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AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et du commerce international

Fascicule 11 - Témoignages du 15 mai 2014


OTTAWA, le jeudi 15 mai 2014

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd'hui, à 11 h 31, pour étudier les conditions de sécurité et les faits nouveaux en matière d'économie dans la région de l'Asie-Pacifique, leurs incidences sur la politique et les intérêts du Canada dans la région, et d'autres questions connexes (sujet : la Thaïlande).

La sénatrice A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international poursuit son étude sur les conditions de sécurité et les faits nouveaux en matière d'économie dans la région de l'Asie-Pacifique, leurs incidences sur la politique et les intérêts du Canada dans la région, et d'autres questions connexes.

Comme vous le savez, la situation en Thaïlande continue d'évoluer. Nous sommes donc très heureux d'accueillir de nouveau les représentants d'Affaires étrangères, Commerce et Développement Canada, qui vont nous informer sur l'état actuel de la question.

Nous portons notre attention sur les pays, mais aussi sur la région en général. Vous arrivez donc à point nommé pour nous mettre à jour sur les questions relatives à la Thaïlande. Le comité vous connaît très bien, car vous avez déjà témoigné ici. Je vous souhaite de nouveau la bienvenue.

Nous accueillons ce matin Mme Susan Gregson, sous-ministre adjointe, Asie-Pacifique, et Mme Evelyn Puxley, directrice, Relations avec l'Asie du Sud-Est et Océanie.

Pouvez-vous nous présenter votre exposé, madame Gregson? Bienvenue au comité.

[Français]

Susan Gregson, sous-ministre adjointe, Asie-Pacifique, Affaires étrangères, Commerce et Développement Canada : Honorables sénateurs, j'aimerais vous remercier de m'avoir invitée à venir vous parler aujourd'hui. Je suis sous-ministre adjointe, Asie-Pacifique, au ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement.

C'est avec plaisir que je vous fais part de la situation politique qui prévaut en Thaïlande. Je commencerai par un bref historique de la situation. Je poursuivrai par une analyse de l'agitation actuelle et je terminerai en parlant brièvement de l'impact de la situation sur le Canada. Ensuite, je serai heureuse de répondre à vos questions.

[Traduction]

Je vais vous parler brièvement du contexte politique en Thaïlande. Depuis l'élection de l'ancien premier ministre Thaksin Shinawatra en 2001, la scène politique thaïlandaise se polarise toujours davantage. Les deux principaux partis politiques, le parti Pheu Thaï, PTP aligné avec Thaksin, et le parti d'opposition, le Parti démocrate dirigé par Abhisit Vejjajiva, font régulièrement l'objet de graves accusations de corruption et d'autres actes illégaux quand ils sont au pouvoir. Selon certains observateurs, les clivages en Thaïlande ne se limitent pas à la sphère politique. L'appareil judiciaire et d'autres grandes institutions qui devraient rester neutres sont souvent accusés de partisanerie.

Parallèlement aux deux principaux partis, la crise en cours oppose deux groupes quasi politiques dont je vais vous parler brièvement. Tout d'abord, le Front national uni pour la démocratie et contre la dictature, l'UDD, est le regroupement organisé le plus important. Ses membres, pour la plupart pro-Thaksin et pro-PTP, se font appeler les chemises rouges. Il s'agit principalement d'électeurs pauvres de la banlieue de Bangkok et d'électeurs ruraux des provinces du Nord et du Nord-Est.

Ensuite, le Comité populaire démocratique pour la réforme, le CPDR, est un groupe anti-Thaksin et anti-PTP, composé de royalistes, d'élites du monde des affaires et d'électeurs de la classe moyenne urbaine, vivant surtout à Bangkok. Le CPDR bénéficie également d'appuis importants parmi les Thaïlandais du Sud.

En 2006, Thaksin a été renversé par un coup d'État. En 2008, un tribunal thaïlandais l'a condamné par contumace pour corruption. Aujourd'hui, il est en exil volontaire à Dubaï. Beaucoup pensent qu'il continue d'exercer un certain contrôle sur le gouvernement thaïlandais et dans la politique thaïlandaise par l'intermédiaire des partis qu'il soutient. Actuellement, il s'agirait du PTP, qui était jusqu'à tout récemment dirigé par sa jeune sœur, Yingluck Shinawatra. Cette situation a entraîné de l'agitation politique à de nombreuses reprises et quelques incidents violents depuis 2006. Des groupes situés de part et d'autre de la ligne de fracture étaient en cause.

Je vais maintenant vous parler de la crise actuelle. En novembre 2013, le PTP, le parti au pouvoir depuis 2011 dirigé par Yingluck, a tenté de faire adopter deux projets de loi par le Parlement de la Thaïlande. L'un d'eux aurait amnistié toute personne impliquée dans les crises politiques de 2004 à 2010, ce qui aurait permis le retour de Thaksin au pays. Le second projet aurait fait du Sénat, dont la moitié est élue, une assemblée de membres tous élus, ce qui aurait sans doute accru le pouvoir de Thaksin et de ses partisans.

Ces actions ont indigné les éléments anti-Thaksin et ont provoqué d'imposantes manifestations contre le gouvernement de la première ministre Yingluck, dominées par le CPDR et son dirigeant, Suthep Thaugsuban. Bien que le projet de loi ait été retiré, les manifestations se sont poursuivies.

En réaction à cette situation et à des appels à démissionner, la première ministre Yingluck a dissous le Parlement le 9 décembre et a annoncé que des élections auraient lieu le 2 février. Des manifestants opposés au gouvernement ont empêché des candidats de s'inscrire avant les élections, puis le jour du scrutin, ont bloqué l'accès aux bureaux de vote dans plusieurs circonscriptions. Le Parti démocratique a aussi boycotté les élections. Malgré tout, les citoyens se sont rendus aux bureaux de vote le 2 février et, en l'absence de candidats d'opposition, beaucoup considèrent que Yingluck a remporté les élections.

Or, le 21 mars, la Cour constitutionnelle a déclaré que les élections de février étaient invalides, puisqu'elles n'avaient pas eu lieu le même jour dans tout le pays. La cour n'a toutefois pas renversé le gouvernement, ce qui a permis à Yingluck de continuer à jouer son rôle transitoire avec des pouvoirs décisionnels limités.

Étant donné que les manifestations n'avaient pas entraîné le renversement de Yingluck, les groupes d'opposition ont entamé des procédures judiciaires visant à obtenir ce qui avait été refusé aux citoyens descendus dans la rue. Le 7 mai, leurs efforts ont été récompensés. La Cour constitutionnelle a renversé la première ministre Yingluck et neuf des membres de son cabinet pour abus de pouvoir lié à un cas de dotation en personnel de 2011. Le lendemain, la Commission nationale de lutte contre la corruption de la Thaïlande, la NACC, a accusé Yingluck de négligence et de prévarication pour sa gestion du programme gouvernemental de subvention du riz. Le Sénat doit maintenant décider s'il mettra l'ancienne première ministre en accusation et s'il lui interdira de participer à la vie politique pendant cinq ans. Il se peut aussi que la NACC intente des poursuites criminelles contre Yingluck auprès de la Cour suprême au sujet du programme de subvention du riz.

Après le renversement de Yingluck le 7 mai, le vice-premier ministre et ministre du Commerce, Niwattumrong Boonsongpaisan, a été nommé premier ministre par intérim. Toutefois, la NACC pourrait se prononcer contre l'ensemble du cabinet dans les prochaines semaines, y compris Niwattumrong Boonsongpaisan, pour son rôle dans l'adoption de la politique du riz. Les ministres pourraient être suspendus de leurs fonctions sur-le-champ et ensuite mis en accusation par le Sénat. La Thaïlande se retrouverait alors sans gouvernement et dans une impasse constitutionnelle.

Sur fond d'incertitude politique, les partisans du gouvernement comme ceux de l'opposition continuent de manifester. Le CPDR demande un gouvernement non élu qui appliquerait des réformes, sans autre précision. Quant aux chemises rouges, elles condamnent la partisanerie antigouvernementale des tribunaux et conspuent les manifestants qui exigent des réformes non démocratiques. Ces manifestations ont été marquées par des actes de violence sporadiques. Dans les dernières 24 heures, trois autres personnes ont été tuées et 20 autres blessées dans une attaque à la grenade et une fusillade contre un site de manifestation du CPDR.

Il est important de noter que l'armée thaïlandaise n'est pas encore intervenue, alors qu'elle s'y est souvent résolue dans le passé, faisant de nombreuses victimes. Ses chefs ont explicitement déclaré qu'ils n'ont pas l'intention d'intervenir pour mettre fin à l'agitation politique. Il est possible que cela change si de graves affrontements ont lieu entre groupes rivaux. L'armée pourrait alors estimer de son devoir d'intervenir pour rétablir l'ordre public.

Je vais vous parler des conséquences pour le Canada.

[Français]

L'agitation politique actuelle, évidemment néfaste à la stabilité et à la prospérité de la Thaïlande, affecte aussi les relations bilatérales entre Ottawa et Bangkok. Depuis le début de la crise, en novembre 2013, le règlement des questions bilatérales clés — plus précisément, les discussions exploratoires sur les potentielles négociations d'un accord de libre-échange bilatéral — a connu un net ralentissement. Lors d'une visite en 2012, le premier ministre avait souligné qu'on pensait pourtant pouvoir régler prochainement les questions liées à un accord de libre-échange bilatéral. Le ministère et notre ambassade à Bangkok surveillent la situation afin de garantir la sécurité et la protection des Canadiens qui sont présents en Thaïlande, y compris le personnel de l'ambassade.

[Traduction]

En terminant, nous ne savons pas encore comment la situation va évoluer cette fois-ci. Le Canada, par l'intermédiaire de son ambassade à Bangkok, mais aussi dans le cadre de discussions de haut niveau et de déclarations officielles comme celle faite le 7 mai par le ministre Baird, continuera à demander aux parties en présence de faire preuve de retenue et de régler leurs différends de manière pacifique. Le Canada continue de souligner l'importance qu'il accorde aux principes démocratiques et à la primauté du droit, de concert avec ses partenaires internationaux.

La présidente : Merci beaucoup de votre exposé.

[Français]

La sénatrice Fortin-Duplessis : Soyez les bienvenues devant notre comité. Il nous fait toujours plaisir de vous recevoir afin que vous nous aidiez à nous rendre compte de la situation dans certains pays du monde.

Vous avez mentionné que l'armée thaïlandaise n'était pas encore intervenue, alors que, dans le passé, elle était intervenue et avait fait de nombreuses victimes. J'aimerais savoir comment vous qualifieriez le rôle de l'armée thaïlandaise dans la crise actuelle.

[Traduction]

Mme Gregson : La situation est un peu inhabituelle, car l'armée a indiqué très clairement qu'elle n'allait pas intervenir. Par le passé, il y a eu un certain nombre de coups d'État en Thaïlande. La question préoccupe le Canada, qui soutient fermement les principes de liberté démocratique et la primauté du droit. Nous surveillons la situation de très près.

Alors que la situation se polarise toujours plus et que la violence s'amplifie, nous surveillons étroitement l'armée pour voir si elle va intervenir afin de rétablir l'ordre ou faire un coup d'État.

Evelyn Puxley, directrice, Relations avec l'Asie du Sud-Est et Océanie, Affaires étrangères, Commerce et Développement Canada : La crise actuelle est plutôt inhabituelle, car l'armée est très réticente à intervenir, comme l'a mentionné Susan. Ces derniers jours, le chef de l'armée a toutefois indiqué qu'il pourrait envisager une intervention. Comme a dit Susan, la violence s'est déchaînée du jour au lendemain, et la politique se trouve actuellement dans une impasse. Nos regards sont braqués sur l'armée pour voir comment elle va réagir, puisque la violence va sans doute s'intensifier dans les prochains jours.

Ce n'est pas ce que nous souhaitons bien entendu, mais l'armée pourrait estimer qu'elle doit intervenir pour rétablir l'ordre public si la violence se généralise. Il sera important ensuite de voir comment l'armée, le roi et ses conseillers vont réagir et qui ils choisiront pour remplacer le gouvernement qui a été élu au fond, pas nommé. Nous surveillons la situation de très près, surtout compte tenu des événements survenus tout dernièrement.

[Français]

La sénatrice Fortin-Duplessis : J'ai lu que le roi était très malade, qu'il était âgé de plus de 90 ans. Est-ce son entourage qui prend les décisions ou est-ce lui?

[Traduction]

Mme Gregson : Nous ne le savons pas. Nous n'avons pas beaucoup d'information sur ce qui se passe au palais. Il y a beaucoup d'incertitude quant au rôle de la monarchie, et la santé du roi décline depuis assez longtemps. Nous ne savons même pas s'il est en mesure de jouer un rôle actif. Par le passé, le roi a participé à la politique. Il peut jouer un rôle de gardien de la paix et amener les chefs de l'opposition à discuter. À l'occasion, il a même appuyé les chefs qui sont arrivés au pouvoir de diverses manières.

Le roi actuel a accédé au trône en 1946. C'est le plus long règne monarchique au monde. Le roi jouit d'une forte autorité morale et est vénéré par la majorité de la population. Sa santé et sa succession demeurent incertaines, ce qui ajoute à l'instabilité actuelle en Thaïlande.

[Français]

La sénatrice Fortin-Duplessis : Ma question au sujet du roi faisait suite à votre réponse. Ma prochaine question est la suivante : dans quelle mesure et de quelle manière le pouvoir judiciaire est-il un acteur indépendant dans la vie politique de la Thaïlande?

Mme Gregson : Merci encore une fois, c'est une autre bonne question.

[Traduction]

Certains partis et certains groupes en Thaïlande accusent le pouvoir judiciaire d'avoir un parti pris et de participer trop activement à la politique. Cet aspect nous préoccupe également.

M. Puxley : Divers organismes judiciaires et quasi judiciaires ont joué un rôle récemment, comme la Commission électorale, la Cour constitutionnelle et la Commission nationale de lutte contre la corruption. Dans le contexte, leurs décisions des trois derniers mois pourraient sembler préjudiciables au gouvernement et plus favorables aux manifestants de l'opposition.

Il n'a pas été demandé à la Cour suprême de statuer sur des questions liées à la crise politique actuelle, mais les gens de l'extérieur craignent que les institutions ne restent pas impartiales et indépendantes, comme elles le devraient.

Le sénateur D. Smith : C'est peut-être inadéquat. Je ne sais pas si des sondages sont menés et publiés ou non là-bas. Mais si des mécanismes permettent de mesurer le soutien relatif accordé au PTP et à ses alliés ainsi qu'au CPDR, quel parti reçoit le plus large appui dans la population? La démarcation est-elle claire, ou les opinions sont-elles plutôt divisées?

Mme Gregson : Je vais répondre en premier, puis céder la parole à Evelyn.

Le résultat des élections donne à penser que le gouvernement profite d'un vaste appui populaire partout au pays, surtout à la campagne, en banlieue de Bangkok et dans le Sud. L'opposition au gouvernement semble provenir des élites traditionnelles.

Le Canada a toujours exhorté les partis en présence à respecter le processus démocratique.

Le sénateur D. Smith : Le processus démocratique et électoral est-il plutôt juste? Vous savez ce que je veux dire. Le processus est-il équitable?

Mme Puxley : Oui. Je vais essayer de répondre. Des organismes étrangers ont commenté le déroulement des dernières élections. Freedom House a établi que les élections de 2011 étaient en grande partie libres et équitables.

C'est difficile de juger cette année, parce que le scrutin de février a été grosso modo boycotté par les membres du Parti démocratique qui forme l'opposition et que des membres du CPDR ont empêché des candidats de s'inscrire, surtout dans le Sud de la Thaïlande, et bloqué l'accès à un certain nombre de bureaux de scrutin. Les gens étaient littéralement incapables d'aller voter. C'est donc très difficile de commenter les élections qui ont eu lieu à la fin de février.

Certains soutiennent que les deux principaux partis, celui qui forme le gouvernement présentement et la principale opposition, ont participé à diverses manigances pour acheter des votes, et cetera. D'une certaine manière, ces activités ont sans doute eu pour effet de s'annuler.

Les manifestants opposés au gouvernement craignent que le parti au pouvoir gagne des élections libres et justes, comme c'est le cas depuis 10 ans. Même si tous les Thaïlandais pouvaient voter et que les candidats pouvaient s'inscrire, les élections annoncées pour le 20 juillet donneraient un résultat semblable aux dernières élections, qui ont porté au pouvoir la première ministre intérimaire Yingluck.

Le sénateur D. Smith : Merci. C'est simplement pour me faire une idée.

La présidente : Par la suite, le Canada a reconnu la validité des élections et a poursuivi ses relations sans apporter de changements, n'est-ce pas?

Mme Gregson : C'est exact.

La présidente : Nous n'avons pas changé de position, malgré les décisions des tribunaux ou les activités en Thaïlande.

Mme Gregson : Non.

La présidente : Mis à part les violences, avons-nous exprimé des préoccupations concernant d'autres aspects du processus?

Mme Gregson : Le ministre Baird a émis une déclaration le 7 mai, et c'était davantage pour exprimer ses préoccupations concernant la violence et son soutien aux processus démocratiques.

La sénatrice Ataullahjan : Nous parlons des manifestations à Bangkok, mais qu'en est-il du conflit dans les provinces du Sud de la Thaïlande? Ces régions ont connu une montée importante de la violence au cours des dernières années; plus de 6 000 personnes y ont été tuées depuis 2004. Le Canada a-t-il contribué aux efforts de maintien de la paix dans ce secteur?

Mme Gregson : Je vais débuter, avant de laisser Evelyn vous fournir de plus amples détails.

Je peux vous assurer que notre ambassade suit le tout de très près. Notre ambassadeur, M. Calvert, s'est rendu lui-même récemment dans le Sud pour se faire une meilleure idée de la situation.

On retrouve dans le Sud des groupes musulmans qui estiment que leurs droits ne sont pas bien protégés et que leur statut de groupe minoritaire n'est pas suffisamment reconnu. Evelyn va maintenant vous en dire davantage.

Mme Puxley : Même avant la crise politique actuelle, notre ambassade s'intéressait de près à la situation dans le Sud de la Thaïlande. Comme l'indiquait avec justesse la sénatrice, c'est un conflit qui perdure, mais il n'a pas beaucoup attiré l'attention à l'extérieur du pays malgré un nombre considérable de décès et une multitude de blessés.

L'ambassade canadienne s'est employée avec un certain succès à instaurer la confiance en créant des occasions pour que les dirigeants des communautés du Sud puissent se rencontrer et dialoguer dans un effort pour trouver de nouveaux terrains d'entente. Nous envisageons en outre certaines mesures très concrètes visant une plus grande sécurité publique en aidant les autorités gouvernementales et les forces de l'ordre à contrer les activités impliquant des bombes artisanales dans le Sud. Il va de soi que la crise politique actuelle rend plus difficile un engagement de la sorte.

Susan a parlé de l'interruption des négociations en vue d'un accord de libre-échange. C'est un autre aspect vraiment inquiétant dans le contexte de la crise politique qui perdure à Bangkok et de cet engagement conjoint de l'ambassade et des autorités gouvernementales pour contrôler la situation dans le Sud. Comme l'indiquait la sénatrice, il y a eu des décès au cours des dernières semaines.

Autre fait sans doute plus encourageant, il faut noter l'engagement du gouvernement malaisien qui s'efforce de faciliter les discussions entre les autorités thaïlandaises et les chefs musulmans du Sud après avoir joué un rôle très actif pour permettre une entente entre le gouvernement philippin et un groupe d'insurrection qui menait ses actions dans le Sud de ce pays-là. Ce sont toutefois des efforts qui sont également freinés par l'impasse politique qui frappe l'ensemble de la Thaïlande.

Le sénateur Oh : Quelles sont les conséquences à court et à long terme des manifestations et de la récente période d'instabilité politique pour l'économie thaïlandaise et pour la région?

Mme Gregson : Il est bien évident que des manifestations semblables font en sorte qu'il devient impossible pour les entreprises de fonctionner sans entrave. Si vous avez eu la chance de visiter Bangkok, vous savez fort bien que, même en temps normal, la circulation y est difficile. Lorsque de telles manifestations se déroulent, la situation devient chaotique et les gens se demandent si c'est une bonne idée d'aller à Bangkok.

Je parlais tout à l'heure de l'accord libre-échange. Les entreprises et les autres organisations intéressées surveillent la situation de près. Je crois qu'il est encore trop tôt pour vraiment mesurer les répercussions, mais c'est assurément une source d'inquiétude pour nous.

Le sénateur Oh : Il a été question de percer un canal à travers la péninsule pour rejoindre la Malaisie au sud. Y a-t-il des progrès quant à ce projet d'ouvrir un canal jusqu'au détroit de Malacca?

Mme Gregson : Je ne suis pas au courant.

En avez-vous entendu parler?

Mme Puxley : Oui. Parmi les questions en litige entre les manifestants antigouvernementaux et le gouvernement, il y a celle du financement public pour des projets d'infrastructure comme celui-là. Il faudra que je vérifie, mais je crois que l'impasse politique actuelle a également freiné tout progrès dans ce dossier. Il s'agit d'un projet extrêmement ambitieux qui aurait des répercussions considérables sur la circulation des marchandises en Thaïlande et en Asie du Sud-Est. Mais comme je vous l'indiquais, il faudra encore là attendre que l'impasse politique actuelle soit dénouée.

Le sénateur Demers : Des élections revêtant une importance capitale sont prévues pour le 20 juillet 2014. Pensez-vous que ces élections pourront être libres et justes, sans aucune perception d'iniquité?

Mme Gregson : C'est une très bonne question. Nous ne savons pas pour l'instant s'il sera effectivement possible de tenir ces élections étant donné l'instabilité qui règne actuellement dans le pays. C'est une situation que nous surveillons de très près.

Le sénateur Demers : Quel est l'effet des agitations politiques en Thaïlande sur les relations économiques du Canada avec ce pays?

Mme Gregson : C'est encore une excellente question. En mars 2012, le premier ministre Harper et l'ex-première ministre Yingluck Shinawatra ont annoncé des discussions exploratoires en vue d'un accord de libre-échange entre le Canada et la Thaïlande. Nous avons eu deux rencontres à ce sujet par la suite, et la troisième a été reportée jusqu'à l'élection d'un nouveau gouvernement thaïlandais. Comme je l'ai indiqué dans ma déclaration préliminaire, le projet d'accord de libre-échange est en suspens jusqu'à ce que la situation se stabilise en Thaïlande.

Il y a des entreprises canadiennes qui sont actives en Thaïlande. La Banque Scotia y détient une participation de 49 p. 100 dans la Banque Thanachart, la cinquième en importance en Thaïlande. Celestica y a installé une grande usine de fabrication de produits électroniques et Magna y est aussi présente. La Financière Manuvie fait de la gestion d'actifs en Thaïlande pendant que Fairfax Financial Holdings de Toronto y a des investissements substantiels.

À n'en pas douter, des entreprises canadiennes investissent dans l'économie thaïlandaise et nous aimerions en voir encore davantage. L'accord de libre-échange offrirait un cadre favorisant une plus grande intégration économique et une multiplication des échanges, mais il faudra d'abord que la situation revienne à la normale en Thaïlande.

Le sénateur Demers : Merci beaucoup pour vos réponses.

[Français]

Le sénateur Robichaud : Deux autres personnes ont été tuées récemment, ce qui porte le nombre de morts à 28 depuis six mois. La Commission électorale a fait savoir que l'élection prévue pour le 20 juillet devra être reportée. Il semble que ce soit arrivé dans les dernières heures. Les militaires sont-ils les seuls à décider s'ils doivent agir ou non? Les militaires sont-ils les maîtres à bord, en fait?

[Traduction]

Mme Gregson : Nous suivons tous la situation de très près. Les militaires ont déjà fomenté un certain nombre de coups d'État. L'exercice du pouvoir militaire en Thaïlande se distingue nettement de ce que nous connaissons au Canada.

Je répète que nous espérons que des élections libres et justes puissent se tenir dès que l'agitation se sera apaisée. Est-ce que ce sont les militaires qui en décideront? Il faut espérer que toutes les parties en cause sauront faire preuve de modération et les encourager à laisser libre cours au processus démocratique.

[Français]

Le sénateur Robichaud : Comment peut-on négocier une entente de libre-échange avec un pays où on ne reconnaît pas vraiment les gens qui ont l'autorité pour le faire?

Mme Gregson : Encore une fois, c'est une bonne question, madame la présidente. Évidemment, les discussions concernant le libre-échange sont suspendues pendant cette période d'incertitude.

[Traduction]

La présidente : Pensez-vous qu'il y a d'autres interventions possibles pour améliorer les choses en Thaïlande? Autrement dit, compte tenu des forces en place dans la région, y a-t-il à votre connaissance un rôle envisageable pour la communauté internationale?

Mme Gregson : Pour l'instant, je crois que tous — qu'il s'agisse d'entités régionales ou de pays comme le Canada — s'emploient à exhorter les parties en cause à faire preuve de retenue. Nous surveillons tous la situation qui évolue très rapidement. Il y a eu des faits nouveaux depuis hier et nous avons reçu des mises à jour de notre ambassade qui suit les choses de près et discute régulièrement avec les autres missions pour connaître les intentions des différents pays.

La situation en Thaïlande nous préoccupe vivement, et nous n'avons pas manqué d'exprimer nos inquiétudes. Mais nous avons décidé pour l'instant d'attendre pour voir la suite des événements.

La présidente : J'espère que vous profitez de cette période d'attente pour envisager différents scénarios en vue d'une intervention plus vigoureuse de la communauté internationale.

Mme Gregson : Il va de soi que nous conseillons les ministres au fil de l'évolution des choses.

La présidente : Merci d'avoir bien voulu nous rendre visite, malgré le très court préavis, pour faire le point avec nous sur cette situation à ce moment très crucial. J'estime extrêmement important que l'on comprenne bien, en Thaïlande et dans toute la région, que la violence n'est pas une option et qu'il faudra trouver des solutions politiques à ce conflit. La Thaïlande a toutes les capacités voulues. Elle regorge de ressources naturelles et humaines qui devraient lui permettre de prendre des décisions mieux adaptées à la réalité moderne. Nous espérons pouvoir toujours compter sur les avis éclairés du ministère des Affaires étrangères pour suivre ce dossier. Merci de votre comparution.

(La séance est levée.)


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