Délibérations du comité sénatorial permanent des
Langues officielles
Fascicule 13 - Témoignages
OTTAWA, le lundi 15 novembre 2010
Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd'hui à 17 h 5 pour faire une étude sur l'application de la Loi sur les langues officielles ainsi que des règlements et instructions en découlant. (Sujet : Les communautés anglophones du Québec)
Le sénateur Maria Chaput (présidente) occupe le fauteuil.
[Français]
La présidente : Honorables sénateurs, je vois que nous avons le quorum et je déclare la séance ouverte.
Je souhaite à tous la bienvenue au Comité sénatorial permanent des langues officielles. Mon nom est Maria Chaput, je suis du Manitoba et présidente du comité. J'inviterais aussi les membres du comité à se présenter. Je commencerai par la vice-présidente.
Le sénateur Champagne : Bonjour, je suis Andrée Champagne et je viens du Québec.
[Traduction]
Le sénateur Seidman : Bonsoir. Je suis Judith Seidman et je viens de Montréal, au Québec.
[Français]
Le sénateur Fortin-Duplessis : Je suis le sénateur Fortin et je viens de la ville de Québec.
[Traduction]
Le sénateur Wallace : Je suis John Wallace, de Rothesay, au Nouveau-Brunswick.
[Français]
Le sénateur Tardif : Je suis Claudette Tardif, et je viens de l'Alberta.
La présidente : Merci.
[Traduction]
Le Comité sénatorial permanent des langues officielles poursuit son étude sur les communautés anglophones du Québec et nous sommes heureux d'accueillir les représentants de la Regional Association of West Quebecers. Nous avons hâte d'en savoir plus sur cet organisme et sur son engagement à servir les intérêts de la communauté anglophone de l'Ouest du Québec. Nous avons avec nous ce soir la directrice générale, Mme Heather Stronach, et le secrétaire, M. Noel Gates. Nous vous souhaitons la bienvenue.
J'invite maintenant Mme Stronach à prendre la parole. Les sénateurs pourront ensuite poser leurs questions.
Heather Stronach, directrice générale, Regional Association of West Quebecers : Merci. Bonjour honorables sénateurs, mesdames et messieurs. La Regional Association of West Quebecers est heureuse de pouvoir profiter de l'occasion qui lui est donnée de comparaître devant le Comité sénatorial permanent des langues officielles pour parler des communautés anglophones minoritaires en Outaouais. Nous croyons que les communautés anglophones apportent une contribution précieuse et sont partie intégrante non seulement de l'Outaouais, mais aussi du Québec, avec les autres communautés de langue anglaise de la province.
J'aimerais commencer en vous parlant un peu de notre association et de la communauté que nous desservons. Le bureau de la Regional Association of West Quebecers compte une agente de liaison communautaire et des communications et une directrice générale, qui sont épaulées par un conseil d'administration dévoué formé de 7 administrateurs. Nous comptons 400 membres et nous recevons l'aide d'un grand nombre de bénévoles pour nos activités.
La région de l'Outaouais s'étend sur 33 000 kilomètres carrés, ce qui comprend une région urbaine, la ville fusionnée de Gatineau, des régions rurales, comme Les Rapides-des-Joachims, et des petites collectivités nichées au cœur du Pontiac et de la vallée de la Gatineau. Selon une étude publiée en 2006, la population anglophone de l'Outaouais s'élevait à 58 723, soit 17,4 p. 100 des 338 190 habitants qui forment la population totale de la région. Par contre, si on tient compte seulement du secteur Aylmer de la ville de Gatineau, la population anglophone représente alors 35 p. 100 de la population totale de ce secteur.
De plus, environ la moitié des anglophones vivant en Outaouais sont unilingues anglais, ce qui leur pose un défi particulier. Il faut aussi ajouter que près de la moitié de la population anglophone se compose de personnes âgées.
Ainsi, il faut tenir compte de nombreux facteurs lorsqu'on offre des services à la population anglophone de l'Outaouais, notamment le fait que la proximité de la province de l'Ontario et de la ville d'Ottawa peut influer sur la perception vis-à-vis de la prestation des services.
Notre mandat nous permet de jouer un rôle de premier plan dans la mise sur pied d'initiatives qui soutiennent la communauté anglophone minoritaire en Outaouais. Notre association priorise les communications et l'approche communautaire, qui englobent l'éducation, la santé et les services sociaux dans un rôle de soutien, les jeunes, la défense des droits, les personnes âgées, les arts, la culture et le patrimoine.
Parmi nos activités, on compte la diffusion d'un vaste éventail d'informations à la communauté anglophone sur la culture et les services communautaires, le développement communautaire, les activités à venir et les services sociaux et de santé. Nous sommes aussi au courant de situations où la prestation de services en anglais pourrait être améliorée afin de mieux servir la communauté anglophone et nous soumettons alors ces cas aux autorités compétentes.
Nous participons à des recherches et nous commanditons des ateliers axés sur les besoins des jeunes afin qu'ils soient équipés pour intégrer le marché du travail et devenir des citoyens actifs dans la société québécoise. Nous informons les nouveaux résidents anglophones des services offerts et nous référons ceux qui ont des questions à propos de ces services aux personnes en mesure de répondre. C'est ce que nous appelons la trousse des nouveaux résidents. Nous formons des partenariats avec d'autres groupes de la communauté pour favoriser des activités qui rejoignent des intérêts communs, et nous cherchons des occasions d'établir des contacts avec la communauté francophone au moyen de la communication et du dialogue.
Pour le reste de mon exposé, j'aimerais parler des jeunes anglophones au Québec et en Outaouais.
Au Québec, il y a environ 180 000 personnes de langue maternelle anglaise âgées de 15 à 34 ans, dont environ 13 500 vivent en Outaouais. Nos jeunes, qui forment un groupe dynamique, vif et généralement instruit, sont désireux et capables d'apporter une contribution précieuse au Québec et à la société canadienne. Toutefois, comme ils font partie d'une minorité linguistique, ils doivent relever de nombreux défis pour réaliser leur potentiel.
En 2008, le Quebec Community Groups Network a fait des jeunes l'une de ses priorités. Avec la collaboration de notre association et de nombreux autres organismes communautaires, le QCGN a interrogé plus de 400 jeunes de 16 à 34 ans pour mieux comprendre leurs aspirations et leurs besoins. Les résultats de ces entrevues ont été publiés dans un rapport intitulé Creating Spaces for Young Quebecers, dont ressortent quatre grands constats sur les aspirations des jeunes anglophones : ils veulent rester au Québec et contribuer de façon significative à la société et à l'économie québécoises; ils veulent être bilingues; ils veulent tisser des liens plus étroits avec les jeunes francophones; enfin, ils veulent avoir recours à des stratégies de collaboration pilotées par des jeunes pour surmonter leurs défis.
S'il est vrai que la plupart de nos jeunes veulent rester au Québec, il reste que bon nombre d'entre eux se sentent obligés de partir dans d'autres provinces ou à l'étranger pour y poursuivre leurs études et trouver de meilleures perspectives d'emplois. En fait, de 1991 à 2006, le nombre d'anglophones de 20 à 34 ans a chuté de 21 p. 100, principalement en raison de leur exode.
En Outaouais, beaucoup de jeunes sont incités à quitter leur région natale pour s'établir à Ottawa où les études, l'emploi, les activités sociales et les loisirs sont plus accessibles, ce qui a un effet dévastateur sur la vitalité de notre communauté anglophone.
Nos jeunes nous disent qu'ils se sentent parfois comme des étrangers dans leur propre région, parce qu'ils sont incapables d'obtenir des services publics ou privés en anglais, et s'estiment isolés socialement de la majorité francophone. Ils se trouvent aussi désavantagés par rapport aux jeunes francophones. Les écoles primaires et secondaires francophones sont mieux financées, ce qui leur permet d'avoir de meilleurs équipements et d'offrir plus d'activités parascolaires et d'autres possibilités pédagogiques. La notion des « deux solitudes » linguistiques est donc une réalité pour les jeunes de l'Ouest du Québec — un sentiment aussi exprimé par les jeunes d'autres régions.
Mais les jeunes anglophones vivant au Québec ont aussi de nombreuses raisons d'être fiers. Ils peuvent en effet se targuer d'afficher certains des taux les plus élevés de scolarisation et de bilinguisme au pays. Parmi eux, 70 p. 100 peuvent soutenir une conversation en français, 60 p. 100 peuvent bien lire le français et 39 p. 100 réussissent à bien écrire en français. Toutefois, ces atouts ne se traduisent pas par des emplois et des débouchés économiques comme ils le devraient.
En 2006, 7,5 p. 100 des anglophones âgés de 25 à 34 ans étaient en chômage, comparativement à 5,5 p. 100 de leurs homologues francophones. Lorsqu'on regarde les jeunes des régions autres que celle de Montréal, comme le Pontiac ou Buckingham, par exemple, les taux relatifs de scolarisation et de bilinguisme sont plus faibles et le taux de chômage est encore plus élevé. Cette situation est inacceptable.
Les jeunes anglophones n'ont pas accès à toutes les possibilités d'emploi, même s'ils ont tous les outils pour y arriver, parce qu'ils ont du mal à s'intégrer à la population active au Québec. Ils se sentent découragés parce qu'ils n'ont pas de contacts dans les réseaux professionnels, ce qui leur fait rater des possibilités de stage, d'apprentissage et de mentorat. Bon nombre d'entre eux pensent aussi, à tort ou à raison, qu'ils n'ont pas les compétences linguistiques requises pour travailler en français, surtout dans les domaines très techniques.
Dans le contexte de votre étude de l'impact de la Loi sur les langues officielles, je peux vous assurer qu'elle a grandement contribué à l'augmentation des taux de bilinguisme chez les anglophones au Québec depuis 40 ans. Les Québécois anglophones et bien d'autres Canadiens se sont rendu compte que le bilinguisme est un atout personnel. Le bilinguisme a augmenté la cohésion entre les Canadiens, mais il reste encore du travail à faire pour en retirer tous les bénéfices sociaux et économiques qui en découlent, afin que nos jeunes soient suffisamment bilingues pour être en mesure de travailler en français et de participer activement à la société québécoise.
Entre autres sentiments qui transparaissent le plus chez nos jeunes, nous constatons une optique généralement positive de leur situation de Québécois d'expression anglaise. Ils affichent une solide identité et sont très attachés au patrimoine de la communauté anglophone, aux autres groupes ethnoculturels, au Québec et au Canada. Si nos collectivités et notre gouvernement investissaient plus en eux, ils assureraient le leadership nécessaire à la préservation d'une communauté d'expression anglaise vitale au Québec.
Au nom de notre association et de la communauté anglophone de l'Outaouais, je tiens à vous remercier encore une fois de m'avoir donné cette occasion de témoigner devant votre comité.
[Français]
Le sénateur Fortin-Duplessis : Je voudrais tout d'abord vous remercier pour l'excellence de votre présentation. Je dois vous avouer que durant la semaine que nous avons passée à faire la tournée au Québec, nous avons rencontré des problèmes au niveau de l'éducation.
J'aurais deux questions à vous poser.
Ma première question portera sur les problèmes que vivent les jeunes. En tout premier lieu, j'ai été extrêmement surprise de voir que vos jeunes étudiants éprouvaient aussi des problèmes dans votre région. Je vois qu'il y a aussi des problèmes de décrochage et c'est vraiment triste. On avait vu, en Gaspésie, qu'il y avait une grande majorité des étudiants qui décrochaient, qui n'étaient donc pas capables, par la suite, de se trouver un emploi et qui dépendaient finalement de l'aide sociale.
J'ai aussi remarqué que souvent, les jeunes de votre région devaient aussi s'exiler à Ottawa. Mais lorsque ces jeunes s'éloignent pour essayer de poursuivre leurs études ou encore de se trouver un emploi, est-ce qu'ils vont aussi dans d'autres provinces que l'Ontario?
[Traduction]
Mme Stronach : L'absence d'université anglaise en Outaouais pose un problème. L'Université du Québec en Outaouais n'offre plus de programme en anglais, alors un grand nombre de nos jeunes quittent la province pour poursuivre des études supérieures en anglais.
Il est difficile parfois de dire s'ils reviennent ou s'ils restent de l'autre côté de la rivière. Selon les statistiques, après avoir achevé leurs études et trouvé un emploi, leur attachement à leur famille ou à la région peut les pousser à y revenir. Il leur est cependant difficile d'y poursuivre des études supérieures.
[Français]
Le sénateur Fortin-Duplessis : Vous dites donc qu'ils ont exactement les mêmes problèmes que les autres jeunes anglophones venant d'autres régions de la province du Québec. Et cela se répercute ensuite sur d'autres secteurs comme celui des personnes âgées, parce que lorsque les jeunes partent, il reste peu de personnes pour s'occuper des personnes âgées.
J'ai entendu que vous travailliez aussi dans des projets qui touchent à la santé et aux services. Au Québec, je sais qu'on a un grand nombre d'aînés, et je pense qu'il y en a plus que dans le reste du Canada, et j'ai constaté que souvent, ces aînés ne sont pas capables de trouver une place dans une résidence pour les personnes âgées. J'imagine que vous vivez aussi la même chose.
Avec tout le travail que vous faites, est-ce que vous avez été en mesure de vous apercevoir qu'il y avait de gros manques au niveau des soins pour les aînés?
[Traduction]
Mme Stronach : Oui, il en est de même en Outaouais. Pour ce qui est du nombre de places pour les aînés qui ne peuvent plus rester chez eux, à ce que je sache, il n'y a pas eu de crise et on trouve encore des places. Il y a à Aylmer une grande résidence bilingue pour personnes âgées. Elle ne cesse de grandir parce qu'il faut faire plus de place à la population vieillissante.
Nous constatons, d'après les demandes que nous avons reçues, que les aînés cherchent à obtenir des services à domicile, comme la tonte de la pelouse, l'enlèvement de la neige et l'exécution de petits travaux. De tels services leur permettraient de rester chez eux beaucoup plus longtemps. Il faut pouvoir leur offrir une solution raisonnable.
Un autre aspect qui pose problème, non pas tant dans la région urbaine de Gatineau, mais plutôt dans les régions plus rurales où la population est plus dispersée, c'est le transport. Je ne parle pas que du transport pour aller voir le médecin, mais aussi pour participer à des activités sociales. L'un des secteurs de Gatineau compte plusieurs groupes d'aînés, dans les petites collectivités environnantes. Ils se rassemblent tous les quatre ou cinq mois pour échanger des idées, discuter de leurs besoins, planifier des activités qu'ils peuvent faire ensemble, mais le manque de transport est pour eux un obstacle.
En ce qui concerne la santé, pour les visites en tant que telles chez le médecin ou aux services de santé, nous avons le Réseau de la santé et des services sociaux de l'Outaouais. Cette organisation est axée sur la santé de la communauté, y compris celle des aînés. Elle vient d'ouvrir un centre de ressources et est ainsi maintenant beaucoup mieux équipée; mais là encore, c'est dans le secteur Hull, alors il est difficile pour les gens qui en sont loin de tirer parti de ce service.
[Français]
Le sénateur Fortin-Duplessis : C'est vrai que le comté est très grand.
[Traduction]
Mme Stronach : Oui.
[Français]
Le sénateur Fortin-Duplessis : Merci d'avoir répondu à mes questions.
Le sénateur Tardif : Merci pour votre excellente présentation. Vous avez dit, dans votre présentation : « Il reste encore beaucoup à faire afin que nos jeunes soient suffisamment bilingues pour travailler en français et qu'ils participent activement à la société québécoise. »
À votre avis, comment peut-on encourager les jeunes anglophones de votre région à devenir fonctionnellement bilingues afin d'avoir davantage de possibilités d'emplois?
[Traduction]
Mme Stronach : Bon nombre des jeunes sont bilingues, mais ils ne sont pas sûrs d'eux quand ils s'expriment en français. Il pourrait être vraiment bon de donner aux jeunes francophones et anglophones l'occasion de se réunir dans le cadre d'activités sociales, dans un environnement détendu où ils pourraient échanger et apprendre les uns des autres.
C'est encore plus difficile pour les gens qui ne parlent pas du tout le français. Il serait bon d'avoir quelque chose pour eux en dehors du réseau scolaire ou dans la collectivité. L'année passée, notre association a offert un programme à l'école secondaire anglaise; les élèves recevaient dans les deux langues une formation à une activité susceptible de leur être utile dans le monde du travail. Ils pouvaient même en faire une carrière. Nous n'avons pas choisi les activités, mais leur avons fait une dizaine de suggestions parmi lesquelles ils en ont retenu deux : la charpenterie et la musique.
Le sénateur Tardif : De qui s'agit-il quand vous dites « ils »?
Mme Stronach : « Ils », ce sont les élèves. Ce sont eux qui ont choisi entre ces dix cours ceux qu'ils souhaitaient suivre.
Le cours de musique a été donné principalement en français. Les élèves ont acquis le vocabulaire et ont appris à produire leur musique sur DVD. Ils ont présenté leur travail, que l'on peut d'ailleurs voir sur YouTube.
Les cours de charpenterie ont été donnés dans les deux langues officielles, pour que les jeunes puissent être à l'aise dans l'une comme dans l'autre langue.
Ce sont de petits gestes qui peuvent aider les jeunes anglophones à améliorer leur connaissance du français.
Le sénateur Tardif : Pourrait-on dire qu'il y a une corrélation entre la capacité de communiquer en français et l'accès à l'emploi dans la région?
Je vous pose cette question parce que vous dites aussi dans votre rapport que dans les endroits comme le Pontiac et Buckingham, où la maîtrise du français est faible, le taux de chômage est aussi plus élevé.
Je me demande s'il y a un lien entre la maîtrise du français et l'emploi. Beaucoup d'emplois exigent le bilinguisme, donc une meilleure maîtrise du français, entre autres, pourrait améliorer leurs perspectives économiques.
Mme Stronach : Oui. Je suis d'accord avec vous.
Le sénateur Tardif : La question, c'est de savoir comment y arriver.
Mme Stronach : Oui. Par ailleurs, la plupart des emplois offerts dans la région exigent le bilinguisme.
Le sénateur Tardif : C'est juste.
Mme Stronach : Une personne bilingue a plus de possibilités d'emploi.
Le sénateur Tardif : Si des occasions étaient offertes aux jeunes anglophones de perfectionner leur connaissance du français, ils auraient plus d'atouts.
Mme Stronach : C'est juste.
Le sénateur Seidman : Je vous remercie pour votre excellent exposé. Vous nous avez dit ce soir que depuis une quinzaine d'années, la région dont vous parlez, l'Ouest du Québec, a perdu 21 p. 100 de ses jeunes anglophones âgés de 20 à 34 ans. Comme les jeunes sont l'avenir de toute collectivité, c'est significatif. La perte de près de 25 p. 100 des membres de ce groupe d'âge est plutôt inquiétante.
Vous nous avez aussi dit qu'il n'y a pas d'université et que bien des jeunes partent poursuivre leurs études là où ils en ont la possibilité. À votre avis, qu'est-ce qui les pousserait à revenir dans leur collectivité?
Mme Stronach : À ce que je comprends, la tendance est en train de changer et les jeunes commencent à revenir. C'est ce que m'a appris la Commission scolaire Western Québec — ils commencent à revenir, en partie pour des motifs d'ordre familial. S'ils ne sont partis que pour leurs études, ils reviennent. Il s'agit cependant d'une légère différence dans la tendance, comparativement au moment où ces statistiques ont été publiées.
Le sénateur Seidman : J'aimerais que vous nous disiez ce que vous pourriez faire, ou que nous pourrions faire pour améliorer la situation et les inciter à revenir? Autrement dit, qu'est-ce que vous suggérez ou recommandez? Qu'est-ce qui pourrait faire changer les choses?
Mme Stronach : Les perspectives économiques.
Le sénateur Seidman : Pourriez-vous être plus précise?
Mme Stronach : Tout d'abord, ils doivent être bilingues pour pouvoir profiter des occasions d'emploi qui les intéressent en Outaouais. Sans le bilinguisme, ce peut être très difficile pour eux. Cela fait partie des exigences.
Le sénateur Seidman : Quelles seraient ces perspectives économiques? Vous avez parlé d'un taux élevé de bilinguisme. Ils vont faire leurs études ailleurs. Quelles perspectives économiques les inciteraient à revenir?
Nous sommes ici dans l'espoir de pouvoir faire quelque chose, alors je vous demande sans détour ce que vous proposez pour stimuler la vitalité de cette communauté menacée de disparition?
Noel Gates, secrétaire, Regional Association of West Quebecers : Le problème vient en partie de la nature assez particulière de l'Outaouais, de son centre, surtout, qui est un appendice du gouvernement fédéral. Je ne sais pas si on peut vraiment compter sur le gouvernement fédéral pour offrir toutes les possibilités d'emplois dont il est question dans ce débat, même s'il y a probablement quelque chose à faire à ce chapitre. La personne bilingue a de meilleures chances de décrocher un emploi au gouvernement fédéral et profitera d'un éventail de choix que n'aura pas la personne unilingue.
La situation économique de l'Outaouais n'a pas été très reluisante au cours des dernières années. L'industrie forestière connaît de sérieuses difficultés; des usines ont fermé. Vous avez peut-être remarqué qu'au moins deux d'entre elles — deux au moins me viennent à l'esprit — ont rouvert leurs portes avec l'intention de modifier l'orientation de leurs activités.
De façon générale cependant, dès qu'on s'éloigne du gouvernement fédéral, on se retrouve dans une région plutôt défavorisée. Si vous ajoutez à cela le problème du manque de maîtrise du français, le défi pour les jeunes devient trop lourd.
Si je semble hésiter à faire une proposition, quelle qu'elle soit, c'est entre autres en raison du développement économique. Vous avez constaté qu'une partie de Gatineau est prospère, en dépit du choc que vient de subir la ville avec ce qui est arrivé à AbitibiBowater. La compagnie affirme qu'elle rouvrira ses portes.
Si vous remontez la vallée de la Gatineau, vous y verrez souvent des gens originaires d'Ottawa qui ont été séduits par la beauté de la vallée, la vie qui y est agréable et la possibilité de faire la navette entre leur domicile et Ottawa. Tout cela, en soi, ne favorise pas une multiplication des possibilités d'emplois.
Nous donnons une réponse plutôt floue à une question très précise, mais c'est que je ne pense pas qu'il s'agit seulement d'une question de bilinguisme; c'est aussi une question de développement économique. Cela étant dit, je crois que nous serions tous d'accord pour dire que le bilinguisme améliorera grandement les choses.
C'est peut-être pour moi une bonne occasion d'attirer votre attention sur une étude que notre organisation a réalisée il y a deux ans. Nous en avons remis une copie à la greffière. Elle n'a pu être distribuée parce que nous n'avons pas eu le temps de la faire traduire en français, mais vous pourrez la voir.
Vous verrez dans cette étude la confirmation de ce que plusieurs d'entre vous avez fait observer, soit que, de façon générale, les problèmes que connaissent les jeunes de la région ne sont pas tellement différents de ceux que vous avez constatés ailleurs. Les jeunes dont nous avons obtenu des réponses ont insisté sur deux choses : le manque de possibilités d'emplois et le manque d'éducation postsecondaire valable.
Il y a bien le cégep anglais, mais c'est tout. Mme Stronach vous l'a dit, l'Université du Québec en Outaouais a décidé en 2007 de supprimer progressivement les cours offerts en anglais, dans les domaines de l'administration des affaires et de la gestion de projets.
Nous nous sommes demandé s'il faudrait faire quelque chose pour essayer d'avoir dans la région ce qu'on pourrait appeler un campus satellite d'une université anglophone. Nous n'avons rien entrepris en ce sens, mais je pense que l'idée mérite réflexion.
Quant à savoir où les gens vont à l'université, certains, bien entendu, fréquentent les deux universités d'Ottawa. D'autres vont à McGill. Mon fils aîné a entamé ses études à l'Université Bishop, pour les poursuivre ensuite à McGill. Peut-être cela vous donnera-t-il une idée de leur cheminement.
J'ajouterai que je ne sais pas exactement quelles conclusions seront tirées du prochain recensement, mais je pense qu'il nous donnera une idée de la mesure dans laquelle l'exode s'est poursuivi. Pour l'instant, nous ne pouvons que vous décrire la situation telle qu'elle était en 2006.
Le sénateur Seidman : C'est déjà il y a quatre ans. J'apprécie votre franchise. Je ne veux pas vous pousser à faire des propositions et je pense que vous avez très bien répondu à la question. Il s'agit de bien plus que le simple fait que ces gens partent poursuivre leurs études ailleurs, parce que bien des jeunes le font mais reviennent vers leur famille, leurs racines et leur ville d'origine. Ce qui importe, c'est de savoir pourquoi certains ne reviennent pas.
Il est vrai qu'Ottawa est juste de l'autre côté de la rivière; il est facile d'aller y faire des études universitaires. Ce qu'il faut savoir, c'est si les jeunes comptent revenir et vivre dans leur collectivité, y avoir leur maison et y élever leur famille.
Vous avez fait une allusion fondamentale au développement économique. Notre comité en a beaucoup parlé. Nous avons entendu exposer toutes sortes de problèmes que connaissent les communautés anglophones de partout au Québec, sur les plans des possibilités offertes aux petites entreprises et de la création d'entreprises privées. Je pense que le sujet mérite peut-être réflexion, de votre part comme de la nôtre, c'est-à-dire sur ce qui peut être fait pour les encourager.
M. Gates : Dans une certaine mesure, les mécanismes existent, n'est-ce pas? Nous avons des mécanismes qui servent justement à cela. Ce qu'il faut, c'est donner un bon coup de pouce au développement économique, ou à tout le moins favoriser une croissance suffisante de l'économie pour avoir un effet global vraiment marquant.
S'il y a une chose que fait clairement ressortir l'étude dont j'ai parlé, c'est que ces jeunes aiment le milieu dans lequel ils ont grandi. Ils n'étaient pas malheureux d'y revenir et d'y rester, mais ce sont là les défis qu'ils affrontent.
Le sénateur Seidman : Je vous remercie de votre réponse.
Le sénateur Champagne : Vous semblez penser que les jeunes de l'Ouest du Québec estiment ne pas vraiment pouvoir intégrer le marché du travail et obtenir les emplois qu'ils voudraient s'ils ne sont pas bilingues. Pensez-vous qu'un francophone unilingue aurait plus de facilité à trouver un bon emploi dans la même région?
M. Gates : Je ne pense pas pouvoir faire une affirmation aussi catégorique, mais j'ai l'impression que le fait d'être francophone unilingue aurait beaucoup moins d'importance. La grande question qui se pose, c'est si l'emploi expose le jeune à des conversations tenues dans les deux langues officielles. Je pense que des efforts généraux ont été déployés au Québec pour que les gens puissent travailler dans la langue de leur choix, le français. Dans cette région-ci, je suppose que la tendance est forcément moins marquée, en quelque sorte, à cause de l'exposition considérable à un public anglophone.
Où nous sommes, sur la rive québécoise de la rivière, je dirais qu'il n'y a pas tellement d'emplois, en dehors de ceux de la fonction publique fédérale, qui exigent d'un cadre supérieur la maîtrise des deux langues officielles. Il n'y a pas tellement de grandes industries. Nous ne sommes pas à Montréal.
Je vais vous donner une réponse mitigée. Je pense que l'unilinguisme porte moins à conséquence pour un francophone, mais je crois aussi qu'il y a bien des emplois qui sont fermés à quelqu'un qui ne connaît qu'une langue.
Le sénateur Champagne : Je ne peux m'empêcher de retourner quelques années en arrière. Cela arrivait encore, alors que nous pensions que tous les transporteurs aériens devaient être assujettis à la Loi sur les langues officielles. Certains disaient : « Mais on ne peut pas demander au personnel de cabine originaire de l'Ouest de parler français. » Or, un francophone unilingue du Québec décrocherait-il l'emploi? Cela vaut dans les deux sens.
J'essaie de me mettre à votre place. Née au Québec, j'ai appris l'autre langue à un certain moment de ma vie. Je ne suis pas sûre si, à 70 ans, je le referais, mais, Dieu soit loué, j'en possède des éléments.
Si un francophone doit parler anglais pour obtenir tel emploi, pourquoi l'anglophone qui ne parle pas français obtiendrait-il cet emploi?
M. Gates : Notre sujet de préoccupation, c'était l'acquisition d'une certaine aisance. Si je peux parler franchement, d'après ce que j'ai constaté, les francophones, par le passé, ont appris l'anglais par nécessité. Je perçois encore le ressentiment que cela crée. L'autre jour seulement, dans l'hebdo local, plusieurs lettres des lecteurs posaient exactement le même genre de questions : « Pourquoi devrions-nous avoir à faire cela? »
En tant qu'anglophone, je trouve qu'il est extrêmement difficile de se mettre à l'apprentissage du français, même si, à l'école, en Angleterre, on m'a inculqué la grammaire française, un avantage qui n'a pas été donné à tous. Quand nous étions jeunes, très jeune, et que nous fréquentions de jeunes francophones, ils avaient tendance à parler français entre eux et à nous parler en anglais, ce qui signifiait en quelque sorte que nous ne parlions jamais français.
Enfin, j'ai vécu diverses expériences qui m'ont permis de surmonter cet obstacle, ce dont je peux m'estimer heureux. Je pense que beaucoup de gens ont de la difficulté à en venir à bout, certainement pas par manque de bonne volonté. Finalement, depuis quelques minutes, nous discutons de la manière de faciliter pour les anglophones l'accès au bilinguisme, un niveau de bilinguisme suffisant pour décrocher de bons emplois. Nous pensions particulièrement aux emplois de nature technique. Dans un petit atelier expérimental dont Mme Stronach a parlé, il y a quelques minutes, nous avons notamment donné aux enfants anglophones des éléments du vocabulaire français nécessaire dans les régions où étaient situés les ateliers, c'est-à-dire le vocabulaire de la prise de son et de la charpenterie. Ce sera visiblement l'un des moyens qui faciliteront l'obtention d'un emploi. Ce n'est pas suffisant pour être bilingue, mais ce l'est pour la maîtrise du vocabulaire technique bilingue de tel métier.
Je vous ai donné une réponse très nuancée, mais il n'y a aucune raison qu'il en soit autrement. On se rappellera également que l'apprentissage de l'autre langue se heurte à une certaine barrière psychologique.
Le sénateur Champagne : Il y a deux ou trois semaines, j'étais en Suisse, pour le Sommet de la francophonie. J'ai parlé avec des jeunes dans les restaurants, dans la rue. Pour obtenir le diplôme de fin d'études secondaires, ils doivent parler quatre langues : le français, l'anglais, l'italien et l'allemand. Certains doivent même parler le romanche. Peut-être que, dans ce pays, on a trouvé la recette. Si nous n'accordions pas ce diplôme à quelqu'un qui ne parle pas au moins nos deux langues officielles, peut-être n'aurions-nous pas ce problème avec nos jeunes anglophones du Québec et nos jeunes francophones du reste du pays. Qu'en pensez-vous?
M. Gates : Au Québec, il faut réussir son français pour obtenir son certificat. Le problème est de savoir si le niveau de français est adéquat.
Le sénateur Champagne : Les francophones doivent-ils passer un examen de français?
M. Gates : Oui.
Le sénateur Champagne : Les anglophones doivent-ils subir un examen en français?
M. Gates : Oh oui!
Le sénateur Champagne : Les francophones auront au moins un examen en anglais, mais il n'est pas du même calibre que ceux qu'ils doivent réussir en français.
M. Gates : Je ne suis pas suffisamment bien informé pour comparer les examens, mais c'est un fait qu'il faut réussir en français pour obtenir le diplôme de fin d'études secondaires. Ce dont nous discutons, c'est le niveau de bilinguisme suffisant pour décrocher un emploi. Nous savons que c'est une question très différente.
Le sénateur Wallace : Je vous remercie de vos exposés. Sans être surpris, j'ai été intéressé quand vous avez dit que votre groupe s'était fixé au moins deux objectifs : améliorer les occasions d'emploi pour les jeunes anglophones et les retenir davantage au Québec. L'un des moyens pour y parvenir consiste à améliorer la qualité de leur bilinguisme. Cela semble sensé.
Vous avez également dit que l'un des problèmes vécus par eux est le nombre insuffisant d'écoles ou d'universités anglaises au Québec. C'est la cause de leur exode. Vos deux solutions sont-elles conciliables? Nous sommes tous partisans de l'harmonie au Québec. Nous voulons souder tous les Canadiens anglophones et francophones. Vous insistez particulièrement sur les jeunes, et c'est excellent.
Les deux solutions sont-elles conciliables, améliorer la qualité du bilinguisme du Québec tout en favorisant les établissements d'éducation unilingues anglais. Cela ne mène-t-il pas à ce que vous avez appelé, dans votre exposé, « deux solitudes linguistiques »? Ces deux solutions sont-elles conciliables et peuvent-elles aboutir au maintien de ces solitudes dans un avenir plus lointain?
Mme Stronach : Dans notre exposé, nous avons insisté sur les jeunes, c'est tout à fait vrai, mais la jeunesse n'est pas la seule piste que suit notre organisation. Elle est un élément essentiel de nos objectifs, parce qu'elle représente l'avenir.
Je cherche mes mots. L'un des objectifs est une population, une jeunesse bien instruites. Un autre est d'essayer de les retenir dans la province. Nous venons d'évoquer leur exode. L'idée est que si nous avions une université ou si l'occasion existait de prendre des cours en anglais dans une autre université qui pourrait être bilingue, nous pourrions aider nos jeunes. J'estime également qu'une partie de cette éducation devrait améliorer les capacités de bilinguisme.
Revenant au sujet de la conversation de tantôt, je précise que je suis diplômée d'une école secondaire anglaise de Montréal où le diplôme était conditionnel à la réussite en français à un certain niveau. Le problème, c'était que même si on réussissait son français, on ne semblait pas avoir l'occasion de l'utiliser à l'extérieur des cours. On ne s'appropriait donc pas la langue et on ne la maîtrisait pas réellement, faute d'occasions de la parler.
Les deux objectifs, essayer de retenir les jeunes dans la province et améliorer leur bilinguisme, doivent coexister.
Le sénateur Wallace : Je ne tenais pas à ce que vous preniez position à ce sujet. J'étais simplement intéressé à entendre votre réaction.
Logiquement, les établissements uniquement anglophones qu'on continuerait de créer au Québec attireraient évidemment des élèves et étudiants anglophones. Cela ne les éloignerait-il pas de l'intégration avec les Québécois francophones, et ces jeunes ne tendraient-ils pas à vivre entre eux, dans le confort d'un milieu fermé?
Mme Stronach : L'idéal, le but ultime, serait peut-être une université bilingue, qui favoriserait l'intégration culturelle. Ce n'est pas deux tours isolées.
Le sénateur Wallace : C'est juste.
M. Gates : J'ai quelque chose à ajouter à ce sujet. Je pense que le sénateur Wallace a mis le doigt sur un point plutôt sensible. Mme Stronach pourra peut-être me corriger si mes propos sont incorrects, mais on a constaté dans l'arrondissement où je vis, Aylmer, par exemple, que de nombreux nouveaux arrivants viennent s'installer. Je ne veux pas dire qu'ils sont tous anglophones, mais il y a parmi eux des anglophones. La proportion d'écoles anglophones n'a pas suivi. Que se passe-t-il? Il semble que les parents envoient leurs enfants à l'école française.
Au Québec, l'enfant va directement à l'école française si le parent anglophone ne présente pas une demande pour l'envoyer à l'école anglaise. S'il répond aux exigences de la clause dite Canada de la Charte de la langue française, l'enfant sera autorisé à aller à l'école anglaise. Cependant, il semble que beaucoup de parents décident d'envoyer leurs enfants directement à l'école française. Je pense que cela pose une difficulté, et je n'ai pas la réponse à la question que vous avez vraiment posée.
Pour nous, et nous l'avons souligné dans notre exposé, il y a un avantage au maintien d'une minorité anglophone au Québec. Nous pensons que nous pouvons apporter quelque chose à la province.
Je ne veux pas me perdre dans les digressions, mais c'est ce qu'a fait remarquer le président Leith du Quebec Community Groups Network, notre organisation ombrelle, dans un mémoire déposé récemment à l'Assemblée nationale, relativement au projet de loi 103. Il a dit qu'il était temps de se parler, des deux côtés, d'assurer l'avenir de nos populations minoritaires et de simplement cesser de voir partout un antagonisme continu. Pour nous, c'est comme un article de foi et c'est l'une des raisons d'être de la Regional Association of West Quebecers.
Faute d'écoles où les enfants anglophones sont mis en contact avec leur propre culture, la communauté subit une perte réelle. Dans notre région, le premier établissement anglophone est la Commission scolaire Western Québec. Si elle disparaissait et que tous les enfants allaient à l'école française, je prédis que la communauté anglophone cesserait, au bout d'un certain temps, d'avoir une existence propre. C'est une question de valeur. Une valeur dans laquelle nous croyons. Nous appuyons l'exposé que M. Leith a présenté à l'Assemblée.
Je pense que la question, en réalité, consiste à trouver des façons convenables d'améliorer non seulement les capacités linguistiques, mais la sociabilité entre les jeunes anglophones et francophones, de façon à pouvoir continuer d'avoir des communautés anglophones reconnaissables au Québec, qui auraient leur propre apport particulier pour la province.
Le sénateur Wallace : Je comprends assurément votre point de vue. Cependant, sur une note personnelle, dans le contexte de la promotion du bilinguisme, deux de mes enfants ont fréquenté l'Université Bishop. Les deux sont bilingues, mais pas à cause de cela, soyez-en sûrs. C'est un établissement anglophone.
M. Gates : Oui, je sais.
Le sénateur Wallace : Il fallait que j'en parle, au sujet de la conciliation de vos deux solutions. Cependant, je prends plus de temps qu'il ne faudrait et je sais que d'autres veulent poser des questions.
M. Gates : Je pense que c'est une question importante.
Le sénateur Tardif : J'essaie de transposer la situation que vous présentez dans le point de vue d'une autre minorité. Je suis un francophone de l'Alberta. Là-bas, les enfants et les jeunes francophones apprennent l'anglais. Bien qu'ils fréquentent l'école française et que leur milieu familial soit francophone, ma situation, par exemple, ils apprennent l'anglais, la langue de leur milieu et de la société. J'essaie de comprendre comment un Québécois anglophone, qui va à l'école anglaise — et c'est excellent; je suis tout à fait d'accord avec vous que c'est important pour renforcer la langue, l'identité et la culture anglaises et qu'il importe également que le milieu familial soit anglais — comment un Québécois anglophone, plongé dans un bain francophone, ne parvient pas à devenir plus compétent en français, en raison de l'influence de cette langue dans la province de Québec.
M. Gates : Exactement. J'ai l'impression, sans pouvoir invoquer des faits plus précis, que cela dépend en partie de l'endroit où l'on vit au Québec. Dans l'Outaouais, on pourrait réussir assez bien sans même apprendre un mot de français. Les avis publics, la facture d'électricité, ainsi de suite, poseraient des problèmes plutôt difficiles. Cependant, on peut, dans ce genre de conditions, ne pas apprendre le français ou ne l'apprendre que très peu. J'observe cependant, d'après les rapports que nous recevons et dans d'autres régions que vous avez visitées, le long du Saint-Laurent, par exemple, que les gens sont très isolés du gros de la population anglophone. Pour survivre, ils doivent apprendre le français. Je ne peux pas m'empêcher de remarquer qu'un premier ministre récent et bien connu de notre pays venait de cette région. Je parle de M. Mulroney, bien sûr, qui s'exprimait parfaitement en français et qui venait de Baie-Comeau. Je pense que cela change beaucoup de choses.
Le sénateur Seidman : Mme Stronach a dit que les jeunes anglophones du Québec affichaient les taux d'éducation bilingue parmi les plus élevés au Canada. Vous avez dit que parmi eux, 70 p. 100 peuvent soutenir une conversation en français, 60 p. 100 peuvent bien lire le français et 39 p. 100 réussissent à bien écrire en français. Il ne faut pas l'oublier.
Il se peut qu'il y ait des petites communautés isolées où ce n'est pas le cas, mais il n'en demeure pas moins que la majorité des jeunes anglophones qui vivent au Québec de nos jours sont absolument bilingues. Ils vont à l'école et reçoivent une éducation en français dès la première année. Pour réussir leurs études secondaires, ils doivent se soumettre à des examens écrits et oraux en français. Il ne faut pas le perdre de vue.
Vous nous rappelez qu'ils se sentent à l'aise en français, qu'ils sont capables d'occuper un emploi où il faut être aussi bilingue que nécessaire, notamment pour utiliser le français au travail sur le plan technique et professionnel au besoin. Cela dit, il ne faut pas oublier la vue d'ensemble. C'est ce que je voulais dire.
Le sénateur Tardif : Êtes-vous d'accord, monsieur Gates?
M. Gates : Je suis d'accord. Je pense que ce qu'il faut garder à l'esprit, comme je l'ai dit un peu plus tôt, c'est qu'à mon avis, tout dépend de l'endroit où l'on vit au Québec, qu'à bien des endroits, tout va probablement très bien. Je m'avance un peu en faisant des suppositions, mais je pense que d'ici quelques années, nous allons probablement nous rendre compte que le niveau de compétence en français est supérieur dans la région métropolitaine de Montréal, disons, qu'ailleurs. Il y a là beaucoup d'occasions d'utiliser la langue, et cela se traduit par un bilinguisme particulièrement fort chez la jeune génération. Je pense que l'avenir va nous le confirmer.
Le sénateur De Bané : Vous avez souligné certaines choses très importantes avec lesquelles je suis totalement d'accord. Vous avez dit croire en « l'existence d'une communauté minoritaire anglophone saine au sein d'un Québec francophone fort ». Vous avez dit croire « que les communautés minoritaires d'expression anglaise de l'Outaouais sont dynamiques et viables et qu'elles ont un rôle important à jouer », mais après vous nous expliquez ce qu'il en est vraiment. Quand vous interrogez les jeunes, ils vous disent qu'ils se sentent parfois exclus dans leur propre région à cause d'une ségrégation sociale de la part de la majorité francophone.
Le sénateur Champagne vous a dit que quand elle a voyagé à l'étranger récemment, elle a vu des jeunes qui parlaient deux, trois ou quatre langues. Nous avons la chance, ici, de vivre dans un pays où l'on parle deux des langues les plus importantes du monde occidental. Il ne s'agit pas ici de langues qui, bien qu'elles aient bien du mérite, ne sont pas parlées partout, comme le flamand, par exemple. Nous parlons ici de l'anglais, la langue dominante dans le monde, et du français. Je pense que ce sont les deux seules langues qui sont parlées sur les cinq continents. Nous devrions nous sentir privilégiés d'avoir ces deux langues.
J'aimerais vous faire part de mon opinion personnelle sur la situation actuelle et sur ce que vous définissez très diplomatiquement comme les deux solitudes. Quand on écoute la télévision de Radio-Canada, le réseau français de la CBC, on n'entend jamais parler de la communauté anglophone du Québec, qui représente près d'un million de personnes. Vous dites que cette jeune génération ressent de la ségrégation sociale de la part des communautés francophones majoritaires, mais la communauté francophone n'entend jamais parler de tous ces autres Québécois qui parlent anglais. Notre comité s'est rendu dans diverses villes du Québec pendant une semaine, et je n'ai jamais vu de journalistes de la Société Radio-Canada assister à nos audiences, jamais. Elles portent sur les anglophones. Nous ne parlons jamais d'eux, et c'est pourtant une institution fédérale. La caractéristique principale de notre époque est la communication.
La Société Radio-Canada, à mon humble avis — et ce n'est que mon avis personnel —, est en grande partie responsable de ces deux solitudes. Je ne vois jamais de Canadiens anglophones à Radio-Canada. Comme vous le dites, la majorité des jeunes d'aujourd'hui sont bilingues, mais il ne faut pas les montrer, il ne faut jamais parler d'eux, c'est la réalité d'aujourd'hui. Radio-Canada ne parle d'ailleurs jamais des Franco-Albertains ou encore des francophones du Nouveau-Brunswick ou de l'Ontario non plus. On n'entend jamais parler d'eux sur ses ondes.
L'Université de Moncton, qui est acadienne, vient de publier une étude très en profondeur selon laquelle c'est la CBC, et non Radio-Canada, qui parle des Acadiens. Selon cette étude, la Société Radio-Canada est centrée sur le Québec, un point c'est tout, sur les francophones et le Québec pure laine, bien sûr.
C'est une institution fédérale. La dernière chose que je veux, c'est que cette institution devienne un véhicule de propagande. Personne n'observe la règle, mais selon la loi adoptée à l'unanimité par tous les députés fédéralistes du Parlement en 1991, la SRC devrait refléter toutes les composantes de la société canadienne. On n'y parle pourtant jamais du million de Québécois anglophones.
Vous avez raison de dire qu'ils se sentent exclus, ils n'ont pas de réseau, rien. À mon humble avis, votre description est on ne peut plus juste. Le principal coupable, à mon humble avis, en est une institution fédérale, la Société Radio-Canada. On n'entend jamais parler des Québécois anglophones sur ses ondes, jamais.
[Français]
La présidente : Je suis désolée, sénateur De Bané. Est-ce que vous aviez une question pour nos témoins?
[Traduction]
Le sénateur De Bané : Je vous donne mon opinion, vous êtes libres d'y réagir. Je conclus, comme les Acadiens, que le Téléjournal parle du Québec et que la CBC parle du Canada. Ce sont deux mondes différents.
[Français]
La présidente : Voulez-vous commenter?
[Traduction]
Mme Stronach : Je ne suis pas certaine que ce soit aussi noir et blanc, et je parle de ma propre expérience d'anglophone qui a grandi au Québec. En tant que personne, je dois moi aussi assumer des responsabilités si je veux parler les deux langues.
Il est très ironique que mon français se soit amélioré depuis les deux dernières années, où j'occupe le poste de directrice générale de la Regional Association of West Quebecers, une organisation qui aide les communautés anglophones, allez donc comprendre.
M. Gates : J'ajouterais, si nous rappelons nos antécédents, que je suis un ancien interprète de cette institution parlementaire. J'interprétais du français à l'anglais. Le nombre d'interprètes francophones était de loin supérieur comparé au nombre d'interprètes anglophones, pour des raisons évidentes, et cela a énormément amélioré mon français. Je vous ai parlé de blocage psychologique. Je pense que cela a cassé le blocage psychologique chez moi. Ce n'est pas une expérience ouverte à tous. J'ai été plutôt chanceux.
Franchement, sénateur De Bané, je dois admettre que j'écoute rarement la télévision de Radio-Canada, donc je ne suis pas vraiment bien placé pour dresser des comparaisons. J'ai l'impression qu'ils ne sont pas les seuls responsables à pointer du doigt, s'il faut pointer des responsables du doigt. Il reste encore une sorte de barrière sociale, et son ampleur dépend beaucoup de l'endroit où l'on vit. Je répète qu'il peut être très difficile de généraliser.
Il y a une grande population anglophone autour de chez nous, à Gatineau. Il y a probablement pas mal de gens qui ont des contacts avec les anglophones, mais dans leur vie quotidienne, particulièrement dans leur vie familiale et au sein de leur cercle d'amis, il est très peu probable qu'ils fréquentent beaucoup d'anglophones à ce niveau social. Nous pourrions probablement en dire autant de bon nombre d'entre nous.
Tout cela crée des difficultés de compréhension et de communication, et ce n'est certainement pas une barrière qui va s'aplanir très facilement. L'une des conclusions de l'étude du QCGN de 2008, c'est que si l'on peut créer des occasions pour permettre aux jeunes anglophones et francophones de se rencontrer pour des raisons pratiques, par exemple, pour apprendre à travailler ensemble ou pour des raisons purement sociales, on pourra surmonter cette difficulté.
Le sénateur De Bané : Comment allons-nous mettre un terme à la ségrégation que les jeunes anglophones ressentent tant que les Québécois francophones ne verront pas d'émissions à la télévision où un animateur francophone et un animateur anglophone travailleront ensemble? Cette ségrégation ne s'arrêtera pas tant que la jeune génération ne verra pas des gens des deux groupes travailler harmonieusement ensemble. Ils peuvent travailler ensemble, et cela encouragerait les jeunes de voir que c'est possible.
Cependant, au fil du temps, nous avons bâti deux réseaux, et particulièrement Radio-Canada, qui est 100 p. 100 francophone et 100 p. 100 Québec, qui ne représente pas tout le Canada, mais les francophones du Québec, un point c'est tout.
Nous savons qu'il y a des gens qui regardent la télévision de 30 à 40 heures par semaine. On rêve en couleur si l'on croit qu'avec une telle programmation télévisuelle, où il n'y a que des francophones qui travaillent ensemble, les francophones vont se mettre à dire qu'ils devraient resserrer leurs liens avec l'autre communauté, avec les Québécois anglophones d'aujourd'hui. Ils ne les voient jamais à la télévision.
Quoi qu'il en soit, je vous ai donné mon opinion. J'essaie depuis de nombreuses années de comprendre pourquoi, dans la province de ma jeunesse, nous nous sentions envahis par la communauté anglophone. Nous avions vraiment l'impression que les anglophones deviendraient la communauté dominante, mais ce n'est plus vrai de nos jours. La réaction défensive est toutefois toujours là, mais je ne trouve pas que Radio-Canada fait sa part pour rassembler les deux communautés. Radio-Canada contribue à ce que les deux solitudes continuent d'exister.
[Français]
Le sénateur Fortin-Duplessis : Après avoir parcouru le Québec, nous avons constaté que ses communautés anglophones ont beaucoup de défis à relever. Dans votre présentation, vous avez mentionné que les anglophones jouaient un rôle important dans l'élaboration d'initiatives qui appuient la communauté minoritaire d'expression anglaise de l'Outaouais. Quelle serait la plus grande réalisation ou action qui, jusqu'à présent, vous rende le plus fiers du travail de votre organisme?
[Traduction]
M. Gates : Il faut peut-être remonter à l'époque avant la nôtre. Madame le sénateur, nous avons fait deux choses importantes. Je m'excuse, vous n'en avez demandé qu'une, mais je vais vous en donner deux.
La première est l'établissement du cégep en langue anglaise. Cela remonte à il y a quelques années, avant que je ne sois là et avant l'arrivée de Mme Stronach, qui est encore plus récente.
Mme Stronach a par ailleurs mentionné la création du Réseau de la santé et des services sociaux pour les anglophones de l'Outaouais, le RSSAO, grâce à une subvention de trois ans. La subvention était administrée par les West Quebecers. Ce réseau est maintenant indépendant. Comme Mme Stronach l'a expliqué, il a mis sur pied un centre de ressources dans le but fondamental de diffuser de l'information sur la santé.
Je dirais que ce sont nos deux réalisations les plus importantes jusqu'à maintenant.
[Français]
Le sénateur Champagne : Mon intervention est plus un commentaire qu'une question. Contrairement au sénateur De Bané, je ne crois vraiment pas qu'il y ait une ségrégation entre les jeunes francophones et les jeunes anglophones.
J'ai élevé ma famille sur la Rive-Sud de Montréal, dans une communauté qui s'appelle Saint-Lambert. Quand nous y sommes déménagés, il y avait autant de familles francophones qu'anglophones. La journée du déménagement, ma petite fille de six ans est arrivée en me disant qu'elle ne voulait pas rester ici parce que tout le monde parlait anglais. Je lui ai répondu d'aller jouer dehors.
[Traduction]
Je peux vous garantir que deux ans plus tard, tous les enfants de ces quatre familles étaient bilingues. Il n'y a pas de ségrégation si nous insistons.
Vous serez sûrement d'accord pour dire que si les jeunes avaient des voisins de leur âge qui parlent l'autre langue, les jeunes Canadiens seraient vite bilingues au Québec et ailleurs. Peut-être que nos anglophones du Québec ne se sentiraient plus seuls dans leur coin. Ce n'est pas ce que nous voulons. Nous voulons qu'ils soient tous ensemble. C'est ce que nous espérons. Je jure que je fais de mon mieux pour Dieu et pour le pays.
La présidente : Madame Stronach et monsieur Gates, je vous remercie d'avoir été des nôtres cet après-midi.
[Français]
Merci pour vos présentations et pour avoir répondu à nos questions. Au nom des membres du comité, je vous souhaite bonne chance et un bon succès dans votre travail.
(La séance est levée.)