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RIDR - Comité permanent

Droits de la personne

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne

Fascicule 27 - Témoignages du 3 juin 2013


OTTAWA, le lundi 3 juin 2013

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd'hui, à 16 heures, pour étudier le projet de loi C-279, Loi modifiant la Loi canadienne sur les droits de la personne et le Code criminel (identité de genre)

La sénatrice Mobina S. B. Jaffer (présidente) occupe le fauteuil.

[Français]

La présidente : Honorables sénateurs je déclare ouverte la 34e réunion de la 41e législature du Comité sénatorial permanent des droits de la personne. Ce comité a reçu du Sénat le mandat d'examiner des questions ayant trait aux droits de la personne au Canada et à l'étranger.

[Traduction]

Pour ceux qui nous écoutent, les délibérations du comité sont ouvertes au public et sont diffusées sur le Web à l'adresse parl.gc.ca. Vous pouvez obtenir de plus amples renseignements quant à l'horaire des témoins dans la section « Comités du Sénat » de notre site web.

Mesdames et messieurs les sénateurs, nous étudions aujourd'hui le projet de loi C-279, Loi modifiant la Loi canadienne sur les droits de la personne et le Code criminel (identité et genre). Le texte propose de modifier la Loi canadienne sur les droits de la personne afin d'intégrer l'identité de genre à la liste des motifs de distinction illicite. Il propose également de modifier le Code criminel afin d'intégrer l'identité de genre à la liste des caractéristiques distinctives protégées par l'article 318 et à celle des circonstances aggravantes dont il faut tenir compte pour déterminer la peine à infliger en application de l'article 718.2.

Je m'appelle Mobina Jaffer, et je suis la présidente du comité. J'invite les membres du comité à se présenter à tour de rôle.

La sénatrice Ataullahjan : Je suis Salma Ataullahjan, de Toronto, en Ontario.

Le sénateur White : Vern White, de l'Ontario.

Le sénateur Oh : Victor Oh, de l'Ontario.

Le sénateur Ngo : Je m'appelle Thanh Hai Ngo, de l'Ontario.

La sénatrice Andreychuk : Raynell Andreychuk, de la Saskatchewan.

Le sénateur Munson : Je suis Jim Munson, de l'Ontario, mais mon cœur est au Nouveau-Brunswick.

La présidente : Pour commencer, nous allons accueillir M. Randall Garrison, député et parrain du projet de loi C- 279 à la Chambre des communes. Bienvenue à la séance d'aujourd'hui. Je vous invite à nous présenter votre exposé.

Randall Garrison, député, parrain du projet de loi à la Chambre des communes : Madame la présidente, mesdames et messieurs les membres du comité, je vous remercie infiniment de m'avoir invité à comparaître aujourd'hui. Je vous remercie aussi de ne pas avoir tardé à étudier le projet de loi, que la Chambre a adopté à deux occasions, la première étant il y a plus de deux ans. Il a chaque fois reçu l'appui de l'ensemble des partis. Cette fois-ci, huit ministres l'ont appuyé alors qu'il s'agit d'une initiative de l'opposition.

Vous ne serez pas étonné si je commence par vous expliquer en quoi je trouve le projet de loi important. Il y a plusieurs raisons. Tout d'abord, le projet de loi permet au Canada de remplir ses obligations internationales. Le Canada est signataire de la Déclaration conjointe de l'ONU relative à l'orientation sexuelle et l'identité de genre, selon laquelle nous avons la responsabilité de prendre des mesures afin de protéger les droits des Canadiens transgenres.

En deuxième lieu, les droits de la personne au Canada comportent une lacune en ne protégeant pas explicitement les Canadiens transgenres, une situation que le projet de loi propose de corriger. Troisièmement, il donne l'occasion au Parlement canadien de montrer l'exemple. Nous pourrons ainsi emboîter le pas à quatre provinces, à savoir les Territoires du Nord-Ouest, si je peux dire que c'est une province, l'Ontario, le Manitoba et la Nouvelle-Écosse, de même qu'à bien des municipalités, dont Vancouver et Toronto. Lorsque je parle de donner l'exemple, je veux dire que le Parlement doit déclarer l'importance des valeurs canadiennes telles que l'inclusion et montrer que les Canadiens transgenres doivent être protégés au même titre que tout autre Canadien.

Je crois qu'il est temps de reconnaître certains faits désagréables au sujet du Canada. La communauté transgenre est et a probablement toujours été la plus discriminée au Canada, et les conséquences sont fort éloquentes. Elle subit une grande violence. Si on s'attarde plus particulièrement aux statistiques sur les crimes haineux, on s'aperçoit que ceux commis à l'endroit de Canadiens transgenres sont deux fois plus souvent violents que ceux visant tout autre groupe. À cause de la discrimination, la communauté transgenre a aussi beaucoup de problèmes d'emploi, ce qui la condamne à la pauvreté. Elle est également victime d'une grave discrimination en matière de logement et a beaucoup de mal à accéder aux services sociaux et aux services de santé dont elle a besoin. Toute cette exclusion donne lieu à un taux de suicide très élevé au sein de la communauté transgenre.

Pourquoi ai-je décidé de parrainer le projet de loi? C'est partiellement attribuable au travail de mon prédécesseur Bill Siksay, député de Burnaby—Douglas, qui a pris sa retraite en 2011. En tant que porte-parole du NPD pour les lesbiennes, gais, transsexuels et transgenres, M. Siksay m'a légué le travail qu'il a accompli. J'ai l'impression de me tenir sur les épaules d'un géant qui a grandement fait avancer les choses en contribuant à l'adoption du premier projet de loi à la Chambre des communes.

Une deuxième raison explique pourquoi je parraine le projet de loi, à savoir mon expérience auprès de la communauté transgenre. Pendant 20 ans, j'ai enseigné dans un programme collégial en justice pénale où j'ai rencontré des étudiants transgenres, tant des hommes transformés en femmes que des femmes transformées en hommes, qui avaient du mal à s'intégrer à la communauté et à faire carrière dans le domaine de l'application de la loi. Ce que je les ai vus endurer m'a grandement inspiré à reprendre le projet de loi.

En passant, je tiens à préciser que le Service de police d'Ottawa est très progressiste et a été le premier au Canada à embaucher un agent transgenre.

J'ai aussi eu des alliés politiques transgenres. La directrice des communications de ma première campagne électorale était transgenre, et un transgenre a déjà présidé mon association de comté. Ces personnes ont décidé de faire de la politique parce qu'elles trouvent que les droits de la personne au Canada comportent des lacunes à leur endroit, et parce qu'elles tiennent profondément à y être incluses au même titre que tout autre Canadien.

J'ai eu le privilège d'avoir de bons amis et des voisins transgenres. J'ai été témoin de l'exclusion dont ils font l'objet dans bien des sphères de la vie en société, ainsi que des difficultés que le rejet fait vivre aux familles qui tentent de comprendre la transition qu'a subie leur fils, leur fille ou leur parent, et qui recherchent du soutien au sein de la communauté.

Les arguments en faveur du projet de loi sont assez simples. Grâce à celui-ci, les droits de la personne des Canadiens transgenres seront protégés fondamentalement au même titre que ceux de tout autre Canadien. Il ne leur reconnaît pas des droits particuliers ou différents, mais leur accorde simplement les mêmes droits que la plupart d'entre nous tiennent pour acquis au quotidien.

En début de séance, la présidente a souligné que le projet de loi ne présente que deux propositions : d'une part, il modifie la Loi sur les droits de la personne en y ajoutant des protections particulières et explicites pour les Canadiens transgenres, et il modifie d'autre part l'article sur les crimes haineux du Code criminel de la même façon.

J'aimerais m'attarder aux arguments qui ont été présentés contre le projet de loi. J'ai travaillé étroitement avec les députés conservateurs, et surtout avec Kerry-Lynne Findlay, députée de Delta—Richmond-Est, pour essayer de trouver un compromis répondant aux inquiétudes de la Chambre. Il ne s'agit pas du projet de loi original, dont on a retiré « expression sexuelle » pour en limiter la portée. Même si je suis d'avis que les concepts d'expression sexuelle et d'identité de genre sont étroitement liés, d'autres y voyaient un problème. Nous avons donc supprimé « expression sexuelle » en guise de compromis. Nous avons aussi fait le compromis de définir « identité de genre ». J'étais d'accord avec ceux qui disaient que nous n'avons pas besoin de définir cette expression au même titre que les termes « race » ou « religion » ne sont pas définis dans la loi. Je reconnais toutefois que cette réalité n'est pas aussi bien connue que celle d'autres classes faisant l'objet d'une protection. Nous avons donc choisi une définition qui s'inspire de la jurisprudence internationale et qui correspond à l'expression « identité de genre » utilisée en droit international.

Nous avons également témoigné devant le Comité de la justice de la Chambre des communes pour aborder d'autres préoccupations, dont certaines continuent d'être exprimées. J'aimerais m'attarder plus particulièrement à trois d'entre elles.

Premièrement, certains disent que le projet de loi est superflu puisque les droits de la personne incluent déjà les Canadiens transgenres. Même si je conviens que des progrès sont réalisés puisque le genre, l'orientation sexuelle ou l'incapacité peut être invoqué dans le cadre de poursuites, rien ne garantit à l'avenir le gain des causes qui se rapportent à un transgenre. Certaines caractéristiques particulières des transgenres méritent une protection explicite pour éviter que ceux-ci ne doivent invoquer une autre catégorie pour se défendre. En fait, bien des Canadiens transgenres trouvent insultant de devoir invoquer une incapacité en guise de défense.

Nous avons entendu le témoignage de la Commission canadienne des droits de la personne devant le Comité de la justice à la Chambre des communes, et je sais que ses représentants comparaîtront tout à l'heure. Puisque la commission trouve utile d'ajouter une protection explicite pour l'identité de genre, il est faux de dire que le projet de loi est superflu. C'est également une drôle de raison pour s'opposer à un projet de loi. Même si c'était vrai, il n'y aurait aucun mal à ajouter une protection explicite.

Par ailleurs, le deuxième argument était nouveau pour moi, et c'est la sénatrice Nancy Ruth qui l'a invoqué dans son discours d'opposition. Il me laisse un peu perplexe. La sénatrice dit que le projet de loi devrait aussi modifier l'article du Code criminel sur les crimes haineux pour y ajouter le genre. En fait, le NPD a déjà déposé un projet de loi à cet effet à la Chambre des communes. Or, il s'agit à mes yeux d'une tout autre question. Conformément aux règles de la Chambre, ajouter un sujet foncièrement différent de l'objet premier du projet de loi excéderait la portée de celui-ci. Je sais que c'est différent au Sénat, mais j'ignore votre position sur la question. Je ne comprends toutefois pas comment on peut s'opposer à un projet de loi parce qu'il ne fait pas une chose souhaitable, certes, mais qui n'a rien à voir avec son objet. J'en ai parlé directement avec la sénatrice Ruth, et nous avons convenu de notre désaccord.

L'argument laisse aussi entendre que le projet de loi privilégie en quelque sorte les hommes au détriment des femmes. Je dois dire que c'est faux puisque le projet de loi protège les droits tant des hommes transgenres transformés en femmes que des femmes transgenres transformées en hommes. Il n'établit donc aucune distinction entre les hommes et les femmes. L'objectif est de protéger les Canadiens transgenres des deux sexes, de même que ceux dont le sexe peut changer d'une autre façon.

Permettez-moi enfin d'aborder l'argument que j'ai trouvé choquant, même si là n'était pas l'intention de ceux qui l'ont présenté. Certains prétendent que le projet de loi pourrait en quelque sorte menacer la sécurité des femmes et des enfants dans les toilettes publiques. Cet argument est fondé sur la peur, et pas sur des faits. Je vais commencer par ce qui saute aux yeux, à savoir que le projet de loi n'aura aucune incidence directe sur les toilettes publiques puisque celles-ci relèvent rarement, voire jamais de la compétence du fédéral. L'autre fait évident, c'est que les Canadiens transgenres utilisent déjà les toilettes publiques conformément à leur apparence sans pour autant menacer qui que ce soit. À vrai dire, ce sont plutôt les transgenres qui sont le plus souvent menacés dans les toilettes publiques. Peu importe la toilette qu'ils choisissent, les utilisateurs considèrent souvent qu'ils sont au mauvais endroit.

Puisque l'argument a été avancé devant la Chambre des communes, nous avons communiqué avec quatre États américains dont les lois sur les droits de la personne protègent depuis longtemps les droits des transgenres. Il s'agit de l'Iowa, du Colorado, de Washington et de la Californie. Chaque État nous a répondu par écrit que la protection des droits des transgenres n'a jamais été utilisée à mauvais escient par un homme qui voudrait avoir accès aux toilettes publiques des femmes. Je pense que c'est essentiel. Il n'y a rien à signaler de ce côté dans les quatre États, dont certains ont adopté des dispositions semblables il y a plus de 10 ans. Naturellement, les provinces canadiennes n'ont, elles non plus, signalé aucun incident du genre.

Je dois dire qu'il a été question d'un incident particulier, dont les médias ont parlé, et qui est survenu en 2012 dans un vestiaire du Evergreen State College de l'État de Washington. En fait, une plainte a été déposée à l'endroit d'une personne transgenre qui utilisait l'espace correspondant à son genre. Mais il ne s'agit pas d'un cas où un individu aurait invoqué les droits des transgenres pour accéder à un vestiaire.

La présidente : Monsieur Garrison, je vais devoir vous demander de conclure puisque bien des sénateurs ont des questions à vous poser.

M. Garrison : Il serait bien de suivre l'exemple du collège, qui a tout bonnement installé des rideaux pour régler la question. Ce n'est donc plus un problème. À mes yeux, cet exemple illustre qu'on peut bien souvent trouver des solutions très simples à des problèmes qui semblent insurmontables.

Pour conclure, je crois que l'inclusion est une valeur canadienne fondamentale. La Chambre des communes l'a déjà attesté, et je m'attends à ce que le Sénat fasse de même. Les Canadiens transgenres sont nos frères et sœurs, nos pères et mères, nos filles et nos garçons, nos voisins, nos amis. Je trouve que le temps est venu de clarifier ce point en intégrant ces droits fondamentaux à la législation canadienne. Il s'agit des mêmes droits que tout le monde, ni plus ni moins. Je crois qu'il est temps d'agir pour mettre fin à la discrimination contre les transgenres. Permettez-moi de vous poser la question suivante : quand joindrons-nous le geste à la parole si nous ne le faisons pas maintenant?

La présidente : Merci beaucoup. Nous allons maintenant passer aux questions en commençant par la sénatrice Ataullahjan, vice-présidente du comité.

La sénatrice Ataullahjan : Je vous remercie de votre exposé. Je sais que vous avez parlé des provinces et que quatre d'entre elles ont adopté des mesures semblables. J'aimerais savoir quel a été le résultat.

Vous avez également parlé brièvement des Américains et de certains États qui ont adopté ce genre de dispositions. Quels autres pays ont pris des mesures semblables? Quelles sont leurs répercussions sur les communautés transgenres?

Croyez-vous que c'est positif? Ont-elles permis de combattre l'hostilité et la discrimination dont souffrent les transgenres?

M. Garrison : Un des problèmes de la discrimination contre les transgenres, c'est que les organismes recueillent rarement des statistiques à leur sujet puisqu'ils ne sont pas protégés de façon explicite. Parmi les quatre instances que j'ai nommées, seuls les Territoires du Nord-Ouest ont des dispositions semblables depuis longtemps. Je crois qu'elles ont été adoptées il y a environ 10 ans. En comparaison, les autres provinces ne l'ont fait que très récemment.

Non seulement il n'y a pas d'exemples négatifs, mais en plus, on trouve de nombreux exemples probants au sein de la communauté transgenre. C'est le cas de l'accès aux services sociaux et aux logements, qui est plus facile lorsque les transgenres peuvent invoquer les articles des lois canadiennes sur les droits de la personne qui les protègent explicitement.

Je crois également que 160 municipalités aux États-Unis ont adopté des mesures visant à protéger les droits des transgenres, principalement pour le logement. Encore une fois, cela fait vraiment une différence. Je le répète, les transgenres sont non seulement victimes de discrimination, mais très souvent, il en résulte qu'ils vivent dans la pauvreté. Le logement constitue vraiment l'un des plus grands problèmes pour bon nombre d'entre eux.

Je n'ai pas de statistiques. Je ne les connais pas par cœur. J'hésite à dire un nombre de pays. J'ai un chiffre en tête, mais ma mémoire n'est pas toujours bonne.

La sénatrice Ataullahjan : Vous pourriez nous les faire parvenir.

M. Garrison : Nous pouvons vous communiquer les renseignements. Encore une fois, je peux vous dire que dans tous les cas, il n'y a pas d'exemples négatifs concernant le type de craintes qui ont été exprimées, et qu'il y a des exemples positifs quant à l'accessibilité à des services sociaux et de santé pour les transgenres.

La sénatrice Ataullahjan : Le terme « expression sexuelle » a été retiré du projet de loi parce que sa définition était considérée comme étant trop vague. Pouvez-vous expliquer pourquoi on a inclus ce terme au départ et pourquoi il a été retiré? Le projet de loi est-il complètement différent maintenant qu'il a été retiré?

M. Garrison : À mon avis, il est vrai qu'il n'était pas bien défini. Dans la jurisprudence au Canada et à l'étranger, « identité de genre » est défini très clairement. Le terme « expression sexuelle » constitue moins souvent la base d'affaires judiciaires, et la définition juridique est moins claire. Je conviens que les gens qui pensaient que c'était un problème avaient raison.

La question fondamentale est la suivante : si l'identité de genre est protégée, comment peut-elle ne pas inclure la capacité d'une personne de l'exprimer? À mon avis, les deux termes sont très liés, et je ne crois pas que cela change fondamentalement l'objectif du projet de loi. Cela aura pour effet de laisser à la jurisprudence une partie des questions sur l'expression sexuelle. C'est le principal changement apporté au projet de loi, et donc certains éléments qui auraient pu être plus explicites quant à l'expression sexuelle, comme une définition et son application, seront laissés aux tribunaux. Pour ma part, je crois que c'est malheureux, mais c'est un compromis qui a permis au projet de loi d'être accepté par la Chambre des communes. C'est pourquoi j'accepte le compromis.

Le sénateur Munson : Je vous remercie de votre présence. Il est minuit moins une concernant l'étude du projet de loi. Je remarque que le résultat du vote à la Chambre a été de 149 voix contre 137, et que vous avez été appuyé par le ministre des Finances, M. Flaherty, la ministre du Travail, Lisa Raitt, le ministre du Patrimoine et M. Baird. Il s'agit d'un appui solide pour un projet de loi, mais certaines personnes utilisent une expression péjorative. Vous y avez fait allusion — « le projet de loi sur l'accès aux toilettes publiques ». Comment en arrive-t-on là? M. Anders, un député de Calgary, a présenté une pétition au nom de milliers de personnes opposées à ce qu'il appelle le « projet de loi sur l'accès aux toilettes publiques ». Il a dit que les pétitionnaires estiment que la Chambre des communes a le devoir de protéger nos enfants des risques et des préjudices qui résulteraient de l'admission d'hommes dans les toilettes publiques réservées aux femmes.

Nous voulons tenir un débat raisonné à ce sujet, mais c'est parfois difficile lorsqu'on entend ce genre de propos incendiaires comme « projet de loi sur l'accès aux toilettes publiques ».

M. Garrison : J'ai dit que je trouvais l'argument choquant, et je crois qu'il est utilisé par certains groupes pour justifier leur opposition à la reconnaissance des droits des transgenres. Il y a un groupe en particulier, qui a fortement lutté contre les mariages entre personnes de même sexe. À l'époque, les membres de ce groupe ont dit que permettre ces mariages mènerait à la polygamie et à plein d'autres choses terribles. Bien entendu, le projet de loi sur le mariage entre conjoints de même sexe a été adopté et rien n'a changé. Ce groupe est l'auteur de l'argument sur les toilettes publiques et les graves conséquences qu'aurait l'adoption du projet de loi. Je suis convaincu que les prédictions de ces gens seront aussi mauvaises que celles qu'ils ont faites au sujet du mariage entre conjoints de même sexe.

Le sénateur Munson : Je vous ai posé ma question compte tenu du fait que chacun d'entre nous s'est penché sur des questions concernant les jeunes qui se suicident à cause de problèmes liés à l'identité sexuelle au Canada. Comme nous l'avons dit au Sénat, ces jeunes hommes et ces jeunes femmes ont des problèmes de santé mentale et vivent dans l'ombre. Des membres de la communauté transgenre vivent dans l'ombre. Veut-on dire qu'en tant que société, nous laissons la situation persister, et dans quelle mesure pouvons-nous donner de l'espoir à ces personnes en adoptant le projet de loi?

M. Garrison : Comme je l'ai dit dans ma conclusion, la Chambre des communes a maintenant déclaré que les Canadiens transgenres doivent avoir les mêmes droits que tous les Canadiens et être pleinement intégrés à la société. J'espère que le Sénat fera de même. L'adoption du projet de loi aurait des répercussions énormes, surtout pour les jeunes qui essaient de composer avec leur différence lorsqu'il s'agit d'identité de genre, par comparaison à ce qui est perçu comme une norme très étroite. Ce sera très utile.

Le sénateur Munson : Je suis d'accord avec vous. Le Sénat travaille parfois de façon mystérieuse et ne suit pas nécessairement le même rythme que la Chambre de communes lorsqu'il est question de projet de loi comme celui-là.

Au cours des cinq dernières années, je crois que la Commission des droits de la personne a reçu 19 plaintes relatives à des cas de discrimination contre les transgenres, dont huit étaient encore en cours. Quel effet le projet de loi aurait-il sur ces dossiers ou sur ceux qui sont en cours?

M. Garrison : Des représentants de la Commission canadienne des droits de la personne sont ici; je pense qu'ils sont beaucoup mieux placés que moi pour répondre à votre question. Je dirais toutefois que d'après l'expérience acquise ailleurs, en protégeant les droits des transgenres de façon explicite, on précise le travail des commissions sur les droits de la personne et on simplifie ce qui doit leur être présenté. Il n'en a pas découlé la présentation d'un nombre important de nouveaux dossiers. Certaines personnes craignent que l'adoption du projet de loi se traduise par l'apparition de centaines de nouveaux dossiers. Il peut y avoir une légère augmentation du nombre de cas soumis au départ, mais la plupart des transgenres qui sont victimes de discrimination essaient de défendre leur cause en s'appuyant sur d'autres motifs de discrimination, et ces dossiers ont donc déjà été soumis à la Commission des droits de la personne. Ils ont dit très clairement que c'était utile, et je suis certain qu'ils vous diraient la même chose aujourd'hui.

Le sénateur Munson : Je vais poser une dernière question. Certaines personnes sont d'avis — mais ce n'est pas du tout mon cas — que les commissions des droits de la personne entravent le travail des tribunaux. Pourquoi ne laissons- nous pas simplement les tribunaux s'occuper de ces questions? Je suis critique en ce qui concerne l'article 13, la suppression de cette partie du projet de loi et les propos haineux sur Internet. L'argument que font valoir certaines personnes qui s'y opposent, des amis avec qui je collabore étroitement, c'est essentiellement que cela retarde tout, et elles se demandent pourquoi on ne s'en remet pas aux tribunaux du pays. J'ai toujours cru qu'à cet égard, qui dit liberté d'expression, dit responsabilité. Nous avons des représentants d'une commission des droits de la personne devant nous, et des gens qui disent qu'il y a des plaintes mal fondées, des choses qui ne se produisent pas très souvent et cela entrave beaucoup de choses : laissez les tribunaux décider. Que se passe-t-il si on laisse les tribunaux décider?

M. Garrison : Je dirais tout d'abord que la plupart des transgenres canadiens vivent dans la pauvreté et n'ont pas les ressources qu'il faut pour recourir aux services d'un avocat et passer des années devant les tribunaux. L'accès à une commission des droits de la personne, qui coûte relativement peu cher et qui demande peu d'efforts comparativement aux tribunaux, leur offre une possibilité qui est très importante à mon avis. Il en est de même pour tous les Canadiens ayant des revenus modestes. Ce n'est pas tout le monde qui a les moyens de mener une longue bataille juridique, et compte tenu des retards au sein de notre système judiciaire en ce moment, les batailles ne sont jamais brèves.

Le sénateur White : Je vous remercie de votre présence. Nous disons souvent qu'il vaut la peine de remettre en question une situation difficile. En examinant le résultat du vote à la Chambre et une partie de la discussion, je pense qu'il est important de tenir cette discussion. Je suis ravi de voir que des membres de — je dirais normalement la communauté GLBT — la communauté TGLB vous accompagnent aujourd'hui. C'est de l'information importante pour tout le monde également, et — c'est un point de vue, je m'en excuse — les membres de la communauté des gais, lesbiennes et bisexuels défendent leurs droits avec vigueur et je pense que pour la communauté transgenre, le temps est venu.

Je vais poser ma question. Pendant environ sept ans, j'ai vu un certain nombre de causes sur la communauté transgenre devant des commissions des droits de la personne et, comme vous l'avez mentionné, le Service de police d'Ottawa. Auparavant, lorsque j'étais chef du Service de police régional de Durham, et je dirais que certains de nos dossiers se retrouvaient là où il le fallait; je n'ai jamais été témoin de cas contraires. Il se peut que ce ne soit pas assez clair pour moi. Par souci de précision — j'ai lu l'exposé que le président par intérim présentera tout à l'heure —, lorsque vous avez présenté le projet de loi, à quel point c'était important pour cette communauté d'être reconnue, et si vous n'y voyez pas d'inconvénient, qu'elles seront les répercussions pour la communauté GLBT en général, à votre avis?

M. Garrison : Merci. J'essayais de trouver une façon de souligner la présence de membres de la communauté transgenre, dont certains ont suivi...

Le sénateur White : Vous auriez pu le mentionner.

M. Garrison :... le débat de très près. Je pense que la protection explicite est très importante pour ce qui est de l'inclusivité, qui constitue selon moi une valeur canadienne fondamentale, de sorte que les membres de la communauté transgenre ne doutent pas de la volonté du gouvernement canadien et de notre société en général de s'assurer que nous mettons fin à cette discrimination et que nous faisons des progrès pour inclure les Canadiens transgenres. J'ai dit en toute honnêteté aux membres de la communauté — j'ai participé au 25e anniversaire de la Mosaïque de genres à Ottawa, la semaine dernière — que le projet de loi ne met pas un terme au travail de la communauté transgenre, mais favorise son inclusion et lui permet d'avoir un meilleur accès à des services sociaux. Les membres de la communauté transgenre qui sont ici pourront utiliser le projet de loi pour défendre leurs droits. Lorsque je parle de « leurs droits », il s'agit des mêmes droits que ceux des autres Canadiens, mais les gens ont parfois un peu de mal à le comprendre lorsqu'il s'agit des Canadiens transgenres.

Le sénateur White : Je vous remercie beaucoup et je suis ravi de votre présence.

La sénatrice Andreychuk : Merci. Je veux faire une observation. Je pense que la sensibilisation et la collaboration avec les communautés sont des éléments indispensables à cet égard. Il me semble que si d'autres personnes ne sont pas du même avis que vous, monsieur Garrison — et je vous remercie de votre approche réfléchie —, ils doivent avoir une tribune pour s'exprimer. Autrement, on n'en parle pas, et c'est là que cela devient dangereux. Le fait que des points de vue différents ont été exprimés à la Chambre des communes est rassurant, car les gens s'expriment, nous savons quels sont les problèmes, on peut les régler, et la communauté peut les régler. Je pense que le Sénat doit permettre à la Chambre des communes de faire son travail, et c'est ce qu'elle a fait.

Deux choses m'ont toujours posé problème. Il y a tout d'abord l'article, surtout dans le Code criminel. Je ne veux pas parler de l'utilité de la Commission des droits de la personne, car cela concerne une autre loi, qui sera étudiée une autre fois, mais il est question de votre projet de loi ici. Ce qui m'a dérangée, c'est qu'une fois qu'on commence à cibler des groupes, on ne met pas l'accent sur la discrimination, mais bien sur les groupes. C'est valable, mais nous nous retrouvons avec une longue liste dans le Code criminel et il y a d'autres problèmes de discrimination. Pensez-vous que votre projet de loi était nécessaire, mais qu'on continuera peut-être à cibler d'autres groupes et d'autres problèmes de discrimination, ce qui veut dire qu'il nous faudra modifier le Code criminel — du moins, dans l'esprit des gens — avant de régler le problème dans la communauté?

Les problèmes de discrimination changent au fur et à mesure que la société évolue. Les choses changent. C'est à la fois la force et la faiblesse de notre société. La liste devient de plus en plus longue, et il devient difficile de sensibiliser les gens à mon avis.

M. Garrison : Merci beaucoup, madame la sénatrice. Je vous remercie de souligner que certaines personnes sont préoccupées par les dispositions sur les crimes haineux et aussi par la Commission des droits de la personne. Cependant, je suis ici pour vous demander de donner aux Canadiens transgenres la même protection que les autres. On peut débattre des dispositions sur les crimes haineux du Code criminel ou de l'utilité des commissions, mais pas au détriment de la communauté transgenre.

Je pense que la différence en ce qui concerne l'article du Code criminel portant sur les crimes haineux, c'est l'intensité de la haine envers les Canadiens transgenres et le degré de violence. Au cours de mon exposé, j'ai dit que selon l'étude que nous avons, les crimes haineux commis contre les Canadiens transgenres sont souvent doublement plus violents que ceux perpétrés contre d'autres groupes, qui sont souvent verbaux. Ce degré de violence constitue une bonne raison d'ajouter les Canadiens transgenres à la liste de l'article du Code criminel.

La sénatrice Andreychuk : Je ne suis pas en désaccord avec la sénatrice Nancy Ruth; je pense seulement que c'est une autre question, et elle serait libre de présenter un projet de loi venant ajouter une autre liste qui serait peut-être aussi valable que celle que vous présentez. Est-ce votre point de vue? Vous avez dit que vous n'étiez pas d'accord...

M. Garrison : Dans mon exposé, j'ai dit que c'est une bonne chose à faire; ce n'est simplement pas le sujet du projet de loi. Cet ajout excéderait la portée du projet de loi. Selon l'avis qu'on m'a donné, conformément aux règles de la Chambre, il ne serait pas possible de faire un tel ajout au projet de loi, car cela irait au-delà de l'objectif initial du projet de loi.

La sénatrice Andreychuk : Ma dernière question découle d'autres questions, et je veux y revenir. Si nous adoptons le projet de loi, quelle sera la valeur éducative selon vous, par rapport au potentiel litigieux du projet de loi?

M. Garrison : Je pense que la valeur éducative symbolique est très importante. Encore une fois, il s'agit de la communauté qui a toujours été la plus grande victime de discrimination. Le Parlement du Canada déclare sans équivoque que les Canadiens transgenres sont des Canadiens qui ont les mêmes droits que tout le monde, ce qui constitue le début du processus de sensibilisation.

La sénatrice Andreychuk : Diriez-vous aussi que ce sont des actes discriminatoires qui mènent aux problèmes dans notre société? En d'autres termes, ils doivent être acceptés au sein de la société; est-ce ce que vous êtes en train de dire?

M. Garrison : Ce que je dis, c'est que l'inclusivité est une valeur fondamentale canadienne. En le précisant, les gens ne peuvent plus faire preuve de préjudice dans ces cas. Ils doivent analyser le problème lui-même et ne doivent pas laisser leurs préjugés dicter leur conduite.

La présidente : Merci beaucoup, monsieur Garrison, d'être venu et de nous avoir fait part de votre point de vue sur ce projet de loi. Nous sommes impatients de travailler avec vous.

M. Garrison : Merci beaucoup.

La présidente : Pour l'information des témoins, nous étudions le projet de loi C-279. Nous sommes heureux d'accueillir deux représentants de la Commission canadienne des droits de la personne : M. David Langtry, président par intérim, un témoin qui n'est pas étranger à ce comité; ainsi que M. Ian Fine, secrétaire général. Nous sommes heureux de vous accueillir de nouveau. Nous vous sommes reconnaissants de votre collaboration régulière. Je sais que vous avez un exposé à nous présenter, alors je vous cède la parole.

David Langtry, président par intérim, Commission canadienne des droits de la personne : Merci beaucoup, madame la présidente et honorables sénateurs. Je vous remercie d'avoir invité la Commission canadienne des droits de la personne à contribuer à l'étude que vous menez sur le projet de loi C-279, lequel propose de modifier la Loi canadienne sur les droits de la personne pour y ajouter l'identité sexuelle au nombre des motifs de discrimination.

En novembre dernier, mon collègue Ian Fine, secrétaire général de la Commission canadienne des droits de la personne, a témoigné sur le même sujet devant le Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes. Nous sommes venus aujourd'hui vous présenter les trois mêmes arguments exposés à ce moment. Tout d'abord, les personnes transgenres peuvent être victimes de discrimination ou de harcèlement qui sont souvent hostiles et parfois même haineux et violents. Ensuite, la commission, le tribunal et les tribunaux considèrent que l'identité sexuelle et l'expression sexuelle sont protégées par la Loi canadienne sur les droits de la personne. Enfin, l'ajout du motif « identité sexuelle » à la Loi canadienne sur les droits de la personne préciserait la notion de protection des droits de la personne.

Nous ne connaissons pas le nombre exact de personnes transgenres qui vivent au Canada. Par contre, nous croyons qu'un grand nombre d'entre elles ne révèlent pas leur situation parce qu'elles ont peur — peur d'être rejetées par la société; peur d'être harcelées ou traitées injustement; et parfois, peur de se faire agresser. Ces personnes peuvent même hésiter à demander des soins de santé ou à obtenir des pièces d'identité. Pour elles, ces démarches pourraient menacer leur vie privée et, par conséquent, compromettre leur sécurité.

Au Canada, nous sommes fiers de cultiver la diversité et de pratiquer l'inclusion. Personne ne devrait vivre dans la peur d'être ce qu'il est. Le Parlement a adopté la Loi canadienne sur les droits de la personne pour favoriser l'égalité et l'acceptation de l'autre.

[Français]

Cette loi existe pour protéger chacun d'entre nous, y compris les personnes vulnérables de notre société, contre le harcèlement et la discrimination.

La Commission canadienne des droits de la personne est chargée d'appliquer la loi. Nous recevons des plaintes de discrimination concernant l'emploi et les services offerts par les organisations sous règlementation fédérale. Il s'agit du secteur public fédéral et des entreprises privées dans les domaines du transport, des télécommunications et des services bancaires.

[Traduction]

La commission examine toutes les plaintes qu'elle reçoit. Bon nombre sont réglées par la médiation ou un processus de règlement des différends. Dans certains cas, nous renvoyons des plaintes au Tribunal canadien des droits de la personne pour qu'il rende une décision. Le tribunal agit indépendamment de la commission.

J'en arrive à mon deuxième argument. Une personne qui fait l'objet de discrimination fondée sur l'identité sexuelle ou l'expression sexuelle est protégée en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne. La commission accepte déjà les plaintes dénonçant la discrimination envers des personnes transgenres. Cependant, j'estime que les plaintes que nous recevons ne donnent pas une idée exacte de l'ampleur de la discrimination fondée sur l'identité sexuelle.

De nombreuses victimes ne porteront plainte qu'en dernier recours. Il faut du courage pour faire cela. Certaines personnes n'arrivent pas à surmonter la peur d'être stigmatisées. Il est souvent plus facile de ne rien dire.

Ce qui m'amène à mon dernier argument. Comme je l'ai mentionné, la Loi canadienne sur les droits de la personne existe pour protéger chacun d'entre nous contre le harcèlement et la discrimination. Le Parlement a déjà modifié la Loi canadienne sur les droits de la personne pour que cette protection s'applique aux personnes les plus vulnérables de notre société. Par exemple, il a ajouté le motif « orientation sexuelle ». En ajoutant le motif « identité sexuelle » à la loi, le Parlement préciserait que les membres de la communauté transgenre sont bel et bien protégés. Cela favoriserait l'acceptation. On enverrait aussi un message clair : au Canada, toute personne a le droit d'être traitée avec équité, dignité et respect.

Nous vous remercions de votre attention et serons heureux de répondre à vos questions.

La présidente : Je vais céder la parole à la vice-présidente du comité, la sénatrice Ataullahjan.

La sénatrice Ataullahjan : On prétend que les transgenres et transsexuels sont plus susceptibles d'être victimes d'agression sexuelle et de harcèlement. L'Association du Barreau canadien soutient que, même si ce projet de loi n'ajoute aucun nouveau droit, il offre une protection juridique aux transgenres. Êtes-vous d'accord avec l'ABC? Selon vous, s'il est adopté, ce projet de loi permettra-t-il de réduire considérablement le nombre d'agressions sexuelles et de cas de harcèlement?

M. Langtry : Je ne voudrais pas avancer d'hypothèses quant aux conséquences sur le nombre d'agressions. Il pourrait favoriser l'acceptation au sein de la société en précisant que les citoyens sont protégés contre la discrimination fondée sur l'identité sexuelle. L'histoire nous apprend que l'ajout de motifs ou de groupes n'élimine pas la discrimination à leur égard. Donc, cela ne permettrait pas d'éliminer les agressions. Toutefois, les gens comprennent et acceptent qu'en vertu de la loi, il revient à la Commission canadienne des droits de la personne de promouvoir et de protéger les droits de la personne. La reconnaissance explicite de l'identité sexuelle favoriserait l'acceptation de l'identité sexuelle et sensibiliserait la population aux questions sur le sujet.

Le sénateur Munson : Vous avez dit dans votre exposé que vous recevez des plaintes de discrimination concernant l'emploi et les services offerts par les organisations sous réglementation fédérale, y compris le secteur public et des entreprises privées. Pourriez-vous nous donner des exemples? J'aimerais savoir ce qui se produit lorsqu'un transgenre ou transsexuel se cherche un emploi. Que se passe-t-il? Les employeurs leur disent-ils qu'ils ne peuvent pas les embaucher, car ils croient qu'ils sont transgenres? Je suis curieux de savoir comment ça se déroule. Ça touche des cordes sensibles et les Canadiens doivent savoir ce qui se passe. Vous avez parlé des secteurs bancaires, des télécommunications et du transport. J'aimerais beaucoup avoir des exemples d'individus qui refusent un emploi à un transgenre ou transsexuel.

M. Langtry : Je vais vous répondre de façon générale en parlant de toute plainte de discrimination que nous recevons. La plupart des employeurs et fournisseurs de service savent ce qu'il faut dire et ce qu'il faut éviter de dire. Certains prétendent que plutôt que de se livrer à de la discrimination déclarée, les Canadiens font de la discrimination cachée. La commission filtre les plaintes qui lui sont acheminées; elle ne prend aucune décision quant à leur véracité. Les plaintes sont traitées de façon individuelle. Nous les analysons et menons des enquêtes. Selon les tribunaux, une subtile odeur de discrimination est suffisante pour justifier une plainte. Il est vrai que bon nombre de fournisseurs de services ou d'employeurs ne diraient pas : « Nous ne vous servirons pas, car vous êtes transgenre », ou « Nous ne vous embaucherons pas, car vous êtes transgenre ». Cependant, si après avoir analysé les circonstances et les faits la commission juge qu'il y a possiblement eu discrimination, le dossier est renvoyé au tribunal.

Le sénateur Munson : Un candidat est-il tenu d'indiquer son orientation sexuelle sur une demande d'emploi?

M. Langtry : Non.

Le sénateur Munson : Les employeurs le devinent. Vous avez parlé de discrimination cachée et cela a piqué ma curiosité. Il s'agit de la pire forme de discrimination. Comment font-ils pour savoir qu'un candidat est transgenre ou transsexuel? Quelle importance cela a-t-il, de toute façon? Cependant, ce sont d'autres questions.

M. Langtry : Peut-être M. Fine, notre ancien directeur au règlement des différends, pourrait-il vous répondre.

Ian Fine, secrétaire général, Commission canadienne des droits de la personne : C'est peut-être un exemple trop simple, mais il pourrait s'agir d'une personne ayant un nom masculin, mais qui est d'apparence féminine, ou le contraire. Nous avons déjà entendu parler de cas semblables.

Maintenant, sur ce qui peut se passer, et en référence aux commentaires de M. Langtry, nous avons des situations où — et cela s'applique à tous les motifs de discrimination — une personne présente sa candidature pour un emploi et doit réussir un examen écrit pour poursuivre le processus. La personne réussit bien, mais n'est pas invitée à la prochaine étape. Cela cache peut-être autre chose qu'on ne pourrait pas découvrir dans des circonstances différentes. La personne pourrait se questionner sur le processus.

Le sénateur Munson : Je recommande aux Canadiens qui regardent cette séance d'aller voir ce qui s'est produit à l'Université de Victoria, en janvier dernier, lorsque j'ai pris la parole dans le cadre d'une conférence sur la diversité. C'était extrêmement réjouissant d'entendre certains des participants. Des moments forts. Ils utilisaient la poésie pour expliquer leur cheminement, par exemple.

Nous comprenons mieux les jeunes et ce qui peut en mener certains à commettre le suicide, entre autres. Nous nous retrouvons devant une situation semblable et nous devons y prêter attention. L'éducation est également un élément important.

Comme je l'ai déjà dit, le Sénat prend son temps avant d'adopter un projet de loi. Il s'agit de la Chambre de second examen objectif et les sénateurs collaborent sur de nombreuses mesures législatives. Nous examinons les propositions en détail. Cela m'inquiète, comme toujours, car il m'a fallu trois ans pour faire adopter un simple projet de loi, la Loi instituant la Journée mondiale de sensibilisation à l'autisme. C'est un long processus. Si nous rejetons ce projet de loi, quel message cela enverrait-il à la collectivité des transgenres?

M Langtry : Vous me posez la question?

Le sénateur Munson : Oui. Quel message envoyons-nous en tant que société si nous rejetons ce projet de loi? Cette mesure législative a été adoptée à la Chambre des communes par 149 voix contre 137. Certains médias ont parlé de 16 conservateurs courageux qui se sont ralliés aux libéraux, aux néo-démocrates et aux indépendants pour retirer la majorité au gouvernement, n'en déplaise au député néo-démocrate. La mesure a été adoptée. Le Sénat n'aime pas adopter les projets de loi sans les examiner. Les sénateurs aiment les examiner en détail. Si l'on tient compte de la façon dont les choses se déroulent ici, j'ignore si cette mesure législative deviendra un jour une loi.

M. Langtry : C'est le Parlement qui fixe notre mandat. Je vais établir une analogie. Depuis 1967, nous demandions à ce que l'article 67 soit abrogé, mais ce n'est qu'en 2008 que l'on a reconnu aux Premières Nations les mêmes droits de la personne qu'aux autres citoyens. Il a fallu attendre 31 ans, alors je vous comprends. La commission appuie ce projet de loi.

Le sénateur Munson : Merci.

Le sénateur White : Vous avez parlé des conséquences de ce projet de loi, selon vous, sur nos dispositions législatives. Que manque-t-il à cette mesure pour la rendre plus forte et plus claire et pour qu'elle vous soit utile dans votre travail?

M. Langtry : Je suis mal placé pour m'avancer sur ce qui aurait pu être plus clair. Le fait est que le projet de loi a été modifié, comme vous l'a dit le témoin précédent. Lors de notre témoignage de novembre dernier, l'identité sexuelle et l'expression sexuelle étaient incluses au projet de loi et nous appuyions cette version.

Même si cela est conforme aux normes internationales, l'ajout d'une définition d'identité sexuelle est inhabituel dans nos lois, car les tribunaux interprètent souvent ces définitions. De plus, les choses évoluent. Cela ne veut pas dire que nous nous opposons au projet de loi. Au contraire, nous l'appuyons toujours.

En réalité, comme je l'ai dit et comme vous le savez, nous recevons des plaintes de discrimination fondée sur l'identité sexuelle et l'expression sexuelle. Nous croyons qu'il y a des avantages à ce que ces deux motifs soient précisés.

J'ai parlé d'éducation. Selon des études menées récemment, près de la moitié des transgenres n'ont pas de pièce d'identité sur laquelle figure leur genre vécu. Étant donné nos fonctions de promotion, d'éducation et de sensibilisation, l'ajout du motif d'identité sexuelle à nos dispositions législatives nous permettra, en collaboration avec des ministères fédéraux, de favoriser la modification de ces pièces d'identité, peu importe la raison. Les gens devraient pouvoir modifier une information les concernant sur leurs pièces d'identité sans qu'on leur pose des questions.

Le sénateur White : Auriez-vous omis cette définition? Je ne veux pas vous mettre dans l'embarras, mais si vous aviez rédigé ce projet de loi, auriez-vous omis cette définition?

M. Langtry : Voyons voir si je patine bien. Nous participons à de nombreuses audiences au cours desquelles le tribunal, puisque les cas y sont d'abord dirigés, établit la définition. Prenons, par exemple, les critères établis par la Cour suprême du Canada dans le test de Taylor lorsque vient le temps d'évaluer si des propos sont haineux. Le cas a été entendu devant le tribunal avant d'être renvoyé à la Cour suprême. C'est la Cour suprême qui a défini, dans les années 1990, la définition de haine et les critères à respecter.

C'est notre expérience. C'est ainsi que les choses ont toujours fonctionné en vertu de la loi. Le tribunal, les tribunaux ou, dans ce cas-ci, le Parlement établit la définition.

Le sénateur White : Je vais tenter de ne pas formuler d'hypothèses, mais il est peut-être plus utile dans certains cas, comme dans celui de la haine, de laisser la Cour suprême décider ou établir la définition. Elle le fait clairement, alors que, dans ce cas-ci, nous établissons la définition dans le cadre d'une mesure législative qui risque de ne pas respecter les critères ou satisfaire la Cour suprême ou même la collectivité.

La sénatrice Andreychuk : J'aurais quelques questions un peu plus techniques à vous poser.

Nous avons des définitions. Les gens se classent dans une catégorie, puis déterminent s'ils sont victimes de discrimination. Y a-t-il des cas qui ne cadrent pas avec les définitions établies ou la commission considère-t-elle quand même qu'il y a un élément de haine et qu'il y a eu discrimination? En d'autres mots, je veux savoir si cet article est évolutif.

M. Langtry : L'honorable sénateur a souligné qu'au cours des cinq dernières années, depuis janvier 2008, nous avons relevé seulement 19 cas de discrimination fondée sur l'identité sexuelle ou l'expression sexuelle, soit 0,25 p. 100 des cas. Ce n'est donc pas beaucoup. Je le souligne, car il est difficile de tirer des conclusions avec de telles données. Selon moi — et M. Fine pourra me corriger si j'ai tort — même si nous avions eu cette définition à l'époque, cela n'aurait eu aucun impact sur la façon dont ces cas ont été examinés ou traités. Elle aurait été restrictive. Peut-être — et ce n'est qu'une hypothèse — que cette définition encouragera les gens à porter plainte s'ils savent que l'identité sexuelle est définie dans nos lois à titre de motif de discrimination.

La sénatrice Andreychuk : Je pense que ce n'était pas vraiment ma question. Je cherchais plutôt à savoir si, lorsqu'une personne s'adresse à la commission au sujet d'une présumée discrimination, elle sait que cette loi existe, ou si elle ne fait que présenter un grief, par exemple parce qu'elle n'a pas obtenu un emploi en raison de son identité de genre. Les plaignants savent-ils qu'ils font partie d'un groupe et est-ce la raison pour laquelle ils s'adressent à vous?

M. Langtry : Je dois dire que ce groupe n'est pas différent de la plupart des autres groupes. En général, les Canadiens ne connaissent pas vraiment notre groupe. Nos intervenants connaissent certainement très bien le groupe, car ils ont eu à traiter des plaintes précédentes. Toutefois, un grand nombre de personnes qui présentent une plainte le font pour la première fois ou le font une seule fois et elles ne connaissent pas les droits qui leur sont conférés par la loi. De nombreux appels que nous recevons concernent des questions de niveau provincial ou territorial, et non fédéral. Une grande partie de notre travail consiste à informer les gens, et nous tentons de faire des activités de sensibilisation. C'est la même chose dans le cas des peuples des Premières Nations : un grand nombre d'entre eux ne connaissent pas bien nos lois ou ne sont même pas au courant des changements qu'on a apportés il y a cinq ans.

La sénatrice Andreychuk : Vous vous occupez des problèmes de discrimination, et ensuite vous lancez votre processus pour déterminer si le cas est visé par vos définitions et vos procédures?

M. Langtry : C'est exact. Lorsque nous recevons la plainte, nous parlons avec les plaignants potentiels et nous les renseignons. Nous écoutons leurs plaintes s'ils nous téléphonent. Nous offrons maintenant un outil d'auto-évaluation sur notre site web, et les gens peuvent s'en servir pour déterminer si leur cas relève de nos compétences. Il y a des dispositions dans nos lois, et nous les utilisons souvent, pour déterminer rapidement, sans avoir à mener d'enquête, si le cas relève de notre compétence. Un plaignant peut parfois insister pour déposer une plainte. Nous pouvons déterminer si, en fait, l'objet de la plainte relève de notre compétence. Oui, nous écoutons le contenu de la plainte, et nous offrons des conseils et de l'aide. Souvent, les plaignants ne sont pas représentés par un conseiller juridique, et il nous revient donc de les informer et de les aider à remplir leur formulaire de plainte.

La sénatrice Andreychuk : Avez-vous des statistiques sur le nombre de plaignants qui se présentent avec un avocat ou un conseiller juridique et sur le nombre qui se présentent à titre personnel? Ma question englobe toutes les catégories, et pas seulement les transgenres.

M. Langtry : Oui, j'en prends note. Nous pouvons faire des recherches. Si nous avons ces statistiques, je ne suis pas au courant, mais je pourrais me tromper. Si nous avons ces renseignements, nous vous les ferons certainement parvenir.

La sénatrice Andreychuk : D'accord. Merci.

La sénatrice Cordy : Merci beaucoup d'être ici aujourd'hui.

J'ai été agréablement surprise que le projet de loi passe l'étape de la Chambre des communes, et c'est au moins un début.

Nous avons tous entendu d'horribles histoires de discrimination dans la communauté transgenre et, comme vous l'avez mentionné plus tôt, un grand nombre des incidents sont malheureusement hostiles et violents. Comme je pense que vous l'avez dit plus tôt, les gens hésitent souvent à présenter des plaintes en raison des préjugés dont ils sont habituellement victimes. J'aimerais savoir si, à votre avis, le projet de loi pourrait commencer à éliminer ces préjugés.

M. Langtry : Je pense que oui. C'est un bon début. Je crois que si les membres de la communauté transgenre se rendent compte qu'ils sont expressément et explicitement cités dans la Loi canadienne sur les droits de la personne et que la population constate que le Parlement a reconnu l'identité de genre comme étant un motif déclaré, ils se sentiraient plus acceptés ou reconnus.

La sénatrice Cordy : J'ai beaucoup travaillé dans le domaine de la santé mentale et des maladies mentales. Encore une fois, il y a beaucoup de préjugés dans ce secteur. Le Sénat a rédigé un rapport et a mis sur pied la Commission de la santé mentale. Je crois que c'est un bon début. D'une certaine façon, le projet de loi pourrait représenter au moins un premier pas, même s'il reste beaucoup de travail à faire, pour diminuer les préjugés liés à l'identité de genre.

La présidente : Merci beaucoup. Merci, monsieur Langtry, et merci, monsieur Fine, d'avoir comparu aujourd'hui. Nous avons hâte de travailler avec vous à l'avenir.

Je suis heureuse d'accueillir Ryan Dyck, directeur de la Recherche et des politiques d'Egale Canada, et Mme Greta Bauer, professeure agrégée, Département de l'épidémiologie et de la biostatistique à l'Université Western Ontario. Vous avez chacun un exposé. Je vais vous demander de les livrer maintenant et d'être aussi brefs que possible, car les sénateurs ont beaucoup de questions. Nous voulons certainement souligner les enjeux du projet de loi et vous poser des questions. Qui présentera en premier?

Ryan Dyck, directeur de la recherche et des politiques, Egale Canada : Merci, madame la présidente et honorables sénateurs, de nous avoir invités à vous parler aujourd'hui d'un projet de loi qui, selon Egale Canada, représente une étape cruciale en vue de combler une lacune importante dans nos lois actuelles sur les droits de la personne.

J'aimerais commencer mon exposé en parlant de certains effets du projet de loi qui, à notre avis, n'ont pas été abordés aussi souvent que d'autres, et qui concernent directement les répercussions qu'aura le projet de loi sur nos jeunes. La mission principale d'Egale Canada est de lutter contre l'homophobie, la biphobie et la transphobie partout au pays, en vue d'éliminer l'intimidation, la discrimination, le harcèlement et les crimes haineux dans tous les aspects de nos collectivités. L'éducation est l'un de nos moyens principaux pour y arriver. Nous offrons des formations partout au pays sur la façon de rendre les écoles plus sécuritaires et accueillantes. En organisant des activités de formation du Yukon à Terre-Neuve-et-Labrador, nous avons eu le privilège de rencontrer des jeunes transgenres qui vivent leur transition à l'école dans chaque district scolaire que nous avons visité. Ces jeunes sont une source d'inspiration, car tous les jours, dans leurs écoles respectives, ils font bravement face à des défis qui ont des répercussions directes sur leur sécurité physique et émotionnelle.

En vue de quantifier la situation qui prévaut partout au pays, nous avons mené un sondage auprès de 3 700 jeunes dans chaque région du pays et publié un rapport intitulé Every Class in Every School : Final Report on the First National Climate Survey on Homophobia, Biphobia, and Transphobia in Canadian Schools. Selon les conclusions de notre rapport, 78 p. 100 des étudiants transgenres ne se sentent pas en sécurité dans leur école et 44 p. 100 d'entre eux se sont absentés de l'école parce qu'ils ne se sentaient pas en sécurité. Soixante-quatorze pour cent ont été victimes de harcèlement verbal en raison de leur identité ou expression de genre; 49 p. 100 ont été victimes de harcèlement sexuel à l'école au cours de la dernière année et 37 p. 100 ont été victimes de harcèlement physique ou ont été agressés en raison de leur identité ou expression de genre. À notre avis, ces statistiques devraient tous nous pousser à prendre un moment pour réfléchir aux meilleures mesures à adopter à l'égard de ces données tragiques et effrayantes.

À notre avis, le projet de loi C-279 représente une telle mesure et il s'agit de l'une des étapes importantes que nous devons prendre, en tant que société et en tant que pays, pour mettre fin aux préjugés, au harcèlement et à la discrimination dont sont victimes les membres de la communauté transgenre.

Nous avons entendu de nombreux débats publics concernant le projet de loi et la question des salles de bain. J'aimerais vous présenter ce dont nous avons été témoins partout au pays, et qui offre une perspective très différente de celle offerte par de nombreux médias qui sont contre le projet de loi. Nous avons parlé aux élèves et la moitié des jeunes transgenres de partout au pays ont déclaré que les salles de bain et les vestiaires de leurs écoles étaient les endroits les moins sécuritaires pour eux. Au lieu d'être des endroits dangereux pour d'autres personnes, ce sont des endroits où les personnes transgenres sont beaucoup plus à risque d'être victimes de mauvais traitements.

Je peux vous raconter une histoire qui illustre ce problème. Pendant les activités de formation et les ateliers que nous avons offerts un peu partout au pays, une mère est récemment venue nous voir. Son enfant, qui est transgenre — d'ailleurs, dès qu'il a pu parler, il lui a dit : « Maman, je ne suis pas une fille, mais un garçon » —, ressemble tout à fait à un garçon et a fréquenté l'école en tant que garçon, mais il ne peut pas utiliser les salles de bain de son école. En effet, on a refusé de lui fournir un endroit sécuritaire pour utiliser la salle de bain, et comme vous pouvez l'imaginer, chez un petit garçon de six ans, cela mène à des problèmes de santé importants. Sa mère doit s'absenter du travail pour aller le chercher à l'école pendant la récréation, afin qu'il puisse utiliser les salles de bain d'une station d'essence située en face de l'école.

Malheureusement, cette histoire n'est pas exceptionnelle. Nous avons vu ce genre de cas partout au pays. Un grand nombre de personnes ont soulevé des craintes à l'égard de ce qui pourrait arriver si le projet de loi était adopté. Quels sont les effets engendrés par l'inclusion et la reconnaissance de l'identité de genre dans nos lois? La province de Terre- Neuve-et-Labrador, où s'est déroulée l'histoire que je viens de raconter, est un exemple clé. Sans avoir à faire face à plus de problèmes ou de défis importants, six écoles ont déjà installé des salles de bain et des vestiaires sans distinction de sexe à la suite des activités que nous avons menées là-bas en partenariat avec le gouvernement de Terre-Neuve-et- Labrador. Ces installations sont accueillantes, inclusives et sécuritaires pour tout le monde, non seulement pour les personnes transgenres, mais aussi pour les personnes cisgenres. En fait, la reconnaissance de l'identité de genre dans les politiques de Terre-Neuve-et-Labrador a mené à l'augmentation du nombre d'endroits sécuritaires et inclusifs pour tout le monde.

On pourrait aussi soutenir que certaines des questions que j'ai soulevées jusqu'ici relèvent de la compétence provinciale et non de la compétence fédérale, et qu'elles ne sont donc pas visées par le projet de loi. Toutefois, je ferais valoir qu'on ne peut pas sous-estimer le message que le Parlement enverrait en adoptant le projet de loi au niveau fédéral. Cela aurait un effet important, car on signifierait aux provinces et à toutes les compétences du pays qu'on ne tolérera plus la discrimination, les préjugés et la haine contre les membres de la communauté transgenre.

Un grand nombre de personnes ont aussi fait valoir qu'elles avaient entendu dire que le projet de loi était purement symbolique et qu'il n'aurait aucun effet concret. J'aimerais aussi réfuter cet argument en examinant les dispositions du projet de loi à l'égard des crimes haineux ou les modifications aux dispositions liées aux peines infligées pour les crimes haineux en particulier. Un grand nombre de personnes ont soutenu que la phrase ou un autre facteur similaire était suffisant pour englober les personnes transgenres. Toutefois, après avoir mené des recherches approfondies, nous n'avons pas pu trouver un seul cas dans lequel les dispositions liées à la peine infligée en cas de crime haineux aient été appliquées à un acte criminel contre une personne transgenre. À notre connaissance, ce n'est jamais arrivé, ce qui nous prouve que cette mesure et cet argument ne tiennent pas la route. Ces mesures ne sont pas efficaces et elles ne sont pas suffisantes. Par contre, nous avons trouvé des exemples de cas dans lesquels des personnes transgenres ont été agressées et pour lesquels on mentionne qu'elles l'ont été parce qu'elles sont transgenres, et même dans ces cas, cette mesure n'a pas été mise en œuvre.

J'aimerais citer l'exemple de R. c. Gunabalasingam. En fait, au cours des trois ou quatre dernières années, nous avons offert de la formation axée sur la prévention des actes criminels contre les personnes LGBTQ à plus de 3 000 policiers dans plus de 20 juridictions partout au pays. On nous demande souvent comment nous pouvons savoir que les personnes transgenres sont incluses. En fait, nous ne sommes pas en mesure de répondre à cette question avec certitude. Il n'y a aucun précédent sur lequel nous fonder et aucun tribunal n'a déclaré que les personnes transgenres étaient visées par les dispositions liées aux crimes haineux. En plus de changer cela en mentionnant explicitement l'identité de genre dans ces dispositions, cela permettrait à des organismes comme le nôtre, c'est-à-dire Egale Canada, et à d'autres organismes de partout au pays de parler clairement et avec confiance lorsqu'ils offrent de la formation, que ce soit dans les services de police, dans les écoles ou dans les milieux de travail.

Les mécanismes existants pour fournir aux personnes transgenres les protections et les recours nécessaires en matière de droits de la personne en cas de crime haineux ne sont manifestement pas efficaces et ils sont insuffisants. À notre avis, il est impératif que la Loi canadienne sur les droits de la personne et le Code criminel soient modifiés pour reconnaître et affirmer explicitement qu'on doit accorder aux personnes transgenres les mêmes droits et la même protection dont profitent déjà tous les autres Canadiens, mais qui, à notre avis, ont été refusés injustement aux personnes transgenres depuis trop longtemps.

J'espère que vous étudierez très sérieusement le projet de loi, et je serai heureux de répondre à vos questions.

La présidente : Merci, monsieur Dyck.

Greta Bauer, professeure agrégée, Département de l'épidémiologie et de la biostatistique, Université Western Ontario : Madame la présidente et honorables sénateurs, je suis heureuse d'être ici aujourd'hui pour vous parler de ce que ma communauté, mes collègues et moi-même avons appris de notre expérience avec le projet Trans PULSE.

Le projet Trans PULSE est un projet de recherche unique, car il combine une grande quantité de connaissances communautaires à une méthodologie rigoureuse pour créer le premier grand sondage sur la santé des personnes transgenres au Canada. Il est financé par l'entremise des Instituts de recherche en santé du Canada. Les données dont je parlerai concernent les personnes transgenres de 16 ans et plus de la province de l'Ontario qui ont participé à un sondage en 2009 et en 2010. Nos participants représentent un large éventail de membres de la communauté transgenre.

Même si je ne peux pas vous décrire en détail les expériences uniques vécues par les personnes transgenres — et j'espère que ceux d'entre vous qui n'ont pas eu la chance de parler aux gens de la communauté transgenre auront la chance de le faire —, je peux vous présenter un aperçu de situations qui sont extrêmement fréquentes.

Étant donné que nous sommes ici aujourd'hui pour parler des droits de la personne, de la discrimination et de la violence — c'est-à-dire les crimes haineux —, certaines de ces expériences seront très négatives. Je veux que vous soyez conscients que je n'essaie pas de brosser un portrait sinistre et malheureux de la vie des transgenres, mais que j'essaie plutôt de reconnaître que, parmi les joies, l'esprit de communauté et la camaraderie, se trouvent de graves menaces à la sécurité des personnes transgenres au Canada. En effet, leur bien-être physique, mental et social est menacé et cela les empêche de participer pleinement à la société canadienne.

Cela dit, les personnes transgenres vivent des expériences similaires à celles que vivent le reste d'entre nous et certaines autres qui sont différentes. Les personnes transgenres représentent tous les segments de la société canadienne, y compris toutes les religions et toutes les communautés ethniques et culturelles. Une personne transgenre sur cinq en Ontario est née à l'extérieur du Canada, une sur quatre est racialisée et une sur 14 est Autochtone. Les personnes transgenres sont parmi nous; elles sont nos parents, nos enfants, nos jeunes, nos personnes âgées et nos voisins. Que nous le sachions ou non, nous avons tous été en contact avec des personnes transgenres. J'aimerais dire à ce point que nous avons tous utilisé des salles de bain avec des personnes transgenres. Il y a un grand nombre de personnes transgenres dans la société; certaines sont facilement identifiables et d'autres non.

Cela dit, les personnes transgenres vivent des expériences que ceux d'entre nous qui sont cisgenres ou non transgenres ne vivent pas. La plupart des personnes transgenres savent depuis un très jeune âge que leur identité de genre — cette impression profonde et interne de qui nous sommes en tant qu'êtres humains — ne correspond pas à leurs corps. Nous savons qu'environ 60 p. 100 de personnes transgenres le savent avant l'âge de 10 ans, 80 p. 100 avant l'âge de 14 ans et 93 p. 100 avant l'âge de 19 ans. Pourtant, malgré cette connaissance profonde et précoce de leur identité, très peu de personnes transgenres sont en mesure de l'exprimer lorsqu'ils sont jeunes. Parmi les personnes qui effectuent la transition sociale nécessaire pour être en mesure de vivre le sexe de leur choix, seulement 8 p. 100 l'ont fait avant l'âge de 14 ans. N'oubliez pas que la plupart d'entre elles le savaient déjà à cet âge.

L'identité de genre est généralement stable et durable. Je précise que toutes perceptions de changement soudain — comme les arguments que nous avons entendus, du genre « Et si je décidais aujourd'hui d'être un homme ou une femme? » — sont des perceptions venant de l'extérieur. Au sein de la communauté transgenre, même si les gens n'en parlent pas tous les jours, c'est un sentiment stable et durable.

Avec Trans PULSE, nous avons voulu documenter les cas de discrimination dont ont été victimes des personnes transgenres en Ontario. Malheureusement, malgré les protections non explicites au niveau fédéral, et les protections alors non explicites au niveau provincial, la discrimination était toujours endémique. On nous a parlé de discrimination au travail, et 13 p. 100 des répondants ont dit avoir été congédiés parce qu'ils étaient transgenres, alors que 15 p. 100 ont répondu avoir été congédiés, sans être certains que c'était pour cette raison. Parfois, il est difficile de le savoir. Il se peut qu'on leur dise qu'ils ne cadrent tout simplement pas avec le milieu, et ce n'est pas évident de connaître les vraies raisons.

Il est important de noter que 17 p. 100 des répondants ont indiqué avoir refusé une offre d'emploi parce qu'il ne s'agissait pas d'un milieu de travail sécuritaire ou positif pour les personnes transgenres. Ce sont des emplois qu'ils convoitaient et pour lesquels ils avaient postulé, et ces offres arrivaient à un moment où le taux de chômage était élevé au sein de la communauté transgenre, et pourtant, ils ont cru bon de les refuser par crainte de ne pas pouvoir travailler dans un milieu sécuritaire et positif.

En plus de ces cas de discrimination directe, on constate des barrières structurelles et d'autres éléments qui font obstacle à l'emploi et à la participation active des membres de cette communauté : 28 p. 100 des Ontariens transgenres ont affirmé ne pas avoir de références professionnelles antérieures à donner qui utilisaient le bon nom ou le pronom approprié; et 58 p. 100 ont dit ne pas avoir de relevés académiques sur lesquels figurent leur nom exact et le sexe approprié. Les gens ne sont donc même pas en mesure de tirer pleinement profit de leur expérience de vie.

Pour toutes ces raisons, il n'est peut-être pas étonnant de savoir que le salaire médian pour les Ontariens transgenres est de 15 000 $ par année, malgré un niveau de scolarité raisonnablement élevé. Les taux de sous-emploi et de chômage sont ainsi très élevés, et bon nombre des personnes transgenres ne sont pas en mesure de contribuer à la société et de bénéficier des avantages qui en découlent de la manière dont elles le souhaiteraient.

On vous a parlé de la violence. Selon notre sondage, on estime que 20 p. 100 des Ontariens transgenres ont été agressés physiquement ou sexuellement simplement parce qu'ils sont transgenres. Cela ne tient pas compte des agressions physiques ou sexuelles qui sont commises pour d'autres motifs; on parle précisément de leur identité transgenre. C'est une personne sur cinq. De plus, 34 p. 100 des répondants ont dit avoir été harcelés ou menacés verbalement en raison de leur identité transgenre. Beaucoup choisissent de ne pas signaler ces agressions et ces attaques à la police; en fait, 24 p. 100 ont dit avoir été harcelés par la police à cause de leur identité transgenre.

Je note également qu'on continue à exclure les personnes transgenres des services qui impliquent une ségrégation des sexes, notamment dans les refuges, les hôpitaux et les services aux victimes d'agressions sexuelles dans les prisons. Cela n'améliore en rien la situation.

Il a aussi été question des documents d'identification. De nombreuses barrières structurelles ont pour effet d'exclure ces personnes.

Pour moi, la conséquence la plus dévastatrice que nous ayons décelée à l'issue de cet exercice renvoie au taux de suicide. Malgré la grande résilience des personnes transgenres, elles vivent dans la crainte d'être constamment victimes de discrimination et finissent par perdre espoir. En effet, 43 p. 100 des personnes transgenres ont un jour tenté de s'enlever la vie, dont 10 p. 100 au cours de la dernière année. C'est incroyable. De telles statistiques ne sont recueillies qu'au sein des communautés transgenres et des collectivités autochtones. Je crois que c'est très symptomatique de la profonde exclusion sociale que vivent ces deux groupes.

La situation n'est toutefois pas la même pour tous les membres de la communauté transgenre; toutes les personnes transgenres ne sont pas également à risque de suicide. Les facteurs de risques sont directement liés à la violence dont on vient de parler, entre autres choses. Parmi les personnes qui ont été agressées physiquement ou sexuellement pour leur identité transgenre, 29 p. 100 ont fait une tentative de suicide au cours de la dernière année.

Pour ce qui est des tendances suicidaires, et je reviens à ce que M. Dyck et d'autres ont dit aujourd'hui, je tiens à noter que parmi les 43 p. 100 de personnes qui ont tenté de se suicider, un tiers avaient fait une première tentative avant l'âge de 15 ans. Un tiers de plus avaient tenté de se suicider entre 15 et 19 ans.

C'est donc un élément dont il faut tenir compte dans nos discussions sur les répercussions potentielles de ce projet de loi.

La plupart des personnes transgenres savent qui elles sont à un jeune âge, sans être capables de l'exprimer. Beaucoup de personnes transgenres — et il ne s'agit pas seulement des jeunes, même si je mets l'accent sur eux en ce moment — ne sont pas en mesure de l'assumer totalement dans leur vie. Pour ces personnes vulnérables, une reconnaissance visible de l'identité transgenre peut leur donner espoir en l'avenir, leur permettre de croire que c'est possible, en plus des protections directes que cette reconnaissance peut offrir notamment contre la discrimination dans des situations particulières.

Ce projet de loi a le potentiel de défaire ce cycle d'effacement, où les politiques silencieuses ne font que renforcer l'invisibilité persistante des communautés transgenres et faire perdurer le manque d'information, qui à son tour contribue à l'absence de politiques.

La possibilité d'élaborer des politiques comporte certaines choses. Il y a les effets directs des politiques, comme l'éducation afin de prévenir la discrimination et de permettre des mesures correctives lorsqu'il y a discrimination. Il y a aussi la visibilité que cela procure à la communauté trans, pour que les jeunes puissent se dire « Quelqu'un sait que j'existe; quelqu'un me reconnaît; quelqu'un pense que je suis important et que je mérite d'être protégé ».

Il ne faut pas sous-estimer les répercussions que cela peut avoir. Nos recherches démontrent que le soutien social et le soutien de l'identité de genre, et de son expression, jouent un rôle prépondérant dans la protection de la communauté.

Une plus grande visibilité grâce aux politiques aide à faire connaître les personnes transgenres, ce qui favorisera un développement continu, le raffinement des politiques et de meilleures protections. Tout cela contribue à l'intégration des personnes transgenres dans le monde du travail, à leur offrir de meilleurs services et à mieux les inclure globalement dans la société canadienne.

Merci.

La présidente : Nous passons donc aux questions, en commençant avec la vice-présidente.

La sénatrice Ataullahjan : Merci d'être ici. Quand j'ai su que ce projet de loi allait être renvoyé au Comité des droits de la personne, j'ai commencé à parler à différentes personnes. Les opinions étaient très clairement partagées : les moins de 35 ans étaient totalement en faveur de ce projet de loi, alors que les personnes plus âgées avaient des réserves à son égard. Il semble que la question des salles de toilette accapare le débat, comme on peut le constater en ce moment; on revient constamment à la question des salles de toilette.

Les jeunes ne comprennent pas pourquoi on pourrait refuser d'appuyer ce projet de loi, car c'est la simple logique, selon eux. C'est le son de cloche que j'ai. Les plus vieux seraient très mécontents. Je le signale en passant.

Pourriez-vous nous parler de l'accès aux soins de santé dans le contexte de la discrimination dont est victime la communauté trans? Est-ce que cela pose problème, et si oui, à quel point est-ce problématique?

Mme Bauer : C'est extrêmement problématique. Nous n'avons pas encore publié de recherches à ce sujet, mais nous y travaillons. L'accès à tous les types de soins de santé pose d'énormes problèmes.

Nous savons par exemple que 21 p. 100 des personnes transgenres ont évité de se présenter au service des urgences quand elles en auraient eu besoin. Je ne peux imaginer ce que c'est d'avoir une urgence médicale et de se sentir plus en sécurité ailleurs qu'au service des urgences. C'est ce qu'on voit dans les cas extrêmes.

Notre système est fondé sur la médecine familiale. La plupart des personnes transgenres ont un médecin de famille. Bon nombre d'entre elles ne peuvent pas consulter leur médecin quand elles ont des questions liées à leur identité transgenre. La moitié seulement d'entre elles se sentent à l'aise d'en discuter avec leur médecin.

Parce que certains hôpitaux suivent un modèle axé sur la ségrégation des sexes, les politiques varient d'un hôpital à l'autre. Aux premières étapes qualitatives de notre projet, beaucoup de participants nous ont dit que cela posait de grandes difficultés.

Nous avons mené une autre étude en dehors du projet Trans PULSE, dans le cadre de laquelle nous avons demandé à des médecins de nous parler des soins qu'ils ont prodigués à des patients transgenres. Il y a des difficultés des deux côtés, alors il ne s'agit pas simplement de personnes malveillantes qui veulent faire du mal. Certains systèmes ne permettent pas d'accueillir un patient transgenre, alors les médecins doivent prendre des mesures spéciales. Ils doivent accompagner le patient dans le processus et lui trouver une chambre privée. Les patients ont dû composer avec cela alors qu'ils étaient souvent malades. Ces systèmes comportent des obstacles structurels, et nous tentons de remédier à la situation.

On nous a aussi parlé des soins de santé mentale. Les personnes transgenres ne sont pas plus susceptibles de souffrir de troubles de la personnalité et de choses du genre, mais les risques ne sont pas moins grands non plus. Pour les personnes transgenres aux prises avec des problèmes de santé mentale, les choses se compliquent car les professionnels de la santé tentent parfois de jeter tout le blâme sur le trouble de santé mentale ou leur identité de genre, l'un ou l'autre, et cela ne les aidera pas nécessairement à soigner tous leurs problèmes de santé.

Il y a toutes sortes de difficultés en ce qui a trait à l'accès aux soins de santé. Certaines sont liées à l'attitude des gens, d'autres à la formation et aux programmes offerts par les différents systèmes; il arrive que ce soit les structures qui posent problème, et parfois, il s'agit carrément de discrimination et même de violence en milieu de soins.

La sénatrice Ataullahjan : Vous avez dit avoir parlé à des médecins. D'après leurs réponses, pensez-vous qu'ils étaient à l'aise de soigner des patients transgenres?

Mme Bauer : Les personnes qui ont interviewé les médecins étaient en fait des étudiants en médecine à ce moment-là, et ils ont parlé à des médecins de différentes spécialités.

Il ne s'agissait pas nécessairement d'un échantillonnage au hasard. Ces médecins étaient intéressés et disposés à discuter avec nous. Certains avaient des patients transgenres, d'autres pas. Certains en avaient beaucoup, d'autres seulement quelques-uns. Ils avaient tous constaté des problèmes particuliers. Parfois, ils ne l'ont réalisé que lorsqu'ils ont reçu leur premier patient transgenre et qu'ils ont voulu le référer à un spécialiste; ils ont compris que tout le monde n'était pas en mesure de bien s'occuper du patient. Ce fut un processus d'essais et d'erreurs. Les médecins avaient généralement une attitude positive. Ils avaient l'impression d'avoir été mal préparés à cela. Ils ne savaient pas vraiment quoi faire la première fois qu'un patient transgenre est allé les consulter. Ils sont bien intentionnés; juste mal préparés.

Le sénateur White : Merci beaucoup d'être ici aujourd'hui. Je vais vous poser la même question que j'ai posée au dernier groupe de témoins : Y a-t-il quelque chose que vous auriez ajouté au projet de loi pour qu'il soit plus pertinent pour la communauté transgenre en particulier?

M. Dyck : C'est une question complexe.

Le sénateur White : C'est vrai, et je m'attends à une réponse complexe.

M. Dyck : Oui. Je vous répondrai de deux façons.

Premièrement, je vais répondre à une question que vous n'avez pas posée, c'est-à-dire que nous préférerions que la définition soit enlevée. À notre avis, c'est la première fois au Canada qu'on inclut la définition d'un groupe identifiable dans une loi sur les droits de la personne. Nous sommes conscients que c'est une sphère plutôt méconnue, mais nous serions plus à l'aise avec une loi qui ne donne pas de définition et qui tient davantage compte de la réalité des personnes transgenres.

Cela dit, comme le consensus général semble être qu'une définition doit être incluse dans la loi, nous pensons qu'il s'agit d'une bonne définition, bien fondée et reconnue et appuyée à l'échelle internationale.

Deuxièmement, on a beaucoup débattu de la question de l'expression sexuelle, à savoir s'il fallait inclure cette notion ou non. Quant à nous, nous appuyons le projet de loi dans sa forme actuelle. Nous voulons nous assurer que c'est un projet de loi aussi inclusif et exhaustif que possible qui sera adopté. Dans cette optique, nous aurions voulu que la notion d'expression sexuelle soit incluse, car on ne sait pas exactement comment sera interprété ce projet de loi avec ou sans la notion d'expression sexuelle.

Cela dit, différents exemples illustrent assez clairement la différence entre identité de genre et expression sexuelle. L'exemple le plus récent est celui de l'arrêt Saskatchewan (Human Rights Commission) c. Whatcott, entendu récemment par la Cour suprême du Canada. Cette affaire portait sur des propos haineux ciblant l'orientation sexuelle, et nous pensons que cela tient certainement la route ici. Le tribunal a tranché que lorsque la conduite visée par les propos qui ont été tenus constitue un aspect crucial de l'identité d'un groupe vulnérable, les attaques portées contre cette conduite doivent être assimilées à une attaque contre le groupe lui-même.

De la même façon, dans l'arrêt Trinity Western University c. British Columbia College of Teachers, le tribunal a indiqué que la législation en matière de droits de la personne prévoit que certaines pratiques sont inséparables de l'identité, de sorte que condamner la pratique revient à condamner la personne.

Ni l'une ou l'autre de ces décisions ne s'applique directement aux personnes transgenres, alors il n'est pas certain si la même comparaison peut être faite. Nous sommes assez persuadés que ce sera le cas, mais le projet de loi aurait tout de même pu être plus efficace s'il avait abordé la notion d'expression sexuelle.

Mme Bauer : J'aurais également aimé que la notion d'expression sexuelle soit retenue, mais cela m'a un peu soulagée d'en discuter avec des collègues étrangers. Comme vous le savez, selon l'administration, les politiques peuvent aborder ou non la notion d'expression sexuelle. D'après ce qu'on m'a dit jusqu'à maintenant, il semble que l'interprétation ne diffère pas vraiment d'une version à l'autre. Certains m'ont dit en privé que dans leur pays, où les politiques ne font mention que de l'identité de genre, la notion est en fait interprétée de façon plus vaste.

Cependant, si des affaires de ce genre devaient être portées devant les tribunaux, je crains que le fardeau ne retombe sur les personnes transgenres, qui auraient à débattre des limites de la politique. Je crois que les personnes transgenres ont déjà assez d'épreuves à surmonter comme cela, et c'est tout simplement épuisant et accaparant pour qui que ce soit de mener à bien de telles procédures. On y gagnerait si la formulation pouvait être précisée afin que tout soit clair et que les gens n'aient pas à se battre en ce sens.

Le sénateur White : Un grand merci à vous deux.

Le sénateur Munson : Puisqu'on parle d'autres régions du monde, je suis curieux de savoir s'il y a un pays qui prend la tête du cortège, pour ainsi dire, et que nous pouvons considérer comme un modèle à suivre dans le domaine de la protection des droits de la personne relativement aux transgenres.

Je vous pose la question, parce que nous ne parlions pas de ce sujet il y a 20 ans, ni même il y a 15 ou 10 ans. Nous en parlons peut-être depuis 10 ans. Je ne puis m'empêcher de penser aux Canadiens plus âgés. Il y a toutes sortes de statistiques et, dans le cadre de mon travail concernant les droits des enfants et tout le reste, on dispose de statistiques, mais les enfants deviennent adultes. Je peux imaginer à quel point cela doit être difficile pour des milliers de Canadiens dans la quarantaine, la cinquantaine, la soixantaine et même des septuagénaires qui ont vécu ainsi et qui veulent, eux aussi, prendre part à cette conversation.

Bref, dans le contexte international, y a-t-il un pays qui prêche par l'exemple?

M. Dyck : Je serai ravi de répondre à cette question. À ma connaissance et d'après les données les plus récentes dont je dispose, 16 pays ont adopté des lois qui interdisent la discrimination fondée sur l'identité sexuelle, en plus, bien entendu, des trois provinces et d'un territoire ici, au Canada. Par ailleurs, 16 États américains ont interdit la discrimination fondée sur l'identité sexuelle. Il y a également huit pays qui ont adopté des dispositions contre les crimes haineux et motivés par les préjugés fondés sur l'identité sexuelle.

Je n'ai pas eu l'occasion d'examiner la situation dans chacun de ces pays.

Il y a toutefois deux pays qui, selon moi, pourraient servir de modèles ou qui sont des chefs de file. Le premier serait les Pays-Bas. Les Néerlandais se penchent sur ces questions depuis déjà un certain temps; d'ailleurs, dans le cadre du processus d'examen périodique universel du Canada aux Nations Unies, ils nous ont systématiquement encouragés à leur emboîter le pas. Il leur reste quand même des défis à relever, particulièrement en ce qui concerne l'accès aux documents d'identité, mais ils ont accompli beaucoup de travail sur le plan des dispositions contre la discrimination et les crimes haineux.

Le deuxième pays que j'aimerais porter à votre attention est l'Argentine. Les Argentins ont fait un travail remarquable. À mon avis, comme spécialiste en politique publique, l'Argentine donne l'exemple au monde entier pour ce qui est de reconnaître et d'affirmer la dignité et l'égalité de ses citoyens transgenres.

L'année dernière ou l'année précédente, si je ne me trompe pas, l'Argentine a adopté une loi sans précédent qui reconnaît l'identité sexuelle des personnes transgenres et le principe de l'autodétermination dans le choix du nom et l'accès à des documents d'identité qui reflètent avec exactitude leur expérience de vie et leur identité.

Voilà donc les deux pays qui, à mon avis, sont particulièrement exemplaires.

Le sénateur Munson : Quel est le problème avec les sept autres provinces? Desquelles s'agit-il déjà?

M. Dyck : Les sept provinces qui n'ont pas adopté de telles dispositions?

Le sénateur Munson : C'est ça. Nommez-nous ces provinces.

M. Dyck : Je ne sais pas vraiment s'il s'agit d'une question rhétorique.

Le sénateur Munson : Le problème au Canada, c'est que nous parlons toujours de la compétence provinciale et de tout le reste. Nous avons peur de sortir des sentiers battus. Nous avons peur d'examiner les enjeux selon une perspective pancanadienne. Je suis sérieux. Nous le faisons chaque fois, et cela me rend fou.

À l'instar d'autres témoins, vous estimez qu'il s'agit d'une bonne mesure. Pourriez-vous nous donner des précisions? Les gens parlent de mesures supplémentaires. Quelles autres mesures pourrait-on prendre parallèlement au projet de loi? Qu'est-ce qui peut bien fonctionner pour remédier à cette horrible situation et aider ces gens à sortir de l'ombre?

M. Dyck : Je vais essayer de ne pas dépasser le temps qui m'est alloué.

Il y a une foule d'autres mesures législatives et de règlements qu'il faut changer. Nous avons beaucoup parlé de la question de l'identification. À l'échelle du pays, les exigences et les règlements liés à l'obtention de documents d'identification, que ce soit pour refléter avec exactitude le nom ou le sexe d'une personne, sont très disparates. Chaque province a ses propres règlements en ce qui concerne, par exemple, l'acte de naissance, le permis de conduire ou la carte d'assurance-maladie, et les règlements pourraient différer d'un document à l'autre. Ensuite, à l'échelle fédérale, il y a aussi le passeport et d'autres documents fédéraux. Tous ces règlements manquent d'uniformité, ce qui pose un problème de taille pour bien des gens. Je suis sûr que Mme Bauer pourrait parler davantage des documents d'identification.

Par ailleurs, notre système d'éducation n'est pas vraiment préparé à répondre aux besoins des transgenres et à assurer leur sécurité et leur inclusion. Nous avons parlé de ce qui se passe dans les salles de bains, mais n'oublions pas non plus la participation à des équipes sportives ou tout simplement la lutte contre l'intimidation et le harcèlement.

Nous avons également abordé la question des taux de suicide considérablement élevés chez les personnes transgenres. Nous ne comprenons pas tout à fait pourquoi il en est ainsi, en partie parce que peu de gens effectuent des recherches sur le sujet. Il s'agit là d'un autre aspect important. Bon, j'ai maintenant l'impression de radoter, mais sachez que ces facteurs font boule de neige. Il y a peu de recherches et de données. Bref, on n'en fait pas assez dans ce domaine.

Mme Bauer : Permettez-moi d'ajouter une observation. Je ne vais pas répéter ce qu'on vient de dire, mais nous devons également prêter attention à l'extrême marginalisation dont font l'objet les membres de la communauté transgenre. Je songe, entre autres, à des questions comme la sécurité des personnes transgenres dans le système carcéral à l'échelle fédérale et provinciale et la façon dont nous aidons les gens qui vivent en situation de pauvreté. Les effets de la discrimination s'intensifient d'autant plus lorsqu'on y ajoute le manque d'accès à des ressources ou l'impossibilité de certaines personnes de jouer des rôles particuliers dans la société.

La solution ne consiste pas toujours à adopter des politiques destinées aux transgenres; il faut parfois s'assurer que les transgenres ne sont pas exclus des politiques qui traitent, semble-t-il, d'autres sujets sans lien avec la transsexualité. Je voudrais avoir la certitude que cette question figure à l'ordre du jour, au lieu d'être soulevée uniquement lorsque nous parlons d'identité sexuelle, comme c'est le cas aujourd'hui. Elle devrait être inscrite à l'ordre du jour chaque fois que nous examinons les autres aspects de la loi.

Le sénateur Munson : Merci.

Le sénateur Mitchell : Merci beaucoup à vous deux. Je vous demande de m'excuser de mon arrivée tardive; j'étais à un autre comité dont je suis membre. Bien entendu, en vertu du Règlement du Sénat, tout sénateur peut siéger à n'importe quel comité, mais j'avais d'autres priorités. Je devais être là, mais je suis ici maintenant. Alors, si je vous pose une question à laquelle vous avez déjà répondu, vous n'avez qu'à me le dire, et je passerai à la prochaine question.

Nous sommes nombreux à croire que le projet de loi est absolument nécessaire et, dans un certain sens, relativement facile à mettre en œuvre. Cette mesure législative n'est pas révolutionnaire du point de vue du contexte normal lorsqu'on cherche à étendre la portée des mesures de protection et des droits afin d'y inclure des gens qui sont nos voisins, nos amis et nos proches.

Un des principaux éléments va au-delà de la protection; il y a aussi la question de l'éducation, c'est-à-dire l'idée de sensibiliser tous les Canadiens à cette question. Par ailleurs, cela envoie un message, particulièrement aux jeunes transgenres, pour valider et justifier ce qu'ils sont en train de vivre et pour reconnaître, à grande échelle et dans le plus strict respect des principes, leur place et leurs droits dans notre société.

N'est-ce pas le cas? Je ne veux pas vous poser une question insidieuse.

Mme Bauer : C'est bel et bien une question insidieuse, mais cela me donne l'occasion d'ajouter une observation sur le potentiel de cette mesure législative; en effet, l'éducation passe par le soutien. Dans notre recherche, nous avons établi un lien direct entre le soutien social offert aux transgenres et la dépression. Plus ils reçoivent un soutien social, moins ils sont en proie à la dépression.

Il y a un fait important à noter : à mesure que nous approfondissons nos analyses, nous commençons à reconnaître l'importance du soutien direct à l'identité et à l'expression sexuelles d'une personne. C'est surtout évident dans le cas du soutien parental aux jeunes transgenres; ainsi, lorsqu'un jeune avoue à ses parents sa transsexualité, ces derniers peuvent faire les démarches nécessaires pour trouver de bons renseignements et obtenir un soutien, ce qui leur permet d'être sensibilisés plus rapidement et d'offrir, à leur tour, un soutien à leur enfant.

À titre d'exemple, nous avons analysé la situation des jeunes transgenres qui s'étaient ouverts à leurs parents. Nous avons comparé les jeunes dont les parents s'étaient montrés favorables à leur identité et leur expression sexuelles à ceux dont les parents avaient très mal pris cette nouvelle. Nous avons découvert que chez les jeunes qui avaient l'appui de leurs parents, 4 p. 100 d'entre eux avaient tenté de se suicider l'année dernière. Bien que ce chiffre paraisse trop élevé, il n'en demeure pas moins que c'est inférieur de 93 p. 100 au pourcentage de jeunes qui n'avaient pas l'appui de leurs parents; en effet, 57 p. 100 d'entre eux avaient tenté de se suicider l'année dernière seulement.

Il est rare de voir de tels chiffres dans une recherche : il y a une réduction de 93 p. 100 des tentatives de suicide lorsque les jeunes ont un soutien parental solide. Nous avons également observé que les jeunes qui jouissent d'un soutien parental solide se disent plus satisfaits de leur vie. Ils ont plus de chances de vivre dans un logement adéquat et d'avoir une plus grande estime de soi.

On parle ici de soutien très tôt dans la vie des gens. C'est le genre de facteur qui détermine le sort des gens ou même leur décision de continuer à vivre ainsi. Plus on prend des mesures pour aider les proches des transgenres, plus ils peuvent se montrer compréhensifs, ce qui permet de maintenir des relations, des familles et des communautés. Ainsi, les gens peuvent rester dans leurs communautés culturelles. C'est terrible de voir des gens perdre leur communauté culturelle ou religieuse, sachant que cet aspect fait partie intégrante de leur vie.

Par conséquent, l'éducation ne consiste pas uniquement à décourager la discrimination; il s'agit vraiment de créer les conditions propices au genre de soutien que nous devons instaurer.

Le sénateur Mitchell : Un des arguments invoqués contre le projet de loi par certains professionnels qui participent au débat, c'est cette idée de définition. Je crois que vous en parliez à mon arrivée. Au fond, il s'agit d'une question très subjective puisque cela renvoie à une conviction profonde.

Il y a deux points sur lesquels vous pourriez peut-être vous prononcer. Premièrement, dans la législation sur les droits de la personne, la religion est maintenant protégée, et il s'agit d'une conviction profonde. Deuxièmement, les tribunaux s'occupent également de la perception et de l'état mental d'une personne, parce qu'ils doivent déterminer, dans toute affaire criminelle, si l'acte était intentionnel ou non. On pourrait même soutenir que dans la plupart des poursuites judiciaires, il s'agit de déterminer dans quel état d'esprit se trouvait la personne. Les tribunaux ont beaucoup d'expérience et de formation en la matière, et ils sont bien placés pour évaluer l'état mental et les convictions profondes.

Pourriez-vous nous dire quelques mots sur ces deux points?

M. Dyck : Certainement. J'aimerais faire écho à tout ce que vous avez dit. J'ajouterais que la mesure législative que nous cherchons à modifier aujourd'hui dépend justement des dispositions contre les crimes haineux. Nous tenons compte de la haine et de la motivation, ce qui correspond justement à l'état mental. Le fait que la mesure législative existe déjà et que nous cherchons à la modifier viendrait appuyer ce que vous venez de dire. Les tribunaux sont prêts à le faire. Ils le font dans le cadre d'un système juridique, dans un pays démocratique. Il n'y a certes rien de nouveau là- dedans, à mon avis. Il s'agit simplement de s'assurer que les mesures législatives qui existent actuellement sont appliquées de façon égale aux transgenres, et je dirais que ce n'est pas le cas pour l'instant.

Le sénateur Mitchell : Voulez-vous ajouter quelque chose?

Mme Bauer : J'ai dit tout à l'heure que la plupart des transgenres savent, à un très jeune âge, qu'ils sont transgenres. Ce n'est pas nécessairement une perception; autrement dit, ce n'est pas une décision qui est prise sur un coup de tête ou de façon momentanée. Pour la plupart des transgenres, il s'agit d'un sentiment qu'ils ressentent depuis longtemps et qui est stable. Si on devait nous amputer un membre à la suite d'une catastrophe, la plupart d'entre nous conserveraient quand même leur identité. C'est le genre d'expérience que les gens vivent lorsqu'ils sont jeunes. Ils savent qui ils sont.

Même si cette friction n'existe pas dans la vie des gens qui ne sont pas transgenres, elle se manifeste beaucoup dans celle des transgenres à cause de la discordance entre la façon dont les gens les traitent et ce à quoi ils s'identifient. Quand on parle de perception, il faut tenir compte du fait qu'il y a, d'une part, une perception momentanée et, d'autre part, une connaissance profonde de soi-même. Je pense donc qu'il y a un certain décalage lorsqu'on parle de perception.

Le sénateur Mitchell : Dans un certain sens, les actes de haine et de discrimination n'ont rien à voir avec les croyances personnelles de la victime; ils sont plutôt liés aux convictions profondes de l'auteur de la discrimination. C'est, par définition, toujours subjectif, parce que toute conviction discriminatoire n'a rien de bon. En général, la société évalue sans cesse ces types de convictions. Je crois que les tribunaux sont bien préparés pour s'en occuper.

On a donné l'exemple des salles de bains, mais je m'intéresse au revers de la médaille en ce qui concerne cet argument. En fait, si nous prenons une telle mesure, il se peut que des gens invoquent ces dispositions par voie juridique pour justifier un comportement obscène, inapproprié et criminel.

Savez-vous si un tel cas s'est produit dans l'une ou l'autre des compétences qui ont déjà adopté ces types de dispositions? Pourquoi les tribunaux auraient-ils permis cela? Encore une fois, les tribunaux ont pour but de déterminer ce qui est un comportement approprié et ce qui ne l'est pas.

M. Dyck : Dans le cadre de notre recherche, à l'échelle mondiale — et cela rejoint ce que M. Garrison disait tout à l'heure —, nous n'avons observé aucun cas de ce genre. Dans les compétences ayant adopté des dispositions semblables, personne n'a tenté de les utiliser de façon illicite. Même si, pour une raison quelconque, il devait y avoir une tentative en ce sens, le projet de loi n'aurait aucun effet sur les dispositions actuelles du Code criminel qui prévoient des mesures de protection contre le mauvais traitement et l'exploitation. Le projet de loi n'aurait absolument aucun effet sur cela.

Pa railleurs, n'oublions pas que les transgenres subissent régulièrement de mauvais traitements, surtout dans les salles de bains. Comme je l'ai dit tout à l'heure, d'après notre étude, si je me souviens bien, 51,6 p. 100 des jeunes transgenres affirment que les salles de bains et les vestiaires sont les endroits les moins sûrs de leur école. Loin de présenter un danger pour les autres, ces espaces posent souvent des risques pour les transgenres.

Plus tôt, j'ai donné l'exemple de Terre-Neuve-et-Labrador, où beaucoup de travaux ont été faits en la matière. La réponse en vue de mettre en œuvre de telles politiques au sein des commissions scolaires a été de commencer à mettre en place des installations unisexes qui assurent une meilleure sécurité à tout le monde, à tous les gens de toutes les communautés, qu'il s'agisse de transgenres ou de cisgenres.

Rien ne laisse présager que l'adoption de la disposition à ce niveau n'aurait pas un effet similaire.

Le sénateur Mitchell : À certains égards, une autre conséquence est de ne pas fournir aux transgenres de telles protections, parce qu'il pourrait y avoir une possibilité logique — je ne sais pas comment je pourrais le dire autrement — qu'une personne en profite, d'une façon perverse, pour essayer de justifier ou de motiver un comportement inapproprié. Par contre, cela n'aurait-il pas comme effet de prendre en otage l'ensemble de la communauté, parce qu'une personne pourrait faire quelque chose qui n'a jamais été rapporté, à notre connaissance et à votre connaissance, dans les endroits où de telles provisions sont en vigueur?

M. Dyck : Exactement. Je soutiens vigoureusement qu'une telle approche aurait comme effet d'établir une hiérarchie de droits, parce qu'on établit qu'un groupe ou une identité mérite davantage d'être protégé qu'un autre. Selon nous, ce serait certainement un affront aux croyances fondamentales des Canadiens en l'égalité de la dignité humaine.

Mme Bauer : J'aimerais compléter votre réponse. Il a été mentionné que nous ne disposions pas d'une bonne évaluation du nombre de transgenres au Canada. Cependant, les résultats de la première vaste enquête démographique aux États-Unis à poser cette question viennent d'être publiés. Cela concerne le Massachusetts. L'étude rapporte que 0,5 p. 100, ou 1 sur 200, des adultes du Massachusetts ont indiqué être transgenres d'une certaine manière.

Par l'entremise de ma participation auprès de la communauté transgenre, je soutiens depuis longtemps qu'il y a beaucoup plus de transgenres que nous le pensons. Les gens ont tendance à penser que les transgenres sont des légendes urbaines ou une sorte de créatures mythiques qu'on ne rencontrera jamais. Or, je suis prête à vous parier que nous avons tous déjà utilisé des salles de bains en présence de transgenres. Il serait faux de prétendre que nous n'utilisons pas régulièrement les salles de bain en présence de transgenres; nous ne le savons tout simplement pas, parce que les transgenres vont à la salle de bains pour la même raison que tout le monde, soit pour aller aux toilettes.

Si pendant une journée tous les transgenres devenaient mauves — je dis cela, parce que je crois que nous nous trouvons au même point que nous étions il y a 20 ou 30 ans au sujet des gais, des lesbiennes et des bisexuels; à l'époque, les gens prétendaient ne pas connaître personnellement d'homosexuels. Il est maintenant difficile de trouver quelqu'un qui pourrait prétendre qu'il ne connaît aucun homosexuel; or, beaucoup de gens disent ne connaître aucun transgenre. Dans 20 ans, je pense que cela nous semblera ridicule.

Il y a la question de l'effacement et de l'invisibilité. C'est exactement cet effacement qui nous permet de penser que nous n'utilisons pas tout le temps la salle de bains en présence de transgenres. Il me semble qu'il s'agit d'un argument qui ne peut qu'être la conséquence d'une telle invisibilité, parce qu'il s'agit d'un problème inexistant.

Le sénateur Munson : J'aimerais avoir des précisions concernant vos statistiques, dont certaines sont très alarmantes. Vous avez dit qu'un sur cinq est né à l'extérieur du Canada; est-ce exact?

Mme Bauer : Oui.

Le sénateur Munson : Comment avez-vous obtenu vos preuves statistiques concernant les gens nés à l'extérieur du Canada? Y a-t-il des proportions?

Mme Bauer : Concernant ceux nés à l'extérieur du Canada? Nous demandons aux gens où ils sont nés.

Le sénateur Munson : Je le sais; cependant, vos preuves statistiques portaient-elles sur 2 000 ou 3 000 personnes?

Mme Bauer : Je vais vous expliquer avec plaisir ce que nous avons fait. Nous avons utilisé une nouvelle méthode appelée l'échantillonnage en fonction des répondants. C'est une manière de cibler des gens qui font partie de populations invisibles lorsqu'il est impossible d'avoir un échantillon aléatoire, parce qu'on ne peut pas reconnaître les gens. Notre échantillon comptait 433 personnes en Ontario; c'est plus gros, proportionnellement à la population de base, que toute autre enquête que j'ai vue. Il ne s'agit pas du plus gros échantillon, mais ce l'est en fonction de la population qu'il représente.

La présidente : Vous avez déjà répondu à bon nombre de mes questions, mais il en reste une. En écoutant les discussions, des gens se sont demandé l'effet qu'aurait le présent projet de loi sur les équipes de sport masculines et féminines. Serait-il justifié d'exiger que les membres d'une équipe soient d'un genre en particulier? Comment nous proposeriez-vous d'aborder la question?

Mme Bauer : Je n'ai pas de données concernant la participation dans les sports. Je sais que les gens nous disent avoir eu beaucoup de difficulté à pratiquer des sports, parce que les équipes sont également souvent divisées selon les sexes. Pour ceux qui se sont servis du sport pour aborder la vie et gérer leur stress, cela a joué un rôle positif dans leur vie, et ils en ont parfois été privés.

Le débat fait souvent rage dans les sports de haut niveau. Le Comité olympique a déjà des politiques en la matière. Des politiques existent, et elles n'exigent pas que les gens participent en fonction du genre qui leur a été attribué à la naissance. Il y a des règles précises, parce que le genre est multidimensionnel. Vous avez un bébé, vous examinez ses organes génitaux, puis vous déterminez son genre. Cependant, les capacités athlétiques sont souvent davantage liées au genre hormonal qu'aux organes génitaux, qui ne jouent essentiellement aucun rôle dans la majorité des sports.

Je ne peux pas vous donner un aperçu de ce que serait une bonne politique en la matière. Je crois qu'il serait juste de dire que ce serait évidemment indéfendable d'empêcher complètement les transgenres de pratiquer des sports et de prétendre que les sports de tout niveau, du plus bas niveau de compétition aux sports de haut niveau, sont uniquement le domaine des cisgenres. Cela aurait comme effet de priver des gens d'une partie importante de leur vie qui a parfois joué un rôle important, et il s'agit aussi d'un élément auquel nous accordons une valeur sur le plan social.

Il s'agit peut-être d'un cas où les diverses politiques doivent être élaborées de manière à accorder des protections égales aux transgenres, tout en tenant compte des divers sports. Je ne peux pas vous donner un exemple précis de la façon dont vous devriez le faire, si ce n'est que je pense que cela devrait être fait d'une manière logique qui permet la participation des transgenres.

Le sénateur Mitchell : Vous avez dit que vos études dans le cadre du projet Trans PULSE ont été réalisées en Ontario, et je crois que vous avez parlé d'un échantillon de 433 personnes. Avez-vous été en mesure de mener des études ailleurs au Canada, ou vos études se limitent-elles strictement à l'Ontario?

Mme Bauer : Cela concerne uniquement l'Ontario. Nous aurions aimé avoir plus de données. Nous avons déjà abordé l'insuffisance de données. Il y a l'enquête d'EGALE sur les écoles et la nôtre. Il y en a quelques-unes. Il y a des études qualitatives dans lesquelles de petits groupes de transgenres ont été sondés.

Nous n'avons pas de données extraordinaires. Cela s'explique en partie, parce que dans la majorité des grandes enquêtes — notamment celles réalisées par Statistique Canada — les transgenres sont complètement invisibles. À mesure que nous progressons et que d'autres mesures sont incluses dans les enquêtes, ce serait une bonne chose d'avoir des données à cet égard.

Je crois que l'enquête au Massachusetts concernant le Behavioral Risk Factor Surveillance System, qui comprenait une question sur les transgenres, démontre qu'il est possible d'avoir suffisamment de répondants transgenres et de données pour effectuer des analyses et que c'est pertinent de le faire dans le cadre de vastes enquêtes démographiques. Cela enrichira nos connaissances.

Le sénateur Mitchell : Lorsque vous dites que les transgenres sont invisibles dans les enquêtes de Statistique Canada, est-ce seulement, parce qu'ils ne sont pas mentionnés et que la question n'est pas posée, ou est-ce, parce qu'on ne peut pas communiquer avec eux, par exemple, étant donné que bon nombre de transgenres sont peut-être sans domicile fixe?

Mme Bauer : Il est question de transgenres et d'itinérance, mais il faut se rappeler que la majorité des transgenres ne sont pas sans domicile fixe. On peut communiquer avec la majorité d'entre eux, et des transgenres ont très bien réussi dans la vie. Nous avons un éventail de personnes.

Les transgenres ne sont pas reconnaissables, parce qu'il n'y a pas de question qui leur permet de s'identifier comme transgenres dans les enquêtes sur la santé de la population que nous réalisons généralement au Canada. Pour ces raisons, j'ai certainement aussi entendu des gens de la communauté transgenre avancer que certains ne veulent pas nécessairement répondre à de telles enquêtes, parce que nous, en tant que pays, ne nous préoccupons pas suffisamment d'eux pour leur permettre de s'identifier comme transgenres.

Par exemple, je connais des transgenres qui ont refusé de répondre au recensement ou à d'autres formes de collecte de données du gouvernement fédéral, parce qu'il n'y a pas d'endroit pour leur permettre de s'identifier comme transgenres.

Il y a ces deux aspects : le refus de répondre aux enquêtes, compte tenu de la manière dont elles sont menées, et c'est lié en partie au fait qu'il n'y a pas d'endroit pour leur permettre de s'identifier comme transgenres et qu'il y a d'autres questions qui sous-entendent des choses au sujet des gens qui ne sont peut-être pas valables dans le cas des transgenres.

Le sénateur Mitchell : Je suis d'accord que la majorité des transgenres ont en fait un toit et que bon nombre de ces gens sont bien nantis. Par contre, quel est le pourcentage de transgenres qui sont sans domicile fixe? Ce serait difficile de le déterminer précisément; par contre, en avez-vous une idée?

Mme Bauer : Je dois avoir quelque chose à ce sujet. Nous avons tellement de statistiques que je ne peux pas tout savoir par cœur, mais je pourrais vous faire parvenir le nombre de gens qui sont actuellement sans domicile fixe ou qui ont vécu des périodes d'itinérance.

Comme vous le savez peut-être, l'itinérance est souvent un cycle; les gens vivent en alternance des périodes d'itinérance et des périodes dans un logement insalubre ou toute autre situation résidentielle instable. Nous avons de telles données; je ne les ai tout simplement pas apprises par cœur.

Le sénateur Mitchell : Étant donné que les données concernent l'Ontario, pensez-vous que les statistiques seraient très différentes ailleurs, compte tenu de ce que vous savez au sujet de la communauté et des cultures d'une province à l'autre?

Mme Bauer : C'est possible. L'une des raisons qui nous ont poussés au départ à réaliser une enquête provinciale plutôt que nationale était qu'il y a certains facteurs qui influent sur la vie des transgenres en fonction des politiques provinciales, en particulier les politiques relatives aux systèmes de soins de santé, à savoir notamment si les opérations de changement de sexe sont financées.

Nous avons constaté des changements dans les provinces en ce qui a trait aux actes de naissance, aux cartes d'assurance-maladie et aux autres pièces d'identité qui sont délivrées par les gouvernements provinciaux. Il est difficile d'en évaluer l'ampleur. Je prévois des variations.

Je sais que des personnes dans d'autres provinces affirment qu'il y a beaucoup plus de services pour les transgenres en Ontario. Je pense que c'est tout à fait le cas à Toronto. J'imagine que les habitants du Nord ne pourraient pas en dire autant. Il y a peut-être des différences, mais c'est aussi le cas d'une région à l'autre au sein d'une même province, compte tenu de la grosseur, de la géographie et des différences culturelles au Canada.

Le sénateur Mitchell : C'est une discussion très intéressante et très convaincante.

La question des coûts est un enjeu qui occupe beaucoup de place dans le débat sur la politique publique et qui varie beaucoup. Dans un tel environnement, il semble que ce soit peut-être à la base de certains de ces éléments. En fait, ces dispositions n'entraîneront pas précisément de coûts énormes pour le gouvernement. Les tribunaux pourraient constater une certaine augmentation du nombre d'affaires, mais si quelqu'un est victime de violence, les tribunaux peuvent déjà de toute façon être saisis du dossier. Seuls les motifs changeront.

Deuxièmement, il n'y a pas autant de coûts médicaux. En ce qui a trait aux transgenres, il y a toute la question relative à l'aspect médical, et des gens prennent une telle décision. Cependant, est-ce répandu? Bon nombre de gens décident de ne pas opter pour cette solution, n'est-ce pas?

Mme Bauer : Au sein de la communauté transgenre, environ 75 p. 100 des membres ont besoin d'une transition médicale, selon nos données. Cela peut prendre diverses formes; il n'est pas toujours question d'une opération. Certains peuvent subir plusieurs opérations, tandis que d'autres n'auront besoin que de traitements hormonaux. Les gens font ce qu'ils ont besoin de faire pour aborder leur transsexualisme et se sentir bien dans leur corps. Il y a des gens qui préféreraient être nés avec une anatomie différente, mais qui ne sont pas nécessairement prêts à endurer tous les risques d'une opération.

Cela varie beaucoup. Nous avons un rapport, qui a été commandé par le ministère de la Santé de l'Ontario, qui examine les besoins non comblés en matière d'opérations de changement de sexe financées par la province. Le rapport est accessible si les gens veulent le consulter. Je ne peux pas nécessairement aborder les coûts.

Il s'agit d'une compétence fédérale, et une grande partie de ces coûts en matière de soins de santé surviennent sur la scène provinciale. Corrigez-moi si j'ai tort, mais je crois comprendre que vous couvrez les soins de santé des Autochtones, des militaires et des détenus des prisons fédérales, n'est-ce pas?

Le sénateur Mitchell : Oui.

Cela n'aborderait pas directement la question du changement de nom et des permis de conduire, mais cela assurerait une plus grande visibilité à l'enjeu, et les décideurs pourraient commencer à comprendre que c'est une question qu'ils doivent aborder. Cela aurait probablement un effet positif à cet égard.

Mme Bauer : Je l'espère. Nous avons examiné cet aspect pour la Commission canadienne des droits de la personne. Nous avons étudié le sous-ensemble de transgenres qui ont effectué une transition complète sur le plan social et qui vivent à temps plein en tant qu'hommes ou en tant que femmes. Il s'agit donc de gens qui ont un genre au sens conventionnel du terme et qui vivent ainsi à temps plein et qui ont légalement fait changer leur nom; bref, ce sont des gens qui souhaitent probablement faire changer le genre qui est indiqué sur tous les documents. Parmi ce groupe, seulement environ 30 p. 100 des gens avaient fait modifier toutes leurs pièces d'identité.

Je crois me rappeler qu'une personne a mentionné plus tôt qu'il y a différentes politiques pour les divers types de documents, et c'est tout un fardeau administratif. De plus, il y a diverses exigences pour divers types de documents. En ce qui concerne seulement les aspects de compétence fédérale, vous avez les passeports, les certificats de statut d'Indien, les cartes d'identité militaire, les cartes de résident permanent et tous les autres documents. Pour ce qui est des provinces, nous avons les actes de naissance, les permis de conduire et diverses pièces d'identité provinciales pour ceux qui ne conduisent pas, par exemple. C'est bien entendu un aspect qui doit être normalisé si on veut que les gens soient en mesure de naviguer relativement aisément les dédales administratifs.

La présidente : Je tiens à remercier M. Dyck et Mme Bauer de leur présence. Vous avez certainement constaté le grand intérêt des sénateurs à en apprendre davantage sur la question et à faire progresser l'inclusion sociale des transgenres.

Merci à tous les deux d'être venus témoigner, en dépit du court préavis.

(La séance est levée.)


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