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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Langues officielles

Fascicule 6 - Témoignages


OTTAWA, le lundi 14 juin 2010

Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd'hui, à 16 h 45, pour étudier l'application de la Loi sur les langues officielles ainsi que des règlements et des instructions en découlant (sujet : les communautés anglophones du Québec).

Le sénateur Maria Chaput (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bienvenue à la réunion du Comité sénatorial permanent des langues officielles. Je suis le sénateur Maria Chaput, du Manitoba, et je préside le comité.

Pour commencer, j'aimerais que les membres se présentent.

[Français]

Le sénateur Tardif : Je suis le sénateur Claudette Tardif de l'Alberta.

Le sénateur Losier-Cool : Je suis le sénateur Losier-Cool du Nouveau-Brunswick.

Le sénateur De Bané : Je suis le sénateur Pierre De Bané du Québec.

Le sénateur Rivard : Mon nom est Michel Rivard, sénateur du Québec.

Le sénateur Champagne : Je suis Andrée Champagne, sénateur du Québec.

Le sénateur Fortin-Duplessis : Je suis Suzanne Fortin-Duplessis, sénateur de Rougemont, dans la province de Québec.

[Traduction]

Le sénateur Seidman : Bonjour. Je suis Judith Seidman de Montréal, au Québec.

La présidente : Le Comité sénatorial permanent des langues officielles commence son étude sur les communautés anglophones du Québec. Il a l'intention de visiter quelques-unes de ces communautés en septembre; la réunion d'aujourd'hui permettra aux membres de se préparer à ces visites grâce aux renseignements utiles qu'ils recevront.

Le comité a invité trois chercheurs, qui discuteront des résultats de recherches récentes sur ces communautés. J'aimerais souhaiter la bienvenue à Sylvia Martin-Laforge, directrice générale du Quebec Community Groups Network, à Jack Jedwab, directeur général de l'Association d'études canadiennes, et à Noel Burke, doyen du Réseau de recherche sur les communautés québécoises d'expression anglaise.

Le comité vous remercie d'avoir accepté son invitation à comparaître. La réunion prendra la forme d'une table ronde. On vous demandera de présenter vos exposés à tour de rôle, puis les membres du comité vous poseront des questions.

Madame Martin-Laforge, vous avez maintenant la parole.

Sylvia Martin-Laforge, directrice générale, Quebec Community Groups Network : Bonjour, mesdames et messieurs, membres du comité sénatorial.

Le Quebec Community Groups Network rassemble 36 groupes communautaires, composés d'associations régionales et d'organisations sectorielles, qui sont au service de la communauté anglophone du Québec.

Nous sommes heureux d'être ici aujourd'hui. Je crois que la dernière fois où nous avons comparu devant vous, c'était il y a environ un an, en mars. Je sais que le comité souhaite en apprendre davantage sur les communautés de la minorité anglophone du Québec. Nous avons été très occupés depuis notre dernière réunion en mars.

Nous nous réjouissons d'avoir l'occasion de vous accueillir chez nous cet automne, lorsque votre comité viendra voir notre communauté là où elle vit, au Québec. Nous mobiliserons nos intervenants clés dans le domaine de l'éducation — aux niveaux primaire, secondaire et postsecondaire —, de l'aide à l'enfance, de l'alphabétisation, du développement économique, de l'employabilité, des arts, de la culture et du patrimoine, pour vous aider à cerner la réalité de la communauté anglophone du Québec. Nous mettrons en valeur nos réussites et nos défis et nous discuterons des mythes qui entourent notre communauté. Nous devons nous attaquer à ces mythes de front.

Vous pouvez être certains que le comité dispose de l'appui entier du conseil d'administration et du personnel du Quebec Community Groups Network pour la préparation en vue de cette visite très importante pour nous, que vous- mêmes trouvez importante.

Le Quebec Community Groups Network cible, étudie et tente de régler les questions stratégiques touchant le développement, la vitalité et la durabilité des communautés anglophones du Québec. Il encourage le dialogue et la collaboration entre les personnes, les groupes communautaires, les institutions, les leaders et les organisations qui en sont membres en favorisant la promotion et l'échange des renseignements et des connaissances, ainsi que l'établissement des compétences.

La philosophie du réseau consiste à travailler en partenariat et en collaboration avec les organisations qui en sont membres, comme le Community Health and Social Services Network, le CHSSN. Je sais que de nombreux sénateurs sont intéressés par les questions de soins de santé. Au Québec, nous sommes privilégiés puisque nous recevons un financement assez important par l'entremise de la Feuille de route dans ce domaine. Nous comptons aussi sur des associations régionales, comme le Committee for Anglophone Social Action de Gaspé. L'English Language Arts Network, l'ELAN, est l'un des groupes qui font partie du réseau et nous l'avons invité aujourd'hui. Comme nous tous, il a pour but d'assurer la vitalité de la minorité anglophone.

M. Jedwab présentera des données démographiques, et M. Burke vous parlera de notre place au Québec, en particulier en ce qui a trait à la recherche et aux besoins en recherche. Pour ma part, j'ai l'intention de vous présenter un aperçu des politiques stratégiques liées à la communauté anglophone; je me concentrerai particulièrement sur les défis communautaires dans le contexte de l'architecture fédérale actuelle en matière de langues officielles, puisque c'est probablement ce dont vous voulez entendre parler.

Le premier point touche l'architecture. La Loi sur les langues officielles est née de la volonté de favoriser l'unité nationale en fournissant aux Canadiens francophones l'accès à l'appareil fédéral canadien et leur inclusion dans ce dernier. Les politiques issues de cette architecture étaient axées sur la protection de la langue de la minorité. Pour reprendre les mots du projet de loi S-220, des efforts sont faits pour éviter « une situation de perte de la langue ou d'assimilation linguistique ». Bien que cette préoccupation soit fondée pour les communautés francophones minoritaires à l'extérieur du Québec — et certains diraient aussi au Québec, mais nous parlons des communautés minoritaires de langues officielles au sens de la loi —, elle n'a pas vraiment d'écho chez tous les membres de la communauté anglophone du Québec, pour qui la perte de la langue anglaise ou l'assimilation linguistique ne sont pas des préoccupations. Toutefois, nous sommes très préoccupés — avec raison, certaines données le prouvent — par la vitalité et la durabilité de la communauté. Ce n'est pas seulement une question de langue; c'est aussi une question de communauté.

À titre d'exemple, l'idée de la vitalité de notre communauté relève du mythe et de la croyance selon laquelle les médias dans notre langue sont largement accessibles. Mais le contenu produit à Toronto, à Londres ou à Los Angeles ne reflète pas la culture et les traditions de notre communauté. Ce n'est pas le reflet de nos communautés en Abitibi, aux Îles de la Madeleine ou dans la région de Mégantic. Lors de récentes présentations devant le CRTC, l'ELAN a mis en évidence l'absence de la réalité régionale.

Point 2 : la communauté anglophone n'est pas homogène. Elle n'a pas l'habitude de se considérer comme une minorité ou comme un groupe unique. C'est une communauté de communautés. Ces communautés sont définies par leur origine ethnique, leur pays d'origine, leurs membres, leur religion et leur géographie.

Vous pourrez constater vous-mêmes ces différences frappantes lorsque vous visiterez Montréal, Sherbrooke et Québec cet automne et que vous entendrez les différents points de vue exprimés. Cette diversité est une grande force pour notre communauté, qui joue un rôle essentiel du fait qu'elle attire et qu'elle retient les immigrants au Québec.

Point 3 : par définition, la communauté anglophone du Québec se situe à l'intérieur d'une seule et même province : le Québec. Deux défis découlent de cette réalité, soit la tendance du gouvernement fédéral à définir notre communauté de façon régionale et la difficulté de soutenir notre communauté — une obligation du gouvernement du Canada — tout en gérant les relations politiques entre le gouvernement du Canada et celui du Québec. Dans les dossiers à compétence partagée ou dans ceux qui sont délégués au gouvernement provincial — des programmes comme celui des soins à la petite enfance au Québec, qui sont gérés par le gouvernement provincial —, on ne tient à peu près pas compte des besoins particuliers de la communauté anglophone. Je pourrais citer beaucoup d'exemples, mais je vais me contenter d'un seul, qui s'appuie sur des statistiques, et qui touche le transfert des responsabilités liées à la main-d'œuvre il y a au moins sept ou huit ans. D'après un sondage du CHSSN/CROP de 2005, seulement 37 p. 100 des anglophones étaient satisfaits des services d'emploi offerts en anglais dans la région.

Jusqu'à récemment encore, les anglophones du Québec n'avaient pas le réflexe de créer des institutions de la société civile d'une telle importance pour la communauté minoritaire. Nous ne sentions pas le besoin — ou peut-être que nous avons ressenti ce besoin trop tard — de nous mobiliser pour réclamer des organisations qui défendent les droits des jeunes, des femmes et des aînés ainsi que des organisations de juristes. Ces organisations pourraient se développer, mais aucune n'a pris forme de façon durable dans notre communauté.

Nous croyons que pour cette raison, il a été très difficile pour nous d'être présents et de nous faire entendre sur la scène nationale au même titre que les autres, ce à quoi nous aimerions que vous réfléchissiez. Nous avons de la difficulté à réunir des éléments de preuve pour ce qui est de la répartition équitable des ressources. Nos organisations de coordination travaillent toujours simultanément aux niveaux régional et fédéral. Malheureusement, il faut dire que nous ne recevons pas beaucoup de soutien politique du palier provincial.

Enfin — et nous espérons que ce sera le changement le plus facile à apporter —, nous n'avons pas de structure de base nationale qui défendrait nos intérêts.

Je crois comprendre que vous aimeriez poser des questions, et M. Jedwab continuera ensuite.

La présidente : Les questions seront posées à la fin. Nous poursuivons avec le deuxième intervenant.

[Français]

Jack Jedwab, directeur général, Association des études canadiennes, à titre personnel : Je vous remercie de m'avoir invité. Je me sens privilégié d'avoir cette occasion d'échanger avec vous.

[Traduction]

Je tente de faire ressortir le nombre considérable d'anglophones qui peuvent parler français au Québec. On peut facilement suivre cette évolution; on n'a qu'à comparer le niveau de connaissance du français langue seconde il y a quatre ans avec le pourcentage notable de personnes qui parlent français au sein de la communauté anglophone aujourd'hui. La relation entre la démographie et l'identité est un point important. Il existe un lien étroit entre les deux.

Il faut dire ici que, comme Québécois et comme Canadiens, les parents d'enfants anglophones ont tout à fait compris la nécessité pour eux d'apprendre le français. Ils ont mis les ressources en place et adoptent la bonne attitude pour que la transition se fasse. Cependant, il est juste de dire que beaucoup de jeunes anglophones et les anglophones en général ont souvent le sentiment de ne pas appartenir au lieu qu'ils appellent leur chez-soi, qu'ils y soient nés ou non. C'est au cœur des nombreuses difficultés auxquelles fait face la communauté anglophone du Québec, sans compter les divers problèmes décrits par Mme Martin-Laforge, dont certains sont liés à ce sentiment.

Je ne vais pas raconter en détail l'évolution du nombre des anglophones, encore que nous pourrons en parler pendant la période de questions. Toutefois, pour résumer, je dirais qu'entre 1972 et 2006, le nombre d'anglophones au Québec a considérablement chuté, surtout en raison de l'exode des anglophones du Québec vers une autre province sans que la venue au Québec d'anglophones provenant d'autres provinces compense ces pertes. Ces départs sont dus à toutes sortes de facteurs, qui en reviennent pour la plupart à l'incertitude politique. Certains anglophones avaient aussi le sentiment d'avoir de meilleures chances de réussite économique à l'extérieur du Québec, alors ils ont choisi de les saisir. Ces deux raisons ne sont pas sans lien entre elles cependant.

La notion de démographie est étroitement liée à la question de l'identité et à la définition de l'appartenance à la communauté. À l'échelle fédérale, du point de vue de la Loi sur les langues officielles, vous savez sans doute que les anglophones sont définis par la première langue officielle parlée, qui constitue une variable calculée, en un sens, et non une question de recensement. Selon cette définition, il y a environ 900 000 anglophones au Québec. D'après une autre définition, « langue maternelle », la première langue apprise et toujours comprise, il y aurait approximativement 600 000 anglophones au Québec, un écart de 300 000 par rapport à votre définition. Le gouvernement du Québec n'a pas de définition officielle, mais la « langue maternelle » lui sert souvent de base pour définir le nombre d'anglophones.

Le groupe des 300 000 personnes en question est dans une large mesure constitué des personnes de première et de deuxième génération qui considèrent l'anglais comme leur première langue officielle ou comme la langue qu'elles utilisent en milieu de travail et ailleurs. Cependant, une fois encore, il est question de la relation entre la démographie et l'identité et la question à savoir si ces personnes estiment faire partie de la communauté ou non.

Sentir qu'on fait partie intégrante de la communauté dépend souvent du climat qui valorise ou dévalorise l'appartenance à la communauté. Si vous sentez qu'il n'est pas valorisant de faire partie de cette communauté, vous hésiterez à être associé à celle-ci. Il faut aborder cette question de front. Ce n'est pas de la discrimination. En poursuivant ma pensée à ce sujet, je veux m'assurer qu'il n'est pas question d'une certaine forme de discrimination collective à l'égard de la communauté anglophone, mais plutôt de ce sentiment d'attachement ou d'appartenance.

Permettez-moi de soulever deux autres points pour tenter de comprendre. En réfléchissant à la discussion que j'aurais avec vous aujourd'hui, il m'est venu à l'esprit que lorsque nous parlons avec des journalistes ou d'autres leaders d'opinion des problèmes de la communauté anglophone québécoise, on nous accuse souvent de « chialer ». On nous considère comme une minorité qui se plaint malgré ses ressources de grande qualité — les universités, les médias et ainsi de suite — alors qu'il n'y a rien à redire sur sa situation. Par contre, si nous parlons de nos réalisations ou de nos accomplissements et de notre apport historique à la société québécoise, des universités et des autres établissements que nous avons réussi à construire et à rendre essentiels, on nous accuse alors d'être gâtés. C'est sans issue. À mon avis, comme un groupe qui se plaint ou qui parle de sa contribution et déclare ensuite n'avoir aucun problème parce qu'il est gâté pose un défi aux personnes qui veulent faire des observations sur la santé de notre communauté dans toute sa diversité.

Comme il a été dit au début, à propos de l'augmentation du nombre des anglophones — notamment de nos jeunes qui parlent français — nous avons accompli quelque chose qui a été difficile à cerner en l'espace de 30 ans. Sur le globe, rares sont les communautés dans lesquelles le nombre de personnes qui parlent français comme langue seconde est passé d'environ 30 p. 100 à 75 ou 85 p. 100. Malgré cette contribution, qu'on reconnaît rarement ici, beaucoup de personnes ont toujours le sentiment de ne pas faire partie intégrante de la société.

Ce sentiment d'exclusion se manifeste de deux façons. Lorsque certains analystes étudient la question du point de vue du Québec, ils soutiennent que ce sentiment existe parce que les anglophones ne font aucun effort pour raffermir leur sentiment d'appartenance. Par contre, d'autres soutiennent que le Québec n'en fait pas assez pour que les anglophones se sentent inclus dans la société. La position est intenable quand nous présentons la situation des anglophones au Québec et parlons de leur sentiment à l'égard de la société dans laquelle ils vivent.

Bref, il faut mieux comprendre cette question et évaluer comment elle se traduit dans notre vie au Québec du point de vue de l'économie, de l'éducation, de la culture et de la façon dont nous sommes représentés dans les institutions fédérales et provinciales au Québec dans la mesure où nous sommes en position d'avoir une influence.

Par ailleurs, les anglophones et les personnes qui n'ont pas l'anglais pour première langue doivent ouvrir un dialogue à l'échelle du Québec. On n'y prête pas beaucoup attention lorsqu'on parle du besoin de réconciliation, autant au Québec qu'à l'extérieur du Québec, concernant les relations entre les minorités de langue officielle ou les populations majoritaires qui ne font pas partie de la minorité de langue officielle.

Je vous encourage à examiner de près la représentation des anglophones au sein des institutions provinciales du Québec. J'ai l'impression que vous ne serez pas surpris d'apprendre que la présence des anglophones dans le processus décisionnel du Québec, dans la fonction publique et les organismes décisionnels en général, est extrêmement faible. Même dans les institutions fédérales du Québec, j'ose dire que vous observerez une situation semblable.

On peut se demander pourquoi. Il existe une perception selon laquelle pour faire des progrès au Québec sur le plan politique, il faut reconnaître et mettre en valeur la composante française de la société. Il faut communiquer avec elle. Cette conclusion semblerait logique.

Il est évident qu'il faut défendre et reconnaître, pour les besoins de la cohésion nationale, le fait français au Québec et à l'extérieur du Québec. Toutefois, il faudrait y arriver sans minimiser la présence importante de sa communauté anglophone, laquelle doit être reconnue au sens historique du terme, comme population fondatrice de ce pays.

Je vais en rester là et attendre vos questions. Je suis désolé d'aborder davantage l'aspect théorique que l'aspect démographique. Cependant, je suis en mesure de répondre aux questions sur les chiffres. Dans ma déclaration préliminaire, je voulais établir la relation entre les chiffres et le sentiment d'appartenance — les données démographiques de l'identité dans cette province.

La présidente : Merci.

Monsieur Burke, vous avez la parole.

Noel Burke, président, Réseau de recherche sur les communautés québécoises d'expression anglaise, à titre personnel : Je suis heureux d'avoir l'occasion de m'adresser aux sénateurs ce soir. Je suis directeur du Réseau de recherche sur les communautés québécoises d'expression anglaise, qui n'existe que depuis deux ans. Il a été précédé par beaucoup d'autres activités et organisations au sein de la communauté minoritaire anglophone qui a effectué des recherches pendant de nombreuses années.

Ce réseau a été créé dans le but d'améliorer la viabilité et la durabilité de la communauté. Même s'il est faiblement financé, le réseau a pour rôle d'encourager et d'alimenter la recherche sur la communauté québécoise d'expression anglaise dans l'intérêt d'établir et d'affirmer l'identité de cette communauté et de ses membres, ainsi que de formuler des opinions et des positions qui doivent être examinées et adoptées à l'égard de la communauté d'expression anglaise pour l'avenir.

Je vais vous donner un exemple tiré de mon expérience personnelle dans le secteur de l'éducation et poser plusieurs questions sur une préoccupation grandissante concernant l'érosion de la culture de la communauté québécoise d'expression anglaise. Mme Martin-Laforce a fait référence plus tôt à la question, affirmant qu'il s'agissait davantage d'une question de culture que d'une question de langue. M. Jedwab a mentionné un taux de bilinguisme de 75 p. 100. J'ai souvent dit qu'en 40 années d'existence de la Loi sur les langues officielles, nous en sommes devenus le plus beau produit. La question demeure : à quel prix?

Faire de la langue un problème au Québec pour la minorité anglophone au moyen de projets de loi, de programmes éducatifs et de communications a dissimulé l'érosion subtile de ce qui était une culture distincte. Jetons un œil à certains faits nouveaux dans le secteur de l'éducation. Je voudrais parler d'abord des réussites avant d'en venir aux défis. Nous avons le plus grand nombre de diplômés bilingues de la province. M. Jedwab a parlé de cette donnée tout à l'heure. Les anglophones qui choisissent de faire les examens officiels qui s'adressent aux élèves de langue maternelle française obtiennent de meilleures notes que les francophones qui font les mêmes examens. Environ 50 p. 100 de plus d'étudiants de la communauté anglophone obtiennent un diplôme d'études secondaires que ceux de la communauté francophone. Le système d'éducation présente un taux de réussite élevé dont il est très fier.

Le système d'éducation québécois est l'un des plus avancés du monde, en particulier depuis les récentes réformes. J'ai toutefois quelques observations au sujet des écoles anglophones, lesquelles sont les dernières institutions uniquement anglophones de la province de Québec.

Ces 30 dernières années, l'immersion a remplacé l'enseignement de l'anglais dans presque toutes les écoles anglophones. Cela s'est produit à différents niveaux : certains programmes d'immersion comptent 35 p. 100 de cours et certains programmes bilingues en comptent 50 p. 100. Plus préoccupant encore, des programmes intensifs d'immersion comportent jusqu'à 85 p. 100 de cours en français.

Bon nombre d'écoles comportant des programmes d'immersion à 85 p. 100 de cours n'enseignent pas l'anglais avant la troisième année. Le contenu du programme d'immersion française est naturellement celui de la communauté francophone, parce que la majorité des textes utilisés sont les mêmes que ceux utilisés dans le secteur francophone. Dans les manuels scolaires, la nature du problème est telle que les élèves de troisième année dont le français est la langue seconde et qui suivent des cours de mathématiques dans une école anglophone utilisent le même texte en français que celui utilisé par les élèves de troisième année dont le français est la langue maternelle, bien que le français de ces élèves soit en fait leur deuxième langue.

Voici quelques autres développements récents. Actuellement, deux des cinq cégeps anglophones comptent une proportion d'étudiants francophones et allophones de près de 50 p. 100. Le plus grand cégep anglophone de la province a dépassé les 50 p. 100 et approche les 60 p. 100 de francophones et d'allophones. La plupart d'entre eux choisissent cette option afin de maîtriser l'anglais, parce qu'ils n'ont pas eu cette possibilité avant les études postsecondaires.

Je vous donne ces exemples non pas pour me faire du capital politique, mais pour montrer que des recherches dans ce domaine sont vraiment nécessaires, notamment pour évaluer les effets des programmes d'immersion sur la communauté anglophone et pour influencer, souhaitons-le, les politiques, les programmes d'enseignement, les communications et l'opinion médiatique sur ces questions. On sait tous que le gouvernement fédéral, tout comme le Sénat, exerce une influence au Québec à propos de ces questions mais n'a pas le pouvoir d'intervenir directement.

Ce que j'aimerais faire ressortir cet après-midi, c'est que les recherches sont un moyen d'informer le public, de dissiper les idées fausses et de rétablir les faits, mais surtout, qu'elles peuvent être l'élément déclencheur d'une analyse, d'un réexamen et d'une réforme des politiques. Il y a un besoin pressant d'exercer une influence en faveur des recherches sur la communauté anglophone du Québec. On pourrait reconnaître beaucoup de problèmes soulevés ici et accomplir de nombreux progrès dans la communauté anglophone en affectant de nouveaux fonds à la recherche sur la communauté anglophone du Québec et, dans une large mesure, à des études comparatives correspondant à celles qui ont déjà été menées dans les communautés francophones hors Québec. QUESCREN travaille en collaboration avec l'organisme qui le chapeaute, l'Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques de l'Université du Nouveau-Brunswick.

Voilà ce qui nous préoccupe. Mesdames et messieurs les sénateurs voudront peut-être examiner ces questions dans le contexte de la recherche qui est nécessaire pour appuyer nos opinions et nos questions. C'est ainsi que je termine mon exposé.

[Français]

Le sénateur Fortin-Duplessis : J'aimerais tout d'abord remercier nos trois témoins d'avoir accepté d'intervenir devant notre comité. Ma première question s'adresse à M. Jedwab.

Monsieur Jedwab, je suis extrêmement préoccupée par la santé. Vous avez publié, en 2004, un rapport pour le Commissariat aux langues officielles intitulé Vers l'avant : l'évolution de la communauté d'expression anglaise du Québec.

Une de vos conclusions traite de l'accès aux services sociaux et de santé en anglais. Pour ce qui est de l'accessibilité aux services de santé, croyez-vous que les choses se passent bien pour la minorité anglophone aujourd'hui?

J'aimerais entendre vos commentaires là-dessus.

[Traduction]

M. Jedwab : Les opinions sont diversifiées à ce sujet. À mon avis, la situation varie d'un bout à l'autre de la province. Dans certaines régions, l'accès aux soins de santé est meilleur. À Montréal, de façon générale, je ne dirais pas qu'il y a un problème important d'accès aux soins de santé attribuable à la langue, comparativement à l'ensemble de la population. Cependant, à l'extérieur de Montréal, toujours selon la proportion d'anglophones de chaque région, il existe des inégalités dans les services.

Cela dit — et j'imagine qu'il y a des experts qui en savent davantage sur la situation dans les différentes régions —, je crois qu'il existe une volonté de faire en sorte que ces services soient plus accessibles aux anglophones. Je sais que mon point de vue risque de susciter le désaccord, mais j'ai l'impression que ce n'est pas une question de manque de volonté d'assurer ces services. Il y a des endroits où la proportion de gens concernés est plus faible et où il est plus difficile d'assurer de tels services. Je ne crois pas que c'est un problème pour la majeure partie de Montréal.

J'ai entendu des gens dire qu'ils avaient de la difficulté à obtenir des services dans leur langue quand ils appelaient les services d'urgence. Je n'ai pas vécu cette situation lorsque j'en ai fait l'expérience. Mais ce n'est pas très scientifique. Une quantité assez importante de documentation a été produite à ce sujet, que vous pourriez consulter. La conclusion générale est qu'à l'extérieur de Montréal, où la proportion d'anglophones est plus faible, la situation est plus difficile.

M. Burke : J'ajouterais que l'accès à ces services et l'intégration des services sont particulièrement problématiques dans les écoles. Un des projets que vous pourriez examiner en septembre est le réseau des Community Learning Centres, qui a été établi il y a environ quatre ans grâce au financement de l'entente Canada-Québec relative aux langues officielles. L'objectif de ces centres d'apprentissage, en tant qu'institution, était de susciter l'engagement de groupes communautaires dans les écoles pour fournir un centre d'accès aux services. Certaines écoles ont obtenu de bons résultats, mais d'autres non.

La réponse est partagée, mais il y a assurément d'excellentes possibilités d'améliorer l'accès aux services pour les anglophones grâce au réseau des Community Learning Centres. Les sénateurs pourraient explorer cette option intéressante pour l'accès aux services, qu'il s'agisse des soins de santé ou des services sociaux, communautaires ou culturels.

[Français]

Le sénateur Rivard : Le dernier recensement révèle que dans la région de Québec, environ 4 p. 100 de personnes sont soit anglophones, soit allophones. Croyez-vous que ce pourcentage de la population de Québec est bien desservi lorsqu'elle s'adresse à des services gouvernementaux, tant au provincial qu'au fédéral, qu'il s'agisse de services fiscaux ou autres?

Recevez-vous à l'occasion des plaintes de la part d'anglophones ou d'allophones dans la région de Québec?

[Traduction]

Mme Martin-Laforge : Le QCGN n'est pas un bureau des plaintes. Il nous arrive d'entendre dire que des gens ont de la difficulté à se faire servir ou à obtenir du bon service. À l'échelle provinciale, il y a des services dont la responsabilité a été transférée à la province — j'ai parlé des services d'emploi tout à l'heure — et qui font l'objet de plaintes; par exemple, certaines proviennent de jeunes qui essaient de se trouver un emploi par l'entremise d'Emploi-Québec. Il y a un organisme qui s'appelle Services d'emploi pour les jeunes et qui offre des services à l'extérieur de Montréal. Son mandat est provincial, mais il ne possède pas les ressources pour aider les jeunes de la Gaspésie ou des Îles de la Madeleine à se trouver un emploi.

Dans certaines provinces, les plaintes sont généralisées. Bon nombre des programmes que le gouvernement fédéral a confiés aux provinces n'ont pas de procédures d'évaluation. Nous n'en entendons pas parler. Nous ne pouvons pas obtenir de chiffres exacts pour connaître précisément les conséquences de leur transfert sur la qualité du service. Un de ces services, comme je l'ai mentionné, est le service d'emploi.

J'ai une précision à faire pour les sénateurs. J'ai mentionné dans mon exposé qu'un sondage avait été mené conjointement par le RCSSS et CROP en 2005. Il y en a eu un également en 2000, et un autre a été mené tout récemment en 2010. Nous espérons être en mesure de vous fournir certains résultats avant votre visite au Québec afin que vous puissiez constater le travail qui a été accompli à long terme.

Le sondage s'est terminé à la fin de mars. On en est actuellement à mettre de l'ordre dans les données, si je puis dire, donc elles seront probablement mises à votre disposition avant votre visite. Vous obtiendrez ainsi plus de détails sur les services, parce que de nombreuses questions du sondage portaient sur les services, et pas uniquement les services de santé, mais les autres aussi.

[Français]

Le sénateur Rivard : Vous êtes sans doute au courant de l'existence du projet de loi C-232, qui est l'obligation pour les juges de la Cour suprême d'être bilingues et de pouvoir s'exprimer dans les deux langues officielles.

Croyez-vous que ce sera un irritant majeur pour des juges de la Cour Supérieure et de la Cour d'appel qui sont compétents, mais qui ne sont pas parfaitement bilingues? Est-ce que cela va causer un problème?

[Traduction]

Mme Martin-Laforge : Le QCGN dispose d'un comité de référence juridique, qui est présidé par l'honorable Pierrette Sévigny. Au nom de notre communauté, le QCGN a envoyé une lettre pour appuyer la requête en faveur de juges bilingues. Cette question a fait l'objet de discussions au sein de notre comité de référence juridique et ne semblait pas causer de problème. Je ne veux pas parler au nom de tout le groupe, mais ça ne semblait pas causer de problème. Je crois que tout le monde s'est entendu sur le fait que les juges bilingues sont un élément important pour assurer l'équité et faire en sorte que les Québécois et les francophones en dehors du Québec puissent se rendre jusqu'en Cour suprême.

[Français]

Le sénateur Rivard : Vous savez que le projet de loi dit bien qu'il faut que ce soit des juges bilingues et qu'il pourrait ne pas y avoir d'interprétation simultanée. Vous ne voyez pas de problème parmi les futurs juges de la Cour supérieure, de la Cour d'appel ou les futurs juges de la Cour suprême? Vous ne voyez pas non plus de problème pour la communauté anglophone?

[Traduction]

Mme Martin-Laforge : Comme je l'ai mentionné, monsieur le sénateur, nos membres sont bilingues, donc de sa perspective, le comité n'y a pas vu de problème. Évidemment, je ne peux pas l'affirmer en toute certitude. Je peux seulement dire que le comité a estimé qu'il était tout à fait approprié que le QCGN envoie cette lettre au Sénat.

Le sénateur Champagne : Quand mon collègue a parlé d'un projet de loi, j'ai cru qu'il allait parler du projet de loi 103 au Québec, qui a été déposé vers le 2 juin et qui vise à abolir ce que nous appelons les écoles passerelles ou à en diminuer les effets. J'essaie toujours de me faire une idée à savoir si ce projet de loi améliorera les choses ou non.

Monsieur Jedwab, vous avez dit que 75 à 80 p. 100 des étudiants sont maintenant bilingues.

Monsieur Burke, vous avez mentionné que, dans les principaux cégeps anglophones, plus de 50 p. 100 des gens sont soit francophones ou allophones.

Monsieur Jedwab, dans l'étude citée par mon collègue, vous dites que la connaissance de l'anglais et du français est considérée comme un élément crucial de l'avancement économique des anglophones du Québec. Je suis tentée de dire qu'elle est considérée comme un élément crucial de l'avancement économique des francophones du Québec également.

Quand vous me dites que 75 à 80 p. 100 des étudiants anglophones sont maintenant bilingues, c'est-à-dire qu'ils parlent français, je continue de m'inquiéter au sujet de ce qui se passe avec les francophones, du fait qu'on ne les laisse pas apprendre l'anglais assez bien ni assez tôt. J'imagine que nous souhaitons tous ce qu'il y a de mieux pour nos jeunes, que tous ceux de la nouvelle génération deviennent bilingues. Qu'en pensez-vous? Est-ce que ça serait utile dans vos communautés?

M. Jedwab : Est-ce une question au sujet du projet de loi 103 ou du bilinguisme en général? Je ne suis pas certain.

Le sénateur Champagne : Je m'intéresse au fait que le projet de loi 103 pourrait avoir pour conséquence de réduire le bilinguisme chez les francophones ou chez les allophones d'origine.

M. Jedwab : Je crois que j'en ai parlé dans le rapport et dans des rapports subséquents que j'ai produits pour la commission ou pour le ministère du Patrimoine canadien. Si vous regardez les statistiques, il est intéressant de constater que les francophones ont tendance à apprendre l'anglais lorsqu'ils sont sur le marché du travail, et qu'ils le font davantage où il y a une concentration d'anglophones, que ce soit à Montréal ou dans les Cantons de l'Est. Dans une certaine mesure, ils ont tendance à apprendre l'anglais dans la région de Québec également.

Comme vous l'avez fait remarquer, les anglophones apprennent le français surtout à l'école, puis ils continuent de l'utiliser sur le marché du travail.

Je trouve néanmoins votre observation intéressante. Il est vrai qu'un pourcentage assez élevé de francophones apprennent l'anglais à la fin de leur adolescence ou au début de la vingtaine, puis sur le marché du travail, mais ça demeure inégal. Dans certaines régions du Québec, particulièrement à l'extérieur de Montréal, on remarque des inégalités là où de grandes proportions de francophones n'apprennent pas l'anglais parce qu'ils ne sont pas en contact avec la langue ou n'ont pas l'occasion de l'utiliser où ils habitent.

Pour faire suite aux propos de M. Burke, certains cégeps, comme les établissements du Collège Champlain, sont officiellement anglophones. Les campus de Lennoxville, de Québec et St. Lawrence sont anglophones, mais la majorité de leurs étudiants sont francophones. Ce sont des francophones qui décident de s'inscrire dans des cégeps anglophones afin d'apprendre l'anglais, étant donné qu'ils ne sont pas en contact avec des anglophones.

Dans tous les sondages auxquels j'ai participé où l'on a demandé à des francophones s'ils aimeraient apprendre l'anglais et s'ils croient qu'il est important d'apprendre l'anglais, on constate qu'ils sont très enclins à le faire. En revanche, bien que la plupart des anglophones de l'extérieur du Québec attachent une certaine importance à la connaissance du français langue seconde, ils n'y accordent pas autant de valeur que les francophones du Québec à l'égard de l'anglais langue seconde. Voilà la tendance générale.

Il ne sera pas aisé de faire valoir ces opinions pour instaurer des politiques au Québec, dans la mesure où le Québec cherche, à juste titre, à protéger la langue française et ce qu'elle représente. Il est intéressant de constater que le bilinguisme a la cote au Québec, mais que du point de vue politique, on ne considérera jamais le bilinguisme comme une valeur.

À Montréal, on dit que le bilinguisme est un facteur de risque plutôt qu'un atout. Par contre, quand les dirigeants politiques du Québec voyagent à l'étranger, ils parlent du bilinguisme comme d'un atout pour Montréal et pour le Québec, et non d'un risque pour la population francophone. S'il y a trop de bilinguisme, on suppose qu'il n'y aura plus d'équilibre, et que l'anglais pourrait prendre trop de place. C'est un débat qui revient souvent dans les médias montréalais.

Permettez-moi de revenir en arrière rapidement. Vous avez parlé du projet de loi 103. Je ne vous dirai pas ce que je pense du projet de loi 103. Ça ressemble probablement à ce que vous avez dit. En fait, je ne suis pas certain que ce soit une bonne chose, et je vais probablement entendre beaucoup d'opposition chez certains de mes collègues anglophones.

Ce qui m'inquiète systématiquement — je me souviens que Mme Martin-Laforge et moi en avons déjà discuté —, c'est la teneur du débat entourant ces questions quand nous avons engagé des discussions avec le Québec, débat qui peut être très stigmatisant pour beaucoup d'anglophones. Si l'on croit que le système scolaire anglophone mérite qu'on l'appuie, il n'en demeure pas moins qu'il est très difficile de faire valoir ce point et d'avoir un débat sain à propos de ces questions au Québec.

L'impact que peuvent avoir d'honorables sénateurs sur cette réalité ne m'apparaît pas clairement, mais cette dernière illustre bien ce que j'ai dit précédemment à propos du sentiment d'appartenance et de l'inclusion quand vient le temps de parler de ces questions. Quand le débat a été entamé, j'ai dit à Mme Martin-Laforge que les anglophones n'avaient rien à gagner et tout à perdre. Le simple fait d'engager ce débat ouvrira la porte à toutes sortes de rhétoriques et de discussions politiques qui auront une incidence négative sur la communauté anglophone, en plus de ramener la question de la minorité gâtée et plaignarde qui pourtant s'en sort si bien.

M. Burke : Si vous me permettez, madame le sénateur, le projet de loi 103 ne change pas grand-chose. Il ferme la porte à peut-être 400 ou 500 étudiants dans l'ensemble de la province mais, plus important encore, il ne touche à peu près pas à la législation sur les langues officielles. Je pense que nous avons tous bien saisi ce que vous voulez dire.

L'insatisfaction prend de l'ampleur dans la communauté francophone. Je parle des parents qui ont des enfants à l'école et avec lesquels j'ai eu l'occasion de parler au fil des ans. Ils se disent préoccupés par l'incapacité de leurs enfants à devenir parfaitement bilingues avant la fin de leurs études. Vous avez peut-être entendu parler du programme Bain linguistique, qui consiste à éliminer toutes les heures d'instruction en anglais en quatrième et cinquième année du primaire des écoles francophones pour ensuite fournir une instruction intensive en sixième année.

Il y a des efforts qui sont faits, et ce, malgré la législation et les nombreuses interventions des parents, mais ils ne touchent pas à la sphère politique pour certaines des raisons mentionnées par M. Jedwab. Il est très mal vu et très stigmatisant — M. Jedwab a choisi le bon mot — que des gens s'engagent publiquement dans le débat linguistique. Les gens sont préoccupés par le manque d'occasions, mais en même temps, un nuage politique plane au-dessus de la tête de ceux qui souhaitent un débat public.

Le sénateur Champagne : Je me considère extrêmement chanceuse. Mes deux enfants ont fait leur primaire et leur secondaire en français. Mon fils a ensuite étudié à Dawson et à Ryerson. Ma fille, après Jean-de-Brébeuf, a étudié à Concordia, tout comme vous, monsieur Burke. Elle a été très bien accueillie. Tous deux ont obtenu un diplôme avec distinction et sont parfaitement bilingues, ce qui me rend très fière.

Le sénateur De Bané : Il y a un sujet sur lequel j'inviterais chacun de vous à me donner son évaluation. Nous savons tous que nous vivons à l'ère des communications. Êtes-vous satisfaits de la façon dont le réseau français de Radio- Canada couvre la communauté anglophone du Québec?

La société CBC/Radio-Canada est actuellement en audience devant le CRTC pour faire valoir qu'à l'exception des campagnes électorales, où elle peut mesurer avec précision la couverture linguistique, elle n'a aucune façon de savoir si elle remplit bien son mandat de donner un point de vue équilibré et diversifié.

Tout dépend, bien entendu, de quel côté on se place. Vous qui connaissez bien la communauté anglophone au Québec, dites-moi honnêtement — avec une honnêteté brutale — ce que vous pensez de la façon dont Radio-Canada couvre votre communauté au Québec.

Mme Martin-Laforge : Mesdames et messieurs les sénateurs, c'est justement pour être d'une franchise brutale que j'ai invité Guy Rodgers, qui est juste derrière moi, à venir vous parler. Je peux bien vous dire ce que j'en pense, mais ce n'est de toute évidence pas dans mon champ d'expertise. Cependant, nous aimerions parler de la diversité régionale et de la CBC/Radio-Canada. Cela vous convient-il?

La présidente : Oui.

Le sénateur De Bané : Absolument.

Guy Rodgers, Directeur général, English Language Arts Network : Bonsoir. Merci pour cette question. Je vais commencer par parler du radiodiffuseur national. Si vous n'y voyez pas d'inconvénient, je parlerai un peu de la radiodiffusion et de la représentation en général.

L'ELAN, l'English Language Arts Network, a été créé il y a environ cinq ans pour représenter les artistes de langue anglaise du Québec. Nous essayons de faire le pont et de représenter la grande communauté artistique, culturelle et patrimoniale.

Au cours des dernières années, nous avons fait des recherches pour préparer la présentation au CRTC; notre communauté n'avait pas fait ce travail depuis 10 ou 15 ans. Bien entendu, quand on n'est pas présent, qu'on n'examine pas les résultats ou qu'on ne les remet pas en question, on n'obtient pas grand-chose. Par notre manque de vigilance, il y a eu un déclin dans les services offerts par les radiodiffuseurs nationaux.

La CBC, le radiodiffuseur régional de langue anglaise, n'offre qu'une mince programmation à la communauté anglophone du Québec, en partie à cause des contraintes budgétaires. Il y a quelques années, elle avait pour politique de ne pas envoyer d'équipe à l'extérieur de l'île pendant l'hiver parce que les véhicules n'étaient pas munis de pneus d'hiver. Donc, pendant tout l'hiver, aucune équipe n'allait même à Longueuil ou à Laval. Or, nous avons quelques communautés qui vivent loin du centre-ville de Montréal.

Les bureaux de Radio-Canada se trouvent dans le même édifice. En fait, l'édifice appartient à la SRC. Il n'appartient pas à la CBC, qui y loue ses locaux. La société ne semble guère intéressée à servir la communauté anglophone, à refléter sa réalité, à en parler ou à parler en son nom. Il y a quelques années, un documentaire d'une heure a été réalisé sur la communauté artistique, et ça a été un événement. C'est extrêmement rare que ça arrive.

Les services offerts par les deux radiodiffuseurs nationaux sont limités au minimum, voire inexistants. Nous n'avons pas, au Québec, de canal éducatif comme TVO. Télé-Québec ne présente aucune production de langue anglaise et n'en présentera probablement jamais. Dans les années 1970 et 1980, nous avions une télévision communautaire.

Tous les abonnés à la télévision payent un petit montant qui va aux radiodiffuseurs communautaires. Quatre-vingt- treize pour cent des anglophones souscrivent à Vidéotron, qui offre un canal communautaire appelé VOX. Cependant, Vidéotron s'est porté acquéreur de ce canal câblé de télévision communautaire de langue anglaise il y a environ 13 ans, mais n'a jamais fourni de services en anglais durant toute cette période.

Dans nos recherches pour le CRTC, nous avons constaté un énorme non-sens; les abonnés paient pour un service communautaire mais ne reçoivent aucun service. Nous avons tenté de discuter avec Vidéotron. Personne n'a retourné nos appels et l'entreprise ne semble avoir aucune politique d'ouverture ou de discussion, bien qu'elle ait affirmé aux commissaires du CRTC qu'elle n'avait pas de politique d'exclusion. Cependant, elle semble avoir une politique du silence.

Pour résumer, nous n'avons aucune attention du radiodiffuseur national. Quand ça arrive, c'est presque exclusivement sur l'île de Montréal. Il y a quelques centaines de milliers d'anglophones dans des régions éloignées du Québec qui ne reçoivent aucune attention. Nous n'avons pas de canal éducatif, et nous n'avons pas de canal communautaire. Nous avons fait savoir très clairement au CRTC que nous avions besoin d'une certaine visibilité régionale pour notre communauté au Québec.

J'espère que ça répond à votre question.

Le sénateur De Bané : Votre portrait de la situation est on ne peut plus complet et éloquent.

Je me demande si M. Jedwab, M. Burke et Mme Martin-Laforge veulent nous faire part de leur opinion personnelle sur la façon dont Radio-Canada — et la CBC aussi, si vous voulez — couvre la communauté anglophone du Québec.

M. Jedwab : Je ne pense pas que la façon dont elle couvre la communauté anglophone du Québec ait une quelconque importance. Toutefois, ces observations se fondent sur mon expérience personnelle seulement. J'écoute beaucoup Radio-Canada et RDI. En fait, je suis plutôt accro de ces stations, que ce soit pour les bulletins de nouvelles ou pour les autres émissions amusantes qu'elles diffusent.

Je regarde aussi les bulletins de nouvelles anglais de la CBC. Si l'on regarde l'ensemble de la province de Québec, l'audience est extrêmement faible pour la branche anglaise de la CBC. Dans le marché des nouvelles, c'est CTV, un radiodiffuseur privé de Montréal, qui domine.

Cependant, ce n'est pas ce que vous avez demandé. Pourriez-vous répéter votre question?

[Français]

Le sénateur De Bané : Est-ce qu'on peut dire que, tout compte fait, pour Radio-Canada, la communauté anglophone du Québec n'existe pas, on ne la couvre pas?

M. Roger : En quelque sorte, oui.

M. Jedwab : Je ne dirais pas qu'aucune couverture n'est faite sur la communauté anglaise. Toutefois, elle est plutôt rare. Lorsque je vois quelque chose sur les anglophones, je suis très étonné et me demande ce qui se passe.

Ceci étant dit, je n'ai pas mesuré cela en fonction du pourcentage de contenu anglophone parce que je ne regarde pas Radio-Canada dans ce but.

Le sénateur De Bané : Je vous remercie.

[Traduction]

M. Burke : J'aimerais partager une anecdote avec vous. Je suis d'origine irlandaise. À la télévision britannique et dans les productions dramatiques, le méchant est toujours un Irlandais. Je ne regarde pas RDI autant que M. Jedwab, mais je suis tombé quelquefois sur des comédies de situation où l'on stéréotypait les anglophones, ce que j'ai trouvé troublant. Il faudrait peut-être creuser la question.

M. Rodgers : Nous discutons actuellement avec le bureau régional de la CBC à propos de certaines émissions que nous aimerions voir d'ici un an ou deux. Toutes les décisions du bureau régional se prennent à Toronto. Cet été, la société présente un peu de programmation locale. C'est assez inhabituel. C'est la première fois qu'elle fait cela depuis bon nombre d'années. Nous nous sommes demandé si ce n'était pas en raison du renouvellement prochain de sa licence. Sans vouloir être cyniques, c'est une drôle de coïncidence.

Le sénateur De Bané : Monsieur Burke, vous nous avez parlé de certaines réalisations dont vous êtes très fier, et avec raison. L'une de ces réalisations est que le taux de décrochage au secondaire et au cégep est inférieur dans les écoles anglophones à celui des écoles francophones. Ai-je bien compris?

M. Burke : C'est exact.

Par ailleurs, la couverture médiatique à l'époque a démontré que ce phénomène était attribuable au niveau de pauvreté dans la communauté francophone. Or, j'ai participé à des études informelles qui ont permis de démontrer que même les élèves anglophones des milieux défavorisés de Montréal — où l'étude a été réalisée — comme Hochelaga- Maisonneuve, réussissaient mieux. La raison qui a été donnée publiquement pour expliquer les différences dans les taux de graduation ne tenait pas la route.

M. Jedwab : Il faut être prudent dans notre analyse, quand on examine la problématique en fonction des sexes. On sait qu'elle est plus aiguë chez les garçons que chez les filles.

M. Burke : Absolument.

M. Jedwab : Je le précise parce que j'ai remarqué que les jeunes hommes francophones choisissent souvent l'école des métiers.

M. Burke : Exactement. En fait, j'ai parlé de « diplôme d'études secondaires ». Les écoles secondaires du Québec offrent quatre types de certificats pouvant être obtenus dès la troisième ou quatrième année du secondaire, comme c'est le cas pour l'attestation d'études professionnelles, par exemple. Ces certificats sont comptabilisés dans le taux de diplomation. Cependant, la grande majorité des anglophones n'envisage pas cette possibilité. Environ 12 p. 100 des anglophones suivent un programme d'études professionnelles, qui constitue en fait un diplôme d'études secondaires.

M. Jedwab : Au risque de me répéter, il ne faudrait pas tirer des conclusions erronées à propos de cette situation ni faire des liens avec la situation économique des différentes communautés.

Selon un récent sondage auquel j'ai pris part, un francophone sur trois au Québec attache de l'importance à un diplôme universitaire, contre un sur deux anglophones. Pour les allophones, deux sur trois y accordent une grande importance et estiment que c'est la clé de la réussite. Les francophones, notamment les jeunes hommes, finissent souvent par obtenir un certificat professionnel — c'est probablement l'une des plus fortes proportions au Canada et ces emplois peuvent être très rémunérateurs : quiconque a fait des rénovations domiciliaires sait qu'il n'est pas facile de nos jours de dénicher un bon électricien ou plombier, et que leurs services sont chers.

Le sénateur De Bané : L'automne dernier, l'ancien premier ministre Jacques Parizeau a noté avec beaucoup de regret que le taux de décrochage dans les écoles francophones du Québec est le double de celui des écoles anglophones. Il a ajouté que ce fait le dépassait, parce que nous entrons dans l'ère du savoir. Il n'avait aucune crainte pour ceux qui réussiront leurs études, car ils sont certains de réussir aussi dans la vie, mais le nombre immense de décrocheurs est très troublant.

M. Jedwab : Le gouvernement actuel a commandé un rapport à l'échelle de la province — le rapport Ménard — qui cerne ce phénomène qui a donné lieu à une série de conclusions visant à remédier à cette situation chez les francophones. Toutefois, une question de valeur est à la base de ce phénomène, dimension à laquelle il faudrait porter une plus grande attention.

D'autre part — et je prie les sénateurs de ne pas négliger cet aspect —, bon nombre de ces anglophones dont parle M. Burke, ceux qui achèvent leurs études secondaires puis vont à l'université, peuvent connaître des difficultés ou ne pas voir leurs attentes comblées dans le domaine économique. Dans les agences de placement, vous rencontrerez un certain nombre d'anglophones détenant des diplômes universitaires qui éprouvent de la difficulté à trouver un emploi en rapport avec leur niveau d'études. Ceux qui ont des attentes moins élevées peuvent trouver un emploi de personne de métier, tandis que ceux qui détiennent un certificat professionnel peuvent voir leurs attentes comblées. Il serait bon de ne pas perdre de vue ces aspects.

M. Burke : Pour en finir avec ce point, l'augmentation au niveau de la formation professionnelle s'observe surtout chez les étudiants qui quittent le cégep et prennent conscience qu'aucun emploi ne les attend.

Le sénateur Champagne : Vous dites que beaucoup d'anglophones détenant un diplôme universitaire ne trouvent pas le genre d'emploi auquel ils aspireraient en temps normal. La raison en est-elle qu'ils ne sont pas bilingues?

M. Jedwab : Je crois que la langue y est pour quelque chose, bien qu'on note un fort taux de connaissance linguistique chez les anglophones.

J'ai vu des études qui donnent à penser que la capacité de rédiger en français est une difficulté véritable pour bon nombre de diplômés universitaires anglophones. La capacité d'écrire est un problème général, mais en l'occurrence, il s'agit d'une difficulté véritable qui est de nature à entraver la recherche d'un emploi rémunérateur dans certains domaines précis. Ces derniers temps, j'ai vu pas mal de rapports sur cette réalité, qui peut limiter la mobilité professionnelle. Ce problème n'est pas facile à surmonter. Cela est tout aussi vrai des francophones qui ne savent pas écrire en anglais, et qui peuvent eux aussi avoir besoin de cette compétence dans certains postes au Québec s'ils souhaitent avancer sur le plan professionnel. J'ai entendu des anecdotes à ce sujet.

L'exigence d'un bilinguisme complet et fonctionnel peut constituer un obstacle. Les anglophones — qui représentent un groupe très diversifié — ont beaucoup progressé dans leur capacité de communiquer en français. Nous n'avons guère abordé la question de l'immigration, qui relève du Québec, en dehors de l'aspect humanitaire. Certains immigrants viennent au Canada en vertu de considérations d'ordre humanitaire. Le nombre d'immigrants anglophones au Québec est plus grand qu'on ne le suppose. On les oriente vers des établissements francophones pour apprendre la langue, ce qui est un objectif légitime et valide s'ils souhaitent devenir bilingues. Mais ils sont fondamentalement coupés de la communauté, de sorte que la communauté anglophone a de la difficulté à leur assurer un soutien institutionnel. Ils se retrouvent en fin de compte dans des bureaux de placement — comme les Services d'emploi pour les jeunes, que je vous conseille de visiter quand vous irez à Montréal. À mesure qu'ils acquièrent des compétences en français, ils ont souvent peine à s'adapter sur le plan économique, ce qui est vrai aussi de notre population immigrante globale, même si elle a une solide formation scolaire.

Mme Martin-Laforge : Que ce soit au niveau secondaire ou postsecondaire, les réseaux sont importants lorsqu'on recherche un emploi ou qu'on discute de professions. Nous nous en remettons toujours à notre réseau dans notre recherche d'un emploi. Les jeunes qui fréquentent l'école anglaise disposent de certains réseaux. Les immigrants ont tendance à se rattacher à la communauté anglophone, mais ils ont fréquenté l'école française parce qu'ils y sont obligés. Parfois, ils sont coupés des réseaux susceptibles de les aider à trouver un emploi. Nous connaissons l'importance des compétences et de la connaissance de la langue, mais l'essentiel, souvent, ce sont les gens que l'on connaît, la composition du réseau, la façon dont la recommandation professionnelle est faite. La notion de l'équité en matière d'emploi, pour un jeune allophone ou un anglophone qui se lance sur le marché du travail, a à voir avec les gens avec lesquels il est allé à l'école et avec ceux qu'il connaît dans le milieu des entreprises ou des affaires. Nos jeunes anglophones disent souvent qu'ils ont de la difficulté à trouver un emploi. La raison peut en être leur connaissance de la langue, mais c'est parfois aussi les réseaux et toute cette notion d'équité en matière d'emploi : comment trouve-t-on un emploi? Qui connaissez-vous au sein d'une entreprise? Qui sont vos mentors, vos champions? C'est parfois ce qui manque dans la quête d'un emploi.

M. Jedwab : Il y a quatre ans environ, j'ai réalisé une étude importante pour les Services d'emploi pour les jeunes. J'ai organisé une série de groupes de réflexion où j'ai demandé à beaucoup de ceux qui faisaient appel à une agence quelle était, selon eux, la meilleure méthode pour trouver un emploi. Ils avaient cinq choix : famille et amis, Internet, services de placement fédéraux, services de placement provinciaux ou petites annonces dans les journaux. La réponse, en très forte proportion, a été famille et amis. C'est ce qu'ont répondu la plupart des gens qui ont rempli le questionnaire.

J'ai rencontré certains des répondants personnellement pour aller plus loin avec eux dans ma quête d'information, et je me suis aperçu qu'ils reproduisaient le réseau qu'ils possédaient déjà. Si par exemple leur oncle était gérant à Wal- Mart, ils obtenaient un emploi à Wal-Mart — notez bien que je ne dis rien de mal contre les emplois à Wal-Mart. C'était souvent ainsi que les choses se passaient. Quand vous traitez de la communauté anglophone — notamment à Montréal, où il existe une grande diversité —, il faut savoir que chaque groupe se compose d'un nombre appréciable de Québécois de première et de deuxième générations. Il existe aussi une forte proportion de minorités visibles. Même si on n'y porte pas la même attention, la communauté anglophone de Montréal ressemble d'une certaine façon à la communauté anglophone de Toronto sous l'angle de la diversité des gens qui s'y identifient et qui ont recours à ses institutions. Et pourtant, la communauté anglophone n'a pas la réputation de recevoir ou de bien accueillir ces immigrants. C'est un défi de taille.

Le Quebec Community Groups Network a fait connaître sa position : il souhaite établir un partenariat avec le gouvernement fédéral et le gouvernement du Québec pour aider les immigrants anglophones à s'insérer et à s'adapter — en pleine connaissance de la nécessité d'apprendre le français, comme l'ont démontré les leaders de la communauté à l'égard de l'apprentissage du français par les jeunes — tout en maintenant des liens avec la communauté. Le problème, c'est que la question est trop souvent perçue comme une situation à somme nulle, c'est-à-dire que l'immigrant qui se tourne vers la communauté anglophone est considéré comme un francophone de moins, comme un membre de moins de la communauté francophone du Québec.

La présidente : Je m'excuse, monsieur, mais le temps passe vite. Il nous reste tout juste 12 minutes, et trois sénateurs souhaitent poser des questions. Comme nous devons finir à 19 heures, nous demandons que les questions et les réponses soient concises.

Le sénateur Tardif : Je suis une francophone vivant en situation minoritaire en Alberta, et je n'ai donc aucune peine à comprendre bon nombre des sentiments que vous exprimez à titre de représentant de la minorité anglophone au Québec. Je suis consciente toutefois que votre situation est très différente de la mienne. Vous constituez une minorité qui est une majorité à l'échelle nationale, tandis que je demeure membre d'une minorité sur le plan national. Il est souvent difficile, dans ma province, de poursuivre un débat public sur cette question.

Les observations de M. Jedwab sur les liens entre les nombres et l'identité démographique m'ont beaucoup intéressée. Pourriez-vous développer cet aspect, en particulier le fait que 75 à 80 p. 100 des étudiants et de la population générale anglophones s'expriment bien en français? Pourquoi n'ont-ils pas un sentiment d'appartenance, puisqu'ils peuvent communiquer sans difficulté avec la société environnante? Pouvez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet?

M. Jedwab : La situation des anglophones au Québec est sensiblement différente de celle des francophones à l'extérieur du Québec. Ici encore, on observe des variations. Les communautés des anglophones à l'extérieur de Montréal sont plus vulnérables, tandis que les francophones au Nouveau-Brunswick sont en meilleure posture que les francophones des autres communautés à l'extérieur du Québec.

Je ne crois pas — et ce que je dis vaut sans doute pour beaucoup d'anglophones — que je sois exposé à la perte de l'anglais. Je n'ai aucune peur de perdre ma langue, ce qui est manifestement une grande crainte de beaucoup de francophones à l'extérieur du Québec. Je tiens à établir cette distinction. Un sentiment d'appartenance ne se manifeste pas uniquement par la crainte de la perte de la langue, mais aussi d'autres façons.

Pour répondre en quelques mots, les jeunes anglophones qui ont appris le français n'ont pas l'impression d'être véritablement représentés dans les institutions de la province, par exemple les médias, dont a parlé le sénateur De Bané. Ils n'ont pas le sentiment d'exister dans ce qu'on pourrait qualifier au Québec de grands médias, dans les grandes institutions culturelles dont M. Rodgers a parlé. Ils ne se sentent pas représentés dans le processus décisionnel, dans la fonction publique ou dans les institutions fédérales au Québec. Ils ne se sentent tout simplement pas représentés.

Tout comme M. Burke et Mme Martin-Laforge, j'ai eu la chance d'être nommé à des postes au sein de différents organismes gouvernementaux. M. Burke a été sous-ministre adjoint au ministère de l'Éducation au Québec. J'ai toujours été un peu étonné, assis à une table avec 18 personnes au sein d'un organisme gouvernemental, qu'ils me demandent de leur faire connaître les sentiments et les opinions non seulement de la population anglophone du Québec, mais aussi des non-francophones — des 1,4 million d'allophones du Québec. Cela m'a toujours semblé un peu étrange, ce qui est symptomatique d'un malaise dans la notion de représentation, puisqu'on me demande d'expliquer l'opinion d'un groupe très varié de 1,4 million de personnes. Ceux d'entre nous qui donnent l'impression de faire partie de cette société, de progresser avec ses institutions, ont tous ressenti cela comme un paradoxe.

[Français]

Le sénateur Losier-Cool : J'aimerais tout d'abord remercier nos trois témoins pour leur participation à notre comité.

Ma question est très brève, très précise et concerne les relations que les communautés anglophones entretiennent avec le gouvernement du Québec.

Même si je sais qu'il n'y a pas de ministère de la francophonie au Québec, j'aimerais savoir s'il existe, au Québec, une agence ou un comité — pour emprunter les mots de M. Jedwab — qui s'occupe particulièrement des relations avec les communautés anglophones?

[Traduction]

Mme Martin-Laforge : Je vais m'efforcer de répondre. Non, il n'en existe pas.

Notre relation avec le gouvernement du Québec se situe pour l'essentiel au niveau individuel, c'est-à-dire que ce gouvernement fait souvent référence dans sa charte à des particuliers anglophones, mais non à la communauté anglophone. Il faut savoir que notre relation avec l'État est souvent de l'ordre des services, et que, par conséquent, le financement de notre communauté est souvent fonction de la prestation de services. Le problème surgit dans la notion de « collectif » : à ce niveau, il est difficile d'obtenir le soutien du gouvernement du Québec. On pourrait croire que le Québec juge contre-productif de voir la communauté anglophone comme une communauté. Le soutien est accordé à l'individu.

Du point de vue du QCGN, s'il est important de bénéficier de soins de santé, en revanche, on s'éloigne de plus en plus du concept de vitalité de la communauté dès qu'on s'engage trop loin dans la question des services.

M. Jedwab : Si je ne m'abuse, monsieur Burke, il existe bien un conseil consultatif sur l'éducation en langue anglaise?

M. Burke : Effectivement. Au sein du ministère de l'Éducation, on trouve aussi le Secteur des services à la communauté anglophone, service tout à fait particulier au sein du gouvernement du Québec, mais dont le mandat se borne à la prestation de services d'éducation à la communauté anglophone. Il est auto-réglementé et assujetti à la législation sur l'accès à l'éducation.

Les citoyens anglophones du Québec doutent que le gouvernement provincial s'intéresse au bien-être de leur communauté, même s'il offre des services, et s'il y a des possibilités d'accès pour les particuliers. Mais la collectivité est très sceptique quant à l'intérêt du gouvernement dans le bien-être communautaire. Je qualifierais cet intérêt de ténu, au mieux.

Mme Martin-Laforge : Les sénateurs connaissent probablement l'existence d'une dernière structure, la Conférence ministérielle sur la francophonie canadienne. Le Québec y siège, mais pas à l'égard des communautés anglophones au Québec.

La présidente : Nous discuterons plus à fond de ces questions à l'occasion de notre visite de votre communauté au début de septembre.

Le sénateur Seidman : Je vous remercie tous les quatre pour votre grande franchise ce soir. Tandis que j'oscille entre ce que M. Jedwab a qualifié de « paradoxe du geignard et du gâté », je suis convaincue que vous avez beaucoup de choses à nous enseigner encore. Je sais personnellement à quel point vous avez réussi un tant soit peu à dépeindre la réalité et les mythes de la communauté anglophone au Québec.

Tandis que nous préparons notre étude — votre comparution ce soir est notre première occasion de nous y préparer —, auriez-vous l'obligeance de nous donner des conseils précis pour nos visites à Montréal, à Québec et dans les Cantons de l'Est, et pour nos rencontres avec des représentants de la communauté de la Gaspésie et d'autres régions? Tandis que nous nous disons au revoir ce soir, que nous songeons à cette étude et à notre déplacement au Québec à l'automne, pourriez-vous nous donner des conseils en quelques mots?

M. Burke : Je suis ravi que votre visite vous mène aussi bien en milieu urbain qu'en milieu rural. C'est une façon judicieuse de se faire une idée d'ensemble de la situation. Pour répéter ce que j'ai dit dans ma déclaration, regardez plus loin que la langue et voyez le besoin de culture — le sentiment de carence culturelle ressenti par beaucoup de Québécois en milieu urbain aussi bien que rural.

Ouvrez la section des loisirs du Globe and Mail et de la Gazette pour constater la rareté de l'offre de produits culturels anglophones et d'accès à ces derniers. Évitez de vous concentrer uniquement sur la langue et soyez attentifs à la carence culturelle.

M. Jedwab : Pour en revenir à ce que vous avez dit plus tôt sur le paradoxe du geignard et du gâté, je commencerai par conseiller de ne pas vous laisser prendre vous-mêmes dans ce paradoxe. Dans vos rencontres avec des membres des communautés, demandez-leur de décrire non seulement leurs difficultés, mais aussi leurs réussites et leurs accomplissements. C'est un piège fréquent — nous parlons de nos accomplissements et alors tout va bien. Il faut trouver un équilibre. Notre vie n'est pas faite uniquement de problèmes, mais aussi de nos accomplissements, qui ne sont pas reconnus comme il conviendrait.

Je conseillerais aussi — et c'est peut-être un peu hors de propos —, si vous disposez ne serait-ce que d'un instant, de parler de façon informelle avec quelques leaders d'opinion francophones pour savoir quels sont à leur avis les problèmes de la communauté. Cela vous permettra de mettre en contexte certains des propos que vous entendrez. Ici encore, il est à espérer que cela aidera à dissiper des mythes.

Quant aux personnes que vous allez rencontrer, il serait utile dans certains endroits de votre visite d'inviter de jeunes anglophones qui font partie de ces institutions, surtout des établissements d'enseignement.

Mme Martin-Laforge : Mes collègues sont tellement intelligents qu'ils ont déjà dit tout ce que j'allais proposer.

Allez au-delà des secteurs forts de la communauté anglophone du Québec et aidez-nous à mettre en relief les secteurs où nous n'avons pas beaucoup avancé, comme le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, ou CRTC. Nous avons très bien réussi dans certains secteurs, mais à certains autres égards, comme pour les aînés et les femmes, nous n'avons pas de tradition solide de soutien aux problèmes des minorités de notre communauté, parce qu'il manque les structures requises. Cela aussi serait important.

La présidente : Madame Martin-Laforge, monsieur Jedwab, monsieur Burke et monsieur Rodgers, je vous remercie de nous avoir consacré du temps ce soir. Il nous tarde de vous revoir à l'automne.

(La séance est levée.)


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