Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones
Fascicule no 46 - Témoignages du 20 novembre 2018
OTTAWA, le mardi 20 novembre 2018
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd’hui, à 9 h 1, pour étudier la teneur des éléments des sections 11, 12 et 19 de la partie 4 du projet de loi C-86, Loi no 2 portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 27 février 2018 et mettant en œuvre d’autres mesures.
La sénatrice Lillian Eva Dyck (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Good morning, bonjour, tansi. Je souhaite la bienvenue à tous les sénateurs ainsi qu’à tous les membres du public qui regardent cette réunion du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, que ce soit dans la salle ou sur Internet. Dans un esprit de réconciliation, je tiens à reconnaître que cette réunion se tient sur le territoire traditionnel non cédé des peuples algonquins.
Je m’appelle Lillian Dyck, je viens de la Saskatchewan et j’ai l’honneur et le privilège de présider ce comité.
Aujourd’hui, nous entreprenons notre étude de la teneur des éléments des sections 11, 12 et 19 de la partie 4 du projet de loi C-86, Loi no 2 portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 27 février 2018 et mettant en œuvre d’autres mesures.
J’invite maintenant mes collègues à se présenter, en commençant à ma droite.
Le sénateur Tannas : Scott Tannas, de l’Alberta.
Le sénateur Patterson : Dennis Patterson, du Nunavut.
Le sénateur Doyle : Norman Doyle, de Terre-Neuve-et-Labrador.
La sénatrice McCallum : Mary Jane McCallum, du Manitoba.
La sénatrice Pate : Kim Pate, de l’Ontario.
La sénatrice Coyle : Mary Coyle, Antigonish, de la Nouvelle-Écosse.
La présidente : Merci, chers collègues.
Je vais maintenant présenter les témoins qui sont avec nous ce matin. Représentant Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada et Services aux Autochtones Canada, nous accueillons M. Christopher Duschenes, directeur général de l’Élaboration des politiques économiques et de la Gestion des terres et de l’environnement; Mme Susan Waters, directrice générale de la Direction générale de la gestion des terres et de l’environnement; et, enfin, M. Eric Grant, directeur, Développement des terres communautaires, Gestion des terres et de l’environnement, Terres et développement économique.
Je tiens à vous remercier de comparaître devant nous ce matin. La parole est à vous.
Christopher Duschenes, directeur général, Élaboration des politiques économiques, Gestion des terres et de l’environnement, Terres et développement économique, Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada et Services aux Autochtones Canada : Merci beaucoup. Bonjour. C’est un plaisir d’être ici. Merci, sénatrice Dyck. Je tiens aussi à reconnaître que nous sommes réunis aujourd’hui sur le territoire non cédé des peuples algonquins.
Bonjour. Je m’appelle Christopher Duchesnes et, comme il a été indiqué, je suis directeur général de l’Élaboration des politiques économiques du secteur Terres et développement économique à Services aux Autochtones Canada. Je suis accompagné de Mme Susan Waters, qui vous parlera de la Loi sur l’ajout de terres à des réserves, et de M. Eric Grant, qui est directeur du Développement des terres communautaires, qui parlera de la Loi sur la gestion des terres des premières nations. Je vous donnerai un aperçu de la Loi sur la gestion financière des premières nations.
Cette loi a été conçue, créée et promue par des dirigeants des Premières Nations. Les propositions de modification de la loi sont une réponse directe aux orientations et aux directives données par ses dirigeants en réponse à ce qu’ils entendent des membres de leurs communautés. C’est un aspect essentiel.
Ces propositions sont essentiellement de nature administrative. Il s’agit de modifications mineures apportées au texte actuel afin d’améliorer les processus ou de clarifier le libellé. La loi est facultative, ce qui signifie que les communautés des Premières Nations décideront d’elles-mêmes si elles veulent profiter des améliorations proposées.
Je vais vous donner un aperçu de certains de ces changements.
Premièrement, la loi est entrée en vigueur en 2006. Elle a établi un cadre solide pour les Premières Nations qui ont opté pour le régime afin de mettre en œuvre une fiscalité, une gestion financière et un accès au financement à long terme permettant de répondre à leurs besoins en matière de développement économique et d’infrastructure.
Trois institutions des Premières Nations sont assujetties à cette loi; nous les appelons les « institutions financières » : le Conseil de gestion des Premières Nations, l’Administration financière des Premières Nations et la Commission de la fiscalité des premières nations.
À ce jour, soit depuis 2006, plus du tiers des Premières Nations au pays ont choisi d’exercer leurs pouvoirs financiers dans le cadre de ce régime.
J’aimerais vous donner quelques exemples concrets de ce que ces modifications permettront d’accomplir. Je précise encore une fois qu’elles sont surtout de nature administrative.
Il y a des préoccupations bijuridiques dans la loi actuelle. Cela signifie qu’il existe des incohérences entre les concepts de droit civil et de common law en ce qui concerne les droits et les intérêts sur les terres de réserve. Ces problèmes doivent être réglés dans un souci d’uniformité à l’échelle nationale, notamment sur le plan de l’application.
Il faut réglementer l’imposition des terres qui sont partagées par plus d’une Première Nation, que nous appelons « terres de réserves mises de côté à l’usage et au profit de plusieurs Premières Nations ». Les Premières Nations qui adhèrent à ce régime veulent être en mesure d’imposer des impôts fonciers, et ces modifications les aideront à le faire.
Pour continuer à faire évoluer le régime, il faut aussi une réglementation pour permettre à l’ensemble des organisations autochtones qui fournissent des services publics d’avoir accès au régime pour combler leurs besoins d’infrastructure. Par exemple, la Régie de la santé des Premières Nations de la Colombie-Britannique, qui fournit des services de santé à tous les membres des Premières Nations dans cette province, a demandé l’accès au régime pour obtenir des prêts.
Enfin, ces modifications donneront aux Premières Nations assujetties à ce régime un accès à l’argent des Indiens qui leur revient, après un vote favorable de leur communauté. Il s’agit de sommes d’argent détenues par Sa Majesté à l’usage et au bénéfice des Premières Nations.
En résumé, comme je l’ai mentionné, ces modifications sont surtout d’ordre administratif. Elles clarifient le libellé, règlent des questions opérationnelles pour les institutions financières et leurs membres et élargissent l’accès à ceux qui ont demandé l’accès au régime.
Enfin, comme je l’ai indiqué plus tôt, ces modifications ont été proposées par les dirigeants des Premières Nations. Ce sont les modifications demandées par les membres lors des tournées de consultation menées au pays ces dernières années par les dirigeants des institutions.
Je cède la parole à Susan Waters qui donnera un aperçu des dispositions législatives sur les ajouts aux réserves.
[Français]
Susan Waters, directrice générale, Direction générale de la gestion des terres et de l’environnement, Terres et développement économique, Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada et Services aux Autochtones Canada : Bonjour. Je suis Susan Waters, directrice générale des terres et de l’environnement à Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada. Je suis ravie de vous donner un aperçu de la proposition législative visant à promulguer la Loi sur l’ajout de terres à des réserves et la création de réserves. Il s’agit d’une loi destinée à faciliter la mise de côté de terres à titre de réserves à l’usage et au bénéfice des Premières Nations.
Tout d’abord, je vais situer brièvement le contexte dans lequel ce projet de loi s’inscrit.
[Traduction]
La terre est au cœur de l’identité des peuples autochtones. C’est leur plus grand atout et c’est ce qui leur permet de contribuer à leur autodétermination et à leur autosuffisance au moyen du développement communautaire et économique.
Les ajouts aux réserves contribuent grandement à faire progresser la réconciliation et à améliorer les relations découlant des traités en permettant au Canada de s’acquitter de ses obligations historiques envers les Premières Nations.
L’administration des terres de réserve en vertu de la Loi sur les Indiens et le non-respect des obligations découlant de traités ont laissé les Premières Nations aux prises avec des milliers de problèmes liés aux terres, notamment les limites territoriales, la contamination environnementale, les munitions non explosées provenant de l’utilisation militaire et ainsi de suite.
Plus de quatre millions d’acres de terres de réserve sont encore dus aux Premières Nations en raison d’obligations juridiques découlant d’ententes sur les droits fonciers issus de traités et d’ententes sur des revendications particulières.
Les besoins en terrain augmentent aussi pour répondre à la croissance démographique des communautés et à la demande pour de nouveaux logements et d’autres infrastructures publiques.
Les Premières Nations souhaitent de plus en plus ajouter des terres à leurs réserves afin de tirer parti des possibilités de développement économique, en particulier dans les zones urbaines.
Les réserves urbaines procurent aux résidants des débouchés économiques auxquels ils n’ont généralement pas accès dans les régions éloignées. Elles offrent aux entreprises des Premières Nations la possibilité de s’établir et d’offrir des possibilités d’emploi et de formation.
Le processus actuel d’ajout de terre aux réserves est complexe et fastidieux, et dans bien des cas, ces ajouts aux réserves prennent bien plus de cinq ans à se concrétiser. De plus, la Loi sur les Indiens n’envisage pas ou ne prévoit pas d’outils législatifs adéquats pour créer des réserves avec l’infrastructure actuelle.
Nous savons également que la prise en compte des intérêts existants de tiers est actuellement le principal obstacle au traitement en temps opportun des propositions d’ajouts aux réserves. Cela entraîne de l’incertitude, de la frustration et des occasions manquées pour les Premières Nations et les autres intervenants.
Le projet de loi tient compte de la complexité du processus des ajouts aux réserves et du désir constant des Premières Nations d’élargir leur assise territoriale de manière à faciliter leur autodétermination.
Bref, le projet de loi fait suite aux consultations menées auprès des communautés et des organisations des Premières Nations et aux rapports des comités de la Chambre des communes et du Sénat et il étend les outils techniques qui existent dans les provinces des Prairies à toutes les propositions d’ajouts aux réserves au Canada, y compris celles visant le développement communautaire ou économique.
Le projet de loi est en grande partie de nature administrative. Il comporte des dispositions qui permettront de prendre plus rapidement des décisions et qui apporteront plus de certitude juridique à l’égard des intérêts de tiers. Plus précisément, le projet de loi établit les servitudes prévues par la loi et les échanges volontaires de terres, s’il y a lieu, pour qu’un ajout à une réserve et son approbation se fasse par décret ministériel, plutôt que par décret en conseil. En outre, il permet la désignation préalable ou le zonage de terres, une étape requise en vertu de la Loi sur les Indiens pour la location des terres, et le pouvoir de mettre en place des baux et des permis avant que des terres soient ajoutées à la réserve.
Cette proposition représente un pas de plus, mais un pas important, pour réformer le processus long et complexe de l’ajout de terres aux réserves.
Le ministère s’est engagé à poursuivre le dialogue avec les Premières Nations, les organisations autochtones et d’autres intervenants au cours des prochains mois afin de déterminer et de mettre en œuvre d’autres caractéristiques qui permettront de réduire considérablement le temps nécessaire pour mener à bien le processus d’ajouts aux réserves et de création de réserves.
Eric Grant, directeur, Développement des terres communautaires, Gestion des terres et de l’environnement, Terres et développement économique, Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada et Services aux Autochtones Canada : Bonjour. Je m’appelle Eric Grant et je suis heureux de présenter un aperçu des modifications proposées à la Loi sur la gestion des terres des premières nations, une loi de longue date qui a reçu la sanction royale en 1999. À son entrée en vigueur il y a plus de 20 ans, la loi ratifiait l’Accord-cadre relatif à la gestion des terres des premières nations, un accord de nation à nation conclu entre le Canada et 14 Premières Nations en 1996.
Ensemble, l’accord-cadre et les lois fédérales connexes prévoient un mécanisme permettant aux Premières Nations de se soustraire au tiers de la Loi sur les Indiens et d’assumer le pouvoir, le contrôle et la responsabilité des terres, des ressources et de l’environnement dans leurs réserves.
Aujourd’hui, plus de 150 Premières Nations à la grandeur du Canada ont opté pour la gestion des terres des Premières Nations, et 78 d’entre elles fonctionnent présentement entièrement en suivant leur propre code foncier.
Depuis 2016, en réponse aux demandes de détenteurs de droits autochtones, le ministère travaille avec des partenaires sur les modifications proposées. Bien qu’importantes, les modifications proposées à la Loi sur la gestion des terres des premières nations sont de nature administrative et pratique, et constituent la première phase d’une stratégie de réforme foncière plus vaste.
Je vais maintenant citer quelques exemples de modifications apportées à l’accord-cadre et à la Loi sur la gestion des terres des premières nations. Les modifications proposées incluraient une déclaration qui reconnaît l’engagement préexistant du Canada à mettre en œuvre la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. En mai 2016, le gouvernement du Canada a adopté la DNUDPA sans réserve et s’est engagé à la mettre en œuvre intégralement et efficacement, conformément à la Constitution canadienne. Ce renvoi est symbolique et contribue aux efforts de réconciliation du Canada.
Une autre série de modifications harmonise les procédures de scrutin avec d’autres processus démocratiques au Canada en supprimant les exigences de participation. La loi exige que les communautés votent pour désigner leurs dirigeants qui exerceront les pouvoirs législatifs aux fins de la gestion des terres des Premières Nations. Actuellement, un nombre minimum d’électeurs doit voter et l’approbation d’une mesure nécessite un vote favorable de la majorité d’entre eux. Les modifications proposées permettraient aux Premières Nations de décider si elles veulent utiliser des exigences de participation dans le cadre de leur scrutin ou si elles veulent utiliser des règles de majorité simple comme beaucoup d’autres processus de scrutin au Canada.
Les modifications proposées amélioreraient la façon dont de nouvelles terres sont ajoutées à l’assise territoriale de la réserve. Au lieu d’ajouter des terres à titre de terres en vertu de la Loi sur les Indiens avant qu’elles ne soient converties en terres visées par le régime de gestion des terres des Premières Nations, les terres seront transférées directement au régime de gestion des terres des Premières Nations, ce qui élimine une étape administrative importante.
Les modifications proposées auraient aussi pour effet de transférer directement les capitaux aux Premières Nations, notamment les revenus de l’exploitation pétrolière et gazière etd’autres sources semblables. Actuellement, seuls les revenus, par exemple les revenus provenant de baux et de permis, sont inclus dans le cadre du régime de gestion des terres des Premières Nations.
En conclusion, les partenaires des Premières Nations souscrivent vivement à ces modifications, car elles renforceraient davantage une fructueuse initiative sectorielle dirigée par les Premières Nations visant l’autonomie gouvernementale, une initiative qui appuie les Premières Nations dans leur développement communautaire et économique. Merci. C’est avec plaisir que nous répondrons à vos questions.
La présidente : Merci.
La sénatrice Pate : Je remercie les témoins d’être venus. Le mois dernier, nous avons accueilli M. Harold Calla, président exécutif du Conseil de gestion financière des Premières Nations, un organisme qui, comme vous le savez, a été créé en vertu de la Loi sur la gestion financière des premières nations. Dans son témoignage, il a indiqué que nous devons faire preuve de souplesse et d’agilité tandis que nous allons de l’avant, mais qu’il faut continuer de le faire de façon à éradiquer la pauvreté et les défis sociaux auxquels les collectivités autochtones sont confrontées.
Je viens de participer à une réunion du groupe multipartite antipauvreté; j’ai beaucoup entendu parler du retard que nous accusons à cet égard. Hier soir, Evelyn Forget parlait de l’incidence que pourrait avoir le revenu de subsistance garanti pour régler certains de ces problèmes.
Je me demande si, au ministère, vous avez étudié des modifications qui contribueraient à éradiquer la pauvreté et les problèmes sociaux dans les communautés autochtones. À titre d’exemple, j’aimerais savoir si vous avez examiné la question particulière du revenu de subsistance garanti comme moyen d’accroître le développement économique des communautés autochtones, et comme instrument pour veiller à la mise en œuvre de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et des appels à l’action de la Commission de vérité et de réconciliation, étant donné leurs objectifs communs.
M. Duschenes : Merci beaucoup de la question. Comme vous le savez certainement, M. Harold Calla est l’un de nos importants dirigeants et partenaires dans cette entreprise, en sa qualité de directeur exécutif du Conseil de gestion financière. Chaque semaine, nous travaillons en étroite collaboration avec lui et avec le conseil.
Nous n’avons pas étudié des modifications liées spécifiquement à la pauvreté et au revenu garanti. Je voudrais toutefois préciser que la collaboration avec le Conseil de gestion financière, la Commission de la fiscalité des premières nations et l’Administration financière des Premières Nations et l’action concertée de ces institutions dans les communautés ont déjà des effets incroyables et pourraient assurément avoir une incidence considérable alors que plus de Premières Nations sont inscrites à l’annexe de la loi pour aider à réduire la pauvreté. Les dispositions fiscales et les pouvoirs de la Commission de la fiscalité des premières nations nous ont permis de travailler avec les Premières Nations à la mise en œuvre de l’impôt foncier. Cela a permis de générer, pour l’an dernier seulement, plus de 54 millions de dollars de recettes fiscales pour les communautés.
Quant au Conseil de gestion financière, son objectif principal est d’accroître la capacité financière des communautés et de mettre en place des mécanismes financiers pour assurer la saine gestion financière de leurs ressources, un autre important facteur du bien-être des communautés et de la réduction de la pauvreté au sein de la collectivité.
Enfin, l’Administration financière des Premières Nations, le mécanisme d’emprunt prévu par la loi par l’intermédiaire duquel près de 600 millions de dollars ont déjà été empruntés pour permettre aux communautés de construire des infrastructures et d’améliorer leurs infrastructures économiques et sociales, joue certainement un rôle important dans l’amélioration du bien-être des communautés.
La dernière chose que j’aimerais souligner, c’est que, à l’heure actuelle, plus d’un tiers des Premières Nations du Canada sont inscrites à l’annexe de la loi, et d’autres attendent de l’être. Il est clair qu’on reconnaît que, du point de vue du développement économique et des finances, la loi est un franc succès et qu’elle contribue au bien-être des communautés. Toutefois, je le répète, nous n’avons pas examiné précisément le revenu garanti ou la possibilité d’apporter des modifications liées directement à la pauvreté, mais favoriser la gestion financière et les possibilités économiques au sein des communautés fait partie de la raison d’être de la loi.
Mme Waters : Merci beaucoup pour la question.
Les modifications législatives visant les ajouts aux réserves ne traitent pas directement du développement économique et de la création de richesse pour les Premières Nations, mais elles les favorisent. Depuis 2015, les demandes de réserves urbaines ont décuplé. Un des objectifs principaux de la création de réserves urbaines est le développement économique : les Premières Nations peuvent louer des terres et tirer des profits considérables de la location.
La loi proposée facilitera la création de réserves urbaines parce qu’elle permettra à la communauté de faire la désignation ou le zonage des terres au préalable. Aux termes de la Loi sur les Indiens, les terres doivent être désignées avant qu’il soit possible de les louer, et la désignation requiert la tenue de consultations communautaires, un vote et l’obtention du consentement. Généralement, à l’heure actuelle, presque partout au Canada, à l’extérieur des provinces des Prairies, la création de la réserve doit précéder ce processus. C’est donc difficile pour une Première Nation de suivre le rythme des affaires et de se lancer dans d’excitants projets de développement économique.
Les modifications proposées permettront de franchir ces étapes avant la création de la réserve, et aussi de préparer des permis et d’autres instruments à l’égard d’intérêts de tiers au préalable.
Nous avons reçu le message très clair de la part des Premières Nations que grâce à ces petites modifications, elles auront un bien meilleur accès à des terres prêtes au développement économique à l’intérieur de leurs communautés.
M. Grant : Merci. Comme mes collègues, nous ne nous sommes pas penchés précisément sur la pauvreté dans le contexte de la Loi sur la gestion des terres des premières nations. Toutefois, le régime de gestion des terres des Premières Nations rend possible l’activité économique en retirant les Premières Nations du contrôle de la Loi sur les Indiens. Elles obtiennent le pouvoir de suivre le rythme des affaires pour mener des activités économiques pouvant créer de la richesse pour les communautés et leur offrir des possibilités.
Plus de 150 Premières Nations ont signé l’accord relatif à la gestion des terres des Premières Nations depuis sa création il y a 20 ans. On a annoncé récemment que 50 autres nations allaient aussi s’y joindre au cours des cinq prochaines années.
On voit donc que de nombreuses communautés veulent se charger de la gestion des terres des Premières Nations, à des fins non seulement économiques, mais aussi culturelles : elles veulent utiliser les terres comme bon leur semble.
La sénatrice Pate : À la lumière de ces faits, si, par exemple, une nation ayant signé l’accord décidait de gérer ses services sociaux de façon semblable aux soins de santé, aurait-elle le pouvoir, en vertu des dispositions actuelles, d’instaurer un revenu viable garanti au sein de sa communauté?
Je devrais contextualiser ma question et vous dire qu’une des raisons que je la pose, c’est parce que j’ai rencontré des communautés autochtones, et quand notre comité s’est rendu dans le Nord, nous avons constaté que certaines communautés n’avaient jamais entendu parler du concept du revenu viable garanti. Le sujet a été soulevé parce qu’elles parlaient, par exemple, de développer l’activité économique au moyen du tourisme, de la chasse et autres.
Elles voulaient avoir la possibilité d’emmener les jeunes sur les terres pour leur apprendre leur langue et leurs compétences mais, pour recevoir de l’assistance sociale, les gens devaient rester dans leur communauté et chercher des emplois inexistants. Il me semble que c’est une évidence. Si les Premières Nations avaient le pouvoir d’établir des règles à ce sujet ou de gérer cela, elles le feraient.
Cette possibilité a-t-elle été examinée? Comment de telles initiatives pourraient-elles être mises en place, et à quelles dispositions actuelles pourrions-nous avoir recours pour faire en sorte que les communautés puissent se lancer dans de pareils projets?
M. Grant : En ce qui concerne la gestion des terres des Premières Nations, nous n’avons pas examiné cette possibilité avec les parties prenantes et nos partenaires. Notre travail porte précisément sur l’utilisation et la gestion des terres mêmes.
Mme Waters : Le régime de gestion des terres des Premières Nations est une initiative menée par les Premières Nations, comme Eric l’a dit. La mesure actuelle constitue la première étape d’une vaste réforme de transformation des terres. Nos partenaires nous ont dit que, durant les trois à cinq prochaines années, ils aimeraient examiner la possibilité d’élargir progressivement le régime de gestion des terres des Premières Nations pour inclure d’autres domaines, comme les testaments et les successions, ainsi que la gestion du pétrole et du gaz.
Les problèmes sociaux n’ont pas été ciblés, mais certaines Premières Nations deviendront autonomes. Quatre ont déjà accédé à l’autonomie gouvernementale, et beaucoup d’autres ont lancé le processus.
Le régime de gestion des terres des Premières Nations permet aux nations d’établir des bases solides en matière de gouvernance et, ainsi, d’assumer de nouvelles responsabilités.
M. Duschenes : J’aimerais ajouter que, comme vous le savez sans doute, les ministres Philpott et Bennett ont des objectifs de transformation très bien définis, et d’autres mesures et modifications sont en cours ou sont attendues dans les domaines des programmes sociaux, de l’éducation et autres. Les trois propositions à l’étude ne concernent pas ces domaines.
Le sénateur Patterson : J’ai quelques questions au sujet des modifications législatives visant les ajouts aux réserves. D’abord, y a-t-il une obligation de consulter par rapport à ces modifications, et avez-vous mené des consultations?
Mme Waters : Merci pour la question. Oui, nous avons mené des consultations. Depuis 2009, nous travaillons avec les Premières Nations pour réformer la politique et le processus législatif relatifs aux ajouts aux réserves. Le gros du travail a été accompli entre 2009 et 2014. Nous avons collaboré avec le groupe de travail technique conjoint de l’Assemblée des Premières Nations, qui comprenait plusieurs organismes et représentants autochtones.
En 2016, la politique a été approuvée, mais d’autres besoins ont été cernés à ce moment-là, y compris celui d’apporter des modifications législatives. Par exemple, en 2012, l’Assemblée des Premières Nations a adopté une résolution demandant au gouvernement d’apporter des modifications législatives — engros, celles que vous avez devant vous aujourd’hui — dans le but d’élargir les dispositions législatives concernant le règlement des revendications dans les provinces des Prairies.
Depuis que la proposition a été faite, des lettres ont été envoyées à toutes les Premières Nations pour les informer des changements. Nous avons aussi organisé des rencontres partout au pays. D’après ce que nous entendons, les modifications semblent faire l’unanimité. Les Premières Nations sont ravies que les ajouts aux réserves soient traités plus rapidement.
Le sénateur Patterson : Au sujet des provinces des Prairies, vous savez que vous avez eu des problèmes avec le Comité sur les droits fonciers issus de traités au Manitoba. En 2012 et 2013, le Canada a modifié unilatéralement l’entente-cadre du Manitoba, puis, en 2017, il a eu recours à l’arbitrage obligatoire. L’arbitre a jugé que le Canada avait violé ses obligations.
Avez-vous consulté les membres du Comité sur les droits fonciers issus de traités au Manitoba? Ils nous ont informés qu’ils n’étaient pas satisfaits du processus d’ajouts aux réserves. Les avez-vous consultés? Sinon, pourquoi?
Mme Waters : Le Comité sur les droits fonciers issus de traités fait partie des groupes que nous avons consultés. Nous travaillons étroitement avec lui, notamment pour régler les problèmes soulevés durant le processus d’arbitrage.
En gros, la proposition à l’étude élargit ce que la loi sur le règlement de revendications au Manitoba permet déjà, en rendant les dispositions applicables à d’autres activités menées par les Premières Nations dans les provinces des Prairies. En vertu de la loi actuelle, les propositions relatives au comité et au développement économique sont encore soumises au processus normal, qui comprend l’approbation par décret du gouverneur en conseil.
Le Comité sur les droits fonciers issus de traités est très bien informé; nous lui avons parlé personnellement, et nous continuons à discuter avec lui de la proposition. Nous savons qu’il aimerait accélérer le processus. Nous faisons notre possible pour travailler avec lui de manière constructive afin d’atteindre cet objectif.
Le sénateur Patterson : Vous avez laissé entendre que le projet de loi faisait l’unanimité. Je pense que je vous ai entendu faire cette affirmation lorsque vous parliez des consultations. Le Comité sur les droits fonciers issus de traités au Manitoba est-il satisfait de la mesure et l’appuie-t-il?
Mme Waters : Nous n’avons pas entendu dire qu’il n’était pas satisfait de la mesure. Je pense qu’il aimerait que d’autres changements soient apportés au processus d’ajouts aux réserves. Le projet de loi ne répond pas à ses préoccupations; nous continuons donc à travailler avec lui sur l’ensemble du processus d’ajouts aux réserves.
Le sénateur Patterson : Merci de votre réponse. Madame Waters, vous avez dit que le ministère s’était engagé à poursuivre le dialogue avec les Premières Nations. De quel ministère parlez-vous? Vous travaillez pour Relations Couronne-Autochtones Canada. Est-ce le ministère dont vous parlez? En fait, ma question est plutôt la suivante : s’agit-il d’un ministère?
Mme Waters : Merci beaucoup de la question. Oui, je travaille pour Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada. Je collabore aussi étroitement avec Services aux Autochtones Canada.
Le premier ministre a confié le mandat à la ministre Bennett de consulter les Premières Nations et d’autres organisations autochtones par rapport à la transformation des responsabilités des deux ministères. Je fais actuellement partie de l’équipe responsable des terres et du développement économique, qui appartient encore aux deux ministères. Je dis les deux ministères, mais en fait, c’est le gouvernement du Canada qui s’est engagé à poursuivre la réforme du processus d’ajouts aux réserves.
Par exemple, nous avons un comité consultatif national qui inclut des partenaires autochtones. Il s’agit d’un comité technique. Nous continuons à tenter de régler des problèmes en vue de simplifier le processus d’ajouts aux réserves. Entre autres, nous essayons de trouver des moyens d’améliorer la collaboration entre les Premières Nations et les ministères durant tout le long processus, qui peut prendre plusieurs années. Nous poursuivons de nombreuses activités pareilles.
Le sénateur Patterson : Je pense que, dans votre réponse, vous avez décrit Relations Couronne-Autochtones Canada comme étant un ministère. C’était ma question. Est-ce un ministère?
Mme Waters : Oui, c’est un ministère.
Le sénateur Patterson : Est-ce que Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord, RCAAN, est un ministère?
Mme Waters : Oui.
Le sénateur Patterson : En vertu de quel pouvoir est-ce un ministère du gouvernement fédéral?
M. Duschenes : Comme vous le savez, le gouvernement a annoncé, en août 2017, que l’ancien ministère des Affaires autochtones et du Nord serait divisé en deux et, plus récemment, qu’un ministre serait nommé spécifiquement pour le volet concernant les affaires du Nord. On travaille encore à l’élaboration de la loi qui créera officiellement les deux ministères : RCAAN et SAC, ou Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord, et Services aux Autochtones Canada. À l’heure actuelle, comme Susan l’a dit, nous continuons à travailler étroitement à la fois avec la ministre Bennett du côté de RCAAN et la ministre Philpott du côté de Services aux Autochtones.
Certains dossiers relatifs à l’administration des terres, par exemple, qui relèvent de Susan, sont encore liés à la Loi sur les Indiens. Ces dossiers continueront à relever de la compétence de la ministre Philpott jusqu’à ce que la création des deux ministères soit officialisée par voie législative.
Le sénateur Patterson : Vous comprenez peut-être toutes ces nuances, mais je pense que la personne moyenne et peut-être même certains sénateurs ne les comprennent pas. Je vais m’en tenir à cela, madame la présidente.
La présidente : Avant de donner la parole au sénateur Doyle, j’aimerais poser une question complémentaire au sujet des ajouts aux réserves.
Je viens de la Saskatchewan, et j’aimerais savoir si les modifications proposées ont une incidence quelconque sur la relation entre les provinces et les Premières Nations. En Saskatchewan, les terres disponibles appartiennent à la Couronne, et la province a déclaré que les Premières Nations n’avaient pas le droit de premier refus.
Le projet de loi C-86 contient-il des dispositions qui donneront aux Premières Nations le droit de premier refus en ce qui concerne la sélection de terres à ajouter aux réserves?
Mme Waters : Merci de votre question, madame la présidente. En gros, le projet de loi étend ce qui est en place en Saskatchewan à l’ensemble du Canada. Il ne change rien aux processus employés actuellement en Saskatchewan. Il permet l’approbation des propositions de développement économique et communautaire par arrêté ministériel et la désignation préalable à l’octroi du statut de réserve, mais il ne modifie pas la relation avec la province.
Le sénateur Doyle : Votre question ressemble beaucoup à celle que j’allais poser.
La présidente : Désolée.
Le sénateur Doyle : Ça va.
Le projet de loi autorise le ministre à mettre de côté d’autres terres pour former des réserves. Comment cette politique interagira-t-elle avec les politiques provinciales et municipales dans la même région géographique? Y a-t-il beaucoup d’interactions entre les municipalités par rapport aux terres situées dans la même région?
Mme Waters : Merci pour la question. Nous avons une directive d’orientation qui traite des activités de ce genre. La loi ne contient aucune disposition concernant l’obligation de consulter les municipalités ou les provinces, mais nous suivons une directive d’orientation qui a été renouvelée en 2016.
La directive prévoit que les Premières Nations communiquent avec les municipalités. Elles travaillent avec les municipalités lorsqu’elles ont besoin de conclure des ententes de service. Nous avons aussi des mécanismes pour compenser certaines pertes fiscales.
Les Premières Nations doivent aussi communiquer avec la province pour l’informer de la proposition et pour lui demander ses réactions relativement à l’ajout qu’elle envisage de faire à la réserve. Ces renseignements sont exigés dans le processus de création de réserves; nous les examinons et nous nous attendons à ce que les Premières Nations déploient de réels efforts pour collaborer avec les provinces et les municipalités. Dans la majorité des cas, les choses se passent bien.
Le sénateur Doyle : Comment une Première Nation fait-elle pour se joindre à un régime de gestion des terres? Sa structure de gouvernance doit-elle être bien établie et doit-elle compter du personnel qui s’y connaît en gestion des terres? Comment fait-elle?
M. Grant : Lorsqu’une communauté veut adhérer au régime de gestion des terres des Premières Nations, elle doit soumettre une demande qui contient de l’information sur sa structure de gouvernance, ses compétences en matière de gestion des terres, sa situation financière et d’autres détails de ce genre. Ensuite, le ministère procède à une analyse. L’information est aussi remise à un comité de sélection formé à l’interne pour examiner le dossier, et une décision est prise quant à la participation de la Première Nation.
Le sénateur Doyle : Donc, si une Première Nation se joint à un régime de gestion des terres, elle aurait facilement accès à du financement et à toutes les choses que les professionnels font?
M. Grant : C’est exact. Nous travaillons avec un organisme externe, le Centre de ressources sur la gestion des terres des Premières Nations, qui est un organisme technique au pays qui travaille avec les Premières Nations pour les aider dans le cadre de ce que nous appelons l’étape d’élaboration. C’est financé par le Canada pour aider les Premières Nations à élaborer leur code foncier et à se préparer à adopter une loi sur les terres à la suite d’un scrutin favorable. Après un vote favorable, le Canada fournit du financement opérationnel permanent à la collectivité.
Le sénateur Doyle : Je sais que c’est une question un peu difficile. Lorsque vous avez parlé de la superficie de plus de 4 millions d’acres de terres de réserve qui sont dues aux Premières Nations, nous parlons de quelle proportion de la masse continentale canadienne? Ce n’est certainement pas juste 4 millions d’acres, ce qui est relativement peu.
Avez-vous déjà réalisé une analyse pour connaître la proportion que représentent les terres des Premières Nations par rapport à la masse continentale canadienne, ou diriez-vous que c’est toute la masse continentale?
Mme Waters : C’est une question intéressante, merci beaucoup. Nous avons environ 8,8 millions d’acres qui sont actuellement des terres de réserve, ce qui représente environ 3,2 % de la masse continentale du Canada. Environ 4 millions d’acres supplémentaires ajouteront 1,5 p. 00, si mes calculs sont exacts, à la masse continentale, ce qui est minime. Ce sont des terres de réserve, soit des terres mises de côté en vertu du paragraphe 91(24) de la Constitution en tant que terres de réserve.
Le sénateur Doyle : Merci.
Le sénateur Tannas : Je veux surtout poser des questions sur les problèmes entourant les fonds des Indiens. Vous savez sans doute que ce comité a tenu une audience de surveillance à ce sujet pour essayer de comprendre les fonds des Indiens, mais nous étions assez mêlés et si peu de réponses ont été fournies que nous avons recommandé la tenue d’une table ronde pour vraiment faire participer les dirigeants des Premières Nations, le gouvernement, et cetera. La sénatrice Dyck et moi avons été invités et avons participé à la table ronde qui a eu lieu à Tsuut’ina, en Alberta, il y a quelques années.
J’ai lu dans vos remarques que ces modifications permettront aux Premières Nations dans le cadre du régime d’accéder à leurs fonds des Indiens à la suite d’un vote favorable de leurs collectivités.
J’examine l’article 369 du projet de loi, et je veux m’assurer que je comprends que le libellé est aussi simple qu’il semble l’être. On peut lire « à la date d’entrée en vigueur du code foncier » — de toute évidence, il faut un code foncier en premier —, « les fonds détenus par Sa Majesté à l’usage et au profit de la première nation [...] et versés au compte de revenu ou au compte en capital de celle-ci, cessent [...] d’être de l’argent des Indiens et sont transférés à la première nation.
Je vous ai lu ce passage pour dire que si une Première Nation s’est inscrite à la Loi sur la gestion des terres des premières nations parce qu’elle a un code foncier, elle a maintenant accès à ses fonds, et aucun fonctionnaire n’est responsable d’approuver les dépenses du chef et du conseil.
Toutefois, on peut lire, « sous réserve de l’article 46.1 », alors je cherche la trappe ici. Quel est l’article 46.1 et quelle condition prévoit-il?
M. Grant : Je peux expliquer de façon générale la disposition. Elle vise les Premières Nations qui ont déjà un code foncier et un accès à leurs fonds. Donc, c’est de cette manière que les Premières Nations qui ont déjà un code foncier obtiendront leurs capitaux en vertu de la loi. C’est automatique pour toutes les nouvelles Premières Nations qui adoptent un code foncier, mais celles qui en ont déjà un doivent présenter une demande.
Le sénateur Tannas : Nous en avons entendu parler, à savoir que les Premières Nations doivent envoyer une demande et qu’il faut des mois et des mois, même s’il ne s’agit que d’un chèque à traiter, mais bien des gens ont examiné la situation, et ils ne comprennent pas pourquoi il a fallu six mois pour que l’argent soit transféré dans leur compte alors qu’ils peuvent se rendre à pied à leur banque au bout de la rue.
Est-ce que ces obstacles sont éliminés, de manière à ce que vous n’ayez pas à passer par ce processus? L’argent sera transféré à votre gouvernement, qui n’aura plus à traiter avec personne à Ottawa.
M. Grant : Oui. Merci de votre question.
Le sénateur Tannas : Cela inclut-il tous les revenus tirés du pétrole et du gaz, tous les droits miniers et tout autre revenu tiré de l’utilisation des terres? Le gouvernement fédéral ne s’occupera-t-il plus de gérer et de surveiller les revenus des Premières Nations tirés de ces activités, tant et aussi longtemps que vous avez un code foncier? Est-ce exact?
M. Grant : Merci de votre question. Oui, c’est exact. Lorsque vous avez un code foncier, le gouvernement fédéral ne s’occupe plus des revenus des Autochtones.
Le sénateur Tannas : Et vous n’allez pas consacrer du temps supplémentaire maintenant pour faire approuver un code foncier, n’est-ce pas? Un code de gestion des terres doit-il être approuvé par le gouvernement, où y a-t-il des modalités automatiques qui vous permettent d’avoir un code foncier sans que vous ayez à passer par ce même processus interminable pour faire approuver un code foncier?
M. Grant : Merci beaucoup de votre question. L’Accord-cadre relatif à la gestion des terres des premières nations présente ce qui doit être inclus dans un code foncier, et un tiers indépendant est nommé dans le cadre du processus pour veiller à ce que le code foncier respecte ces dispositions. S’il est conforme aux dispositions, la Première Nation procédera à un vote communautaire. Une fois que les membres ont voté pour l’approuver, le code foncier entre en vigueur.
Le sénateur Tannas : Je sais qu’une Première Nation en Alberta a été créée administrativement, et je parle de la bande de Stoney Nakoda. Il y a trois bandes, soit celles de Bearspaw, Chiniquay et Wesley, mais la bande de Wesley a un nom différent maintenant. Le problème, c’est que ces bandes n’existent pas depuis un millénaire, mais elles ont été créées car elles étaient proches. C’était pratique pour le gouvernement, alors il les a appelées une nation. Leurs revenus ont été regroupés.
Premièrement, y a-t-il d’autres bandes dans une situation semblable? Deuxièmement, y a-t-il un processus pour les aider à comprendre cette dynamique qu’on leur impose, à savoir qu’il y aurait trois votes et les bandes seraient dissociées conformément à leur volonté?
Mme Waters : Merci de votre question. À l’heure actuelle, aucune Première Nation en Alberta n’est visée par la Loi sur la gestion des terres des premières nations. Donc, les nations de Stoney Nakoda ne peuvent pas bénéficier des dispositions relatives à la gestion des terres des Premières Nations ou des dispositions relatives aux fonds.
En ce qui concerne la façon dont les dispositions relatives aux fonds fonctionnent dans ce contexte, nous devrons vous fournir une réponse ultérieurement, car nous ne sommes pas responsables du programme de gestion des fonds des Indiens au ministère.
Je ne sais pas si vous avez quelque chose à ajouter, Chris.
M. Duschenes : Merci de la question. En vertu de la Loi sur la gestion financière des premières nations, il y a maintenant ces dispositions modificatives pour permettre la création de règlements qui, dans le cas de Stoney, permettraient à ces trois nations d’être distinctes sur le plan fiscal.
À l’heure actuelle, aucune disposition ne porte sur la propriété conjointe de terres pour permettre à ces trois nations indépendantes d’être distinctes sur le plan fiscal, et ces modifications permettraient de créer des règlements. C’est juste pour l’impôt; ce n’est pas pour les fonds des Indiens.
Le sénateur Tannas : Pourtant, avec cette option à tout le moins, on trace clairement la voie à suivre pour atteindre l’indépendance foncière pour tous. Est-ce exact?
M. Duschenes : Il y a certainement une voie à suivre claire pour l’indépendance fiscale, un règlement qui permet l’indépendance fiscale en vertu de la Loi sur la gestion financière.
Le sénateur Tannas : Merci.
La présidente : Avant de céder la parole à la sénatrice Coyle, j’aimerais poser une question complémentaire.
Il y a aussi la Loi sur la gestion du pétrole et du gaz et des fonds des Premières Nations, et je crois que Stoney et les autres bandes sont sur des terres qui sont riches en pétrole. Je me demande pourquoi elles n’ont pas accédé aux fonds des Indiens par l’entremise de cette loi.
D’après les renseignements que nous avons obtenus il y a deux ans, il n’y avait qu’une Première Nation, en Saskatchewan, qui avait réussi à administrer elle-même ses fonds des Indiens en vertu de cette loi particulière. Durant vos consultations, a-t-on parlé que la Loi sur la gestion du pétrole et du gaz et des fonds des Premières Nations devrait être modifiée également?
M. Duschenes : Des discussions sont en cours — je ne dirais pas qu’elles sont plus importantes, mais elles sont menées en parallèle —, et nous travaillons avec le Conseil des ressources indiennes et PGIC, Pétrole et gaz des Indiens du Canada, pour repenser tout le régime de gestion du pétrole et du gaz.
Nous travaillons en étroite collaboration avec la Société régionale inuvialuite, la SRI, depuis quelques mois, et elle présentera à ses membres à son assemblée générale annuelle en janvier ou au début de février une proposition ou un ensemble d’options pour retirer complètement le gouvernement du Canada du processus d’administration du pétrole et du gaz. Ce sera un processus long et complexe, mais le fait que nous ayons de très bonnes relations avec la société et qu’elle présentera des options à ses membres en janvier est un début encourageant.
La présidente : J’ai une petite question sur la Loi sur la gestion des terres des premières nations : combien de Premières Nations ont des codes fonciers à ce jour?
M. Grant : Merci de votre question. En date d’aujourd’hui, il y a 78 Premières Nations au Canada qui ont des codes fonciers. Le Conseil consultatif des terres dira qu’il y en a 81. Il donne ce chiffre, car trois sont complètement autonomes, mais elles ont adopté des codes fonciers.
La présidente : Les Premières Nations autogérées sont-elles comptabilisées dans les 78?
M. Grant : Elles ne sont pas comptabilisées dans les 78, non.
La présidente : Merci.
La sénatrice Coyle : Merci beaucoup, monsieur Duschenes, madame Waters et monsieur Grant, d’être des nôtres aujourd’hui.
Je suis encouragée de voir que nous discutons aujourd’hui d’une loi qui a été créée en réponse aux collectivités des Premières Nations, et c’est aussi optionnel, si bien que les gens peuvent choisir d’y adhérer s’ils le veulent. C’est encourageant.
J’ai une question générale, ensuite j’aurai deux questions assez précises sur la déclaration.
La question générale porte davantage sur les obstacles. Quels sont les obstacles qui empêchent les Premières Nations d’y adhérer? J’aimerais savoir quels sont les obstacles, si vous pouvez nous en faire part, et j’entrerai ensuite dans les détails.
M. Duschenes : Merci. Je vais parler plus précisément de la Loi sur la gestion financière des premières nations. La loi est structurée et évolue d’une manière à ce qu’il n’y ait pas d’obstacles. Je vais vous donner un exemple du processus.
Une Première Nation demande d’être inscrite à l’annexe de la loi, ce qui, lorsque c’est fait, signifie qu’elle est officiellement inscrite dans la loi, et le Conseil de gestion financière a le pouvoir de commencer à travailler avec elle à l’élaboration de ses systèmes financiers et, espérons-le, à un processus de certification financière. Donc, le Conseil de gestion financière, sous la direction de Harold Calla, à qui l’on a parlé plus tôt, a le pouvoir de commencer à travailler à l’échelon communautaire en ce qui concerne la gestion financière, pour passer à l’étape suivante, qui permettrait à la collectivité d’emprunter de l’argent une fois qu’elle a sa loi sur la gestion financière et sa certification.
Vous avez peut-être récemment entendu les témoignages de M. Calla et d’autres représentants du Conseil de gestion financière, qui ont dit qu’ils ont commencé à travailler même avant l’inscription et qu’ils travaillent avec des collectivités sélectionnées en situation de manquement de gestion, ce qui est très encourageant. Le Conseil de gestion financière élargit son rôle en quelque sorte pour lui permettre de travailler avec les collectivités qui sont confrontées à des obstacles pour être inscrites à l’annexe de la loi. La vision de M. Calla et du Conseil de gestion financière consiste à éliminer les obstacles et à avoir la capacité et les ressources de travailler avec n’importe quelle collectivité, à n’importe quel niveau, aux étapes préalables à l’inscription à l’annexe de la loi, pour pouvoir ensuite passer aux autres étapes liées aux connaissances financières et permettre aux collectivités d’emprunter de l’argent.
Il convient de noter que dans le budget de 2018, d’importants investissements ont été effectués pour permettre au Conseil de gestion financière et à la Commission de la fiscalité des premières nations d’augmenter leur empreinte physique au pays. Comme vous le savez sans doute, les trois institutions sont établies en Colombie-Britannique. Elles ouvrent maintenant des bureaux au pays, ce qui leur permettra d’être beaucoup plus près des collectivités qui veulent peut-être être inscrites dans la loi, y compris celles qui ne sont peut-être pas encore inscrites à l’annexe de la loi, mais qui veulent renforcer leurs capacités de l’être. Merci.
La sénatrice Coyle : Merci. C’est très utile.
Je vais maintenant poser mes questions précises. Madame Waters, dans votre déclaration à la page 3, vous dites — et ce n’est pas seulement pour ma propre compréhension — que la capacité de répondre aux intérêts des tiers existants est actuellement le plus grand obstacle au traitement en temps opportun des demandes d’ajout aux réserves.
Pourriez-vous nous fournir plus de détails à ce sujet?
Mme Waters : Merci de votre question. Lorsque le processus est mené et que la réserve est créée, nous respectons tous les intérêts des tiers existants. Dans tous les cas, nous devons faire une recherche sur le territoire. Il y a au début des intérêts de tiers existants tels que des servitudes hydroélectriques, des lignes de câbles de Bell, des lignes de transmission, des routes. Il y a de nombreuses activités différentes dans les réserves. Il peut aussi y avoir des entreprises qui ont des baux existants. Il peut y avoir des hypothèques sur les terres. Tous ces points doivent être abordés.
Nous passons d’une compétence provinciale à une compétence fédérale. Parfois, ces intérêts n’ont même pas de reconnaissance légale, mais ils sont là depuis de nombreuses années, donc certains peuvent avoir expiré. Nous les plaçons dans une fiducie et nous faisons des mises à jour et les transférons en vertu de la Loi sur les Indiens, si bien qu’ils font partie de la Loi sur les Indiens, de la Loi sur la gestion des terres des premières nations et maintenant des modifications à la gestion des terres des Premières Nations; ces instruments sont créés pour les Premières Nations dotées d’un code foncier.
Il y a tout un éventail d’intérêts différents. Nous avons le détenteur des droits de surface, les détenteurs de droits d’exploitation souterraine. Je ne sais pas si cela répond à votre question de façon suffisamment détaillée.
La sénatrice Coyle : Oui, c’est parfait. C’est exactement là où je voulais en venir.
Ma dernière question très précise s’adresse à vous, monsieur Grant, et elle porte sur la deuxième puce au bas de la page 4, où vous examinez les modifications pour harmoniser les procédures de vote.
Pouvez-vous me dire quelle était la justification initiale pour les exigences relatives au vote initiales? D’où vient cette justification, quelle était la logique sous-jacente, et pourquoi la changeons-nous maintenant?
M. Grant : Merci beaucoup de votre question. En ce qui concerne le raisonnement initial derrière les seuils de participation, je pense que le gouvernement à l’époque voulait s’assurer que la volonté de la collectivité était adéquatement démontrée dans le processus de scrutin. Il voulait s’assurer qu’un nombre minimal de personnes se présentent pour voter.
La raison d’être de le changer, c’est que nous avons eu suffisamment de votes depuis les 20 années d’existence de l’Accord-cadre relatif à la gestion des terres des premières nations pour constater que dans la majorité des votes, environ 80 p. 100 des votes, l’appui est massif, mais c’est le seuil de participation qui entraîne généralement l’échec du vote. Cela arrive principalement dans les grandes collectivités dont le nombre de membres qui vivent en dehors des réserves est important, et obtenir le vote des membres hors réserve pose problème pour certaines de ces collectivités.
Dans le processus de scrutin, si vous ne votez pas, c’est considéré comme un « non ». Je ne suis pas sûr que les membres hors réserve comprennent cela. Ils pensent peut-être qu’ils ne devraient pas voter, parce qu’ils vivent en dehors de la réserve, mais en ne votant pas, c’est considéré comme un « non ».
M. Duschenes : J’aimerais ajouter rapidement que les processus de ratification des diverses lois et politiques que nous avons — y compris les politiques relatives à l’autonomie gouvernementale et les revendications globales — sont reconnus pour l’incohérence des approches, et exactement comme M. Grant l’a dit, qu’ils sont jugés problématiques. Nous en faisons beaucoup au ministère pour travailler avec les Premières Nations à repenser entièrement la ratification en général, à établir des normes pertinentes et ainsi de suite.
La sénatrice McCallum : Je vous remercie de vos exposés. Je voulais parler des problèmes structurels sous-jacents qui existent à l’intérieur du régime fédéral.
Le système juridique et le système de santé qui s’appliquent aux Premières Nations ne fonctionnent pas bien et, à cause de ces systèmes, il y a plus de cas de maladie et un nombre croissant d’Autochtones incarcérés. Pour contrer les défaillances de ces systèmes, on met en place des solutions disparates qui deviennent permanentes et qui ne règlent pas les problèmes structurels profonds qui perdurent.
Est-ce que cette loi relève de cette catégorie de situations pour lesquelles j’estime qu’il faudrait des changements structurels profonds? Nos problèmes sont en partie attribuables aux intérêts des tiers, et au fait que les provinces ne travaillent pas bien avec les Premières Nations. Je continue de voir cela dans mon travail avec ma province, le Manitoba. La conversation de ce matin, à elle seule, donne à croire que les problèmes ne cessent de surgir.
M. Duschenes : Certainement. Je vous remercie de votre question. C’est un enjeu qui dépasse les modifications et les mesures législatives proposées concernant les ajouts aux réserves. Cependant, les modifications proposées dans la Loi sur la gestion financière des premières nations comportent des éléments importants, par exemple, qui permettront aux trois institutions de travailler au-delà du niveau de la collectivité, mais avec des ensembles de groupes d’Autochtones ou de membres des Premières Nations.
Par exemple, l’Autorité sanitaire des Premières Nations de la Colombie-Britannique est très impatiente de travailler avec les trois institutions. Elle pourra ainsi obtenir un prêt par l’intermédiaire de l’Administration financière des Premières Nations afin de bâtir une infrastructure de santé beaucoup plus robuste dans les Premières Nations participantes de la Colombie-Britannique. Je crois que 42 Premières Nations font partie de l’Autorité sanitaire des Premières Nations de la Colombie-Britannique.
Les modifications ne corrigent pas directement certaines des causes systémiques que vous soulevez, mais en permettant, par exemple, à l’Autorité sanitaire des Premières Nations de la Colombie-Britannique de se prévaloir des dispositions de la loi pour emprunter des sommes importantes pour la création d’une infrastructure de santé, ce sera certainement d’une grande aide dans ces collectivités, du point de vue de l’offre de soins de santé.
La vision que les institutions ont présentée, c’est que d’autres groupes intéressés, ailleurs au pays, pourront s’en prévaloir, y compris au Manitoba. Si des groupes veulent obtenir une certification et emprunter des fonds par l’intermédiaire de l’Administration financière des Premières Nations afin d’améliorer la prestation de services et l’infrastructure dans la réserve, ils pourront le faire grâce à une des modifications proposées.
Mme Waters : J’aimerais ajouter qu’il serait formidable que ces mesures législatives parviennent à atténuer les problèmes structurels que vous avez mentionnés. Ce sont des changements graduels, de nature administrative, mais je pense qu’ils nous font avancer dans la bonne direction.
Je dois dire que j’ai entendu des Premières Nations que les intérêts des tiers constituent un obstacle important. En ce moment, la loi respecte les intérêts des tiers, et nous savons qu’avec le temps qu’il faut pour ajouter des terres à une réserve, de nombreux intérêts de tiers viennent compliquer la situation.
Nous avons rencontré les représentants d’une Première Nation, hier, qui attendent depuis des années la création de leur réserve. Il s’est produit beaucoup de choses, pendant ce temps : une nouvelle école a été construite, de même qu’un aéroport et d’autres choses de ce genre. Cela ne fait qu’ajouter à la complexité.
Nous reconnaissons devoir faire mieux. Nous devons traiter les dossiers plus rapidement.
En ce qui concerne les réformes plus générales touchant les ajouts aux réserves, nous souhaitons avoir cette conversation. Il faudra beaucoup de temps. Nous avons entendu de la part des Premières Nations que ces petits changements sont d’importants changements, et qu’il ne faut pas attendre que s’écoulent les trois à cinq années qu’il faudra pour avoir cette plus importante conversation. Ils vont beaucoup changer les choses dès maintenant et améliorer le processus d’ajout aux réserves, en particulier dans les secteurs situés à proximité de milieux urbains.
Tout ce que je veux dire, c’est que nous reconnaissons et comprenons les préoccupations, et qu’il s’agit d’un pas dans cette direction.
M. Grant : Je vous remercie de votre question. Je suis du même avis que mes collègues. Pour la Loi sur la gestion des terres des premières nations, nous avons adopté des démarches semblables, dans le sens que ce sont des changements progressifs que nous pouvions apporter dans l’immédiat. Ce sont des changements d’ordre administratif, mais ils produisent un effet important sur les Premières Nations qui participent, en particulier les changements relatifs aux votes.
Nous reconnaissons que certains des enjeux les plus complexes — les testaments et les successions, la gestion du pétrole et du gaz des terres indiennes, et même, les discussions sur les territoires traditionnels et la façon de gérer les enjeux de ce genre — doivent faire l’objet d’une discussion à plus long terme, s’échelonnant sur trois à cinq ans, et c’est ce que nous envisageons de faire dans le cadre de la gestion des terres des Premières Nations.
La sénatrice McCallum : Qu’est-ce qui est offert en garantie pour tout l’argent emprunté? S’ils ne peuvent pas rembourser l’argent, qu’est-ce qui arrive?
M. Duschenes : Je vous remercie de cette très importante question.
En vertu de la Loi sur la gestion financière des premières nations, les collectivités peuvent emprunter des fonds en offrant comme garantie diverses sources de revenus autonomes. En Ontario, par exemple, les jeux de hasard et une entente conclue avec le gouvernement provincial concernant les loteries produisent de très importants revenus. Elles peuvent miser là-dessus par l’intermédiaire de l’Administration financière des Premières Nations. À l’échelle du pays, les sources sont diverses.
Vous trouverez intéressant de savoir que, au Manitoba, quand les Premières Nations empruntent, ce sont de très gros montants. Elles ont emprunté près de 145 millions de dollars avec comme garantie leurs revenus autonomes.
En ce moment, les dispositions de la loi permettent uniquement aux collectivités d’utiliser leurs revenus autonomes venant de l’extérieur pour garantir leurs emprunts. Les revenus peuvent provenir de la province ainsi que d’entreprises privées.
Cependant, vous avez peut-être aussi entendu que sous la direction de l’Administration financière des Premières Nations, elles ont manifesté un très fort intérêt pour la monétisation. Cela signifie qu’on pourrait permettre aux collectivités de faire des emprunts sur les transferts fédéraux qui sont faits annuellement. Par exemple, si une collectivité obtient X millions de dollars, elle pourrait prendre une petite partie de ce montant annuel et le transférer à l’Administration financière des Premières Nations, qui ferait profiter ce montant sur le marché libre. L’AFPN prêterait un montant nettement plus élevé à la collectivité, et celle-ci rembourserait graduellement le montant sur les transferts fédéraux qui entrent.
Cela permettrait à une collectivité de bâtir une infrastructure en dollars de 2018 et de rembourser le montant sur des années, par contraste avec le processus de développement d’infrastructure actuel dans les réserves qui veut que l’infrastructure soit généralement construite moyennant le montant total de l’argent provenant du gouvernement fédéral.
Cependant, en ce moment, les dispositions de la loi ne permettent que l’emprunt sur les revenus autonomes, soit des revenus qui ne viennent pas du gouvernement fédéral.
La sénatrice McCallum : Est-ce qu’il arrive que l’on se serve des terres?
M. Duschenes : Comme garantie?
La sénatrice McCallum : Oui.
M. Duschenes : Il est très difficile d’utiliser les terres d’une réserve comme garantie — d’en tirer quelque chose sur le marché.
Il est très intéressant de noter que l’Administration financière des Premières Nations a une cote de crédit très élevée auprès d’agences de cotation comme Standard & Poors, entre autres, en raison du niveau de sécurité des processus qu’elle a mis en place et qui garantissent — le mot est peut-être trop fort — autant que possible que les collectivités sont des emprunteurs très sûrs en raison de la régularité de leur source de revenus. Ses processus et ses cotes grimpent constamment, et elle est vue sur le marché des obligations comme étant très fiable et très stable, ce qui garantit aux investisseurs qu’ils seront remboursés.
Elle a également un fonds pour éventualités. S’il y a un problème de remboursement, les fonds sont là. Cela ne s’est pas encore produit; depuis 2006, les problèmes de remboursement sont inexistants. Le remboursement se fait sans problème.
La sénatrice McCallum : Merci.
Le sénateur Christmas : Bonjour. Je suis ravi de votre présence à tous les trois. Je suis arrivé un peu tard à cause de la circulation.
Je suis de la Nouvelle-Écosse. Avant d’être nommé au Sénat, j’ai travaillé avec la Première Nation de Membertou pendant environ 20 ans. Je suis très content des changements qui sont proposés. La Première Nation de Membertou s’est prévalue de la Loi sur la gestion financière des premières nations. Elle a finalement obtenu sa certification du Conseil de gestion financière des Premières Nations, et je crois que c’était la première fois au Canada qu’une Première Nation obtenait des fonds par l’intermédiaire de l’AFPN. Je suis donc très content de ces changements et de la simplification de la Loi sur la gestion financière des premières nations.
Notre collectivité envisage en ce moment d’adopter un code foncier en vertu de la Loi sur la gestion des terres des premières nations. Encore là, je suis content des changements proposés pour faciliter cela.
Parmi mes responsabilités, la plus frustrante de toutes était probablement celle des ajouts aux réserves. J’ai fait cela pendant environ 20 ans. Nous avons dû traiter 15 parcelles de terrain, pendant cette période. Nous sommes une Première Nation urbaine. L’expérience la plus frustrante que j’ai vécue est liée à un terrain de 100 acres que nous proposions d’ajouter à la réserve de Membertou. Il nous a fallu 10 ans pour y arriver.
Madame Waters, je sais que vous avez répondu à cela quelques fois, mais j’essaie de comprendre comment aborder cela. Les intérêts des tiers constituent le plus grand problème, avec le processus d’ajouts aux réserves. Dans un cas particulier d’ajout à la réserve, il y avait divers intérêts de tiers, dont un droit de passage appartenant à un propriétaire privé qui n’était pas un Autochtone, ou un Micmac. Le terrain était manifestement à l’extérieur de la réserve. Nous l’avons acquis, et il y avait sur ce terrain une partie d’une voie d’accès. Nous n’avons pas pu annuler les intérêts de ce tiers. Il a refusé de les céder. Cette petite voie d’accès nous a coûté au moins cinq ans. Nous avons fini par l’exclure, et le reste des 100 acres a été intégré à la réserve, à l’exception de cette petite voie d’accès, dans le coin.
Comment pouvons-nous accélérer la gestion des intérêts de tiers, dans le processus d’ajouts aux réserves?
Mme Waters : Je vous remercie beaucoup de votre question. Comme je l’ai dit précédemment, il n’y a pas de solution facile, mais nous pouvons apporter des améliorations à plusieurs aspects différents.
Dans le budget de 2018, nous avons obtenu de l’argent pour travailler avec la Direction de l’arpenteur général de Ressources naturelles Canada à des mécanismes de règlement des différends en cas de problèmes liés à l’arpentage et aux limites territoriales comme celui que vous venez de décrire. Nous commençons tout juste à concevoir cette approche.
Cela nous permet de créer un contexte où une Première Nation comme la vôtre peut discuter avec un tiers et établir les paramètres d’un processus pouvant mener à une solution.
Dans les cas comme celui que vous décrivez, les provinces et les municipalités ont des pouvoirs d’expropriation et peuvent verser un dédommagement proportionnel. Nous n’avons pas cela dans les mesures législatives visant les ajouts aux réserves, en ce moment. On discute de cette possibilité.
Il nous faudrait certains attributs. De toute évidence, un tel changement exigerait beaucoup de discussions, mais cela pourrait être une possibilité dans les cas où nous avons des problèmes difficiles qui ne peuvent se régler par un processus de règlement des différends ou par d’autres mécanismes.
Ce que vous avez dû faire, soit éliminer une partie de la réserve, est une chose qui arrive très fréquemment.
Une question a été posée précédemment au sujet de certaines des entraves à la gestion des terres des Premières Nations. Je sais que la Première Nation de Membertou travaille depuis des années au processus d’établissement d’un code foncier, et le fait est que la plupart des terres comportent des problèmes hérités. Et ce n’est pas que pour les ajouts aux réserves. Il y a des problèmes avec les terres de la réserve, concernant les limites, de la contamination et d’autres aspects qui retardent le processus de transition au code foncier.
Avec un code foncier, la Première Nation assume l’entière responsabilité des terres. Le Canada s’acquitte de ses responsabilités jusqu’à ce moment, mais une fois que le code foncier est approuvé et que la Première Nation est assujettie au régime de gestion des terres des Premières Nations, elle en assume l’entière responsabilité.
Nous comprenons tout à fait une Première Nation qui ne veut pas assumer les problèmes hérités et en être responsable, mais cela se traduit par le retrait de certains secteurs. Il se peut que la Première Nation souhaite que certaines terres restent soumises à la Loi sur les Indiens si les intérêts ne peuvent être résolus immédiatement, mais qu’elle souhaite passer au code foncier.
Les terres et le déplacement des intérêts sont des enjeux complexes, et nous poursuivons donc notre travail à ce sujet. Nous y travaillons avec les partenaires des Premières Nations, et entendre les histoires comme celle de la Première Nation de Membertou nous aide à comprendre et à voir ce que nous aurions pu faire différemment si c’était aujourd’hui.
Le sénateur Christmas : Merci.
La présidente : Avant que nous passions au deuxième tour, avec le sénateur Patterson, j’aimerais poser une question. J’ai remarqué dans la documentation qu’on mentionne les biens immobiliers matrimoniaux à cinq ou six endroits.
Premièrement, j’aimerais savoir ce qui justifie les changements. Était-ce à la demande d’une communauté ou une organisation particulière? Est-ce que c’était l’objectif principal des changements?
M. Grant : Je vous remercie de cette question. Je pense que c’est surtout lié à la Loi sur la gestion des terres des premières nations. En vertu de la loi, les Premières Nations ont en ce moment la capacité de créer leurs propres lois visant les biens immobiliers matrimoniaux ou d’utiliser les lois fédérales et les règles fédérales provisoires, plutôt que d’adopter une loi à l’échelle de la collectivité.
Nous voulions, avec les modifications visant la gestion des terres des Premières Nations, que le conjoint et le décès d’un conjoint soient clairement définis dans ces lois, car ce n’était pas le cas dans la version antérieure.
De plus, si une collectivité a une loi qui relève de la loi fédérale, elle peut créer sa propre loi, avec le code foncier, éventuellement, et cela va en quelque sorte primer sur la loi fédérale.
La présidente : Il y a donc des collectivités qui souhaitent adopter leur propre loi sur les biens immobiliers matrimoniaux?
M. Grant : Oui. Je ne me souviens plus combien. Je crois que ce sont 46 collectivités qui ont créé leurs propres lois en vertu du code foncier. Et je crois qu’il y en a 8 ou 10 qui l’ont fait en vertu des lois fédérales.
La présidente : Merci.
Le sénateur Patterson : J’aimerais d’abord dire que je suis très content des modifications relatives à la Loi sur la gestion financière des premières nations et à la Loi sur la gestion des terres des premières nations. Je ne crois pas que cela devrait se trouver dans un projet de loi d’exécution du budget, mais nous ne parlons pas de cela.
Je me demande encore pourquoi nous avons deux ministères devant nous, et j’aimerais savoir qui fait quoi. Monsieur Duschenes, vous avez parlé de l’annonce faite en août 2017 par le premier ministre, je crois. Il avait annoncé que le ministère serait divisé en deux. On a parlé de la décolonisation et du développement d’une nouvelle relation, et le premier ministre a mentionné que cette division exigerait l’adoption de mesures législatives.
Nous n’avons encore pas vu de projet de loi. Que font Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord, ou RCAAN, et les Services aux Autochtones? Et qu’est-ce qui explique l’intervention de RCAAN dans la question des ajouts aux réserves, alors que pendant des années, c’est Affaires indiennes et du Nord ou Affaires autochtones et du Nord Canada qui s’en occupait? Pourquoi ce nouveau ministère s’occupe-t-il des ajouts aux réserves?
M. Duschenes : Après ma réponse générale, Susan vous répondra sur la question de l’ajout aux réserves.
Vous vous souviendrez peut-être que l’annonce d’août découle d’une recommandation formulée par la Commission royale sur les peuples autochtones, 20 ans plus tôt, pour une séparation nette entre le prestataire fédéral de services aux Autochtones — c’est-à-dire les organismes qui exécutent les programmes et distribuent l’argent — et l’entité chargée du long terme et des questions fondamentales comme les relations entre la Couronne et les peuples autochtones.
La séparation nette entre la prestation pure d’un service, d’une part, et la stratégie à long terme et la situation générale, d’autre part — les relations entre la Couronne et les Autochtones — est extrêmement complexe.
En fait, je pense que c’est un exemple très intéressant. Ces trois lois et les amendements ainsi que la création de la loi sur les ajouts aux réserves sont des exemples très intéressants de l’aide notable qu’elles apportent, dans mon esprit et dans celui des dirigeants des institutions créées sous le régime de la Loi sur la gestion financière des premières nations, à ces communautés pour qu’elles accèdent à l’autodétermination et deviennent durables. La distinction entre prestation de services et relations entre la Couronne et les Autochtones est au cœur de notre quotidien. Nous faisons les deux. Le Conseil de gestion financière, par exemple, directement en sa qualité d’organisation de prestation de services, mais beaucoup dans le contexte des relations entre la Couronne et les Autochtones ainsi que dans celui du progrès vers l’autodétermination.
Cela m’a permis de reconnaître le caractère commun aux deux ministères de certaines des fonctions de l’ancien ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, et les ministres Philpott et Bennett ont exprimé beaucoup d’intérêt pour le travail, dans mon cas, des trois institutions sous le régime de la Loi sur la gestion financière des premières nations.
Vous reconnaissez que la création de ministères exige l’adoption d’une loi habilitante. Il m’est impossible de dire à quel moment on l’adoptera. Pour le moment, nous travaillons sous la direction des deux ministères, mais il subsiste des exigences juridiques touchant les fonctions de la ministre découlant de lois retenues par la ministre Bennett, de Relations Couronne-Autochtones, ou transférées à la ministre Philpott, de Services aux Autochtones.
J’imagine que la séparation à venir sera clarifiée en temps utile, mais, pour le moment, nous veillons beaucoup aux intérêts des deux ministères.
Le sénateur Patterson : Vous, les fonctionnaires, vous vous arrangez entre vous, comme vous l’avez expliqué. Comment les Premières Nations qui éprouvent des difficultés avec les ajouts aux réserves — et nous en avons beaucoup entendu parler, le sénateur Christmas ayant décrit l’expérience qu’il a lui-même vécue — savent-elles à qui s’adresser dans ce nouveau ministère en devenir? Comment s’y retrouvent-elles?
Mme Waters : Je vous remercie de ces questions. Actuellement, pendant notre transition vers les deux ministères, nous ne demandons pas aux Premières Nations de savoir à quel ministre s’adresser. Nous offrons un guichet unique et si l’un des ministres doit autoriser une opération, nous le faisons faire en douceur pour la Première Nation.
Nous collaborons très étroitement avec les bureaux régionaux de Services aux Autochtones Canada. J’ai de nombreux contacts quotidiens avec eux. Ils sont en grande partie notre mécanisme régional de prestation de services.
Nous collaborons aussi très étroitement avec les deux ministres et leurs cabinets. Nous pouvons dire que le Secteur des terres et du développement économique n’oblige pas les Premières Nations, en ce qui concerne les terres, à s’y retrouver dans un système où nous savons que certaines décisions relèvent d’un des deux ministres. Nous y veillons en douceur, et tout baigne dans l’huile.
M. Duschenes : Si vous permettez une petite précision : nos bureaux régionaux de partout dans le pays ou notre présence concrète, concernent en grande partie Services aux Autochtones. Nos bureaux régionaux sont le point d’entrée des Premières Nations, non de manière exclusive, mais presque exclusivement, et ils sont de Services aux Autochtones. Le personnel régional des opérations y est entièrement de Services aux Autochtones.
Le sénateur Patterson : Je me demande pourquoi j’entends parler de confusion et de désorientation.
Ce qui me ramène à ma question que j’avais commencé à poser au premier tour, sur l’autorité en vertu de laquelle agit Relations Couronne-Autochtones Canada. La loi n’existe pas encore. Est-elle en chemin? Tant que le Parlement ne l’aura pas adoptée, en vertu de quelle autorité le nouveau ministère a-t-il été constitué, dépense-t-il l’argent des contribuables et embauche-t-il des fonctionnaires? Je suppose qu’il s’y trouve des cadres supérieurs. En vertu de quelle autorité Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada fonctionne-t-il actuellement?
M. Duschenes : Madame la présidente, si vous voulez bien, je pense qu’il serait utile de vous communiquer par écrit la description du processus par lequel on a pris un décret, dans lequel est intervenu le gouverneur en conseil jusqu’ici; celle du cadre juridique de ce qui a été conservé de la Loi sur le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien; celle de ce qu’on a pu transférer par décret; et l’échéancier de la rédaction de la loi qui établirait solidement le cadre juridique des deux ministères.
La présidente : Cela semble une bonne idée. Veuillez communiquer le tout à notre greffière, et nous le transmettrons à notre tour aux membres du comité.
Le sénateur Patterson : Puis-je ajouter, madame la présidente, une recommandation au comité directeur, pour que nous recevions des témoins représentant les Manitobains sur ce projet de loi, quand nous nous préparerons à l’étudier? Merci.
La présidente : Merci. Avant de lever la séance, j’ai une petite question.
Pendant vos vastes consultations, avez-vous parlé à un membre du Conseil national de développement économique des Autochtones? Ce conseil était-il inclus dans le processus de consultation?
M. Duschenes : Oui, excellente question. Maintenant, à la faveur du changement officiel de nom, le Conseil national de développement économique des Autochtones, j’ai le plaisir de luiassurer, dans mes locaux, nos services de secrétariat. Nous sommes donc en contact constant avec ses membres, individuellement et collectivement.
Vous savez, j’en suis sûr, que ce conseil a produit un rapport, il y a plusieurs années, sur les ajouts aux réserves. Il en a produit un sur les finances des Premières Nations. Nous le consultons et nous sommes en contact régulier avec lui, non seulement par la lecture de ses rapports, mais à la faveur de rencontres trimestrielles. Les dirigeants des institutions créées sous le régime de la Loi sur la gestion financière des premières nations l’ont rencontré au fil des années et obtenu ses conseils et l’ont conseillé à leur tour. Pour répondre à votre question, oui, il a beaucoup participé au processus.
La présidente : Tout le temps dont nous disposions est écoulé, et, au nom du comité, je remercie nos témoins. Nous avons pris plus d’une heure.
Des difficultés techniques ont empêché le témoignage du deuxième groupe que nous avions invité. C’était supposé se faire par vidéoconférence, depuis Inuvik, et, pour je ne sais quelle raison, cela n’a pas tout à fait fonctionné.
Néanmoins, nous avons eu plus de temps pour questionner nos témoins. Je tiens à vous remercier de vos réponses et de la vue d’ensemble que vous avez procurée.
(La séance est levée.)