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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule n° 4 - Témoignages du 20 avril 2016


OTTAWA, le mercredi 20 avril 2016

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui, à 16 h 16, pour étudier les questions relatives aux barrières au commerce intérieur au regard de l'état actuel du système financier national et international.

Le sénateur David Tkachuk (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour, chers collègues, et bienvenue au Comité sénatorial permanent des banques et du commerce. Je m'appelle David Tkachuk et je suis président du comité. J'ai le plaisir d'accueillir le gouverneur Poloz à notre comité, d'autant que nous ne l'avons pas vu depuis octobre 2014, notamment à cause des élections. Je me réjouis, par ailleurs, d'accueillir pour la deuxième fois, la première sous-gouverneure, Carolyn Wilkins.

Merci à vous deux de venir nous commenter le Rapport sur la politique monétaire d'avril 2016, récemment publié par la Banque du Canada, et de nous commenter vos prévisions en ce qui concerne l'économie canadienne.

Gouverneur, vous avez la parole.

Stephen S. Poloz, gouverneur, Banque du Canada : Merci, monsieur le président. Bonjour, tout le monde. La première sous-gouverneure Wilkins et moi-même sommes ravis d'être de retour pour présenter le Rapport sur la politique monétaire. Comme cela a été dit, il a été publié il y a tout juste une semaine.

Dix-huit mois se sont écoulés depuis notre dernière rencontre. C'était à l'automne 2014, à l'époque où l'économie canadienne a commencé à ressentir les effets du choc majeur des termes de l'échange, provoqué par la chute marquée des prix du pétrole et d'autres produits de base. Et il est exact que nous ne sommes pas revenus vous voir pour deux raisons.

[Français]

Comme le Canada est un important producteur de ressources de pétrole, ce choc a été un énorme coup dur. Il a déclenché un processus d'ajustements difficiles qui a fortement perturbé beaucoup de Canadiens. Les investissements et la production dans le secteur des ressources se sont effondrés, la diminution du revenu national a provoqué une réduction des dépenses des ménages et le secteur des ressources a subi d'importantes pertes d'emplois. Ces facteurs négatifs l'ont emporté nettement sur les avantages découlant de la baisse des coûts de l'énergie pour les ménages et les entreprises.

Du point de vue de la politique monétaire, le choc a fait peser une double menace sur notre économie l'an dernier. Tout d'abord, il représentait clairement un risque à la baisse lié à notre capacité d'atteindre la cible d'inflation. Ensuite, en réduisant le revenu national, il a aggravé la vulnérabilité liée au déséquilibre dans le secteur des ménages, comme le montre le ratio élevé de la dette au revenu. Pour faire face à ces deux menaces et faciliter les ajustements économiques nécessaires, nous avons abaissé le taux directeur à deux reprises l'an passé, pour le porter à 0,5 p. 100.

[Traduction]

Nous avions bien conscience que cet abaissement pouvait accentuer légèrement la vulnérabilité liée aux déséquilibres dans le secteur des ménages, mais les baisses du taux directeur l'an dernier avaient principalement pour objectif d'amortir la chute des revenus et de l'emploi causée par le fléchissement des prix des ressources.

Une autre conséquence naturelle du choc touchant les termes de l'échange a été la baisse du taux de change du dollar canadien. Notons que cette situation n'est pas propre au Canada. Un grand nombre de pays tributaires des ressources ont en effet enregistré une dépréciation semblable de leur monnaie.

Tant les modifications du taux directeur que la dépréciation de la monnaie ont contribué à favoriser les ajustements économiques, qui ont évolué selon deux axes. Tandis que la faiblesse de l'activité s'est concentrée dans le secteur des ressources, l'économie hors ressources a continué de progresser à un rythme modéré. Dans ces conditions, les exportations hors ressources gagnent clairement en vigueur.

À l'approche de la nouvelle année, l'anxiété était vraiment palpable chez de nombreux participants aux marchés financiers. Les perspectives de croissance de l'économie mondiale subissaient une autre révision à la baisse, et les prix des produits de base touchaient de nouveaux creux.

À la banque, de nouvelles données indiquaient que les entreprises du secteur canadien de l'énergie réduiraient leurs investissements encore plus qu'on le croyait précédemment. Dans ce contexte, nous avons dit qu'au début de nos délibérations entourant la décision relative au taux directeur, en janvier, nous penchions pour un nouvel assouplissement monétaire, mais que nous devions attendre de connaître les détails du plan budgétaire du gouvernement.

Depuis janvier, plusieurs évolutions négatives se sont produites.

Premièrement, les perspectives de croissance de l'économie mondiale pour 2016 et 2017 ont encore une fois été revues à la baisse. Elles englobent l'économie américaine, où les nouveaux profils d'évolution de l'investissement et du logement se traduisent par une composition de la demande moins favorable aux exportations canadiennes.

Deuxièmement, les intentions d'investissement dans le secteur canadien de l'énergie ont de nouveau fait l'objet d'une révision à la baisse. Il est vrai que les prix du pétrole ont nettement remonté par rapport aux creux extrêmes qu'ils avaient touchés. Toutefois, les entreprises canadiennes nous ont signalé que, même si les prix continuaient d'avoisiner leurs niveaux actuels, elles procéderaient à de nouvelles réductions importantes supérieures à celles que nous avions prévues en janvier. Par convention, lors de l'établissement de notre projection, nous tenons compte du prix moyen du pétrole affiché quelques semaines auparavant, ce qui nous permet de faire abstraction de la variabilité des marchés. C'est pourquoi nos hypothèses relatives aux prix du baril de pétrole dépassent de seulement 2 à 3 $ celles de janvier.

Troisièmement, le dollar canadien a aussi remonté par rapport aux creux qu'il avait enregistrés. Dans sa projection actuelle, la banque postule que le dollar canadien se situera à 76 cents américains, soit 4 cents de plus qu'en janvier. Même si de nombreux facteurs sont à l'œuvre, dont les prix du pétrole, l'essentiel de la hausse semble attribuable à l'évolution des attentes à l'égard de la politique monétaire aux États-Unis et au Canada. Le niveau plus élevé postulé pour le dollar canadien dans notre projection se traduit par un abaissement du profil d'évolution des exportations hors ressources, tout comme l'affaiblissement de la demande émanant des États-Unis et d'ailleurs.

Lorsque le Conseil de direction de la banque a entamé ses délibérations entourant l'annonce du taux directeur ce mois-ci, nous avons constaté que ces trois évolutions auraient dû donner lieu à un profil de croissance prévu pour l'économie canadienne plus bas qu'en janvier. Ce constat peut sembler paradoxal compte tenu de la série d'indicateurs économiques mensuels qui ont démarré l'année en force. Cela dit, une partie de cette vigueur s'explique par un effet de rattrapage qui fait suite à la faiblesse temporaire dans certains domaines au quatrième trimestre; une autre partie est liée aux facteurs temporaires qui se dissiperont au deuxième trimestre.

Le budget fédéral est un autre nouveau facteur que nous avons dû prendre en considération. Pour les besoins du RPM et de l'annonce du taux directeur, nous avons examiné minutieusement les projections du ministère des Finances sur l'effet multiplicateur du choc budgétaire. D'après notre analyse, ces projections sont raisonnables dans la mesure où elles s'inscrivent dans la fourchette des estimations que l'on retrouve dans la littérature économique et dans les travaux de recherches du personnel de la banque.

Une grande incertitude entoure évidemment les effets des mesures budgétaires sur la croissance à long terme, surtout parce qu'ils devront se répercuter sur le secteur des ménages. Dans notre rapport, nous avons rendu compte du risque que les ménages puissent être plus portés à faire des économies que le laisserait supposer l'expérience passée.

[Français]

Compte tenu de tous ces changements, le profil de croissance projeté est généralement plus élevé qu'en janvier. Nous prévoyons maintenant que la croissance du PIB réel sera de 1,7 p. 100 cette année, de 2,3 p. 100 l'an prochain et de 2 p. 100 en 2018.

Selon nos prévisions, les capacités excédentaires devraient se résorber un peu plus tôt que nous l'avions envisagé en janvier, c'est-à-dire au second semestre de 2017. Cela dit, le moment exact est encore plus incertain que d'habitude. Il est toujours difficile d'estimer la croissance potentielle d'une économie, et cette difficulté s'aggrave lorsque l'économie passe par un ajustement structurel majeur, comme c'est le cas aujourd'hui au Canada. Nous savons que la chute des investissements dans le secteur des produits de base ralentira le taux d'augmentation de la production potentielle de l'économie. Nous avons abaissé notre estimation de la croissance de la production potentielle à court terme de 1,8 p. 100 à 1,5 p. 100.

[Traduction]

Pour ce qui est du mandat principal de la banque, l'inflation mesurée par l'IPC global se situe actuellement en deçà de la cible de 2 p. 100. Les pressions à la hausse sur les prix des importations découlant de la dépréciation de la monnaie sont plus que compensées par l'effet des prix plus bas des produits énergétiques de consommation et les pressions à la baisse engendrées par les capacités excédentaires au sein de l'économie. Au gré de la diminution de ces facteurs, l'inflation mesurée par l'IPC global devrait rattraper l'inflation mesurée par l'indice de référence et correspondre de façon durable à la cible au cours du second semestre de l'année.

En résumé, la situation actuelle est la suivante : les données économiques récentes ont été encourageantes dans l'ensemble, mais ont varié aussi passablement. Il est toujours possible que l'économie mondiale déçoive encore, l'ajustement complexe face à la détérioration des termes de l'échange bridera la croissance au Canada pendant une bonne partie de notre période de prévision, et la réaction des ménages devant les mesures budgétaires du gouvernement fédéral exigera une surveillance étroite. Nous n'avons pas encore de preuve tangible de la hausse des investissements ni de la création soutenue d'entreprises, quelques-uns des ingrédients nécessaires au retour à la croissance naturelle et autosuffisante, assortie d'une inflation qui se maintient à la cible de façon durable.

Monsieur le président, Mme Wilkins et moi-même nous ferons maintenant un plaisir de répondre à vos questions.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Poloz.

Le sénateur Black : Monsieur le gouverneur, madame la sous-gouverneure, je veux vous remercier tous les deux pour la qualité de votre direction et la fermeté dont vous avez fait preuve depuis la dernière fois que nous vous avons reçus. Nous traversons des temps très difficiles au Canada. C'est une période très compliquée dans ma province, l'Alberta. Nous apprécions la clairvoyance et le sang-froid avec lesquels vous avez abordé votre mission.

J'ai quelques questions auxquelles vous pouvez choisir de répondre ou pas, à votre convenance. Hier, un ancien premier ministre du Canada a dit que notre pays devait « orienter son avantage concurrentiel — nos immenses ressources naturelles — à notre bénéfice national d'une manière respectueuse et responsable, avant qu'il ne soit trop tard. » Pourriez-vous apporter vos commentaires et vos avis sur ce point de vue?

M. Poloz : Il est tout à fait exact que le Canada est doté, bien plus que la plupart des autres pays, en tout cas des principales puissances économiques, d'incroyables ressources naturelles. Par conséquent notre économie a toujours été fondée sur l'exportation de ces matières premières. C'est comme cela que le Canada a émergé, c'est toujours une large part de notre économie et cela le restera sans aucun doute à l'avenir.

En ce sens, le premier ministre nous dit que nous devons être stratèges sur ce point et ne jamais perdre de vue cet avantage naturel. En pratique, je ne crois pas que nous l'ayons jamais oublié. Mère nature se charge de nous le rappeler. Quand mère nature nous donne des prix plus bas pour les ressources, comme cela a été le cas au cours de l'année qui vient de s'écouler, c'est un signal nous avertissant que, pour un temps au moins, nous devrions investir dans d'autres choses qui contribueront davantage à la croissance durant cette phase.

Au cours des 12 dernières années, de 2002 à 2014, dans un contexte de hausse des prix des matières premières sur une longue période, une théorie entièrement nouvelle nommée « super cycle des matières premières » est apparue. Celle-ci veut que les prix ne puissent pas baisser parce que l'humanité a commencé à épuiser ces ressources. Beaucoup d'entre nous étaient sceptiques au sujet de cette petite théorie qui, bien sûr, s'est avérée exacte. Lorsque vous êtes convaincus qu'il existe un super cycle, bien entendu vous avez tendance à investir sans hésiter pour augmenter la capacité parce que les prix augmentent et qu'il y a beaucoup d'argent à gagner de cette manière. Comme tous les cycles de matières premières de l'histoire, quand l'offre excède la demande, on bascule dans l'autre versant du cycle, celui que nous connaissons à l'heure actuelle. Tout ce à quoi nous assistons aujourd'hui est une conséquence de la hausse de l'offre en réaction à des prix élevés.

Certains m'ont demandé : est-ce que cela signifie que nous avons surinvesti dans l'économie des ressources naturelles? Aucun d'entre nous n'avait la capacité de voir les choses à suffisamment long terme pour voir cela et sous- investir serait revenu à dire au monde : « Non, je ne veux pas de votre argent. Je ne veux pas que vous payiez cher pour mes ressources. Je veux les conserver sous terre. » Autrement dit les indicateurs du marché ont fait leur travail. Bien sûr, comme c'est souvent le cas, nous avons réagi trop fortement à ces indicateurs. Dans les livres d'économie, on appelle cela le « cycle du porc ». Le fermier constate que le prix du porc est élevé donc il élève davantage de porcs durant la saison suivante, mais il en a prévu trop donc le prix baisse. C'est exactement cela.

En fin de compte, je ne veux pas m'étendre trop longtemps, les ressources naturelles seront toujours très importantes et nous, en tant que décideurs politiques, devrions faire tout ce qui est en notre pouvoir pour aider les gens à adopter la bonne stratégie en fonction du contexte que nous dicte le marché.

Le sénateur Black : En partant de là et en se concentrant sur la bonne stratégie, je crois que l'ancien premier ministre a exhorté le Canada à miser sur la construction de pipelines vers les côtes du Pacifique et de l'Atlantique. Qu'en pensez- vous?

M. Poloz : Comme c'est assez éloigné du ressort de la politique monétaire, je n'émettrai pas d'avis sur ce sujet si ce n'est pour dire que tout ce qui améliore les perspectives de croissance économique et améliore notre situation est une bonne chose. Quant à savoir si c'est une décision appropriée, cela dépend de cette histoire de prix dont nous venons de parler.

Le sénateur Black : Vous avez dit que l'économie traverse une période d'ajustement structurel majeur. Bien entendu nous sommes tous d'accord avec cela. D'après vous, lorsque cet ajustement sera terminé, quelle sera la position du secteur de l'énergie au Canada?

M. Poloz : Elle occupera une part plus réduite de l'économie que lors de son apogée. Bien entendu elle représentera toujours une part très significative de l'économie. Nous assisterons au mouvement inverse de ce qui s'est passé entre 2002 et 2014 lorsque nous avons perdu environ 10 000 entreprises dans l'économie hors ressources naturelles. En particulier dans le secteur manufacturier et dans l'exportation, 8 000 à 10 000 entreprises ont fermé — nous avons perdu beaucoup de capacité.

Actuellement, alors que la reprise économique se met en place, nous voyons que la reprise des exportations est très hésitante et très progressive, en partie à cause des dégâts essuyés durant cette période. C'est principalement un effet du dollar fort, qui indique au marché que cette activité est moins profitable que l'activité des ressources naturelles qui prenait place dans l'économie. Il y a eu un ajustement structurel de l'économie hors ressources naturelles vers l'économie des ressources alors que les gens allaient en Alberta, en Saskatchewan ou à Terre-Neuve-et-Labrador. C'est la première phase.

Madame Wilkins, voudriez-vous parler des perspectives?

Carolyn Wilkins, première sous-gouverneure, Banque du Canada : Nous sommes au moment le plus difficile. Au fur et à mesure que les travailleurs se tournent vers la partie de l'économie qui se développe — celle qui n'est pas basée sur les ressources naturelles —, les entreprises qui produisent, vendent et exportent davantage, à la fois au Canada et à l'international, commencent à embaucher plus de gens. Ces entreprises se trouvent aussi confrontées à la question de la capacité de production et elles doivent prendre des décisions sur la cible de leurs investissements. On assiste à cela en ce moment. On voit les investissements augmenter dans ce secteur. Il y a de nombreuses anecdotes. Nous avons discuté avec une entreprise de transport qui assiste à cela à cause du dollar et de la demande accrue aux États-Unis, ils doivent répondre à davantage de commandes pour de gros camions et du matériel de transport. Cela veut dire qu'ils doivent non seulement embaucher davantage, mais aussi qu'ils font des plans d'investissement concrets.

Nous n'en sommes qu'au début. Au cours de cette année, ces investissements devraient continuer à se développer et devraient être supérieurs aux pertes. Cela signifie que nous aurons plus de créations d'entreprises et plus de créations d'emploi. À terme, cela devrait s'ajouter au potentiel de croissance de l'économie. Cela devrait être l'effet de la phase de construction.

Nous sommes au milieu de ces phases. Nous devrions passer à une période plus positive au cours de l'année alors que nous progressons vers notre horizon prévisionnel.

Le sénateur Black : En espérant qu'il n'y ait pas d'autres trous d'air.

Mme Wilkins : S'il n'y a pas de trous d'air, oui — c'est toujours comme cela.

M. Poloz : Cela prend beaucoup de temps. Nous estimons qu'il y a une période de trois ans pendant laquelle les conséquences négatives s'inscrivent en toile de fond tandis que les conséquences positives émergent au premier plan. Cela pourrait prendre plus de trois ans pour que nous soyons installés dans cette situation nouvelle : un secteur de l'énergie qui se sera réduit par rapport à l'économie dans son ensemble et le reste de l'économie qui se sera développée pour combler ce vide.

Le président : En fin de compte, les investissements suivent les capitaux, n'est-ce pas? S'il n'y a pas assez d'argent dans l'industrie des ressources naturelles, les investissements se reportent sur d'autres secteurs où ils seront plus profitables. Nous ne pouvons pas prédire ces changements. Nous ne pouvons que les suivre. Il est très difficile de les influencer. Nous ne savons pas ce que seront les cours du pétrole ou de l'automobile. Si nous croyons à une économie de libre marché, nous devons laisser faire et essayer de ne pas tout bousiller, si je puis dire.

M. Poloz : Cela nécessitera peut-être plus de patience que ce dont nous avons l'habitude, car c'est un processus très lent. C'est lent parce que non seulement il s'agit de vraies personnes qui doivent changer d'entreprise ou modifier leur propre entreprise et ainsi de suite, mais aussi à cause de ce que nous avons traversé. Personne ne sait si la situation est stabilisée ou si les prix du pétrole pourraient soudain rebondir et alors il nous faudra à nouveau changer de point de vue. Il ne faut pas se précipiter. Il s'agit de stratégie et d'argent, alors il est naturel que cela prenne du temps.

[Français]

Le sénateur Massicotte : Merci, monsieur le gouverneur et madame Wilkins. Comme le sénateur Black, je vous remercie de votre bon travail et de la stabilité qui en découle, dont nous bénéficions tous.

J'aimerais poursuivre la discussion sur les aspects qui sont avantageux pour nos exportations et qui sont liés à un dollar très bas. La dernière fois que vous êtes venu nous rencontrer, nous en avons parlé un peu. Nous avions également une crainte à savoir si le positionnement de nos joueurs les plus importants dans le domaine de l'exportation est assez concurrentiel. On constate toujours également une hésitation du point de vue de l'investissement. Selon votre rapport, il y aurait une augmentation annuelle de 3,6 p. 100 des exportations, ce qui n'est pas énorme. Êtes-vous satisfait du résultat des exportations? C'est le secteur dans lequel on dépense beaucoup pour compenser les autres secteurs. Sommes-nous assez concurrentiels, est-ce suffisant pour le Canada?

M. Poloz : Comme je l'ai mentionné, ce n'est pas une décision immédiate. Nous avons perdu beaucoup d'entreprises pendant la période où le dollar était très fort. Les entreprises qui restent n'ont peut-être pas la capacité de répondre immédiatement aux augmentations de la demande.

En même temps, aux États-Unis, ce n'était pas un cycle ordinaire, c'était un cycle sans investissement. C'était un cycle de reprise pour les consommateurs, en particulier, mais pas pour les investissements. Comme ici, on voit une hésitation à investir. C'est l'investissement qui est très intensif pour l'échange entre les deux pays. Ce sont les dépenses d'investissement, en machinerie et en équipements entre les entreprises, qui sont l'aspect le plus important et qui manquaient à l'appel, mais elles viennent de commencer.

Alors, comme je vous l'ai dit, cela prendra un certain temps. Cependant, pour le moment, nous sommes satisfaits. Je pense que nous avons des prévisions conservatrices, et c'est pourquoi, pendant le quatrième trimestre et en janvier, nous avons eu une surprise quant à la hausse des exportations. Nous avons analysé les détails, et peut-être que Mme Wilkins aura quelque chose à ajouter à ce sujet, mais c'est probablement temporaire. Nos prévisions sont conservatrices, parce que par le passé, les exportations nous ont plusieurs fois déçus. Nous étions très encouragés, mais nos prévisions ne se sont pas concrétisées.

Mme Wilkins : Il est certain que l'on constate assez de force dans les exportations, et les gains sont tout de même importants pour le nombre de produits, mais nous avons déjà été déçus. Surtout, au début de l'année, il y a eu une forte reprise pour certains produits, mais nous croyons que ce n'est que temporaire, comme dans le cas des produits pharmaceutiques, pour donner un exemple. Cependant, la tendance sous-jacente est tout de même satisfaisante.

Nos prévisions, comme le gouverneur l'a bien dit, sont prudentes, mais nous constatons la réaction de la demande aux États-Unis et ailleurs, et la baisse du dollar. Ces deux forces font leur travail.

Le sénateur Massicotte : J'aimerais changer de sujet. Vous avez fait des commentaires, monsieur le gouverneur, très favorables quant aux traités potentiels de libre-échange. Je suppose que vous faites référence à l'entente de libre- échange avec l'Europe et peut-être à celle qui sera conclue avec l'Asie. Est-ce que vos commentaires portaient en particulier sur ces ententes? Peut-on y voir un cautionnement de votre part de ces deux ententes, pour dire qu'elles sont bonnes? Ou bien vos commentaires sont-ils plutôt théoriques, dans le sens où, comme nous sommes un pays qui dépend des échanges commerciaux internationaux, nous devons premièrement être conformes, et deuxièmement, si nous créons des obstacles pour nos propres entreprises, nous devons régler ces problèmes, car nous ne serions pas concurrentiels à court terme? Pouvez-vous mettre en perspective vos commentaires sur les deux ententes que le Canada envisage de conclure?

M. Poloz : Je ne vais pas offrir de commentaires spécifiques sur les deux ententes. Ces deux accords proposés sont très complexes, mais en termes théoriques, ce sont deux opportunités qui se présentent à nous de lever les barrières à la croissance, d'élargir nos marchés à l'étranger et d'accroître les occasions d'investissement pour les entreprises également, dans les deux sens.

Nous avons beaucoup de preuves selon lesquelles les accords conclus par le passé ont favorisé la croissance ici, au Canada, et je ne vois aucune raison de penser autrement dans les cas présents.

Le sénateur Massicotte : Vous le savez mieux que moi, l'économie est basée pour une large part sur la confiance. Il faut que les gens aient confiance dans le système bancaire, dans le système intermédiaire, dans le système international. On a découvert que, de plus en plus — on l'a vu au Panama récemment—, il y a des gens qui se servent d'abris ou de pays où ils peuvent cacher une portion de leur revenu, et cela nuit beaucoup à la confiance du public. Il y a un questionnement sur le plan de l'équité, de ce qui est juste.

Je sais que vous êtes impliqué avec l'OCDE et d'autres organismes. Y a-t-il des mesures que nous devons prendre ou que nous avons déjà prises pour régler ce problème et pour restaurer un sens de l'équité pour les Canadiens et Canadiennes?

M. Poloz : Je suis d'accord pour dire qu'il s'agit d'une question de confiance envers le système. Personnellement, je n'ai pas de commentaire précis à faire à ce sujet. Cette question relève du ministère des Finances. C'est quelque chose que je regrette, et comme dans le cas des autres problèmes du secteur financier, il s'agit d'une question de confiance à l'égard des grands acteurs de l'économie, et j'espère qu'il y aura des améliorations.

Le sénateur Massicotte : On se souvient des événements de 2008, dont on a beaucoup parlé en 2009 avec l'ancien gouverneur. Il y a eu une crise bancaire majeure aux États-Unis, qui s'est étendue à l'Europe. À ce moment-là, il était clair qu'il fallait apporter des changements majeurs à la structure du système, notamment à cette notion de « trop gros pour faire faillite ». Il y avait une pression énorme et une volonté très forte de tous les gouvernements et de toutes les banques centrales d'y arriver et de forcer tous ces changements.

Je sais qu'il y a un organisme international, et je crois que c'est M. Carney qui le préside. On a fait beaucoup de progrès, mais a-t-on atteint l'objectif de changement? Est-ce adéquat? J'ai l'impression que la volonté politique des pays est moindre en ce moment, car on a effectivement d'autres chats à fouetter. Est-on toujours favorable à d'autres changements majeurs?

M. Poloz : C'est un très grand projet. Heureusement, Mme Wilkins nous représente avec M. Carney, et elle pourra vous en dire davantage à ce sujet.

Mme Wilkins : Il est vrai que, en 2008, il y avait beaucoup de volonté de tirer des leçons de la crise, et on a fait énormément de progrès dans plusieurs domaines, comme dans le domaine des fonds propres, le contrôle sur les leviers pour les banques. C'est un exemple. Il y a d'autres facteurs pour améliorer la situation relativement à la notion de « trop gros pour faire faillite », non seulement au sein du système bancaire, mais aussi pour d'autres organismes financiers importants, comme le domaine des assurances.

On a aussi travaillé sur le système bancaire en parallèle, c'est-à-dire sur les activités financières qui se font à l'extérieur du système bancaire. Je crois qu'on a mené à bien beaucoup d'initiatives qui sont allées au fond de la question, avec lesquelles les chefs du G20 étaient d'accord.

Ce qui reste encore à faire, c'est de s'assurer que les pays appliqueront toutes les mesures qui ont été mises en place à l'échelle internationale. On conclut un accord pour mettre en œuvre un certain nombre de mesures, et il faut s'assurer que tous les pays les suivent.

En ce qui concerne le Canada, nous avions mis en œuvre presque toutes les mesures que j'ai mentionnées. Certaines ne sont pas encore faites, mais elles sont en train d'être mises en œuvre en ce moment. Je trouve donc que le système financier est en meilleure posture qu'il ne l'était avant la crise. On ne peut pas dire qu'il n'y aura jamais une autre crise, mais le Canada est mieux positionné aujourd'hui qu'il ne l'était auparavant à ce chapitre.

[Traduction]

La sénatrice Wallin : Merci à tous les deux d'être parmi nous aujourd'hui. Vous êtes prudents vis-à-vis de l'amélioration des profils de croissance. Néanmoins, vous avez déclaré que c'est ce qui se profile à l'horizon. Lorsque vous prenez les investissements directs ou l'augmentation des exportations dont vous avez parlé et que vous les comparez à un plan de dépenses assez majeur de 120 milliards de dollars dans les infrastructures, est-ce que vous avez une appréciation différente de ce genre d'investissements selon leur nature? Dans ce cadre, avez-vous une appréciation différente de l'infrastructure sociale, si je puis utiliser cette expression, et des investissements plus traditionnels dans les routes et les ponts?

M. Poloz : Les investissements dans l'infrastructure sont modélisés plus ou moins de la même manière que les investissements du secteur privé en matière d'impact sur l'économie. Nous considérons qu'un programme d'infrastructure gouvernemental est exogène par rapport au système. Cela vient de l'extérieur donc cela s'ajoute et c'est pour cela que nous posons ces questions sur les facteurs multiplicateurs pour savoir si un dollar dépensé peut générer plus qu'un dollar d'activité économique. En général, les économistes s'accordent à dire que c'est le cas.

Pour les investissements dans le secteur privé, c'est le contraire. C'est un processus endogène qui vient de l'augmentation de la demande et des exportations. Peut-être qu'un dollar plus bas ou plus haut favorise ce mécanisme; cela dépend de l'entreprise. Ce type de processus d'investissement augmente la capacité de l'économie.

Il existe une vaste typologie d'infrastructures, mais l'essentiel c'est que vous pouvez lier l'investissement au potentiel de croissance futur de l'économie. Lors de mes remarques préliminaires, j'ai dit que nous pensions que le taux de croissance potentiel du Canada avait baissé à cause du ralentissement de la croissance de la population active et de la croissance de la productivité et maintenant que nous avons le choc de l'investissement dans le secteur de l'énergie, nous sommes descendus à 1,5 p. 100. C'est notre limite de vitesse.

Nous avons un excès de capacité donc nous risquons de franchir cette limite de vitesse probablement pendant deux ans, ce qui correspond à nos prévisions. De plus, nous nous attendons à une nette reprise des investissements dans l'économie hors ressources naturelles ce qui augmentera la capacité et les possibilités de croissance. Cela allonge la période durant laquelle vous pouvez avoir une croissance non inflationniste, mais c'est à voir. Tout ce qui pourra augmenter cette croissance potentielle de 1,5 p. 100 à 1,6 p. 100 ou 1,7 p. 100 tous les ans pendant une génération constitue un réel progrès.

Tout ce qui pourra doper la productivité de cette manière est une bonne chose. Voici comment se définit d'après moi un « investissement dans l'infrastructure » : est-ce que cela s'ajoute au potentiel de croissance de l'économie? S'il s'agit d'un pont à Montréal, cela aiderait les gens à se rendre au travail et réduirait leurs coûts de transport. C'est efficace, voilà, il en va de même pour les trains à grande vitesse et ce genre de choses.

Vous avez évoqué les infrastructures sociales. Bien entendu, si l'on va dans le détail cela devient un peu moins concret. Prenez les centres de la petite enfance. Une plus grande offre de centres facilite l'intégration des personnes dans la population active, peut-être plus tôt après avoir fondé une famille ou en même temps, et cela augmente vraiment le potentiel de croissance, car l'intégration dans la population active constitue notre blocage le plus important.

Par ailleurs, il y a environ 120 000 personnes entre 15 et 25 ans qui sont sorties de la population active parce qu'elles étaient découragées. Nous savons qu'elles n'ont pas pris une retraite anticipée. Nous pensons qu'au cours des deux prochaines années, ces personnes pourraient réintégrer la population active. Au rythme auquel nous créons des emplois, il y a là une autre année complète de potentiel de croissance qui est encore inexploitée.

La sénatrice Wallin : Une partie de ces investissements pourrait encourager cela.

M. Poloz : Exactement. Toutes ces choses peuvent être des catalyseurs, tout comme un accord commercial pourrait l'être ou un accord commercial interprovincial. Ce genre de choses peut augmenter l'efficacité de l'économie et nous donner ce dixième ou ces deux dixièmes ou ces trois dixièmes de points de croissance chaque année pendant très longtemps. C'est possible.

La sénatrice Wallin : La même chose s'applique à la cyberinfrastructure.

M. Poloz : Oui. C'est un cas particulier, à mon avis. C'est cette menace inimaginable et incommensurable. Les entreprises, les gouvernements et tout un chacun investit pour se protéger des cybermenaces. S'il n'y avait pas de cybermenaces, tous ces investissements seraient disponibles pour autre chose de meilleur. Donc, c'est un peu comme la défense en général. On devrait y penser de la même façon que l'on pense la défense nationale — une sorte de menace générale qui amoindrit tout. Si c'est bien fait, cela peut être libératoire.

La sénatrice Wallin : Sur le même thème, c'est un peu hors sujet, je pense, mais je voudrais connaître votre sentiment et savoir quelles recherches vous menez. Je lisais récemment une critique d'un livre de Don Tapscott. Je suis certain que vous connaissez son travail sur Internet ces dernières années. Il vient de sortir un livre intitulé Blockchain Revolution, sur la valeur des bitcoins et la manière dont cette monnaie change tout. C'est sur le point de commencer. Que pensez- vous de tout cela? Est-ce que vous en faites à la banque?

M. Poloz : Il est clair que nous observons cela de près, à tel point qu'une experte mondialement reconnue se tient à mes côtés. Mme Wilkins a présidé tout cela à Washington, car elle est reconnue par ses pairs. Je vais lui passer la parole.

Mme Wilkins : Je connais les Tapscott. Pour tout dire je leur ai parlé pendant qu'ils écrivaient leur livre. Je trouve que c'est une très bonne initiative.

Nous travaillons là-dessus et nous ne sommes pas la seule banque centrale à le faire. Cette technologie intéresse les banques centrales pour plusieurs raisons. Tout d'abord nous surveillons les systèmes de compensation et de paiement, c'est l'une de nos responsabilités légales. Ce sont des systèmes qui sont susceptibles d'utiliser ce type de technologie. S'ils les utilisent, nous devons pouvoir les comprendre. Nous participons également à ces systèmes. Si les gens envisagent d'utiliser ce genre de choses, il nous faut peut-être y participer et nous avons besoin de les comprendre.

Plus généralement, quiconque suit cela verra que les applications potentielles des technologies en chaînes de blocs dépassent les systèmes de paiement ou de monnaie virtuelle comme les bitcoins, je sais que ce groupe les a étudiés, cela permet aussi de nombreuses autres choses comme les contrats intelligents et les identités digitales — des choses qui peuvent potentiellement modifier le système financier d'une manière qui pourrait libérer de gros gains d'efficacité.

En même temps, nous savons qu'à chaque fois qu'il y a des innovations, il peut y avoir de nouveaux risques et de nouveaux défis pour les institutions qui y participent, nous avons donc également un biais plus large de stabilité financière, ce qui veut dire que nous avons un programme de recherche, c'était l'objet de votre question. Nous avons un programme de recherche assez étendu sur la monnaie virtuelle. Pour ceux que cela intéresse, il y a une page sur notre site Internet qui regroupe tout ce travail de recherche au fur et à mesure. Nous examinons aussi d'autres aspects des prêts entre particuliers liés au CANAFE, même s'il s'agit d'une partie plus restreinte de nos recherches.

La sénatrice Wallin : C'est de l'économie collaborative.

Mme Wilkins : Toute cette économie collaborative est très intéressante pour les banques centrales. Nous travaillons aussi au niveau international. C'est une technologie globale, en un sens, car elle peut être appliquée partout. Beaucoup de groupes internationaux s'y intéressent y compris le Conseil de stabilité financière. Je fais partie d'un groupe qui travaille là-dessus alors nous sommes assez impliqués.

La sénatrice Wallin : C'est rassurant, merci.

Le président : Je rappelle aux personnes qui nous écoutent sur Internet que notre comité a réalisé une étude sur les bitcoins. Le rapport s'intitule Les crypto-monnaies : pile ou face?, rédigé par la sénatrice Ringuette. Pour le lire, il suffit de se rendre sur notre site Internet.

Le sénateur Tannas : Bienvenue, et merci d'être parmi nous. Je voudrais que vous m'en disiez plus sur l'endettement des ménages et la manière dont vous le mesurez. Pourriez-vous nous donner votre point de vue sur la sensibilité de sa diminution dans la mesure où les consommateurs décident que c'est le moment de s'attaquer à la dette des ménages? Quel est l'effet sur l'économie? Existe-t-il une corrélation entre une dette supérieure ou égale à 1 000 $ et des indicateurs économiques? Est-ce un enjeu significatif?

Par ailleurs, quand est-ce que les consommateurs se tournent vers d'autres économies et quand sont-ils typiquement motivés? Tout le monde serait ravi si les consommateurs étaient motivés lorsque l'économie patine, mais je ne sais pas si c'est le cas. Il se peut qu'ils attendent soit un redémarrage fragile soit une croissance lente, c'est alors que ça se catalyse. J'aimerais avoir votre avis là-dessus. Quels sont les marqueurs spécifiques, s'il en existe, qui vous indiqueraient que l'on se dirige vers un moment où le consommateur va se décider à s'attaquer à cela?

M. Poloz : C'est une question intéressante. Tout d'abord il est très difficile de comparer ces niveaux d'endettement dans le temps pour les raisons que nous venons d'évoquer — le changement profond de notre système financier. Il est beaucoup plus facile pour les gens d'équilibrer leurs bilans de nos jours. Cela fait partie de l'innovation financière que nous avons vécue. Il est révolu le temps où il fallait attendre pendant une heure à la banque pour demander un prêt et tout cela. Aujourd'hui vous l'avez devant vous. Vous pouvez vous servir. Derrière tout cela il y a eu des avances similaires dans la manière dont les banques gèrent les choses. Il ne s'agit pas d'un environnement libre, mais plutôt d'un environnent bien contrôlé.

Je n'aime pas comparer les époques et dire : « Mon Dieu, notre niveau actuel de la dette représente 165 p. 100 du revenu. Regardez comme cela a augmenté ces 10 ou 20 dernières années. » On peut dire cela, mais dans quelle mesure est-ce lié au fait que les gens peuvent plus facilement choisir leur propre niveau d'endettement et dans quelle mesure est- ce une chose dont nous devons nous préoccuper?

On peut notamment s'en assurer en parlant aux gens qui contractent ces emprunts. Ils ont renforcé leurs normes en matière de prêt avec cet acte, ce qui diffère nettement des comportements qui ont abouti à la crise financière aux États- Unis. Je peux clairement dire que nous n'avons aucun des comportements qui ont abouti à cette crise. De nos jours, les banques centrales et les autorités de régulation, bien sûr, surveillent cela de beaucoup plus près. Nous avons effectué les changements réglementaires dont parlait Mme Wilkins. De plus, nous avons amélioré notre surveillance dans quasiment tous les domaines. Nous publions notre Revue du système financier deux fois par an. Les banques centrales ont toutes les leurs et les étudient avec soin. L'amélioration est générale.

Une partie de nos prévisions correspond exactement à ce que vous envisagez : ces six ou sept dernières années, l'économie a été principalement soutenue par les dépenses du secteur privé, bien sûr, en réponse à des taux d'intérêt très bas. Les banques centrales abaissent les taux d'intérêt parce qu'elles espèrent doper l'économie et cela signifie que des gens qui n'avaient pas l'intention d'emprunter le font quand même. Dans tous les cycles d'affaires, vous avez ce phénomène. Les gens empruntent plus tôt ou davantage que ce qu'ils avaient prévu et cela soutient l'économie. On ne se préoccupe jamais trop de l'autre versant des choses parce que l'économie se redresse et la situation redevient normale et la personne qui a acheté une maison un an plus tôt ne l'achète pas l'année suivante parce qu'elle l'a déjà achetée, donc les choses s'équilibrent au cours du cycle.

C'est la première fois que nous traversons une période de ce type qui dure aussi longtemps. Nous avons commencé à remarquer l'accumulation de ces comportements et c'est préoccupant. Cela fait quelque temps que nous les signalons dans notre Revue du système financier. Nous connaissons bien le phénomène parce que nous l'étudions attentivement.

Nous partons du constat suivant : maintenant que le secteur des exportations est soutenu et que nous allons bientôt commencer à investir dans la création de nouveaux emplois, deux choses vont se produire.

D'abord l'économie va se redresser et cela va augmenter le niveau de revenus pour compenser cet endettement plus élevé. C'est quelque chose d'important. Nous appelons cela un atterrissage en douceur, non pas parce que nous descendons, mais parce que le sol s'élève pour venir à notre rencontre.

Ensuite, le secteur des ménages va modérer son comportement et le taux d'épargne va augmenter. Bien entendu, c'est en partie parce que les ménages ont déjà beaucoup dépensé — ils ont acheté les maisons et les voitures. Alors que nous avancerons, le secteur du logement n'en souffrira pas grâce à tous les nouveaux emplois créés et à tous ces gens qui voudront acheter des maisons et des voitures.

La dette — l'excédent de ce qui s'est passé — s'ajustera mieux au niveau de l'économie et son taux de croissance ralentira en fonction de l'économie. Pendant que cela se produit, les taux d'endettement atteindront un maximum, se stabiliseront et déclineront sans doute doucement avec le temps. Voilà la dynamique que nous prévoyons.

Les marqueurs seraient... eh bien, c'est là toute notre réalité et nous vérifions la situation chaque semaine pour connaître l'évolution des données. Bien sûr, dans le Rapport sur la politique monétaire, il y a une vérification trimestrielle complète. Cette vérification nous dit : voici ce qui se produit et c'est ce que nous avions prévu ou c'est plus ou c'est moins. Voilà exactement la manière dont nous procédons.

Le sénateur Tannas : Nous approchons de taux d'intérêt négatif avec 0,5 p. 100 actuellement. Qu'en pensez-vous? Est-ce qu'un demi-point de 1 p. 100 à 0,5 p. 100 a le même impact que 0 p. 100 à moins 0,5 p. 100? Si vous pouvez nous donner des explications ou de l'information instructive sur les taux d'intérêt négatifs, ce serait bien.

M. Poloz : La réponse en bref est non, ce n'est pas la même chose. Qu'un taux d'intérêt passe de 2 à 1,5 p. 100 a plus d'impact que de 0,5 à 0 p. 100 et moins jusque dans les valeurs négatives. C'est précisément pour les raisons que nous venons d'expliquer : il y a toujours des gens prêts à acheter une maison, et, si la transaction devient irrésistible, il y aura une réponse rapide dans l'économie, mais l'effet devient moindre quand beaucoup de gens ont déjà réagi. Cela devient marginal. Certains disent que c'est comme tirer sur un élastique, ce qui est un peu excessif, car il y a encore un effet. On a vu cela à l'œuvre dans certains pays.

En 2008, nous avons présenté notre boîte à outils non conventionnelle au cas où nous en aurions besoin. Nous pensions que les taux d'intérêt ne descendraient pas sous 0,25 p. 100, soit le taux le plus bas jamais atteint. Dans d'autres pays où la situation a été plus difficile que chez nous, l'expérience montre que les taux d'intérêt négatifs peuvent effectivement fonctionner et que les marchés continuent d'évoluer. Cela crée des distorsions, donc il ne faut pas que cela dure longtemps. Et, quel que soit l'effet obtenu, il ne durera probablement pas parce que le système va s'y adapter, et cetera.

C'est exactement la situation décrite dans Théorie générale de l'emploi, de l'intérêt et de la monnaie, ouvrage publié dans les années 1930 au beau milieu de la Grande Crise. Tous nos manuels d'économie expliquent que, dans cette situation, la politique monétaire n'a que des effets modérés ou minimes et que c'est la politique budgétaire qui est le plus efficace. À mesure que nous revenons à une situation plus normale, une partie de l'efficacité de la politique budgétaire disparaît parce que les taux d'intérêt augmentent et que les taux de change augmentent aussi alors que les mesures budgétaires font leur chemin dans l'économie. Dans ce cas-ci, compte tenu de la capacité excédentaire, cela ne se produit pas.

Il y a la question du mélange, et c'est exactement pour cela que le FMI estime que le meilleur mélange de politiques consiste à ne pas accorder toute l'importance à la politique monétaire et à en donner un peu plus à la politique budgétaire.

[Français]

La sénatrice Bellemare : Ma prochaine question comporte un court préambule. Je trouve que vous venez de faire un constat plutôt déprimant, en ce sens que j'ai des enfants qui intègrent le marché du travail, et je me demande ce que l'avenir leur réserve. Ils me demandent parfois des conseils.

D'un point de vue économique, nous ne disposons pas de forces endogènes pour stimuler l'économie. Les exportations pourront peut-être stimuler l'économie, mais on ignore à quel moment. Il en est de même pour les investissements privés. Les consommateurs sont endettés et on ne peut pas redémarrer l'économie sur le dos des contribuables.

Donc, tout cela nous amène à aborder les investissements publics et la politique fiscale. Au Canada, on prévoit des dépenses en infrastructure à l'échelon fédéral, soit 120 milliards de dollars sur 10 ans. Ce budget peut paraître énorme, mais en réalité, on ne dispose pas d'une si grande enveloppe. Selon les prévisions, la croissance sera assez faible au cours des prochaines années.

En outre, les gouvernements provinciaux sont un peu pris à la gorge. Ils doivent prendre des mesures vigoureuses pour équilibrer leur budget. Cette situation est loin de stimuler l'économie dans un contexte où l'économie mondiale est au fixe. Nos besoins sont criants sur le plan des investissements publics, notamment en ce qui concerne nos infrastructures publiques, le Grand Nord, nos écoles et nos hôpitaux. Je suis consciente que la politique monétaire ne peut plus faire grand-chose, mais pourrait-on envisager l'adoption de mesures pour aider les provinces à financer des projets d'infrastructure publique?

J'essaie de nourrir la discussion afin d'obtenir des réponses créatives. Contrairement au gouvernement fédéral, les provinces n'ont pas toutes les mêmes moyens de financer leurs dépenses. Elles vont sur les marchée, et avec leurs bilans financiers, elles peuvent être décotées, leurs taux d'intérêt augmentent, et cetera. C'est un cercle vicieux. Y a-t-il des initiatives qu'on pourrait proposer afin d'encourager les gouvernements provinciaux à participer davantage à l'investissement public et aux dépenses d'infrastructure? La Banque du Canada pourrait-elle jouer un rôle moteur à ce chapitre?

M. Poloz : Je regrette, mais non. Vous avez raison, c'est une situation difficile à l'échelle mondiale. Le taux de croissance potentielle dans le monde a diminué et il continuera de baisser pour les raisons que j'ai déjà mentionnées, notamment le ralentissement de la main-d'œuvre. Tout d'abord, il faut réduire nos attentes, parce que les perspectives d'avenir sont moins positives que celles des 50 dernières années. Il faut s'ajuster. Aujourd'hui, si le taux de croissance était de 2 p. 100, ce serait un bon niveau. Par le passé, ce taux se serait avéré décevant.

Pour le moment, nous avons déployé tous les efforts possibles en faveur d'autres initiatives. Nous devons axer nos efforts sur les initiatives fiscales. Le changement de politique fiscale doit être perçu comme un investissement et non comme une dépense. Il s'agit d'un investissement qui aide à relever le taux de croissance tendancielle, ce qui favorise notre productivité. Le Fonds monétaire international et le G-20 ont souligné l'importance de mettre en œuvre des réformes structurelles afin d'éliminer les obstacles à la croissance. Ce sont là des mesures que nous pouvons mettre en place en travaillant en étroite collaboration. Il faut préconiser une politique fiscale qui permettra d'appuyer le processus d'ajustement, une réforme structurelle qui favorisera la croissance économique et une politique monétaire qui donnera les coups de pouce nécessaires à la croissance.

La sénatrice Bellemare : J'ai justement une question à poser à ce sujet. Comment peut-on lancer une réforme structurelle? Selon vous, quels sont les éléments fondamentaux qui permettraient de concrétiser cette réforme structurelle, c'est-à-dire pour que les entreprises changent de secteur et que les gens s'adaptent? Quel est votre avis à ce sujet?

M. Poloz : Quant à moi... Je ne sais pas comment l'exprimer en français.

[Traduction]

La nécessité est mère de l'invention.

[Français]

Peut-on traduire cette idée en français? Pour le moment, c'est la seule chose qui reste. Or, c'est souvent un problème d'ordre politique. Un changement structurel a toujours des répercussions négatives sur certaines personnes, mais a des effets positifs sur l'ensemble de l'économie. Voilà pourquoi le FMI préconise les politiques fiscales. La réforme structurelle se finance par elle-même en suscitant la croissance et en générant des revenus pour le gouvernement. Il est possible de renforcer le filet de sécurité grâce à ce changement.

À titre d'exemple, le libre-échange ne fait pas l'affaire de tout le monde. C'est un débat contradictoire. L'effet le plus important se fait sentir sur le revenu total. Ce n'est pas une question de savoir qui gagne et qui perd. Il s'agit du revenu total. Les ouvrages d'économie ont repris ces résultats maintes fois.

[Traduction]

Le sénateur L. Smith : Vous avez parlé des perspectives d'avenir. L'un des sujets d'articles que j'ai souvent rencontré dans mes lectures l'année dernière était le nombre d'entreprises d'Amérique du Nord qui gardent leurs capitaux et n'investissent pas. Peut-être avez-vous le chiffre exact, mais je crois que c'était de l'ordre de 630 milliards de dollars de capitaux conservés par des entreprises installées au Canada. Quel sera le signal qui incitera les entreprises à aller de l'avant?

Si les perspectives de croissance restent stables, mais minimales, comment encourager la prise de risque? On considère notre pays comme peu enclin à prendre des risques. Nous avons parlé d'ententes commerciales avec l'Europe, avec l'Asie. Ce sont des choses que nous devons faire en tant que partenaire commercial. Qu'est-ce qui va déclencher le mouvement? Je sais bien que les interactions en termes d'économies du monde ont leurs limites et que nous sommes liés aux États-Unis, et cetera, mais y a-t-il quelque chose qui, selon vous, est l'élément crucial qui doit advenir pour relancer l'économie? Nous sommes dans un cycle qui dure depuis longtemps. Comment entrer dans un nouveau cycle?

M. Poloz : Voilà une question très complexe. Je commencerai par planter rapidement le décor.

Premièrement, une grande partie de ce qui menaçait de nous plonger dans une deuxième grande crise en 2008 est toujours présente. Le fait que nous ayons des taux d'intérêt très bas et que les gens se rendent compte qu'il n'y a pas beaucoup de croissance ou d'inflation en conséquence ne signifie pas que la politique monétaire ne tient pas ses promesses. Ce que cela signifie, c'est que nous résistons à quelque chose qui pèse très lourd, dans le genre de pousser un rocher en haut d'une colline ou une métaphore dans ce genre-là. Si nous cessons de résister, le rocher va simplement dégringoler la colline. Voilà un point de départ important. Il y a encore beaucoup de choses qui freinent l'économie.

Il s'ensuit que, quand on a de bonnes nouvelles, il y a trois ou quatre raisons pour lesquelles ce n'est peut-être pas sûr ou que cela ne durera pas, et cetera. Cette prudence n'est pas seulement naturelle, elle s'est révélée fondée à quelques reprises depuis 2008. Nous avons eu plusieurs faux espoirs. Nous pensions être sortis du bois, mais, finalement, nous y étions toujours.

Je ne suis pas sûr du chiffre de 600 milliards de dollars. Cela ne semble pas très éloigné de quelque chose que j'ai vu, mais je ne veux pas être coincé par un chiffre. Je sais que les entreprises du Canada ont de l'argent. D'où vient-il? C'est de l'argent durement gagné. Ce n'est pas simplement de l'argent qui dort, c'est de l'argent durement gagné. Toutes les semaines, on repose la question : est-ce que les choses commencent à évoluer ou non? Les chefs d'entreprise qui essaient de déterminer s'il est temps d'investir une partie de cet argent, de le risquer, ont le sentiment que le risque d'aujourd'hui est plus élevé qu'il ne semblait auparavant. C'est une conviction plus qu'une réalité. Je pense aussi que c'est tout naturel, étant donné ce que nous avons vécu.

Je parle à beaucoup de chefs d'entreprise dans le cadre de mon travail. Les gens prennent toutes sortes de risques sur les marchés financiers, à la recherche d'un rendement, mais les entreprises ne prennent pas vraiment de risques dans l'économie réelle. Quand je parle à des chefs d'entreprise, ils reviennent là-dessus et disent : « J'ai l'impression que c'est déjà très risqué pour moi d'être assis là, parce que je pourrais tout perdre, tout ce que j'ai, si les choses stagnent. » Il y a suffisamment d'incertitude, et ils sont donc prudents, et je pense qu'ils ont raison parce que c'est de l'argent réel qu'ils risquent de perdre s'ils se trompent.

La preuve, c'est que, comme dans les longs cycles que nous avons connus, il y a en quelque sorte des esprits animaux. C'est l'expression employée par Keynes. Ils sont écrasés par l'expérience, ils ont peu d'enthousiasme et ils ne sont pas prêts. Ils ont besoin d'être plus convaincus que tout va bien. Cela veut dire qu'il leur faut des preuves plus durables que l'économie est en train de se rétablir, et ce sera graduel. Ce sera différent d'une entreprise à l'autre. Est-ce qu'elles fonctionnent à pleine capacité? Est-ce que leurs clients les appellent tous les jours pour demander où en est leur livraison? Est-ce qu'elles répondent : « Cela prendra encore 30 jours parce que nous sommes vraiment occupés »? Certains clients décommanderont. Vous allez perdre ces clients si vous n'investissez pas, si vous n'élargissez pas votre base.

On en est là, je crois. De plus en plus d'entreprises nous disent qu'elles en sont là, et elles doivent donc prendre une décision ou refuser des clients. Selon nos sondages, il va y avoir beaucoup plus de mouvement en ce sens plus tard cette année. On peut déjà le voir à l'œuvre dans certains créneaux, comme l'a signalé Carolyn. Je pense qu'il faut être patient. Je ne connais aucun moyen de forcer les choses. Vous avez réduit au minimum le coût d'emprunt, c'est parfait. Donc vous avez fait tout ce qui pouvait être fait de ce côté-là pour les aider.

J'ajouterai une remarque pour finir. Nous avons parlé du faible taux de croissance, à l'échelle globale et chez nous. Il s'ensuit, entre autres, que l'équilibre, ou ce que nous appelons le taux d'intérêt neutre, diminue. C'est le taux d'intérêt qui s'installerait quand tout reviendra à la normale. Comme il diminue, cela veut dire que les entreprises devront aussi modifier leurs attentes. Si elles envisagent un investissement et sont habituées à un taux de rendement de 8 à 10 p. 100 avant de bouger, il faudra qu'elles revoient ces taux à la baisse, faute de quoi elles ne bougeront jamais, car les taux de rendement seront nettement inférieurs à ce qu'ils étaient dans le cycle précédent. Mais, à mon avis, c'est quelque chose qu'elles vont mettre du temps à comprendre.

La sénatrice Ringuette : Ma question est liée à celle du sénateur Smith. À chaque fois que vous venez nous voir, j'ai la même question pour vous. Je veux parler des plus de 600 milliards de dollars en réserve dans les grandes entreprises du Canada. Il y a quelques années, nous parlions de la nouvelle politique visant à réduire les droits sur le matériel pour qu'elles puissent investir, accroître leur efficacité, et cetera, et que cet argent et ces réserves servent à cela. Cela n'a pas été réinvesti pour autant que je sache ou, sinon, en très petite quantité.

Il faut donc poser la question : est-ce qu'elles attendent d'investir cet argent dans un pays étranger? Est-ce que ces entreprises canadiennes refusent d'investir au Canada?

M. Poloz : Je ne connais pas la réponse à cette question. D'après mon expérience, cela produit de la croissance au Canada, quel que soit l'endroit où elles pensent investir, donc cela ne m'inquiète pas outre mesure. Pour bâtir une entreprise durable qui crée de l'emploi au Canada, il faut envisager toutes les solutions possibles. Par exemple, une chaîne d'approvisionnement global dont une partie des opérations se déroule dans un autre pays coûte moins cher, offre des produits plus efficaces et peut en vendre en plus grande quantité, et elle peut donc créer des emplois dans les autres services qui se trouvent ici, dont la direction. Il y a, à Toronto, des immeubles remplis de gens qui gèrent les opérations d'entreprises du Canada à l'étranger. Ce sont d'excellents emplois, et il y en a beaucoup. Ce n'est pas considéré comme de l'exportation, mais c'en est.

Je ne veux pas exprimer d'opinion définitive sur toutes ces possibilités. Je dis seulement que, pour déclencher les investissements, on peut examiner la situation générale et demander combien on perd d'argent en ce moment dans le secteur de l'énergie à cause d'investissements qui ont été faits il y a trois ou quatre ans, et même il y a deux ans. Les espoirs associés à ces investissements ne se sont pas concrétisés, du moins pour le moment. On voit ce genre d'exemple et on se dit : et si tout change de nouveau? Est-ce que mon investissement sera encore bon dans deux ans? Difficile de décider. Ce n'est pas théorique : ce sont des gens réels, de l'argent réel et des employés réels.

La sénatrice Ringuette : Même chose pour les investissements des ménages. Ce que je conteste, c'est qu'il semble normal que ce soit les ménages canadiens qui fassent tourner l'économie. Il semble normal qu'ils risquent leur argent dans d'importantes hypothèques et emprunts, et cetera, d'une part, et il semble normal que 600 milliards de dollars de capitaux dorment dans les entreprises canadiennes, d'autre part. C'est une contradiction énorme.

Il me semble que, concernant votre analyse monétaire et la politique budgétaire, il n'y ait pas de rapport entre le risque et le stimulant et entre les attentes des ménages et consommateurs canadiens qui favorisent la croissance économique et le peu d'attentes et le faible engagement des entreprises canadiennes.

M. Poloz : Je comprends parfaitement votre frustration. Je dirais simplement que nous sommes dans une situation très inhabituelle et que nous y sommes plongés depuis plusieurs années. Les économistes appellent cela un déséquilibre. Vous avez dit qu'il n'y avait pas de rapport, et c'est à peu près la même chose. C'est quand les choses ne correspondent pas comme elles le devraient en principe.

Comme je l'ai expliqué tout à l'heure, on parle d'esprits animaux, de la volonté ou du désir de développer une entreprise, de la disposition à prendre des risques, qui sont compromis par l'expérience vécue. La bonne nouvelle, c'est que ces entreprises sont toutes disposées à investir, et cela compte vraiment, parce que, si elles n'avaient pas d'argent, nous aurions besoin de recourir à tout le processus d'emprunt et de levée de capitaux pour relancer l'économie, mais ce ne sera pas nécessaire. Les entreprises à qui nous parlons disent qu'elles sont prêtes et qu'elles attendent cela, et que d'autres attendent aussi, mais qu'elles prennent patience.

Il faut se rappeler que l'économie a peut-être une capacité excédentaire de 2 p. 100, possiblement un peu plus si on retarde le retour sur le marché du travail, comme je l'ai expliqué tout à l'heure. Cela veut dire que les 98 p. 100 qui restent tournent très bien. D'après notre analyse, les activités du secteur énergétique diminuent à un rythme d'environ 4 p. 100. Les exportations de produits non énergétiques, qui représentent environ 17 p. 100 de l'économie et s'approchent de 20 p. 100, augmentent à un rythme de près de 4 p. 100. Le reste de l'économie, soit environ 69 p. 100, connaît une croissance d'environ 2 p. 100.

Ce qu'on voit, par contre, c'est l'ensemble. Et l'ensemble semble un peu décourageant, mais, en fait, beaucoup de choses positives se produisent à l'arrière-plan. Ce que nous attendons, c'est que ces choses positives prennent suffisamment d'ampleur pour que nous ne voyions plus ce qui diminue, même si cela va continuer encore deux ou trois ans et qu'il y a encore des gens qui subissent les répercussions du choc énergétique et qui, par exemple, perdent leur entreprise ou doivent la délocaliser. On ne peut pas oublier cela. Ces éléments négatifs vont se prolonger longtemps.

On peut voir les éléments positifs, et nous pensons qu'ils finiront par produit un chiffre prospectif positif acceptable. Et cela doit s'accompagner d'investissements, parce que nous en sommes au stage où les entreprises ne pourront pas croître autrement.

La sénatrice Ringuette : Merci.

Le sénateur Greene : Il me semble que, même si vous ne faites pas du tout une description affreuse de la situation, vraiment pas — on a vu pire, et ce n'était pas abominable —, c'est quand même une description sombre. Nous en sommes à 1 ou 2 p. 100 depuis plusieurs années sans nous attendre à pouvoir aller plus loin, sauf espoir peut-être, et il ne semble y avoir aucun plan ou moyen de changer cela pour que nous ayons un avenir différent.

L'un des fléaux qui affectent l'économie de l'Atlantique, dont fait partie la Nouvelle-Écosse dont je suis originaire, c'est non seulement qu'on manque de gens, mais que les gens vieillissent et qu'ils vieillissent vite. Les dépenses du gouvernement augmentent beaucoup parallèlement. Pour en sortir, il y a une ressource dont nous disposons, et je pense qu'elle est relativement abordable, et il y en a des millions. Je parle des gens.

Est-ce que vous avez pensé à l'impact d'un plus grand nombre d'immigrants sur l'économie canadienne? Par plus grand nombre, je veux dire beaucoup plus que le niveau actuel.

M. Poloz : Eh bien, vous avez tout à fait raison de dire que ce sont les gens qui sont le principal ingrédient de la croissance économique. Bien sûr, il y a, par ailleurs, que la demande de croissance est aussi fonction des gens. Si la croissance démographique est plus lente, on peut élever le niveau de vie et le revenu individuel, mais au prix d'un taux de croissance plus faible du PIB. Il faut en tenir compte. On peut avoir une croissance économique plus lente et voir le niveau de vie s'élever quand il y a moins de gens.

Certains des seuils que nous avons en tête, comme une croissance de 3 p. 100 ou plus et ce genre de choses, sont arrivés quand nous avions une population active au roulement beaucoup plus rapide, parce que les gens comme nous, les baby-boomers, faisions notre chemin dans le système. C'est une histoire qui remonte à 50 ans, voire plus, et cela fait donc partie de ce qui vous semble normal et non pas inhabituel. Mais, dans le mouvement global de l'histoire, c'est inhabituel. La nouvelle normalité sera quelque chose de plus modeste, où il y aura moins de gens.

J'ai dit tout à l'heure que pour augmenter le taux de croissance tendancielle, on peut soit augmenter le nombre de gens, soit augmenter la productivité individuelle, et nous avons beaucoup de possibilités dans le deuxième cas. Il y aurait beaucoup de changements structurels au Canada et dans d'autres pays qui permettraient, bien sûr, d'augmenter la croissance. Comme nous l'avons expliqué, c'est difficile à vendre, mais, quand les taux de croissance baissent systématiquement, cela devient plus facile parce que les autres politiques ne peuvent plus magiquement réduire l'importance de ces problèmes. Encore une fois, c'est la raison pour laquelle le G20 insiste sur cette combinaison stratégique à trois volets comme moyen d'augmenter la croissance dans tous les pays du G20, pas seulement ici. La transformation structurelle en est la clé et la limite.

Il s'agira, par exemple, d'encourager la mobilité de la main-d'œuvre, de conclure des ententes interprovinciales pour faciliter cette mobilité, et cetera. Le libre-échange au sein du Canada devrait être plus facile que le libre-échange international, et pourtant, vous le savez comme moi, ce n'est pas le cas. Mais cela devrait être le cas. Ce sont les seules choses que je peux mentionner comme moyen de relever ce seuil de façon durable.

Pour nous, l'immigration est un facteur direct dans nos modèles de production potentielle. Quand j'ai dit que notre production potentielle était descendue à environ 1,5 p. 100, cela comprend des taux d'immigration supérieurs à ce qui est prévu. Pas un gros changement, mais plus d'immigrants que dans les années récentes. Pour que les choses changent sensiblement, il faudrait une augmentation substantielle d'immigrants. Il y a un ralentissement démographique à l'échelle mondiale.

Le sénateur Greene : Je pense que cela vaut la peine d'y réfléchir. Dans ma région en tout cas, là où je vis et travaille, il manque de gens aptes au travail. Les gens qui ont les moyens de dépenser de l'argent sont de moins en moins nombreux. La seule solution, selon beaucoup de gens, c'est l'immigration, et il est difficile d'attirer des gens dans les provinces de l'Atlantique, où l'économie ne va pas bien.

Nous avons la chance de vivre sur un territoire immense. Il me semble que nous devrions réfléchir aux moyens d'attirer plus d'immigrants et aux effets que cela pourrait avoir. C'est une observation plutôt qu'une question.

Le président : Est-ce que vous désirez faire une remarque en réponse à cette observation ou passons-nous à la prochaine question?

M. Poloz : Je pense que nous pouvons continuer.

Le sénateur Mockler : Monsieur le gouverneur, à vous écouter, nous avons de la chance d'avoir des entreprises d'exploitation des ressources. La semaine dernière, j'étais au Nouveau-Brunswick, d'où je suis originaire, et je parlais à des gens des domaines de l'agriculture et de la foresterie. Nous sommes voisins de l'État du Maine, d'une ville frontalière, et donc nous avons les deux. Nous parlions donc à ces entrepreneurs de l'agriculture et de la foresterie, et nous partagions nos points de vue et parlions des facteurs d'incertitude de l'économie. Nous savons tous que, quand il y a de l'incertitude sur le plan économique, cela compromet notre capacité à produire de la richesse et cela devient un obstacle à la prospérité. Nous devenons alors vulnérables.

Comme nous faisons partie du G20 et du Commonwealth, nous pourrions, le 23 juin 2016, être confrontés à ce qu'on appelle le Brexit, c'est-à-dire la décision de la Grande-Bretagne de quitter l'Union européenne. J'ai trois questions. La première : avez-vous fait une évaluation des répercussions du Brexit sur les politiques canadiennes? La deuxième : quel impact cette décision aurait-elle sur l'économie canadienne? Et la troisième : est-ce que notre économie en serait ralentie?

M. Poloz : Je ne me prononcerai pas sur ce que je crois qu'il arrivera ou ce que je souhaiterais qu'il arrive. Le mot « incertitude » que vous avez utilisé est bien, selon moi, le mot qui convient. L'incertitude sur les marchés financiers à l'approche de ce moment est, bien sûr, un facteur. Il peut y avoir encore plus d'incertitude sur les marchés financiers par la suite, selon la façon dont la situation évoluera. À chaque fois qu'il y a de l'incertitude sur les marchés financiers, cela se répercute sur nos propres marchés et, par conséquent, sur l'économie canadienne.

Ne serait-ce qu'en janvier et février de cette année, les marchés financiers se sont agités parce qu'on se demandait si le ralentissement économique en Chine était important ou modéré. Ce processus a entraîné une baisse importante des prix des produits de base, une baisse importante du dollar canadien et, bien sûr, de l'agitation à la bourse. Il se passait un tas de choses. Ces effets de la richesse peuvent avoir une influence sur l'économie plus tard même si nous pensons que la croissance est bonne en Chine et qu'elle ne baisse pas autant que les gens l'avaient craint. Les décideurs politiques se sont entendus à ce sujet quand les pays du G20 se sont réunis à Shanghai, et c'est ce que nous avons dit dans notre communiqué. Mais, s'il y a de la volatilité — en général, quand on parle de volatilité en ce sens, cela veut dire ralentissement ou volatilité négative — cela peut avoir des effets de rétroaction sur la croissance économique et, par conséquent, ralentir l'économie. Cette possibilité théorique est toujours présente, et c'est toujours la raison pour laquelle il vaut mieux avoir moins d'incertitude.

C'est ainsi que nous voyons les choses du point de vue du Canada.

Le sénateur Mockler : Est-ce que c'est sur votre radar et est-ce que cela aurait un impact sur notre économie, de l'ordre de 1 p. 100, 2 p. 100, 6 p. 100 ou 10 p. 100 per cent?

M. Poloz : Non, pas dans ce sens, monsieur.

Le président : Il insiste, monsieur le gouverneur.

Le sénateur L. Smith : Il veut un pipeline, c'est tout.

Le sénateur Campbell : Je pense qu'une des raisons pour lesquelles le Canada peut affronter cette tempête, ce sont les mesures prises par la Banque du Canada. Nous devrions être très reconnaissants envers les gens extraordinaires qui gèrent cette organisation, depuis le gouverneur jusqu'au dernier employé.

J'aurais dû faire plus attention quand, il y a une trentaine d'années, je me suis lancé dans des études en économie, mais je me rappelle très bien Keynes et ses esprits animaux. Je me rappelle que, quand quelqu'un demandait ce que cela voulait dire, le professeur répondait : « Sans courage, pas de gloire ». C'est tout ce que je me rappelle.

Cela peut sembler simpliste, mais vous parlez toujours d'« argent réel ». Pourriez-vous expliquer la différence entre l'argent réel et ce qui n'en serait pas? Vous dites, par exemple, que, quand quelqu'un a une usine et doit décider s'il faut investir ou non, cet esprit animal entre en jeu et que c'est de l'argent réel qui est en cause. Quelle serait l'alternative?

M. Poloz : L'argent de quelqu'un d'autre. Si l'usine n'a qu'une valeur limitée et qu'il y a très peu de liquidités, vous pouvez emprunter l'argent sous une forme ou une autre, et, si cela ne marche pas, eh bien, ce n'est pas votre argent. C'est celui de quelqu'un d'autre. Peut-être que vous allez perdre le reste de l'entreprise. C'est ce que je veux dire. Si vous avez thésaurisé, c'est de l'argent gagné par l'entreprise.

Le sénateur Massicotte : C'est de l'argent comptant.

M. Poloz : C'est de l'argent comptant. Cela appartient à l'entreprise, et c'est ce qui lui donne de la valeur en plus de sa valeur intrinsèque. Et on peut la perdre. C'est ce que je veux dire par argent réel. Ce n'est pas un simple exercice théorique. C'est de l'argent réel, qu'on peut perdre facilement.

Le sénateur Black : Monsieur le gouverneur, vous avez parlé à deux reprises du commerce interprovincial, évidemment du commerce de biens et de services entre les provinces du Canada. Il se trouve précisément que le comité examine cette question en ce moment. Peut-être pourriez-vous prétendre être un témoin à notre audience et répondre à ma question : quel est le point de vue de la Banque du Canada sur le commerce interprovincial et sur sa situation actuelle?

M. Poloz : À ce sujet, la Banque du Canada n'a pas de point de vue dont je puisse vous parler ici. J'en parlerai sur le plan théorique ou abstrait. On sait qu'il y a beaucoup d'obstacles au commerce et à la mobilité de la main-d'œuvre au Canada. Je suis convaincu que, si on s'en débarrassait ou si on se débarrassait de certains d'entre eux, notre économie serait plus performante, et nos entreprises pourraient obtenir de meilleures économies d'échelle et d'envergure, autrement dit le marché intérieur serait plus important et plus fluide. Ce serait certainement une excellente chose. La courbe tendancielle serait plus positive qu'elle ne l'est actuellement. Aucun doute.

Le sénateur Massicotte : En fait, j'aimerais avoir un conseil ou un peu d'aide. J'ai besoin d'une leçon d'économie.

M. Poloz : Je suis votre homme.

Le sénateur Massicotte : Voici pourquoi : je siège au Comité de l'énergie, où nous discutons beaucoup de l'énorme défi mondial du réchauffement planétaire et des GES, et nous devons absolument faire quelque chose. C'est épouvantable. C'est l'enjeu de notre génération, et c'est tout à fait crucial.

On entend toutes sortes d'experts nous dire que, si on dépense quelques milliards de dollars ici ou là, c'est toujours très positif parce que cela accélère la croissance économique, et cetera. Mais il y a quelque chose qui me dérange : quand on calcule le PIB, si je creuse un trou au coût de 100 $ et que je le rebouche en dépensant 100 $, cela augmente le PIB, mais cela ne change strictement rien. Je veux m'assurer qu'on parle de choses réelles ici. Si on dépense beaucoup d'argent pour créer de l'énergie propre pour remplacer l'énergie sale, je comprends que c'est nécessaire, mais cela revient au même pour notre qualité de vie, parce que le PIB n'augmente pas. En fait, nous n'avons pas du tout amélioré notre qualité de vie. Nous avons remplacé une source d'énergie par une autre. Oui, c'est propre, et il faut le faire.

Est-ce qu'on joue avec les chiffres quand on dit que, si on dépense des milliards de dollars, le PIB va augmenter? Oui, mais cela ne change rien à la qualité de vie. Est-ce que quelque chose m'échappe ici?

M. Poloz : Je crois que je vais vous donner mon sentiment, rapidement, après quoi je passerai la parole à Mme Wilkins, parce que c'est une question vraiment difficile.

On peut creuser un trou au coût de 100 $ et le reboucher en dépensant 100 $ de plus. La personne qui a fait les travaux touche 200 $ qu'elle va dépenser, ce qui crée quelque chose. Je sais bien que cela n'a rien de durable, et vous avez donc raison, mais je ne pense pas que l'argument s'applique aux investissements dont vous parlez.

Et cela dépend de la façon dont on mesure le bien-être. Le PIB est une mesure un peu vieillotte. Le bien-être des Canadiens peut être plus élevé grâce à l'emploi d'une forme d'énergie si on le mesure au sens large, à la façon de John Helliwell, de l'Université de la Colombie-Britannique, plutôt qu'en dollars et PIB. Voilà ce que je pense, brièvement.

Maintenant, je suis sûre que Mme Wilkins a une bien meilleure réponse.

Mme Wilkins : Je vais prolonger ce que le gouverneur Poloz vient de dire, parce que je pense exactement la même chose. Les banques centrales et les économistes ont tendance à s'intéresser exclusivement à la mesure du PIB. Évidemment, du point de vue d'un banquier central, c'est un moyen d'avoir une idée de la capacité comparativement au potentiel et de mesurer l'écart en termes de production. Cela nous aide à orienter la politique qui permettra de toucher la cible d'inflation visée. C'est pour cela que nous employons cette mesure. C'est une mesure qui compte ce que produit l'économie, peu importe que les gens soient heureux ou non. La possibilité qu'elle augmente dépend de la capacité des nouvelles sources d'énergie à augmenter la productivité parce que cette énergie permet aux entreprises de produire. Cela permet d'allumer les lumières et de faire rouler les voitures dont on a besoin pour transporter ces produits. Cela permet toutes sortes de choses. L'effet produit sur le PIB dépend, entre autres, de l'augmentation de la productivité.

Quant à la qualité de vie, il est certain que le PIB est un facteur qui entre en ligne de compte. Comme l'a expliqué le gouverneur, il existe toutes sortes d'ouvrages sur le genre de choses qui ajoutent au bonheur, comme les analyses de l'indice de bonheur. Cela échappe au mandat des banques centrales, mais c'est certainement un élément pertinent si, en fin de compte, on s'intéresse au bien-être de la population.

Le sénateur Massicotte : C'était bien mon impression.

Le président : Cela confirme ce que vous pensiez, n'est-ce pas?

La sénatrice Bellemare : Pensez-vous que la lutte contre le changement climatique pour protéger notre environnement soit un stimulant économique suffisant à l'échelle mondiale pour nous ramener dans un cercle vertueux?

M. Poloz : Voilà une question très intéressante à laquelle je n'ai pas vraiment réfléchi. Je me disais, à la fin de la réponse de Mme Wilkins au sénateur Massicotte, qu'un des sous-produits de ce passage des vieilles technologies aux nouvelles est le potentiel des technologies dérivées, qui peuvent produire des synergies ou des effets secondaires positifs, que nous avons toujours sous-estimé auparavant. Ce que nous tenons pour acquis aujourd'hui est souvent ce que personne ne jugeait utile auparavant. C'est arrivé comme cela, et cela arrive parce qu'il y a des percées technologiques.

La tendance globale à une économie plus verte, si vous voulez, renvoie à bien plus que l'énergie. Cela concerne la gestion de l'eau, par exemple, qui est un domaine énorme. En fait, dans ces deux domaines, le Canada est probablement dans une position particulièrement favorable s'il voit grand : des systèmes d'éclairage utilisant beaucoup d'électricité dans les villes, des ampoules meilleur marché qui durent 20 ans, et un mode de traitement de l'eau comme le circuit d'assainissement de l'eau de la zone Waterloo-Toronto pour la conservation de l'eau pour des systèmes de refroidissement ou autres.

Même le nettoyage des effets des vieilles énergies est une technologie en cours de développement au Canada. Les cheminées industrielles produisent de la chaleur et de la saleté. Disons qu'on investit 50 000 $ pour cela et qu'on récupère l'énergie dans le réseau, cela semble simple, mais c'est quand même 50 000 $ par cheminée. Il y a là une externalité parce que personne n'a à payer la chaleur perdue et la crasse qui se disperse dans l'air. Si quelqu'un doit payer, il devra débourser 50 000 $ en prévention. Cela créerait un nouveau secteur d'activité pour ceux qui fabriquent ces produits.

Il y a beaucoup de possibilités dans cet espace, et je m'en suis rendu compte dans une certaine mesure quand je travaillais à EDC et que j'ai appris à connaître certaines de ces entreprises. C'est très encourageant. Et puis le prix du pétrole est en train de diminuer, et on pense que ce sera plus difficile de faire de l'argent dans ce domaine. C'est drôle. Tout cela pour vous dire que l'avenir est un territoire inconnu. Si vous vous intéressez au passé et lisez des livres d'histoire, vous vous rendez compte que le pessimisme n'est jamais la bonne perspective.

La sénatrice Bellemare : J'ai dit à mon fils de se lancer dans le génie environnemental.

Le sénateur Massicotte : Ou de creuser un trou.

Le président : Ou de rester optimiste. C'est probablement la meilleure leçon pour tous les jeunes.

Merci, monsieur le gouverneur Poloz et madame la sous-gouverneure Wilkins. C'était une réunion très intéressante, un grand merci à vous deux.

(La séance est levée.)

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