Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce
Fascicule n° 3 - Témoignages du 9 mars 2016
OTTAWA, le jeudi 10 mars 2016
Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui, à 10 h 32 pour poursuivre son étude sur les questions relatives aux barrières au commerce intérieur.
Le sénateur David Tkachuk (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour, et bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce. Je m'appelle David Tkachuk et je suis le président du comité.
Aujourd'hui, il s'agit de la troisième réunion sur notre étude spéciale sur les questions relatives aux barrières au commerce intérieur. Je suis heureux d'accueillir Dan Albas, député de Central Okanagan—Similkameen—Nicola, et Jack Mintz, boursier du recteur, École de politique publique de l'Université de Calgary. Il est à New York et se joint à nous par vidéoconférence. M. Mintz est également chercheur invité à la faculté de droit de l'Université Columbia. Les deux témoins comparaissent à titre personnel.
Messieurs, je vous remercie d'être ici aujourd'hui. J'aimerais préciser que d'autres témoins avaient été invités, mais nous avons eu quelques problèmes avec les représentants d'Environnement Canada, car ils ne souhaitent pas comparaître devant le comité pour discuter d'enjeux environnementaux liés à une tentative de réglementation du commerce à l'échelon provincial. Ils ont donc refusé l'invitation.
Nous avons également consulté les coprésidents du Forum des ministres du marché du travail. Ils ont refusé l'invitation à comparaître devant le comité, tout comme l'ont fait les membres d'un conseil des ministres responsables des transports et de la sécurité routière, mais c'est parce que c'était impossible pour le moment, et nous leur enverrons donc une autre invitation bientôt. Nous enverrons également une autre invitation aux représentants d'Environnement Canada.
Je suis heureux que notre budget ait été adopté aujourd'hui par le Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration, car cela nous permettra de nous déplacer. Nous vous enverrons probablement quelques choix par courriel, car il est préférable d'agir rapidement à cet égard.
Je présenterai la motion aujourd'hui.
J'aimerais maintenant demander aux témoins de livrer chacun un exposé à titre personnel. Les sénateurs vous poseront ensuite des questions. La parole est d'abord à M. Albas, un député qui a également présenté un projet de loi d'initiative parlementaire. Il vous racontera les détails.
Dan Albas, député de Central Okanagan—Similkameen—Nicola : Merci, monsieur le président. J'aimerais tout d'abord sincèrement remercier tous les membres du comité, non seulement de m'avoir invité à comparaître aujourd'hui, mais surtout d'avoir entrepris une étude sur le commerce intérieur du Canada à un moment où il est extrêmement important de mener une telle étude. Je suis sérieux lorsque je dis que c'est « extrêmement important », car je crains fortement que la question du commerce intérieur soit sur le point de reculer après avoir récemment réalisé des progrès encourageants.
Tout d'abord, permettez-moi de vous rappeler les progrès récemment accomplis. Grâce en partie aux efforts acharnés de l'ancien ministre de l'Industrie, James Moore, l'ancien gouvernement avait mis l'accent sur la question du commerce intérieur. Ces efforts soutenus ont porté leurs fruits le 29 août 2014, lorsque les premiers ministres provinciaux et territoriaux ont annoncé, à la conférence du Conseil de la fédération qui s'est tenue à l'Î.-P.-É., qu'un nouvel accord sur le commerce intérieur serait « directement conclu d'ici mars 2016 ».
Manifestement, cette échéance arrive à sa fin, et le temps presse. En effet, les premiers ministres provinciaux et territoriaux estiment que le commerce intérieur représente 20 p. 100 du PIB du Canada, c'est-à-dire 366 milliards de dollars par année.
N'oublions pas que nous sommes également sur le point de signer l'AECG, l'Accord commercial économique global avec l'Union européenne, et peut-être — ou peut-être pas, car les opinions varient à Ottawa — le Partenariat transpacifique.
On tente de créer une situation dans laquelle les entreprises étrangères auront, dans certains cas, plus facilement accès au marché canadien que des entreprises — ou des particuliers — canadiennes. Je crois que nous conviendrons tous que c'est inacceptable.
Pourquoi suis-je inquiet? J'utiliserai l'exemple de mon projet de loi sur le vin qui a été mentionné par le sénateur au début de la réunion, c'est-à-dire le projet de loi qui vise à mettre fin à l'interdiction de livrer du vin directement aux consommateurs — interdiction qui date de l'époque de la prohibition. Il a reçu le soutien unanime de tous les partis de la Chambre des communes et du Sénat à l'été 2012, lorsque le Sénat comptait plus d'un parti. Fait encourageant, un budget adopté dans le cadre du Plan d'action économique a ensuite élargi la portée de mon projet de loi pour inclure la livraison de bières artisanales et de spiritueux canadiens directement aux consommateurs à l'échelle du pays.
Toutefois, depuis ce temps, seules les provinces de la Colombie-Britannique, du Manitoba et de la Nouvelle-Écosse ont adopté sans réserve le libre-échange du vin canadien à l'échelle nationale. L'Alberta a même adopté une politique qui nuit à l'expédition du vin canadien. Terre-Neuve-et-Labrador a dépensé des dizaines de milliers de dollars pour poursuivre FedEx Canada en justice, car l'entreprise avait livré une caisse de vin Naramata Bench.
Le président : C'est parce qu'on produit de si bons vins à Terre-Neuve-et-Labrador et en Alberta.
M. Albas : Cette situation perdure même si sept bouteilles de vin sur dix vendues au Canada sont produites à l'étranger. Je tiens à le répéter : sept bouteilles de vin sur dix vendues et consommées au Canada viennent d'un autre pays, même si à mon avis, notre pays produit certains des meilleurs vins au monde.
Encore aujourd'hui, l'Ontario et le Québec refusent d'accepter le libre-échange des vins canadiens.
Ce qui me préoccupe davantage, c'est que la semaine dernière, les premiers ministres provinciaux et territoriaux ont rencontré le premier ministre du Canada à Vancouver pour tenter de conclure un accord sur plusieurs enjeux, en particulier l'établissement d'un prix national du carbone. Comme nous le savons tous, aucun accord n'a été signé.
Si je mentionne la réunion de Vancouver, c'est parce que le premier ministre a placé ces discussions sur le prix national du carbone au beau milieu de ce qui aurait dû être une discussion sur la version finale du nouvel accord sur le commerce intérieur, ce que toutes les provinces ont déjà convenu de faire dans le cadre d'un partenariat avec le leadership du gouvernement fédéral. Toutefois, ce leadership a maintenant décidé de s'engager dans une autre voie.
Nous savons tous que les provinces avaient convenu d'élaborer un nouvel accord sur le commerce intérieur. On n'est pas parvenu à s'entendre sur l'établissement d'un prix national du carbone pendant la réunion de Vancouver, ce qui a provoqué le désaccord de la semaine dernière. Je me demande donc dans quelle mesure les premiers ministres provinciaux et territoriaux seront prêts à s'entendre sur un nouvel accord sur le commerce intérieur au cours des dernières semaines de mars. Il est urgent de régler cette question, car il y aura des élections en Saskatchewan dans moins d'un mois et au Manitoba peu de temps après.
J'aimerais également ajouter qu'aucune lettre de mandat des ministres du cabinet libéral ne mentionne le commerce intérieur.
À l'exception du bon travail accompli par votre comité, la question du commerce intérieur est seulement soulevée dans cet endroit lorsque je la mentionne à la Chambre des communes pendant la période de questions.
Ce sont ces raisons qui me font craindre que contrairement aux promesses faites à cet égard, il n'y aura pas de nouvel accord sur le commerce intérieur, même si un tel accord est absolument nécessaire. C'est aussi la raison pour laquelle les travaux que vous effectuez ici sont extrêmement importants. J'ai hâte de répondre à vos questions et de vous aider de toutes les façons possibles.
D'après mon expérience, le commerce intérieur n'est pas une question partisane, et contrairement au commerce international, qui oppose parfois la gauche et la droite, je ferais valoir que le commerce intérieur oppose les bonnes et les mauvaises solutions. En effet, les Canadiens conviennent que l'élimination des obstacles au commerce interprovincial et l'accroissement du commerce intérieur représentent le choix approprié. Espérons que nous pourrons trouver des façons d'y arriver.
Le président : Merci, monsieur Albas.
Monsieur Jack Mintz, boursier du recteur à l'École de politique publique de l'Université de Calgary, qui se trouve présentement à New York, je crois comprendre que vous livrerez également un exposé.
Jack Mintz, boursier du recteur, École de politique publique de l'Université de Calgary, à titre personnel : C'est exact. Merci beaucoup, mesdames et messieurs les sénateurs, de m'avoir invité à comparaître par vidéoconférence. J'ai pu me rendre au travail à pied, car il fait plus de 70 degrés Fahrenheit à New York aujourd'hui. La température est exceptionnelle.
Cette discussion dure depuis des décennies, c'est-à-dire qu'elle remonte au rapport de la Commission Macdonald publié en 1985, et elle s'est concentrée sur la question de savoir si le Canada devrait s'efforcer davantage de profiter des gains économiques engendrés par la réduction des obstacles au commerce et à la mobilité, une situation qui existe dans une union économique plus solide.
C'est une question difficile pour plusieurs raisons. Tout d'abord, de nombreuses études ont démontré que les gains issus du renforcement de l'intégration économique sont relativement petits, ce qui n'encourage pas les responsables de l'élaboration des politiques à favoriser les questions liées au commerce intérieur lors de l'adoption de mesures législatives. Une étude antérieure a permis d'estimer que les gains les plus importants représenteraient 1,5 p. 100 du PIB, et cette estimation était probablement la plus élevée. D'autres estimations étaient aussi peu élevées que 0,1 p. 100, ce qui permet d'envisager des gains d'au plus 2 milliards de dollars par année. Même si c'est positif, ces gains semblent relativement peu élevés dans une économie de presque 2 billions de dollars.
Toutefois, ces études se fondent sur une analyse économique qui présume l'existence d'économies concurrentielles et d'échanges commerciaux sans obstacle en l'absence de facteurs institutionnels. Des facteurs institutionnels appropriés permettent de faire évoluer les gains réalisés dans les échanges commerciaux. Par exemple, des études antérieures sur l'ALENA laissaient croire que le commerce intérieur produirait des gains économiques similaires. Toutefois, si on intègre des facteurs plus complexes, par exemple des industries non concurrentielles ou oligopolistiques, les estimations liées aux gains économiques augmentent pour atteindre jusqu'à 6,5 p. 100 du PIB.
Une étude menée en 2013 par mes collègues de l'Université de Calgary, Trevor Tombe et Jennifer Winter, tient compte de la distance et des différences entre les coûts de production dans chaque province. Ils ont conclu que la réduction des obstacles au commerce intérieur du Canada pourrait augmenter de près de 8 p. 100 la production par travailleur, un résultat assez élevé.
Mais nous avons toujours besoin d'études plus convaincantes.
Deuxièmement, au Canada, la jurisprudence est limitée lorsqu'il s'agit de décisions favorisant l'élimination des obstacles au commerce. L'article 121 de la Loi constitutionnelle énonce ce qui suit :
Tous articles du crû, de la provenance ou manufacture d'aucune des provinces seront, à dater de l'union, admis en franchise dans chacune des autres provinces.
D'après ce que je comprends, et étant donné que je ne suis pas avocat — permettez-moi de préciser que même si je travaille actuellement pour la faculté de droit de l'Université Columbia, je ne suis pas avocat —, cet article a été interprété de façon à restreindre étroitement l'imposition de droits par les provinces, même si certains experts juridiques font valoir qu'une interprétation plus élargie permettrait d'inclure d'autres obstacles au commerce. La clause commerciale de la Constitution américaine permet au Congrès, au contraire, de déroger aux règlements qui interfèrent avec les échanges commerciaux entre les États et avec les autres pays. L'Union européenne intègre deux principes : tout d'abord, le libre-échange des biens et des services, et deuxièmement, la liberté d'établir et de fournir des services, liberté qui a imposé plusieurs limites aux États membres, par exemple l'application du droit fiscal.
En comparaison, les contraintes juridiques imposées à la capacité de nos provinces de limiter le commerce, la mobilité et la liberté d'établissement sont beaucoup moins sévères.
Troisièmement, le Canada est un pays relativement décentralisé comparativement à de nombreux pays fédéraux. En effet, les provinces et les territoires dépensent plus d'argent dans les programmes que le gouvernement fédéral. Ils ont également maintenant plus de revenus autonomes que le gouvernement fédéral, contrairement à des pays comme les États-Unis et le Mexique, où les impôts sont perçus de façon centralisée.
Il n'est donc pas surprenant que les provinces prennent leurs décisions de façon beaucoup plus indépendante et qu'elles aient de meilleures occasions d'imposer des obstacles au commerce et à la mobilité lorsque c'est dans leur intérêt. Ce n'est pas nécessairement une mauvaise chose. En effet, les différences régionales dans les préférences et la capacité économique exigent l'adoption de politiques diversifiées, afin de respecter les besoins de la population. Les différences entre les provinces peuvent également favoriser l'innovation en matière de politiques, car chaque province peut apprendre de l'expérience des autres.
Néanmoins, les provinces peuvent réaliser des gains économiques en éliminant les obstacles au commerce et au déplacement des personnes, tout comme dans le contexte international, sans renoncer à la souveraineté. En fait, les accords commerciaux et d'autres types d'accords représentent un exercice de souveraineté.
Comme à l'habitude, au Canada, on n'a pas utilisé d'ordonnances à l'échelon fédéral pour forcer les provinces à réduire les obstacles au commerce. On a plutôt commencé à élaborer des accords sur le commerce intérieur en 1995 pour réduire certains obstacles. Des provinces ont également signé des ententes pour réduire des obstacles liés au commerce ou à la mobilité afin de favoriser la croissance de leur économie. L'analyse Tombe-Winter laisse croire que ces ententes ont permis de réduire de 10 p. 100 les coûts liés au commerce intérieur.
Toutefois, on peut en faire beaucoup plus. Voici quelques exemples. Malgré certaines améliorations récentes à cet égard, des restrictions peuvent nuire au déplacement de certains professionnels d'une province à l'autre. De plus, des agences de commercialisation limitent le commerce de certains produits alimentaires, notamment le lait. Comme nous venons de l'entendre, il existe aussi des restrictions sur le vin et la bière. Nous n'avons toujours pas de marché financier harmonisé doté d'un organisme de réglementation unique et les entreprises doivent composer avec toute une série de règlements sur les finances, les assurances et les pensions.
De plus, même si le gouvernement fédéral est responsable des politiques en matière de transport, il semble qu'on ne puisse pas construire des lignes de transport d'électricité et des pipelines qui traversent les frontières provinciales. Contrairement à certains autres pays, le Canada n'a pas bâti de corridors pour les autoroutes, les chemins de fer, les lignes de transport d'énergie et les pipelines qui transportent des produits vers les ports de mer.
Les politiques provinciales en matière d'approvisionnement continuent de favoriser les entreprises de la province par rapport à celles de l'extérieur. Les étudiants des autres provinces paient des droits de scolarité plus élevés au Québec et l'Ontario a mis en œuvre un nouveau système d'aide financière qui appuie les étudiants qui étudient seulement dans les universités ontariennes; d'autres provinces ont suivi son exemple.
Si une personne travaille et vit dans différentes provinces, il lui est impossible de posséder des automobiles dans des territoires distincts en raison des pratiques actuelles en matière de permis et d'assurances. Toutefois, comme me l'ont dit des amis, si une personne passe l'hiver dans une maison située en Arizona, elle peut utiliser son permis de conduire canadien pour posséder une voiture là-bas.
L'approche actuelle visant à réduire les obstacles au commerce intérieur fonctionne au cas par cas. Ce processus est non seulement lent, mais il est beaucoup moins complet. Par conséquent, il entraîne seulement des changements marginaux.
Le Canada devrait plutôt envisager d'adopter une approche élargie qui favoriserait une union économique plus solide. Par exemple, le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux pourraient s'entendre sur une liste négative qui permettrait des exclusions explicites à des politiques autrement fondées sur les principes du libre-échange et de la mobilité. Les provinces pourraient également conclure des ententes de reconnaissance mutuelle, un peu comme l'ont fait les pays de l'Union européenne, c'est-à-dire qu'une province accepterait les normes d'une autre, même si elles sont différentes — et souvent, cette différence est minime. De plus, des accords de libre-échange, tel l'accord économique et commercial entre le Canada et l'Union européenne et le Partenariat transpacifique, peuvent prévoir des dispositions qui contiennent des politiques provinciales qui réduisent les obstacles au commerce non seulement avec les autres pays, mais également avec les autres provinces.
Dans l'ensemble, le Canada a réalisé des progrès limités en ce qui concerne l'amélioration de l'union économique au Canada et la réduction des obstacles au commerce et à la mobilité. Notre pays peut faire beaucoup mieux, et il est bon d'entendre que le Sénat est prêt à s'atteler à cette tâche importante.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Mintz.
Nous allons maintenant passer aux questions.
Le sénateur Black : Il semble faire aussi chaud à New York qu'à Calgary.
M. Mintz : C'est ce qu'on me dit.
Le sénateur Black : Êtes-vous en mesure de nous parler des mesures sur le commerce intérieur prises par l'Australie, les États-Unis ou l'Union européenne et qui pourraient nous guider et nous servir de modèles?
M. Mintz : Je ne connais pas autant les mesures prises par l'Australie en ce qui concerne le commerce intérieur. Je ne me suis pas vraiment penché sur les politiques de ce pays, même si je sais qu'il a construit des corridors pour les pipelines, les lignes de transport d'énergie, les chemins de fer, et cetera. De plus, en Australie, on peut faire approuver des projets beaucoup plus rapidement qu'au Canada. Par conséquent, de nombreuses entreprises investissent en Australie plutôt qu'au Canada, car notre système de réglementation est beaucoup plus lent.
Voilà un exemple d'une situation où les obstacles au commerce intérieur ont nui à ce que nous pourrions réaliser ici au Canada.
Comme je l'ai dit plus tôt, aux États-Unis, comme au sein de l'Union européenne, le gouvernement fédéral, en vertu de son rôle constitutionnel, impose certaines contraintes sur ce que peuvent faire les États membres. Permettez-moi de vous donner un exemple du régime fiscal de l'Europe, que je connais assez bien.
En Europe, ce qui est arrivé, c'est que plusieurs décisions de tribunaux européens ont pratiquement éliminé ce qu'on appelait les systèmes d'imputation. Ces systèmes permettaient l'intégration complète des impôts des sociétés et des particuliers. La raison pour laquelle ces systèmes ont été annulés par les tribunaux, c'est que les divers pays appliquaient des impôts minimums sur les versements de dividendes avant que ceux-ci ne soient versés aux actionnaires, mais seuls les actionnaires des pays en question recevaient un remboursement et non pas les actionnaires des autres États membres.
Les tribunaux européens ont soutenu que ce type d'approche entravait la libre circulation des capitaux entre les pays et que les États membres devraient adopter une approche qui reconnaît les entités dans d'autres États membres.
En Europe, plusieurs tribunaux ont pris des décisions semblables et ont imposé des limites quant à ce que peuvent faire les pays. C'est grâce à la force des principes de l'Union européenne à l'égard du commerce des biens et des services et de la liberté d'établissement.
Le sénateur Black : Puis-je poser une autre question?
Monsieur Mintz, seriez-vous en faveur de l'établissement, au Canada, d'un régime de libre-échange entre les provinces et les territoires pour tous les produits, à moins d'une exemption précise?
M. Mintz : Tout à fait. C'est d'ailleurs ce que j'ai dit à la fin de ma déclaration. J'ai fait cette proposition — bien que ce n'était pas ma première —, mais je pense qu'il serait logique d'envisager l'utilisation de listes négatives. Autrement dit, les provinces s'entendent sur certains principes, puis si elles veulent exclure des éléments, elles n'ont qu'à établir les exclusions d'après les principes. Cela voudrait dire qu'il y a bien d'autres choses auxquelles les provinces n'ont pas encore beaucoup réfléchi qui seraient visées.
Il faudrait se pencher là-dessus.
Le sénateur Tannas : Le ministre a aussi évoqué l'idée des listes négatives. Dans son témoignage, il a indiqué que c'est quelque chose qu'il espérait voir. Comme vous l'avez mentionné tous les deux, on parle de cette question depuis des décennies. Nous avons conclu des accords commerciaux internationaux qui nous placent maintenant dans une situation où les Canadiens n'ont pas autant accès aux marchés du Canada que d'autres gens et entreprises ailleurs dans le monde.
M. Albas et moi-même venons tout juste d'en discuter. À mon avis, cela commence à être une question de droits pour les Canadiens. On a vu à maintes et maintes reprises à quel point il peut être difficile, dans presque toutes les situations, et encore plus en politique, d'amener 12 personnes à s'entendre sur quelque chose, alors que penseriez-vous de la possibilité d'un renvoi à la Cour suprême en vertu de l'article 121?
Après un certain temps, malgré la menace d'un renvoi à la Cour suprême, si on essaie d'adopter l'option des listes négatives et que cela ne fonctionne pas, à quel moment doit-on sonner l'alarme et laisser la Cour suprême prendre une décision et obliger les provinces à négocier adéquatement?
M. Albas : Tout comme M. Mintz, je tiens à dire que je ne suis pas constitutionnaliste. Cela dit, j'ai accordé une entrevue il y a quelque temps où on m'a demandé : « Si les provinces et les territoires n'arrivent pas à s'entendre, le gouvernement fédéral peut-il imposer sa décision? » Monsieur le sénateur, vous avez eu raison de soulever l'article 121, et si vous consultez le document de M. Mintz, vous constaterez qu'il en parle à la première page.
Il y a eu l'affaire Gold Seal au début du XXe siècle, où un tribunal a limité l'application de cet article. De nombreux constitutionnalistes, dont Ian Blue, ont souligné qu'il s'agissait d'une définition très étroite et, encore une fois, comme vous l'avez dit, monsieur le sénateur, si cela devient une question de droits et qu'on ne trouve aucune façon de collaborer, cela pourrait être une option.
J'aimerais reprendre l'argument de M. Mintz. Malgré les conflits, les différentes cultures, langues et traditions juridiques, l'Union européenne a réussi à créer un marché unique. Je serais donc étonné qu'on n'arrive pas à s'entendre au Canada.
Le comité souhaiterait peut-être approfondir cette question en convoquant des témoins ayant une expertise en la matière. Le danger, selon moi, ce serait qu'on se retrouve avec une portée aussi restreinte, sinon plus restreinte encore. En revanche, si cette question fait l'objet d'un renvoi à la Cour suprême, un processus rigoureux serait en place, le gouvernement fédéral assurerait un leadership — de nombreux gouvernements provinciaux pourraient s'y opposer —, et j'imagine que certaines provinces seraient en faveur.
Si ces questions sont soulevées de façon légitime et équitable — si on n'invoque pas seulement des arguments constitutionnels, mais des arguments économiques et aussi la question des droits —, je pense que nous pourrions assister à des progrès. Ce serait une option légitime, même si j'imagine que, dans le contexte actuel, un accord assorti d'une liste négative et d'un mécanisme adéquat de règlement des différends commerciaux serait bien accueilli.
M. Mintz : Tout comme le député, j'estime qu'il serait préférable de parvenir à une entente plutôt que de procéder à un renvoi à la Cour suprême, qui serait l'option nucléaire.
Il n'y a rien qui empêche les gens du secteur privé de faire falloir les mêmes arguments. Je suis d'ailleurs étonné que cela ne soit pas déjà arrivé et, en fait, quelqu'un devrait peut-être le faire. L'article 121 ne fait pas mention des droits de douane. Il y est question des biens, de la fabrication de biens, et cetera, mais qu'en est-il de la mobilité de la main- d'œuvre et des services?
Je ne suis pas avocat, mais d'après ce que j'ai lu, je ne crois pas qu'il couvrirait tout ce que pourrait contenir une entente.
Chose certaine, tout indique qu'on pourrait lui donner un sens plus large lorsqu'il s'agit des barrières non tarifaires pour les produits vendus partout au Canada. Je suis étonné que personne du secteur privé n'ait déjà porté cette question devant les tribunaux, si les obstacles au commerce du vin, par exemple, en Ontario, causent du tort aux entreprises.
Le sénateur Enverga : Merci pour votre exposé. Dans le contexte économique mondial, nous sommes inquiets de voir qu'il y a encore des obstacles au commerce intérieur, et c'est très difficile pour nous.
Je sais que vous avez pris des mesures pour que l'alcool puisse circuler plus librement et sans heurt au sein du pays. Pourriez-vous me dire, monsieur Albas, où cela nous a menés? Avons-nous augmenté notre PIB ou le PIB de certaines provinces? Quels ont été les résultats?
M. Albas : Selon ce que les représentants de Statistique Canada ont dit, les provinces vont prendre diverses statistiques et les rendre publiques de différentes façons.
Je dirais que depuis que le projet de loi C-311 a été adopté et a reçu la sanction royale, il a créé une exemption personnelle pour permettre aux particuliers de commander du vin par téléphone ou par la poste ou de le transporter sur eux.
En Colombie-Britannique — et je suis heureux que ma province ait appuyé le projet de loi —, le premier ministre Clark considère naturellement le libre-échange interprovincial comme une bonne chose non seulement pour le Canada, mais aussi pour les vins de la Colombie-Britannique, qui se retrouveraient partout au pays.
Dans les années qui ont suivi l'introduction de ces mesures, nous avons vu les ventes de vins produits en Colombie- Britannique augmenter dans cette province. À l'heure actuelle, une personne de la Colombie-Britannique peut commander directement auprès d'un vignoble ontarien, mais la situation n'est pas réciproque. Les règles ne sont pas égales pour tous les producteurs. Certaines provinces ont décidé de protéger leur monopole, en dépit du fait que, si on prend l'exemple de la Colombie-Britannique, les ventes intérieures de vin sont plus élevées que jamais.
En ce qui concerne la vente directe aux consommateurs, on parle d'un marché presque négligeable, en particulier dans le cas de la bière, étant donné les coûts d'expédition. Une personne veut commander une bouteille de vin pour une occasion spéciale ou l'envoyer à sa famille — c'est la même chose lorsqu'une personne visitait les provinces maritimes et voulait expédier un homard chez elle —, pourquoi voudrions-nous empêcher cela?
Par conséquent, je n'ai pas les chiffres exacts, monsieur le sénateur, mais je dirais que le marché de la vente directe aux consommateurs serait très petit. Encore une fois, pour les petits vignobles familiaux qui ne produisent pas suffisamment de vin pour le vendre aux grands monopoles, c'est une chance inouïe de pouvoir ainsi ouvrir leur marché. Je sais que nous avons un sénateur de la Nouvelle-Écosse. Je vais vous donner un bon exemple. La Nouvelle-Écosse affiche l'un des plus faibles taux de consommation de vin au pays, et pourtant, on y trouve des terres arables parmi les meilleures pour cultiver le raisin. La Nouvelle-Écosse y voit non seulement des possibilités d'augmenter sa production de vin, mais aussi d'accroître le tourisme. Et c'est l'une des raisons pour lesquelles cette province a adopté un règlement qui autoriserait le libre-échange du vin à l'intérieur du Canada.
[Français]
La sénatrice Bellemare : Ma question s'adresse principalement à M. Mintz. Toutefois, monsieur Albas, si vous avez des commentaires, n'hésitez pas à les formuler.
Hier, nous avons entendu des économistes ou des statisticiens de Statistique Canada qui nous montraient qu'il y avait eu, dernièrement, une assez bonne progression dans le commerce interprovincial des services. Ce fait est lié aussi à la mobilité de la main-d'œuvre.
D'après votre expérience des marchés et de la mobilité en Europe et aux États-Unis, comment le Canada se compare-t-il sur le plan de la mobilité de la main-d'œuvre? Avez-vous des recommandations à faire pour améliorer cet aspect?
[Traduction]
M. Mintz : Permettez-moi de dire deux ou trois choses. Comme je l'ai dit tout à l'heure, d'après les travaux sur lesquels je me suis penché, il y a eu une augmentation considérable du commerce interprovincial au cours des années. C'est une bonne chose, et c'est très important. Comme l'analyse Tombe-Winter l'a démontré, les accords en vigueur depuis 1995, à la lumière des données des années 1990, ont permis de réduire les coûts de 10 p. 100 pour le commerce. Il y a donc eu des éléments positifs à cet égard, et c'est ce qui m'amène à parler de la mobilité de la main-d'œuvre.
Une chose est sûre, on reconnaît davantage les normes des autres provinces, par exemple, pour ce qui est des programmes d'apprentissage. J'ai remarqué que certaines provinces reconnaissaient désormais la formation obtenue dans une autre province.
Qu'ils aient été formés en Ontario ou en Alberta, les médecins possèdent tous une formation équivalente. Il y a toutefois des obstacles qui perdurent dans un certain nombre de services. Si on veut travailler dans une autre province, il se peut qu'on doive satisfaire à certaines exigences, notamment passer un examen ou recevoir une certaine formation. Cela s'applique toujours dans certains cas, d'où l'importance d'avoir une reconnaissance mutuelle. Par exemple, un médecin résident de l'Ontario qui déménage en Alberta devrait pouvoir jouir des mêmes privilèges que les autres médecins. Je connais d'ailleurs un chirurgien — un expert en chirurgie mammaire très qualifié — qui a déménagé en Alberta avec son épouse et qui a eu beaucoup de mal à pratiquer là-bas. Cela n'a pas été facile. Ce n'est pas que ses qualifications n'étaient pas reconnues; c'est plutôt le fait qu'il avait de la difficulté à obtenir des heures d'opération et à bénéficier des mêmes privilèges que les autres médecins de la province.
La sénatrice Bellemare : Selon vous, devrait-on établir une norme nationale pour les compétences professionnelles au Canada comme on l'a fait au Royaume-Uni?
M. Mintz : Évidemment, le Royaume-Uni n'est pas une fédération. On a tendance à privilégier une approche descendante, même si c'est certainement quelque chose que nous devrions envisager lorsqu'on s'interroge sur la nécessité d'avoir cette liste négative. À mon avis, il serait plus gênant pour une province de reconnaître certains éléments et d'établir des exclusions, parce qu'elle serait obligée d'expliquer pourquoi la formation ou l'expérience d'une personne n'est pas satisfaisante à ses yeux. Il lui serait assurément plus difficile de justifier sa décision.
M. Albas : Si je puis me permettre, monsieur le président, j'aimerais faire quelques remarques à ce sujet. Tout d'abord, M. Mintz a parlé de la fédération. En fait, c'est le collège des médecins, et non les provinces, qui réglemente le processus. Même si c'est un domaine de compétence provinciale, le processus de reconnaissance des titres relève du collège des médecins. Je vais vous donner un bon exemple. Des experts dans un domaine de la médecine en particulier pourraient participer à une téléconférence lorsqu'une personne dans une autre province n'est pas en mesure de le faire, en raison d'une pénurie de main-d'œuvre. Nous devons absolument tenter de régler ce problème et avoir une discussion très honnête sur la mobilité de la main-d'œuvre, autant en personne que par téléconférence.
J'ai parlé à un chirurgien récemment, qui a accepté de participer à des téléconférences à l'intention des régions rurales de la Colombie-Britannique. Si un expert d'une grande ville peut se mettre à la disposition des régions rurales, c'est certainement quelque chose qu'on pourrait faire entre les provinces. Toutefois, cela pourrait empiéter sur les différents processus d'accréditation que les collèges des médecins ont mis en place partout au pays. Nous devons avoir une discussion franche sur la façon dont cela pourrait fonctionner, compte tenu de l'évolution de la technologie et des changements qui ont été apportés.
Pour en revenir à l'Union européenne, sachez qu'elle veut adopter une réglementation conjointe semblable pour l'économie du partage — ou l'économie « Uber » ou « Air BnB », et toutes ces nouvelles technologies perturbatrices — en vue d'avoir une approche commune sur tout son territoire. À l'heure actuelle, au Canada, d'une province à l'autre, ou même d'une ville à l'autre, les approches sont complètement différentes. Ce sont donc les défis auxquels nous faisons face. Il ne faut pas oublier que plus une économie est avancée, plus nous avons accès à des services. Si nous voulons exploiter davantage ce secteur, nous devrions faire comme dans le cadre de notre accord de libre-échange avec la Corée du Sud. Les entreprises canadiennes qui souhaitent offrir leurs services en Corée feront probablement appel à des professionnels du Canada, et vice versa, et pourront embaucher d'un côté comme de l'autre. Selon moi, c'est ainsi que les entreprises peuvent croître. Nous devons toutefois leur donner les moyens d'y arriver. Les services seront un élément fondamental, d'où l'importance de résoudre ces problèmes.
Le président : Madame Wallin.
La sénatrice Wallin : Merci. Il a été question des obstacles au commerce, mais vous avez soulevé, monsieur Mintz, la question des obstacles à l'investissement. C'est un enjeu dont discutent le Canada et les États-Unis depuis longtemps, et c'est un dossier sur lequel j'ai travaillé lorsque j'habitais là-bas.
Personnellement, je trouve logique d'avoir un seul organisme de réglementation des marchés financiers, et cela contribue assurément aux mouvements transfrontaliers des investissements. Dans quelle mesure cela pourrait-il aider à l'échelle nationale?
M. Mintz : Tout d'abord, je crois que notre modèle d'organisme de réglementation des marchés financiers n'est pas si mal. Il y a quelques années, j'ai écrit un document dans lequel je disais que selon moi, la meilleure approche était celle que nous avions utilisée pour nos ententes d'harmonisation fiscale. Je parle évidemment d'un accord entre le gouvernement fédéral et les provinces qui souhaiteraient adhérer à un organisme unique de réglementation des marchés financiers.
Les provinces seraient indemnisées pour les pertes de revenus. Peut-être pourrait-on leur offrir d'autres incitatifs pour qu'elles acceptent l'accord. Les provinces qui refusent totalement de se joindre à un organisme de réglementation des marchés mobiliers poursuivraient leur travail, mais nous aimerions au moins mettre en place un certain mécanisme de passeport pour mener des activités avec elles.
Bien entendu, le Québec n'accepterait jamais de se joindre à un organisme de réglementation de marchés mobiliers. Il faut être réaliste. La participation de l'Alberta est incertaine. La communauté des affaires en Alberta est divisée sur la question, mais je crois que la plupart des autres provinces accepteraient de se joindre à un tel organisme. À mon avis, ce serait un bon coup sur le plan national, car nous pourrions adopter des mécanismes d'application plus rigoureux, un élément important pour la protection des investisseurs. De plus, un tel organisme permettrait de réduire les coûts de ceux qui tentent de trouver des capitaux au Canada et, bien entendu, un marché financier plus intégré serait plus avantageux.
La grande question concerne la gouvernance. L'Alberta, et surtout le Québec, s'inquiète qu'un tel organisme soit administré par l'Ontario. Mais, soyons honnêtes, de nos jours, les grandes sociétés trouvent des capitaux partout dans le monde, pas seulement au Canada. De toute façon, lorsqu'elles font des affaires au Canada, elles passent par la Commission des valeurs mobilières de l'Ontario.
J'espère que le gouvernement fédéral agira bientôt dans ce dossier. D'ailleurs, je me suis entretenu avec une personne très haut placée à la Commission des valeurs mobilières de l'Ontario. Selon elle, il est très important que le gouvernement du Canada bouge dans ce dossier et prenne une décision, car certains à la Commission des valeurs mobilières de l'Ontario sont incertains quant à leur avenir et étudient d'autres solutions. À mon avis, il est temps pour le gouvernement fédéral d'agir dans ce dossier.
La sénatrice Wallin : Merci. J'aimerais revenir sur un autre point que vous avez soulevé. Les gens ici présents vivent et travaillent dans différentes provinces. Vous avez parlé des politiques actuelles en matière de délivrance de permis et d'assurance. Nous savons qu'elles existent et qu'elles sont étranges. Quelle est leur raison d'être? Comment sont-elles justifiées, même si elles peuvent paraître ridicules?
M. Mintz : Je ris, car j'ai dû composer avec ces politiques.
La sénatrice Wallin : Comme nous tous.
M. Mintz : J'ai une maison à Calgary, et une autre à Toronto. J'ai besoin d'une voiture aux deux endroits. Évidemment, au Canada, si vous demandez un permis de conduire dans une autre province, on déchire celui de la province d'où vous venez. On ne peut avoir qu'un seul permis de conduire. C'est logique, puisque le permis de conduire est lié aux régimes de soins de santé et au régime fiscal, notamment. Il faut établir son lieu de résidence, mais sans un permis de conduire de la nouvelle province de résidence, impossible d'obtenir une assurance auto, et celle-ci est obligatoire. C'est très étrange.
J'ai un ami à Tucson, en Arizona, et d'autres amis à Phoenix. L'Arizona est très ouvert sur la question. Un Canadien qui passe l'hiver en Arizona peut utiliser son permis de conduire canadien pour acheter une voiture dans l'État et obtenir une assurance auto. Plusieurs Canadiens font cela.
J'ai discuté avec beaucoup de mes amis qui vont en Floride. Depuis plusieurs années, l'État change de position sur la question et impose différentes exigences aux Canadiens en matière de permis et d'assurances. Si j'ai bien compris, la Floride modifie les règles. Je trouve étrange que les règles varient ainsi au Canada. J'ai demandé à un très haut fonctionnaire du gouvernement de l'Ontario : « Pourquoi les provinces font-elles cela? Je ne comprends pas. » Il ne pouvait pas me répondre. J'ai l'impression qu'il s'agit de ce genre de décision que l'on prend sans bien y réfléchir.
On parle de la mobilité de la main-d'œuvre et des familles d'une province à l'autre. En réalité, il est question d'établir un lieu de résidence. Comme nous avons pu le constater au fil des ans, dans les secteurs minier, gazier et pétrolier, mais aussi dans d'autres secteurs de l'économie, certains travaillent dans une province, mais habitent avec leur famille dans une autre province, et ils ont probablement besoin d'une voiture aux deux endroits. Ce n'est pas une barrière importante à la mobilité de la main-d'œuvre, mais ça en est une. Je trouve étrange que les provinces agissent de la sorte.
La sénatrice Wallin : Est-ce une compétence uniquement provinciale? Le gouvernement fédéral ne pourrait-il pas intervenir?
M. Mintz : Non, mais c'est un exemple. Dans le cadre d'une discussion sur la mobilité de la main-d'œuvre, j'aimerais bien entendre une province expliquer pourquoi il serait désavantageux de mettre fin à ces politiques.
La sénatrice Wallin : Auriez-vous quelque chose à ajouter?
M. Albas : Il y a d'autres points à considérer, comme la réglementation en matière de transport. Par exemple, une société dans ma circonscription s'est procurée, de bonne foi, 20 types de camions différents et de déneigeuses, notamment, dans le cadre d'un encan tenu au Québec. Si je ne m'abuse — c'était l'an dernier —, 15 de ces véhicules sont toujours entreposés au Québec, en raison des normes différentes relatives aux réseaux routiers. On a dit au propriétaire de la société : « Si vous voulez faire circuler ces véhicules sur nos routes, vous devrez payer pour obtenir des rapports techniques individuels certifiant qu'ils sont sécuritaires. »
Autre bizarrerie du système, on a dit au propriétaire de la société, que dans certains cas, il devait obtenir divers permis. Il s'est demandé si les bureaux pour l'obtention de ces permis allaient être ouverts à temps pour lui permettre de faire circuler ces véhicules, un exercice de six à huit jours, tout au plus. Il lui a fallu deux semaines et demie. Pour revenir aux propos de M. Mintz, nous ignorons pourquoi les provinces agissent de la sorte. Elles invoquent toutes des questions de sécurité, mais comment peut-on avoir autant de normes différentes en matière de sécurité au pays? Ce n'est pas une priorité, car l'impact est minime pour les Canadiens. Les conséquences de plusieurs de ces barrières au commerce ne sont pas suffisamment importantes pour pousser les gouvernements à agir.
La sénatrice Wallin : Ça se produit vraiment. Des amis à moi ont quitté la Saskatchewan pour s'installer en Alberta. Ils ont dû vendre leur voiture achetée en Saskatchewan pour acheter une voiture en Alberta. C'était très étrange. Merci.
Le président : C'est toute une épreuve. Si vous achetez une voiture en Alberta et que vous habitez en Saskatchewan, c'est fou tout ce que vous devez faire pour obtenir une assurance auto. Un ami l'a vécu. Sa voiture est tombée en panne et il devait s'acheter une nouvelle voiture. Il a acheté sa voiture à Calgary et il a eu toutes sortes de difficultés à obtenir une assurance auto, car il devait faire les démarches en Saskatchewan. On ne peut plus conduire là où l'on veut. C'est très étrange.
Sénateur Tannas, vous avez la parole.
Le sénateur Tannas : Merci.
Monsieur Mintz, vous avez parlé d'une option dont certains d'entre nous, en Alberta, ont déjà entendu parler, soit la mise en place de corridors, comme en Australie. D'anciens politiciens en Alberta, notamment Danielle Smith, lorsqu'elle dirigeait le Wildrose Pary, ont déjà proposé cette option : la mise en place d'un corridor national qui engloberait les oléoducs, les chemins de fer, les routes, l'électricité et la fibre optique — tous nécessaires au pays. Cela revient un peu au sujet de discussion du comité. Selon vous, le temps est-il venu pour un comité sénatorial ou un autre groupe d'étudier cette idée de corridor national? Un tel corridor serait-il la solution à notre problème?
M. Mintz : Je crois que c'est nécessaire et j'encourage le Sénat à mener cette étude. Je tiens à ajouter que l'École de politique publique de l'Université de Calgary et CIRANO, à Montréal, au Québec, travaillent à une étude conjointe sur le concept d'un corridor du Nord. L'idée est de mettre en place un corridor pancanadien. Lorsqu'on y pense, le Canada a été créé, en 1867, grâce à un genre de corridor de chemin de fer d'un bout à l'autre du pays, mais près de la frontière américaine. Ensuite, des réseaux ont été créés.
On pourrait mettre en place un corridor qui partirait de la Colombie-Britannique, passerait dans le nord de l'Alberta jusqu'au cercle de feu, en Ontario, puis dans le nord du Québec, et même jusqu'à la baie Boise. On peut penser à un corridor national permettant le transport de biens et services jusqu'à l'océan et utilisant toutes sortes de mécanismes différents. Aussi — et je sais qu'il y a des discussions en Ontario à ce sujet —, l'on pourrait déplacer le transport ferroviaire de marchandises à l'extérieur des centres urbains pour éviter les conflits avec le transport en commun. J'ai eu une longue discussion à ce sujet il y a quelques mois. À Toronto, on étudie la possibilité de déplacer le transport ferroviaire de marchandises hors du centre-ville. Ce serait dispendieux, mais ce n'est pas fou, car c'est un investissement à long terme. On déplacerait ce transport vers le nord, tout en développant le transport en commun jusqu'à Waterloo et Milton.
Une option beaucoup moins dispendieuse serait tout simplement d'améliorer le transport en commun entre la Région du Grand Toronto et Milton, Waterloo et Kitchener. Évidemment, il y a des questions quant à la capacité à long terme, notamment en ce qui a trait à l'infrastructure, mais il y a beaucoup d'avantages à cela. Je souligne que l'École de politique publique de l'Université de Calgary et CIRANO publieront bientôt une synthèse des enjeux. D'ailleurs, j'ai ici une copie de la version définitive; il reste à la faire traduire.
Cette synthèse sera publiée bientôt. Elle dressera la liste des questions à poser. Nous avons l'intention de demander à plusieurs chercheurs de nous fournir une analyse détaillée de ces enjeux. Plusieurs de ces enjeux sont complexes.
Plusieurs pays, pas seulement l'Australie, ont mis en place de tels corridors. J'ai rencontré un Canadien intéressant qui travaille à la mise en place de ce genre de corridors partout dans le monde. Pourquoi le Canada ne met-il pas un tel corridor en place? Je crois qu'il est temps de se réveiller et d'agir.
Le sénateur Tannas : Le rêve national 2.0, non?
M. Mintz : Exactement.
Le président : Monsieur Mintz, monsieur Albas, merci beaucoup pour cette discussion fort intéressante.
(La séance se poursuit à huis clos.)