Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts
Fascicule no 14 - Témoignages du 18 septembre 2014
OTTAWA, le jeudi 18 septembre 2014
Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui, à 9 h 1, afin d'étudier l'importance des abeilles et de leur santé dans la production de miel, d'aliments et de graines au Canada.
Le sénateur Percy Mockler (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Je vous souhaite la bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts. Avant que nous accueillions officiellement notre témoin d'aujourd'hui qui est à Berne, en Suisse, j'aimerais que les sénateurs se présentent à tout de rôle. Je m'appelle Percy Mockler, je suis sénateur du Nouveau-Brunswick et président du comité.
La sénatrice Hubley : Elizabeth Hubley, sénatrice de l'Île-du-Prince-Édouard.
[Français]
Le sénateur Robichaud : Fernand Robichaud, de Saint-Louis-de-Kent, au Nouveau-Brunswick. Bonjour.
[Traduction]
La sénatrice Beyak : Sénatrice Lynn Beyak, de Dryden, dans le nord-ouest de l'Ontario.
Le sénateur Enverga : Tobias Enverga, de l'Ontario.
[Français]
Le sénateur Maltais : Ghislain Maltais, du Québec.
Le sénateur Dagenais : Jean-Guy Dagenais, du Québec.
[Traduction]
La sénatrice Ataullahjan : Salma Ataullahjan, Ontario.
Le sénateur Ogilvie : Kelvin Ogilvie, Nouvelle-Écosse.
Le président : Merci beaucoup, sénateurs.
Le comité poursuit aujourd'hui son étude sur l'importance des abeilles et de leur santé dans la production de miel, d'aliments et de graines au Canada. Nous avons reçu du Sénat du Canada un ordre de renvoi stipulant que le Comité permanent de l'agriculture et des forêts est autorisé à étudier, pour en faire rapport, l'importance des abeilles et de leur santé dans la production de miel, d'aliments et de graines au Canada. Plus particulièrement, le comité pourra étudier les éléments suivants :
a) l'importance des abeilles dans la pollinisation pour la production d'aliments au Canada, notamment des fruits et des légumes, des graines pour l'agriculture et du miel;
b) l'état actuel des pollinisateurs, des mégachiles et des abeilles domestiques indigènes au Canada;
c) les facteurs qui influencent la santé des abeilles domestiques, y compris les maladies, les parasites et les pesticides, au Canada et dans le monde; et
d) les stratégies que peuvent adopter les gouvernements, les producteurs et l'industrie pour assurer la santé des abeilles.
Honorables sénateurs, nous accueillons aujourd'hui par vidéoconférence M. Geoffrey Williams, secrétaire de COLOSS (Prevention of honey bee COlony LOSSes) qui est à Berne, en Suisse. COLOSS est une association internationale sans but lucratif basée à Berne qui s'emploie principalement à assurer le mieux-être des abeilles à l'échelle planétaire. Elle est composée de chercheurs, de vétérinaires, de vulgarisateurs agricoles et d'autres scientifiques et étudiants représentant plus de 60 pays.
Monsieur Williams, nous vous remercions d'avoir accepté notre invitation. Je vous prierais maintenant de nous présenter votre exposé, après quoi les sénateurs auront des questions à vous poser.
Geoffrey Williams, secrétaire, COLOSS (Prevention of honey bee COlony LOSSes) : Merci beaucoup. Pour tout à l'heure, j'aimerais pouvoir entendre directement les questions en anglais, plutôt qu'en français, si cela est possible.
Le président : C'est d'accord.
M. Williams : Bonjour, honorables sénateurs. Est-ce que vous m'entendez bien?
Le président : Oui.
M. Williams : Je suis très heureux de pouvoir vous entretenir de ce sujet qui revêt une grande importance pour moi comme pour bien d'autres. J'ajouterais à ce qui a déjà été indiqué que je travaille pour l'Institut pour la santé des abeilles de l'Université de Berne. Je suis également membre du comité directeur et secrétaire de COLOSS, une association pour la recherche sur les abeilles. L'institut dispense des cours sur la santé des abeilles aux étudiants en biologie et en médecine vétérinaire en plus de mener des recherches sur les éléments que nous estimons les plus importants en la matière. Pour sa part, COLOSS est une association regroupant près de 400 professionnels et étudiants du secteur scientifique en provenance de plus de 60 pays. La majorité des membres de COLOSS sont européens, car l'association est issue de la COST, la Coopération européenne dans le domaine de la recherche scientifique et technique, un réseau de chercheurs mis en place dans le cadre d'une initiative de l'Union européenne.
Je présume pouvoir apporter un éclairage un peu différent, car j'ai fait mon doctorat sur les abeilles mellifères au Canada avant de travailler près de quatre ans dans ce domaine de recherche en Europe. Je m'intéresse d'abord et avant tout à la santé des abeilles mellifères. Mes propos d'aujourd'hui vont donc porter principalement sur les deux derniers points du mandat de votre comité qui touchent la santé des abeilles. Je vais laisser à d'autres le soin de vous parler de l'importance des abeilles pour l'écosystème et la sécurité alimentaire au Canada, ce qu'ils ne manqueront pas de faire.
Mon intérêt particulier pour les abeilles mellifères ne signifie d'aucune manière que j'estime cette espèce plus importante que les autres. Elles sont toutes complémentaires, mais les abeilles mellifères ont une contribution unique en Amérique du Nord étant donné leur rôle crucial dans la pollinisation des vastes monocultures. Au fil des dernières années, j'ai pu observer une similitude assez évidente entre les colonies d'abeilles au Canada et en Suisse : elles sont exposées à l'effet simultané de plusieurs facteurs. J'ai eu l'occasion de travailler avec BEE DOC, un consortium de recherche de l'Union européenne. L'un des projets réalisés portait sur les parasites affectant les colonies d'abeilles mellifères dans différentes régions du globe, y compris le Canada. Nos données sur le Canada révèlent qu'une même colonie pouvait être infestée par le varroa, un acarien destructeur, six virus distincts ainsi que deux parasites, la microsporidie et le trypanosome. Une fois le miel retiré à la fin de l'été, cette colonie recevait des litres d'une solution de sucrose peu nutritive. Elle était traitée au moyen d'un acaricide pour contrôler le varroa et exposée à des pesticides agricoles durant la pollinisation des bleuets. Malheureusement, la situation de cette colonie d'abeilles mellifères n'est pas unique; il y en a bien d'autres qui sont dans le même cas.
Je vous ai cité cet exemple pour illustrer l'environnement complexe dans lequel cette importante espèce doit évoluer et la tâche difficile qui incombe aux chercheurs qui doivent non seulement comprendre les effets de ces facteurs de stress sur les abeilles mellifères, mais aussi trouver les moyens à mettre en œuvre pour en atténuer les répercussions afin d'améliorer la santé des abeilles.
Nous ne disposons pas des ressources suffisantes pour étudier tous les impacts possibles des facteurs de stress. Nous devons donc cibler les plus importants, tant du point de vue de l'abeille mellifère que pour la race humaine. À la lumière de mes propres travaux, de mon expérience avec COLOSS et de ma participation récente à la conférence européenne annuelle sur l'apidologie (EurBee), il se dégage un terme récurrent qui semble remonter à la nuit des temps : l'introduction de parasites exotiques, les pesticides employés en agriculture et en apiculture ainsi que le mode d'utilisation des terres sont actuellement les plus grandes menaces à la santé des abeilles mellifères et sont sans doute responsables de la majorité des décès qui déciment annuellement ces colonies. Comme je vous l'ai démontré avec mon exemple de tout à l'heure, ces catégories regroupent malheureusement un large éventail de facteurs de stress. Je vais donc vous donner plus de détails quant aux priorités que nous devrions établir pour nos efforts de recherche et de vulgarisation.
Premièrement, il y a le varroa, un ectoparasite. Je suis persuadé que l'on vous a déjà amplement parlé de cette espèce introduite qui se nourrit du sang des abeilles et peut ainsi leur transmettre des virus affaiblissant leur système immunitaire. Bien qu'il soit présent en Occident depuis plus de deux décennies, le varroa demeure, de concert avec les virus qu'il transmet, la menace la plus importante et répandue pour la santé des abeilles mellifères. Une étude récente d'Ernesto Guzman de l'Université de Guelph confirme que ce parasite est largement responsable de la situation actuelle de l'apiculture au Canada. Malgré la gravité de la menace, on n'a toutefois pas encore réussi à élaborer ou à mettre en œuvre une stratégie viable à long terme.
En second lieu, il faut noter les acaricides utilisés par les apiculteurs pour contrôler le varroa. Des études menées aux États-Unis révèlent que les acaricides synthétiques employés à cette fin sont à l'origine des plus fortes quantités de résidus chimiques enregistrées dans les colonies d'abeilles mellifères. La situation est sans doute la même au Canada. On sait que l'exposition à de tels résidus affecte le développement des abeilles, et plus particulièrement des reines. En outre, ces produits chimiques favorisent la propagation de colonies vulnérables aux acariens, ce qui entraîne des problèmes de santé, année après année. Des recherches supplémentaires doivent être réalisées pour mieux comprendre les effets de ces produits chimiques sur les colonies d'abeilles mellifères de manière à ce que l'on puisse prendre des décisions éclairées quant à leur utilisation, ce qui pourrait mettre davantage en lumière la nécessité de concevoir de nouvelles stratégies pour le contrôle du varroa.
Troisièmement, on doit noter l'utilisation de néonicotinoïdes comme pesticides. Les études en laboratoire démontrent clairement les effets néfastes des néonicotinoïdes sur les abeilles. Étant donné leur utilisation très répandue et leur stabilité environnementale, leurs résidus chimiques se retrouvent inévitablement dans les colonies. On saisit toutefois moins bien leur impact sur l'ensemble d'une colonie. En outre, les rares études de suivi et d'épidémiologie à avoir été réalisées ne laissent entrevoir aucun lien entre l'utilisation de néonicotinoïdes et la productivité et les chances de survie d'une colonie d'abeilles mellifères. Comme il y a très peu de données disponibles et vu que l'emploi des néonicotinoïdes est très répandu pour la production alimentaire, il convient de procéder sans tarder à de nouvelles études sur la situation des colonies.
Quatrièmement, il faut considérer la nutrition des abeilles mellifères. De récentes études en laboratoire ont révélé que la nutrition joue un rôle crucial dans l'immunité des abeilles. Ainsi, les pratiques de monoculture actuelles et le remplacement hivernal généralisé des réserves nutritives de miel destinées à la consommation humaine par du sirop de maïs à forte teneur en fructose ou par des solutions de sucrose mine grandement la capacité des abeilles à se défendre contre la maladie. Jusqu'à maintenant, très peu de recherches ont été menées sur le terrain afin notamment de déterminer comment intégrer efficacement aux pratiques agricoles des fourrages nutritifs pour les abeilles mellifères en marge des récoltes et comment les apiculteurs peuvent trouver le juste équilibre entre la saine nutrition de leurs colonies et les impératifs liés à la production de miel et à la pollinisation des récoltes.
Enfin, on doit tenir compte des interactions entre les différents facteurs de stress et tout particulièrement ceux que nous avons déjà mentionnés, à savoir le varroa et les virus qu'il transmet, les pesticides et la nutrition. On pourrait investir sans compter pour étudier indépendamment chacun de ces facteurs de stress possibles, mais si l'on ne parvient pas à mieux cerner leurs effets combinés dans la pratique, nous ne pourrons jamais vraiment comprendre leur impact sur les abeilles mellifères. Différentes études ont démontré que non seulement ces effets peuvent-ils s'additionner, mais aussi que des impacts synergétiques inattendus peuvent se manifester. Les efforts de recherche dans cette direction apparaissent donc d'autant plus justifiés.
Je viens de vous donner les cinq sujets de recherche que j'estime les plus importants si l'on veut comprendre et améliorer la santé des abeilles mellifères. Quoi qu'il en soit, très peu de percées seront réalisables au Canada si l'on ne dispose pas de ressources suffisantes pour embaucher du personnel, investir dans la réalisation d'études et veiller à ce que les conclusions tirées par les chercheurs puissent être applicables dans la pratique. Il faut absolument sensibiliser les apiculteurs et les fermiers à l'importance d'une philosophie profondément enracinée qui s'appuie sur la lutte antiparasitaire intégrée. Il s'agit d'un ensemble de stratégies d'optimisation agricole qui permettent au producteur, l'apiculteur en l'occurrence, d'assurer un suivi constant des populations de parasites et d'éviter qu'elles n'atteignent un seuil critique en ayant recours à différentes techniques de gestion spécialisées sans produits chimiques. Les agents de lutte chimique ne peuvent être utilisés qu'une fois le seuil critique irrémédiablement atteint.
Les apiculteurs n'ont pas recours à la lutte antiparasitaire intégrée à proprement parler, car il la considère souvent comme inapplicable dans la pratique dans sa forme actuelle, surtout pour les grandes exploitations apicoles, étant donné que son enseignement est parfois déficient et que, dans bien des cas, les chercheurs ne saisissent pas suffisamment bien les principes fondamentaux de la biologie des organismes nuisibles pour pouvoir élaborer une stratégie efficace de lutte antiparasitaire intégrée.
Vous vous rappelez sans doute que j'ai débuté ma déclaration en parlant d'une similarité entre le Canada et la Suisse, à savoir que les abeilles mellifères sont exposées dans ces deux pays à une multitude de facteurs de stress. Je vais conclure en vous faisant part d'une différence qui est liée aux ressources disponibles.
En Suisse, un pays qui compte huit millions d'habitants, 200 000 colonies d'abeilles mellifères et un territoire plus petit que la Nouvelle-Écosse, le gouvernement fédéral emploie quatre chercheurs et trois techniciens qui se consacrent entièrement aux abeilles mellifères. En comparaison, le Canada avec ses 35 millions d'habitants, ses 700 000 colonies d'abeilles mellifères et son territoire beaucoup plus grand et diversifié, n'emploie à ce que je sache à l'échelon fédéral qu'un chercheur et qu'un ou deux techniciens se consacrant à ces abeilles.
Pour assurer la santé future des abeilles mellifères, les gouvernements doivent d'abord et avant tout bien cerner les problèmes à régler, et j'apprécie donc grandement les efforts déployés par votre comité en ce sens. Une fois ce travail terminé, il faudra élaborer un plan stratégique bien concret et fournir les ressources nécessaires pour le mener à terme.
Je tiens à vous remercier bien sincèrement de votre attention et de votre invitation à comparaître devant vous aujourd'hui.
Le sénateur Robichaud : Monsieur Williams, vous avez conclu votre exposé en ciblant très clairement le manque de ressources pour la recherche sur les abeilles. Poser la question, c'est un peu y répondre, mais comment pourrions-nous améliorer les choses? Il nous faut davantage de chercheurs. Avec la capacité de recherche actuellement à notre disposition, combien de temps nous faudra-t-il pour trouver des solutions à tous ces éléments qui affectent la santé des abeilles?
M. Williams : Peu importe le nombre de chercheurs en cause, je pense qu'il est difficile de prévoir exactement combien de temps il faudra. Compte tenu du peu de ressources disponibles, les chercheurs doivent absolument concentrer leurs efforts sur les facteurs les plus critiques. Par exemple, l'Union européenne vient tout juste de créer un consortium de recherche pour traiter de la lutte contre le varroa et du développement de populations tolérantes et résistantes. On espère réaliser d'importants progrès dans l'échéancier prévu, à savoir d'ici quatre ou cinq ans. On cherche simplement à définir les mécanismes fondamentaux qui doivent être mis à contribution pour créer ces nouvelles populations d'abeilles mellifères plus tolérantes ou résistantes. L'implantation de ces mécanismes dans la pratique apicole exigera sans doute encore plus de temps. Il est donc difficile de savoir jusqu'où cela pourrait nous mener.
Le sénateur Robichaud : Et ce n'est que l'un des facteurs qui nuit à la santé des abeilles, n'est-ce pas?
M. Williams : Tout à fait. Le varroa n'est que l'un des éléments à considérer. Comme je l'indiquais, les facteurs de stress sont nombreux. Mais si vous leur posez la question, la majorité des chercheurs, voire les apiculteurs eux-mêmes, vous répondront que le varroa constitue actuellement la principale menace.
Le sénateur Robichaud : Qu'en est-il des néonicotinoïdes dans cette problématique?
M. Williams : Il ne fait aucun doute que c'est un autre facteur important. Comme je l'ai mentionné, les principaux programmes de surveillance des colonies n'ont pu détecter aucun lien entre la baisse de productivité et l'utilisation des néonicotinoïdes. Il n'y a eu que quelques études à ce sujet, dont une en Allemagne et une autre en France. Je crois aussi qu'il y en a une actuellement en cours aux États-Unis. Il y a peu de données disponibles, car il faut suivre plusieurs colonies pendant une longue période, ce qui laisse planer la controverse au sujet des néonicotinoïdes.
Le sénateur Robichaud : Dans quelle mesure l'usage des néonicotinoïdes est-il répandu en Europe par rapport à l'Amérique du Nord?
M. Williams : Auparavant, ces produits étaient largement utilisés en Europe, sans doute autant qu'en Amérique du Nord. Vous avez toutefois peut-être appris que l'Union européenne a décrété l'an dernier l'interdiction temporaire de trois nicotinoïdes sur le continent. Cette interdiction partielle n'est applicable qu'aux plantes les plus susceptibles d'attirer des abeilles. Ce ne sont pas tous les pesticides de la catégorie des nicotinoïdes qui sont interdits. Il y a donc actuellement en Europe une interdiction partielle qui est censée s'appliquer sur une période de deux ans. En ma qualité de chercheur travaillant en dehors du cadre de l'Union européenne et de l'Autorité européenne de sécurité des aliments, je ne saurais vous dire ce qu'il adviendra au bout de ces deux années d'interdiction. Il est difficile de prévoir quelle orientation sera choisie du point de vue de la recherche et de l'évaluation des risques encourus avec ces pesticides.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Bonjour, monsieur Williams. Je ne sais pas s'il s'agit ou non de votre organisme, mais une étude mondiale sur la séquence du génome a été menée dans le but de mieux comprendre l'évolution des abeilles que l'on appelle les Apis mellifera.
[Traduction]
M. Williams : Je n'ai pas participé à ce programme et je ne suis pas moi-même biologiste moléculaire, mais je sais tout de même que les percées réalisées leur permettront de déployer ces nouvelles ressources afin de mieux comprendre les mécanismes potentiellement responsables de la tolérance et de la résistance au varroa. Je ne connais donc pas ce programme auquel je n'ai pas participé, mais il s'agit essentiellement d'utiliser des techniques à l'échelle moléculaire pour mieux comprendre l'abeille mellifère. C'est peut-être ainsi que l'on découvrira éventuellement les mécanismes responsables de la tolérance au varroa, par exemple.
La sénatrice Hubley : Monsieur Williams, j'ai noté avec intérêt que vous n'avez rien dit dans votre exposé au sujet des changements climatiques ou du fait que l'environnement au sein duquel évoluent certaines colonies d'abeilles connaît des changements spectaculaires. Est-ce un aspect auquel vous vous êtes intéressé? Est-ce que cela pourrait être considéré comme un facteur de stress dans certaines situations?
M. Williams : Je ne me suis pas intéressé directement à la question, mais il y a assurément un lien avec l'alimentation des abeilles mellifères. Nous savons qu'il y a des sécheresses, des hausses ou des baisses de température, des fluctuations dans les précipitations. Ce sont autant d'éléments qui peuvent influer sur le fourrage des abeilles et par le fait même sur leur nutrition. À titre d'exemple, nous avons connu en Suisse un très mauvais été avec beaucoup de pluie et très peu de soleil. Nos colonies d'abeilles ont donc beaucoup souffert. Nous avons dû leur donner de grandes quantités de sucrose dès le milieu de l'été, contrairement à ce qui se fait normalement. Le sucrose n'est pas aussi nutritif que le miel qui est généralement à la base de leur alimentation. Si un scénario semblable devait se répéter année après année, il y aurait assurément des répercussions néfastes sur les abeilles ou leur vulnérabilité par rapport à d'autres facteurs de stress.
La sénatrice Hubley : Je crois que c'est à votre initiative que les colonies d'abeilles sont maintenant conservées à l'année longue. N'était-ce pas l'un des objectifs que vous visiez?
M. Williams : Pourriez-vous répéter la question?
La sénatrice Hubley : Je crois que vous aviez notamment pour objectif que nous soyons capables de conserver les colonies d'abeilles à longueur d'année, n'est-ce pas? Au Canada, il fallait s'assurer que les abeilles puissent passer l'hiver, comme c'est le cas dans bien d'autres pays. N'était-ce pas l'un des résultats que vous souhaitiez obtenir?
M. Williams : C'est bien sûr l'objectif principal. Auparavant, les apiculteurs canadiens tuaient toutes leurs abeilles à la fin de l'été et achetaient l'année suivante de nouvelles abeilles en paquets des États-Unis. On a cessé d'agir de la sorte en raison de la conjoncture économique et de la fermeture de la frontière. Au Canada, comme en Europe, les apiculteurs veulent désormais conserver leurs colonies d'une année à l'autre. Il s'agit surtout de voir comment on pourra permettre aux abeilles de passer l'hiver, car c'est l'étape la plus critique dans la vie d'une colonie.
[Français]
Le sénateur Maltais : Monsieur Williams, bienvenue. Quel est le taux de mortalité actuel des abeilles en Suisse?
[Traduction]
M. Williams : En Suisse, le taux de mortalité se situe actuellement quelque part entre 15 et 20 p. 100. Il est donc généralement un peu inférieur, peut-être de 10 points de pourcentage, à celui habituellement enregistré au Canada qui est de 25 à 30 p. 100.
[Français]
Le sénateur Maltais : La monoculture qui a lieu en Suisse est-elle un facteur qui influe sur la qualité du miel?
[Traduction]
M. Williams : En Suisse, nous n'avons pas de vastes monocultures, ce qui fait que les abeilles ont généralement accès à toute une variété de fourrages pour récolter leur nectar. Nos champs sont beaucoup plus petits, surtout si on les compare à ceux de l'Ouest canadien. Ceci étant dit, il faut toutefois savoir que la plus grande partie du miel estival produit par les colonies d'abeilles vient du colza, qui correspond essentiellement au canola canadien, ce qui fait que les abeilles choisissent ces cultures très répandues où elles peuvent trouver le nectar qu'elles transforment en miel.
[Français]
Le sénateur Maltais : La production de l'Ouest canadien est, bien sûr, composée de grandes monocultures, mais dans l'Est du Canada, les provinces de l'Ontario, du Québec et des Maritimes n'ont pas, de leur côté, énormément de grandes cultures. Par contre, il y a dans ces provinces une floraison assez particulière, soit la floraison sauvage, qui apporte un équilibre à la qualité de miel. Je pense particulièrement à la province de la Nouvelle-Écosse et au Sud de l'Ontario, en raison des arbres fruitiers. Peut-on comparer le taux de mortalité des abeilles d'un pays relativement petit, tel que la Suisse, que vous établissez à 15 à 20 p. 100, à celui de l'Est du Canada, où on peut constater à peu près les mêmes proportions relativement au taux de mortalité?
Les scientifiques ont constaté que les proportions du taux de mortalité étaient beaucoup plus élevées dans les grandes monocultures que dans les endroits où il y a davantage de cultures particulières. Peut-on comparer cela à la Suisse en ce qui a trait au taux de mortalité?
[Traduction]
M. Williams : Je pense que cela serait difficile, mais la situation en Nouvelle-Écosse et dans le sud de l'Ontario s'apparente sans doute bien davantage à celle de la Suisse, car les vergers, les fleurs sauvages et les sites naturels y pullulent.
Les conditions climatiques y sont également plus semblables à celles de la Suisse, bien que notre territoire soit continental, ce qui ne veut pas nécessairement dire que notre climat puisse se comparer à celui des Prairies canadiennes. Par exemple, j'habite sur un plateau où la température hivernale ne descend pas sous les moins 10 ou moins 15. Je crois donc qu'il faut se montrer extrêmement prudent dans les comparaisons. Les pratiques apicoles sont bien différentes. Comme les parasites et les virus ne sont pas les mêmes eux non plus, je ne sais pas trop si c'est une bonne idée de vouloir faire des comparaisons directes.
[Français]
Le sénateur Maltais : Quelle est l'influence des produits chimiques? En Suisse, combien avez-vous, par exemple, de produits chimiques homologués qui servent à la culture du maïs ou des pommes de terre ou d'autres produits que vous produisez? Combien de pesticides utilisez-vous?
[Traduction]
M. Williams : Je ne peux vous donner les chiffres exacts, malheureusement, mais nous utilisons des pesticides. Nous utilisons moins de néonicotinoïdes depuis quelques années, mais je pense qu'en Suisse, à tout le moins, il y a un mouvement en faveur de l'agriculture biologique. Même si je n'ai pas de chiffres à l'appui, et que je ne suis pas en mesure de l'affirmer, je pense que cela peut avoir joué un rôle. On veut réduire l'utilisation des produits chimiques dans l'agriculture en général, et aussi dans les colonies d'abeilles. Au Canada, par exemple, les apiculteurs peuvent utiliser un produit chimique synthétique appelé fluvalinate, alors que ce produit est interdit en Suisse parce qu'on ne veut pas en retrouver des traces dans la cire, et il en va de même des antibiotiques.
La sénatrice Beyak : J'ai une question qui s'adresse à vous, monsieur Williams. C'est très intéressant. Des Canadiens vous écoutent d'un océan à l'autre. C'est impressionnant de vous entendre.
Vous avez parlé d'un parasite qui sévissait il y a une vingtaine d'années. Savez-vous depuis combien de temps la Suisse et le Canada étudient la santé des abeilles et si les colonies ont déjà connu un tel effondrement par le passé? Savez-vous aussi si le parasite qui se nourrit de leur sang peut représenter un grave danger? Vous avez parlé de ce qui s'est produit il y a environ 20 ans et j'aimerais que vous nous donniez plus de détails à ce sujet.
M. Williams : La Suisse effectue des recherches sur les abeilles depuis fort longtemps. Je crois que la grande différence entre la Suisse et le Canada tient au type d'apiculteurs. En Suisse, nous avons un grand nombre d'apiculteurs qui possèdent un petit nombre de colonies — les abeilles sont presque des animaux domestiques pour eux —, alors qu'au Canada, les apiculteurs sont moins nombreux mais ont plus de colonies, et il s'agit vraiment d'une entreprise commerciale. Là où je suis, on mène des recherches sur les abeilles depuis plus de 100 ans.
Pour ce qui est du Canada, je n'ai pas de données exactes malheureusement, mais je pense qu'on y mène des recherches depuis des décennies.
Il est vrai qu'il y a eu des vagues de mortalité importantes par le passé. Il est très difficile d'en savoir les causes. On sait par exemple qu'au Royaume-Uni, à une occasion, les mortalités ont été causées par l'acarien trachéen, un parasite qui était aussi présent au Canada, et je pense qu'on a réussi plus ou moins à l'éliminer par les pratiques d'élevage.
Pour ce qui est du varroa, dès son arrivée, on a constaté une augmentation considérable de la mortalité dans les colonies au Canada, en Suisse et dans d'autres pays. Je crois qu'au Canada, avant son arrivée, les taux de mortalité pendant l'hiver étaient d'environ 15 p. 100, et en Suisse, je pense qu'ils étaient d'environ 10 p. 100. Après l'arrivée de cet acarien dans les colonies, les taux de mortalité ont bondi d'au moins. 10 p. 100.
Le sénateur Enverga : Merci, monsieur Williams, de votre exposé, et nous sommes heureux que vous ayez des liens avec le Canada.
Dans votre rapport, vous mentionnez les parasites, les virus, les pesticides, les produits chimiques et, peut-être aussi, les changements climatiques. La demande de produits alimentaires et agricoles étant ce qu'elle est, on tente aussi de commercialiser les abeilles. Est-ce que vous ou votre organisation savez si le bassin génétique des colonies d'abeilles est vaste? Proviennent-elles toujours de la même colonie? Est-ce la raison pour laquelle la colonie s'affaiblit, en raison du bassin génétique?
M. Williams : C'est un sujet dont on a beaucoup discuté par le passé. L'élevage n'est pas, malheureusement, mon domaine de spécialité, mais je sais que certaines études ont révélé, en effet, que les abeilles ont une faible diversité génétique.
Une nouvelle étude a été menée dernièrement par des chercheurs de l'Université York à Toronto, qui a révélé que les techniques d'élevage utilisées au cours des dernières années — je ne me souviens pas des détails exacts — ont permis en fait d'accroître la diversité génétique. Cette étude a été menée à l'Université York. Je n'en sais pas plus toutefois.
Au sein du réseau COLOSS, nous avons un groupe de chercheurs qui étudie l'influence de l'environnement et du génotype sur les colonies d'abeilles. Cette étude ne s'applique pas nécessairement au Canada, car vous n'avez pas d'espèces indigènes comme en Europe où nous avons plusieurs sous-espèces. En résumé, les chercheurs ont découvert que les espèces locales sont plus résistantes que les espèces introduites. En Allemagne, on importe de nombreuses espèces qui viennent d'Italie, et vice versa. Il y a donc des transferts dans les sous-espèces. C'est ce qui a permis aux chercheurs de découvrir que les espèces locales sont plus résistantes que les autres.
Le sénateur Enverga : Le COLOSS prévoit-il examiner plus à fond le lien entre la génétique, s'il y a lieu, et la disparition des colonies d'abeilles? Avez-vous l'intention de le faire?
M. Williams : Je ne sais pas, mais je sais que la question de la génétique intéresse des chercheurs. Pierre Giovenazzo élève des abeilles au Québec. Stephen Pernal et Leonard Foster élèvent aussi des abeilles et tentent de développer des lignées résistantes ou tolérantes à l'aide de la protéomique. Des chercheurs s'intéressent donc à l'influence de la diversité génétique sur la survie ou la productivité des colonies d'abeilles.
Le sénateur Enverga : Nous avons des plantes qui sont génétiquement modifiées. Leur pollen peut-il nuire aux abeilles ou à leur santé? Cela peut-il représenter un facteur de stress?
M. Williams : Tout ce que je peux dire en ce moment, c'est qu'il n'y a pas eu beaucoup d'études sur le sujet. Je ne peux donc pas me prononcer malheureusement.
Le sénateur Ogilvie : Vous avez brossé un excellent portrait de la situation en Suisse. J'aimerais avoir deux ou trois précisions.
Vous avez mentionné que le nombre de petits apiculteurs est sans doute plus élevé en Suisse qu'au Canada — ce ne sont pas de grands apiculteurs professionnels qui déplacent leurs colonies d'un endroit à un autre. Pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet? Avez-vous des apiculteurs en Suisse qui possèdent un grand nombre de colonies qu'ils déplacent à l'intérieur du pays ou dans d'autres pays européens au cours de l'année?
M. Williams : On pratique l'apiculture pastorale en Europe, mais à une bien moins grande échelle qu'au Canada ou aux États-Unis. En Suisse, nous avons très peu d'apiculteurs qu'on appelle commerciaux. En fait, il y en a de moins en moins qui déplacent leurs colonies pour favoriser la pollinisation.
En Suisse, il y a davantage d'apiculteurs, mais moins de colonies. Vous avez dit que ce ne sont pas des professionnels comme en Amérique du Nord, mais en Suisse, même si les apiculteurs n'ont que 5 ou 10 colonies, ce sont des gens très professionnels qui, très souvent, ont étudié l'élevage et la biologie des abeilles.
Une autre différence entre nos deux pays, c'est qu'en Suisse, les apiculteurs ne reçoivent pas de prime à la pollinisation comme au Canada. Leurs colonies sont fixes, et comme la densité est élevée, la pollinisation s'effectue essentiellement, bien sûr, avec tous les types de pollinisateurs sauvages.
Le sénateur Ogilvie : Je n'ai certainement pas voulu remettre en question le professionnalisme des apiculteurs. Nous pensons que les apiculteurs pour qui les abeilles sont des « animaux domestiques », pour reprendre un terme que vous avez employé, savent sans doute beaucoup mieux comment en prendre soin que les professionnels dont j'ai parlé. Nous utilisons souvent le terme professionnel pour qualifier les apiculteurs qui possèdent un grand nombre de colonies qu'ils déplacent à des fins commerciales. C'est ce que j'ai voulu dire en utilisant le terme « professionnel ».
Ainsi, on ne sait pas vraiment si les taux de survie sont plus élevés dans les très grandes colonies que dans les petites colonies comme en Suisse, car il n'y a pas de données dans ce cas.
Il y a un autre élément qui peut influer sur le taux de survie et la santé des abeilles, et c'est le fait que la topographie est très diversifiée en Suisse. Le grand nombre de petits apiculteurs joue sans doute un rôle utile à cet égard. Avez-vous noté des différences importantes dans les taux de survie qui seraient liées à la topographie en Suisse?
M. Williams : Je vais parler encore une fois brièvement de la question de la migration. Selon des études récentes, la migration influe sur les abeilles et les colonies. Des études ont aussi été menées aux États-Unis par — et ce nom vous dira sans doute quelque chose — la Bee Informed Partnership qui est dirigée par Dennis vanEngelsdorp. Il compare, par exemple, les élevages pastoraux et non pastoraux, la taille des élevages, et il analyse leurs effets sur les colonies. Si vous ne connaissez pas ces études très intéressantes, je vous recommande de les lire.
Pour revenir à la topographie et ses effets sur les colonies, c'est une question que nous examinons à l'heure actuelle. Peu de chercheurs ont intégré ce qu'on appelle les systèmes d'information géographique, ou SIG, pour étudier les effets de la topographie ou de l'utilisation des terres sur les colonies d'abeilles. Nous menons donc une étude en ce moment, et j'espère que je pourrai vous en dire un peu plus. En Suisse, la plupart des colonies sont situées dans un environnement agricole mi-urbain, mi-rural. Il y en a très peu en altitude. Il n'y a pas nécessairement d'endroits parfaits comme au Canada où on trouve des régions forestières et agricoles qui ne sont pas du tout urbanisées.
Avant-hier, j'étais à Zermatt qui est située à 1 600 mètres d'altitude, et même si les zones agricoles se trouvent habituellement plus bas, à 500 ou 700 mètres d'altitude, on y trouve encore des colonies d'abeilles. On trouve des apiculteurs dans des régions très différentes. J'espère un jour être en mesure de vous donner une réponse plus précise.
Le sénateur Ogilvie : Ma dernière question porte elle aussi sur les néonicotinoïdes. Vous nous avez fait un résumé des utilisations différentes, mais peut-être moins répandues, qu'on en fait dans d'autres pays. Vous avez aussi mentionné que vous observez le comportement des abeilles en Suisse depuis sans doute beaucoup plus longtemps qu'au Canada. Depuis que les néonicotinoïdes ont commencé à être utilisés il y a environ une quinzaine d'années, avez-vous remarqué un changement dans la stabilité des colonies d'abeilles?
M. Williams : Oui, il semble bien qu'il y ait un lien puisque les colonies d'abeilles ont commencé à avoir des taux de mortalité élevés au cours des six à huit dernières années, soit depuis 2006 environ, et ils n'ont pas cessé de croître depuis.
Je vous explique brièvement ce qui s'est passé en France, toutefois, où on a utilisé un néonicotinoïde appelé imidaclopride pendant un certain temps avant de l'interdire. D'après les informations que j'ai, l'interdiction n'a pas eu d'incidence sur le taux de mortalité dans les colonies.
Je ne sais pas si les pesticides étaient encore présents dans l'environnement, mais pour l'instant, on ne peut pas établir de lien étroit entre les néonicotinoïdes et le taux de mortalité dans les colonies. Il faudra donc mener des études plus approfondies. Il est trop tôt pour savoir ce qui se passe au sein des colonies. On peut, bien sûr, exposer les abeilles à des pesticides dans des laboratoires et voir qu'elles réagissent, mais il faut maintenant procéder à des études réalistes sur le terrain.
Le sénateur Ogilvie : L'autre problème, c'est le varroa. Au cours des 15 dernières années, y a-t-il eu des changements importants dans leur nombre?
M. Williams : Il a assurément continué de se répandre. On en trouve actuellement dans toutes les régions de la planète, sauf à une poignée d'endroits. Je suis heureux de vous dire qu'il n'y en a pas à Terre-Neuve, même si on y trouve une industrie apicole. La province n'est pas très grande, mais il n'y en a pas là comme dans quelques autres régions, même si on le trouve presque partout ailleurs.
En ce qui a trait au nombre total, je n'ai pas d'information à ce sujet. Au cours des dernières années, on a parlé d'un niveau critique. Si le niveau est atteint au sein d'une colonie, il y a de fortes chances qu'elle ne passe pas l'hiver. Il semble que ce niveau critique diminue au fil des années.
Le sénateur Ogilvie : Je vous remercie beaucoup.
Le sénateur Robichaud : Monsieur Williams, s'intéresse-t-on suffisamment aux pollinisateurs sauvages, ou est-ce le manque de ressources qui nous empêche de mener des études pour savoir si les pollinisateurs sauvages ont développé une sorte d'immunité à l'égard des facteurs qui stressent les abeilles?
M. Williams : Je pense que c'est très lié au type de facteur. Nous avons des études qui ont clairement démontré que les pesticides, par exemple, peuvent nuire aux bourdons tout comme aux abeilles. En fait, nous avons plus d'études qui ont démontré que les colonies de bourdons et d'autres types d'apoïdes peuvent être particulièrement sensibles aux pesticides.
En ce qui a trait aux parasites, tout dépend vraiment du type. Par exemple, selon nos connaissances actuelles, le varroa ne s'attaque pas aux bourdons ou aux autres types d'apoïdes, mais seulement aux abeilles. Des études récentes ont démontré également qu'il y a un transfert, particulièrement dans le cas des virus ou d'autres microorganismes, entre les abeilles, les bourdons et les autres apoïdes.
[Français]
Le sénateur Maltais : Monsieur Williams, à une question que vous a posée la sénatrice Hubley, vous avez répondu que, en raison du climat en Suisse, le temps d'hibernation des abeilles est beaucoup moins long chez vous qu'au Canada. Comment préservez-vous vos abeilles? Ici, au Canada, lorsque le cycle de floraison est terminé, les abeilles entrent en hibernation et reviennent l'année suivante. C'est à ce moment-là que l'on constate le taux de mortalité. Après la période de floraison en Suisse, qui ne dure pas 12 mois par année, comment faites-vous pour préserver les abeilles dans les ruches?
[Traduction]
M. Williams : Même si le climat est différent dans certaines régions du Canada, dans d'autres — par exemple, sur la partie continentale de la Colombie-Britannique, dans la vallée du bas Fraser, à Vancouver, ou dans les régions côtières de l'Est du Canada — il ressemble beaucoup à ce qu'on trouve en Suisse. Il n'y a pas vraiment un climat continental extrêmement froid qui dure extrêmement longtemps.
En ce qui a trait à la préservation des abeilles, nous avons aussi une période d'hibernation où la reine arrête de pondre des œufs et de couver. Il y a donc en ce sens une période d'hibernation en Suisse tout comme au Canada. Elle ne dure peut-être pas aussi longtemps et les températures peuvent être différentes, mais il y en a tout de même une. C'est différent de ce qui se passe dans les régions près de la Méditerranée ou dans le Sud des États-Unis, où il peut y avoir une pénurie de nectar qui peut être liée à une absence de couvain, mais il n'y a pas de période d'hibernation à proprement parler.
[Français]
Le sénateur Maltais : Monsieur Williams, vous avez cité un exemple des changements climatiques. Cette année, vous avez eu un été pluvieux, ce qui a retardé la floraison. Vous avez mentionné que vous donnez des solutions de sucrose aux abeilles. En procédant ainsi, quelle est la qualité du miel que les abeilles produisent?
[Traduction]
M. Williams : Nous n'avons pas eu un bel été comme d'habitude avec du temps sec et de la chaleur. Il n'y a donc pas eu de plantes fourragères en aussi grande quantité et qualité que d'habitude pour les abeilles. Nous avons dû les nourrir avec une solution de sucre, ou sucrose, pour qu'elles aient suffisamment d'hydrates de carbone pour survivre. Nos colonies mourraient littéralement de faim; elles n'avaient pas de nourriture.
Des études récentes menées aux États-Unis indiquent clairement qu'il existe une différence du point de vue nutritionnel entre le sucrose, par exemple, et le nectar, que les abeilles transforment en miel. Le sucrose ne contient pas les mêmes types de minéraux ou de vitamines que le miel. Nous ne savons pas exactement le rôle que jouent les vitamines et minéraux dans la santé des abeilles, mais ce type d'aliment est certainement mieux que les substances qui n'en contiennent pas.
La sénatrice Beyak : Nous avons appris aujourd'hui que de nombreux facteurs ont contribué à l'effondrement des colonies depuis 2006. Après l'effondrement qu'a connu le Royaume-Uni, quelles mesures a-t-on prises pour les ramener à la santé? Y a-t-il des enseignements à en tirer? Auriez-vous des recommandations à nous faire?
M. Williams : Il y a eu un effondrement au Royaume-Uni en effet avant 2006. Cela remonte en fait à près de 100 ans. C'est l'exemple que je vous ai donné pour montrer qu'il y a eu des effondrements par le passé.
À l'heure actuelle, nous traversons une période où les taux de mortalité dans les colonies perdurent et ne cessent de croître, et la tâche n'est pas facile. C'est le problème que les chercheurs et les conseillers tentent de régler pour stimuler l'apiculture. On en revient donc aux cinq travaux de recherche ou de vulgarisation dont je vous ai parlé au début. À mon avis, le varroa est la menace la plus importante qu'il faut contrer.
La sénatrice Beyak : Je sais que l'effondrement des colonies ne date pas d'hier, mais je me demandais si vous saviez ce qui avait mené à leur rétablissement. Si cet effondrement remonte à une centaine d'années, il n'y a probablement rien qui a été consigné.
M. Williams : L'augmentation des taux de mortalité dans les colonies depuis 2006 est plus ou moins confirmée maintenant. Depuis, nous connaissons des taux de mortalité élevés de 30 ou 35 p. 100 comme au Canada. L'année 2006 a marqué l'histoire, parce que c'est cette année-là que les chercheurs ont parlé pour la première fois du « syndrome d'effondrement des colonies » et qu'ils ont utilisé cette expression. Ce syndrome correspond à une série de critères bien définis. L'augmentation n'était pas encore à ce moment ce qu'elle est aujourd'hui, mais comme le tout était mystérieux et qu'on n'en connaissait pas la cause, cela a stimulé la recherche et piqué l'intérêt de la population. Depuis 2006, les taux de mortalité n'ont pas cessé de croître et je ne crois pas que nous en ayons vu la fin encore.
La sénatrice Beyak : Merci.
Le sénateur Enverga : Vous avez indiqué dans votre rapport que les taux de mortalité sont moins élevés en Suisse qu'au Canada. Y a-t-il des différences entre les abeilles de la Suisse et celles du Canada?
M. Williams : Il se pourrait qu'il s'agisse de sous-espèces différentes, mais je n'en sais pas plus. Là où il y a des différences importantes, c'est dans les pratiques d'élevage. Comme les apiculteurs ont moins de colonies, ils peuvent leur consacrer plus de temps, ce qui permet, nous l'espérons, d'en accroître la qualité. L'environnement n'est pas le même et il n'y a pas de migration en Suisse. Il y a donc un certain nombre de caractéristiques environnementales qui pourraient expliquer la différence dans les taux de mortalité, mais ce n'est pas clair.
Le président : Monsieur Williams, comme vous l'avez mentionné dans votre exposé, COLOSS rassemble des chercheurs du monde entier pour favoriser la collaboration et le dialogue. Nous avons eu des témoins qui nous ont parlé du problème du transfert des connaissances aux apiculteurs. Que fait COLOSS en ce sens?
M. Williams : C'est une excellente question. Nous avons eu une rencontre le mois dernier en Espagne qui portait sur l'EurBee. C'est une question très importante pour nous et c'est pourquoi nous avons créé notre propre groupe de travail sur le transfert des connaissances. Nous savons que c'est un défi très important que nous devons relever. Jusqu'à maintenant, nous avions consacré nos efforts surtout au réseautage, à la communication et au dialogue entre les chercheurs. Ce que nous voulons faire maintenant, c'est de nous concentrer sur le transfert des connaissances.
En Suisse, nous avons un assez bon système. Comme c'est une question très importante, on met en place depuis deux ans un service d'information, une interface, entre les chercheurs et les apiculteurs. Tout le monde s'entend pour dire que le transfert des connaissances aux apiculteurs et leur formation sont primordiaux. En résumé, suivez les activités de COLOSS pour en savoir plus. Nous travaillons sur la question.
Le président : Monsieur Williams, au nom du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts, je vous remercie de votre témoignage très instructif et de très grande qualité. Avant de terminer, aimeriez-vous ajouter quelque chose?
M. Williams : Non. Je vous remercie sincèrement de m'avoir invité. J'ai hâte de lire votre rapport.
Le président : Merci, monsieur Williams.
(La séance est levée.)