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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule no 32 - Témoignages du 14 février 2018


OTTAWA, le mercredi 14 février 2018

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd’hui, à 18 h 47, pour poursuivre son étude sur les nouvelles relations entre le Canada et les Premières Nations, les Inuits et les Métis.

La sénatrice Lillian Eva Dyck (présidente) occupe le fauteuil.

La présidente : Bonsoir, et tansi. Je souhaite la bienvenue à tous les honorables sénateurs et aux membres du public qui suivent les délibérations du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, dans cette salle ou sur la Toile.

J’aimerais dire, dans l’esprit de la réconciliation, que nous tenons cette réunion sur des terres ancestrales non cédées des peuples algonquins.

Je m’appelle Lillian Dyck, je suis une sénatrice de la Saskatchewan, et je préside ce comité.

Nous continuons aujourd’hui notre étude de ce que pourrait être la nouvelle relation du gouvernement du Canada avec les Premières Nations, les Inuits et les Métis. Nous aurons le grand honneur d’écouter le témoignage de deux commissaires de la Commission de vérité et réconciliation, Mme Marie Wilson et le sénateur Murray Sinclair. Ils ont maintenant la parole, et nous leur poserons des questions par la suite.

J’ai oublié de présenter mes collègues sénateurs. Commençons par le vice-président.

Le sénateur Tannas : Scott Tannas, de l’Alberta.

Le sénateur Doyle : Norman Doyle, de Terre-Neuve-et-Labrador.

Le sénateur Ngo : Sénateur Ngo, de l’Ontario.

La sénatrice McCallum : Mary Jane McCallum, du Manitoba.

[Français]

Le sénateur Brazeau : Patrick Brazeau, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Christmas : Dan Christmas, de la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Pate : Kim Pate, de l’Ontario.

La sénatrice McPhedran : Marilou McPhedran, du Manitoba.

La présidente : Je vous remercie, sénateurs et sénatrices.

L’honorable Murray Sinclair, ancien président, Commission de vérité et réconciliation du Canada, à titre personnel : Je vous remercie, sénateurs. Vous serez surpris et ravis d’apprendre que je n’ai pas l’intention de lire un discours ni de parler très longuement. Je souhaite surtout répondre à vos questions.

La commissaire Wilson a toutefois rédigé un mémoire, avec ma collaboration et ma coopération, et j’aimerais qu’elle le présente. Je lui demanderais de nous le présenter, si elle le veut bien.

La présidente : Merci.

Marie Wilson, ancienne commissaire, Commission de vérité et réconciliation du Canada, à titre personnel : Je vous remercie, sénatrice Dyck. Nous vous remercions d’avoir souligné que nous sommes sur des terres ancestrales. Nous tenons aussi à souligner la solennité de cette assemblée et de vos points de vue respectifs. Permettez-moi de mentionner également la présence de plusieurs anciens employés de la Commission de vérité et réconciliation, qui semblent toujours prêts à nous soutenir. Leur présence ici nous honore.

J’ai pris quelques notes, entre autres parce que nous souhaitons voir certains extraits de notre rapport inscrits dans vos comptes rendus permanents. Avec votre permission, nous lirons d’abord ces extraits avant de passer à notre conversation.

C’est aujourd’hui la Saint-Valentin, comme nous le savons tous, mais l’histoire dont nous parlons n’a rien d’une histoire d’amour. Cela pourrait toutefois changer. C’est ce que j’espère de tout mon cœur alors que je suis assise devant vous aujourd’hui.

Je dois dire que la première fois que j’ai entendu parler de l’étude spéciale du Sénat sur la nouvelle relation du gouvernement du Canada avec les Premières Nations, les Inuits et les Métis et qu’on m’a invitée à y participer, j’ai éprouvé de la colère et de l’exaspération. J’ai téléphoné à mon ancien collègue, devenu le sénateur Sinclair, pour lui en parler. Il était d’accord avec moi et nous avons convenu que, si l’occasion se présentait, nous vous le dirions. Après tout, lorsque vous avez annoncé cette étude spéciale, nous venions tout juste, en tant que commissaires de la Commission de vérité et réconciliation du Canada, de publier notre rapport de décembre 2015. Nous avions mené une vaste consultation auprès des Autochtones, la plus vaste de toute l’histoire du Canada, laquelle comprend notamment 130 années où le Canada a forcé les enfants autochtones à étudier dans des pensionnats. Nous avons publié les résultats de nos travaux en 10 volumes. Ils étaient fondés sur près de 300 jours d’audiences publiques dans toutes les régions du pays, d’un océan à l’autre. Ils se fondaient aussi sur les dizaines de rapports de recherche que nous avions commandés et sur des centaines de sources documentées, une liste exhaustive.

Surtout, nous avons fondé nos conclusions sur près de 7 000 témoignages d’anciens élèves qui ont passé leur enfance dans l’un des plus de 150 pensionnats gérés par l’Église et financés par le gouvernement. Ces personnes ont été isolées de leurs terres traditionnelles et de leurs fondements culturels, séparées de leurs proches et privées du dévouement, de la protection et de l’amour de leurs parents.

L’annonce de votre étude m’a semblé signaler que l’on retombait dans la pratique de répondre aux rapports importants en commandant d’autres études plutôt qu’en prenant des mesures concrètes. Les Autochtones ne sont que trop familiers avec ce cycle, qui est devenu une mauvaise blague pour eux. Compte tenu de l’urgence de la situation, l’intérêt et la patience pour les nouvelles études s’amenuisent, et pourtant, nous revoici ici aujourd’hui.

Cela dit, nous trouvons tout de même encourageant que les demandes de renseignements supplémentaires et le dialogue sur le travail de la Commission de vérité et réconciliation se poursuivent toujours deux ans après la publication de son rapport. Il convient aussi de noter que l’objectif du dialogue s’est précisé. La question est de plus en plus : « Quelles mesures sont les mesures concrètes qui peuvent être prises? »

Nous présumons qu’il s’agit également de la question qui vous vient à l’esprit en tant que membres du Sénat du Canada. Quelles mesures concrètes pouvez-vous prendre?

Ma première réponse à cette question est toujours la même. Je devrais dire qu’il s’agit de notre première réponse, car c’est ce que nous disons tous. Si vous ne l’avez pas déjà fait, lisez les 94 appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation ainsi que, au moins, le rapport sommaire de la commission, qui précise les raisons de chacun de ses appels à l’action.

Le rapport sommaire, intitulé Honorer la vérité, réconcilier pour l’avenir, débute ainsi :

Pendant plus d’un siècle, les objectifs centraux de la politique indienne du Canada étaient les suivants : éliminer les gouvernements autochtones, ignorer les droits des Autochtones, mettre fin aux traités conclus et, au moyen d’un processus d’assimilation, faire en sorte que les peuples autochtones cessent d’exister en tant qu’entités légales, sociales, culturelles, religieuses et raciales au Canada. L’établissement et le fonctionnement des pensionnats ont été un élément central de cette politique, que l’on pourrait qualifier de « génocide culturel ».

Un génocide culturel est la destruction des structures et des pratiques qui permettent au groupe de continuer à vivre en tant que groupe. Les États qui s’engagent dans un génocide culturel visent à détruire les institutions politiques et sociales du groupe ciblé. Des terres sont expropriées et des populations sont transférées de force et leurs déplacements sont limités. Des langues sont interdites. Des chefs spirituels sont persécutés, des pratiques spirituelles sont interdites et des objets ayant une valeur spirituelle sont confisqués et détruits. Et [...] des familles [se voient empêchées] de transmettre leurs valeurs culturelles et leur identité d’une génération à la suivante.

Dans ses rapports avec les peuples autochtones, le Canada a fait tout cela.

Comme le rappellent ces extraits, l’histoire et l’héritage des pensionnats indiens et ce qui s’est passé dans ceux-ci ont beaucoup à voir avec des politiques et des lois parrainées par l’État et le processus législatif ainsi qu’avec l’instauration, la transgression et le non-respect de lois qui ont joué un rôle fondateur dans la création même du Canada; lois qui affirmaient lier les peuples autochtones et les nouveaux arrivants européens dans une relation respectueuse et dans leur avantage mutuel, de nation à nation.

À titre de sénateurs et de membres de la branche législative du gouvernement du Canada, vous êtes les législateurs d’aujourd’hui. Les défis actuels, attisés par tous les manquements historiques, sont décrits en détail dans notre rapport, tout comme le sont nos conclusions au sujet des personnes qui doivent agir et dans quel domaine elles doivent le faire, notamment en prenant des mesures législatives. En votre qualité de législateurs, de conseillers et d’influenceurs politiques, voilà les défis qui vous sont maintenant présentés. Quelle sera votre réponse?

Lorsque vous examinerez les 94 appels à l’action formulés par la Commission de vérité et réconciliation, vous constaterez qu’ils sont divisés en deux parties. Les appels à l’action 1 à 42 forment la section intitulée « Remédier aux séquelles ». J’appelle parfois cette partie « appels à l’action visant à réparer les dommages », dommages qui ont été causés par les politiques et les pratiques antérieures et actuelles. Cette partie traite des domaines de la protection de l’enfance, de l’éducation, de la langue et de la culture, de la santé et de la justice. Nous avons placé ces éléments en premier, car il s’agit des domaines dans lesquels on retrouve des problèmes urgents et concrets. Ce sont les domaines où le manque d’attention et de considération actuel fera se répéter toutes les statistiques négatives que nous voulons voir disparaître; il s’agit d’aspects qui entachent la réalité et la réputation du Canada, comme les taux de prise en charge d’enfants par l’État et de décrochage scolaire, de mortalité infantile et de pauvreté, de toxicomanie et d’incarcération, de suicide, d’assassinats et de disparitions, tous des problèmes qui touchent les peuples autochtones de façon disproportionnée.

La deuxième section, qui regroupe les appels à l’action 43 à 94, est appelée « Vers la réconciliation ».

Toutefois, bien au-delà du fait de poursuivre votre étude des conclusions de la Commission de vérité et réconciliation, nous croyons qu’à titre de sénateurs, vous pouvez prendre un certain nombre de mesures pour appuyer l’esprit de réconciliation et les changements concrets. Demandez des comptes au gouvernement sur ses propres engagements. En décembre 2015, à Ottawa, le premier ministre Justin Trudeau a déclaré :

Aucune autre relation n’est plus importante pour le Canada que la relation que nous entretenons avec les peuples autochtones. Notre gouvernement travaille avec les Autochtones en vue de créer une relation de nation à nation, entre les Inuits et la Couronne, et de gouvernement à gouvernement, fondée sur le respect, le partenariat et la reconnaissance des droits.

Il convient aussi de noter que le premier ministre actuel n’est pas le seul à avoir fait de telles promesses. Tous les partis politiques à la Chambre des communes ont présenté des excuses historiques pour la saga des pensionnats indiens et promis de réparer les torts passés. Ils ont tous officiellement reconnu l’importance de la réconciliation pour l’ensemble des Canadiens. Il ne s’agit pas d’une question partisane.

Alors, soutenez les mesures, législatives et autres, qui visent à respecter ces engagements, peu importe le parti qui les propose, maintenant ou à l’avenir. Appuyez et enrichissez les projets de loi qui vous sont présentés dans l’esprit de la réconciliation et pour répondre aux appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation, et n’essayez pas de bloquer, de refuser ou de retarder leur adoption.

Prenons par exemple l’article 43 du Code criminel, ce que l’on appelle la « Loi de la fessée ». Il n’y avait aucune limite aux « fessées » dont nous avons entendu parler dans le contexte des pensionnats. Je pense à un cas où des cordes à sauter nouées avaient été utilisées pour fouetter des pensionnaires, ce qui était considéré comme une « fessée ». La loi autorisait cela. Il est certainement possible de modifier sans délai une loi aussi destructrice et dépassée.

Parmi les autres exemples qui vous seront présentés et qui sont aussi énoncés dans les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation, l’on retrouve notamment l’appel à l’action 43, qui demande l’adoption de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, les appels à l’action 13 à 15, qui demandent de prendre des mesures législatives pour la reconnaissance, la préservation et la revitalisation des langues autochtones, et les appels à l’action 53 à 56, qui réclament la création d’un conseil national de réconciliation.

Chacune de ces propositions législatives s’appuiera sur une collaboration extensive et sans précédent avec les Autochtones et les organismes autochtones. Nous devons honorer et respecter l’expertise autochtone.

Ne vous laissez pas faire entrave à de telles initiatives de transformation et aux nouvelles lois qui pourront définir un nouveau Canada. Soyez audacieux et résolus pour abroger toute loi fondée sur des idées racistes et dépassées au sujet des Autochtones.

Comme nous le savons, ce sont les lois qui, de façon globale ou isolée, déterminent les programmes et la répartition des ressources au pays ainsi que la façon dont la grande richesse du Canada est partagée. Imprégnez les politiques relatives à ces décisions de la surveillance du Sénat, dans un esprit d’empathie et de générosité, en tenant compte du fait que la pauvreté est l’une des formes les plus flagrantes et dévastatrices de violence sociétale.

En tant que sénateurs, vous formez une communauté d’individus très accomplis et vous avez beaucoup d’influence. Vous occupez des postes dans lesquels vous disposez de nombreuses ressources et avez accès à de l’information. Vous avez des moyens d’en savoir davantage sur toutes ces questions que la plupart des Canadiens. Usez de votre influence pour partager vos précieuses connaissances avec vos collègues dans d’autres sphères d’activité. Exprimez-vous et aidez à mettre fin aux stéréotypes et aux demi-vérités qui ont caché la véritable identité du pays et qui l’ont empêché d’être la meilleure version de lui-même. Parlez aux membres de votre famille, particulièrement à vos enfants et à vos petits-enfants, et n’oubliez jamais la chance que vous avez eu de les élever dans votre propre maison, ce dont tant de parents autochtones ont été privés et sont toujours privés.

Tandis que vous aborderez ces questions, nous vous encourageons à faire en sorte que vos délibérations et vos actions soient ancrées dans les principes de réconciliation, que nous avons également énoncés dans les rapports de la Commission de vérité et réconciliation, plus précisément dans le volume que nous avons intitulé « Ce que nous avons retenu ».

Principe 1 : la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones est le cadre pour la réconciliation à tous les niveaux et dans tous les secteurs de la société canadienne.

Principe 2 : les Premières Nations, les Inuits et les Métis, à titre de premiers habitants de ce pays et de peuples qui ont droit à l’autodétermination, ont des droits constitutionnels et en vertu des traités et des droits de la personne qui doivent être reconnus et respectés.

Principe 3 : La réconciliation est un processus de guérison des relations qui exige un partage de la vérité, des excuses et une commémoration publics qui reconnaissent et réparent les dommages et les torts du passé.

4 : La réconciliation exige des mesures constructives pour aborder les séquelles permanentes du colonialisme qui a eu des répercussions dévastatrices sur l’éducation, les cultures et les langues, la santé, le bien-être de l’enfance, l’administration de la justice, les possibilités économiques et la prospérité des peuples autochtones.

5 : La réconciliation doit créer une société plus équitable et inclusive en comblant les écarts relatifs aux résultats sur les plans sociaux, économiques et de la santé qui existent entre les Canadiens autochtones et non autochtones.

6 : Tous les Canadiens, à titre de personnes visées par les traités, partagent la responsabilité de l’établissement et du maintien de relations mutuellement respectueuses.

7 : Les points de vue et les interprétations des aînés autochtones, et les points de vue et les interprétations des gardiens du savoir traditionnel en ce qui concerne l’éthique, les concepts et les pratiques de réconciliation sont essentiels pour une réconciliation à long terme.

8 : Appuyer la revitalisation culturelle des peuples autochtones et intégrer les systèmes de savoir, les histoires orales, les lois, les protocoles et les liens avec la terre des Autochtones sont des éléments essentiels au processus de réconciliation.

9 : La réconciliation exige une volonté politique, un leadership conjoint, l’établissement d’un climat de confiance, de la responsabilisation et de la transparence, ainsi qu’un investissement important de ressources.

10 : La réconciliation exige un dialogue et une éducation du public soutenus, y compris l’engagement des jeunes, au sujet de l’histoire et des séquelles des pensionnats indiens, des traités et des droits des Autochtones, ainsi que des contributions historiques et contemporaines des peuples autochtones à la société canadienne.

Pour résumer l’esprit de ces 10 principes, je vais de nouveau citer l’introduction du rapport final de la Commission de vérité et réconciliation :

Un cadre de réconciliation s’entend d’un cadre dans lequel les appareils politiques et judiciaires du Canada, les établissements d’enseignement et les institutions religieuses, les milieux d’affaires et la société civile fonctionnent selon des mécanismes qui sont conformes aux principes énoncés dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, que le Canada appuie.

Comme vous le savez et comme nous l’avons souligné, le Canada est sur le point de les reconnaître au moyen d’une mesure législative.

Les Canadiens ne doivent pas se borner à parler de la réconciliation. Ensemble, nous devons apprendre comment mettre en pratique la réconciliation dans notre vie de tous les jours — avec nous-mêmes et nos familles, dans nos collectivités, nos administrations publiques, nos lieux de culte, nos écoles et nos lieux de travail. Pour agir d’une manière constructive, les Canadiens doivent maintenir leur engagement à poursuivre le processus visant à établir et entretenir des relations fondées sur le respect […]

Pour les gouvernements, l’établissement de relations fondées sur le respect suppose le démantèlement d’une culture politique et bureaucratique séculaire dans laquelle, trop souvent, les orientations stratégiques et les programmes reposent encore sur des notions d’assimilation qui se sont révélées vaines […]

Aux Canadiens de tous les horizons, la réconciliation offre un nouveau moyen de vivre ensemble […]

[…] de connaître une version honnête de l’histoire de leur pays, y compris ce qui s’est passé dans les pensionnats, et d’être en mesure d’apprécier la richesse de l’histoire et du savoir des nations autochtones qui continuent d’apporter une contribution notable au Canada, comme l’illustrent son nom et son identité collective en tant que pays.

Un tel travail est difficile. Il faut faire preuve de courage et d’humilité. Comme l’a dit Maya Angelou, poétesse respectée :

Sans courage, nous ne pouvons pas pratiquer d’autres vertus avec cohérence. Nous ne pouvons pas être gentils, vrais, reconnaissants, généreux ou honnêtes.

Au moment de préparer mon intervention, trois événements me sont venus à l’esprit. Le premier est très positif. Je viens tout juste de revenir de Finlande, où a eu lieu un séminaire international. On y a discuté de la possibilité de créer dans ce pays une commission de vérité et réconciliation, qui serait chargée d’examiner des questions liées aux rapports entre l’État et les Samits. Notre propre commission a été invitée à faire un exposé. Le monde entier suit de près ce que fait le Canada et est encouragé par les travaux effectués par notre commission, ici, au Canada. Le monde entier est fort impressionné par la réponse politique du Canada et son engagement à agir et comprend également que quelque chose de très important et de positif s’est produit dans notre pays.

Ce n’est que le début. La question que je me pose et que nous devrions tous nous poser, c’est de savoir si nous serions de nouveau invités à faire un exposé dans 10 ans. Qu’aurions-nous à déclarer? De quelles preuves concrètes disposerions-nous pour démontrer que nous avons effectivement donné suite aux appels à l’action lancés par la Commission de vérité et réconciliation, qu’il est possible d’apporter des améliorations mesurables pour les peuples autochtones du pays et que des relations respectueuses entre Autochtones et non-Autochtones et gouvernements sont devenues la norme? Voilà la question que je me pose.

Le deuxième événement qui m’est venu à l’esprit est démoralisant. Je parle de la décision rendue par un jury, qui a déclaré non coupable sur tous les chefs d’accusation l’homme responsable de la mort d’un jeune homme en Saskatchewan. Nous connaissons tous les noms maintenant. Je ne parle pas des événements qui ont mené à la mort du jeune homme ou des arguments juridiques invoqués. Je parle du fait qu’un jury composé entièrement de Blancs a décidé du sort d’un Autochtone.

Je me souviens d’un commentaire qu’une personne a fait peu après que la Commission de vérité et réconciliation a été créée. Elle a déclaré que ce moment dans notre histoire serait reconnu pour avoir favorisé l’avancement des droits civils au Canada. Toutefois, depuis que le jury a prononcé sa décision, je m’interroge, en tant que non-Autochtone, à savoir pourquoi, en 2018, au Canada, on a l’impression de se retrouver dans les années 1950 aux États-Unis.

Le troisième événement qui m’est venu à l’esprit me laisse un arrière-goût amer. C’est la journée Ayez un cœur, et je ne parle pas de la Saint-Valentin. Je parle du rassemblement qui aura lieu demain matin sur la Colline du Parlement. C’est un événement annuel qui a lieu depuis plusieurs années maintenant. Des écoliers se rassembleront pour demander des ressources justes et équitables pour les enfants autochtones dans ce pays, tout particulièrement en matière d’éducation, d’aide à l’enfance et de soins de santé.

C’est un événement qui me laisse un arrière-goût amer. Ces enfants ressentent le besoin de se rassembler pour défendre d’autres enfants, qui font l’objet de discrimination systémique. C’est une situation décourageante, mais c’est aussi une situation empreinte d’espoir, parce que ces enfants courageux sont déterminés à se présenter et à faire valoir les droits des enfants autochtones. Ce faisant, ils se préparent également à devenir des leaders qui croient que la réconciliation est quelque chose de normal et conforme à l’éthique dans notre pays. Il ne s’agit pas pour eux d’une notion théorique, mais plutôt d’une série de mesures pratiques qui doivent être prises immédiatement.

Nous tous rassemblés croyons qu’il est important de rendre service aux autres. C’est ce que mes parents m’ont enseigné, et ils ont agi ainsi toute leur vie. Vous tous l’avez promis lorsque vous avez prononcé le serment d’office. Nous tous, qui sommes appelés à exécuter divers rôles, sommes ici parce que nous nous soucions du bien-être de nos enfants, qui hériteront de notre pays.

J’aimerais terminer ma déclaration liminaire en racontant une petite anecdote sur la benjamine de mes petites-filles. Je l’ai vue récemment lors d’un spectacle de danse auquel étaient conviés les membres de la famille des enfants participant au spectacle. Comme sa professeure de danse était malade, la personne qui l’a remplacée a pris le temps de tisser des liens avec les fillettes en leur posant deux questions. Elle leur a demandé quelle était leur couleur préférée et quel était leur animal préféré. Je n’ai pas été étonnée du tout d’entendre plusieurs d’entre elles affirmer que le rose était leur couleur préférée, mais j’ai toutefois été surprise d’entendre ma petite-fille déclarer que la licorne était son animal préféré. Elle est âgée de 9 ans, après tout. Sur le chemin du retour à la maison, je lui ai dit : « Sadeya, tu sais, n’est-ce pas, que les licornes n’existent pas? » Elle m’a répondu : « Mimi, bien sûr que je sais qu’elles n’existent pas, mais cela me plaît de croire en ce que je peux imaginer. »

Je pense à cette licorne et aux paroles de ma petite-fille depuis ce temps. C’est ce qu’exigera de nous tous, de l’ensemble du pays, le processus de réconciliation. Il nous faudra à tous, dont vous, les sénateurs, imaginer ce qui est possible pour entretenir, dans ce pays, des relations respectueuses de nation à nation. Il faudra aller beaucoup plus loin que ce qui s’est fait jusqu’à présent. Nous devrons nous accrocher à cette conviction, à ce que nous imaginons. Nous devrons défendre cette conviction et nous orienter vers elle, peu importe ce que disent les détracteurs, les opposants ou les cyniques, que ce soit dans notre entourage ou ailleurs au pays, peu importe le nombre de personnes qui affirment que c’est irréaliste et que ça ne peut exister simplement parce que nous n’avons jamais rien vu de tel.

Puissions-nous tous croire en ce pays que nous imaginons et qui pourrait devenir réalité.

Nous serons heureux de répondre à vos questions.

La présidente : Merci beaucoup, madame Wilson. Nous allons commencer à interroger les témoins. Le vice-président a la parole.

Le sénateur Tannas : Je vous remercie de votre présence et de vos mots puissants. Je vais attendre et laisser à d’autres l’occasion d’intervenir.

[Français]

Le sénateur Brazeau : Merci à vous tous d’être parmi nous. Premièrement, je voudrais vous remercier pour le travail que vous avez fait, un travail historique et certainement complexe, mais nécessaire pour le Canada. En passant, je remercie les gens derrière vous qui ont aussi participé et contribué au rapport que nous avons eu en 2015. Alors, je vous applaudis pour ça.

Ça va faire presque trois ans que votre rapport a été produit, qu’il est public. Quelle est votre opinion sur la façon dont le gouvernement en ce moment a répondu aux 94 appels à l’action? Êtes-vous en position de dire si le gouvernement a fait des démarches concrètes pour répondre aux appels à l’action énoncés dans votre rapport?

Mme Wilson : Je vous remercie de la question, sénateur Brazeau. Je commencerais par dire que je ne pourrai pas offrir de réponse complète dans la mesure où je ne suis pas au courant de tout ce qui se passe de jour en jour à l’intérieur du gouvernement. Je peux vous dire que je vois qu’il y a eu de belles démarches, mais ce sont des démarches qui, jusqu’à présent, n’ont pas encore abouti à des changements concrets et réels à la mesure de nos espoirs. Je pense qu’avoir un gouvernement qui commence par déclarer qu’il est d’accord et qu’il va faire quelque chose, c’est très important. On a vu à travers le pays des exemples où il a fallu une prise de position politique du plus haut niveau pour que les gens agissent. Je pense que c’est un bon départ, mais on est encore loin de voir les changements nécessaires. Il faut que ça continue, que ça ne lâche pas.

[Traduction]

Le sénateur Brazeau : Je l’ai répété à maintes reprises. Je me considère toujours comme étant jeune, mais j’ai vu quatre premiers ministres se pencher sur les questions autochtones. D’après ce que j’ai observé, et vous l’avez vous-même mentionné, on place souvent la barre haute, et les politiciens prononcent de belles paroles en ce qui concerne certaines de ces questions. Toutefois, pour ce qui est des mesures concrètes, ce qui se produit ne correspond pas nécessairement aux paroles des politiciens. J’ai rencontré nombre d’anciens ministres des Affaires autochtones, tant libéraux que conservateurs. Je crois sincèrement que ces anciens ministres étaient déterminés à poser des gestes concrets, mais qu’en cours de route, quelque chose a changé. J’ai ma propre idée à ce sujet, mais j’aimerais vous donner l’occasion de nous dire quel est le problème, selon vous. Je crois que les bonnes intentions abondent, peu importe l’orientation politique des gens, mais les mesures concrètes auxquelles s’attendent les peuples autochtones ne sont pas nécessairement prises.

Mme Wilson : Je suis certaine que mon collègue co-commissaire, qui est maintenant votre collègue, voudra en parler également. Je dirai d’abord que j’ai travaillé de nombreuses années comme journaliste et que j’ai traité à maintes reprises avec des ministres et des premiers ministres. Tout particulièrement en qui concerne la question des affaires autochtones, je crois ne pas me tromper en affirmant que c’est un portefeuille qui n’a jamais été convoité ou qui n’a jamais été considéré comme une affection avantageuse. Ensuite, peu de personnes affectées à ce portefeuille étaient déjà bien au courant des enjeux à leur arrivée. Tous affirment que la courbe d’apprentissage a été très raide. Ce n’est pas étonnant, puisque les questions à traiter ne correspondent pas à la réalité quotidienne des personnes appelées à diriger le ministère.

Je crois que mon espoir réside dans le fait que nous en savons maintenant — et rien ne peut justifier le contraire — beaucoup plus que jamais au sujet de la situation sur le terrain. Les citoyens, la société civile et le gouvernement fédéral, qui est le gouvernement national, sont manifestement au courant de la situation. Je crois que l’on peut donc s’attendre à ce que les dirigeants n’aient pas à recommencer chaque fois du début et que l’on devrait également pouvoir s’attendre à ce que les changements servent à éclairer les prochains changements, et ainsi de suite. Il ne devrait plus être nécessaire de recommencer du début.

J’ai mentionné le deuxième point dans mes observations écrites. Si nous disposons de la volonté politique nécessaire pour reconnaître que la réconciliation et que ces questions urgentes ne sont pas des questions partisanes, alors il n’est plus nécessaire de jeter le bébé avec l’eau du bain chaque fois que nous avons un changement de gouvernement ou chaque fois qu’il y a un changement de ministre, un remaniement ou des élections. Il n’est plus nécessaire de se demander ce que l’on doit faire. La voie est maintenant tracée à long terme, et nous pouvons ainsi aller de l’avant en suivant cette voie qui nous unit tous et qui nous oblige à poursuivre les travaux plutôt qu’à les interrompre et à recommencer.

Le sénateur Sinclair : Vous m’avez ouvert la voie.

Le sénateur Brazeau : Très bien.

Le sénateur Sinclair : Tout d’abord, je tiens à féliciter et à remercier ma collègue de son exposé. C’est un exposé exhaustif et très bien fait. Elle l’a rédigé presque intégralement. Soit dit en passant, le commentaire au sujet du fait que les sénateurs sont de bonnes personnes est de mon cru.

Mme Wilson : Je ne crois pas avoir dit cela.

Le sénateur Sinclair : Je vous ai poussée à le dire.

Le problème est que, depuis longtemps, et même encore aujourd’hui, cela ne préoccupe pas assez le Canada pour que les changements nécessaires puissent être apportés. C’est aussi simple que cela. Si cela préoccupait vraiment le Canada — et je parle autant des Canadiens que du gouvernement —, il les apporterait. Les gens se soucient assez du monde des affaires pour faire ce qu’il faut pour l’appuyer. Ils se soucient assez de l’industrie. Ils se soucient suffisamment d’autres secteurs de la société pour que les changements nécessaires soient apportés continuellement de sorte que tout fonctionne correctement et que les besoins des gens qui en font partie soient satisfaits. Ils font ce qu’il faut pour eux. Or, ils ne se soucient pas suffisamment des peuples autochtones pour prendre les mesures qui s’imposent. Cela ne veut pas dire qu’ils ne se soucient guère d’eux. Nous avons rencontré des milliers de personnes qui ont à cœur leurs intérêts et qui ont envie de faire quelque chose pour les aider. C’est une question qui revient systématiquement lors des présentations que nous donnons. Les gens veulent savoir ce qu’ils peuvent faire.

Toutefois, lorsqu’il est question de motiver les institutions qui doivent être responsables d’amorcer le changement, nous nous retrouvons face à une inertie ainsi que des complexités institutionnelles qui nous empêchent de changer les choses comme nous le voudrions. Le gouvernement, les églises et les institutions sociales, entre autres, ont une certaine orientation à respecter. Les organismes de bienfaisance, par exemple, doivent vraiment revoir leur façon de faire des affaires et leurs objectifs. Ils doivent également penser au genre de pays dans lequel ils veulent vivre et voir comment ils peuvent participer à le construire. Cela signifie rejeter parfois des croyances fondamentales qui dictent la façon dont les systèmes et les institutions fonctionnent.

C’est l’une des questions que nous nous sommes posées très tôt dans le cadre des discussions que nous avons eues entre nous, les commissaires, et avec notre personnel. En effet, nous nous sommes rendu compte que si nous examinons tous les rapports qui ont précédé la Commission royale sur les peuples autochtones en 1996 et les autres rapports — il y en a des dizaines — concernant les études importantes qui ont été réalisées sur la relation entre les peuples autochtones et divers éléments de la société, comme le système de justice, le système d’aide à l’enfance, le système de santé, le gouvernement et que nous comparons après toutes les recommandations qui ont été proposées, force est de constater qu’elles se ressemblent beaucoup. Évidemment, nous nous sommes posé quelques questions, comme : pourquoi faut-il tant de temps, et pourquoi a-t-il fallu tant de temps, pour que des changements se produisent et que le gouvernement et la société prennent les mesures nécessaires? Pourquoi cela met-il tant de temps pour appliquer les traités et en reconnaître la validité? Pourquoi les tribunaux tardent-ils de reconnaître la relation unique qu’ont les peuples autochtones avec la société?

La réponse de notre personnel a été de dire que le gouvernement n’en avait rien à faire d’eux. Je n’étais pas prête à accepter cette réponse. Je crois qu’il veut se soucier d’eux, mais qu’il ne se soucie pas assez d’eux pour l’instant. C’est notre devoir en tant que commission de le sensibiliser à la question. C’était d’ailleurs notre objectif. Nous voulions faire réagir les gens et les inciter à prendre au sérieux ces questions. Cela a mis du temps. Il a fallu du temps pour convaincre les survivants, leur famille et leur communauté qu’il y avait encore raison d’avoir espoir et de continuer de cogner aux portes, de lutter pour faire tomber ces murs et de parler à ces gens.

Nous voulions également parler aux gens qui avaient besoin d’entendre notre message pour comprendre, par exemple, que lorsque la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens a été conclue, beaucoup de personnes du côté du gouvernement, des églises et du reste de la société pensaient qu’il était suffisant rien que de la signer et de contribuer à un fonds d’indemnisation et que leur contribution s’arrêtait là. Ils étaient convaincus que c’était aux peuples autochtones de se guérir eux-mêmes et d’œuvrer à la réconciliation. Beaucoup de gens à cette époque-là pensaient que les peuples autochtones n’avaient qu’à se remettre de tout ce qu’ils avaient vécu et passer à autre chose. Nous avons réussi à leur montrer que ce n’était pas aussi simple que cela. En effet, la société canadienne a été bâtie en fonction du principe selon lequel les peuples autochtones sont inférieurs aux institutions, aux sociétés et aux croyances européennes. Dans une certaine mesure, les peuples autochtones ont hérité de cette mythologie.

Nous avons donc été obligés de lutter contre ces façons de penser et d’aborder ces questions dès le début de notre travail. Nous avons passé beaucoup de temps là-dessus. C’est pourquoi l’un des éléments les plus importants du rapport, selon moi, que nous réitérons dans les présentations que nous donnons aux survivants et à la population en général, est que l’éducation est la clé de la réconciliation. Si nous pouvons apprendre très tôt aux enfants à parler entre eux, à parler des uns et des autres avec plus de respect et à avoir une meilleure compréhension de l’histoire de notre pays ainsi que de la société dans laquelle ils vivent, ils pourront être moteurs de changement dans l’avenir. C’est également pour cela que nous disons que la réconciliation va mettre du temps, car ces enfants doivent avoir le temps de grandir, d’être rééduqués — ou même simplement éduqués — et de prendre un jour les rênes du pouvoir.

Il reste que nous avons encore à parler aux gens qui sont maintenant au pouvoir. Nous devons leur présenter les faits qui se trouvent dans notre rapport, leur montrer ce qui ne va pas et les persuader à apporter les changements demandés, mais cela va mettre du temps, car ils sont habitués au système actuel. Quand nous nous tournons vers le gouvernement, par exemple, certaines personnes au pouvoir sont d’accord avec tout ce que nous disons, mais quand vient le temps de changer la façon dont les institutions gouvernementales fonctionnent ou la façon dont le gouvernement gère sa relation avec la population, et les peuples autochtones en particulier, elles ont de la difficulté à s’imaginer vraiment comment elles peuvent changer les choses. En conséquence, il existe une résistance intégrée, qui n’est pas vraiment de nature humaine, mais qui est plutôt due à une inertie systémique, qui empêche tout changement.

Je dis souvent que, même si nous entendons les dirigeants parler de la réconciliation, ce n’est pas encore chose faite. C’est comme mettre des lumières dans un arbre et déclarer que c’est Noël. Ce n’est pas Noël. Il en faut beaucoup plus pour que ce le soit. Il va falloir du temps. Nous devons le reconnaître. Nous devons continuer à pousser et à reconnaître qu’il faudra du temps et beaucoup d’efforts, comme ceux que vous déployez en ce moment en tentant de vous familiariser avec cet enjeu afin de parler avec d’autres sénateurs des mesures qu’il faut prendre. Je m’inclus dans ce groupe.

J’ai déjà raconté à quelques-uns d’entre vous l’anecdote suivante. Quand j’ai pris ma retraite en tant que juge, j’avais pleinement l’intention de vivre dans mon quartier la vie de luxe que je voulais. Quand le premier ministre m’a appelé pour me demander de devenir sénateur, je lui ai répondu comme suit : « Monsieur le premier ministre, je viens tout juste de prendre ma retraite. J’ai été juge pendant 28 ans. C’est l’un des postes les plus respectés de la société. Je viens de terminer le rapport de la Commission de vérité et réconciliation et je vogue sur une vague si haute que la plupart des gens sont presque en train de me vénérer. Et maintenant, que me demandez-vous? » J’ai rapidement pris conscience du défi que cela représentait. J’ai reconnu qu’il fallait que cette institution prenne ce genre de responsabilité, car elle joue un rôle essentiel dans notre société. C’est une institution importante qui favorise le changement. J’ai déjà dit à beaucoup d’entre vous à maintes reprises dans le cadre de nos travaux que nous pouvons y arriver si nous travaillons ensemble, mais qu’il faut absolument que nous nous investissions pleinement pour y arriver.

Le sénateur Brazeau : J’ai une question complémentaire, mais, par respect pour mes collègues, je la poserai lors du second tour.

La présidente : Merci, sénateur Brazeau.

Le sénateur Christmas : Félicitations, commissaires. Votre travail a été d’un très grand service au Canada et aux peuples autochtones.

Il y a plusieurs mois, j’ai pris connaissance des résultats d’un sondage révélant que les Canadiens voulaient que les questions autochtones soient réglées au Canada, et en même temps, qu’ils étaient pessimistes quant à l’idée que le gouvernement puisse y arriver. Il m’a été suggéré par un aîné que le Canada ne savait pas comment s’y prendre. J’ai réfléchi à cela. Peut-être que nous — et quand je dis « nous », je parle des Canadiens — ne savons pas quelle devrait être la prochaine étape.

C’est dans cette optique de trouver des mesures à prendre que je tiens à dire que j’ai toujours été très intrigué par l’appel à l’action 45, qui prône la signature d’une proclamation royale de réconciliation. J’ai été frappé par le fait que cet appel à l’action peut être très simple. C’est quelque chose que nous pouvons faire immédiatement et qui peut apporter les changements, ou du moins les amorcer, que j’espère voir au pays. Pourriez-vous prendre quelques instants pour élaborer, décrire et illustrer quel était votre objectif avec l’appel à l’action 45? Quelle serait la proclamation royale de réconciliation si elle était adoptée?

Mme Wilson : Je vais répondre à votre question, mais je sais que le sénateur Sinclair voudra en dire plus.

Je dirais simplement qu’il y a déjà eu une demande pour la signature d’une proclamation dans le cadre de la Commission royale sur les peuples autochtones. Dans notre examen de ce rapport et dans les consultations que nous avons eues avec l’ancien cercle des chefs nationaux, nous avons reconnu qu’il s’agissait d’une bonne initiative, qui n’avait pas encore été prise, qui était inachevée et qui devait être relancée.

Cette initiative reconnaissait la Proclamation royale de 1763, qui prévoyait en gros qu’il ne fallait pas embêter les Autochtones pour qu’ils puissent continuer à vivre comme ils l’entendent. Je ne mâche pas mes mots, mais il s’agissait essentiellement d’une promesse de non-ingérence, qui a été oubliée par bien trop de gens. Nous agissons comme si le Canada avait vu le jour lorsque tous les autres sont arrivés, comme si c’était un pays européen plutôt qu’un pays autochtone où des gens de partout dans le monde viennent s’installer depuis quelques siècles seulement.

C’est une façon de ramener et de ressusciter un principe fondateur et une disposition antérieure qui repose sur des bases à la fois morales et juridiques. C’est ainsi que je comprenais comment nous en sommes arrivés là, puis quelle direction que nous prendrions par la suite. Quant à savoir ce qu’elle contiendrait, je sais que le sénateur Sinclair y a réfléchi plus en détail que moi.

Le sénateur Sinclair : C’est à vrai dire une très bonne explication. Je veux juste ajouter quelque chose. Nous craignons que tout effort de la part du présent gouvernement ou de tout autre gouvernement soit par la suite soumis aux caprices du gouvernement suivant, qui pourrait vouloir tout défaire. Nous craignons beaucoup que les forces politiques en présence veuillent davantage avoir accès aux ressources sur les terres autochtones et les retirer. Nous pensons que des gens pourraient craindre les droits que des Autochtones détiennent sur les terres qui leur appartiennent et qu’ils revendiquent depuis toujours comme faisant partie de leurs territoires traditionnels. Nous craignons qu’il y ait des gens encore prêts à invoquer la loi pour outrepasser les droits des Autochtones. Nous craignons donc que les futurs gouvernements ne prennent pas autant au sérieux la réconciliation que le présent gouvernement la prend ou que le prochain gouvernement pourrait la prendre ou la prendra peut-être. Nous craignons que, dans 50 ans, des gens changent d’idée et décident de revenir en arrière et tentent d’éliminer le peuple autochtone de la sphère juridique dans notre pays.

Donc, une des raisons pour lesquelles une proclamation royale de réconciliation a été jugée importante est qu’elle constituerait un document constitutionnel pouvant être produit unilatéralement par le gouvernement fédéral, mais qui aurait un statut constitutionnel qui définirait une fois pour toutes la nature de la relation entre les peuples autochtones et non autochtones dans notre pays. Par conséquent, la relation de réconciliation et l’engagement à réaliser la réconciliation ce qui, comme je vous l’ai déjà mentionné, prendra plusieurs générations, ne pourront pas être freinés facilement et pourraient en fait constituer une obligation. C’est pour cette raison que nous avons jugé une telle proclamation nécessaire.

Vous vous rappelez sans doute, en lisant l’appel à l’action juste avant, que nous avons aussi demandé un conseil national de réconciliation, qui soit composé des diverses parties à la convention de règlement et qui serait l’organe de travail qui ferait de la réconciliation une partie active de notre paysage socio-politique. Il s’agissait d’amener les gens ainsi que les gouvernements et institutions qui avaient déjà indiqué vouloir s’engager, à s’engager à l’égard de la réconciliation. Ils étaient prêts à s’engager. Nous avons dit : « Si vous prenez cela au sérieux, voici comment procéder. »

Le sénateur Christmas : Au sujet de l’appel à l’action concernant un conseil national, je crois comprendre qu’il y a des mesures à venir à cet égard. Est-ce que ces mesures vont dans le sens de votre appel à l’action au sujet d’un conseil national?

Mme Wilson : Je sais que votre question s’adresse au sénateur Sinclair, mais je veux préciser un point parce qu’il s’est mal exprimé et je sais qu’il ne s’en est pas rendu compte. Il faisait allusion à un pacte de réconciliation, ce qui est différent d’un conseil national. Je sais que votre question porte sur le conseil national. Je veux m’assurer que nous ne confondons pas les deux. Les parties à la convention de règlement étaient liées au pacte. Posez maintenant votre question sur le conseil.

Le sénateur Christmas : J’essaie simplement d’obtenir le point de vue de la commissaire sur les mesures prises pour mettre en place le conseil national. Correspondent-elles à ce qui était prévu?

Le sénateur Sinclair : Eh bien, nous pensons que cela aurait pu être fait plus rapidement. C’était une étape qui allait être relativement simple du fait que les parties étaient toutes en place. Il y avait un organe national d’entités et de représentants du gouvernement, des églises et des survivants déjà en place. En proposant un conseil national de réconciliation, notre but était de rendre tout cela officiel. Cela aurait pu se faire plus rapidement.

Une des préoccupations que j’avais — et je l’ai exprimée au gouvernement —, c’est que certains au gouvernement voudraient que nous fassions des consultations et ce, après avoir lu le rapport faisant suite aux consultations que nous avons menées pendant près de huit ans — et je parle des consultations de plusieurs milliers de personnes et non seulement des déclarations que nous avons consignées et je précise que nous en avons probablement consulté 10 000 à 15 000. Mener des consultations après tout ce que nous avons fait n’est, à mon avis, qu’un prétexte pour temporiser. On n’a pas besoin de faire des consultations lorsqu’un rapport découlant de consultations a déjà été présenté.

Plus tôt, quelqu’un a demandé ce que nous devons faire pour atteindre notre but. Il y a une chose que nous voulions que les gens sachent aussi dans notre rapport final et c’est que nous pensons avoir défini un processus qui nous mènera vers une relation fondée sur un processus de réconciliation. C’est ce qui est important, à savoir qu’il y a une marche à suivre de définie, un processus défini. Si nous regardons les appels à l’action, ils sont présentés d’une certaine façon. Nous pensons que, si nous y répondons systématiquement avec les entités que nous réclamons, y compris le conseil national, au final, il y aura une sorte de relation que nous envisageons comme faisant partie du mouvement de réconciliation.

Mme Wilson : Si je pouvais ajouter un mot à votre question, je dirais, premièrement, sommes-nous satisfaits de ce qui a été proposé jusqu’à maintenant? Je suis tout à fait d’accord avec le sénateur Sinclair. Je trouve décevant qu’il ait fallu autant de temps. Nous avons bien dit que le bloc d’appels à l’action de 53 à 56 était parmi les plus urgents. L’idée d’un conseil national était une priorité. Loin des yeux, loin du cœur : c’est l’histoire des peuples autochtones au Canada depuis tellement longtemps que nous en sommes arrivés à ne pas nous connaître mutuellement, et encore moins à nous considérer. Le conseil national devait servir à nous assurer de ne pas oublier tout ce que nous avons appris et de ne pas rester silencieux sur les enjeux capitaux.

Le conseil national aurait une double fonction. L’une d’elles permettrait de faire un suivi de la mise en œuvre des 94 appels à l’action, pour qu’on puisse dire si l’on s’efforce, au minimum, de suivre les recommandations découlant des vastes consultations menées.

La deuxième fonction serait de fournir un moyen de créer une sorte de rapport annuel indiquant si les choses s’améliorent ou empirent et, si elles s’améliorent, dans quel domaine. Il faudra alors faire plus de ce qui fonctionne. Pour celles qui empirent, il faudrait approfondir la question pour savoir pourquoi et voir ce que nous pouvons faire. Pour pouvoir faire cela, le conseil doit avoir des dents, des pouvoirs, de l’indépendance, la volonté de le faire et assez de poids pour que les autres sources d’information — les autres ordres de gouvernement et organismes — soient obligées de fournir de l’information et ne puissent pas se contenter de dire qu’elles n’en ont pas envie, qu’elles sont trop occupées ou qu’elles l’ont fait l’année précédente.

Pour répondre à votre question sur ce qui se passe en ce moment, je crois comprendre qu’il y aura un processus intérimaire qui consistera à définir ses pouvoirs et à préciser son mandat. Il sera beaucoup plus important de voir ce qui est proposé au juste, ce qu’il suggérera et s’il aura les moyens de fournir le genre d’information substantielle dont nous avons besoin pour rester bien informés, pour nous assurer que notre pays améliore les choses, que nous prêtons attention aux domaines où nous reculons et que nous trouvons des façons de souligner les domaines où nous faisons de grands progrès.

Le sénateur Sinclair : Une autre préoccupation sur laquelle je veux aussi attirer l’attention est que nous avons longuement discuté de tous les appels à l’action que nous avons présentés. Ce que nous craignons au sujet des appels à l’action c’est, de manière générale, que les gouvernements et les parties qui les lisent fassent des choix sans regarder l’ensemble du plan. Ainsi, on pourrait créer une entité unique, notamment un conseil national de réconciliation, sans le pacte de réconciliation ni la proclamation royale de réconciliation. Il pourrait ne pas y avoir d’engagement pour garantir que les étudiants dans les écoles reçoivent une bonne éducation. Il n’y aura pas les divers changements institutionnels auxquels nous demandons aux gens en affaires de s’engager.

On ne peut pas choisir son appel à l’action préféré et s’y limiter. Lorsque les gens nous demandent ce qu’ils peuvent faire, je leur dis toujours de lire un appel à l’action et de travailler dessus, mais le but est toujours de regarder l’ensemble des appels à l’action pour le conseil national et de s’assurer que le processus, la voie vers la réconciliation que nous définissons dans nos appels à l’action, est suivi en entier. Si l’on ne suit que la moitié des appels à l’action, on ne se rapprochera jamais d’une réconciliation. C’est ce que je crains.

Le sénateur Christmas : Merci, commissaires.

La sénatrice McCallum : Je tenais à vous remercier de votre travail assidu et de l’esprit dans lequel vous l’avez fait. J’ai travaillé dans le domaine de la prestation de soins de santé aux Premières Nations à l’échelle communautaire pendant près de 40 ans. La question ne se limite pas aux soins dentaires. Il faut tenir compte des déterminants sociaux de la santé et tenter d’élargir les concepts limités qui sont enseignés dans les écoles d’art dentaire, comme le fait que les maladies dentaires soient causées par des bactéries. C’est vrai, mais ce sont les déterminants sociaux de la santé qui font qu’elles perdurent. Nous n’avons fait aucun progrès en matière de maladies dentaires. En fait, durant toutes ces années, la situation n’a fait que s’aggraver.

J’étais cynique et pessimiste quant au fait de pouvoir changer la dynamique pour pouvoir poursuivre notre relation avec le gouvernement fédéral. Je me suis penchée sur le mandat de ce comité. J’en ai parlé à la sénatrice Dyck parce que j’avais la triste impression que rien ne pourrait jamais changer. Puis, quand je suis retournée à mon bureau, je me suis rendu compte que je n’avais pas de solution pour régler le problème. J’ai tenté de trouver une solution par tous les moyens. C’est en abandonnant cette perspective que j’aie été capable de changer de point de vue et de me dire que le changement était possible. C’est l’un des grands changements de perspective que j’ai dû faire pour être en mesure de travailler ici en tant que sénatrice, soit de me dire que ce travail était positif et que le changement était possible.

Je travaille avec des Premières Nations qui ont eu à transférer leurs programmes dentaires et d’autres programmes pendant 26 ans. J’ai commencé à travailler avec elles en 2013. Cela fait donc cinq ans que nous luttons contre le gouvernement rien que pour la question du financement, car ils n’assurent que la moitié du financement pour un dentiste qui fournit des services à 12 000 personnes.

Nous travaillons dans un contexte écrasant. Le manque de soins personnels et de compétences parentales, les dépendances, l’itinérance, l’insécurité alimentaire et les abus sexuels et physiques sont partout dans toutes les communautés des Premières Nations. Compte tenu de la position du gouvernement, je ne peux que constater le déséquilibre des forces, qui lui donne le pouvoir de prendre des décisions unilatérales fondées sur les politiques de limitation du coût des médicaments et l’interprétation qu’en font les représentants de Santé Canada même quand un accord officiel est en place.

Quand on est conscient de l’ampleur de la situation et qu’on lutte à partir de là, de l’intérieur, cela peut être accablant, mais on poursuit le combat. C’est un enjeu qui transcende les champs de compétence. Il est question de santé, de gouvernance et de justice. Compte tenu du fait que Santé Canada favorise une approche par silo de la prestation de soins de santé, nous avons fait peu de progrès. Ils sont en train de présenter au Conseil du Trésor une proposition, chose qui n’a jamais été faite auparavant. Donc, c’est un pas dans la bonne direction. Or, j’ai eu à me détacher de cette initiative, car je risquais d’avoir un conflit d’intérêts. En effet, je travaille toujours avec eux en matière de soins directs aux patients.

Aux vues de la situation, il est évident, pour moi, que le Canada se moque du fait qu’il mette tant de temps pour changer les choses. Les communautés touchées se penchent avec les écoles sur les déterminants sociaux afin que les enfants puissent en être mis au courant. Les communautés participent. Elles ont des programmes, dont des programmes éducatifs en plein air, et elles sont sur la bonne voie.

J’ai été dentiste régionale pendant quatre ans pour la province. Quand je travaillais dans ce bureau-là, je travaillais avec les gens sur le terrain, et je leur disais que j’allais travailler avec eux et je leur expliquais comment nous allions les aider. Je sais donc qu’il est possible de travailler avec les Premières Nations, mais ce n’est pas ce qui se fait en ce moment.

Quelles sont les prochaines étapes? Nous avons écrit à la ministre de la Santé à ce propos, c’est-à-dire au sujet du manque de respect des principes de gouvernance. Il s’agit d’un problème qui est bien enraciné. Étant donné que Santé Canada n’aborde pas la question de la gouvernance, il ne cesse d’y avoir des micros problèmes. Ils ne font rien en ce sens. Nous l’avons donc dit à la ministre. Elle nous a répondu qu’elle s’occupait de notre proposition. Or, elle est en suspens dans la région du Manitoba en raison des mêmes personnes qui refusent de travailler avec nous et de nous considérer comme des partenaires. C’est pour cela que je dis que je suis cynique. Toutefois, je n’ai jamais auparavant abandonné de projet que j’ai entamé. Je crois que je cherche à obtenir votre aide ainsi que l’aide de tous ceux qui sont ici afin de trouver ce qu’il faut faire maintenant, sachant que nous avons déjà essayé de travailler avec eux de gouvernement à gouvernement et qu’ils ont refusé de nous reconnaître comme tels.

Mme Wilson : Vous soulevez de nombreuses questions et je ne me permettrais pas d’entrer dans les détails pour un grand nombre d’entre elles. Je vous dirais trois choses.

Premièrement, les maladies dentaires, les lacunes au chapitre des soins personnels et des compétences parentales, les problèmes de toxicomanie et d’itinérance de même que les disputes entre les différents ordres de gouvernement au sujet de la prestation des services sont autant de questions qui ont été soulevées lors des audiences publiques que nous avons tenues.

Lorsque c’était moi qui présidais les séances, j’ai circonscrit le débat en posant quatre questions d’ouverture. La première était : quelle vie meniez-vous avant l’arrivée des pensionnats ? La deuxième était : que vous est-il arrivé au pensionnat? Qu’avez-vous vécu au pensionnat? La troisième était : quelle vie avez-vous menée une fois que vous avez quitté le pensionnat? La quatrième était : à quoi ressemblerait, selon vous, une réconciliation?

En réponse à la quatrième question et à celle sur leur vie une fois partis du pensionnat, les gens ont soulevé toutes ces questions. Ils n’ont pas parlé que des pensionnats, mais aussi des conséquences et de toutes ces choses. Je dis cela, d’abord et avant tout, pour que vous sachiez que ce sont des questions dont nous avons entendu parler et je sais qu’elles sont toujours actuelles et qu’elles persistent.

Deuxièmement, je dirais que nous avons fait notre possible pour couvrir l’ensemble des appels à l’action sur les questions de santé aux articles 18 à 24. Il y a toute une section d’appels à l’action concernant la santé et certaines découlent du principe de Jordan ainsi que de questions interjuridictionnelles et des principes qui les sous-tendent.

Troisièmement, dans mon introduction, lorsque j’ai dit qu’il fallait demander des comptes au gouvernement, le gouvernement a dit — et je pense que c’est une chose très utile pour nous tous — qu’il appuyait et endossait les 94 appels à l’action. C’est une bonne chose parce que cela crée une attente à partir de laquelle nous pourrons poser des questions, faire valoir notre point de vue, faire pression et dire : « Que dire des appels à l’action 18 à 24? Lesquels correspondent à ces problèmes? » Si on peut faire un lien avec les appels à l’action que le gouvernement s’est engagé à soutenir, il y a peut-être moyen de s’en servir.

Mis à part cela, je ne suis pas certaine de savoir quoi répondre à vos nombreuses questions.

Le sénateur Sinclair : Pour commencer, permettez-moi de répondre à la première question que vous avez soulevée, qui est que vous étiez prêt à jeter l’éponge et que vous croyiez qu’il y avait peu d’espoir que les choses changent. C’est un sentiment que nous avons entendu de nombreuses personnes. Dans une certaine mesure, comme commissaires, il nous arrivait d’avoir la même impression dans notre travail du fait que nous entendions tellement d’histoires de gens qui avaient traversé tellement de choses et que nous ne nous entendions pas à entendre tant d’histoires de tant de gens sur ce qui leur était arrivé, sans compter toute la négativité les entourant. Même ceux qui n’avaient jamais été maltraités nous ont dit avoir un sentiment de perte du fait qu’ils ont perdu leur langue et leur culture et avoir eu peur de devenir eux aussi victimes lorsqu’ils étaient au pensionnat. Ils disaient souvent : « Le gouvernement ne changera jamais. Il ne fera rien pour nous aider. Il ne fera rien différemment. Nous sommes sous sa coupe et il nous ne laissera jamais sortir. »

Je me suis mis à réfléchir attentivement à tout cela parce que c’est un sentiment qui peut être communicatif et nous amener à nous demander si nous arriverons à améliorer quoi que ce soit. Je vais vous dire ce qui me permet de passer au travers maintenant et ce qui m’a permis de passer au travers à ce moment-là. C’est la conviction qu’il ne faut pas croire qu’il y aura une réconciliation, mais bien qu’il doit y avoir une réconciliation. C’est ce qui vous permettra de passer au travers. Il faut être convaincu qu’il faut faire quelque chose. Si l’on croit que cela arrivera, puis que cela n’arrive pas, on renoncera très facilement à y croire. Il faut plutôt se dire que cela doit être fait et qu’il faut faire son possible pour y arriver.

En réalité, vous adressez probablement aux mauvaises personnes votre question au sujet de ce problème particulier, car les gens qui militent, prennent des mesures et se battent à ce sujet sur le terrain sont les personnes qui pourraient vous dire ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. Je vous donnerai l’adresse de Cindy Blackstock, après, et je vous suggère de discuter avec elle. C’est bon?

La sénatrice McCallum : J’aimerais juste faire une observation. Quand nous nous sommes penchés sur le programme que la collectivité et moi envisagions, nous avons regardé les appels à l’action 21 et 22 et nous les avons combinés. Ce n’est pas un centre de guérison, mais c’est… C’est un centre de guérison, mais pour des soins dentaires. Nous avons écrit au Cabinet du premier ministre à ce sujet, au sujet de la gouvernance, mais il n’y a eu aucune réponse. Je crois que c’est là… Qu’est-ce qu’on fait, alors? Comme le sénateur Sinclair l’a dit, il faut dire que la réconciliation doit se faire.

Le sénateur Sinclair : Vous devez aussi trouver des personnes qui vont vous aider à réaliser cela. Cela ne va pas arriver simplement parce que vous le souhaitez.

La sénatrice McCallum : Oui.

Le sénateur Sinclair : Nous estimions que la question des centres de guérison était très importante, parce qu’à mi-chemin de notre travail avec la Commission de vérité et réconciliation, le gouvernement a cessé de financer la Fondation autochtone de guérison, qui finançait les centres de guérison et les programmes de guérisons partout au pays, dont tous produisaient des effets incroyablement positifs sur les vies des survivants et des collectivités autochtones. Nous avons pu sentir immédiatement les conséquences de cette perte de financement du côté des collectivités et des survivants, dans le travail que nous accomplissions, car ils se sont mis à chercher partout un moyen de continuer de soutenir le processus de guérison qu’ils avaient entrepris. C’était donc une question importante, car vous ne pouvez pas passer 150 ans à opprimer des gens et à les priver de leurs droits, leur causer un énorme préjudice, pour ensuite leur dire tout à coup : « Ça va aller maintenant, parce qu’on va arrêter de vous faire du tort. » Cela ne fonctionne pas ainsi. Vous devez maintenant vous engager dans un processus de réparation des torts.

Selon la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, les gouvernements ont l’obligation de réparer ce qui doit être réparé, de remplacer ce qui a été pris et de venir en aide aux gens dans le processus de guérison alors qu’ils ont consacré tant de temps, d’énergie et de ressources à essayer de les détruire. Il faut que le gouvernement accepte cela. S’il souscrit à la déclaration des Nations Unies, il doit s’engager à cela et vous leur avez dit de le faire. Mais ce n’est pas parce que vous le dites que cela va se faire; vous devez trouver un moyen de le dire efficacement.

La sénatrice McPhedran : Merci d’être ici avec nous, madame Wilson, sénateur Sinclair.

J’aimerais revenir sur votre recommandation au sujet de ce que vous avez appelé une nouvelle proclamation royale et obtenir un peu plus de détails. Je dois dire que j’ai toujours été fascinée par la décision de garder l’adjectif « royal ». J’aimerais que vous m’expliquiez un peu mieux cela, compte tenu de l’article 25 de la Loi constitutionnelle de 1982, qui mentionne directement la proclamation, et compte tenu également de l’attention que porte le comité aux relations de nation à nation.

Ma question porte en fait sur le rôle optimal d’une nouvelle proclamation selon l’architecture de réconciliation dont vous nous parlez ce soir, et sur la façon d’intégrer des mécanismes de durabilité qui vont survivre aux changements de gouvernement. Voyez-vous la nouvelle proclamation royale possible comme étant une application nationale de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones? Est-ce que l’essentiel de la déclaration actuelle se retrouverait dans notre propre proclamation canadienne? Pouvez-vous m’aider à comprendre un peu mieux le libellé que nous recherchons?

Le sénateur Sinclair : Il ne nous incombe pas de décider de la teneur de la proclamation.

Permettez-moi d’abord d’éclaircir la première chose que vous avez soulevée à propos d’une proclamation royale, par rapport à une simple proclamation. En droit, il y a une différence importante. Quand nous en avons discuté avec les aînés dans l’Ouest en particulier — et c’est un aspect pour lequel nous avions beaucoup d’expérience en raison de l’influence et des contacts que le commissaire Littlechild avait avec les chefs de nations signataires de traités —, on a fermement soutenu que l’une des choses que la commission devait faire, c’était raffermir la relation que la Couronne entretenait avec les peuples autochtones du Canada; que la relation, particulièrement dans le cadre des traités, n’était pas avec le Canada, mais bien avec la reine. C’était important pour les aînés, et ils ne voulaient pas que nous nous mêlions de changer cela. Cette relation devait se refléter dans nos appels à l’action. Cela explique donc cet état de fait.

Cependant, en plus de cela, en droit, il y a une différence entre une proclamation et une proclamation royale. La proclamation royale a un statut spécial en droit. C’est un document constitutionnel. Une proclamation est en fait une déclaration coloniale émise par le Home Office, en Angleterre, et n’a donc pas le même statut. La proclamation royale est plus difficile à modifier, et elle est en fait la déclaration du chef d’État sur la relation, dans ce cas en particulier, mais il s’agit d’une déclaration du chef d’État sur un ensemble particulier d’affaires juridiques. Nous avons donc misé sur cette expérience et sur ce principe pour en arriver à cet appel à l’action.

D’après nous, il ne nous appartient pas et il n’appartient pas au gouvernement de définir les éléments de la proclamation royale. Si vous regardez le libellé de l’appel à l’action, vous verrez que nous disons que le gouvernement doit consulter les peuples des Premières Nations et les peuples autochtones pour déterminer le libellé, la teneur d’une proclamation royale.

En tant que juriste et avocat, je peux vous dire que je ne vois pas nécessairement la teneur de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones se retrouver telle quelle automatiquement dans une proclamation royale, car une proclamation royale est, en fait, un engagement pris par la Couronne à l’égard d’une situation liée à des affaires juridiques, à l’état du droit. Donc, si la Couronne énonce le type de relation qu’elle aura ou la façon dont elle va se comporter concernant certaines choses, ou encore la façon dont elle va traiter ces choses, elle devrait s’appuyer sur d’autres documents dans lesquels elle l’a déjà fait.

La Proclamation royale de 1763 comportait un nombre important d’énoncés juridiques au sujet de la relation que la Couronne aurait avec les peuples autochtones, et la promesse de ne pas empiéter sur les droits des peuples autochtones en était un élément clé. Il y avait cependant dans cette proclamation royale des éléments que les peuples autochtones trouveraient inacceptables aujourd’hui, d’après moi, alors nous ne suggérons pas de ramener cela.

Cela était aussi conforme à l’idée d’une proclamation royale qui se trouve dans les recommandations de la Commission royale sur les peuples autochtones, car ils ont expliqué cela en disant qu’il était temps que nous redéfinissions notre relation, et que la meilleure façon de le faire était une proclamation royale dans laquelle, en tant que peuples autochtones, nous aurions notre mot à dire.

Je ne sais pas si cela répond à votre question, mais c’est le raisonnement que nous avons eu pour cet appel à l’action.

Mme Wilson : Je crois que vous l’avez bien expliqué.

La sénatrice McPhedran : J’aimerais juste un peu plus d’éclaircissements. Donc, dans le cadre du travail que nous essayons d’accomplir, compte tenu des facteurs pratiques et des recommandations que le comité cherche à élaborer pour la nation, des efforts pour approfondir les choses davantage et pour mettre l’accent sur la mise en œuvre, la vision à long terme et l’établissement de la relation de nation à nation à nation, est-ce que la proclamation royale est vue comme étant le document juridique central pour assurer la réconciliation à l’avenir?

Le sénateur Sinclair : C’est un des éléments.

La sénatrice McPhedran : Ce n’est donc pas central.

Le sénateur Sinclair : Eh bien, cela dépend de l’état du processus qui a cours. N’oubliez pas, encore une fois, que dans les appels à l’action, nous avons parlé de la Déclaration des Nations Unies sur les droits de la personne et de l’importance de cela comme cadre de réconciliation. Ce que nous avons voulu dire par là, c’est que si vous lisez la proclamation royale — c’est un document très court qui ne comporte que 46 articles —, vous allez comprendre ce que les États doivent faire pour comprendre le passé et leur relation avec les peuples autochtones partout dans le monde. C’est donc un document juridique important. L’engagement à l’égard de ce document juridique est essentiel, car il doit faire partie des éléments juridiques que nous allons avoir.

Le pacte sur la réconciliation est également important parce que c’est comme un traité. Nous avons appelé cela un pacte, et non un traité, mais nous avons dit qu’un pacte sur la réconciliation est un engagement écrit de la part de toutes les parties présentes et futures à la relation concernant le type de relation qu’elles souhaitent. La proclamation royale, c’est une déclaration du chef de l’État voulant que ce soit le type de relation dont le pays ne peut se retirer.

La présidente : Avant de passer au deuxième tour, j’aimerais…

Le sénateur Sinclair : Vous voulez dire que nous devons refaire la même chose?

La présidente : Ce n’était qu’un tour d’essai. Je blague.

Madame Wilson, je vous remercie beaucoup de votre exposé. Vous avez commencé en disant que vous étiez très fâchée et irritée, puis vous avez dit avoir plus d’espoir après être allée en Finlande et après avoir entendu les propos de votre petite-fille au sujet de l’imagination. Notre comité a dû composer avec cela, et le sénateur Sinclair le sait très bien, parce qu’il a été membre de notre comité directeur pendant un certain temps. Nous avons eu de la difficulté à déterminer la façon de procéder. En gros, je pense que nous espérons amener les gens à utiliser leur imagination, comme votre petite-fille l’a fait, parce que nous avons tendance à nous limiter.

Vous avez mentionné, madame Wilson, que vous avez eu quatre questions, pendant vos travaux à la commission. Nous avons établi un ensemble de cinq questions dans l’espoir que cela amène les gens à réfléchir à ce que vous envisagez pour vos petits-enfants. Quelle serait votre vision d’un monde où vous auriez les droits et un accès égal? Nous essayons de les amener à exprimer cela, mais pas en termes juridiques. Nous voulons savoir de quoi cela aurait l’air. J’ai presque peur de vous poser ma question, mais voilà. Trouvez-vous que c’est une bonne idée? Croyez-vous que cela va fonctionner?

Mme Wilson : En guise d’approche?

La présidente : Oui. Nous voulons nous rendre sur place, et nous avons eu quelques séances d’essai, ici à Ottawa, avec des gens qui sont venus nous voir. Nous leur avons demandé de nous dire ce qu’ils verraient, si la situation était mieux. Souvent, ce qui se produit, c’est que les gens tendent à rester pris dans le passé, puis on se met à parler des problèmes. Nous cherchons à cesser d’examiner les problèmes et de regarder vers le passé pour plutôt regarder vers l’avenir.

Mme Wilson : Je ne voudrais pas que ce soit perçu comme une qualification absolue de votre démarche ou de votre façon de procéder. Je dirais — et je l’ai déjà dit ailleurs — que je souhaite ardemment que les gens établissent leurs plans d’action en fonction des tâches découlant des appels à l’action de la CVR, plutôt que d’arriver avec une nouvelle idée, ou une nouvelle chose à faire. Parce que le nombre de choses que nous pourrions énumérer et inclure est sans fin, de même que les diverses façons d’exprimer les mêmes choses. Comme le sénateur Sinclair l’a dit, les rapports antérieurs comportent souvent bon nombre des choses que nous avons dites.

Ce que je cherche toujours à rappeler aux gens — et je ne l’ai pas précisé aujourd’hui —, c’est qu’il est très important de ne pas cesser de relater cette partie de l’histoire. Pour commencer, la Commission n’a pas existé parce que tout allait bien au Canada, mais parce qu’il y avait un problème grave et que les tribunaux en avaient convenu : il s’était passé quelque chose de très grave.

Deuxièmement, nous avons eu une CVR dans ce pays parce que les survivants, les victimes de méfaits, ont pris des mesures, et non parce qu’un gouvernement très audacieux a dit qu’il s’était passé quelque chose de terrible et qu’il fallait réparer cela. C’est le contraire. Il y a eu de la résistance et les tribunaux ont obligé le gouvernement à tenir une CVR.

Nous avons déjà un genre de plan directeur. Nous l’avons établi au meilleur de nos capacités, avec nos efforts les plus sincères et à force de beaucoup de travail, avec le soutien de notre personnel entier. Ce plan précise les aspects sur lesquels il est urgent de se pencher, alors tout ce qui donne à croire qu’on cherche à trouver autre chose à faire me consterne. Je vous dis cela honnêtement. Ce dont je veux que les gens parlent — et je les encourage à le faire —, c’est de la façon de faire les choses, car il n’y a rien qui décrit cela. Nous avons décrit « quoi », mais pas « comment ».

Ce que nous disons constamment et à répétition, mais de diverses manières — si vous lisez le document —, c’est qu’un des éléments du « comment » est le travail en consultation, en partenariat, en collaboration et de concert avec les organisations autochtones, les peuples autochtones, les collectivités autochtones, les gouvernements autochtones, les autres ordres de gouvernement, et ainsi de suite.

Je pense donc que pour vous attaquer à ce que vous cherchez à faire, je voudrais savoir quelle est votre activité principale et comment la réconciliation se situe dans l’activité principale du Sénat du Canada. Comment cela étaye-t-il ce que vous faites, comment abordez-vous cela, qui incluez-vous dans ce travail et à quoi pouvez-vous vous attaquer sur la liste qui existe déjà afin de régler la question pour de bon? Ou bien voici comment nous allons faire les choses dont nous sommes saisis en recourant à de nouveaux moyens. Je crois que l’enjeu, c’est toujours de déterminer les nouvelles choses que nous pouvons faire et les vieilles choses que nous pouvons faire d’une nouvelle manière ou d’une bien meilleure manière, et de toujours avoir cette conversation. C’est ce que j’encouragerais vraiment.

Je ne dis pas que vous ne devez pas aller voir les gens et leur parler, mais je pense que si c’est une consultation toute grande ouverte, d’une certaine façon, cela ne tient pas compte du sang, de la sueur, des larmes, du cœur et de l’âme des survivants, représentés dans les appels à l’action et les autres choses qui sont à la base des 10 volumes de notre rapport. Il faut respecter ce travail comme étant le point de départ plutôt qu’un autre point de départ.

Le sénateur Sinclair : J’ai contribué à définir le mandat. Je me souviens très bien de nos conversations. Ce que la commissaire Wilson a dit correspond à certaines des choses que j’ai dites lors de nos diverses réunions de planification.

Il est important que l’objectif ultime du comité soit essentiellement de recommander au Sénat ce qu’il doit faire. Ce n’est pas censé être une recommandation au pays. C’est ce que notre rapport ainsi que d’autres rapports ont fait. L’attention doit porter sur les recommandations à faire aux sénateurs : « Voici les choses que nous avons découvertes après avoir parlé aux représentants des peuples autochtones et que nous avons incluses dans la conversation à propos des appels à l’action de la CVR. Nous pensons qu’à titre de sénateurs, nous pouvons et devons faire ces choses. »

La présidente : Merci. J’aimerais aussi demander quelque chose, avant que nous passions au deuxième tour. Madame Wilson, vous avez aussi parlé de la deuxième force qui s’appauvrit…

Mme Wilson : Je suis désolée. Je ne vous ai pas entendue.

La présidente : La deuxième chose dont vous avez parlé était la force qui s’appauvrit, et vous parliez précisément du verdict dans le procès de Gerald Stanley, qui a tiré sur Colten Boushie. Sa famille était ici cette semaine. Nous sommes plusieurs à les avoir rencontrés, et ils ont aussi rencontré divers parlementaires. Vous avez dit que cela s’appauvrissait, et je me demande si vous pouviez nous parler un peu de cela. Je pensais initialement que cela s’appauvrissait, mais je pense que l’effet a été énorme. Cela a commencé par une vague d’activité qui a formé des ondes, et cela n’arrête plus. Pouvez-vous voir ce genre de choses? Je sais qu’il est déprimant de penser que, à certains égards, nous avons peut-être reculé jusqu’aux années 1950, comme je crois que vous l’avez dit, mais pensez-vous que ce pourrait être un changement positif?

Mme Wilson : Je suis une personne très positive de nature. J’essaie de demeurer optimiste, et je crois fermement que de bonnes choses résultent souvent de mauvaises choses, ou que des éléments positifs découlent souvent de difficultés. Je vois le potentiel de cet événement, mais j’en ai parlé simplement parce que nous en sommes à un moment marquant. Tout ce qui peut accroître l’attention est utile. Tout ce qui indique que ce n’est pas imaginaire, mais bien réel est utile pour maintenir l’élan et nous rappeler nos responsabilités respectives. Je le constate. Quand j’ai dit « démoralisant », j’entendais pour l’âme. Cela ne change pas cette partie, et c’est ce que je voulais dire.

Le sénateur Sinclair : L’analogie que j’ai utilisée tout à l’heure, quand j’ai dit que c’est comme mettre des lumières dans un arbre et déclarer que c’est Noël, me vient à l’esprit également dans cette discussion, car je suis l’un des sénateurs qui ont rencontré la famille aujourd’hui. Selon moi, on a prononcé beaucoup de paroles pour rassurer la famille et lui dire que des mesures seront prises à la suite de ce qui s’est produit, mais en ce moment, c’est comme mettre des lumières dans un arbre. La véritable question à se poser, maintenant, est la suivante : quels sont les plans d’action qui vont en découler? Je pense que cela reste à voir.

Le sénateur Brazeau : J’aimerais revenir sur ce dont nous avons discuté plus tôt concernant la mise en œuvre concrète des appels à l’action. Sénateur Sinclair, vous avez également parlé de volonté politique. Permettez-moi de prendre quelques instants pour partager avec vous quelques éléments de mon imagination.

Des gouvernements de toutes les allégeances politiques se succèdent. Ils changent. Ce qui demeure souvent une constante, ce sont les fonctionnaires, à Affaires autochtones et au Bureau du Conseil privé, par exemple. Leur rôle, peu importe qui est au pouvoir, est de formuler des suggestions, des recommandations et des conseils sur la façon d’aller de l’avant. D’après mon expérience, le rôle de ces deux ministères, en particulier, est de tenter de maintenir autant que possible le statu quo, d’éviter de contrarier quelqu’un, et de traiter les problèmes au cas par cas, à mesure qu’ils se présentent. Je crois fermement que c’est la position des fonctionnaires du ministère des Affaires autochtones et de ceux du Bureau du Conseil privé.

Nous voyons peut-être souvent une volonté politique de la part de diverses personnes, mais si ces personnes ne sont pas en mesure d’aller à l’encontre des avis de leur propre ministère, comment pouvons-nous réussir à percer une brèche dans ces forteresses pour faire en sorte que les choses progressent, pour que les gouvernements fassent ce qui s’impose et qu’ils commencent à mettre en œuvre certains de ces appels à l’action, en l’occurrence, et pour que ce rapport ne s’empoussière pas sur une tablette comme celui de la Commission royale sur les peuples autochtones? Comment créer une brèche dans ces forteresses? Qu’on veuille l’admettre ou non, elles existent, et je l’ai constaté.

Le sénateur Sinclair : C’est une excellente question, sénateur. Je tiens à ce que vous sachiez que c’est une question que nous avons souvent abordée, en tant que commissaires, durant nos discussions concernant les appels à l’action. Qu’allons-nous dire pour faire changer les choses? Comme je l’ai indiqué plus tôt, avec le plan que nous avons élaboré, nous avons toujours été convaincus que c’est ce qui nous permettra d’y parvenir, si les gens font ce que nous leur demandons de faire.

Il ne fait aucun doute qu’il y a beaucoup d’inertie au sein du gouvernement. Il existe une certaine lourdeur dans la bureaucratie gouvernementale; on évite de prendre une autre direction et de changer les choses trop vite et trop en profondeur. Certaines personnes — dont certaines occupent des postes de haute direction, ministres, sous-ministres et sous-ministres adjoints — sont prêtes à tenter d’accomplir des choses.

Il y a toutefois également des forces extérieures au gouvernement et aux ministères qui les obligent à agir d’une façon qui les empêche de faire les choses qui, selon eux, s’imposeraient. Les rapports de vérification, le vérificateur général et d’autres hauts fonctionnaires du Parlement qui surveillent la façon dont les ministères se comportent doivent aussi adhérer au dialogue sur la réconciliation. Il faudra beaucoup d’efforts pour que cette discussion ait lieu, et cela nécessitera une orientation de la part des dirigeants du gouvernement pour l’ensemble du système.

Je peux vous dire que, d’après nos discussions en tant que commissaires et d’après les recherches que j’ai menées à une autre époque, lorsque j’étais responsable de l’enquête sur la justice au Manitoba, lorsque nous avons vérifié quels pays ont réussi à modifier la relation qu’ils entretenaient avec les peuples autochtones, nous avons été surpris de constater que les États-Unis y avaient apporté des changements importants. En 1973, le président Richard Nixon a modifié considérablement la relation grâce à un décret présidentiel visant les tribus amérindiennes en déclarant que, à partir de ce moment-là, le gouvernement des États-Unis et les tribus amérindiennes entretiendraient une relation de nation à nation.

Ce décret présidentiel ne signifie pas grand-chose en soi, mais il en a résulté que tous les ministères se sont fait dire que leurs succès, leurs actions et toutes leurs initiatives seraient évalués, selon qu’ils contribuaient ou qu’ils nuisaient à la relation de nation à nation. Et s’ils ne favorisaient pas la relation de nation à nation, on ne les autoriserait pas. Des fonctionnaires ont été chargés de suivre la situation de près, de donner des directives et de faire rapport chaque année sur les occasions où cela se produisait. Ce fut un changement important dans la relation.

De plus, les présidents suivants ont pris des mesures encore plus draconiennes. Ronald Reagan, lorsqu’il était président, a supprimé pratiquement tout le financement destiné aux tribus amérindiennes et il a dit que si son gouvernement entretenait une relation de nation à nation avec elles, il n’avait pas à les financer et qu’elles devaient se débrouiller seules. C’est ce qui a mené à la naissance du mouvement des casinos amérindiens, qui génère maintenant beaucoup de richesse pour les tribus amérindiennes. Ce mouvement a entraîné son lot de problèmes, mais en revanche, l’équilibre sera rétabli. Il n’a pas été rétabli partout, mais il finira par l’être. L’autosuffisance fait donc maintenant partie du cadre de la relation, alors qu’auparavant, il existait un fort lien de dépendance.

Ce que je veux dire, c’est que les dirigeants doivent donner une directive, puis la faire appliquer obligatoirement par les fonctionnaires. Je l’ai dit directement aux fonctionnaires : les hauts fonctionnaires, au lieu de toucher un paiement forfaitaire annuel pour avoir réussi à faire épargner de l’argent au ministère, ne devraient être récompensés que s’ils ont contribué à la réconciliation cette année-là. Nous verrions alors les choses changer.

Le sénateur Brazeau : Vous savez comme moi que ce n’est pas nécessairement ce qui se produit.

Le sénateur Sinclair : Vous avez bien raison.

Mme Wilson : Nous savons par contre que, pour la toute première fois, dans les lettres de mandat des ministres, on dit s’attendre à ce que les ministères donnent suite aux éléments du rapport de la Commission de vérité et réconciliation qui les concernent. Pour reprendre l’idée du dernier point, les ministres astucieux intégreraient cela aux attentes en matière de rendement des sous-ministres et sous-ministres adjoints. Quand les gens seront mieux informés à propos de toute cette question et que les comportements changeront, cela pourra probablement se produire.

Je ne veux pas être naïve à ce sujet et je ne crois pas que ce soit facile. Je sais que ce ne sont pas des solutions rapides, mais je pense que certaines des choses qui font obstacle ont à voir avec le fait de protéger son poste, par exemple, et que d’autres ont à voir avec une attitude regrettable qui n’a pas sa place dans la haute fonction publique. Cela devrait être éliminé et traité comme un mauvais comportement dans le cadre d’une procédure disciplinaire. Il faut du courage. J’ai déjà parlé de courage. Il faut aussi de la vigilance et une grande détermination pour atteindre la norme professionnelle la plus élevée de cette façon.

Cela dit, c’est un travail très difficile, et l’espoir est important. Je m’accroche à l’espoir quand il y en a. Je peux simplement vous dire, sans entrer dans les détails, qu’à des échelons très élevés de certains ministères fédéraux, on cherche expressément l’occasion d’en discuter davantage et d’examiner de près comment cela pourrait se faire au sein du ministère. Il ne s’agit pas d’un balayage dans l’ensemble du gouvernement, mais on constate qu’il y a de très bonnes personnes qui travaillent très fort pour faire de bonnes choses. On ne peut en faire fi non plus en formulant des condamnations en bloc. Ce serait contre-productif.

La dernière chose que je voulais souligner concerne les observations que nous avons formulées, tout à l’heure, au sujet du Conseil national de réconciliation. Je ne peux vraiment dire que j’approuve déjà ce qu’on lui a demandé de faire, parce que je ne le saurai que lorsque je verrai ce qu’ils proposent sur ce que devrait faire ce conseil national et quels pouvoirs il devrait détenir. Cependant, s’il détient des pouvoirs adéquats, il pourra demander des comptes aux ministères fédéraux relativement aux progrès qu’ils réalisent, de façon mesurable, au chapitre de la réconciliation. Il est très important que vous y portiez attention et que vous soyez prêts à avoir des attentes élevées quant à son rôle et à ses pouvoirs.

Le sénateur Sinclair : Nous ne devons jamais oublier, d’ailleurs, qu’il est nécessaire qu’une réconciliation ait lieu entre les peuples autochtones. Plus précisément, les dirigeants autochtones doivent aussi commencer à recadrer leurs relations avec leurs communautés. Dans les communautés visées par la Loi sur les Indiens, la relation avec ceux qui sont élus pour diriger ces communautés a été définie par cette loi; maintenant, cette relation doit être mieux définie pour la communauté par les gens qui en font partie. La réconciliation à l’échelle de la communauté est également très importante, et il faut mettre en place et autoriser de meilleurs systèmes de reddition de comptes qui ne sont pas définis par le gouvernement fédéral. La Commission royale sur les peuples autochtones avait de bonnes choses à dire à ce sujet. Dans notre rapport, nous parlons d’examiner plus attentivement les recommandations de la Commission royale sur les peuples autochtones.

Le sénateur Brazeau : Je vous remercie. Tout ce que je dis, c’est que nous parlons souvent de faire pression auprès des ministres ou du premier ministre pour faire avancer les choses et pour que des mesures soient prises, mais en pratique, cela concerne aussi l’appareil bureaucratique, car d’un côté, il est là pour protéger les ministres ou le premier ministre, mais de l’autre, les ministres ou le premier ministre représentent leurs ministères. On devrait toujours adopter une approche sur deux fronts pour s’y attaquer afin de faire avancer les choses.

La sénatrice Pate : Je n’ai pas de question. Je veux juste vous remercier tous les deux de toutes ces explications. J’ai mal à la tête, ce qui signifie qu’une réflexion s’amorce. C’est donc bien. Je vous en suis reconnaissant. Je veux également remercier toutes les personnes qui sont ici pour vous appuyer. Leur présence témoigne de votre leadership et de l’engagement durable des gens qui ont travaillé pour la commission. Merci.

Le sénateur Sinclair : Merci.

Le sénateur Christmas : Madame Wilson, comme on l’a dit plus tôt, on a sué sang et eau pour faire le travail et produire le rapport, et je peux donc certainement comprendre la frustration ressentie. Dans vos observations, vous avez parlé de tenir le gouvernement responsable. Que pouvons-nous faire, en tant que sénateurs, en tant que Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, pour que le gouvernement du Canada donne suite aux 94 appels à l’action?

Le sénateur Sinclair : Je vais revenir demain quand vous aurez terminé.

Mme Wilson : Je m’apprêtais justement à vous céder la parole.

Pour être honnête, je ne prétends pas connaître tous les tenants et aboutissants de vos mécanismes et de votre façon de procéder, mais je sais que vous pouvez recevoir, envisager et produire des mesures législatives. S’il se passe une chose qui n’est pas conforme au travail que nous avons tous devant nous, pourquoi ne pas se mettre à la tâche et déclarer que c’est nous qui allons faire bouger les choses. Je ne veux pas paraître désinvolte, mais c’est ce que je dirais.

Je dirais ensuite que je sais que le Sénat a subi beaucoup de pression ces dernières années et qu’il est dans une sorte d’état quasi indépendant, mais vous avez également des amis et des collègues, et il pourrait juste y avoir des questions utiles à poser régulièrement pour savoir où en sont les choses ainsi que pour faire comprendre que ces questions vous préoccupent et que vous vous attendez à être saisis, dans les plus brefs délais, de certaines de ces choses parce que vous êtes prêts à passer à l’action. Ce ne sont que quelques petites observations à ce sujet.

Le sénateur Sinclair : J’ai une bonne idée de la charge de travail et des contraintes de temps des sénateurs, mais permettez-moi de dire ceci : l’une des choses fondamentales que nous devrions tous faire, c’est lire le rapport. C’est un résumé du rapport final de la CVR publié par James Lorimer & Company et offert en librairies. Il y a longtemps que le rapport original produit par la CVR n’existe plus sous cette forme, mais celui-ci en est une reproduction. L’important, c’est que les gens le lisent. Après l’avoir lu, vous n’aurez d’autre choix que d’agir. Vous trouverez dans le rapport les modalités de votre propre mandat pour prendre vos propres mesures par rapport à ce que vous estimez pouvoir faire. Je mets tous les membres de votre comité au défi de lire le résumé du rapport de la CVR. Je suis convaincu que vous ne l’avez pas encore tous fait. Malgré l’affection que j’ai pour vous et l’insistance avec laquelle je vous l’ai demandé il y a un an et demi, vous ne l’avez toujours pas fait parce qu’il est difficile pour les sénateurs de trouver le temps de lire des documents. Mais en tant que titulaires d’une charge publique, vous devriez lire celui-ci. Si vous n’avez pas le temps, demandez à votre personnel de le faire pour vous.

Le sénateur Tannas : Je n’ai pas de question. Je voulais vous remercier. Comme la sénatrice Pate, j’ai mal à la tête, mais d’une bonne façon. Je pense que vous nous avez tous aidés à mieux cerner ce que nous voulons accomplir lorsque nous allons sur le terrain pour dialoguer avec des Autochtones canadiens. Je vous suis reconnaissant d’avoir pris le temps nécessaire, de l’avoir investi, pour comparaître — même Mme Wilson — alors que vous pensiez, je crois, que c’était une cause désespérée et que vous l’avez peut-être fait pour rendre service au sénateur Sinclair. Je vous en suis reconnaissant. Merci.

Mme Wilson : Puis-je juste faire une dernière observation en réponse aux vôtres, monsieur?

À la lecture du rapport, pour ceux qui pourraient ne pas encore l’avoir lu, vous reconnaîtrez tout d’abord beaucoup des mots que j’ai employés dans ma déclaration, mais vous verrez aussi en partie la complexité de la convention de règlement qui a mené à la création de notre commission, car ce n’est qu’une partie de cette convention. Quand nous avons commencé nos audiences, cette importante et grande convention de règlement était loin de notre portée et même loin d’être accessible pour la plupart des gens que nous avons rencontrés.

Nous faisions notre travail sur le terrain au nom de la CVR, et les gens venaient nous voir pour parler de leur entente d’indemnisation ou pour nous demander à quel moment aurait lieu leur audience, pourquoi ils n’avaient pas été payés ou pourquoi ils n’avaient reçu qu’une partie du paiement. Et où était donc leur avocat? Nous ne savions pas quoi répondre. Une partie de nous a d’abord cru que nous n’avions pas le temps d’expliquer toute la convention de règlement compte tenu de la taille de notre mandat.

Je me souviens, à un moment donné, comme je ne suis pas avocat, de m’être dit que je devais trouver des manières simples d’expliquer la convention de règlement aux gens. Nous ne pouvons pas nous permettre de nous en lasser, car les gens doivent comprendre ce que nous faisons et en quoi c’est différent des autres mesures prises. À défaut de quoi, nous ne faisons que museler sans cesse les gens en disant que nous ne pouvons pas nous occuper d’une chose ou d’une autre.

Ce que je veux dire, c’est que je crois qu’aucun de nous ne doit s’essouffler. Nous ne pouvons pas nous lasser du travail difficile et souvent frustrant que présentent la réconciliation ou les efforts déployés à cette fin. Nous ne pouvons pas nous lasser de dialoguer avec des gens qui tentent d’aller de l’avant et au fond des choses.

J’espère donc que mes observations n’ont aucunement été perçues comme un manque de respect, mais plutôt comme une façon simple de dire qu’il est urgent d’agir. J’espère que vous ressentez l’urgence. Nous l’avons certainement ressentie à chaque audience. Nous savons que des vies sont carrément en péril parce que les choses n’ont pas changé, et c’est nous qui devons contribuer aux efforts déployés pour remédier à la situation. C’est essentiel. C’est ce que les gens attendent de nous, et notre pays en a besoin.

Le sénateur Sinclair : Pour terminer, madame la présidente, je vais vous remettre cet exemplaire du rapport sommaire et vous demander de le consigner en tant que pièce reçue dans le cadre de vos audiences comme preuve de notre engagement de contribuer à vos efforts de sensibilisation du public.

La présidente : Merci.

Le sénateur Sinclair : Nous allons vous remettre l’exemplaire et vous dire que vous êtes libre de le faire circuler, mais je vous suggère tous d’en acheter un. James Lorimer en serait ravi.

La présidente : Je pensais que vous vous apprêtiez à dire que vous alliez faire un suivi dans une semaine pour voir à quel point notre lecture a progressé.

Le sénateur Sinclair : Il y aura un test là-dessus. La prochaine fois que je vous vois, je vais vous demander en quoi consiste l’appel à l’action no 93.

La présidente : Je vous remercie au nom du comité. Madame Wilson, sénateur Sinclair, certains des membres vous ont déjà témoigné leur gratitude. C’est un grand honneur de vous avoir parmi nous. Le travail de la Commission de vérité et réconciliation a changé le pays. Nous entendons constamment le mot « réconciliation ». Quand j’écoute ce qui se passe dans la rue, même par rapport à ce qui est arrivé à Colten Boushie, je constate que tout le monde parle de réconciliation. Je crois que le travail que vous avez accompli ne s’arrêtera pas, car le pays s’est réveillé. Je vous remercie de votre temps. Vous en avez pris beaucoup pour venir nous parler ce soir.

(La séance est levée.)

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