Délibérations du comité sénatorial permanent des
Langues officielles
Fascicule 4 - Témoignages du 10 mai 2010
OTTAWA, le lundi 10 mai 2010
Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd'hui à 16 h 4 pour faire l'étude sur l'application de la Loi sur les langues officielles ainsi que des règlements et instructions en découlant. Sujet : étude de la partie VII et d'autres enjeux.
Le sénateur Andrée Champagne (vice-présidente) occupe le fauteuil.
[Français]
La vice-présidente : Honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Comité sénatorial permanent des langues officielles. Je suis Andrée Champagne, vice-présidente du comité.
Le comité étudie présentement la mise en œuvre de la partie VII de la Loi sur les langues officielles au sein de diverses institutions fédérales. Au cours des derniers mois, le comité a eu l'occasion d'entendre différents organismes qui ont pour rôle de défendre et promouvoir les droits et les intérêts des francophones de diverses régions du Canada. Le comité n'a pas eu encore l'occasion d'entendre l'entité gouvernante de la communauté francophone de la Saskatchewan sur la mise en œuvre de la Partie VII. Nous avons donc le plaisir d'accueillir aujourd'hui Michel Dubé, président de l'Assemblée communautaire fransaskoise.
Monsieur Dubé, le comité vous remercie d'avoir accepté l'invitation à comparaître. Je vous invite à prendre la parole et les sénateurs vous poseront des questions tout de suite après.
Michel Dubé, président, Assemblée communautaire fransaskoise : Je vous remercie, madame la vice-présidente, de l'occasion qui m'est offerte de comparaître devant vous. C'est tout un honneur pour moi. J'ai aussi le plaisir de reconnaître des visages familiers comme celui du sénateur Losier-Cool.
Je parlerai au nom de l'Assemblée communautaire fransaskoise dont je suis le président depuis quatre ans. L'ACF représente les quelque 50 000 locuteurs de langue française en Saskatchewan incluant les personnes de langue française, langue maternelle, et aussi les personnes qui ont le français pour langue seconde ou comme une autre langue parmi d'autres. Je pense surtout aux personnes immigrantes qui sont de plus en plus nombreuses.
En 1999, une restructuration de la gouvernance de la communauté fransaskoise a été entreprise. Nous avions établi alors que toute personne pouvant comprendre la langue française et adhérant au but de l'Assemblée communautaire fransaskoise pouvait participer au processus démocratique de leur communauté. Cette participation inclus : l'élection de représentants tant au niveau local que de la présidence de la communauté; une présence aux réunions et la communication officielle avec les membres de l'assemblée dans le cadre de ses réunions régulières. Notre structure est encore jeune, mais elle offre une représentation complète de la Francophonie en Saskatchewan.
Je vous décris la structure brièvement, car plus tard je voudrais revenir sur l'importance de la gouvernance communautaire dans nos échanges avec les divers ministères fédéraux.
Le dossier à l'étude, c'est-à-dire la partie VII, est important pour les communautés francophones à travers le pays, comme chez nous, car le renforcement de la Loi sur les langues officielles dans toutes ses facettes est une préoccupation constante, et ce, même après 40 ans d'existence.
La partie VII de la Loi sur les langues officielles est importante, car elle sanctionne l'engagement fédéral à l'endroit du développement des minorités francophones et anglophones du pays. La partie VII renforce la notion de reconnaissance des deux langues au sein de la société canadienne. C'est par elle que le gouvernement fédéral peut appuyer les démarches qui permettront à la communauté fransaskoise, entre autres, de continuer à évoluer et d'offrir les opportunités à la population.
Le progrès, l'adaptation et l'évolution sont des conditions de survie incontournables de notre société en mouvement. Les changements qui surviennent sont énormes et l'Assemblée communautaire fransaskoise, à titre d'entité gouvernante, doit suivre et s'adapter. Nos actions cherchent à assurer le développement et la pérennité de la communication fransaskoise. Ainsi, nos dossiers de l'heure sont tous axés vers notre capacité de s'adapter aux changements et demeurer une force pertinente auprès de nos membres.
Voici mes commentaires en regard de quelques dossiers et du besoin de « mesures positives ». Vous avez peut-être entendu parler de la cause Caron sinon, vous allez en entendre parler à l'avenir. La cause Caron est pour nous une façon de faire reconnaître davantage la légitimité historique de la langue française dans l'Ouest canadien. La défense de M. Caron — et nous sommes intervenants dans cette cause — repose sur la constitutionnalité de la langue française dans l'Ouest. La cause Caron devrait être entendue rapidement en Cour d'appel en Alberta. Une victoire de M. Gilles Caron remettra en cause les lois linguistiques présentement en vigueur en Saskatchewan et en Alberta.
La reconnaissance constitutionnelle du statut du français à l'ouest du Manitoba impliquera les provinces et aura un impact important sur l'ensemble du développement de notre communauté, donc l'importance de l'aide du fédéral dans cette affaire est primordiale.
Lorsque je parle d'aide, on pense au Programme d'appui aux droits linguistiques comme étant une « mesure positive ». Dans nos discussions et nos démarches en ce qui a trait à l'accès à ce Programme d'appui aux droits linguistiques, le chemin est semé d'embûches. Nous avons énormément de difficulté à comprendre le programme et d'en être bénéficiaire à cause des difficultés bureaucratiques au sein de l'appareil qui gère ce programme.
Un autre dossier majeur dans lequel nous sommes fortement impliqués est celui du développement rural. Présentement, nous cherchons à créer un contexte qui favorisera le développement régional et rural par le terroir. En nous appuyant sur des modèles à succès en France et à Charlevoix au Québec, nous travaillons avec les municipalités, le gouvernement provincial et le fédéral pour favoriser l'émergence en Saskatchewan d'une nouvelle économie basée sur le concept du terroir. Le rôle des ministères et agences fédérales dans ce projet est important.
J'aimerais revenir sur la gouvernance communautaire et la mise en œuvre de la partie VII de la Loi sur les langues officielles. Selon elle, il incombe aux institutions fédérales de veiller à ce que soient prises des « mesures positives » pour mettre en œuvre l'engagement du gouvernement fédéral de veiller au développement et à l'épanouissement des communautés de langue officielle. Bien que Patrimoine canadien conserve son rôle de coordination dans ce dossier, ce sont désormais toutes les institutions fédérales qui sont responsables d'agir pour favoriser l'épanouissement de ces communautés francophones et anglophones.
Comment atteindre cet objectif? Premièrement, la consultation. Nous demandons en tant qu'entité gouvernante que la consultation, peu importe l'institution fédérale, soit respectée de façon proactive. Lorsqu'on parle de cette question, il y a toujours une certaine confusion par rapport à ce que veut dire réellement le fait de nous consulter. Pour nous, la consultation se fonde sur l'établissement d'un dialogue continu et d'une relation de confiance entre l'organisme porte- parole de la communauté et les institutions fédérales. Cette relation de confiance permettra de mieux identifier les occasions qui requièrent une consultation plus large dans certains cas ou l'implication des autres organismes de la communauté.
Au national ces dernières années, certains mécanismes de gouvernance partagée ont vu le jour avec succès. J'en profite pour en nommer quelques-uns : la mise sur pied d'un comité consultatif par Santé Canada ainsi qu'un comité directeur par Citoyenneté et Immigration Canada-communautés de langues officielles en situation minoritaire. La mise en œuvre de la nouvelle partie VII devrait permettre de renforcer les mécanismes de gouvernance partagée qui existent déjà et surtout d'en créer de nouveaux avec d'autres institutions fédérales. Je pense par exemple à la Saskatchewan plus récemment, à la mise sur pied d'un comité mixte Gendarmerie royale du Canada-communautés. Le mandat de ce comité mixte est de trouver des moyens de rendre les services de la GRC chez nous beaucoup plus visibles, beaucoup plus pertinents pour la communauté fransaskoise et en même temps, permettre aux recrues, candidats de la GRC en formation à Régina de mieux comprendre d'abord l'existence des communautés francophones, des frontières des zones désignées bilingue de la GRC et d'autres institutions fédérales dans le but d'éviter des conflits, des actions juridiques et des tensions comme nous avons connues il y a deux ans dans le cas du jeune Justin Bell qui ne faisait que demander un service en français dans une zone dite bilingue et qui s'est retrouvé en état d'arrestation par le gendarme.
Si on nous demandait de passer tous nos dossiers à travers du spectre de la partie VII et du projet de loi S-3 en particulier, on pourrait dire que le projet de loi S-3 n'a rien changé dans la façon de fonctionner et de transiger avec nous sauf les quelques exceptions que je viens de nommer. Nous constatons qu'il n'y a pas de leadership adéquat à travers l'appareil fédéral. La volonté de travailler avec la communauté minoritaire n'est pas évidente. D'après notre expérience, certains fonctionnaires sont prêts à travailler dans l'esprit de la partie VII, mais ceci dépend de l'individu en place. Lorsqu'il quitte, tout le travail est à recommencer ou est remis en question.
Un exemple pertinent qui me vient à l'esprit en ce moment, c'est avec Service Canada. Nous avons travaillé avec Service Canada pendant près de deux ans pour assurer la livraison des services fédéraux en français en implantant des comptoirs de Service Canada au sein de quelques-uns de nos centres communautaires francophones. Avec une direction, le projet a pu s'implanter pour ensuite être remis en question par son successeur. Donc aucune assurance de continuité.
Le leadership est souvent la clé du succès en ce qui a trait à la mise en œuvre de la partie VII. Il faudrait plus de sensibilité envers les particularités des communautés en situation minoritaire. Notre expérience a été qu'il y a et qu'il y a eu de la résistance à plusieurs niveaux. Un autre exemple est la structure administrative ou territoriale des ministères. Lorsque la zone ou le territoire ne concorde pas à celui de la communauté, c'est souvent, même toujours, la communauté qui doit se plier et se conformer aux exigences. Ceci double, parfois triple, le montant de travail à accomplir. Les groupes minoritaires étant traités selon les normes de la majorité ne font rien pour permettre à nos projets d'être appuyés, car les besoins de la minorité sont différents et ces différences sont laissées pour compte dans l'application des programmes fédéraux.
Afin d'être traitées équitablement, les communautés minoritaires ne doivent pas être assujetties à la formule de la taille universelle « one size fits all ».
Nous vivons présentement avec le ministère des Ressources humaines qui a deux territoires en Saskatchewan, le nord et le sud. Nous sommes obligés de multiplier l'administration du programme CIM, Centre d'intégration au marché du travail, doubler le tout afin de pouvoir offrir le programme dans les deux régions. La même situation existe dans d'autres ministères comme le ministère de l'Immigration. On a un bureau d'accueil des nouveaux arrivants à Saskatoon et un autre à Régina, deux centres urbains les plus importants qui reçoivent 80 p. 100 des nouveaux arrivants chez nous, alors on doit malheureusement faire et administrer deux demandes et deux évaluations pour obtenir l'appui financier pour ouvrir ces deux bureaux.
L'étendue du territoire de la Saskatchewan est grande; entre les communautés francophones les plus au sud et les communautés francophones les plus au nord, il y a 700 kilomètres de distance. Sur ce grand territoire, il y a plusieurs autres communautés francophones soit homogènes ou bilingues qui font partie de la communauté et qui reçoivent des services non seulement de la communauté, mais du fédéral évidemment et dans certains cas, du gouvernement provincial sur le plan des langues officielles. Suivant le ministère ou l'agence avec lequel on a à transiger, ce même territoire est recoupé en plusieurs districts dits bilingues selon des critères qui s'appliquent plus ou moins, cinq p. cent de la population, 500 résidents de langue française maternelle, mais ces agences, le ministère et ces zones bilingues ne se juxtaposent pas de façon identique.
Si on est en transit entre le North Battleford dans le nord-ouest et Bellegarde dans le sud-ouest — une distance de 700 kilomètres — on va traverser quelques zones bilingues, mais on ne sait jamais où elles commencent et où elles s'arrêtent. Je disais au commissaire aux langues officielles, en février dernier, que l'une des recommandations que je ferais serait que toutes les voitures et camions des francophones devraient être équipés automatiquement d'un GPS pour savoir où ils ont droit à un service; parce qu'on ne le sait pas. Même les agences fédérales, les ministères ne peuvent pas nous le dire. Comment savoir où, quand et quels services desservis par le fédéral auxquels nous avons droit?
C'est un peu comme le jeu de « la tague » où les enfants s'amusent, se touchent et se protègent dans une zone de sécurité. Lorsque la zone de sécurité change de place ou est différente d'un endroit à l'autre, soit qu'on ne joue plus ou qu'on se retrouve en situation de dispute pour savoir si on est vraiment dans une zone de sécurité. C'est une façon, peut-être très simpliste, de vous décrire la situation sur la qualité des services et l'application de la Loi sur les langues officielles chez nous.
Les Fransaskois ne savent pas où, quand, comment et à quel niveau ils ont droit à des services. Si j'avais à recommander un changement dans l'application et dans cette démarcation en zone dite bilingue, je les enlèverais toutes de la province et je les remplacerais par une série de zones qui tiennent compte, pas de ce critère de cinq p. 100 ou de 500 personnes dans une région, mais de la simplicité de la compréhension des utilisateurs des zones scolaires, c'est-à- dire là où il y a des écoles fransaskoises ou des centres culturels de langue française. Là on sait quels sont nos territoires, nos limites et avec qui on a affaire sur le plan des services du fédéral en langues françaises.
Je pense encore à Service Canada. On avait établi des comptoirs dans deux ou trois de nos communautés et un an ou deux plus tard, Service Canada veut les fermer. Pourquoi? Parce que la demande est insuffisante. On a arrêté de jouer à ce jeu il y a longtemps. Je jeu de « la tague » ne fonctionne plus. Il faut trouver des solutions plus pratiques sur le plan de l'application de la Loi sur les langues officielles.
Je reviens à la question des nouveaux arrivants de plus en plus nombreux chez nous. Depuis quelques années, 18 p. 100 de nos élèves dans nos écoles fransaskoises en milieu urbain sont immigrants. Les projections font en sorte que cela va doubler et tripler au cours des années à venir. Ces immigrants savent encore moins bien que nous, Fransaskois de souche, quelles sont les zones de services et quels sont leurs droits en terme d'accès aux services de notre gouvernement fédéral. Il serait important de simplifier cet aspect de découpage de notre territoire qui ne coïncide pas avec la réalité de nos compétences.
Il n'existe pas au sein du fédéral une politique nationale en immigration francophone en situation minoritaire. Il y a une stratégie du fédéral, mais pas une politique nationale. Encore une fois, on joue dans des sables mouvants tout le temps parce qu'il n'y a pas d'assise solide à partir de laquelle on peut déterminer comment recevoir les services. Si ces choses fondamentales peuvent être clarifiées une fois pour toutes, le gouvernement verra que la demande de service ira en augmentant et les efforts pour lesquels tous les contribuables canadiens ont payé, c'est-à-dire des services partout au pays là où il y a une communauté francophone ou anglophone au Québec, seront justifiés.
Il faudrait investir davantage dans l'application du projet de loi S-3. La solution juridique existe lorsque les communautés ont les moyens de monter leur défense devant les tribunaux. Cette solution en est une de longue haleine et d'opposition. On se trouve toujours en opposition au lieu d'être en partenariat avec les gens supposés nous desservir.
L'esprit du projet de loi S-3 était de rendre l'appareil fédéral proactif envers le développement des communautés en milieu minoritaire. Il faudrait trouver des incitatifs qui auraient pour effet de modifier la culture et le fonctionnement de nos ministères fédéraux.
En conclusion, L'ACF accorde beaucoup d'importance à l'obligation des institutions fédérales, de promouvoir la reconnaissance et l'usage du français et de l'anglais dans la société canadienne. Conséquemment, il faut d'abord que les institutions fédérales elles-mêmes reconnaissent leurs responsabilités.
Pour l'Assemblée communautaire fransaskoise, le projet de loi S-3 signifie l'obligation pour le gouvernement d'assumer à nouveau le leadership dans l'appui au développement des minorités de langue officielle et dans la promotion de l'usage du français et de l'anglais partout au Canada. Ce leadership se fait toujours attendre.
La vice-présidente : Merci beaucoup, monsieur Dubé. Pour faire partie de votre association, si j'ai bien compris, il faut pouvoir comprendre et s'exprimer en français. On dit « là où le nombre le justifie ». Vous parlez de centre culturel, d'écoles. Je trouve cette idée excellente. Toutefois, d'après ce qu'on a vu à ce comité au cours des mois, c'est qu'il y a un problème majeur avec les questions que Statistique Canada pause pour décider s'il y a vraiment une communauté francophone. Si on vous demande quelle est la langue la plus souvent parlée à la maison, cela peut être une langue autre que l'une de nos langues officielles ou alors, vous avez des gens qui parlent n'importe quelle langue chez eux, mais qui vont envoyer leurs enfants à l'école française ou utiliser le français dans leur travail.
Serait-ce une autre façon de décider si telle ou telle communauté est assez francophone pour pouvoir exiger des services en français du fédéral?
M. Dubé : Bonne question. On étudie ces hypothèses en termes de service dans notre propre communauté. Au cours des années, il y a eu au sein des recensements de Statistique Canada des améliorations par rapport aux questions posées pour déterminer cette existence d'une demande suffisante chez nous.
Effectivement, avec les années, on demandait le français comme première langue apprise et encore comprise ensuite, c'était la langue parlée le plus souvent. Les gens de plus en plus, surtout les jeunes — même ceux de langue française, de souche francophone ou français langue première — ne répondent pas de la façon que les plus vieux comme moi seraient tentés de répondre; on se dit bilingue et on parle les deux langues officielles. On n'accorde pas nécessairement l'importance à l'une plus qu'à l'autre dans l'usage quotidien.
La difficulté — et c'est là où je reviens à ma question de zones qui comprennent une aire de services entourant les écoles ou les centres culturels —, c'est qu'effectivement, à l'école, ils utilisent le français et ils retournent chez eux où c'est une situation mixte. Quatre-vingt-cinq pour cent de nos familles dans les écoles fransaskoises — je ne parle pas des écoles d'immersion — sont des familles exogames. Cela vous donne en partie réponse à la question et vous démontre l'ampleur du défi.
La vice-présidente : Votre façon d'accepter ou non des gens dans votre communauté serait de poser la question : pouvez-vous comprendre le français? Pouvez-vous vous exprimer en français? Ce serait peut-être la bonne question à poser.
M. Dubé : Tous les deux ans, on a ce qu'on appelle des élections fransaskoises pour la gouvernance et on pose la question.
La vice-présidente : C'est ce que vous faites chez vous. J'en étais à dire que c'est peut-être la question qui devrait être posée par Statistique Canada.
Le sénateur Fortin-Duplessis : Je crois que la nouvelle approche devrait être la suivante : là où il le faut et là où les francophones se trouvent vraiment et non seulement si une demande est faite pour offrir des services. Donc il ne suffit pas qu'une demande soit faite. Les bureaux désignés bilingues ont l'obligation d'offrir activement le service et dans plusieurs cas, ce n'est pas fait. Vous l'avez constaté. Je ne vous lis pas le communiqué de presse que vous avez envoyé à un moment donné. Je pense que vous y avez touché un peu en disant qu'on devrait, concernant les zones, tout enlever et repartir à neuf en instaurant des bureaux complètement bilingues. Est-ce que vous avez d'autres commentaires à faire à ce sujet?
M. Dubé : Pour ajouter à ce que j'ai dit par rapport à ces nouvelles zones qui pourraient peut-être répondre aux défis que nous avons, si on prend la carte de la Saskatchewan, par-dessus laquelle on pose une carte des zones scolaires francophones, on recouvre toute la province. C'est écrit dans la Loi de l'éducation de la Saskatchewan pour les francophones. Alors, toute la province est découpée en zones scolaires desservies par le Conseil scolaire francophone fransaskois.
Quel est le problème pour un appareil aussi important que le gouvernement fédéral de répondre aux attentes et aux besoins de ces francophones à l'intérieur des zones? Un petit conseil scolaire francophone avec 2000 élèves chez nous arrive à le faire et arrive à rejoindre des gens dans toutes ces zones, peu importe la distance du centre de service. Pourquoi est-ce qu'on ne pourrait pas envisager la même chose, sans ajouter un fardeau financier à tous les contribuables du Canada et de la Saskatchewan — ce qui existe déjà à l'intérieur de nos écoles et de nos centres communautaires —, et desservir la population francophone par un regroupement de services fédéraux?
C'est ce à quoi je faisais allusion tout à l'heure avec nos comptoirs de Service Canada. Un an ou deux après la mise sur pied de quelques comptoirs — où il a fallu négocier pendant deux ans afin de les obtenir —, Service Canada, unilatéralement, menaçait cet hiver de les fermer à cause de la présumée absence de demande. Quand on étudie cela en fonction de l'offre active de services et cette obligation à l'intérieur de la loi, il n'y a eu aucune publicité disant que dans tel endroit, à Saskatoon, il existe dorénavant un comptoir du gouvernement fédéral. Personne ne le savait. La responsabilité de faire la promotion de ce centre est tombée sur les épaules de la communauté. Je ne sais pas si je réponds à votre question.
Le sénateur Fortin-Duplessis : Il y a un manque.
M. Dubé : Il y a ce manque d'engagement, de leadership.
Le sénateur Fortin-Duplessis : Le ministre du Patrimoine canadien, James Moore, a comparu au mois d'octobre dernier devant le Comité permanent des langues officielles à la Chambre des communes. Il a admis, lors de sa comparution, que les délais de paiement aux organismes francophones qui reçoivent des fonds du gouvernement fédéral étaient complètement inacceptables. Et le but de la comparution du ministre devant ce comité était spécifiquement de redresser les problèmes des retards dans le financement.
Je comprends que les organismes qui travaillent au service de la communauté fransaskoise font face à des délais importants dans l'approbation et le versement de l'appui financier provenant du ministère du Patrimoine canadien, mais aussi des autres institutions fédérales. Pouvez-vous nous dire si vous avez constaté une amélioration sur ce point depuis que le ministre a comparu en octobre 2009?
M. Dubé : Je ne sais pas si je l'ai encore constaté. Je ne sais pas si l'assemblée l'a encore constaté, simplement parce que c'est une annonce assez récente. Le système communautaire, pour bénéficier des contributions, par exemple de Patrimoine canadien ou d'autres ministères fédéraux, était déjà amorcé au mois d'octobre dernier pour l'année financière qui vient de commencer au mois d'avril. Évidemment, on en a entendu parler et on a applaudi l'intention d'accélérer le processus de versement. Je ne l'ai pas encore constaté. Personnellement, je suis un élu, je ne suis pas un administrateur des budgets. J'ose croire que cela va améliorer la situation.
Nous, au sein de la communauté fransaskoise, on a une autre vision de la façon de travailler avec le gouvernement fédéral sur le plan des contributions en appui aux organismes francophones. On a tenté l'expérience avec Patrimoine canadien, l'année dernière, lorsqu'on lui avait proposé d'émettre un chèque unique. Sur le plan provincial, on est une quarantaine d'organismes provinciaux francophones, si ce n'est pas plus, juste en Saskatchewan. En plus, on est une trentaine d'organismes dits « locaux », soient des petites communautés qui ont un centre culturel ici et là. Il y a 80 organismes qui reçoivent des chèques de Patrimoine canadien ou d'autres ministères fédéraux. Vous pouvez vous imaginer le travail administratif pour remplir les conditions, faire les demandes, faire les évaluations, rendre les rapports et reprendre le processus s'il y a une erreur ou un oubli dans la reddition de compte. On propose un chèque unique parce que cela allégerait beaucoup le fardeau administratif sur ce qu'on appelle chez nous nos directions communautaires ou nos directions d'organismes qui ont dans la moitié des cas, qu'un seul employé. Le rôle de cette personne est d'aider sa communauté à se développer, pas de remplir des papiers et des formulaires de subvention.
Par contre, l'Assemblée communautaire fransaskoise, il y a 11 ans, lorsqu'elle a été créée, a accepté la responsabilité. On a travaillé de pair avec Patrimoine canadien, dans une bonne entente, pour assumer la responsabilité. Au lieu que ce soit des employés de Patrimoine canadien, on a pris la responsabilité de faire annuellement l'analyse des besoins et la recommandation à Patrimoine canadien sur la distribution des fonds. Cela a très bien marché, sauf dans deux cas. En 2003, il y a eu une histoire où Patrimoine canadien n'a pas accepté notre recommandation. La décision finale demeure toujours celle du ministre Moore, dans ce cas-ci. Cette année, mauvaise surprise, notre recommandation par rapport à une communauté en particulier n'a pas été acceptée par Patrimoine canadien. La position de Patrimoine canadien, selon nous qui avons fait tout le travail d'analyse, a affaibli la communauté qui devait recevoir cette contribution. C'est une façon un peu détournée pour répondre à votre question, je m'en excuse. On a proposé cela à Patrimoine canadien comme projet pilote. Au niveau de la haute direction de Patrimoine canadien, il y avait une ouverture.
On est la seule communauté au Canada français hors Québec à avoir la structure de gouvernance qui nous permet de faire ce travail comme entité gouvernante. Et Patrimoine canadien nous avait dit à l'époque, l'année dernière, qu'on pouvait établir un projet pilote en Saskatchewan, et voir si le versement d'un chèque unique allégerait effectivement le fardeau administratif, donc économiserait des sous.
Pour répondre à votre question, sur les retards ou les délais que nous subissons, ils sont justement dus au fardeau administratif que nos employés doivent assumer dans le respect des attentes de Patrimoine canadien au sujet de la transparence.
Si l'assemblée communautaire reçoit le chèque et qu'on le distribue, toujours selon la même analyse qu'on fait en ce moment, il n'y a qu'un organisme qui a un fardeau administratif; les communautés, les organismes recevront leur contribution — là même, on ne demande pas plus d'argent —, mais sans tout ce fardeau administratif auquel ils sont assujettis en ce moment et qui les empêche de faire leur vrai travail.
Le sénateur Fortin-Duplessis : Le ministre viendra demain, on pourra lui poser des questions.
M. Dubé : Je vous invite à le faire.
Le sénateur Rivard : Monsieur Dubé, au début de votre présentation, vous avez parlé de l'affaire Caron. Est-ce que cette cause a été entendue, vous êtes en attente du verdict, ou est-ce que la cause sera entendue dans les prochaines semaines ou les prochains mois?
M. Dubé : L'affaire Caron a passé la deuxième instance devant les tribunaux. Cette affaire se passe en Alberta, mais elle a les mêmes effets sur la Saskatchewan et l'Alberta, quand vous connaissez l'histoire qui remonte à 1988, dans l'affaire Mercure.
Bref, pour répondre à votre question, nous sommes sur le point de déposer une demande d'intervention en troisième instance, c'est-à-dire à la cour d'appel de l'Alberta. Les avocats ont fait leur travail et on devrait avoir une réponse de participation.
Le sénateur Rivard : Parmi les trois agences centrales, Patrimoine canadien, Conseil du Trésor et Justice Canada, pensez-vous que Justice Canada respecte ou... Connaissez-vous leur relation? Entre la communauté francophone et Justice Canada, est-ce que c'est acceptable selon vous?
M. Dubé : Oui. D'après moi, c'est acceptable. Il faut dire que lorsqu'on transige avec Justice Canada, c'est souvent à travers des avocats, alors ils connaissent leur travail.
Le sénateur Rivard : Est-ce que les francophones qui doivent se présenter devant les tribunaux peuvent se faire entendre dans la langue de leur choix?
M. Dubé : Oui, même en Saskatchewan.
Le sénateur Rivard : Même si ce n'est pas la responsabilité de ce comité, vous êtes sûrement au courant que la Chambre des communes a adopté la loi selon laquelle les prochains juges de la Cour suprême devront être parfaitement bilingues afin de ne pas avoir besoin de traduction. Est-ce que vous êtes à l'aise avec cette idée? Pensez-vous que ce sera difficile dans votre province de trouver des juges bilingues issus de la communauté francophone ou anglophone? Pensez-vous qu'il sera difficile d'appliquer la loi ou si vous êtes plutôt à l'aise avec l'idée que ce sera une bonne chose d'aller de l'avant?
M. Dubé : D'abord, l'Assemblée communautaire fransaskoise a envoyé une lettre en appui au projet de loi C-232, il y a moins d'une semaine ou deux.
Alors en réponse à votre question, oui, on est à l'aise et oui, nous croyons qu'il est tout à fait possible d'assurer la présence de tous les juges de la Cour suprême au niveau du bilinguisme. Je crois même qu'il existe, dans l'Ouest canadien, plusieurs juristes d'origine francophone ou anglophone qui seraient capables et même intéressés éventuellement à occuper des postes d'une aussi grande importance que celui d'un juge à la Cour suprême.
Évidemment, on suit beaucoup ce qui se passe dans les médias et cela fait couler beaucoup d'encre chez nous, pas nécessairement en faveur, mais il est tout à fait nécessaire selon moi de s'assurer de cette capacité bilingue chez tous les juges.
Le sénateur Rivard : Comme vous êtes situé entre l'Alberta et le Manitoba, est-ce que, entre associations de francophones vous avez suffisamment de contacts pour comparer l'application de la partie VII de la loi? Le cas échéant, est-ce que c'est comparable ou vous pensez qu'une province est en avant ou en arrière? Croyez-vous que dans les trois provinces de l'Ouest, les services sont comparables?
M. Dubé : J'aurais un peu de difficulté à répondre de façon intègre à cette question. Je pourrais juste vous parler de ce que j'entends. Évidemment, l'assise constitutionnelle du Manitoba est pas mal différente de la nôtre, en termes d'obligations de la province d'offrir des services. Sur le plan du gouvernement fédéral, je pense que l'avantage du Manitoba réside dans le fait que la grosse majorité des francophones sont regroupés dans un petit territoire, comparativement au nôtre.
En Saskatchewan, contrairement à l'Alberta, au niveau du gouvernement provincial, on a une politique d'appui à la communauté francophone qui n'existe pas en Alberta, si je ne me trompe pas. Alors, je pense qu'il y a une espèce de ABC en termes de qualité et d'accès au service qui va de plus en plus en diminuant lorsqu'on va vers l'Ouest.
Le sénateur Losier-Cool : Merci, monsieur Dubé, de venir témoigner à cet illustre comité. J'ai plusieurs questions, mais comme le comité se penche sur la partie VII, je dois admettre que j'ai été surprise de vous entendre dire que le projet de loi S-3 n'avait rien changé. Est-ce que c'est parce qu'on n'avait pas besoin d'appliquer ce projet de loi? Ou est- ce parce que les institutions tiennent compte de tout ce qu'il y a dans la partie VII? Ou encore est-ce que vous pensez que le gouvernement devrait adopter un règlement pour encadrer l'application de la partie VII?
Avez-vous réfléchi à une possibilité de règlement pour encadrer cela? Est-ce que vous pensez que la structure des zones scolaires ou que la question du chèque unique pourrait peut-être en faire partie?
M. Dubé : C'est une bonne question, mais je ne crois pas détenir la réponse. Ce que j'ai mentionné, c'est que souvent la bonne volonté dépend des individus. Avec des individus de bonne volonté, il y a des choses qui se passent et on a des exemples. J'aurais pu vous en donner plus.
Par contre, comme j'ai dit aussi, lorsque l'individu est parti, le service peut parfois tomber à l'eau et l'obligation n'est pas respectée.
Alors pour répondre à votre question, oui, je pense que la mise en place d'un cadre réglementaire applicable de façon précise au projet de loi S-3 et à la partie VII serait dans notre cas quelque chose de vraiment très positif parce que ce n'est pas intéressant de toujours faire le chien de garde. On met beaucoup d'énergie à forcer et s'il y a des progrès, ce n'est pas à cause de la proactivité ou du respect, par nos institutions fédérales, de leurs obligations, mais c'est plutôt dû au fait qu'on a mis beaucoup de pression sur les communautés et on s'est même parfois rendus en cour pour faire respecter les choses.
Le sénateur Losier-Cool : C'est exactement cela qui m'a emmenée à poser la question de règlement. La bonne volonté, elle change de place parfois. On a appris, dans notre histoire de minorité, qu'il ne faut pas toujours se fier à la bonne volonté. Je me souviens du sénateur Jean-Maurice Simard, qui a été un grand défenseur, qui disait que cela nous prend 15 ans pour avoir un droit, mais cela peut nous prendre 15 minutes pour le perdre. C'est pourquoi il fallait légiférer.
Cela m'amène à l'autre question. Comment définissez-vous le concept de « mesures positives »? Vous avez commencé dès votre présentation à parler de « mesures positives ». Qu'est-ce que c'est, une « mesure positive »?
M. Dubé : C'est une initiative qui permet d'avancer dans un dossier ou dans une culture ou dans une façon d'interagir avec une société, une communauté ou un organisme. La responsabilité de la « mesure positive » est affectée à quelqu'un. Le fait d'apporter un changement d'attitude positif envers un dossier, une communauté ou une loi est en soi une « mesure positive ».
C'est être proactif, accepter de travailler avec le bénéficiaire de cette « mesure positive », mais dans une situation gagnant-gagnant. Pas au détriment, par exemple, de la capacité d'un ministère d'offrir un programme à quelqu'un d'autre.
On travaille beaucoup dans des situations de gagnant-gagnant. C'est un peu la raison pour laquelle on reconnaît que des progrès se font, même chez nous, tant sur le plan du fédéral, parce qu'on est capable de travailler avec des fonctionnaires, des hommes et des femmes politiques, pour faire appliquer les « mesures positives » et parce qu'on est capable de s'entendre sur des situations gagnant-gagnant. Dès quelqu'un est perçu comme étant perdant, la relation est changée.
Le sénateur Losier-Cool : Votre exemple de zone scolaire pourrait-il se définir comme une « mesure positive »? Cela m'amène à vos relations fédérales-provinciales. On sait que les zones scolaires, l'éducation, relèvent du provincial. Est- ce que vous avez consulté les autorités provinciales sur cette question?
M. Dubé : On n'a pas consulté les autorités scolaires au palier provincial. S'ils étaient présents aujourd'hui, ce serait une surprise pour eux. Par contre, on a déjà travaillé dans ce sens avec nos autorités scolaires francophones. D'ailleurs, on a mis en place, comme on l'a fait chez vous au Nouveau-Brunswick, trois centres scolaires communautaires, des centres qui offrent des services dans toute une zone scolaire. Il ne s'agit pas simplement de services scolaires, mais de services communautaires. Dans un cas, on y a intégré des services du gouvernement fédéral.
Le sénateur Tardif : Je suis de l'Alberta et je reconnais fort bien le travail important que la Saskatchewan fait et que vous faites. Bravo! pour votre bon travail, monsieur Dubé, et les francophones de la Saskatchewan.
Je voulais revenir à un point que vous avez fait dans votre présentation, c'était toute la question du Programme d'appui aux droits linguistiques. Vous avez indiqué que cela pourrait être vu comme une « mesure positive », cependant vous avez que de la difficulté à bien comprendre le programme et aussi que c'est difficile d'en être bénéficiaire. Pouvez- vous élaborer davantage?
M. Dubé : C'est justement par rapport au cas Caron, qui touche aussi votre province, que je faisais cette constatation. Il y a eu, vous le savez mieux que moi, la transformation du Programme de contestation judiciaire vers le Programme d'appui aux droits linguistiques. Par rapport à ce que j'ai dit tout à l'heure, quant à cette transition par rapport au cas en particulier, nous avons été, à l'ACF, intervenants dans la première instance. Nous avons bénéficié d'un appui financier du Programme de contestation judiciaire parce que le cas en question avait été amorcé avant la date butoir, du 15 septembre il y a quelques années. Je n'ai pas les détails.
Depuis ce temps, on a mis en place le PADL. Même, en ayant parlé en février dernier à Regina à une des administratrices du nouveau PADL pour savoir si l'ACF, comme l'ACFA en Alberta, serait éligible à du financement pour poursuivre l'intervention dans le cas Caron, elle ne pouvait pas nous répondre. Et même, en ayant instruit nos avocats responsables de notre intervention dans le cas Caron de se renseigner sur nos possibilités d'appui financier, nos avocats m'ont dit : « on n'est pas sûrs de notre statut. » Donc on va faire une demande et au PADL et à l'ancien Programme de contestation judiciaire parce qu'il paraît qu'il y avait encore des fonds résiduels qui n'avaient pas encore été dépensés.
Nous sommes à la veille de déposer cette demande d'intervention à la Cour du Banc de la Reine de l'Alberta et nous n'avons toujours pas de nouvelles. Vous voyez que c'est une « mesure positive » sur papier, mais pour l'instant, c'est un fardeau que nous devons subir. On ne sait pas si on peut même poursuivre notre intervention juridique parce qu'on n'a pas le financement. Donc le plan B démarre. Le plan B consiste à aller chercher du financement à l'intérieur de notre propre communauté si on peut.
En parlant de « mesure positive », quand j'ai fait mon intervention, j'avais un point d'interrogation quant au PADL, parce qu'on le sait déjà que le niveau de financement est limité à 35 000 $ par intervention. Quand on est rendu à l'instance première, à la Cour provinciale ou même à la Cour du Banc de la Reine, cela peut peut-être passer, mais rendu au niveau de la préparation, si on va en Cour suprême, on est un peu coincé financièrement. Et l'avocat de M. Caron lui-même, qui est un Fransaskois, me disait il y a à peu près deux semaines qu'il n'a aucune confirmation de sa capacité à poursuivre. Il ne peut certainement pas le faire pro bono. Alors, c'est un souci que nous avons tous dans cette situation. C'est une cause d'importance nationale.
Le sénateur Tardif : Vous avez raison, c'est une cause d'importance nationale sur le plan des droits linguistiques dans l'Ouest du Canada. En tout cas, pour reconnaître le fait qu'il y avait eu certaines promesses faites par la Reine Victoria envers les francophones de l'Alberta et de la Saskatchewan par rapport à des services en français. Ce sera à suivre, mais c'est un exemple clé de l'importance d'un tel programme et de l'appui aux communautés. Il faut espérer que ce n'est pas seulement une « mesure positive » sur papier.
J'aimerais revenir à la question de ma collègue, le sénateur Losier-Cool, quant au fait que le projet de loi S-3 n'a peut- être pas changé beaucoup de choses, sauf à quelques exceptions, dans certains ministères. D'après vous, quels sont les obstacles à l'implantation complète de ce changement à la Loi sur les langues officielles, la partie VII, qui oblige maintenant les gouvernements à favoriser l'épanouissement des communautés de langue officielle?
M. Dubé : Si j'avais la réponse, on ne serait pas ici aujourd'hui. Il y a plusieurs obstacles. Il y a une méconnaissance chez les fonctionnaires dans nos ministères, dans nos provinces, peut-être les plus éloignées du centre du pays, de connaître leurs obligations et les fondements constitutionnels historiques pour lesquels ces mesures sont en place.
Il y a aussi un manque de leadership. C'est dérangeant pour un fonctionnaire, un directeur de service ou de division d'un ministère, d'imposer sur ses collègues, qui sont pour la plupart unilingues de nouvelles mesures de respect de la loi.
La troisième partie de ma réponse à votre question, sénateur Tardif, c'est qu'il y a des degrés de respect, c'est-à-dire divers degrés d'application. J'ai remarqué qu'on a tendance à faire le minimum, chez nous, mais de dire qu'on a fait quelque chose, donc sentir qu'on respecte les intentions et l'esprit de cette partie et des changements du projet de loi S-3 et puis de défendre ces changements. Parce que, effectivement, si on retourne quelques années passées, il y a eu un progrès, mais est-ce que c'est le progrès auquel s'attendaient les législateurs et les réformistes qui ont mis en place le projet de loi S-3? Voilà la question pour nous.
Le sénateur Losier-Cool : Notre comité a reçu les représentants de différents ministères qui nous ont parlé de leurs champions. On pourrait poser la question au prochain ministre, mais est-ce que ce n'est pas la responsabilité de ces champions de faire connaître les obstacles de la partie VII et la loi S-3, à tout le monde, surtout ceux en situation minoritaire?
M. Dubé : C'est la responsabilité de ces champions, effectivement. Chez nous — je pense qu'on appelle cela le forum des leaders —, les représentants des ministères fédéraux se réunissent régulièrement pour mettre en place et échanger sur l'application de la loi, mais ce dont on se rend compte, c'est que plusieurs sinon la majorité des ministères sont absents de ce forum, donc ne sont pas en mesure d'appliquer la loi, de comprendre les façons de l'appliquer, et cela retombe sur quelques champions — et on peut les nommer chez nous — d'essayer d'imposer cette volonté et ce besoin sur leurs collègues qui sont absents.
Le sénateur Losier-Cool : Ce que je veux savoir, c'est s'il y a une communication quelconque entre les champions au fédéral, dans les ministères, et les champions que vous avez mentionnés.
M. Dubé : Je ne suis pas assez familier pour vous le dire. Je sais par exemple qu'au niveau du forum des leaders chez nous, au sein de la fonction publique fédérale chez nous, en Saskatchewan, on me dit que le budget de fonctionnement — donc la possibilité d'avoir des réunions, de se payer un café et un lunch durant la journée — a été coupée, d'une part. Ce n'est pas une situation très positive en termes de conditions de travail et de conditions de proactivité, malheureusement. Mais il existe des champions et c'est l'Assemblée communautaire qui, en fin de compte, a assumé la coordination avec les quelques champions qui restent pour continuer le travail qui était essentiel.
Le sénateur Tardif : Plusieurs ministères nous ont dit qu'ils faisaient de la sensibilisation auprès de leurs employés, de la consultation — parce que nous avons invité plusieurs représentants des ministères — et selon eux, ils semblent dire que le travail se fait. Vous nous dites que cela ne suffit pas et qu'il faudra en faire beaucoup plus au niveau de la consultation réelle auprès des communautés. Mais Patrimoine canadien a quand même une responsabilité de coordination ministérielle. Selon vous, Patrimoine canadien fait-il suffisamment son travail de coordination pour la partie VII et les « mesures positives »?
M. Dubé : Chez nous, en Saskatchewan, vous voulez dire? Je présume, parce que je ne pourrais pas répondre ailleurs. J'ai envie de dire oui. J'hésite beaucoup parce que je ne suis pas dans les réunions avec eux, ce n'est pas dans mes fonctions de travailler tous les jours avec les fonctionnaires sur ces dossiers. Mais je sais qu'ils participent à l'organisation de rencontres interministérielles. Nous avons une bonne relation avec les responsables de Patrimoine canadien, au niveau régional et local, c'est-à-dire provincial, en ce qui concerne l'identification de certaines lacunes interministérielles, si vous voulez. Alors, j'ai envie de dire que l'on voit leurs efforts d'une façon positive au niveau de cette coordination à l'intérieur de la Saskatchewan.
Par contre, si je vous dis, d'un côté, leur participation est positive, c'est que leurs efforts sont positifs, mais les résultats ne le sont peut-être pas. Si on regarde la question de la participation au niveau du forum des leaders, qui est un mécanisme de réflexion, de partage et de consultation avec la communauté, est-ce que Patrimoine canadien peut imposer des choses? Il me semble que non, d'après ma compréhension en tout cas. S'ils ont ce pouvoir, dans ce cas, ils ne l'appliquent pas suffisamment bien.
[Traduction]
Le sénateur Seidman : Bienvenue, monsieur Dubé. Vous avez exprimé votre déception au sujet de la façon dont les institutions fédérales remplissent leurs obligations en vertu de la partie VII de la Loi sur les langues officielles. J'aimerais donc vous interroger au sujet du processus de consultation et obtenir un peu plus de détails suite à la discussion que vous avez eue avec le sénateur Tardif. Je m'intéresse particulièrement au processus de consultation. Vous avez dit que c'est un processus très important, et je suis entièrement d'accord avec vous. Il s'agit d'une démonstration des mesures positives. Pourriez-vous donc m'expliquer en quoi consiste le processus de consultation auquel vous participez? À quelle fréquence vous réunissez-vous? Qui sont vos interlocuteurs lors de ces rencontres? Êtes-vous consulté au sujet du processus lui- même et la façon de le gérer?
M. Dubé : S'agissant du processus de consultation, l'un des principaux moyens de l'établir est le forum des leaders, comme je le mentionnais tout à l'heure. Ce forum nous permet, en tant que représentants de la communauté, de faire état de nos préoccupations et éventuellement proposer des améliorations aux différents types de services. Il est très important, en ce qui nous concerne, de proposer de nouveaux moyens de garantir l'épanouissement de la communauté francophone en Saskatchewan. Donc, ce processus, et notamment le forum des leaders, est très important. D'après ce que j'ai pu voir, il a lieu une fois ou deux par an. Le dernier auquel j'ai participé s'est tenu en février, si je ne m'abuse. Il y a également un certain nombre de comités de travail en vertu de ce même processus. De plus petits groupes qui ont un mandat précis ont le mandat, dans le contexte du forum des leaders, de tenir des consultations, de transmettre de l'information ou de répondre à un besoin particulier, quel qu'il soit. Cette structure est déjà en place, et elle existe et donne de bons résultats en Saskatchewan depuis de nombreuses années.
Y a-t-il moyen de s'assurer que des consultations vont se tenir? Le processus passe le plus souvent par les différents ministères dans le contexte d'initiatives individuelles. Par exemple, comme je le disais tout à l'heure, nous avons mis sur pied un groupe de travail mixte auquel siègent des membres de la GRC et des représentants de la communauté. Nous avons également créé plusieurs comités qui restent en relation avec les différentes institutions ou ministères fédéraux pour discuter d'initiatives diverses. Nous entretenons également un dialogue avec les agents de service — je ne suis pas sûr que ce soit la bonne expression en anglais; en d'autres termes, son personnel — de Patrimoine canadien et ce, aux niveaux à la fois régional et provincial. Nous examinons différentes idées et nous obtenons leur rétroaction sur la viabilité de diverses initiatives qui découlent de notre processus de planification global.
J'ai également mentionné les contributions apportées par Patrimoine canadien au développement de la communauté. En ce qui concerne l'assemblée, le processus se définit comme suit : d'abord, des consultations auprès de divers fonctionnaires du ministère du Patrimoine canadien, afin de nous assurer que les recommandations de l'Assemblée communautaire fransaskoise relatives à la répartition des crédits pour l'année qui vient sont conformes à des lignes directrices ministérielles précises, établies et acceptables; et, deuxièmement, des négociations entre nous et Patrimoine canadien concernant l'utilisation de ce que j'appellerais les deux enveloppes budgétaires, c'est-à-dire l'enveloppe pour les frais de fonctionnement et celle pour les projets. Il y a déjà eu certaines frictions dans ce contexte, mais dans la plupart des cas, nous avons toujours réussi à nous entendre.
La question de l'immigration représente un autre dossier au sujet duquel il y a des consultations permanentes entre la communauté et Citoyenneté et Immigration Canada concernant des projets ou programmes précis visant à répondre à nos besoins changeants en ce qui concerne notre capacité à long terme à recruter des émigrants d'autres pays et à les intégrer dans la communauté. Voilà donc un exemple positif des consultations entre nous et les institutions fédérales, sénateur.
Le sénateur Seidman : Votre description indique bien qu'il existe un grand nombre de moyens de consultation différents. Vous donnez l'impression d'être assez content du processus. Il semble donner de bons résultats. Vous nous dites que les choses vont bien en général. J'essaie donc de comprendre pourquoi il y a eu quelques échecs, comme vous dites. Dans le cadre de ces consultations, avez-vous fait les mêmes recommandations — il y en a eu deux ou trois — qu'à nous?
M. Dubé : Dans certains cas, oui — par exemple, celle qui porte sur le chèque unique. En fait, comme vous le savez sans doute, nous sommes en train de négocier un nouvel accord de contribution avec Patrimoine canadien. L'une des recommandations que nous avions faites relativement au prochain accord de contribution portait sur le principe d'un chèque unique, alors que cette recommandation a été rejetée.
Le sénateur Seidman : Vous nous avez dit également qu'il n'existe pas de politique nationale sur l'établissement des immigrants dans les collectivités francophones. Vous avez évoqué le concept de zones scolaires, la nécessité pour le gouvernement de promouvoir la reconnaissance du français dans l'ensemble du pays et d'investir davantage par l'entremise du projet de loi S-3. Vous avez fait toute une série de recommandations. Je me demande donc si vous avez fait ces mêmes recommandations dans le cadre de vos consultations.
M. Dubé : Encore une fois, nous l'avons fait pour certaines, et il faut aussi préciser que certaines autres sont assez récentes, étant liées à notre réflexion sur le projet de loi S-3. Nous avons discuté de la question de l'immigration avec nos homologues fédéraux. Mais toute la méthode employée par Patrimoine canadien pour la distribution à notre organisme des contributions de ce dernier nous cause de la frustration depuis un certain temps. Comme j'ai une attitude positive, j'essaie toujours de présenter un portrait positif de la situation, tout en étant réaliste concernant la vitesse à laquelle la situation peut évoluer.
Le sénateur Seidman : Vous est-il déjà arrivé de déposer une plainte auprès du Commissariat aux langues officielles?
M. Dubé : Oui.
Le sénateur Seidman : Oui?
M. Dubé : Oui.
Le sénateur Seidman : Quand avez-vous déposé une plainte?
M. Dubé : Concernant un ministère particulier ou une plainte générale?
Le sénateur Seidman : N'importe quelle plainte.
M. Dubé : Nous avons effectivement déposé des plaintes et, en mon nom personnel, j'en ai déposé contre la GRC, Air Canada et Financement agricole Canada.
Le sénateur Seidman : Récemment?
M. Dubé : Oui, récemment — c'est-à-dire il y a un mois ou deux, si je ne m'abuse.
Le sénateur Seidman : Sont-ils encore en train de les instruire?
M. Dubé : Oui.
Le sénateur Seidman : Avez-vous déposé des plaintes qui remontent à un an, deux ans ou trois ans, qui n'auraient pas encore été traitées?
M. Dubé : Personnellement, non, mais je sais que nous en avons déposé plusieurs au nom de la communauté, dont certaines n'ont pas fait l'objet d'une réponse. D'autres, oui — cela ne concerne pas tellement le commissariat; je parle plutôt de recommandations auxquelles on n'a pas donné suite. Par exemple, Financement agricole Canada a retiré son agent bilingue de ma localité de Prince Albert. Bien que Prince Albert soit désigné une zone bilingue, nous sommes maintenant obligés d'aller à Saskatoon, qui se trouve à deux heures de route, pour obtenir des services, malgré le fait que la demande de services est suffisante. Il y a de nombreux producteurs agricoles dans la région de Prince Albert. Donc, selon moi, la réponse à certaines de ces plaintes n'a pas été satisfaisante.
Le sénateur Seidman : Que faites-vous quand la réponse n'est pas satisfaisante?
M. Dubé : Pour être franc, il nous arrive parfois de nous adresser directement à la source pour essayer de trouver une solution. Je vais citer l'exemple de Financement agricole Canada. Nous nous sommes adressés au directeur général en lui disant : « Écoutez, vous nous enlevez ce service, alors que vous avez certaines obligations. Nous ne voulons pas être obligés de vous traîner devant les tribunaux. Nous ne voulons pas être obligés de déposer une autre plainte auprès du Commissariat des langues officielles. Ne serait-il donc pas possible de trouver une solution qui satisfasse tout le monde : vous, vous respectez vos obligations et nous, nous obtenons les services dont nous avons besoin? Ensemble, tout le monde y trouve son compte? » Il nous est déjà arrivé de faire ce genre de choses.
Le sénateur Seidman : Et le service a-t-il été rétabli?
M. Dubé : Par Financement agricole Canada, non.
C'est la même chose pour Air Canada et l'aéroport de Saskatoon. Il n'y a pas de service. Il est impossible de se faire servir en français à l'aéroport de Saskatoon, alors qu'il s'agit d'un aéroport international.
Le sénateur Seidman : Merci beaucoup.
[Français]
La vice-présidente : Monsieur Dubé, je suis un peu désolée d'entendre que vous avez un problème avec le Financement agricole Canada. Ils ont des personnes extrêmement compétentes sur le plan de la traduction; je connais une personne qui y travaille. Tous les Fransaskois qui verront ce comité à la télévision seront très fiers de la façon dont vous nous avez fait part de leurs acquis et de leurs souhaits.
Comme à la première heure demain matin nous recevrons le ministre du Patrimoine et des langues officielles, vos commentaires resteront bien frais à la mémoire. Je vous remercie beaucoup.
(La séance est levée.)