à une peine d'au moins deux ans de prison affirment que la toxicomanie est une des causes de leur comportement criminel. Pour gérer ce problème, les tribunaux imposent fréquemment des conditions qui obligent le délinquant à s'abstenir de consommer des drogues et de l'alcool. Ces conditions sont bien souvent essentielles parce qu'elles s'attaquent à la cause première du comportement criminel. D'après Statistique Canada, près de la moitié de toutes les ordonnances de probation contiennent une condition qui interdit au probationnaire la consommation de drogues et d'alcool.

Le respect des conditions de la probation pose un problème grave aux policiers et aux agents correctionnels. En 2008, il y a eu plus de 53 000 condamnations pour l'infraction de violation d'une ordonnance de probation.

Cette situation est le contexte dans lequel nous examinons la nécessité d'exiger des échantillons de substances corporelles pour veiller au respect de l'interdiction de la consommation de drogues et d'alcool. Les échantillons corporels sont une nécessité, parce qu'un résultat positif tiré de l'analyse d'un tel échantillon facilite grandement les poursuites. Sans les preuves concrètes fournies par l'analyse d'un échantillon, il est très difficile d'intenter des poursuites pour violation d'une telle condition. S'il n'était pas possible de prélever des échantillons d'haleine, imaginez le fardeau que devrait assumer la Couronne dans les affaires de conduite avec facultés affaiblies.

Le fait qu'un tribunal ordonne au délinquant de fournir sur demande un échantillon de substances corporelles a un effet dissuasif très important. Le délinquant qui est visé par une telle condition risque davantage de contrôler ses habitudes antérieures, ce qui facilite sa réadaptation. Le projet de loi C-30 est rédigé pour autoriser le tribunal qui interdit au délinquant de consommer des drogues et de l'alcool à exiger que celui-ci fournisse des échantillons de substances corporelles.

L'arrêt R. c. Shoker découlait de la contestation des conditions associées à la probation, mais notez que nous accordons le pouvoir de demander des échantillons non seulement dans le cadre des ordonnances de probation, mais dans celui des peines d'emprisonnement avec sursis et des engagements de ne pas troubler l'ordre public. Cette condition est nécessaire parce que les deux autres types de conditions mettent en jeu des principes semblables.

Je vais vous fournir un bref aperçu de la structure du projet de loi. Il est réparti en trois sections : les modifications à l'article 732.1 concernant les ordonnances de probation, celles qui touchent l'article 742.3 en matière de peines d'emprisonnement avec sursis et celles qui concernent l'article 810, et les articles connexes, qui contiennent les dispositions applicables aux engagements de ne pas troubler l'ordre public.

Ces trois domaines du code sont modifiés de la même façon. Par exemple, l'article 3 du projet de loi accorde au tribunal qui a déjà imposé, à titre de condition de la probation, l'obligation de s'abstenir de consommer des drogues et de l'alcool, le pouvoir d'imposer une autre condition obligeant le délinquant à fournir à la demande d'un policier ou d'un agent de probation des échantillons de substances corporelles, dans le cas où l'agent a des motifs raisonnables de croire que le délinquant a violé la condition interdisant toute consommation de ces substances. La même modification se retrouve à l'article 4 pour les peines d'emprisonnement avec sursis et aux articles 7 à 10 pour les engagements de ne pas troubler l'ordre public.

Le projet de loi autorise le tribunal à imposer une condition intimant aux délinquants de fournir des échantillons de substances corporelles à intervalles réguliers. Cette condition sera normalement imposée lorsqu'il existe des éléments indiquant que le délinquant risque probablement de récidiver parce qu'il est toxicomane. J'insiste là-dessus, à savoir que, si ce projet de loi accorde au tribunal le pouvoir d'imposer ce type de conditions, les décisions relatives aux modalités de la fourniture de ces échantillons incombent à nos officiers judiciaires de première ligne.

Lorsqu'une condition relative à la fourniture d'échantillons est imposée, le projet de loi n'a pas pour but d'imposer aux agents l'obligation impérative de prendre des échantillons à chaque fois que cela est possible. Cette possibilité est laissée aux policiers et aux agents correctionnels qui s'occupent directement du délinquant. Ils ont le pouvoir d'exiger un échantillon lorsqu'ils estiment que cela est approprié dans les circonstances.

J'attire votre attention sur un certain nombre d'aspects de ce projet de loi qui visent non seulement à ce que le régime de prise d'échantillons prévu par le projet de loi respecte les droits constitutionnels des personnes concernées, mais aussi à ce qu'il soit suffisamment souple pour que les 13 provinces et territoires puissent mettre sur pied des structures adaptées à ce régime pour en faciliter la mise en œuvre.

Premièrement, nous avons inséré dans ce projet de loi un pouvoir de réglementation résiduel qui permet au gouvernement fédéral de l'exercer s'il l'estime nécessaire. Il existe déjà à l'échelle du pays des normes minimales qui touchent tous les aspects de la demande d'échantillon — la prise, la manutention, l'analyse, l'entreposage, la destruction des échantillons de substances corporelles. Parallèlement, le projet de loi permet aux provinces et aux territoires d'établir leurs propres paramètres opérationnels, comme, par exemple, l'imposition de restrictions sur les personnes qui peuvent prélever tel genre d'échantillons, le moment et le lieu où ils peuvent être prélevés, la façon de les manipuler, de les entreposer et de les détruire.

J'insiste sur le fait que ces paramètres locaux peuvent être fixés sans qu'il soit nécessaire d'adopter un règlement. Le but est d'introduire de la souplesse de façon à pouvoir les modifier si la situation change. Grâce à cette souplesse, les policiers et agents de probation locaux pourront établir des protocoles particuliers adaptés à leurs collectivités et pourront les changer rapidement si la situation évolue.

Par exemple, le gouvernement fédéral peut adopter un règlement déclarant que l'échantillon prélevé doit être détruit dans un délai d'un an, mais le procureur général de la province est de son côté chargé de préciser les personnes à qui il incombe de procéder à la destruction de l'échantillon, d'indiquer la façon de le faire pour que cette opération soit effectuée correctement.

Enfin, je vais souligner les mesures que contient le projet de loi qui lui permettront, pensons-nous, de résister à toute contestation constitutionnelle. Ces mesures comprennent ce qui suit : limiter l'utilisation des prélèvements obtenus par les policiers ou les agents de probation à la vérification du respect des conditions imposées, autoriser le délinquant à obtenir les résultats de l'analyse de son échantillon, imposer à l'agent de probation l'obligation de remettre un avis écrit détaillé au délinquant lorsqu'il lui demande de fournir un échantillon à intervalles réguliers, y compris le lieu et le moment où l'échantillon doit être fourni; le projet de loi demande aux provinces et territoires d'adopter des règles particulières qui doivent être suivies pour prendre, analyser, manipuler, entreposer et détruire les échantillons; il est exigé que tous les échantillons et résultats des analyses soient détruits dès que la condition imposant cette interdiction n'est plus en vigueur, à moins que les résultats de l'analyse soient susceptibles d'être utilisés dans des poursuites pour violation de l'interdiction; et enfin, exiger qu'un échantillon ne puisse être demandé que lorsqu'il existe des motifs raisonnables de croire qu'il y a eu une violation d'une ordonnance de probation et d'un engagement de ne pas troubler l'ordre public.

Pour ce qui est des peines avec sursis, le critère retenu est moins exigeant, puisqu'il prévoit uniquement l'existence de « motifs raisonnables de soupçonner », parce qu'il s'agit là d'une peine de prison, même si elle est purgée dans la collectivité, et qu'elle est donc associée à des attentes moindres en matière de respect de la vie privée que ne l'est une condition contenue dans une ordonnance de probation ou un engagement de ne pas troubler l'ordre public.

En conclusion, le projet de loi constitue une réponse appropriée à la décision de la Cour suprême dans l'affaire R. c. Shoker. Il donne aux policiers et aux agents de probation les outils dont ils ont besoin pour veiller à ce que les délinquants respectent les conditions leur interdisant toute consommation abusive; il propose une méthode efficace de se procurer des prélèvements, il est équitable envers les délinquants ayant fait l'objet d'un prélèvement, et il a l'appui des provinces et des territoires.

Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de témoigner. J'ai hâte d'entendre vos questions.

La présidente : Merci, monsieur le ministre. Comme toujours, nous avons effectivement des questions à poser.

Le sénateur Angus : Bienvenue, monsieur le ministre, Mme Kane et M. Hoover. Merci d'être venus.

Monsieur le ministre, j'ai eu des discussions avec mon collègue de l'autre côté de la table, et qui n'est pas ici aujourd'hui, le sénateur Baker, un membre bien connu du comité. Après avoir eu ces discussions, j'en ai conclu que vous et vos collègues aviez peut-être tapé dans le mille cette fois-ci. Le sénateur Baker a même utilisé des termes louangeurs.

M. Nicholson : J'espère que ce n'est pas la raison pour laquelle il n'est pas ici.

Le sénateur Angus : Il m'a chargé de le faire pour lui. Cela dit, vous savez que j'ai pris la parole en Chambre au moment de la deuxième lecture du projet de loi. Il semble qu'il fasse l'objet d'un consensus général. Il y a toutefois eu quelques critiques et j'aimerais parler de deux d'entre elles, comme je l'ai fait avec vos collaborateurs aujourd'hui.

La première porte sur la lenteur du processus. Nous disons que ce projet de loi est une réponse à l'arrêt R. c. Shoker. Il a fallu toutefois attendre longtemps avant que ce projet de loi soit examiné rapidement par la Chambre des communes. Je sais que ce délai s'explique par le fait que vous avez consulté les intéressés et divers représentants des intérêts régionaux pour être sûr de choisir la bonne solution et de mettre en place les différentes normes que vous avez décrites pour prendre en compte les paramètres locaux, pour que les intervenants de première ligne puissent appliquer le projet de loi selon des modalités adaptées à leur environnement.

Pourriez-vous nous donner quelques détails sur ces consultations qui expliquent cette longue attente et qui permettraient de répondre à ces critiques?

M. Nicholson : Vous avez mentionné des aspects intéressants, sénateur Angus. Et je vous remercie également pour les commentaires que vous avez faits en Chambre. Comme vous le savez, j'y ai fait référence dans mes remarques d'ouverture.

Il me paraît important d'avoir ces discussions avec les provinces et les territoires. Comme vous le savez, selon notre Constitution, l'administration de la justice relève principalement de leurs compétences. Il était donc important de « trouver la bonne solution », pour utiliser l'expression que vous et le sénateur Baker avez, semble-t-il, utilisée. J'estime que ces discussions leur seront utiles parce qu'ils seront amenés à mettre en œuvre ces lois.

Le fait que les provinces et les territoires appuient ces lois facilitera l'étape suivante qui est de faire adopter le projet de loi par le Parlement. Comme je l'ai dit lorsque nous avons supprimé le crédit deux pour un pour les personnes qui attendent une décision finale dans leur dossier, j'estime qu'il a été extrêmement utile de pouvoir dire que tous les procureurs généraux des provinces et territoires appuyaient cette mesure. Cela a grandement facilité mon travail et celui des membres du gouvernement qui s'efforcent de faire adopter ces projets de loi. Il en va de même avec celui-ci. J'ai reçu des commentaires positifs au sujet de ce projet de loi parce qu'encore une fois, la responsabilité de le mettre en œuvre relèvera en grande partie des compétences provinciales.

La progression du projet de loi dans les deux Chambres du Parlement a posé quelques difficultés, ce qui est peut-être une litote. Cela dit, je crois que quatre projets de loi ont maintenant été adoptés au cours des semaines qui viennent de s'écouler et je deviens de plus en plus optimiste au sujet du processus législatif et des étapes à suivre. Quoi qu'il en soit, je crois que l'adoption du projet de loi par le Parlement sera accueillie avec satisfaction par tous ceux qui travaillent à faire exécuter les droits et certainement par mes homologues provinciaux et territoriaux.

Le sénateur Angus : J'espère que ce sera le cas, monsieur.

Je voulais aborder un autre point avec vous. Comme nous l'avons noté, le sénateur Baker s'intéresse vivement aux antécédents de certaines de nos lois, à leur évolution et à l'histoire du droit. Je dois admettre que cela a avivé chez moi un intérêt latent que j'avais, et cela presque par association.

Nous nous demandons tous les deux pourquoi notre droit contient cette lacune, que la Cour suprême a qualifié d'extraordinaire. D'autres représentants de votre ministère nous ont décrit précédemment les efforts déployés pour examiner toutes les lois pour veiller à ce que les versions française et anglaise soient compatibles et qu'il n'existe pas de lacunes comme celle que comble ce projet de loi.

Dans ce cas-ci, je pense qu'il est bon que cette lacune ait été décelée parce qu'elle porte sur un aspect très important. Pouvez-vous commenter cela?

M. Nicholson : Les avocats du ministère de la Justice estimaient que, lorsqu'il avait été décidé ou admis que nous pouvions imposer des conditions concernant l'interdiction de consommer de l'alcool et des drogues, il serait implicite qu'il pourrait y avoir un mécanisme permettant de s'assurer que l'interdiction était respectée. Cet argument n'a pas été retenu et nous avons ainsi été amenés à légiférer sur ce point précis et c'est ce qui a été fait.

La modernisation et le comblement des lacunes du Code criminel sont un processus continu. Je dirais au sujet du projet de loi que vous avez adopté récemment et qui oblige les fournisseurs de services Internet à communiquer les renseignements concernant la pornographie juvénile, qu'il y a 25 ans, lorsque j'ai été élu député, personne n'aurait su de quoi il s'agissait. À cette époque, il était illégal de produire de la pornographie juvénile. Ensuite, ce phénomène a été abordé par le biais de l'échange d'argent qui y était associé; les gens vendaient ce genre de choses.

Avec l'arrivée d'Internet — le téléchargement de la pornographie juvénile et la production de celle-ci à l'étranger — nous sommes continuellement amenés à réviser le Code criminel pour être sûrs qu'il est adapté à la situation actuelle : par exemple, le vol d'identité, le vol d'automobile, l'exploitation sexuelle des enfants, et cetera. Cela fait partie de notre travail. La transmission de ce message est une partie importante de mon travail. Nous intervenons dans des domaines que la plupart des gens reconnaîtraient sans hésitation comme faisant problème; c'est pourquoi il nous appartient de combler ces lacunes et d'apporter ces changements.

Le sénateur Cowan : Pour ce qui est de cette réponse, l'arrêt Shoker est celui dans lequel l'accusé avait été déclaré coupable d'introduction par effraction dans une maison d'habitation dans l'intention de commettre une agression sexuelle. Dans vos commentaires liminaires, vous avez parlé de la nécessité de fournir des ressources pour que les responsables puissent veiller au respect des conditions imposées. Vous avez fait référence à plusieurs reprises aux « délinquants », un aspect qui se retrouve dans les documents d'information que vous nous avez remis.

Bien entendu, votre réponse législative va au-delà de cette affaire. Elle vise des personnes qui n'ont même pas encore été accusées — les engagements de ne pas troubler l'ordre public. Le plus souvent, ces personnes n'ont pas été accusées, encore moins condamnées. Cette situation soulève la question de la Charte.

Pouvez-vous nous dire — et peut-être que vos collaborateurs pourront également intervenir à ce sujet — si nous pouvons être sûrs, même si nous ne pouvons pas empêcher les contestations constitutionnelles, que le projet de loi respecte la Charte autant qu'il est possible de la faire. Cette réponse semble aller plus loin que ce que demandait l'arrêt Shoker de la Cour suprême. Pouvez-vous expliquer pourquoi vous avez agi de cette façon et quelle garantie avons-nous que ce projet de loi respecte la Charte autant qu'il est possible de la faire?

M. Nicholson : Nous avons été au-delà des circonstances de l'affaire Shoker pour modifier d'autres conditions concernant les peines d'emprisonnement avec sursis et les engagements de ne pas troubler l'ordre public parce que nous ne voulions pas attendre que l'on constate qu'il existait aussi une lacune dans ces deux situations. Il est tout à fait légitime d'interdire à quelqu'un — par exemple, dans le cadre d'une peine d'emprisonnement avec sursis — de consommer de l'alcool ou des drogues, si cela est un aspect qui fait problème.

Vous connaissez les contestations qui surgissent lorsqu'on impose des engagements de ne pas troubler l'ordre public — ainsi que les dangers que cela peut parfois poser pour les personnes innocentes qui sont concernées par ces mesures. Plutôt que d'attendre qu'un tribunal déclare qu'aucune disposition précise n'autorise l'imposition d'une telle condition, nous avons estimé que ce projet de loi était l'occasion de régler cette question.

Cela dit, pour ce qui est des aspects constitutionnels, je crois avoir mentionné au moins six dispositions du projet de loi qui protègent la vie privée de l'individu. Elles visent notamment à veiller à ce que l'individu concerné ait connaissance des résultats des analyses effectuées, à faire en sorte que les échantillons ne puissent être utilisés à des fins autres que celles qui ont été prescrites par le tribunal et à veiller à ce que l'échantillon soit éventuellement détruit. Nous avons inclus toutes ces dispositions pour être sûrs que ce projet de loi résiste à tout examen constitutionnel.

Le sénateur Cowan : Vos avocats vous ont-ils affirmé que ces dispositions suffiraient?

M. Nicholson : Je vais les laisser vous l'expliquer eux-mêmes, s'ils souhaitent le faire; mais chaque fois que nous préparons des projets de loi de ce genre, nous voulons qu'ils respectent à la fois la Charte et la Déclaration canadienne des droits. C'est une des questions que je pose toujours.

Le sénateur Cowan : Me reste-t-il assez de temps pour une deuxième question?

La présidente : Rapidement, mais la règle de base veut que les collaborateurs du ministre ne fournissent leur réponse qu'une fois que celui-ci a quitté la salle.

Le sénateur Cowan : Le sénateur Angus a parlé, dans le discours qu'il a fait en deuxième lecture, des avantages qu'offrait la souplesse et vous avez mentionné ce point dans vos remarques d'ouverture. La souplesse est toujours une bonne chose, mais il s'agit ici de droit pénal, qui est un domaine fédéral. Lorsque vous parlez de souplesse, de paramètres opérationnels et de ce genre de chose, pensez-vous, ou devrions-nous penser, à la possibilité que cette loi ne soit pas appliquée de la même façon d'un bout à l'autre du pays?

Je pense en particulier aux collectivités autochtones et aux collectivités isolées. Il est facile de comprendre que les services de police des grands centres urbains font face à des problèmes communs et adoptent des paramètres opérationnels communs; mais êtes-vous en mesure de contrôler l'application, voire le manque d'uniformité et peut-être d'équité, de ces conditions si nous allons trop loin dans le sens de la souplesse.

M. Nicholson : Comme je l'ai indiqué dans mes remarques d'ouverture, le projet de loi prévoit notamment que le gouvernement fédéral peut adopter des règlements. Il y a toutefois une chose qui m'a impressionné, et je pense au contexte général de cette question, c'est la mesure dans laquelle les provinces et les territoires s'occupent déjà de ces aspects depuis des années. Ils connaissent très bien les mécanismes et les protocoles de sorte qu'il me semble que tout cela devrait pouvoir s'harmoniser.

Cela dit, le gouvernement fédéral a toujours la possibilité d'adopter des règlements dans ce domaine. Au cours des discussions que j'ai eues avec mes homologues provinciaux et territoriaux et même, d'après les documents d'information que j'ai lus, parce que ce n'est pas là un mécanisme nouveau, il existe déjà depuis quelque temps et en général, il fonctionne bien.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je remercie le ministre et ses collaborateurs de leur présence. J'ai beaucoup de questions à leur poser, car c'est un sujet qui concerne beaucoup de Canadiens.

Si on faisait un sondage dans la rue partout au Canada pour demander aux Canadiens s'ils accepteraient qu'on libère des criminels, qui ont des problèmes de consommation sans aucun suivi a posteriori, je doute que l'on trouve beaucoup de gens d'accord sur cette façon de faire, exception faite des criminels ou de leurs défenseurs.

Quatre-vingts pour cent des gens qui commettent des crimes, surtout ceux à caractère sexuel, ont des problèmes de consommation au moment de commettre l'acte. Je viens de terminer une tournée des pénitenciers fédéraux au Québec. J'ai appris que 80 p. 100 des détenus dans nos pénitenciers fédéraux ont des problèmes de consommation, même à l'intérieur des murs. La majorité de gens qu'on remet en liberté, soit au tiers ou aux deux tiers de leur sentence, ont des problèmes d'intoxication ou d'accoutumance à la boisson.

Penser que, demain matin, on libérerait des criminels sans mécanisme de contrôle durant leur période de probation est aberrant.

Ma première question est la suivante : vous avez eu l'adhésion majoritaire, même unanime, des provinces sur ce projet de loi. Dans les échanges que vous avez eus avec vos homologues provinciaux, quel était leur principal argument en faveur de l'adoption de ce projet de loi?

[Traduction]

M. Nicholson : Voilà des sujets intéressants. Il est effectivement exact qu'il y a parmi les personnes condamnées et ayant des démêlés avec le système de justice pénale un fort pourcentage de toxicomanes. Nous espérons que l'adoption de ce projet de loi aura un effet dissuasif sur les personnes qui savent qu'elles subiront des analyses. Si les résultats sont mauvais, elles pourront être accusées de violation de leur ordonnance de probation, de leur engagement de ne pas troubler l'ordre public ou de leur peine d'emprisonnement avec sursis. Ces analyses auront un effet dissuasif très fort sur ces personnes qui seront ainsi incitées à changer leur façon de vivre et à repartir du bon pied.

Mes homologues provinciaux estiment que le système fonctionne bien. Ils sont toutefois préoccupés par cette lacune du droit pénal. Ils m'ont recommandé de présenter un projet de loi autorisant ce que demandait la Cour suprême du Canada dans sa décision et ils m'ont encouragé à le faire. Les opinions n'étaient pas partagées; il y avait apparemment un consensus. J'ai été impressionné par les études et la recherche qui ont été effectuées dans ce domaine dans les différentes régions du Canada. Mes homologues s'intéressent à cette question et vont être très satisfaits de ce projet de loi.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Monsieur le ministre, j'attirerais votre attention sur deux articles du Journal de Québec, parus ce matin, dans lesquels il est question de la psychiatrie judiciaire au Québec. Le premier est intitulé « Cafouillis absolu » et le deuxième s'intitule « La drogue aggrave le problème». De ce dernier article, je vais citer le Dr André Delorme, que je connais bien parce que j'ai eu à traiter avec lui de toutes les personnes souffrant de schizophrénie qui ont assassiné leur père et mère au Québec. Depuis 2001, il y en a eu 60. Je cite :

[...] ce que j'observe de ma clientèle composée essentiellement de schizophrènes et de maniaco-dépressifs, plusieurs d'entre eux étant passés par le système judiciaire, c'est qu'il y a de plus en plus de toxicomanie, de plus en plus jeune, et les substances sont de plus en plus [...] toxiques.

Je regardais les statistiques. Le nombre de personnes qui ont des problèmes psychiatriques au Québec et qui ont été judiciarisés a doublé entre 2002 et 2009. Ces gens se retrouvent dans la rue après leur sentence. Il y a eu la désinstitutionalisation qui fait en sorte que ces gens ne sont plus encadrés médicalement, du moins très peu. Comment ce projet de loi va-t-il pouvoir aider les policiers, entre autres, à suivre un peu plus ces personnes qui ont des problèmes psychiatriques, mais aussi des problèmes de consommation, et qui souvent ont été judiciarisés?

La présidente : Sénateur Boisvenu, je vais vous demander de fournir une copie de ces articles à la greffière.

Le sénateur Boisvenu : Parfait.

[Traduction]

M. Nicholson : Il y a des gens qui connaissent beaucoup mieux que moi cette question. On a toutefois dit que ces problèmes psychologiques ou ces problèmes psychiatriques sont exacerbés et aggravés considérablement lorsqu'on y ajoute la consommation d'alcool et de drogues. Ces éléments aggravent énormément la situation. Un système, ou des conditions, qui permettent le prélèvement d'échantillons de substances corporelles, seront utiles. Ces personnes ne pourront recevoir l'aide et les services de réadaptation que leurs familles et la société souhaitent leur offrir, si nous ne faisons pas quelque chose pour lutter contre le problème de la toxicomanie.

La toxicomanie joue un rôle dans plus de 80 p. 100 des activités criminelles. Lorsqu'on interroge les criminels, ils déclarent que la consommation abusive de substances a été un élément qui a influencé leur comportement. Ce problème est encore plus grave lorsque ces personnes ont déjà d'autres difficultés. Cette consommation abusive n'est qu'un aspect du problème. Lorsque ces personnes sont en prisons, il faut qu'elles reçoivent l'aide dont elles ont besoin pour s'attaquer à ces problèmes. Elles doivent avoir accès à des programmes de réadaptation et à des services d'éducation parce qu'elles en ont besoin. Le projet de loi n'est qu'un élément; c'est toutefois un élément nécessaire.

Le sénateur Joyal : Le sénateur Cowan a soulevé un point valide, qui traite de la constitutionnalité de l'extension de l'arrêt R. c. Shoker aux personnes mises en liberté provisoire et faisant l'objet d'une ordonnance de prévention. Le fait d'étendre la disposition du projet de loi à ces deux articles du Code criminel soulève un point fondamental, à savoir que, dans l'arrêt R. c. Shoker, la personne avait déjà été déclarée coupable au-delà de tout doute raisonnable.

Dans le cas d'une ordonnance préventive, aucun tribunal n'a déclaré que la personne visée était coupable de quoi que ce soit. Il est possible que la personne représente un danger; il n'a toutefois pas été décidé officiellement que la personne était coupable de quoi que ce soit.

Je comprends votre réponse. Vous dites qu'il y a six mesures de protection qui encadrent le prélèvement d'échantillons corporels. Le projet de loi va toutefois plus loin que la question constitutionnelle fondamentale à savoir que la personne visée n'a pas été déclarée coupable au-delà de tout doute raisonnable.

Que feriez-vous si quelqu'un contestait le projet de loi pour le motif qu'il étend l'arrêt R. c. Shoker aux personnes faisant l'objet d'une ordonnance préventive?

M. Nicholson : Vous avez dit entre autres que le projet de loi visait la mise en liberté provisoire. Ce n'est pas le cas.

Le sénateur Joyal : D'accord.

M. Nicholson : L'argument est identique à celui qui a été présenté à l'égard des engagements de ne pas troubler l'ordre public. C'est une restriction qui a été imposée à quelqu'un en particulier. Cette condition est le prolongement logique de ce qui a déjà été décidé. Quelqu'un qui pense être en danger, être menacé ou être surveillé peut obtenir un engagement de ne pas troubler l'ordre public. On pourrait se demander si quelqu'un a été trouvé coupable et de quoi. Il a été décidé que cette personne représentait un danger pour la victime.

Cette condition est un autre prolongement logique de ce qui est approprié pour le tribunal. Si les drogues ou l'alcool constituent un problème, ou un élément du danger que coure une personne, alors cette condition est raisonnable. J'ai mentionné les six conditions qui entourent le prélèvement d'échantillons corporels.

Le sénateur Joyal : J'appuie ces conditions. Certaines d'entre elles reflètent les recommandations qu'a formulées le comité lorsqu'il a examiné la loi sur les empreintes génétiques. Je vous félicite d'avoir prévu ces six conditions. Par contre, le principe fondamental applicable à la personne qui a été déclarée coupable ne se retrouve pas dans le cas d'une ordonnance de prévention qui montre qu'il existe des motifs raisonnables de croire qu'une personne est en danger.

Il faut faire une différence entre les deux types de conditions qui pourraient être contestées sur le plan constitutionnel. Dans le premier cas, il existe un élément essentiel que l'on ne retrouve pas dans le second. Dans le premier cas, la personne a été déclarée coupable au-delà de tout doute raisonnable.

L'article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés interdit toute intrusion dans la vie privée des citoyens. Le projet de loi pourrait être contesté pour cette raison. Quels sont les arguments supplémentaires que votre ministère vous a fournis, au-delà de votre politique et de votre objectif qui consistent à prendre des mesures utiles? D'après la Charte et la protection accordée à la vie privée des citoyens, il y a des limites à ce que l'on peut faire même si l'on pense que l'on fait une chose utile.

M. Nicholson : C'est une bonne question. Il y a un critère exigeant dans le cas des personnes faisant l'objet d'un engagement de ne pas troubler l'ordre public et d'une ordonnance de probation, et un critère moins exigeant en matière d'emprisonnement avec sursis. Il faut des « motifs raisonnables de soupçonner » qu'il y a eu une violation. C'est le critère applicable à l'emprisonnement avec sursis. Il y a toutefois un critère plus exigeant, à savoir l'existence de « motifs raisonnables de croire » qu'une violation a été commise. Nous faisons donc une distinction avec la peine d'emprisonnement avec sursis imposée à la personne qui a été déclarée coupable. Cet emprisonnement avec sursis fait partie de la « peine », si je peux utiliser cette expression, imposée à cette personne. C'est un critère.

Il existe un autre critère pour les deux autres situations. Là encore, vous aurez l'occasion d'interroger les fonctionnaires. Je pense qu'ils vont vous confirmer que, tout compte fait, le projet de loi résistera aux contestations constitutionnelles.

Le sénateur Joyal : Les « motifs raisonnables de croire » veulent dire que la conclusion est raisonnable, et qu'il y a eu une décision prise à partir de faits. Les « motifs raisonnables de soupçonner » veulent dire que les personnes qui appliquent cette norme peuvent avoir raison ou se tromper, à cause du mot « soupçonner ». Il demeure de l'incertitude dans ce dernier cas.

M. Nicholson : C'est la raison pour laquelle ce critère s'applique uniquement à l'emprisonnement avec sursis et non pas aux autres situations.

Le sénateur Joyal : C'est ce que je veux dire. Pour confirmer la constitutionnalité du projet de loi, nous devons nous demander s'il constitue une intrusion dans la vie privée. La réponse est oui. Cette intrusion est-elle acceptable sur le critère des motifs raisonnables de l'article 1 de la Charte? La cour a ensuite été un peu plus loin. Dans l'arrêt Shoker, elle a répondu oui, pourvu que les motifs raisonnables soient clairement énoncés.

Cependant, dans l'autre situation dont nous parlons, qui est celle de l'ordonnance préventive, nous nous trouvons dans un contexte juridique complètement différent. Il y a des limites aux mesures que nous pouvons prendre à l'égard d'une personne qui n'a pas été déclarée coupable au-delà de tout doute raisonnable.

M. Nicholson : Il est évident qu'il y a des limites lorsqu'il s'agit d'un engagement de ne pas trouver l'ordre public. J'estime que ce projet de loi étend, de façon raisonnable, ces limites. Si l'interdiction est raisonnable, alors elle sera conforme aux critères et aux lignes directrices que nous avons établis. Nous sommes convaincus que les tribunaux jugeront que cette extension est raisonnable.

La présidente : Sénateur Joyal, je sais que c'est là un aspect fascinant et important. S'il le faut, nous essayerons de vous donner une deuxième possibilité d'interroger le ministre, mais nous devons passer à quelqu'un d'autre.

Le sénateur Wallace : Merci, monsieur le ministre. Comme vous l'avez fait remarquer, le projet de loi est une réponse aux questions qui ont été soulevées dans l'arrêt Shoker. Pour le compte rendu, j'aimerais obtenir un éclaircissement : Est-ce que le projet de loi répond à toutes les questions et à toutes les préoccupations qu'a exprimées la cour dans l'arrêt Shoker?

M. Nicholson : C'est une question valide. Je crois que le projet de loi répond à toutes ces préoccupations; je crois qu'il répond directement à la décision de la Cour suprême du Canada qui exige une autorisation précise. Le fait d'imposer à un individu des conditions en matière de consommation d'alcool et de drogues n'a pas été remis en doute ou jugé inapproprié. Le projet de loi est toutefois approprié pour ce qui est de cette question; à savoir obtenir une autorisation. Nous avons réglé ce problème.

Cependant, comme nous en avons parlé ici de façon détaillée, le projet de loi va plus loin que d'accorder une simple autorisation. Nous couvrons tout : les engagements de ne pas troubler l'ordre public et les peines d'emprisonnement avec sursis, ainsi que la probation. Le projet de loi va au-delà de cette autorisation, mais le principe demeure le même, à savoir que nous devons obtenir une autorisation précise dans le cas des peines d'emprisonnement avec sursis, par exemple, car nous risquons autrement de nous retrouver dans la même situation, et je serais obligé de revenir devant vous dans trois ans pour vous dire que nous devons fournir cette autorisation.

Je serais heureux de revenir dans trois ans. Malgré tout, cela étant dit, si nous pouvons éviter ces contestations, il faudrait, je crois, le faire.

Le sénateur Wallace : D'après mon interprétation du projet de loi, j'ai pensé que le projet de loi répondait à cet arrêt, mais je voulais être certain qu'il avait été répondu à tout pour ne pas avoir, par la suite, à revenir sur l'arrêt Shoker. Je vous en remercie.

J'ai une autre question. Comme vous l'avez fait remarquer, il y a eu des consultations approfondies avec les provinces et le projet de loi C-30 semble établir des normes minimales précises. Il accorde toutefois aux provinces la possibilité d'élaborer des normes et des exigences opérationnelles qui respectent ces normes minimales.

Voulez-vous ajouter quelque chose? En pratique, comment cela fonctionne-t-il entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux pour ce qui est de ce grave problème? Comme vous l'avez signalé, le but est de renforcer la sécurité publique et de mieux protéger la population.

M. Nicholson : Dans le cas des procédures à suivre en matière de manipulation et d'administration des échantillons, il y a des différences entre les provinces pour ce qui est de l'emplacement physique ou de la façon dont la province a désigné les personnes habilitées, les lieux et la façon de procéder à des prélèvements. Le centre-ville de Toronto n'est pas tout à fait comparable à Yellowknife.

Lorsque mes homologues provinciaux et territoriaux me disent que nous sommes tous d'accord pour aller de l'avant, et que nous appuyons tous le même objectif, qui est d'avoir des règles dans ce domaine, je respecte cette information. Nous administrons les conditions de façon légèrement différente et nous avons adopté des procédures différentes. L'objectif général est toutefois préservé.

C'est pourquoi je respecte cette information. Lorsqu'ils m'ont tenu ces propos, j'ai trouvé que leur réaction était raisonnable et que je pouvais la comprendre. Par contre, si les règlements prévus ne sont pas adoptés, il existe des dispositions qui permettent au gouvernement fédéral d'assumer ses responsabilités dans ce domaine.

Cela m'a paru approprié, et pourquoi pas? Ce sont les provinces et les territoires qui vont administrer ces dispositions dans le cadre de la Constitution de notre pays; il me semble qu'il faille respecter ce rôle. Il nous incombe d'adopter ces lois, mais nous voulons collaborer avec les provinces et les territoires.

Ce projet de loi va leur plaire. C'est le consensus que j'ai constaté et c'est la façon dont j'ai compris leurs préoccupations dans ce domaine.

Le sénateur Wallace : Comme pour beaucoup de choses, lorsque les règles sont décidées d'en haut et qu'il faut ensuite les appliquer en bas, des règles uniformes peuvent poser des problèmes dans notre pays à cause de la diversité de nos régions. Comme vous l'avez dit, la situation au Yukon n'est pas la même que celle du centre-ville de Toronto.

Le projet de loi semble tenir compte de ces différences.

M. Nicholson : Je me souviens avoir siégé à un comité qui examinait la question des garderies d'enfant. On demandait des normes nationales. Je n'ai jamais oublié ce que quelqu'un avait dit : vos normes nationales pour le centre-ville de Toronto ne donneront pas de bons résultats à Snowbank; si vous adoptez une norme nationale qui exige que les enfants jouent à l'extérieur une heure par jour, ils risquent de mourir dans ma région.

Cette différence fait ressortir la responsabilité que nous assumons. Toutes les régions ne sont pas identiques et nous devons respecter les différences qui existent entre les différentes régions; l'essentiel est d'aller tous dans la même direction. Je pense que c'est ce que nous faisons avec ce projet de loi.

[Français]

Le sénateur Chaput : Ma première question avait trait aux consultations que vous auriez tenues dans les 13 provinces et territoires pour savoir si vous aviez obtenu leur appui. Vous y avez répondu. Je suis consciente de l'énergie et du travail qu'a requis cette initiative. J'aimerais vous féliciter pour son succès.

Mon autre question concerne l'impact que pourrait avoir le projet de loi C-30 sur certains segments de la population qui sont aux prises avec la toxicomanie, entre autres, les jeunes et les Autochtones. Lors de vos discussions, avez-vous tenu compte des impacts et avez-vous pensé à augmenter les ressources nécessaires pour aider ces toxicomanes?

[Traduction]

M. Nicholson : Les réunions fédérales-provinciales-territoriales que nous tenons chaque année sont complétées par des réunions au niveau des sous-ministres. Je rencontre les procureurs généraux des provinces sur une base individuelle. Il est important que tout le monde réfléchisse à ces idées et que les procureurs généraux sachent ce que nous sommes en train de faire.

Pour ce qui est de l'ampleur du phénomène de la toxicomanie, il y a une chose qui m'a surpris, jusqu'à un certain point; c'est que la toxicomanie touche à peu près tout le monde. On me dit que près de 80 p. 100 des personnes qui ont des démêlés avec la justice ont des problèmes de toxicomanie. Ce n'est pas un phénomène qui touche uniquement les jeunes, par opposition aux criminels d'âge moyen, ni les Canadiens autochtones ou non autochtones.

Bien sûr, nous avons une responsabilité spéciale à l'égard des Canadiens autochtones. Je sais que mon collègue, le ministre de la Santé, travaille régulièrement sur les questions qui touchent ce groupe. Il faut également reconnaître que la toxicomanie est un phénomène très répandu.

Pour en revenir à la question des engagements de ne pas troubler l'ordre public, il arrive souvent que la consommation excessive de substances joue un grand rôle dans les demandes présentées par les personnes qui pensent être menacées par une autre.

Le sénateur Angus : Ma question est probablement déjà venue à l'esprit de la présidente, parce qu'elle l'a soulevée dans l'enceinte du Sénat. Cette question concerne la destruction des échantillons. Les échantillons prévus par le projet de loi doivent, d'après ce que nous avons compris, être uniquement utilisés dans le but de vérifier que ces personnes respectent leur ordonnance.

On m'a demandé au Sénat si je pensais vraiment que les échantillons seraient uniquement utilisés aux fins prévues par la loi et qu'ils seraient ensuite détruits. Les membres du comité ont beaucoup d'expérience avec les empreintes génétiques en général. Nous avons visité la Banque nationale de données génétiques au quartier général de la GRC; nous avons également examiné cette loi et préparé un rapport à ce sujet. Nous sommes conscients des dangers, des risques et des problèmes qui se posent dans ce domaine.

J'ai été quelque peu troublé ce soir lorsque vous avez mentionné, dans vos commentaires, que la responsabilité pour la destruction des échantillons était confiée aux procureurs généraux des provinces. Même si mes antécédents sont bleus, il y a une lumière rouge qui s'est allumée dans mon esprit.

La présidente : Je pense qu'il y a également l'entreposage.

Le sénateur Angus : Exactement, la destruction des échantillons et leur entreposage : J'aimerais que vous nous rassuriez.

Le sénateur Joyal : C'est à la page 6 du projet de loi.

M. Nicholson : Puisque ce sont les autorités provinciales qui sont en possession des échantillons, il leur appartient de les détruire au lieu de les renvoyer au gouvernement fédéral. Cela dit, il est clair que ces échantillons peuvent uniquement être utilisés pour assurer le respect d'une condition, et qu'ils doivent être ensuite détruits; ils ne peuvent être utilisés pour d'autres fins. Je suis intraitable sur ce point.

Les autorités provinciales doivent adopter des règlements, mais nous avons le pouvoir d'adopter nous-mêmes ces règlements. Par exemple, les échantillons doivent être détruits dans un délai d'un an. Le projet de loi indique clairement que les autorités ne peuvent utiliser les échantillons que pour les fins pour lesquelles ils ont été prélevés. Elles doivent informer l'individu concerné des résultats, mais l'échantillon doit être détruit lorsqu'il n'est plus nécessaire, sauf s'il constitue une preuve qu'il y a eu violation de probation ou qu'il peut être utilisé dans une autre instance. Je suis tout à fait d'accord avec vous sur ce point.

Le sénateur Angus : Vous êtes satisfait?

M. Nicholson : Je suis satisfait; il faut que cela se fasse. Le projet précise que les autorités provinciales doivent le faire, mais en cas de besoin, nous pouvons le faire nous-mêmes.

La présidente : Le règlement qu'elle pourrait adopter sur la méthode de détruire les échantillons, par exemple, pourrait porter sur la question de savoir s'il faut les brûler, les couper en petits morceaux et en faire du compost.

M. Nicholson : Exactement.

Le sénateur Joyal : Sur le même point, monsieur le ministre, si vous examinez le projet de loi à la page 7, le projet de paragraphe 742.3(10) :

Le gouverneur en conseil peut, par règlement :

c) prévoir les délais de destruction des échantillons de substances corporelles pour l'application du paragraphe (9); [...]

Avez-vous l'intention d'adopter ces règlements? Si c'est le cas, quel délai envisagez-vous d'imposer aux ministres provinciaux pour qu'ils détruisent les échantillons?

M. Nicholson : Cela se fera en consultation avec les provinces et les territoires une fois le projet de loi adopté. Nous espérons que les règlements provinciaux seront adoptés dans les différentes régions et que nous pourrons examiner ces règlements.

Le sénateur Joyal : C'est votre règlement. C'est le gouverneur en conseil et non le lieutenant-gouverneur; le règlement est fédéral.

M. Nicholson : Vous avez raison; je vais demander à M. Hoover de vous répondre.

Doug Hoover, avocat, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice Canada : Nous avons choisi un délai d'un an pour la seule raison que c'est la règle qu'applique le Service correctionnel du Canada. La plupart des provinces ont indiqué que cette règle leur convenait; de sorte que le règlement proposé parlerait d'un délai d'un an, à moins que cela ne soulève des préoccupations.

La présidente : Je suis désolée, mais j'ai maintenant besoin d'une précision. L'année se calcule à partir du prélèvement de l'échantillon, de l'expiration de l'ordonnance ou quoi?

M. Hoover : L'année se calcule à partir du prélèvement de l'échantillon, à moins qu'on envisage de l'utiliser dans le cadre d'une instance.

Le sénateur Joyal : Comme cela est mentionné au paragraphe 742.3(9).

Le sénateur Joyal : La lettre que le Barreau du Québec vous a envoyée, datée du 17 novembre 2010 — et notre collègue, le sénateur Angus, est un membre éminent de ce barreau; il a obtenu l'année dernière un prix pour la qualité de sa contribution — qui parle en particulier de l'engagement de ne pas troubler l'ordre public, fait ressortir un élément à la page 2 de la lettre, au milieu du dernier paragraphe. Je peux vous le traduire librement si vous le voulez. Le tribunal ordonne qu'un tel engagement soit contracté sur la base de motifs raisonnables, aucune preuve hors de tout doute raisonnable n'étant exigée. Plus encore, les litiges relatifs à de tels engagements opposent souvent des parties non représentées.

À mon avis, si la personne qui est visée par un engagement de ne pas troubler l'ordre public est représentée par un avocat, on peut espérer que cette personne comprendra au moins ce que veut dire l'ordonnance l'obligeant à fournir des échantillons génétiques. Je me demande si on ne pourrait pas protéger la constitutionnalité du projet de loi à l'égard des personnes faisant l'objet d'un engagement de ne pas troubler l'ordre public en exigeant qu'elles soient représentées par un avocat, pour qu'elles comprennent bien les conséquences de la situation.

M. Nicholson : Il faudrait pour le faire refondre complètement les règles relatives aux engagements de ne pas troubler l'ordre public, sénateur, si vous dites que si cette disposition s'applique, alors il faudrait que la personne concernée soit représentée par un avocat. La plupart de ces personnes se trouvent pratiquement en situation d'urgence et les autorités doivent intervenir rapidement pour protéger la personne qui demande l'engagement de ne pas troubler l'ordre public.

Il existe toutefois des dispositions qui permettent de demander, de modifier ou de supprimer ce genre d'engagement. Cela dit, je pense que le fait d'étendre ces conditions aux engagements est raisonnable. Vous remarquerez que le Barreau du Québec note la différence que nous avons faite entre les critères plus stricts appliqués aux engagements de ne pas troubler l'ordre public, et ceux qui s'appliquent aux peines d'emprisonnement avec sursis. La raison en est que la peine d'emprisonnement avec sursis vise une personne qui a déjà été déclarée coupable, et pour qui cette mesure fait partie de sa peine, dans un certain sens. La norme plus stricte est appliquée à l'engagement de ne pas troubler l'ordre public, et il me semble que cette norme plus stricte constitue une extension raisonnable des mesures de protection dont doit bénéficier tout individu.

La présidente : Sénateur Joyal, je suis désolée, mais nous avons pratiquement épuisé notre temps de parole.

M. Nicholson : Vous aurez la possibilité de faire compléter cette réponse par mes collaborateurs.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Monsieur le ministre, j'ai une question qui fait suite à l'intervention du sénateur Chaput. Les mesures contenues dans ce projet de loi vont s'appliquer à des gens qui sont en liberté conditionnelle, n'est-ce pas?

[Traduction]

M. Nicholson : Non : comme je l'ai mentionné au sénateur Joyal, les conditions relatives à la mise en liberté provisoire et à la libération conditionnelle sont déjà couvertes par le Service correctionnel du Canada et il existe déjà un régime pour ces conditions.

Elles concernent uniquement la probation, les engagements de ne pas troubler l'ordre public et les peines d'emprisonnement avec sursis. Les autres conditions, celles qui sont associées à la libération conditionnelle et à la mise en liberté provisoire, sont déjà couvertes par le Service correctionnel.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Il s'agit de personnes qui sont sous la responsabilité du ministère de la Sécurité publique?

[Traduction]

M. Nicholson : C'est exact.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : S'il n'y a pas ce projet de loi ou de mesures de ce genre pour contrôler les personnes qui ont des problèmes de consommation, quel autre outil pourrions-nous avoir?

Il existe une directive pour contrôler ces personnes qui ont des problèmes de consommation, alors quel autre outil pourrions-nous proposer pour remplacer celui-ci?

La question est un peu vide de sens, car si on n'a pas cette loi, il est impossible de contrôler ces personnes.

[Traduction]

M. Nicholson : Sans ce projet de loi, nous nous retrouverions dans une situation délicate. C'est une chose d'interdire à quelqu'un de consommer de l'alcool ou des drogues; mais si nous n'avions pas le moyen de faire respecter cette interdiction, les gens comprendraient rapidement qu'elle ne veut rien dire. Il y a des gens qui respectent volontairement ce genre d'interdiction. Cependant, il y a des milliers de violations des conditions chaque année. Les gens vont dire, si vous n'êtes pas capable de savoir ce qui se passe ou de faire des analyses à mon sujet, pourquoi est-ce que je respecterai vos conditions? La raison la plus évidente est que cela permet de changer de vie. Cependant, cette interdiction ne sera pas respectée. Ce mécanisme doit être associé à la capacité d'imposer ce genre de condition.

La présidente : L'arrêt R v. Shoker remonte à quatre ans et demi.

M. Nicholson : C'est exact.

La présidente : Savons-nous si, depuis l'arrêt de la Cour suprême, il y a eu des problèmes à cause de cette affaire R. c. Shoker? Nous savons bien quelle est la tendance naturelle des hommes. Mais y a-t-il des cas précis?

M. Nicholson : Je n'ai que des données anecdotiques dont m'ont fait part les procureurs généraux des provinces qui m'ont dit que la situation était plus grave qu'elle ne l'était avant l'arrêt Shoker. Je n'ai toutefois pas de statistiques.

La présidente : Merci; comme d'habitude, vous nous avez lancés dans des discussions extrêmement intéressantes, monsieur le ministre.

M. Nicholson : Merci.

La présidente : Nous vous en sommes reconnaissants. Honorables sénateurs, nous souhaitons la bienvenue encore une fois à Catherine Kane, directrice générale et avocate générale principale, Section de la politique en matière de droit pénal, et à Doug Hoover, avocat, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice. Nous poursuivons notre étude du projet de loi C-30, Loi modifiant le Code criminel, ou Loi donnant suite à la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire R. c. Shoker.

Sénateur Cowan, je vous en prie.

Le sénateur Cowan : Premièrement, j'aimerais qu'on me rassure et qu'on m'affirme que nous ne craignons rien pour ce qui est des mesures prises à l'égard de personnes qui n'ont été ni accusées ni déclarées coupables.

Deuxièmement, un grand nombre d'échantillons seront prélevés, manipulés, entreposés et détruits. Tout ce processus a un coût, dont la plus grande partie sera assumée par les provinces. Quels sont les chiffres que vous prévoyez et quels sont les coûts associés à la mise en œuvre de ces mesures?

M. Hoover : Pour ce qui est des engagements de ne pas troubler l'ordre public, nous avons des arrêts de principe prononcés par les Cours d'appel de l'Ontario et du Québec. Par exemple, Budreo en Ontario, 2000, et R. c. Teale au Québec, dont la Cour suprême du Canada a refusé de se saisir, qui ont confirmé la constitutionnalité de ces deux demandes d'engagements de ne pas troubler l'ordre public pour ce qui est de l'article 7 et d'autres articles de la Charte. Dans ces affaires, la cour a déclaré qu'effectivement ces personnes n'avaient pas été déclarées coupables d'une infraction pénale et que leur liberté était apparemment touchée par les restrictions qui leur étaient imposées en raison du risque qu'elles représentaient pour la sécurité du public, confirmé par les preuves présentées au tribunal et examiné par un juge, mais que ces mesures étaient raisonnables; les arguments basés sur l'article premier n'ont pas été retenus. Ces mesures ont donc résisté à des contestations constitutionnelles.

Le sénateur Cowan : Est-ce que cela touche l'interdiction de consommer de l'alcool et des drogues?

M. Hoover : Cela concerne toutes les conditions dont sont assortis les engagements de ne pas troubler l'ordre public.

Le sénateur Cowan : Parlait-on de prélèvements?

M. Hoover : Non. Cependant, dans Budreo, c'était une demande présentée par la Couronne aux termes de l'article 810.1 au sujet de la crainte que soit commise une infraction sexuelle. L'individu en question s'est vu imposer un certain nombre de conditions restrictives au sujet des lieux qu'il pouvait fréquenter et des heures auxquelles il pouvait le faire et de la distance des écoles qu'il devait respecter. Il ne pouvait rentrer chez lui à pied sans faire un détour de près de deux kilomètres.

Ces conditions avaient des conséquences considérables sur sa liberté. R c. Teale est une affaire qui a été fameuse au Québec. L'individu en question faisait l'objet d'un grand nombre de conditions qui avaient un effet direct sur sa liberté. Il est vrai que dans aucune de ces deux affaires, les individus concernés n'étaient tenus de fournir des échantillons de substances corporelles. Il y avait toutefois dans l'affaire Budreo, je crois, une interdiction de consommer de l'alcool.

Je pense néanmoins que ces principes s'appliquent intégralement dans la mesure où si vous réussissez à convaincre le tribunal que pour protéger la sécurité publique, cet individu doit non seulement faire l'objet d'une condition lui interdisant de consommer de l'alcool ou des drogues, mais l'obligeant à fournir des échantillons de substances corporelles pour vérifier qu'il respecte bien l'interdiction; tant que les arguments sont bien présentés, le même genre de raisonnement s'appliquera à une contestation constitutionnelle, comme cela a été fait dans les affaires Budreo et Teale.

Le sénateur Cowan : Vous êtes convaincu que le fait d'autoriser expressément le prélèvement et les analyses d'échantillons de substances corporelles vous permettra de passer cet obstacle constitutionnel?

M. Hoover : S'il s'agit d'une contestation d'un engagement de ne pas troubler l'ordre public basée sur l'article 8, contestation qui pourrait être présentée dans ce genre d'affaires, il est certain que l'autorisation répond au premier volet du critère en trois parties de l'arrêt Collins. Cependant il faut prouver en outre que la loi est raisonnable et qu'elle a été appliquée de façon raisonnable dans les circonstances. Pour ce qui est du caractère raisonnable de la loi, le ministre a énuméré un certain nombre de...

Le sénateur Cowan : Je comprends.

M. Hoover : Quant à la question de savoir si la loi a été appliquée de façon raisonnable, cela dépend des circonstances. Dans l'arrêt Budreo, les juges sont très explicites et ont même dit que, si la condition qui n'a pas été imposée à cette personne est inconstitutionnelle, il n'annulerait pas le pouvoir d'assortir un engagement de ne pas troubler l'ordre public de conditions. Ils se contenteraient d'annuler la condition dans ces circonstances. Nous en arriverons peut-être au troisième volet du critère s'il s'agissait d'une situation du genre de l'affaire Collins.

Le sénateur Joyal : Il n'existe toutefois pas de décision judiciaire canadienne qui traite directement de cette situation, n'est-ce pas?

M. Hoover : Non. L'arrêt Shoker était le premier. Il y avait eu un certain nombre de contestations avant l'arrêt Shoker, mais les tribunaux inférieurs ont confirmé la validité de la condition exigeant le prélèvement d'un échantillon de substances corporelles. Cependant, devant la Cour d'appel de la Colombie-Britannique, la juge a déclaré qu'il y avait une violation prima facie de l'article 8 qui ne pouvait être justifiée par l'article 1, tandis que la Cour suprême a infirmé, en appel, une partie de cette décision. La cour a déclaré qu'il n'était pas possible d'aller aussi loin parce qu'il n'existait pas de base légale le permettant; c'est pourquoi elle a refusé de se prononcer sur la question de l'article 8.

Je crois toutefois que deux des juges, les juges LeBel et Bastarache, ont déclaré qu'ils auraient jugé que cette condition n'était pas conforme à l'article 8 parce qu'il n'existait pas de cadre légal et réglementaire garantissant le respect de modalités appropriées et protégeant la vie privée des individus.

Nous pensons avoir réglé ces deux questions dans le projet de loi. La combinaison du pouvoir réglementaire et des autres facteurs mentionnés, ainsi que l'obligation absolue prima facie du procureur général et ministre de la Justice des territoires et des provinces d'adopter des règles pour protéger la vie privée de l'individu et l'intégrité des échantillons répond à ces questions.

Le sénateur Cowan : Que diriez-vous de l'autre question : De combien de personnes parlons-nous, quels sont les coûts et qui va payer?

Catherine Kane, directrice générale et avocate générale principale, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice Canada : Il est difficile de dire combien cela touchera de gens parce qu'il faudrait savoir combien d'ordonnances seront imposées à des personnes qui doivent déjà respecter les conditions d'une ordonnance de probation, d'une ordonnance de sursis ou d'un engagement de ne pas troubler l'ordre public qui prévoient cette interdiction de consommer ce genre de choses. Nous savons que c'est une condition courante et qu'elle l'était même avant l'arrêt Shoker. L'application — la façon d'appliquer cette interdiction — dépend des autorités locales, comme tous les autres aspects de ce domaine. En se fondant sur la norme des « motifs raisonnables de soupçonner » une violation ou des « motifs raisonnables de croire » qu'il y a eu violation, si c'est le cas, le policier décidera s'il y a lieu d'exiger un prélèvement et de porter des accusations. Ce serait aux provinces d'évaluer le montant des coûts supplémentaires susceptibles de découler de ce projet de loi en se fondant sur le régime qui existait avant l'arrêt Shoker.

Nous estimons que cette disposition ne fait finalement que rétablir le statu quo pour les provinces. Nous ne prévoyons pas que les coûts d'application de la loi vont fortement augmenter, parce que nous leur redonnons le pouvoir qu'elle pensait posséder avant l'arrêt Shoker.

Le sénateur Cowan : Combien de personnes étaient concernées auparavant? Si nous rétablissons le statu quo, quel était-il?

Mme Kane : Je n'ai pas les données concernant le nombre de personnes qui étaient visées par ce genre de décision dans le cadre d'une ordonnance de probation.

Le sénateur Cowan : Avant cette affaire, j'aurais pensé que dans la plupart des cas où le tribunal ordonnait à un accusé de s'abstenir de consommer de l'alcool et des drogues, il accordait également le droit de procéder à des analyses ou de prélever des échantillons? Ce droit était-il habituellement accordé?

Je n'ai pas d'expérience dans ce domaine, je ne sais pas si on peut parler d'un cas sur 10, d'un cas sur cinq ou de tous les cas?

M. Hoover : Nous savons que, par exemple, un peu moins de la moitié des 250 000 accusés déclarés coupables chaque année reçoivent une ordonnance de probation. Il y a donc environ 120 000 ordonnances de probation qui sont prononcées chaque année. Statistique Canada a effectué une étude limitée de cette question il y a quelques années. Quatre provinces y ont participé. Il ressort de cette étude que la majorité des conditions facultatives imposées, lorsqu'il y avait une condition facultative en plus de celle de « ne pas troubler l'ordre public et d'observer une bonne conduite », étaient des conditions relatives à un traitement ou interdisant la consommation de drogues et d'alcool.

D'après cette étude, on pourrait évaluer à 20 p. 100 le nombre de conditions interdisant ce genre de consommation. D'après notre propre enquête auprès des procureurs de la Couronne, des policiers et des agents de probation que nous avons menée avant de rédiger le projet de loi, il semble qu'au moins la moitié de ces ordonnances de probation contenait une condition prévoyant le prélèvement d'échantillons de substances corporelles. C'est un chiffre très approximatif, parce que nous n'avons pas vraiment de données précises; elles ne sont pas collectées par les provinces. Cela ne se fait pas dans tous les cas, mais il nous semble que ce pourcentage se situe peut-être entre 15 et 30 p. 100 des dossiers de probation.

Le sénateur Cowan : Y a-t-il au Canada des établissements qui peuvent absorber ce nombre de dossiers?

M. Hoover : Comme Mme Kane l'a déjà fait remarquer, ce projet de loi ne va pas changer la situation qui existait avant Shoker. Il a été rédigé dans l'intention de rétablir ce qui existait déjà. Nous ne nous attendons pas à ce que l'on procède à un nombre considérable de nouvelles analyses à cause de ce projet de loi et personne ne nous l'a suggéré.

Avant l'arrêt Shoker, lorsque les policiers prenaient un échantillon, la province où cela avait été fait avait un contrat avec un laboratoire privé qui s'occupait d'effectuer les analyses. Il s'agissait en fait d'analyses d'urine et d'autres genres d'échantillons. Les échantillons d'haleine sont analysés par des machines que possèdent la plupart des services de police et agences correctionnelles.

Le lieu où l'échantillon a été pris permettra de savoir quelle est la capacité de la province concernée et le montant qu'elle dépense dans ce domaine. Cela est regrettable, mais nous ne connaissons vraiment pas les coûts qu'assument les provinces. Un représentant d'une province pourrait peut-être comparaître devant le comité pour parler de cette question, mais nous ne pouvons pas le faire.

La présidente : J'aimerais poser quelques questions.

Le projet de loi prévoit que les provinces peuvent désigner des personnes ou des catégories de personnes qui seront chargées de prélever les échantillons de substances corporelles. J'examine le projet de paragraphe 732.1(9). Le projet de loi autorise un agent de la paix, un agent de probation ou une personne désignée en vertu du paragraphe 732.1(9) — « les personnes ou les catégories de personnes » — à prélever des échantillons. Le projet de paragraphe 732.1(12) énonce que le gouverneur en conseil peut prendre des règlements concernant les désignations.

De quoi parlons-nous? Quelles sont les catégories de personnes dont nous parlons et qui aura le dernier mot sur qui peut prélever des échantillons?

M. Hoover : C'est la loi qui prévoit au départ ce qu'il faut faire. Elle énonce qu'« un agent de la paix ou un agent de probation » peut exiger un échantillon. Pour ce qui est de la personne qui prend l'échantillon, vous avez correctement interprété le projet de loi : la loi accorde au procureur général de la province la capacité de désigner certaines personnes. Il peut la restreindre ou l'élargir. Par exemple, il peut confier à certaines personnes le soin d'effectuer un certain type de prélèvement.

Prenons par exemple, les échantillons sanguins. Je pense que toutes les provinces et tous les territoires vont désigner uniquement du personnel médical qualifié et formé pour ce qui est des prises de sang et préciser que seules ces personnes ont le pouvoir de le faire.

En outre, s'il y avait un doute sur le fait que les provinces suivent effectivement le principe fondamental qui est en jeu ici, comme tout le monde, à mon avis, le comprend, le gouverneur en conseil fédéral pourrait adopter un règlement qui dirait la même chose et ce règlement serait la norme minimale qui s'appliquerait.

La présidente : En outre, toujours en utilisant l'article 3 du projet de loi comme modèle, la demande d'échantillon peut être faite par un « agent de la paix, agent de probation ou une personne désignée en vertu du paragraphe (9). »

M. Hoover : C'est exact.

La présidente : Quelles sont les catégories de personnes qui pourraient demander un échantillon, à part celles qui ont déjà été nommées?

M. Hoover : Dans un environnement provincial, par exemple, s'il y a des agents correctionnels qui sont chargés de certains probationnaires, le personnel de première ligne qui s'occupe de ces personnes peut varier d'une province à l'autre. S'il y a dans une province des personnes qui ne correspondent pas à la catégorie officielle d'agents de la paix ou d'agents de probation, elles peuvent quand même être autorisées à effectuer ces prélèvements si elles possèdent les compétences requises.

La présidente : Cependant, si personne n'est désignée, aux fins de l'article 3, nous devrons nous limiter aux agents de la paix ou aux agents de probation, est-ce exact?

M. Hoover : C'est exact. Il serait toutefois facile que le procureur général procède à cette désignation, si cela est nécessaire.

La présidente : Quand pensez-vous que le projet de loi entrera en vigueur, en tenant pour acquis qu'il sera adopté relativement rapidement?

M. Hoover : Il faudra tenir des consultations avec les provinces pour préciser exactement ce à quoi l'on peut s'attendre des règlements fédéraux. Il y a ensuite la rédaction des règlements. Habituellement, entre la rédaction du règlement, sa publication dans la Gazette du Canada et son entrée en vigueur, il faut environ six mois. C'est mon évaluation; elle est toutefois approximative.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Peut-être que vous n'avez pas les données — je devrais peut-être m'adresser à Statistique Canada —, mais j'aimerais avoir une information statistique.

Lorsque j'ai effectué une tournée des pénitenciers fédéraux, j'ai observé que 50 p. 100 des criminels en sont à leur deuxième séjour et que 35 p. 100 et plus en sont à leur troisième séjour. Dans cela, on ne compte pas ceux qui sont à leur premier séjour ni ceux qui ont déjà séjourné dans des prisons provinciales, car on pourrait arriver à un taux de réincarcération d'à peu près 60 à 70 p. 100.

Est-ce que vous avez des données sur le taux de réincarcération, et non de récidive, — ce n'est pas la même notion — pour les gens qui ont eu cette ordonnance de se soumettre à des tests? Est-ce qu'on a des statistiques sur le pourcentage de gens qui ont été réincarcérés par manquement à leur ordonnance?

[Traduction]

Mme Kane : Permettez-moi de répondre en anglais pour que je puisse vous communiquer cette information. Je ne peux pas répondre exactement à votre question; M. Hoover a peut-être des renseignements supplémentaires.

Vous parlez de gens qui sont en prison et je pense que vous voulez parler des pénitenciers fédéraux. Dans ce cas, la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition prévoit un régime particulier qui impose ce genre de conditions aux personnes assujetties à une surveillance pour faire un suivi des analyses. Les pénalités varient selon qu'elles se trouvent en prison au moment où elles violent ces conditions ou qu'elles se trouvent dans la collectivité.

Dans le projet de loi C-30, lorsqu'une personne a fait l'objet d'une peine d'emprisonnement avec sursis, par exemple, et qu'elle ne respecte pas la condition qui lui interdisait de consommer de l'alcool et des drogues, elle a alors violé une ordonnance de sursis. Il en résulte qu'elle peut être emprisonnée parce qu'une peine d'emprisonnement avec sursis est une peine de prison qui est purgée dans la collectivité. Dès qu'il y a violation d'une des conditions, la personne retourne en prison; dans ce cas-ci, ce serait toutefois dans une institution provinciale parce que la peine d'emprisonnement avec sursis est une peine de moins de deux ans. Il y aura donc cette conséquence.

En outre, cette personne peut être poursuivie pour violation d'une ordonnance de non-conformité. Si la personne avait signé un engagement de ne pas troubler l'ordre public et qu'elle avait violé une condition associée à cet engagement, elle pourrait être inculpée de cette infraction. Il est également possible de la renvoyer devant le tribunal pour que celui-ci impose d'autres conditions reliées à l'engagement. Le régime n'est pas le même selon que la personne est détenue ou non.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je comprends que le projet de loi C-30 vient corriger une procédure qui existait déjà. Parlons de l'ancien régime. Est-ce qu'on a des statistiques sur le nombre de criminels qui ont eu des ordonnances de non- consommation et sur le nombre de criminels qui ont été incarcérés à cause du manquement à cette ordonnance? Ou encore, est-ce qu'on a des statistiques sur le non-respect des ordonnances à cause des contrôles qu'on a effectués?

[Traduction]

M. Hoover : La partie du problème que soulève un examen empirique de la situation est que les provinces et Statistique Canada possèdent de bonnes données sur l'infraction de violation d'une ordonnance de probation, qui est l'article 733, nous connaissons le nombre de personnes qui ont été accusées et déclarées coupables de cette infraction — mais nous ne savons pas pourquoi elles ont été déclarées coupables ni de quelle violation il s'agissait parce que cette violation peut concerner toute une série de conditions. Tout ce que nous pouvons faire est d'essayer d'évaluer ce nombre.

Par exemple, en 2006, il y a eu environ 20 000 condamnations pour violation de la probation. Nous aimerions savoir combien il y avait de violations relatives à la consommation de drogues et d'alcool, ou même mieux, avant l'arrêt Shoker, combien de ces violations découlaient de l'omission de fournir un échantillon dans un cas où l'échantillon a été utilisé en preuve. Ces renseignements ne sont toutefois pas disponibles. Tout ce que nous pouvons faire, c'est d'extrapoler à partir du nombre de fois où nous savons qu'une condition de genre a été imposée et nous pouvons uniquement penser qu'une partie de ces 20 000 condamnations étaient reliées à des violations d'une condition reliée aux drogues et à l'alcool.

Il y a une autre chose que je peux vous dire; il est très courant que la personne qui est accusée d'avoir violé sa probation, dans la plupart des situations que je connais, soit également accusée d'une autre infraction. Il semble être habituel qu'on n'accuse pas uniquement ce genre de personnes d'avoir violé la probation; c'est peut-être une technique de gestion des délinquants qui commencent à commettre des violations pour essayer de se rapprocher d'eux et de les aider à se réadapter. S'ils n'y parviennent pas, alors on porte des accusations pour violation, associées à des accusations concernant une autre infraction. À part cela, je n'ai rien à ajouter.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je pense que c'est dans la coutume du ministère de la Sécurité publique ou du ministère de la Justice d'évaluer ces lois tous les cinq ans. Il y a une évaluation de la performance des lois qui se fait, n'est-ce pas? Si cette mesure est adoptée, il serait intéressant de savoir si elle est efficace. Pour savoir si elle est efficace, il faudrait savoir si, parmi les gens qui sont soumis à cette ordonnance...

[Traduction]

Combien d'entre eux vont échouer et combien vont réussir?

Mme Kane : Il est fréquent que les projets de loi introduisant une réforme du droit contiennent une clause d'examen. Bien souvent, ces clauses sont insérées par le comité pour qu'il puisse avoir à l'avenir la possibilité de déterminer si le projet de loi a bien fonctionné en pratique.

Même en l'absence d'une telle clause, nous pouvons demander à nos collègues du Centre canadien de la statistique juridique — si ce projet de loi est adopté et en vigueur — s'ils pourraient nous aider à obtenir cette information. Je ne dis pas que cela est possible, mais nous pouvons leur demander s'il y a un moyen de signaler les violations de probation reliées à une ordonnance de non-conformité.

Le sénateur Lang : J'ai de la difficulté à comprendre ou à croire que nous ne possédons pas de statistiques sur le nombre des individus qui violent leur probation et les raisons pour lesquelles ils le font. J'ai du mal à croire que nous n'avons pas ce chiffre au bout de nos doigts à l'ère d'Internet.

Pour l'avenir, je me demande si nous allons créer un système national applicable à l'ensemble du pays de façon à obtenir cette information — principalement pour les tribunaux de la magistrature, en particulier dans le cas des récidivistes. Allons-nous éventuellement mettre sur pied un système qui vous permettra de fournir ce genre d'information lorsque nous vous la demanderons?

Mme Kane : Nous avons un bon système. Le Centre canadien de la statistique judiciaire collecte les données disponibles. Ce centre utilise cependant plusieurs sources telles que l'Enquête sur les tribunaux de juridiction criminelle pour adultes et la Déclaration uniforme de la criminalité.

Les données relatives à la probation sont fournies par les provinces. Le CCSJ regroupe les renseignements réunis par les provinces. Toutes les provinces ne collectent pas exactement les mêmes données de la même façon. Il existe toutefois un comité fédéral-provincial qui se réunit régulièrement pour veiller à ce que les données soient collectées de façon uniforme pour que le CCSJ puisse présenter les données sous un format national. Il serait préférable de leur poser directement la question la prochaine fois que les représentants du CCSJ comparaîtront devant vous. Ils seront heureux de répondre à cette question parce qu'ils font beaucoup d'efforts pour obtenir les meilleures données possibles.

Le sénateur Joyal : Monsieur Hoover, dans la cause à laquelle vous avez fait référence, au sujet de la diversité des conditions dont est assorti un engagement de ne pas troubler l'ordre public, reconnaissez-vous qu'aucune des conditions n'était aussi intrusive que l'ordre de fournir un échantillon de substance corporelle?

M. Hoover : C'est subjectif. Il faudrait poser la question à la personne qui doit respecter la condition. Dans les deux affaires, ces personnes ont décidé d'aller jusque devant la Cour suprême du Canada pour affirmer qu'elles pensaient avoir été traitées de façon inéquitable. Dans les deux cas, le pourvoi devant la Cour suprême a été refusé. Il est difficile de répondre à cette question dans un sens ou dans un autre. En tant qu'ancien avocat de la défense, je dirais que, lorsque l'accusé est disposé à aller aussi loin avec ses propres ressources, c'est que la question est importante pour lui. Par contre, pour ce qui est de dire si un droit garanti par la Charte est plus important qu'un autre, je ne pourrais pas vous répondre.

Le sénateur Joyal : Interdire à quelqu'un de ne pas s'approcher d'une cour d'école ou d'un domaine public revient à limiter la liberté d'aller et venir qui est garantie par la Charte. Par contre, lorsqu'il faut fournir un cheveu ou une substance corporelle, c'est autre chose. L'échantillon est remis pour qu'il soit analysé et il faut être sûr que l'échantillon sera détruit. Il y a eu des cas où cela n'a pas été fait. Lorsque nous avons étudié la Loi sur les empreintes génétiques, il y a eu une affaire judiciaire en Ontario dans laquelle l'ordonnance de destruction n'avait jamais été exécutée et où les échantillons se trouvaient toujours dans la banque.

Il y a un élément de continuité dans l'atteinte à la vie privée qui découle d'un ordre de fournir une substance corporelle. On ne retrouve pas une telle atteinte à la vie privée dans l'ordonnance qui interdit de s'approcher d'un endroit public. Je me demande sur quelle base juridique on pourrait soutenir que l'ordonnance peut se justifier aux termes de l'article premier de la Charte.

M. Hoover : La Cour d'appel de la Colombie-Britannique et la Cour suprême du Canada ont toutes deux déclaré que ces ordonnances étaient, prima facie, des atteintes à l'article 8. Cela est incontestable. Je ne sais pas si cela est pire ou mieux que les atteintes à l'article 7 ou à l'article 12, mais il est vrai que nous sommes particulièrement sensibles à ce qui paraît être une atteinte à l'article 8. À ce titre, nous avons tenté de rédiger le projet de loi pour qu'il réponde directement à cette préoccupation, tout en reconnaissant que l'outil en question est nécessaire et doit être fourni aux policiers et aux agents de probation pour que ces interdictions soient respectées.

Je trouve que la comparaison avec la conduite avec facultés affaiblies est bonne. S'il y a des conducteurs qui n'hésitent pas à conduire avec les facultés affaiblies et si l'on adopte une loi qui interdit ce genre de chose, si nous n'avons pas la capacité légale de prélever un échantillon d'haleine pour que cette interdiction soit respectée, que ferions-nous? Il y aurait bien sûr toujours une loi et des infractions. La situation serait-elle meilleure? Ce sont là également des atteintes potentielles prima facie, susceptibles d'être justifiées par l'article premier. Il s'agit de savoir si ce genre d'ordonnance est justifiable.

L'engagement de ne pas troubler l'ordre public et une atteinte à l'article 8 sont des questions graves. Nous n'avons pas mis de côté cette question. Néanmoins, ces engagements visent des personnes qui ont été jugées constituer un risque raisonnable de commettre une infraction sexuelle contre un enfant, une infraction de terrorisme ou de crime organisé. Ces infractions ne sont pas des infractions mineures qui incitent le tribunal à dire : « Je conclus que vous allez probablement commettre cette infraction et je vais vous imposer ce genre de condition pour protéger la sécurité de la population. »

Il s'agit de savoir si la condition est justifiable dans les circonstances.

Le sénateur Joyal : Je sais que votre ministère a fait tout ce qu'il pouvait pour mettre sur pied un processus qui permette de prélever des échantillons dans de bonnes conditions, et de garantir que les échantillons seront détruits. En pratique, il faut partir du principe que cette personne n'a pas été déclarée coupable de quoi que ce soit. C'est pourquoi la Charte prévoit certaines étapes. Il est évident que l'objectif recherché avec cette politique est judicieux. La Charte a toutefois prévu qu'il y avait des étapes à respecter avant de pouvoir accuser quelqu'un ou de le déclarer coupable. D'autres pays ont adopté un système différent, comme nous l'avons mentionné dans notre étude de la Loi sur les empreintes génétiques.

M. Hoover : Il s'agissait du registre des délinquants sexuels et de mon collègue Greg Yost. Il est plus intelligent que moi, mais il n'est peut-être pas aussi beau, mais je peux comprendre votre méprise.

Le sénateur Joyal : Mais vous comprenez quand même la nuance qu'il faut faire ici. Ce point ouvre la porte à des contestations.

M. Hoover : Il est certain que quelqu'un, quelque part va présenter une contestation. Nous avons fait tout ce que nous pouvons pour fournir cet outil et pour veiller à ce que les droits du délinquant soient respectés au cours du processus.

La présidente : Madame Kane et monsieur Hoover, merci. Vous nous avez été utiles.

[Français]

La présidente : Nous reprenons notre étude du projet de loi C-30, Loi modifiant le Code criminel. Nous avons le plaisir d'accueillir ce soir, à titre personnel et à titre d'expert, le professeur Sanjeev Anand.

[Traduction]

Je pense que mes collègues ont tous reçu une copie de l'article qu'il a rédigé sur ces questions.

Voulez-vous faire une déclaration d'ouverture, monsieur?

Sanjeev Anand, professeur, à titre personnel : Je vais faire une brève déclaration. Et j'aimerais ensuite passer aux questions. J'aimerais vous être aussi utile que possible et je pense que le mieux sera que je réponde à vos questions.

La présidente : Je vais vous interrompre pour vous dire qu'il serait plus simple pour vous de ne pas porter vos écouteurs pendant que vous parlez.

M.Anand : Merci.

Je pense que tous ceux qui sont dans la salle s'entendent pour dire que nous avons besoin d'un moyen efficace de faire respecter les conditions de non-consommation. Les témoins oculaires ne sont pas une option efficace, en particulier dans le cas d'une allégation de violation de la probation pour laquelle on a recours à la norme de la preuve « au-delà de tout doute raisonnable ».

Prenons le cas d'un délinquant qui fait l'objet d'une ordonnance de probation qui lui ordonne de s'abstenir de consommer de l'alcool, d'autres substances, et cetera. Des témoins oculaires remarquent que le délinquant agit de façon bizarre. Ils communiquent avec la police. Si les policiers disposent uniquement du témoignage de ces personnes, il leur sera bien souvent difficile d'obtenir une condamnation pour violation de probation en appliquant la norme de la preuve « au-delà de tout doute raisonnable » parce que c'est une infraction pénale.

L'individu en question se comporte peut-être de façon bizarre, mais il peut dire : « J'ai quelques problèmes de santé mentale et c'est la raison pour laquelle j'agis bizarrement » ou « Quelqu'un m'a frappé à la tête et c'est la raison pour laquelle j'agissais bizarrement. » Il existe une multitude de façons de soulever un doute raisonnable au sujet de la déclaration d'un témoin oculaire sur cet aspect.

Je crois que c'est la raison pour laquelle les tribunaux, avant Shoker, ont utilisé des mécanismes pour essayer de faire respecter les conditions en matière d'abstention en autorisant l'obtention, de gré ou de force, d'échantillons de substances corporelles. La Cour suprême a toutefois clairement déclaré dans Shoker, que la clause résiduaire de l'ordonnance de probation n'est pas une base légale suffisante pour ordonner le prélèvement d'échantillons de substances corporelles dans le but de faire respecter les conditions relatives à l'abstention.

Le projet de loi C-30 est efficace dans le sens où il attribue un pouvoir légal clair et précis qui permet d'exiger la production d'échantillons de substances corporelles pour faire respecter les conditions en matière d'abstention. La vraie question dont il s'agit ici est de savoir si le projet de loi respecte la Charte?

À mon avis, il respecte la Charte. L'article qui vous a été distribué, et que j'ai écrit il y a quelques années, portait sur l'obligation de fournir des échantillons de substances corporelles dans le cadre des peines communautaires et j'affirmais que, dans l'ensemble, il était possible de mettre sur pied un mécanisme de ce genre pourvu qu'il soit assorti d'un certain nombre de garanties. Je soutenais dans cet article que la norme des motifs raisonnables et probables serait la façon la plus sûre, sur le plan constitutionnel, de se procurer un échantillon; mais il faut prévoir certaines garanties visant à protéger la vie privée de la personne en question — en particulier pour ce qui est de l'utilisation et de l'entreposage des échantillons une fois qu'ils ont été obtenus.

L'arrêt Hunter c. Southam est peut-être l'arrêt clé pour ce qui est de l'article 8. Il ressort de cet arrêt que les conditions légales autorisant les fouilles et les perquisitions doivent prévoir l'obtention d'une autorisation judiciaire préalable à la fouille et fondée sur des motifs raisonnables et probables. Il est toutefois important de rappeler dans quel contexte la Cour suprême a prononcé ces mots.

Il s'agissait d'autoriser la fouille d'un individu dont la liberté n'avait été encore limitée d'aucune manière par l'État. L'individu en question est un citoyen ordinaire, non pas un condamné, ni une personne qui purge une peine — quelqu'un qui se trouve en liberté et qui n'a aucune restriction à respecter.

Lorsque les attentes en matière de respect de la vie privée sont faibles, la norme applicable à l'autorisation des fouilles et perquisitions est également faible. Si j'ai de fortes attentes en matière de respect de la vie privée, ce qui est le cas de tous les citoyens canadiens, les tribunaux vont imposer l'obligation énoncée dans Hunter c. Southam, à savoir qu'il faut obtenir au préalable une autorisation judiciaire fondée sur des motifs raisonnables et probables.

S'il ne s'agit plus d'un citoyen ordinaire, mais peut-être de quelqu'un qui fait l'objet d'un engagement de ne pas troubler l'ordre public et dont la liberté est déjà quelque peu limitée par l'État, ou de quelqu'un dont les attentes en matière de respect de la vie privée ont été restreintes, comme l'accusé déclaré coupable qui purge une peine dans la collectivité, alors les attentes de cette personne en matière de respect de la vie privée seront encore plus faibles.

Il y a enfin la situation du détenu, dont les attentes en matière de respect de la vie privée ne sont pas supprimées, mais qui sont nécessairement très faibles. Plus les attentes en matière de la vie privée sont faibles, plus les obligations à respecter pour que la fouille soit déclarée conforme à la Charte sont peu exigeantes. C'est donc dans ce contexte que nous devons examiner ces dispositions législatives.

Je me pose des questions au sujet de la Charte. J'admets toutefois avec l'avocat du ministère de la Justice qu'il est impossible à notre époque d'être sûr qu'une disposition est conforme à la Charte, de garantir qu'aucun tribunal canadien ne pourra jamais juger qu'il y a eu violation de la Charte et que ce projet de loi ne suscitera jamais de contestation judiciaire. J'estime toutefois que le ministère a fait un travail louable et a conçu ce projet de loi pour qu'il soit aussi respectueux que possible de la Charte. Disons que le ministère a sensiblement limité les chances qu'une telle contestation réussisse.

J'ai quand même certaines préoccupations, des aspects au sujet desquels un avocat de la défense pourrait invoquer la Charte, mais je suis également raisonnablement convaincu que les tribunaux, en particulier les cours d'appel, vont confirmer la validité du projet de loi.

Un de mes doutes porte sur la disposition prévoyant la prise de prélèvement à intervalles réguliers. Avec ce projet de loi, la personne qui fait l'objet d'une ordonnance de probation assortie d'une interdiction de consommer de l'alcool et des drogues, il est possible de mettre en œuvre cette condition en demandant à un tribunal d'ordonner — et il peut le faire avec ce projet de loi — que l'agent de probation qui a des motifs raisonnables de croire que cette condition a été violée exige un prélèvement.

Ce n'est toutefois pas la seule façon de faire respecter cette condition. Aux termes du projet de loi C-30, un agent de probation peut également remplir un des formulaires et préciser les intervalles réguliers — je crois qu'ils ne doivent pas être inférieurs à sept jours — auxquels l'individu en question doit fournir des échantillons.

Le problème que pose cette méthode est qu'elle ne repose sur aucune norme. Ce prélèvement ne repose sur aucune justification; il n'y a pas de motifs raisonnables ni de soupçons raisonnables. Il s'agit en fait de tester, de façon aléatoire, l'individu en question tous les sept jours. Il est donc possible de se demander si ce genre de prélèvement est constitutionnel.

Dans le contexte des pénitenciers, aux termes de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, les détenus fédéraux peuvent être obligés, de façon aléatoire, à fournir des échantillons d'urine. Par aléatoire, je veux dire que la liste est établie par un ordinateur; le processus est vraiment aléatoire. La Cour d'appel de la Colombie-Britannique a jugé que cette loi était constitutionnelle.

Bien entendu, il y a une énorme différence entre un détenu dans un établissement fédéral et la personne qui purge une peine communautaire. C'est la raison pour laquelle il est possible de s'interroger sur la constitutionnalité de l'obligation de fournir des échantillons à intervalles réguliers pour un probationnaire.

Le probationnaire a de plus grandes attentes en matière de respect de la vie privée. L'argument est que, si nous pouvons faire une comparaison avec les prélèvements d'urine aléatoires auxquels les détenus fédéraux sont soumis, la difficulté vient du fait que les détenus fédéraux ont des attentes plus faibles que les personnes qui purgent une peine communautaire. C'est ce qui explique que l'obligation de fournir des échantillons à intervalles réguliers risque de faire l'objet d'une contestation constitutionnelle.

Il n'y a pas d'autorisation judiciaire préalable dans le cas des détenus fédéraux. Le Service correctionnel du Canada n'a pas besoin d'une ordonnance judiciaire pour obtenir un échantillon d'urine; par contre, aux termes du projet de loi C-30, le tribunal doit non seulement imposer une interdiction, mais doit également mentionner s'il lui paraît approprié d'ajouter d'autres conditions facultatives, à savoir fournir des échantillons à intervalles réguliers.

On peut dire ici qu'il y a, dans un certain sens, une autorisation judiciaire préalable. Cette garantie correspond, d'après moi, aux attentes en matière de vie privée plus élevées que peut avoir la personne qui purge une peine dans la collectivité.

C'est la raison pour laquelle je pense que le projet de loi est conforme à la Charte. Il peut bien sûr faire l'objet d'une contestation constitutionnelle, mais j'estime que le ministère a fait du bon travail pour veiller à ce que le projet de loi respecte la Charte. Je dirais qu'il dispose de bons arguments.

Le principal problème concerne, à mon avis, les dispositions relatives à l'engagement de ne pas troubler l'ordre public. Les dispositions concernant cet engagement qui autorisent des prélèvements à intervalles réguliers sont particulièrement problématiques. Pourquoi : parce que les personnes qui font l'objet d'un tel engagement n'ont jamais été déclarées coupables de quoi que ce soit; je crois que cet aspect a déjà été soulevé. Par conséquent, ces personnes ont des attentes en matière de vie privée plus élevée qu'un détenu ou que même une personne purgeant une peine dans la collectivité; et pourtant, elles risquent également d'avoir à fournir un échantillon à intervalles réguliers si un tribunal l'estime nécessaire.

Je pense que c'est la disposition relative aux engagements de ne pas troubler l'ordre public qui est peut-être la plus problématique. C'est elle également qui risque le plus d'être invalidée à la suite d'une attaque constitutionnelle.

Il demeure tout de même que ces personnes ne sont pas comme les citoyens ordinaires de l'arrêt Hunter v. Southam. Elles ont déjà vu leur liberté limitée par cet engagement; elles ont donc des attentes en matière de vie privée plus faibles que celles d'un citoyen ordinaire. C'est la raison pour laquelle l'obligation imposée dans l'arrêt Hunter c. Southam d'obtenir une autorisation judiciaire préalable fondée sur des motifs raisonnables et probables ne s'appliquerait sans doute pas.

Comme avec toutes ces conditions, il semble que la loi exige une certaine forme d'autorisation judiciaire préalable. C'est également une garantie.

Je me pose également des questions au sujet de la norme des soupçons raisonnables applicable aux peines d'emprisonnement avec sursis. La norme des soupçons raisonnables est moins exigeante, respecte moins les droits garantis à l'article 8 de la Charte que ne le fait la norme des motifs raisonnables et probables.

Le ministre a soutenu — et je pense que c'est un bon argument — que la personne qui purge une peine d'emprisonnement avec sursis entretient des attentes moindres en matière de vie privée que celle qui est visée par un ordonnance de probation ou un engagement de ne pas troubler l'ordre public. Cet argument me paraît justifié. La peine d'emprisonnement avec sursis vise à imposer une sanction et à limiter la liberté du condamné. Il est facile d'imposer une peine d'emprisonnement à cette personne. Il n'est pas nécessaire de démontrer au-delà de tout doute raisonnable, mais simplement selon la prépondérance des probabilités, qu'il y a eu violation.

Le choix de la norme des soupçons raisonnables peut se justifier. Pour les libérés conditionnels aux termes de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, la norme des soupçons raisonnables est la norme légale et officielle applicable aux demandes d'échantillon de substances corporelles. Je vous signale cependant que cette disposition légale n'a jamais été contestée devant les tribunaux et que nous ne savons donc pas si elle est constitutionnelle.

La prise d'échantillons de substances corporelles peut révéler les détails intimes concernant la vie de la personne concernée. Dans R. c. Wise, la Cour suprême du Canada a indiqué que la norme des soupçons raisonnables était acceptable pour des dispositifs de surveillance, qui nous disent où se trouvent l'individu en question. La Cour a toutefois déclaré que, lorsque les mesures prises permettent de prendre connaissance de détails plus intimes de la vie de cette personne, alors la norme qui autorise ce genre de mesures doit être plus élevée. Dans ce cas-ci, nous nous trouvons dans un cas où l'on pourrait, par exemple, prendre des échantillons génétiques, ce qui exigerait une norme plus stricte. Le projet de loi indique clairement que la seule utilisation légitime des échantillons est leur utilisation à des fins de justice pénale et en particulier, pour savoir si l'interdiction de consommer certaines substances a été respectée.

Je me pose des questions, mais ce ne sont pas des questions très graves. La plupart des préoccupations que j'ai exprimées dans mon étude ont été dissipées, d'une façon ou d'une autre, et dans certains cas, de façon habile, par le ministère de la Justice.

Je vais dire quelques mots du recours à une norme flexible pour la collecte et l'entreposage des échantillons. Il a été demandé au ministre si cette norme n'ouvrait pas la porte à des contestations constitutionnelles, basées sur le genre de normes adoptées par les provinces et les territoires. Ces normes soulèvent un problème dans la mesure où si celles qu'adoptent les provinces et les territoires ne respectent pas suffisamment les droits en matière de vie privée pour ce qui est de la collecte et de la destruction des échantillons, alors le projet de loi pourrait être contesté sur le plan de sa mise en œuvre.

Le gouvernement a choisi cette façon de faire pour d'excellentes raisons. L'administration de la justice est, dans l'ensemble, une question provinciale. Cette responsabilité veut dire que ce sont les provinces qui en assument les coûts. Les provinces savent mieux que le gouvernement fédéral quelle est la situation localement. Ce projet de loi est un exemple de fédéralisme coopératif. Si le gouvernement estime qu'il y a un problème, il peut toujours en parler aux provinces. Il a également le pouvoir d'adopter un règlement fixant une norme minimale qui l'emporterait sur les autres textes. La constitutionnalité de ces dispositions ne soulève pas de graves préoccupations.

Je serai heureux de répondre à vos préoccupations.

La présidente : Vous vous êtes peut-être mal exprimé au début de vos remarques. Je vous ai entendu dire que les conditions relatives à la prise de prélèvements à intervalles réguliers ne devaient pas prévoir une période supérieure à sept jours. N'est-ce pas plutôt une période « inférieure à sept jours »?

M. Anand : Vous avez tout à fait raison; excusez-moi.

Le sénateur Angus : Bonsoir, monsieur Anand, et merci d'être venu. Quels sont vos titres de compétence et votre expérience dans ce domaine?

M. Anand : À partir du 1er juillet 2011, je serai le nouveau doyen du College of Law de l'Université de la Saskatchewan. Je suis professeur à la faculté de droit de l'Université de l'Alberta depuis 10 ans. Je crois que mon curriculum vitae a été distribué.

La présidente : Nous l'avons. Nous le distribuerons.

M. Anand : Lorsque je pratiquais comme avocat, j'étais avocat d'appel pour le ministère de la Justice de l'Alberta et je me suis occupé de causes devant la Cour suprême du Canada et la Cour d'appel de l'Alberta. J'ai également été poursuivant à Edmonton, en Alberta, en qualité de procureur de la Couronne. J'ai toutefois commencé ma carrière juridique comme avocat de la défense pour la société de l'aide juridique de l'Alberta. Ma pratique consistait principalement à défendre les jeunes contrevenants. Pour ce qui est de mes diplômes universitaires, j'ai un diplôme de Juris Doctor de l'Osgoode Hall Law School, une maîtrise en droit de l'Université de l'Alberta, et un doctorat en droit de l'Osgoode Hall Law School.

Le sénateur Angus : Merci, monsieur. Il est agréable pour nous d'avoir accès à vos vastes connaissances.

Vous êtes-vous spécialisé en droit pénal plutôt qu'en droit civil?

M. Anand : C'est exact. Vous ne devriez pas me demander de témoigner au sujet du droit civil.

Le sénateur Angus : Depuis que vous avez écrit cet article, avez-vous eu des consultations avec le ministère fédéral de la Justice?

M. Anand : Non.

Le sénateur Angus : Avez-vous communiqué avec ce ministère pour ce qui est de l'arrêt R. c. Shoker?

M. Anand : Non. Je fais régulièrement de la consultation avec le ministère fédéral de la Justice sur un certain nombre de questions. La dernière fois que j'ai été en rapport avec la section de la politique en matière de droit pénal, c'était au sujet des pouvoirs que la common law accorde aux policiers. Cette consultation a eu lieu au début de l'année.

Le sénateur Angus : Avez-vous agi comme consultant pour le ministère à propos de ce projet de loi?

M. Anand : Non.

Le sénateur Angus : Mais vous nous avez dit qu'à votre avis, le ministère avait fait du bon travail pour combler la lacune signalée par la Cour suprême dans R. c. Shoker?

M. Anand : Exactement.

Le sénateur Angus : Étiez-vous ici lorsque le ministre Nicholson a témoigné?

M. Anand : Oui.

Le sénateur Angus : A-t-il fait des déclarations auxquelles vous ne souscrivez pas?

M. Anand : Non, il n'y a rien à quoi je m'oppose vraiment. La difficulté que pose ce domaine particulier est que nous ne disposons pas de bonnes statistiques, qu'elles soient antérieures ou postérieures à Shoker, sur la façon dont ces conditions ont été utilisées. En tant que procureur de la Couronne, je dirais qu'il était relativement rare que les procureurs de la Couronne demandent des conditions concernant le prélèvement de substances corporelles. Même lorsque je pratiquais le droit, la constitutionnalité de ces ordonnances était problématique.

Je pense que ce projet de loi va donner naissance à un beaucoup plus grand nombre d'ordonnances de ce genre. Je ne pense pas qu'il va simplement nous ramener à la période antérieure à l'arrêt Shoker, au cours de laquelle la validité des ordonnances d'application de l'interdiction de consommer des substances posait un véritable problème. Ce problème était très réel. C'est la raison pour laquelle ce genre d'ordonnance n'était pas très souvent rendue. À la suite de l'arrêt R. c. Shoker, la porte a été complètement fermée, sauf en Nouvelle-Écosse où j'ai trouvé une décision isolée à laquelle je fais référence dans mon article. En Nouvelle-Écosse, les tribunaux ont eu recours à des interprétations traditionnelles et créatives de l'arrêt R. c. Shoker pour en éviter les conséquences. Après Shoker, ce genre de condition a complètement disparu.

Avec ce nouveau projet de loi, ces conditions seront utilisées plus fréquemment. Les procureurs de la Couronne auront le sentiment que les questions constitutionnelles ont été résolues. Il y aura des séances de formation; les procureurs de la Couronne sauront qu'ils peuvent demander ce genre de condition. Ils n'étaient pas toujours au courant de ces conditions auparavant.

Le sénateur Angus : Le ministre et ses collaborateurs ont mentionné que le projet de loi était conçu pour avoir un effet dissuasif. Êtes-vous d'accord avec eux? La personne qui fait l'objet d'une de ces ordonnances, sachant qu'on peut lui demander un échantillon n'importe quand.

M. Anand : Je ne pense pas que ce projet de loi ou n'importe quel autre projet de loi de nature pénale puisse avoir un effet dissuasif.

Le sénateur Angus : Sur quoi basez-vous votre opinion?

M. Anand : Pour qu'il y ait un effet dissuasif, il faut que le délinquant potentiel fasse un certain calcul. Il doit non seulement évaluer les coûts et les bénéfices de son acte, mais également les chances d'être pris. La réalité est qu'avec le faible taux d'affaires classées pour les infractions pénales en général — il est inférieur à 15 p. 100 — si un individu effectue vraiment une véritable analyse des coûts, alors il commettra l'infraction. C'est la réalité.

La présidente : J'espère qu'il n'y a pas de criminels potentiels qui nous regardent en ce moment à la télévision.

M. Anand : En réalité, nous venons en aide aux responsables de l'application de la loi pour qu'ils puissent mieux mettre en œuvre ces conditions. Je ne crois pas réaliste de penser qu'on dissuadera une personne de commettre une infraction simplement en procédant à des analyses périodiques ou à quelque chose d'analogue.

Les personnes assujetties à une ordonnance d'un tribunal leur interdisant de consommer de l'alcool savent très bien que quelqu'un pourrait les dénoncer si elles prenaient un verre, même en l'absence de telles conditions, mais elles le font tout de même. Pourquoi? Probablement parce qu'elles ont un problème d'assuétude et si tel est le cas, elles ne s'inquiéteront pas que nous facilitions l'application de ces conditions et imposions une pénalité en conséquence. Je sais qu'on revient fréquemment sur la notion de dissuasion, mais permettez-moi de vous dire que la science sociale est claire : On n'obtient pas d'effet dissuasif à coups de mesures punitives, ni en facilitant l'application des conditions quand on a un taux d'affaires classées aussi bas que celui des infractions pénales.

Cela dit, il y a d'autres raisons pour lesquelles le projet de loi C-30 est bon. Il faut donner aux policiers des mécanismes leur permettant d'appliquer ces conditions du mieux possible et je pense que c'est en cela que le projet de loi est bon.

Le sénateur Angus : Permettez-moi une remarque, madame la présidente. Puisque nous avons digressé pour parler de sociologie et de criminologie au sens large, si nous pouvions tout simplement lire les pensées de ces personnes et comprendre pourquoi elles font ces choses, le monde serait plus simple.

M. Anand : Souvent, quand j'enseigne la détermination de la peine à mes étudiants de droit en deuxième ou troisième année, je parle de peines minimales obligatoires et de peines de départ. Je leur demande quelles sont les chances qu'un individu sur le point de commettre un vol dans un dépanneur fasse un arrêt à la bibliothèque de droit locale, consulte la peine imposée par la cour d'appel pour un vol dans un dépanneur et se dise : « Cinq ans, c'est trop, je ne le ferai pas » ou « trois ans, ce n'est pas mal, j'y vais »? Cela ne marche pas comme ça.

Le sénateur Boisvenu : Je conclus que le projet de loi vous convient?

M. Anand : Effectivement.

[Français]

Cette loi n'a pas seulement une valeur dissuasive à commettre un crime. Elle a aussi pour objectif de protéger la population, n'est-ce pas?

[Traduction]

M. Anand : L'objectif visé est peut-être de dissuader les criminels, mais je pense que l'objet réaliste de ce projet de loi est d'appréhender les personnes qui ne respectent pas les conditions de leur ordonnance de probation.

Le sénateur Boisvenu : C'est pour donner à la police les bons outils pour être efficace sur le terrain.

M. Anand : Exactement : La dissuasion laisse entendre que la simple existence de la condition empêchera les gens de se livrer à ces activités. Je ne pense pas qu'il y aura un effet de dissuasion. Je pense que ceux qui sont déjà portés à enfreindre les conditions le feront de toute façon, mais ils devront en subir les conséquences.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Vous nous avez dit tout à l'heure avoir travaillé au bureau du procureur général. C'est bien cela?

[Traduction]

M. Anand : Effectivement.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Selon vous, ce projet de loi va-t-il bien outiller les policiers, en cas de doute raisonnable pour intervenir auprès d'un criminel en liberté sous ordonnance, pour bien faire leur travail?

Une de nos préoccupations est de nous assurer que les policiers disposent d'outils efficaces pour faire leur travail et qu'ils puissent intercepter les individus qui pourraient commettre un crime.

[Traduction]

M. Anand : Je pense que ce projet de loi donne des outils importants aux policiers, tant pour prévenir d'éventuels manquements aux conditions d'une ordonnance de ne pas troubler l'ordre public, que pour s'assurer que les personnes ayant manqué aux conditions d'une ordonnance puissent être poursuivies avec succès.

Le sénateur Joyal : Revenons-en aux définitions des deux normes. La norme des motifs raisonnables de soupçonner n'a, selon vous, jamais été soumise aux tribunaux, contrairement à celle des motifs raisonnables de croire. Comment ces deux normes interviennent-elles par rapport à ces deux articles du projet de loi?

M. Anand : Vous posez une question difficile.

Le sénateur Joyal : Certes, mais vous êtes professeur et j'ai confiance dans vos capacités.

M. Anand : Je peux vous donner l'explication que je donne à mes étudiants. Les « motifs raisonnables et probables » constituent une norme plus rigoureuse. Les « motifs de soupçonner » sont une norme moins rigoureuse et, comme l'a dit le juge Doherty de la Cour d'appel de l'Ontario, son application exige un ensemble de faits objectivement discernables. Les motifs raisonnables de soupçonner ne peuvent équivaloir à un pressentiment; il doit exister un ensemble de facteurs donnant à penser qu'il pourrait y avoir un motif d'effectuer une perquisition ou un motif de croire que quelqu'un a manqué à une condition d'abstention. Cependant, pour les motifs raisonnables de soupçonner, on n'a pas besoin d'une prépondérance des preuves comme pour les « motifs raisonnables et probables ».

Le sénateur Joyal : Parlons-nous du critère des « motifs raisonnables de croire »?

M. Anand : Oui.

Le sénateur Joyal : Comme l'a signalé le ministère, le projet de loi s'appuie sur différents critères. On le peut voir à la page 2.

M. Anand : Dans le cas des ordonnances de sursis, pour requérir des échantillons de substances corporelles, le « motif raisonnable de soupçonner » suffit, tandis que, dans les cas de probation et d'engagement de ne pas troubler l'ordre public, il faut un « motif raisonnable de croire » qui est une norme plus exigeante.

Loin de moi l'intention de parler pour le ministre, mais il a essentiellement indiqué que, dans le cas d'une ordonnance de sursis, la personne a été déclarée coupable. Cependant, ce qu'il n'a pas dit, c'est que non seulement la personne est déclarée coupable, mais qu'elle est aussi passible d'une peine plus rigoureuse.

L'ordonnance de sursis pourrait suspendre un plus grand nombre de droits en matière de vie privée que toute autre ordonnance. Par conséquent, dans le cas d'une personne visée par une telle ordonnance, le seuil de protection de la vie privée est inférieur; voilà pourquoi la norme à invoquer pour requérir un échantillon de substances corporelles est moins stricte avec ce type de peine.

Le sénateur Johal : Je suis d'accord avec vous. Cependant, la différence entre l'engagement de ne pas troubler l'ordre public et la probation, c'est qu'aucune accusation n'est portée dans le premier cas.

M. Anand : Il n'y a pas d'accusation. Cependant, et je veux insister sur ce point, le signataire d'un engagement de ne pas troubler l'ordre public doit entretenir moins d'attentes en matière de vie privée que vous ou moi. Ni vous ni moi ne sommes soumis à un tel engagement; c'est la raison pour laquelle le ministère de la Justice du Canada estime probablement que la norme utilisée est justifiée. Encore une fois, je ne veux pas parler à la place de qui que ce soit.

Quelle autre norme pourrait-on utiliser? Il y en a seulement trois : il y a les « motifs raisonnables de soupçonner », les « motifs raisonnables et probables de croire », et la preuve « hors de tout doute raisonnable ». « Hors de tout doute raisonnable » est une norme beaucoup trop rigoureuse pour requérir le prélèvement de substances corporelles; elle n'est pas du tout appliquée dans le système de justice pénale pour requérir des échantillons de substances corporelles.

Le sénateur Joyal : Ce que j'essaie de montrer, c'est que le droit canadien ne prévoit pas qu'une personne en état d'arrestation puisse être obligée de fournir un échantillon de substances corporelles. Elle doit fournir ses empreintes digitales, mais pas un échantillon de substances corporelles comme en Grande-Bretagne. Il y a une différence entre nos deux pays de ce point de vue. Dans le cas d'un engagement de ne pas troubler l'ordre public, la personne n'est même pas en état d'arrestation.

M. Anand : Effectivement pas.

Le sénateur Joyal : Vous voyez?

M. Anand : Mais on limite sa liberté.

Le sénateur Joyal : On lui impose des restrictions, mais elles sont limitées parce que la personne n'est même pas accusée et elle n'a donc évidemment pas été reconnue coupable.

Voilà pourquoi je pense qu'il y a différents niveaux de limites aux libertés d'une personne essentiellement soumise à un engagement de ne pas troubler l'ordre public. On n'oblige pas une personne en état d'arrestation à fournir un prélèvement d'échantillons de substances corporelles.

M. Anand : Je soutiens que nous avons établi un seuil plus rigoureux pour imposer des conditions à une personne soumise à un engagement de ne pas troubler l'ordre public par opposition à une personne en état d'arrestation. Quand les policiers procèdent à une arrestation, ils n'ont pas démontré à une quelconque autorité judiciaire indépendante qu'ils ont des « motifs raisonnables et probables ». Ils doivent simplement avoir des motifs raisonnables et probables, et ça suffit pour mettre la personne en état d'arrestation.

Si l'imposition d'un engagement de ne pas troubler l'ordre public est contestée, un arbitre impartial — habituellement un juge d'une cour provinciale — doit fonder sa décision sur la prépondérance des probabilités pour établir que la personne constitue un danger pour une autre personne.

Pour moi, cette norme est plus rigoureuse que celle des motifs raisonnables et probables qu'aurait à appliquer un policier. Dans ce cas, un arbitre impartial établit à la faveur d'une audience que la personne constitue un danger. Je pense que cette norme justifie probablement qu'on puisse plus facilement requérir des échantillons de substances corporelles que dans le cas d'une personne simplement en état d'arrestation.

Le sénateur Joyal : Oui, mais le niveau d'atteinte à la vie privée à cette étape de l'engagement de ne pas troubler l'ordre public ne peut être aussi élevé qu'il le serait si la personne était sous probation ou assujettie à une ordonnance de sursis.

M. Anand : Je ne suis pas sûr que ce soit vrai parce que nous parlons d'impératifs constitutionnels. Je pense qu'il faut établir une distinction entre deux choses. La Constitution prévoit un niveau minimal. Il se peut fort bien que pour une personne en probation, la Constitution ne requière pas des motifs raisonnables et probables pour obtenir des échantillons de substances corporelles. Peut-être suffit-il d'avoir un motif raisonnable de soupçonner; c'est peut-être tout ce qu'il faut selon la Charte. Cependant, le Parlement, dans sa grande sagesse, par le biais du projet de loi C-30, a exigé une norme plus rigoureuse.

Le Parlement a toujours le choix d'imposer des normes plus rigoureuses que ce qu'exige la Charte. La Charte prévoit un minimum de base et seule une décision judiciaire portant exactement sur ce point permet de savoir si on respecte la Charte. Dans ce cas-ci, nous n'avons pas une telle décision.

Le sénateur Joyal : Je suis d'accord, mais même dans l'affaire Shoker, les juges ont fait remarquer que la « solution qu'il retiendrait [le Parlement] pourrait ensuite faire l'objet d'un examen » pour assurer le respect de la Charte.

Ce n'est pas parce qu'on a fait adopter une loi...

M. Anand : Cependant, à la lecture du reste du texte cité, on voit que les commentaires du juge LeBel dans Shoker étaient limités au prélèvement d'échantillons de sang. Il se souciait particulièrement du prélèvement des échantillons de sang.

Le sénateur Joyal : Je suis d'accord, mais un échantillon de sang c'est un échantillon de substance corporelle.

M. Anand : Mais ce n'est pas le seul type.

Le sénateur Joyal : Je sais et le règlement décidera, comme vous le savez. Si on revient à la page 7, en ce qui a trait au règlement :

(10) Le gouverneur en conseil peut, par règlement :

(a) désigner des substances corporelles pour l'application des alinéas (2)a.1) et a.2).

M. Anand : Ce qui préoccupe surtout le juge LeBel dans Shoker c'est l'absence de cadre réglementaire régissant le prélèvement et l'utilisation des échantillons, plus que toute autre chose. Voilà ce qui le préoccupe.

N'oubliez pas que, pour le juge LeBel, si la condition résiduelle pour la probation confère bien la compétence légale de requérir un échantillon, celui-ci conclut à son inconstitutionnalité en l'absence d'un cadre réglementaire tenant compte des droits du probationnaire en matière d'utilisation et de stockage de l'échantillon. Je pense que le contexte sera d'une importance capitale dans tout litige ultérieur à ce sujet.

Le sénateur Joyal : Selon vous, pourquoi n'a-t-on jamais fait appel aux tribunaux pour ce qui est de la norme des motifs raisonnables de soupçonner?

M. Anand : Je ne devrais pas dire qu'on n'a jamais fait appel aux tribunaux; on n'a jamais fait appel aux tribunaux dans le cas d'une personne condamnée. La norme des motifs raisonnables de soupçonner a reçu l'appui des tribunaux dans le contexte de l'arrêt R. c. Mann de la Cour suprême du Canada, qui traitait de détention aux fins d'enquête, mais ce n'est pas la même chose qu'une personne condamnée.

Par exemple, les policiers peuvent détenir une personne et la fouiller sommairement s'ils ont certains motifs. Même s'ils n'ont pas de motifs raisonnables et probables, il leur suffit seulement d'avoir un motif raisonnable de soupçonner. La Cour suprême du Canada, dans l'arrêt Mann, a donné à la police ce pouvoir prévu dans la common law.

Ce n'est pas qu'on n'a jamais entendu parler de la norme des motifs raisonnables de soupçonner ou qu'elle n'a jamais été confirmée par la Cour suprême. Cependant, dans le contexte d'une personne condamnée, on ne l'a jamais soulevé devant les tribunaux.

Le sénateur Wallace : Vous avez dit, et je comprends les raisons que vous avez données, que les personnes soumises à l'engagement de ne pas troubler l'ordre public, surtout si elles sont assujetties à des analyses à intervalles réguliers en vertu de ce projet de loi, peuvent s'attendre à ce que leur vie privée soit mieux protégée qu'une personne en probation. Vous avez dit que, selon vous, cette condition est la plus problématique de toutes. En général, je pense que vous êtes satisfait de ce projet de loi, du point de vue constitutionnel; mais vous avez soulevé ce point — qu'il pourrait y avoir matière à arguments.

M. Anand : Si j'étais avocat de la défense, cette disposition serait mon principal point d'attaque.

Le sénateur Wallace : Bon. Il s'agit alors de protéger les droits à la vie privée de la personne soumise à un engagement de ne pas troubler l'ordre public, de voir si les analyses ne risquent pas d'enfreindre la Charte canadienne des droits et libertés, tout particulièrement l'article 8 qui traite de la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives.

Quand un tribunal cherche à savoir si une fouille, une perquisition ou une saisie est abusive, soupèse-t-il les intérêts de l'individu par rapport à l'intérêt public qui est servi grâce à ces analyses — dans ce cas, grâce à cette exigence de fournir un échantillon? Cet équilibre est-il pertinent? Qu'est-ce qui est raisonnable?

D'une part, il y a l'objet du projet de loi — une personne qui serait soumise à un engagement de ne pas troubler l'ordre public vraisemblablement pour offrir une plus grande protection à la population générale contre des situations de récidive — par opposition à la protection des intérêts de la personne en matière de vie privée. Cet équilibre est-il pertinent; les tribunaux le considèrent-ils? Est-il pertinent pour déterminer le caractère raisonnable, du point de vue de la Charte?

M. Anand : Les tribunaux considèrent certainement cet équilibre, mais je voudrais diviser votre question en deux. Même si les tribunaux déterminent qu'il y a infraction à l'article 8 de la Charte, le gouvernement peut toujours soutenir que la limite est raisonnable et qu'elle peut se justifier dans une société libre et démocratique aux termes de l'article premier.

Je soutiendrais personnellement que nous sommes en présence d'un équilibre interne des intérêts externes, selon l'article 8 de la Charte, ce qui est particulièrement évident dans ce que j'appelle les perquisitions prévues par voie de règlement. Dans les industries du transport qui sont fortement réglementées par le gouvernement, les perquisitions n'obéissent pas à la norme établie dans Hunter c. Southam. Puisqu'il s'agit d'un environnement fortement réglementé, il y a moins d'attente en matière de vie privée; on pourrait donc dire qu'il y a une sorte d'équilibre interne. Les tribunaux reconnaissent qu'il faut règlementer ces industries et les règlements sont beaucoup trop importants pour qu'on fixe un seuil difficile à respecter afin de procéder à une perquisition. Je soutiendrais qu'il s'agit d'un exemple d'équilibre interne selon l'article 8.

Cependant, la plupart des inquiétudes qu'on soulèverait en ce qui a trait à l'efficacité de l'application de la loi dans le contexte de la justice pénale concerneraient, selon moi, l'article 1. Même si les tribunaux concluaient que cette loi viole l'article 8, il y a toujours la question de la justification selon l'article 1.

Au vu d'un certain nombre d'arrêts récents dans lesquels la Cour suprême du Canada exprime une déférence considérable aux actions parlementaires — surtout lorsque le Parlement a considéré, comme cet organe est en train de le faire, les différentes possibilités — force est de constater que la Cour semble être plus portée à s'en remettre au choix du Parlement quand elle doit décider entre différentes options raisonnables. Dans ce cas, je pense qu'on peut incontestablement dire que même si la loi n'est pas le mécanisme le moins intrusif possible, le Parlement est en train de faire un choix raisonnable. C'est pour cette raison que les tribunaux pourraient bien s'en remettre au Parlement.

Le sénateur Wallace : Votre examen et votre compréhension de ce projet de loi sont impressionnants et nous vous remercions de vos réponses exhaustives.

M. Anand : C'est bien de savoir que quelqu'un a lu l'article. On dit souvent aux universitaires que six personnes seulement lisent leurs écrits.

La présidente : Nous voici tous les six.

Le sénateur Wallace : C'est peut-être une étude théorique, mais vous y donnez des implications pratiques; et c'est ce que nous essayons de faire ici — appliquer ce que nous croyons être les circonstances de la réalité à ces projets de loi. C'était utile.

Le projet de loi concerne évidemment des personnes soumises à des ordonnances de probation, des ordonnances de sursis et des engagements de ne pas troubler l'ordre public, et il requiert de ces personnes qu'elles fournissent des échantillons, soit sur demande, soit à des intervalles réguliers. Il concerne également l'utilisation, l'entreposage et la destruction des échantillons. Tous ces éléments sont présents.

Dans le cadre de votre évaluation du projet de loi que vous semblez appuyer, avez-vous considéré chacun de ces éléments?

M. Anand : Oui. Comme je l'ai dit, ce que vous appelleriez la délégation aux provinces des questions d'entreposage et d'utilisation m'inquiète un peu. Je comprends cependant quelles en sont les raisons budgétaires et politiques. Le Parlement doit surveiller cette norme de près. Je pense que le ministre avait raison quand il a dit que la seule utilisation possible de ces échantillons, c'est l'application de ces conditions d'abstention, à part la recherche et l'établissement de statistiques. Cette utilisation est clairement établie dans la loi, elle est un pilier important.

En ce qui a trait aux conditions associées aux engagements de ne pas troubler l'ordre public, si je rédigeais le projet de loi, aurais-je prévu les prélèvements à intervalles réguliers? Probablement pas, puisque je suis probablement moins enclin à courir des risques que d'autres. Je pense que c'est le maillon faible de ce texte législatif et celui qui serait le plus susceptible de se faire attaquer. Cependant, je comprends pourquoi le gouvernement a procédé de cette façon; je comprends qu'on avait des motifs raisonnables de vouloir cette disposition particulière.

En ce qui a trait à la condition associée aux ordonnances de sursis et au critère moins rigoureux des motifs raisonnables de soupçonner, je pense que le gouvernement est en terrain beaucoup plus ferme. Comme la personne soumise à une ordonnance de sursis a moins d'attentes en matière de protection de la vie privée qu'un probationnaire, il conviendrait que les policiers aient à respecter un seuil beaucoup moins rigoureux afin de requérir la fourniture d'échantillons de substances corporelles.

La présidente : Merci beaucoup, M. Anand. Je ne sais pas si vous vous rendez compte à quel point il est utile pour nous d'avoir un véritable témoignage d'expert. Nous l'apprécions énormément. Nous sommes désolés du court préavis qu'on vous a donné.

M. Anand : Je suis désolé de ma fatigue attribuable au décalage horaire. J'espère que mes déclarations étaient cohérentes.

La présidente : Ne vous en faites pas pour cela. Nous vous en sommes très reconnaissants.

Nous poursuivons notre étude du projet de loi C-30, Loi modifiant le Code criminel, ou Loi donnant suite à la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire R. c. Shoker. M. Vincenzo Rondinelli représente la Criminal Lawyers' Association. Nous sommes toujours très reconnaissants de vous accueillir parmi nous et encore plus aujourd'hui puisque vos déplacements par avion ont été plus ardus que d'habitude.

Bienvenue, maître Rondinelli. Vous avez quelques commentaires avant que nous vous posions des questions.

Vincenzo Rondinelli, avocat, Criminal Lawyers' Association : Merci. Je me suis déjà rendu en Europe en moins de temps qu'il m'en a fallu pour relier Toronto à Ottawa aujourd'hui.

Je représente la Criminal Lawyers' Association, organisation d'avocats nationale qui compte environ 1 200 membres. Nous avons notamment pour mandat de présenter des exposés à des comités comme le vôtre. Nous siégeons également à des comités consultatifs avec la magistrature et les procureurs de la Couronne. À l'instar des procureurs de partout au pays, nos membres sont en première ligne du système de justice pénale. Des projets de loi comme le projet de loi C-30 ont de profondes répercussions sur nos membres. Nous sommes donc reconnaissants de l'invitation, d'où les efforts que nous avons faits pour vous faire part de commentaires qui, nous l'espérons, pourront être utiles à ceux qui ont des questions.

Nous sommes satisfaits de l'arrêt R. c. Shoker. Notre organisation préconisait le point de vue qui a, en fin de compte, été retenu par la majorité des juges : le Code criminel ne donne pas au juge qui prononce la peine le pouvoir d'ajouter une condition à une ordonnance de probation pour requérir que des échantillons soient fournis afin de vérifier l'interdiction de consommer de l'alcool ou des drogues. En outre, s'il y a une lacune dans le Code criminel, comme ça semble être le cas, c'est le Parlement qui est responsable de la combler, et pas les tribunaux.

Grâce à ce projet de loi, le Parlement prend les mesures législatives voulues pour combler la lacune.

Nous avons de la chance dans le système de justice pénale aujourd'hui. Nous avons l'expérience des prélèvements d'échantillons de substances corporelles dans d'autres situations, comme avec la conduite avec facultés affaiblies ou le cadre législatif récent sur l'ADN. J'ai déjà comparu devant ce comité pour parler de ces questions.

Nous avons donc une expérience des échantillons de substances corporelles et de l'application de lignes directrices strictes. La loi actuelle semble refléter cette expérience. Je n'ai pas vu le règlement; je ne suis pas certain qu'il y en ait un. Cependant, le texte législatif pourra bénéficier de ce qui se fait en matière d'ADN et reprendra sans doute les dispositions concernant la désignation des personnes chargées de prélever les échantillons, le traitement des échantillons, leur durée d'entreposage et leur destruction.

Je ne suis pas venu ici pour trépigner et m'inquiéter de ce que l'on fait au Parlement. Le projet de loi C-30 semble être de nature technique. Ce qu'il inclut n'est pas surprenant, sauf pour un domaine. L'arrêt R. c. Shoker traitait de la probation. Le projet de loi lui, étend cet arrêt aux ordonnances de sursis et à l'engagement de ne pas troubler l'ordre public, en plus des probations. Nous n'avons évidemment pas d'inquiétude en ce qui concerne le régime de probation ni en ce qui concerne les ordonnances de sursis. Ils sont le miroir l'un de l'autre. Les conditions qui assortissent habituellement une ordonnance de probation sont semblables à celles qui accompagnent une ordonnance de sursis. La partie du projet de loi qui nous a fait sourciller est celle qui traite des engagements de ne pas troubler l'ordre public.

À l'analyse des premiers débats sur ce projet de loi, y compris en première lecture, je n'ai pas compris comment on a décidé que l'engagement de ne pas troubler l'ordre public serait un bon ajout.

En principe, l'engagement de ne pas troubler l'ordre public est utilisé tous les jours en tant que mécanisme permettant de régler bien des cas. Cependant, ce qui contribue le plus à régler les problèmes, c'est que l'engagement de ne pas troubler l'ordre public n'est assorti d'aucune déclaration de culpabilité et d'aucune responsabilité criminelle. C'est un cas de figure différent des ordonnances de probation et de sursis qui, elles, font partie de la peine.

Quand on a commencé à imposer l'engagement de ne pas troubler l'ordre public, dans les années 1800, il était question de protéger la propriété et l'ordre public. La formule a évolué dans le temps. Elle est devenue un mécanisme utile pour prévenir des risques de violence appréhendés. Habituellement, l'engagement de ne pas troubler l'ordre public vise une personne en particulier. L'engagement de ne pas troubler l'ordre public a évolué jusqu'à nos jours. À cet égard, je ne vois toujours pas la corrélation entre les conditions imposant l'obligation de fournir des échantillons de substances corporelles et ce qu'est censé être l'engagement de ne pas troubler l'ordre public.

Du point de vue pratique, il arrive que l'engagement de ne pas troubler l'ordre public soit une solution rapide. Le jour du procès, bien des événements peuvent se produire. Les témoins ne se présentent pas ou, après un examen plus minutieux de sa cause peu de temps avant le procès, la Couronne s'aperçoit que son dossier n'est pas aussi solide qu'elle l'avait cru. C'est là où les discussions s'enflamment. À la 24e heure, comme disent les juges, on s'entend sur un engagement de ne pas troubler l'ordre public. Il n'y a pas beaucoup de temps pour penser à ce qui sera inscrit dans cet engagement de ne pas troubler l'ordre public. Cependant, l'ajout de conditions conséquentes, comme celles envisagées ici, pourrait venir entraver ce processus rapide et sommaire d'une journée.

Les clients sont heureux d'accepter ce genre d'engagement parce qu'ils risqueraient, sinon, d'être reconnus coupables et peut-être même emprisonnés. Cependant, ils ne doivent pas oublier qu'ils sont toujours assujettis à certaines conditions, même en ce moment, même sans ces nouvelles dispositions. Tout manquement est grave parce qu'il constitue une violation d'un ordre d'un tribunal. Dans l'état actuel des choses, une violation est punissable et par procédure sommaire, et par mise en accusation. Si cette disposition entre en jeu et qu'on dise aux justiciables qu'ils risquent d'être tenus de se plier à des analyses de dépistage de drogues ou d'alcool à intervalles réguliers, ils pourraient ne pas être aussi enclins à accepter cette formule, pour une raison ou une autre.

Cette disposition vient ajouter une autre strate : comment gérer la condition quand il faut démontrer au tribunal qu'une telle condition est nécessaire dans les circonstances particulières? Fait-on appel à un expert ou à un psychologue pour faire une évaluation? Dans le cas de M. Shoker, il y avait des preuves d'ordre médical. C'est un psychiatre ou un psychologue qui a dit que M. Shoker pourrait être un risque dans l'avenir et que ce ne serait pas une mauvaise idée de lui faire subir des analyses de dépistage de drogues ou d'alcool.

L'ajout de cette condition d'ordre pratique soulève des problèmes. Sinon, pour ce qui est du projet de loi dans son ensemble, nous sommes heureux de voir que le Parlement a pris ces mesures. Elles seront bénéfiques pour les juges, mais aussi pour les clients, puisqu'ils comprendront mieux les ordonnances de probation et les ordonnances de sursis. Voilà les problèmes que nous voyons relativement aux engagements de ne pas troubler l'ordre public.

En gros, voilà mes commentaires initiaux.

Le sénateur Wallace : Comme on vous l'a dit avant que vous ne preniez place, nous vous remercions de votre présence. Vous avez remué ciel et terre pour venir témoigner et nous vous en sommes très reconnaissants.

Maître Rondinelli, vous avez surtout parlé des dispositions concernant l'engagement de ne pas troubler l'ordre public et du fait que celles-ci représentent un facteur additionnel qui n'était pas mentionné dans l'arrêt Shoker. Je ne suis pas sûr d'avoir bien compris votre conclusion sur ce point. Avez-vous dit que l'engagement de ne pas troubler l'ordre public n'est pas imposé dans le même genre de situations que les ordonnances de probation et les ordonnances de sursis ou avez-vous des réserves au sujet de la partie du projet de loi qui traite de l'engagement de ne pas troubler l'ordre public? J'aimerais que vous éclaircissiez ce point.

Je comprends que la norme à appliquer pour exiger le prélèvement d'un échantillon, dans le cas d'un engagement de ne pas troubler l'ordre public, est celle du motif raisonnable de croire, plutôt que celle du motif raisonnable de soupçonner qui est la norme pour les ordonnances de sursis. On pourrait penser qu'il est approprié d'appliquer une norme plus rigoureuse dans le cas de l'engagement de ne pas troubler l'ordre public parce qu'on ajoute une protection.

Je ne sais pas si vous voulez dire quelque chose sur la constitutionnalité ou sur un autre contexte. Qu'avez-vous conclu en définitive au sujet de l'engagement de ne pas troubler l'ordre public?

M. Rondinelli : J'ai conclu que qui trop embrasse mal étreint, tant pour ce qui est des principes que de la pratique. S'il y a un cas de figure sur les trois qui peut faire l'objet de contestations constitutionnelles, c'est probablement celui- ci. Je comprends la différence entre les normes, l'une étant le « motif raisonnable de soupçonner » et l'autre le « motif raisonnable de croire ». C'est peut-être une grande différence du point de vue constitutionnel, mais ça n'empêchera pas nécessairement une contestation. Il n'y a pas de déclaration de culpabilité, et l'engagement de ne pas troubler l'ordre public n'est assorti d'aucune responsabilité criminelle.

Cela dit, faute de pousser l'analyse plus à fond pour tester la solidité de l'argument, je ne suis pas en mesure de commenter. Nous avons vu ce qu'a donné l'ADN au moment de l'arrestation, l'un des principaux problèmes concernant la présomption d'innocence. Cela ne veut pas nécessairement dire que l'échantillon d'ADN prélevé lors de l'arrestation ne serait pas confirmé comme étant constitutionnel. Comme vous le savez, aux États-Unis, plusieurs États imposent le prélèvement d'échantillons d'ADN au moment de l'arrestation.

Quant au risque de contestation, je crois que l'engagement de ne pas troubler l'ordre public pourrait être un problème. En pratique, même s'il y a un « motif raisonnable de soupçonner », quel type de preuve faudra-t-il fournir pour ce critère, surtout dans le cas d'une audience pour engagement de ne pas troubler l'ordre public? Les ordonnances d'engagement de ne pas troubler l'ordre public font rarement l'objet d'appels, mais il y en a. Il est peut-être temps d'examiner cette question.

Tout cela pour dire que nous craignons que ce projet de loi n'aille un peu plus loin que nécessaire. Encore une fois, les ordonnances de probation et de sursis que nous voyons interviennent après le fait.

Le sénateur Wallace : Vous savez fort bien que le projet de loi traite de conditions qui requièrent qu'un échantillon soit fourni. Nous avons parlé de ces conditions. Cependant, le projet de loi concerne également l'utilisation qu'on peut faire de l'échantillon, ainsi que son entreposage et sa destruction. Voulez-vous dire quelque chose sur les dispositions concernant son utilisation, son entreposage et sa destruction?

M. Rondinelli : Je pense que nous avons beaucoup appris de nos expériences avec l'ADN et ce projet de loi est, en grande partie, basé sur ces acquis. Il me semble que, quel que soit le peaufinage apporté au texte législatif sur l'ADN, on a pu au moins l'appliquer dans ce domaine. Toutes ces questions dont vous avez parlé sont des aspects importants du projet de loi et y sont incluses.

En général, la décision de prélever un échantillon est impulsive : à quoi servira-t-il en dehors des questions de probation? Je ne veux pas qu'on s'en serve dans le cadre d'une autre enquête. Le droit ne prévoit pas cette utilisation. On dit expressément qu'on ne peut pas faire ça, et on ajoute une responsabilité criminelle. C'est une disposition qu'on a été puiser dans la loi sur l'ADN.

De ce point de vue, encore une fois, le projet de loi est bien. Ces facteurs pourraient jouer en faveur du maintien de l'engagement de ne pas troubler l'ordre public dans la loi. Ce qui nous inquiète surtout, c'est que l'engagement de ne pas troubler l'ordre public finisse par englober trop de choses.

Le sénateur Wallace : Dans son témoignage devant nous, le ministre Nicholson a parlé de la consultation qui a eu lieu entre son ministère et les provinces et territoires, et il a indiqué que les provinces et territoires appuient entièrement le projet de loi. Vous n'êtes pas sans savoir que le projet de loi établit des normes minimales qui s'appliqueront partout au Canada, tout en laissant aux provinces la possibilité de décider des questions de procédure concernant sa mise en œuvre. Comme vous le savez, cette distribution des rôles et responsabilités entre Ottawa et les provinces est fixée dans le projet de loi.

Avez-vous des commentaires à ce sujet? Êtes-vous satisfait de la façon dont cette distribution est structurée notamment pour ce qui est des responsabilités incombant à chaque administration?

M. Rondinelli : Cette structure existe depuis plus longtemps que — je ne sais pas depuis quand et dans quel contexte on l'a mise en place exactement, mais elle est là et elle fonctionne dans différentes situations.

Ce qui est intéressant dans ce cas, cependant, c'est qu'on a affaire à des chiffres importants. J'ai essayé de trouver des statistiques au sujet de l'engagement de ne pas troubler l'ordre public, mais je n'ai pas eu la main heureuse. Pour ce qui est de la probation, j'ai appris, dans la dernière étude de 2008, que plus de 110 000 personnes étaient sous probation au Canada. Ce qui est intéressant, c'est que l'Ontario semble compter 50 000 de ces probationnaires. En revanche, avec moins de 10 000 personnes concernées, c'est au Québec qu'il y a le moins de probationnaires, du moins en comparaison avec l'Ontario.

Comment les provinces composent-elles avec ces ordonnances de probation, surtout l'Ontario qui a le plus grand nombre de probationnaires? Je ne vois même pas comment elles peuvent faire face au nombre d'ordonnances d'engagement de ne pas troubler l'ordre public. Comme je le disais, ces ordonnances sont un mécanisme de résolution très encombrant pour nos tribunaux provinciaux, du moins à Toronto. J'imagine quel peut être leur nombre.

Cela dit, le nombre de probations, même s'il y en a 110 000, ne veut pas dire que tous les probationnaires ont reçu comme condition de se tenir loin de l'alcool ou de la drogue, mais je suis sûr que c'est le cas pour un certain nombre d'entre eux. Si je me rappelle bien, l'un des problèmes soulevés par M. Shoker concernait le fait que le mécanisme était laissé aux soins de la province, celle-ci manquant de fonds pour administrer le programme. Bien que l'appel de M. Shoker fût sans portée pratique dans son cas, la Cour l'a accueilli parce qu'il avait à l'évidence une portée plus large.

Les provinces devront se charger de l'application des conditions. En Ontario, on constate qu'on reporte sans arrêt l'entrée en vigueur du programme d'utilisation d'antidémarreurs. On constate donc des crises de croissance et je suppose que ce sera la même chose avec ce programme, même si ce n'est pas dans la même proportion, parce qu'on peut imaginer que le nombre de probationnaires ou de personnes visées par cette condition sera nettement inférieur au nombre de celles visées par le programme d'utilisation d'antidémarreurs. Ma réponse a été longue, tout ça pour vous dire que je ne vois pas de problème à ce que les provinces administrent la loi.

Le sénateur Chaput : Vous avez parlé de l'engagement de ne pas troubler l'ordre public. Je crois vous avoir entendu vous interroger sur l'à-propos de mentionner l'engagement de ne pas troubler l'ordre public dans ce projet de loi.

À la façon dont je lis le projet de loi, je crois comprendre qu'on pourra exiger la prise d'un échantillon dès qu'on aura des motifs raisonnables de croire et de soupçonner que la personne a enfreint ses conditions. Dites-moi, quelle différence voyez-vous entre motifs raisonnables de croire et motifs raisonnables de soupçonner? Pouvez-vous nous expliquer cette différence?

Par ailleurs, d'après vous, sur quel fondement s'appuient les deux seuils différents énoncés dans le projet de loi C-30? Que pensez-vous de ce fondement?

M. Rondinelli : Je vais commencer par la dernière question. Tout revient au fait qu'on reconnaît que l'engagement de ne pas troubler l'ordre public n'est pas un constat de culpabilité et qu'il n'y a pas de responsabilité criminelle. Les rédacteurs du projet de loi ont pris acte de la réalité juridique à cet égard. Afin de demeurer dans les limites de la constitutionnalité, la norme applicable à l'engagement de ne pas troubler l'ordre public doit être inférieure dans le cas d'une personne qui n'a pas encore été reconnue coupable.

Pour ce qui est de la différence entre « soupçonner » et « croire », je vais faire un parallèle avec la conduite routière. Le policier qui intercepte un automobiliste peut lui imposer deux types d'alcootests. L'un qui peut être administré sur place et qui est un mécanisme avertisseur permettant de voir quelle mesure il convient d'adopter par la suite. L'autre intervient après que le conducteur a été arrêté pour conduite avec facultés affaiblies et qu'on réclame alors l'administration d'un alcootest. Celui-ci se déroule au poste de police, sous la conduite d'un laborantin.

Pour administrer un contrôle d'alcoolémie sur place, le policier doit simplement « soupçonner » que l'automobiliste a de l'alcool dans l'organisme. La norme est facile à respecter parce que le soupçon peut simplement donner lieu à une question du genre : « Avez-vous bu ce soir? » Le conducteur peut ne pas être affaibli par l'effet de l'alcool et l'agent peut ne pas avoir de motifs raisonnables ou probables de croire qu'il a des facultés affaiblies par la boisson. Cependant, pour administrer l'ivressomètre sur le bord de la route, le policier doit simplement soupçonner que la personne a de l'alcool dans l'organisme.

Si le conducteur répond par l'affirmative, s'il dit qu'il a bu, le policier peut lui demander de souffler dans l'ivressomètre s'il soupçonne que la personne a de l'alcool dans l'organisme. Si celle-ci refuse, le policier dispose d'un nouveau motif pour pousser son investigation et détecter d'autres signes, comme le regard vitreux, le trouble de l'élocution et ainsi de suite. Tous ces éléments contribuent à étayer les motifs raisonnables et probables de réclamer un alcootest. Les normes sont très différentes et le soupçon correspond à un seuil inférieur.

Un agent de probation, un agent de la paix ou qui que ce soit habilité à intervenir dans le cas d'un engagement de ne pas troubler l'ordre public qui aurait des raisons de croire ou de soupçonner — selon le niveau nécessaire — que le conducteur a bu, et si celui-ci répond qu'il a effectivement bu, disposerait d'une bonne raison pour le soumettre à un test.

Le sénateur Chaput : Au début de votre intervention, je crois vous avoir entendu parler de réglementation. Nous savons, vous comme nous, que le règlement sera rédigé après l'adoption du projet de loi et qu'il n'a pas encore été élaboré.

Qu'aimeriez-vous retrouver dans ce règlement? Quels sujets importent-ils de traiter dans ce règlement relativement à ce projet de loi?

M. Rondinelli : J'estime qu'il faut suivre le modèle de la législation sur l'ADN. Il ne faut pas oublier que, lors de son examen par la Cour suprême du Canada, cette législation a fait l'objet de remarques dithyrambiques de la part des juges au sujet de sa constitutionnalité. Ici, nous sommes dans les grands nombres, peut-être pas autant que ça parce qu'il y aura des regroupements à un moment donné. Mais on parle tout de même d'un grand nombre de prélèvements d'échantillons.

Comme votre comité le sait, il y a eu des difficultés au début. On a conclu, à la suite de l'examen quinquennal de l'année dernière, qu'il y avait matière à retravailler certains aspects et à les peaufiner. L'amélioration de l'efficacité a débuté par des considérations aussi simples que le lieu de prélèvement. Très souvent, selon le ressort concerné, les échantillons sont prélevés au tribunal où il y a un personnel qualifié et le prélèvement se fait avant que le justiciable ne quitte le tribunal. Ailleurs, on a préféré désigner un lieu spécialisé. Peu importe la formule retenue, le règlement semble fonctionner.

Je ne songe à rien de particulier que je pourrais souhaiter voir modifié. De façon générale, j'estime que cette législation devrait suivre le modèle établi par celle sur l'ADN.

La présidente : Avant de céder de nouveau la parole au sénateur Wallace, sachez que vous n'êtes pas le seul à avoir mentionné le fait qu'il y aurait lieu de s'intéresser de près à l'engagement de ne pas troubler l'ordre public. Il en a été question dans nos échanges avec des témoins qui vous ont précédé.

Celui qui est passé tout juste avant vous était le professeur Anand. Vous savez de qui je parle.

M. Rondinelli : Oui.

La présidente : Je ne veux pas lui faire dire ce qu'il n'a pas dit, mais je crois pouvoir vous résumer assez fidèlement une de ses remarques. Si je me trompe, je fais confiance à mes collègues pour me corriger.

Il a dit aimer le projet de loi, estimant qu'il avait été bien rédigé, si ce n'est qu'il s'attend à ce que certaines de ses dispositions soient contestées en vertu de la Charte, comme l'engagement de ne pas troubler l'ordre public. Il a surtout attiré notre attention sur la disposition qui permet à un agent de la paix d'exiger des prélèvements réguliers, aussi fréquemment qu'une fois par semaine.

Il n'est plus question d'entretenir des motifs raisonnables de croire ou de soupçonner que, en cas de prélèvement immédiat d'un échantillon sur une personne, les résultats démontreraient que celle-ci a enfreint à la condition de l'ordonnance. Le prélèvement d'échantillons se fait à intervalles réguliers. Cela vous préoccupe-t-il?

M. Rondinelli : Je suis d'accord avec ce point de vue. C'est un des facteurs qui interviendraient dans l'analyse de la valeur constitutionnelle de la mesure législative parce que, comme vous l'avez dit, on est en présence de deux choses. Premièrement, on peut demander à une personne de se soumettre à un prélèvement d'échantillons si on a une raison de croire ou de soupçonner qu'elle a enfreint la condition de son ordonnance. Deuxièmement, l'agent de probation ou quelque autre agent responsable peut fixer comme condition la régularité à laquelle les échantillons devront être prélevés. Dans le projet de loi, il est question d'un intervalle qui doit être de sept jours au moins, si bien qu'un prélèvement pourrait être exigé chaque semaine.

On tiendra compte de cette disposition à l'examen de la loi pour déterminer si l'on est allé trop loin ou si l'on a été trop sévère par rapport à l'objet de la législation. Il est possible qu'il soit nécessaire d'augmenter la période entre deux prélèvements pour passer d'une fréquence hebdomadaire à une fréquence mensuelle. Pour ce qui est de la consommation excessive de drogues ou d'alcool, je ne sais pas si le fait d'effectuer des prélèvements de façon hebdomadaire ou mensuelle changera énormément les choses d'un point de vue médical ou si des prélèvements hebdomadaires sont vraiment valables dans le cas d'un alcoolique ou d'un toxicomane.

Les Américains ont une grande expérience dans ce domaine depuis les années Reagan, les années 1980, quand la vogue était au dépistage des drogues. Je n'ai pas eu la possibilité d'examiner les causes américaines en question. Les Américains se plaisent à porter les libertés civiles en justice et je suppose qu'il y a eu des contestations.

Je suis d'accord avec le professeur au sujet de ce projet de loi. C'est pour cela que j'ai soulevé la question de l'engagement de ne pas troubler l'ordre public. S'il y a, dans cette mesure, quoi que ce soit qui puisse prêter le flanc aux attaques, c'est cette disposition et en particulier ce qui concerne les échantillons exigés à intervalles réguliers ou les restrictions permanentes imposées.

La présidente : Est-ce que les prélèvements d'échantillons exigés à intervalles réguliers ne devraient pas être imposés aux toxicomanes ou aux alcooliques?

M. Rondinelli : D'un point de vue pratique, et c'est pour ça que j'ai parlé des preuves exigées lors de ce genre d'audiences. En général, les conditions imposées dans une ordonnance d'engagement de ne pas troubler l'ordre public peuvent être contestées. Ce n'est pas vraiment le cas en ce moment, parce que les conditions consistent généralement à respecter la paix et à se tenir loin d'un tel ou d'une telle. Cependant, dans le cas des prélèvements d'échantillons, il faudra étoffer les motifs d'imposition des conditions. Je n'appartiens pas à la profession médicale et je ne sais pas si l'engagement de ne pas troubler l'ordre public peut servir à quoi que ce soit dans le cas d'un toxicomane. Est-ce que l'imposition d'un engagement de ne pas troubler l'ordre public dans de tels cas ne risque pas d'ouvrir la porte à un manquement ultérieur à cette condition? Dans de telles situations, les tribunaux hésitent à assortir une probation de conditions qui, de toute évidence, risqueraient de ne pas être respectées par le justiciable.

La réadaptation est l'un des principaux objets et objectifs de l'ordonnance de probation; elle ne consiste pas à punir, mais à favoriser la réadaptation et éventuellement à prévenir la reproduction de la conduite répréhensible. J'ai plaidé à maintes occasions en cour d'appel au sujet d'ordonnances de probation et j'ai vu les juges inquiets. Ils disent qu'ils vont imposer telle ou telle condition, mais il apparaît évident d'après le passé du justiciable que celui-ci enfreindra la condition. Alors, pourquoi lui imposer une condition si c'est pour lui attirer plus d'ennuis?

Ce problème déborde du cadre de notre discussion, mais il reste à voir ce que ça va donner devant les tribunaux. La décision sera-t-elle prise sur la foi du seul casier judiciaire? Sera-t-elle fondée sur les allégations du procureur de la Couronne révélant qu'il a déjà eu à traiter à trois reprises avec la même personne et qu'à chaque fois il avait été question d'une bataille dans un bar où l'alcool avait joué un rôle prépondérant? Est-ce simplement parce que la personne a fréquenté un bar et a bu de l'alcool qu'il faut lui imposer comme condition de se soumettre à un prélèvement, voire à des prélèvements réguliers? Voilà les aspects qui seront contestés. Il ne sera pas forcément question d'une contestation constitutionnelle. Il pourra simplement s'agir du caractère raisonnable de la condition. Par le passé, de telles conditions ont été imposées dans de nombreuses ordonnances. Il se trouve simplement que l'avocat de M. Shoker a décidé d'aller jusqu'au bout.

Dans leur désir d'aider, les juges peuvent ajouter des conditions dans les ordonnances de probation qui, au bout du compte, seront déclarées illégales. L'une des choses auxquelles on peut penser à ce sujet — parce que j'en vois passer beaucoup dans les appels relatifs à des ordonnances de probation —, ce sont les conditions de bannissement. Par exemple, un juge pourra estimer que l'incident s'étant produit dans la région de Durham, le justiciable devra se tenir loin de cette région.

Pour celui ou celle qui a de la famille dans la région de Durham, il risque de ne pas être facile de respecter la condition. Quel principe entre en jeu ici? Même si le justiciable a eu maille à partir avec un résidant de Durham, cela ne revient pas à dire qu'il y a lieu de le bannir de cette ville. En général, ce genre de cause se plaide sur le caractère raisonnable de la sanction et on est en mesure de réclamer le retrait de la condition. Dans la même veine, il est sans doute envisageable de contester le caractère raisonnable de la condition émise sans pour autant aller jusqu'à contester sa constitutionnalité.

On ne sait pas vraiment qui reçoit quoi et quand.

La présidente : Je crois comprendre de ce que vous dites que ce projet de loi, comme bien d'autres concernant le Code criminel, pourrait faire l'objet d'une contestation fondée sur la Charte. Cependant, cette mesure ne fait pas l'objet de mises en garde particulières. Vous estimez que c'est un bon texte. Suis-je en train de vous faire dire certaines choses?

M. Rondinelli : C'est raisonnable. Je vais tenter de mieux vous expliquer ma position. Le fait que l'engagement de ne pas troubler l'ordre public soit visé par ce projet de loi continue de nous préoccuper. Je ne vois pas le rapport qu'il y a entre l'objet de l'engagement de ne pas troubler l'ordre public et le fait d'ajouter toutes ces conditions.

Nous préférerions que cela n'apparaisse pas dans le projet de loi parce que c'est la disposition qui prête le plus le flanc à une contestation fondée sur la Charte. Encore une fois, je ne suis pas en train de vous dire que cet argument pèse lourd au point qu'il faille envisager de retirer cette disposition, mais nous ne voyons pas en quoi l'engagement de ne pas troubler l'ordre public se justifie du point de vue strict des principes et de la pratique.

Dans son mémoire, le professeur indique qu'il est mentionné, dans le résumé législatif, que l'imposition d'une condition à la mise en liberté sous caution d'un accusé pourrait faire l'objet d'une contestation fondée sur la Charte.

Le contexte n'est donc pas très étranger à celui de la liberté sous caution. Il n'y a pas de déclaration de culpabilité. Nous en sommes encore au stade de la présomption d'innocence. Toutes les réserves exprimées par le professeur au sujet de la libération sous caution s'appliquent à l'engagement de ne pas troubler l'ordre public.

Le sénateur Wallace : Maître Rondinelli, le ministre Nicholson et d'autres témoins nous ont dit qu'un grand nombre de crimes commis de nos jours sont dus à l'abus d'alcool ou d'autres drogues. L'un des principaux objets de ce projet de loi est de contrôler ou de tenter de contrôler les comportements criminels à répétition et de prévenir la consommation excessive de drogues et d'alcool.

Au Sénat, le sénateur Angus est l'un de ceux qui pilotent le projet de loi. Dans son discours devant le Sénat le 15 février, il a dit que « près de 80 p. 100 des délinquants condamnés à des peines d'emprisonnement de deux ans ou plus citent la drogue ou l'alcool comme cause de leur infraction ». Un peu plus loin, il a affirmé que « quelque 38 p. 100 des délinquants ayant des problèmes de toxicomanie qui ont été envoyés dans un établissement fédéral avaient commis leur dernière infraction pour financer leur habitude ».

Que pensez-vous de ces remarques, vous qui êtes un avocat de la défense efficace et qui avez eu affaire à de nombreux types de délinquants? On déborde ici des cadres de ce projet de loi, mais le discours de mon collègue traitait d'un sujet qui nous intéresse tous, soit le renforcement des autres dispositions du Code criminel en vue de s'attaquer à la racine du mal.

M. Rondinelli : D'un point de vue purement anecdotique, je peux vous dire que, sous l'emprise de l'alcool ou de la drogue, les gens manquent de jugement. Je ne parlerai pas des toxicomanes et des alcooliques invétérés. Dans leur cas, on voit mal en quoi ce projet de loi pourrait régler le problème. S'il s'agit d'une assuétude, la cause profonde va alors bien au-delà du problème constaté un certain soir de débordements.

On peut, par exemple, décider de retirer le permis de conduire d'un alcoolique, mais j'ai eu des cas où un alcoolique avait été accusé pour avoir présenté un taux d'alcoolémie supérieur à 0,80, mais pas pour conduite avec facultés affaiblies parce qu'il avait appris à fonctionner et à conduire un véhicule bien mieux que des personnes sobres, et cela bien qu'il ait battu des scores à l'ivressomètre.

On peut se demander comment de telles personnes font pour conduire, mais force est de constater que leur assuétude n'entrave pas beaucoup leurs capacités au volant. Même quand ils n'ont plus de permis, ils se débrouillent toujours pour mettre la main sur un volant.

Certes, les projets de loi et les lois visent à atténuer et à gérer le risque, mais la législation ne s'attaque pas aux racines du mal à moins qu'on envisage de prohiber l'alcool. Bien sûr, la prohibition atténuerait l'impact, mais cette formule a déjà été tentée il y a longtemps et elle n'a pas été probante.

Je peux vous dire que l'alcool et les drogues sont effectivement des facteurs qui contribuent à la criminalité, mais il y a de plus en plus de fraudes qui n'ont rien à voir avec l'alcool ou la drogue. Le jeu aussi peut être un problème. On dirait qu'on rencontre de plus en plus ce problème chez mes clients en ce moment. Quitte à établir une corrélation, regardons du côté des casinos, car depuis qu'il y en a dans la province, nous voyons passer de plus en plus de clients qui ont des problèmes à cause du jeu.

Ainsi, même si l'on n'est ni psychiatre ni psychologue, on devine parfois, à l'analyse du casier judiciaire d'un client, quelle est la cause du problème chez lui. Derrière les cambriolages à répétition, on trouve en général un problème de toxicomanie, parce que ces individus veulent rapidement mettre la main sur de l'argent afin d'assouvir un besoin autre que l'enrichissement. Ils commettent de tels crimes pour d'autres raisons, mais ce projet de loi ne réglera pas cet énorme problème socioéconomique.

Ce projet de loi repose sur le principe suivant : au vu des circonstances de l'espèce, le juge peut déterminer que le justiciable pourrait bénéficier de l'application d'une condition à l'ordonnance de probation et ne pas risquer d'enfreindre la condition imposée. Pour contribuer au respect de la condition, le juge précise alors qu'un agent de la paix pourra, par exemple, réclamer au besoin le prélèvement d'un échantillon.

Le sénateur Wallace : Je comprends votre réponse, mais il se peut que ma question n'ait pas été aussi claire que je l'aurais souhaité. Elle ne concernait pas tant l'application du projet de loi au problème de l'alcoolisme et de la toxicomanie que votre expérience au contact de délinquants ainsi que la prévalence des problèmes liés à la consommation de drogues et d'alcool. Vous n'avez pas les études en main, mais il semble que la consommation excessive de drogues et d'alcool soit la cause profonde de beaucoup de comportements criminels.

M. Rondinelli : Mon bureau est situé dans le quartier des bars et des spectacles du centre-ville de Toronto et, tous les week-ends, on dit que 30 000 fêtards envahissent les rues Richmond, Adelaïde et Queen. Il y a bien des choses qui arrivent alors. En début de semaine, nos clients nous appellent. Le plus souvent, c'est pour des débordements causés par un excès de boisson, mais il s'agit d'incidents isolés; cela n'a rien de systématique comme les beuveries estudiantines ou que sais-je encore. Dans les cas d'engagement de ne pas troubler l'ordre public et de déjudiciarisation, par exemple, l'État fait très bien le distinguo entre les soirs de week-end trop arrosés qui ont dérapé, et qui ne méritent pas la criminalisation du fautif, et les problèmes plus profonds.

Le Code criminel comporte de nombreux automatismes régulateurs et la déjudiciarisation et l'engagement de ne pas troubler l'ordre public y figurent en bonne place.

Le Tribunal de la santé mentale, situé dans l'ancien hôtel de ville, semble avoir bien réussi au fil des ans en appliquant une approche plus globale qui consiste à ne pas uniquement considérer le crime et à sanctionner les coupables.

Le Canada continue d'évoluer sur le plan de la détermination des peines. Le Parlement a fait un excellent travail de codification des peines. Regardez le Code criminel d'aujourd'hui et comparez-le à ce qu'il était quand j'étais à l'école de droit. À l'époque, les juges agissaient à leur gré, sans gouverne. Désormais, la détermination de la peine est régie par un code à l'intérieur du code. Ce projet de loi est un nouveau texte qui va aider les juges. Les juges apprécient l'aide qu'on leur apporte.

Le sénateur Wallace : Nous parlerons un autre jour des tribunaux de la santé mentale. Nous devrions sans doute nous pencher sur le recours accru à ces tribunaux.

M. Rondinelli : Je suis professeur auxiliaire à Osgoode Hall, dans le programme intensif de droit criminel. Les étudiants inscrits dans ce programme vont faire des stages aux quatre coins de la ville. Après avoir vu comment fonctionnent les tribunaux normaux, nous leur présentons le tribunal de la santé mentale, dans l'ancien hôtel de ville.

Ils sont alors surpris de constater l'absence de rapports de contestation. Les juges dialoguent avec les justiciables : « Vous étiez ici la semaine dernière, comment allez-vous aujourd'hui? » Tout le monde est heureux — je ne devrais pas utiliser ce terme, mais, s'il y a malheureusement beaucoup de problèmes dans ce tribunal, la façon dont on s'y attaque s'est nettement améliorée dans le temps. Moyennant de petits ajustements, ça ne pourra qu'aller mieux.

Il n'est pas facile d'être juge au Tribunal de santé mentale. C'est un travail difficile. Personnellement, je ne travaille pas beaucoup dans le domaine de la santé mentale, mais je loue toujours mes confrères qui évoluent dans ce domaine, parce qu'il est difficile de traiter avec des clients qui sont aux prises avec des problèmes de consommation abusive d'alcool et d'autres drogues.

Ce projet de loi aidera-t-il ces personnes? Sans doute pas. Dans leur cas, il faut s'attendre à ce que les juges n'imposent pas ce genre de condition.

La présidente : Merci beaucoup, maître Rondinelli. Comme je l'ai dit au début, il était important de recueillir votre point de vue à propos de ce projet de loi.

Chers collègues, nous poursuivons notre étude du projet de loi C-30, Loi modifiant le Code criminel.

Nous avons la chance d'accueillir un représentant de l'Association canadienne des chefs de police en la personne de Vincent Westwick, président du Comité de réforme aux lois qui, à l'instar de nos témoins d'aujourd'hui, s'est mis à notre disposition à très peu de préavis. Nous lui en sommes d'autant plus reconnaissants.

Malgré ce très court préavis, vous nous avez préparé une déclaration.

Vincent Westwick, président, Comité de la réforme du droit, Association canadienne des chefs de police : Madame la présidente, honorables sénateurs, les problèmes associés au manque de confiance de la population envers le système de justice pénale peuvent se régler par des mesures d'ambition variable. Le projet de loi C-30 s'attaque à un problème modeste, mais important pour la police et pour les victimes.

Je souligne au passage que le projet de loi C-59, qui était inscrit à votre programme cette semaine, traite d'un enjeu vaste et important. Nous espérons avoir l'occasion de nous exprimer à son sujet quand le moment viendra.

Le projet de loi C-30 traite d'un aspect dont la plupart des Canadiens auraient pu penser qu'il faisait déjà partie du droit pénal, mais qui ne s'y trouve pas, comme l'a confirmé la Cour suprême dans son arrêt R. c. Shoker. Ce projet de loi, qui va répondre aux préoccupations exprimées par la haute cour, est nécessaire dans notre régime de droit pénal.

Voyez ce qui se passe : quasi quotidiennement, les tribunaux de première instance du pays émettent des ordonnances de probation, d'engagement de ne pas troubler l'ordre public et, dans une moindre mesure, de sursis. Si vous allez suivre les audiences des tribunaux de première instance d'Ottawa, rue Elgin, qui siègent toute la journée, vous n'aurez pas à attendre longtemps pour entendre parler d'une ordonnance de probation assortie d'une interdiction de consommer de l'alcool ou de la drogue. Toutes ces dispositions juridiques et les solutions mises en place par les juges de première instance dans de telles causes font rarement les grands titres. Même si ce ne sont pas des causes qui font la une, les crimes qui donnent lieu à de telles peines représentent une importante partie du travail quotidien des policiers de terrain et produisent tout un cortège de victimes.

Même s'il est important que les règles juridiques de fond soient correctes et corrigées, je prétends qu'il est tout aussi important de renforcer la confiance de la population envers le système de justice pénale à cet égard. C'est ce que fait le projet de loi C-30 et c'est pour cela que nous sommes venus l'appuyer ce soir.

Permettez-moi de vous donner un exemple. Si un juge impose une interdiction de consommer de l'alcool, ce qui se fait dans les tribunaux canadiens des milliers de fois par an, et que cette interdiction n'est pas respectée parce qu'elle n'est pas exécutoire, on sape la confiance des policiers qui travaillent très fort pour traduire ce genre de cause devant les tribunaux et on amène les victimes à se demander si l'on se préoccupe vraiment de ce qu'elles ont perdu. On porte aussi un coup à l'assurance que la population a d'être collectivement protégée par la justice pénale.

Il y a, par exemple, la situation classique du policier qui tombe sur un probationnaire frappé d'une interdiction de consommer des drogues ou de l'alcool. Or, le policier a l'impression que cette personne a consommé, mais il n'a aucune façon de confirmer le manquement à la condition, aucune façon de prélever la preuve nécessaire pour porter l'affaire devant les tribunaux, et c'est là que les choses commencent à déraper en ce qui concerne le respect envers le système et, j'ajouterai, envers la police. C'est également à ce stade qu'on constate une aggravation du degré de frustration des victimes.

Il est banal de dire — et je vous ai entendu poser des questions au dernier témoin à ce sujet — que l'alcool et les drogues jouent souvent un rôle dans les activités criminelles des délinquants. C'est pour cette raison que les juges imposent si souvent de tels interdits. Il est donc essentiel que cette disposition soit fermement ancrée dans le droit et qu'elle prévoie un processus d'application qui soit légal.

Nous vous demandons d'adopter ce texte, de remettre en place le processus nécessaire et de prendre des mesures pour rehausser la confiance de la population envers le système de justice pénale.

Je vous remercie de m'avoir donné cette occasion très importante de vous parler au sujet du projet de loi. C'est toujours un plaisir de venir au Sénat et c'est agréable par un soir de tempête de neige.

Le sénateur Wallace : Encore une fois merci, maître Westwick. C'est toujours un plaisir de vous voir ici.

Ma première question ou remarque est très évidente; globalement, ce projet de loi a pour objet de combler ce qui est considéré comme étant un défaut du code, comme l'a fait ressortir l'arrêt Shoker. Mais ce n'est pas tout, car le ministre et le gouvernement étaient aussi animés du désir de mieux protéger le public. On considère que ce projet de loi est un outil permettant d'assurer une telle protection, de réduire le risque que des récidivistes ne causent d'autres problèmes au public.

Qu'en pensez-vous? Jusqu'à quel point, selon vous, ce projet de loi sera un instrument valable?

M. Westwick : J'estime qu'il est très valable. En introduction, j'ai essayé de faire comprendre que ce projet de loi me semble posséder deux grandes qualités. Premièrement, comme il s'inscrit dans le cadre du droit pénal, il vient combler une lacune relevée par la Cour suprême, lacune que la plupart des gens ignoraient. On pourrait dire qu'il rétablit le droit afin qu'il corresponde à ce que beaucoup croyaient qu'il était déjà, dont la plupart des juges.

Il introduit également des dispositions qui précisent la façon dont les policiers peuvent légalement déterminer s'ils sont bien en présence d'un manquement à la condition imposée et il fixe la procédure à suivre pour recueillir la preuve dans de telles circonstances. J'y vois, pour le Parlement, une loi qu'il est sage d'adopter.

Deuxièmement — et plus j'ajoute d'années à mon curriculum vitae, plus j'apprécie cette qualité — ce projet de loi est une mesure qui va restaurer le niveau de confiance de la société, de la police et des victimes dans le système de justice pénale. Je ne veux pas dramatiser en disant qu'il y a une crise de confiance dans le système, mais il y a certainement une faiblesse. Dans certains coins du Canada, la population estime que l'appareil de justice criminelle ne répond pas à ses besoins. Je m'en remets aux sociologues pour savoir si tel est le cas, mais cette perception existe. Dans la mesure où il répond à cette perception et vise à la renverser, le projet de loi constitue un petit pas, par ailleurs appréciable, dans la bonne direction.

Dans le milieu dans lequel je travaille, celui des policiers, les gens trouvent formidablement frustrant d'arrêter une personne, de la confier à l'appareil judiciaire et de la placer sous probation pour s'apercevoir ensuite que la probation n'est pas respectée. Les policiers se sentent menottés, ce qui est ironique, dans leurs tentatives de faire respecter la loi, d'intervenir et de porter de nouveau l'affaire devant un juge. Les cours prennent très au sérieux les cas de manquements aux conditions énoncées dans une ordonnance. Ils y voient un affront au statut de l'appareil judiciaire.

Je ne veux pas amplifier le problème. Cependant, ça nous ramène à la question de la confiance du public, laquelle est indicative du degré de sécurité ressentie par les Canadiens, chez eux, dans leurs résidences, au travail et ainsi de suite.

Le sénateur Wallace : Une partie des témoins a souligné le fait que ce projet de loi va au-delà des suites à donner à l'arrêt Shoker, surtout en ce qui concerne l'engagement de ne pas troubler l'ordre public pour imposer aux personnes visées par de telles ordonnances qu'elles fournissent des échantillons de substances corporelles. Personne ne nous a dit que ce n'était pas la chose à faire, pourtant certains ont soulevé la question de la constitutionnalité de cette disposition.

D'un point de vue pratique ou juridique, faites-vous une véritable distinction entre les ordonnances de probation, les ordonnances de sursis et l'engagement de ne pas troubler l'ordre public en ce qui concerne la capacité d'imposer le prélèvement d'échantillons?

M. Westwick : Non. Il est clair que l'engagement de ne pas troubler l'ordre public est un merveilleux outil du Code criminel. Je ne veux pas parler au nom des juges, mais je pense qu'ils pourraient vous dire qu'ils émettent régulièrement et de façon importante des ordonnances d'engagement de ne pas troubler l'ordre public.

Il y a des années, les juges n'exigeaient d'engagement de ne pas troubler l'ordre public qu'en deuxième analyse, voire à titre de substitution à autre chose. Il en est maintenant de plus en plus question dans le Code criminel et les juges y ont recours dans toutes sortes de situations. Cet intérêt accru est en partie attribuable aux articles 810.2 et 810.3 traitant de terrorisme, de délinquance sexuelle et d'autres sujets. Soudainement, cet anachronisme historique discret du code a suscité un nouvel intérêt et on a commencé à voir toute la valeur que représentent les ordonnances d'engagement de ne pas troubler l'ordre public.

L'engagement de ne pas troubler l'ordre public est souvent invoqué à titre substitutif. Le témoin qui m'a précédé vous a parlé de la déjudiciarisation et des moyens de substitution à la procédure pénale. C'est souvent dans ce genre de conditions qu'on impose l'engagement de ne pas troubler l'ordre public. On y a habituellement recours quand quelqu'un se sent menacé, mais ces ordonnances sont aussi très souvent émises comme variantes de peines au pénal, dans le cadre d'un plaidoyer de culpabilité concernant un crime grave.

Les juges n'imposent pas d'interdiction au petit bonheur la chance. Si, au vu de la preuve, le juge est convaincu qu'une interdiction s'impose, il lui faut pouvoir compter sur un mécanisme légal lui permettant de l'inscrire dans son ordonnance d'engagement de ne pas troubler l'ordre public et il doit exister un mécanisme légal pour faire respecter cette condition.

J'ai une opinion bien arrêtée à cet égard. J'estime que c'est un outil valable qui permet d'appliquer certains recours en droit sans avoir à utiliser ceux qui occasionnent l'ouverture d'un casier judiciaire en situation de criminalisation.

J'estime qu'il serait fort dommage que ce projet de loi soit contesté. L'avocat que je suis pense qu'il n'y a pas de fondement à une contestation constitutionnelle, mais il m'est déjà arrivé de me tromper. Je pense qu'il serait fort regrettable que ce projet de loi soit contesté et que la contestation l'emporte. J'espère que le tribunal appelé à trancher une telle contestation soupèsera sa décision au vu de l'importance de la politique sociale et de la politique publique. C'est évidemment ce que la Cour suprême du Canada a eu tendance à démontrer dans le passé.

Je ne recule pas sur la question de l'engagement de ne pas troubler l'ordre public. Cet engagement est un aspect important de l'application du droit pénal au quotidien, puisque cet outil est souvent employé par les tribunaux de première ligne.

Le sénateur Wallace : Enfin, et je suis certain que vous ne l'ignorez pas, le projet de loi prévoit l'instauration de normes fédérales minimales qui seront appliquées à l'échelle du pays en ce qui a trait à l'obligation de produire des échantillons. Toutefois, le projet de loi prévoit également un travail en étroite collaboration avec les provinces au sujet de l'administration de la procédure en ce qui concerne le traitement des échantillons et les détails de la procédure.

Comment envisagez-vous cette relation et l'efficacité avec laquelle ce projet de loi traite du lien entre les responsabilités fédérales et les responsabilités provinciales à cet égard?

M. Westwick : Je crois que le fédéral a le pouvoir de fixer les normes et que les provinces ont le pouvoir de les préciser. Si j'ai bien compris ce dont il retourne, je me dois d'applaudir le Parlement pour sa sagesse, parce qu'il importe que nous disposions de normes. D'un autre côté, le Parlement veut veiller à ce qu'on tienne compte des différences ou des pratiques régionales dans les procédures ou les processus.

C'est ainsi que j'interprète le projet de loi. Je crois qu'il faut féliciter le Parlement d'avoir trouvé un équilibre entre l'application des normes nationales, à l'échelle du Canada, et l'application de processus régionaux et provinciaux. Il était très sage de réaliser cet équilibre.

Le sénateur Wallace : C'était très utile.

La présidente : Corrigez-moi si je me trompe — et je me rends compte que M. Hoover est encore parmi nous —, mais je crois avoir entendu le ministre déclarer qu'il ne s'agirait pas tout à fait du processus décrit dans quelques cas au moins. Il serait davantage question que le gouvernement détienne en réserve un pouvoir qu'il pourrait invoquer en l'absence de règlements provinciaux ou si les règlements étaient monumentalement inappropriés. Dans ce cas, le gouvernement aurait alors le droit d'imposer sa propre réglementation.

De toute façon, il y a un certain nombre de choses à propos desquelles seul le gouvernement fédéral a le pouvoir d'agir, mais si M. Hoover veut s'avancer et me corriger, il peut le faire. Si je déduis de son silence qu'il est d'accord...

M. Hoover : C'est à peu près ça.

La présidente : Je tenais à rappeler ce qui s'était dit avant que vous ne nous rejoigniez, pendant que vous participiez à d'autres réunions.

M. Westwick : Cette approche ne me dérange pas non plus. Je crois qu'elle permet toujours un équilibre entre les normes nationales et les pratiques régionales. Cela permettra au gouvernement fédéral d'intervenir s'il n'est pas convaincu que les normes sont appliquées. J'estime que cette démarche est à la fois bonne et sage.

Le sénateur Chaput : Je suis heureuse de vous entendre dire que ce projet de loi est valable et qu'il est nécessaire pour vous aider dans votre travail, outre qu'il va combler une lacune.

Rien n'est parfait et je voulais recueillir votre avis. Si l'on devait renforcer ce projet de loi, qu'y ajouteriez-vous?

M. Westwick : On ne m'a jamais accusé d'avoir hésité à faire des recommandations au Parlement sur ce genre de choses, mais je me présente aujourd'hui devant vous sans avoir grand-chose à vous dire à ce sujet.

À l'étape de ma préparation pour ce témoignage, j'ai envoyé un courriel à tous les membres de notre comité. Ce comité représente tous les services policiers au Canada : municipaux, provinciaux et fédéral. Le comité représente une vingtaine de corps policiers différents. Tous les membres m'ont répondu rapidement en me disant qu'ils sont d'accord avec le fait que le projet de loi est bon et qu'il est la bonne chose à faire. Je leur ai fait remarquer que, pour la première fois peut-être, personne n'avait émis de « oui, mais... ». Il n'y a pas eu de « mais ».

Une seule petite réserve a été émise au sujet de l'incapacité des policiers de divulguer les résultats d'une analyse en dehors d'une enquête ou d'une poursuite. On s'est dit qu'il serait peut-être intéressant de pouvoir communiquer les résultats à l'agent de probation pour que son responsable fasse jouer des leviers administratifs afin de réagir à l'inobservation de la condition.

On constate occasionnellement ce genre de choses dans le système. Un policier ou quelqu'un d'autre peut juger que le manquement à la condition fixée ne justifie pas la judiciarisation de l'affaire et qu'il y a peut-être lieu d'y réagir d'une autre façon. Il semble que ce type de divulgation ne soit pas permis aux termes de la loi.

Je ne veux pas affirmer que je n'ai rien à redire, parce que cet aspect a été soulevé. Cependant, je ne veux pas vous faire croire qu'un de nos membres y a vu un problème majeur.

Le sénateur Chaput : Certains pensent que le projet de loi C-30 pourrait avoir un effet disproportionné sur les personnes aux prises avec des problèmes de toxicomanie et d'alcoolisme, comme les Autochtones. Pensez-vous que tel pourrait être le cas?

M. Westwick : Je vais exprimer un point de vue légèrement différent de celui du témoin qui m'a précédé à propos du rôle que l'alcool et les drogues jouent dans un comportement criminel. Il a cité la fraude comme exemple de crime où l'alcool et les drogues n'interviennent pas. Cependant, dans le cas des crimes de rue, soit le genre de criminalité qui touche le plus grand nombre de personnes — comme les cambriolages, les vols d'automobiles, les voies de fait simples pour lesquels les tribunaux imposent souvent la probation de même que ce genre d'interdictions — j'affirmerais plutôt que l'alcool et les drogues occupent une place considérable dans la commission d'un crime. Il est donc tout à fait logique d'établir, dans la probation, un lien avec les causes fondamentales du crime. Ce lien semble être parfaitement sensé.

Cependant, et pour répondre plus directement à votre question — compte tenu du succès, même modeste, remporté par les tribunaux de traitement de la toxicomanie, ainsi que des constats établis par les acteurs réguliers de l'appareil de justice pénale en ce qui a trait à la consommation abusive d'alcools et d'autres drogues — je dirais qu'il faut s'attaquer au problème de la consommation abusive d'alcools et d'autres drogues par le biais d'une stratégie publique plus large.

Cela étant posé, ce projet de loi représente un véritable progrès et il doit être assorti de dispositions, de mesures de reddition de comptes et d'applications qui soient réalistes. Néanmoins, cela ne revient pas à dire que nous devons nous contenter de la façon dont il se présente actuellement pour ne pas opter pour une stratégie publique proposant des approches directes face au problème de la consommation abusive d'alcools et d'autres drogues.

Le sénateur Chaput : Estimez-vous que nous aurons besoin d'autres ressources? Je suppose qu'il n'y en aura jamais assez.

M. Westwick : Je vais vous donner un exemple. Pendant des années, j'ai siégé au conseil d'administration du Dave Smith Youth Treatment Centre, ici à Ottawa, qui est un centre de désintoxication pour alcooliques et drogués. Pendant longtemps, notre grand défi et celui de beaucoup d'autres acteurs du milieu, a été de disposer d'un centre de traitement à demeure. Nous nous trouvons dans la capitale nationale et il n'y a pas de centre comme ça.

Quand le chef White a été nommé à Ottawa, il s'est fixé comme défi personnel de récupérer les fonds nécessaires pour financer un tel centre et nous sommes maintenant en bonne voie de disposer d'un centre de traitement à demeure où l'on pourra prendre de véritables mesures pour s'attaquer à ce problème. Je lève mon chapeau au juge Peter Wright, d'Ottawa, parce qu'il est rare qu'une telle initiative soit conduite par un magistrat. Le juge Wright et le juge Beaman ont piloté l'initiative du Tribunal de traitement de la toxicomanie à Ottawa, qui est une réussite.

Le problème tient au fait que tous ces aspects mobilisent énormément de ressources en regard des nombres qui ne sont pas particulièrement impressionnants quand on les compare à la liste des infractions, des procès et ainsi de suite. Peu importe, il y a du mouvement.

Je ne voudrais pas, avec mes réflexions sérieuses — et je crois avoir détecté cela dans votre question, sénateur — atténuer l'importance de ce projet de loi. D'un autre côté, je m'empresse de vous rejoindre pour vous dire qu'il faut faire davantage, mais il faut aussi mener ce projet de loi à terme.

La présidente : Maître Westwick, je vais vous poser la même question que j'ai posée au ministre. Nous n'avons pas de statistiques de base. Pas plus que d'autres organisations, Statistique Canada ne dispose d'aucune donnée sur ce genre de choses. Quoi qu'il en soit, vous êtes dans une position plutôt privilégiée.

Voici ma question : cela fait maintenant quatre ans et demi que l'arrêt Shoker a retiré un outil, comme vous l'avez souligné, auquel tout le monde pensait pouvoir recourir. Avez-vous une idée de la répercussion que le retrait de cet outil a eue sur des causes réelles?

Vous avez fort bien expliqué l'effet cumulatif de certaines mesures, comme ce projet de loi, sur le niveau de confiance envers l'appareil de justice, sur le niveau de confiance des policiers qui font évidemment partie du système, de même que sur le niveau de confiance des collectivités. Toutefois, s'agissant des répercussions sur les causes effectives, avez- vous une idée de ce que l'on sait ou de ce que l'on ne sait pas de l'impact réel constaté jusqu'ici au niveau des causes mêmes, par opposition à ce qu'a ressenti la société en général?

M. Westwick : Je suis heureux que vous me posiez cette question. Je n'ai pas de données scientifiques à vous communiquer, mais nous avons fait des constats d'ordre anecdotique.

La présidente : Mieux vaut un constat anecdotique que rien.

M. Westwick : Aujourd'hui même, j'ai profité d'une réunion au Service de police d'Ottawa pour poser cette question : Quel genre d'effet cela a-t-il eu? La première réponse qu'on m'a donnée, c'est que les policiers sont frustrés parce qu'ils jugent ne pas être en mesure de faire leur travail ou de répondre aux tribunaux. J'en reviens donc à ce que j'ai dit tout à l'heure, les tribunaux voient un affront dans le fait que des justiciables enfreignent les ordonnances qu'ils ont émises afin de les aider à se sortir du pétrin.

Je vais être encore plus précis. À la façon dont je comprends cette situation, à moins que le manquement à la condition ou au degré d'affaiblissement soit très important — autrement dit, à moins que la personne n'ait été complètement saoule — il y a de fortes chances pour que les policiers ne cherchent tout simplement pas à faire appliquer la condition parce qu'ils n'ont aucune autre possibilité que de déposer en tant que témoins oculaires. Les tribunaux et les avocats de la défense, de même que le système tout entier, sont habitués à traiter ce genre de preuve parce que les causes les plus courantes concernent des cas de conduite avec facultés affaiblies qui font donc l'objet du plus grand nombre de poursuites pénales. Tout le système est habitué à contre-interroger les policiers au sujet des signes de défaillance et les signes de consommation de drogues sont beaucoup plus difficiles à déceler, à décrire et à déposer en preuve devant un tribunal.

Le problème se pose dès qu'un policier est en présence d'une telle personne. C'est là que tout s'enclenche. Le policier arrête le véhicule et s'adresse au conducteur pour une raison quelconque. Il se rend alors compte qu'il existe une ordonnance de probation assortie de certains interdits et il hume un relent d'alcool ou d'autres substances. À moins que les facultés affaiblies ne soient très évidentes, comme une titubation et une quasi-impossibilité d'articuler, le policier ne peut rien faire.

C'est une situation qui n'est pas bonne pour tout un tas de raisons, la plus grave étant qu'il ne faut pas grand temps à celui qui est visé par une telle interdiction pour comprendre que celle-ci n'est pas applicable. C'est donc ce défaut, sur le plan de l'exécution des conditions, qui occasionne des situations malsaines. Si elle ne peut être exécutoire, je préférerais que cette condition n'apparaisse pas ici, non pas parce que je veux qu'on jette ces gens-là en prison, mais parce que la nature humaine est ce qu'elle est et qu'il faut que la loi puisse être appliquée.

La présidente : J'ai une question différente à poser qui découle d'une lettre que nous avons reçue de la commissaire à la protection de la vie privée — l'introduction est de mon cru — qui concerne tout particulièrement l'engagement de ne pas troubler l'ordre public en vertu duquel, comme il en a été amplement question tout à l'heure, le probationnaire n'a pas été reconnu coupable et n'a pas été inculpé.

Est-ce que, pour un policier, un agent de probation ou toute autre personne qui réclamerait le prélèvement d'un échantillon non régulier, parce qu'il y aurait un motif raisonnable de croire ou de soupçonner qu'il y a infraction, il serait insurmontable de devoir consigner par écrit les motifs de la demande?

M. Westwick : Votre question est tout à fait raisonnable. Ce serait certainement une bonne idée. Malheureusement, et c'est pour cela que je n'avaliserai pas votre suggestion, le maintien de l'ordre et l'application de la loi sont, pour plein de bonnes raisons, devenus énormément compliqués et chaque processus qu'on ajoute pour améliorer les sauvegardes — des sauvegardes que j'accepte et que j'appuie dans tous les cas — a d'énormes répercussions sur le travail plus général des policiers. Il faudra créer des formulaires, former le personnel et cela prendra du temps.

L'étude de Plecas, en Colombie-Britannique, a consisté à recenser l'augmentation du nombre d'étapes qui, au fil des ans, ont été ajoutées aux processus pour un certain nombre de crimes courants. Les chercheurs ont conclu que le temps de traitement et les coûts ont grimpé en flèche. Je reconnais que ces coûts contribuent à bâtir le genre de société que nous désirons et que la police souhaite également. Ces ajouts sont toujours séduisants. On peut difficilement être en désaccord avec une petite sauvegarde supplémentaire qui peut s'avérer être une bonne idée. Cependant, je vous invite à réfléchir aux coûts que représentent ces sauvegardes.

Le budget de la police d'Ottawa de quelque 200 millions de dollars vient d'être adopté. Ce chiffre est stupéfiant pour la capitale nationale. Une grande partie de ce budget est due aux changements qui ont été apportés et aux processus qui en ont découlé. Ce n'est pas aussi simple que de demander à un jeune policier de prendre quelque chose en note. Un processus doit être mis en place.

La présidente : Il faut remplir un formulaire en trois exemplaires et ainsi de suite. C'est pour ça que j'ai parlé de l'engagement de ne pas troubler l'ordre public. Je pense qu'on s'entend sur le fait que ce genre d'engagement appartient à une catégorie un peu différente de toutes les autres visées par ce projet de loi.

M. Westwick : Je l'accepte, mais j'aimerais revenir un peu en arrière. On peut effectivement dire qu'une personne s'étant engagée à ne pas troubler l'ordre public bénéficie encore, comme il se doit, de la présomption d'innocence, qu'elle n'a pas été reconnue coupable. Cependant, ce n'est pas comme s'il n'y avait pas eu d'instance devant un tribunal et un juge, avec des avocats et toute la mécanique de notre système prévoyant notamment le droit à la représentation et la possibilité pour les avocats de déposer des observations, et cetera. Ce n'est pas quelque chose qui se fait au hasard, dans un garage; c'est un juge qui le fait pour une bonne raison, sur la foi d'arguments présentés par l'avocat du justiciable.

Il est vrai que ce justiciable n'a pas été reconnu coupable, ce qui est une bonne chose. Cet engagement de ne pas troubler l'ordre public vient se substituer à la condamnation et, pour avoir tout son sens, il faut que cette mesure de substitution à la condamnation fasse l'objet d'une certaine rigueur. Sinon, ou si le processus est dilué, je crains que celui-ci finisse par être inutile. Je répète que l'engagement de ne pas troubler l'ordre public est un instrument valable pour les tribunaux dans un grand nombre de situations qui pourraient ne pas être prises en compte et qui, pour toute une foule de raisons, ne donneraient pas lieu à une inculpation. Je fais une mise en garde.

La présidente : Merci beaucoup, maître Westwick. Nous sommes conscients que vous avez fait un effort particulier pour vous rendre à notre invitation. Comme je l'ai dit au début, nous vous sommes reconnaissants d'être venu à si peu de préavis. Votre contribution est très valable.

M. Westwick : Permettez-moi de remercier votre personnel de m'avoir aidé à faire tout ça.

(La séance est levée.)


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