Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones
Fascicule no 51 - Témoignages du 4 avril 2019
OTTAWA, le jeudi 4 avril 2019
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd’hui, à 13 heures, pour étudier la teneur du projet de loi C-91, Loi concernant les langues autochtones et pour, à huis clos, procéder à l’étude d’une ébauche de rapport.
La sénatrice Lillian Eva Dyck (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Bonjour. Avant de commencer, nous devons convenir d’une motion. Nous avons reçu des documents en anglais seulement. Accepte-t-on leur distribution en anglais seulement durant la réunion? Nous recevrons les documents traduits en français plus tard.
Des voix : D’accord.
La présidente : D’accord. Merci, mesdames et messieurs.
Bonjour. Je tiens à souhaiter la bienvenue aux honorables sénateurs ainsi qu’aux membres du public qui regardent la présente réunion du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, dans la salle, à la télévision ou sur le Web. Je tiens à reconnaître par souci de réconciliation que nous nous réunissons sur les terres traditionnelles non cédées des peuples algonquins. Je m’appelle Lillian Dyck et je viens de la Saskatchewan. J’ai l’honneur et le privilège d’être la présidente du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones.
Nous poursuivons aujourd’hui notre étude sur la teneur du projet de loi C-91, Loi concernant les langues autochtones. Avant de poursuivre, j’invite mes collègues sénateurs à se présenter.
Le sénateur Doyle : Norman Doyle, de Terre-Neuve-et-Labrador.
Le sénateur Tannas : Scott Tannas, de l’Alberta.
Le sénateur Duffy : Michael Duffy, de l’Île-du-Prince-Édouard.
La sénatrice McPhedran : Marilou McPhedran, du Manitoba.
La sénatrice Coyle : Mary Coyle, de la Nouvelle-Écosse.
La sénatrice LaBoucane-Benson : Sénatrice Patti LaBoucane-Benson, du territoire visé par le Traité no 6, en Alberta.
La sénatrice Pate : Kim Pate, de l’Ontario.
La sénatrice Lovelace Nicholas : Sénatrice Lovelace, du Nouveau-Brunswick.
La présidente : Merci, mesdames et messieurs. Je tiens à souhaiter la bienvenue devant le comité à Mme Karon Shmon, directrice de l’édition, et M. David Morin, développeur de curriculum, du Gabriel Dumont Institute of Native Studies and Applied Research, qui comparaissent par vidéoconférence. Nous accueillons en outre en personne M. Blake Desjarlais, directeur des affaires publiques et nationales, du Conseil général des établissements métis.
Merci d’avoir pris le temps de nous rencontrer cet après-midi. Nous allons commencer par Mme Shmon.
Karon Shmon, directrice de l’édition, Gabriel Dumont Institute of Native Studies and Applied Research : Tansi. Nous sommes heureux d’être des vôtres et d’avoir l’occasion de discuter avec vous cet après-midi.
Je vais vous raconter brièvement l’histoire du Gabriel Dumont Institute, l’entité responsable de l’éducation et de la culture de la Nation métisse de la Saskatchewan. L’organisme a été créé en 1980; nous nous approchons donc de notre 40e anniversaire. Dans le cadre d’une conférence culturelle, en 1976, nos aînés et des gens de la collectivité ont dit que nous avions besoin d’un institut bien à nous pour préserver notre culture et notre patrimoine, et c’est ce que nous faisons depuis plus de 40 ans, selon une double mission, soit de protéger la culture et le patrimoine des Métis de la province de la Saskatchewan et de sensibiliser les nôtres à cet égard grâce à la création et à la prestation de services et de programmes qui donnent aux gens du travail associé aux compétences connexes.
Notre programme phare, le SUNTEP, le Saskatchewan Urban Native Teacher Education Program, est fier des 1 300 personnes qui ont terminé avec succès le programme depuis 1980. Par conséquent, toutes les écoles en Saskatchewan bénéficient de la présence de 1 300 enseignants métis qui présentent la culture et le patrimoine métis aux enfants et informent les non-Métis au sujet de notre culture et de notre patrimoine. Ils ont joué un rôle important.
Notre service des publications a créé plus de 200 ressources propres aux Métis sous la forme de livres, de vidéos, d’applications et d’affiches, et notre Musée virtuel de l’histoire et de la culture métisses est l’un des plus importants dépôts de documents misant sur des ressources audio, les histoires orales et des images liées à l’histoire et à la culture métisses. L’accès est gratuit sur le Web, et nous recevons beaucoup de visiteurs sur le site, chaque mois.
Le michif est très important pour nous. C’est la langue des Métis, et elle remonte à l’époque du commerce des fourrures, lorsque les Métis jouaient le rôle d’intermédiaires au pays. Le michif a été créé en intégrant des mots français et cris ainsi que les deux syntaxes. Cette langue est propre aux Métis. C’est une langue unique qui n’existait pas avant que les Métis la créent pour leur compte.
Depuis, le michif a évolué et a généré des langues distinctes en Saskatchewan, soit le michif nordique, le michif français et, bien sûr, le michif patrimonial, qui est le plus en danger. Cette langue a été retirée à bon nombre de nos aînés qui se sont fait dire de ne pas la transmettre à leurs enfants pour que ceux-ci puissent réussir dans la société d’aujourd’hui, raison pour laquelle notre langue court maintenant un grand danger.
Les critères proposés par les Nations Unies pour déterminer en quoi consiste une langue gravement menacée tiennent à l’âge des locuteurs — les nôtres sont âgés de 65 à 85 ans — au fait qu’ils ne sont pas à proximité les uns des autres et qu’ils ont très peu d’occasions de l’utiliser pour converser et d’utiliser leur langue et au fait que leurs enfants d’âge adulte et leurs petits-enfants ne parlent pas la langue.
Parmi les autres causes ayant fait en sorte que la langue est maintenant gravement en danger, mentionnons la dispersion des assises territoriales des Métis de 1870 et la résistance de 1885. À ce moment-là, les Métis étaient répartis sur tout le territoire. Si affreux que cela ait été, les membres des Premières Nations ont été relégués aux réserves; ils restaient ensemble en tant que communautés au sein desquelles leur langue pouvait survivre, et certaines de ces langues se portent encore très bien de nos jours.
Les nôtres ont été disséminés, mais aussi, pour assurer leur sécurité culturelle, ils ont dû cacher leur identité. En effet, il n’était pas avantageux pour eux après cette période-là de dire qu’ils étaient Métis.
Même lorsque nos vétérans se sont enrôlés pour participer à tous les conflits auxquels le Canada a pris part, lorsqu’on leur demandait leur ethnie, on leur disait que « Métis », ça n’existait pas, et la personne responsable de l’enrôlement regardait leur nom de famille et leur attribuait une ethnie en conséquence.
Nous n’avons pas été reconnus dans la Constitution canadienne avant 1982, et ce, après le travail acharné de longue haleine accompli par Harry Daniels. Ce sont ces facteurs, en plus de l’impact des pensionnats et des écoles de jour, de la rafle des années 1960 et de l’influence de la société coloniale pour nous forcer à parler anglais... Les nôtres se sont fait dire : « Si vous voulez que vos enfants réussissent, ils doivent parler parfaitement anglais. Votre langue ne présente aucun avantage ». Par conséquent, beaucoup d’entre nous n’ont pas appris la langue de nos parents et de nos grands-parents parce qu’ils croyaient faire ce qu’il y avait de mieux pour nous à l’époque.
Encore une fois, notre langue court un grand danger. Nous n’avons pas de territoire où retourner. Certains des autres groupes ont une patrie, par exemple, les gens de Grande-Bretagne peuvent retourner là-bas et apprendre la langue, comme les gens de France peuvent retourner en France apprendre le français. Nous n’avons pas d’endroit où notre langue et notre culture pourront être ravivées, sauf ici, au Canada. Par conséquent, la situation du michif étant ce qu’elle est, nous estimons que ce projet de loi est extrêmement important pour les nôtres.
Je vais maintenant céder la parole à mon collègue, David Morin.
David Morin, développeur de curriculum, Gabriel Dumont Institute of Native Studies and Applied Research : Bonjour. J’aimerais fournir des renseignements contextuels sur ce que le Gabriel Dumont Institute a permis de faire pour le michif jusqu’à présent. Nous avons créé beaucoup de ressources. Nous intégrons des traductions michif et des narrations en michif dans les livres pour enfants depuis plus de 15 ans.
Le michif est une langue orale, alors c’est vraiment important pour nous d’inclure des narrations et des pistes audio pour tout ce que nous faisons en michif.
Nous avons aussi mis au point certaines applications. Il y a Michif To Go, qui compte plus de 11 500 enregistrements audio de mots et plus de 500 expressions. Nous avons récemment publié Northern Michif To Go, qui compte plus de 18 000 traductions. Il y a aussi l’application Michif Lessons, qui offre diverses leçons, des choses sur les animaux, les parties du corps, la météo et l’amour.
Ces trois applications sont accessibles sur notre site web, metismuseum.ca, parce que nous comprenons que tout le monde n’a pas accès à des téléphones intelligents ou des tablettes. Nous voulons que ce soit accessible aux gens.
Nous avons aussi créé une série pour les jeunes lecteurs. Nous avons constaté qu’il n’y avait pas beaucoup de livres pour les jeunes enfants qui commençaient tout juste à lire à la prématernelle et à la maternelle, alors nous avons créé 27 livres sur 9 thèmes différents liés à l’histoire et à la culture métisses et nous avons traduit le tout en michif, ajoutant des CD aux livres pour offrir la composante audio. Nous travaillons actuellement sur neuf autres livres.
Nous avons aussi des partenariats avec des écoles à Saskatoon. Nous comptons une école partenaire dans chaque division des écoles catholiques et publiques où les professeurs intègrent le michif directement dans leurs cours.
Nous avons organisé des cours communautaires et universitaires sur le michif. Nous avons créé des banques linguistiques. C’est quelque chose que nous avons fait grâce à des entrevues auprès d’aînés qui parlent michif en plus d’organiser des rencontres de création de banques linguistiques du michif, dans le cadre desquelles nous abordons différents thèmes, comme les jouets et leurs jeux avec nos aînés.
Nous avons aussi intégré le michif dans des affiches autour de l’institut afin d’aider à promouvoir la langue. D’autres organisations font certaines choses relativement au michif, comme l’Institut Louis Riel, au Manitoba. L’organisation crée aussi des livres et des CD. Elle a mis en ligne des vidéos sur le Web, en plus d’offrir des cours.
La dernière chose que je veux dire, c’est que le projet de loi C-91 est extrêmement important pour revitaliser, promouvoir et conserver les langues autochtones comme le michif. Lorsqu’on perd une langue, on perd toute une vision du monde. Les gens pensent différemment lorsqu’ils parlent des langues différentes, et nous ne voulons pas perdre cela au pays.
Le projet de loi nous aidera à faire ce que nous pouvons pour revitaliser, promouvoir et conserver les langues. Il nous permettra de produire plus de livres pour enfants, plus d’applications, de miser davantage sur les technologies, de créer plus de communautés parlant la langue et aider plus de personnes à apprendre la langue. Le projet de loi pourrait peut-être même nous aider à accomplir des choses auxquelles on n'avait jamais même pensé.
Merci de m’avoir écouté.
Blake Desjarlais, directeur des affaires publiques et nationales, Conseil général des établissements métis : Merci beaucoup, mesdames et messieurs, d’avoir pris le temps de me rencontrer aujourd’hui. Tansi.
[M. Desjarlais s’exprime dans sa langue autochtone.]
Je m’appelle Blake Desjarlais. Je viens de l’Établissement métis de Fishing Lake, en Alberta.
Comme certains d’entre vous le savent, les Métis ont une assise territoriale en Alberta. Elle a été réservée par le roi George VI, en 1938. Cette assise territoriale a été relativement oubliée par beaucoup, tout comme nous et nos récits l’avons été aussi.
Nous avons comparu devant le Comité de la Chambre des communes pour parler du même sujet, et nous voulions discuter avec les gens là-bas de certains des domaines où les établissements métis ont besoin de soutien et d’une voix nationale.
Nous sommes un groupe qui avons demandé devant les tribunaux, dans le cadre d’un litige qui a duré de 1985 à 1990, une modification de la loi constitutionnelle de l’Alberta pour reconnaître les membres d’un établissement métis comme ayant une relation avec la Couronne en Alberta. Grâce à cette relation, nous avons pu protéger nos terres en fief simple. De plus, c’est important pour nous de protéger les attitudes, la langue et la personnalité associée au territoire.
Je le dis expressément afin d’essayer de vous encourager à penser aux choses dans cette optique. La terre a sa propre attitude et son propre esprit. Elle a son propre mode de vie. Elle a sa propre existence. Elle nous parle dans sa propre langue, et cette langue se reflète dans la façon dont nous parlons et nous voulons lui parler comme si elle nous parlait à nous. Ce que j’essaie de dire, c’est que c’est une relation réciproque qui découle de la relation immédiate qu’on a avec l’endroit où l’on naît.
Comme je suis né dans ma collectivité de Fishing Lake, je suis né dans cette langue et avec cette attitude. Toutefois, la langue souffre, elle nous appelle à l’aide. Dans la situation actuelle, ma génération ne pourra pas la conserver.
Nous sommes la première génération d’anglophones. Mes parents ne parlaient pas anglais, ni mes grands-parents. Nous sommes la première génération à parler anglais, et je crains que la prochaine génération n’ait pas l’occasion du tout de parler la langue.
C’est lié au fait d’avoir été très oubliés. Nous ne sommes pas une organisation membre du Ralliement national des Métis ni de l’association de la Nation métisse de l’Alberta. Nous ne sommes que des sang-mêlé qui ont été relégués à des régions du Nord de l’Alberta.
Je le dis avec beaucoup de confiance, parce que nous sommes vraiment un beau peuple lorsqu’on apprend à nous connaître. Si vous veniez visiter nos terres, vous constaterez que, même si nous avons de la difficulté à conserver nos acquis et à conserver les terres que nous avons protégées, nous voulons aussi nous assurer que les générations futures pourront profiter des choses dont nous avons déjà pu jouir.
Un aîné m’a déjà dit que ce qu’il y a de plus sacré pour les Métis, c’est leur territoire, et la chose la plus dévastatrice qui soit jamais arrivée aux Métis, c’est que leurs parents de partout au pays en ont été privés. Certains de nos parents, ici, au Gabriel Dumont Institute, ont mentionné le fait qu’ils ont été incapables de conserver leur langue en raison de leur perte de territoire. C’est extrêmement important de protéger la terre et les récits qui l’accompagnent et qui s’y trouvent.
Lorsqu’on parle de langue, on parle de beaucoup plus que la parole. Nous parlons d’idéologie, de liens que nous avons avec la terre et de la façon dont nous communiquons avec nos enfants et nos grands-parents.
C’est très difficile. Mon mushum — mon grand-père — ne pouvait pas me parler en anglais. Il pouvait seulement me parler en cri. C’est donc la langue que nous parlons dans les établissements métis.
Au cours des 100 dernières années, nous avons été très proches de nos parents membres des Premières Nations, et nous faisions du commerce avec eux, nous communiquions ensemble et nous participions à des danses communes. Parfois, ils nous battent même durant les occasionnels concours de gigue. C’est rare, mais ça arrive.
C’est merveilleux ce que la langue fait dans nos collectivités. Elle nous rassemble. Nous sommes à une époque, ici, au pays, où nous avons besoin plus que jamais d’unité et de moins de division.
C’est quelque chose que les Premières Nations ont réussi à vraiment défendre, et je suis heureux d’avoir pu participer à ce travail afin de faire de la place pour les autres groupes autochtones comme les Inuits et, bien sûr, les Métis.
Les établissements métis ont non seulement été incapables de conserver leur langue au cours des dernières années, mais ils ont aussi été incapables d’obtenir la reconnaissance de qui nous sommes vraiment en tant que peuple, sur le terrain. C’est une triste histoire de nombreuses façons.
Lorsque nous avons commencé à travailler avec le Conseil général des établissements métis, avec bon nombre de vos collègues, ici, à Ottawa, divers ministres et députés, je me suis rapidement rendu compte que l’histoire des établissements métis et l’histoire contemporaine des Métis avaient été perdues. Nos souffrances et nos récits sont oubliés, tout comme ce que nous tentons de protéger.
Je suis heureux d’être ici au nom de ma communauté de Fishing Lake. Les aînés m’ont parlé ce matin, et ils m’ont demandé de m’assurer de parler du fait qu’ils ont besoin de leur place dans tout ça. Ils ont besoin qu’on les entende aussi dans le cadre de ce travail. Nos aînés veulent être des champions. Ils veulent pouvoir aller dans les écoles là où sont les gens. Ils veulent organiser des activités et des danses comme ils le faisaient avant.
Je veux vous raconter une histoire rapidement. Ma grand-mère, ma kokum, elle vient de la Cumberland House. Elle a marié un Métis, mon mushum et elle a déménagé dans l’établissement métis de Fishing Lake. Elle a été privée de droits après avoir marié mon mushum, mais ce qui les a gardés ensemble à l’époque, c’était la langue. Ma grand-mère disait toujours que la langue c’est beaucoup plus que ce qui nous permet de communiquer. La langue permet de littéralement réunir nos esprits.
Par exemple, le mot otipimisiwak. C’est un mot cri-métis qui signifie « gens libres ». Cela signifie quelque chose pour nous. Ce n’est pas seulement qui nous sommes. C’est ce que nous espérons être et ce que visent tous nos idéaux : nous voulons être des gens libres.
C’est vraiment important pour nous, mais, pour atteindre cet objectif, il faut protéger la langue. Nous devons enseigner à nos enfants qu’être des otipimisiwak signifie agir d’une façon qui est toujours respectueuse de la terre, des autres et de nos parents. C’est ce pouvoir qu’a la langue. Elle a le pouvoir d’enseigner à nos enfants qui nous sommes.
C’est de cette façon-là que nous enseignons. Nous n’avons pas le genre d’institution que possède le monde occidental. Nous n’avons pas d’universités, de bibliothèques et des choses du genre. Nous avons la terre. Nous avons les lacs. Nous avons les rivières. Nous avons nos aînés et nos récits. C’est ainsi que nous apprenons la langue.
Si nous perdons cela, nous ne serons plus là pour très longtemps, et j’essaie de le souligner le plus possible : nous ne serons plus là si nous ne pouvons pas protéger notre langue. Cela veut dire tellement pour nous... C’est lié à la terre. Imaginez pouvoir parler à la terre. C’est ce que nous faisons. Nous lui parlons. C’est notre mère. Elle nous nourrit. Elle nous donne la vie.
En fait, nous avions présenté un amendement devant le Comité de la Chambre relativement au projet de loi, mais il a été rejeté. Tout ce que nous avions demandé, comme amendement, c’était d’inclure les établissements métis comme partenaire nécessaire dans le cadre de ce travail, et l’amendement a été refusé à cet endroit. Nous étions vraiment déçus, parce que nous ne comprenions pas exactement pourquoi. Pourquoi est-ce qu’un groupe, les seuls Métis possédant un territoire dans tout le pays, était négligé lorsqu’il est question de protéger notre langue?
Nous avons été dévastés par cette décision, et je le suis encore. Par conséquent, j’espère que le Sénat pourra nous aider d’une façon ou d’une autre à nous assurer que l’amendement est adopté. Je l’ai en main aujourd’hui. C’est tout simplement une ligne qui modifie une disposition de façon à inclure les établissements métis. Nous voulons être inclus. Nous voulons travailler en collaboration avec le Canada. Nous voulons pouvoir protéger cette langue qui tire son origine du territoire.
Je reconnais que notre cri est un peu différent du cri que parlent nos parents des Premières Nations. C’est similaire au michif, de certaines façons, mais c’est définitivement une langue crie à bien des égards, et c’est le résultat du fait de vivre sur le territoire depuis 100 ans.
Par conséquent, la reconnaissance est un des aspects de tout ça. Le fait de ne pas faire partie du Ralliement national des Métis ni de l’association de la Nation métisse de l’Alberta nous a laissés en plan. Nous voulons combler la lacune; nous voulons être des partenaires dans le cadre de ce travail. La reconnaissance est donc importante. Cet amendement est capital, et, bien sûr, la capacité de réaliser ce travail sur le terrain l’est aussi. Nous voulons aider nos aînés. Nous voulons qu’ils puissent aller dans les écoles. Nous voulons qu’ils soient dans nos bureaux, nos maisons, qu’ils puissent se déplacer dans la collectivité, parler la langue. Nous voulons jouer un rôle actif dans la vie de nos jeunes. C’est aussi ce que je veux vraiment.
Je ne sais pas où j’en suis pour ce qui est du temps, mais je vous remercie beaucoup.
La présidente : Nous allons arrêter pour les questions, mais je me questionne sur vos amendements. J’aimerais que vous les présentiez au comité.
M. Desjarlais : Bien sûr. J’ai seulement deux exemplaires, malheureusement.
La présidente : Nous pouvons faire des copies.
M. Desjarlais : Ça venait d’un député préoccupé, M. Yurdiga, de la région de Fort McMurray-Cold Lake. Il avait entendu les préoccupations de l’Établissement métis de Buffalo Lake. Certains des sénateurs se sont en fait rendus à Buffalo Lake. Ils étaient très préoccupés par la perte de la langue et la représentation, parce que nous voulons protéger la langue métisse unique qui se parle dans les établissements. C’est une langue vivante, et elle est unique aux Métis modernes.
La présidente : Merci. Nous allons maintenant passer aux questions.
Le sénateur Doyle : Merci de votre présence. J’ai regardé votre site web, et il est indiqué que vous fournissez une formation de base, l’enseignement des compétences et une formation universitaire. Le faites-vous par l’intermédiaire de l’institut ou est-ce que l’institut fournit des programmes dans le système scolaire régulier? De quelle façon soutenez-vous tout ça? D’où vient le financement?
Mme Shmon : Les activités sont financées par la province. Certains de nos programmes et le volet dont s’occupe notre service reçoivent des fonds fédéraux. La formation est donnée grâce à des contrats d’affiliation avec deux universités de la Saskatchewan, l’école polytechnique de la Saskatchewan et les collèges régionaux. Ces endroits possèdent déjà l’agrément, et je crois que, en fait, nous pourrions l’obtenir nous aussi. Cependant, les gens voudront peut-être remettre en question la validité des programmes, mais lorsque nous sommes agréés par ces établissements bien établis, personne ne pose de question. Un baccalauréat en éducation est un baccalauréat en éducation.
Beaucoup de tout ça est financé par le gouvernement provincial à même l’assiette fiscale, et il y a aussi certains fonds du gouvernement fédéral. Nous ne fournissons pas directement les programmes dans les systèmes scolaires de la maternelle à la 12e année. Nous les soutenons.
Le sénateur Doyle : Bien. Votre site web dit aussi que votre mission est de promouvoir le renouvellement —
Mme Shmon : Je suis désolée. Je ne vous entends pas.
Le sénateur Doyle : Votre site web dit que votre mission consiste à promouvoir le renouvellement et le renforcement de la culture métisse. Cela inclut-il une langue métisse précise? Vous n’avez pas une langue métisse précise actuellement, je me trompe? Excusez mon ignorance à cet égard.
Mme Shmon : Nous considérons la langue et la culture comme étant liées inextricablement. En Saskatchewan, nous reconnaissons trois formes de michif. Comme M. Desjarlais l’a souligné, ces langues sont des évolutions de la langue originale, que nous appelons le michif patrimonial en raison des influences régionales. Par conséquent, le michif nordique intègre beaucoup de cri, et le michif français, beaucoup de français, mais nous ne voulons pas appeler ces langues des dialectes, parce que chaque groupe qui les parle considère qu’il s’agit d’une langue en tant que telle.
Le sénateur Doyle : Par conséquent, le projet de loi que nous avons devant les yeux permettrait-il de répondre à vos besoins à cet égard?
Mme Shmon : Oui. Je crois que ce sera possible parce qu’il y a deux ou trois façons que les gens utilisent pour soutenir différentes choses. D’abord, il y a l’impératif moral, et ensuite, l’impératif financier. Lorsqu’on considère que quelque chose fait partie de la loi au Canada... Je crois que les gens respecteront plus ce que dit le projet de loi sur l’avenir des langues autochtones. Nous estimons que c’est un pas dans la bonne direction.
Le sénateur Doyle : Vous avez été pleinement consultés relativement au projet de loi?
Mme Shmon : Je suis désolée. Le son coupe.
Le sénateur Doyle : Pardonnez-moi? Avez-vous été pleinement consultés dans le cadre de l’élaboration du projet de loi?
Mme Shmon : Oui, nous l’avons été. L’institut a été contacté par le Ralliement national des Métis et l’Institut Louis Riel pour diriger des séances de mobilisation dans le but de fournir des renseignements contextuels sur le michif et de formuler des recommandations sur ce que, selon nous, le projet de loi devait contenir. Par conséquent, j’estime qu’il y a eu beaucoup de consultations.
Le sénateur Doyle : Bien. Merci.
La sénatrice LaBoucane-Benson : Pour commencer, je tiens à remercier les gens du Gabriel Dumont Institute de leur exposé. J’admire depuis longtemps le travail que vous faites. Je dois souligner à quel point j’aime ce qu’il y a derrière vous, Metis Rising. Je n’arrive pas à le quitter des yeux. C’était bien pensé de le mettre là. Félicitations.
Je tiens aussi à remercier M. Desjarlais d’être là. Nous avons discuté un peu à côté, et nous nous sommes rendu compte que nos arrière-grands-pères étaient des frères. C’est donc bien d’avoir un cousin ici.
Je suis vraiment heureuse que vous ayez soulevé la notion de otipimisiwak; j’ai entendu un aîné dire que cela signifiait être notre propre chef. C’est quelque chose qu’on m’a dit il y a très longtemps, et j’ai intégré cette pensée et cette notion dans le travail que je fais. C’est une notion puissante.
L’une des choses que je fais lorsque je pense au projet de loi et, assurément, à votre amendement — je suis heureuse que vous l’ayez apporté — c’est de vous demander quel est le principe le plus important lorsqu’il est question de réappropriation linguistique? Si vous deviez nous dire quelle est la chose la plus importante à faire, quel serait ce principe?
M. Desjarlais : C’est une très bonne question, et je pense que le principe le plus important est probablement celui de la communauté. Sans un sentiment d’appartenance à la communauté, il n’y a pas de transmission de la langue. Nous devons donc veiller à ce que le principe de communauté soit présent et inculqué à nos jeunes. C’est déjà le cas chez nos aînés. Ceux-ci visitent sans arrêt. Toutefois, il s’agit de nos jeunes. Ils ont besoin de le voir concrètement, et il faut donc fournir un espace ainsi que la capacité connexe afin que ce sentiment d’appartenance communautaire puisse s’épanouir. Sinon, il faut faire preuve d’initiative. La langue est réellement laissée à l’initiative personnelle si elle n’est pas présente au sein de la communauté de cette manière. Ainsi, le communautarisme est un aspect important pour ce qui est d’assurer la survie de la langue.
Le sénateur Tannas : Vous avez mentionné Buffalo Lake, monsieur Desjarlais, et je suis désolé, j’ai quitté la salle pendant une minute. Je vous prie de m’excuser si vous en avez parlé, mais votre collectivité se trouve dans la même situation que Buffalo Lake, n’est-ce pas? Le gouvernement de l’Alberta vous a reconnu et octroyé une assise territoriale en vous souhaitant bonne chance, et c’est à peu près tout?
M. Desjarlais : C’est essentiellement ça. En 1938, lorsque le gouvernement... Nous avons fait pression très fort, nos ancêtres de l’époque, pour que la Couronne nous réserve des territoires, car nous étions dans le secteur du Traité no 8 et du Traité no 6. Comme il y avait beaucoup de Métis à ces endroits, vous voyiez juste. En 1990, ils nous ont donc laissé beaucoup de terres et de ressources, sans aucune capacité. Puis, nous avons été abandonnés.
Je viens de l’établissement métis de Fishing Lake. C’est de là que viennent les membres de Buffalo Lake. Ce sont également des membres de ma parenté là-bas. Oui, c’est la même situation. Nous nous trouvons sur une assise territoriale protégée qui ne peut faire l’objet d’une hypothèque. La Couronne a supprimé sa capacité de se dessaisir de territoires en vertu d’une modification de la Loi concernant l'Alberta. J’ai également trois autres textes de loi de la Couronne connus sous le nom de Metis Settlements Act, Metis Settlements Accord Implementation Act et Metis Settlements Land Protection Act. Ces quatre lois forment l’assise territoriale qui correspond aux établissements métis.
Nous avons une forme d’autonomie gouvernementale qui permet à un conseil de 44 membres d’élaborer des lois et des politiques qui sont publiées dans la Gazette de l’Alberta, lesquelles ont tout autant force exécutoire en Alberta. Cependant, nous n’avons pas la capacité ni les moyens de nous assurer de disposer des données probantes adéquates afin de pouvoir réaliser certaines de ces tâches. Nous essayons donc d’augmenter considérablement cette capacité.
Le sénateur Tannas : Je m’excuse. Ce n’est peut-être pas la tribune appropriée, mais cela m’a traversé l’esprit. J’aimerais comprendre la politique qui semble se poursuivre. Si je suis impoli, vous pouvez le dire. Dois-je comprendre que votre établissement, Buffalo Lake, n’est ni membre de Métis Nation of Alberta ou du Ralliement national des Métis?
M. Desjarlais : C’est exact.
Le sénateur Tannas : Donc, vous êtes inquiets, et d’autres organisations nous ont dit qu’elles ne faisaient pas partie des grands organismes nationaux, qu’elles ne pensaient pas pouvoir en tirer quelque chose.
M. Desjarlais : C’est vrai; nous n’avons pas été consultés. C’est là toute la mesure dans laquelle nous avons été consultés. La conversation la plus approfondie que nous ayons eue à propos du projet de loi est celle que nous avons actuellement. Nous avons tenté de faire en sorte que le gouvernement nous entende. Nous avons rencontré le ministre à plusieurs reprises afin d’aborder cette préoccupation, et on nous a dit qu’on s’en tenait à la parole du premier ministre, et celui-ci avait déclaré que le gouvernement travaillait avec des organisations nationales; et c’est avec celles-ci que nous travaillons.
Le sénateur Tannas : Si vous n’étiez ni membre d’une organisation nationale, ni invités à le devenir par une organisation nationale, de quelle façon obtiendrez-vous un seul dollar de sa part?
M. Desjarlais : Eh bien, nous devons continuer à utiliser nos propres ressources et à parler à bon nombre d’entre vous. Je suis heureux d’avoir rencontré de nombreux sénateurs ici aujourd’hui afin d’aborder certains de ces enjeux relatifs à la représentation des Métis.
C’est peut-être une stratégie classique utilisée par le gouvernement. Je ne suis pas tout à fait sûr. Je suis toujours méfiant lorsque le gouvernement prend des mesures semblables à celle-ci. Dans le cas où vous traitez différemment un groupe de personnes de la même catégorie... On se rapproche de la définition de l’apartheid.
Nous n’obtenons certainement pas le niveau de service offert au Ralliement national des Métis. Tant s’en faut. Nous n’avons reçu aucune somme du gouvernement fédéral, par exemple, au titre d’un programme quelconque.
L’année dernière, nous avons tenté d’obtenir des fonds pour les services d’apprentissage et de garde des jeunes enfants, et on nous a répondu non. Nous avons des garderies qui ferment leurs portes dans les établissements.
C’est un oubli énorme. Je ne sais pas comment cela est arrivé. Je ne suis pas sûr si c’est parce que nous sommes en Alberta. Je ne sais pas pourquoi c’est la position du gouvernement. Toutefois, nous voulons travailler ensemble. Nous voulons protéger nos territoires. Nous voulons finir par travailler avec d’autres groupes métis. Cependant, lorsque vous êtes aux prises avec des difficultés à cet échelon pour obtenir des ressources et que les autres groupes métis ne semblent pas avoir de sympathie face à cette situation, nous ne pouvons pas faire grand-chose.
Le sénateur Tannas : Merci.
M. Desjarlais : Merci de la question.
La sénatrice Coyle : Merci à tous nos témoins aujourd’hui. Ma question s’adresse à vous, monsieur Desjarlais, car je veux vraiment en arriver au cœur de la question ici, à savoir que tous bénéficient de ce projet de loi, de façon appropriée.
Je tiens d’abord à faire l’éloge du magnifique travail qui nous a été présenté par le Gabriel Dumont Institute. Je crois comprendre que vous ne recherchez pas d’amendements au projet de loi.
Mme Shmon : Non.
La sénatrice Coyle : Je voulais simplement clarifier ce point avant de poursuivre.
J’ai lu l’amendement que vous proposez, et nous étudions tous ce projet de loi avec le plus grand soin. Je veux juste comprendre, si vous pouviez nous aider, ce qui est au cœur de cette préoccupation exactement.
Le paragraphe auquel vous faites référence ici, à la ligne 9 de la page 3 du projet de loi... Vous craignez d’être exclus si une mention vous concernant n’est pas intégrée dans ce libellé précis? N’êtes-vous pas visés par l’article 35?
M. Desjarlais : De fait, nous sommes visés à l’article 35. Nous ne sommes pas sûrs. Nous pensions que ce serait un amendement ordinaire, en réalité. Nous tentons de nous assurer que des consultations appropriées ont lieu avec nos collectivités, et nous nous efforçons de veiller à ce que le projet de loi contienne la représentation appropriée.
La sénatrice Coyle : Je veux vraiment comprendre, car lorsque je regarde l’article 8 à la page 6, où il est dit avec qui le ministre peut collaborer; je veux juste m’assurer que le libellé est suffisamment général et précis à la fois afin que vous vous sentiez inclus. Il y a donc les gouvernements territoriaux et provinciaux, les gouvernements autochtones... Et vous êtes?
M. Desjarlais : Le gouvernement autochtone.
La sénatrice Coyle : Et autres corps dirigeants autochtones, et vous avez un conseil. Il y a donc les corps dirigeants à chacun des ordres de l’établissement, et vous avez l’organisme gouvernemental. Vous avez probablement d’autres organismes autochtones qui font partie de ce que vous représentez. Diriez-vous que ce paragraphe tient compte de votre groupe?
M. Desjarlais : Je dirais que oui. Sur papier, oui, bien sûr. Si j’interprétais cela simplement et que j’étais le gouvernement, je dirais, bien sûr, les établissements métis.
Or, ce n’est pas le cas dans la pratique, et cela ressort clairement de l’élaboration de ce projet de loi. Si c’est bien l’intention à l’article 8, on en aurait tenu compte dans l’élaboration. Or, nous avons bien vu que le gouvernement veut nous exclure de ces aspects, et il invoque divers arguments à divers égards. Il dit que c’est en raison de notre relation avec la province parfois, ou bien le gouvernement fédéral ne veut pas porter atteinte aux droits prévus à l’article 91, car nous avons obtenu l’émancipation au sein de la province au titre de l’article 92.
Toutefois, comme vous pourriez l’avoir entendu dire, la Cour suprême a rendu une décision dans l’arrêt Daniels qui a clarifié cela. C'est ce que nous avons dit, le gouvernement fédéral. Toutefois, il a adopté la position qu’il avait avant la décision; il n’a pas changé. Le gouvernement n’a pas dévié de la position qu’il avait adoptée avant la décision ni par la suite. Rien n’a changé pour nous. Nous sommes toujours traités comme si nous étions simplement des membres de la province. On a manœuvré pour nous exclure, je suppose, de certaines des discussions, comme cela est ressorti jusqu’à présent. Nous avons demandé à plusieurs reprises que les gens soient sensibilisés à notre situation à cet égard.
Je crois que ce n’est qu’après qu’un ancien membre du Comité de la Chambre a comparu devant le comité à ce sujet et qu’il a posé la question : a-t-on parlé aux établissements métis? Alors, tout le monde a regardé autour de la salle, et personne n’a rien dit. J’étais donc très inquiet. Il a abordé la question rapidement avec nous, puis nous étions également très inquiets et nous avons déclaré que nous avions réellement tenté de faire en sorte que le gouvernement comprenne notre position à cet égard. Il veut accélérer le processus et travailler avec les groupes avec lesquels il est à l’aise. Il semble que nous ne soyons pas l’un de ces groupes. Alors, je ne vois pas où il est question de nous dans ce document, et je crains que, si nous ne sommes pas nommés explicitement, nous serons exclus. Je crois que nous serions exclus sans cet amendement.
La sénatrice Coyle : Merci de ces précisions et de vos efforts.
M. Desjarlais : Merci beaucoup.
La sénatrice Lovelace Nicholas : Bienvenue parmi nous aujourd’hui. Que pensez-vous de ce projet de loi qui n’est pas reconnu comme faisant partie de la Loi sur les langues officielles?
M. Desjarlais : À mon avis, c’est un recul évident pour le gouvernement. C’est un peu contradictoire, car si le Canada cherche à être un lieu diversifié et honnête et à éviter d’être hypocrite, les langues autochtones devraient être les premières langues protégées au pays. Ce sont de magnifiques langues. J’ai eu l’occasion de travailler avec divers groupes autochtones du pays et j’ai appris que chacun d’entre eux raconte une histoire, et cette histoire est celle du Canada.
La présidente : Nos autres témoins souhaitent-ils faire un commentaire?
Mme Shmon : Je ne peux pas dire que nous ne sommes pas d’accord avec les propos de M. Desjarlais. Il est vraiment important que cela ait une certaine substance et soit pleinement appuyé. Je suis donc d’accord avec ce qu’il dit : le temps presse. Il est essentiel que ce projet de loi protège et revitalise les langues autochtones, car nous sommes déjà sur le point de ne plus avoir le temps de pouvoir le faire, et nous ne pouvons plus tarder.
La sénatrice Lovelace Nicholas : Vous ne craignez donc pas que cela ne fasse pas partie de la Loi sur les langues officielles?
Mme Shmon : Nous sommes inquiets. Je ne sais pas si ces lois seront changées une fois qu’elles seront en place, mais je crois que plus vite ce projet de loi sera adopté, mieux ce sera pour le michif. Si cela doit être changé... La Constitution a été modifiée à plusieurs reprises, notamment l’article 35. Cela se fera peut-être plus tard, mais nous ne pouvons pas retarder cela, en particulier avec la façon dont les élections changent la donne en ce qui concerne les partisans de ce genre de travail.
La sénatrice Lovelace Nicholas : Merci.
La sénatrice McCallum : Merci de vos exposés. Ma question s’adresse à M. Desjarlais. J'aimerais faire quelques commentaires.
Lorsque vous examinez le préambule du projet de loi et certains des éléments, cela tient clairement compte de votre situation unique : vous êtes le seul établissement métis ayant une assise territoriale au Canada. Cela mérite une attention particulière et doit être mis de l’avant.
Quand je vois que vous n’êtes pas avec d’autres groupes métis — je crois comprendre que vous devez être séparés d’eux —, cela vous place dans une position très vulnérable et unique. Je crois que votre relation avec le gouvernement fédéral l’emporte sur celle que vous entretenez avec votre province, ce qui est discriminatoire, tout comme le fait que le premier ministre s’adresse uniquement aux organisations nationales. Je ne sais pas comment il a le pouvoir de dire une telle chose quand il est censé consulter tous les Canadiens, surtout ceux qui se trouvent dans des situations uniques.
Avec ce projet de loi, s’il est adopté, votre collectivité ne pourra plus recevoir de financement?
M. Desjarlais : C’est exact.
La sénatrice McCallum : Le problème avec le projet de loi, c’est qu’il s’agit d’un modèle pancanadien qui laisse de côté un grand nombre de personnes, en particulier votre groupe. Ils disent qu’ils vont examiner les besoins uniques des collectivités, la structure de gouvernance unique, dont vous êtes dotés. C’est unique en son genre au Canada. Ce modèle pancanadien y remédierait.
Si je peux vous aider ou si nous pouvons vous aider à remettre en cause cet élément, je pense que cela mérite vraiment une attention particulière. Avez-vous des recommandations à nous faire quant à la manière dont nous pourrions aider à cet égard?
M. Desjarlais : Je ne sais pas si vous en avez eu une copie ou si des copies ont déjà été faites — elles l’ont été. Nous avons un amendement.
La sénatrice McCallum : Je l’ai vu.
M. Desjarlais : C’est une mesure, je suppose, qui pourrait être prise immédiatement afin que l’on puisse dissiper les préoccupations quant à la reconnaissance et à la capacité. Nous croyons qu’il s’agirait d’une tâche qui pourrait nous ouvrir la porte. Si nous pouvons concentrer notre capacité sur la chose qui nous tient à cœur, c’est-à-dire la langue, et nous assurer que le gouvernement, nos alliés et vous-mêmes comprenez que nous luttons pour protéger ce que nous croyons être unique, nous pouvons obtenir un amendement en ce sens. Je crois que d’autres amendements peuvent être apportés à d’autres lois à l’avenir qui feront partie intégrante du changement dans notre pays, visant à reconnaître les peuples autochtones.
Bien entendu, il vous faut du courage pour rendre cet amendement possible. Comme vous le dites, nous sommes un groupe vulnérable. Au plus, nous sommes 8 000 personnes qui tentons de protéger cette assise territoriale. Nous vivons littéralement sur l’assise territoriale en essayant de la protéger. Notre capacité est faible. C’est un problème également. Nous voulons être en mesure d’obtenir le financement qui y est associé, à notre manière.
Nous ne voulons pas mettre en place un programme conçu ailleurs et ayant fait l’objet de consultations externes, car cela nuirait à notre langue. Nous voulons que nos aînés soient ceux qui sont habilités; ils possèdent les histoires pour parler aux communautés. Nous ne voulons pas que des étrangers le fassent. Nous voulons que notre communauté ait le pouvoir, et nous voulons collaborer avec elle à cette tâche.
Nous croyons que l’amendement permettrait de réduire une partie de ce financement, car si les établissements métis sont énumérés dans le projet de loi, je crois qu’ils seraient obligés de le faire.
La sénatrice McCallum : Vous avez évoqué ce sentiment de propriété. Lorsque vous parlez ainsi, il s’agit d’autodétermination, d’autonomie gouvernementale. C’est ce dont il est question. Vous ne pouvez pas avancer sans que votre situation très particulière soit prise en compte, à savoir vos langues michif et crie.
M. Desjarlais : Tout cela tient à ce que nous sommes. Je pense que le principe de base de l’autodétermination est de pouvoir parler sa propre langue, de pouvoir enseigner cette langue à ses enfants et de pouvoir entretenir une relation réciproque avec le territoire dans cette langue. Pour nous, c’est la culture. C’est ce que nous sommes.
Le sénateur Duffy : Bienvenue à tous nos témoins. J’aimerais poser une question à M. Morin. Vous parlez d’applications et de la façon dont vous utilisez des outils modernes pour communiquer votre langue historique et la rendre accessible aux gens.
Je me demandais s’il y a une émission ou une diffusion métisse, premièrement, à l’antenne de CBC et, deuxièmement, sur le réseau APTN; et, troisièmement, je me demande ce qu’il en est des collectivités en Alberta : y retrouve-t-on une radio communautaire? Le CRTC tient beaucoup à fournir des stations de radio communautaire afin que les gens puissent utiliser leur langue que ce soit lors de tribunes téléphoniques ou d’émissions animées par des disc jockeys, peu importe, qui utilisent la langue. Autrement dit, il s’agit de la radio parlée, et elle permet aux gens d’apprendre en écoutant. Je me demande simplement, étant donné que vous êtes à la pointe de la technologie dans les applications, et cetera, ce que vous faites dans ce domaine.
M. Morin : Personnellement, nous n’avons rien avec APTN ou CBC. Ce sont des choses à envisager pour l’avenir. Je pense qu’une très bonne idée est d’avoir des balados vidéos, donc de travailler avec nos locuteurs de langue michif afin de diffuser en direct sur la chaîne YouTube. Le Gabriel Dumont Institute a une chaîne YouTube. Nous hébergeons des vidéos. Nous y retrouvons des vidéos de rassemblement en langue michif.
À l’avenir, nous serons en mesure de faire ces choses en direct, puis d’en faire la captation afin que les gens puissent les regarder plus tard. C’est l’un des aspects technologiques, ainsi que la captation audio de ces balados vidéos. Je sais que beaucoup de gens ont des applications de balados et écoutent des balados sur divers sujets. Vous pouvez écouter ces balados lors de vos trajets quotidiens pour vous rendre au travail et écouter les enseignements linguistiques des aînés.
Dans le Nord, il y a le réseau de radio MBC, et je pense que les auditeurs suivent quotidiennement des cours de cri sur cette station située dans le Nord de la Saskatchewan.
Le sénateur Duffy : C’est extraordinaire. Est-ce qu’ils échangent des programmes et ainsi de suite? Êtes-vous en réseau? Que pouvons-nous faire pour vous aider avec cela, pour transmettre la bonne nouvelle aux petites collectivités? Avez-vous déjà organisé tout cela?
M. Morin : Non, nous n’avons pas encore organisé cela, mais je pense que la promotion est un élément très important. Les gens ne savent pas ce que nous faisons au Gabriel Dumont Institute. Nous avons énormément de ressources, mais les Ontariens ne savent peut-être pas que nous existons.
J’ai présenté un exposé aux enseignants à Ottawa, il y a des années, et ils ont été stupéfaits de découvrir les ressources mises à leur disposition, parce qu’ils ne les connaissaient pas. L’aspect promotionnel de la revitalisation, de la préservation et de la promotion est un facteur important dans ce projet de loi, pour que le michif soit reconnu comme une langue au pays et non pas un mot inconnu de tous.
Mme Shmon : La question de la capacité a été soulevée à plusieurs reprises, et je crois que l’institut a fait beaucoup avec très peu de personnel.
Je pense que si nous étions plus nombreux... Nous sommes également un éditeur, et environ quatre personnes travaillent au service. Pourtant, lorsque nous examinons d’autres éditeurs, ils ont peut-être 10 personnes pour faire le travail. Ils ont une personne qui s’occupe de la promotion. Nous aimerions vraiment avoir la possibilité de partager nos ressources et d’établir des liens avec les radiodiffuseurs, que ce soit à la télévision ou à la radio, et d’utiliser ces ressources plus largement.
Le sénateur Duffy : J’espère que le CRTC écoute et qu’il peut intégrer ces exigences futures pour les stations de radio de ces régions de manière à ce que cette information soit accessible à cette partie de la communauté. Cela enrichit vraiment la programmation et fournit un bon service public que les gens apprécieront certainement. Bonne chance et merci de nous en avoir parlé.
Le sénateur Patterson : Je tenais vraiment à remercier les témoins.
Comme vous le savez peut-être, notre comité a réalisé une étude sur les Métis, intitulée « Le peuple qui s’appartient », et a effectué une merveilleuse visite à Batoche dans le cadre de cette étude. Notre ancien président était un dirigeant métis bien connu, Gerry St-Germain. J’espère que nous sommes sensibles à vos intérêts et problèmes particuliers. J’aimerais remercier la sénatrice Coyle. Elle a posé la question que j’allais poser à propos de l’amendement.
J’aimerais demander à Mme Shmon et à M. Morin de nous parler de la responsabilité qui vous a été confiée de mener des consultations sur le projet de loi, si je comprends bien, par le Ralliement national des Métis. J’aimerais en savoir un peu plus sur les résultats de ces consultations.
Hier, nous avons entendu des témoignages très déchirants de la part de membres des Premières Nations qui attendaient plus de ce projet de loi, qui ne contient pas d’engagement clair en matière de financement de base contrairement à ce frustrant financement de projets, année après année, pour lequel ils ont toujours de la difficulté à produire des rapports; ils mentionnaient qu’il aurait fallu mettre l’accent sur l’éducation, où le travail le plus important sur la revitalisation de la langue doit avoir lieu.
Je me demande si vous pourriez nous donner un peu plus d’information sur les résultats de votre consultation et nous dire si les attentes étaient plus élevées que ce qui était indiqué dans le projet de loi.
Mme Shmon : Je dirigeais ce travail pour l’institut, alors je vais répondre. Les résultats étaient remarquablement cohérents. L’un des problèmes tenait au fait que le financement pour mener les consultations tardait à arriver, et nous avons donc dû en tenir une où nous avons amené les locuteurs la dernière fois. C’était probablement une bonne idée, car, comme nous l’avons dit, ils sont dispersés et ne se trouvent pas nécessairement dans des collectivités spécifiques. Les locuteurs se sont réunis, un groupe d’environ 50, et le projet de loi est un sujet un peu étranger pour eux, mais ils comprennent que cela aidera les langues michif et d’autres langues autochtones à occuper une place importante dans les mesures législatives canadiennes. Nous voyons cela comme une capacité à venir avec ce projet de loi.
Je dois souligner un point, car nous avons effectué ce travail pour Métis Nation of Canada. Selon la perception de cet organisme, le projet de loi définit les Métis comme une nation par rapport à une nation, non pas comme une organisation. Je respecte également le droit de l’établissement à se considérer comme une nation. Vous constaterez que c’est le cas pour l’ensemble des Premières Nations. Des groupes les supervisent quand elles sont affiliées, chacune constituant sa propre nation. Il y a la nation métisse de la Saskatchewan, de chaque province de la patrie métisse. Il y a des nations dans la nation.
L’urgence était au cœur du message que nous avons reçu. L’urgence est un enjeu, la capacité en est un autre. Encore une fois, comme nous n’appartenons qu’à nous-mêmes, en tant que peuple qui se gouverne lui-même... Cette notion selon laquelle il est préférable de laisser la société, à l’échelle de la collectivité, décider de la façon de procéder...
Nous avons élaboré une idée en 10 points... La capacité était là. Il s’agit, entre autres, de l’innovation, qui permet d’essayer quelque chose et même d’échouer, car lorsque vous échouez, vous découvrez ce que vous ne ferez pas la prochaine fois et vous vous dirigez alors dans la bonne direction. Que cela soit lié ou non à l’éducation formelle... Une grande part de l’éducation a lieu sur le territoire, dans les collectivités et dans les ménages. Nous estimons que cela fait partie de notre mandat, en tant qu’institut d’enseignement, de ne pas penser uniquement à suivre des processus éducatifs formels, mais d’aider les gens chez eux et dans leur collectivité à revitaliser la langue. Je ne sais pas si j’ai adéquatement répondu à votre question à propos des résultats.
Le sénateur Patterson : Merci.
La sénatrice Pate : Merci à tous d’être venus. Hier, nous avons entendu un certain nombre de témoins parler du rôle des femmes dans les collectivités autochtones en tant que détentrices, gardiennes et responsables de la transmission de la langue et de la culture, ainsi que du rôle de leadership qu’elles jouent comme gardiennes de la terre, de la famille et de la langue.
Je suis curieuse de savoir de quelle manière ce projet de loi, le cas échéant, aurait une incidence sur la capacité des femmes autochtones dans vos collectivités à assumer ces rôles, en particulier, en leur qualité de gardiennes des traditions, de la culture et de la langue, et comment cela contribuerait à préserver tout ce que vous avez évoqué aujourd’hui au chapitre du travail que vous essayez d’accomplir pour conserver votre langue et votre culture au profit de vos enfants et des prochaines générations.
M. Desjarlais : Nous l’avons évoqué ce matin lorsque j’ai parlé un peu des aînés. Juste pour vous donner un certain contexte, ce sont toutes les femmes, toutes. Ce sont les bâtisseuses de la communauté. Elles sont tout dans la communauté. Elles sont le ciment qui maintient le sentiment d’appartenance à la communauté. Personne d’autre n’est aussi fort dans notre communauté, personne d’autre n’a assumé les tâches que les femmes accomplissent dans notre communauté.
J'aimerais seulement parler de ma propre mère. Elle est mère de huit enfants. Je suis le plus jeune d’une fratrie de huit. Il y a quelque temps, elle est devenue veuve et a dû élever des enfants. Elle l’a fait avec beaucoup de grâce, de dignité et de respect pour sa communauté, et elle a donné l’impression que cela était très facile. J’y pense souvent, car c’est ce qui permet à nos nations de rester en vie, le savoir que possèdent les femmes de nos collectivités et leur puissance. En fait, il y a également une femme métisse puissante de ma collectivité, Gabi Fayant... C’est ainsi que cela fonctionne. Elle est ma patronne en ce moment, et elle veille à ce que je dise la bonne chose. C’est important dans nos communautés, car il est essentiel que, lorsqu’il est question de soutien, cela revient réellement aux femmes dans notre communauté, le soutien dont elles ont besoin pour apporter à leurs enfants l’éducation qu’elles ont reçue autrefois de leur mère.
Pendant très longtemps, les hommes dans les collectivités métisses étaient des trappeurs et des commerçants de fourrure. Nous avons aussi travaillé comme ouvriers agricoles et d’autres choses du genre, alors nous étions absents pendant de longues périodes. Je suis sûr que bon nombre de sénateurs et de sénatrices ici présents se souviennent du temps où les pères dans nos collectivités devaient travailler tout l’été comme ouvriers agricoles. Ils ne parlaient pas notre langue à cette époque-là. Même une fois qu’ils étaient revenus, qui parlait aux enfants, selon vous? C’était nos mères et nos grand-mères. Nos collectivités reposent réellement sur elles. Je ne vois pas comment je pourrais dire les choses plus clairement. Nous leurs sommes énormément redevables. Nous leur devons tant.
Je ne vois rien dans le projet de loi qui reflète cela. J’aimerais donc qu’on le modifie de façon à reconnaître leur rôle dans la revitalisation de la langue. Les femmes représentent une institution essentielle dans notre collectivité; ce qu’elles font pour protéger notre culture et notre langue est incommensurable. Serait-il donc possible d’apporter une modification afin de reconnaître le rôle des femmes autochtones dans les collectivités? Je crois que ce serait quelque chose de positif. Je recommande également que les consultations soient entreprises auprès de nos grand-mères et de nos femmes sur le terrain dans les collectivités afin que l’on puisse savoir quelles mesures on pourrait prendre afin de les soutenir dans ce rôle. Je ne suis pas un expert à ce sujet, bien entendu, mais elles, si. Je pense que si on prenait davantage de temps pour parler aux femmes qui jouent ce rôle dans les collectivités, sans ressource aucune, notre pays en sortirait grandi.
La présidente : Merci. Notre temps est écoulé. Au nom des membres du comité, je tiens à remercier les témoins d’aujourd’hui. La discussion a été très intéressante. Merci d’être venus témoigner, de nous avoir donné tant d’information et de nous avoir proposé des recommandations clés.
Reprenons. Bienvenue à la séance du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones. Nous poursuivons notre étude préalable du projet de loi C-91. Nous allons entendre le témoignage d’un témoin par vidéoconférence sous peu. Il y a un problème technique, mais ce sera réglé dans quelques minutes, avec un peu de chance. Nous accueillons également, en personne, Mme Corrine McKay, secrétaire-trésorière du gouvernement Nisga’a Lisims.
Merci le prendre le temps de comparaître devant nous aujourd’hui. Madame McKay, vous avez la parole. Ensuite, les sénateurs et les sénatrices auront des questions à vous poser.
Corinne McKay, secrétaire-trésorière, gouvernement Nisga’a Lisims :
[Mme McKay s’exprime dans sa langue autochtone.]
Mesdames et messieurs les membres du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, je vous souhaite bon après-midi. Je suis heureuse de vous voir ici. Je m’appelle Corinne McKay. Mon nom en langue nisga’a veut dire « nageoire nacrée ». Ce nom vient de ma maison tribale. Le nom de notre chef est Sim’’oogit Hay’’maas.
Je suis la secrétaire-trésorière de la nation Nisga’a, et l’un des quatre dirigeants élus à l’échelle du pays de la nation Nisga’a. Les quatre autres dirigeants sont la présidente — qui est désolée de ne pouvoir être ici —, le président exécutif et le président du conseil des aînés.
Je suis très heureuse de témoigner devant vous, à titre de représentante de la nation Nisga’a, à propos du projet de loi C-91, Loi concernant les langues autochtones.
En guise de contexte, la Loi sur les Indiens a cessé de s’appliquer à la nation Nisga’a le 11 mai 2000, et nous sommes devenus la première nation signataire d’un traité moderne de la Colombie-Britannique.
Après 113 années de négociations, nous avons conclu l’Accord définitif nisga’a, qui reconnaît notre droit à l’autonomie gouvernementale, nos pouvoirs législatifs, notre propriété en fief simple de 2 000 milles carrés de terres nisga’a et notre droit protégé par la Constitution de chasser et de pêcher sur environ 27 000 kilomètres carrés dans la région du Nass.
En vertu du chapitre du traité nisga’a sur le gouvernement, la nation Nisga’a a également le pouvoir d’adopter des lois sur la protection, la promotion et la préservation de la langue et de la culture nisga’a.
Étant donné que l’Accord définitif nisga’a est une entente tripartite entre la nation Nisga’a, la Couronne du chef du Canada et la Couronne du chef de la Colombie-Britannique, la nation Nisga’a est d’avis que les trois parties signataires de l’Accord définitif nisga’a ont l’obligation de protéger, de promouvoir et de préserver la langue et la culture nisga’a.
Conformément à l’Accord définitif nisga’a, la nation Nisga’a, le Canada et la Colombie-Britannique négocient du financement, au moyen d’un accord de financement budgétaire quinquennal — communément appelé FFA —, destiné à la prestation de programmes et de services pour la nation Nisga’a.
Notre position est que les fonds pour la prestation des programmes et des initiatives culturels et linguistiques nisga’a doivent être négociés dans le cadre de l’accord de financement budgétaire, et non par l’intermédiaire d’un organisme de défense des intérêts provinciaux ou d’autres organisations comme l’Assemblée des Premières Nations.
Le président du Conseil des aînés de la nation Nisga’a est présentement en train de parachever notre plan stratégique pour la revitalisation de la langue, de la culture et des pratiques traditionnelles nisga’a.
Nous avons mis sur pied un groupe provisoire responsable de la langue et de la culture nisga’a. Ce groupe, dirigé par des personnes qui parlent couramment la langue nisga’a, achève actuellement sa deuxième série des consultations dans les quatre villages nisga’a de New Aiyansh, Gitwinksihlkw, Laxgalts’ap et Gingolx et les trois centres urbains locaux nisga’a à Terrace, à Prince-Rupert, à Port Edward et à Vancouver, qui se trouvent tous en Colombie-Britannique.
Le groupe est chargé de consulter les citoyens nisga’a afin d’entendre leurs idées, de répondre à leurs questions et d’écouter leurs préoccupations à propos de la revitalisation de la langue et de la culture nisga’a.
À l’heure actuelle, nous savons que moins de 5 p. cent de la population nisga’a, qui compte environ 7 600 personnes, parlent couramment notre langue, et la plupart sont âgés de 60 ans et plus.
Pour conclure, je veux citer devant votre comité l’Organisation mondiale de la Santé, qui a dit que pour chaque dollar investi dans la jeunesse, nous économisons 7 $ de coûts sociaux. Il faut que notre peuple et nos jeunes retrouvent leur confiance à l’égard de notre langue et de notre culture; c’est le fondement de notre identité nisga’a.
J’ai fourni à votre comité des copies d’un profil des Nisga’a. S’il n’y en a pas assez pour tous les membres de votre comité, je m’engage à vous en fournir d’autres, parce que je sais que les sénateurs et les sénatrices n’ont pas assez de choses à lire.
Il y a aussi une copie de la présentation PowerPoint et du document qui a, essentiellement, été utilisé pour l’exposé que nous avons présenté pendant la négociation sur l’Accord de financement budgétaire. Nous avons dit que le financement devrait être accordé par l’intermédiaire de l’Accord de financement budgétaire et qu’il ne devrait pas y avoir de compétition avec les organisations nationales qui représentent 634 Premières Nations.
Dans le plan stratégique qui a été préparé par le président du conseil des aînés, il est écrit Sayt-K’ilim-Goot, à propos de notre vision de la nation Nisga’a, ce qui veut dire : « un cœur, un chemin, une nation ». Au premier point sous cette rubrique, il est écrit : « Notre langue et notre culture ayuuk sont le fondement de notre identité ». Dans les cours universitaires de psychologie, on montre aux étudiants la pyramide des besoins de Maslow, parmi lesquels il y a l’amour, l’appartenance et la sécurité. C’est pour cela que nous voulons préserver notre langue et notre culture pour notre peuple. Nous voulons soutenir notre peuple, surtout les jeunes, et les aider à explorer leur passé, même si l’histoire n’a pas été tendre envers notre peuple. Nous voulons restaurer et reconstruire la confiance de nos jeunes. Nous savons que ce projet de loi nous donne une occasion de le faire. Pour nous, c’est non pas une question de ressources, mais une question de possibilité.
Je tiens à vous remercier de nous avoir donné l’occasion d’exposer la position du gouvernement Nisga’a Lisims cet après-midi. Merci.
La présidente : La vidéoconférence fonctionne enfin, alors je veux souhaiter la bienvenue à Mme Tina Jules, directrice du Centre des langues autochtones du Yukon, du Conseil des Premières Nations du Yukon. Vous pouvez commencer votre exposé.
Tina Jules, directrice du Centre des langues autochtones du Yukon, Conseil des Premières Nations du Yukon :
[Mme Jules s’exprime dans sa langue autochtone.]
Je suis du clan de l’aigle. J’ai grandi à Teslin, mais je vis ici à Whitehorse, au Yukon.
Je remercie le gouvernement du Canada d’avoir fait de la réconciliation une priorité et de déployer des efforts en vue d’élaborer le projet de loi C-91 conjointement avec les peuples autochtones.
Une étape critique et vitale de la réconciliation est de soutenir sincèrement et concrètement les peuples autochtones dans la restauration, la revitalisation, la protection et la préservation de nos langues traditionnelles jusqu’à ce que nous soyons sûrs que nos langues soient fortes, vivantes et dynamiques pour les générations futures et soient sur le même pied que l’anglais et le français.
Aux fins de la réconciliation, en ce qui a trait à nos langues, le gouvernement fédéral doit reconnaître et respecter l’autonomie, l’indépendance et les capacités des gouvernements des Premières Nations du Yukon pour ce qui est de la conception, de la planification, de la mise en œuvre et de l’évaluation de leurs propres programmes linguistiques afin de reverser le déclin des langues dû a la colonisation et aux politiques d’assimilation du gouvernement fédéral.
Il y a 14 gouvernements des Premières Nations au Yukon, dont 11 ont conclu des accords de revendications assortis d’ententes sur l’autonomie gouvernementale. Le Yukon compte le plus grand nombre de Premières Nations qui ont conclu des ententes sur l’autonomie gouvernementale au Canada, en comparaison aux autres provinces et territoires.
Pour ce qui est de nos langues, il existe huit groupes linguistiques au Yukon : les tlingit, les tutchone du Sud, les tutchone du Nord, les hän, les gwich’in, les kaska, les locuteurs du haut tanana et les tagish.
Vu l’état critique des langues des Premières Nations au Yukon, l’ensemble des Premières Nations du Yukon ont fait de la revitalisation linguistique une priorité et ont mis l’accent sur le besoin de former des locuteurs compétents afin de remplacer la dernière génération pour qui il s’agissait de la langue maternelle.
La nouvelle génération de locuteurs compétents que nous comptons former va être le fondement sur lequel nous pouvons appuyer nos programmes d’immersion, du début à la fin de la vie, dans nos collectivités et sur nos terres.
Même si, selon Statistique Canada, il y avait une augmentation du nombre de personnes qui parlent nos langues, les données renvoient généralement à des locuteurs qui ont un niveau de compétence linguistique faible ou à ceux qui sont capables d’entretenir une conversation.
Les peuples des Premières Nations du Yukon ont leurs propres données, et nous savons que toutes les langues des Premières Nations au Yukon sont dans un état critique. C’est un véritable état d’urgence pour nos langues.
Il y a cinq — ou 36 p. 100 — des collectivités où il n’y a que de deux à cinq personnes qui parlent couramment la langue de la collectivité. Dans cinq autres collectivités — ou 36 p. 100 —, il y a moins de 10 personnes qui parlent couramment la langue. Dans les autres collectivités du Yukon, il y a moins de 25 personnes qui parlent couramment la langue. S’il s’était agi de l’anglais ou du français, un état d’urgence aurait été déclaré il y a longtemps.
Maintenant, il s’agit d’un état d’urgence pour les langues des Premières Nations du Yukon. Nos langues ont besoin d’un soutien immédiat sous la responsabilité et la direction des gouvernements des Premières Nations locales. Nous avons besoin de ce soutien pour former un nouveau bassin de locuteurs compétents qui soit suffisant, au plus haut niveau, afin que nos langues redeviennent ce qu’elles étaient avant la colonisation et les pensionnats. Si nous voulons que nos langues restent en vie pour les générations futures, nous avons besoin de locuteurs qui maîtrisent la langue et qui soient en mesure de raconter des histoires, de communiquer ce qui est arrivé dans le passé, de créer de la poésie et des prières, de débattre, de mettre de l’avant leurs positions, et cetera.
Au minimum, nous devons former des locuteurs qui maîtrisent la langue comme les locuteurs de l’anglais et du français maîtrisent la leur à la douzième année. Nous aurons besoin d’un niveau de compétence linguistique correspondant aux normes linguistiques du Canada pour l’anglais et le français. Nous avons besoin que nos langues soient parlées intégralement dans nos collectivités et soient utilisées dans toute la collectivité, dans les foyers, dans les garderies, dans les écoles, dans les établissements d’enseignement postsecondaire, dans les bureaux de poste, dans les postes de soins infirmiers, dans les bureaux de la GRC, dans les restaurants et dans les bureaux du gouvernement. Nous voulons le même privilège que les anglophones et les francophones.
Les langues des Premières Nations du Yukon représentent de 11 à 13 p. 100 des langues autochtones du Canada. La raison pour laquelle je ne peux pas donner de pourcentage précis — de 11 à 13 p. 100 — c’est que, selon les études, il y aurait entre 60 et 73 langues autochtones au Canada.
Il est très important de prendre cela en considération lors de l’établissement du modèle et des mécanismes de financement qui seront mis en place pour soutenir l’application et la mise en œuvre du projet de loi C-91. Ce projet de loi est censé soutenir la globalité des langues autochtones du Canada, n’est-ce pas?
Nous espérons que le processus du projet de loi C-91 aboutira à une loi visant à assurer la revitalisation, la survie et le maintien de toutes les langues autochtones du Canada. Si c’est bien le cas, nous vous demandons respectueusement — nous vous implorons d’écouter votre cœur — de faire en sorte que le projet de loi C-91 soutienne l’ensemble des langues autochtones du Canada plutôt que de prévoir des mécanismes et des modèles de financement au prorata de la population.
Un mécanisme au prorata de la population contribuerait à affaiblir davantage nos langues déjà très fragiles. Les conditions politiques, linguistiques et géographiques des Premières Nations du Yukon sont uniques et doivent être prises en considération dans le projet de loi C-91 pour sa mise en œuvre. Cela comprend le nombre d’ententes sur l’autonomie gouvernementale qui ont été conclues, l’existence de huit des langues autochtones du Canada, le nombre de collectivités éloignées et le nombre extrêmement faible de personnes qui parlent couramment les langues.
Nous demandons que le projet de loi tienne compte de la réalité politique des Premières Nations du Yukon, étant donné que nous comptons le plus grand nombre de Premières Nations au Canada dans une seule région qui ont conclu des ententes sur l’autonomie gouvernementale. Ces Premières Nations ont déjà une relation directe avec le gouvernement fédéral.
Deux de nos Premières Nations ont déjà adopté des lois linguistiques et des stratégies ou des plans de revitalisation des langues assortis de plans pour la mise en œuvre, qui ont déjà été entamés. Ce dont elles ont besoin, c’est de financement pour former un bassin de locuteurs compétents à court terme. Le temps nous est compté.
Il reste peu de personnes qui parlent couramment ces langues, et elles ont plus de 70, 80 ou 90ans, et la plupart ne sont pas en bonne santé. Nous perdons de plus en plus de locuteurs compétents au fil des semaines. Toutes les Premières Nations du Yukon ont besoin d’un financement direct et immédiat afin de mettre en œuvre les programmes d’immersion linguistique qui permettront de former aussi rapidement que possible d’autres locuteurs compétents. Dans certaines collectivités, il faut que cela soit fait dans la prochaine année, sinon dans deux ou trois ans.
Nous demandons donc que le projet de loi C-91 accorde immédiatement la priorité à la formation de locuteurs maîtrisant la langue et qu’il respecte véritablement les ententes sur l’autonomie gouvernementale conclues avec les Premières Nations en respectant leur autonomie intégrale pour ce qui est de leurs programmes linguistiques. Le financement doit leur être accordé directement. Il faut également que les mécanismes et les modèles de financement soutiennent la globalité des langues autochtones du Canada, au lieu de répartir le financement au prorata.
Nous voulons faire comprendre au Sénat que ce ne sont pas les politiques, le développement organisationnel ni la bureaucratie qui peuvent former des locuteurs compétents. Nous demandons aussi au Sénat d’accorder la priorité aux mesures immédiates qui permettront de former des locuteurs compétents dans nos collectivités, de nous aider à en former un nombre suffisant afin de mettre en œuvre des programmes d’immersion dès l’enfance, de la maternelle à la 12eannée et dans les établissements d’enseignement postsecondaires, dans les collectivités et sur nos terres.
Ce genre de mesure montrerait que le gouvernement fédéral respecte vraiment les Premières Nations du Yukon et reconnaît, conformément aux ententes sur l’autonomie gouvernementale, qu’ils représentent un autre ordre de gouvernement, comme cela est prévu dans nos accords de revendications territoriales et nos ententes sur l’autonomie gouvernementale.
Nous demandons que le gouvernement fédéral soit véritablement et sincèrement prêt à joindre la parole aux actes en ce qui concerne la réconciliation en fournissant un soutien immédiat pour la formation d’une nouvelle génération de locuteurs compétents, et ce, pour l’ensemble des langues des Premières Nations du Yukon. Cela nous aidera concrètement à rétablir ce qui nous a été enlevé par les pensionnats et les politiques du gouvernement fédéral dans le passé.
Je vous remercie du temps que vous nous avez accordé. Je vous remercie de cette occasion au nom du Conseil des Premières Nations du Yukon et du Centre des langues autochtones du Yukon.
[Mme Jules s’exprime dans sa langue autochtone.]
La sénatrice LaBoucane-Benson : Je vous écoutais parler, madame McKay, et j’ai constaté — parce que j’ai aussi eu le temps de survoler rapidement l’information que vous nous avez fait parvenir — que vous avez inclus dans la documentation le plan détaillé de votre nation en matière de revitalisation linguistique. Je vous en suis très reconnaissante. Selon vous, quel serait le principe clé du rétablissement linguistique? Avez-vous des commentaires que vous souhaitez formuler devant le comité sur les mesures essentielles à prendre? Quels sont les éléments cruciaux du rétablissement linguistique pour votre nation?
Mme McKay : Nous avons des ressources. Nous avons un dictionnaire. Nous avons une nouvelle version du dictionnaire. Nous avons des enseignants qui ont été formés pour enseigner la langue dans les années 1970, et ils sont encore avec nous. Ils pourraient agir à tire de mentor et transmettre leurs connaissances. Nous avons retenu leurs services par l’intermédiaire d’une autorité linguistique. Il y a des gens dans les collectivités qui mènent des consultations.
Nous avons un plan stratégique, dont vous avez un résumé dans le mémoire que nous avons présenté sur les accords de financement budgétaire. Nous avons établi les grandes lignes des initiatives visant à poursuivre les efforts amorcés dans les années 1970, mais nous reconnaissons que nous devons en faire plus.
Les compressions du financement provincial ont, au fil du temps, forcé une diminution des budgets pour des programmes scolaires. Une difficulté tient au fait que les cours de langue ont également été touchés, et nous n’avons pas suffisamment de ressources pour maintenir en poste les enseignants.
Nos ressources sont, à défaut d’un autre terme, éparpillées. Une partie des ressources va à notre établissement d’enseignement supérieur, soit l’Institut Wilp Wilxo’oskwhl Nisga’a, ce qui veut dire la maison de la sagesse Nisga’a. Nous y avons affecté des ressources. D’autres ressources ont été affectées au district scolaire et à notre autorité linguistique. D’autres encore sont affectées au ministère Ayuukhl Nisga’a du gouvernement Nisga’a Lisims, qui conserve l’ensemble de nos documents et de nos archives historiques.
Nous devons hausser les efforts d’un cran afin de coordonner tout cela et d’établir une autorité linguistique qui pourrait mettre en place des normes similaires en matière d’information. Il faut que l’enseignement de la langue nisga’a en première année dans la collectivité de Gitwinksihlkw respecte les mêmes normes que l’enseignement dans une collectivité voisine.
Donc, peu importe où la langue est enseignée, il y aura les mêmes normes. Nous sommes optimistes, de ce côté-là. Notre enthousiasme et notre énergie à ce chapitre ont été renouvelés, et il y a des personnes, comme le président du Conseil des aînés, qui se sont engagées à ce que cela devienne une réalité.
Dès son élection, il a pris des mesures en vue de coordonner une séance de planification stratégique avec les aînés et les jeunes. Une grande partie du contenu du plan stratégique a été tirée de cette séance de planification.
Le principe que nous suivons est de veiller à ce que la langue et la culture soient le fondement de tout le reste. Il faut que ce soit au cœur de tout.
La sénatrice LaBoucane-Benson : Si je vous comprends bien, vous utilisez conjointement la culture — c’est-à-dire peut-être la pédagogie traditionnelle, des cérémonies et d’autres éléments culturels — ainsi que des ressources que vous avez élaborées, par exemple la technologie. Ai-je vu juste?
Mme McKay : Oui. Nos enseignants qui dispensent des cours de langue ont participé aux débuts du programme First Voices — Premières voix —, en Colombie-Britannique. Si vous visitez le site web, vous verrez qu’il est question de la langue nisga’a. Vous y trouverez divers mots enregistrés par un grand nombre d’aînés. Beaucoup d’entre eux ne sont plus parmi nous. Nous avons préservé leurs mots grâce à la technologie. Malgré tout, il y a encore énormément à faire.
La présidente : Madame Jules, voulez-vous ajouter quelque chose?
Mme Jules : Je ne savais pas que la question m’était aussi adressée.
La sénatrice LaBoucane-Benson : Ma question portait sur les principes entourant le rétablissement et la revitalisation linguistique. Dans le contexte du Yukon, quelles sont les pratiques exemplaires en matière de rétablissement linguistique que l’on devrait utiliser ou qui sont actuellement utilisées?
Mme Jules : À grande échelle, on reconnaît que nous avons besoin de former des locuteurs compétents. Nous avons fait du bon travail pour ce qui est de former les locuteurs débutants qui savent dire bonjour ou salut ou demander quel temps il fait, et cetera.
Cependant, depuis le premier contact, nous n’avons pas pu former de locuteurs qui maîtrisent la langue qu’ils utilisent dans tout ce qu’ils font, toute la journée, pour toutes sortes de raisons, que ce soit dans un contexte traditionnel ou dans des communications modernes. Nous savons cependant que cela peut fonctionner; nous en avons été témoins avec les Tlingit en Alaska; les Mohawks et les Squamish tout récemment, en Colombie-Britannique; et les Hawaïens et les Maoris, grâce à l’immersion complète. Il y a différentes avenues que nous pouvons emprunter. Certaines personnes préconisent les programmes d’immersion pour adultes à temps complet, et ceux-ci permettent de former des locuteurs compétents. À Hawaï, on commence avec des foyers de revitalisation linguistique avant d’envoyer les enfants dans des écoles d’immersion.
Avant de présenter mon exposé, je réfléchissais justement à ce genre d’écoles — celles d’Hawaï, et il y a aussi les Micmacs —, parce que nous devons porter une attention toute particulière à leurs résultats. Depuis les années 1990, l’école d’immersion dans la ville de Hilo a un taux de diplomation moyen de 100 p. 100. Du jamais vu, au Canada. À mes yeux, cela nous en apprend beaucoup sur le Canada. C’est donc un investissement, étant donné la représentation disproportionnée des Autochtones dans le système de justice pénale, des enfants pris en charge par les services d’aide à l’enfance, et cetera.
Le 13 mars, le sénateur Murray Sinclair a prononcé un excellent discours à Ottawa, je crois, pendant une séance de dialogue national. Il était question de la surreprésentation dans bon nombre des secteurs de la société.
À mon avis, le gouvernement fédéral doit investir afin d’aider les Premières Nations à créer des collectivités linguistiques saines, ce qui, en retour, nous aidera à instaurer un sentiment positif d’identité, de dignité et de fierté autochtones. À long terme, cela fera probablement économiser de l’argent au Canada.
Pour revenir à votre question, une pratique exemplaire serait l’immersion, et c’est ce que nous voulons faire. Cela a déjà porté des fruits dans une Première Nation. Les Premières Nations de Champagne et d’Aishihik ont investi un million de dollars de leurs propres fonds afin de soutenir un programme d’immersion à temps plein, et elles ont obtenu des résultats.
Nous voulons répéter ce genre d’expérience. Bien entendu, nous aurons besoin d’élaborer les plans, mais même avant cela, nous devons renforcer les capacités des Premières Nations afin que les services linguistiques des Premières Nations aient les moyens de mettre en œuvre et d’exécuter les programmes.
Lorsque les fonds sont répartis entre les collectivités ou au prorata, les petites collectivités ne reçoivent pas suffisamment de financement pour exécuter ces programmes ou pour renforcer les capacités nécessaires.
J’ai parlé plus tôt de bureaucratie, de mécanismes et de modèles de financement. Je viens justement d’une des collectivités éloignées de Ross River, qui compte environ 200 habitants. Cette collectivité n’a pas touché de fonds du gouvernement fédéral pour ses besoins linguistiques avant octobre. Comment sommes-nous censés exécuter des programmes si nous n’avons pas accès à ces fonds de manière régulière?
C’est aussi une partie du problème. Oui, même si nous disons que nous avons besoin de programmes d’immersion, nous avons aussi besoin de soutien pour que cela donne des résultats. Je parle non seulement de financement, mais aussi d’infrastructures et de soutien opérationnel.
Voilà le message que je veux transmettre. Si nous voulons que la réconciliation — la vraie réconciliation — se concrétise, il faudra, entre autres choses, que vous souteniez les Premières Nations dans le rétablissement de leurs langues jusqu’à ce qu’elles redeviennent ce qu’elles étaient avant les pensionnats, avant la colonisation. Vous devez joindre la parole aux actes. Voilà quelle serait la première étape de la réconciliation, pour réparer nos relations.
Il suffit de voir comment les jeunes d’Hawaï parlent, comment ils se tiennent et à quel point ils réussissent bien leur vie pour voir l’importance de la revitalisation linguistique sur les Autochtones. Votre langue, c’est votre culture et votre histoire. Quand je me suis présentée — très rapidement — je vous ai parlé de mon histoire, de mon patrimoine, du passé de ma famille et de mes origines. J’ai évoqué des histoires de migration, mes valeurs et toutes sortes d’autres choses. Ce genre de choses ne sont pas transmises dans l’anglais. Nos générations futures ont le droit de voir le monde de cette façon et de le comprendre ainsi.
La sénatrice Coyle : Merci, madame Jules et madame McKay, d’être des nôtres ici aujourd’hui, et merci du travail que vous faites.
Quelles sont vos impressions du projet de loi dont nous sommes saisis, le projet de loi C-91, et que pensez-vous que nous devrions faire avec lui en tant que Comité sénatorial des peuples autochtones?
Mme McKay : Je vais commencer si vous me le permettez.
J’ai lu le projet de loi, et ce qui m’a frappée, c’est la reconnaissance des gouvernements autochtones. Je n’ai pas lu « organisations nationales ». Si l’expression s’y trouvait, je ne l’ai pas vue parce que j’ai évidemment fait une lecture sélective.
Dans le projet de loi, ce que nous avons vu, ce sont des possibilités d’aller de l’avant parallèlement. Je sais que d’aucuns sont déçus par les ressources ou le manque de ressources; toutefois, nous voyons le potentiel. On reconnaît le travail qui a été réalisé dans le cadre de la politique financière collaborative. Nous notons qu’on a adopté une façon d’aller de l’avant similaire à celle qui a été adoptée pour les langues autochtones afin de régler les problèmes qui ont été soulevés concernant le financement; Mme Jules a mentionné le financement par habitant. Ce que nous avons fait, dans le cadre de la politique financière collaborative, c’est adopter un modèle fondé sur les dépenses et déterminer les véritables coûts de gérer un gouvernement autochtone, et nous voyons la possibilité d’élaborer une politique collaborative pour les langues autochtones.
Nous sommes prêts avec notre plan stratégique. Nous avons participé activement au processus de consultation. Nous avons rencontré Stephen Gagnon, l’avons invité à notre musée et lui avons fait faire une visite guidée. Nous l’avons présenté aux membres de l’autorité de notre langue et nous ne saurions trop insister sur le fait que notre peuple est prêt à aller de l’avant et à passer à la prochaine étape. Nous entamerons une séance de planification stratégique vers la fin du mois de mai et, en vertu de notre traité, nous pouvons créer des lois pour la langue et la culture de la nation Nisga’a. Nous comptons considérer cette option.
Nous savons que, sans la capacité d’adopter des lois pour notre langue, nous ne disposons pas du cadre dans lequel travailler. Nous pouvons utiliser cette capacité pour le mettre en place en vue de poursuivre le travail et d’appuyer les efforts à cet égard d’une manière concrète.
En tant que nation visée par un traité moderne, nous sommes prêts. Nous savons que les ressources qui viendront par l’entremise de ce projet de loi sont limitées, mais nous sommes au fait que nous ne pouvons pas seulement rester les bras croisés à condamner le manque de ressources sans engager les nôtres en vue d’appuyer notre langue et de nous l’approprier. Voilà comment nous voyons les choses.
La sénatrice Coyle : Merci. J’aimerais apporter une précision. Y voyez-vous un pas dans la bonne direction, et êtes-vous prêts à en tirer avantage dès que le projet de loi sera adopté?
Mme McKay : Oui. Et permettez-moi d’ajouter ceci : en ce qui a trait à la collaboration visant à soutenir les langues autochtones, l’article 8 prévoit que le ministre peut collaborer avec les gouvernements provinciaux. Le libellé est rédigé ainsi :
[...] de manière compatible avec les compétences et pouvoirs des provinces et des corps dirigeants autochtones et les droits [...] confirmés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle [...]
Alors, de mon point de vue, c’est positif parce que nous savons que nos traités sont protégés par l’article 35 de la Constitution.
La sénatrice Coyle : Merci beaucoup.
Madame Jules?
Mme Jules : Merci. Je vous remercie également, madame McKay, de vos commentaires.
Nous pensons certainement que le projet de loi est positif et qu’il est une façon dans l’avenir de nous assurer que des mécanismes sont en place pour soutenir nos langues au-delà du mandat du gouvernement actuel et également de nos propres vies. Il s’agit d’une occasion de veiller à ce qu’on fournisse dorénavant des ressources pour nos langues.
Une chose que je soulignerais, c’est la relation entre la culture et la langue. Le conseil a présenté ou adopté dans ma communauté une loi sur les langues. Son préambule traite ouvertement de la relation entre la culture et la langue et précise que ces dernières ne sont pas distinctes; elles sont étroitement liées.
Encore une fois, je reviens au bref exposé que je vous ai présenté, qui indiquait dans quelle mesure ma culture, mon histoire et mon héritage sont gravés dans ma langue. Ce sont tous des éléments indissociables.
Je crois que c’est un aspect important qu’il faut intégrer à la loi, tout comme les Premières Nations autonomes, qui représentent une réalité politique prégnante et concrète ici au Yukon. Compte tenu que 11 de nos 14 Premières Nations ont conclu des accords d’autonomie gouvernementale, certaines ont même leurs propres lois sur les langues et d’autres sont en train d’en créer, le projet de loi C-91 doit tenir compte de tous les aspects de la revitalisation des langues.
Ici, au Yukon, il y a quelques années, le dernier locuteur capable de raconter de longues histoires dans la langue et de la parler couramment est décédé. Nous avons un certain nombre de locuteurs qui la parlent un peu et une personne qui essaie vraiment de la réapprendre. C’est un des aspects de la revitalisation des langues.
On a ensuite une autre Première Nation qui a sa propre loi sur les langues, un programme d’immersion à temps plein en place et un service linguistique qui dispose d’une excellente capacité, mais elle a quand même besoin de plus de financement. Les besoins sont différents. Le projet de loi doit vraiment prendre en considération où les Premières Nations se situent dans l’ensemble de ces facteurs et le fait qu’il ne faut pas regarder la situation sous l’angle des bandes ou des gouvernements autochtones, mais plutôt du point de vue de la défense de chaque langue au Canada; nous devons nous poser les questions suivantes : combien de locuteurs parlent la langue? La Première Nation a-t-elle la capacité de soutenir cette langue afin qu’elle survive dans l’avenir?
Parfois, dans le cadre de mon travail, je suis très occupée. Ce qui me rassure et renforce ma vision, c’est lorsque je pense à la langue elle-même, du point de vue purement linguistique. C’est pourquoi j’ai posé cette question tout à l’heure : s’agit-il vraiment d’une loi sur nos langues, ou va-t-elle s’estomper dans un discours politique? Si elle vise à protéger nos langues, alors envisageons son application sous cet angle.
L’autre partie, c’est de veiller, compte tenu de tous les critères qui sont en place pour le financement et du rôle du commissaire, à examiner de nouveau — et je n’ai pas le projet de loi devant moi maintenant — s’il s’agit d’une tentative de contrôler les Premières Nations. Elles sont capables de concevoir, de mettre en œuvre et d’évaluer leurs propres programmes. Si ce projet de loi contient des dispositions relatives à une surveillance là où il n’en faudrait pas, elles doivent être éliminées.
La présidente : Merci. Nous n’avons plus de temps. Au nom du comité, j’aimerais remercier Tina Jules, du Conseil des Premières Nations du Yukon, et Corinne McKay, du gouvernement Nisga’a Lisims.
C’est un plaisir que de vous accueillir de nouveau au Comité sénatorial permanent des peuples autochtones. Nous poursuivons notre travail sur l’étude préalable du projet de loi C-91.
Le comité est heureux d’accueillir cet après-midi Mme Shannon Gullberg, commissaire aux langues officielles des Territoires du Nord-Ouest, et Mme Helen Klengenberg, également commissaire aux langues officielles, au Nunavut.
Je vous remercie toutes deux d’avoir pris le temps de témoigner devant nous aujourd’hui. Nous allons commencer par la déclaration liminaire de Mme Gullberg, suivie de celle de Mme Klengenberg.
Shannon Gullberg, commissaire aux langues officielles, Bureau du commissariat aux langues officielles des Territoires du Nord-Ouest : Bonjour. Je suis désolée de ne pas vous avoir encore fourni par écrit mon exposé aujourd’hui, mais je peux certainement le faire si vous le souhaitez. Je vous demande de m’accorder votre indulgence.
Merci de m’avoir donné l’occasion de vous parler cet après-midi concernant le projet de loi C-91. Il s’agit d’une question fort importante, à mon avis, qui mérite votre attention.
J’aimerais commencer par vous donner quelques renseignements au sujet de mon bureau et de la Loi sur les langues officielles des Territoires du Nord-Ouest, au cas où vous ne la connaissez pas.
La Loi sur les langues officielles des Territoires du Nord-Ouest a été adoptée en 1986, et elle est fortement inspirée de la loi fédérale. Cette loi reconnaît 11 langues officielles, y compris l’anglais, le français et 9 langues autochtones.
La loi reconnaît certains droits pour ce qui est de l’Assemblée législative, les tribunaux et la prestation de services par le gouvernement. Un certain nombre de modifications ont été apportées à la loi au fil des ans et ont changé certaines fonctions.
À l’heure actuelle, un ministre des Langues officielles est responsable des activités de promotion et de protection, et le commissaire aux langues s’occupe du traitement des plaintes.
J’ai été nommée à ce poste par l’Assemblée législative en 2015, et mon mandat prendra fin en octobre. Le Bureau est indépendant et mène ses activités d’un bureau ouvert au public qui accueille d’autres titulaires indépendants d’une charge créée par une loi, y compris le commissaire à la protection de la vie privée et la Commission des droits de la personne.
Je vous dis cela pour mettre un peu en contexte aujourd’hui d’où je viens. Personne ne possède toutes les réponses pour soutenir les langues autochtones, certainement pas moi. Toutefois, permettez-moi de vous dire, à mon avis, les choses à faire et à ne pas faire lorsqu’il s’agit d’adopter une loi qui est censée protéger et soutenir les langues.
Je vais commencer par les choses à ne pas faire. Premièrement, selon moi, il faut éviter les énoncés passe-partout. Le but déclaré du projet de loi C-91 est d’offrir un large soutien aux langues autochtones dans un certain nombre de secteurs. Beaucoup d’objectifs nobles sont énoncés à l’article 5.
À moins que le gouvernement fédéral soit prêt à fournir l’argent et les ressources pour appuyer ces initiatives, je crois qu’il s’agit d’énoncés passe-partout.
Il faudrait des ressources importantes pour soutenir ces initiatives. Les activités d’apprentissage et les activités culturelles coûtent cher. Les programmes linguistiques et les activités éducatives, y compris leur élaboration, peuvent être très coûteux. La technologie nécessaire pour appuyer les langues autochtones est considérable. À moins que le gouvernement fédéral soit prêt à mettre en place les ressources visant à appuyer ces initiatives, ces belles paroles sont vouées à l’échec.
Deuxièmement, il ne faut pas s’appuyer sur les principes de la Loi sur les langues officielles fédérale pour favoriser la promotion et la protection des langues autochtones. Comme je l’ai dit, la Loi sur les langues officielles des Territoires du Nord-Ouest est fortement inspirée du modèle fédéral. À mon sens, c’était et cela continue d’être une grave erreur.
La Loi sur les langues officielles des Territoires du Nord-Ouest fait appel à des concepts de la loi fédérale comme la demande importante et la vocation du bureau pour définir le droit du public de demander des services dans les diverses langues officielles.
Dans les Territoires du Nord-Ouest, ces expressions n’ont pas été mieux définies comme cela a été le cas dans la réglementation fédérale. Toutefois, même si on les définissait, ces concepts ne protègent pas du tout les langues qui sont en danger et dont l’usage n’est pas aussi répandu que l’anglais et le français. Les droits linguistiques devraient être étendus et utiles s’ils veulent signifier quelque chose. Encore une fois, il faudra beaucoup d’argent, de temps et d’énergie et un engagement au maintien des droits linguistiques autochtones. La revitalisation et le renouvellement ne devraient pas être limités par de telles conditions et dispositions arbitraires.
En outre, j’aimerais souligner que le concept de régions désignées de la loi des Territoires du Nord-Ouest limite davantage les droits linguistiques. Autrement dit, les droits linguistiques sont fondés sur les langues les plus parlées dans une région. Encore une fois, je vous mettrais en garde contre l’utilisation d’un principe qui limite et mine davantage les droits linguistiques.
Je peux vous dire que les problèmes concernant ces expressions — demande importante, vocation du bureau et régions désignées — sont soulignés par les commissaires aux langues depuis la création de mon bureau. Je vous exhorte de sortir des sentiers battus et d’élaborer des règlements et d’autres outils qui sont véritablement conçus pour protéger les langues autochtones. Sur le plan pratique, cela entraînera probablement un traitement équitable, mais non pas égal, des langues autochtones selon la santé et la stabilité de diverses langues.
Les témoins qui m’ont tout juste précédée y ont fait allusion.
Comme l’a dit John Packer dans son mémoire, Towards a consistent approach in the management of linguistic diversity, le gouvernement a pour défi de satisfaire les demandes légitimes qui peuvent varier en fonction des groupes et se disputer les ressources publiques. En principe, l’État devrait faire tout son possible en tenant compte des besoins diversifiés, des intérêts et du bien-être général.
Troisièmement, ne mélangez pas les fonctions. Il faut maintenir l’indépendance du Bureau du commissaire.
Je ne sais pas trop ce qui est envisagé concernant l’établissement du bureau du commissaire dans le projet de loi C-91. Toutefois, je vous mettrais en garde contre un bureau qui cumulerait les fonctions de sensibilisation du public et de promotion des langues en plus du traitement des plaintes.
À mon sens, il est impératif qu’un tel bureau soit en mesure de faire enquête sur les plaintes d’une manière tout à fait impartiale et indépendante. C’est impossible, selon moi, s’il joue un rôle double. Je vous exhorte à scinder ces fonctions afin de maintenir son intégrité.
Passons maintenant aux choses qu’il faut faire. Premièrement, consultez largement les groupes et les communautés autochtones. J’ai été ravie de voir que l’article 7 du projet de loi C-91 prévoit une vaste consultation des groupes autochtones. À mon avis, c’est essentiel.
Je me souviens d’une réunion l’an passé à Kakisa, dans les Territoires du Nord-Ouest. Le chef était clair : la communauté n’avait pas besoin que le gouvernement lui dise ce dont elle avait besoin pour préserver sa langue. Il avait raison.
J’ai récemment rédigé un article qui sera publié dans un livre à l’occasion de l’assemblée générale annuelle de l’Association internationale des commissaires linguistiques à Toronto, en juin. Ma thèse concernait la nécessité de mener une consultation à l’échelon communautaire en ce qui concerne l’élaboration de lois et de politiques. C’est seulement ainsi qu’on arrivera à comprendre les besoins, les désirs et les préoccupations de la communauté.
Deuxièmement, envisagez des solutions de rechange pour régler les problèmes. J’ai été heureuse de voir que l’article 26 du projet de loi contient des dispositions sur des services de rechange en matière de règlement de différends. D’après mon expérience, beaucoup d’Autochtones ne se plaignent ou ne se plaindront pas. Même s’il s’agit d’une généralisation excessive, je pense que cette affirmation est encore valable et est probablement fondée sur une discrimination historique, les pensionnats et d’autres tragédies et problèmes.
Par ailleurs, lorsque je me rends dans une communauté et qu’on prend un café, les gens sont à l’aise de discuter de façon informelle de leurs problèmes. Ils ne déposeront peut-être jamais de plainte officielle, mais cela ne veut pas dire que leurs préoccupations sont moins valides ou importantes.
Il est impératif d’offrir des solutions de rechange afin de répondre aux préoccupations et les mentionner clairement dans le projet de loi. Je peux dire que, même si la Loi sur les langues officielles des Territoires du Nord-Ouest n’offre pas de mécanisme de rechange de règlement des différends, j’y ai recours pour une plainte actuelle. Les questions à trancher dans l’affaire concernent les soins de santé, et elles sont complexes. J’ai obtenu l’appui du plaignant, des fonctionnaires au sein de l’autorité sanitaire, des responsables de la Commission des droits de la personne et d’autres personnes dans le but de régler les problèmes d’une manière plus complète et durable. Selon moi, si le bureau devait seulement formuler des recommandations au ministre, il n’aurait pas la même possibilité de régler les problèmes d’une manière aussi exhaustive.
La bonne nouvelle dans cette affaire, c’est que tout le monde est d’accord pour examiner de telles solutions de rechange.
Troisièmement, travaillez avec d’autres gouvernements. À mon avis, il faut que le gouvernement fédéral travaille avec d’autres gouvernements et organismes pour régler les questions qui touchent les langues autochtones. Nombre d’entre vous sont au courant de la question de l’enregistrement de la naissance qui était à l’avant-plan dans les Territoires du Nord-Ouest. En 2014, une femme a déposé une plainte à mon bureau parce que le bureau de l’état civil a refusé qu’elle enregistre son bébé en utilisant des caractères dénés en l’honneur de ses origines dénées.
Lorsque je traitais la plainte, j’ai analysé d’autres administrations et j’ai été surprise de voir qu’aucune ne s’était vraiment penchée sur cette question. L’alphabet romain est la norme au Canada.
Après un examen approfondi et une communication directe avec le ministère de la Santé et des Services sociaux, on a apporté des modifications à la Loi sur les statistiques de l’état civil. Toutefois, ce n’est pas la fin de l’histoire. Comme vous pouvez le comprendre, on continue de plancher sur un guide de translittération et de travailler avec d’autres gouvernements pour s’assurer de ne pas créer d’autres problèmes. Par exemple, à l’échelon fédéral, comment s’occupera-t-on des passeports? Le gouvernement doit encore s’occuper de questions importantes.
Je vais m’arrêter là pour le moment. Encore une fois, je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de vous parler aujourd’hui et je vous souhaite bonne chance dans vos délibérations.
La présidente : Merci. Madame Klengenberg, allez-y.
Helen Klengenberg, commissaire aux langues officielles, Bureau du commissariat aux langues officielles du Nunavut : Merci, madame la présidente, mesdames et messieurs. Je suis très heureuse d’être ici. Je m’appelle Helen Klengenberg. Je suis inuite.
[Mme Klengenberg s’exprime en inuinnaqtun.]
Je vis à Iqaluit. Je suis née au Nunavut. Ma langue est l’inuinnaqtun, et je parle également l’inuktitut en tant que commissaire aux langues officielles du Nunavut.
J’aimerais vous raconter quelques histoires. Je vais également vous faire part d’avis juridiques que j’ai reçus à propos du projet de loi C-91. Je ne vais peut-être pas en parler en détail aujourd’hui. Toutefois, je pourrai y faire référence, formuler des commentaires et répondre aux questions qu’on me posera.
Comme vous le savez, le Nunavut a été créé le 1er avril 1999. Il y a quelques jours, nous avons célébré notre vingtième anniversaire. À la création du Nunavut, on a établi la Loi sur le Nunavut. Je devrais revenir à l’Accord sur les revendications territoriales du Nunavut, qui a été ratifié en 1993 par le gouvernement du Canada et qui est protégé par l’article 35 de la Loi constitutionnelle.
Le 1er avril, comme je l’ai mentionné, le Nunavut est né. Il exerce les pouvoirs qui lui sont délégués par le gouvernement du Canada et qui sont prévus dans la Loi sur le Nunavut. Le gouvernement du Canada a expressément conféré des pouvoirs pour légiférer, notamment sur la protection et le renforcement de la langue inuktitut à la condition que cela ne nuise pas aux droits linguistiques anglais et français, d’où la création en 2008 de la Loi sur la protection de la langue inuite. Cette loi a été adoptée en 2008 avec la Loi sur les langues officielles du Nunavut.
Cette loi prévoyait un cadre législatif pour créer un gouvernement qui fonctionne en inuktitut. En vue de protéger l’inuktitut, on a par la suite adopté une loi sur les langues visant à fournir un fondement pour que les gouvernements, les institutions gouvernementales, les organisations non gouvernementales et le secteur privé utilisent l’inuktitut. Pendant longtemps, certaines dispositions de la loi n’étaient pas appliquées parce qu’elles n’avaient pas été promulguées par l’Assemblée législative du Nunavut.
Le 9 juillet 2017, notre assemblée législative a adopté ces articles, dont l’article 3 de la Loi sur la protection de la langue inuite, qui précise que chaque organisation au Nunavut est tenue de respecter la loi. Ces organisations doivent maintenant fournir de l’affichage, des services personnels et des services de réception en inuktitut ainsi que des services de correspondance, de traduction et d’interprétation aux Inuits lorsqu’ils le demandent.
Cet article a été promulgué le 9 juillet 2007. En même temps, j’ai demandé un avis juridique pour savoir si le gouvernement fédéral devait respecter nos dispositions législatives. On m’a dit que, effectivement, il doit les respecter parce que nous sommes protégés sur le plan constitutionnel par la Loi sur le Nunavut. Le gouvernement du Canada, lorsqu’il mène des activités sur notre territoire, doit fournir des services dans notre langue. Il doit offrir des services de traduction et d’interprétation.
J’aimerais vous raconter une petite histoire. Je sais que je dispose de sept minutes, mais je veux que vous l’entendiez parce qu’elle vous donnera une idée de la bureaucratie à laquelle je fais face lorsque je demande au gouvernement fédéral de se conformer à notre Loi sur la protection de la langue inuite au Nunavut.
J’ai d’abord reçu une lettre de plainte d’un couple de personnes âgées dans une de nos petites communautés du Nunavut. Leur petite-fille a décidé de m’écrire une lettre et de déposer une plainte officielle selon laquelle l’Agence du revenu du Canada avait écrit à ses grands-parents pour leur dire qu’ils lui devaient de l’argent pour de l’impôt non payé en plus des intérêts sur les arriérés, et la lettre était rédigée entièrement en anglais et en français.
Comme vous le savez, nombre de nos aînés au Nunavut ne parlent que l’inuktitut. Ils ne lisent pas l’anglais ni le français, mais ils continuaient de recevoir des lettres indiquant qu’ils devaient de l’argent au gouvernement.
En résumé, j’ai frappé à bien des portes au gouvernement fédéral avant de trouver quelqu’un qui a affirmé que le gouvernement fédéral devait respecter notre loi et qui allait informer les fonctionnaires du gouvernement canadien au Nunavut de leur obligation de se conformer à la Loi sur la protection de la langue inuite. À ce jour, personne ne m’a répondu.
Je suis allée voir le secrétaire du Conseil du Trésor du Canada parce qu’il est responsable des services de ressources humaines pour l’ensemble de la fonction publique au Canada. Il m’a répondu que, non, l’inuktitut ne fait pas partie des exigences que le gouvernement doit respecter lorsqu’il offre ce service.
En premier lieu, j’ai communiqué avec le secrétaire de l’Agence du revenu du Canada. Je crois qu’il s’agit d’un secrétaire. Il m’a dit essentiellement que, non, le ministère n’offre pas de services en inuktitut. Toutefois, comme je continuais à présenter des arguments, il a été en mesure de résoudre le problème du couple de personnes âgées en leur offrant des services de traduction et d’interprétation, et tout est rentré dans l’ordre plus tard. Cependant, il a continué d’affirmer que l’agence avait offert ces services parce que c’était la bonne chose à faire, mais qu’elle n’était pas tenue d’offrir des services en inuktitut.
La dernière personne que je suis allée voir, c’est le secrétaire du greffier du Conseil privé. Je croyais qu’il serait peut-être celui qui pourrait m’aider parce que je m’étais adressée à tous les hauts fonctionnaires, et personne n’était disposé à décider si le Canada devait respecter notre loi sur les langues.
Bref, j’ai reçu une lettre me disant qu’on examinait la question. En même temps, on étudiait également la Loi sur les langues autochtones fédérale et on m’a dit qu’on me répondrait plus tard.
J’ai reçu cette lettre il y a plus d’un an et je n’ai toujours pas eu de nouvelles du secrétaire du Conseil privé. Je devrai peut-être lui réécrire pour lui rappeler ma lettre. Il faudra assurément que je le fasse.
C’est frustrant parce que nous avons une loi sur les langues qui précise que le gouvernement est tenu de la respecter. Il doit se conformer à la Loi sur la protection de la langue inuite, car, à la création du gouvernement du Nunavut, il a signé une déclaration selon laquelle nous allions fonctionner dans notre propre langue.
D’un côté, le gouvernement a signé une déclaration disant que nous allions fonctionner dans notre langue, et, de l’autre, il dit : « Non, le gouvernement n’a pas à respecter cette loi ».
Il est contrariant et difficile pour moi de m’acquitter de mes responsabilités lorsque le gouvernement du Canada a des bureaux au Nunavut et que nombre de ses clients sont inuits. Je ne sais pas comment il peut fonctionner sans offrir des services en inuktitut.
Dans la situation dont je vous parlais, il a fini par fournir le service. Toutefois, il n’est pas obligé de le faire, mais il le fait de toute façon. Cela ne nous suffit pas.
J’aimerais parler du poste de commissaire aux langues autochtones proposé à l’article 13 du projet de loi C-91 parce que je crois que le bureau n’aura pas les pouvoirs et les responsabilités que j’ai au Nunavut. Je crois qu’il y aura un chevauchement des services et une utilisation malavisée de fonds publics qui pourraient être destinés au renforcement de ce qui est déjà en place au Canada. Dans nombre d’administrations, comme l’a dit ma collègue des Territoires du Nord-Ouest, des organisations veulent fournir leurs propres programmes et services, et nous avons déjà cela en place.
Je crois que c’est la même chose au Nunavut et dans les Territoires du Nord-Ouest. La seule loi qui nous protège et qui prévoit l’utilisation de notre langue, c’est la Loi sur la protection de la langue inuite.
J’aimerais parler un peu de l’article 7 du projet de loi. C’est probablement l’énoncé le plus encourageant de l’ensemble du projet de loi. Il permet aux gouvernements autochtones et aux corps dirigeants autochtones d’élaborer leurs plans, leurs budgets et leurs stratégies linguistiques. La responsabilité n’incombe pas au gouvernement fédéral, ce qui est une bonne chose à de nombreux égards. Cependant, en tant qu’organismes autochtones et gouvernements inuits et autochtones, nous devons être vigilants et nous assurer que le gouvernement fédéral offre ces services.
Nous ne savons pas ce que veut dire le mot « adéquat ». À mon sens, il nous revient à nous, les Inuits et les Autochtones de partout au Canada, de dire au gouvernement fédéral ce qu’il signifie.
Selon moi, le fait d’avoir des bureaux partout au pays est une meilleure idée qu’un organisme central parce qu’on utiliserait ce qui existe déjà. Lorsque le gouvernement fédéral est présent au Nunavut, nous voulons qu’il passe par le commissariat aux langues. Lorsqu’il mène des activités au Nunavut, nous voulons qu’il respecte la Loi sur la protection de la langue inuite et offre des services en inuktitut. Pourquoi existe-t-il si ce n’est que pour fournir des services aux Inuits ou à tout le monde au Canada qui parle une langue majoritaire? La langue majoritaire au Nunavut est l’inuktitut. Les Inuits représentent 85 p. 100 de notre population.
De plus, je souhaite faire ma dernière déclaration afin que l’on confie au commissaire aux langues autochtones proposé la responsabilité de consulter chaque administration qui a déjà son propre commissaire aux langues et de travailler de concert avec elle sur toutes les questions concernant les enjeux relatifs à la législation sur les langues et à la conformité à la loi. Je ne vois pas cela dans le projet de loi.
Nous entendons si souvent dire que des mesures sont prises quant à la législation linguistique. Le gouvernement fédéral, par exemple, a tenu des consultations sur le projet de loi sur les langues, et n’a jamais informé notre bureau de ce qu’il avait planifié à l’égard du Nunavut. C’est une autre raison pour laquelle je crois que le gouvernement doit collaborer par l’entremise des bureaux des commissariats aux langues.
La présidente : Je suis désolée de vous interrompre, mais il faudrait que vous concluiez bientôt, car nous manquons de temps.
Mme Klengenberg : Je vais terminer maintenant, car je pense que vous avez l’avis juridique qui est présenté sur le projet de loi. Je vais vous laisser le consulter. Si vous avez des questions à ce sujet, je serai heureuse d’y répondre.
La présidente : Merci beaucoup.
Le sénateur Doyle : Mon collègue, le sénateur Patterson, a dû partir un peu plus tôt aujourd’hui, mais m’a demandé de vous souhaiter la bienvenue en son nom — je suis certain que vous vous connaissez — et de vous remercier d’être venues pour présenter votre exposé.
Il a écrit une question qu’il voulait vous poser, mais vous y avez déjà répondu, en fait. Il disait comprendre que le gouvernement fédéral est effectivement tenu d’offrir des services gouvernementaux au Nunavut dans votre langue. Il voulait savoir si les services sont offerts de manière sporadique ou s’ils sont de bonne qualité et offerts de manière régulière. De toute évidence, ce n’est pas le cas. Peut-être que s’il était présent, il dirait que le ministre fédéral devrait revenir ici pour qu’on lui pose cette question en votre nom. Pensez-vous que ce serait une bonne idée?
Mme Klengenberg : Oui, il faut poser cette question, car la seule autre mesure que je peux prendre est de poursuivre le gouvernement fédéral en justice. C’est la dernière chose que je souhaite faire.
Le sénateur Doyle : D’accord.
Mme Klengenberg : Nous n’en avons pas les moyens. Ce serait une question très utile à poser au ministre et je crois qu’il serait formidable que vous puissiez le faire.
Le sénateur Doyle : Votre bureau a-t-il été largement consulté au sujet de l’ébauche du projet de loi C-91?
Mme Klengenberg : Non. Cependant, je me suis mise à la disposition des responsables et j’ai rédigé mon exposé en détail. Deux personnes se sont présentées à mon bureau par la suite, et j’ai pu également leur présenter mon exposé de vive voix.
Le sénateur Doyle : Et vos recommandations?
Mme Klengenberg : Oui, et mes recommandations.
Le sénateur Doyle : Merci.
La sénatrice LaBoucane-Benson : Je tiens à vous remercier tous deux d’être des nôtres aujourd’hui. Je dois avouer que, avant d’avoir entendu votre exposé, je me demandais quel était le travail d’un commissaire aux langues et pourquoi nous devrions dépenser de l’argent pour ce poste étant donné que le budget est très restreint. J’étais d’avis que l’argent devrait servir à l’apprentissage linguistique dans la communauté, mais votre exposé m’a aidée à comprendre en quoi consiste votre travail et l’importance que peut avoir la fonction de commissaire.
Ma question s’adresse à vous deux. Pensez-vous qu’il devrait y avoir un commissaire national aux langues? Si c’est le cas, quelle responsabilité devrait-il assumer? Je suppose que vous avez lu le projet de loi proposé. Quelle devrait être la nature de son travail? C’est à l’échelle du Canada. Même si vos emplois semblent complexes, ils concernent une zone géographique limitée et, pour l’un d’entre vous, une langue, et pour l’autre, plusieurs langues. À votre avis, quelle devrait être la principale fonction d’un commissaire national, et changeriez-vous les dispositions du projet de loi concernant ce poste?
Mme Gullberg : De mon point de vue, tout cela dépendra de la manière exacte dont les droits seront formulés. À mon avis, le commissaire est une personne qui, au bout du compte, si on établit certains droits dans le projet de loi, pourra prendre des mesures lorsqu’une personne croira que ses droits ont été violés, au moyen de recommandations, de directives ou d’une autre manière.
Je suis préoccupée par la manière dont c’est organisé; il semble pratiquement que le commissariat et les directeurs élaboreraient les politiques et feraient la promotion et ce genre de choses. Leur bureau recevrait également les plaintes.
Je dois vous dire que la première version de la Loi sur les langues officielles des Territoires du Nord-Ouest prévoyait la même chose, à savoir que le commissaire aux langues veillait à la promotion et à la protection des langues et collaborait aux négociations ayant trait au financement fédéral. C’était également la même personne qui recevait les plaintes.
Cela a entraîné de nombreux problèmes. C’était donc une des raisons pour lesquelles on a examiné la loi en 2010. C’était pour séparer ces fonctions.
Donc, je dirais que le commissaire devrait avant tout remplir un rôle de supervision des plaintes reçues, tout en effectuant un travail indépendant des rouages quotidiens des dispositions législatives et en demeurant impartial à cet égard.
La sénatrice LaBoucane-Benson : Merci.
Mme Klengenberg : Le commissaire aux langues est plus actif sur notre territoire que dans les Territoires du Nord-Ouest, où se trouve l’entité chargée de l’application de la Loi sur les langues officielles, lesquelles comprennent l’anglais, le français, l’inuktut, l’inuinnaqtun et l’inuktitut. Ensuite, il y a la revitalisation des programmes qui sont gérés par diverses organisations, ainsi que par le gouvernement du Nunavut, où cela relève d’un ministère.
Je m’intéresse à l’application des lois, car je veux m’assurer qu’elles soient respectées. Nous n’avons pas de fonds alloués à des programmes. L’entité responsable des programmes est sous l’égide d’un ministre des langues, qui est chargé du maintien de nos langues et de la mise au point de documents connexes et ainsi de suite, alors que je suis chargée de l’application de la loi sur notre territoire.
Je crois que la fonction de commissaire national aux langues sera très difficile à remplir. Vous allez empiéter sur les responsabilités de bien des personnes en tentant de faire la même chose que tout le monde fait partout au Canada.
Si vous mettez en place un commissariat national aux langues, vous devez envisager la manière dont il assumera ses responsabilités du point de vue national. Comment nos lois sur les langues sont-elles appliquées? Comment veille-t-on à la protection et au respect des langues des peuples autochtones? Les responsables doivent s’assurer que le gouvernement du Canada respecte la Loi sur la protection de la langue inuite et remplit ses obligations prévues par cette loi afin que l’on s’occupe des déclarations des peuples autochtones.
Il sera très difficile de mettre en place un bureau adéquat dont les fonctions n’empiéteront pas sur celles des autres. Je peux toutefois facilement concevoir la désignation d’une personne que l’on pourrait appeler pour se plaindre que le gouvernement fédéral ne respecte pas nos lois et pour lui demander d’intervenir.
À mon avis, il serait préférable qu’il s’agisse d’une personne qui connaît le gouvernement du Canada. C’est une énorme bureaucratie. À qui doit-on s’en remettre? Je ne connais personne que je peux appeler pour lui dire que j’éprouve des problèmes avec le ministère des Affaires autochtones au Nunavut. À mon sens, c’est un gaspillage d’argent que de mettre sur pied une bureaucratie alors qu’il existe déjà au Canada des bureaucraties qui réussissent très bien à fournir des ressources et de l’assistance aux collectivités.
Il faut établir des commissaires aux langues dans les provinces et les territoires, lorsque besoin il y a, ou auprès des gouvernements autonomes, collaborer avec eux pour répondre à leurs besoins et fournir aux territoires et aux provinces les fonds nécessaires à la réalisation de leur travail.
Le gouvernement fédéral ne peut plus se cacher ni n’est une entité non responsable. Nous sommes aujourd’hui mieux informés sur la manière dont ce dernier gouverne et fonctionne à l’échelle communautaire ou nationale. Le gouvernement n’est pas une entreprise privée et doit rendre des comptes à la population, et nous savons que nous pouvons le tenir responsable et savons comment nous y prendre.
La sénatrice LaBoucane-Benson : Je remarque qu’aucun d’entre vous n’a parlé de la réalisation de recherches et, pourtant, il est question, dans le rôle du commissaire, de travaux de recherche. Recommanderiez-vous la réalisation de recherches?
Mme Gullberg : Oui, bien entendu.
Le sénateur Tannas : J’allais poser une question au nom du sénateur Patterson, mais je crois qu’on y a plus ou moins répondu. Il voulait s’assurer que vous inscriviez au compte rendu les redondances que vous remarqueriez et que vous compariez un peu votre pouvoir à celui du commissaire fédéral aux langues qui est prévu dans le projet de loi. Je crois que nous avons eu une bonne discussion à ce sujet. Je vous remercie donc.
Le sénateur Christmas : Une fois de plus, je vous remercie tous deux d’être venus. Vous nous avez grandement éclairés grâce à vos expériences respectives comme commissaires aux langues.
Comme vous le savez, l’un des rôles du commissaire national aux langues est d’enquêter sur les plaintes. Madame Gullberg, vous avez mentionné dans votre témoignage que votre bureau a reçu très peu de plaintes, et je suppose que les gens ne font pas de plaintes peut-être pour des raisons culturelles.
À votre avis, quelles options pourraient régler des problèmes concernant des personnes insatisfaites des services linguistiques qu’elles reçoivent?
Mme Gullberg : Je peux vous donner un autre exemple. La loi des Territoires du Nord-Ouest permet, entre autres choses, au commissaire de lancer des enquêtes. L’an dernier, j’ai produit un rapport. Une fois de plus, j’ai entendu des personnes dire que leur député ne s’exprimait pas dans leur langue à l’assemblée législative et que les services de télévision qu’elles recevaient par télédiffusion étaient mauvais. Des choses comme ça.
J’ai donc lancé une enquête et préparé un rapport à l’intention des membres de l’assemblée législative. Bien que ces derniers y travaillent encore, ils ont amélioré les services linguistiques à l’assemblée.
Il est intéressant de noter que les mêmes problèmes ont été soulevés ici au Sénat. J’ai donc surveillé ces questions. Pardonnez-moi si je cite certains articles de journaux au sujet de sénateurs qui souhaitaient également exercer leurs droits linguistiques au Sénat et au Parlement. C’est vraiment utile.
Je suis totalement d’accord avec Mme Klengenberg sur le fait qu’il ne faut pas empiéter sur les fonctions des autres, mais je crois qu’il y a lieu de communiquer quantité de renseignements et d’offrir du soutien dans le système. Je crois que ce sont d’excellents exemples à cet égard.
La présidente : Au nom des membres du comité, je remercie nos deux témoins, Shannon Gullberg et Helen Klengenberg, commissaires aux langues officielles des Territoires du Nord-Ouest et du Nunavut.
(La séance se poursuit à huis clos.)