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NFFN - Comité permanent

Finances nationales

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Finances nationales

Fascicule 9 - Témoignages du 8 avril 2014


OTTAWA, le mardi 8 avril 2014

Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd'hui, à 9 h 33, pour étudier :

(1) une ébauche de rapport sur les dépenses prévues dans le Budget principal des dépenses pour l'exercice se terminant le 31 mars 2015;

(2) une ébauche de rapport pour l'étude du Budget supplémentaire des dépenses (C) pour l'exercice se terminant le 31 mars 2014;

(3) une ébauche de rapport sur les dépenses prévues dans le Budget principal des dépenses pour l'exercice se terminant le 31 mars 2014.

Le sénateur Joseph A. Day (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Ce matin le comité commence l'étude du projet de loi S-204, Loi modifiant la Loi sur la gestion des finances publiques (emprunts de fonds).

[Traduction]

Il y aura trois rondes de témoignages pendant notre séance de deux heures de ce matin. Pour la première demi-heure, nous accueillons le parrain du projet de loi, le sénateur Moore.

Sénateur Moore, nous vous remercions de votre initiative et nous aimerions vous demander pourquoi notre pays a besoin de cette mesure législative.

L'honorable Wilfred P. Moore, parrain du projet de loi : Je remercie tous les sénateurs ainsi que les membres du Comité sénatorial permanent des finances nationales de me permettre de venir parler du projet de loi S-204.

Je serai bref, puisque nous en avons déjà parlé l'an dernier, mais je vais expliquer pourquoi je crois que le projet de loi S-204 devrait être adopté par la Chambre et le Sénat afin de ramener l'équilibre et la reddition de comptes au sein des procédures financières du Parlement.

Le budget de 2007 a fait perdre au Parlement — et par conséquent aux Canadiens — son pouvoir sur les deniers publics. Ce budget a retiré au Parlement le pouvoir d'emprunter des fonds et l'a transféré exclusivement à l'exécutif. Les Canadiens n'ont donc plus d'influence sur les montants d'argent qui sont empruntés en leur nom. C'est le Cabinet, c'est-à-dire le premier ministre et son ministre des Finances, qui prend cette décision dorénavant.

Le Cabinet se retrouve donc avec une marge de crédit illimitée, et ce seront les Canadiens qui devront la rembourser une fois que le gouvernement actuel sera parti.

Je trouve très intéressant que l'actuel gouvernement, dans sa plateforme électorale de 2006, n'ait pas annoncé aux Canadiens qu'il avait l'intention de retirer au Parlement le pouvoir d'emprunter des fonds. Pourquoi? Parce que les Canadiens n'auraient pas accepté qu'on enlève au Parlement — et donc aux Canadiens eux-mêmes — ce rôle historique et éprouvé.

Il s'agissait à mon avis d'une grave erreur, qui a affaibli notre régime financier et le Parlement tout entier.

Voici ce qu'on en dit dans l'ouvrage de Marleau et Montpetit :

Tout le droit des finances, et par conséquent toute la constitution britannique, est fondé sur un principe fondamental, établi dès l'origine de l'histoire parlementaire anglaise et confirmé par trois cents ans ponctués de conflits avec la Couronne et d'évolution tranquille. Toute taxe ou charge publique imposée à la nation pour les besoins de l'État, de quelque nature, doit être accordée par les représentants des citoyens et contribuables, c'est-à-dire par le Parlement.

C'est on ne peut plus clair. Le gouvernement ne peut pas jouer sur les deux tableaux : soit il est responsable et il rend des comptes, conformément aux principes parlementaires, soit il n'est pas responsable et ne rend pas de comptes. Pour le moment, au Canada, c'est la deuxième option qui a cours.

Nous connaissons les raisons qu'on nous a données pour expliquer les changements apportés par les bureaucrates du ministère des Finances. En gros, c'est pour aller plus vite. Il est beaucoup plus facile d'emprunter de l'argent au nom des Canadiens si on exclut ces derniers du processus, mais pour la reddition de comptes, on repassera.

Les fonctionnaires du ministère des Finances nous ont dit que la modification du pouvoir d'emprunt avait amélioré la reddition de comptes.

Nous savons que c'est totalement faux. Le Parlement du Canada est l'organe ultime de reddition de comptes. Tout projet de loi prévoyant l'emprunt de fonds doit être déposé au Parlement et débattu par les représentants élus des Canadiens. Ça, c'est de la reddition de comptes.

Les fonctionnaires du ministère des Finances nous ont dit que leur Stratégie de gestion de la dette contient des renseignements qui décrivent, entre autres, les exigences prévues en matière d'emprunt. Toutefois, ces prévisions sont présentées au Cabinet et non à la Chambre des communes. En plus de nuire à la reddition de comptes, cette situation écarte le principe voulant que, bien que le Cabinet doive pouvoir en discuter, c'est au Parlement qu'il revient de voter.

Les fonctionnaires du ministère des Finances nous ont dit que leur Rapport sur la gestion de la dette permet de rendre des comptes, puisqu'il est publié 30 jours après que les comptes sont rendus publics. Tout cela est fait a posteriori. Les Canadiens ne sont informés des montants qu'ils doivent qu'après que l'emprunt est fait. À mon avis, c'est totalement inacceptable.

Les fonctionnaires du ministère des Finances nous ont dit que ce projet de loi concilie supervision parlementaire d'une part et efficience et souplesse d'autre part. Je répète ce que j'ai dit la dernière fois que j'ai comparu devant ce comité : le Canada a survécu à deux guerres mondiales, à la récession des années 1930 et à d'innombrables autres crises. En fait, tous les changements apportés avant le budget de 2007 visaient à renforcer la surveillance parlementaire, pas à l'affaiblir. C'est ainsi que les choses auraient toujours dû se passer.

On nous a dit récemment au Sénat que ce projet de loi est considéré par le gouvernement actuel comme du « réchauffé » qui ne mérite aucune attention. Je trouve alarmant qu'un projet de loi qui vise à redonner au Parlement des pouvoirs qui lui ont été enlevés de manière détournée soit considéré comme étant sans importance. En fait, on nous a dit : « Les modifications de 2006 donnent des pouvoirs considérables. Pourquoi les limiter? »

En effet, pourquoi donc limiter les pouvoirs du gouvernement? Je crois que les Canadiens devraient être alarmés par l'idée qu'on devrait laisser le ministère des Finances et le Cabinet emprunter autant qu'ils veulent, qu'on devrait leur donner cette marge de crédit illimitée.

Nous ne sommes pas au service du ministère des Finances. C'est tout le contraire. Le ministère est au service du Parlement et des Canadiens. Ce projet de loi vise à rétablir l'équilibre.

Monsieur le président, je sais qu'après la pause de Pâques, votre comité passera à l'étude article par article et entendra d'autres témoins. J'ai bien hâte à cette séance. Merci de m'avoir écouté et je répondrai avec plaisir aux questions des sénateurs.

Le président : Merci beaucoup, sénateur Moore. Vous avez mentionné votre ancien projet de loi. Lorsque notre comité l'a étudié, certains se sont dits préoccupés par l'absence d'une disposition d'entrée en vigueur. Pouvez-vous nous en parler?

Le sénateur Moore : Nous en avons ajouté une dans cette version-ci. L'entrée en vigueur sera peu après l'adoption, 30 jours après si je ne m'abuse. Je vais vous lire la disposition en question :

La présente loi entre en vigueur le 1er avril du premier exercice débutant après sa sanction royale [...]

C'est plutôt 90 jours après la sanction royale.

Le président : Quel article êtes-vous en train de lire?

Le sénateur Moore : L'article 4, monsieur le président.

La sénatrice Callbeck : Bienvenue, sénateur. Merci d'avoir présenté ce projet de loi.

Comme vous l'avez expliqué, l'exécutif — le Cabinet — est seul à décider combien d'argent est emprunté. Les Canadiens n'ont plus leur mot à dire. Nous avons donc perdu un important contrepoids.

Savez-vous dans combien de pays qui utilisent le système parlementaire de Westminster cette situation existe, c'est-à-dire que le Parlement n'a pas voix au chapitre?

Le sénateur Moore : Non, aucune idée.

La sénatrice Callbeck : C'est comme donner au Cabinet une carte de crédit sans limite.

Le sénateur Moore : C'est ainsi que je l'avais formulé dans mon exposé. Le ministre des Finances n'a qu'à aller voir ses collègues du Cabinet et leur expliquer ce qu'il veut et, avec leur approbation, il peut aller de l'avant. Il n'a pas à s'adresser à la population, au Parlement, à la Chambre des communes, pour obtenir l'approbation. C'est pourtant un élément fondamental des démocraties de type Westminster.

La sénatrice Callbeck : Je suis bien de votre avis. Nous prenons connaissance des limites d'emprunt demandées par le ministre en lisant la Stratégie de gestion de la dette. Savez-vous quand ce document est publié ou quand nous apprenons ce qu'il contient?

Le sénateur Moore : Le Rapport sur la gestion de la dette est publié 30 jours après les Comptes publics. C'est dans ce rapport qu'il est indiqué combien le ministre a dépensé, mais il n'a pas eu à obtenir l'approbation au préalable.

La sénatrice Callbeck : Ce changement a été fait en 2007 dans le projet de loi omnibus. Y a-t-il lieu de croire que la journée ou deux dont nous aurions besoin pour adopter un projet de loi comme celui-ci aurait changé quoi que ce soit à la crise de 2008, si l'ancien système avait été en vigueur?

Le sénateur Moore : Je ne crois pas. La dernière fois que le comité a étudié ce projet de loi, des témoins ont expliqué que la Chambre des communes et le Sénat avaient toujours eu amplement le temps de gérer les situations de crise, et cela aurait aussi été le cas pour la grande récession de 2008-2009, comme on l'appelle.

La sénatrice Callbeck : D'accord, merci.

Le président : Je crois comprendre qu'il y a deux documents. La sénatrice Callbeck vous a posé une question sur la stratégie, qui, si j'ai bien compris, est jointe au budget. Elle est donc présentée avant le début de l'exercice.

Le sénateur Moore : C'est exact.

Le président : Puis, le document que vous avez mentionné, sénateur Moore, est un rapport publié après les Comptes publics, donc a posteriori.

Le sénateur Moore : Exactement, monsieur le président.

Le président : Il y en a donc deux : un avant et un après.

Le sénateur Moore : Oui, c'est cela.

Le président : Pourriez-vous nous parler de la stratégie? Je crois vous avoir entendu dire qu'elle était remise seulement au Cabinet, mais si elle fait partie du budget, elle est donc soumise à un vote à la Chambre des communes.

Le sénateur Moore : C'est vrai, mais le ministre ne va pas expliquer à la Chambre exactement combien d'argent il veut obtenir et pourquoi, pas plus qu'il ne lui demande l'autorisation d'emprunter. Il ne le fait pas. Tout cela est expliqué après.

Le président : Donc, ces deux documents — une stratégie jointe au budget et un rapport publié après les Comptes publics — remplacent l'ancien processus, c'est-à-dire un projet de loi devant être adopté par les deux chambres?

Le sénateur Moore : Exactement. Monsieur le président et chers membres du comité, les choses ont fonctionné ainsi pendant 140 ans. Personne n'a dit aux Canadiens que la méthode allait changer, ni à quel point ce changement était important. Personne n'en a parlé alors, et personne n'en parle depuis. Ce pouvoir devrait être rétabli.

Le président : Pouvez-vous nous expliquer comment nous avons pris connaissance de ce changement?

Le sénateur Moore : Dans le projet de loi omnibus, le premier projet de loi omnibus du gouvernement conservateur, en 2007, il y avait des changements à l'Accord atlantique et à la formule de partage des revenus entre le fédéral et les provinces qui me préoccupaient, et qui préoccupaient beaucoup d'autres sénateurs, je crois.

Ces changements ont pris tellement de place que personne n'a remarqué la modification du pouvoir d'emprunt avant que le projet de loi omnibus ne soit adopté. On ne s'en est rendu compte qu'après coup. Mon voisin de banquette, l'honorable Tommy Banks, en parcourant le projet de loi, a remarqué ce tout petit article et a dit : « Qu'est-ce que cela veut dire? Est-ce que cela veut dire ce que je pense que cela veut dire? »

Je crois, monsieur le président, qu'il vous en a peut-être parlé. Il m'en a parlé à moi, peut-être à vous aussi. Puis il en a glissé un mot à l'honorable Lowell Murray, qui s'en est vivement inquiété. Je sais que le sénateur Murray a essayé deux ou trois fois de faire renvoyer un projet de loi à un comité, mais on lui a fait obstacle. Il n'a pas réussi. On peut dire que je reprends le flambeau. C'est ce qui s'est passé. C'est comme cela qu'on s'en est rendu compte.

Je crois que nous avons été inquiétés parce qu'il s'agit d'un principe fondamental qu'on modifiait en catimini. Ce n'était pas une promesse électorale. Cela n'apparaissait pas dans les plateformes. Les Canadiens n'étaient pas au courant. Les députés n'étaient pas au courant. Les sénateurs n'étaient pas au courant. C'était donc une surprise totale, et nous ne semblons pas être en mesure de faire marche arrière, même si nous devrions le faire. Personne n'a expliqué pourquoi il ne faudrait pas revenir en arrière. Personne n'a expliqué pourquoi il fallait supprimer ce pouvoir, sauf pour accélérer le processus, et cette justification ne tient pas la route puisqu'il n'y a jamais eu de problème de ce côté-là. Nous avons entendu des témoignages à cet effet, et vous en entendrez sans doute encore aujourd'hui ou plus tard.

Ce projet de loi rétablit l'équilibre entre la Chambre, la population et l'exécutif.

Le président : Vous avez parlé d'un « projet de loi omnibus », qu'on appelle aussi projet de loi omnibus d'exécution du budget.

Le sénateur Moore : Oui, on lui donne aussi ce nom, monsieur le président.

La sénatrice Eaton : Sénateur Moore, est-ce qu'un projet de loi sur la gestion des finances publiques a déjà été rejeté? Avant 2007, quand le gouvernement s'adressait à la Chambre des communes, un tel projet de loi a-t-il déjà été rejeté, ou s'agissait-il plutôt d'un geste de pure forme par lequel le gouvernement demandait un certain montant et tout le monde disait oui?

Le sénateur Moore : Je ne crois pas qu'un tel projet de loi a déjà été rejeté, mais il n'en demeure pas moins qu'un projet de loi visant à demander des fonds doit être déposé à la Chambre pour lui demander son autorisation. La Chambre a ainsi la possibilité d'étudier la demande. Si le gouvernement est majoritaire, il obtiendra ce qu'il veut de toute façon.

La sénatrice Eaton : Mais à votre connaissance, un projet de loi de cet ordre n'a jamais été rejeté?

Le sénateur Moore : Pas que je sache.

La sénatrice Eaton : Comme je n'ai pas la même expérience et la même expertise en matière de finances que les autres membres, j'aimerais éclaircir un point. Quand le budget est déposé à la Chambre, est-ce que ces choses-là sont prises en considération? Autrement dit, est-ce que l'argent que nous empruntons, l'argent que nous dépensons, l'argent que nous n'avons pas, le déficit, sont examinés par le Parlement?

Le sénateur Moore : Oui.

La sénatrice Buth : Merci d'être ici ce matin, sénateur Moore.

J'aimerais savoir si vous avez examiné la Stratégie de gestion de la dette et le Rapport sur la gestion de la dette. Les avez-vous consultés?

Le sénateur Moore : Je les ai consultés l'an dernier lorsque nous en étions à la même étape, mais pas cette année.

La sénatrice Buth : Ma question va dans le même sens que celles de la sénatrice Eaton et du sénateur Day. La Stratégie de gestion de la dette, que je viens tout juste de consulter, compare les emprunts de cette année et ceux de l'an dernier. Elle indique comment les fonds seront empruntés. Elle est jointe en annexe au budget que nous recevons. Puis, le projet de loi de mise en œuvre du budget nous est soumis, et nous l'approuvons. Donc, tout est approuvé par le Parlement. Tout passe par la Chambre des communes et par le Sénat.

S'il y a des préoccupations, on peut en débattre dans l'une ou l'autre des chambres. Je ne comprends donc pas d'où vient votre inquiétude. Il existe un mécanisme d'examen de la Stratégie de gestion de la dette par le Parlement.

Le sénateur Moore : Je ne comprends pas pourquoi on a retiré au Parlement un pouvoir qu'il détenait depuis 140 ans. Je ne comprends pas. L'ancien système permettait, selon moi, une meilleure reddition de comptes. Le public comprenait que les députés avaient alors la possibilité de demander des explications au gouvernement sur ce qu'il demande et à quelles conditions, au lieu de se contenter de lire un rapport sur ce que le gouvernement propose.

La sénatrice Buth : Cette modification de la Loi sur la gestion des finances publiques, on l'a expliqué, était incluse dans un projet de loi budgétaire.

Le sénateur Moore : En 2007.

La sénatrice Buth : Ce projet de loi budgétaire a été débattu à la Chambre des communes et au Sénat, mais vous avez raté cette modification. Ou était-ce le sénateur Banks?

Le sénateur Moore : Le sénateur Banks a été le premier à s'en rendre compte. Personne, ni à la Chambre ni au Sénat, n'avait remarqué ce changement, ce qui est tragique.

La sénatrice Buth : Personne dans l'opposition ne s'en est rendu compte et n'a mentionné quoi que ce soit.

Le sénateur Moore : Personne à la Chambre des communes ne l'a vu, d'un côté comme de l'autre. J'imagine que tout le monde était au courant du côté du gouvernement.

La sénatrice Buth : Je ne crois pas que vous puissiez parler de ce que notre côté a vu ou n'a pas vu.

Le sénateur Moore : C'est vrai. Ce changement n'a pas été mentionné — disons les choses ainsi — par qui que ce soit à la Chambre des communes.

La sénatrice Buth : Voilà. Personne n'en a parlé, mais c'était bel et bien dans le projet de loi.

Le sénateur Moore : Oui, c'est exact.

La sénatrice Buth : Et le projet de loi a été mis aux voix.

Le sénateur Moore : En effet.

La sénatrice Buth : Et le projet de loi a été adopté.

Le sénateur Moore : Effectivement.

La sénatrice Buth : La modification a donc été apportée. Merci beaucoup.

Le président : Afin que les choses soient claires, la Stratégie de gestion de la dette est jointe au budget, mais le Sénat ne vote pas l'approbation du budget. Cela ne fait pas partie de nos prérogatives. Nous ne nous penchons que sur certains éléments du budget dans le cadre de notre examen du projet de loi d'exécution du budget. Beaucoup d'autres éléments n'en font donc pas partie, évidemment.

Le sénateur Moore : Au comité, oui.

Le président : Je ne crois pas qu'aucun d'entre nous ait déjà vu cette stratégie jointe à un projet de loi d'exécution du budget au Sénat.

La sénatrice Buth : Mais le budget fait l'objet d'un débat et d'un vote à la Chambre.

Le président : À la Chambre, mais pas au Sénat.

La sénatrice Buth : C'est ça.

Le président : C'était à titre de précision.

Le sénateur Moore : Le public ne le sait probablement pas, monsieur le président.

Le président : Il nous est difficile de savoir ce que le public sait ou ne sait pas.

Le sénateur Moore : En ce qui concerne le fait que le Sénat ne l'examine pas.

Le président : En effet.

[Français]

La sénatrice Hervieux-Payette : J'aimerais apporter un éclaircissement au sujet des articles insérés dans les projets de loi de budget, qui n'ont pas été pris en considération par la Chambre des communes et qui, dans un gouvernement minoritaire conservateur, ont dû être modifiés.

Je réfère au crédit d'impôt sur la production de films, lorsque nous avons découvert que le ministre s'octroyait un pouvoir discrétionnaire de rappeler le crédit d'impôt ultérieurement. Et c'est au Sénat qu'on a découvert que ce crédit d'impôt pouvait être mis en cause pour des questions morales.

Évidemment, tout cela a été associé à une forme de contrôle de contenu de la part de l'État. Toutes les villes canadiennes qui font de la production cinématographique se sont opposées à cet article de loi et personne n'avait vu cette question. Elle a été débattue ici, au Sénat.

Concernant le concept des projets de loi omnibus, j'ai déjà siégé à la Chambre des communes et j'aimerais vous rappeler qu'à l'époque, un projet de loi omnibus servait habituellement à corriger des articles de loi qui étaient difficiles à appliquer et qui, généralement, servaient à faire du ménage dans plusieurs projets de loi, mais il n'empêchait pas nécessairement les gens de discuter de certaines questions.

Nous disposons d'un temps limité pour étudier les projets de loi omnibus. Si on avait six mois pour le faire, peut-être que ce serait différent. Je regarde le nombre d'heures passées à les étudier à la Chambre des communes et je vois qu'au Sénat on y consacre plus de temps.

À l'époque, la question du crédit d'impôt sur la production des films avait suscité une grande discussion nationale et le gouvernement avait changé d'idée parce c'était un gouvernement minoritaire. À un moment donné, il y a une forme de bon jugement qui revient quand on a une possibilité. Le projet de loi avait été modifié au Sénat, et retourné à la Chambre des communes.

C'est pour cette raison que, dans ce cas, j'appuie pleinement la proposition de mon collègue. C'est tout simplement se donner un chèque en blanc et je pense qu'un gouvernement ne devrait jamais avoir un chèque en blanc. J'explique l'origine de cela et comment on en est arrivé à cette question.

Est-ce que cela ne remet pas en cause toute la question des projets de loi omnibus? Parce que dans le fond, si on était informé sur la nature d'un projet de loi, on n'aurait pas d'articles de loi qui sont insérés de façon « pas très catholique » dans nos projets de loi de budget.

[Traduction]

Le sénateur Moore : Je me souviens des longs débats concernant le point que vous avez soulevé et je crois qu'à l'époque, le ministre s'était attribué le poste de seul juge de la morale au pays afin de déterminer si un film était approprié ou non. C'est au Sénat qu'on avait découvert cela dans le cadre de notre examen du projet de loi, et nous avions renvoyé le projet de loi.

Personne n'en avait parlé. Personne n'avait fait campagne à ce sujet. Personne n'en avait soufflé mot aux Canadiens et, parce que nous l'avons découvert, bien entendu, cela a entraîné une levée de boucliers dans l'industrie cinématographique, tant au pays qu'à l'étranger. Les Canadiens étroitement liés à cette industrie ont probablement été choqués par la nouvelle.

Je crois qu'il faut s'interroger au sujet de la pertinence de ces projets de loi omnibus. Lorsqu'on se retrouve devant un projet de loi de 400 ou 500 pages, il est humainement impossible pour quiconque d'entre nous de l'étudier à fond et d'examiner toutes les références à d'autres mesures législatives. Il faudrait toute une équipe de recherche pour y parvenir en temps opportun, car le processus se déroule assez vite. Et c'est encore plus difficile si le gouvernement fait adopter une motion d'attribution de temps. Je crois qu'il faudrait mettre un frein à ce processus ou le limiter.

La sénatrice Seth : Merci, sénateur Moore. Je comprends ce que vous dites au sujet de ce projet de loi.

Serait-il possible que le processus d'approbation concernant les limites d'emprunt entraîne une réduction de la capacité d'emprunter? Est-ce une possibilité?

Le sénateur Moore : Je ne crois pas. Comme je l'ai dit, le pouvoir final réside entre les mains du peuple, et si le Parlement décide, dans sa sagesse, qu'il faudrait modifier la façon d'emprunter des fonds publics, c'est à l'autorité appropriée qu'il revient de prendre la décision, et non aux bureaucrates ou aux ministères, qui sont là pour servir le peuple, et non le contraire.

La sénatrice Seth : Selon des représentants de la Banque du Canada, pendant la récession mondiale de 2008, la cadre financier en vigueur a permis aux autorités canadiennes de réagir avec suffisamment de rapidité et d'efficacité aux importantes secousses qui ont ébranlé le système financier canadien. De quelle façon le projet de loi S-204 permettrait-il d'améliorer la rapidité et l'efficacité du gouvernement fédéral en cas de crise financière?

Le sénateur Moore : Je vous remercie de cette question. Elle a d'ailleurs été soulevée la dernière fois que le comité a été saisi de ce projet de loi. Je m'attends à ce que d'autres témoins en parlent. Auparavant, les ministères et le gouvernement avaient amplement le temps de réagir. Cela a été clairement établi. La santé financière du pays était bonne, et le processus en place laissait amplement le temps au gouvernement d'obtenir les autorisations d'emprunt ou d'apporter les modifications nécessaires aux finances du pays afin de réagir à ce genre de situation.

La sénatrice Chaput : Merci, sénateur Moore, de soumettre de nouveau ce projet de loi à l'attention du comité. Un tel projet de loi me rappelle pourquoi nous sommes ici. Lorsqu'on parle du Sénat comme du lieu de second examen objectif, je crois que l'étude actuelle en est un bon exemple.

J'ai souvent entendu l'expression « boîte à outils » pendant des séances de comités sénatoriaux. Je me souviens que, dans un autre comité, nous disions « Voilà un outil de plus dans notre boîte à outils qui nous permettra de mieux faire notre travail. » Si j'utilise cet exemple pour parler de la boîte à outils de la reddition de comptes, diriez-vous que ce projet de loi serait un outil supplémentaire dans cette boîte à outils?

Le sénateur Moore : Certainement. Je ne comprends pas comment cet outil a pu être retiré de la boîte à outils sans que quelqu'un ne prévienne le public qu'on avait l'intention de le faire. Comme je l'ai dit, il s'agit d'un principe fondamental des démocraties qui s'inspirent du modèle de Westminster et qui a fonctionné au Canada pendant 140 ans. Personne n'a pris la parole pour dire qu'il n'était plus efficace et qu'il fallait s'en débarrasser. Je n'ai jamais entendu qui que ce soit dire une telle chose. Je n'ai jamais entendu un ministre des Finances, un premier ministre ou un représentant du gouvernement dire une telle chose. Je ne comprends pas comment cela a pu se produire.

La sénatrice Buth : Sénateur Moore, j'aimerais revenir sur la façon dont la Loi sur la gestion des finances publiques a été modifiée et ce que vous cherchez à faire. Les modifications à la Loi sur la gestion des finances publiques ont été présentées dans un projet de loi d'exécution du budget qui a été examiné et approuvé par le Parlement, puis le Sénat. L'opposition a raté cet élément, selon vous. Voilà maintenant que vous présentez une modification à cette même Loi sur la gestion des finances publiques, modification parfaitement conforme aux règles et au processus, et que nous l'examinons. N'importe qui peut présenter un projet de loi au Sénat, et c'est ce que vous avez fait.

Pouvez-vous me dire combien de fois ce projet de loi a été présenté au Sénat et ce qui est arrivé?

Le sénateur Moore : C'est la deuxième fois. Il aurait complété tout le processus la première fois, mais le gouvernement a prorogé le Parlement et j'ai dû tout recommencer. Telles sont les règles du Sénat. J'ai dû reprendre le processus à zéro. Je crois que le sénateur Murray a déjà présenté un projet de loi semblable au Sénat à deux ou trois occasions, mais il n'a jamais pu lui faire franchir l'étape de la deuxième lecture. On l'en a empêché.

La sénatrice Buth : Vous avez donc dit qu'il y a eu prorogation?

Le sénateur Moore : En effet, madame la sénatrice, l'année dernière.

La sénatrice Buth : Je faisais partie du comité lorsqu'il nous a été renvoyé l'an dernier, et le rapport que nous avions présenté au Sénat recommandait qu'il n'aille pas plus loin.

Le sénateur Moore : En effet.

La sénatrice Buth : La prorogation n'est donc pas vraiment en cause. Le rapport recommandait essentiellement de ne pas aller de l'avant avec ce projet de loi.

Le sénateur Moore : Le comité a présenté son rapport, mais aucune décision n'a été prise.

La sénatrice Buth : D'accord.

Le sénateur Moore : Si je me souviens bien, le vote final n'a pas eu lieu.

La sénatrice Buth : Au Sénat?

Le sénateur Moore : Oui, au Sénat.

La sénatrice Buth : Merci de cette précision.

Le président : Sénateur Moore, je vous remercie de votre initiative au nom du comité. Vous pouvez rester parmi nous alors que nous passons à la prochaine ronde de témoins.

Le sénateur Moore : Je vous remercie de m'avoir entendu de nouveau, sénateurs.

Le président : Chers collègues, nous allons maintenant accueillir les prochains témoins.

[Français]

Honorables sénateurs, il me fait maintenant plaisir de souhaiter la bienvenue au Comité sénatorial permanent des finances nationales à M. Dan Calof, directeur par intérim, Division des marchés financiers, et à Marie-Josée Lambert, chef, Politique de la gestion de la dette intérieure, Direction de la politique du secteur financier. Tous les deux sont du ministère des Finances du Canada. On entendra les deux témoins ensemble.

[Traduction]

Nous accueillons également Grahame Johnson, chef, Gestion financière et Opérations bancaires, de la Banque du Canada.

Avez-vous des observations préliminaires? Vous avez entendu le sénateur Moore. Si vous souhaitez émettre des commentaires dans le cadre de vos observations préliminaires, nous vous invitons à le faire. Vous avez la parole.

Dan Calof, directeur par intérim, Division des marchés financiers, ministère des Finances Canada : J'aurais quelques observations préliminaires. Je crois que les sénateurs et mon bon ami, M. Johnson, en ont obtenu une copie.

Grahame Johnson, chef, Gestion financière et Opérations bancaires, Banque du Canada : J'aurais moi aussi quelques observations préliminaires.

M. Calof : J'aimerais vous présenter mes excuses. J'ai remplacé à la dernière minute Toni Gravelle, qui devait témoigner à ma place.

Le président : Inutile de vous excuser, car vous n'avez eu qu'un court préavis. C'est nous qui devrions vous présenter des excuses. Merci d'avoir pu vous libérer.

M. Calof : Je suis heureux de pouvoir venir témoigner devant le comité au sujet d'une question aussi importante que l'autorisation d'emprunter.

Bonjour. Je suis Dan Calof, directeur par intérim de la Division des marchés financiers au ministère des Finances. Voici ma collègue, Marie-Josée Lambert, chef de la Section de la politique de gestion de la dette, ainsi que Grahame Johnson, de la Banque du Canada.

C'est avec plaisir que nous nous présentons devant le Comité sénatorial permanent des finances nationales pour le compte du ministère des Finances au moment où le Comité examine le projet de loi S-204, qui a pour objet de modifier certaines dispositions de la Loi sur la gestion des finances publiques (LGFP) concernant les emprunts du gouvernement du Canada.

La partie IV de la LGFP établit les autorisations d'emprunter, c'est-à-dire les circonstances dans lesquelles le ministre des Finances est autorisé à emprunter des fonds pour le compte de Sa Majesté du chef du Canada. En particulier, le paragraphe 44(2) stipule que le total du principal emprunté par le ministre pour un exercice ne peut excéder le plafond précisé par décret pour cet exercice.

Le montant maximum que le ministre demande au gouverneur en conseil est établi en fonction des besoins financiers projetés du gouvernement — qui comprennent les besoins budgétaires et les besoins non budgétaires — auxquels s'ajoute une marge de prudence établie dans la Stratégie de gestion de la dette qui est publiée dans le cadre du budget annuel. Pour l'exercice financier en cours, ce montant est de 270 milliards de dollars, soit 30 milliards de moins que pour l'exercice précédent. Comme le sénateur Moore l'a indiqué plus tôt, cela figure en annexe du budget.

Je tiens à préciser que le pouvoir d'emprunter approuvé par décret représente la limite supérieure des créances que le gouvernement est autorisé à émettre pour l'exercice en question. Ce n'est pas une approbation du niveau des dépenses du gouvernement. Le niveau des dépenses est fixé par voie de lois de crédit et de crédits législatifs, lesquels doivent être approuvés par le Parlement.

Le cadre de référence actuel en vertu duquel le gouverneur en conseil approuve la limite d'emprunt du gouvernement est en place depuis octobre 2007. Auparavant, il y avait une limite statutaire sur les emprunts que seul le Parlement était habilité à modifier. Conformément à ce régime, le gouvernement avait le pouvoir permanent de refinancer les emprunts contractés sur les marchés qui arrivaient à échéance, en plus de l'autorisation permanente d'emprunter 4 milliards de dollars en vertu de la Loi sur le pouvoir d'emprunt pour 1996-1997.

Selon le budget du 19 mars 2007, l'une des grandes raisons expliquant le nouveau régime d'autorisation d'emprunter était de rationaliser et de moderniser le processus et de renforcer la flexibilité pour satisfaire aux besoins futurs en matière d'emprunt, particulièrement en ce qui concerne la consolidation des emprunts des sociétés d'État. Dans le budget de mars 2007, le gouvernement annonçait qu'à partir de 2008, il comblerait tous les besoins d'emprunt de la Banque de développement du Canada, de la Société canadienne d'hypothèques et de logement ainsi que de Financement agricole Canada par des prêts directs à ces sociétés d'État, ce qui ferait augmenter les besoins financiers du gouvernement.

Un avantage clé de la flexibilité accrue qui découlait des changements apportés en 2007 a été démontré en novembre 2008, lorsque, pour faire face aux perturbations dans les marchés financiers, le gouvernement a pu agir rapidement en plein milieu de la crise financière et demander un relèvement de sa limite d'emprunt. En novembre 2008, le gouverneur en conseil a approuvé sans délai un relèvement de 90 milliards de dollars de la limite d'emprunt globale pour 2008-2009, qui avait été fixée à l'origine à 206 milliards. De la sorte, le gouvernement a été en mesure d'engager jusqu'à 75 milliards de dollars en prêts à l'intention de la Société canadienne d'hypothèques et de logement pour le financement du Programme d'achat de prêts hypothécaires assurés (PAPHA) et d'aider à financer l'injection de plus de 40 milliards de dollars sous forme de liquidités à court terme destinées aux établissements financiers par l'entremise de la Banque du Canada.

Parallèlement à la suppression de la limite d'emprunt statutaire, les modifications de 2007 ont établi des exigences renforcées en matière de divulgation des emprunts anticipés et de leurs utilisations prévues par le biais de la Stratégie de gestion de la dette; des exigences renforcées en matière de divulgation des emprunts réels et de leurs utilisations réelles par rapport aux prévisions par l'entremise du Rapport sur la gestion de la dette; et la publication de renseignements plus détaillés sur les résultats dans les Comptes publics.

Les modifications de 2007 prévoyaient également la divulgation plus rapide des activités d'emprunt. La période dont dispose le ministre des Finances pour déposer le Rapport sur la gestion de la dette dans les deux Chambres du Parlement a été raccourcie, passant de 45 jours à 30 jours de séance après le dépôt des Comptes publics.

En réponse à la question posée plus tôt par la sénatrice Callbeck, il n'y a pas de limites d'emprunt explicites dans la plupart des démocraties modernes, y compris la Grande-Bretagne, la France, l'Allemagne, l'Australie et la Nouvelle-Zélande. Dans ce contexte, les modifications de 2007 visant à moderniser les dispositions sur le pouvoir d'emprunt du gouvernement sont conformes aux cadres en la matière en usage dans d'autres pays. Les seuls pays développés qui ont encore des limites d'emprunt explicites sont les États-Unis, le Japon et le Danemark.

Vous devez également savoir que le Government Accountability Office du gouvernement des États-Unis, l'équivalent du Bureau du vérificateur général, indiquait dans ses rapports de février 2011, de juillet 2012 et de décembre 2013 que le Congrès devrait envisager des moyens d'établir de meilleurs liens entre les décisions relatives à la limite d'emprunt et les décisions relatives aux dépenses et aux revenus, pour éviter d'éventuelles perturbations dans le marché des obligations du Trésor et éclairer le débat sur la politique fiscale en temps opportun.

En résumé, les modifications apportées à la LGFP en 2007 nous ont permis d'aligner notre cadre des autorisations d'emprunt sur les pratiques exemplaires dans le monde. Par rapport au cadre de référence précédent, le régime actuel d'autorisation d'emprunt a permis une gestion financière plus efficace, plus réceptive et plus prudente ainsi que plus de transparence et une reddition des comptes renforcée relativement aux activités d'emprunt du gouvernement du Canada.

Pour terminer, j'aimerais remercier le président et les membres du comité de nous avoir donné cette occasion de présenter de l'information au sujet de cette question importante. Après les observations de M. Johnson, il nous fera plaisir de répondre à vos questions.

M. Johnson : Monsieur le président, membres du comité, merci. Je m'appelle Grahame Johnson et j'occupe le poste de chef, Gestion financière et Opérations bancaires, à la Banque du Canada. Je suis très heureux d'être ici aujourd'hui pour présenter le point de vue de la Banque du Canada au sujet du projet de loi S-204, Loi modifiant la Loi sur la gestion des finances publiques (emprunts de fonds).

Pour commencer, j'aimerais expliquer brièvement le rôle de la Banque du Canada dans l'émission des titres de créance.

En sa qualité d'agent financier du gouvernement, la Banque du Canada émet la dette au nom du gouvernement du Canada et le fait conformément aux exigences prévues par la Loi sur la gestion des finances publiques. Bien que la Banque du Canada et le ministère des Finances collaborent pour offrir des conseils sur la gestion de la dette au gouvernement du Canada, les décisions sur la politique concernant la dette relèvent en définitive du ministre des Finances. Les changements apportés au cadre du pouvoir d'emprunt du Canada en 2007 étaient axés sur la création d'un processus plus efficace et plus souple pour l'approbation du plan d'emprunt annuel du Canada.

Les changements visaient également un accroissement de la transparence et de la reddition de comptes par l'imposition d'exigences plus rigoureuses de divulgation sur les emprunts projetés et réels au cours d'un exercice.

[Français]

Pendant la crise financière mondiale, surtout à l'automne 2008, le cadre régissant le pouvoir d'emprunt décrit dans la Loi sur la gestion des finances publiques a bien servi les Canadiens. Il a notamment aidé les autorités canadiennes à réagir efficacement — et rapidement — aux questions majeures touchant le système financier canadien.

Comme vous le savez tous, le monde a été confronté à une situation exceptionnelle lorsque Lehman Brothers a déclaré faillite le 15 septembre 2008. L'aspect le plus frappant de cette faillite a été la hausse encore jamais vue des coûts du financement interbancaire, qui s'est propagé ensuite dans d'autres marchés. Les institutions financières à l'échelle du globe sont devenues réticentes à se consentir des prêts entre elles. Des intermédiaires clés ont commencé à accumuler des réserves d'actifs liquides, et certains ont même interrompu leurs activités de tenue de marché. À différents moments, les marchés du crédit interbancaire et des autres prêts à court terme, y compris pour les banques, ont été presque complètement paralysés. Il était clair que le système financier mondial subissait un choc d'importance systémique.

Pour faire face à la situation, les banques centrales et les gouvernements du monde entier ont pris des mesures sans précédent en vue de stabiliser le système financier.

[Traduction]

Au Canada, les mesures adoptées au cours de la crise s'appuyaient sur le cadre actuel régissant le pouvoir d'emprunt. Plus précisément, le cadre a permis aux autorités canadiennes d'intervenir rapidement en autorisant une hausse de 90 milliards de dollars de la limite d'emprunt en cours d'exercice, comme l'a dit M. Calof.

Cette hausse a aidé la Banque du Canada en facilitant l'application rapide d'un train de mesures qui a injecté dans le système financier canadien des liquidités à court terme d'une valeur de plus 40 milliards de dollars.

Ces mesures et les liquidités supplémentaires étaient incontournables pour permettre au système financier canadien de continuer à fonctionner.

En résumé, lorsque la tourmente de la crise mondiale a menacé la stabilité financière du pays, le cadre a donné aux autorités le moyen d'injecter rapidement les liquidités voulues dans les marchés financiers, ce qui a contribué à maintenir l'accès au crédit à long terme au Canada.

Mis à l'épreuve, le cadre actuel a montré qu'il permet de réagir rapidement et avec souplesse aux situations de crise.

Même si nous espérons ne pas revivre de crise de cette ampleur et que les efforts visant à accroître la résilience du système financier mondial aillent bon train, nous devons rester prêts à réagir efficacement lorsque la situation l'exige.

Merci beaucoup. À l'instar de M. Calof, je suis prêt à répondre à vos questions.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Johnson. Avant de suivre la liste, je tiens à préciser quelque chose. Je crois que M. Calof l'a mentionné. Cela concerne la Stratégie de gestion de la dette qui est annexée au budget mise à la disposition de tous les parlementaires au moment du dépôt du budget. Je vous en cite un extrait de la page 340. Il y est question du pouvoir d'emprunt, des opérations d'emprunt prévues et du pouvoir d'emprunt. « Pour 2014-2015, le plafond global d'emprunt [...] » — donc, le total — « [...] demandé au gouverneur en conseil afin de combler les besoins financiers du Plan d'action économique de 2014 [...] » — ce sont probablement de vieilles opérations — « [...] et de fournir une marge de prudence est de 270 milliards de dollars. » Je lis ensuite à la page suivante, à la rubrique « Sources des emprunts », que le total projeté du principal que le gouvernement devra emprunter s'établira à 232 milliards de dollars. L'écart entre 232 et 270 milliards de dollars correspond-il à une marge de prudence?

M. Calof : C'est exact.

Le président : Merci beaucoup. Je tenais à tirer les choses au clair avant de passer à la période des questions. Je commence par l'ancien vice-président du comité, le sénateur Gerstein, de Toronto.

Le sénateur Gerstein : Je remercie les témoins de leur présence aujourd'hui.

J'ai le plus grand respect pour le parrain du projet de loi, mais je ne suis pas d'accord avec lui sur le principe actuel du projet de loi. Cela dit, je ne suis pas toujours d'accord avec mon épouse, même après plus de 50 ans de mariage, alors qu'il ne se sente pas mal à l'aise. Bref, le projet de loi repose sur le principe selon lequel le gouvernement a une marge de crédit ouverte et le Cabinet a une carte de crédit sans limite. Les modifications apportées en 2007 reposaient, elles, sur le principe d'un changement qui a entraîné un affaiblissement des contrôles financiers, de la reddition de comptes et de la surveillance.

J'ai écouté les présentations des représentants de la Banque du Canada et du ministère des Finances, mais je veux m'assurer d'avoir bien compris : vous êtes bien tous les deux en désaccord avec le principe fondamental qui sous-tend le projet de loi?

M. Calof : J'ai moi aussi le plus grand respect pour le sénateur Moore et la persévérance dont il a fait preuve en vue de présenter le projet de loi. J'ai étudié le pouvoir d'emprunter en vigueur dans bon nombre de pays et divers types d'obligations redditionnelles. Je crois que, la dernière fois, lorsque je n'étais pas présent, une témoin, une chercheuse, la professeure Turnbull, a mis en contraste la reddition de comptes, d'une part, et l'efficacité ou la transparence, d'autre part. Il existe un équilibre. La professeure saisit probablement bien mieux que moi toute la question de la reddition de comptes et de la responsabilité.

Pour moi, le Parlement a de manière générale le dernier mot sur les dépenses et la fiscalité de l'État; il reste alors la question des emprunts. On peut emprunter pour des raisons financières, budgétaires ou non budgétaires. Il s'agit essentiellement de procéder à un calcul mathématique pour déterminer combien il faut emprunter au juste pour assurer le fonctionnement de l'État après que toutes les autres décisions relatives aux dépenses et à la fiscalité ont été prises.

Tout cela est très bien expliqué dans la Stratégie de gestion de la dette, aussi bien pour les parlementaires que pour quiconque s'intéresse à la question. Nous sommes toujours prêts à répondre aux questions pointues sur la Stratégie de gestion de la dette qui vous a été soumise. Nous sommes ravis que des gens lisent le document. Marie-Josée Lambert a travaillé très fort pour le préparer à l'intention des Canadiens et des parlementaires. Tout est expliqué.

En ce qui concerne la carte de crédit, nous empruntons auprès des marchés financiers. Ce sont donc essentiellement les marchés financiers qui fixent la limite de la carte de crédit. Pour emprunter davantage, même si les projections des dépenses ne sont pas excessives, il sera plus coûteux d'emprunter auprès des marchés financiers. Tout cela s'ajoute à la dette et influe sur le déficit.

Personnellement, je ne dirais pas que c'est un chèque en blanc, un pouvoir d'emprunt illimité. Je dirais plutôt que le gouvernement prend certaines décisions et que nous trois, en tant que gestionnaires professionnels de la dette, appliquons le programme d'emprunt.

M. Johnson : Je suis tout à fait d'accord avec M. Calof. Je m'arrête simplement à quelques points. Primo, en tant qu'agent financier et gestionnaire de la dette, la Banque du Canada travaille en partenariat avec le ministère des Finances. Par rapport à la Stratégie de gestion de la dette, nous prenons comme point de départ le budget, les crédits alloués et les dépenses dûment annoncées, débattues et adoptées dans le cadre du processus budgétaire. C'est le point de départ. D'autres éléments, comme l'arrivée à échéance d'une dette ou le financement des emprunts de l'État, comme l'a dit M. Calof, peuvent bien sûr s'ajouter aux exigences d'emprunt. En tant qu'agent financier, la Banque du Canada est d'avis que le cadre actuel est assez souple pour permettre de financer les dépenses approuvées dans le cadre du budget adopté par le Parlement.

Secundo, en tout temps, mais surtout en période de crise financière, lorsqu'il faut soutenir le système financier, la Banque du Canada travaille en partenariat avec le gouvernement du Canada. Pensons à 2008 et, même si nous redoutons une telle éventualité, à toute autre crise qui pourrait survenir : il importe de procéder ainsi, en partenariat, de s'adapter, de faire preuve de souplesse, de réagir rapidement et, évidemment, dans le cas de la Banque du Canada, d'injecter des liquidités dans le système financier. Pour nous, il s'est avéré extrêmement efficace et nécessaire de pouvoir agir de la sorte, en partenariat avec le ministère des Finances et grâce à l'accroissement extrêmement rapide et opportun de l'emprunt, de manière à réagir rapidement à la situation

[Français]

La sénatrice Hervieux-Payette : Ma question s'adresse aux deux témoins. Êtes-vous conscients que le public canadien et les parlementaires ont été totalement tenus à l'écart de la décision dramatique d'autoriser 75 milliards de dollars de plus pour renflouer les banques à charte, le secteur automobile et autres? Y a-t-il une information précise qui nous a été communiquée? Avons-nous reçu de votre part l'information qui nous donnait toute l'ampleur de l'usage de ces 75 milliards de dollars?

[Traduction]

M. Calof : Merci de cette question, madame la sénatrice. Hélas, je ne peux pas commenter la situation en ce qui concerne General Motors et leurs emprunts. Je ne me suis pas occupé de ce dossier. Cela dit, je peux tenter d'obtenir de plus amples renseignements pour vous.

En ce qui a trait aux sommes injectées dans le Programme d'achat de prêts hypothécaires assurés, je sais que celui-ci visait essentiellement à financer des risques bancaires qui représentaient déjà un élément de passif éventuel pour le gouvernement. Finalement, il s'agissait d'un prêt garanti. Le gouvernement a ainsi gagné de l'argent. Le gouvernement ne courait aucun risque plus important, car nous assumions déjà les risques. C'était déjà autorisé. Le gouvernement a consenti un prêt à la SCHL, se l'est fait rembourser et a en a empoché les profits.

La sénatrice Hervieux-Payette : Ce que je vous demande, c'est, selon vous, comment serions-nous informés et combien de temps a-t-il fallu pour que nous soyons mis au courant pour les 75 milliards de dollars? Je ne vous demande pas si c'était une bonne ou une mauvaise affaire ni si c'était ou non nécessaire. Je vous demande de quelle manière, avec les nouveaux processus, les Canadiens et nous aurions été mis au courant de l'usage prévu de ces 75 milliards de dollars.

M. Calof : Je crois qu'un communiqué a été diffusé dès l'annonce du programme.

La sénatrice Hervieux-Payette : Il a mis beaucoup de temps à nous parvenir, croyez-moi. C'est moi qui ai avisé beaucoup d'acteurs, disons, très informés du milieu des finances. Ils n'en avaient jamais entendu parler. Ils se sont informés. Après avoir adopté un projet de loi axé, selon son titre, sur la « responsabilité » — et c'est pourquoi j'appuie le projet de loi du sénateur Moore —, il faut présenter l'information avant et après. Nous ne l'avons eue qu'après coup. Les Canadiens ont mis beaucoup de temps à comprendre ce qui s'était passé.

Savez-vous que nous avons une loi qui permet au gouvernement de contraindre les grévistes à retourner au travail en moins de 48 heures? Si nous revenions en arrière, est-ce qu'un délai de plus de 48 heures engendrerait une crise? Croyez-vous que moins de 48 heures suffiraient pour aller de l'avant avec ce que vous avez fait, comme le propose le nouveau projet de loi? Conviendrait-il de mettre tout cela sur la table et de demander aux parlementaires de débattre de nouveau du besoin de ces sommes supplémentaires?

M. Calof : Tout d'abord, en réponse à votre dernier point, Le Programme d'achat de prêts hypothécaires assurés a été annoncé le 10 octobre, mais les transactions elles-mêmes ont été effectuées ultérieurement. Les Canadiens ont donc été mis au courant des plans avant qu'ils ne soient mis en œuvre. Ce n'est que le 6 novembre que nous avons obtenu l'autorisation d'emprunt. C'était la première augmentation, et elle a suivi la prorogation du Parlement. Cela aurait été difficile. On peut difficilement retourner en arrière pour déterminer en combien de temps on peut convoquer le Parlement, franchir toutes les étapes à la Chambre des communes et les trois étapes au Sénat.

La sénatrice Hervieux-Payette : Non, il y a des précédents. Il y a eu au Canada des grèves qui se sont réglées en moins de 48 heures. Ne me dites pas que c'est difficile.

M. Calof : Comme je l'ai dit, je ne peux pas me prononcer sur la vitesse à laquelle cela peut se faire. Tout ce que je peux dire, c'est que, selon moi, en tant que gestionnaire de la dette, la mesure nous permet d'agir rapidement et de hausser facilement la limite de la dette, ce qui est souvent nécessaire lorsqu'une crise survient la fin de semaine.

La sénatrice Hervieux-Payette : Ma question était la suivante : avant d'agir, pourriez-vous laisser 48 heures aux parlementaires pour qu'ils puissent débattre de la question?

M. Johnson : En ce qui concerne la Banque du Canada et les mesures exceptionnelles d'octroi de liquidités que nous avons fournies au marché à l'époque, il est évidemment extrêmement difficile de réécrire l'histoire en fonction de scénarios hypothétiques. Il est impossible de dire ce qui aurait pu ou non être fait. À l'époque, en novembre 2008, le Parlement ne siégeait pas. Le temps pressait. Comme l'a dit M. Calof, à diverses occasions, certains des mécanismes exceptionnels d'octroi de liquidités ont été essentiellement mis au point en une fin de semaine et appliqués dès le lundi matin. Puisque le Parlement ne siégeait pas, j'ignore si 48 heures auraient suffi. J'ignore s'il aurait été possible d'agir en 48 heures et, assurément, si 48 heures auraient ou non concrètement changé les choses.

Ce que je sais, c'est que le cadre actuel nous confère le pouvoir d'obtenir de l'argent auprès de la Banque du Canada. L'État a joui de la souplesse nécessaire pour emprunter les sommes qu'il lui fallait pour afficher un dépôt gouvernemental au bilan de la Banque du Canada, qui a fourni le financement nécessaire pour injecter dans le système financier des liquidités d'une valeur maximale de 40 milliards de dollars. Pour ce qui est de communiquer ces renseignements à la population, la Banque du Canada divulgue publiquement ses états financiers tous les mois. Le dépôt gouvernemental y figurait. Les éléments d'actif compensatoires, composés de prêts garantis sous forme d'une opération de pension, figuraient aussi au bilan, de même que toutes les garanties connexes. Les opérations ont été divulguées d'avance, et les résultats ont été rendus publics.

Je répète qu'il est très difficile de réécrire l'histoire en fonction de scénarios hypothétiques. Ce serait de la pure conjecture. Ce que je peux dire, c'est que le cadre actuel nous a permis d'agir efficacement et avec la souplesse voulue pour procurer des avantages concrets au système.

La sénatrice Hervieux-Payette : J'ai une dernière question. Vous rappelez-vous, monsieur Calof, qu'en septembre, le ministre a dit que tout baignait dans l'huile, que le système financier canadien se portait très bien et qu'il n'y avait aucun problème à l'horizon? Tout allait bien dans le meilleur des mondes. « Tout va très bien, madame la marquise », comme on dit. Pourtant, un mois plus tard, nous étions apparemment au bord du gouffre.

Alors à quelle version des faits le ministère des Finances adhère-t-il? Celle où tout allait bien ou l'autre? Ce qui s'est produit aux États-Unis était prévisible, même un an d'avance. Les auteurs étatsuniens le disent : toute cette histoire a mis beaucoup de temps à dégénérer. Il a fallu des semaines avant que Lehman Brothers soit acculée à la faillite. Il y avait tout le temps voulu.

Un rapport indique que tout va bien, puis un deuxième rapport laisse entendre que vous avez désespérément besoin d'argent. Je comprends que le processus est efficace. Ce n'est pas une question d'efficacité. Ce que déplorent le sénateur Moore et nos collègues, c'est que la population canadienne ne sache rien et que les parlementaires ne soient pas tenus au courant et ne puissent autoriser l'utilisation de cet argent.

Le président : Souhaitez-vous dire quelque chose? Vous n'êtes peut-être pas dans une position pour faire des commentaires là-dessus.

M. Calof : Vous avez raison; je ne peux pas.

Le sénateur L. Smith : Monsieur Calof, je voudrais vous poser deux questions au sujet des notes d'allocution que vous nous avez lues.

À la page 6, on peut lire qu'« il n'y a pas de limites d'emprunt explicites dans la plupart des démocraties modernes, y compris la Grande-Bretagne, la France, l'Allemagne, l'Australie et la Nouvelle-Zélande ». Pourriez-vous nous donner des exemples de ce qu'il en était auparavant dans ces pays et nous expliquer les changements qu'ils ont apportés? Est-ce un phénomène récent? Les changements datent-ils des 10 dernières années? Cela fait-il longtemps? Pourquoi ont-ils pris cette décision? Auriez-vous ne serait-ce qu'un seul exemple de pays à nous fournir pour expliquer qu'il y a eu un changement fondamental dans la gestion financière de 1867 à 2014, disons? Nous vous saurions gré de nous aider à comprendre.

Marie-Josée Lambert, chef, Politique de la gestion de la dette intérieure, Direction de la politique du secteur financier, ministère des Finances Canada : Je peux débuter avec les États-Unis et leur plafond de la dette. J'entretiens des liens étroits avec leur Accountability Office, dirigé par le contrôleur général. Les gens de ce bureau communiquent souvent avec nous lorsqu'ils s'apprêtent à rédiger leurs rapports sur le plafond de la dette, car, à maints égards, ils souhaiteraient disposer d'un système semblable à celui du Canada.

Si vous examinez les rapports du Government Accountability Office des États-Unis et lisez tout ce qui renvoie au Canada et au plafond de la dette aux États-Unis, vous constaterez qu'on mentionne souvent le système canadien comme pratique exemplaire.

Le Danemark a un plafond de la dette, mais il est symbolique. Il est tellement élevé que le Danemark ne l'atteindra jamais. Le plafond a été conçu de la sorte pour éviter qu'on ait recours au processus législatif pour l'éliminer. Je pense qu'il en va de même du Japon. Ce sont là les trois seuls pays ayant un plafond de la dette.

L'Australie a fait l'expérience d'un plafond de la dette. En 2007, elle en a établi un de 75 milliards de dollars. En 2009, il a été porté à 200 milliards; en 2011, à 250 milliards; puis, en mai 2011, à 300 milliards de dollars. En novembre 2013, on a essayé de le relever à 500 milliards de dollars. Il a finalement été supprimé en décembre dernier.

Les pays développés se servent surtout de règles budgétaires de nos jours. Ils tiennent compte du ratio dette-PIB. Ils prennent des décisions en fonction de leur budget, et les emprunts sont liés aux décisions budgétaires.

Le sénateur L. Smith : Vous avez répondu en partie à ma seconde question. J'allais proposer, maintenant que nous avons examiné le cas de ces pays, que nous nous reportions au paragraphe où il est écrit que « le Government Accountability Office [...] indiquait dans ses rapports de février 2011, de juillet 2012 et de décembre 2013 que le Congrès devrait envisager des moyens d'établir de meilleurs liens entre les décisions relatives à la limite d'emprunt et les décisions relatives aux dépenses et aux revenus [...] ». Il est toujours fascinant, pour les observateurs, de voir une instance bloquer l'autre dans sa tentative pour surmonter la crise. Que pouvez-vous nous dire de plus qui nous aiderait à évaluer la situation canadienne?

M. Calof : Je ne voudrais pas dire du mal de mes voisins du Sud.

Le sénateur L. Smith : Sans dire du mal d'eux, quelles leçons pouvons-nous tirer de leur situation?

M. Calof : Je trouve que c'est une situation difficile en ce sens que, dans les cas où ils n'arrivent pas à négocier une hausse de la limite financière, ils doivent renégocier des décisions budgétaires qui ont déjà été prises et entérinées en bonne et due forme par leur Congrès.

Cette conjoncture aux États-Unis a entraîné son lot de difficultés pour nous. Nous avons dû rédiger toutes sortes de plans d'urgence étant donné les répercussions sur leurs coûts d'emprunt. La cote de crédit des États-Unis s'en est ressentie. Nous détenons effectivement des actifs en dollars américains, mais la situation aux États-Unis avait des répercussions plus vastes sur la confiance dans les marchés financiers. Nous avons donc préparé des plans d'urgence tenant compte du risque de défaut de paiement. Comme responsable de la gestion de la dette, je ne voudrais pas vivre certaines des machinations auxquelles on a eu recours aux États-Unis pour que le gouvernement continue de fonctionner, tous ces tours de passe-passe consistant à prendre de l'argent dans un compte pour le mettre dans un autre. Je préfère de loin faire des prévisions au moyen de la Stratégie de gestion de la dette, faire rapport par la suite et faire preuve de transparence relativement à la manière dont nous empruntons des fonds.

Le sénateur L. Smith : À entendre le groupe de témoins, les gens pourraient se dire que les problèmes sont résolus. Voici la question que je vous pose : croyez-vous, à la lumière de ce qui se passe sur les plans politique, économique et environnemental, que le monde soit tiré d'affaire? Comment gérer la volatilité à l'avenir?

M. Johnson : Du point de vue de la Banque du Canada et des mesures que nous pouvons prendre pour assurer la stabilité financière nécessaire à l'efficacité des marchés, je suis d'accord, sénateur, pour dire que, heureusement, les choses semblent s'être un peu calmées à l'échelle mondiale, par rapport à la période 2008-2009 du moins. Je crois néanmoins qu'il nous faut tirer quelques leçons fondamentales de ces bouleversements.

Tout d'abord, il existe un certain nombre de marchés financiers clés qui doivent fonctionner sans arrêt, tels que le marché des pensions, le marché du financement garanti à court terme pour les banques, le marché des changes et celui des titres d'État. Ils forment en quelque sorte la plomberie du système financier. Ce sont des marchés clés qui doivent fonctionner constamment.

À mon sens, cette nécessité de fonctionnement continu commande un filet de sécurité, une entité qui puisse offrir un soutien de dernier recours. La Banque du Canada doit disposer des outils et des capacités voulus pour jouer ce rôle, si besoin est.

Comme je l'ai précisé, ce rôle, la Banque du Canada l'assume en partenariat avec le gouvernement et le ministère des Finances. Ce rôle de soutien a souvent un effet sur le bilan financier de la banque; la gestion de notre bilan se trouve facilitée par les emprunts et dépôts du gouvernement et notre partenariat.

La crise nous a fait prendre conscience du fait que plusieurs marchés occupent une place centrale dans notre système et doivent être constamment là, que nous devons être munis de certains outils pour garantir leur fonctionnement continu et que le cadre financier actuel y contribue.

La sénatrice Callbeck : Je vous remercie tous les trois de votre présence ici ce matin.

Monsieur Calof, je veux vous poser deux questions à propos de votre présentation. Premièrement, à la page 5, vous parlez des modifications ayant établi des exigences renforcées en matière de divulgation par le biais de la stratégie de gestion. Vous ajoutez que c'est également le cas du Rapport sur la gestion de la dette et qu'on publie des renseignements plus détaillés dans les Comptes publics. Pouvez-vous nous dire quelques mots là-dessus? Quels renseignements supplémentaires sont fournis depuis 2007?

Mme Lambert : Je peux répondre à cette question. Avez-vous un exemplaire de la Stratégie de gestion de la dette? Ce document contient désormais un tableau qui n'existait pas avant les modifications, celui sur les sources et les utilisations. Il indique toutes les sources des emprunts — c'est-à-dire si le financement reposera sur l'émission de bons du Trésor, d'obligations, de titres sur le marché de détail ou d'obligations multimarchés. Le tableau indique aussi à quoi serviront les emprunts, qu'il s'agisse des besoins financiers, d'opérations non budgétaires et ainsi de suite, sans oublier une marge de prudence.

Le Rapport sur la gestion de la dette, qui est déposé après les Comptes publics, comprend le même tableau, mais celui-ci compare les prévisions et les données réelles et explique tout écart. C'est très transparent. Ces renseignements-là n'existaient pas avant.

Le président : Pouvez-vous nous dire à quelle page se trouve ce tableau?

Mme Lambert : Oui, c'est le tableau A1.1.

Le président : À la page 338 du budget. Je vous remercie.

La sénatrice Callbeck : Mais en quoi consiste la Stratégie de gestion de la dette? Ces renseignements n'auraient-ils pas été rendus publics dans le cadre de l'ancien système, lorsque la mesure législative était présentée aux parlementaires, qui avaient l'occasion d'en discuter et d'examiner le montant des emprunts?

Mme Lambert : Sous l'ancien système, comme nous étions en train de réduire la dette et dégagions des excédents budgétaires année après année, nous n'avons pas eu besoin de présenter de projet de loi portant pouvoir d'emprunt depuis 1996-1997. Durant de nombreuses années, nous n'avons pas eu besoin d'émettre de nouveaux titres de créance. Il n'y avait donc pas de projet de loi.

Quant à la Stratégie de gestion de la dette, j'imagine que la volonté d'avoir ces renseignements était moins forte. C'était un programme tellement petit à l'époque. Il ne suscitait pas beaucoup d'intérêt. Ce type d'information ne figurait pas dans les rapports.

La sénatrice Callbeck : L'autre aspect que je souhaitais aborder — vous l'avez soulevé, monsieur Calof, et vous aussi, monsieur Johnson —, c'est cette transparence et cette reddition de comptes accrues dans le cadre du nouveau système.

À mon avis, le nouveau système offre plutôt l'inverse. Désormais, l'exécutif ou le Cabinet est le seul à avoir son mot à dire sur les emprunts. Le Parlement a été privé de son pouvoir d'examen. Comment pouvez-vous affirmer que la transparence et la reddition de comptes sont renforcées? Désormais, nous obtenons l'information après coup. Il n'y a aucune discussion préalable.

M. Calof : Nous fournissons cette information dans le tableau que Mme Lambert a mentionné. Cela est rendu public au préalable, dans le budget.

La sénatrice Callbeck : C'est l'exécutif qui prend les décisions relatives aux emprunts. On ne présente plus de projet de loi au Parlement, comme c'était le cas avant 2007.

M. Calof : C'est vrai, mais des explications détaillées accompagnent le budget, lequel fait l'objet d'un débat au préalable. Le processus est encore plus transparent qu'avant, et nous faisons rapport des emprunts dans les Comptes publics et le Rapport sur la gestion de la dette.

La sénatrice Callbeck : Mais il y avait rapport a posteriori, dans l'ancien système.

Mme Lambert : Si vous me le permettez, j'aimerais compléter la réponse de M. Calof. Nous ne réclamons pas de pouvoir d'emprunt au gouverneur en conseil tant que le projet de loi d'exécution du budget n'a pas été adopté. Dans la Stratégie de gestion de la dette, qui figure en annexe du budget une fois que le Parlement l'approuve, il y a toute une section sur le pouvoir d'emprunt. On peut y lire que, pour 2014, le plafond global d'emprunt demandé au gouverneur en conseil afin de combler les besoins financiers du Plan d'action économique de 2014 et de fournir une marge de prudence est de 270 milliards de dollars.

C'est la somme que nous avons l'intention de demander. Si le projet de loi est adopté, nous ferons les démarches pour obtenir le pouvoir d'emprunt. Voilà les étapes que nous suivons depuis que les modifications sont en vigueur.

La sénatrice Callbeck : Très bien. Vous ne faites pas la demande tant que le budget n'est pas approuvé. Merci.

Le président : Est-ce la limite supérieure qui est indiquée? Une fois que la Chambre des communes a donné son approbation, vous ne pouvez dépenser plus que ce montant?

Mme Lambert : En effet, c'est la limite, et elle comprend une marge de prudence.

Le président : Oui. Nous en avons discuté plus tôt. Si jamais vous utilisez toute votre marge de prudence, vous vous tournez à nouveau vers le Parlement.

Mme Lambert : Nous nous adressons au gouverneur en conseil. Notre pouvoir d'emprunt prévoit des relèvements du plafond d'emprunt en cours d'exercice.

Le président : Sans passer par le Parlement.

Mme Lambert : Cela expire à la fin de chaque année financière. Il faut refaire le même exercice chaque année, tandis qu'avant l'entrée en vigueur des modifications, une décennie s'est écoulée sans que nous présentions de projet de loi portant pouvoir d'emprunt au Parlement.

[Français]

La sénatrice Bellemare : Merci d'être là. Depuis que je suis arrivée, je vous ai écoutés. N'est-il pas vrai que la Stratégie de gestion de la dette est un outil aussi pour l'exercice de la politique monétaire? On peut jouer, entre autres, sur la structure des taux d'intérêt.

[Traduction]

M. Johnson : Je dirais que non. À la Banque du Canada, la Stratégie de gestion de la dette et la politique monétaire sont des responsabilités très distinctes. La politique monétaire repose sur le taux du financement à un jour. Nous fixons un taux cible et nous effectuons des opérations sur le marché pour faire en sorte que le taux réel reste près de la cible.

Il est vrai que les variations du taux du financement à un jour influent sur les autres taux d'intérêt à long terme, lesquels ont un effet sur l'économie en général, mais c'est pratiquement indépendant de la Stratégie de gestion de la dette. C'est une fonction très distincte.

Il existe un lien avec les opérations visant à assurer la stabilité financière. J'ai fait allusion aux opérations d'injection de liquidités que la banque a effectuées.

En situation de crise, souvent, les opérations qui visent à procurer une stabilité financière auront des répercussions sur le bilan de la Banque du Canada. Elles ajoutent un élément d'actif ou un élément de passif à notre bilan, qu'il nous faut gérer et compenser afin que l'actif soit égal au passif.

L'un des principaux outils dont se sert la banque, c'est le montant des dépôts effectués par le gouvernement, montant qui peut varier en fonction des emprunts. Toutefois, il s'agit d'un outil utilisé pour assurer la stabilité financière, l'injection de liquidités. Ce sont des politiques monétaires indépendantes de la Stratégie de gestion de la dette.

[Français]

La sénatrice Bellemare : Si je comprends bien ce que vous me dites, vous gérez la politique monétaire, c'est donc dire que ce projet de loi n'aura pas d'impact sur la conduite de la politique monétaire.

[Traduction]

M. Johnson : Non, il n'aurait pas vraiment d'impact.

Le président : Sénateur Moore, il ne reste pas beaucoup de temps; aussi, je vais vous donner le dernier mot. Y a-t-il un aspect que vous souhaiteriez clarifier? Y a-t-il un élément qui pourrait vous aider ou vous gêner à l'égard de votre projet de loi?

Le sénateur Moore : Merci, monsieur le président.

Tout d'abord, pourquoi ne pas avoir laissé en place la disposition qui a été éliminée, de sorte qu'elle s'applique de pair avec le nouveau processus? On m'a dit que ce processus permettait d'aller plus vite, d'accélérer les choses. Insinuez-vous que, en se conformant à l'ancienne disposition, le Canada n'aurait pas été en mesure de réagir assez vite à la récession qui a débuté en 2008?

Enfin, j'ai observé la situation aux États-Unis et j'ai remarqué que, trois années de suite, il y avait une recommandation dans le rapport, mais le Congrès n'a pas jugé bon d'y donner suite. Je soutiens que c'est parce que les pères fondateurs de cette démocratie préconisaient que l'exécutif demande à la population l'autorisation d'emprunter de l'argent. Cette volonté demeure là-bas.

Le président : Le dernier point est un véritable sujet de débat. Pourriez-vous parler très rapidement de n'importe quel autre point?

M. Calof : Très rapidement, je ne pourrais dire ce qui aurait pu ou n'aurait pu se produire en 2008-2009 si un autre régime avait été en place. Par contre, je sais que, grâce à ce régime, nous avons pu réagir rapidement. Je n'ai pas de boule de cristal et je ne peux dire si la récession aurait été pire si nous avions réagi plus tard ou s'il y aurait eu de l'incertitude, mais je sais que le système a bien fonctionné pour nous à ce moment-là.

Pour ce qui est de la deuxième question, je ne vais faire aucun commentaire sur les départements américains.

Le sénateur Moore : Ma deuxième question concernait le fait que vous avez dit que le Canada n'aurait pas pu intervenir. Soyons réalistes : en vertu du Règlement, le Sénat peut être rappelé en 24 heures. Il n'y a aucune obstruction. Ce que je vous dis, c'est qu'il n'y a rien qui puisse empêcher le Canada de réagir rapidement.

Mme Lambert : J'ai quelque chose à dire au sujet du plafond de la dette aux États-Unis. Celui-ci n'existe que depuis 1917. Il n'avait pas été prévu par les Pères de la Patrie.

Le président : Depuis 1917. Merci de cette précision. Vous apportez des renseignements intéressants. Nous avons besoin de vous ici.

Merci beaucoup aux témoins du ministère des Finances et de la Banque du Canada. Nous vous sommes énormément reconnaissants de votre présence et des explications que vous nous avez données à ce sujet.

Nous étudions de très près les budgets des dépenses, et nous sommes très conscients du fait que le gouvernement récupérera 42 milliards de dollars de la SCHL maintenant qu'une partie des prêts hypothécaires assurés arrivent à échéance. Nous devrions pouvoir examiner la stratégie ou le rapport et voir en quoi cela y sera reflété, et c'est ce que nous ferons. Nous devons examiner à la fois le rapport et la stratégie.

Nous en sommes maintenant à la dernière partie de la séance d'aujourd'hui. Je suis ravi d'accueillir de nouveau deux témoins qui ont déjà comparu devant notre comité et dont les témoignages nous ont été fort utiles. Il s'agit de Lori Turnbull, professeure agrégée à l'université Dalhousie, à Halifax, en Nouvelle-Écosse, et de Peter Devries, consultant en finances.

Je demanderais à chacun de vous de formuler quelques brèves observations en guise d'introduction. Puisque vous avez pu entendre les témoignages précédents des témoins du ministère des Finances et de la Banque du Canada, vous savez peut-être mieux de quelle information le comité dispose jusqu'à maintenant.

Nous allons commencer par Mme Turnbull, après quoi nous entendrons M. Devries.

Madame Turnbull, vous avez la parole.

Lori Turnbull, professeure agrégée, Université Dalhousie, à titre personnel : Merci beaucoup de m'avoir réinvitée. Je vais tenter d'être brève dans mes remarques liminaires de façon à ce que nous puissions passer aux questions le plus tôt possible.

Tout d'abord, je tiens à dire que, selon moi, cette question s'inscrit dans le contexte plus large du lien entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif au Parlement. Par conséquent, si nous parlons du pouvoir du Parlement d'examiner les emprunts ou, dans les faits, d'examiner n'importe quoi, je crois que c'est un aspect très important du rôle du Parlement. S'il est question de restreindre d'une manière ou d'une autre la fonction d'examen du Parlement, à mon avis, il faut envisager cela dans le contexte plus large de l'équilibre à atteindre entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. Il me semble très clair que, même si au sein d'un régime de gouvernement responsable, un tel équilibre est censé reposer sur le pouvoir législatif, ce n'est pas le cas dans notre régime. Nous voyons de plus en plus la balance pencher du côté du pouvoir exécutif.

Plusieurs obstacles nuisent à la capacité du Parlement de remplir sa fonction d'examen, et, selon moi, nous devons faire preuve de vigilance pour ne pas nous aventurer sur un terrain glissant. Je ne vais pas les énumérer tous, car nous en avons pour la journée, mais compte tenu de la discipline de parti et de la capacité d'un chef à contrôler ce qui se passe au sein de son caucus, il peut être difficile pour le Parlement de remplir cette fonction. La clôture pour mettre fin au débat sur les projets de loi — et toutes les procédures de ce genre — peut compliquer les choses et trop faire pencher la balance en faveur du pouvoir exécutif. Nous devons en être conscients et faire preuve de prudence.

Je tiens également à parler de l'approche liée aux projets de loi omnibus. Le sénateur Moore semble notamment avoir soulevé cette question dans ses observations. Nous n'associons généralement pas cette approche à un régime de gouvernement parlementaire, mais plutôt au Congrès. Un projet de loi omnibus est un projet de loi volumineux qui vise à accomplir plusieurs choses. Or, dans le régime parlementaire, un projet de loi porte sur un thème et tout ce qu'il vise à faire a trait à ce même thème. C'est ainsi que nous concevons les projets de loi. L'approche omnibus n'est pas propre à un parti ni à un gouvernement en particulier. Quiconque peut y avoir recours, s'il le souhaite, pour imposer l'adoption de mesures législatives. Cette approche est efficace en ce qu'elle permet d'accomplir beaucoup en même temps, mais elle complique les choses. En effet, il est plus difficile pour le Parlement de remplir sa fonction de reddition de comptes que sa fonction d'examen puisqu'il doit scruter à la loupe les mesures législatives pour s'assurer qu'il n'y a aucun manque. Je ne suis pas certaine qu'il soit raisonnable de croire que c'est la meilleure façon pour le Parlement d'assurer la reddition de comptes.

Je vais soulever deux points d'ordre général concernant le lien entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif, les projets de loi omnibus et les conséquences pour la reddition de comptes du Parlement et le fonctionnement parlementaire. Je vais terminer en vous posant la question suivante — et j'espère que nous y reviendrons à la période de questions et de réponses — soit : selon nous, qu'est-ce que les débats au Parlement devraient nous permettre d'accomplir et quelle forme devrait prendre la reddition de comptes du Parlement?

Que ce soit sous un gouvernement majoritaire, un autre gouvernement ou un gouvernement d'une autre allégeance, le débat est interrompu un certain nombre de fois, parfois plus tôt que ne le voudraient les parlementaires. Il semble que le processus permettant de débattre du projet de loi et d'en examiner le contenu et les amendements éventuels soit interrompu. Or, c'est à ce moment-là que le Parlement demande au gouvernement de lui rendre des comptes. Si nous adoptons l'approche liée aux projets de loi omnibus, qu'advient-il de la reddition de comptes du Parlement et atteignons-nous nos objectifs? Je vais m'arrêter ici.

Le président : Merci beaucoup, madame Turnbull.

Peter Devries, consultant en finances, à titre personnel : Merci, monsieur le président. Je suis ravi d'être de retour pour parler de ce projet de loi. Lors de ma comparution, en juin dernier, j'ai indiqué les raisons pour lesquelles j'étais favorable au maintien d'un projet de loi portant pouvoir d'emprunt. Un projet de loi portant pouvoir d'emprunt accordait au gouvernement des pouvoirs accrus en matière de surveillance et d'examens financiers puisqu'il était considéré comme un projet de loi de finances. Le vote sur la Loi portant pouvoir d'emprunt était un vote de confiance. La Loi sur le pouvoir d'emprunt, le budget, les projets de loi budgétaires connexes et les budgets des dépenses étaient tous considérés comme des instruments importants pour la reddition de comptes et la transparence. Or, à la suite de l'adoption du projet de loi C-29, Loi d'exécution du budget de 2007, un de ces instruments importants a disparu.

La Loi sur le pouvoir d'emprunt exigeait un contexte économique et financier particulier. Cela voulait dire que le budget devait être déposé en même temps que le projet de loi portant pouvoir d'emprunt ou avant. Pour assurer la gestion efficace des emprunts, il était préférable de déposer le projet de loi portant pouvoir d'emprunt avant la fin de l'exercice financier en cours afin qu'il soit en vigueur pour l'exercice financier suivant, ce qui voulait dire qu'il fallait déposer le budget en février ou en mars afin de prévoir une certaine marge de manœuvre pour adopter le projet de loi portant pouvoir d'emprunt.

En 1985, le comité a retardé l'adoption du projet de loi portant pouvoir d'emprunt pour l'exercice financier de 1985-1986 parce qu'il n'y avait pas de budget pour servir de contexte économique et financier au projet de loi vu que le gouvernement n'avait pas encore déposé son budget pour cette année-là. Depuis l'adoption du projet de loi C-29, il n'est plus obligatoire de déposer le budget avant la fin de l'exercice financier. Les budgets sont maintenant déposés plus tard, ce qui laisse moins de temps au Parlement pour débattre du budget et des projets de loi d'exécution. Par ailleurs, il n'y a plus aucun lien direct entre les dépenses prévues dans le budget et celles prévues dans le Budget principal des dépenses. Bien entendu, le Budget principal des dépenses doit être déposé avant le 1er mars.

Dans le budget de 2007, le gouvernement a prétendu que les changements ont principalement été faits à des fins de transparence et de reddition de comptes, deux objectifs qui n'ont pas été atteints. Il a également prétendu que les changements étaient nécessaires pour répondre aux besoins d'emprunt de certaines sociétés de la Couronne. Cet objectif a effectivement été atteint. Cependant, ces changements ont en même temps éliminé un obstacle pour le gouvernement au cas où il y aurait eu de nouveaux besoins d'emprunt et enlevé un instrument au Parlement lui permettant de demander des comptes au gouvernement.

Le caractère très vague de cette proposition dans le budget de 2007 a également soulevé des préoccupations. Le libellé décrivant les modifications à la Loi sur la gestion des finances publiques l'a mis en évidence. Lors du budget de 2007, cette proposition est pratiquement passée inaperçue. Il était trop tard pour faire quoi que ce soit lorsqu'on s'en est aperçu. Désormais, il faut attendre le projet de loi omnibus d'exécution du budget — un aspect que Mme Turnbull a abordé — pour connaître les détails des propositions budgétaires. Cette façon de faire enlève toute crédibilité au budget.

Le gouvernement prétend que l'élimination de l'exigence de déposer un projet de loi portant pouvoir d'emprunt lui donne une certaine flexibilité puisqu'il peut ainsi répondre aux besoins financiers actuels ou urgents. Il prétexte la récession de 2008-2009 et le besoin de débloquer des milliards de dollars en nouveaux fonds dans le cadre de son Plan d'action économique de 2009. Or, à mon avis, la situation n'était pas pire en 2008-2009 qu'elle ne l'était en 1994 ou au début des années 1990. Elle était même pire au début des années 1990, selon moi, et le gouvernement de l'époque avait pourtant pu obtenir à temps l'approbation du Parlement pour répondre aux besoins d'emprunt. Comme je l'ai dit plus tôt, l'adoption de la Loi sur le pouvoir d'emprunt n'a été retardée qu'une seule fois.

Le gouvernement fait également valoir que l'exigence prévue dans la Loi sur la gestion des finances publiques de publier la Stratégie de gestion de la dette et le Rapport sur la gestion de la dette garantit aux parlementaires et aux Canadiens qu'ils disposent de toute l'information dont ils ont besoin pour évaluer les besoins d'emprunt du gouvernement. Or, ces documents ne sont pas nouveaux. Ils sont publiés depuis la fin des années 1990. À mon avis, ils doivent servir de base au projet de loi portant pouvoir d'emprunt, et non de substitut à ce dernier.

La dette contractée par le gouvernement sur les marchés a atteint 667 milliards de dollars en 2012-2013, ce qui est un record. Pour 2014-2015, le plafond global d'emprunt demandé au gouverneur en conseil est de 270 milliards de dollars. Pourtant, le Parlement ne procède plus à aucun examen de ces sommes. En abrogeant la Loi sur le pouvoir d'emprunt, le gouvernement a encore une fois éliminé un mécanisme important de contrôle et de surveillance par le Parlement.

D'après mon expérience, la Loi sur le pouvoir d'emprunt était le document le plus important du processus global d'approbation budgétaire pour assurer la reddition de comptes. Elle n'existe plus maintenant, ce qui, à mon avis, nuit considérablement à la capacité du Parlement de demander des comptes au gouvernement. Je répondrai maintenant aux questions.

Le président : Merci beaucoup. Votre présentation était très succincte et nous a permis de comprendre votre point de vue.

La sénatrice Eaton : Merci beaucoup à tous les deux. Madame, la Loi sur la gestion des finances publiques a probablement été adoptée avant l'arrivée d'Internet. Aujourd'hui, cependant, avec Internet, les transactions financières s'effectuent à la vitesse de l'éclair, et les marchés fluctuent très rapidement — trois, quatre, voire six fois au cours d'une journée —, ne croyez-vous pas qu'il a été bénéfique de simplifier cette loi?

Mme Turnbull : Je suis consciente que nous avons un impératif, celui de pouvoir agir rapidement, et que le calendrier du Parlement n'est probablement pas de nature à nous permettre d'intervenir sur les marchés. Toutefois, il faut en même temps atteindre un équilibre. Nous devons pouvoir agir de façon responsable sur le plan économique. Nous ne voulons pas que les décideurs soient paralysés par le processus, mais le processus existe pour une raison : atteindre un équilibre. Je crois que nous en avons parlé la dernière fois. Il s'agit de respecter la démocratie et son application concrète et de pouvoir assurer un juste équilibre entre les deux. Si la fonction d'examen se trouve affaiblie, l'équilibre n'existe pas.

La sénatrice Eaton : Je crois que je vais conclure mes observations ici, car je ne veux pas me lancer dans une discussion sur la démocratie et ce qui est dans l'intérêt de celle-ci.

Le président : Je suis ravi que vous ne l'ayez pas fait — non pas que ce n'aurait pas été intéressant.

[Français]

La sénatrice Bellemare : Comme le suggère la sénatrice Eaton, on pourrait entrer dans un débat de philosophie politique sur le rôle des parlementaires ou de l'exécutif. Mais la question que je vais vous poser est plutôt au sujet de ce qui nous préoccupe. C'est un sujet technique qui est lié à la gestion de la dette.

D'une part, il y a beaucoup d'éléments de transparence dans les documents publics. D'autre part, on sait que, pour le commun des mortels et pour plusieurs parlementaires, ce concept de gestion de la dette est quand même très technique et il l'est de plus en plus dans le contexte de la mondialisation.

On sait aussi que des pays qui n'ont pas vraiment le contrôle sur la gestion de leur dette, qui sont des pays souverains en Europe, dans la zone euro, ont eu beaucoup de difficulté à se tirer d'affaire face à la crise internationale.

En contrepartie de ce projet de loi, au lieu d'avoir un projet de loi qui joue sur les montants de dette et qui pourrait faire l'objet d'un débat parmi les parlementaires, ne serait-il pas plus démocratique d'adopter une loi qui balise les déficits budgétaires? Comme une loi sur les équilibres budgétaires, au lieu d'y aller strictement sur les montants de la dette. Parce qu'il y a un lien entre les deux, la dette augmente lors des déficits budgétaires.

Si on avait une loi qui essayait de baliser les déficits budgétaires dans le contexte économique global. Est-ce que ce ne serait pas là un outil stratégique qui nous permettrait de dire qu'on met de côté la gestion de la dette pour voter des accumulations, mais qu'on procède plutôt avec un projet de loi plus global qui balise les déficits et la croissance de la dette?

Je voudrais vous entendre sur cette alternative à un projet de loi qui vise les accroissements et à un projet de loi qui essaie de veiller aux équilibres financiers puis qui gère les déficits.

[Traduction]

M. Devries : Pour être en mesure d'obtenir l'information sous-jacente au montant total des emprunts que le gouvernement effectuera au cours de l'exercice financier suivant, il faut avoir toute l'information à sa disposition pour juger tant du montant que de la structure de la dette.

Pour y parvenir, il faut avoir un budget, lequel s'inscrit dans un contexte économique et financier. Pourquoi enregistrons-nous un déficit? Quelles sont les causes de ce déficit? Pourquoi devons-nous emprunter sur les marchés cet argent supplémentaire? Parallèlement, nous empruntons maintenant des dizaines de milliards de dollars pour gérer trois des quatre sociétés de la Couronne et nous avons mis en œuvre le plan de liquidité prudentielle afin d'augmenter les liquidités à notre disposition quel que soit le mois de l'année pour faire face aux urgences.

Pour répondre à une partie de la question, je dirais que le plan actuel du gouvernement lui donne vraiment beaucoup de latitude pour agir en ce qui concerne les réserves liquides qu'il accumule en vue de répondre aux besoins imprévus pendant au moins deux mois.

Je vois le budget et le budget portant pouvoir d'emprunt davantage comme un seul et même projet de loi plutôt que deux. Le plan budgétaire, toutefois, est voté par le Parlement après quatre jours de débat. Le Parlement ne vote pas sur chaque mesure qu'il contient ni sur l'emprunt de fonds qui y est prévu, mais sur le contexte global dans lequel s'inscrit le plan économique et financier du gouvernement. Il vote donc non pas sur des paramètres très précis du budget, mais sur des paramètres très larges. Le projet de loi portant pouvoir d'emprunt, quant à lui, fournit beaucoup plus de détails afin de justifier les mesures prises au cours de la prochaine année financière.

Je ne sais pas si cela vous est utile.

[Français]

La sénatrice Bellemare : J'ai l'impression que le comité va beaucoup dans le détail quand on étudie les Budgets principaux des dépenses et quand on étudie le projet de loi de mise en œuvre du budget. On a là deux avenues où on exerce une surveillance assez étroite du détail des dépenses du gouvernement.

J'aurais aimé que vous me donniez votre opinion sur la loi sur l'équilibre budgétaire. Ce que je comprends, c'est que vous supposez que le projet de loi va nous amener à une surveillance encore plus étroite des dépenses.

[Traduction]

M. Devries : Cela ne nous amènera pas nécessairement à une surveillance des dépenses, car les nouvelles dépenses proposées par le gouvernement dans un budget font normalement partie d'un projet de loi d'exécution du budget. Ainsi, lorsque le Sénat étudie le projet de loi d'exécution du budget, il n'étudie pas l'ensemble du budget, mais plutôt certains éléments prévus dans le budget et contenus dans le projet de loi d'exécution du budget.

Lorsque vous étudiez le budget des dépenses, vous le faites ministère par ministère, mais vous n'étudiez qu'une certaine partie des dépenses par ministère, soit les dépenses votées, et non les dépenses législatives. Il s'agit donc de deux outils fort importants, mais qui s'appliquent surtout à des éléments budgétaires uniques. Le budget lui-même présente le contexte général dans lequel s'inscrivent les mesures mises en place. Il explique pourquoi il y a un déficit, ou pourquoi il n'y en a pas. De son côté, le projet de loi sur le pouvoir d'emprunt indique en détail comment — s'il y a un déficit — vous vous y prendrez pour gérer et financer celui-ci, ainsi que les autres mesures à prendre en matière de gestion de la dette. Lorsque la dette arrive à échéance, vous devez la refinancer, mais, ce faisant, vous la faites aussi augmenter en raison des besoins d'emprunt liés aux sociétés d'État ou au déficit en tant que tel. Voilà pourquoi je considère que la loi sur le pouvoir d'emprunt continue d'être un document fort important, car c'est la seule occasion que vous avez de débattre des conséquences de la stratégie d'emprunt.

[Français]

La sénatrice Bellemare : On recevra aussi le directeur parlementaire du budget qui viendra faire une analyse macroéconomique du budget, et à mon sens, une loi sur les équilibres budgétaires pourrait permettre un débat sur la grande structure, les grands paramètres macroéconomiques budgétaires. C'est mon opinion.

Avez-vous des réactions à ce sujet?

[Traduction]

M. Devries : J'ai peut-être mal compris votre première question, lorsque vous parliez du projet de loi sur l'équilibre budgétaire — que nous attendons toujours, et dont nous ignorons encore la forme qu'il prendra. Quoi qu'il en soit, le gouvernement a indiqué dans le discours du Trône son intention de présenter un projet de loi sur l'équilibre budgétaire. Cette mesure n'entrerait en vigueur qu'après le retour à l'équilibre budgétaire. Le gouvernement devrait ensuite s'assurer, au fil des ans, que le budget demeure équilibré chaque année. Je présume qu'il y aura des exceptions — des dispositions de dérogation — en cas de difficultés économiques, mais au final, le gouvernement aura l'obligation de maintenir l'équilibre budgétaire d'une année à l'autre.

De nombreux pays ont une loi sur l'équilibre budgétaire, ou des plafonds quant au montant d'argent qu'ils peuvent dépenser ou recueillir. Il reste à voir si ce genre de loi porte fruit dans les pays en question. Les études réalisées par le passé montrent que les pays qui n'en ont pas besoin en ont une parce qu'ils ont une gestion financière très rigoureuse. À mon avis, depuis le milieu des années 1990, le Canada a une gestion financière très rigoureuse afin de s'assurer que le déficit ne devient pas incontrôlable.

Par conséquent, les pays ayant une gestion financière très rigoureuse n'ont pas besoin d'une loi sur l'équilibre budgétaire, car le gouvernement fait déjà preuve d'engagement et de discipline à cet égard. Dans le cas des pays qui ont besoin d'une loi sur l'équilibre budgétaire, l'expérience a montré que si des difficultés se présentent, ils trouvent des stratégies de contournement.

Même dans le cadre de l'union économique européenne, qui comporte des règles législatives sur l'ampleur que peuvent atteindre chaque année le déficit et le ratio de la dette par rapport au PIB, chaque fois que des pays atteignent le plafond, ils bénéficient d'une certaine marge de manœuvre de sorte que les règles ne s'appliquent pas. Des pays comme l'Allemagne et la France ont abusé du système à maintes reprises depuis son entrée en vigueur.

Je ne suis pas un adepte des lois sur l'équilibre budgétaire. Je crois qu'il revient au gouvernement de faire preuve de rigueur afin d'établir une stratégie financière qui répond aux préoccupations des Canadiens.

Je serais très intéressé de voir à quoi ressemblera la mesure législative sur l'équilibre budgétaire et quelles exceptions on y trouvera. Je soupçonne qu'au bout du compte, le gouvernement, advenant qu'il soit mis au pied du mur, disposerait de suffisamment de marge de manœuvre pour trouver un moyen de s'y soustraire ou de retarder l'application des règles jusqu'à ce que la situation lui soit plus propice.

Il reste que je ne suis pas un adepte des mesures législatives sur l'équilibre budgétaire. Lorsque la gestion financière est rigoureuse, c'est que les gouvernements s'y sont volontairement astreints. Ils n'ont pas eu besoin d'une loi pour les y obliger.

Le président : Avez-vous quelque chose à ajouter professeure Turnbull?

Mme Turnbull : Je crois avoir raison en disant qu'il y a aussi des provinces qui ont des lois sur l'équilibre budgétaire. Il y a donc un contexte international, mais aussi un contexte national.

Ces mesures ont incontestablement une fonction politique. Comme le disait Peter, elles ne changent pas forcément la situation financière des pays lorsque ceux qui ont ce genre de loi n'en ont pas besoin, mais elles peuvent remplir la fonction politique de lier un gouvernement à la responsabilité de ne pas emprunter, dépenser ou recueillir plus qu'un montant donné.

Un gouvernement ayant présenté un projet de loi sur l'équilibre budgétaire pourrait par la suite se trouver aux prises avec celui-ci et considérer que la mesure lui impose trop de contraintes. Le gouvernement pourrait alors prendre des mesures de contournement et agir. Mais il pourrait se heurter à une pression politique accrue l'incitant à ne pas faire cela s'il a fait la promesse, sous la forme d'un projet de loi sur l'équilibre budgétaire, de se montrer responsable sur le plan financier.

Je ne suis pas non plus une adepte des projets de loi sur l'équilibre budgétaire, mais il me semble qu'ils peuvent remplir une fonction politique si les gens sont attentifs et demandent au gouvernement de rendre des comptes à cet égard.

Le sénateur Gerstein : Madame Turnbull, dans votre déclaration préliminaire, vous avez parlé des organes exécutif et législatif du gouvernement. Vous avez indiqué que l'équilibre des pouvoirs est en train de pencher du côté de l'exécutif. Vous avez fait un parallèle avec une balance. À votre avis, dans le système de Westminster, la balance penche-t-elle toujours du même côté ou bien l'histoire ne montre-t-elle pas qu'elle peut pencher d'un côté puis de l'autre au fil du temps?

Je pose cette question parce que — le président s'en souviendra bien — nous avons étudié un projet de loi intitulé C-9, qui était un projet de loi omnibus. À l'époque où nous avons étudié ce projet de loi, c'était en 2010 il me semble, j'ai parlé d'un autre projet de loi omnibus, intitulé « Loi sur le prix du pain, et cetera », qui incluait des mesures sur les faillites, le statut juridique des testaments des papistes, les locataires protestants et l'établissement des démunis. Il a été présenté en 1763, pendant la troisième année du règne de George III. Si l'on pousse la question jusqu'à sa conclusion logique, lorsque le gouvernement a présenté ce projet de loi, quelqu'un dans l'opposition a dû dire : « Nous nous engageons sur une pente glissante. Avant que nous ayons le temps de le réaliser, le gouvernement présentera au Parlement un projet de loi qui portera sur tout. » Toutefois, cela ne s'est pas produit.

La question est de savoir, peut-être d'un point de vue théorique, si les choses ont tendance à s'équilibrer au cours de l'histoire?

Mme Turnbull : Je suis d'accord avec vous. Si vous voulez mon avis, il n'y a pas d'âge d'or du gouvernement parlementaire. Il n'y a aucune époque à laquelle nous pouvons remonter et dire : « C'était parfait. Nous faisions merveilleusement bien les choses à cette époque et nous avons tout simplement décliné depuis. » Certaines choses se sont dégradées et d'autres se sont améliorées.

Je conçois les choses comme un flux et un reflux. La question qui se pose est la suivante : comment fait-on pour l'entretenir? Parfois, des événements sur lesquels les gouvernements n'ont aucun contrôle se produisent et mènent à une concentration du pouvoir. Même des faits nouveaux dans les médias et les communications ont une incidence. Maintenant que le gouvernement fait l'objet d'une surveillance constante — si j'ose dire — par l'entremise des médias sociaux, il y a toujours des gens qui regardent et qui suivent les propos d'un député qui contredisent les propos tenus par un sénateur qui contredisent les propos du premier ministre. Et ils en font tout un plat.

Il me semble que certains types de surveillance deviennent plus courants, sans toutefois forcément devenir plus élaborés. Cependant, il y a maintenant des agents du Parlement, comme on l'a dit précédemment, qui sont chargés d'aider le Parlement et de demander des comptes au gouvernement. On pourrait dire que certaines formes de surveillance sont devenues plus minutieuses, plus élaborées et mieux financées. On peut dire cela. On peut aussi examiner de quelle façon l'exécutif a réagi à ces nouveaux éléments pour veiller à se renforcer afin d'y faire face.

Il y a effectivement un flux et un reflux et je pense que nous en avons besoin. Si les choses vont trop loin dans une direction, tout s'écroule.

Le président : Je me souviens de votre discours, sénateur Gerstein.

Je vais poser quelques questions qui aideront peut-être les sénateurs. Elles découlent des témoignages qui ont été présentés ici.

Monsieur Devries, vous avez dit que la stratégie et le rapport — la stratégie au départ et le rapport six ou huit mois après la fin de l'exercice financier — ne sont pas des éléments nouveaux. La stratégie était-elle liée au projet de loi d'exécution du budget avant que les modifications au régime dont nous parlons aujourd'hui n'aient été apportées?

M. Devries : Non, les deux documents étaient distincts à l'époque, mais l'un était publié peu de temps après le budget sinon, en même temps, et l'autre l'était après la fin de l'exercice financier.

Le président : Mme Lambert, du ministère des Finances, nous a dit que la stratégie avait changé. Elle nous a parlé de ces éléments nouveaux, qui figurent à la page 299, que sont les sources et utilisations prévues des emprunts. Elle a dit qu'il s'agit de nouveaux éléments dans la stratégie ainsi que dans le rapport et qu'on peut les comparer pour évaluer la performance du gouvernement au cours de l'année.

Est-ce que cela vous rassure un peu?

M. Devries : C'est vrai, il s'agit d'un nouveau tableau qui ne se trouvait pas dans les rapports auparavant. Cependant, je me souviens avoir comparu devant ce comité et devant le Comité des finances de la Chambre des communes en compagnie de représentants de notre groupe de gestion de la dette, et des renseignements de ce genre avaient été fournis au comité lorsqu'il étudiait le projet de loi sur le pouvoir d'emprunt. Donc, bien qu'il s'agisse d'un nouvel élément, il ne s'agit pas de renseignements qui n'étaient pas disponibles auparavant.

Le président : C'est bon à savoir.

Professeure Turnbull, vous avez parlé de plafond et nous avons entamé une discussion sur le plafond de la dette. La discussion que nous avons eue plus tôt portait sur ceci : dans la stratégie, les montants indiqués ici — la somme de 270 milliards de dollars que le gouvernement propose d'emprunter — constituent en réalité un plafond. Une marge de manœuvre de 15 p. 100 est prévue, mais si elle a été utilisée... c'est la question que j'ai posée plus tôt à Mme Lambert. Elle a répondu qu'il existait un processus permettant au gouverneur en conseil d'autoriser l'octroi de fonds additionnels pouvant être dépensés sans qu'il soit nécessaire d'obtenir l'autorisation du Parlement.

Mme Turnbull : C'est exact.

Le président : Êtes-vous familière avec ce processus et que pouvez-vous nous dire à ce sujet? Cela semble être un élément déterminant pour éviter de tenir compte du plafond de la dette. Autrement, le plafond de la dette serait atteint, parce qu'on ne peut pas dépasser le montant indiqué dans ce document sans obtenir une forme quelconque d'autorisation.

Mme Turnbull : À ce stade-ci, le Cabinet est en mesure d'emprunter de l'argent sans demander l'autorisation du Parlement.

Le président : C'est exact. Y a-t-il des limites à cela? Disposez-vous de renseignements qui pourraient nous aider? Le gouvernement nous dit qu'il a besoin d'emprunter 270 milliards de dollars et il nous dit ce qu'il en fera, mais s'il arrive quelque chose pendant l'année et qu'il a besoin de plus d'argent, il peut tout simplement emprunter davantage. Est-ce bien cela?

Mme Turnbull : Pour autant que je sache, c'est bien cela. J'ignore s'il y a des restrictions quant au montant.

M. Devries : C'est exact. Cela me préoccupe que cela prenne la forme d'une demande du gouverneur en conseil, sans faire de bruit et sans expliquer pourquoi le gouvernement a besoin de cet argent.

Dans le passé, si un projet de loi de crédits provisoires ou un autre projet de loi portant pouvoir d'emprunt était nécessaire pendant l'exercice, le gouvernement devait présenter au Parlement un nouveau budget ou un énoncé économique et financier pour expliquer pourquoi le gouvernement avait besoin de fonds supplémentaires au cours de l'exercice.

Le président : Malheureusement, le temps est écoulé et je n'ai pas eu la possibilité de revenir sur la déclaration de Mme Lambert concernant la méthode consistant à s'adresser au Cabinet pour obtenir l'autorisation d'emprunter davantage. Le comité pourrait peut-être revenir sur cette question. Les analystes de la Bibliothèque du Parlement pourraient faire des recherches pour nous permettre de mieux comprendre ce processus. Il y a sûrement des paramètres et des limites. Je serais curieux d'en savoir plus à ce sujet.

Sénateur Moore, je vous donne le dernier mot pour clore la discussion.

Sénateur Moore : Je remercie les témoins de leur présence.

Libre à vous de répondre à la question suivante. Y a-t-il une quelconque raison pour laquelle la disposition que mon projet de loi tente de rétablir n'aurait pas pu demeurer en vigueur et coexister avec le nouveau processus?

M. Devries : Par « nouveau processus », vous entendez le rapport sur la Stratégie de la gestion de la dette?

Le sénateur Moore : Oui.

M. Devries : Non. À mon avis, il n'y a aucune raison.

Le sénateur Moore : Nous entendons parler de commodité, d'efficacité, de vitesse et de rapidité de réaction en lien avec le début de la grande récession de 2008. Je ne pense pas avoir obtenu de réponse de la part des fonctionnaires qui étaient ici. Le Canada aurait-il pu réagir de façon efficace et rapide si l'ancienne disposition avait été en vigueur? Y avait-il quelque obstacle ou contrainte liée au temps qui empêchait le Canada de répondre à ses besoins fiscaux au moment où l'existence de cette récession a été reconnue?

M. Devries : Comme je l'ai mentionné dans mes remarques préliminaires, je ne pense pas que la situation en 2008-2009 était plus grave que celle des années 1990, et surtout que celle de 1994. À cette époque, on a sévèrement critiqué le budget pour son manque d'efficacité à maîtriser le déficit et la dette. Le niveau de la dette s'élevait alors à près des deux tiers du PIB. Lors du début de la dernière récession, la dette ne s'élevait qu'à un tiers du PIB.

Pendant les années 1990, en remontant jusqu'aux années 1980, alors que le déficit augmentait très rapidement, nous n'avions aucune difficulté à faire adopter un projet de loi portant pouvoir d'emprunt à temps pour mettre en œuvre une stratégie de gestion de la dette efficace. Juste avant le référendum, il y a eu un incident qui a rendu la situation un peu plus tendue, mais, à part cela, je ne vois pas d'autre moment. Je pense que cette période a été plus grave d'un point de vue économique, fiscal et commercial que la situation à laquelle le pays a été confronté en 2008-2009.

Mme Turnbull : Lorsque vous avez posé la question, j'aurais eu tendance à dire que rien ne nous empêchait de réagir dans des délais raisonnables. Je partage l'avis de Peter.

Le président : Je pense que quelqu'un veut donner suite à la question.

Le sénateur Mockler : J'aimerais que vous lisiez ce que M. Calof et des témoins antérieurs ont dit et j'aimerais savoir ce que vous en pensez. Voici ce qu'il a dit :

En 2000, les modifications apportées à la LGFP nous ont permis d'aligner notre cadre des autorisations d'emprunt sur les pratiques exemplaires dans le monde par rapport au cadre de référence précédent. Le régime actuel d'autorisation d'emprunt a permis une gestion financière plus efficace, plus réceptive et plus prudente ainsi que plus de transparence et une reddition des comptes renforcée relativement aux activités d'emprunt du gouvernement du Canada.

Je suis d'accord. Les opinions varient en fonction de l'économiste auquel vous parlez, mais la crise de 2008 a été la plus importante qu'aient connue tous les pays, indépendamment de ce que certains économistes, spécialistes ou consultants pensent des activités antérieures de nos économies modernes. C'est ce qu'ont dit les autorités. Avez-vous des observations à formuler à ce sujet?

Mme Turnbull : J'ai entendu moi aussi les témoignages de gens qui disaient que nous faisons maintenant les choses de façon semblable à ce que font d'autres pays, et c'est une chose qui devrait nous faire peur. En toute honnêteté, ce qui m'inquiète le plus, c'est l'approche du projet de loi omnibus. C'est-à-dire que cette mesure a été adoptée et qu'elle n'a pas été débattue au Parlement. Parfois, un gouvernement prend la décision de faire quelque chose et c'est ce qui va se passer. Le débat parlementaire, surtout dans un contexte majoritaire, n'y changera rien, mais il demeure utile, surtout dans la perspective des Canadiens, de comprendre pourquoi les choses sont comme elles sont et pourquoi il y a eu un changement. Habituellement, les changements surviennent pour le mieux, mais il demeure utile de les soumettre au Parlement et de les faire connaître pour s'assurer que les gens comprennent qu'un changement a été apporté à la façon dont l'argent est géré au Canada et pourquoi. Cinq raisons pourraient expliquer ce changement. Il pourrait y avoir 10 choses qui clochent, mais parlons-en. C'est ce qui me dérange.

Le sénateur Mockler : Ce qui vous dérange, professeure, c'est l'approche du projet de loi omnibus.

M. Devries : Je partage la même préoccupation en ce qui concerne cette approche. Nous avons constaté une augmentation considérable du recours à ce processus au cours des dernières années.

Je considère qu'une mesure doit être présentée explicitement dans le budget avant d'être incorporée dans un projet de loi omnibus d'exécution du budget. Lorsque vous examinerez ce projet de loi omnibus, je vous invite à demander aux fonctionnaires du ministère des Finances, ou d'ailleurs, de vous montrer où se trouvent dans le budget lui-même les mesures présentées dans le projet de loi omnibus d'exécution du budget. Comment pouvez-vous faire le lien entre les deux documents? Si vous n'arrivez pas à faire ce lien, j'en réfèrerais au Président de la Chambre des communes pour vérifier si les mesures devraient s'y trouver. C'est une chose qui me préoccupe.

C'est vrai que pour le ministère des Finances, cette nouvelle approche est plus efficace. Ses fonctionnaires n'ont plus besoin de comparaître devant ce comité pour justifier leur travail. Le processus est plus transparent dans la mesure où il y a maintenant davantage d'information dans la Stratégie de gestion de la dette et dans le Rapport sur la gestion de la dette, mais, comme je l'ai mentionné plus tôt, cette information était mise à la disposition des comités qui examinaient le projet de loi sur le pouvoir d'emprunt dans le passé.

En ce qui concerne la vitesse à laquelle le gouvernement obtient l'argent demandé, je ne pense pas que cela soit un problème dans le cas présent. Je pense que la rapidité est la même qu'avant que les changements ne soient apportés.

Je suis vraiment préoccupé par le fait que, à l'heure actuelle, les parlementaires n'examinent pas minutieusement le budget en général et le projet de loi accordant l'autorisation de dépenser. L'absence d'un tel projet de loi supprime un élément d'examen et de transparence pour les parlementaires et pour les Canadiens.

Le président : Madame Turnbull et monsieur Devries, je vous remercie au nom du Comité sénatorial permanent des finances nationales.

Chers collègues, avec votre permission, nous aimerions passer demain à l'étude article par article du projet de loi C-462, Loi sur les restrictions applicables aux promoteurs du crédit d'impôt pour personnes handicapées.

Des représentants de trois ministères comparaîtront dans le cadre de l'étude du Budget principal des dépenses. Il y a le MAECD et la Défense nationale. Nous allons avoir une soirée occupée.

Le comité directeur se réunira pour décider si nous avons besoin d'autres témoignages pour le projet de loi que nous avons examiné aujourd'hui. Si l'un d'entre vous parle à un membre du comité directeur et si vous pensez qu'un aspect du projet de loi n'a pas été examiné, veuillez nous en informer. Sinon, nous allons fixer une date pour l'étude article par article de ce projet de loi.

(La séance est levée.)


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