Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie
Fascicule 33 - Témoignages du 7 mars 2013
OTTAWA, le jeudi 7 mars 2013
Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui, à 10 h 30,pour étudier les produits pharmaceutiques sur ordonnance au Canada (sujet : L'emploi non conforme).
Le sénateur Kelvin Kenneth Ogilvie (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Je vous souhaite la bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.
[Traduction]
Je m'appelle Kelvin Ogilvie. Je suis un sénateur de la Nouvelle-Écosse et je préside le comité. J'invite mes collègues à se présenter à tour de rôle, à commencer par la personne à ma droite.
Le sénateur Seidman : Judith Seidman, de Montréal, au Québec.
[Français]
La sénatrice Verner : Josée Verner, du Québec.
[Traduction]
Le sénateur Martin : Yonah Martin, de la Colombie-Britannique.
Le sénateur Enverga : Tobias Enverga; je viens de l'Ontario.
Le sénateur Campbell : Larry Campbell, de la Colombie-Britannique.
Le président : Avant d'accueillir nos témoins de ce matin, je souhaite rappeler à tous que nous sommes ici pour étudier l'emploi non conforme des produits pharmaceutiques sur ordonnance au Canada; c'est le troisième volet sur quatre de notre étude sur les produits pharmaceutiques au Canada. Nous recevons ce matin des témoins chevronnés, que je vais vous présenter au fur et à mesure que je les invite à prononcer leur allocution. Comme convenu, je vais commencer par Brian O'Rourke, président-directeur général de l'Agence canadienne des médicaments et des technologies de la santé.
[Français]
Dr Brian O'Rourke, président et directeur général, Agence canadienne des médicaments et des technologies de la santé : Monsieur le président, je vous remercie de m'offrir la possibilité de m'adresser au comité.
[Traduction]
J'aimerais commencer par vous parler un peu de l'Agence canadienne des médicaments et des technologies de la santé, l'ACMTS. Il s'agit d'une organisation indépendante et à but non lucratif dont le mandat est d'évaluer les technologies et qui a été établie en 1989. Nous fournissons aux décideurs fédéraux, provinciaux et territoriaux du secteur de la santé des évaluations probantes sur l'efficacité clinique et la rentabilité des produits pharmaceutiques, des outils de diagnostic, des appareils et des procédures médicales, dentaires et chirurgicales.
Les membres ou administrateurs de l'ACMTS sont les sous-ministres de la Santé fédéraux, provinciaux et territoriaux qui financent l'Agence, c'est-à-dire de Santé Canada et des ministères de toutes les provinces et tous les territoires, à l'exception du Québec, qui a sa propre agence : l'INESSS. Monsieur le président, les activités de l'ACMTS ont une double valeur. Premièrement, nous produisons des preuves, des conseils, des outils et des recommandations qui favorisent l'utilisation optimale des médicaments et des autres technologies de la santé. Deuxièmement, nous jouons un rôle d'intermédiaire afin de faire connaître les projets d'évaluation de la technologie en santé qui sont menés au Canada ou ailleurs dans le monde.
En tant que producteur, l'ACMTS offre un vaste éventail de services visant à favoriser la gestion efficace des produits pharmaceutiques et des autres technologies de la santé au Canada. L'un des programmes qui fait notre renommée est le Programme commun d'évaluation des médicaments, un programme fédéral-provincial-territorial qui vise à examiner l'efficacité et la rentabilité de nouveaux médicaments et de médicaments existants pour de nouvelles indications ainsi que les observations des patients à leur sujet. Les décisions de 18 des 19 régimes d'assurance- médicaments publics du Canada concernant l'homologation de médicaments s'appuient sur les données issues de ce programme. Encore une fois, le Québec a pour sa part sa propre agence et appuie ses décisions sur l'examen des médicaments de cette agence.
Nous effectuons également des examens thérapeutiques sur les classes de médicaments et menons des projets sur l'utilisation optimale. Ces activités prennent la forme de délibérations entre experts, dont les recommandations servent de base aux provinces et aux territoires pour établir la prescription et l'utilisation appropriée des médicaments et des autres technologies de la santé.
Nous offrons également des services d'examen rapide qui nous permettent de fournir rapidement des résumés de la littérature médicale, toujours infiniment volumineuse et complexe, sur différents sujets. Ce service est extrêmement utile, en ce sens qu'il aide les provinces et les territoires à obtenir de toute urgence des informations claires et équilibrées afin d'orienter leurs décisions stratégiques et pratiques sur les médicaments et les autres technologies de la santé.
Nous procédons également à des évaluations plus exhaustives et complexes de la technologie de la santé au besoin. Parmi les sujets que nous traitons, je souligne la chirurgie robotique, les unités d'imagerie par résonnance magnétique, les pharmacothérapies destinées à aider les gens à arrêter de fumer et les isotopes médicaux.
[Français]
Comme mentionné, en plus d'être producteur clé d'évaluation des technologies de la santé, l'agence agit aussi en tant que courtier de ces évaluations, facilitant ainsi la création et le soutien d'un environnement propice à la diffusion et à la mise en application des données probantes au Canada.
En tant qu'organisme pancanadien, nous sommes bien placés pour le travail collaboratif avec les organisations d'évaluation, des technologies de la santé, aux niveaux provincial, universitaire et hospitalier.
[Traduction]
En sa qualité d'organisation qui favorise l'utilisation optimale des technologies de la santé, l'ACMTS doit occasionnellement fournir des données et des conseils sur l'emploi non conforme des médicaments. Il n'est pas surprenant que nous recevions des demandes d'information sur l'emploi non conforme des médicaments, compte tenu de leur prévalence au Canada et dans d'autres pays. En 2012, des chercheurs de l'Université McGill ont conclu que 11 p. 100 des médicaments prescrits par les médecins de premier recours au Québec visaient un emploi non conforme. Ils ont également constaté que 79 p. 100 des prescriptions de médicaments examinées pour les emplois non conformes ne s'appuyaient pas sur des données scientifiques probantes et rigoureuses, c'est-à-dire des emplois pour lesquels au moins un essai clinique comparatif doit avoir été réalisé.
Les médias parlent beaucoup du problème de sécurité qui entoure l'emploi non conforme des médicaments, mais la qualité des soins que reçoivent les Canadiens se trouverait de toute évidence diminuée si l'on interdisait tout emploi non conforme des médicaments. Comme les essais cliniques réalisés auprès d'enfants sont rares, beaucoup de médicaments sont d'emploi non conforme chez les patients en pédiatrie, et les ordonnances se fondent sur des données issues d'études réalisées auprès de populations adultes. Les médecins adaptent ensuite le dosage aux enfants en fonction de rapports anecdotiques, de leur expérience et de leur jugement clinique.
Il y a également des cas où l'emploi non conforme de médicaments est la seule option pour lutter contre une maladie potentiellement mortelle ou incurable. Les médecins utilisent les médicaments de façon non conforme en psychiatrie, en gériatrie, en cardiologie et dans la plupart des autres disciplines cliniques. Enfin, le recours à des médicaments connus depuis longtemps, mais pour de nouvelles indications, même lorsqu'il s'agit d'un emploi non conforme, peut parfois permettre de réduire les coûts sans nuire à la qualité des soins prodigués aux patients.
Dans bien des cas, il y a beaucoup de données probantes qui appuient l'emploi non conforme d'un médicament. C'est particulièrement vrai pour les médicaments connus de longue date, pour lesquels on a généré de nombreuses données concrètes avec le temps et qui font abondamment l'objet de documentation dans les revues de médecine. Ces données se fondent rarement sur des essais cliniques comparatifs randomisés, mais suffisent pour que les cliniciens puissent prendre une décision éclairée. L'ACMTS répond à diverses demandes d'information sur l'emploi non conforme des médicaments des gouvernements provinciaux, des organismes de santé régionaux et de professionnels de la santé.
Nous avons ainsi réalisé une étude méthodique du bévacizumab en injection intravitréenne, un médicament dont l'appellation commerciale est Avastin et qui sert au traitement de l'œdème maculaire diabétique, ou OMD. L'OMD est une complication grave du diabète selon laquelle le centre de la rétine s'épaissit, ce qui cause la cécité. Le médicament approuvé pour traiter les patients atteints d'OMD est le ranibizumab, dont l'appellation commerciale est Lucentis. Avastin a été approuvé par Santé Canada comme agent anticancéreux, mais comme son mécanisme d'action se compare à celui de Lucentis, il est également utilisé dans le traitement non conforme de l'OMD, principalement parce qu'il se vend à un coût bien inférieur. Nous avons trouvé une comparaison indirecte récente des deux médicaments, qui montre qu'Avastin est probablement aussi efficace que Lucentis pour traiter les patients atteints d'OMD. Comme vous pouvez l'imaginer, la possibilité de réduire les coûts sans pour autant compromettre la qualité des soins que reçoit le patient est une préoccupation importante des administrateurs des régimes d'assurance-médicaments du Canada.
[Français]
Nous sommes toujours disposés à examiner les données probantes sur l'utilisation hors indication de médicaments ou sur tout autre sujet ayant trait à l'utilisation optimale des médicaments et d'autres technologies de la santé à la demande de nos clients.
[Traduction]
J'aimerais pour terminer insister sur deux choses. Premièrement, l'emploi non conforme des médicaments est commun au Canada, et bien qu'il soit justifié de s'inquiéter de leur sûreté, il faut savoir que ces utilisations peuvent être bénéfiques pour les patients et le système de santé en général. Il faut permettre la prescription de médicaments d'emploi non conforme dans une certaine mesure. Deuxièmement, lorsque les données nécessaires existent, les organismes d'évaluation des technologies de la santé comme l'ACMTS et l'INESS, au Québec, peuvent fournir aux décideurs des analyses, de l'information et des conseils fondés sur des données probantes pour les orienter dans leurs décisions sur l'emploi non conforme des médicaments.
Monsieur le président, je vous remercie de m'avoir permis de témoigner devant vous aujourd'hui. Je suis prêt à répondre à toutes vos questions.
Le président : Je vais maintenant donner la parole à la Dre Paula Rochon, scientifique principale à l'Institut pour les sciences cliniques éducatives.
Dre Paula Rochon, scientifique principale, Institut des sciences cliniques évaluatives : Je vous remercie de m'avoir invitée à venir témoigner. Je suis chercheuse dans le domaine des soins de santé et spécialiste de la gériatrie. Cela fait près de 20 ans que je m'occupe des personnes âgées affaiblies et que je mène des recherches sur ces dernières. Je vous parlerai aujourd'hui de la prescription de médicaments pour un usage non conforme, plus particulièrement chez les aînés. Certaines des études dont je parlerai ont été menées par mon équipe de recherche et financées par les IRSC.
La prescription de médicaments pour un usage non conforme consiste à prescrire une pharmacothérapie pour une utilisation qui n'a pas été approuvée par un organisme de réglementation. Il peut s'agir de prescrire un médicament pour une indication clinique qui n'a pas été approuvée ou de le prescrire à une sous-population qui n'a pas été approuvée. Il peut aussi s'agir d'utiliser une dose qui se situe à l'extérieur de la valeur recommandée.
Les organismes fédéraux examinent les résultats des essais cliniques pour déterminer les indications pour l'homologation d'un médicament. Les médicaments sont souvent utilisés pour d'autres indications, c'est ce que nous appelons « usage non conforme ». Peu de gens se rendent compte à quel point la prescription de médicaments pour un usage non conforme est répandue. Dans certains cas, cette pratique peut être nécessaire et bénéfique, mais il faut l'encadrer de manière à bien évaluer les risques et les avantages.
Je me pencherai sur trois aspects de la prescription de médicaments pour un usage non conforme. Premièrement, je vous expliquerai pourquoi la prescription de médicaments pour un usage non conforme est une pratique particulièrement répandue et préoccupante chez les aînés. Il arrive que les médicaments et les doses de médicaments approuvées ne soient pas évalués dans les conditions auxquelles sont soumis les aînés. Or, les aînés sont souvent le groupe auquel ces pharmacothérapies sont le plus susceptibles d'être prescrites dans la vraie vie. L'utilisation non conforme de médicaments est particulièrement inquiétante lorsque la pharmacothérapie est associée à d'importants effets indésirables. Idéalement, les pharmacothérapies devraient faire l'objet de tests dans les populations les plus susceptibles d'y avoir recours.
Deuxièmement, je vous parlerai de l'étendue du problème de la prescription de médicaments pour un usage non conforme en me basant sur l'exemple des antipsychotiques. Les antipsychotiques sont fréquemment employés selon une utilisation non indiquée sur l'étiquette. Ces médicaments sont approuvés pour le traitement de la schizophrénie. Chez les aînés, cependant, les antipsychotiques sont souvent utilisés pour atténuer les problèmes comportementaux liés à la démence. Au Canada, cette utilisation est indiquée sur l'étiquette de seulement un des trois antipsychotiques atypiques largement utilisés.
La surveillance post-commercialisation fournit des preuves substantielles de l'utilisation fréquente d'antipsychotiques de manière non conforme et des graves effets indésirables qui en résultent. L'information est particulièrement pertinente étant donné que dans les établissements de soins de longue durée, les antipsychotiques sont très souvent associés à des indésirables évitables comme des chutes, le parkinsonisme et d'autres événements assez graves pour nécessiter une hospitalisation. Dans le cadre de nos travaux, nous avons estimé que l'un de ces médicaments est prescrit au tiers environ des résidents des établissements de soins de longue durée.
Troisièmement, je vous parlerai des stratégies qui pourraient permettre de réduire les effets indésirables causés par la prescription de médicaments pour un usage non conforme chez les personnes âgées vulnérables. La première stratégie consiste à utiliser la surveillance post-commercialisation pour recueillir des données sur les risques et avantages associés à l'utilisation non conforme de médicaments. Au Canada, grâce à notre système de santé à payeur unique, nous disposons d'une quantité exceptionnelle de données administratives pouvant être utilisées pour mener des études d'observation. Nous sommes très bien placés pour utiliser ces données plus efficacement, pour surveiller la prescription de médicaments pour un usage non conforme et pour éclairer nos pratiques de prescription. Les recherches peuvent nous aider à cerner les pratiques à risque élevé en lien avec la prescription de médicaments pour un usage non conforme. En ciblant et en réduisant ces prescriptions à risque élevé, nous pourrions éviter des effets indésirables très coûteux.
La deuxième stratégie consiste à sensibiliser davantage les médecins aux pratiques courantes de prescription de médicaments pour un usage non conforme, et au besoin, à renforcer l'impact des mises en garde de sécurité. Il arrive que les médecins prescripteurs ne réalisent pas qu'ils prescrivent un médicament qui n'est pas approuvé pour être utilisé dans un contexte donné. Pour faire connaître les risques associés à différentes pratiques de prescription, les organismes fédéraux peuvent émettre des mises en garde de sécurité.
Au Canada et aux États-Unis, une série de mises en garde a ciblé les antipsychotiques utilisés chez les aînés souffrant de démence. Le principal message véhiculé par les deux organismes de réglementation était le même : les antipsychotiques atypiques utilisés chez les aînés souffrant de démence comportent de graves risques, et la plupart de ces traitements ne sont pas approuvés pour les personnes atteintes de démence.
Ces messages des organismes de réglementation ne semblent pas avoir un effet marqué sur les pratiques de prescription. L'un des problèmes est que ces mises en garde sont vagues et qu'elles n'offrent aucune indication claire au médecin prescripteur.
Finalement, nous devons mettre l'information à la disposition des médecins au moment où ils rédigent leurs ordonnances. Une plus grande disponibilité des dossiers de santé électroniques pourrait permettre de transmettre de l'information au médecin au moment où il prescrit un médicament. Dans un monde idéal, un médecin prescripteur qui choisirait un traitement comme un antipsychotique pour un patient souffrant de démence serait avisé, par voie électronique, des problèmes potentiels. Le système proposerait des solutions de remplacement pour faciliter la prise de décision.
Une autre solution : faire jouer un rôle plus actif aux pharmaciens au sein des équipes cliniques. Les pharmaciens sont des experts des pharmacothérapies, ils peuvent alerter les médecins lors de la prescription de médicaments pour un usage non conforme et leur donner des conseils.
Pour terminer, permettez-moi quelques rappels. D'abord, la prescription d'un médicament pour une utilisation non conforme est une pratique courante, particulièrement chez les aînés. L'exemple des antipsychotiques illustre la fréquence de l'utilisation non conforme de médicaments chez les aînés et la problématique de cette pratique.
La surveillance post-commercialisation peut fournir de l'information importante sur l'innocuité d'un médicament, particulièrement pour ce qui est de l'utilisation non conforme.
Le dernier point, qui est peut-être le plus important, c'est que notre objectif global consiste à adopter des stratégies qui optimiseront l'utilisation des pharmacothérapies. Pour atteindre cet objectif, différents groupes devront travailler en collaboration, notamment les chercheurs, les organismes de réglementation et les organisations professionnelles.
Le président : Je vais maintenant donner la parole au Dr Stuart MacLeod, qui comparaît à titre personnel. Il est professeur à l'Institut de recherche sur l'enfant et la famille de l'Université de la Colombie-Britannique.
Dr Stuart MacLeod, professeur, Institut de recherche sur l'enfant et la famille, Université de la Colombie-Britannique, à titre personnel : Je suis heureux d'avoir été invité à témoigner devant le comité. Je suis venu ici il y a un an vous parler des essais cliniques dans le cadre de votre mandat. Je suis content de vous dire aujourd'hui que dans le monde extérieur, ceux et celles qui cherchent à améliorer le milieu des essais cliniques au Canada ont été très encouragés par votre rapport. Je crois que c'est un document très utile.
Pour moi, le sujet de votre étude d'aujourd'hui est probablement un cas particulier dans le contexte général des essais cliniques. Je suis ici à titre de professeur de pédiatrie à l'Université de la Colombie-Britannique, mais probablement surtout à titre de personne qui a passé plus de 40 ans à étudier l'utilisation de médicaments chez les enfants et le genre de problèmes sur lesquels vous devez vous pencher.
J'aimerais commencer par endosser tout ce qu'ont dit M. O'Rourke et la Dre Rochon. C'est totalement vrai dans l'univers de la santé chez les enfants aussi. Je crois toutefois que les enjeux sont probablement un peu plus élevés lorsque les patients sont très jeunes et un peu plus complexes lorsqu'on s'occupe de petits enfants atteints de maladies curables.
Les spécialistes de la pharmacologie pédiatrique s'interrogent sur la question depuis au moins une quarantaine d'années, et beaucoup de choses ont été écrites à ce sujet, comme en atteste la littérature. La plus grande partie de l'information publiée est valide et fondée. Tout le monde est d'accord pour dire que c'est un problème. Le seul point de discorde, c'est la solution à appliquer.
Comme je l'ai dit, c'est un problème particulier chez les enfants et les jeunes parce que dans la majorité des cas où l'on prescrit des médicaments à des enfants ou à des adolescents, les décisions ne s'appuient pas sur des données probantes complètes, fondées sur des recherches adéquates. En fait, les étiquettes des médicaments ne contiennent souvent pas toute l'information qui permettrait à un prescripteur de faire le meilleur choix. Malgré tout, bien sûr, les médecins doivent faire des choix, donc ils les font à la lumière d'information imparfaite.
Vous allez trouver toutes sortes de chiffres dans la littérature. Le plus courant, c'est que 75 p. 100 des médicaments n'ont jamais été étudiés de manière adéquate chez les enfants. C'est une généralisation, et je pense que l'information que chacun trouve dépend de l'endroit où il la cherche. Pour les adolescents, par exemple, le chiffre serait considérablement plus bas. Il y a peut-être 25 p. 100 des médicaments qui n'ont pas été étudiés chez les adolescents ou pour lesquels il n'y a pas de données qui pourraient être extrapolées de manière raisonnable aux soins pour les adolescents.
Pour un bébé de 1 000 grammes soigné dans une unité de soins intensifs de néonatalogie, les chiffres sont encore pires, parce qu'il est absolument impossible de mener de bonnes recherches scientifiques sur les bébés de 1 000 grammes, ou à tout le moins de le faire rapidement. L'essentiel de l'information dont nous disposons pour prescrire des médicaments aux nouveau-nés de petit poids se fonde sur l'expérience acquise dans les unités de soins intensifs de néonatalogie. En vérité, je crois que nous nous débrouillons très bien. Il y a très peu de mésaventures dans la prescription de médicaments à ces nourrissons, mais nous nous basons sur l'expérience, des recherches très limitées et une bonne compréhension de l'immaturité et des complications qui touchent ces bébés.
Nous connaissons tous le problème. La solution consisterait à améliorer les recherches menées sur les enfants de tous âges, à commencer par les nouveau-nés et par les nouveau-nés de petit poids, en particulier, mais il faut augmenter le nombre de recherches cliniques réalisées dans les unités de pédiatrie afin de produire des données probantes de grande qualité qui pourraient se traduire par des lignes directrices de prescription, c'est-à-dire par de l'information de qualité sur les étiquettes des médicaments.
Une des difficultés, comme je l'ai souligné dans mon mémoire, c'est que les enfants ne forment pas un groupe homogène. Évidemment, il faut commencer par les bébés de 500 grammes, de 700 grammes, par les plus petits bébés qui peuvent survivre, puis il faut tenir compte de tous les groupes jusqu'à 18 ans, un âge où les enfants nous ressemblent beaucoup, sauf en un peu plus jeunes. Il est très compliqué de produire de bonnes données sur les prescriptions adéquates chez les enfants. Il faut cinq, six ou sept études pour recueillir toute l'information de prescription sur tous les groupes d'enfants. Il est assez évident que c'est une démarche coûteuse et compliquée du point de vue scientifique.
Évidemment, nous avons des moyens de contourner le problème. L'une des solutions consiste à extrapoler l'information dont nous disposons sur l'action de ces médicaments dans des organismes adultes. Il est beaucoup plus simple d'étudier l'effet des médicaments dans les populations adultes que chez les groupes d'enfants, bien que cette observation ne semble pas s'appliquer à l'autre extrême de la vie non plus, comme la Dre Rochon l'a souligné. Nous disposons habituellement de beaucoup de données sur les adultes de 18 à peut-être 50 ans, que nous pouvons extrapoler. Il nous faudrait toutefois de meilleures règles ou de meilleurs repères scientifiques pour nous guider avec précision. Les chercheurs s'intéressent beaucoup en ce moment aux nouvelles méthodes d'étude des médicaments dans ce groupe d'âge, pour que nous puissions améliorer l'information dont nous disposons pour extrapoler les données que nous fournissent les études sur le monde adulte.
L'autre problème immense propre à la pédiatrie, c'est l'ensemble des maladies génétiques rares, qui surviennent le plus souvent à ce stade précoce de la vie. Nous avons l'obligation d'étudier ces maladies chez les jeunes enfants parce que l'évolution de ces maladies est telle que leurs effets risquent d'apparaître parfois seulement 20, 30 ou 50 ans plus tard. Il est avantageux d'étudier comment se comporte la maladie au début de la vie, chez les jeunes enfants.
Pour conclure mon argument principal, qui me semble évident, je répète qu'il faut investir dans les recherches nécessaires pour recueillir des données probantes qui nous permettraient d'étiqueter la plupart des médicaments pour une utilisation chez les enfants.
Cependant, il y a de l'espoir. Il y a sept ans, nous avons créé au Canada ce qu'on appelle le Réseau de recherche en santé des enfants et des mères, une coopérative qui regroupe 17 centres universitaires de recherche en santé au Canada. Ce réseau fournit le cadre nécessaire pour mener ce genre d'études, de la grossesse jusqu'à l'adolescence. Je crois que le Réseau de recherche en santé des enfants et des mères aurait besoin de soutien financier pour produire le genre de résultats qui ont changé la réalité dans d'autres pays, notamment aux États-Unis et en Europe, où les chercheurs sont un peu en avance sur nous dans ce domaine.
Je dirais en terminant que l'on est bien conscient de ce problème à Santé Canada. Il y a deux ans, on a demandé au Conseil des académies du Canada de produire un rapport à ce sujet en s'intéressant tout particulièrement aux méthodes d'essai novatrices pouvant nous aider à obtenir des renseignements plus pertinents. Je préside le groupe d'étude qui a été mis sur pied à cette fin. Nous avons déjà eu deux rencontres et trois autres sont prévues. Nous pourrons sans doute soumettre notre rapport au Conseil des académies canadiennes vers la fin de 2013 ou au début de 2014. On y traitera de quelques-unes des questions sur lesquelles vous vous penchez.
Le président : Merci beaucoup.
La sénatrice Seidman : Dans le cadre de notre étude, on nous a dit à maintes reprises, et vous l'avez confirmé aujourd'hui, que l'emploi non approuvé des médicaments est un mal nécessaire. En fait, c'est une pratique très courante auprès de sous-groupes vulnérables comme les enfants, les aînés et les femmes enceintes. Comme vous l'avez souligné, il ne faut jamais perdre de vue la nécessité d'assurer un maximum d'innocuité en appuyant les prescriptions sur des informations spécialisées qui peuvent être mises en commun avec les patients, les médecins et les pharmaciens.
Docteure Rochon, vous avez rédigé conjointement en 2006 un article mettant en lumière le Système informatisé d'entrée des ordonnances aux fins du soutien des décisions cliniques. Il s'agit d'un programme électronique qui fournit au médecin une rétroaction immédiate à propos des renseignements cliniques importants susceptibles d'améliorer ses décisions en matière de prescriptions. Ma question va dans le sens de nos discussions d'hier. Il s'agit surtout de voir comment on peut motiver les médecins à participer; s'ils ont la possibilité d'obtenir ainsi une rétroaction immédiate, la saisie des données ne sera plus une simple corvée pour eux.
Vous étiez l'auteure principale de cet article qui décrivait le système dans le Journal de l'Association médicale canadienne. J'aimerais savoir si ce système est utilisé au Canada et, le cas échéant, si vous pourriez nous donner un aperçu de son fonctionnement dans le cas des utilisations non homologuées.
Dre Rochon : Merci beaucoup pour votre question. Je vous dirais d'entrée de jeu que le recours aux dossiers électroniques et à un système de soutien des décisions cliniques pourra nous aider grandement à mieux orienter le processus de prescription. D'une certaine manière, c'est quelque chose qui est tout à fait réalisable. La plupart de nos organismes de santé utilisent déjà des dossiers électroniques et la majorité des prescriptions, si ce n'est la totalité, sont établies au moyen de ces systèmes électroniques.
Nous avons la possibilité d'adjoindre à ces systèmes ce que nous appelons des mécanismes de soutien des décisions cliniques. Nous voulons en fait qu'il soit plus facile pour le médecin de savoir comment s'y prendre lorsqu'il doit décider de la prescription à établir.
Les mécanismes de soutien permettent de saisir toutes sortes d'informations au sujet d'un médicament prescrit, que cela concerne l'allergie d'un patient ou une posologie inappropriée pouvant être attribuable à une défaillance rénale ou à un autre problème de santé. En outre, on peut préciser qu'il est possible que le médicament soit utilisé de façon non conforme et qu'il y a peut-être lieu de s'inquiéter, et on peut prévenir les gens relativement à d'autres utilisations que l'on voudrait en faire.
Ce qui est bien, c'est que le tout pourrait être appliqué sans trop de dérangement, car cela fait partie des choses que les médecins sont déjà tenus de faire. C'est une possibilité qui s'offre et le système pourrait être disponible un peu partout. On pourrait aussi l'adapter de manière à favoriser la transmission d'une information encore plus pertinente.
L'un des problèmes avec les prescriptions non conformes à l'étiquette, c'est que bien des gens le font sans même le savoir. Avec des mécanismes semblables, ils en prendraient conscience. Même ceux qui le font sciemment se retrouvent souvent à se demander qu'est-ce qu'ils doivent faire exactement. Un système de la sorte leur permettrait d'y voir plus clair.
La sénatrice Seidman : Vous nous dites que le système est déjà utilisé par les médecins lorsqu'ils prescrivent les médicaments. Y a-t-il un moyen pour que le système indique qu'une utilisation est non conforme?
Dre Rochon : Je dirais que le système est utilisé de différentes manières selon les établissements. Certains ont des systèmes très perfectionnés, comme celui qui est décrit dans l'article en question, alors que d'autres sont moins avancés. Ces derniers permettent uniquement de prescrire les médicaments de façon électronique et peuvent notamment fournir de l'aide pour déterminer la posologie. Je dis simplement qu'il y a moyen d'aller plus loin avec ces systèmes et d'en faire davantage que ce que nous faisons actuellement.
La sénatrice Seidman : Est-ce que le système est relié aux pharmacies?
Dre Rochon : Oui. Le système en question était utilisé dans un hôpital avec une interface automatique vers la pharmacie. Dès qu'une ordonnance était saisie, la pharmacie la recevait automatiquement. Le médecin avait droit à une alerte prioritaire lorsqu'on jugeait que certaines informations devaient être portées à son attention. Il est fréquent qu'il y ait bien des considérations à prendre en compte en coulisse relativement à un médicament et c'est le pharmacien qui continuait de s'en charger. Il y avait donc interface entre le médecin et la pharmacie de même qu'avec les systèmes des laboratoires, de façon à assurer la transmission automatique des renseignements liés aux paramètres des laboratoires et des autres contre-indications pouvant être pertinentes pour le patient.
La sénatrice Seidman : Je ne veux pas que nous entrions davantage dans les détails à ce sujet, mais existe-t-il une documentation écrite sur le fonctionnement du système que vous pourriez transmettre au comité pour nous aider dans la rédaction de notre rapport final?
Dre Rochon : Nous pourrions effectivement vous fournir des renseignements utiles sur le fonctionnement de différents systèmes, dont celui-ci.
La sénatrice Seidman : Docteur O'Rourke, vous avez bien défini le travail d'évaluation et d'analyse accompli par votre organisation pour vos clients, comme vous les appelez. Vous avez dit devoir répondre à un certain nombre de demandes d'information des gouvernements provinciaux et des autorités régionales de la santé au sujet de l'emploi non approuvé des médicaments. Comment procédez-vous pour évaluer les données disponibles et les analyser afin de répondre à ces demandes d'information?
Dr O'Rourke : Lorsque nous recevons une demande, nous commençons presque toujours par prendre connaissance du délai. Dans bien des cas, l'information doit être fournie de toute urgence. Nous avons toute une gamme de produits différents à offrir en fonction du délai imparti. Nous pouvons compter sur des spécialistes en information qui excellent dans le dépouillement de la documentation médicale, y compris la documentation parallèle, celle qui n'est pas publiée. Il y a alors toute une masse d'information qui est soumise à l'analyse de nos scientifiques et de nos cliniciens. Ils considèrent la nature des travaux menés pour évaluer la qualité des données disponibles, car celles-ci peuvent tout aussi bien venir d'un essai clinique que d'observations ou d'un simple fait divers relaté dans un journal. Ils compilent ces renseignements dans un format facilement consultable, tant pour un décideur qui doit trancher au sujet de l'emploi non homologué d'un médicament que pour un praticien qui a besoin immédiatement de l'information en milieu hospitalier. Nous présentons l'information en fonction des besoins particuliers du client.
La sénatrice Seidman : Je pense qu'il y a quelque chose qui m'a échappé. Où trouvez-vous l'information? Procédez- vous à une étude documentaire?
Dr O'Rourke : Nous dépouillons les ouvrages spécialisés. Nos bibliothécaires et nos spécialistes de l'information font des recherches dans la documentation médicale et les différentes bases de données au sujet des essais cliniques.
La sénatrice Seidman : Cela inclut l'information provenant d'autres instances, y compris de l'étranger.
Dr O'Rourke : Tout à fait. Il existe de grandes bases de données permettant une telle recherche documentaire.
La sénatrice Seidman : Pas plus tard qu'hier, et la semaine dernière également, il a été question dans nos discussions de ce concept de surveillance mondiale. Pour l'emploi non homologué des médicaments, il faut prendre des décisions en fonction de petits segments et de sous-groupes de la population qui n'ont jamais fait l'objet de tests. Vous me confirmez que vous effectuez une telle surveillance.
Dr O'Rourke : Effectivement.
La sénatrice Seidman : Vous suivez ce qui se passe à l'échelle planétaire pour analyser le tout et en faire un résumé accompagné d'une prise de position?
Dr O'Rourke : Tout dépend du temps qu'on nous alloue. Dans certains cas, les demandeurs procèdent eux-mêmes à la recherche documentaire et à leur propre analyse, alors que dans d'autres situations, nous examinons les différents sommaires de recherche pour en faire un résumé. Parfois, nous procédons à une évaluation critique des données disponibles pour formuler une recommandation au demandeur, selon la nature de sa demande et le degré d'incertitude lié au médicament concerné. Pour les dossiers qui revêtent une plus grande importance ou soulèvent des préoccupations de premier plan, nous pouvons aller jusqu'à demander un examen par des pairs ou à mettre sur pied un groupe d'experts qui procédera à une analyse plus approfondie des données.
La sénatrice Seidman : Est-ce que cela signifie que votre travail a un impact direct sur le choix des médicaments qui figurent sur les listes des régimes publics d'assurance-médicaments?
Dr O'Rourke : Oui. Nous examinons toutes les demandes à l'égard de nouveaux médicaments à inclure dans les listes provinciales ou territoriales aux fins d'utilisation dans les collectivités canadiennes. Notre comité d'examen constitué d'experts formule des recommandations pour tous les régimes d'assurance-médicaments à l'exception de celui du Québec qui a son propre mécanisme à cette fin. La plupart du temps, les décisions prises quant aux médicaments inscrits sur les listes vont dans le sens de nos recommandations.
Le sénateur Munson : Monsieur MacLeod, j'étais de passage récemment à l'Université de la Colombie-Britannique. Je travaille beaucoup pour la cause de l'autisme. Le Dr Daniel Goldowitz et son équipe accomplissent des choses incroyables. J'étais ravi de me retrouver là-bas, car il est possible que nous voyions bientôt des avancées en la matière.
Dr MacLeod : Nous espérons bien que leurs travaux puissent porter fruit.
Le sénateur Munson : Les représentants de l'industrie pharmaceutique ont dit devant le comité que le processus d'approbation des médicaments exige beaucoup de temps et d'argent. L'emploi d'un médicament est approuvé au titre d'un problème de santé bien précis, avec une posologie préétablie et pour un segment particulier de la population. Pour étendre l'approbation de Santé Canada à l'égard de l'un ou l'autre de ces aspects, une entreprise doit déposer une présentation supplémentaire de drogue nouvelle et demander de nouveaux essais cliniques. J'aimerais que nos témoins nous disent dans quelle mesure les fabricants de médicaments peuvent être incités financièrement à entreprendre une telle démarche dans un contexte où la prescription non homologuée des médicaments est autorisée. Je crois que la part de marché est plutôt limitée.
Dr MacLeod : Dans la plupart des cas, la motivation financière est plutôt faible, car un médicament s'adresse souvent à un petit segment de la population ou à un faible nombre de patients ayant le même problème de santé, les mêmes circonstances qui font qu'il est difficile de mener un essai clinique et de trouver assez de patients pour produire des données probantes. Ainsi, les fabricants ne sont pas incités financièrement à déposer une nouvelle présentation pour obtenir un changement d'étiquetage.
Je ne dirais pas qu'il est impossible de sortir de ce cercle vicieux, mais ce n'est pas chose facile. Dans la plupart des cas, je ne pense pas que la solution réside dans un incitatif financier lié à un produit en particulier. Les résultats pourraient être plus concluants en gériatrie — et la Dre Rochon pourra peut-être nous le confirmer —, car de grands nombres de patients présentent des problèmes de santé similaires, ce qui pourrait donner accès à un important marché potentiel si une présentation supplémentaire devait être déposée.
Dre Rochon : Je crois que la situation est peut-être différente chez les aînés, car d'importants segments de cette population utilisent déjà des médicaments au titre de problèmes de santé qui n'étaient pas prévus dans l'indication initiale. Il est donc possible que les incitatifs soient d'un autre ordre.
Dr O'Rourke : Dans le sens de ce qu'affirmait le Dr MacLeod, ces entreprises pourraient être incitées financièrement à élargir l'échantillon de patients pouvant utiliser leur médicament grâce à l'approbation d'une nouvelle indication. Certains pays — et je crois que c'est le cas aux États-Unis — prolongent la durée du brevet si des études sont menées au sein de la population pédiatrique, ce qui représente également un incitatif financier non négligeable.
Il faut en outre considérer que l'autorisation de mise en marché n'est pas le seul obstacle à franchir pour l'industrie pharmaceutique. Une entreprise est ainsi autorisée à vendre son produit au Canada, mais elle doit encore s'assurer que quelqu'un pourra en payer les coûts. Règle générale, elle doit soumettre son produit à notre Programme commun d'évaluation des médicaments, puis le proposer pour approbation aux différents régimes canadiens d'assurance- médicaments. C'est donc un processus en trois étapes pour l'industrie pharmaceutique.
Le sénateur Munson : Merci pour cette réponse.
J'ai deux autres questions. Je crois qu'on a déjà répondu à ce sujet, mais j'aimerais avoir plus de précisions concernant les médicaments prescrits de façon non conforme. Il n'est pas défendu de le faire au Canada, mais il est illégal d'en faire la promotion. Dans un tel contexte, comment les médecins peuvent-ils prendre connaissance des utilisations non homologuées de médicaments approuvés?
Dr MacLeod : Je peux vous répondre encore une fois à la lumière de mon expérience en pédiatrie. Au Canada, il est impossible de prodiguer des soins aux enfants sans avoir recours aux produits pharmaceutiques en marge des indications fournies, car la majorité d'entre eux n'ont pas fait l'objet d'études, en tout cas pas pour tous les problèmes de santé ni dans tous les groupes d'âge. De fait, les indications de prescription sont éparpillées dans des ouvrages comme le guide de l'hôpital pour enfants de Toronto qui renferme des pages et des pages d'informations à ce sujet. La plupart de ces renseignements ne pourraient être publiés dans un guide officiel parce qu'ils ne s'appuient pas sur une base factuelle assez substantielle. Cela ne signifie pas que cette pratique soit contre-indiquée. Il n'est certes pas interdit pour un praticien de prescrire un médicament en se fondant sur ce qu'il a pu trouver dans la documentation scientifique ou sur les résultats d'une étude menée localement. C'est comme cela que les choses se passent. En médecine pédiatrique, il y a un ensemble informel de lignes directrices en matière de prescription qui ne sont certes pas valides du point de vue juridique, mais correspondent en fait à un étiquetage non officiel.
Dre Rochon : Chez les aînés, pour certains médicaments prescrits à grande échelle, je crois qu'il y a des médecins qui se livrent à cette pratique parce qu'ils ont vu des collègues faire de même dans une situation semblable. Je pense que l'on s'expose à des problèmes si on laisse les gens agir de la sorte en l'absence de données factuelles suffisantes.
Le sénateur Munson : Cela m'amène à ma dernière question et à un point sur lequel vous avez insisté aujourd'hui. On y fait également référence dans nos notes d'information. Vous avez dit que l'emploi non homologué des médicaments est à la fois nécessaire et bénéfique, mais qu'on ne devrait y avoir recours qu'après « mûre réflexion ». C'est l'expression qui a été utilisée, mais qu'est-ce que cela signifie exactement? Faut-il changer la réglementation? Est-ce qu'une nouvelle loi pourrait être nécessaire, ce qui prendrait beaucoup de temps? J'aimerais simplement savoir ce que vous entendez exactement par « mûre réflexion ».
Dre Rochon : Je pense que c'est un processus qui peut s'amorcer à bien des niveaux. Il peut s'agir de l'initiative du médecin qui prescrit le médicament au chevet de son patient. On peut devoir réfléchir à ce qui est nécessaire dans telle ou telle situation. Il faut peser le pour et le contre en évaluant les risques et les avantages. Habituellement, nous recommandons de considérer les autres approches possibles. Il convient par exemple de se demander si le médicament est absolument nécessaire ou s'il y a des moyens non pharmacologiques de traiter le patient. D'un point de vue clinique, on peut considérer quels sont les risques et avantages relatifs de la prescription de tel ou tel médicament.
Dans une perspective plus générale, nous devons notamment réfléchir davantage aux moyens à prendre pour obtenir l'information pertinente et la mettre à la disposition des médecins qui prescrivent les médicaments de sorte qu'ils puissent prendre des décisions éclairées. Grâce au système à payeur unique en vigueur au Canada, nous avons accès à un large éventail de données sur tous les patients. Il nous est ainsi possible d'obtenir rapidement de l'information sur les médicaments utilisés de façon non conforme à l'étiquetage. Une fois qu'un médicament est rendu disponible, on peut savoir assez rapidement à quel patient il est prescrit et quels sont les résultats. Est-ce que le médicament est bien toléré? Est-ce qu'il cause des problèmes? Nous pouvons détecter des effets qui n'étaient pas nécessairement prévus. Nous pouvons ainsi tirer des enseignements concrets sur les risques et les avantages d'une manière beaucoup plus détaillée qui permet d'établir des prescriptions de façon éclairée.
La sénatrice Martin : Docteure Rochon, je vais continuer dans la même veine que le sénateur Munson relativement à la possibilité que vous venez d'évoquer. Que devons-nous faire pour vraiment saisir cette possibilité ou passer à la prochaine étape en utilisant les données recueillies dans le cadre du système en place pour assurer une plus grande innocuité et une meilleure surveillance de ces médicaments utilisés de manière non conforme à l'étiquetage? Je vous parle un peu d'expérience, car j'ai dû récemment placer ma mère dans un établissement de soins de longue durée. J'ai ainsi pu constater le genre de données administratives qui sont recueillies quotidiennement et les observations faites par le personnel au fur et à mesure des progrès réalisés par ma mère. Les possibilités existent vraiment. Quelles sont les étapes que nous devrions suivre, ou la première chose que nous devrions faire? Comme vous le dites, les systèmes sont en place et la possibilité existe. Je suis curieuse de savoir comment il faudrait nous y prendre.
Dre Rochon : Comme vous l'avez dit fort éloquemment, nous pouvons compter sur une masse impressionnante de données. Nous disposons de données de base sur quiconque bénéficie de services de santé au Canada. C'est le cas notamment pour tous ceux qui reçoivent des soins en Ontario. On a de plus en plus d'information. Comme vous l'avez souligné, nous avons accès à des données détaillées sur l'état fonctionnel et cognitif des patients dans les établissements de soins de longue durée, toute une quantité d'informations pertinentes qui nous aident grandement à mieux comprendre les choses.
Mais comment extraire toute cette information? Je pense que cela peut se faire de différentes manières. Il y a notamment la recherche. Les IRSC, notre source de financement à l'échelon fédéral, jouent un rôle important en appuyant le travail des enquêteurs en milieu clinique et en permettant aux chercheurs de prendre conscience des problèmes concrets. Ils peuvent notamment savoir comment les médicaments sont utilisés. Ils voient certaines choses qui sont bénéfiques et d'autres qui sont plus préoccupantes. Ces gens-là veulent mieux comprendre. Ils peuvent se servir des données disponibles pour y parvenir. Il faudrait encourager les scientifiques à puiser à cette source commune de données afin de répondre à des questions semblables.
J'estime en outre qu'il serait possible de rendre le processus plus systématique. Ainsi, lorsque de nouveaux médicaments font leur apparition sur le marché et que vous prévoyez ou estimez qu'ils seront utilisés auprès de populations n'ayant pas fait l'objet d'une étude — ce qui arrive souvent chez les personnes âgées où un médicament peut passer d'une utilisation à une autre — ou même lorsque vous ignorez totalement comment on s'en servira dans les faits, vous pouvez automatiquement lancer le processus de surveillance de l'emploi du médicament au sein de la population pour voir à quelles fins il est utilisé. Vous pouvez alors relever les cas où le médicament améliore la situation de même que les problèmes imprévus qui se présentent. J'estime qu'il faut appuyer la curiosité scientifique et les importants travaux menés à l'initiative des chercheurs dans ce domaine, tout en tirant parti d'une approche plus systématique.
Dr MacLeod : Pour renchérir un peu sur les propos de la Dre Rochon, je voudrais dire que, en pédiatrie, il existe une tradition d'essais opportunistes. Tous les jours, on traite des enfants avec des médicaments à des fins qui ne sont pas indiquées sur l'étiquette, parfois dans des situations très particulières. Une intervention assez rapide permet de rassembler des données précises sur l'effet bénéfique ou négatif du médicament chez l'enfant. Il faut améliorer notre capacité de saisir cette information et de la disséminer.
Il s'agit, enfin, d'une base d'information très riche, et nos collègues des États-Unis ont très bien su comment l'exploiter. Ils disposent d'un réseau d'essais pédiatriques financés par leurs instituts nationaux de santé, qui se consacrent spécifiquement à ces essais opportunistes. Mais comme ils ne peuvent étudier que les produits dont le brevet est arrivé à échéance, les nouveaux produits échappent à leur investigation. Dans un monde idéal, on examinerait les deux sortes de produits.
Dr O'Rourke : Dans la même veine, je tiens à souligner les possibilités offertes par ces ensembles de données administratives. Il y a quelques années, Santé Canada a créé le Réseau sur l'innocuité et l'efficacité des médicaments, le RIEM, ou il en a financé la création. Il a créé un certain nombre de centres de collaboration. L'un d'eux est le Réseau canadien pour les études observationnelles sur les effets des médicaments, le RCEOEM, dirigé par David Henry, de l'Institut de recherche en services de santé, l'IRSS. Ce réseau essaie de rassembler collectivement toute cette information à l'aide d'une équipe de chercheurs présente dans tout le pays. Nous avons établi des liens étroits avec le RIEM et l'ensemble des chercheurs du Canada pour essayer de combler ces lacunes. On a créé un réseau efficace.
La sénatrice Martin : Merci beaucoup. Beaucoup d'autres questions se bousculent dans ma tête.
Docteure Rochon, en ce qui concerne la systématisation de l'effort, il m'a été donné d'observer des travailleurs de la santé affairés devant divers terminaux informatiques d'un réseau qui venait d'être installé. Ils étaient constamment occupés. Existe-t-il des logiciels qui permettent la saisie des données de manière à les rendre utilisables par les médecins ou les prescripteurs? J'ignore si c'est ce qu'ils font. Manifestement, je n'ai pas examiné leur façon de saisir les données, mais ce genre de programme existe-t-il ou est-il actuellement utilisé? Est-ce que l'un de vous sait?
Dre Rochon : Je ne peux pas parler au nom d'organisations particulières, mais différents éléments de cette information aident à la décision que prennent les prescripteurs.
Pour revenir à l'une des questions posées sur les terminaux informatiques, les données relatives à la masse corporelle ou à ce genre de donnée proviendraient de ces sortes de saisie et elles serviraient à calculer les doses appropriées de médicaments. Telle information peut trouver diverses utilisations. Elle revient souvent au point de départ pour informer les soignants sur les réactions des patients, la stabilité de leurs fonctions, l'amélioration de leur état. C'est une sorte de boucle de rétroaction. Les données trouvent diverses utilisations, mais il serait juste de dire qu'on peut les utiliser de beaucoup d'autres façons.
La sénatrice Martin : Docteur MacLeod, vous avez dit que vous faisiez partie d'un groupe de travail pour les méthodes innovantes d'essai, n'est-ce pas?
Dr MacLeod : Oui.
La sénatrice Martin : Était-ce ce à quoi vous faisiez allusion quand vous avez parlé d'essais opportunistes ou est-ce une question tout à fait différente? Par exemple, pourrions-nous profiter de ces données que vous rassemblez — parce qu'il est difficile d'inclure des personnes âgées, de jeunes enfants et des femmes enceintes dans les essais cliniques mêmes — pour trouver des façons originales d'obtenir cette information qui ne constitue pas des données scientifiques types, mais qui est absolument valide? Votre travail sur les méthodes innovantes vise-t-il cet objectif? Pourriez-vous nous en parler un peu plus?
Dr MacLeod : Je vous suivais jusqu'à ce que vous disiez « données absolues ». Il existe une hiérarchie des données scientifiques. C'est bien connu. Bien sûr, les meilleures proviennent d'essais cliniques randomisés, à double insu, d'essais dont vous parliez dans votre dernière mission. Il est évident que, dans certaines tranches particulières de la population, comme les nouveau-nés ou les personnes âgées fragiles, ces essais sont impossibles. Il faut donc chercher des compromis.
Des méthodes scientifiques tout à fait robustes permettent d'obtenir de bonnes données. Sans aller jusqu'à dire que leur validité est absolue, il s'agit néanmoins de bonnes données. Puis, près du bas de la hiérarchie, on trouve les essais dits opportunistes, qui profitent des expériences réalisées dans le cours normal des soins accordés aux patients. Les données sont précieuses. Cependant, elles ne satisfont pas aux mêmes normes que les résultats des essais randomisés.
La sénatrice Martin : Les méthodes innovantes d'essai sont-elles reconnues par les médecins et par Santé Canada? Est-ce dans cette direction que vous allez?
Dr MacLeod : J'ai mentionné un groupe que je préside pour le Conseil des académies canadiennes. Pour l'essentiel, nous examinons comment Santé Canada utilise ces nouveaux plans d'expérience, étant compris que, dans de nombreux cas, il est impossible d'effectuer des essais randomisés, à grande échelle. Partout dans le monde, les autorités pharmaceutiques cherchent une manière d'utiliser les données issues de ce qu'elles appellent les « petits » essais. Au lieu de faire participer 20 000 sujets à un essai sur un nouvel antihypertenseur, on pourrait utiliser 200 enfants pour l'essai d'un nouveau médicament contre un état découlant de la prématurité. Il est manifeste qu'il faut une méthode scientifique différente pour valider les données provenant de 200 sujets plutôt que de 20 000.
La sénatrice Martin : Nous faisons des progrès.
Dr MacLeod : C'est très difficile, mais on réussira, et la méthode fait l'objet d'un fort consensus. Elle n'a tout simplement pas force de loi. Elle n'est pas encore prescrite dans les règlements sous le régime de la Loi sur les aliments et drogues.
La sénatrice Martin : Est-ce ce qu'il faut réglementer...
Dr MacLeod : Je pense que, un jour, idéalement on aura au moins besoin d'un règlement, mais je comprends que c'est beaucoup demander.
La sénatrice Seth : Je veux d'abord que vous excusiez mon retard. J'ai raté un petit bout de la séance. Merci pour vos exposés bien documentés.
Docteur MacLeod, pendant les deux séances que le comité a consacrées à l'étude des produits pharmaceutiques sur ordonnance, il a entendu dire que des médicaments sont souvent prescrits à des enfants, à des fins non indiquées sur l'étiquette, puisque l'autorisation de mise en marché des médicaments englobe rarement la population pédiatrique. Quelles stratégies a-t-on mises au point pour réduire au minimum l'incertitude découlant de cette utilisation chez les enfants?
Dr MacLeod : Pour réduire au minimum l'utilisation non conforme aux indications de l'étiquette, le mieux est d'asseoir la prescription sur une meilleure base scientifique. On revient réellement à la recherche, tout simplement. À l'étranger, particulièrement dans la communauté européenne et aux États-Unis, on a adopté des lois, ces 15 dernières années, qui permettent d'examiner les nouveaux produits pharmaceutiques susceptibles d'être utilisés par les enfants. Elles permettent aussi de prendre une décision. Si les autorités estiment vraiment que le produit est important pour les enfants, elles peuvent obliger les sociétés pharmaceutiques ou les fabricants à effectuer des essais qui permettront d'obtenir le genre de données que nous cherchons.
La sénatrice Seth : Y a-t-il des stratégies pour faire de même?
Dr MacLeod : Comme l'a dit le Dr O'Rourke, la stratégie américaine a consisté à offrir une carotte. Ce pourrait être une importante incitation financière. L'essai demandé par les autorités ne permet pas seulement de prolonger la durée du brevet pour les enfants, mais il permet de l'étendre à toute la population. Même si un médicament largement utilisé chez les adultes peut ne trouver que des emplois très peu nombreux chez les enfants, la réalisation des études permet d'accéder à un marché qui vaut 1 milliard de dollars par année, ce qui est énorme.
En Europe, on privilégie la stratégie du bâton. On invoque simplement la loi. Pour obtenir la licence d'un nouveau médicament, il faut s'adresser à l'Agence européenne des médicaments. Si l'agence estime que le médicament trouvera un usage pédiatrique, elle a légalement le droit d'exiger un plan d'investigation pédiatrique, un PIP. On n'a pas besoin de le réaliser immédiatement ni d'attendre l'autorisation du produit autorisé pour les adultes, mais un certain délai est fixé. C'est une exigence assez forte.
Dr O'Rourke : À partir du régime réglementaire européen, la France a créé un nouvel ensemble de règles pour l'utilisation des médicaments non conforme à l'étiquette. Elle accorde une recommandation temporaire pour leur emploi, d'une durée de trois ans pour un médicament nouveau ou qui ne possède pas cette indication. Le fabricant n'est pas tenu de présenter ni d'effectuer toutes ces études majeures, mais cela lui donne le temps de rassembler des données observationnelles sur l'utilisation du médicament sous surveillance.
La sénatrice Seth : Docteure Rochon, pour la population vieillissante, vous avez dit que, malgré l'utilisation parfois nécessaire et utile de médicaments à des fins non indiquées sur l'étiquette, il ne faudrait y recourir qu'après avoir mûrement réfléchi. Je comprends. D'après vous, devrait-on limiter cette utilisation jusqu'à ce qu'on dispose d'un ensemble suffisant de données?
Dre Rochon : Je pense que vous demandez si on doit seulement utiliser les médicaments conformément à l'étiquette. Est-ce le sens de votre question?
Le président : C'est ce que la question signifie.
Dre Rochon : Cela présente une difficulté plus grande. On a tellement besoin de données sur les indications particulières d'emploi des médicaments par les personnes âgées qu'on peut presque se demander s'il est possible d'obtenir des indications figurant sur les étiquettes pour toutes les utilisations possibles, ce qui soulève un problème différent.
Idéalement, on lit bien attentivement l'étiquette. Si l'emploi du médicament n'y figure pas, il y a lieu de s'inquiéter, parce qu'on se trouve alors dans une zone dans laquelle les connaissances sont incertaines.
Il faut alors, je crois, bien réfléchir. Souvent, d'autres données, qui proviennent d'autres sources, pourraient être utiles au prescripteur. Malgré le silence de l'étiquette, on pourrait trouver des données ailleurs, par exemple dans des études observationnelles ou d'autres sources qui aident à prendre une décision éclairée. Les preuves d'effets nuisibles potentiels ou l'absence de données pour fonder sa décision sont particulièrement préoccupantes et elles présentent un problème singulier.
La sénatrice Raine : Je ne fais pas partie du comité à temps plein, mais le sujet intéresse tous les Canadiens. Je suis donc heureuse de me trouver ici. J'espère que d'autres groupes de témoins n'ont pas déjà répondu aux questions que je poserai.
Nous reconnaissons tous que des médicaments sont prescrits à d'autres fins que celles qui figurent sur l'étiquette et que c'est nécessaire pour certaines tranches de la population. Les médecins ont manifestement besoin de connaître les effets négatifs de tel médicament et les réactions qu'il provoque. On a besoin d'en connaître les effets néfastes. Le médecin qui envisage de prescrire un médicament à des fins qui ne sont pas indiquées sur l'étiquette peut-il découvrir les réactions négatives qu'il provoque?
Dr O'Rourke : Quand nous envisageons d'employer un médicament, peu importe la raison, nous nous soucions beaucoup de connaître le mécanisme de fonctionnement du médicament, son efficacité, mais aussi son innocuité, en soi ou par rapport à d'autres thérapies et traitements. Nous sommes constamment à l'affût d'anecdotes et de rapports sur des patients qui y ont réagi de façon négative. Nous avons en place un système qui permet ce genre de surveillance. Si nous avons chaudement recommandé l'emploi d'un médicament, nous continuons de consulter les publications à ce sujet et à faire lancer des avertissements, au besoin, tant que nous le pouvons. Cela importe au plus haut point aux spécialistes qui étudient ce médicament, son efficacité et ses effets indésirables.
Dr MacLeod : D'une certaine manière, il est plus facile d'obtenir des données dignes de confiance sur l'innocuité que sur l'efficacité. L'innocuité est rarement l'objet d'études prospectives, particulièrement dans le cadre d'un essai clinique. On ne peut pas faire d'essais sur l'innocuité. Il faut attendre qu'un certain nombre de patients aient été exposés.
Cependant, il existe, au Canada, des programmes pertinents. La Société canadienne de pédiatrie a exécuté pendant une dizaine d'années un programme de surveillance passive : elle demandait aux pédiatres de signaler toutes les réactions négatives à leurs pratiques. On peut rassembler ces données, qui sont tout à fait accessibles grâce à l'Internet. Le problème est qu'il faut prendre une décision fondée sur l'appréciation du rapport risques/avantages. On ne possède pas toujours les renseignements dont on a besoin sur les avantages et qui pourraient compenser.
Dre Rochon : Il y a aussi des manifestations vraiment graves et des préoccupations pour l'innocuité. Le système permet de lancer des avertissements, et on peut également le consulter.
La sénatrice Raine : Je ne pense pas que vous êtes obligés de signaler les réactions négatives aux médicaments, particulièrement si vous le prescrivez pour une utilisation non indiquée sur l'étiquette. C'est la zone grise de votre base de données.
Dre Rochon : Disons que c'est pécher un peu par optimisme que de croire que tous signaleront une manifestation indésirable. Certains déclarent ce qu'ils voient, et c'est important. Souvent, on ne reconnaît pas que telle manifestation est indésirable, ce qui risque même d'être plus problématique. Certains peuvent ne pas nécessairement relier telle manifestation à un médicament. Ils peuvent ne pas faire le lien. Encore une fois, c'est là qu'on constate l'utilité des données observationnelles pour reconnaître certains sujets de préoccupations pour l'innocuité.
Quand on tient compte de toute la population et de tous ceux qui prennent un médicament, on peut commencer à discerner des tendances qui risquent d'échapper au médecin isolé. Cette information retourne encore une fois aux diverses sources et constitue un ensemble de données utilisables pour la prise de décisions.
La sénatrice Raine : Il est manifeste que la médecine est un art.
Dre Rochon : En effet.
La sénatrice Raine : Chaque médecin doit probablement se rappeler constamment qu'il doit éviter de causer du tort, mais, pour le système, plus on peut rassembler d'information et plus on peut y accéder facilement pour découvrir ce qui cloche, mieux c'est.
Le président : Sachez que nous ferons une étude complète à ce sujet, prochainement. Déjà, la surveillance après la mise en marché a présenté pour nous beaucoup de problèmes. Vous êtes sur la bonne voie. Nous y viendrons et nous espérons rédiger un rapport distinct à ce sujet.
La sénatrice Cordy : Merci de vous être déplacés. Nous savons que l'utilisation de médicaments non conformes aux indications de l'étiquette est assez fréquente. Nous savons que c'est nécessaire, particulièrement dans les tranches de la population que vous représentez aujourd'hui.
Pour revenir aux réactions indésirables, il est fréquent, chez les personnes qui, malheureusement, éprouvent un malaise après avoir pris un médicament, de l'oublier dans le fond d'un tiroir. Personne ne sera mis au courant de cette réaction, parce qu'elles cessent de se médicamenter. Le patient sait-il que le médicament qui lui a été prescrit l'est à d'autres fins que celles qui figurent sur l'étiquette? Dans le cas des enfants, l'un des parents le sait-il?
Dr MacLeod : Je pense que la meilleure réponse est « parfois ». En pédiatrie, cette forme d'utilisation est très fréquente. Parfois, des médicaments ont été utilisés d'une certaine manière pendant des décennies. Officiellement, ils sont utilisés à d'autres fins que celles qui sont indiquées sur l'étiquette, mais, probablement, il ne viendrait pas à l'idée du praticien d'avoir une discussion avec l'enfant ou sa famille sur cette utilisation particulière.
D'un autre côté, s'il s'agit vraiment d'utiliser un médicament d'une nouvelle façon pour un enfant, ce n'est pas un devoir légal, mais la plupart des praticiens se sentent obligés d'en discuter avec la famille et de leur expliquer ce qu'ils font. Ils ne vont pas jusqu'à demander une autorisation écrite, par exemple, car il s'agit d'une utilisation non indiquée sur l'étiquette et non d'expériences. Il ne s'agit pas ici d'une allocation aléatoire de traitements. On n'est pas dans ce contexte juridique. Toutefois, pour des raisons de communication, les familles devraient savoir qu'un traitement est prescrit à des fins non indiquées.
Dr O'Rourke : L'autre aspect dont il faut tenir compte, c'est que dans certains cas, même le médecin ne sait pas que le médicament est prescrit à des fins non indiquées. Je dirais que les patients peuvent avoir accès à de nombreuses sources de renseignements par Internet et en consultant leur pharmacien. Ils peuvent savoir si un médicament est prescrit pour une utilisation indiquée ou non indiquée et, s'il s'agit d'une utilisation non indiquée, connaître les preuves qui la justifient.
Dre Rochon : Lorsqu'un médicament qui est prescrit pour une utilisation non indiquée sur l'étiquette a des effets indésirables connus, il est important d'en discuter avec les patients. C'est une autre question qui touche particulièrement les personnes âgées.
La sénatrice Cordy : Docteur MacLeod, vous avez parlé tout à l'heure de l'échange de renseignements ou des moyens pour un médecin de savoir qu'un médicament est utilisé fréquemment et avec succès chez des enfants ou d'autres groupes. De quelle façon communique-t-on l'information? Vous avez parlé d'une brochure dans un hôpital, par exemple. Les médecins de votre hôpital communiquent-ils les renseignements à ceux du Centre de soins de santé IWK? Que faites-vous à l'échelle internationale? Je pense en particulier aux sous-groupes, comme les enfants, les femmes enceintes et les aînés. Ces sous-groupes sont beaucoup plus petits et ils sont généralement exclus des études sur les médicaments. De quelle façon se fait l'échange de renseignements et réussit-on bien à le faire?
Dr MacLeod : Comme le Dr O'Rourke l'a dit, au cours des 20 dernières années, nous avons fait beaucoup de progrès quant à la validation et à la communication des renseignements.
Bon nombre de renseignements publiés sont centrés sur l'évaluation des preuves et son aboutissement à des recommandations sur les traitements. Au Canada, l'organisme le mieux connu est probablement le Centre canadien Cochrane, qui est appuyé par les IRSC et qui se consacre entièrement à l'examen des preuves sur des aspects controversés des traitements. Évidemment, il se penche sur les situations dans lesquelles on utilise des médicaments à des fins non indiquées parce que ce sont habituellement des situations où les données probantes ne sont pas suffisantes pour que l'utilisation soit indiquée sur l'étiquette. Le centre présente un ensemble de renseignements sur ses conclusions au sujet de la validité de la pharmacothérapie, la force de la preuve, et cetera. Tous les renseignements sont accessibles. J'aimerais pouvoir dire qu'ils sont accessibles à tous, mais ce n'est pas le cas parce qu'il n'y a pas de licence pour la Bibliothèque Cochrane au Canada. La grande majorité des praticiens canadiens y ont accès par leur bibliothèque électronique de leur établissement ou par leur association médicale ou pharmaceutique, par exemple.
Dr O'Rourke : Le problème, c'est qu'en général, on bombarde les médecins et les cliniciens de renseignements. Dans quelle mesure peuvent-ils les lire, les traiter et les mettre en pratique? Bon nombre de jeunes médecins se déplacent d'un hôpital à l'autre et d'une clinique à l'autre avec leur téléphone intelligent et utilisent un programme comme Up toDate pour obtenir l'information. Nous espérons que l'information qu'ils reçoivent est fondée en grande partie sur des preuves. C'est très difficile pour les médecins de se tenir à jour.
La sénatrice Cordy : J'imagine bien.
Dre Rochon : Cela nous ramène à la question de trouver une façon de permettre aux gens d'obtenir l'information facilement et de mettre l'information du monde à leur portée, et c'est là l'avantage des ressources électroniques pour les prescriptions.
La sénatrice Cordy : Nous avons tous parlé du fait que l'utilisation non indiquée sur l'étiquette est chose commune. Avons-nous des données qui indiquent dans quelle mesure c'est le cas?
Dr O'Rourke : Dans ma déclaration préliminaire, j'ai fait référence à une étude au Québec qui révèle qu'en médecine familiale, au cours d'une certaine période, 11 p. 100 des prescriptions avaient été faites à des fins non indiquées. Dans 79 à 80 p. 100 de ces cas, cette utilisation ne se fondait sur aucune preuve. Aux États-Unis, selon un certain nombre de rapports, environ 20 p. 100 de toutes les prescriptions sont faites pour une utilisation non indiquée, ce qui signifie que plus de 150 millions d'ordonnances sont exécutées pour une utilisation non indiquée dans ce pays.
Le président : Docteur O'Rourke, par souci de précision, je pense que dans le rapport, on indiquait qu'il n'y avait pas de preuves scientifiques solides.
Dr O'Rourke : C'est exact.
Dr MacLeod : Certes, il y a des données en pédiatrie, bien qu'on s'y perde. Grosso modo, en pédiatrie, chez les patients externes, environ 25 p. 100 des prescriptions sont faites à des fins non indiquées. Pour les enfants hospitalisés, et tout dépend du degré d'intensité des soins, c'est probablement entre 50 et 60 p. 100 environ.
Le sénateur Eggleton : Je suis désolé de ne pas avoir pu arriver plus tôt pour entendre vos exposés; j'étais à une autre rencontre. J'espère que je ne poserai pas les mêmes questions que mes collègues.
Devrait-on obliger les médecins à écrire « utilisation non indiquée sur l'étiquette » sur une ordonnance et d'autres renseignements, comme ceux qui concernent la catégorie? Le patient et le médecin devraient-ils savoir qu'il s'agit d'une prescription préparée à des fins non indiquées?
Dr MacLeod : Je suis prêt à prendre le taureau par les cornes. Je pense que ce serait cauchemardesque. Comme l'a dit la Dre Rochon il y a quelques minutes, souvent, la majorité des médecins ignorent qu'ils font une prescription pour une utilisation non indiquée. Il y a des zones grises quant à l'utilisation non indiquée et l'utilisation non approuvée, par exemple dans le cas d'une préparation destinée à un adulte prescrite pour un enfant; ce n'est pas vraiment non indiqué, mais plutôt non approuvé. De plus, en pédiatrie, il y a souvent des préparations extemporanées. Les pharmacies préparent un produit qui ne porte pas l'étiquette. J'imagine que le patient sait qu'il reçoit un tel produit, mais les prescriptions pour une utilisation non indiquée sont tellement nombreuses qu'il faudrait écrire cela tout le temps. Les médecins prescripteurs auraient vite besoin d'une estampille.
Dre Rochon : C'est une idée intéressante à laquelle on pourrait réfléchir un peu plus. Par exemple, devrions-nous payer et rembourser les médicaments qui sont prescrits pour une utilisation non indiquée alors qu'il n'y a peut-être pas de preuve, ou qu'il y en a peu, et qu'elle engendrera peut-être des problèmes graves? Devrait-on justifier les raisons pour lesquelles un médicament est utilisé? On pourrait y réfléchir.
Dr O'Rourke : C'est exactement ce qui se fait.
Comme je l'ai dit, il y a un autre obstacle. Lorsque nous faisons les recommandations sur l'établissement d'une liste pour le remboursement, dans bien des cas, nous établissons des critères qui restreignent encore plus l'indication. Dans ces cas, si le médecin veut utiliser le produit pour quelque chose qui dépasse les critères que nous avons établis, il doit le justifier. L'indication approuvée par Santé Canada peut être très importante, nos critères restreignent l'utilisation du médicament encore plus pour des raisons d'efficacité financière et d'autres facteurs. Ce serait donc difficile à faire, mais j'aime cette approche.
Le sénateur Eggleton : Le Dr MacLeod a souligné qu'au départ, le médecin doit savoir qu'il s'agit d'une utilisation non indiquée. Il faut donc d'abord que l'information circule.
Dr MacLeod : Il y a un autre acteur — le pharmacien. Dans une certaine mesure, les pharmaciens pourraient probablement signaler l'utilisation non indiquée lorsqu'ils délivrent les médicaments. Toutefois, lorsqu'on rédige une ordonnance, on n'a pas à expliquer les raisons pour lesquelles le médicament est prescrit. Les pharmaciens ne le savent pas toujours, bien qu'ils puissent le deviner.
Dre Rochon : La plupart des médicaments prescrits aux personnes âgées sont remboursés par un régime provincial. Il serait possible de le souligner et de demander des précisions avant qu'ils soient remboursés.
Le sénateur Eggleton : En ce qui concerne l'information que les représentants commerciaux des sociétés pharmaceutiques donnent aux médecins, ils sont censés ne parler que de l'indication approuvée, et non de l'utilisation non indiquée. Cependant, aux États-Unis, on rapporte que certains des plus importants fabricants de médicaments acceptent de payer ce que la plupart d'entre nous considéreraient comme des amendes épouvantables, mais qui représentent une bagatelle pour eux, car ils franchissent cette ligne. En fait, ils font la promotion de l'utilisation non indiquée.
Le fait que des représentants commerciaux présentent leurs produits aux médecins ne constitue pas seulement un problème pour l'utilisation non indiquée, mais un problème en général. Que devrions-nous faire sur le plan de la surveillance? Un organisme différent devrait-il prendre la relève des représentants commerciaux pour s'assurer que les médecins reçoivent les bons renseignements sur les médicaments? Je ne dis pas qu'ils sont mal renseignés par les représentants commerciaux, mais bien entendu, les raisons qui les motivent sont différentes. Ils essaient de vendre leurs médicaments. Y a-t-il des changements qu'on pourrait apporter ou de meilleures façons de contrôler les renseignements qui sont communiqués, à votre avis?
Dr O'Rourke : Nous sommes certainement une source de renseignements fondés sur des données probantes pour les praticiens et les décideurs. Lorsqu'il s'agit des représentants commerciaux et des renseignements qu'on leur permet de communiquer, il faut essentiellement qu'ils portent sur les indications approuvées. Toutefois, dans bien des cas, les médecins ou les pharmaciens leur poseront des questions sur l'utilisation non indiquée également. Je ne crois pas que les représentants commerciaux soient autorisés à donner ces renseignements. Il faut que ce soit le spécialiste des renseignements médicaux du fabricant. Il ne peut s'agir des représentants commerciaux. C'est un problème. On revient à la question de déterminer de qui les cliniciens et les médecins obtiennent ces renseignements et qui les bombarde d'information. Il existe plein de sources d'information. Les organismes indépendants comme la Collaboration Cochrane, l'ACMTS et l'INESSS au Québec sont de bonnes sources pour les cliniciens.
Le sénateur Eggleton : L'un de nos témoins a dit qu'on peut obtenir de meilleurs renseignements notamment en s'inspirant de ce que font les Australiens ou les Britanniques. Les Australiens ont un guide sur les produits médicinaux, l'Australian Medicines Handbook, et il y a le British National Formulary. Ils contiennent plus d'information descriptive et sont utiles pour les renseignements sur l'utilisation non indiquée. Je pense que les médecins ici ont le CPS, le livre bleu, qui ne semble pas combler ce besoin. Pouvons-nous nous inspirer des mesures que les Australiens et les Britanniques ont prises pour donner l'information aux médecins?
Dr MacLeod : Aller au-delà de ce qui est approuvé légalement pour l'information posologique constitue un problème, et nous avons donc un document à portée juridique, de l'information posologique officielle. Afin qu'il y ait des effets dans le monde de la prescription de médicaments pour une utilisation non indiquée sur l'étiquette, il faut vraiment aller au-delà de ce qui est approuvé, ce qui crée des problèmes.
Par exemple, le Royaume-Uni a le British National Formulary pour les enfants. Il y en a un pour les adultes. Il existe depuis des années. Puisque la prescription de médicaments pour une utilisation non indiquée est tellement chose commune en pédiatrie, vous pouvez être certains que le British National Formulary for Children comprend toute sorte de recommandations qui ne seraient pas fondées sur des données probantes que Santé Canada, la FDA ou l'Agence européenne des médicaments considéreraient acceptables. Toutefois, au Royaume-Uni, on se base sur le principe selon lequel il vaut mieux avoir quelques renseignements que de ne pas en avoir du tout.
Déterminer qu'il est approprié d'appeler cela une liste des médicaments assurés et de laisser entendre que c'est préférable à n'importe quelle autre information est une idée contestable, mais produire un bon compendium d'information posologique dans certains domaines comme ceux dont nous parlons, soit la gériatrie, la pédiatrie et les maladies rares, ne dépasse pas l'ingéniosité.
Dre Rochon : Il y en a aussi dans diverses sous-spécialités, et on peut y accéder par voie électronique. Il est important de déterminer de quelle façon ramener cela à la prescription ou à la prise de décision. Il est aussi important de réfléchir à la façon d'amener des gens comme les pharmaciens — qui sont souvent un peu exclus de ce processus — à participer à la prise de décision avec le médecin.
Le sénateur Eggleton : Je crois qu'une personne parmi vous a parlé des recommandations temporaires d'utilisation, ou RTU, en France. Cela pourrait-il être applicable chez nous?
Dr MacLeod : Cette approche a été étudiée dans la plupart des pays développés, en n'oubliant pas qu'il y a toujours des situations dans lesquelles il faut du temps pour rassembler les données probantes nécessaires. Dans certaines situations, on ne voudra pas priver le patient de l'accès à ces médicaments pendant qu'on réunit les preuves.
Le vrai problème concerne le remboursement des médicaments. Au Canada, cela relève des provinces. Je pense que Santé Canada ne verrait aucun problème à dire que nous pourrions avoir des approbations temporaires appuyées tout en continuant à recueillir des données probantes. Le problème, c'est que dans certains cas, cela crée une situation impossible pour les provinces, qui peuvent alors envisager de payer un médicament qui coûte 1 million de dollars par année pendant que nous continuons à réunir des données probantes.
Il y a des contraintes financières réelles, mais, surtout dans le cas des maladies rares, la seule façon pour nous d'accroître les données probantes, c'est d'avoir un type de couverture qui se fonde au moins sur des preuves probables que le traitement est efficace et sécuritaire. On rassemble ensuite les données pendant 10 ans peut-être, mais quelqu'un devra payer la médication durant cette période.
Le président : J'aimerais parler des sujets généraux dont il a été question aujourd'hui. Je suis vraiment ravi de l'information que vous nous avez donnée. J'aimerais tout d'abord obtenir deux ou trois précisions.
Docteur O'Rourke, la base de données de Cochrane est-elle l'un des documents que vous utilisez dans la préparation de vos renseignements?
Dr O'Rourke : Oui, nous consultons la base de données de Cochrane.
Le président : Je pense que vous avez déjà fourni la réponse, mais dans votre exposé, vous avez dit ceci : nous effectuons des examens thérapeutiques sur les médicaments et menons des projets sur l'utilisation optimale, et cetera. Vous avez répondu à la question en disant que vous dépouillez la documentation, y compris la documentation parallèle. Vous dépouillez l'information accessible. Cherchez-vous activement de nouveaux renseignements? Utilisez- vous la collecte d'information à partir de votre organisme?
Dr O'Rourke : La réponse est oui. Une alarme se déclenche automatiquement dans notre système électronique pour chaque nouveau médicament faisant l'objet du programme commun d'évaluation. Nous pourrons consulter toute nouvelle étude ou tout nouveau rapport portant sur le médicament, ce qui viendra étayer nos éléments de preuve.
Le président : Vous examinez encore les rapports. Vous ne consultez pas directement la demande en question.
Dr O'Rourke : Non.
Le président : Je savais que vous répondriez cela, mais je voulais vous l'entendre dire.
Dr MacLeod, vous avez bien expliqué les problèmes et les possibilités en pédiatrie. Vous avez évoqué les essais délibérés chez les nourrissons, pour en préciser par la suite les répercussions sur la recherche. La question qu'il faut se poser est la suivante : la société est-elle prête à ce que nous menions un essai dit normal auprès des nourrissons. Il faudrait donc donner des médicaments à des nourrissons en santé également, pour les essais avec répartition aléatoire.
Dr MacLeod : Dans une telle situation, il faut des modalités de rechange pour les essais. D'après moi, la société n'acceptera pas qu'on procède à des essais avec répartition aléatoire avec des nourrissons de 1 000 grammes. Je pense qu'il nous faut auparavant davantage d'études observationnelles.
Je pense qu'on accepte la nécessité des recherches et des essais cliniques avec les nouveau-nés, y compris ceux qui sont en très mauvaise santé ou les femmes enceintes. Nous avons besoin de ce genre de données.
Les nourrissons ne peuvent naturellement pas donner leur consentement. Les éthiciens ont beaucoup publié sur la question. Ils conviennent que, sur le plan éthique, il est inacceptable de ne pas étudier l'effet des médicaments sur les jeunes enfants. Nous devons posséder de meilleures données si nous voulons les soigner correctement.
Le président : Cela m'amène à la question que je tiens à vous poser. En ce qui concerne les grandes catégories et les sous-catégories d'usages non conformes, le véritable problème, comme vous l'avez décrit, c'est que ces médicaments sont alors prescrits en fonction d'éléments de preuve, mais ils sont donnés à un groupe différent, c'est-à-dire ceux qui participent à l'essai, dans une grande mesure. Il n'en reste pas moins que ces médicaments sont prescrits. Vous avez tous évoqué la nécessité de collecter des données sur les effets des médicaments prescrits pour un usage non conforme.
D'après les deux études que nous avons déjà menées — et nous aborderons la question plus exhaustivement au cours de la prochaine, comme je l'ai déjà indiqué —, nous connaissons les effets indésirables particuliers. Il est maintenant question d'un médicament qui serait prescrit à l'ensemble de la population. Nous posséderions apparemment des données sur moins de 5 p. 100 des effets indésirables. C'est ce que les documents scientifiques laissent entendre.
Il y a par contre un aspect beaucoup plus positif. Nous pouvons ainsi découvrir les effets souhaitables d'un médicament prescrit pour un usage non conforme aux nourrissons, aux personnes âgées et aux femmes enceintes. Vous avez tous indiqué la nécessité d'obtenir ce genre de données. En fait, d'autres spécialistes, notamment des oncologues, nous ont signalé qu'ils échangeaient abondamment les résultats obtenus dans une situation donnée, c'est-à-dire que, par le bouche à oreille et par les courriers électroniques, les professionnels semblent s'échanger les résultats souhaitables des médicaments prescrits pour un usage non conforme. En fait, certains témoins nous ont dit que les résultats de ces médicaments prescrits pour un usage non conforme ont conduit à recommander de tels médicaments lorsqu'il apparaissait évident que la santé des patients s'améliorerait davantage que s'ils prenaient les médicaments initialement prescrits.
On nous a signalé différentes méthodes pour obtenir le genre de renseignements qui permettent l'élaboration de documents sur lesquels le Dr O'Rourke fait des recherches pour donner des conseils aux médecins et à ceux qui rédigent les listes de médicaments. Nous avons abordé certains aspects qui ont été soulevés aujourd'hui, entre autres, la prescription électronique, les menus déroulants, la possibilité de prescrire électroniquement des médicaments pour un usage non conforme et la collecte de données grâce à des prescriptions contenant davantage de renseignements.
J'en arrive à ma conclusion. Les patients prennent les médicaments prescrits pour un usage non conforme, et la plupart d'entre eux en tirent des effets souhaitables. La Dre Rochon nous a donné un exemple précis d'une situation qu'elle connaît bien. Avez-vous constaté de nouvelles possibilités pour les renseignements sur la prescription de médicaments pour un usage non conforme, de nouvelles idées qui, selon vous, pourraient être efficaces, exception faite des exemples que vous nous avez donnés aujourd'hui? Pourriez-vous nous éclairer sur la question?
Dre Rochon : On pourrait peut-être tabler sur ce que j'ai déjà proposé. Je pense qu'on pourrait également tenir compte de l'indication pour laquelle le médecin prescrit le médicament pour un usage non conforme. Ainsi, on pourrait déterminer si le médicament en question est efficace pour cette indication. Comme vous l'avez indiqué, nous savons que c'est souvent pour un usage non conforme, que les patients s'en servent dans des circonstances différentes, probablement parce qu'ils estiment que c'est efficace d'une certaine façon. Comment pourrions-nous collecter ce genre de données?
À bien des égards, nous ignorons les raisons pour lesquelles un médicament est prescrit. En examinant un ensemble des données, vous pourriez en fait constater ce qui se passe et commencer à collecter des renseignements sur le tout. Même sur le plan clinique, on ignore souvent pourquoi un médicament est prescrit, ce qui pose toutes sortes de problèmes ultérieurement puisqu'on se demande s'il faut poursuivre la prise de ce médicament et si celui-ci a été vraiment utile. Toutes sortes de problèmes se posent. À mon avis, en ajoutant ce genre de données, on pourrait obtenir des résultats fort intéressants.
Dr MacLeod : Certaines possibilités existent. Ce qui pose problème et ce que vous faites valoir, c'est que nous avons beaucoup misé sur la surveillance passive, c'est-à-dire qu'un médecin, un pharmacien ou une infirmière signalent les effets indésirables qu'ils constatent. Il est tout à fait normal qu'ils ne signaleront vraisemblablement que les effets les plus inhabituels qu'ils constateront. Ils feront fi des effets les plus communs. Ce serait optimiste d'affirmer que 5 p. 100 de ces effets sont signalés. Nous avons montré qu'on peut obtenir de meilleurs résultats grâce à la surveillance active. Vous dites vouloir savoir quels seront les effets sur les 25 000 prochains patients qui prendront ce médicament. Eh bien, on le fait au Royaume-Uni depuis environ 50 ans. On a obtenu des données assez pertinentes en demandant aux spécialistes de décrire les réactions de leurs patients.
J'estime cependant que, pour obtenir des données pertinentes, il faut une surveillance active, que quelqu'un soit en mesure de signaler les effets indésirables ou les problèmes de nocivité. On pourrait à cet égard se servir du téléphone intelligent omniprésent. Ce n'est pas impossible de collecter des données sur chaque effet indésirable à un médicament donné pris par chaque Canadien au cours des 12 prochains mois. Il suffit de donner à chaque spécialiste un téléphone cellulaire et de lui dire comment signaler ces effets.
Le président : C'est juste. Je voudrais approfondir un peu ces deux aspects. Ce qu'il faut en fait, c'est que la personne possédant le téléphone intelligent dispose d'un menu déroulant lui facilitant la tâche.
Docteure Rochon, lorsque j'ai demandé si nous pouvions avoir un menu déroulant donnant entre autres l'indication et le groupe d'âge, on m'a souligné certains problèmes, que le pharmacien ne pourrait pas toujours savoir à quel groupe d'âge appartient la personne dont le nom figure sur la prescription, notamment lorsqu'un parent vient chercher le médicament pour son enfant ou une personne âgée. On en revient toujours à ce menu déroulant. C'est le point de départ. Quels renseignements choisirons-nous?
Vous nous avez fait part de vos observations et de votre expérience. Vous nous avez fourni une analyse exhaustive de la question qui nous intéresse. Vous avez abordé les groupes qui sont les plus susceptibles de recourir aux médicaments prescrits pour un usage non conforme, ce qui est positif dans bien des cas, comme vous l'avez clairement indiqué. Nous cherchons à déterminer les mécanismes que nous pourrions recommander pour obtenir les résultats que nous venons d'évoquer.
Lorsque vous conduirez sur l'autoroute et que vous apercevrez un panneau-réclame vous faisant songer à une solution susceptible d'être efficace, je vous demanderais de bien en prendre note. Vous possédez beaucoup d'expérience dans la collecte et l'échange de renseignements. Nous serions très heureux si vous pouviez nous signaler vos idées sur les points que nous avons abordés.
Au nom de mes collègues, je vous remercie de nous avoir fait part de vos observations et d'avoir répondu à nos questions. Vous l'avez fait avec brio.
(La séance est levée.)