Aller au contenu
AGFO - Comité permanent

Agriculture et forêts

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule no 29 - Témoignages du 28 mai 2015


OTTAWA, le jeudi 28 mai 2015

Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui, à 8 h 34, pour étudier les priorités pour le secteur agricole et agroalimentaire canadien en matière d'accès aux marchés internationaux.

Le sénateur Percy Mockler (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Avant de présenter les témoins, je tiens à saisir cette occasion pour indiquer aux sénateurs et à ceux qui nous écoutent ou qui nous regardent sur CPAC qu'hier, la sénatrice Tardif, vice-présidente du comité, et moi-même avons déposé le rapport sur les abeilles.

J'ai appris ce matin qu'il y a eu de nombreuses visites sur le site web; de nombreux articles ont été écrits d'un bout à l'autre du pays, ainsi qu'aux États-Unis et en Europe. Les témoins que nous avons entendus par vidéoconférence et lors de notre visite à Washington se dont dits impressionnés par nos recommandations. Nous continuerons de surveiller la situation, mais j'aimerais profiter de l'occasion pour remercier tous les sénateurs. Le rapport a été bien accueilli par le secteur.

Hier soir, j'ai discuté avec un dirigeant du secteur, qui était très satisfait de constater que nous avons formulé des recommandations équilibrées en vue d'assurer la santé des abeilles et que nous avons proposé des solutions axées sur des données scientifiques, plutôt que sur des ouï-dire ou des ragots. À titre de président, je vous remercie beaucoup de votre collaboration et de votre participation. Je tiens aussi à remercier les 85 témoins qui ont participé à l'étude.

[Français]

Cela étant dit, je vous souhaite la bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts. Mon nom est Percy Mockler, je suis un sénateur du Nouveau-Brunswick et président du comité.

[Traduction]

Je demanderais maintenant aux sénateurs de se présenter.

La sénatrice Merchant : Pana Merchant, de la Saskatchewan.

La sénatrice Beyak : Lynn Beyak, de l'Ontario.

[Français]

La sénatrice Tardif : Claudette Tardif, de l'Alberta.

Le sénateur Maltais : Ghislain Maltais, du Québec.

Le sénateur McIntyre : Paul McIntyre, du Nouveau-Brunswick.

[Traduction]

La sénatrice Unger : Betty Unger, de l'Alberta.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Jean-Guy Dagenais, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Ogilvie : Kelvin Ogilvie, de la Nouvelle-Écosse.

Le président : Avant de poursuivre, j'aimerais souligner le travail acharné accompli par notre personnel grâce au greffier, M. Pittman, et à Aïcha Coulibaly. Lorsque nous arrivons à nos réunions, le greffier a déjà communiqué avec les témoins. Nous avons l'impression que les témoins sont des experts dans leur domaine et qu'ils connaissent le mandat du comité.

[Français]

Ce matin, je m'en voudrais de ne pas reconnaître le travail effectué par l'équipe de notre greffier, M. Kevin Pittman. Aujourd'hui, le comité poursuit son étude sur les priorités pour le secteur agricole et agroalimentaire canadien en matière d'accès aux marchés internationaux.

[Traduction]

Le secteur agricole et agroalimentaire canadien joue un rôle important dans l'économie du pays. En 2013, un travailleur sur huit au pays, représentant plus de 2,2 millions de personnes, était employé dans ce secteur, qui a d'ailleurs contribué à près de 6,7 p. 100 du produit intérieur brut.

[Français]

En comptant 6,7 p. 100 du produit intérieur brut au niveau international, le secteur agricole et agroalimentaire canadien était responsable de 3,5 p. 100 des exportations mondiales des produits agroalimentaires en 2013. De plus, en 2013, le Canada a été le cinquième exportateur de produits agroalimentaires parmi les plus importants au monde.

[Traduction]

Le Canada participe à plusieurs accords de libre-échange, ou ALE. À ce jour, 12 ALE sont en vigueur. L'Accord de partenariat économique et commercial global entre le Canada et l'Union européenne est conclu, et des négociations sont en cours relativement à 11 ALE, y compris celles destinées à moderniser l'Accord de libre-échange Canada-Costa Rica.

[Français]

Le gouvernement fédéral entame également des discussions préliminaires sur le commerce avec la Turquie, la Thaïlande, et les États membres du Mercosur, soit l'Argentine, le Brésil, le Paraguay, l'Uruguay et le Venezuela.

Nous recevons, du Conseil de la transformation agroalimentaire et des produits de consommation, Mme Sylvie Cloutier, présidente-directrice générale. Nous recevons également M. Dimitri Fraeys, vice-président, Innovation et affaires économiques. Du Groupe Export agroalimentaire Québec— Canada, nous entendrons M. André Coutu, président et chef de la direction, et M. Raymond Dupuis, économiste et conseiller stratégique. Lorsqu'on vous a demandé de participer, on vous a transmis des renseignements en lien avec votre présentation. Par la suite, nous passerons à la période des questions.

Soyez à l'aise de nous faire part de vos commentaires. Nous souhaitons entendre votre point de vue en ce qui concerne la prochaine étape dans le cadre des ententes. Cela dit, M. Coutu fera d'abord son exposé, suivi de Mme Cloutier. Monsieur Coutu, vous avez la parole.

André Coutu, président et chef de la direction, Groupe Export agroalimentaire Québec—Canada : Je vous remercie, monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs. C'est avec plaisir que je comparais aujourd'hui devant votre comité afin de discuter des enjeux liés à l'exportation de produits du Québec à travers le monde.

Le Groupe Export agroalimentaire Québec—Canada a son siège sur la Rive-Sud de Montréal. Il s'agit d'un regroupement d'affaires qui compte 400 membres, dont 359 manufacturiers et fabricants agroalimentaires de toutes les régions du Québec.

La mission du Groupe Export agroalimentaire Québec— Canada se résume au commerce des aliments et des boissons un peu partout sur la planète. Nous favorisons l'accès aux tablettes pour les produits de nos membres exportateurs.

Bon an mal an, nous participons à environ 25 évènements internationaux, notamment des salons agroalimentaires en Chine, au Japon, aux États-Unis et en Amérique du Sud, et nous recevons des acheteurs. Nous prévoyons faire des validations de marché partout dans le monde pour aider les entreprises à mieux se positionner sur ces marchés.

Nous sommes également partenaires et actionnaires du Salon international de l'alimentation qui a eu lieu à Toronto et qui vient de se finir. Ce salon est une plateforme extraordinaire pour les produits alimentaires canadiens. Le dernier salon nous a permis d'accueillir environ 50 pays et 15 000 autres visiteurs du milieu des affaires de l'agroalimentaire de base. Ce n'est pas un salon destiné au grand public; il s'adresse aux commerçants. Environ 750 participants canadiens ont exposé leurs produits sur place. Cette plateforme a été mise sur pied il y a environ 12 ans dans l'intérêt des entreprises canadiennes.

Le Groupe Export agroalimentaire Québec—Canada est interpellé par le ministère du Commerce international et le ministre Ed Fast, qui a fait un excellent travail au cours des dernières années. Nous appuyons ses efforts. À notre avis, c'est la façon de faire des affaires : percer les marchés étrangers, développer des marchés, entamer des discussions, notamment avec l'Europe et la Corée. Bientôt, nous disposerons du Partenariat transpacifique.

J'ai eu l'occasion d'échanger avec le ministre Fast sur différents sujets au cours des dernières années. Il devait participer au Salon international de l'agroalimentaire (SIAL) avec M. Ritz, à Toronto, mais malheureusement, il a été retenu à Ottawa par M. Harper en raison d'autres priorités. Cela dit, ils nous ont témoigné par écrit leur reconnaissance pour notre participation à cet évènement.

Le Groupe Export agroalimentaire Québec—Canada travaille sur différents marchés. L'impact des exportations agroalimentaires au Québec est très important. Lorsqu'on parle d'exportation, on fait référence à tous les produits qui sortent des frontières du Québec. Nous exportons, entre guillemets, autant au Canada qu'ailleurs dans le monde, soit pour 14,1 milliards de dollars. L'industrie agroalimentaire est gigantesque et d'une importance capitale au Québec.

À l'échelle internationale, nos exportations représentent 7 milliards de dollars, dont 4,7 milliards sur le marché américain. De toute évidence, les États-Unis représentent notre marché le plus important. C'est un marché qui se trouve tout près de nos frontières et qui est facilement accessible. Les paramètres liés au transport et au financement sont en place. Nous connaissons bien la façon de travailler avec les Américains. Il ne faut surtout pas commettre l'erreur de prétendre que le marché américain est conquis, et que nous avons fini de travailler avec ce dernier. Au contraire, il faut poursuivre nos efforts. Nous n'avons touché que la pointe de l'iceberg. Nous exportons aux États-Unis près de 5 milliards de dollars sur 7 milliards de dollars. C'est énorme.

Un autre élément dont il faut tenir compte est le marché canadien, soit le reste du Canada. Les affaires au Québec représentent 7 milliards de dollars, ce qui n'est pas négligeable. Nous nous inspirons de la philosophie du ministre Moore, soit lever les barrières entre les provinces, encourager le commerce interprovincial et ouvrir de nouveaux débouchés. Nous sommes d'accord avec cette approche. Ainsi, rien n'empêche un cultivateur de canneberges au Québec de vendre son produit à un fabricant de biscuits de l'Alberta, et vice versa. Ces ressources sont une priorité autant au Canada qu'à l'étranger.

L'impact des exportations au Québec est important. Elles contribuent environ 1,2 milliard de dollars à l'économie du Québec, ce qui favorisera bientôt la création d'environ 100 000 emplois. À l'heure actuelle, 90 000 emplois sont tributaires de l'exportation au Québec. Compte tenu des prévisions selon lesquelles les exportations augmenteront en 2015, 2016 et 2017, nous pouvons sans gêne affirmer que de 10 000 à 12 000 nouveaux emplois seront créés dans ce secteur, pour un total de 100 000 emplois au Québec seulement. Si vous faites la multiplication pour le Canada, c'est intéressant.

À l'échelle fédérale, les retombées pour le Québec sont de l'ordre de 750 millions de dollars. C'est un élément très important lorsqu'on considère l'investissement consenti par les gouvernements et le soutien provenant des programmes d'agromarketing pour la mise en marché des produits du Québec.

Par l'entremise d'Agriculture et Agroalimentaire Canada, le gouvernement fédéral investit 1,1 million de dollars par année dans notre organisation en faveur des manufacturiers. Il s'agit d'un plan quinquennal. Autrefois, nous recevions 1,7 million de dollars. Vous vous demandez sans doute pourquoi nous recevons moins d'argent. C'est parce que nos objectifs ont changé.

Le gouvernement a d'abord accordé la priorité aux marchés en émergence, soit le BRIC : le Brésil, la Russie, l'Inde, la Chine et l'Afrique. Comme nous travaillons, nous, les transformateurs, surtout sur le marché américain, au Japon et sur d'autres marchés, il y avait une certaine dichotomie. Le Groupe Export agroalimentaire Québec—Canada est en faveur de la vente des commodités du blé, de l'orge et du bœuf partout dans le monde. Nous le faisons dès que l'occasion se présente. Cependant, il ne faut pas oublier que dans l'est du pays, l'Ontario, le Québec et les Maritimes, nous sommes des transformateurs à valeur ajoutée. Il faut soutenir les activités de nos manufacturiers sur les marchés internationaux.

En tant que petite et moyenne entreprise au Québec, faire des affaires en Chine, c'est très « glamour ». Tout le monde veut faire des affaires en Chine. C'est là que s'ouvrent les perspectives d'avenir. On nous dit qu'il faut y aller, que c'est là qu'il y a du développement, et on nous demande pourquoi nous n'y sommes pas. Les gens en beurre épais.

Dans le cadre de nos missions en Chine, nous recrutons environ de huit à dix entreprises au Québec, dont quatre entreprises acéricoles et trois dans le domaine des pêches, et c'est tout. Pourtant, lorsqu'il y a une activité sur Chicago, on recrute 50, 55 entreprises. Alors, évidemment, pour aller sur ces pays, je ne dis pas que cela ne nous intéresse pas, car au contraire, cela nous intéresse; nous sommes au Moyen-Orient, nous sommes partout. Cependant, il faut des ressources humaines et financières importantes pour les entreprises, et ce n'est pas à la portée de toutes, d'autant plus que les programmes sont limités, à l'heure actuelle. Dans le cas des plus petites entreprises, elles tenteront de faire des affaires avec des choses qui leur sont accessibles plutôt que d'aller courir au bout du monde à grands frais pour essayer d'ouvrir des débouchés.

Je vous parle de cette réalité, parce que je crois fermement au marché américain. Il faut y maintenir nos efforts. Nous sommes associés à une grande société qui fait du « B2B » (business-to-business) sur le marché américain, où les entreprises se rencontrent face à face pendant deux ou trois jours. C'est un contexte qui favorise la conclusion d'ententes et qui permet aux entreprises sur le marché américain de s'affirmer.

Maintenant, quant au marché européen, nous devons prendre des mesures. Nous devons y voir, parce que le gouvernement a ouvert le marché. Nous avons un accord de libre-échange qui est en suspens, et nous disposons d'environ deux ans afin de nous positionner. Si nous ne faisons pas attention, nous nous ferons déloger par les Américains. Déjà, vous avez pu constater certaines réactions internationales, le Japon qui commence à niaiser avec la rondelle en disant : « Les Américains arrivent, alors peut-être que le Canada sera moins important. »

Les États-Unis et certains pays européens ont établi des comités de surveillance des barrières non tarifaires. Dans le domaine phytosanitaire, ils ont des équipes spécialisées qui s'occupent de vérifier ce qui se passe exactement, de déterminer les moyens de contourner les barrières, d'entrer dans les pays et de s'y positionner. Au Canada, nos ressources ne sont pas suffisantes. Nous recommandons au gouvernement canadien de prévoir des ressources humaines supplémentaires de façon à pouvoir se positionner en prévision de ce qui va se passer sur le marché européen.

Il s'agit de 500 millions de consommateurs de plus. Il est certain que ce ne sera pas chose facile, et nous devrons y travailler, mais il offrira des débouchés importants pour nos entreprises. Il faudra être présent. Les Américains sont très forts, et les Italiens aussi. Ils soutiennent leurs entreprises. Les gens trouvent que les programmes de soutien à l'exportation coûtent cher, qu'on n'a pas de budget et pas d'argent, et ils disent qu'il faudra être patients. Cependant, les entreprises internationales sont subventionnées. Les pays qui font concurrence au Québec et au Canada sont subventionnés à grands moyens. Lorsque nous participons au SIAL Paris ou dans les grands salons internationaux, les exposants, qu'il y en ait 40, 50 ou 100, sont entièrement subventionnés, alors que pour nous, ce n'est pas le cas.

Il y a donc un ajustement à faire, et notre première recommandation serait que le gouvernement continue à soutenir nos efforts sur les marchés américains. Quant à l'Europe, évidemment, nous devons en faire une priorité afin de pouvoir nous positionner maintenant sur ce marché.

Nous avons fait, dernièrement, une étude importante avec l'Institut de la statistique du Québec, qui nous a remis un rapport de 150 pages sur la situation et le contexte du commerce extérieur et des exportations. Or, il contient des éléments importants, dont je n'aborderai pas les détails, car seul un économiste serait en mesure de les décortiquer adéquatement.

Comme je le mentionnais, l'un des aspects importants, c'est que, sur la production totale du marché intérieur, le Québec génère environ 22 milliards de dollars. Il est donc autosuffisant, ce qui veut dire environ de 53 à 54 p. 100 de ce qui est produit au Québec. Les ventes à l'extérieur, je vous en ai parlé.

L'autre donnée dont je voulais vous parler, c'est notre pourcentage d'importations de l'Union européenne, où nous affichons un déficit commercial important. En effet, l'Union européenne vend sur notre marché pour 1,8 milliard de dollars par année, alors que nous y vendons 730 millions de dollars par année. Nous accumulons un écart d'un milliard par année, ce qui n'est pas négligeable.

Il faut trouver des méthodes, des façons de remédier à cela et d'exporter davantage vers le marché européen. Cependant, pour le faire, il nous faudra une stratégie de groupe. Il faudra que les 10 provinces s'accordent se donnent une plateforme pour leur permettre d'être très présentes en Europe. Nous avons déjà quelques idées, particulièrement en ce qui concerne le SIAL Paris, à l'automne 2016. Nous voudrions profiter de cette plateforme à SIAL Paris pour faire un grand happening canadien, pour y rassembler les exportateurs et les manufacturiers de toutes les provinces canadiennes. Le SIAL attire 175 000 visiteurs qui proviennent de 135 pays, et nous pourrions saisir l'occasion pour y montrer notre capacité à produire des aliments dans un contexte de salubrité, y illustrer notre créativité et veiller à ce que les Européens puissent voir de quel bois nous nous chauffons au Canada et comment nous pouvons occuper une place prédominante sur ce marché.

Le chiffre à retenir, c'est un milliard de dollars de déficit. Merci.

Le président : Merci, monsieur Coutu. Madame Cloutier?

Sylvie Cloutier, présidente-directrice générale, Conseil de la transformation agroalimentaire et des produits de consommation : Honorables sénateurs, c'est un privilège pour moi d'être ici ce matin, et je vous remercie. Tout d'abord, le CTAQ, le Conseil de la transformation agroalimentaire du Québec, est une consolidation des forces de l'industrie. Nous sommes une fédération de petites associations sectorielles et nous représentons plusieurs secteurs, y compris la volaille, le sirop d'érable et la boulangerie.

La mission du CTAQ est de représenter les intérêts de l'industrie et d'en faire la promotion. Nos membres représentent environ 80 p. 100 du volume d'affaires annuel de l'industrie agroalimentaire du Québec, ce qui équivaut à environ 18 ou 19 milliards sur 24 milliards de dollars.

Comme vous l'avez dit, l'industrie de la transformation des aliments est le premier secteur manufacturier en importance au Canada et au Québec; c'est le secret le mieux gardé. Cela représente à l'échelle canadienne 259 000 emplois. En outre, le secteur des aliments représente 16 p. 100 du secteur manufacturier et 17 p. 100 des emplois manufacturiers du pays, et génère des revenus à l'échelle canadienne de 103 milliards de dollars, soit 6,7 p. 100 du PIB canadien. On a tendance à sous-estimer beaucoup le secteur agroalimentaire, mais, évidemment, il est beaucoup plus important que le secteur aéronautique ou des transports à l'échelle canadienne ou québécoise.

La balance commerciale — M. Coutu a effleuré le sujet — est positive depuis les 20 dernières années. En 2014, elle a atteint le sommet de 14,5 milliards de dollars, soit14 p. 100 des revenus de l'industrie estimés à 104 milliards de dollars. Les exportations canadiennes sont de 56 milliards de dollars, et les importations, de 41 milliards de dollars.

Au Québec, la balance commerciale a atteint 450 millions de dollars en 2013, soit 2 p. 100 du total des livraisons manufacturières estimées à 24 milliards de dollars. Les exportations étaient de 6,1 milliards de dollars, et les importations, de 5,6 milliards de dollars.

La balance commerciale du Canada a connu une croissance au cours des 20 dernières années; après une diminution en 2009, la balance a dépassé, en 2014, le sommet atteint en 2008. Lorsqu'on décortique les détails liés à la balance commerciale, par contre, on se rend compte que ce ne sont pas tous les produits qui sont en positif.

Je vais maintenant céder la parole à mon collègue qui poursuivra la présentation.

Dimitri Fraeys, vice-président, Innovation et Affaires économiques, Conseil de la transformation agroalimentaire et des produits de consommation : Bonjour. Je vous ai distribué des graphiques en couleur pour que ce soit plus facile à suivre pour vous.

La catégorie des animaux et des produits d'animaux est positive à 7,5 milliards de dollars. C'est la courbe rouge. Si on décortique la balance commerciale en quatre secteurs différents — c'est le graphique no 2 —, la deuxième courbe, la courbe violette, la catégorie des matières grasses, est également positive de 2 milliards de dollars. La courbe verte est aussi positive; c'est la catégorie des produits végétaux, et elle est positive de 12,7 milliards de dollars.

Par contre, la catégorie des produits de fabrication alimentaires — la petite courbe vers le bas qui n'arrête pas de descendre, c'est la catégorie de fabrication des produits alimentaires et de boissons, donc tout ce qui est manufacturier et transformé. Ce secteur est déficitaire depuis de nombreuses années et a atteint 7,7 milliards de dollars en 2014. En fait, les exportations sont de 13 milliards de dollars et les importations de 21 milliards de dollars. C'est pour l'ensemble du Canada.

Même si on a l'impression que la balance commerciale globale est positive, la balance commerciale des produits manufacturiers, ceux qui ont une valeur, est en décroissance, et ceux qu'on exporte sont principalement des matières premières. Je pourrai y revenir plus en détail en fonction de vos questions.

J'ai essayé de décortiquer la question et de vous présenter des facteurs clés afin d'expliquer les raisons pour lesquelles il y a un déficit commercial de la balance commerciale sur les boissons et produits transformés au Canada.

Comme vous le savez, l'environnement économique a beaucoup changé depuis la récession de 2008. Il y a un ralentissement économique et des fluctuations du dollar canadien. Lorsque le dollar baisse, c'est bon pour exporter, mais c'est moins bon pour acheter des équipements de pointe. La concurrence des produits importés est en croissance, ce qui explique la diminution de la balance commerciale. La hausse des coûts des intrants est également un facteur qui influence énormément la marge. J'y reviendrai un peu plus tard en détail.

Le graphique no 3 illustre l'un des éléments qui expliquent la raison pour laquelle les entreprises ont de la difficulté à exporter. La marge du Québec — la petite ligne en bleu en bas — est toujours inférieure à la moyenne du Canada, qui est la ligne verte au milieu, et la marge de l'Ontario est toujours supérieure à la moyenne. Il y a des raisons à cela. Au Québec, 85 p. 100 des entreprises sont des PME de moins de 50 employés, tandis qu'en Ontario, on retrouve beaucoup plus de filiales d'entreprises multinationales qui ont plus de moyens pour dégager des marges supérieures.

Un élément qui est aussi très important est la hausse du coût des intrants depuis les 10 dernières années. Je vous invite maintenant à examiner le graphique no 4. La ligne en pointillé représente l'augmentation de l'IPC; c'est ce que vous payez à l'épicerie lorsque vous achetez vos produits, vos boissons et autres pour les repas. C'est en croissance.

La ligne jaune représente les produits au détail, et la ligne en pointillé rouge représente les produits agricoles. On se rend compte que les intrants agricoles — les petits pointillés rouges — sont en croissance depuis les cinq dernières années.

Par contre, la ligne en bas qui est la ligne bleue, l'indice des prix des produits transformés, a augmenté, mais elle est stable depuis les dernières années. Cela s'explique par différents facteurs. L'un des éléments est le fait que les entreprises ont de la difficulté à transférer les augmentations de leurs coûts vers les distributeurs, les détaillants et les consommateurs.

Un autre élément explique aussi pourquoi les entreprises ont un peu plus de difficulté à exporter. Comme vous le savez, il y a quelques années, le Canada a retiré la possibilité d'indiquer la mention « produit du Canada ». À partir du moment où on exige que 98 p. 100 des produits soient d'origine canadienne, cela a éliminé à peu près tous les produits possibles, à part le sirop d'érable. C'est un élément important à considérer lorsqu'on voudra élaborer une stratégie d'exportation, soit la possibilité d'indiquer « produit du Canada ». Peut-être pourrait-on réduire à 85 p. 100 le taux de 98 p. 100, comme c'est le cas, par exemple, pour Aliments du Québec.

Une autre raison pour laquelle les exportations sont très élevées, c'est que les règles d'exportation du point de vue sanitaire sont moins exigeantes que pour les importations. Par exemple, dans le cas de l'importation de produits de canard qui viennent d'Europe, on remarque que les règles sont très sévères, pendant les premiers mois, où 100 p. 100 des produits sont inspectés. Toutefois, à partir du moment où les importateurs ont démontré leur sérieux, c'est un échantillonnage de 1 sur 10 qui est inspecté, alors qu'au Canada, 100 p. 100 de la viande est inspectée tous les jours, continuellement.

Un autre facteur important, comme M. Coutu l'a mentionné, c'est que pour exporter, il faut de la main-d'œuvre. Au Canada, on utilise de la main-d'œuvre qualifiée et de la main-d'œuvre peu qualifiée. La réforme du Programme des travailleurs étrangers temporaires entrée en œuvre le 1er mai limite énormément la capacité des entreprises à trouver des employés qui leur permettent d'exploiter leurs usines.

C'est un certain nombre d'éléments que je voulais partager avec vous. Nous sommes maintenant prêts à répondre à vos questions.

Le sénateur Maltais : Madame, messieurs, je vous souhaite la bienvenue encore une fois. Je suis heureux de vous voir. Vous représentez une partie importante de l'économie, autant l'économie québécoise que canadienne. Vous avez souligné des faits très intéressants. Ce qui m'intéresse, ce sont les anachronismes que vous avez soulignés, parce que c'est important.

Nous allons parler d'abord du Canada. Ici, depuis au moins quatre ans, le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts fait beaucoup d'efforts en faveur de l'abolition des barrières tarifaires. Nous sommes parvenus à le faire avec le vin, et nous voulons continuer, parce que nous avons constaté, de Terre-Neuve-et-Labrador à la Colombie-Britannique, que c'est un gros problème. Avant de commencer à prêcher la bonne nouvelle dans les autres pays, nous devrions commencer par nous entendre chez nous pour enlever les clôtures le long de nos frontières, et ceci, pour tous les produits.

Il y a trois parties au Canada : la partie est du Canada, la partie centrale et la partie à l'ouest. Le Canada ne produit pas unilatéralement. Au Québec, en particulier — et je viens du Québec —, nous avons une agriculture très diversifiée, ce qu'on ne retrouve pas nécessairement dans l'Ouest canadien. Il y a aussi une agriculture diversifiée en Ontario et dans les Maritimes. Vous avez parlé du marché de la Chine. Bien sûr, pour l'Ouest canadien, avec les céréales, le bœuf, le porc, il est facile de pénétrer le marché de la Chine, parce que ce sont des aliments de masse, si on peut dire.

Cependant, dans le cas des produits manufacturiers fins, si on peut dire, ce n'est plus la même chose, parce que nous sommes en concurrence avec des pays qui ont une industrie agricole vieille de 1 000 ans et plus, alors que la nôtre a à peine 400 ans d'histoire. C'est toute une révolution qui se fait dans le domaine de l'agriculture et de la transformation.

Vous avez parlé de transformation, madame Cloutier, à savoir que plus la transformation est de qualité, plus elle coûte cher. C'est interrelié. Plus elle coûte cher, plus elle devient difficile à exporter. Il faut donc atteindre cet équilibre avec nos importations. On n'importe pas beaucoup de produits de base au Canada; on produit assez de blé, de bœuf, de porc, de poulet et d'œufs.

Comment, aujourd'hui, en 2015, la production au Québec de produits hautement transformés peut-elle s'avérer compétitive, par rapport à l'Europe, par exemple?

Raymond Dupuis, économiste et conseiller stratégique, Groupe Export agroalimentaire Québec—Canada : Je pourrais apporter un élément de réponse. Merci de nous accueillir, tout d'abord.

Lorsque nous parlons aux entreprises qui évoluent des deux côtés de l'Atlantique, il ne fait aucun doute dans mon esprit que nos produits sont hautement compétitifs. Pensons d'abord aux coûts liés à la main-d'œuvre. En Europe, les coûts de main-d'œuvre sont très élevés, ainsi que les coûts liés à l'énergie. Par rapport au coût lié à nos ressources primaires, aux intrants, et cetera, nous sommes très concurrentiels.

Comme le mentionnait M. Coutu tout à l'heure, un accord qui entrera en vigueur en 2017 sera négocié. Les barrières tarifaires ont été réduites, ce qui est excellent, mais nous sommes maintenant dans une autre ère à tous les niveaux de négociation. Nous sommes dans une ère post-tarifaire. Là où le bât risque de blesser, c'est là où il y a des barrières non tarifaires : les mesures sanitaires et phytosanitaires, les obstacles techniques au commerce, et cetera.

Lorsqu'on parle de compétitivité ou d'accès réel aux marchés qui vont s'ouvrir, c'est là que cela va se passer. Il y a deux éléments : un selon lequel nous devons faire une offensive de développement de marché et aider nos entreprises à faire une entrée la plus vigoureuse possible dès le départ, parce que nous accusons deux ans de retard avec les Américains avant qu'ils négocient leurs accords avec l'Europe, le Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement (TTIP), qui suivra les discussions en cours dans le cadre du Partenariat transpacifique. Je ne veux pas mêler les choses, mais c'est le jeu. Nous avons à peu près deux ans pour nous positionner sur ce marché. Croyons-nous que nous pouvons être compétitifs? Oui, mais nous devons veiller à nous doter des outils nécessaires. Les outils, c'est le développement du marché, c'est une partie de la réponse, et nous devons nous assurer également d'avoir de l'expertise. Nous avons de l'expertise au Canada, mais les États-Unis et l'Europe... notamment l'Europe a un système qui s'appelle Trade Defence qui a été mis en place et dont le mandat est d'examiner les obstacles techniques au commerce, les barrières non tarifaires, et de prendre des mesures, si nécessaire, si l'une de ses entreprises se trouve en situation difficile avec d'autres partenaires commerciaux. Il évalue la situation et, si cela enfreint les accords, il prend des mesures. Ici, nous n'avons pas de tel mécanisme. De plus, les partenaires dont on parle ce sont les Américains et les Européens. C'est très important, et il faut que cela se fasse au niveau de l'État, à l'échelle fédérale et fédérale-provinciale dans certains cas.

Mme Cloutier : Je pourrais ajouter un autre élément, et c'est que l'innovation est au cœur de l'exportation de nos produits. Au Québec ou au Canada, nous sommes reconnus pour avoir des produits alimentaires de qualité, mais nous devons demeurer concurrentiels. L'un des éléments, c'est l'innovation.

Comment pouvons-nous permettre à nos entrepreneurs canadiens d'innover de façon à demeurer concurrentiels sur les marchés, mais surtout d'avoir des produits à valeur ajoutée? Nous avons déjà une réputation qui dépasse celle de plusieurs pays sur la planète. Plusieurs pays recherchent les produits canadiens de par cette réputation liée à l'eau, aux forêts et à la nature. Le Canada doit se doter des outils qui lui permettront de demeurer concurrentiel en matière d'innovation, de transferts technologiques et d'équipement afin de pouvoir continuer à exporter des produits à valeur égale.

M. Fraeys : Lorsqu'on parle d'innovation, les crédits d'impôt pour la recherche et le développement sont très importants. Il s'agit d'un très bel outil pour aider les entreprises; pourtant, ils sont de moins en moins accessibles aux entreprises de transformation, étant donné qu'elles font beaucoup de développements de produits, et qu'elles améliorent les produits déjà en marché. Les crédits d'impôt de l'ARC ne reconnaissent pas le développement de produits comme étant admissible aux crédits d'impôt, ce qui enlève un outil financier très important pour les entreprises. Donc, c'est un élément intéressant. S'il était possible de donner accès aux crédits d'impôt pour le développement de nouveaux produits, cela permettrait de disposer d'un outil et, de plus, les crédits d'impôt sont considérés comme une boîte verte et non comme une barrière tarifaire.

Le sénateur Maltais : Vous avez été en mesure, petit à petit, d'ouvrir une fenêtre en pénétrant un marché aux États-Unis. On sait que les Américains sont très protectionnistes, beaucoup plus que nous ou que les Européens. Je suis sûr que vous pourrez le faire en Europe.

J'aimerais que vous nous envoyiez deux ou trois points dont vous avez discuté, que vous avez lancés, mais simplement pour nous permettre d'y travailler. L'étude du comité cette année porte sur l'innovation en agriculture. Vous avez soulevé des points fort importants. Si vous pouviez les transmettre à notre greffier, cela nous serait très utile pour nos travaux.

La sénatrice Tardif : Merci pour vos présentations qui étaient des plus intéressantes.

J'aimerais poursuivre sur la question de l'Europe. Monsieur Coutu, vous avez indiqué que le marché européen est très important pour les Canadiens, surtout pour l'industrie agroalimentaire du Québec, mais que, pour percer le marché européen, il fallait davantage de ressources humaines ou de ressources. L'une de vos recommandations, si j'ai bien compris, propose que le gouvernement fédéral investisse davantage dans les ressources pour appuyer vos démanches sur le marché européen.

Pouvez-vous préciser davantage ce que vous désirez de façon plus concrète?

M. Coutu : Merci. Votre question est très pertinente. J'y répondrais en deux étapes, d'une part, en fonction de ce dont nous avons discuté tout à l'heure en ce qui a trait à un comité ou à un groupe qui se pencherait sur les mesures non tarifaires. En termes de développement de marché, nous travaillons beaucoup avec nos ambassades et nos consulats à l'étranger. Cependant, il arrive que, dans plusieurs de ces antennes, il n'y ait pas de spécialistes agroalimentaires. Ce sont des gens multisectoriels. Lorsque vous êtes un attaché commercial à Paris, en Allemagne, ou ailleurs, et que la moitié du Canada s'adresse à vous pour obtenir des conseils et pour trouver des réseaux de distribution, pour faire des études ou des groupes de consultation, souvent, ils perdent le fil, parce qu'il y a 24 heures dans une journée et qu'ils ne peuvent pas s'occuper de tous les dossiers. L'une de nos recommandations serait certainement d'avoir des spécialistes agroalimentaires en poste dans les pays clés au sein desquels nous souhaitons faire des efforts de développement.

Si un travail de recherche nous démontre que nous devrions commencer par faire des affaires en Allemagne plutôt qu'en France ou en Italie ou ailleurs, dépendamment des produits qu'on veut y vendre, de la catégorie de produits, des marchés à percer, il faut avoir une antenne sur place spécialisée en agroalimentaire qui puisse faire de la veille stratégique et aviser les Canadiens des opportunités liées à tel marché, dans tel réseau de distribution, avec tels ingrédients dans le service alimentaire ou ailleurs. Il faudra le faire. L'accord de libre-échange englobe tous les pays européens, et nous ne pourrons pas courir de gauche à droite en Europe sans savoir exactement par où commencer. Il faudra donc cerner un marché prioritaire et prendre les mesures qui s'imposent pour soutenir les activités des associations canadiennes qui voudront y faire des affaires. Il pourrait s'agir d'une mesure publique-privée. L'industrie pourrait aussi prévoir un type de fonds et s'assurer qu'il y aura une antenne en Europe qui pourra nous transmettre ces renseignements. On ne peut pas y aller au hasard, et le gouvernement pourrait très bien fournir des ressources en ce sens.

Mme Cloutier : En matière d'investissement dans le secteur de la transformation des aliments, il est important de savoir que nous sommes le premier secteur manufacturier en importance au Canada et au Québec. Pourtant, contrairement à tous les secteurs manufacturiers, nous relevons du ministère de l'Agriculture et non pas du ministère du Développement économique.

En partant, nous n'avons pas nécessairement accès aux ressources industrielles manufacturières, tant canadiennes que québécoises. C'est historique. Nous avons toujours relevé du ministère de l'Agriculture, bien que nous soyons un secteur manufacturier qui a les mêmes besoins que tous les autres secteurs manufacturiers en matière d'innovation et d'investissements pour l'achat de nouveaux équipements.

Donc, je pense qu'il faut, au départ, que le Canada et le Québec placent le secteur de la transformation des aliments au cœur de leur stratégie de développement économique.

M. Dupuis : En complément à ce que M. Coutu disait tantôt, j'aimerais démontrer l'importance du marché européen, à titre de renseignement. Le marché européen importe 2 300 milliards de dollars, ce qui représente plus que le PIB du Canada, qui se chiffre à 1 800 milliards.

Dans le secteur agroalimentaire, les importations européennes se chiffrent à 130 milliards de dollars. Les exportations totales du Canada représentent environ 50 milliards, et celles du Québec, 7 milliards de dollars. Vous voyez l'ampleur du marché potentiel qu'il y a. Encore une fois, on répète le même message, mais il faut faire des efforts quant à ce marché.

La sénatrice Tardif : Madame Cloutier, vous avez parlé du déficit commercial de certaines industries dans la transformation alimentaire. L'un des témoins qui ont comparu devant le comité a indiqué qu'il était difficile, pour les petites et moyennes entreprises, de trouver suffisamment de fonds à consacrer à la recherche et au développement. Évidemment, cela touche le thème de l'innovation.

Quelles mesures pourrait-on prendre pour aider les PME à être plus compétitives et, finalement, à aller chercher davantage leur part du marché mondial?

Mme Cloutier : Premièrement, je vous dirais qu'il faudrait prévoir les programmes et l'expertise nécessaires au sein du secteur agroalimentaire et placer le secteur au centre de notre stratégie de développement économique. Évidemment, M. Fraeys l'a soulevé tout à l'heure, les outils tels que les crédits d'impôt qui existent actuellement dans le domaine de la recherche et du développement sont presque inaccessibles aux transformateurs alimentaires. Il y a donc des correctifs à apporter à la loi actuelle.

Deuxièmement, il faut apporter un appui plus important au secteur en matière d'innovation. Par exemple, au Québec, il y avait une enveloppe totale d'un milliard de dollars. On demandait à ce que le gouvernement réserve la valeur du secteur agroalimentaire au PIB québécois à l'intérieur de cette enveloppe budgétaire afin d'aider les entreprises, de les appuyer dans le cadre des veilles technologiques et scientifiques, des meilleures pratiques et, évidemment, de la mise à niveau des équipements au Canada dans le but de les amener à un niveau concurrentiel plus élevé.

Le sénateur Dagenais : On a parlé du marché chinois, et je pense que M. Coutu l'a très bien expliqué. Il est beau d'aller au bout du monde pour y faire des affaires, mais il y a des coûts qui y sont rattachés.

Il est tout de même difficile de percer le marché chinois. Est-ce parce qu'ils sont trop protectionnistes ou parce qu'ils sont difficiles d'approche? Il n'est pas facile de transiger avec ces gens. Évidemment, c'est coûteux, mais c'est peut-être leur façon de faire du commerce qui est difficile.

M. Coutu : Évidemment, les premiers facteurs, ce sont des facteurs culturels. Les exportateurs débutants font souvent l'erreur de penser que, parce qu'on vend du lait au chocolat à Montréal, on pourra en vendre en Chine. Il n'y a rien de plus faux. Il y a toujours cet élément à considérer.

Deuxièmement, ce n'est pas à la porte. Aller faire des affaires à Hong Kong, Shanghai ou Beijing, c'est loin et c'est coûteux. Il faut envoyer les marchandises par transport spécialisé. Il faut travailler dans d'autres langues, avec des devises étrangères. Il faut mettre sur pied des réseaux de distribution. Il faut s'assurer que les chaînes de froid sont là pour le maintien de la qualité de la nourriture. Il faut être en mesure de travailler avec des marges très compétitives, parce qu'on a des compétiteurs allemands qui sont installés sur place depuis plusieurs années. Il y a les Français qui y sont également avec les chaînes Carrefour. Donc, on a des compétiteurs importants qui sont bien positionnés.

C'est beaucoup plus difficile pour les PME de consacrer leurs budgets au développement de ce marché. Je ne dis pas que c'est impossible; je dis que, lorsqu'elles ont le choix entre la Chine et les États-Unis, forcément, elles vont choisir les États-Unis. C'est peut-être parce que l'effort demandé est moindre. En fait, aucun marché n'est facile à percer, mais certains sont plus faciles d'approche.

Lorsqu'on se rend en Chine, on fait deux ou trois activités par année dans des salons internationaux, particulièrement avec des entreprises de poissons et de fruits de mer, parfois avec quelques entreprises de sirop d'érable, et de temps en temps, on en réchappe une avec des produits transformés, dans les pâtes ou dans autre chose.

Mais ce n'est pas un marché qui est naturellement attrayant. C'est un marché prometteur, c'est un peu comme en Inde. Il se crée des clientèles qui ont les moyens financiers d'acheter des produits à valeur ajoutée. Pour avoir travaillé en Chine moi-même pendant plusieurs années et y avoir représenté des compagnies québécoises, outre ces facteurs, il y avait aussi des facteurs de conformité et d'approbation de produits.

Aussi, à l'époque, il fallait connaître les bonnes personnes pour faire avancer les choses, si vous voyez ce que je veux dire. Ce n'était pas facile. Il faut des ressources humaines, comme des services de traduction et, souvent, ce n'est pas à la portée de tous.

Cela dit, il y a aussi des opportunités d'affaires en Corée et au Japon. La Chine offre un bon marché. Pour ce qui est des commodités, quelqu'un l'a mentionné tout à l'heure, ce ne sont pas des produits transformés. Ces produits sont envoyés dans des conteneurs et ils sont placés dans des sacs, des barils ou des poches.

Pour répondre à votre question plus précisément, il faut faire des efforts, il faut participer, il faut valider l'intérêt pour les produits du Québec ou les produits canadiens et, par la suite, il faut soutenir ces efforts avec des fonds, de la présence sur place et des présentations. Il n'y a pas d'autres secrets.

Mme Cloutier : J'aimerais ajouter un élément. Il faut de la quantité et de la capacité de production. La Chine, ce n'est pas un petit marché. Donc, évidemment, à partir du moment où une entreprise signe un contrat là-bas, il faut qu'elle soit équipée pour répondre à la demande. Habituellement — ou souvent —, l'entreprise ne réussit pas à faire des affaires avec la Chine, parce qu'elle n'a tout simplement pas la capacité de production pour le faire.

Le sénateur Dagenais : J'aurais une dernière question, et c'est une question qui est délicate. Compte tenu de la compétitivité des marchés à l'aube de l'accord transpacifique et de l'accord avec l'Union européenne, croyez-vous que le Canada devra harmoniser sa gestion de l'offre?

Je sais que personne n'ose en parler, et on pourrait l'appeler « la question qui tue ».

M. Coutu : Je vous dirais, à ce sujet, que je ne suis pas un politicien, et que je suis plutôt préoccupé par les affaires. Je pense que le premier ministre Stephen Harper a exprimé une position claire sur la gestion de l'offre. Il a été rejoint dans les derniers jours, vous avez vu les nouvelles comme moi, par le ministre de l'Agriculture du Québec, le président d'Agropur, le président de la Coop fédérée, et Marcel Groleau, de l'UPA. Le Québec a ses raisons de craindre et souhaite que l'accord soit protégé aux bénéfices de ses producteurs. Je vous recommanderai à la politique de M. Paradis dans ce domaine afin de voir la position officielle.

[Traduction]

La sénatrice Merchant : Il y a quelques semaines, l'OMC a rendu un jugement contre les États-Unis sur leur politique en matière d'étiquetage indiquant le pays d'origine. Vous en avez parlé aux ministres Fast et Ritz. Ils ont dit qu'ils continueraient de défendre fermement les intérêts du Canada et qu'ils demanderaient à l'OMC de permettre des mesures de rétorsion contre les États-Unis. Quel en sera l'effet sur certaines de vos préoccupations, et pourriez-vous préciser lesquelles?

[Français]

Mme Cloutier : Nous avons envoyé une mise en garde au ministre Ritz simplement parce qu'on achète beaucoup d'intrants des États-Unis pour les produits transformés. Cela pourrait avoir un impact négatif sur plusieurs secteurs. Dans la liste des produits concernés, il y avait, entre autres, le jus d'orange concentré surgelé. Toutefois, s'il y a une surtaxe de 100 p. 100, nous aurons un problème d'approvisionnement au Canada. Nous comprenons la position du ministre et nous appuyons la position du Canada selon laquelle les États-Unis doivent être justes dans leurs échanges commerciaux et devraient abaisser leurs barrières protectionnistes. En même temps, il faut faire attention pour ne pas mettre les entreprises canadiennes en position non concurrentielle au moyen de barrières canadiennes qui augmenteraient les coûts d'intrants de façon importante. Nous ne pouvons que souhaiter que les États-Unis se conforment à la décision de l'OMC.

M. Dupuis : J'abonde dans le même sens que Mme Cloutier. À ma connaissance, il n'y a pas de raison de croire que les États-Unis ne se conformeront pas à la décision. Cela fait quatre fois qu'elle est fermement affirmée et reconnue. Personnellement, je serais fort étonné qu'on aille plus loin à ce chapitre. Nous demeurons optimistes que le comportement de notre principal partenaire commercial soit adéquat.

M. Fraeys : Je lisais également que l'industrie du vin aux États-Unis est extrêmement craintive à ce que le Canada puisse imposer des sanctions. Lorsqu'on analyse le fameux 7,7 milliards de dollars de déficit, un montant de 4,7 milliards de dollars provient de l'importation des vins et des spiritueux des États-Unis et de l'Europe. Pour les États-Unis, cela représente un marché d'environ 2 à 3 milliards de dollars. Je ne pense pas qu'ils veuillent perdre ce marché. L'industrie du vin nous aidera à faire respecter la réglementation.

[Traduction]

La sénatrice Merchant : Merci pour vos réponses. L'AECG conclu avec l'Union européenne éliminera les droits imposés par l'Union européenne sur les aliments et boissons transformés, ce qui comprend la majorité des produits de bœuf et de porc transformés. Au sujet des règles d'origine, certains témoins ayant comparu devant le comité sénatorial ont souligné que ces produits transformés devront contenir uniquement des ingrédients canadiens pour profiter de ce nouvel accès.

Voici mes questions : Quels seront les effets de cet accès au marché européen sur votre secteur ou sur ceux que vous représentez? Les règles d'origine posent-elles des difficultés en ce qui concerne vos exportations sur le marché européen?

[Français]

M. Dupuis : Oui, cela pourrait poser un problème. C'est le genre de mesures non tarifaires qui existent. Mais, dans l'ensemble, les produits transformés ici, à ma connaissance, ne posent pas de problème majeur pour ceux-ci et pour leur accès sur le marché européen. Il y a certaines exceptions, mais dans l'ensemble, ce n'est pas problématique comme tel.

Mme Cloutier : Il y a une exception : les OGM. Le marché européen demande une certification, une traçabilité pour les OGM. On ne dispose pas de système au Canada qui nous permette de le faire. C'est un exemple de barrière non tarifaire qui pourrait nuire à plusieurs types de produits.

[Traduction]

La sénatrice Unger : J'ai une observation à formuler au sujet de l'étiquetage indiquant le pays d'origine.

Les politiciens américains ont du mal à se conformer à la décision de l'OMC. Ils ne veulent pas d'une guerre commerciale, et je pense pouvoir faire preuve d'optimisme. La situation a sans aucun doute eu des conséquences pour les exportations de bœuf albertain — cela a créé des problèmes. J'espère que les États-Unis respecteront la décision. La situation devrait se redresser rapidement, à moins que le président des États-Unis n'intervienne en imposant une sorte de décret.

Monsieur Coutu, j'ai été très heureuse de vous entendre parler du commerce intérieur. C'est important parce que nous avons entendu de nombreux témoins à ce sujet, dont un groupe qui m'a paru plutôt étrange. Il ne fabrique que quelques produits et il ne semble pas vouloir avoir accès au marché canadien. Ses représentants ont parlé de façon précise de la Chine, et ils ont demandé l'aide du gouvernement, mais il y en a peu.

Monsieur Coutu, vous avez mentionné le marché coréen. L'accès à ce marché aura-t-il des incidences sur le secteur agroalimentaire canadien? S'agit-il, selon vous, d'un marché moins complexe que celui de la Chine?

[Français]

M. Coutu : Oui, bien sûr. Je crois que le marché coréen est prometteur, à tout le moins pour le Québec. Nous avons déjà mené trois missions commerciales sur ce marché, et il y a un intérêt marqué pour le porc canadien. Vous vous rappellerez que les Américains avaient conquis le marché de la Corée il y a plusieurs années. Maintenant, cela nous permet de revenir sur le marché.

Il y a des gens de notre groupe qui ont procédé à une validation de produits en magasin, et qui ont rencontré des distributeurs et des importateurs. Il y a un intérêt marqué pour les produits canadiens à valeur ajoutée.

Il est sûr que nous poursuivrons nos efforts. Nous n'avons touché que la pointe de l'iceberg en Corée. C'est un marché plus facilement accessible, parce qu'il est moins important que celui de la Chine du point de vue des produits à valeur ajoutée et des produits finis. C'est une population qui a les moyens de se payer ce type de produits. Selon moi, nos relations avec la Corée au cours des prochaines années continueront de s'améliorer.

Hier, je disais justement à M. Dupuis, en parlant des commodités dans l'ouest du pays, que c'est souvent la clé pour percer un marché. J'allais parler de la Russie, mais ce n'est pas un bon exemple. Avant l'embargo, mon ami Jacques Pomerleau, de Canada Pork International, me disait que les restaurateurs sont prêts à accueillir d'autres types de produits. La confiance s'est instaurée grâce à la salubrité et à la traçabilité de nos aliments. Ce climat de confiance nous permet d'ouvrir d'autres marchés. C'est la raison pour laquelle le Canada est un complément. Les provinces de l'Ouest s'efforcent d'ouvrir leur marché, ce qui est un complément aux provinces de l'Est qui apportent des produits finis.

Donc, oui, la Corée est un marché sur lequel on mise énormément du côté du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Unger : Le sirop d'érable semble jouer un rôle de pionnier; tout le monde en veut. Mais j'ai aussi l'impression que le fait que notre gouvernement tente si activement d'ouvrir de nouveaux marchés à l'échelle mondiale laisse les exportateurs canadiens en position difficile alors qu'ils tentent de profiter de ces possibilités, qui sont apparues assez récemment. Êtes-vous d'accord?

[Français]

M. Coutu : Oui, tout à fait. Effectivement, avec le ministre Fast, nous avons eu l'occasion au Québec de rencontrer l'ancien premier ministre Johnson. Nous avons bien analysé les effets reliés au développement en lien avec les accords de libre-échange signés.

Avec la CTAQ, nous sommes l'une des premières organisations au Québec à soutenir cette initiative du gouvernement et du ministre Fast — on se souviendra, sur la rue Saint-Jean, à Québec, des premières conférences de presse —, et nous y croyons fermement.

Au Canada, on ne peut pas penser à augmenter notre produit intérieur brut sans pouvoir accéder à des marchés extérieurs. Il faut vraiment aller faire des sous ailleurs. À chaque fois que le gouvernement fait un effort dans ce sens et que cela nous offre de nouvelles possibilités et de nouvelles opportunités, il faut y participer et encourager cette initiative. Cependant, signer un accord de libre-échange est une chose, mais il faut ensuite en faire le suivi. Il faut investir des ressources humaines pour soutenir les efforts des entrepreneurs; les entrepreneurs peuvent mener des efforts sur deux fronts en même temps, mais il leur faut aussi un coup de main de la part du gouvernement à l'aide de programmes spécifiques.

Mme Cloutier : Comme vous l'avez mentionné, sénatrice, nous avons également un potentiel important au sein du marché intérieur canadien. Comme nous le disions plus tôt, nous affichons une balance commerciale déficitaire de 7 milliards de dollars pour les produits transformés. Ce sont des produits que nous importons de l'extérieur, et nous avons certainement du travail à faire pour combler ce déficit au Canada par des produits canadiens. Il y a un potentiel en ce qui a trait au marché intérieur qui est important.

[Traduction]

Le président : Avant que la présidence ne donne la parole au sénateur McIntyre, avez-vous une question supplémentaire, sénateur Oh? Allez-y.

Le sénateur Oh : Un peu plus tôt, nous avons parlé des marchés émergents en Asie et en Russie. L'Union européenne est entrée en Chine très tôt, dès 1985. Nous avons été l'un des premiers pays à reconnaître la Chine et les autres pays asiatiques, mais nous n'avons pas agi assez rapidement. On trouve sur les tablettes de nombreux produits de l'Union européenne, de l'Australie et de la Nouvelle-Zélande. Mais je pense tout de même que le marché émergent, la classe moyenne en Asie, grossit sans cesse; c'est pour cette raison qu'il n'est jamais trop tard. Nous pouvons toujours agir pour entrer dans ces marchés.

Le Canada est un pays diversifié. Nous avons ici une solide diversité. Plus de 1,5 million d'Asiatiques vivent ici, et nous devons miser sur notre expertise pour avoir accès au marché en Asie. Voilà ce que je voulais dire.

Le président : Était-ce une question, sénateur Oh?

Le sénateur Oh : Oui. Qu'en pensez-vous?

M. Coutu : En fait, oui, nous devrions avoir recours à nos ressources humaines au Canada. Vous faites valoir un excellent argument.

Mme Cloutier : Vous devriez peut-être organiser une mission en Asie.

Le président : Sénatrice Unger, vous aviez une dernière question à poser?

La sénatrice Unger : Oui. Au sujet des ressources humaines et de ce que vous avez dit concernant le fait d'avoir accès à d'autres spécialistes, notre comité s'est rendu à Washington dans le cadre de son étude sur les abeilles.

Dès notre arrivée, notre ambassadeur nous a donné une séance d'information d'une heure. C'était excellent. Il a souligné tous les enjeux et il nous a demandé de les soulever, notamment l'étiquetage indiquant le pays d'origine. Je pense que les ambassadeurs sont talentueux. Ils n'ont pas toujours les connaissances approfondies que l'on recherche, mais je pense qu'ils pourraient en faire plus et qu'on pourrait mieux les renseigner afin qu'ils offrent le soutien dont les entreprises ont besoin, plutôt que d'avoir recours à différents spécialistes.

Je suis également d'accord avec mon collègue, le sénateur Oh.

Le président : Des commentaires?

[Français]

M. Coutu : Effectivement, je sais que les ambassades et les consulats à travers le monde offrent déjà des ressources. D'ailleurs, dans le cadre de l'accord de libre-échange, le groupe export tiendra une assemblée générale annuelle de tous ses membres le 11 juin prochain à Montréal. À l'ordre du jour figureront des invités pour la journée, telle l'ambassade du Canada à Paris représentée par M. Yannick Dheilly, qui viendra rencontrer les entrepreneurs pour les conseiller sur la meilleure façon d'accéder aux marchés en Europe.

Lorsqu'il est possible de le faire et lorsqu'il y a une expertise locale en agroalimentaire, nous y faisons appel, bien entendu. Nous l'avons fait à Dubaï, au Moyen-Orient, et nous le faisons en Chine aussi, lorsque c'est possible et qu'ils disposent des ressources humaines pour le faire; d'autres consulats ou ambassades du Canada sont moins bien organisés en agroalimentaire. Ma suggestion serait de prévoir des attachés spécifiques pour l'Europe dans le cadre des marchés sur lesquels nous voulons travailler. Mais je suis d'accord avec vous, il ne faut pas négliger cette ressource.

Le sénateur McIntyre : Merci pour vos présentations. J'aimerais poser deux courtes questions.

Monsieur Coutu, vous nous avez parlé plus tôt du Salon international de l'alimentation. Je comprends que votre groupe est un partenaire financier du SIAL Canada, un groupe international de l'alimentation réservé aux professionnels de l'agroalimentaire en Amérique du Nord.

Je comprends également que le SIAL Chine, un salon international de l'alimentation, a eu lieu du 6 au 8 mai dernier et que votre groupe a aidé ses membres à participer à ce salon commercial.

Pourriez-vous nous préciser un peu plus l'importance de ces salons? Combien de vos membres ont participé au salon de SIAL Chine?

M. Coutu : Merci pour votre question. Le SIAL ou la signature des salons SIAL se retrouve à travers le monde; il y en a plusieurs. Il y a le salon SIAL Paris qui est le bateau amiral, l'un des plus grands au monde; il y a aussi le SIAL Brésil, le SIAL Abou Dhabi, le SIAL Chine, le SIAL Indonésie, ainsi de suite.

Dans le cas du SIAL Chine, il y a collaboration avec ma collègue de l'Ontario, Mme Powell, qui dirige la Canadian Food Exporters Association. Les deux groupes, le Québec et l'Ontario, généralement, nous louons un espace dans le pavillon canadien et nous accompagnons des entreprises à ces marchés pour assister au salon.

Je suis moi-même actionnaire d'un salon alimentaire, mais je suis aussi actionnaire d'une entreprise qui fait du commerce interentreprises. Lorsqu'on assiste à un salon alimentaire, celui-ci s'adresse à une clientèle de gens. Nous avons plusieurs raisons d'assister à un salon alimentaire. À Montréal ou à Toronto, il y a, bien sûr, l'aspect de la découverte de nouveaux clients, mais il y aussi l'aspect de la consolidation de notre marché actuel avec notre clientèle actuelle. Il reste toutefois qu'un salon agroalimentaire est un fishing pond. Vous êtes dans un kiosque et vous tentez, au mieux, d'accrocher un client, un acheteur qui s'intéressera aux produits que vous présentez et avec qui, par la suite, vous pourrez poursuivre les négociations.

Concernant la Chine précisément, lorsqu'on procède à une invitation pour aller à un salon en Chine, même s'il s'agit du SIAL ou de notre organisation, le recrutement est beaucoup plus difficile. On y retrouve très peu d'industries, sauf celle du sirop d'érable, bien sûr, mais quelquefois, cela occasionne des désagréments entre les gens, parce qu'ils sont tous des concurrents et qu'il y a quatre kiosques de sirop d'érable l'un à côté de l'autre. Il en résulte un petit manque de confidentialité en ce qui concerne leurs contacts d'affaires. La raison première d'y assister pour nos membres, c'est afin d'explorer le marché, de comprendre ce qui se passe et de voir si le créneau dans lequel nos membres agissent peut être vendu sur le marché chinois.

Les gens veulent aussi acquérir des connaissances de la culture locale, parce qu'avant de faire le salon, nous allons souvent organiser des missions, des visites en magasin. Nous rencontrons des distributeurs, nous visitons l'ambassade ou le consulat, et nous recueillons des renseignements. C'est donc complémentaire.

Comme je vous le dis, ce n'est pas notre meilleur cheval. On le fait, parce qu'il y a des entreprises qui veulent le faire, mais ce n'est pas gagnant, ce ne sont pas nos plus gros salons.

Le sénateur McIntyre : On a souvent parlé de la marque Canada. Selon vous, cette marque a-t-elle amélioré les ventes des produits agroalimentaires canadiens sur les marchés internationaux?

M. Coutu : Sans aucun doute. Le marquage Canada a été l'une des bonnes décisions du gouvernement canadien, soit celle de consacrer des sommes à la promotion de l'image canadienne partout dans le monde. Partout où j'ai voyagé, et mes collègues vivent la même expérience, nous avons une réputation au Canada de bon passeport, de salubrité, de produits de qualité. C'est un avantage incomparable pour les entreprises canadiennes que de pouvoir s'identifier avec la feuille d'érable quelque part sur le produit ou dans les kiosques. Quand on fait des kiosques à l'étranger, tout est en rouge, parce qu'on veut transmettre ce message.

Le président : Avant de passer au deuxième tour, je veux souligner la présence de la sénatrice Beyak.

[Traduction]

La sénatrice Beyak : Merci de vos exposés très instructifs. Vous savez tous que les règles du Programme des travailleurs étrangers temporaires ont beaucoup changé. Des témoins nous ont parlé des difficultés que leur posent ces changements. J'aimerais savoir quelles sont les incidences sur vos membres et si vous avez un moyen de communiquer avec le gouvernement ou encore, si vous voulez formuler des recommandations dont nous pourrions faire part au gouvernement en votre nom.

[Français]

Mme Cloutier : Le dossier des travailleurs étrangers temporaires est très délicat pour les transformateurs alimentaires du Québec. Comme vous le savez sans doute, la transformation des aliments est souvent liée à la période de la récolte et, pendant cette période, il n'y a pas de main-d'œuvre étudiante, car les étudiants sont retournés à l'école. Ce sont des emplois temporaires, mais pendant des périodes très intenses où il est difficile de trouver des ressources ou de la main-d'œuvre locale.

Par exemple, certains de nos membres ont d'énormes fermes entre la frontière des États-Unis et la ville de Montréal. Il n'y a pas de main-d'œuvre. Ils sont obligés d'aller chercher de la main-d'œuvre étrangère temporaire — évidemment, ils ont prévu des installations pour eux — pour des périodes de trois ou quatre mois. C'est identique pour l'industrie du vin au Québec ou ailleurs.

Le changement apporté au règlement à l'échelle canadienne concerne de nombreux transformateurs au Québec. D'ailleurs, il y en a qui pensaient faire des investissements et qui n'en feront pas, puisqu'ils auraient dû embaucher une centaine de travailleurs de plus. Malheureusement, avec les nouveaux règlements, c'est presque impossible ou c'est très coûteux.

Il n'y a pas beaucoup d'ouverture du côté canadien. On demande au gouvernement de reconnaître les travailleurs du domaine de la transformation des aliments comme étant des travailleurs agricoles, parce qu'il y a un lien direct entre la période des récoltes et la transformation des aliments. Mais il n'y a pas beaucoup d'ouverture actuellement. On parle de milliers d'emplois au Québec.

M. Coutu : J'ai rencontré, lors du dernier SIAL Toronto, des entreprises qui doivent investir dans leurs infrastructures pour augmenter leur capacité de production. Quelques-unes songent à traverser la frontière si ce problème n'est pas réglé. Je me suis même fait dire par des compagnies importantes que c'est leur plan B. Il faudra se pencher sur cela très sérieusement. C'est un problème critique.

M. Fraeys : Ce qu'on demande, c'est que dans le cadre de la réforme, on fasse en sorte d'exclure ou de retirer le secteur de la transformation alimentaire, étant donné que la réforme a été établie dans l'ensemble du Canada pour toutes les industries, surtout pour les industries financières ou de la restauration, parce qu'elle aura un impact. Il y aura certainement un impact dans l'Est, mais aussi dans les provinces de l'Ouest. C'est assez important pour les entreprises qui utilisent les travailleurs saisonniers. Cependant, l'année prochaine, la réforme aura aussi un impact sur les entreprises de la viande qui ont embauché des travailleurs à l'aide de contrats de deux ans. Le problème se présentera l'année prochaine aux abattoirs. Par exemple, en Alberta, il est devenu presque impossible pour les abattoirs de trouver des travailleurs dans les usines.

Je sais que l'objectif est de faire travailler les Canadiens, mais si les gens ne veulent pas travailler dans les usines, on ne peut pas les y obliger. On dit souvent qu'il faut augmenter les salaires, mais ce n'est pas une question de salaire. C'est une question de valoriser les métiers de la transformation, et on ne peut y arriver en quelques mois; cela prendra des années.

Il faut faire comprendre à la population que les métiers de la transformation alimentaire sont des métiers d'avenir qui ont une valeur. On en a pour plusieurs années à faire ce travail. Entre-temps, il faut pouvoir utiliser les travailleurs étrangers pour combler les besoins, en attendant que la population comprenne que le secteur de la transformation offre de bonnes perspectives de carrière.

Le sénateur Maltais : Je voudrais vous remercier du travail que vous faites dans le secteur de la transformation alimentaire. Cela demande beaucoup de dextérité et de compétitivité.

On a parlé de beaucoup de choses, mais on n'a pas parlé des consommateurs. Le consommateur canadien, depuis quelques années, voit sa facture d'épicerie augmenter de semaine en semaine. Le prix du bœuf suit celui du pétrole, et on se demande s'il n'y a pas un cartel quelque part, parce que chaque printemps, lorsque les barbecues sortent, on voit monter le prix du bœuf. Pendant ce temps, le jus de tomate augmente de 3 cents. Personne ne s'en est aperçu, mais si vous en faites la vérification, c'est vrai.

On profite d'une augmentation sur un produit spécifique pour augmenter les autres de quelques cents, et le consommateur vérifie sa facture d'épicerie. Pour une mère de famille avec trois enfants, il peut y avoir une différence de 20 $ à 40 $ par semaine.

Comment réagissez-vous à ces augmentations?

Mme Cloutier : Je peux vous rappeler notre graphique no 4 : les prix payés aux transformateurs alimentaires n'ont presque pas augmenté depuis 2001. N'oubliez pas que les coûts généraux augmentent pour les transformateurs alimentaires. Le prix du pétrole augmente pour tout le monde, le coût des intrants augmente. Actuellement, on dit que le dollar canadien aux États-Unis représente un avantage pour le secteur manufacturier, mais lorsqu'on achète des intrants aux États-Unis — ce qu'on n'a pas le choix de faire, pour le sucre, et cetera —, il s'agit de coûts additionnels pour les transformateurs alimentaires.

À l'heure actuelle, les marges bénéficiaires pour les transformateurs alimentaires diminuent d'année en année. Nous sommes, au Québec, l'industrie ayant les revenus les plus bas au Canada, environ 6 p. 100 en moyenne, ce qui n'est pas important. Cependant, les coûts payés aux transformateurs alimentaires n'ont pratiquement pas augmenté, malgré les coûts du pétrole, et cetera.

Le sénateur Maltais : Je vais vous poser une autre question, puisque vous êtes économiste. Les producteurs, les agriculteurs et les transformateurs viennent nous voir. L'agriculteur, la personne qui travaille dans un abattoir, celle qui sème les légumes ou celle qui transforme les produits ne fait pas d'argent.

La personne qui paie pour tout ce monde gagne peu, et c'est un salarié qui travaille dans l'une de vos usines. Or, il voit sa facture d'épicerie augmenter de semaine en semaine.

Comme Mme Cloutier l'a mentionné, certains facteurs sont indépendants, mais il reste que c'est un fait. Que leur répondez-vous?

M. Dupuis : J'ai un commentaire à ajouter aux propos de Mme Cloutier. Il y a quelques années, les prix étaient très bas. Au cours des dernières années, le prix des denrées a augmenté considérablement, et c'est tant mieux. Les prix fluctuent toujours et peuvent baisser un peu, mais il reste que les prix sont fermes.

Mme Cloutier a parlé de la transformation, où les marges sont faibles, et c'est la même chose pour la distribution. Prenons l'exemple des magasins Target qui ont subi un échec cuisant. Les marges bénéficiaires du marché du détail alimentaire au Canada et au Québec sont très faibles. Les gens ne le savent pas, mais c'est le cas. La concurrence est énorme, ce qui devrait être rassurant pour les consommateurs. Target n'a pas réussi à percer le marché canadien, qui est extrêmement compétitif dans toutes les régions.

Donc, le coût de la facture d'épicerie qui ne cesse d'augmenter n'a rien à voir avec les marges des intervenants au Canada. Ce sont les coûts des matières premières qui ont augmenté. Oui, il y a un gain d'efficacité à faire avec l'innovation et il faut toujours poursuivre nos efforts en ce sens. Je crois que c'est la réponse fondamentale à votre question.

Le sénateur Maltais : Au nom des consommateurs, je vous remercie, monsieur Dupuis, pour vos explications.

Le président : Dans le cadre de votre participation au SIAL, vous avez mentionné que la présence canadienne y est importante. Selon vous — puisque vous êtes au Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts, ce matin —, croyez-vous que notre comité pourrait jouer un rôle au sein de rassemblement pour rehausser l'image du secteur agroalimentaire canadien, particulièrement en ce qui concerne la transformation? On ne veut pas s'imposer, mais j'aimerais entendre votre opinion à ce sujet.

M. Coutu : Paris, en octobre, c'est très agréable.

Mme Cloutier : On vous avait lancé une invitation l'année dernière.

M. Coutu : Si c'est profitable pour l'industrie, ce l'est pour nous également. Une présence plus forte du gouvernement canadien pour soutenir nos politiques à l'étranger sera profitable pour notre secteur. Cette présence ne fera que démontrer que le gouvernement canadien accorde une importance prioritaire au secteur agroalimentaire, ce dont il a bien besoin.

Le secteur agroalimentaire se fait discret. On entend parler des technologies et d'entreprises telles que Bombardier, mais nous sommes la première industrie au Canada. Nous vous sommes reconnaissants de votre présence physique et du soutien moral que vous nous apporterez par l'entremise des rapports que soumettrez au gouvernement. Nous vous demandons de poursuivre vos efforts en faveur du secteur agroalimentaire dès que vous en aurez la chance.

Le président : Vous avez aussi abordé une question qui suscite un débat, soit le nombre d'entreprises au sein de vos associations. Nous voulons attirer votre attention sur la question des travailleurs temporaires.

Madame Cloutier, vous avez mentionné des centaines ou des milliers de personnes. Pouvez-vous revoir ces chiffres au sein de vos deux associations et nous les transmettre par l'intermédiaire du greffier? Pouvez-vous nous donner des chiffres précis, à savoir s'il s'agit de 1 000 ou de 5 000 emplois?

Mme Cloutier : Nous vous transmettrons les chiffres. Nous avons fait l'exercice au cours des derniers mois. Nous avons communiqué avec les principales entreprises touchées. Nous vous enverrons la documentation en question.

Le président : Nous pourrions insérer ces renseignements dans notre rapport. Je vous remercie. Je déclare la séance levée.

(La séance est levée.)


Haut de page