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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Langues officielles

Fascicule 8 - Témoignages du 15 septembre 2010


SHERBROOKE, le mercredi 15 septembre 2010

Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd'hui, à 14 h 2, pour effectuer l'étude sur l'application de la Loi sur les langues officielles ainsi que des règlements et instructions en découlant (sujet : les communautés anglophones du Québec).

Le sénateur Maria Chaput (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, bienvenue au Comité sénatorial permanent des langues officielles. Je m'appelle Maria Chaput, du Manitoba, présidente du comité. Cet après-midi, à Sherbrooke, je me trouve en compagnie de plusieurs collègues membres du comité, que j'inviterais à se présenter.

[Français]

Le sénateur Fortin-Duplessis : Je suis le sénateur Suzanne Fortin-Duplessis. Je vis en région de Québec. J'ai été aussi membre du Parlement canadien durant neuf ans. Je suis très heureuse d'être ici aujourd'hui.

[Traduction]

Le sénateur Seidman : Bon après-midi. Je m'appelle Judith Seidman, sénateur du Québec. Je demeure toutefois à Montréal, où je suis membre de la communauté anglophone. Je suis enchantée d'être ici aujourd'hui pour entendre vos témoignages et m'informer au sujet des questions cruciales pour les communautés anglophones en situation minoritaire dans les Cantons-de-l'Est.

Le sénateur Fraser : Je m'appelle Joan Fraser, une autre anglophone de Montréal. Je suis membre du Sénat depuis 12 ans, après avoir été journaliste à Montréal pour la plus grande partie de ma carrière. À l'instar de mes collègues, je suis ravie d'être ici, particulièrement à l'Université Bishop's, un établissement si important pour la communauté anglophone des Cantons — pour les Cantons en général, mais aussi pour la communauté anglophone.

Le sénateur De Bané : Je m'appelle Pierre De Bané, sénateur du Québec. J'ai été longtemps député à la Chambre des communes et je siège maintenant au Sénat. Chaque jour, je bénis la chance que nous avons de vivre dans un pays où deux des plus importantes langues du monde occidental constituent les langues officielles. C'est, à mon avis, l'une des plus grandes bénédictions de notre pays. Malheureusement, nous ne sommes pas assez futés pour comprendre à quel point cet atout est précieux et fait l'envie du monde entier.

La présidente : Il y a plusieurs mois, le comité a décidé qu'il était nécessaire de réaliser une étude sur les communautés anglophones en situation minoritaire. La Loi sur les langues officielles stipule en effet que le gouvernent du Canada doit favoriser l'épanouissement des minorités anglophones en situation minoritaire du Canada et appuyer leur développement. Notre comité est notamment mandaté pour étudier l'application de la loi et préparer des rapports sur la question.

Nous sommes heureux d'être à Sherbrooke. Les membres du comité ont passé les deux derniers jours à Québec et se rendront également à Montréal demain après-midi. Nous comptons ainsi mener une étude exhaustive des communautés anglophones du Québec et examiner divers éléments, comme le développement communautaire, l'éducation, les jeunes, les arts et la culture, et les soins de santé, qui ont une incidence sur leur expansion et leur épanouissement.

Je profite de l'occasion pour vous communiquer les trois objectifs que le comité s'est fixés dans le cadre de la présente étude. Nous souhaitons tout d'abord faire un tour d'horizon de la situation des communautés anglophones du Québec en examinant les divers aspects qui influent sur leur développement. Nous voulons ensuite définir les problèmes propres à ces communautés et déterminer les mesures correctives jugées nécessaires à leur développement. Enfin, nous formulerons des recommandations à l'intention du gouvernement fédéral afin d'appuyer leur développement et de favoriser leur épanouissement.

Les membres du comité ont déjà rencontré des dizaines de personnes aux horizons et au vécu des plus divers et sont impatients de poursuivre cette démarche productive cet après-midi.

Je souhaite la bienvenue à M. Gerald Cutting, président de l'association des townshippers, et à Mme Ingrid Marini, directrice générale.

Monsieur Cutting, madame Marini, le comité vous remercie d'avoir accepté son invitation à comparaître aujourd'hui. Je vous invite à faire un exposé d'environ cinq minutes, après quoi les membres du comité vous poseront des questions.

Monsieur Cutting, vous avez la parole.

Gerald Cutting, président, Townshippers' Association : Sénateur Chaput, honorables membres du Comité sénatorial permanent des langues officielles, je vous salue.

[Français]

Nous vous remercions, encore une fois, pour l'invitation que vous nous avez accordée de venir vous adresser la parole aujourd'hui. En tant que président de l'association des townshippers, je reconnais l'importance de l'occasion que vous nous offrez. Cela me fait un grand plaisir d'être parmi vous aujourd'hui.

L'association des townshippers a comme mission de promouvoir les intérêts de la communauté d'expression anglaise dans les Cantons de l'Est historiques, de renforcer l'identité culturelle de cette communauté et de favoriser la participation à part entière de la population d'expression anglaise dans l'ensemble de la communauté.

L'association a pour habitude de communiquer avec les officiels gouvernementaux en anglais, la simple raison étant d'offrir un petit rappel de leur obligation de nous répondre en anglais. La minorité anglophone au Québec existe. De plus, je désire également confirmer que tous les efforts démontrés envers notre langue sont notables et très appréciés.

Nous sommes reconnaissants que les gens qui nous répondent, soient majoritairement des personnes ayant le français comme langue maternelle et ils sont d'excellents communicateurs. Là où nous croyons qu'un effort additionnel devrait être apporté, porte sur la compréhension de la culture spécifique et des caractéristiques particulières de la communauté d'expression anglaise minoritaire au Québec.

[Traduction]

Dans la région historique des Cantons-de-l'Est, le taux de bilinguisme des anglophones est élevé. Chez les jeunes de 15 à 24 ans, 81,2 p. 100 des anglophones affirment être suffisamment bilingues pour soutenir une conversation, alors que seulement 38,6 p. 100 des francophones du même groupe d'âge disent la même chose. Cependant, si le bilinguisme est de toute évidence une réalité pour une grande partie de la jeune génération d'anglophones, à peine 18,4 p. 100 des personnes de plus de 65 ans se considèrent comme suffisamment bilingues pour converser.

Comme on peut le constater en consultant les statistiques qui figurent dans notre profil, le déclin de la population, le chômage élevé, les faibles niveaux de revenu et de scolarisation, l'accès aux services de santé, l'exode, la marginalisation des jeunes, la perception de discrimination, ainsi que le manque de soutien et de visibilité dont sont victimes les artistes anglophones figurent parmi les grands problèmes qui touchent la communauté anglophone dans les Cantons-de-l'Est.

L'avenir de ces communautés dépend en large partie de la résolution de ces problèmes, des problèmes qui touchent de nombreux aspects de notre société : les jeunes, la santé et les services sociaux, les arts et la culture, l'éducation, le développement économique et notre capacité de collaborer avec les autres groupes linguistiques en situation minoritaire.

La Townshippers's Association met en œuvre des initiatives afin de résoudre ces problèmes importants, avec l'aide financière des gouvernements fédéral et provincial. Cependant, les ressources dont nous disposons nous permettent à peine d'effleurer certaines questions, alors que nous en négligeons d'autres complètement. Nous manquons cruellement de soutien financier pour nous aider à exécuter des projets destinés aux jeunes, aux immigrants et au milieu artistique. L'afflux de nouveaux fonds nous permettrait d'appuyer l'intégration de ces groupes à la communauté et au milieu du travail.

Les consultations que nous avons menées auprès du comité des jeunes de la Townshippers' Association ont démontré que les jeunes des Cantons-de-l'Est ont un faible sentiment d'appartenance à la communauté et se sentent mal acceptés par la communauté francophone et les employeurs éventuels. Les jeunes souffrent notamment d'un faible niveau de scolarité, de revenu et d'intégration à la main-d'œuvre, une intégration qui pourrait pourtant les aider à améliorer leurs compétences linguistiques en français et, par le fait même, à réduire leurs taux de chômage. Ce sont tous des problèmes qu'il faut résoudre pour empêcher l'exode de la jeune génération et l'encourager à prendre une part plus active dans la communauté.

Nous nous efforçons de raccourcir notre exposé, étant donné que celui que nous avons préparé est bien plus long. Avec le concours de Mme Marini, nous effectuerons des coupures à mesure que nous progressons. Nous faisons donc appel à votre indulgence.

Le secteur des arts et de la culture est un domaine qui exige un apport considérable de ressources et de soutien. Kishchuck, dans un rapport récent, a déclaré que la participation à la vie communautaire sous la forme d'expression culturelle est considérée comme un facteur déterminant au chapitre de la santé. Cette participation favorise l'établissement d'une identité positive, la solidarité et le renforcement de la communauté. Malheureusement, le fait est que les revenus de la communauté artistique anglophone des Cantons-de-l'Est sont extrêmement faibles. Le pourcentage élevé de membres de la communauté anglophone dont le revenu annuel est inférieur à 20 000 $ empêche notre communauté de participer plus activement aux événements culturels.

Lorsqu'on leur demande ce que l'on peut faire pour améliorer la situation financière des créateurs de la région, les artistes locaux répondent avoir énormément besoin d'aide afin de mettre en marché et de vendre leurs œuvres, particulièrement à l'extérieur de la région. Patterson l'a d'ailleurs indiqué en 2008.

L'accès restreint aux manifestations culturelles, conséquence de l'immensité de la région, contribue également au problème, puisqu'il est particulièrement difficile pour les aînés et les familles à faible revenu de se rendre à ces activités.

La Journée des Townshippers, un événement annuel organisé par la Townshippers' Association, remporte un vif succès depuis 30 ans, notamment en raison de l'impressionnante contribution des communautés artistiques et anglophones locales, et des bénévoles. Nick Fonda, journaliste et auteur anglophone de la région, décrit la Journée des Townshippers comme — et je traduis — « une vitrine qui met en lumière les musiciens, les danseurs, les artistes, les écrivains et les photographes locaux, tout en permettant aux entrepreneurs et aux artisans de faire découvrir leurs produits et aux groupes communautaires d'expliquer leurs activités. Cette journée constitue un hommage au dynamisme et à la créativité de la communauté anglophone des Cantons-de-l'Est, mais reste un événement où nos voisins francophones sont les bienvenus. »

En fait, vous êtes tous cordialement invités à la journée de cette année, qui se tiendra à Danville le week-end prochain. L'événement est financé par l'entremise de Patrimoine canadien et les dons de la communauté et de commanditaires.

La Journée des Townshippers n'est qu'un exemple des multiples façons dont la communauté peut aider à promouvoir et à encourager le milieu artistique. L'aide financière, comme celle qui nous permet d'organiser les activités de la Journée des Townshippers, est cruciale pour élaborer d'autres projets destinés à ce secteur, des projets qui pourraient accroître les occasions propices à l'établissement de réseaux et à la communication, principalement au sein de la communauté artistique, mais également dans le reste de la collectivité.

Jusqu'à présent, nous n'avons pas réussi à obtenir du gouvernement provincial des fonds qui nous aideraient à élaborer des projets pour le secteur des arts et de la culture; or, nous considérons que c'est un domaine où il devrait investir davantage afin de concevoir de nouveaux programmes à l'échelle communautaire. Il est fort dommage qu'il n'y ait pas davantage de ressources pour cette priorité de notre plan stratégique.

Dans son rapport, Kishchuck a également noté, dans la population anglophone des Cantons-de-l'Est, un pourcentage de personnes âgées supérieur à celui relevé dans la majorité francophone. En outre, le pourcentage de jeunes de 18 à 24 ans y est bien plus faible. Or, ce groupe d'âge affiche des niveaux de scolarité, d'emploi, d'alphabétisation et de revenu moins élevé, alors qu'il est largement admis que ces facteurs déterminants au chapitre de la santé rendent les personnes plus susceptibles d'avoir une mauvaise santé. Ces caractéristiques portent fortement à croire qu'il faut apporter du soutien et des ressources pour permettre à la population anglophone des Cantons de jouir d'une bonne santé et, ainsi, de profiter équitablement de l'essor socioéconomique de la communauté en général.

Les contributions et le soutien de la province pour les projets destinés aux aînés et aux jeunes ont aidé l'association à élaborer des projets communautaires qui ont porté fruit, mais compte tenu des exigences à satisfaire pour obtenir une aide financière substantielle à l'échelle communautaire, les contributions auxquelles nous avons accès sont limitées. Les coûts administratifs de ces projets sont prohibitifs. Même si le gouvernement provincial ne nous consulte pas régulièrement quand vient le temps de prendre des décisions, nous participons activement aux consultations effectuées auprès du grand public et avons formulé des commentaires, qui ont eu des résultats concrets pour les aînés, les jeunes et le secteur de la santé et des services sociaux. Nous nous efforçons de participer aux structures qui nous permettent de nous faire entendre, comme l'Agence HSSS, la Table de concertation des aînés, les tables jeunesse de la région de l'Estrie, PAJR et Forum jeunesse Estrie.

La Townshippers' Association offre également d'excellentes initiatives visant à établir une collaboration structurée entre les principaux intervenants de la communauté, du secteur institutionnel et du milieu des affaires concernant tout ce qui touche le développement économique, l'éducation, l'employabilité et l'entrepreneuriat. Nous n'avons malheureusement pu obtenir les fonds nécessaires pour que ces initiatives atteignent leur plein potentiel. Nous participerons aux dialogues à venir dans ces domaines et avons bon espoir qu'ils déboucheront sur des efforts concrets, au chapitre tant des finances que des ressources, afin de stimuler l'investissement dans les initiatives communautaires qui permettront de développer de nouveaux projets dans ces secteurs.

Dans le cadre du QCGN et d'autres réseaux provinciaux, comme le RCSSS, ELAN et QAHN, nous maintenons nos liens avec les communautés des différentes régions du Québec. Cependant, comme nos finances ne nous permettent plus de nous rencontrer en personne, la collaboration est très difficile. Nous entretenons également des relations actives avec ELAN en raison du grand nombre d'artistes dans les Cantons, et avec MCDC pour des raisons de proximité.

Si le QCGN demeure notre principale source d'aide au chapitre de la défense des droits et de la politique, nous ne disposons d'aucune tribune pour l'échange d'information, le perfectionnement professionnel et la collaboration. Nous considérons que nous devons organiser plus souvent des assemblées des directeurs exécutifs, mais sans les fonds nécessaires pour préparer et offrir des séances de formation et appuyer les groupes du réseau, ces assemblées ne seront rien de plus que des vœux pieux. Nous communiquons toutefois par l'entremise de bulletins, d'assemblées annuelles, de courriels et de conférences téléphoniques.

Dans les Cantons-de-l'Est, la communauté anglophone entretient des liens très étroits avec la majorité francophone du fait de sa collaboration avec des partenaires du secteur communautaire et du domaine de la santé publique et des services sociaux, et de mariages entre les deux communautés.

Comme l'indique notre profil, nombreux sont les anglophones qui emploient les deux langues dans leur vie professionnelle, personnelle et sociale. Un grand nombre de résidants anglophones des Cantons ont un conjoint francophone et ont adopté un mode de vie biculturel. Selon les statistiques du gouvernent du Canada, en 2003, six Québécois anglophones mariés sur 10 ont épousé un non-anglophone. Dans la communauté anglophone, plusieurs aiment la langue et la culture francophone dominante qui les entourent. Ils considèrent que les divers groupes culturels et linguistiques des Cantons-de-l'Est peuvent coexister et prospérer ensemble. Le fait de conserver son patrimoine, sa langue et sa culture n'empêche personne d'aimer la communauté en général et de s'y intégrer.

Si les citoyens anglophones du Québec s'expriment de plus en plus en français, ils ne se sentent toutefois pas nécessairement à l'aise dans la province. Je citerai ici un texte de Jedwab, publié en 2005, selon lequel les Québécois anglophones sont, parmi toutes les communautés de langue officielle en situation minoritaire, les moins susceptibles de considérer que les intérêts de leur communauté sont représentés par le gouvernement provincial. Pocock, en 2005, indique ce qui suit :

Dans les Cantons, 77,4 p. 100 des résidants anglophones de l'Estrie qui ont répondu à l'Enquête sur la vitalité des communautés réalisée en 2005 ont indiqué qu'ils considéraient que l'avenir de la communauté anglophone est menacé dans leur région.

La Townshippers' Association prend cet avis très au sérieux. Dans le cadre de nos nombreux projets et initiatives concernant les jeunes, les services de santé, les arts et la culture, l'éducation, le développement économique et la collaboration avec les autres groupes linguistiques en situation minoritaire, nous nous efforçons quotidiennement de résoudre ces questions. Cependant, sans l'aide et la collaboration constante du gouvernement, nous ne pourrons accomplir notre mission, qui consiste à favoriser l'établissement d'une communauté anglophone active et prospère.

En terminant, je vous invite à lire avec moi le dernier paragraphe de notre profil, à la page 31 :

[Français]

Établir des ponts entre les deux groupes linguistiques revêt une importance primordiale pour la suivi de la minorité d'expression anglaise des Cantons de l'Est. Heureusement, la population anglophone est de plus en plus bilingue, ce qui facilite l'interaction et favorise une plus grande compréhension entre les deux groupes. Faire échec aux perceptions erronées à l'égard des « autres » peut avoir résultat une vision nouvelle d'une communauté plus large, plus inclusive — une communauté qui partage plusieurs valeurs et préoccupations communes. En travaillant ensemble, les Townshippers, anglophones comme francophones, ont en main les outils pour construire une société dynamique, florissante, une société qui puisse faire l'envie du monde entier.

La présidente : Merci beaucoup, monsieur Cutting, pour votre excellente présentation. La première question sera posée par le sénateur Fortin-Duplessis.

Le sénateur Fortin-Duplessis : Monsieur Cutting, j'ai écouté avec attention votre déclaration. Je viens du monde de l'enseignement. Vous avez dit que vous aviez aussi des problèmes avec les jeunes qui décrochent ou abandonnent leurs études. Lorsque nous avons tenu nos audiences à Québec, par vidéoconférence, nous nous sommes entretenus avec des représentants de la communauté anglophone de la Gaspésie. Ils étaient extrêmement désolés aussi, parce que le taux de décrochage chez les jeunes anglophones de leur région, surtout ceux qui ne reprenaient pas leurs études, finissaient par dépendre de l'aide sociale.

Sur la Côte-Nord, de Sept-Îles vers le Grand Nord, ou encore de Sept-Îles vers Québec, le décrochage n'était pas si élevé. Dans la ville de Québec même, le taux de diplomation chez les jeunes étudiants anglophones était supérieur à celui des jeunes francophones. Ici, quelles sont les cause de décrochage chez les jeunes étudiants anglophones?

M. Cutting : Pour répondre à la question, premièrement, il faut être très prudent parce que la situation dans les régions rurales n'est pas tout à fait la même que celle des grandes villes comme Québec et Montréal. Ici, dans les Cantons-de-l'Est, et je vais parler surtout de la région que je connais le mieux, c'est-à-dire l'Estrie, il faut savoir que le Canton de l'Est historique est un vaste territoire. En Estrie, nous avons un taux de décrochage plus élevé que dans la population francophone. Peut-être est-ce à cause d'un manque d'activités culturelles.

En ce qui a trait au transport, des jeunes personnes passeront quasiment trois heures par jour juste en transport entre la maison et l'école. Quand ils arrivent dans leur propre petit village, il y a un manque d'encadrement de la part de la communauté. On se retrouve dans une situation où les jeunes croient encore que les autres possibilités, par exemple, les richesses sont dans l'Ouest. On sait tous que, dans les années 1950 et 1960, il y a eu un mouvement vers l'Ouest, un mouvement des jeunes anglophones vers les grands centres comme Montréal, Toronto et Calgary. Le défi pour le Townshipper est de convaincre les jeunes personnes qu'il y a vraiment tout ce que qu'ils peuvent désirer dans la vie, que les opportunités existent ici dans les Townships, mais pour convaincre une jeune personne, faut avoir une certaine ouverture. C'est comme cela qu'on essaie de convaincre les employeurs de faire l'effort.

[Traduction]

Il faut donner la chance aux jeunes, y compris les jeunes anglophones qui ne s'expriment peut-être pas parfaitement en français. En collaborant avec les intervenants du secteur de l'éducation, de l'industrie et du commerce, si nous avons les ressources nécessaires, nous pouvons, à long terme, jeter des ponts qui permettront à nos jeunes d'acquérir un sentiment d'appartenance, que j'appellerais « belongingness » en anglais. Ici encore, l'un de nos plus gros obstacles consiste à convaincre les jeunes qu'ils sont chez eux au sein de la communauté. Ils n'ont pas à s'exiler pour réussir; mais nous devons jeter des ponts. C'est ce que fait la Townshippers' Association chaque jour, car nous courons ainsi la chance de trouver de nouveaux emplois pour les jeunes, qu'ils soient francophones ou anglophones.

[Français]

Si vous écoutez certains de mes collègues du secteur francophone, ils vous diront exactement la même chose. C'est un défi majeur de convaincre les jeunes personnes qu'il y a vraiment une place ici dans l'Estrie.

Le sénateur Fortin-Duplessis : Je suis surprise du travail que vous faites en ce sens, parce que vous allez plus loin que tous les témoins qui vous ont précédés. C'est tellement important surtout quand il est question des différences couches sociales. Si les gens de la deuxième couche, les jeunes, ont quitté la région, la couche des personnes âgée se retrouve seule, isolée parce que leur famille est partie travailler ailleurs, soit à Toronto ou Ottawa. Les personnes âgées qui se retrouvent seules souvent n'osent pas aller vers les autres. Vous raison de vous attaquer à cette situation, parce que c'est vraiment un très grave problème.

Ingrid Marini, directrice générale, Townshipper's Association : Si on retourne à la question des indications, les jeunes, qui restent en milieu rural, n'ont pas accès, encore aujourd'hui, à Internet haute vitesse. Ils ne sont pas au courant des différentes études professionnelles qui peuvent exister.

Statistiquement parlant, les anglophones sont beaucoup moins portés à aller vers les études professionnelles que les francophones. Selon les statistiques, c'est 4,9 p.100 des anglophones comparativement à 11,8 pour les francophones.

Les élèves anglophones ne reconnaissent pas que d'autres occasions existent en termes professionnels. Ils voient juste des solutions comme celles d'aller au cégep ou à l'université. Ils leur arrivent d'être découragés, parce que même leurs parents n'ont pas nécessairement complété des études secondaires. Pour les jeunes des différentes régions du Québec, le pourcentage de ceux qui obtiennent des certificats, même les diplômés au secondaire, sont très bas comparativement aux francophones : 29 p. 100 des francophones ne possèdent ni certificat ni diplôme, comparativement à 45,6 p. 100 chez les anglophones.

Ce sont les exemples que les jeunes ont à suivre. S'ils voient cela dans les générations qui les précèdent, ils suivront, malheureusement, le même chemin parce qu'ils manquent de mentorat, d'encouragement et de soutien dans leurs études. C'est un grave problème en partant à cause du manque de soutient de la part d'un certain groupe de personnes appartenant à ce qu'on appelle « the middle-middle. »

[Traduction]

Par « middle-middle », j'entends la génération du milieu, qui est absente, et le revenu médian, également inexistant. Ce sont deux éléments du milieu qui manquent à l'appel.

Le sénateur Fraser : Un bref coup d'œil à cet ouvrage ne m'a pas permis de trouver les statistiques que vous venez de citer, madame Marini. Pourriez-vous nous confirmer qu'elles s'y trouvent bien, et si ce n'est pas le cas, fournir l'information au comité?

Mme Marini : Certainement. Je faisais référence à la page 15 de la version française, mais je présume que les statistiques sont à la même page dans la version anglaise, là où il est question du manque d'instruction. Selon le recensement, 30 p. 100 des anglophones ne détiennent pas de diplôme, comparativement à 29 p. 100 pour les francophones.

Le sénateur Fraser : C'est un chiffre fascinant, que je n'avais jamais entendu auparavant.

Mme Marini : Un bon nombre des statistiques dont M. Cutting a parlé dans son exposé figurent dans ce document.

Le sénateur Fraser : Monsieur Cutting, à de multiples reprises, vous avez fait référence à l'absence de ressources dans votre exposé. Dans certains cas, les projets de votre association ont été rejetés, alors que dans d'autres, ils ont été victimes de coupures.

Étant du Parlement fédéral, nous ne pouvons évidemment pas émettre une syllabe concernant les agissements des provinces, sauf pour proposer des arrangements négociés. Nous tentons de comprendre le contexte. Il ne vous faut peut-être que quelques minutes pour expliquer les faits, mais j'essaie de comprendre si cette communauté linguistique en situation minoritaire éprouve de la difficulté à obtenir de l'argent du gouvernement en raison de ce que d'aucuns appelleraient la discrimination passive, auquel cas le programme est assorti de critères qui font qu'il convient aux groupes majoritaires, mais pas aux groupes minoritaires, ou s'il s'agit d'une discrimination plus active, auquel cas le programme a été conçu expressément pour s'appliquer au milieu artistique francophone ou je ne sais quel autre destinataire.

Vous nous aideriez grandement en répondant à la question et en nous disant ce qu'il en est à l'échelle fédérale et provinciale. Si vous ne pouvez le faire aujourd'hui, pourriez-vous y réfléchir et nous répondre par écrit?

M. Cutting : Si je peux me permettre, je dirais que de prime abord, votre question semble un champ de mines.

Sénateur Fraser : C'est la raison de notre présence ici. Nous avons la sécurité d'emploi; nous pouvons arpenter les champs de mines.

M. Cutting : Je suis ravi d'avoir l'occasion d'aborder la question, ce que je ferai peut-être dans un autre contexte et après une certaine réflexion. Aujourd'hui toutefois, je dirais qu'il y a deux raisons principales. Tout d'abord, peu importe ce que nous faisons quand nous préparons un projet, nous devons présumer que nous participons au même titre que n'importe quelle autre organisation. Parfois nous gagnons, parfois nous perdons. Il arrive que nous soumettions une excellente proposition, qui est pourtant rejetée, alors que nous obtenons parfois des fonds sans savoir exactement comment nous y sommes arrivés. Tout est une question de moment et de disponibilité. Ce sont les règles du jeu, avec lesquelles toutes les organisations doivent probablement composer.

La question de la population anglophone en situation minoritaire au Québec est bien plus délicate. Nous nous trouvons peut-être en situation difficile parce que dans bien des cas, l'image de la communauté anglophone, constituée de gestionnaires bardés de diplômes universitaires vivant à Westmount dans la richesse, persiste. En réalité, et je ne parle qu'en mon nom, c'est que ce n'est absolument pas le cas dans les Cantons. Cependant, quand nous frappons aux portes, nous nous faisons parfois demander ceci : « Mais pourquoi avez-vous besoin d'argent de toute façon? »

En général, les groupes en situation minoritaire tendent à être composés de personnes dont les niveaux d'instruction, de revenu et de santé sont inférieurs à ceux de la majorité. À moins de prendre des exemples tirés de l'étranger, cette situation s'explique du fait qu'au Canada, les minorités ont tendance à être laissées pour compte. Loin de moi d'idée de prétendre que c'est le cas de la minorité anglophone du Québec. Mais, dans les Cantons, nous voulons être des partenaires actifs. Nous pensons avoir trouvé le moyen d'y parvenir : en accroissant le niveau de bilinguisme.

Ici encore, nous devons lutter encore et toujours pour dissiper, à notre sujet, de très vieux mythes qui ne reflètent pas la réalité. Voilà pourquoi nous avons réalisé un examen fondé sur les données afin de déterminer qui nous sommes, ce que nous sommes et où nous souhaitons aller. Je vous invite d'ailleurs à prendre connaissance du profil que nous vous avons remis, qui fait état des statistiques. Ce ne sont pas des fabulations, mais le fruit de recherches actives, qui dévoilent une minorité qui était autrefois l'égale de la communauté francophone parce qu'elle était arrivée presque en même temps. Nous avons bâti et souffert côte à côte.

Aujourd'hui, la communauté anglophone vieillissante a perdu son dynamisme. Une communauté a besoin de ses aînés, mais ces aînés, pour pouvoir prétendre à ce titre, ont besoin des jeunes. L'un des principaux obstacles auxquels nous nous sommes heurtés dans le cadre de nos programmes est la réintégration des aînés au sein de la communauté, où ils seraient considérés comme importants et intéressants. Probablement parce que je prends moi-même de l'âge et me trouve follement intéressant, je crois que les jeunes devraient le penser aussi. Il faut cependant qu'une communauté soit composée de générations. Quand il en manque, leur absence se fait sentir, ce qui est le cas ici.

Voilà pourquoi il importe tant de collaborer avec des organismes qui considèrent qu'il leur revient de promouvoir le développement des Canadiens tout horizon, pour que tous réalisent leur plein potentiel individuel et collectif.

Le sénateur Fraser : J'ignore quand j'ai entendu les faits exposés aussi clairement.

Patrimoine canadien figure parmi les organismes dont le mandat de base consiste à faire exactement ce que vous dites. Que pensez-vous de vos relations avec ce ministère?

M. Cutting : Mme Marini est notre quémandeuse professionnelle.

Mme Marini : Le ministère nous offre un soutien extraordinaire.

En ce qui concerne votre question sur le soutien provincial, nos démarches ont porté des fruits auprès du gouvernement provincial dans le cadre du projet des générations destiné aux aînés et des projets s'adressant aux jeunes. Dans la province, Make Way for Youth est le seul projet régional anglophone du forum Place aux jeunes. Par contre, là où le soutien fait défaut à l'échelle provinciale — mais pas du gouvernement fédéral, avec qui les communications, le soutien et le financement sont excellents —, c'est dans le domaine de la culture et du patrimoine. Comme nous l'avons souligné dans notre exposé, les manques et la négligence sont flagrants à cet égard.

Comme nous sommes une minorité, nous faisons l'objet de discrimination. Malheureusement, nous faisons presque toutes nos déclarations avec une attitude défensive. Nous devons commencer par défendre ce que nous voulons favoriser. Cette position défensive nous empêche d'être proactifs. Il nous faut donc clarifier la situation, particulièrement en ce qui concerne les arts, la culture et le patrimoine à l'échelle provinciale.

Le sénateur Fraser : Hier, à Québec, des témoins ont parlé des difficultés systémiques qui se posent quand les gens tentent d'adopter une approche fondée sur les données pour décrire leurs besoins aux divers ordres de gouvernement. J'ai été notamment frappée par l'exemple concernant le système de renseignement hospitalier, employé dans l'ensemble des établissements et imposé par la haute administration. Aucun espace n'est prévu pour indiquer la langue du patient.

Mme Marini : Nous venons juste de préparer un rapport sur l'accès aux services en anglais dans le secteur de la santé et des services sociaux. L'organisme qui l'a financé ne l'a malheureusement pas encore publié, mais dès qu'il le fera, vous en recevrez un exemplaire.

Dans nos conclusions, nous proposons notamment d'imposer un degré unifié et cohérent de — comment dire — disponibilité ou de bilinguisme dans tous les services offerts, particulièrement à l'accueil et à l'entrée des hôpitaux. Si l'on exigeait du personnel un niveau uniforme de compétences en anglais, la situation s'en trouverait grandement améliorée.

Ce ne sont pas que les services et la qualité et la quantité de ces derniers qui font défaut : l'information sur l'accès aux services est également lacunaire. C'est un problème de taille, parce qu'il arrive que le service existe, mais que ceux qui l'offrent ne sachent même pas comment le trouver en anglais.

Le sénateur Fraser : Si je tombe malade maintenant, où puis-je me présenter en tant qu'anglophone? Où puis-je m'adresser ici? À Cowansville?

Mme Marini : Malheureusement, vous êtes au Québec. C'est un gros problème, qu'on soit anglophone ou francophone.

Le sénateur Fraser : Je me rends bien compte que l'ensemble du réseau de soins de santé subit des pressions phénoménales, et nous avons tous nos solutions préférées pour résoudre la situation. Mais notre comité est mandaté pour examiner la situation particulière de la minorité, qui ne bénéficie plus d'hôpital anglophone ou d'établissement bilingue désigné dans la région.

Mme Marini : En effet.

Le sénateur Fraser : Le plan d'accès fonctionne-t-il? Il en existe un, je présume.

Mme Marini : Je crois qu'on est en train de le remanier.

Le sénateur Fraser : Pour l'améliorer, nous l'espérons?

Mme Marini : Les rédacteurs du plan tiennent compte des propositions que nous avons formulées dans notre rapport. Nous sommes heureusement consultés dans l'élaboration de ce plan. Nous voulons nous aussi participer activement à sa rédaction, non seulement parce que nous sommes nous mêmes bénéficiaires de ces services, mais également parce qu'en tant que membres de notre communauté, nous écoutons ses préoccupations. Nous devons transmettre cette information, car c'est un problème, et pas le moindre.

Le sénateur Fraser : À Québec, lorsqu'il a été question des données, on nous a indiqué que puisqu'il n'y avait plus de services complets offerts en anglais dans les hôpitaux dans bien des domaines, particulièrement après 20 heures, quand l'urgence de l'hôpital Jeffery Hale est fermée, les anglophones doivent se rendre dans un hôpital francophone et s'estimer chanceux d'y recevoir des services, même s'ils préfèreraient évidemment être servis en anglais. Il n'existe toutefois aucune manière de consigner les préférences linguistiques de ces patients anglophones. Personne ne sait donc combien de gens préfèreraient recevoir des services en anglais s'ils le pouvaient, puisqu'il n'y a pas de données à ce sujet.

Mme Marini : Il serait pourtant si simple de cocher une petite case « anglais » ou « français » en remplissant un formulaire de demande ou en renouvelant sa carte d'assurance-maladie, aussi appelée carte soleil. On pourrait ajouter une petite case avec un « F » ou un « E » dans un coin de la carte. Les gens sauraient immédiatement, en voyant votre dossier ou votre carte, la langue dans laquelle vous préférez être servi, que ce soit dans les pharmacies, les hôpitaux, les cliniques ou les services spécialisés. Si la personne chargée d'appeler les patients pour leur rappeler leur rendez-vous avec un spécialiste constate que vous préférez que l'on s'adresse à vous en anglais, mais n'a pas les compétences requises pour le faire, elle demandera à quelqu'un de compétent de vous appeler. C'est pourtant simple.

Le sénateur Seidman : J'aimerais poursuivre la discussion sur l'aspect relatif aux soins de santé et aux services sociaux.

Monsieur Cutting, quand vous avez raccourci votre discours, vous avez éliminé un paragraphe. J'aimerais vous donner l'occasion de le faire consigner au compte rendu. Vous dites qu'il existe des programmes relevant de Santé Canada et du RCSSS, mais il est bien évident que puisque votre population vieillit et que, comme l'a souligné Mme Marini, il manque des générations intermédiaires — une situation dont nous avons également entendu parler à Québec, soit dit en passant —, vous vous heurtez peut-être à des problèmes particuliers sur le plan des soins de santé et des services sociaux. J'aimerais savoir comment les problèmes que vous éprouvez ici peuvent différer de ceux observés dans les autres régions du Québec.

Mme Marini : Le fait que notre région soit rurale a une incidence considérable. L'absence de génération intermédiaire ou de groupes de soutien pour aider les aînés et le manque de services en anglais font qu'un nombre croissant de gens ne cherchent même plus à accéder aux services auxquels ils ont droit parce qu'ils craignent d'être confrontés à un refus ou à de l'incompréhension, et de déranger parce qu'il n'y a pas de services, de transport ou d'accès. Les facteurs qui contribuent au problème sont légion et c'est extrêmement préoccupant.

Je présume que l'accès aux services est le même dans l'ensemble de la province, mais la ruralité de notre région contribue à la gravité de la situation. Il manque de bénévoles et de groupes de soutien. Le fait qu'il n'existe pas de services travaillant en collaboration pour veiller à ce que la population reçoive les services auxquels elle a droit constitue un grave problème.

M. Cutting : Un autre facteur entre en jeu. Dans notre exposé, nous avons tenté de mettre en lumière l'importance capitale que nous accordons au bilinguisme. Dans la communauté francophone, on connait le degré de bilinguisme dont jouissent les jeunes anglophones. Quand un anglophone se présente à un service, les préposés présumeront que cette personne est bilingue. Je tends moi-même à aborder les gens en français. Quand ils me disent qu'ils voudraient pratiquer leur anglais, j'accède à leur demande avec plaisir.

Cependant, nous savons que les aînés sont beaucoup moins bilingues. Voilà où l'absence des générations intermédiaires se fait sentir. Dans une structure familiale ou communautaire, si une personne âgée doit se rendre à l'hôpital ou à un service spécialisé, on s'attend à ce qu'un membre de la génération plus jeune l'accompagne. La question ne se limite pas au facteur linguistique : elle concerne la vie en communauté dans une société multigénérationnelle. C'est ainsi que nous vivons.

Nous avons repéré, dans de cadre de l'un de nos projets, des anglophones isolés. Il ne s'agit pas de petits groupes, mais de personnes qui n'ont de liens avec personne. Nous tentons d'établir ces liens, passant parfois par l'entremise de familles francophones.

Je ne suis pas certain de pouvoir apporter des observations différentes du point de vue des communautés rurales pour l'instant.

Le sénateur Seidman : Que ces commentaires soient différents ou pareils, ils n'en sont pas moins intéressants. Je vous remercie beaucoup de votre réponse.

Nous avons parlé de l'accès, en ce qui concerne notamment les hôpitaux. Qu'en est-il des autres services de santé, des services de premières lignes, des résidences pour aînés, des soins prénataux de base et de toute la gamme de services auxquels la population peut s'attendre? Pourriez-vous me parler de la situation de l'accès à cet égard?

Mme Marini : Bien des services sont offerts an anglais. Nous sommes gré au RCSSS de mettre en œuvre des projets qui nous permettent de contribuer à l'établissement de ces réseaux, de ne pas nous limiter à créer une base de données sur les services existants, mais de trouver un moyen de faire connaître ces services à la communauté. Car c'est aussi là un problème de taille. Si ces services existent, mais que la communauté l'ignore, ils ne sont pas très utiles. C'est un facteur extrêmement important sur le plan de l'accès communautaire.

Le sénateur Seidman : Vous voulez parler de la diffusion de l'information.

Mme Marini : Tout à fait.

Le sénateur Seidman : C'est certainement un défi. Avez-vous des journaux locaux, des centres communautaires, les moyens habituels de transmettre l'information?

Mme Marini : Bien sûr. La Townshippers' Association offre diverses initiatives, comme les cafés matinaux, dans le cadre desquels nous téléphonons aux gens pour les convier à des déjeuners ou des rencontres matinales communautaires. Nous y invitons également des organismes communautaires et des fournisseurs de soins de santé pour qu'ils parlent des services offerts, en anglais toujours.

Nous diffusons également des bulletins au sein des réseaux et organisons des téléconférences. L'accès prend plusieurs formes, mais rien n'égale l'intervention communautaire et un appel amical. C'est souvent le manque de ressources pour effectuer ces appels afin de faire sortir les gens de chez eux qui nous empêche de joindre tout le monde. Nous faisons ce que nous pouvons, avec les initiatives à notre disposition.

Le sénateur Seidman : Si nous poussons l'analyse plus loin, les initiatives dont vous parlez au chapitre des services et de la diffusion d'information exigent de toute évidence de bonnes relations entre les diverses parties qui participent à la prestation de soins de santé et de services sociaux : le gouvernement provincial, les municipalités, les centres hospitaliers régionaux et les CLSC. Quels rapports entretenez-vous avec ces intervenants? Dans quelle mesure pouvez- vous compter sur leur collaboration? Pouvez-vous utiliser leurs systèmes pour vous aider?

Mme Marini : Notre réseau et le personnel de la Townshippers' Association participent massivement aux divers groupes de discussion et tables de consultation. C'est ainsi que nous obtenons l'information nécessaire et la communiquons ensuite à notre communauté. L'investissement de temps et de ressources est immense. Certains membres de notre personnel peuvent participer jusqu'à 12 tables différentes. Nous faisons de notre mieux. Est-ce suffisant? Nous observons des résultats, mais nous pourrions accomplir davantage.

Le sénateur Seidman : Je me réserve le droit de poser d'autres questions.

[Français]

Le sénateur De Bané : Merci, madame la présidente. J'aurais des questions tout d'abord au sujet de votre mémoire, monsieur Cutting.

[Traduction]

On y trouve quantité d'acronymes et d'abréviations, dont j'ignore complètement le sens. Je suis vraiment désolée, mais dans certains cas, je ne sais même pas s'il s'agit d'un nom ou d'un acronyme. Serait-il possible de nous envoyer par courriel une liste de ces acronymes avec le nom au complet, le mandat et les réalisations afin d'éclairer ma chandelle?

M. Cutting : Rien de plus facile. Nous vous les enverrons.

Le sénateur De Bané : J'ignorais que cette affection bureaucratique du gouvernement fédéral s'était répandue jusqu'à Lennoxville. Ces acronymes pullulent dans votre document.

Dans ce document, vous signalez une vingtaine de défis à relever et de problèmes à résoudre. Hier, à Québec, nous avons entendu d'autres témoins. Les problèmes très sérieux qu'ils soulignaient étaient désolants.

Il y a une phrase dans votre exposé, au dernier paragraphe de la page 4, qui va au-delà de ce que j'ai entendu jusqu'à maintenant. Voici ce que vous dites :

[...] les Québécois anglophones sont [...] les moins susceptibles de considérer que les intérêts de leur communauté sont représentés par le gouvernement provincial.

Vous donnez ensuite une référence : Pocock 2009, page 87.

J'aimerais beaucoup avoir une copie de cet ouvrage, car il s'agit d'un point important. Les anglophones du Québec sont d'avis que leur gouvernement provincial représente moins bien leur communauté que n'importe quelle autre communauté, plus particulièrement aujourd'hui, même si le premier ministre vient de cette région et qu'il vient d'une famille biculturelle.

Cette citation de Pocock reflète-t-elle vraiment le sentiment des communautés anglophones du Québec?

M. Cutting : Encore une fois, il s'agit probablement d'une des questions auxquelles il est le plus difficile de répondre, car il y a, selon moi, une différence profonde entre faire une déclaration en s'appuyant sur des statistiques et faire une déclaration en s'appuyant sur des expériences vécues qui sont plus anecdotiques.

Permettez-moi de vous faire part de ce que j'ai moi-même observé. Il est particulièrement question des jeunes. Peut- être pourrai-je même faire le lien avec mon opinion.

J'ai deux fils et tous les deux ont quitté la province. L'un d'eux est revenu vivre au Québec, et l'autre reviendrait également s'il lui était possible d'être avec sa famille. Ce qui les a poussés à partir, c'est entre autres qu'ils avaient l'impression que l'anglais n'était pas le bienvenu; cela se voit. En vertu de la loi sur l'affichage, le français doit être prédominant. Sur le plan psychologique, le message gravé dans le subconscient d'une jeune personne qui grandit en regardant ces affiches est : « Tu n'es pas aussi grand, aussi gros ou aussi bon ». Ce message pourrait pousser un grand nombre de jeunes à partir jusqu'à ce qu'ils découvrent que l'expérience qu'ils peuvent vivre au Québec — et on ne peut le découvrir que par l'expérience — est en réalité extrêmement riche. Cependant, il faut être prêt à dire : « OK, un instant », ce qui est, je crois, caractéristique des Townshippers. Nous ne laisserons pas un obstacle nous empêcher de réussir, car nous pouvons apprendre le français et nous pouvons travailler en français. Nous pouvons avoir une vie bien remplie et satisfaisante et être tout de même en mesure de participer à notre culture anglophone et de nous engager au sein de nos communautés anglophones. Pour avoir une vie riche et bien remplie, il faut avoir accès à l'ensemble de la société québécoise.

En ce sens, je dirais que ce que l'on obtient probablement dans ce cas-ci, et c'est ce que nous révèlent les statistiques, c'est une forme institutionnalisée de... Ce n'est peut-être pas intentionnel, mais ce que l'on retient, c'est que les deux groupes linguistiques ne sont pas traités d'égal à égal; l'un est plus important que l'autre.

Les groupes majoritaires sont un autre facteur. Ce que j'essaie de dire aux jeunes anglophones, c'est de regarder ce que la communauté francophone a réussi à faire; de regarder la vitalité de la communauté francophone, son esprit d'entreprise et ce qu'elle a accompli en refusant d'accepter la prémisse selon laquelle nous ne sommes pas égaux. Je sais que c'est négatif.

La réponse à votre question est très complexe, mais ça revient à une forme de perception. Selon la perception, pour profiter de circonstances favorables, il faut aller ailleurs, et le gouvernement ne défend pas mes intérêts. S'il est censé défendre mes intérêts, pourquoi ne fait-il rien? Le débat actuel sur les conséquences du projet de loi 103 en est peut-être un bon exemple.

Le sénateur De Bané : Cependant, cette perception s'appuie vraiment sur la réalité. Quand on sait qu'il y a un million d'anglophones au Québec et qu'ils ne représentent que 2 p. 100 de l'effectif de la fonction publique du Québec, on comprend que cette perception ne s'appuie pas sur quelque chose d'abstrait, mais bien sur quelque chose de réel. Ils ne sont tout simplement pas représentés.

L'énorme ministère de l'Éducation du Québec ne compte que 30 personnes pour s'occuper de l'éducation en anglais. De ce nombre, il n'y en a que deux dont la langue maternelle est l'anglais. Qu'est-ce que ça veut dire?

Je regarde la liste des problèmes que vous avez soulevés, et j'en compte une vingtaine — chômage élevé, faible revenu, niveau d'instruction, accès aux services de santé, émigration, et j'en passe. À eux seuls, les Townshippers n'ont aucun poids politique, pas plus que les anglophones de la ville de Gaspé ou de la Basse-Côte-Nord. À Québec, les anglophones ne représentent que 1,8 p. 100 de la population, et ils n'ont aucun poids politique eux non plus.

Vous dites que vous n'êtes pas représentés à l'échelle provinciale. Si je ne m'abuse, il n'y a aucun ministre important au gouvernement provincial qui vient de la communauté anglophone montréalaise, n'est-ce pas?

M. Cutting : Je ne pourrais pas vous le dire.

Le sénateur De Bané : Je suis assez vieux pour me souvenir de l'époque où il y avait des gens influents au Cabinet pour représenter la communauté anglophone du Québec.

M. Cutting : Je me souviens moi aussi de cette époque.

Le sénateur De Bané : Il faut faire le point sur cette situation et y réfléchir. Mme Marini dit que la collaboration de Patrimoine Canada, à Ottawa, est parfaite. En fait, elle a dit qu'elle était « incroyable ».

Mme Marini : C'est encourageant.

Le sénateur De Bané : Oui. Vous avez le sentiment que les gens du ministère vous respectent et vous écoutent.

Le million d'anglophones du Québec forme un groupe très important. Je crois qu'il vaudrait la peine de réfléchir à la façon de mettre à profit le poids politique de cette population. Ce n'est pas normal qu'elle soit si absente de la scène politique de Québec. Selon moi, ce n'est pas normal, ce n'est pas correct. Nous devons réfléchir sur la façon d'atteindre cet objectif avec succès, car cette masse critique de citoyens suivra.

M. Cutting : Je viens de voir un des éléments essentiels dans votre langage corporel. Nous allons le faire.

Comme de nombreux autres membres de l'Association des Townshippers, je suis d'accord pour dire que la seule façon de reprendre notre rôle et notre place sur la scène politique, c'est d'y participer activement. À bien des égards, la communauté anglophone s'est transformée en un groupe minoritaire honnête et très caractéristique. De façon générale, la majorité s'occupe des groupes minoritaires parce qu'il le faut. Ils sont déshérités, ils ont moins de choses, ils ont ceci, ils ont cela.

Pour être de nouveau actifs sur la scène politique, nous devons prendre l'initiative et accepter nos responsabilités, non pas en tant qu'anglophones en colère — je crois que c'est un point important — mais en tant que membres actifs de la société québécoise. Parallèlement, nous devons convaincre les francophones que nous n'essayons pas de prendre leur place; nous voulons seulement des chances égales. Pourquoi n'y a-t-il pas plus d'anglophones dans la fonction publique? On disait autrefois que c'était parce que les anglophones aimaient se lancer en affaires, et que les francophones aimaient se joindre à la fonction publique. Encore une fois, cette façon de voir les choses s'appuyait sur des mythes.

Vous avez tout à fait raison de dire qu'il faut trouver une façon d'amener un groupe plutôt important à quitter son rôle de spectateur pour s'engager dans la partie et ainsi faire bouger les choses. C'est un défi énorme. Il sera surtout difficile d'inciter les jeunes à participer car, selon moi, ils s'intéressent de moins en moins à la politique en raison des scandales et de tout ce qui se produit dans ce milieu.

Il faudra pour cela avoir recours principalement à l'éducation et aux éducateurs, car ce sont les éducateurs qui forment les professionnels de demain. Comment faire pour « revitaliser » la communauté anglophone? C'est un mot très important. Il n'est pas nécessaire de créer une nouvelle vitalité. Il faut revitaliser une communauté qui était autrefois active, dynamique et participative.

Cependant, j'aurais un seul petit commentaire négatif à faire. Ceci n'est pas une déclaration, mais plutôt une question. Sur le plan politique, il est possible qu'aucun chef politique au Québec ne veuille donner l'impression de faire quelque chose qui favoriserait la communauté anglophone. Peut-être est-il plus avantageux sur le plan politique de ne pas donner l'impression de favoriser le développement de la communauté anglophone.

Encore une fois, je ne fais que poser la question. Donc, s'il vous plaît, ne faites pas de déclarations demain qui feraient en sorte de m'aliéner des gens avec qui je m'entends très bien.

Le sénateur De Bané : C'est noté. Je peux comprendre qu'autrefois, cette attitude défensive à l'égard des anglophones pouvait s'expliquer de plusieurs façons, mais aujourd'hui, la situation est complètement différente : il y a, entre autres, plus d'anglophones bilingues. La population du Québec a changé. Pourtant, on reste coincé dans des paradigmes qui n'ont absolument aucun fondement dans la réalité d'aujourd'hui.

Je crois que c'est un avantage extraordinaire pour cette province de pouvoir profiter des deux cultures et des deux langues les plus importantes du monde occidental. C'est tout un atout. Et c'est dommage que l'on réponde aux besoins de ceux qui doivent...

[Français]

... comment dirais-je, exploiter des sentiments d'insécurité.

Vous nous avez fait une présentation extrêmement sérieuse et substantielle. Je serais intéressé d'avoir la référence à ce livre, de 2006, deuxième édition, page 87, dont vous avez parlé. Cela m'intéresse beaucoup.

[Traduction]

La présidente : Sénateurs, en tant que présidente de ce comité, j'ai décidé d'ajouter cinq à 10 minutes à la période des questions, puisque certains d'entre vous aimeraient participer à une deuxième série de questions.

Seriez-vous d'accord, madame Marini, monsieur Cutting, si nous ajoutions quelques minutes à notre période des questions?

Mme Marini : J'aimerais faire un bref commentaire, si vous me le permettez.

La présidente : Je vous en prie.

Mme Marini : Comme vous l'avez si bien dit, malheureusement, en tant que minorité anglophone, nous devons constamment défendre nos droits, au lieu de faire valoir nos atouts, et ce, même sur le plan politique. Nous possédons une multitude d'atouts, mais nous sommes malheureusement incapables de les faire valoir. Si nous avions l'occasion de promouvoir ces atouts, non seulement pourrions-nous attirer les jeunes, mais aussi soutenir nos aînés, garder les membres de la génération intermédiaire et progresser à tous les niveaux.

Le sénateur De Bané : Vous devez justifier votre droit d'exister.

Mme Marini : Exactement.

Le sénateur Fraser : M. Cutting, j'ai aimé ce que vous avez dit, qu'il faut s'affirmer, mais pas en tant qu'anglophones en colère. J'ai bien aimé.

Tous les gouvernements doivent surveiller leurs dépenses, mais supposons qu'on arrive à dénicher des fonds, quelles seraient vos priorités? Je peux penser à un tas de choses qui seraient utiles pour cette communauté. Je vais vous donner quelques exemples : la sensibilisation, plus de formation, et peut-être des primes pour les gestionnaires de la fonction publique fédérale qui embauchent des anglophones. Soit dit en passant, même si sur le plan statistique, la fonction publique fédérale fait mieux que la fonction publique provinciale à cet égard, il y a encore du chemin à faire.

Peut-être faudrait-il mettre en place un régime d'incitatifs qui encouragerait les employeurs à embaucher des membres des minorités linguistiques et à leur donner une formation linguistique au travail. On le sait, la langue utilisée au travail est bien souvent très différente de ce que l'on apprend à l'école. Ce n'est pas la faute de l'élève ou de l'école si le jeune ne comprend pas le langage utilisé dans le secteur des semiconducteurs.

Peut-être faudrait-il donner une formation professionnelle aux jeunes et recueillir plus de données sur tout, comme les besoins en matière de santé.

Où irait l'argent? Quelles seraient vos priorités pour obtenir de l'argent du gouvernement fédéral ou pour négocier avec les provinces afin d'aider les municipalités à offrir plus de services, comme la traduction? Que feriez-vous?

Mme Marini : C'est comme demander à une mère de dire lequel de ses enfants elle préfère.

Le sénateur Fraser : Je sais.

Mme Marini : C'est une façon de faire injuste.

Il y aurait tellement de problèmes à aborder. Il ne fait aucun doute que les jeunes sont une de nos principales préoccupations : les sensibiliser; garder ici les jeunes professionnels; pouvoir améliorer les services et les programmes afin d'encourager les jeunes à ne pas décrocher; mettre en place des programmes de prévention du décrochage; mieux informer les gens au sujet des programmes qui existent; avoir un accès direct à la communauté; être en mesure de mieux communiquer avec les différents ordres de gouvernement, que ce soit municipal, provincial ou fédéral. Heureusement, grâce à des initiatives comme celle-ci, nous avons le sentiment d'être écoutés, et c'est un sentiment incroyable.

Pour qu'une personne sente qu'elle a sa place au sein de sa communauté — qu'il s'agisse d'un jeune, d'un artiste ou d'un aîné —, la meilleure façon est de lui permettre d'exprimer ses inquiétudes et de l'écouter. Notre priorité serait d'obtenir cela de la part de tous les ordres de gouvernement pour notre communauté. Ce serait extraordinaire de pouvoir coordonner stratégiquement nos efforts dans tous les secteurs, de pouvoir exprimer nos besoins et d'être écoutés. Il est clair que nos efforts seraient concentrés sur cet objectif.

Le sénateur Fraser : Mais il s'agit ici d'une occasion unique. Nous ne reviendrons pas sur le sujet dans trois mois ou dans six mois. Alors, prenez le temps d'y réfléchir et envoyez-nous votre décision par écrit. Je suis très sérieuse. Nous ferons des recommandations, mais il va sans dire que ces recommandations seront présentées au gouvernement fédéral. Si elles demandent une participation quelconque de la part du gouvernement provincial, ces recommandations devront faire l'objet de négociations. En tant qu'institution fédérale, nous faisons beaucoup en matière de relations avec les minorités. Vous savez mieux que nous comment cela fonctionne.

Mme Marini : Des projets de sensibilisation auprès des jeunes, des immigrants et des artistes, oui, absolument.

Le sénateur Seidman : Ce que je vais dire rejoint probablement les propos du sénateur Fraser. J'ignore si je ne fais que répéter ce qui a déjà été dit ou si mes propos contribueront à faire avancer le débat.

Premièrement, j'aimerais vous remercier tous les deux pour vos témoignages extrêmement sérieux, réfléchis et sincères. Nous vous en sommes très reconnaissants.

J'aimerais savoir ce que le Comité permanent des langues officielles ou le gouvernement fédéral peuvent faire pour vous aider. Que pouvons-nous faire pour encourager la croissance et le développement de cette minorité linguistique?

M. Cutting : Je crois que je vais répondre d'abord, puis je donnerai la parole à Mme Marini.

Je dois d'abord parler d'une perception. J'ai travaillé pendant plus de 35 ans en enseignement supérieur. Une des choses avec laquelle il fallait composer, c'était les transferts de paiements du gouvernement fédéral destinés à l'éducation postsecondaire. Pendant de nombreuses années, cet argent ne parvenait pratiquement jamais jusqu'au système collégial, jusqu'aux cégeps.

À maintes reprises, nous avons présenté des arguments à des représentants fédéraux. Nous avons appris qu'aucun gouvernement fédéral n'avait envie d'intervenir dans un dossier comme celui des langues et de l'éducation qui, avec les soins de santé, est censé être de compétence provinciale.

Le plus important, pour votre comité, serait probablement de dire au gouvernement que la situation peut sembler parfois très délicate, et même explosive. Le défi est de trouver des moyens de travailler plus directement avec les groupes qui pourraient bénéficier du financement et d'ouvrir les voies de communication avec les homologues provinciaux afin de surmonter cet obstacle qui existe depuis des années.

Pour ce qui est des détails, je vais céder la parole à Mme Marini, car c'est elle qui en connaît le plus dans notre organisation sur le développement de projets et la communication de données. C'est elle qui a accès aux détails qui parfois m'échappent complètement. Elle les comprend. J'aimerais vous fournir une réponse plus précise, donc je vais laisser la parole à quelqu'un qui peut vous donner une telle réponse.

Mme Marini : Comme je l'ai déjà dit, il faudra redoubler d'efforts afin de pouvoir communiquer nos besoins et d'être écoutés et consultés dans différents domaines, notamment par une participation plus active à l'échelle communautaire et par l'élaboration d'un plus grand nombre d'initiatives communautaires.

Nous ne pouvons peut-être pas nous attendre à une augmentation des ressources, mais le maintien garanti des ressources actuelles serait en revanche un énorme soulagement. Nous travaillons si fort avec le peu de ressources dont nous disposons, qu'une telle garantie serait la bienvenue. Nous tenterons toujours d'en obtenir plus, mais nous serions certainement heureux de savoir que les différents ordres vont maintenir le financement actuel.

Je répète que ce serait formidable si la communication était ouverte et qu'on prenait le temps d'écouter la communauté. Les gens ont besoin de savoir qu'on tient compte de leur opinion et qu'ils peuvent s'adresser aux niveaux municipal, provincial et fédéral. Toute forme de communication ouverte avec les différents ordres de gouvernement serait beaucoup appréciée pour promouvoir les initiatives communautaires.

Le sénateur Seidman : Je vous remercie beaucoup. Ces commentaires sont très utiles.

Le sénateur Fraser : Vous avez dit que vous ne receviez plus de fonds pour rencontrer directement des organisations anglophones comparables dans cette très grande province. Qui vous finançait et pourquoi ne le fait-on plus?

Mme Marini : C'était avant que je travaille à la Townshippers' Association. Toutefois, on m'a dit que les directeurs généraux des associations régionales et sectorielles formaient un réseau et communiquaient entre eux de façon très active. Ce réseau leur permettait d'obtenir du soutien, de nouer des relations, de tenir des séances de formation et de mettre en commun les expériences professionnelles, ce qui était fort utile. Nous devons savoir qui est prêt à nous écouter. Là encore, c'est une question de communication entre les gens de la communauté pour la mise en commun des connaissances, ce qui est aussi important que la communication avec les échelons supérieurs, comme votre comité. Selon nous, c'est ce qui est vraiment nécessaire.

[Français]

La présidente : Monsieur Cutting et madame Marini, je vous remercie sincèrement de vos présentations et de vos réponses à nos questions. Il est évident que vous êtes très conscients de la situation que vous nous avez présentée et que vous évoluez en partenariat avec les autres, c'est touchant. Je vous en remercie.

J'aimerais vous donner un message de notre comité : nous sommes le Comité des langues officielles, notre mission ou notre mandat c'est de voir à ce que la Loi sur les langues officielles soit respectée. Ceci veux dire que personne n'a oublié que le Canada a deux langues officielles, que le Canada a deux communautés de langue officielle en milieu minoritaire, ma communauté, je suis une francophone de l'extérieur du Québec, et votre communauté au Québec. Notre responsabilité, c'est de nous assurer que le gouvernement fédéral n'oublie pas ses obligations à l'égard de ces communautés en milieu minoritaire. C'est la raison pour laquelle nous avons choisi de venir visiter la communauté anglophone du Québec, qui est une communauté de langue officielle en milieu minoritaire.

Encore une fois, je vous remercie et vous souhaite bonne chance.

[Traduction]

La présidente : Je souhaite la bienvenue à notre prochain groupe de témoins, à savoir M. Roderick McLeod, ancien président, et M. Richard Evans, trésorier et président fondateur, du Quebec Anglophone Heritage Network.

Messieurs McLeod et Evans, nous vous remercions d'avoir accepté de comparaître aujourd'hui. Nous vous invitons à faire un exposé d'environ cinq minutes, et les députés vous poseront ensuite des questions.

Monsieur McLeod, la parole est à vous.

Roderick McLeod, ancien président, Quebec Anglophone Heritage Network : Je vous remercie. On dirait que j'ai laissé au bureau la version abrégée de l'exposé qui est devant vous, alors je ferai de mon mieux pour condenser l'information.

Honorables sénateurs, je suis reconnaissant d'avoir l'occasion de vous parler de l'état du patrimoine anglophone au Québec. C'est avec plaisir que je le fais dans un des plus importants établissements d'enseignement supérieur de la communauté anglophone, l'Université Bishop's, dont la fondation en 1843 en fait une des plus anciennes universités canadiennes. C'est ici que le Quebec Anglophone Heritage Network, le QAHN, a été fondé, il y a un peu plus de 10 ans.

Le QAHN est une organisation provinciale non partisane sans but lucratif qui s'emploie à faire mieux connaître et comprendre la participation des anglophones à l'histoire du Québec. Nous ne contestons en aucun cas les réalités linguistiques et culturelles de la province, mais nous mettons de l'avant l'apport du patrimoine anglophone, que partagent d'ailleurs bien des francophones, en raison d'antécédents familiaux complexes.

L'essentiel des fonds du QAHN vient de Patrimoine canadien. Cependant, nous recevons régulièrement depuis sept ans une subvention du ministère de la Culture, des Communications et de la Condition féminine. Étant donné que la grande majorité de nos membres sont anglophones, la plupart des activités se déroulent en anglais. Toutefois, nous collaborons fréquemment avec la Fédération des sociétés d'histoire du Québec, une organisation principalement francophone dont nous faisons partie. Cela dit, nous rappelons toujours que notre premier objectif est de favoriser l'avenir des anglophones du Québec en gardant l'histoire vive dans nos mémoires.

Nous répondons aux besoins des collectivités de patrimoine anglophone de partout dans la province. Je parle bien sûr de celles où l'on parle anglais, mais aussi des très nombreuses collectivités dont la population de langue anglaise connaît un déclin rapide ou même de celles dont le nombre d'anglophones a beaucoup diminué depuis longtemps, malgré une histoire riche.

Vous avez sans doute entendu dire que l'exode rural place bien des communautés anglophones du Québec dans une situation précaire. Notre objectif est de préserver le riche patrimoine anglophone de régions comme le Saguenay, la Mauricie, le Bas-Saint-Laurent et bien d'autres. Je le répète, bon nombre de ceux qui accordent de l'importance à ce patrimoine sont francophones.

La majorité de nos membres sont des sociétés historiques et des musées régionaux, dont un grand nombre sont assez petits et manquent de fonds et de personnel. Les sociétés historiques se consacrent à l'étude et à la préservation du patrimoine local, dont le patrimoine bâti, comme les maisons, les églises, les écoles, les granges, et cetera. Pour préserver ces bâtiments, sans parler de les restaurer, il faut généralement que collaborent les gens de la région et les divers ordres de gouvernement. Quelle que soit la provenance des fonds, l'investissement dans les sociétés historiques est minime.

Un des problèmes des sociétés historiques anglophones, c'est qu'elles doivent fonctionner dans une structure politique et juridique principalement francophone et avoir un bon niveau d'expertise technique, ce qui fait défaut dans bien des cas. Le QAHN aide les sociétés de la province à mettre leurs expériences en commun. Cela peut se faire par téléphone ou durant nos conférences. Nous avons également organisé des ateliers sur la façon de traiter avec les différentes administrations pour essayer de préserver un bâtiment, qui se sont révélés utiles. De plus, nous avons un site Internet et nous publions des magazines en ligne ainsi que le Magazine Heritage News, dont je vous ai remis des exemplaires.

Dans mon exposé, je parle ensuite de projets que nous avons réalisés au fil des ans, dont la plupart servent à mettre en contact nos organisations membres et à créer des bases de données qui peuvent les aider.

La réalité de notre organisation est bien différente selon que le contexte est urbain ou rural.

Même si c'est à Montréal qu'habitent la plupart des anglophones du Québec, il y a peu de sociétés historiques, qui constituent l'essentiel de nos membres. Dans une large mesure, c'est parce que le rythme de vie urbain et la variété des groupes culturels présents en ville font que les citoyens ne sont pas portés à se joindre à des organisations communautaires. La concentration de la population amène aussi les gens à se rencontrer pour bien d'autres raisons.

En général, les groupes de protection du patrimoine sont très peu structurés par nature, et on n'y adhère pas de façon continue. Le QAHN a encouragé ses groupes à faire partie d'un grand réseau et il a connu un succès notable grâce à la conférence Montreal Mosaic de 2007.

Malgré tout, des différences ethniques et linguistiques font que des citadins sont encore réticents à se faire désigner comme anglophones. Bien des institutions importantes hésitent aussi à reconnaître le rôle considérable qu'a joué pour eux la communauté anglophone, ce qui complique souvent nos efforts de collaboration. Même si Héritage Montréal et l'administration de cette ville réalisent d'importants travaux de préservation du patrimoine, ni l'un ni l'autre ne se concentre en particulier sur le patrimoine anglophone.

Nous croyons que nous pouvons avoir une influence majeure en mettant l'accent sur les éléments du patrimoine bâti des anglophones, en particulier s'il concerne les communautés culturelles. Le QAHN a souvent collaboré avec les responsables de l'Initiative pour le développement communautaire dans la région du Grand Montréal afin de promouvoir des activités de préservation du patrimoine.

Je parle ensuite du problème du vieillissement de nos bénévoles, sur lesquels nous comptons beaucoup, et des mesures que nous adoptons pour attirer les jeunes, comme tant d'autres organismes. Nous avons notamment collaboré avec des écoles, mais c'est très difficile en raison des budgets serrés et des délais extrêmement courts que doivent respecter les enseignants. Nous organisons aussi des concours de rédaction et même des concours de vidéos.

Nous avons deux principaux outils de diffusion. Il y a notre magazine, dont je vous en ai remis des exemplaires. J'aimerais souligner qu'il est presque entièrement fait par des bénévoles. Nous espérons vraiment recevoir des fonds à un certain moment pour rémunérer ceux qui participent à cette publication. Le problème, c'est que, sans financement, il est très difficile de produire le magazine et de rester d'actualité, de traiter de questions particulières et d'en faire un outil de communication pleinement fonctionnel, parce que nous dépendons des bénévoles et de ce qui les intéresse. Nos magazines en ligne nous causent les mêmes problèmes.

Depuis 10 ans, le QAHN a établi des relations essentielles. Il a créé une structure pour recueillir et communiquer de l'information sur le patrimoine et il a organisé des conférences et des ateliers intéressants. Toutefois, il peut faire bien plus et fournir un service réel à la communauté et aider à protéger le patrimoine varié de la province. La grande histoire du Québec comporte des volets multiples qu'il faut protéger pour les générations à venir.

La présidente : Le sénateur Fortin-Duplessis posera la première question.

[Français]

Le sénateur Fortin-Duplessis : Soyez les bienvenus, messieurs. Je félicite chaleureusement le Quebec Anglophone Heritage Network pour son excellent projet dans le cadre de la Spoken Heritage Online Multimedia Initiative. Ce projet entend préserver et promouvoir les histoires orales du patrimoine culturel anglophone du Québec.

J'aimerais faire un petit aparté avant de poser mes questions. J'ai été présidente de la Société historique de la ville de Québec. Je tiens à vous dire qu'il y a énormément de liens, à Québec, entre l'histoire des francophones et celle des anglophones. On ne peut pas faire autrement que d'enseigner aux gens que les banques étaient détenues par des personnes anglophones, de même pour le secteur de construction de bateaux, qui transportait du bois, à l'époque, vers l'Angleterre, et bien d'autres domaines encore. Cette histoire est vraiment interreliée.

Vous avez parlé un peu du travail que vous faites auprès des étudiants dans les écoles. Avez-vous l'impression que les écoles anglaises contribuent suffisamment à l'enrichissement culturel des jeunes anglophones et à promouvoir l'histoire du patrimoine culturel anglophone du Québec? Êtes-vous capables d'exercer une influence dans les écoles? Je veux savoir si, dans le système anglophone — que je ne connais pas parce que j'étais enseignante dans une école francophone — l'histoire est bien enseignée et si les jeunes anglophones ont conscience de la richesse de leur histoire?

M. McLeod : Je ne crois pas que l'on puisse vraiment critiquer le programme d'enseignement. Nous avons trouvé qu'il était fort difficile d'influencer les professeurs. Ils sont parfois presque dans l'impossibilité de modifier ce qu'ils sont obligés de faire pendant une année. Parfois, certains professeurs sont particulièrement intéressés par des projets, nos essais ou nos compétitions de vidéo par exemple. Je ne sais pas exactement comment cela se fait, mais ils trouvent du temps, ils trouvent une petite quantité d'élèves, qui ont la capacité de travailler ensemble après la journée d'école. Cela arrive parfois. Mais pour nous, nous lançons des défis et nous attendons; parfois il y a des réponses qui sont très intéressantes.

Le sénateur Fortin-Duplessis : Cela veut dire que, au niveau des écoles anglophones, les cours d'histoire ne sont pas assez forts, ne sont pas assez importants.

Richard Evans, trésorier et président fondateur, Quebec Anglophone Heritage Network : J'ai l'impression tout simplement que l'enseignement de l'histoire régionale ou locale anglophone, regrettablement, n'est pas suffisant. C'est ce qui ressort de nos discussions avec les professeurs, les enseignants et les jeunes. Il y a deux ans, j'ai assisté à une conférence avec la Townshipper's Association, durant quelques weekends d'étude et de discussions. Y étaient représentés une génération de gens aux cheveux gris — ou chauves —, comme moi, et des jeunes, des étudiants. Durant la période de discussion, une partie de celle-ci a porté sur le patrimoine.

Sur un groupe de 20 personnes, il y avait trois ou quatre jeunes, tout récemment diplômés de l'école secondaire d'ici, qui ne connaissaient pas l'histoire. Franchement, j'étais le seul de ces 20 personnes qui était capable de raconter un peu l'histoire de la région des Cantons-de-l'Est et comment sa population anglophone était le produit d'une série d'événements qui générait un héritage, un patrimoine anglophone. Il était clair que les étudiants dans les écoles ne recevaient pas ces informations.

J'ai aussi cette impression, ici et là, lorsque nous discutons avec nos sociétés d'histoire sur la situation en général. Durant la dernière décennie, j'ai été pour quelque temps membre du conseil d'administration de la Fédération des sociétés d'histoire du Québec. Il y avait là plusieurs francophones, des professeurs retraités, qui n'était pas satisfaits de l'enseignement de l'histoire dans les écoles.

Ils essayaient de faire des représentations auprès des ministères et cherchaient toutes sortes d'opportunités de faire des représentations. Malheureusement, il semble que, avec les changements du programme d'enseignement dans les écoles, la vérité est que les professeurs ne sont pratiquement jamais en mesure de réaliser une série de choses durant l'année. Il n'y a pas de temps pour discuter de l'histoire en général ou en profondeur. Il n'y a pas de financement pour permettre aux étudiants de sortir des écoles, visiter les musées, chercher des sources d'enseignement sur leur patrimoine. D'une manière générale, il est triste qu'une chose si importante soit aussi limitée.

Un de vos collègues, le sénateur Laurier LaPierre, a pris la parole lors de l'une de nos conférences. Ceux d'entre vous qui le connaissent savent que c'est un homme de force et sérieux. Selon lui, la tragédie qui est arrivé dans le système d'éducation, c'est lorsqu'ils ont remplacé le thème de l'histoire par celui de « social studies. » Beaucoup de gens regrettent ce changement, mais on est pris pour quelques décennies avec ce changement d'orientation, de pensées.

Il reste beaucoup à faire. Malheureusement, pour nous, tout le monde le sait, c'est le ministère de l'éducation provincial qui contrôle cela. Il y a peut-être des choses possibles dans ce domaine en termes d'expériences de travail pour les étudiants et pour nos membres des sociétés d'histoire et des petits musées. Une opportunité pour eux est d'engager des étudiants durant l'été.

Ils ont beaucoup de problèmes avec ces programmes : l'irrégularité, le manque de continuité, la difficulté des formulaires à remplir, toute sorte de difficultés. Vous pourriez peut-être exercer une influence pour qu'on ait une plus forte continuité; c'est quelque chose qui est peut-être du domaine du gouvernement fédéral. Je m'excuse d'avoir pris si longtemps pour répondre à votre question.

Le sénateur Fortin-Duplessis : C'est important. Je crois que vous avez tout un défi. Et c'est dommage; je pense aussi qu'on a réduit pas mal les cours d'histoire du côté francophone également. Merci beaucoup de vos réponses.

[Traduction]

Le sénateur Fraser : Merci beaucoup d'être là. Je crois que votre travail compte vraiment. Je trouve cela incompréhensible, mais ce n'est pas tout le monde qui s'intéresse à l'histoire. Cependant, il importe de ne pas négliger ceux qui s'y intéressent, parce qu'ils sont les gardiens du passé; et à défaut de connaître l'histoire, on ne peut pas comprendre le présent ni entrevoir l'avenir. Vous nous rendez un grand service en protégeant le patrimoine. De plus, votre magazine est absolument fantastique. J'ai honte de dire que je ne le connaissais pas et j'aimerais m'abonner, s'il vous plaît.

Cela dit, j'ai deux ou trois questions à vous poser. Votre financement a-t-il été stable et, si vous me permettez de poser la question, combien d'argent recevez-vous de Patrimoine canadien?

M. McLeod : Je pense que notre financement a été relativement stable. Ces deux dernières années, Patrimoine canadien nous a accordé une subvention de 95 000 $. Toutefois, j'espère que notre directeur général, qui est ici, se manifestera si je me trompe.

Le sénateur Fraser : Dans ce monde, deux ans représentent une période de stabilité, n'est-ce pas?

M. McLeod : En effet. Il s'agit d'un accord de contribution de deux ans, ce qui est une bonne chose, car nous n'avons pas à négocier à la fin de la première année.

Le sénateur Fraser : C'est formidable.

Que recevez-vous du gouvernement provincial?

M. McLeod : Depuis plus de deux ans, nous recevons 15 000 $, ce qui représente environ le huitième de nos revenus. Auparavant, c'était plutôt le septième.

Le sénateur Fraser : C'est encourageant.

M. McLeod : C'est très encourageant qu'on nous accorde encore ces fonds, car selon moi, nous donnons le bon exemple.

Le sénateur Fraser : J'ai été surprise de lire dans votre mémoire qu'un des problèmes des sociétés historiques anglophones, c'est qu'elles traitent avec des institutions qui semblent hésiter à reconnaître l'importance qu'a eue pour eux la communauté de langue anglaise. Puis-je vous demander comment sont vos relations, par exemple, avec le Musée des beaux-arts de Montréal et le Musée McCord?

M. McLeod : Si je ne m'abuse, nous n'entretenons pas vraiment de relation avec le Musée des beaux-arts de Montréal, mais c'est une bonne idée. Nous devrions sans doute envisager de le faire.

À mon avis, nous avons une très bonne relation avec le Musée McCord et, si je peux me permettre, je dirais que c'est grâce à des négociations plutôt serrées et à un assez bon nombre d'ajustements. Je sais très bien que, compte tenu du nom anglophone de l'établissement, les gens du Musée McCord ont devant eux un parcours complexe. En effet, ils veulent attirer non seulement les francophones ou les amateurs de musées, mais aussi les visiteurs de l'étranger. Le Musée McCord doit faire attention pour ne pas être trop fortement associé à une organisation ou à un mouvement politique réel ou présumé. Je crois qu'avec eux, nous avons réussi à nous entendre à deux ou trois reprises, mais il ne faut pas nous imposer. Je pense que c'est normal pour les institutions et, même si ce n'est pas toujours agréable de passer par ce processus, nous pourrions dire que c'est simplement comme cela qu'il faut faire les choses.

Le sénateur Fraser : Vous avez entrepris un projet ambitieux, qui ne consiste pas simplement à écrire l'histoire, mais qui concerne jusqu'à la protection des cimetières, ce qui n'est pas peu dire. Il est évident que vos fonds sont insuffisants. On n'en a jamais assez.

En prenant cela en compte, quelles sont vos grandes priorités? Recevez-vous de l'argent de fondations privées? Avez-vous déjà songé à ce genre de chose? Faites-vous votre propre collecte de fonds ou dépendez-vous entièrement du financement du gouvernement pour l'instant?

M. McLeod : Nous y avons pensé, mais nous n'avons pas reçu de contribution importante du secteur privé. En fait, nous en avons discuté il y a peu de temps, alors il y a de l'espoir, mais ce n'est pas simple.

Dans une faible mesure, nous recueillons effectivement de l'argent au cours de certaines de nos activités. Cependant, je doute même qu'elles s'autofinancent. Ces activités sont bien plus faciles à organiser, mais les fonds recueillis ne sont pas nécessairement considérables. Donc, il est vrai que ces questions nous préoccupent constamment.

Il ne semble pas y avoir de moyens qui nous permettent véritablement de ne plus dépendre en grande partie du financement gouvernemental.

Le sénateur Fraser : Compte tenu de l'insuffisance des fonds, quelles sont vos priorités?

M. McLeod : Je vais répondre, de même que M. Evans.

Outre les idées de génie que nous finissons par appliquer pour avoir l'argent nécessaire à la réalisation de nos projets, nous tentons toujours d'établir des relations entre les gens et entre les petites communautés isolées de la province, qui autrement n'ont jamais la chance de se parler, en particulier pour les questions de patrimoine. Travail de tous les instants, nous cherchons aussi à réduire l'écart entre la mentalité de la ville et celle des campagnes, deux milieux qui ont chacun de leurs problèmes respectifs, en étant faciles à rejoindre, en utilisant des outils de communication et ainsi de suite. Je dirais que c'est notre grande priorité.

Le sénateur Fraser : Entretenez-vous des relations avec Archives Canada?

M. McLeod : Nous avons profité de la collaboration de cet organisme pour quelques expositions régionales, mais nous n'avons aucun partenariat officiel.

M. Evans : J'aimerais préciser que notre organisation ne s'occupe pas de la protection du patrimoine proprement dite. Ce sont les membres de notre réseau qui le font. Notre objectif, c'est de permettre à nos membres d'être plus productifs et plus efficaces et de communiquer entre eux toute l'information possible. Nous encourageons nos membres à faire du réseautage et à s'entraider pour trouver toutes les ressources dont ils ont besoin.

Vous avez bien raison de dire que c'est une tâche colossale. Le temps n'épargne pas les éléments du patrimoine, et il y a tant de gens qui veulent réaliser de grandes choses, mais qui manquent de moyens. Vous avez tout à fait raison.

Durant les premières années, nous avons essayé plus d'une fois d'obtenir le statut d'organisation caritative, mais en vain. Malheureusement, nous avons présenté une demande officielle moins d'un mois après les événements du 11 septembre 2001, alors qu'on effectuait des analyses en profondeur dans le domaine, et nous n'avons jamais réussi à satisfaire aux critères. Les responsables de l'enregistrement des organisations caritatives nous ont dit que le seul fait de représenter diverses sociétés nous rendait inadmissibles. Nous avons longtemps cherché à obtenir ce statut, sans lequel on nous empêche de faire beaucoup de collectes de fonds pour nos membres. Cela dit, nous y travaillons toujours.

Si l'on se penche sur le financement de l'entreprise privée, on constate qu'il y a très peu d'intérêt pour le patrimoine. Pour dire les choses comme elles sont, ce n'est pas très attrayant. Si je ne m'abuse, M. McLeod a dit que, lorsque nous avons commencé à essayer de recueillir des fonds, il est devenu évident que l'argent était ce qui faisait le plus défaut à une organisation locale de protection du patrimoine. Il manque beaucoup d'argent, même si on calcule les rentrées venant de toutes les sources. Il y a tellement de choses à faire par rapport aux fonds disponibles que nous devons tous trouver un moyen d'aider les gens à établir des priorités et à faire de leur mieux selon les moyens dont ils disposent.

Malheureusement, beaucoup de bâtiments historiques ont besoin de travaux inintéressants — toitures, drainage, évacuation des eaux usées. Il est difficile de trouver des gens intéressés à fournir 1 million de dollars à l'appui du projet évacuation des eaux usées du Dr John Allingham, par exemple. Il est probable qu'ils préféreraient financer une chaire de physique nucléaire dans un département universitaire, ce qui présente beaucoup plus d'attrait. Cependant, tout le reste est néanmoins réel et c'est l'objet d'une partie de nos efforts visant à voir si, en fin de compte, nous pourrons susciter, à la longue, des engagements financiers plus grands et continus.

Le sénateur Seidman : Messieurs, ce que vous dites est un peu une révélation pour moi. Je vous en suis reconnaissant. Je dois admettre que ce que je lis sur la léthargie observée à Montréal m'attriste un peu, de même que votre exposé selon lequel beaucoup d'établissements importants semblent également hésitants à reconnaître l'importance de leurs propres racines dans la communauté anglophone, allant même souvent jusqu'à compliquer les efforts de collaboration avec eux.

Nous sommes tous conscients que l'histoire s'intègre dans la culture et que les expériences transmises d'une génération à l'autre constituent pour nous un contexte et procurent un sentiment d'identité.

Nous avons aussi entendu, ici même et pendant les deux journées qui ont précédé, à Québec, que les anglophones semblent vivre un véritable problème d'identité. Si leur identité n'est pas reconnue à l'école — on ne peut même pas encourager l'enseignement de l'histoire ni l'intérêt pour le réseau d'éducation — à qui d'autre pouvons-nous nous adresser? Qu'en est-il des médias? Quelles relations avez-vous avec les médias anglophones — télévision, radio, journaux — ou quel rôle les voyez-vous jouer dans la promotion du patrimoine afin de mettre en relief l'histoire des anglophones?

Par exemple, le journal The Gazette consacre une rubrique hebdomadaire au contexte historique et il publie un extrait paru dans les journaux il y a quelque 100 ans. C'est une tentative de prise de contact et de compréhension de l'histoire des anglophones, mais c'est très peu. D'après vous, les médias anglophones auraient-ils un rôle à jouer?

M. Evans : Oui. Je pense que la difficulté réside dans la place que nous occupons, dans les choses qui retiennent l'attention du public. Nous ne ferons jamais la une. À moins d'un événement extraordinaire, nous serons enfouis des pages plus loin. Dans les médias électroniques, la télévision ou la radio, nous servirons de remplissage quand, par exemple, dans la grille horaire réservée à un film, il y a un jeu de deux minutes. Nous devons nous plier à cette réalité, n'étant pas capables, contrairement à une importante et riche société, de communiquer avec le public.

Un ministère comme celui du Patrimoine canadien peut jouer un rôle important, en faisant ce qu'il peut pour sensibiliser davantage les gens. J'ignore à quel point c'est prioritaire pour lui, où cela se situe dans la hiérarchie de ses besoins, mais je pense que c'est une fonction qui peut être utile et encourageante.

J'ai été enchanté de vous entendre parler d'identité, parce que cette notion est omniprésente dans tout ce que nous faisons. Ce que nous faisons concerne l'identité. Nous avons parlé des élèves. Quand l'élève arrive à l'école, l'une des premières choses qu'on lui demande est de se donner un sentiment d'identité. Qui suis-je? De quoi fais-je partie? Qu'est-ce qui fait que je sois moi? De quoi ma communauté est-elle faite? Quelle est l'identité de ma communauté? Oui, j'ai été enchanté quand vous avez parlé d'identité.

Vous avez comparé la situation de Montréal à celle du reste de la province. Je dirais que le problème, à Montréal, pour des organismes comme le nôtre, est l'absence de continuité. Ici et partout ailleurs dans la province, les anglophones ont un sens de l'histoire locale. Dans un milieu comme Montréal, la population anglophone est concentrée dans le West Island, une communauté qui n'a pas beaucoup d'histoire. Les anglophones n'y étaient pas très présents avant 1930, environ. À Laval, la communauté anglophone possède un sens de l'histoire locale. Pour elle, le lien consiste donc à adhérer à des ensembles tels que les sociétés irlandaises, les groupes culturels et communautaires. Nous devons alors favoriser ce type de réseautage, qui parfois fonctionne bien et qui, d'autres fois, ne fonctionne pas.

Comme M. McLeod l'a mentionné, les groupes hésitent parfois à se rapprocher trop de nous, parce que, pour quelque raison, le mot « anglophone » les inquiète. C'est une réponse partielle à votre question.

M. McLeod : Je pense que je suis d'accord sur la question des médias, dont il est difficile d'attirer l'attention à moins de faire des choses, politiquement, que nous ne tenons pas du tout à faire — non seulement cela, mais que nous n'avons pas le mandat de faire.

Cela soulève la question de l'identité, parce que c'est un sujet délicat. Cependant, je ne saurais trop souligner combien il est important de continuer à penser aux surprises que nous éprouvons quand il s'agit d'employer le mot « anglophone » ou quand nous disons simplement que nous aimerions nous rencontrer et parler de notre histoire et de nos récits, en nous adressant surtout aux gens qui ont un lien identitaire avec la langue anglaise. Nous trouvons des façons compliquées pour dire ce que nous sommes, essentiellement.

Nous avons eu beaucoup de succès, mais au prix de beaucoup de négociations. J'ai été frappé par le fait que la question de ce « qu'est un anglophone » ne se pose pas si souvent que cela à l'extérieur du contexte québécois. Je pense que les collectivités ont probablement une meilleure appréciation de leurs besoins et de leur origine.

À propos, je me souviens d'une discussion à laquelle j'ai participé, approximativement dans l'année qui vient de s'écouler, avec des représentants de la communauté. Des fonctionnaires du ministère du Patrimoine canadien m'ont révélé que les organismes francophones hors Québec ne possèdent pas, à l'échelon provincial — dans certains cas à l'échelon national — d'organisations vouées spécialement au patrimoine. Si, à ce sujet, j'ai tort, je m'en réjouis, mais si j'ai raison, nous serions alors certainement intéressés à en discuter plus en profondeur. Si on pouvait nous aider à ce sujet, nous en serions des plus reconnaissants, parce que cela nous offre une occasion de continuer à discuter de cette notion d'identité et de ce qui constitue un anglophone. Ce sujet, que l'on peut minimiser au point de le faire disparaître, revient constamment sur le tapis. Les Québécois y sont extrêmement sensibles et ils le resteront pendant nombre d'années, alors que nous expérimenterons la diversité linguistique ainsi que la diversité religieuse, culturelle et ethnique. Tous ces sujets chauds se superposent à la question linguistique. D'après nous, c'est très intéressant, mais également difficile. Cependant, il faut l'examiner pour arriver à cerner les problèmes de cette minorité particulière. Merci d'avoir soulevé la question.

Le sénateur Seidman : Merci beaucoup de vos réponses perspicaces.

M. Evans : Voici un sujet qui ne devrait pas sombrer dans l'oubli : dans son mémoire, M. McLean a signalé que, dans de nombreuses régions de la province, des francophones intéressés se chargent localement de vouloir préserver ou de préserver effectivement l'histoire des communautés anglophones qui existaient là. On le voit notamment en Beauce, au Lac-Saint-Jean. La maison Fraser, à Rivière-du-Loup, est un exemple. Des francophones dirigent les sociétés historiques qui préservent le patrimoine irlandais et écossais. Il y a 100 ans, des communautés écossaises parlaient gaélique. Elles ont maintenant disparu. Chaque année, on célèbre des journées écossaises, organisées par les francophones locaux qui préservent ce patrimoine. Nous n'allons pas les en dissuader. Plus ils le font, mieux c'est, et il importe que nous puissions les y encourager.

Le sénateur De Bané : Vous dites que le noyau essentiel de vos membres est constitué de sociétés historiques et de musées régionaux. Les sociétés historiques que je connais collectionnent documents, livres et lettres, qu'elles exposent pour les visiteurs.

Le musée McCord ou le Musée des beaux-arts de Montréal exposent avant tout des œuvres d'art, des peintures et des sculptures. Avez-vous des rapports avec les musées régionaux et les sociétés historiques régionales?

M. Evans : Avec la plupart d'entre elles, nous faisons d'une pierre deux coups. Beaucoup de sociétés locales exploitent des musées et possèdent d'importantes collections, des bâtiments remplis de pièces et d'objets. Ici, en Estrie, six sociétés historiques locales possèdent des musées. Cinq sont centrées sur des circonscriptions historiques comme les comtés de Compton, de Richmond et de Stanstead. Certains ont une longue histoire, qui remonte à plus de 100 ans.

Le sénateur De Bané : Sans faire de ventilation des musées régionaux anglophones et francophones, combien trouve- t-on de petits musées régionaux dans la province de Québec en tout?

M. Evans : On pourrait compter 25 ou 30 musées. Sans entrer dans les détails, beaucoup de sociétés historiques n'exploitent pas de collections importantes.

Le sénateur De Bané : En effet, la plupart de celles que je connais possèdent des documents, mais n'ont pas de collections d'objets, et cetera.

Maintenant que je sais qu'il y en a une trentaine, l'un des problèmes des sociétés anglophones consiste à fonctionner à l'intérieur d'une structure politico-juridique principalement francophone, qui exige un degré de compétence que beaucoup ne possèdent pas.

Ce que je dis, bien sûr, s'applique à toute autre interaction avec l'administration québécoise — tout autre programme — qu'il concerne la santé, le développement économique, le tourisme, et cetera. L'un de nos problèmes consiste à fonctionner à l'intérieur d'une structure politico-juridique principalement francophone.

Prenons le ministère de l'Éducation. Il possède une minuscule direction générale pour l'éducation en anglais. Le ministère de la Culture du Québec, le principal organisme qui distribue des subventions aux musées régionaux, est-il équipé pour traiter avec les musées et les sociétés historiques anglophones ou est-il complètement dépourvu?

M. Evans : À ma connaissance, ce genre d'étiquette n'existe pas. Je ne crois pas. Mais je dirais, après avoir observé les choses pendant des années, y compris une période pendant laquelle j'ai présidé une société et un musée historiques, que l'administration, en général, évite très bien la discrimination linguistique. Il n'y a pas de préjugés. Enfin, dans certains cas, particulièrement ici, en Estrie, la direction générale du ministère de la Culture a compris que la caractéristique de la région, c'est son histoire anglophone. Le ministre de la Culture estime que, à l'échelon régional, c'est quelque chose à souligner et, en effet, ce l'est en Estrie et en Montérégie. Je pense que, en général, on appuie les établissements à la mesure de leurs capacités.

Quant à la Fondation du patrimoine religieux du Québec, devenue le Conseil du patrimoine religieux du Québec — j'ignore pourquoi le nom a changé —, son soutien est très important. Je pense qu'elle s'est coupée en quatre, d'une certaine manière, pour appuyer la préservation des églises historiques anglaises.

Le sénateur De Bané : Pouvons-nous dire, monsieur Evans, que, en bref, l'observation suivante ne correspond pas à la réalité?

L'un des problèmes qu'affrontent les sociétés anglophones, c'est de devoir fonctionner dans une structure politico-juridique principalement francophone.

Vos observations contredisent cette déclaration.

M. Evans : Pas tout à fait, non. Permettez-moi de m'exprimer non pas comme auteur de cette observation mais pour dissiper le malentendu.

La difficulté, pour les habitants locaux qui exploitent ces établissements, c'est d'être capable d'interagir avec le milieu francophone et de comprendre le cadre juridique à l'intérieur desquels ils doivent fonctionner. Une partie de ce cadre impose, pour qu'ils puissent être financés, qu'ils fonctionnent en respectant le bilinguisme. Ils doivent avoir accès à de bons traducteurs, ce qui coûte cher. Comme pour tout le monde, comme le sénateur Fraser l'a mentionné, l'argent manque.

Le sénateur De Bané : La raison d'être du Réseau du patrimoine anglophone du Québec est de servir de trait d'union entre les sociétés de partout dans la province, pour qu'elles puissent mettre en commun leurs expériences. Vous leur montrez comment fonctionner dans cet univers qu'elles connaissent mal.

M. Evans : Nous essayons de les aider.

M. McLeod : Cela concerne particulièrement les questions juridiques, parce qu'il arrive si souvent qu'un projet de restauration dépende beaucoup de la connaissance du droit foncier. Cela peut être compliqué. Je ne veux pas dire que c'est plus grave que l'impossibilité de comprendre les explications du médecin, données dans une autre langue, sur la maladie dont on souffre; c'est très grave, bien sûr. Plus grave, je dirais, que le problème qui se pose à l'industrie touristique. Je ne pense pas que les visiteurs tendent à éviter certains endroits ou se privent de sortir dîner uniquement à cause d'un peu de difficultés de compréhension d'une langue. Ce sont des aspects de la vie de tous les jours et, bien sûr, toutes sortes d'éléments de l'économie n'en souffrent pas.

Le sénateur De Bané : Après quelques jours consacrés à l'écoute de différents groupes sur certaines autres questions dont nous nous sommes occupés, je constate que la communauté anglophone n'est pas traitée loyalement.

Je comprends le problème, par exemple, que l'administration est francophone et qu'elle possède très peu de fonctionnaires dont la langue maternelle est l'anglais. Je comprends très bien la difficulté que vous avez expliquée. Cependant, votre problème est plus facile à résoudre que tous les autres dont nous avons entendu parler, tant médicaux que ceux qui concernent les soins de santé, l'éducation, et cetera.

M. Evans : Il est plus limité.

[Français]

Le sénateur De Bané : Oui, je trouve.

M. Evans : C'est moins diversifié. Il y a moins de diversité pour nos défis.

Le sénateur De Bané : Exactement. Lorsque je parle avec des membres des sociétés historiques francophones, ils se plaignent que les représentants du gouvernement du Québec leur parlent beaucoup, mais quand arrive le temps de donner de l'argent, ils ne sont pas là.

[Traduction]

M. Evans : Vous m'avez rappelé un sujet connexe aux propos qui se sont tenus ici. Plus tôt, il a été question de cimetières, parce que ces endroits sont des lieux importants de conservation de l'histoire. L'incertitude entoure leur protection et leur préservation. C'est un terrain constamment mouvant, difficilement praticable par les groupes locaux intéressés. La situation juridique des cimetières qui ont appartenu à l'église catholique francophone diffère de celle de tous les autres types de cimetières. C'est un domaine où abondent les incertitudes juridiques, un domaine où, semble-t-il, personne ne possède une vision claire du droit qui s'applique en la matière.

En ce qui nous concerne, nous avions des projets et nous continuons d'en avoir pour favoriser la protection et la préservation de ces terrains.

La question entoure un élément secondaire dont j'ignore si quelqu'un a eu l'occasion de vous en parler. Les cimetières sont aussi des dépôts d'art. L'art est l'objet de vols et d'échanges, et l'art des monuments funéraires est exposé à être volé; parfois sur commande. Nous savons peu de chose du phénomène, mais il existe des conventions internationales sur les trafics illicites. Je ne suis pas certain de la situation du Canada aujourd'hui à ce sujet, mais, il y a quelques années encore, il n'avait pas signé la convention internationale sur les trafics illicites de tels objets. Je pense qu'il vaudrait la peine que le Sénat examine la situation du Canada à cet égard aujourd'hui.

[Français]

Le sénateur Fortin-Duplessis : J'aimerais justement savoir où vous en êtes dans votre inventaire de cimetières. Avez- vous complété une grande partie du travail ou est-ce un simple projet?

M. McLeod : C'était un projet pour quatre régions : l'Estrie, les Laurentides, je ne me rappelle pas exactement les autres. C'était préliminaire. C'était pour voir si c'était possible. On a compilé une grande quantité de cimetières dans ces trois ou quatre régions. Le catalogue, c'est la première partie. Ensuite, qu'est-ce qu'il faut faire avec les cimetières qui sont en train de disparaître? C'est autre chose.

Le sénateur Fortin-Duplessis : Y en a-t-il beaucoup qui sont disparus à l'heure actuelle au profit de plantations de vignes, par exemple, ou d'autres choses comme cela, dans la région?

M. McLeod : Il y a des endroits où au début, les gens étaient enterrés dans les champs, dans une petite section d'un champ. Maintenant, tout est construit ou abandonné. Oui, il faut retrouver d'anciens cimetières.

M. Evans : On peut dire que toutes sortes de conditions imaginables existent. Certains cimetières sont sérieusement négligés, d'autres sont perdus dans les bois, certains monuments sont déracinés et lancés dans la clôture, et dans certains cimetières on a construit des bâtiments.

Les MRC tentent actuellement de soulever ces problèmes afin de faire reconnaître ces endroits comme sites patrimoniaux et potentiellement comme sites touristiques. Ces cimetières sont des attractions pour les touristes.

[Traduction]

M. Evans : Beaucoup d'Américains visitent nos sociétés historiques, à la recherche de leurs racines, parce que la communauté anglophone est disparue et s'est dispersée dans toute l'Amérique du Nord. Ce sont, d'une certaine manière, une ressource commerciale qui attire les touristes intéressés par le patrimoine.

[Français]

M. McLeod : Vous ne savez peut-être pas que les bureaux du ministère du Patrimoine canadien, à Montréal, se trouvent au-dessus d'un ancien cimetière qui n'existe plus, bien sûr.

Le sénateur Fortin-Duplessis : Je l'ignorais. Merci beaucoup.

[Traduction]

Le sénateur Fraser : J'aimerais revenir à deux ou trois questions qui ont déjà été soulevées, la première étant celle des médias. Je ne poserai pas de questions, mais je ne peux pas résister à la tentation de faire une petite observation.

Je serais d'accord pour dire que les médias sont un excellent moyen de promotion d'un sens de l'identité historique, un excellent moyen de contribuer ainsi à l'identité. J'ai passé de nombreuses années à la Gazette de Montréal, et les rubriques d'Edgar Andrew Collard, dont vous vous souviendrez, et celles, maintenant, de John Kalbfleisch étaient et sont remarquables. On ne les perçoit pas comme du remplissage; presque tous les lecteurs s'en délectaient. Ce n'est pas tout le monde qui lit tout le journal. Pour ma part, je ne lis jamais les sports. Mais certains le font.

La clé, c'est de trouver quelqu'un doué d'un talent journalistique pour raconter ces histoires. Le matériel est disponible, à tout le moins dans les archives du journal. Il s'agit d'un grand projet de retraite pour tout journaliste. Si vous pouviez dénicher un journaliste à la retraite qui s'intéresse à l'histoire de cette région, je parie que vous trouveriez un journal disposé à publier des articles sur le sujet, peut-être pas de façon aussi détaillée que la Gazette il y a quelques années — on ne cherche pas des thèses d'histoire, mais des récits qui, semaine après semaine, renforcent l'identité. Bon, j'arrête mon sermon; veuillez m'en excuser.

En ce qui concerne l'éducation, a-t-on déployé des efforts, établi des programmes ou élaboré un moyen pour permettre à Patrimoine Canada de peut-être participer à la production d'un livret ou d'une brochure sur l'histoire des communautés anglophones du Québec? Savez-vous si quelqu'un a même envisagé d'adapter un tel projet aux élèves âgés de sept à neuf ans, par exemple?

M. McLeod : C'est une idée intéressante. Cela revient à la question du programme scolaire.

Le sénateur Fraser : Si un tel projet existait, vous pourriez le jumeler à un concours de rédaction ou à quelque chose du même ordre.

M. McLeod : En effet, je crois que si un tel projet existait, il vaudrait la peine d'explorer cette piste. Le cas échéant, je suis sûr qu'on susciterait l'intérêt de la population scolaire, tant des enseignants que des élèves. Ça ne ferait pas de tort.

Le sénateur Fraser : Savez-vous si quelqu'un a déjà songé à cette idée mais a dû y renoncer, parce qu'on lui a fermé la porte au nez?

M. McLeod : À l'étape de la création ou de la distribution?

Le sénateur Fraser : À l'étape de la demande de financement, puis de la distribution. Le financement viserait la création et la distribution.

M. McLeod : En ce qui concerne le financement d'un tel projet, non, je ne pense pas que cela ait été fait. J'ai certainement participé à des entretiens sur la possibilité de lancer un autre projet pour, disons, publier un livre sur un événement historique, mais cela n'entre pas vraiment dans le cadre de ce à quoi vous faites allusion.

Non, ça n'a pas été fait, mais il y a là matière à réflexion. Encore une fois, il faudrait également tenir compte de la stratégie de distribution.

Le sénateur Fraser : Évidemment, je ne dis pas qu'un tel projet devrait faire partie du programme scolaire officiel parce qu'il faudra attendre 25 ans avant que le ministère de l'Éducation donne son appui. Je parle davantage de quelque chose qui viendrait s'ajouter au programme.

M. McLeod : Dans ce cas-là, il pourrait y avoir un auditoire, à tout le moins un petit auditoire ou des partisans — j'en suis sûr à 100 p. 100. Si on parvenait à susciter un intérêt légèrement plus grand, ce serait un défi intéressant.

M. Evans : Le ministère du Patrimoine canadien a publié, au fil des ans, de nombreux excellents ouvrages. Je me souviens qu'à l'époque où j'avais plus d'occasions de me rendre à l'édifice Favreau, il y avait là une salle qui abritait une importante collection de publications fort intéressantes sur des travaux liés à l'histoire et au patrimoine. Toutefois, on ne veut pas que ces ouvrages restent là. Comment faire pour les diffuser et les mettre entre les mains de lecteurs éventuels?

Le sénateur Fraser : J'ai une dernière question à vous poser. Travaillez-vous, d'une façon ou d'une autre, avec Parcs Canada?

M. Evans : Rarement.

M. McLeod : À l'occasion. Certains des collaborateurs de notre revue ont des contacts là-bas, et il arrive que des questions soient soulevées. Cela peut se produire, mais encore une fois, ce n'est pas une relation formelle.

Le sénateur Fraser : Un cimetière n'est pas un parc national, mais le travail patrimonial qui se fait là-bas est si formidable que je me demande s'il y a une sorte de planification.

M. Evans : Parcs Canada a participé à l'une de nos conférences dans le cadre de laquelle nous avons discuté de questions générales concernant les lieux patrimoniaux.

Je suis heureux que vous ayez soulevé ce point parce que vous me rappelez qu'il nous manque quelque chose à la grandeur du pays : un répertoire national des lieux patrimoniaux. Les États-Unis en ont un depuis plus de 100 ans et, au Canada, nous parlons d'en avoir un depuis à peu près le même nombre d'années. À ma connaissance, ce répertoire n'existe toujours pas. Je crois que vous rendriez un grand service si vous frappiez aux bonnes portes à Ottawa pour faire en sorte que cette question soit au centre des débats et qu'un répertoire des lieux patrimoniaux soit mis en place.

[Français]

La présidente : C'est très intéressant. Malheureusement, nous devons mettre fin à cette réunion. Au nom des membres du comité, j'aimerais vous remercier très sincèrement.

[Traduction]

Messieurs Evans et McLeod, il ne fait aucun doute que le travail que vous faites est très important.

[Français]

Il n'y a aucun doute, comme vous le dites si bien, qu'il faut connaître ses racines pour savoir où on va. Je vous remercie encore une fois au nom du comité.

(La séance est levée.)


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