Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et du commerce international
Fascicule 20 - Témoignages du 10 décembre 2014
OTTAWA, le mercredi 10 décembre 2014
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd'hui, à 16 h 16, pour étudier le potentiel d'accroissement du commerce et de l'investissement entre le Canada, les États-Unis et le Mexique, y compris dans les secteurs de croissance clés des ressources, de la fabrication et des services; les mesures fédérales nécessaires à la réalisation des possibilités cernées dans ces secteurs clés; les possibilités d'intensifier la collaboration au niveau trilatéral.
La sénatrice A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Honorables sénateurs, nous sommes ici pour étudier le potentiel d'accroissement du commerce et de l'investissement entre le Canada, les États-Unis et le Mexique, y compris dans les secteurs de croissance clés des ressources, de la fabrication et des services, les mesures fédérales nécessaires à la réalisation des possibilités cernées dans ces secteurs clés ainsi que les possibilités d'intensifier la collaboration au niveau trilatéral.
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international étudie la question. Nous avons entendu plusieurs témoins, et nous sommes heureux d'en accueillir d'autres encore aujourd'hui. Il s'agit de Graham Campbell, président du Conseil canadien de l'énergie, et de Jean Daudelin, professeur agrégé et directeur agrégé à la Norman Paterson School of International Affairs de l'Université Carleton. M. Daudelin est ici à titre personnel.
Soyez les bienvenus au comité. À moins que vous préfériez qu'il en soit autrement, vous allez comparaître dans l'ordre où vous apparaissez sur la liste.
Je vais donc me tourner vers M. Campbell. En général, nous préférons les observations préliminaires courtes et efficaces, parce qu'elles laissent plus de temps aux questions. Vous avez la parole.
Graham Campbell, président, Conseil canadien de l'énergie : Je remercie le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international de m'avoir invité à prendre part aux délibérations d'aujourd'hui.
Mes observations préliminaires mettent essentiellement l'accent sur la situation actuelle de l'énergie, dans l'optique, bien sûr, du mandat de l'organisme qui m'emploie, c'est-à-dire le Conseil canadien de l'énergie.
Notre mission est de faire en sorte que les questions en matière d'énergie soient mieux comprises afin de permettre le façonnement optimal du secteur de l'énergie pour le bien de tous les Canadiens.
L'une de nos caractéristiques propres est la diversité des 65 membres que nous représentons, lesquels proviennent des grandes sociétés du secteur de l'énergie, certes, mais aussi d'associations industrielles, du gouvernement fédéral — représenté par Ressources naturelles — et de six gouvernements provinciaux. Nous travaillons en étroite collaboration avec nos collègues des États-Unis et du Mexique, et nous sommes membres du Conseil mondial de l'énergie.
Je souhaite commencer mon exposé par une description de la place centrale qu'occupe l'énergie en Amérique du Nord, tel qu'elle peut être perçue du point de vue de l'économie de l'ensemble du continent, de sa répartition géographique, de ses ramifications au regard du commerce et de l'investissement ainsi que du point de vue de l'emploi.
En ce qui concerne sa présence dans l'ensemble du continent, l'argument le plus fort est sans doute l'argument économique. Le continent génère près de 30 p. 100 de tous les biens et services de la planète. Les échanges Canada-Mexique se chiffrent maintenant à environ 20 milliards de dollars par année, ce qui reste toutefois un faible pourcentage des échanges de 1 milliard de dollars que nous avons sur une base quotidienne avec les États-Unis.
Mais un phénomène qui revêt peut-être une plus grande importance à cet égard est la grande vitesse à laquelle évolue le secteur de l'énergie à l'heure actuelle. Cet état de fait accroît le besoin pour les trois pays d'échanger de l'information et de mettre au point leur stratégie nationale respective afin que chacun puisse tirer avantage des développements en matière d'énergie qui se font chez lui.
Il y a quatre façons pour les Nord-Américains de collaborer pour appuyer le commerce et les investissements. La première est le dialogue de nation à nation. Nos dirigeants politiques des plus hauts échelons se sont rencontrés à Toluca, en février dernier.
L'annonce faite au terme de cette réunion affirmait que les gouvernements s'engageaient :
[...] à amorcer un nouveau chapitre de leur partenariat et qu'ils reconnaissaient que l'énergie constituait une priorité trilatérale. Ils en ont aussi clairement défini l'orientation et les avantages. Le développement et la protection des ressources énergétiques abordables, propres et fiables peuvent favoriser la croissance économique et soutenir le développement durable, comme nous nous dirigeons vers un avenir où nous utiliserons des sources d'énergie à faible teneur en carbone.
Forts de cette orientation de grande portée, les ministres de l'Énergie des trois pays se réuniront au début de 2015 pour donner suite aux engagements généraux pris à Toluca. Le mandat confié aux hauts dirigeants en février est très ambitieux, puisqu'il consistera à :
[...] discuter des occasions de promouvoir des stratégies communes en matière d'efficacité énergétique, d'infrastructures, d'innovation, d'énergie renouvelable, de sources d'énergie non conventionnelles, de commerce d'énergie et de développement responsable des sources énergétiques, particulièrement de la réalisation d'études techniques pertinentes.
C'est le Canada qui est chargé d'organiser cette rencontre qui se tiendra en 2015. Une direction soutenue des plus hautes instances politiques de nos gouvernements est l'outil essentiel qu'il nous faut pour faire avancer notre programme trilatéral en matière d'énergie. Dans la même optique, les ministres des Affaires étrangères des trois pays ont discuté en octobre dernier des façons possibles d'harmoniser les politiques énergétiques à l'échelle du continent. Cette discussion a également porté sur la possibilité de prendre le contrôle de la sécurité énergétique afin d'assurer le bien-être futur des trois pays.
Les échanges en matière d'énergie ne sont pas réservés aux trois ministres de l'Énergie et aux trois ministres des Affaires étrangères. À preuve, cette première réunion, les 1er et 2 décembre derniers, du Groupe interparlementaire Canada-États-Unis, composé de législateurs fédéraux du Canada, des États-Unis et du Mexique.
Selon le communiqué de presse du groupe, les discussions qui se sont tenues au sujet de la sécurité, de l'énergie et d'autres enjeux ont permis de dégager des possibilités de collaboration susceptibles de se traduire par des avantages pour les peuples et les entreprises des trois pays.
Le deuxième niveau de dialogue se joue entre les États et les provinces. Il s'agit essentiellement d'un dialogue infranational. Le programme énergétique pour le continent nord-américain ne relève assurément pas des seuls intervenants fédéraux. La collaboration et la coopération sont aussi l'affaire des gouvernements des États américains et mexicains ainsi que des gouvernements provinciaux du Canada.
Pour le Canada, il s'agit d'un vecteur d'intervention particulièrement intéressant, compte tenu du rôle très important que les provinces jouent dans tout ce qui touche à l'énergie.
Pensons à la vente conjointe de points relatifs aux émissions de carbone que permet la bourse du carbone à laquelle souscrivent la Californie et le Québec. Voilà un exemple stimulant de la mise en œuvre d'une politique environnementale par deux entités infranationales. L'on constate d'ailleurs un intérêt grandissant pour l'échange de droits d'émissions comme moyen de contrôler les émissions. Le 21 novembre, les ministres des gouvernements du Québec et de l'Ontario se sont réunis à Toronto pour signer des accords en matière d'énergie. L'un des résultats de cette rencontre a été que :
Le Québec s'est également entendu pour partager avec l'Ontario toute information apprise dans le cadre de sa participation au programme de bourse du carbone de la Californie, qui a pour objectif d'éliminer les émissions de gaz à effet de serre et de promouvoir une croissance économique durable.
Une réglementation sensée et viable des activités dans le domaine de l'énergie est d'importance cruciale pour les investissements. Or, le Canada a une expérience de longue date en ce qui concerne la réglementation du pétrole et du gaz, une expérience dont jouissent tant les organismes fédéraux que les organismes provinciaux.
La chose se vérifie d'autant plus dans le secteur gazier et pétrolier, où les organismes provinciaux peuvent s'appuyer sur les régimes matures, stables et bien-fondés qu'ils ont mis au point et qui sont bien connus à l'échelle mondiale. Cette expérience et ce savoir-faire sont mis à contribution dans le contexte du développement des capacités énergétiques en Amérique du Nord. Par exemple, l'organisme chargé de la réglementation de l'énergie en Alberta a pu fournir de l'information, de l'aide et un savoir-faire à son vis-à-vis mexicain. Le mécanisme directeur de cette entraide a pris la forme d'un protocole d'entente entre l'organisme albertain de réglementation de l'énergie et le ministre de l'Énergie du Mexique, représenté par la Commission nationale des hydrocarbures, protocole qui a été signé en juin 2014.
Le troisième volet concerne les débouchés commerciaux. L'une des caractéristiques de l'approche du Canada en matière d'énergie est de laisser les marchés opérer. Dans le contexte de la réunion d'aujourd'hui, cette approche pourrait vraisemblablement se traduire par une volonté de donner les coudées franches à l'industrie.
Le président : Pouvez-vous parler un peu plus lentement?
M. Campbell : Je suis désolé. J'essayais de ne pas empiéter sur votre temps.
Le président : Je crois que vous évoquez certaines questions techniques qui ne perdraient rien à être exposées plus lentement. Je sais que les cloches peuvent être agaçantes tant pour vous que pour nos interprètes, mais nous essaierons de faire de notre mieux.
M. Campbell : Donc, le troisième volet dont mon exposé fait état est le secteur des affaires. Les réformes qui sont en train d'être mises en place au Mexique auront pour effet d'ouvrir les marchés pour les entreprises qui veulent faire des affaires et de rapprocher les façons de faire mexicaines des pratiques américaines et canadiennes, créant dans la foulée un débouché sérieux pour toutes les entreprises canadiennes du secteur de l'énergie. Le Canada a un solide savoir-faire en matière de forage horizontal, ainsi qu'en ce qui concerne les nouvelles techniques pour accéder aux ressources non conventionnelles de gaz et de pétrole, les pipelines et les services de tout crin du secteur de l'énergie. Les principes directeurs de la réforme du secteur mexicain de l'énergie ont été décrits par M. Gabriel Heller Green lors du North America Region Energy Forum — le forum sur l'énergie pour la région de l'Amérique du Nord du Conseil mondial de l'énergie —, qui s'est tenu à Calgary le 26 juin dernier. Les objectifs cernés à ce moment-là étaient : l'instauration d'un libre marché et la promotion d'une concurrence libre fondée sur des conditions égales entre les entreprises d'État et le secteur privé.
Dans les faits, les affaires en matière d'énergie sont déjà là. Exportation et développement Canada estime à 85 le nombre d'entreprises canadiennes actuellement actives dans le secteur mexicain de l'énergie. Selon un rapport produit par la Canada West Foundation, 3 000 entreprises mexicaines affirment avoir bénéficié d'investissements d'entreprises canadiennes. De plus, le gouvernement du Mexique permet les investissements privés dans le secteur de la distribution du gaz naturel, et ce, depuis 1995. Le rapport de Canada West indique entre autres que TransCanada estime que son engagement financier au Mexique atteindra environ 2,6 milliards de dollars américains en 2016. Le rapport insiste aussi sur le fait que la position enviable qu'occupe le Canada dans le secteur de l'énergie et les liens politiques, géographiques et économiques qu'il entretient avec le Mexique pourraient profiter aux entreprises canadiennes qui interviennent d'une façon ou d'une autre dans la chaîne de valeur du pétrole et du gaz.
Le secteur mexicain de l'électricité, où les réformes ont probablement été encore plus profondes que dans celui du pétrole et du gaz, présente aussi d'importants débouchés. L'intérêt grandissant que la grande communauté canadienne des affaires voue au commerce et à l'investissement dans le secteur de l'énergie ne se limite pas aux seuls dirigeants de ce secteur. Le Conseil canadien des chefs d'entreprise, le CCCE, vient de publier un rapport intitulé Made in North America : a new agenda to sharpen our competitive edge, que l'on pourrait traduire par « Fabriqué en Amérique du Nord : un nouveau programme pour aiguiser notre compétitivité ».
Les recommandations et le programme en 44 points du CCCE sont conçus pour aiguiser la compétitivité de l'Amérique du Nord à l'échelle internationale. Ils couvrent une vaste gamme d'enjeux économiques et environnementaux.
Par exemple, en matière d'énergie et d'environnement, le CCCE formule un total de 11 recommandations.
Le quatrième aspect que j'aimerais aborder brièvement aujourd'hui est le travail effectué par les organismes trilatéraux non gouvernementaux, lesquels jouent un rôle important pour instaurer un environnement propice au commerce et à l'investissement.
De nombreux organismes non gouvernementaux s'emploient à appuyer la création de liens trilatéraux entre les États-Unis, le Mexique et le Canada. Ces organismes jouent un rôle clé en marge des gouvernements et sont d'une importance névralgique pour stimuler la collaboration sur des initiatives particulières. L'on pourrait citer en exemple la Commission de coopération environnementale, la CEC, qui a ses bureaux centraux à Montréal et qui a été créée aux termes de l'Accord nord-américain de coopération dans le domaine de l'environnement. Le mandat de cet organisme est d'appuyer la coopération entre les partenaires de l'ALENA lorsqu'il s'agit pour eux de traiter d'enjeux environnementaux touchant le continent, y compris les défis et les occasions favorables en matière d'environnement qu'apporte le libre-échange à la grandeur du continent.
Le CEC a récemment publié des rapports sur l'écologisation des bâtiments et sur les émissions des centrales électriques en Amérique du Nord, des rapports qui jouent le rôle de véritables points de repère pour le commerce trilatéral.
Mon exposé d'aujourd'hui a porté sur quatre volets de l'engagement trilatéral dans le secteur de l'énergie. L'objectif était de fournir une orientation à l'étude que le comité effectue sur les façons possibles d'accroître l'investissement et le commerce entre le Canada, les États-Unis et le Mexique. J'ai donc parlé de l'importance de la direction nationale, du degré d'interaction et d'engagement entre l'État et les provinces ou les États dans chacun des trois pays, des débouchés pour les entreprises — tant du côté des technologies que des services — et du travail des organismes trilatéraux.
Chacun de ces quatre volets est porteur de moyens aptes à favoriser l'accroissement du commerce dans le domaine des technologies de pointe où les entreprises canadiennes ont un savoir-faire de renommée mondiale, notamment en ce qui a trait à la prestation de services dans le secteur de l'énergie, tels que l'expertise juridique et les services d'expert-conseil en affaires, la comptabilité et la planification stratégique. J'ai en outre souligné que pour profiter de ces occasions favorables qui s'offrent à lui, le secteur de l'énergie devra pouvoir compter sur l'élaboration d'un régime réglementaire sensé et stable capable de fournir les fondements nécessaires pour stimuler les investissements et la communication d'informations sur les activités et les échanges dans ce secteur.
J'ai quelques dernières observations. Premièrement, la situation énergétique est sur le point d'être complètement différente en Amérique du Nord. La promesse de l'indépendance énergétique de cette région peut maintenant être perçue comme un objectif atteignable.
Deuxièmement, pour atteindre cet objectif, il faudra notamment que le Mexique joue un rôle beaucoup plus important à l'avenir dans la réalité énergétique nord-américaine, ce qui serait prometteur, mais poserait des défis pour ce qui est d'accroître les investissements commerciaux.
Troisièmement, la transition s'applique non seulement au pétrole et au gaz, mais aussi à l'électricité. De façon plus générale, l'efficacité énergétique, le rôle et la pénétration des énergies renouvelables sur le marché, et la bonne gestion de l'énergie sur le plan technologique, pour n'en nommer que quelques-uns, sont également mis de l'avant de façon trilatérale. Le milieu des affaires montre la voie. Nous considérons que c'est très encourageant et conforme à l'approche du Canada, qui s'appuie sur le recours fondamental aux forces du marché et sur l'uniformisation des règles du jeu pour que les entreprises puissent investir, innover, accroître les débouchés et répondre aux besoins du marché.
Enfin, de nombreuses organisations sont concernées : des gouvernements nationaux, des gouvernements provinciaux ou d'État, des associations d'entreprises, les entreprises proprement dites et des organisations trilatérales.
Je vous remercie de l'attention que vous m'avez accordée cet après-midi.
La présidente : Nous allons passer à M. Daudelin.
[Français]
Jean Daudelin, professeur agrégé, directeur agrégé, The Norman Paterson School of International Affairs, Université Carleton, à titre personnel : Bon après-midi, chers membres du comité. Je vous remercie de l'invitation.
Je donnerai ma présentation en français et elle traitera de questions un peu plus larges que celles abordées par M. Campbell.
Je commencerai par un bref résumé. Même au terme de 30 ans de libre-échange, le Mexique demeure une source relativement mineure d'importation pour le Canada, une destination marginale pour les exportations canadiennes et pour les investissements canadiens, et une source négligeable d'investissements directs au Canada.
L'intégration des deux économies s'est affaiblie au cours des dernières années, en grande partie en raison du redéploiement de l'industrie automobile du Canada, d'une certaine façon, vers le Mexique.
La libéralisation du secteur de l'énergie, dont mon collègue vient de parler avec beaucoup de sciences, ouvre, toutefois, des opportunités très importantes pour les investissements, surtout dans le domaine du gaz et du pétrole.
Bien que le déclin du secteur automobile, dans les relations entre les deux pays, soit peu susceptible d'être compensé, le Mexique dispose de réseaux commerciaux extrêmement bien développés. Il a conclu des accords de libre-échange avec un grand nombre de pays. Il a un secteur manufacturier robuste et compétitif, dans l'ensemble, et dans cette mesure, il pourrait offrir aux compagnies canadiennes, aux manufacturiers canadiens, l'occasion d'établir des partenariats très prometteurs pour favoriser les exportations vers le Canada ou vers les marchés internationaux.
Le Mexique, aujourd'hui, malgré les couvertures de journaux, est dans une situation nettement meilleure qu'il ne l'était lorsque le Canada a signé l'ALENA en 1994, tant d'un point de vue social et politique qu'économique.
Même au chapitre de la violence, les taux d'homicide actuels sont à peu près comparables à ce qu'ils étaient à l'époque, et le nombre de personnes tuées par la police est inférieur à ce qu'il était dans le passé. Il y a donc une différence de perception sur laquelle je serai heureux de revenir durant la période des questions.
Toutefois, le pays traverse actuellement un moment politique extrêmement difficile à cause de manifestations violentes liées à l'assassinat d'un groupe de jeunes par des corps policiers qui sont littéralement contrôlés par des organisations criminelles.
Le gouvernement, toutefois, semble réagir de façon assez organisée, et les perspectives sont assez bonnes pour qu'il soit capable de construire un appui multi-partisan afin de créer une série de réformes institutionnelles qui pourraient orienter le pays vers la stabilité, tant sur le plan institutionnel que politique, et garantir une meilleure sécurité pour ses citoyens. Le pays n'est pas chaotique en ce moment. Le gouvernement central a une bonne prise sur la situation en général, bien que, dans certains États, très clairement, la situation échappe au contrôle des autorités locales.
Toutefois, et c'est une restriction générale, le Mexique est encore confronté à des problèmes d'infrastructure légale qui pourraient limiter les investissements, particulièrement en ce qui concerne les propriétés foncières des communautés autochtones.
Les échanges actuels entre le Canada et le Mexique, qu'il s'agisse du commerce, du tourisme, des affaires et des établissements universitaires — ce qui m'intéresse particulièrement —, ainsi que les investissements mexicains au Canada sont affectés de façon très négative par la question des visas. Ceux-ci sont très difficiles à obtenir, à tel point que c'est devenu un point de dissension diplomatique très important.
Au-delà de cette question, qui pourrait être réglée facilement, à mon humble avis, l'échelle des relations entre le Canada et le Mexique et l'échelle des interactions potentielles n'exigent pas d'innovations institutionnelles significatives. Comme je l'expliquerai dans quelques minutes, je ne crois pas qu'on ait besoin d'un ALENA de plus.
Permettez-moi de vous donner quelques précisions. Les exportations du Canada vers le Mexique représentent moins de 2 p. 100 du total des exportations canadiennes. Les importations sont plus importantes, pour un peu moins de 6 p. 100. Il faut toutefois noter que ces chiffres sous-estiment l'importance du Mexique à titre de partenaire commercial du Canada en raison des importations mexicaines qui se trouvent intégrées dans des produits importés des États-Unis. Même en tenant compte de ce facteur, le Mexique demeure un partenaire commercial secondaire en ce qui a trait aux sources d'importation. Comme source d'exportation, c'est infime. Comme direction d'investissement, le Canada dispose d'environ 12 milliards de dollars en investissements au Mexique, soit 1,6 p. 100 du total global. J'ai vérifié de nouveau, aujourd'hui, mais Statistique Canada indique 22 millions de dollars pour la valeur des investissements mexicains au Canada, ce qui est vraiment extrêmement limité.
Toutefois, les perspectives sont tout de même intéressantes. L'intégration nord-américaine avait deux fondements, dont l'un était le secteur automobile. Il y avait des chaînes de valeur ajoutée parfaitement intégrées, un secteur de l'automobile trilatéral et, par ailleurs, le besoin des États-Unis en énergie. Comme vous le savez, le secteur automobile est en train de s'effondrer en Ontario, alors qu'il prospère au Mexique. Cet élément qui avait alimenté l'ALENA, dans une large mesure, est en train de disparaître. En ce qui concerne l'énergie, les pays ne sont pas interdépendants. Les États-Unis étaient dépendants de leurs voisins à l'époque où les accords de libre-échange ont été signés. Mais, à l'heure actuelle, il n'y a pas d'interdépendance. Au contraire, les trois pays sont des exportateurs nets. Cela ouvre des possibilités d'exportation conjointe. Cependant, la dépendance mutuelle, qui pourrait alimenter la construction institutionnelle, a disparu.
Toutefois, le Mexique demeure un partenaire intéressant. Onzième économie de la planète, le Mexique a un marché assez grand. Il a signé des accords de libre-échange avec 45 pays, y compris tous les pays de l'OCDE, à toutes fins utiles. Pour quelqu'un qui cherche une base d'exportation globale, le Mexique offre de meilleures perspectives que celles du Canada, des États-Unis ou de n'importe quel pays européen.
La croissance a été relativement modeste au cours des dernières années. Le Mexique a beaucoup souffert de la crise financière aux États-Unis. Le PIB a chuté de façon importante, mais il commence à se résorber. Il est intéressant de constater qu'il y a une dose de stabilité dans la progression de l'économie mexicaine, dont les perspectives sont très bonnes.
Bien qu'il nous reste beaucoup de travail à accomplir, une série de réformes institutionnelles sont déjà en marche. Les réformes sont en marche en ce qui concerne le système judiciaire et la police. Les réformes annoncées par le président Nieto, depuis qu'il a pris le pouvoir, promettent, même si elles ne sont pas toutes mises en œuvre, de changer le pays de façon assez importante. Mexico connaît encore des problèmes de sécurité interne importants. Mais, comme je viens de le dire, ces arrangements institutionnels semblent assez robustes.
La crise actuelle pourrait être un tournant. Évidemment, la situation est très fragile, mais tous les partis se trouvent impliqués. Il n'y a aucun grand parti qui peut vraiment profiter d'une exploitation de la crise, alors ils ont tout intérêt à travailler ensemble pour mettre en œuvre des réformes institutionnelles qui permettraient de gérer la situation de la sécurité, qui la plus grande source de mécontentement de la population.
Bien que toutes les réformes annoncées la semaine dernière par le président Peña Nieto ne soient pas toutes pratiques — on peut en discuter dans le détail, mais elles ne seront probablement pas toutes adoptées —, je pense qu'elles sont assez intéressantes et prometteuses.
En ce qui concerne les options du Canada, à ce stade-ci, je ne crois pas qu'il soit justifié de mettre en œuvre de grands projets ou de nourrir de grands espoirs, en particulier par rapport aux constructions institutionnelles. La relation, qu'elle soit commerciale, d'investissement ou de coopération, pourrait tout à fait croître.
Toutefois, puisqu'il s'agit d'un niveau plutôt bas dans le cadre d'une série de petites initiatives qui pourraient s'appuyer sur les liens importants établis au cours des 30 dernières années, le Mexique est devenu un partenaire normal du Canada, alors qu'il ne faisait pas partie du radar habituel de la politique canadienne du pays.
La première question — et j'insiste — est celle des visas, dont l'existence est devenue un obstacle symbolique extraordinaire à l'établissement et au développement de meilleures relations, en plus d'être un obstacle très concret aux relations entre les deux pays.
Dans les années qui viennent, et en faisant l'hypothèse qu'il y ait peu de progrès sur la question des visas, l'élément le plus intéressant est probablement lié aux réformes dans le secteur énergétique qu'a lancées le président Peña Nieto. Toutefois, il n'est pas certain que le Canada en profite pleinement, c'est-à-dire qu'il y a des aspects de ce changement qui pourraient être négatifs du point de vue du Canada. Je m'explique : le niveau auquel les ressources mexicaines peuvent être exploitées de façon profitable semble relativement bas, c'est-à-dire que le pétrole semble être plus compétitif que celui des sables bitumineux, et le Mexique se trouve en compétition avec le Canada pour attirer les investissements globaux dans le domaine de l'énergie. Ainsi, une partie des investissements qui pourraient être dirigés vers le Mexique à la suite des réformes institutionnelles actuelles pourrait être, en fait, déviée et représenter des pertes pour le Canada.
Par ailleurs, une question que mon collègue a soulevée au début, à laquelle je n'avais pas pensé, mais qui semble importante, est l'augmentation de la production pétrolière, qui va provoquer une compétition forte pour les capacités de raffinage continental. Dans ce domaine, également, l'augmentation de la production mexicaine pourrait représenter un problème pour le pétrole canadien.
Je vous remercie.
[Traduction]
La sénatrice Johnson : Bonjour, monsieur Campbell. Mme Monica Gattinger, qui a témoigné devant notre comité, nous a parlé de l'idée de créer un conseil de l'énergie nord-américain. Elle a recommandé que la première étude de ce conseil vise à définir à quoi ressemblera l'avenir énergétique de l'Amérique du Nord ainsi qu'à élaborer différents scénarios en ce qui a trait aux sources d'énergie, au rythme de production, à la main-d'œuvre, aux changements climatiques et ainsi de suite. Que pensez-vous de cette idée? Nous avons déjà eu un groupe de travail nord-américain sur l'énergie. Je crois qu'il a publié son dernier rapport en 2006.
M. Campbell : Soit dit en passant, j'ai fait partie à l'époque du personnel d'appui du NAWEG.
Je pense qu'il serait fortement recommandable de dresser un portrait qui englobe de manière cohérente les sources d'approvisionnement changeantes et l'accès aux ressources dont l'exploitation n'a pas été autorisée auparavant. Dans le cadre de son travail, le NAWEG a dressé un portrait de la situation énergétique nord-américaine, ce qui, à l'époque, était essentiellement un aperçu des transferts d'énergie entre les trois pays, des zones de croissance, et des pipelines et des lignes de transport d'électricité qui alimentaient le système. Dans cette optique, il vaudrait la peine de donner suite à cette idée.
Je dois dire que l'organisation avec laquelle je travaille actuellement, le Conseil canadien de l'énergie, entretient par l'entremise du Conseil Mondial de l'Énergie des relations très étroites avec les États-Unis, le Mexique et d'autres pays d'Amérique latine. Je viens tout juste de revenir de Cartagena, en Colombie, où il était question d'intégrer de manière cohérente le travail des pays d'Amérique latine en ce qui a trait au développement des ressources énergétiques dans un pays et à leur transfert à un autre. Il y a de véritables possibilités dans cette région.
Je me demande s'il serait possible que ce soit fait dans le cadre du Conseil Mondial de l'Énergie. Je n'en ai pas parlé à Monica, mais c'est une possibilité à envisager. Chose certaine, j'appuie l'idée dans son ensemble.
Les scénarios comportent énormément de risques. Les changements de régime peuvent modifier le rythme auquel les ressources sont développées. Le Mexique est déterminé à mettre un frein au déclin de sa production de pétrole grâce à ces réformes, et c'est exactement ce qu'il est en train de faire, mais la planification de scénarios comporte son lot d'incertitudes. Cela dit, j'appuie l'idée dans son ensemble.
La sénatrice Johnson : Monsieur Daudelin, j'aimerais que vous nous parliez de la décision et de la série de mesures annoncées récemment par le président Peña pour réformer le système de justice pénale des États mexicains en grande difficulté, ce qui comprend notamment des modifications constitutionnelles, pour permettre aux autorités fédérales d'assumer le contrôle des municipalités où les services de police locaux sont eux aussi passé aux mains du crime organisé, ainsi que d'autres modifications essentielles. Que pensez-vous de ces mesures? Quelles sont leurs chances de succès en vue de faire respecter la primauté du droit?
M. Daudelin : Je pense que vous devrez être patients. À titre d'exemple, le président veut privilégier les forces policières nationales au détriment des services de police municipaux, qui, compte tenu de leur taille et de leurs ressources limitées, sont extrêmement vulnérables à la corruption alimentée par les organisations très riches de trafic de drogues. C'est une approche logique. On ne sait pas dans quelle mesure cela permettra de réduire la violence. C'est vraiment brillant, mais, pour vous donner un exemple, au Brésil, les services de police des divers États abattent plus de gens que la police mexicaine, et certains de ces services sont également corrompus. Ce qui importe, c'est la nature de la réforme. Cette question est d'ailleurs grandement débattue à l'heure actuelle. Le système de justice est enraciné dans les traditions. Il doit faire avec divers intérêts et différents juges. C'est comme si...
La sénatrice Johnson : Il y a beaucoup de paliers.
M. Daudelin : Exactement. Il s'agit d'une énorme machine. La réforme se fera lentement, mais ce n'est pas une mauvaise idée.
Je vais vous donner un autre exemple. Pour se débarrasser des policiers locaux corrompus, il pourrait être nécessaire d'en congédier 40 000. Cela signifie que ces policiers, qui sont devenus maîtres dans l'art d'utiliser leur arme, se retrouveraient dans la rue, et, de toute évidence, il faudrait les indemniser pour la perte de leur emploi, ce qui coûterait cher. Par ailleurs, l'incidence globale sur l'ordre public ne serait peut-être pas considérable. Je pense qu'il ne faut pas être optimiste. Il vaut mieux ne pas espérer de changement rapide, car cela pourrait être néfaste. À mon avis, il faut s'attendre à une réforme lente, et c'est ce qui devrait être recherché. C'est un aspect de la question.
Deuxièmement, et je le mentionne parce que je veux insister sur ce point, la majorité des partis semblent convenir que quelque chose doit changer. Le président a réussi à obtenir un soutien multipartite en faveur de la réforme de l'énergie. La réforme de l'énergie au Mexique était aussi intouchable que l'assurance-maladie au Canada, sinon davantage, et il a réussi à la changer. C'est prometteur.
Le fait que le scandale ait éclaboussé des politiciens de l'aile gauche des trois grands partis est également une bonne chose, car même ces politiciens doivent adhérer à un certain programme de réforme et coopérer avec le gouvernement. Je ne suis pas particulièrement optimiste, mais je pense qu'il pourrait y avoir un tournant. Ces réformes devraient être comparées à la conduite d'un pétrolier : il faut éviter les mouvements brusques. Nous ne devons pas espérer — et j'insiste encore une fois là-dessus — que les choses changent rapidement, car les répercussions et les effets voulus d'un changement radical pourraient se révéler extrêmement négatifs. Cela dit, je crois qu'il est possible de changer un peu la trajectoire du pétrolier avec un soutien considérable.
Les critiques du public à l'endroit du gouvernement, qui sont extrêmement sévères et qui ne semblent vraisemblablement pas sur le point de cesser, sont également très encourageantes. Le gouvernement devra rendre des comptes compte tenu des pressions exercées par la population. Je suis donc assez optimiste.
Le sénateur D. Smith : Au sujet de l'obligation d'obtenir un visa et de la criminalité, plusieurs personnes m'ont dit que cela les rendait très nerveuses compte tenu du taux de criminalité très élevé, du haut degré de corruption et des personnes impliquées qui viennent ici. Il arrive aussi que certaines personnes viennent au Canada et étirent le processus de détermination du statut de réfugié.
Plusieurs personnes m'ont dit que nous devrions exiger un visa en raison du taux de criminalité très élevé dans ce pays. Qu'en pensez-vous?
M. Daudelin : Parlons tout d'abord de la violence. La violence est fortement concentrée dans des régions précises. Le taux de violence extrêmement élevé au Mexique s'explique entre autres par la tentative du gouvernement précédent de changer la situation, d'attaquer les cartels de la drogue et de les affaiblir très rapidement.
En 2006, le taux d'homicides était d'environ 8 pour 100 000 personnes, ce qui n'est pas particulièrement élevé d'après les normes d'Amérique latine. Il est passé à 20 en l'espace de deux ans; il a doublé. On parle de 8 000 homicides. C'est directement attribuable à une tentative du gouvernement d'adopter une politique hautement perturbatrice qui consistait à décapiter les organisations de trafic de drogues. Je pense qu'il faut se le rappeler.
En 2006, le Mexique n'était pas un pays très violent, et Mexico n'est pas une ville très violente. Cependant, certaines régions qui abritent des organisations criminelles extrêmement puissantes le sont.
Quels sont les risques pour le Canada? Je pense que nous devrions les évaluer en regardant ce qui se passe aux États-Unis. Des centaines de millions de personnes traversent la frontière entre le Mexique et les États-Unis, et, depuis quelques années, certaines des villes les plus violentes au Mexique et au monde sont du côté mexicain de la frontière. La plus connue est Ciudad Juárez.
Juste de l'autre côté, El Paso, au Texas, était la grande ville la plus sécuritaire des États-Unis. Si on regarde les taux d'homicides des villes américaines situées le long de la frontière, on constate que, au cours des 10 dernières années, ces villes étaient parmi les plus sécuritaires aux États-Unis. Pourtant, des drogues et des criminels franchissent la frontière. Que devrions-nous en penser? Nous devrions observer la façon dont les organisations criminelles sont disciplinées aux États-Unis et ici. Par « disciplinées », je veux dire que certains niveaux ou certaines manifestations de violence ne sont tout simplement pas tolérés et sont impossibles à maintenir ici. C'est pourquoi tant de drogues sont consommées ici et que notre taux d'homicides est dérisoire.
Pour ces organisations, il est extrêmement improbable de se déplacer vers le nord et de commencer à s'entretuer au Canada comme elles le font à Guerrero.
Pour ce qui est plus précisément des visas, il existe des moyens de faire preuve de plus de souplesse. Les criminels se rendent aux États-Unis, qui sont d'ailleurs très préoccupés par le climat d'insécurité du Mexique. Les Mexicains vous diraient d'ailleurs qu'il est plus facile pour eux d'entrer légalement aux États-Unis qu'au Canada. Sur le plan de la sécurité, il n'y a pas la moindre raison pour laquelle notre régime devrait être plus restrictif que celui des États-Unis.
[Français]
La sénatrice Fortin-Duplessis : En tout premier lieu, soyez tous les deux les bienvenus à notre comité.
Ma première question s'adresse au professeur Daudelin. Vous êtes un spécialiste de l'Amérique latine, notamment du Brésil, de l'Amérique centrale et de la Colombie où vous avez étudié les mouvements religieux, la politique autochtone, la violence urbaine, l'intégration économique et la politique sociale.
J'ai constaté que vos recherches actuelles portent, entre autres, sur la criminalité et la violence en Amérique latine. Selon vous, concernant les principaux obstacles économiques, politiques et même culturels à l'accroissement du commerce et de l'investissement entre les trois pays, est-ce que cette violence que vous avez vue peut représenter l'un des plus grands obstacles à l'économie entre nos deux pays?
Vous savez, j'étais au Mexique les 22 et 23 juin derniers; avant de partir, les fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères m'ont conseillé d'être très prudente et de ne pas me promener dans les rues de Mexico. J'aimerais connaître votre opinion à ce sujet et savoir ce que vous en pensez.
M. Daudelin : Disons que, concernant l'effet sur les relations trilatérales, il y a deux canaux assez importants. Le premier est assez direct : l'insécurité et la corruption au niveau local et des États est un facteur très important pour des compagnies qui seraient intéressées à investir, que ce soit des compagnies dans le domaine des ressources ou des compagnies manufacturières. Il faut être en mesure d'appeler la police et il faut pouvoir croire qu'un contrat qui est violé puisse être présenté devant un tribunal.
De ce point de vue, la corruption demeure importante. De plus, il faut penser aussi que nos gens doivent pouvoir aller travailler en sécurité. Il ne faut pas vivre dans la peur constante d'être attaqué. Il est certain que cela a un effet direct sur les incitatifs à l'investissement et que cela nuit énormément au Mexique, mais je pense que les Mexicains l'ont compris. Sans doute, cela joue; les conseils que le ministère des Affaires étrangères donne aux gens ne sont pas faux. Il est vrai que la possibilité de se faire attaquer dans la rue est probablement plus élevée dans la ville de Mexico que dans la plupart des villes du Canada, et même dans toutes les villes du Canada. Cependant, il s'agit d'un niveau de violence qui s'est beaucoup amélioré au cours des 20 ou 30 dernières années et qui, très clairement, a mené à une volonté importante et large de la société et des élites politiques mexicaines de faire quelque chose à cet égard. Les investisseurs doivent y penser, et il n'y a pas de doute que cela influence leurs décisions.
La deuxième façon répercussion est indirecte. Quand la violence explose, comme depuis 2006, à la frontière avec les États-Unis, cela provoque de l'instabilité politique et du mécontentement envers les autorités politiques. Actuellement, ce qui s'est passé — l'assassinat de 40 étudiants — est en train de provoquer une crise politique assez importante. Je crois que le gouvernement s'en tire assez bien et devrait s'en tirer assez bien à moyen terme, mais c'est une crise extrêmement importante. Cela provoque de l'insécurité politique. Si Enrique Peña Nieto en venait à tomber à la suite de ce scandale, cela remettrait en cause toutes les réformes économiques dont nous avons parlé, et puis cela anéantirait le potentiel extraordinaire ouvert par la libéralisation du secteur énergétique.
Cela se fait donc directement et indirectement, malheureusement.
La sénatrice Fortin-Duplessis : Ma deuxième question s'adresse à M. Campbell.
Monsieur Campbell, nous avons reçu le président de la Chambre de commerce du Canada, M. David Robillard, qui a prétendu que le gouvernement mexicain prévoit que la production de pétrole va augmenter de 3 millions de barils de pétrole par jour d'ici 2018, et que 100 milliards de dollars seront nécessaires au cours de la prochaine décennie pour développer l'exploitation du gaz de schiste. Contrairement au Canada, le Mexique va de l'avant avec la construction de pipelines.
Vous savez, au Québec, il y a beaucoup de gaz de schiste, mais il ne peut pas être exploité, car de nombreux groupes environnementaux s'y opposent; je ne connais pas la situation dans les autres provinces. Je n'ai rien lu à ce sujet.
Cependant, j'aimerais que vous nous parliez davantage de ce secteur de l'économie. J'aimerais aussi que vous nous disiez dans quelle mesure le Canada peut bénéficier de ces opportunités.
[Traduction]
M. Campbell : Merci.
L'exploitation des gaz de schiste offre au Mexique d'excellentes possibilités, car les bassins géologiques du côté nord de la frontière avec les États-Unis s'étendent dans ce pays avec des caractéristiques géologiques similaires, et ils n'ont pas été exploités. L'enjeu clé de l'exploitation des gaz de schiste est de procéder d'une façon qui ne perturbe pas l'environnement. Cela représente un défi, bien entendu, mais le Mexique a la possibilité de commencer l'exploitation de ce genre de ressource géologique et de le faire d'une façon qui se prête mieux à la protection de l'environnement, à la surveillance et au contrôle, et ainsi de suite.
Je ne connais pas les chiffres que vous avez cités. Je ne peux donc pas vous donner de détails à ce sujet. Chose certaine, il faudrait réaliser des investissements considérables pour que ce soit possible.
Un régime de réglementation stable serait également nécessaire pour encourager les entreprises canadiennes à soumissionner ces terres et à obtenir des droits de prospection et de production. Elles pourraient ainsi tirer le meilleur parti de leurs investissements. Je pense que les entreprises canadiennes seraient ravies d'avoir cette possibilité. Vous avez parlé de projets d'oléoducs. Ces projets ont fait l'objet d'investissements considérables au Mexique de la part d'entreprises canadiennes. Je crois qu'il y a d'immenses possibilités au moment où de nouvelles entreprises se rendent dans ce pays pour trouver des moyens de communiquer cette information. Les nouveaux venus sur un marché peuvent apprendre de l'expérience, des techniques et des pratiques des entreprises qui sont là depuis un certain temps. Je suis certain que l'industrie serait parfaitement disposée à coopérer.
Le Mexique semble disposé à entreprendre l'exploitation des gaz et de l'huile de schiste, alors que d'autres provinces ou d'autres territoires du Canada examinent en ce moment les conséquences possibles et ont reporté leurs projets en attendant d'autres avancements, comme vous l'avez mentionné dans votre question. Je pense qu'au stade actuel, il est vraiment possible de mener de tels projets d'une façon moins dommageable pour l'environnement et de tirer parti des dernières technologies pour le faire. Les entreprises canadiennes ont d'excellentes compétences dans ce domaine. À l'heure actuelle, nous exploitons activement les ressources de schiste dans le Nord-Est de la Colombie-Britannique, le Nord de l'Alberta et la partie sud des Territoires du Nord-Ouest. Les normes environnementales à respecter sont élevées, et les entreprises s'y conforment.
[Français]
La sénatrice Fortin-Duplessis : Merci beaucoup, monsieur Campbell.
[Traduction]
La sénatrice Eaton : Je précise, pour le compte rendu que j'ai peut-être tort, mais, pour reprendre ce que M. Daudelin disait, oui, il leur est facile d'entrer aux États-Unis légalement, mais combien de Mexicains franchissent illégalement la frontière américaine chaque jour? Le ministre s'emploie en ce moment à faire en sorte que les visas accordés aux Mexicains soient valides pendant 10 ans, soit la durée de leur passeport. Par conséquent, un mécanisme continuerait de dissuader les gens de venir au Canada pour demander le statut de réfugié. Nous avons entendu un témoin très intéressant, à savoir l'ambassadeur du Mexique. Il a parlé d'un périmètre de sécurité énergétique, et je suppose que, lorsque l'ALENA a été négocié, il y a de nombreuses années de cela, les gens rêvaient de créer une zone de libre-échange. Il a parlé du fait que, lorsqu'un camion traverse la frontière américaine, il fait l'objet d'une inspection à l'aller et, de nouveau, au retour. Il mentionnait tous ces obstacles qui n'ont rien à voir avec le commerce, mais qui occasionnent des coûts et rendent le commerce inefficace.
Pouvez-vous nous dire si vous pensez qu'un périmètre de sécurité énergétique pourrait être créé un jour? Deuxièmement, quelles sont quelques-unes des barrières non tarifaires dont l'élimination pourrait accroître l'ouverture des frontières, selon vous?
M. Daudelin : J'ai abordé brièvement le sujet de l'énergie parce que j'étudie les affaires internationales des Amériques, mais je ne suis pas un expert en la matière. En ce qui concerne le périmètre énergétique, je pense que, pour le moment, c'est un rêve extrêmement improbable pour la simple raison qu'il n'y a pas d'interdépendance à cet égard. Chaque pays est un exportateur net d'énergie. Pour des raisons régionales, des dispositions pourraient être prises dans l'Est, dans l'Ouest et au centre, entre le Canada et les États-Unis, ou entre le Mexique et les États-Unis. Toutefois, l'idée selon laquelle le Mexique et le Canada devraient collaborer à la construction de telles infrastructures me semble farfelue, et ce ne serait pas nécessairement une façon très productive d'utiliser des ressources limitées.
S'il est extrêmement clair que le Mexique pourrait attirer les entreprises canadiennes, la mesure dans laquelle, le Canada est susceptible de bénéficier de ces investissements est beaucoup moins claire.
La sénatrice Eaton : J'examine le fait que l'Arabie saoudite ne souhaite pas perdre sa part de marché et la chute des prix du pétrole qui en découle. Ne serait-il pas merveilleux si l'Amérique du Nord pouvait devenir autosuffisante un jour?
M. Daudelin : Nous sommes plus qu'autosuffisants. Ce dont nous avons besoin maintenant, ce sont des marchés d'exportation, des marchés qui disparaissent parce qu'on découvre du pétrole et du gaz partout dans le monde. Une fois calmée, l'Argentine sera attrayante, parce que son ancien régime était ridicule, tout comme celui du Mexique. Le Brésil se comporte maintenant comme le Mexique le faisait auparavant, en bloquant de plus en plus les investissements étrangers dans son secteur énergétique. À un moment ou à un autre, les Brésiliens reprendront leur sens et ouvriront leurs marchés. Lorsqu'ils le feront, les investissements afflueront, et les prix de l'énergie diminueront encore plus. Par conséquent, je n'observe pas la nécessité dont vous parlez.
En ce qui concerne les camions, mon collègue à l'école, Michael Hart, affirme que la sécurité est liée à la paperasserie. Le fait est que, si le commerce est valorisé, la sécurité l'est également à l'extrême. Des deux côtés, les trois pays s'emploient depuis des années à rendre plus fluide le commerce et la circulation des personnes entre leurs territoires. C'est très difficile. J'étais au Mexique la semaine dernière, et chaque fois que je prends l'avion, c'est une corvée. On fait l'objet d'un examen minutieux. Regardez-moi. Pensez-vous vraiment que je suis dangereux? C'est un problème majeur, mais il est clair que les Nord-Américains acceptent le fait qu'il est nécessaire de maintenir un haut niveau de sécurité à leurs frontières.
Le défi consiste à trouver des solutions techniques, et certains progrès sont réalisés à cet égard. En fait, les Mexicains font du très bon travail dans ce domaine. Les aéroports mexicains réussissent à gérer la sécurité plus rapidement que plusieurs aéroports canadiens. Toutefois, je pense que c'est une question technique, car le problème politique fondamental, c'est la sécurité, étant donné que les gens souhaitent être en sécurité et sont prêts à en payer le prix.
La sénatrice Eaton : La majeure partie de la relation qui existe entre le Canada et le Mexique est-elle tripartite? En d'autres termes, passe-t-elle par les États-Unis, ou entretenons-nous une bonne relation avec le Mexique, que les États-Unis y participent ou non?
M. Daudelin : Voulez-vous dire sur le plan politique? La relation est empoisonnée par la question des visas. Malgré le nombre de mesures prises, il est clair qu'elles sont insuffisantes. Si vous examinez les relations économiques directes entre les deux pays, vous constaterez qu'elles ne sont pas très importantes. Par contre, elles ne sont pas négligeables non plus. Comme elles contribuent à 6 p. 100 et peut-être même jusqu'à 8 ou 9 p. 100 de nos importations si l'on tient compte de la composante mexicaine des produits que nous importons des États-Unis, elles comptent. Par ailleurs, nous augmenterons nos importations d'automobiles et de pièces d'automobile du Mexique, parce que la production mexicaine dans ce secteur est maintenant beaucoup plus élevée que celle du Canada. Par conséquent, les échanges commerciaux croîtront de ce point de vue là.
La sénatrice Eaton : Les entreprises canadiennes du secteur de l'automobile se sont implantées là-bas.
M. Daudelin : Oui, c'est l'argument que je faisais valoir auparavant. Si l'on envisage la question du point de vue du public canadien, le fait que des entreprises canadiennes s'établissent au Mexique et réalisent des profits là-bas n'est pas nécessairement un avantage considérable quand le Sud de l'Ontario est en train d'être anéanti par le déclin de l'industrie de l'automobile.
La sénatrice Eaton : Nous pourrions discuter des politiques liées à ce phénomène.
M. Daudelin : Une foule de raisons expliquent ce phénomène, mais les décisions du gouvernement mexicain n'en font pas partie. Les Mexicains ont pris les mesures qu'ils souhaitaient prendre.
La sénatrice Eaton : Ni les décisions du gouvernement fédéral.
M. Daudelin : Pour en revenir à votre question de base, notre relation politique avec le Mexique n'est pas très bonne, et nos relations économiques sont acceptables. Il est probable que les investissements s'accroîtront considérablement si le Mexique agit sérieusement. Les investissements mexicains au Canada continueront probablement d'être marginaux. Je ne vois pas de secteurs qui pourraient les intéresser particulièrement.
M. Campbell : Je crois qu'un partenariat canado-mexicain est en cours. Vous avez demandé si cette relation était toujours trilatérale, ou plutôt bilatérale. Le Canada entretient de solides relations bilatérales avec les États-Unis dans le secteur énergétique, et je crois que le partenariat canado-mexicain est l'un des instruments utilisés pour la prise de dispositions bilatérales entre le Canada et le Mexique.
Vous avez parlé de la sécurité sur le plan énergétique. Je pense que le fait que les trois pays pourraient contribuer dans une plus grande mesure à répondre aux besoins énergétiques de l'Amérique du Nord entraînera la création d'une offre d'énergie plus solide sur notre continent.
Je pense que c'est une bonne chose. Cela ne nous protégera pas contre les prix mondiaux du pétrole, parce que les producteurs pourront vendre leur pétrole soit sur le marché mondial, soit en Amérique du Nord, et cela aura tendance à équilibrer les prix ou à les rendre comparables. Donc, le pétrole ne sera pas moins cher en Amérique du Nord, mais le continent bénéficiera d'une offre de pétrole plus fiable.
Outre cette observation, je tenais à mentionner le fait que, de temps en temps, deux pays ont l'occasion d'échanger de l'énergie d'une manière synergique. Les arrangements que le Manitoba et le Minnesota ont négociés en sont le meilleur exemple. En effet, l'énergie éolienne du Manitoba peut être utilisée pour alimenter la province en électricité, ce qui permet d'économiser l'eau qui se trouve derrière les barrages du Manitoba. Lorsque le Minnesota a besoin de courant et que l'énergie éolienne ne peut répondre à ce besoin, l'eau accumulée peut être utilisée pour générer de l'électricité qui est acheminée vers le Minnesota, en plus de répondre à la demande du Manitoba.
Je ne dis pas que le Canada et le Mexique échangeront de l'énergie d'une manière synergique, car le moins qu'on puisse dire est qu'un problème géographique existe. Toutefois, il y aura certainement des occasions où il sera logique d'établir des liens internationaux synergiques.
La présidente : Merci. Nous avons étudié le Brésil, et nous avons découvert, entre autres, que les gens entretenaient de fausses idées à propos des Brésiliens d'aujourd'hui et des débouchés qui existent là-bas. De même, les Brésiliens savaient peu de choses à notre sujet. Dans le cas présent, nous étions souvent marqués par des irritants assez médiatisés qui s'étaient en fait atténués, mais que les journalistes les politiciens et certains membres du grand public avaient toujours en tête. L'une des recommandations formulées consistait à se servir de l'éducation, à organiser des échanges d'étudiants qui observeraient le nouveau Canada et le nouveau Brésil. Lorsque j'écoute les Mexicains, il me semble que leur conception du Canada est très inhabituelle, tout comme l'est certainement notre impression d'eux. Lorsque nous songeons au Mexique, nous pensons au tourisme, aux vacances et à la criminalité.
Selon vous, comment pouvons-nous peindre un tableau plus réaliste de ces deux pays? Nous passons toujours en revue les États-Unis. Nous en parlons parfois en bien, parfois en mal, mais il s'agit d'une relation trilatérale. Comment pouvons-nous améliorer la compréhension des deux pays qui se trouvent de chaque côté de cette énorme nation?
M. Daudelin : C'est une excellente question. Il y a quelques semaines, j'ai assisté à une réunion organisée par un organisme canadien qui favorise les échanges éducatifs visant la participation à un atelier de deux jours sur les relations canado-brésiliennes. À l'heure actuelle, des milliers de Brésiliens fréquentent des universités canadiennes. Ils viennent au Canada dans le cadre d'un programme établi par le gouvernement canadien qui s'appelle « Science sans frontières », un programme que le gouvernement est en train d'élargir en étendant sa participation aux étudiants des cycles supérieurs, au lieu de la limiter aux étudiants du premier cycle. Dans la région d'Ottawa, il y a des milliers de Brésiliens. À Hull, toute la clientèle de certains restaurants chante des sambas pendant toute la soirée, et tout le monde en connaît les paroles. Cela a entraîné un énorme investissement de ressources uniquement de la part du gouvernement brésilien. Le gouvernement canadien a investi très peu d'argent dans le programme.
Je dirige le programme de doctorat et, à mon bureau, nous recevons presque quotidiennement des demandes de la part d'étudiants mexicains, colombiens ou brésiliens. Ils doivent payer des frais de scolarité extrêmement élevés qui rendent les universités canadiennes non concurrentielles, compte tenu de la réputation dont elles jouissent au Canada. Il est extrêmement difficile d'attirer ces étudiants, en partie parce que les fonds investis dans ces programmes sont insuffisants. C'est un excellent moyen de changer les perceptions, mais il est coûteux et, en ce moment, les choses progressent énormément avec le Brésil, parce que ce pays paie la note.
M. Campbell : J'allais peut-être mentionner qu'un incroyable dialogue est en cours dans le secteur énergétique, en particulier avec le Brésil. Les entreprises qui y participent sont nouvellement établies au Canada, et elles tentent de découvrir la façon dont les choses fonctionneront, les règles qu'elles devront suivre, et cetera. En juin, notre propre organisation, le Conseil canadien de l'énergie, a tenu, à Calgary, un forum organisé conjointement par les États-Unis, le Mexique et nous. Environ un tiers du contenu du forum portait sur les responsabilités des entreprises canadiennes qui exercent leurs activités soit dans le secteur de l'électricité, soit dans le secteur pétrolier ou gazier.
La présidente : Vous avez parlé du Brésil, mais vous vouliez dire le Mexique.
M. Campbell : Je voulais dire le Mexique. J'ai fait un lapsus. De nombreuses activités de ce genre se déroulent constamment dans le milieu énergétique, si vous voulez. Les entreprises désirent tirer parti des possibilités offertes.
De même, le Mexique accueille très favorablement ce genre de dialogue. Lorsque nous avons planifié l'événement qui a eu lieu à Calgary, l'expérience a été très constructive. Les participants désiraient vraiment entendre ce que les Canadiens avaient à dire.
Le forum n'aborde pas la question des étudiants, et c'est un domaine dont je ne peux pas parler, car j'ignore les possibilités qui peuvent exister en matière d'échanges, de recherches, de voyages, et cetera. Cela dépasse mes connaissances.
La présidente : Je pense que le temps qui nous était imparti tire à sa fin. Je tiens à remercier nos deux témoins d'aujourd'hui. Nous avons abordé de nouveaux domaines dans le cadre de notre étude et, dans un cas, un domaine plus intense. Par conséquent, nous vous sommes très reconnaissants de vos observations et de vos compétences.
Sénateurs, nous poursuivrons notre étude demain à 10 h 30. Nous entendrons un groupe d'experts, et je pense que cela mettra fin à nos audiences pour cette session.
La séance est levée.
(La séance est levée.)