Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et du commerce international
Fascicule 16 - Témoignages du 2 octobre 2014
OTTAWA, le jeudi 2 octobre 2014
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd'hui, à 10 h 34, pour étudier le potentiel d'accroissement du commerce et de l'investissement entre le Canada, les États-Unis et le Mexique, y compris dans les secteurs de croissance clés des ressources, de la fabrication et des services; les mesures fédérales nécessaires à la réalisation des possibilités cernées dans ces secteurs clés; les possibilités d'intensifier la collaboration au niveau trilatéral.
La sénatrice A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Honorables sénateurs, le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit ce matin pour poursuivre son étude du potentiel d'accroissement du commerce et de l'investissement entre le Canada, les États-Unis et le Mexique, y compris dans les secteurs de croissance clés des ressources, de la fabrication et des services; des mesures fédérales nécessaires à la réalisation des possibilités cernées dans ces secteurs clés; et des possibilités d'intensifier la collaboration au niveau trilatéral.
Nous accueillons aujourd'hui Mme Laura Macdonald, directrice de l'Institut d'économie politique à l'Université Carleton; ainsi que Mme Monica Gattinger, présidente du Collaboratoire de recherches et politiques énergétiques, professeure agrégée, École d'études politiques, Université d'Ottawa. Je comprends qu'on a réuni ici les mots « collaboration » et « laboratoire »; c'est un titre intéressant.
Soyez les bienvenues. Nous allons vous entendre dans l'ordre où je vous ai présentées, après quoi nous passerons aux questions des sénateurs. Le greffier vous a informées des sujets à l'étude. Je vais maintenant céder la parole à Mme Macdonald pour qu'elle nous présente sa déclaration préliminaire.
Laura Macdonald, directrice, Institut d'économie politique, Université Carleton, à titre personnel : Merci beaucoup. Je suis heureuse d'être ici aujourd'hui pour vous parler des relations nord-américaines et de nos liens en matière de commerce et d'investissement avec les États-Unis et le Mexique.
Je ne suis ni économiste ni représentante d'une organisation d'entreprises; je suis politicologue, et c'est à ce titre que je m'adresserai à vous aujourd'hui. Je me penche sur les relations nord-américaines depuis l'époque des discussions sur l'ALENA; j'ai donc une longue expérience de cette question. J'ai publié un livre sur les problèmes de coopération en Amérique du Nord depuis le PSP et j'ai beaucoup mis l'accent sur le rôle du Mexique en Amérique du Nord.
Mes recherches actuelles portent sur la relation bilatérale entre le Canada et le Mexique dans le contexte de l'ALENA et elles sont plus particulièrement axées sur les questions liées à la migration et aux droits de la personne. Parallèlement, je me penche aussi sur les politiques et mesures sociales qui sont mises en place au Mexique, en particulier au niveau infranational, pour réduire les taux de criminalité et de violence dans ce pays, plus particulièrement dans la ville de Mexico. Je souhaite communiquer aux membres du comité mes connaissances sur la politique mexicaine et leur faire part de certaines réflexions au sujet des conséquences sur les relations nord-américaines des changements qui ont lieu au Mexique. Je fais aussi partie du partenariat de recherche Borders in Globalization, dont Chris Sands a parlé la semaine dernière dans son témoignage.
À titre d'information, je précise que le Mexique se classe au troisième rang des partenaires commerciaux du Canada et qu'il est qualifié, dans le Plan d'action sur les marchés mondiaux du gouvernement, de « marché émergent où le Canada a des intérêts généraux ». Quand le PAMM, comme je l'appellerai, a été annoncé, le ministre du Commerce international, Ed Fast, a déclaré que toutes les ressources diplomatiques du Canada seraient consacrées à l'accroissement des échanges commerciaux avec ces marchés prioritaires. Je dirais toutefois que la relation avec le Mexique, qui est selon moi le plus important de ces marchés prioritaires pour le Canada, a été grandement négligée, et certains aspects ont été mal gérés. En conséquence, la rencontre bilatérale de l'an dernier avec le président Peña Nieto a été pour le moins glaciale, et sa visite, prévue en juin, a été annulée à la suite de la controverse entourant l'imposition de l'obligation de visa.
Je dirais qu'en général, il me semble improbable que le Canada réussisse à resserrer ses liens avec d'autres marchés émergents, en particulier ceux de l'Amérique latine, s'il ne peut pas établir de bonnes relations avec le Mexique. D'autres pays suivent la situation de près, et les questions liées à la migration sont particulièrement délicates pour la plupart de ces pays.
Par contre, les présidents Obama et Peña Nieto se sont entendus pour établir un dialogue de haut niveau sur l'économie. Ce DHNE, qui sera dirigé par le Cabinet, est considéré comme une plate-forme souple destinée à faire progresser les priorités stratégiques économiques et commerciales. Je pense que nous avons du chemin à faire pour rattraper nos voisins américains en ce qui concerne cette relation, quels qu'en soient les effets. Évidemment, il y a aussi des tensions dans le cadre de cette relation.
La première chose que je proposerais pour améliorer la situation, c'est de tenter de ramener le Mexique dans la relation nord-américaine, peut-être d'une nouvelle façon. Comme vous le savez, le Partenariat nord-américain pour la sécurité et la prospérité, en place de 2005 à 2008, a pris fin en partie parce qu'il était sans doute trop ambitieux, mais au moins, il visait à établir des approches trilatérales à l'égard d'enjeux communs liés à l'économie et à la sécurité. Depuis, le Canada et les États-Unis ont fait beaucoup de progrès sur un volet bilatéral, alors que les États-Unis et le Mexique ont progressé sur un autre volet. Le Canada et le Mexique ont quelques initiatives communes, mais elles sont plutôt limitées; je crois donc qu'il est temps pour nous de trouver des façons de reprendre les négociations à trois, en traitant peut-être les enjeux au cas par cas et selon une portée moins ambitieuse.
J'aimerais vous rappeler rapidement que deux institutions ont été mises en place lors des négociations de l'ALENA : la Commission nord-américaine de coopération dans le domaine du travail et la Commission nord-américaine de coopération environnementale. Ces organisations étaient gravement sous-financées. Le secrétariat de la Commission nord-américaine de coopération dans le domaine du travail a été fermé en 2010. La Commission nord-américaine de coopération environnementale bénéficiait d'un meilleur financement et d'un meilleur appui politique, et elle est toujours là. Son administration centrale est située à Montréal. Elle a grandement contribué à favoriser la coopération entre les pays sur des enjeux communs relatifs à l'environnement, mais elle aurait besoin de plus de soutien. Elle en fait beaucoup avec très peu de moyens. Je pense que le gouvernement canadien pourrait envisager la revitalisation de ces formes de coopération.
Je voudrais parler de la question du visa mexicain. L'imposition soudaine de l'obligation de visa a été un sujet de discorde important dans les relations entre le Canada et le Mexique. Des changements ont été apportés au système canadien d'octroi de l'asile, et le ministre de l'Immigration a placé le Mexique sur la liste des pays d'origine sûrs. Il est donc très difficile pour les citoyens mexicains de revendiquer le statut de réfugié. En conséquence, le nombre de demandeurs d'asile mexicains a considérablement diminué. Chose intéressante, le fait qu'on a levé l'obligation de visa pour les citoyens de la République tchèque et maintenu celle pour les citoyens du Mexique a également contribué à aggraver la situation. En général, le gouvernement n'a pas su comprendre à quel point cette question était délicate et importante pour les Mexicains et à quel point ils prendraient cette mesure du Canada au sérieux. Je peux vous dire que lorsqu'on est en voyage au Mexique, si on mentionne qu'on est Canadien, la question du visa fait surface.
Parmi les Mexicains susceptibles de voyager au Canada, le nombre de touristes a considérablement diminué, ce qui a des effets sur l'économie. Plus de 1,6 million de Canadiens visitent le Mexique chaque année. Le nombre de Mexicains en visite au Canada a atteint 257 000 en 2008, avant l'imposition de l'obligation de visa. Le nombre de touristes a chuté de 55 p. 100 l'année suivante, mais je pense que la situation s'est un peu améliorée depuis ce temps. Cela a une incidence économique importante sur l'industrie touristique au Canada. Comme des gens d'affaires l'ont mentionné la semaine dernière, cela nuit également aux relations en matière de commerce et d'investissement entre les deux pays. Si les gens d'affaires mexicains croient qu'il leur sera difficile d'entrer au Canada, ils seront plus portés à aller aux États-Unis, où les exigences relatives aux visas sont moins strictes. Même si un visa est requis, il est moins difficile et coûteux de l'obtenir.
Il est également intéressant de noter que la justification liée à l'imposition a changé au fil du temps. Au départ, il était apparemment question des demandeurs d'asile, à ce qu'on nous a dit, mais actuellement, on ne sait pas trop pourquoi le Canada n'a pas levé l'obligation de visa. Il faudrait peut-être examiner cela, mais il semble que ce soit lié à des questions de sécurité. Je suis d'accord avec le dernier témoin que vous avez entendu, qui a dit douter que l'imposition de l'obligation de visa nuise considérablement au commerce des chefs de cartels, car ces personnes savent contourner les obstacles, alors que les voyageurs licites ont de la difficulté à le faire.
J'ajouterais que l'idée d'inscrire le Mexique sur une liste de pays sûrs, avec la Norvège, la Suède et le Royaume-Uni, par exemple, semble quelque peu étrange comme solution à ce problème; et ce n'était pas une solution, puisque cela n'a pas mené à l'abolition des exigences en matière de visas. Nous savons que plus de 70 000 personnes ont été tuées au Mexique depuis huit ans environ, et que certains Mexicains ont de véritables raisons de craindre la persécution et même la mort. Les journalistes, par exemple, sont très souvent ciblés, et les défenseurs des droits de la personne ont parfois besoin de quitter le pays pour assurer leur sécurité. Le Canada ne leur offre pas de très bonnes options.
Il est important de renforcer notre relation avec le Mexique, mais nous ne devrions pas négliger certains problèmes auxquels le Mexique est confronté, et dont je veux vous parler.
D'abord, la plupart des analystes diraient que le Mexique n'a pas très bien réussi au chapitre de l'ALENA, ou pas autant que prévu. Son taux de croissance économique n'a pas été particulièrement impressionnant comparativement à celui d'autres pays de l'Amérique latine. Le Mexique est le pays d'Amérique latine qui a été le plus durement touché depuis 2008; il enregistre une croissance négative du PIB de -6,2 p. 100 depuis 2009. Sa situation s'améliore un peu, mais il subit les conséquences, tout comme nous, de la croissance lente aux États-Unis.
De plus, le niveau de pauvreté reste élevé. Il a considérablement augmenté après la crise économique et a ensuite diminué un peu en termes relatifs, mais en termes absolus, le nombre de Mexicains vivant dans la pauvreté est à la hausse.
Le président Peña Nieto a entrepris des réformes importantes, dont une réforme fiscale réellement nécessaire, puisque le Mexique figure au deuxième rang des pires pays d'Amérique latine pour ce qui est de la perception des recettes fiscales. Seul le Guatemala a des impôts plus faibles parmi les pays des Amériques, je crois.
Il y a également d'importantes réformes du système d'éducation, mais les droits de la personne demeurent une grande source de préoccupations dans le pays. Amnistie Internationale a récemment publié un rapport concernant de nombreux cas de torture. Il existe d'autres préoccupations importantes qu'il est important de surveiller.
Le Canada offrait un petit programme, au sud du Mexique, qui permettait de former les juges et les avocats sur la façon de fonctionner au sein de leur nouveau système judiciaire, qui est un système de procès oraux. Au cours des dernières années, des réformes intéressantes ont été effectuées au sein du système juridique et judiciaire, mais il faut beaucoup de temps pour passer d'un système judiciaire à l'autre, et un soutien est nécessaire. Il s'agissait d'un programme positif qui permettait d'aider le Mexique à affronter les défis auxquels il est confronté sur le plan juridique et sur le plan des droits de la personne, mais le programme a pris fin l'an dernier, je crois. À ma connaissance, il n'y a pas d'autre programme semblable.
Le Canada pourrait en faire beaucoup plus, compte tenu de l'importance du Mexique pour notre pays sur le plan touristique, et ce, d'un point de vue économique, social et culturel. Les Canadiens sont nombreux à se rendre au Mexique et ils aiment ce pays. Il nous faut trouver d'autres façons d'offrir notre aide relativement aux réformes en matière de droits de la personne.
Pour terminer, j'aimerais aborder la question de la coopération universitaire. Je travaille depuis des années avec des collègues mexicains. Dans le passé, j'ai géré trois subventions pour le programme de mobilité nord-américaine qui servaient à envoyer des étudiants aux États-Unis, au Mexique et au Canada. Ces programmes ont été supprimés, d'abord par Obama, et non par le Canada. En mai 2013, les présidents Obama et Peña Nieto ont annoncé la création d'un forum bilatéral États-Unis-Mexique sur l'enseignement supérieur, l'innovation et la recherche afin de multiplier les possibilités d'échanges éducatifs, de recherches, de partenariats et d'innovation transfrontalière dans le but d'aider les deux pays. Les États-Unis et le Mexique s'échangent de nombreux étudiants. Je ne sais pas combien d'étudiants du Canada vont étudier au Mexique, mais je pense qu'ils sont peu nombreux. C'est là un autre domaine que nous pourrions soutenir afin que les populations des deux pays se connaissent mieux et soient mieux en mesure de coopérer à l'avenir au chapitre du commerce, de l'investissement, de l'art, de la culture, et cetera.
[Français]
Monica Gattinger, présidente, Collaboratoire de recherches et politiques énergétiques, professeure agrégée, École d'études politiques, Université d'Ottawa, à titre personnel : Merci beaucoup. J'aimerais d'abord remercier le comité de m'avoir accueillie si chaleureusement aujourd'hui. J'apprécie énormément cette occasion de discuter avec vous aujourd'hui de l'étude qui est en cours.
[Traduction]
Je ferai ma déclaration principalement en anglais, surtout parce que j'effectue mes travaux sur l'énergie dans cette langue. Dans ce domaine, je réfléchis en anglais.
[Français]
Mais si jamais il y a des questions en français, il me fera plaisir de vous répondre dans votre langue.
[Traduction]
Je vais d'abord vous parler un peu de mon expérience, très rapidement : je possède une formation multidisciplinaire dans les domaines des affaires, de l'administration publique, des sciences politiques et de l'économie. Je trouve que c'est un ensemble de perspectives relativement utile pour examiner les questions énergétiques en Amérique du Nord.
Comme la présidente l'a mentionné, je suis présidente du Collaboratoire de recherches et politiques énergétiques.
[Français]
Et vous avez bien raison, l'idée, ici, est de mettre ensemble les mots « collaboration » et « laboratoire ».
[Traduction]
Le collaboratoire a pour mandat de renforcer la capacité de recherches et de politiques énergétiques sur les enjeux énergétiques fondamentaux en Amérique du Nord. À ma connaissance, nous sommes la seule organisation de ce genre en Amérique du Nord qui concentre ses efforts sur les enjeux énergétiques, mais dans une perspective nord-américaine. Je vais vous parler aujourd'hui de nos points de vue et de nos idées.
Comme je l'ai dit, je me réjouis de voir le comité entreprendre cette étude. Je pense que c'est extrêmement important, et mes observations seront axées sur un secteur important des ressources, soit le secteur énergétique.
Je vais commencer par dire quelques mots au sujet de l'énergie et de l'élaboration de politiques énergétiques. Je vous parlerai du secteur énergétique nord-américain, qui est au cœur d'une transformation fondamentale, dont M. Plourde vous a sans doute parlé hier. Je vous proposerai ensuite des idées sur la façon dont le gouvernement pourrait soutenir le secteur énergétique en Amérique du Nord.
D'abord, au sujet de l'importance de l'énergie, je dirais que l'énergie est un secteur des ressources différent de tous les autres. C'est un secteur en soi, sur le plan de l'activité économique et de la croissance de l'industrie, mais il contribue aussi de façon importante à la compétitivité, à la qualité de vie et au niveau de vie. Selon moi, il mérite qu'on lui accorde une attention particulière dans les délibérations du comité sur les secteurs clés des ressources. Dans une économie mondiale de plus en plus concurrentielle et régionalisée, il est essentiel d'avoir un système énergétique efficace, fiable, abordable, sûr et durable.
À partir de ce constat, j'exhorte le comité à ne pas limiter ses délibérations, s'agissant de ce secteur particulier de ressources, aux échanges et aux flux d'investissements transfrontières. Certes, il est important de savoir combien de molécules d'hydrocarbures et d'électrons traversent la frontière; mais étant donné l'importance de l'énergie pour la compétitivité, ainsi que pour la qualité et le niveau de vie, il est très important de penser au type d'architecture et de plateforme énergétiques que nous avons en Amérique du Nord pour pouvoir établir celles qui répondront le mieux aux besoins environnementaux, économiques et sociétaux des Nord-Américains. Mais je reviendrai sur le sujet ultérieurement.
Il est très important à mes yeux de bien faire les choses. Nous devons nous poser des questions fondamentales sur les sources d'énergie, la main-d'œuvre, les changements climatiques ainsi que sur les meilleurs moyens de développer les ressources énergétiques de l'Amérique du Nord dans leur ensemble, au profit de toutes les populations.
J'aimerais souligner l'importance de bien faire les choses.
Lorsqu'on parle d'énergie, les décisions concernant les infrastructures représentent, comme vous le savez, des milliards de dollars avec des immobilisations dont la durée de vie est extrêmement longue. Les décisions que nous prenons aujourd'hui nous lieront pendant des décennies. Inversement, l'absence de décision prise à propos des infrastructures présente une série unique de défis. On peut certainement voir que les possibilités qui se présentent dans des secteurs énergétiques clés diminuent dans le meilleur des cas ou peut-être même disparaissent.
À l'instar de Laura, cela fait plus de 15 ans que j'étudie les politiques énergétiques dans le domaine qui m'intéresse et je constate qu'au fil du temps, les décisions à prendre en la matière sont de plus en plus complexes. Je n'aimerais pas être aujourd'hui un décideur, qui doit désormais faire face à des impératifs de plus en plus nombreux.
À mon avis, les gouvernements sont à la recherche du Saint Graal de la politique énergétique dont les quatre impératifs clés se trouveraient en équilibre. L'un de ces impératifs, ce sont bien sûr les marchés dont le fonctionnement doit être concurrentiel, efficace, à prix abordable, et cetera.
Deuxièmement, nous constatons depuis au moins 15 ans que les enjeux environnementaux sont de plus en plus intégrés aux politiques énergétiques. En effet, l'exploration, la production, la transmission, la distribution et la consommation d'énergie ont certainement des conséquences avec lesquelles les décideurs doivent composer.
Nous avons également des impératifs de sécurité qui ne concernent pas uniquement les approvisionnements. Il s'agit, comme nous le savons, surtout après le 11 septembre, de la sécurité des infrastructures vitales, qu'il s'agisse de l'infrastructure massive ou de la cybersécurité.
Outre les marchés, l'environnement et la sécurité, il y a aujourd'hui un autre impératif qui présente un défi de plus en plus difficile à relever pour les gouvernements et l'industrie, celui qui consiste à susciter l'adhésion sociale au développement énergétique. Il est particulièrement aigu lorsqu'il s'agit des hydrocarbures, mais il concerne aussi les énergies renouvelables.
La nature de l'opposition politique au développement énergétique est en train de prendre beaucoup d'ampleur. On est passé du syndrome classique « Pas dans ma cour » à des oppositions de principe beaucoup plus larges que reflètent bien des slogans du genre « Ne construisez rien nulle part près de quoi que ce soit » et, celui-ci, qui rend la problématique encore plus intéressante « Pas sur la planète Terre ». Que peuvent faire les décideurs? Que peuvent faire les promoteurs industriels?
Dans quel contexte les gouvernements vont-ils gérer les quatre impératifs que sont le marché, l'environnement, la sécurité et l'acceptation sociale? Dans un contexte de désordre et de désarroi — je pense à l'analogie de l'adolescent et de sa chambre dans laquelle on a peur d'entrer — ou dans le contexte du mess militaire où les gens se regroupent pour partager leurs besoins, dans un souci de coordination et de collaboration. J'y reviendrai.
Parallèlement, les décideurs travaillent dans un contexte de plus en plus complexe et difficile, où l'on constate une transformation fondamentale de la sphère énergétique nord-américaine. Cette transformation est caractérisée par deux composantes clés, dont la première concerne l'élément commercial des quatre impératifs susmentionnés.
Nous avons la révolution du schiste dont le professeur Plourde vous a certainement parlé hier. La production accrue des gaz de schiste et de pétrole de réservoirs étanches aux États-Unis, mais de plus en plus ailleurs en Amérique du Nord, transforme le tableau énergétique. Il ne faut pas oublier que cette transformation a été largement imprévue. Il y a à peine cinq ou sept ans, nous aurions parlé des terminaux d'importation de gaz naturel liquéfié qu'il fallait construire en Amérique du Nord en raison des pénuries de gaz naturel auxquelles on faisait face à l'époque. Or, on dit aujourd'hui que les États-Unis devraient devenir rapidement — même dès l'an prochain si les dernières projections s'avèrent exactes — un exportateur net de gaz naturel liquéfié. C'est une transformation fondamentale dans une période aussi courte. S'agissant des hydrocarbures, nous sommes passés d'une situation de rareté à une situation d'abondance aux États-Unis et de façon plus générale en Amérique du Nord. Pour accélérer mon exposé, je citerai des statistiques plus tard, peut-être pendant le débat.
Cette évolution a des conséquences économiques énormes, non seulement dans le secteur de l'énergie même, mais par rapport à l'atout qu'il représente pour la compétitivité, ainsi que pour la qualité et le niveau de vie. La baisse des prix du gaz naturel fait revivre des secteurs industriels qui étaient en déclin aux États-Unis, par exemple les secteurs de l'acier et de la pétrochimie. Une véritable transformation s'opère dans le secteur de l'électricité, des montants énormes de combustibles provenant désormais du gaz naturel plutôt que du charbon. Cela présente certains avantages pour les émissions de gaz à effet de serre, mais cela crée aussi énormément d'incertitude sur les marchés.
Il y a un grand débat sur les conséquences que cette évolution pourrait avoir sur les relations canado-américaines. Le Canada commence à remettre en question la taille et la viabilité des marchés américains susceptibles de faire appel à notre énergie. C'est peut-être moins vrai dans le cas du pétrole, mais c'est certain dans celui du gaz naturel et là encore, je pourrais vous donner des statistiques, mais je ne le ferai pas pour aller plus vite.
Nous constatons en Amérique du Nord une véritable réorientation des flux et des infrastructures énergétiques. Il faudrait revenir aux années 1950 pour voir d'aussi nombreux projets de pipeline en cours de construction ou en attente d'approbation de la part des responsables de la réglementation. Il y a donc une énorme réorientation des flux énergétiques en Amérique du Nord.
Au même moment, nous assistons à la seconde transformation de la scène nord-américaine par rapport à la politique énergétique. Tout cela tourne autour de l'acceptation sociale et de l'adhésion du public. En effet, les débats politiques en la matière sont de plus en plus longs, féroces et polémiques. Il suffit pour s'en convaincre de lire presque tous les jours les articles de journaux qui en font état.
[Français]
Un sénateur : (Intervention inaudible)
Mme Gattinger : Absolument. Il y a plusieurs projets vis-à-vis desquels on constate une opposition vraiment marquée et très polémique.
[Traduction]
Les défis et certains des risques qui en découlent sont associés aux montants d'argent et au temps qui sont consacrés aux projets. Dans le cas de Keystone XL, le président de TransCanada faisait tout récemment état du doublement des coûts du projet, essentiellement pour faire face aux enjeux liés à l'acceptation sociale et à l'adhésion du public.
Alors quoi faire? Comment, si vous me permettez l'image, nettoyer le gâchis énergétique de l'Amérique du Nord? Je crois que la chose la plus importante face à ces enjeux est, premièrement, de reconnaître que l'ancienne époque du développement énergétique est derrière nous. C'est fini le temps où ce n'était qu'une simple formalité que de faire approuver un projet énergétique par un organisme de réglementation, selon un processus fondé sur l'expertise. Comme nous l'avons constaté, la légitimité de ces processus fondés sur l'expertise est aujourd'hui remise en question par ceux qui s'opposent au développement énergétique.
J'en viens alors au rôle que les gouvernements doivent jouer et qui est déterminant. Servir de meneur de claque pour appuyer des projets énergétiques ne suffit plus. J'aimerais souligner encore une fois que, dans le contexte de l'Amérique du Nord, il est très important d'envisager les enjeux au-delà d'une simple perspective commerciale, qui nous amène trop souvent à des solutions à somme nulle. Nous devons aussi dépasser le débat entourant des projets particuliers — qui suscitent aujourd'hui beaucoup de politique — pour nous pencher de façon plus générale sur l'architecture énergétique de l'Amérique du Nord.
Ces dernières années en Amérique du Nord, nous constatons, dans le secteur de l'énergie, un préjugé contre la collaboration qui s'explique de diverses façons. Je pense d'ailleurs que Laura en a parlé. Ce n'est pas que les gouvernements ne collaborent pas entre eux. Il y a eu par exemple le Dialogue sur l'énergie propre entre le Canada et les États-Unis. Le secrétaire d'État américain à l'Énergie, Ernest Moniz, était à Ottawa il y a quelques semaines et un protocole d'entente a été signé par les gouvernements canadiens et américains. Toutes ces initiatives sont certainement précieuses, mais j'exhorterais le comité à recommander d'aller beaucoup plus loin dans le débat énergétique nord- américain.
Nous avons besoin d'un appui aux plus hauts niveaux pour amener les responsables à discuter des enjeux d'ordre technique, réglementaire et stratégique, mais de façon encore plus large. Il faut remonter au début des années 2000 pour voir des discussions trilatérales véritables, au sein du Groupe de travail nord-américain sur l'énergie. J'aimerais convaincre le comité de plaider en faveur d'un nouveau groupe de ce genre renforcé, qui se pencherait sur les priorités.
La première consisterait à brosser un nouveau tableau énergétique de l'Amérique du Nord. Le dernier remonte à 2006 et les marchés énergétiques ont évolué depuis. Nous devons avoir une bien meilleure idée de ce à quoi ressemble le secteur de l'énergie aujourd'hui.
Le Groupe de travail nord-américain sur l'énergie a aussi préparé des documents d'analyse prospective, qui présentent une vision de l'avenir énergétique dans la région. J'exhorte à nouveau le comité à réfléchir aux possibilités qu'offre cette orientation, mais je mobiliserais, non seulement les représentants gouvernementaux, mais aussi ceux de l'industrie, de la société civile et, comme le professeur Macdonald l'indiquait, des universités.
Je termine par une idée que j'aimerais proposer au comité. Les ministres de l'Énergie de l'Amérique du Nord se rencontreront au cours des prochains mois. Je propose donc humblement au comité d'envisager la possibilité de créer un conseil nord-américain de l'énergie qui regrouperait des représentants des gouvernements, de l'industrie, de la société civile et des universités. Il commencerait par débattre de ce que pourrait être l'avenir énergétique, des divers scénarios à envisager, et aller au-delà de l'examen de projets particuliers pour étudier la situation dans son ensemble. Voilà, à mon avis, le type de débat que nous devons entreprendre dans la conjoncture afin de déterminer les principales possibilités qui s'offrent à nous et les moyens d'y donner suite.
La présidente : Merci, vous avez traité de nombreux sujets litigieux, mais intéressants.
[Français]
La sénatrice Fortin-Duplessis : Mesdames, je vous félicite toutes deux pour la qualité de vos présentations et aussi pour l'enthousiasme avec lequel vous avez exposé les sujets de vos travaux; on peut voir que vous les aimez beaucoup.
En tout premier lieu, ma question s'adresse à Mme Macdonald. Vous venez toutes les deux de l'Université Carleton, et je crois que, pour votre université, les relations entre le Canada et le Mexique sont très importantes, puisque vous avez organisé un séminaire qui portait sur l'histoire, les défis et les organisations d'affaires entre nos deux pays. Alors, je voudrais vous demander, madame Macdonald, si, depuis les attentats du 11 septembre 2001 qui ont conféré une importance accrue à la sécurité, vous avez observé une incidence négative sur le commerce entre les États-Unis et le Mexique, entre les États-Unis et le Canada, et entre le Canada et le Mexique.
[Traduction]
Mme Macdonald : Vous vous demandez donc ce qui s'est passé depuis le 11 septembre, n'est-ce pas?
[Français]
La sénatrice Fortin-Duplessis : Oui, à cause, justement, des mesures mises en place pour accroître la sécurité.
[Traduction]
Mme Macdonald : Oui, tout à fait, il y a eu d'importantes conséquences pour le commerce entre, je dirais, surtout le Canada et les États-Unis, et les États-Unis et le Mexique. Je ne crois pas que la situation ait été aussi problématique entre le Canada et le Mexique, qui ne partagent pas de frontières, mais dans les deux pays, les échanges ont beaucoup pâti.
À la suite de ces mesures de sécurité, le Mexique, en plus de ses préoccupations évidentes à propos du terrorisme, fait face à d'autres obstacles liés aux migrations clandestines. Ces craintes ont donc augmenté en même temps que celles liées au terrorisme.
Le gouverneur du Texas aurait affirmé récemment qu'il y a des militants de l'EIIL qui viennent du Mexique, tout comme après les événements du 11 septembre, on disait qu'il y avait des membres d'Al-Qaïda au Mexique. Le terrorisme n'a jamais suscité de craintes au Mexique, mais les politiciens ont tendance à brandir une vague menace de terrorisme pour renforcer les contrôles à la frontière.
À la frontière américano-mexicaine, il y a pas mal d'hostilité dans la population américaine envers les Mexicains qui traversent la frontière. Je ne connais pas aussi bien la situation à la frontière canado-américaine, mais pour le Mexique, la situation a mis un frein à la coopération transfrontière en général, et pas seulement par rapport à la circulation des camions, mais concernant d'autres priorités plus importantes en vue d'une plus grande coopération transfrontière.
[Français]
La sénatrice Fortin-Duplessis : Je tiens à apporter une rectification : je pensais que vous veniez de l'Université Carleton, mais il s'agit de l'Université d'Ottawa; veuillez m'excuser de m'être trompée, madame Gattinger.
Ma deuxième question s'adresse à Mme Gattinger. Madame, vous rédigez présentement un livre sur les relations canado-américaines en matière d'énergie et de changements climatiques depuis 1980. C'est bien l'objet de votre recherche?
Mme Gattinger : Oui.
La sénatrice Fortin-Duplessis : Vous possédez une vaste expérience en ce qui a trait aux politiques publiques transfrontalières liées au secteur de l'énergie. En écrivant votre livre, depuis ce temps, avez-vous vu une amélioration ou une détérioration en ce qui concerne le secteur de l'énergie?
Mme Gattinger : D'abord, merci pour la rectification. Si vous me le permettez, madame la présidente, je voudrais une clarification : vous parlez d'une amélioration des relations en termes de commerce et d'investissement?
La sénatrice Fortin-Duplessis : Surtout dans le cadre du secteur de l'énergie, avez-vous constaté une détérioration en ce qui concerne les gaz à effet de serre? Je ne sais pas de quelle façon vous l'abordez dans votre livre.
Mme Gattinger : Je l'aborderais, en fait, de deux façons; d'abord, en termes d'investissements et de commerce extérieur. À ce niveau-là, on a certainement constaté une augmentation nette des échanges, surtout entre le Canada et les États-Unis, et surtout en matière de pétrole.
Pour ce qui est du gaz naturel, largement à cause de la révolution du gaz de schiste, on voit de plus en plus une diminution de l'exportation du gaz naturel du Canada vers les États-Unis.
Par rapport aux attentats du 11 septembre, l'une des choses qui caractérisent le secteur énergétique, c'est que les mouvements transfrontaliers se font surtout par des pipelines ou des lignes à très haute tension dans le domaine de l'électricité.
En ce qui concerne la sécurité, les questions se posent différemment. Je dirais que les deux pays, surtout dans le domaine de l'électricité, ont collaboré de très près pour s'assurer, justement, de la protection de cette infrastructure, que ce soit sur le plan, comme on dit en anglais, de la « hard infrastructure » ou de la cybersécurité. Voilà ce qui en est en matière de commerce.
Au niveau politique, et là, on peut ouvrir la discussion sur les changements climatiques, je pense qu'on a vu entre les deux pays, à certains moments, une espèce de « mauvais timing ». L'intérêt des États-Unis, par exemple pour des initiatives dans ce domaine, n'est peut-être pas de même nature ou au même niveau que celui du Canada. Il est clair que, dans certains cas, concernant les relations canado-américaines en matière d'énergie, dans la mesure où le gouvernement actuel aux États-Unis semble prendre très au sérieux les changements climatiques — et je peux en attester après avoir écouté le secrétaire d'État à l'Énergie, M. Moniz, au cours des dernières semaines; les États-Unis prennent cela vraiment au sérieux —, pour le Canada, cela soulève évidemment des questions quant à la nature et au niveau de son engagement face aux changements climatiques, qu'il s'agisse de l'administration fédérale, provinciale ou municipale.
[Traduction]
La sénatrice Johnson : Bonjour et merci de vos excellents exposés, qui apportent une grande contribution à notre débat.
Par rapport à vos domaines d'intérêt que sont les droits de la personne, la citoyenneté sociale, l'immigration et la sécurité dans le contexte nord-américain, madame Macdonald, vous savez que cet été, il y a eu à la frontière américano-mexicaine et plus particulièrement au Texas, une arrivée massive d'enfants d'Amérique centrale, dont bon nombre n'étaient pas accompagnés par des parents ou des tuteurs, mais par des passeurs. La violence incontrôlée dans leur pays d'origine serait l'une des raisons pour lesquelles les parents les envoient vers les États-Unis, en vue d'une vie meilleure.
En tant que voisins et partenaires nord-américains, qu'est-ce que le Canada pourrait faire, à votre avis, pour aider des pays tels que le Honduras, le Guatemala et le Salvador à améliorer la sécurité de leur population? Et peut-on, de façon trilatérale, faire face à de telles crises?
Mme Macdonald : C'est une grande question qui, à elle seule, pourrait faire l'objet d'audiences. C'est à une immense tragédie que nous avons assisté à la frontière américano-mexicaine. Et les Canadiens n'en ont pas entendu parler autant que les Américains. Ces derniers sont extrêmement conscients de la crise et beaucoup ont été émus du sort de ces enfants arrivant seuls à la frontière. Cela met en lumière la nécessité de réfléchir à ces enjeux de façon régionale. L'Amérique du Nord ne s'arrête pas à la frontière entre le Mexique et le Guatemala. Il faut voir ce qui se passe au-delà de cette frontière et pas seulement par rapport aux contrôles, mais aussi par rapport aux moyens d'améliorer la sécurité dans les pays d'Amérique centrale.
On entend beaucoup parler du Mexique, mais le Honduras et le Guatemala sont des pays beaucoup plus dangereux et connaissent depuis des années de graves crises économiques, sociales et sécuritaires qui se sont encore aggravées ces dernières années.
Je pense que le Canada pourrait faire beaucoup plus pour contribuer à réduire la violence dans ces pays. Comme je l'ai dit, j'ai examiné les niveaux de violence et les méthodes utilisées dans les localités au Mexique qui ont semblé être assez fructueuses, et je pense qu'il y a là des leçons à tirer.
Ce qui n'a pas fonctionné au Mexique, c'est une approche militaire adoptée sous l'ancien président, le président Calderón, qui a fait descendre l'armée dans les rues et a commencé à tirer sur les gens. C'était une intervention catastrophique. Les militaires se sont mis à tuer les chefs de cartels, ce qui a fait augmenter la concurrence entre les cartels. Ce qui semblait mieux fonctionner, c'est d'adopter une approche en matière de sécurité plus humaine, axée sur la formation des agents de police et des militaires sur les droits de la personne, mais aussi d'offrir des droits sociaux aux gens dans les localités, d'essayer de renforcer le capital humain pour que les gens aient un sentiment d'appartenance à leur société, de renforcer la capacité des États plutôt que de les considérer comme étant l'ennemi, dans le cadre de la menace à laquelle ils sont confrontés. C'est très souvent le cas dans des pays comme le Honduras, plus particulièrement, où nous avons été témoins d'une escalade des violations des droits de la personne depuis le coup d'État.
Nous devons envisager la situation sous l'angle des régions. Il existe des solutions régionales pour réfléchir à ce problème, mais on craint que ces acteurs préfèrent une approche plus militaire, ce qui ne fonctionne clairement pas. Nous devons songer à des initiatives locales plus modestes qui prévoient également des mesures pour réduire les niveaux de pauvreté et l'inégalité dans ces pays.
Le sénateur Johnson : Comme vous l'avez dit, c'est presque une étude en soi, mais un problème grandissant.
Mme Macdonald : Je vous remercie de la question.
Le sénateur Johnson : Madame Gattinger, j'ai posé une question hier du professeur de l'Université Carleton concernant l'énergie et, bien entendu, vous avez dit que nous devrions travailler à la mise sur pied d'un groupe de travail nord-américain sur l'énergie. J'aimerais entendre ce que vous avez à dire à la question suivante : quelles sont nos chances de mettre sur pied une collaboration nord-américaine pour l'énergie et de réduire de façon trilatérale les émissions de gaz à effet de serre par la suite? Par ailleurs, comment cette collaboration cadrerait-elle avec le groupe de travail dont vous parlez?
Mme Gattinger : Étant de nature optimiste, je dirais que les chances sont bonnes. Cela dit, comme nous le savons, il y a plusieurs facteurs changeants à l'heure actuelle aux États-Unis au niveau politique, ce qui sera problématique à court terme.
Au Mexique, et je suppose que M. Plourde en a parlé hier, des réformes dans le secteur énergétique ont été entreprises. Je pense qu'il existe de réelles possibilités pour le Canada d'offrir du soutien technique au Mexique pour la mise en œuvre de ces réformes. C'est une chose d'avoir des lois qui dictent ce que l'on doit faire. C'est autre chose d'avoir au Mexique deux énormes monopoles de longue date dans les secteurs du pétrole et de l'électricité et de faire la transition vers un système libéralisé. Je pense donc qu'au Canada, d'autant plus que nous sommes aux prises avec des sociétés d'État dont les monopoles se sont élargis dans une certaine mesure dans le secteur de l'électricité, il existe de réelles possibilités.
Pour ce qui est des changements climatiques, je vois une collaboration accrue que je trouve très encourageante au niveau infranational. Nous voyons des choses intéressantes, que ce soit l'entente récemment conclue entre le Québec et la Californie, qui sont des partenaires naturels sur le plan géographique. On met toutefois de l'avant des systèmes de plafonnement et d'échange entre les deux administrations. Je pense qu'il serait clairement possible d'instaurer de tels systèmes.
La pratique à laquelle je reviendrais cependant, c'est d'examiner l'architecture du secteur de l'énergie en Amérique du Nord pour nous aider à aller de l'avant dans ces dossiers. Par exemple, dans le secteur de l'électricité, le Canada pourrait jouer un rôle de premier plan grâce à sa capacité hydroélectrique, ce que l'on sous-estime peut-être aux États- Unis. L'énergie hydroélectrique constitue un excellent filet de sécurité pour les énergies renouvelables qui, comme nous le savons, sont impossibles à acheminer à distance. Les énergies renouvelables sont produites lorsque le vent souffle ou le soleil brille. L'énergie hydroélectrique était un excellent filet de sécurité. Nous devons mieux explorer ces possibilités et réfléchir à comment nous pouvons collaborer pour élaborer un programme pour le secteur de l'énergie en Amérique du Nord et réduire les émissions des gaz à effet de serre.
Le sénateur Johnson : C'est excellent. Je vais certainement transmettre ce message à mes concitoyens du Manitoba, compte tenu de toute l'hydroélectricité que nous produisons. Merci.
Le sénateur D. Smith : En gros, j'ai l'impression que nous cherchons à accroître le commerce entre le Canada et le Mexique, ce que j'appuie.
J'ai une question pour Mme Macdonald. Vous avez piqué ma curiosité lorsque vous avez dit que vous avez notamment étudié la violence et la criminalité. J'ai posé une question à ce sujet à nos deux témoins d'hier. Dean Plourde a demandé à notre témoin de l'Arizona d'y répondre, car il n'était pas familier avec ces questions. En résumé, ce que le témoin Erik Lee a dit, c'est que c'est un problème réel. Des progrès étaient en quelque sorte accomplis à l'échelle nationale conjointement avec les services de police, mais au niveau de l'État et des localités, il y avait de réels problèmes, et on ne peut pas se fier à la primauté du droit dans la culture là-bas.
Ce que j'aimerais entendre, c'est que des progrès sont réalisés. J'ai cru comprendre que certains progrès ont été accomplis à l'échelle nationale, mais pas vraiment. Lorsque l'on soulève des problèmes tels que les exigences relatives aux visas notamment, ce qui est paradoxal ici, c'est qu'il y a 34 ans, alors que le Chili traversait une période difficile, le premier ministre Trudeau a envoyé deux jeunes sénateurs pour s'entretenir avec des représentants de 10 ambassades différentes, à l'exception de celle du Canada, pour découvrir si les informations qu'il recevait de notre ambassade étaient vraies compte tenu des exigences relatives aux visas. Il avait choisi le sénateur Dawson et moi. Nous étions tous les deux très jeunes.
Le sénateur Dawson : J'étais plus jeune.
Le sénateur D. Smith : Quoi qu'il en soit, je parle ici d'une culture qui respecte la primauté du droit. Des progrès ont- ils été réalisés en ce sens? Je vous invite à nous faire part de vos observations sur la grande question que j'ai soulevée, car je suis en faveur d'accroître le commerce, mais les exigences relatives aux visas sont un autre problème.
La présidente : J'espère que vous pouvez répondre assez succinctement, car j'ai une longue liste d'intervenants.
Mme Macdonald : J'aimerais moi aussi savoir si des progrès sont réalisés à cet égard, car je n'en suis pas certaine. Le Mexique a enregistré une réduction des taux d'homicides l'an dernier, mais d'autres types de crimes ont augmenté. Le président Peña Nieto a annoncé qu'il créerait une gendarmerie qui s'attaquerait à ces problèmes. Le nombre important d'organismes de sécurité constitue un gros problème au Mexique, car il y a un manque de coordination.
Comme on vous l'a dit hier, même si vous pouviez vous concentrer sur les services nationaux, il reste les forces policières infranationales, qui constituent un véritable problème. La gendarmerie était censée compter 20 000 membres. Elle en compte maintenant 5 000. Je ne sais pas si beaucoup de progrès sont accomplis. Par ailleurs, on nous informe que certains incidents alarmants sont survenus récemment. Il y a eu une fusillade dans un autobus d'enseignants d'un collège normal, d'un collège de formation en enseignement, où de nombreuses personnes ont perdu la vie, et 55 étudiants sont portés disparus depuis.
On nous a raconté toutes sortes d'histoires. C'est la pagaille. Je tiens à signaler que c'est localisé. Ce n'est pas dans tout le Mexique. Je ne dirais pas qu'il existe une culture de violence dans toutes les régions du Mexique. Il y a moins de violence que dans certains autres pays avec lesquels nous faisons des échanges commerciaux. Je ne suis pas certaine à quel point ils sont liés. Il existe un lien de façon globale, mais ce serait bien si le commerce permettait d'améliorer la situation des droits de la personne et les conditions de vie de tous les Mexicains. Je ne sais pas trop si le commerce permet de le faire de façon efficace jusqu'à présent.
Je ne suis pas certaine de répondre à votre question, mais c'est une question importante. C'est très compliqué. La Chine a également un mauvais système des droits de la personne, comme nous le savons. Si nous voulons faire des échanges dans le monde entier, nous devons apprendre à faire face à ces situations, à collaborer avec les pays et à trouver des moyens de contribuer à bâtir de meilleurs systèmes mondiaux de gouvernance et des droits de la personne.
Le sénateur D. Smith : Je n'irai pas plus loin, car je veux respecter votre demande, madame la présidente.
La présidente : Merci. Si nous avions une deuxième série de questions, vous pourriez intervenir à nouveau.
Le sénateur Housakos : Le message sous-jacent que les témoins nous communiquent jusqu'à présent, c'est que le Canada, au cours des 20 dernières années depuis l'adoption de l'ALENA, n'a pas tiré pleinement parti du potentiel que nous avons au Mexique. De toute évidence, si l'on examine les trois économies en Amérique du Nord, le Mexique est en voie de connaître une croissance fulgurante.
Inévitablement, on peut comprendre pourquoi la relation entre le Mexique et les États-Unis est si solide, compte tenu de leur proximité, des réseaux de distribution dont disposent les Américains et de leur énorme marché. De toute évidence, j'ai mentionné au témoin précédent les rapports serrés entre le peuple mexicain et le peuple américain. Il y a des dizaines de millions d'Américains d'origine mexicaine. Il y a des possibilités de créer des liens et des ponts. Comme je l'ai déjà dit, ce sont les gens qui font des affaires. Le Canada n'a bien entendu pas ces avantages naturels dont disposent les Américains.
Que peut-on faire pour surmonter ces désavantages liés à la distance, aux réseaux de distribution, à la taille du marché et aux rapports entre les peuples? Ce qui m'a frappé lors de mes déplacements en tant que sénateur et dans ma carrière précédente en tant qu'entrepreneur, c'est que les établissements d'enseignement supérieur canadiens — les universités, avec lesquelles vous travaillez tous les deux — semblent prendre des mesures suffisantes pour favoriser des échanges culturels et des échanges de professeurs et d'étudiants, et pas seulement avec les Mexicains mais partout dans le monde. Ce qui m'a également étonné, c'est que lorsqu'on se rend aux États-Unis et que l'on visite leurs universités, on apprend qu'un étudiant à la maîtrise ira étudier presque toujours à un moment donné au cours de son parcours universitaire en Europe, en Asie ou ailleurs pour faire des recherches et créer des expériences et des liens.
Ma question est longue, mais c'est essentiellement ce que j'aimerais savoir. J'aimerais entendre ce que vous avez à dire tous les deux.
Mme Macdonald : Merci de cette question. Je suis tout à fait d'accord. Parce que nous sommes désavantagés sur le plan de la distance, même si nous ne sommes pas si loin — c'est l'un de nos voisins en Amérique du Nord —, nous devons travailler plus fort pour nouer ces relations. Comme vous en conviendrez sans doute, je ne pense pas que nos systèmes éducatifs ont très bien servi les Canadiens à cet égard. Nos étudiants doivent apprendre l'espagnol. Je pense que, depuis de nombreuses années, il est beaucoup trop facile pour les entreprises canadiennes de faire des affaires aux États-Unis, puisque la plupart d'entre nous parlent l'anglais et sont en mesure de travailler là-bas plus facilement, mais le monde évolue et nous devons apprendre d'autres langues, que ce soit l'espagnol, le mandarin ou le japonais. Nous devons également trouver des moyens pour que le gouvernement puisse appuyer ce processus.
Si le doyen de mon université était intervenu à ce sujet hier, il aurait dit que nous sommes tous aux prises avec des compressions, ce qui fait que nous ne disposons pas des fonds nécessaires pour effectuer des échanges. Nous tentons tant bien que mal de trouver des moyens d'offrir des échanges à l'Université Carleton, et nous demandons au gouvernement mexicain de financer une partie de ces échanges alors que nous sommes un pays plus riche que le Mexique. Le Canada devrait faire plus pour financer les échanges éducatifs, et plus particulièrement avec le Mexique.
J'ajouterais que le Canada a eu dans le passé — même si nous sommes plus loin — une excellente réputation au Mexique. En fait, des sondages d'opinion ont révélé que le Canada était le pays que les Mexicains respectaient le plus. Il y a eu une régression après l'imposition des exigences relatives aux visas. Je pense que nous sommes tombés en deuxième ou troisième position. Je sais par contre qu'il reste un vestige de bonne volonté, et c'est la raison pour laquelle j'insiste sur l'importance des visas. C'est également important pour les échanges éducatifs, et il faut penser aux visas.
Mme Gattinger : Je suis tout à fait d'accord avec le sénateur. Merci beaucoup. Je vais donner suite à ce que Laura a dit.
Un autre élément sur lequel il vaudrait peut-être la peine de se pencher, c'est d'aller au-delà de l'éducation supérieure et de se tourner vers les dirigeants d'entreprises, du gouvernement et d'ONG. Par exemple, le secrétaire d'État américain a — que certains d'entre vous connaissent peut-être — le programme de leadership des visiteurs étrangers. Ce programme — je viens d'être nommé pour prendre part à l'une de ces initiatives —, réunit des dirigeants de partout au pays pour participer à de longs voyages d'études aux États-Unis afin qu'ils puissent rencontrer d'autres chefs de file dans le secteur, que ce soit des leaders du gouvernement, d'ONG ou de l'industrie.
Je suis tout à fait d'accord avec vous lorsqu'il est question des relations entre peuples. Il faut également une prise de conscience. Mes étudiants savent que les États-Unis est un marché où ils peuvent aller travailler et qui les intéresse. Ils ne pensent pas au Mexique. Ils devraient le faire par contre. Si l'on faisait plus pour favoriser des échanges au niveau universitaire, peut-être en bénéficiant d'un soutien accru de la part d'autres dirigeants de différents secteurs, nous pourrions commencer à bâtir ces relations. Nous devons néanmoins adopter une approche stratégique également. L'idée n'est pas d'intervenir à tous les niveaux. Il faut cibler où les secteurs sont, et c'est ce que le comité s'efforce de faire : cerner les secteurs où il y a le meilleur potentiel de croissance. Je ne suis pas objectif, mais je dirais que le secteur de l'énergie en est clairement un, mais ce n'est évidemment pas le seul.
Le sénateur Demers : J'ai quelques mots à dire sur la question que le sénateur Smith a posée hier et aujourd'hui. J'ai vécu 23 ans aux États-Unis et ma fille est enseignante au Texas. Il est impératif que le Mexique et le Canadiens continuent de travailler ensemble et d'élargir ce que nous essayons de faire. Vous avez parlé des 70 000 personnes qui ont perdu la vie. Vous avez également dit que même certains policiers sont corrompus et que vous savez que M. Calderón a tout essayé dans le passé.
Vous avez parlé de « confiance », ce en quoi je crois. La confiance entre les États-Unis et le Mexique n'est-elle pas tellement fragile qu'il s'est passé quelque chose il y a quelques semaines? Qu'en est-il de la confiance entre le Mexique et le Canada? Une grande partie de l'information provient de ce qui se passe actuellement dans les relations entre les États-Unis et le Mexique, et on pense que c'est toute la même chose.
Je vais m'arrêter là. J'aimerais savoir ce que vous en pensez, s'il vous plaît.
Mme Macdonald : Oui, il y a une certaine confiance, comme je l'ai dit. Les Mexicains ont beaucoup de respect pour le Canada. Lorsque des Canadiens vont au Mexique, je pense que les Mexicains ont de bonnes relations avec eux en général et, comme d'autres témoins l'ont dit, de nombreux Mexicains viennent travailler au Canada dans le secteur agricole. Je pourrais en dire plus à ce sujet. Je crois cependant que leur connaissance du Canada est assez superficielle. Quand ils pensent au Canada, ils pensent que c'est au pays très au nord, où il fait froid. Les Canadiens semblent être gentils; ils ne sont pas comme les Américains. Nous avons l'avantage de ne pas être Américains, dont la relation de longue date avec le Mexique est très chargée, marquée par de nombreuses périodes de grande hostilité.
L'image de marque du Canada nous procure donc un bon avantage. Elle pourrait être bien perçue au Mexique, mais elle est méconnue. Nous devons apprendre à mieux nous connaître les uns les autres. Nous devons faire venir des Mexicains pour qu'ils se familiarisent davantage avec le Canada, pas seulement envoyer des Canadiens au Mexique pour qu'ils apprennent l'espagnol. Un plus grand nombre de Mexicains doivent venir étudier ici.
J'aimerais seulement ajouter que le Mexique a une classe moyenne très développée. On y trouve un grand nombre de travailleurs qualifiés, entre autres dans le secteur de la santé. Au Canada, une pénurie de travailleurs de la santé se profile à l'horizon, et nous pourrions donc faire venir davantage d'infirmières mexicaines au pays. La reconnaissance des titres de compétences présente toutefois certaines difficultés, les mêmes auxquelles sont confrontés les autres immigrants. Nous pourrions collaborer dans un secteur comme celui de la santé pour qu'il soit plus facile pour les Mexicains de venir ici.
[Français]
Le sénateur Robichaud : Madame Gattinger, vous avez parlé d'un marché énergétique compétitif. J'ai l'impression que, plus on réunit les joueurs dans ce secteur, plus il y a de collusion, et on finit par payer plus cher. Je crois que, chez nous, la population commence à se réveiller et elle voit qu'elle se fait exploiter à outrance sur le plan de l'énergie. Au Nouveau-Brunswick, cet état de fait s'est clairement exprimé lors des dernières élections provinciales, alors que l'enjeu se jouait entre l'utilisation des gaz de schiste ou l'adoption d'un moratoire. Les compagnies ne peuvent plus faire de l'exploration comme par le passé. Pourriez-vous me dire quelque chose qui pourrait changer mon opinion quant à cette industrie?
Mme Gattinger : C'est une bonne question, l'opinion sur l'industrie. C'est intéressant, car cela rejoint les sondages d'opinion publique. Les gens font très peu confiance à ce secteur, ainsi qu'aux gouvernements et aux ONG environnementales, malheureusement. Le taux de confiance est très faible par rapport à tout le secteur. Par exemple, dans l'État de la Nouvelle-Angleterre, situé juste à côté des Schistes de Marcellus, on a vu le prix du gaz naturel, surtout l'hiver dernier, augmenter dramatiquement. L'une des principales raisons de cela est le manque d'infrastructures pour transporter l'énergie — dans ce cas-ci le, gaz naturel — là où les consommateurs en ont besoin. C'est le même phénomène pour les générateurs d'électricité.
On revient donc à la question de l'acceptabilité sociale. Il faudrait, à mon avis, réunir les joueurs et avoir des discussions nourries par des faits et dans lesquelles les participants auraient confiance. Il faudrait commencer à développer des liens de confiance entre vous, l'industrie et les autres joueurs, ou entre les Canadiens, les Américains et le secteur.
J'espère que mon message n'est pas mal interprété et ne laisse pas entendre qu'il faudrait développer toutes les sources d'énergie, peu importe les conséquences. Il faut, justement, développer ces dialogues pour arriver à savoir quels projets, sur la base de l'acceptation sociale, il ne serait pas souhaitable d'entreprendre. Il faut développer la confiance dans ces processus et, là, il y a du travail à faire. Comme vous le savez, ce n'est pas uniquement face à l'industrie qu'il y a des problèmes; des sondages publics révèlent que la confiance des Canadiens envers l'Office national de l'énergie est un problème. La population accorde peu de confiance aux agences réglementaires. Il y a certainement du travail à faire sur ce plan.
Le sénateur Robichaud : Merci. Madame Macdonald, vivre dans la pauvreté, au Mexique, ça ressemble à quoi? Comment vit une famille dans ces conditions?
[Traduction]
Mme Macdonald : Il y a bien entendu de grands écarts d'un bout à l'autre du Mexique, et nous devons nous rappeler qu'il existe d'importantes disparités sur le plan géographique. La majorité des gens pauvres vivent dans le sud — en fait, ce n'est pas là que la plupart des actes violents sont commis; c'est surtout dans le nord. Bon nombre de ceux qui vivent dans la pauvreté sont issus de peuples indigènes, et il y a donc également des problèmes liés à la race et à l'origine ethnique, aux relations culturelles.
Les pauvres du Mexique ne le sont pas autant que ceux de l'Afrique. C'est une pauvreté relative par rapport à celle qu'on trouve dans d'autres régions du monde. Cela dit, il est intéressant de noter que le Mexique est également aux prises avec le problème du diabète; une des plus importantes crises dans le domaine de la santé est d'ailleurs attribuable à cette maladie et à la surconsommation de sucre. Les pauvres ont tendance à boire du Coca-Cola ou d'autres boissons gazeuses parce qu'ils n'ont pas les moyens d'acheter de l'eau potable et qu'ils n'y ont pas accès.
L'infrastructure et l'accès aux soins de santé et aux médicaments posent également de graves problèmes. Il y a des centres de santé partout au pays, quoiqu'on n'en trouve pas dans les petites collectivités, mais ils n'ont pas les médicaments nécessaires.
L'alimentation des pauvres est simple. Ils se nourrissent de tortillas et de haricots — s'ils sont chanceux, surtout de tortillas — et ils n'ont pas accès aux services sociaux de base. Il existe de nombreuses façons de mesurer la pauvreté, de déterminer si quelqu'un est pauvre ou non. Cela fait d'ailleurs l'objet d'un débat. Le Mexique a réalisé beaucoup de progrès à cet égard, mais on n'a pas réussi à éradiquer le problème. On a réduit la pauvreté extrême, celle qui risque d'entraîner la mort. Cela dit, le nombre de personnes relativement pauvres n'a pas beaucoup diminué au cours des 20 dernières années.
La sénatrice Ataullahjan : J'avais quelques questions, mais, compte tenu du temps et des directives de la présidence, je vais seulement en poser une à Mme Macdonald.
Vous avez fait des recherches sur la mobilisation des femmes et sur leurs répercussions sur la politique publique, et j'aimerais beaucoup savoir ce qu'il en est dans le cas de l'ALENA.
Mme Macdonald : Pourriez-vous être un peu plus précise? Voulez-vous savoir de quelle façon l'ALENA a été touché, ou comment les femmes y ont contribué?
La sénatrice Ataullahjan : Oui, j'aimerais savoir comment les femmes y ont contribué et de quelle façon elles influencent la politique publique.
Mme Macdonald : Bonne question. Je pense que le commerce, pour ne citer qu'un exemple parmi beaucoup d'autres, est un domaine dans lequel les femmes n'ont pas eu les mêmes possibilités. Les femmes travaillent généralement dans des PME, qui n'ont pas connu la même croissance ni bénéficié du même accès aux marchés internationaux, contrairement aux grandes entreprises d'autres secteurs de l'économie, et je pense donc qu'il y a beaucoup de travail à faire en vue d'examiner en fonction du sexe les répercussions de nos relations commerciales et de nos investissements.
Nous n'avons également pas parlé du secteur minier, et c'est pourtant intéressant. Il s'agit d'un autre domaine d'intérêt pour le Canada, le Mexique et d'autres parties du monde en développement. C'est un secteur qui n'est pas très accueillant pour les femmes. Il existe de nombreux enjeux liés à l'exploitation minière et à son incidence sur les relations familiales et la violence faite aux femmes. Je pourrais continuer.
C'est un domaine très important sur lequel nous ne nous penchons pas suffisamment. Nous devons trouver des moyens d'aider les femmes propriétaires de petites entreprises ainsi que celles qui travaillent dans les secteurs d'exportation de pays comme le Mexique, où il est facile de porter atteinte à leurs droits. Elles ne sont pas bien représentées par leurs politiciens ou leurs syndicats, et on les engage souvent parce qu'il est plus facile de les exploiter que les hommes.
Le sénateur Oh : Ma question ne s'adresse à personne en particulier. Elle concerne l'énergie. Quelle est l'incidence sur les échanges énergétiques entre le Canada et le Mexique? Sur le plan politique, y a-t-il des conséquences sur les accords commerciaux?
De plus, quelles sont les répercussions des échanges énergétiques et des changements climatiques sur les relations commerciales? Cela peut-il nous empêcher de négocier des accords commerciaux?
Mme Gattinger : C'est une question très générale. Pouvez-vous en répéter la première partie, à propos des répercussions sur le commerce?
Le sénateur Oh : Quels sont les répercussions énergétiques sur les relations commerciales entre le Canada et le Mexique?
Mme Gattinger : Excusez-moi, mais pourriez-vous préciser un peu ce que vous entendez par répercussions énergétiques?
Le sénateur Oh : Je parle des répercussions énergétiques sur l'accord commercial entre le Canada et le Mexique.
La présidente : Vous avez parlé plus tôt de l'incidence des enjeux énergétiques sur le commerce. Je crois que le sénateur Oh vous demande d'en dire un peu plus long à ce sujet. Vous avez parlé de certains des facteurs liés aux enjeux énergétiques, et ils ont une incidence sur le commerce parce qu'on n'est pas disposé à appuyer certains projets ou certaines initiatives commerciales qui pourraient avoir des répercussions environnementales. Vous avez formulé certaines recommandations. Aimeriez-vous ajouter quelque chose à ce sujet?
Mme Gattinger : Je serais heureuse d'en parler de façon bilatérale après la séance. Comme je l'ai dit dans ma déclaration, un des aspects qu'il est important de signaler dans le cadre de la révolution du schiste est que nous assistons au renforcement, si je puis m'exprimer ainsi, d'industries que nous croyions en perte de vitesse, notamment aux États-Unis, que ce soit dans le secteur de l'acier ou dans le secteur pétrochimique. Certaines données permettent de croire que la situation est la même dans d'autres secteurs de la fabrication. De toute évidence, la révolution du schiste permet d'accroître les activités industrielles et, bien entendu, les échanges commerciaux. Comme nous le savons, au Mexique, le secteur de l'automobile et de nombreuses autres industries recourent plus souvent à l'externalisation proche. Pour ce qui est des changements climatiques, dans la mesure où les échanges commerciaux se font en Amérique du Nord, plus l'on réduit les coûts du transport et la distance parcourue, plus les répercussions sont positives. Je crois qu'il est important de savoir que, aux États-Unis, les politiques gouvernementales qui ont été mises en œuvre ne font pas partie des principales raisons qui expliquent la réduction des émissions de gaz à effet de serre. La réduction est surtout attribuable au remplacement du charbon par le gaz naturel dans le secteur de la production d'électricité. Il est donc important de reconnaître que certains changements sur le marché ont des répercussions positives sur les profils d'émissions de gaz à effet de serre en Amérique du Nord.
Le sénateur Oh : J'ai juste une petite question. La croissance du PIB au Mexique s'est améliorée au fil des ans, mais la pauvreté, comme vous l'avez dit, est encore bien ancrée. La corruption représente-t-elle encore un problème grave dans ce pays?
Mme Gattinger : Je vais demander à mon estimée collègue, Mme Macdonald, de répondre à cette question.
Mme Macdonald : À vrai dire, la croissance ne s'est pas accélérée, et elle était beaucoup plus élevée avant la crise de la dette. Elle affiche une moyenne de 1,7 ou 2 p. 100, ce qui n'est pas beaucoup si on la compare à celle d'autres marchés émergents.
C'est un problème, et les liens étroits avec l'économie américaine, en particulier après la crise financière, ont également posé des difficultés au Mexique. La stagnation de l'économie américaine a nui à la croissance du pays.
En ce qui a trait à la pauvreté, la corruption continue effectivement de jouer un rôle important. Certains progrès ont été réalisés pour ce qui est de la transparence de la politique publique, notamment à l'échelle nationale, mais c'est un problème grave qu'on peut difficilement régler du jour au lendemain.
J'aimerais seulement répéter ce que j'ai dit au sujet des taux d'imposition. Au Mexique, une importante bataille politique a été menée pour tenter d'améliorer le régime fiscal. Vous savez probablement que Carlos Slim, un des hommes les plus riches au monde, est mexicain. On s'est battu pour essayer de réduire son emprise sur le marché des télécommunications, et il a trouvé le moyen — je n'ai pas vraiment suivi toute l'histoire — de profiter des mesures prises pour accroître la concurrence dans le domaine des télécommunications. Il se tourne maintenant vers d'autres secteurs.
Les écarts entre les riches et les pauvres représentent le principal problème. Il y a beaucoup de richesse au Mexique, et il faut trouver un meilleur moyen d'en faire profiter les citoyens les plus pauvres.
Je pourrais vous parler de programmes sociaux qui sont intéressants même s'ils ne coûtent pas cher. Ils permettent de réduire la pauvreté extrême en offrant aux gens un niveau de vie élémentaire, mais ils ne sont pas très efficaces lorsqu'il s'agit d'en faire davantage.
La présidente : Merci. J'ai deux noms pour le second tour, mais je ne suis pas certain s'ils veulent poser des questions. Il y a entre autres le sénateur Dawson. Bien. Ils peuvent poser leurs questions, et nous verrons si nous pouvons obtenir une réponse.
Le sénateur Housakos : De toute évidence, rien n'est figé dans le monde des affaires. Les prix augmentent ou diminuent. Nous avons un accord de libre-échange avec les États-Unis, l'ALENA, depuis plus de 20 ans, et il s'est avéré très fructueux. On peut sans aucun doute en faire beaucoup plus dans certains cas, notamment en ce qui a trait à notre relation avec le Mexique. Quelle est la prochaine étape?
Sur les différents continents, des blocs commerciaux ayant un marché commun et une monnaie commune ont été créés dans le cadre d'accords qui vont encore plus loin que l'ALENA. Dans ce cas-ci, les États-Unis et le Canada semblent tellement occupés à conclure des accords partout dans le monde qu'ils ne se soucient pas vraiment de cet accord nord-américain, de la façon dont nous pouvons en réduire la taille et de ce qui sera la prochaine étape.
Je sais que c'est une question générale, mais je crois qu'elle est importante. Je trouve étonnant que l'on n'ait pas parlé davantage de la possibilité d'avoir une monnaie commune ou un passeport commun. C'est probablement parce que les gens ne veulent pas se lancer dans ce genre de discussions. Cela dit, je sais que les universitaires ne subissent pas certaines contraintes auxquelles les politiciens pourraient faire face. S'agit-il de questions qui méritent d'être abordées?
Mme Gattinger : Chose certaine, lorsqu'on se penche sur des analyses classiques des formes d'intégration plus prononcées, on constate que, en Amérique du Nord, nous sommes, comment dire, au début des démarches visant à adopter un passeport commun, une monnaie commune et ainsi de suite, comparativement, par exemple, à l'Union européenne. Dans les études qui portent sur la question, un certain nombre de raisons expliquent pourquoi il en est ainsi. On mentionne notamment qu'en Amérique du Nord, les relations internationales diffèrent grandement compte tenu de l'importante asymétrie des trois pays. Quelle monnaie commune adopterions-nous? Ce sont des questions qui, d'un point de vue politique, n'échauffent pas beaucoup l'imagination et l'enthousiasme des gens.
Pour d'autres questions, comme celle de la main-d'œuvre, l'un des problèmes est le manque de volonté politique. Nous n'en avons pas nécessairement, et les deux frontières sont très différentes, comme on vous l'a certainement dit ces derniers jours.
Dans le secteur de l'énergie, nous avons connu un certain nombre de circonstances difficiles, si je puis m'exprimer ainsi, notamment en ce qui a trait aux relations entre le Canada et les États-Unis au cours du dernier siècle, mais c'est la première fois que la discussion ne porte pas sur l'endroit en Amérique du Nord où sera transporté l'énergie, que ce soit principalement au Canada en direction des États-Unis, en passant des marchés américains à leurs pendants canadiens, ou peu importe. Il est entre autres question de discussions et de projets portant clairement sur le transport de l'énergie à l'étranger. Dans le domaine de l'énergie, on fait preuve d'ouverture en songeant à d'autres marchés. Je crois que les observations que j'ai formulées aujourd'hui vont dans le même sens que ce que vous avez dit, à savoir que nous devrions aussi réfléchir à ce que nous comptons faire dans ce domaine en Amérique du Nord et aux possibilités qui s'offrent à nous.
D'un point de vue politique, pour réaliser des progrès dans le cadre de ces discussions, je crois que, même si le milieu universitaire peut être très enthousiaste quand il s'agit de déterminer quelle sera la prochaine grande idée, il serait peut- être plus pragmatique de former les coalitions nécessaires pour faire progresser certains dossiers dans des secteurs où nous sommes plus avancés. C'est dans cet esprit que je me suis adressée à vous aujourd'hui.
Mme Macdonald : Vous nous avez demandé de voir grand, et je m'en réjouis. Nous disposons effectivement d'une plus grande latitude que d'autres. Je n'opterais pas pour une monnaie commune. L'expérience s'est très souvent avérée mauvaise pour d'autres pays qui ont adopté le dollar américain. Cela réduit la compétitivité, ce qui me préoccuperait beaucoup.
Si on m'autorisait à rêver grand, je me pencherais sur la mobilité de la main-d'œuvre. C'est la question pour laquelle d'autres régions du monde ont pris des mesures beaucoup plus énergiques que les nôtres. L'Union européenne est un exemple évident de cela, mais il y a également l'Alliance du Pacifique avec laquelle le Canada a tenu des discussions en vue d'une éventuelle adhésion. Les accords qui ont été conclus comportent des dispositions sur la mobilité de la main- d'œuvre, ce qui est logique pour accroître l'efficacité dans la région. Pour que les capitaux soient mobiles, il faut que la main-d'œuvre le soit aussi, au moins dans une certaine mesure, ce qui cadre avec les principes économiques de base. Sur le plan politique, c'est extrêmement dangereux, difficile et délicat, et je ne pense donc pas que cela se produira du jour au lendemain.
Comme vous l'avez mentionné plus tôt, les Latino-Américains et les Mexicano-Américains exercent beaucoup de pression sur leur gouvernement pour qu'il considère sa frontière différemment et songe à l'utilisation de la main- d'œuvre mexicaine d'une façon plus constructive que ce qu'on a vu jusqu'à maintenant. À long terme, je crois que les États-Unis iront de l'avant dans ce dossier. Des États qui étaient très préoccupés par ces questions, comme la Californie, le sont beaucoup moins maintenant que leur population est majoritairement hispanique.
Les politiciens doivent penser à l'avenir. Je vous remercie d'avoir posé la question compte tenu de cet aspect.
La présidente : Merci. Vous voyez la discussion que vous avez amorcée. Je doute que vos étudiants veuillent que nous prolongions encore une fois le débat d'une demi-heure, comme nous venons de le faire. Vous avez abordé de nombreux nouveaux aspects, et nous vous en sommes reconnaissants. Vous nous avez sans aucun doute donné matière à réflexion pour notre rapport. Merci de nous avoir fait part de vos commentaires et d'être restées une demi-heure de plus.
Mesdames et messieurs les sénateurs, la séance est levée.
(La séance est levée.)