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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule n° 8 - Témoignages du 19 octobre 2016


OTTAWA, le mercredi 19 octobre 2016

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui, à 16 h 15, pour étudier l'état actuel du système financier national et international.

Le sénateur David Tkachuk (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour et bienvenue à la réunion du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce. Je m'appelle David Tkachuk et je suis le président du comité.

J'ai le plaisir d'accueillir le gouverneur Poloz et la première sous-gouverneure Carolyn Wilkins à nouveau devant le comité. Leur dernière visite remonte au mois d'avril alors que nous avons discuté de leur Rapport sur la politique monétaire.

Je vous remercie tous les deux d'être ici avec nous aujourd'hui pour nous présenter le Rapport sur la politique monétaire — Octobre 2016 de la Banque du Canada qui a été publié ce matin.

Sénateurs, un lien vers le rapport a été transmis à votre bureau et la banque en a également apporté des exemplaires aujourd'hui. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, veuillez en faire part à la greffière.

Monsieur le gouverneur, bienvenue. Vous avez la parole.

Stephen S. Poloz, gouverneur, Banque du Canada : Je vous remercie beaucoup, monsieur le président. Bonjour, chers membres du comité. La première sous-gouverneure Wilkins et moi sommes heureux d'être à nouveau ici devant vous aujourd'hui pour discuter du Rapport sur la politique monétaire que nous avons publié ce matin.

Il s'est écoulé presque six mois exactement depuis notre dernière visite. Un bon nombre des grands thèmes dont nous avons parlé en avril sont toujours pertinents aujourd'hui. L'économie canadienne continue de s'adapter aux faibles prix des ressources dans un contexte de faible demande mondiale. Cette faiblesse, particulièrement aux États-Unis au cours des six premiers mois de l'année, ainsi que les difficultés en matière de compétitivité retardent la croissance des exportations ici au Canada. Dans ce contexte, de nombreuses entreprises continuent d'être réticentes à investir. Ces problèmes ne sont pas nouveaux. Cependant, il y a également eu plusieurs développements au cours des six derniers mois qui ont une incidence sur les perspectives économiques du pays. Permettez-moi de vous fournir certains de ces renseignements de même que les grandes lignes des prévisions économiques actuelles de la banque avant de répondre à vos questions.

[Français]

Le deuxième trimestre de 2016 a été difficile pour l'économie canadienne, qui s'est contractée de 1,6 p. 100 en taux annualisé. Deux facteurs principaux expliquent ce résultat : une baisse importante et généralisée des exportations de biens, et les conséquences des incendies en Alberta. Ces facteurs ont plus que contrebalancé la vigueur observée des dépenses des ménages et des administrations publiques.

Toutefois, l'économie est en voie de se redresser au deuxième semestre de l'année, à la faveur notamment d'un retour à l'exploitation des sables bitumineux et de la reconstruction en Alberta. De fait, la production de pétrole non classique a bondi de presque 20 p. 100 en juillet. De plus, les exportations de biens ont augmenté en juillet et en août, ce qui donne à penser que le troisième trimestre sera solide. Un raffermissement de l'économie américaine devrait permettre aux exportations de biens de regagner une partie, mais pas la totalité, du terrain perdu plus tôt cette année.

[Traduction]

Permettez-moi de consacrer quelques minutes à l'état des exportations parce que la révision des prévisions en matière d'exportation était au centre de nos délibérations, comme discuté ce matin. Même si les exportations de marchandises sont plus importantes qu'elles ne l'étaient avant la chute spectaculaire qu'elles ont subie entre 2007 et 2009, cette reprise a toujours été en retard par rapport à nos prévisions. Le volume élevé des exportations en 2015 nous a redonné confiance, mais celle-ci a été ébranlée à nouveau durant la première moitié de l'année en cours, lorsque nous avons observé une forte baisse des exportations s'échelonnant sur cinq mois.

Dans notre Rapport sur la politique monétaire de juillet, nous avons proposé ce que nous considérions comme une prévision prudente en matière d'exportation en ce sens que nous avons supposé que les exportations augmenteraient à peu près au rythme de l'économie américaine seulement. Nous avons observé une nette reprise des exportations depuis, mais l'effet net de ces données discontinues est que le niveau des exportations actuel est bien en deçà de ce que nous croyions qu'il serait.

Il est vrai que le commerce international a été étonnamment faible à l'échelle mondiale, et il y a un encadré dans ce rapport où nous offrons plusieurs interprétations de cette situation. En outre, l'économie américaine a été assez faible durant la première moitié de l'année dans des secteurs qui sont très importants pour les ventes à l'exportation du Canada. Pris ensemble, ces facteurs expliquent environ la moitié des baisses de l'exportation par rapport à ce que nous avions prévu. Pour le reste, nous examinons une série de facteurs structurels, comme la perte de capacité d'exportation et les difficultés en matière de compétitivité.

En ce qui concerne ce dernier point, dans le cadre de nos enquêtes, les entreprises ont mentionné un certain nombre de facteurs qui peuvent avoir une incidence sur la compétitivité ou nuire directement aux exportations. Parmi ces facteurs, il y a l'infrastructure déficiente, l'incertitude en matière de réglementation, l'augmentation des barrières au commerce, les coûts relativement élevés de l'électricité et l'incertitude quant aux accords commerciaux actuels et futurs.

Cette analyse suggère que, par rapport à ce que nous croyions auparavant, un plus grand nombre de nos lacunes en matière d'exportation sont attribuables à des problèmes structurels plutôt que de nature cyclique. Voilà ce qui nous a amenés à conclure dans notre décision de septembre que les risques entourant nos prévisions d'inflation de juillet étaient orientés à la baisse. Nos dernières prévisions intègrent, par conséquent, une faiblesse permanente des exportations compte tenu de notre compréhension des données fondamentales afin de rééquilibrer les risques en matière de prévision. Cela réduit la valeur prévue du PIB d'environ 0,6 p. 100 d'ici la fin de l'année 2018 par rapport à notre prévision de juillet.

Une telle réduction de nos perspectives en matière d'exportation peut sembler étrange compte tenu de la dépréciation du dollar canadien par rapport au dollar américain, mais la monnaie de certains de nos concurrents a aussi connu une forte dépréciation. Par exemple, le peso mexicain a chuté de plus de 30 p. 100 par rapport au dollar américain depuis le milieu de 2014, tandis que le dollar canadien a perdu moins de 20 p. 100 au cours de la même période. Ainsi, tandis que le taux de change continuera de soutenir le niveau actuel des exportations canadiennes, la majeure partie des répercussions sur la croissance des exportations se sont probablement déjà fait sentir.

La faiblesse des exportations devrait entraîner une légère réduction des investissements des entreprises au pays. Cependant, certains signes semblent indiquer que le pire est peut-être derrière nous en ce qui a trait aux investissements. Notre enquête la plus récente menée auprès des entreprises canadiennes a révélé que bon nombre d'entre elles croient que les activités liées aux ressources pourraient être près d'un creux. Les entreprises du secteur des ressources s'attendent à ce que leurs ventes se stabilisent ou augmentent légèrement au cours de la prochaine année. Dans l'ensemble, un plus grand nombre d'entreprises, par rapport aux résultats des récents sondages, disent vouloir augmenter leurs dépenses d'investissement au cours des 12 prochains mois.

[Français]

Les dépenses des ménages ont continué de soutenir l'économie : l'emploi et les revenus poursuivent leur progression à l'extérieur des régions où le secteur de l'énergie est fortement présent, surtout dans les secteurs liées aux services. La politique monétaire expansionniste de la banque continuera d'amortir l'incidence sur la richesse et le revenu découlant de la baisse des prix des ressources.

L'instauration de l'Allocation canadienne pour enfants devrait donner une impulsion additionnelle aux dépenses des ménages au deuxième semestre de l'année. En outre, les dépenses d'infrastructure du gouvernement fédéral annoncées dans le budget de 2016 devraient commencer à faire sentir leurs effets. Nous continuons de prévoir que ces mesures ajouteront globalement environ 1 p. 100 au niveau du PIB du Canada au cours de l'exercice de 2017-2018.

[Traduction]

Un nouveau développement que j'aimerais également souligner concerne les mesures prises par le gouvernement pour promouvoir la stabilité dans le marché du logement. Comme les prix des maisons sont encore élevés dans la région de Vancouver et que la revente et la vente de maisons neuves demeurent fortes dans les environs de Toronto, ces mesures devraient freiner les activités de revente à court terme. Selon notre analyse et les données antérieures, ces mesures devraient permettre de réduire la valeur du PIB d'environ 0,3 p. 100 d'ici la fin de 2018, bien qu'il y ait beaucoup d'incertitude concernant cette estimation. Bien que le niveau d'endettement des ménages ait continué d'augmenter, ces mesures devraient aider, avec le temps, à freiner l'augmentation des vulnérabilités économiques liées à l'endettement des ménages et au logement.

Tout compte fait, nous nous attendons maintenant à ce que la croissance moyenne au cours des troisième et quatrième trimestres de cette année soit d'environ 2,5 p. 100, ce qui est inférieur à nos prévisions de juillet. Cette réduction tient compte de la révision à la baisse des exportations, du repli en matière de logement et du léger report des échéances relatives aux mesures d'infrastructure du gouvernement fédéral qui fait en sorte que certains effets ne se feront sentir qu'en 2017.

Nous avons revu à la baisse notre estimation de croissance pour cette année qui est maintenant de 1,1 p. 100. La croissance en 2017 et 2018 devrait être d'environ 2 p. 100, ce qui est plus élevé que le taux de croissance de la production potentielle. Cependant, parce que l'écart de production actuel est un peu plus grand que nous l'avions prévu et qu'il sera comblé plus tard que prévu, soit en juillet, le profil d'inflation est maintenant légèrement inférieur. Nous prévoyons que l'inflation de l'indice du coût de la vie ou l'IPC totale demeurera sous la barre des 2 p. 100 jusqu'à la fin de cette année, comme les pressions inflationnistes provenant d'un taux de change faible seront plus que compensées par les pressions désinflationnistes liées à la capacité excédentaire et aux fluctuations des prix de l'essence qui s'opèrent année après année. L'inflation totale devrait être proche de la cible de 2 p. 100 en 2017 et 2018, bien que légèrement en dessous.

Comme toujours, il y a un certain nombre de risques entourant ce scénario de base. Il y a notamment les risques que les investissements des entreprises et les dépenses des ménages soient faibles, que la croissance des marchés émergents soit lente, que la croissance de l'économie américaine soit forte et que les prix du pétrole augmentent. Nous jugeons que ces risques touchant notre profil d'inflation sont à peu près équilibrés à l'heure actuelle. Je tiens à souligner, sénateurs, qu'avec la publication de ce RPM, nous avons changé la façon dont nous présentons ces risques. Nous faisons maintenant un compte-rendu de la manière dont nous voyons l'évolution des différents aspects des risques et nous présentons les indicateurs que nous surveillons pour évaluer ces risques. Je vous invite à y jeter un coup d'œil.

Cela dit, monsieur le président, Carolyn et moi serions heureux de répondre à vos questions.

Le président : Merci beaucoup. Plusieurs sénateurs souhaitent poser des questions.

Le sénateur Massicotte : Je vous remercie d'être parmi nous aujourd'hui. Je tiens à souligner, M. Poloz, que les choses ont été très éprouvantes pour vous depuis que vous occupez le poste de gouverneur. Cela n'a pas été facile avec tous ces bouleversements. Je vous remercie de votre persévérance et de votre courage.

[Français]

Ma copie du rapport ne comprend pas le résumé. Habituellement, le résumé comporte deux ou trois pages, si je ne me trompe pas? Je n'ai pas le résumé. Est-ce une exception ou est-ce que cela fait partie du plan de communication? C'est peut-être ma copie.

Depuis plusieurs années, je remarque, et nous ne sommes pas le seul pays, que nous sommes confrontés à un défi de taille : maintenir une croissance constante comme dans le bon vieux temps. C'est peut-être une question de démographie, une question d'absorber le choc de 2008-2009. Le passé est-il garant du futur? Est-il possible que nous vivions la même expérience que le Japon où depuis 20 ans il n'y a eu aucune augmentation salariale, aucune croissance importante?

Il y aurait peut-être un conseil qui rendrait les Canadiens et Canadiennes plus optimistes, mais chaque fois il y a des nouvelles négatives. Que nous réserve l'avenir? Pouvons-nous envisager l'avenir avec optimisme ou si dans six mois, encore une fois, on nous dira que la croissance est trop élevée, et dans 10 ans ou 15 ans, on nous formulera de belles théories après les faits? À ce point-ci, nous ne sommes pas en contrôle.

M. Poloz : Il y a un grand débat dans la profession concernant cette question. Notre interprétation est que l'économie mondiale fait face aux suites de l'expérience de 2007-2008. C'était une crise extraordinaire en termes de levier du niveau de dette. Il faut beaucoup de temps pour corriger les problèmes sous-jacents. Vous avez mentionné la crise au Japon et ce qui arrive 20 ans plus tard. C'était plus ou moins la même chose, des problèmes découlant de l'endettement des ménages qui était trop élevé. Après la crise au Japon, il y a eu un processus extrêmement lent pour remédier aux problèmes sous-jacents dans le milieu bancaire.

Par contre, aux États-Unis, ils ont réagi très rapidement en apportant des solutions à ces problèmes. En Europe, le processus est beaucoup plus lent. Vous voyez, par conséquent, la différence entre les économies.

Pour notre part, nous dépendons des performances de l'économie mondiale plus que ces autres pays. Nous n'avons pas de crise. Le système bancaire a été très fort durant cet épisode et il l'est encore aujourd'hui. Le seul problème est la demande extérieure. C'est pourquoi nous mettons l'accent sur les exportations et la performance. Les résultats sont décevants depuis quelques années. Toutefois, nous pensons comprendre la majorité de ces fluctuations — peut-être pas entièrement, comme je l'ai mentionné. Au fond, je crois que les ingrédients de la reprise globale sont là. Il faut être très patient, car il faudra plus de temps.

Le sénateur Massicotte : On a entendu les commentaires de Mme Yellen cette semaine au sujet des dommages causés en 2008-2009 en ce qui concerne le taux de chômage élevé. Des gens ont quitté le marché du travail souvent pendant quelques années. Comme on le sait, une absence sur le marché du travail de trois à six mois entraîne la perte d'avantages en technologie et en connaissances, ce qui rend la situation très difficile. Elle propose même de prendre le risque politique et monétaire de surchauffer l'économie afin de rattraper les retards. Le Canada envisage-t-il une telle démarche? Cette démarche serait-elle bénéfique compte tenu de notre contexte économique?

M. Poloz : Il est évident que nous n'en sommes pas rendus à ce point aujourd'hui. Nous accusons un retard par rapport à l'économie américaine à cause du choc pétrolier. Auparavant, nous étions presque dans la même situation.

Il est vrai qu'un cycle très prolongé, comme celui-ci, laisse des cicatrices.

Mme Wilkins pourrait sans doute élaborer à ce sujet. Ce n'est pas une question qui nous concerne aujourd'hui. Il faut d'abord réduire l'écart entre la capacité et l'économie avant d'étudier cette question en profondeur.

Carolyn Wilkins, première sous-gouverneure, Banque du Canada : De toute évidence, avec la crise qu'on a vécue et le taux de chômage qui a monté puis reculé, on se demande si certains travailleurs sont découragés et ne travaillent pas autant qu'ils le souhaiteraient. Si l'économie connaissait une croissance un peu plus élevée, on pourrait aider ces personnes à réintégrer le marché du travail puisque leur recherche d'emploi serait plus fructueuse. Ce qu'on doit faire au Canada, — et c'est ce que Mme Yellen doit faire aux États-Unis — c'est d'examiner en profondeur les données du marché du travail. On peut le faire de plusieurs façons. On peut examiner le taux de chômage, qui se situe à seulement 7 p. 100, et voir si on a un autre indice qui tient compte du chômage à long terme, soit le taux d'activité chez les personnes qui sont dans leurs années actives maximales ou d'autres données de ce genre, pour connaître l'équivalent en taux de chômage. Actuellement, l'indice se situe à environ 7,6 p. 100. Comme vous voyez, l'écart sur le marché de travail est plus grand que ne semble l'indiquer le taux de chômage régulier. Cela s'explique en partie lorsqu'on examine la situation des jeunes. C'est un exemple que l'on trouve particulièrement intéressant. Leur taux d'activité est plus bas maintenant qu'il ne l'était avant la crise. Ce phénomène est en partie attribuable au fait que plus de personnes poursuivent leurs études après le secondaire. Évidemment, ce n'est pas le cas pour toutes ces personnes. On dit qu'environ 120 000 personnes — et ces données sont très approximatives — sont découragées par leur situation. Une croissance supérieure et une économie plus forte favorisent l'insertion à l'emploi de ces personnes et leur permettent de développer leur potentiel.

[Traduction]

La sénatrice Wallin : Merci beaucoup de votre présence. J'ai quelques questions concernant les deux secteurs clés que vous avez mentionnés : le logement et le marché d'exportation. D'une certaine manière, il s'agit de la même question que celle qui a été posée concernant la sensibilité de vos outils et votre capacité à intervenir dans ces deux secteurs.

Vous accueillez favorablement la récente décision du gouvernement concernant les prêts hypothécaires visant à rendre l'admissibilité un peu plus difficile. Vous dites que cela réduit la vulnérabilité, mais vous admettez aussi que les dépenses sont moins importantes dans ce secteur. Cela compliquera les choses pour les gens à la retraite. Nous ne savons pas quels seront les avantages, s'il y en a, pour la génération Y qui ne semble pas souscrire à l'idée de propriété. La S.C.H.L. affirme que le marché du logement représente maintenant un risque important.

Dans votre propre cadre de gestion des risques, quels sont les outils que vous utiliserez pour faire face à l'issue de cette situation qui est assez incertaine? Plus tôt, vous avez dit que vous envisageriez même le recours à un taux d'intérêt négatif. Envisagez-vous toujours cette possibilité? Pensez-vous que nous pourrions en arriver à cela?

M. Poloz : C'est un cadre assez grand. Nous concentrons la plupart de nos analyses sur le marché du logement et notre endettement dans notre Revue du système financier, qui sera publiée en décembre. Mais dans plusieurs numéros consécutifs, nous avons souligné les risques liés à un marché du logement vigoureux et à l'endettement qui y est rattaché. C'est l'endettement qui nous préoccupe le plus parce que cela signifie que lorsque vous avez ces vulnérabilités, s'il y a un catalyseur qui engendre des risques — un catalyseur peut être, par exemple, un nouveau ralentissement de l'économie mondiale, ce que le Canada ressent immédiatement, qui entraînerait une réduction des prix des matières premières et une hausse du chômage — vous avez des gens en difficulté en raison de leur prêt hypothécaire. Ce qui se passe est que le choc mondial est amplifié au Canada et que nous pourrions avoir une récession beaucoup plus importante qu'en temps normal, parce que la dette crée un cercle vicieux.

C'est la raison pour laquelle nous nous en soucions et que nous accueillons favorablement ce genre de changement, car un changement de politique macroprudentielle, comme nous appelons cela, réduit ou atténue ces risques futurs de manière indépendante, parce que, à l'avenir, quelle que soit la dette accumulée, elle sera de meilleure qualité. Cela se traduira par un plus gros versement initial ou une hypothèque plus petite par rapport à votre revenu, ce genre de chose, de manière à ce que vous puissiez mieux vous en sortir si un problème devait se produire. Cela réduit la vulnérabilité. C'est dans ce sens que nous appuyons ces mesures.

Indépendamment de cela, il y a le rendement économique en arrière-plan. L'économie, à l'heure actuelle... comme nous l'avons déjà dit aujourd'hui, en parlant du fait qu'il y a eu assez de facteurs négatifs au cours de la dernière période, avec les révisions liées aux exportations principalement, pour au moins discuter de la possibilité de baisser les taux d'intérêt encore davantage.

Étant donné que les taux d'intérêt sont déjà très bas, oui, nous avons parlé des outils que nous pourrions utiliser dans notre trousse d'outils, s'il y avait un ralentissement important de l'économie. Ce n'est pas facile à expliquer, mais nous n'avons vraiment pas beaucoup de marge de manœuvre avec les outils standard. C'est ce que nous appelons une trousse d'outils non conventionnels, qui comprendrait des éléments comme les indications prospectives. Habituellement, cela est utilisé pour essayer d'influencer les taux d'intérêt à long terme pour stimuler un peu l'économie ou l'achat d'actifs au moyen du taux d'intérêt, ce que nous appelons étrangement l'assouplissement quantitatif, et les taux d'intérêt négatifs font partie de cette trousse d'outils.

Nous ne pensons pas à cela dans la situation dans laquelle nous nous trouvons. Nous croyons que la reprise prend progressivement son élan. C'est simplement qu'elle ne cesse d'être frappée par de nouveaux épisodes d'incertitude comme ce dont nous avons parlé ce matin. Mais ils demeurent dans notre trousse d'outils et si c'est ce dont la situation a besoin, nous devrons y avoir recours.

Heureusement, cette année, nous avons eu une augmentation des dépenses budgétaires prévues, ce qui a fait une différence notable dans ce calcul, où l'économie est relative à son potentiel.

La sénatrice Wallin : Si je peux aborder la question suivante, qui concerne la situation de l'exportation, qui, encore une fois, nous rend très vulnérables; nous ne savons pas comment cela va fonctionner. Comme vous le dites, ces chocs nous prennent parfois par surprise.

Cela nous ramène donc à la même question, c'est-à-dire la politique sur le logement; ce nouveau régime hypothécaire entraîne ces effets négatifs — je connais les effets positifs, mais il y a aussi des effets négatifs — à un moment où la plupart des avantages du commerce mondial ont déjà été pris en considération et où quelques-unes des ententes sont en difficulté — c'est le moins qu'on puisse dire — alors à quel point êtes-vous prêt à utiliser la trousse d'outils à laquelle vous n'avez recours qu'en périodes très difficiles?

M. Poloz : Dans notre dernière mise à jour, nous avons été très judicieux dans la nouvelle manière de penser aux perspectives d'exportation. Nous avons pris près de la moitié des nouvelles que nous avons reçues cette année et nous les avons traitées comme s'il s'agissait d'une baisse permanente des exportations par rapport aux valeurs de base, ce qui est une façon très différente de voir les choses, parce que nous nous sommes dit que la situation allait finalement se rétablir, mais cela pourrait être en raison des entreprises que nous avons perdues qui ne contribuent plus aux exportations ou de ces problèmes de concurrence que nous avons soulevés.

Nous avons fait cela, ce qui signifie que ces faibles volumes d'exportation devraient augmenter à peu près au même rythme que la croissance de l'économie américaine. Donc, si nous pouvons maintenir nos parts dans l'économie américaine, alors nous connaîtrons une croissance; c'est un ensemble très conservateur d'hypothèses. Vous avez raison de dire que cela est risqué. Nous devons observer ces données attentivement, et c'est la principale variable qui pourrait nous décevoir, car elle est assez importante.

En ce qui concerne le logement, nous avons jugé, essentiellement, qu'il ne contribuerait pas positivement à l'économie et qu'en fait, il la freinerait l'année prochaine en raison de ces changements. Cependant, je tiens à rappeler à tout le monde que c'est comme le coût de certaines assurances. Lorsque vous souscrivez une assurance pour votre maison, vous ne vous dites pas : « Zut, j'aurais préféré ne pas dépenser cet argent ». Elle vous permet de vous préparer en cas d'incidents ou de problèmes. Cela pourrait faire beaucoup de tort à l'économie, si nous laissions les choses aller.

La sénatrice Wallin : Je comprends, merci.

Le président : J'ai quelque chose à ajouter sur la question du logement. Il y a la controverse du prix élevé des logements à Vancouver et à Toronto, mais les faibles taux d'intérêt incitent les gens à investir dans le logement, et compte tenu des taux hypothécaires à 2, à 3 et à 3,25 p. 100 pendant 20 ans, pourquoi pas? Vous ne pouvez plus mettre cet argent en banque pour obtenir des intérêts de 5 p. 100, donc si vous avez l'argent, vous allez vous en servir; et maintenant on met en cause les Chinois. Ne sommes-nous pas en partie responsables de la facilité avec laquelle les personnes peuvent s'acheter une maison, ce qui entraîne une hausse des prix?

M. Poloz : Presque tout ce que vous dites est tout à fait vrai, et peut-être tout, en fait.

Le président : Votre faute.

M. Poloz : La politique monétaire existe pour nous aider à stabiliser l'économie quand les choses tournent mal. Nous utilisons notre cible d'inflation comme ancre pour nous aider à déterminer à quel moment il faut intervenir. Si l'économie ralentit, nous ne pouvons atteindre nos objectifs d'inflation; nous réduisons donc les taux d'intérêt afin de stimuler l'économie. Et bien sûr, lorsque nous réduisons les taux d'intérêt, nous espérons justement que quelqu'un va s'acheter une maison un peu plus tôt que prévu, que quelqu'un va s'acheter une voiture, ce qu'il n'aurait pas fait autrement, et la dette augmente et comble cet écart, ce qui rétablit l'économie. Et les entreprises investissent aussi davantage parce que le coût d'emprunt est plus faible. Cela fait partie de la politique monétaire. C'est toujours vrai et l'a toujours été.

Cependant, cette fois-ci, la situation dure depuis plusieurs années et ces distorsions, si on peut les appeler ainsi, commencent à s'accumuler et pourraient poser un problème pour l'avenir s'il y avait un catalyseur. Comme nous l'avons dit, c'est comme si un arbre dans votre cour avait une entaille. L'arbre paraît bien, mais une tempête violente s'abat sur votre région et vous réalisez à quel point il était vulnérable.

Vous avez raison, mais à la base, il s'agit d'une décision personnelle prise devant le prêteur, n'est-ce pas? L'emprunteur et le prêteur se rencontrent. Ils discutent des produits financiers et ils prennent une décision. Ce n'est pas à nous de changer cela. L'offre de logement, bien entendu, c'est une tout autre question.

Elle alimente ce processus, mais il faut souligner que, depuis la crise, tous les pays ont mis au point un ensemble d'outils macroprudentiels. Donc, les nombreux changements apportés à la règle hypothécaire au cours des dernières années, et surtout le dernier, visent à faire augmenter progressivement la qualité de la dette sous-jacente de manière à pouvoir mieux résister à ces chocs.

Cela a effectivement rendu notre système beaucoup plus sûr qu'il l'était en 2007. Et on sait qu'il s'est très bien comporté durant la crise; il est donc encore plus sûr aujourd'hui. Cela, si vous voulez, est un investissement dans la résilience, ce qui signifie que la croissance future de l'économie sera plus durable qu'elle ne l'aurait été autrement.

Le sénateur Black : Merci à vous deux d'être ici. Si le président le permet, j'aurais quelques questions. Une de ces questions m'est venue, monsieur le gouverneur, lorsque vous avez fait votre déclaration, et il s'agit d'une question plus difficile, mais je pense que certains Canadiens se la posent. Je pense pouvoir la formuler comme ceci : En tant que gouverneur, avez-vous confiance dans les prévisions de la banque et croyez-vous que les Canadiens devraient s'y fier, compte tenu du fait qu'elles semblent changer tous les trimestres?

M. Poloz : Eh bien, comme j'ai fait mes premiers pas à la Banque à titre de prévisionniste, il y a longtemps, j'ai eu le privilège de me pencher, pour ainsi dire, intimement sur cette question, comme c'est également le cas de Carolyn. Je pense que ce qu'il en ressort, pour nous, est que nous savons comment poser les questions et orienter les autres aspects sur lesquels nous devrions nous pencher, et ainsi de suite. Il ne s'agit tout simplement pas d'un processus mécanique, comme lorsqu'un ordinateur nous dit ce qui va se produire. C'est un processus très subjectif qui s'appuie sur ce type d'outils.

Depuis la crise en marge de laquelle l'économie s'est transformée à un point tel que l'on s'est demandé si les modèles pouvaient véritablement permettre de la gérer, nous avons traversé une période particulièrement difficile. Nous avons dû nous adapter à la volée, créer des modèles satellites ou apporter de petites modifications et rehausser l'importance que nous accordions aux observations empiriques, qu'il s'agisse de discussions avec les entreprises, de discussions avec les décideurs, de sorte que nous puissions mieux comprendre ce qui se passe.

Je continue d'adhérer à cette formule, à titre de processus. Nous ne pouvons élaborer de politiques sans celui-ci et nous ne cessons de le bonifier. Peut-être Carolyn aura-t-elle quelque chose à ajouter.

Le sénateur Black : Vous avez donc confiance?

M. Poloz : Nous avons confiance. J'ai confiance.

Mme Wilkins : J'aimerais simplement dire que je considère qu'il s'agit d'une question difficile, mais comme nous devons rendre des comptes, elle est juste. Nous avons accompli du travail sur les sources de nos prévisionnistes et nous les avons publiées sur le Web. Une note d'analyse porte précisément sur cette question, parce qu'il est important pour nous de dire que chaque prévisionniste commet une erreur, mais que l'on commence à s'interroger lorsque nos erreurs vont dans le même sens. Nous constatons que notre erreur a généralement puisé sa source dans l'économie américaine, alors que nous avons simplement sous-estimé la force des vents contraires qu'évoquait le gouverneur. En même temps, nous avons été frappés par d'autres chocs que nous n'avions pas vus venir, comme le choc pétrolier. Le choc pétrolier...

Le sénateur Black : Ou les incendies. Nous comprenons.

Mme Wilkins : Oui, les incendies et les problèmes budgétaires américains qui semblent survenir tous les ans, à la fin du trimestre.

Le sénateur Black : Je voulais simplement m'assurer que vous aviez confiance.

Mme Wilkins : Oui et je dirais donc que du point de vue de la croissance, c'est un aspect dont nous avons tenu compte. Lorsque l'on examine les prévisions en matière d'inflation, les révisions apportées à celles-ci ont été beaucoup plus petites et en fait, pour l'essentiel, sur l'ensemble de la période à l'égard de laquelle nous fixons des cibles en matière d'inflation, nous avons maintenu ces prévisions dans une fourchette cible de 1 p. 100 à 3 p. 100. C'est manifestement notre objectif ultime. C'est la raison pour laquelle nous nous attardons à la croissance.

Nous ne prenons pas les erreurs que nous commettons à la légère, mais nous leur accordons indiscutablement de l'attention et nous croyons fermement que nos prévisions vont dans le bon sens.

Le sénateur Black : Très bien, merci.

Aux États-Unis, comme nous le savons, la réserve fédérale publie le procès-verbal de ses délibérations. Avez-vous envisagé la possibilité d'en faire autant?

M. Poloz : Nous discutons de cette question à l'occasion. En fait, les banques centrales ont modifié leur approche en matière de communication de manière relativement significative, au cours des 10 à 15 dernières années. À de nombreux égards, la banque a été parmi les chefs de file en matière de mesures comme celles qui consistent à tenir une conférence de presse en marge des décisions. Nous procédons de cette façon depuis un certain temps et plus récemment, pour d'autres banques centrales.

L'idée de publier des procès-verbaux présente un certain nombre d'avantages. Elle présente également des inconvénients, dans la mesure où ceux-ci tendent à être épurés ou qu'il s'avère en définitive très difficile d'en tirer quoi que ce soit. Vous pouvez imaginer ce à quoi ressembleraient ces réunions si nous savions que chaque mot prononcé s'y retrouverait, comme c'est le cas des propos que nous échangeons aujourd'hui. Cela signifierait que ces rencontres deviendraient plus formelles et délaisseraient quelque peu le format du dialogue ou du débat que l'on aimerait véritablement avoir, comme celui que nous avons eu la semaine dernière, lorsque nous devions décider ce que nous ferions aujourd'hui. Mon sentiment est que les avantages que présente le fait de dialoguer librement autour de la table et d'échanger des points de vue, en toute égalité, s'avèrent extrêmement utiles pour nous.

Dans certaines institutions, votre présence à la table constitue une représentation à caractère géographique, comme c'est le cas en Europe ou aux États-Unis. Il en résulte donc un niveau additionnel de responsabilité. Comment nous avez-vous représentés lors de cette conversation? Et le procès-verbal constitue, en fait, un mécanisme qui permet de contrôler cette responsabilité.

Nous n'assumons pas un tel fardeau, lorsque nous nous retrouvons ensemble. Nous sommes tous égaux. Nous sommes des économistes. Fort de cette information, nous pouvons tenir un véritable débat et en ressortir unis, en faveur de la décision que nous avons prise conjointement, de sorte qu'il n'y a ni vote ni dissension, rien de ce genre. Personnellement, je suis d'avis que ces avantages ont un effet cumulatif important et qu'ils sont mésestimés ailleurs.

De surcroît, d'autres gestes que nous avons posés sur le plan de la transparence sont préférables à celui qui consisterait à publier un procès-verbal, comme lors de notre discussion d'aujourd'hui, qui porte sur notre décision. Nous commençons par une déclaration préliminaire qui vise à combler l'écart entre le Rapport sur la politique monétaire, qui représente l'analyse complète et la décision, qui prend la forme du communiqué de presse. Entre-temps s'est écoulée une semaine de questions, de fouilles, de réfutations et d'argumentations et tous ces éléments sont synthétisés — même si, manifestement, nous ne faisons pas état de l'ensemble de ce processus — de manière à exposer ceux qui, selon nous, sont les principaux enjeux auxquels nous nous sommes attardés de manière à ce que chacun puisse comprendre comment nous en sommes venus à cette décision. Si l'on devait tenter de remplacer cette démarche par la publication d'un procès-verbal, il serait très difficile de déterminer, en se référant à ce dernier, comment les choses se sont véritablement déroulées. Je pense que l'on comprendrait moins bien.

Le sénateur Black : Merci beaucoup. Cela a été très utile.

Le sénateur Lang : Merci d'avoir fait cette mise au point. Elle est indiscutablement très prudente et il ne s'agit pas en fait d'un aperçu positif de l'économie telle que nous l'observons aujourd'hui au Canada. Pour être bien franc, je ne suis pas surpris. Je ne pense pas que la plupart des Canadiens le seraient non plus.

J'ai récemment pris connaissance d'un certain nombre d'articles publiés dans la section des informations financières de divers journaux et autres publications, de déclarations selon lesquelles la Banque du Canada avait commencé à assumer un rôle de meneur de claque des politiques gouvernementales. Je ne sais pas si cela est vrai ou non, mais peut-être souhaiteriez-vous formuler un commentaire à cet égard.

Dans la mise au point, je me suis surpris de constater que l'on ne traitait pas véritablement de la question du financement par endettement du gouvernement et des répercussions à long terme d'une relance par de tels déficits budgétaires très importants.

On rapporte que le ministre a changé de position, le budget équilibré prévu ayant, en moins d'un an, été remplacé par un déficit prévu de 29,4 milliards de dollars, si l'on se fie aux chiffres annoncés pour la présente année financière, un autre manque à gagner de 29 milliards de dollars étant prévu l'année suivante puis un autre, de 22,8 milliards de dollars, en 2018-2019. Aujourd'hui, nous avons pu apprendre que certains économistes prévoyaient que le déficit pourrait être encore plus élevé, à hauteur de 16,5 milliards de dollars au cours des trois prochaines années, ce qui ajouterait entre 80 à 90 millions de dollars de dette au mandat du gouvernement.

Ma question à la Banque du Canada est la suivante : quelle analyse votre organisation a-t-elle réalisée pour démontrer que le fait, pour le gouvernement, de pratiquer une politique de relance par le déficit budgétaire alors que le Canada n'est pas en récession, ou à tout le moins c'est ce que l'on nous affirme, permettra véritablement de dynamiser l'économie canadienne de manière durable, plutôt que de lui causer du tort? Avez-vous quelque inquiétude que ce soit au sujet de cet important financement par endettement, sur le plan des répercussions qu'il pourrait avoir sur les Canadiens dans l'avenir?

M. Poloz : Permettez-moi tout d'abord peut-être de dire un mot au sujet du commentaire relatif à notre rôle de meneur de claque, assertion que je rejetterais. Nous ne formulons que rarement des commentaires sur les politiques du gouvernement, si ce n'est pour en évaluer les effets macroéconomiques, ce qui relève de notre responsabilité. Comme les changements au plan fiscal auront un effet marqué sur les perspectives économiques, ils ont dès lors une incidence sur la façon dont nous établissons le taux d'inflation. Les choses ne pourraient pas être plus simples que cela.

J'ai moi-même rédigé des articles sur la question du dosage des politiques. Lorsque l'on se retrouve en présence d'une économie dont le rendement demeure bien en deçà de son potentiel, pendant une longue période, c'est généralement aux responsables des orientations politiques qu'il incombe de trouver une façon de contribuer à combler cet écart. Si l'on a recours au mécanisme de la politique monétaire, l'effet est tel que celui dont nous avons discuté plus tôt, c'est-à-dire des taux d'intérêt peu élevés et une accumulation de l'endettement par le secteur des ménages. Si l'on a recours au mécanisme de la politique fiscale, les taux d'intérêt ne sont pas aussi faibles et on procède alors par une accumulation de cet endettement par le secteur public. Il convient donc de s'interroger quant à celui de ces deux types d'endettement qui s'avère le plus inquiétant au vu de la situation dans laquelle nous sommes actuellement.

La situation à laquelle nous sommes confrontés en est une de sortie de crise, alors que nous éprouvons de la difficulté à surmonter une période marquée par la faiblesse de l'économie mondiale, à laquelle s'ajoutent les répercussions du choc pétrolier, qui représente un changement énorme pour le Canada, puisque ce sont des revenus de 60 milliards de dollars qui se sont envolés.

Telle est la situation dans laquelle nous nous retrouvons et les responsables des orientations politiques doivent faire un choix quant à leur dosage. Mes commentaires ont porté sur cette question. En l'espèce, les taux d'intérêt sont pratiquement aussi faibles qu'ils pourraient l'être avant que l'on ne se retrouve dans une situation tout à fait atypique.

Un ouvrage entier a été consacré à cette situation, en 1936; on y explique que c'est dans ce genre de situation que la politique monétaire commence à perdre de son efficacité et que la politique fiscale offre une efficacité maximale. Si l'on procède à une comparaison rigoureuse des deux types d'endettement évoqués plus tôt, l'incidence des mesures fiscales fédérales serait nettement plus significative sur l'économie et aurait des effets bénéfiques beaucoup plus marqués que si l'on devait tenter de favoriser l'endettement du secteur des ménages, en abaissant encore plus les taux.

Il s'agit donc tout simplement d'un choix et nous avons tenté d'être clairs quant aux répercussions de ces approches sur l'économie. Je pense que tous les économistes s'entendraient sur le fait que dans un tel contexte, la relance budgétaire aura une incidence marquée sur l'économie et nous sommes sur le point de l'observer au cours des 6 à 12 prochains mois. Nous constaterons les effets de l'augmentation de la prestation aux enfants et du programme d'infrastructure que le gouvernement a mis en place. Je ne pense pas véritablement qu'il s'agisse là d'une question qui fasse débat.

Quant aux déficits, nous nous en soucions, bien évidemment. Cependant, si l'on tient compte du contexte que je viens d'exposer, l'endettement fédéral canadien est l'un des plus faibles du monde. S'il est possible d'avoir recours à cet outil, personne ne pense que cela doive durer éternellement. Nous pensons que notre économie et que l'économie mondiale sont en voie de se remettre en route.

Le sénateur Enverga : Merci, gouverneur Poloz, d'avoir comparu devant nous aujourd'hui. J'ai lu toutes vos notes. J'ai quelques questions au sujet de nos relations avec la Chine et de notre dépendance croissante par rapport à ce pays. Le gouvernement actuel a clairement fait état de son intention de multiplier nos liens avec la Chine. On entend des nouvelles et des prédictions tout à fait alarmantes au sujet du ralentissement économique chinois et de la menace d'une imminente explosion de la dette dans ce pays, chose dont nous espérons tous qu'elle ne surviendra pas. Cependant, les chiffres sont tout à fait impressionnants, lorsque l'on s'attarde au ratio de la dette au PIB, lequel est passé de 150 p. 100 à 260 p. 100, au cours de la dernière décennie.

Ma question est la suivante : quel effet cette explosion de la dette, même si elle devait être modérée dans certains secteurs, aura-t-elle sur notre économie ici, au Canada, et que fait la Banque du Canada pour minimiser d'éventuelles répercussions négatives?

M. Poloz : Je ne serais pas parmi ceux qui prédisent une explosion de la dette, comme vous la décrivez. Manifestement, l'économie chinoise passe actuellement par une phase où elle accumule l'endettement plus rapidement que son économie ne croît. C'est également, soit dit en passant, le cas du Canada quant à l'endettement du secteur privé. Telle est notre situation depuis un certain temps déjà.

Comme je viens de le décrire, les enjeux sont similaires. Peut-être le mécanisme est-il différent. Dans le cas de l'économie chinoise, celle-ci passe actuellement par une restructuration importante, une réorientation de son économie de manière à ce que celle-ci soit beaucoup plus axée sur la consommation intérieure et qu'elle progresse dans la chaîne de valeur. Il s'agit d'une étape qui s'est échelonnée sur une période d'une génération pour des économies comme celles du Canada et des États-Unis, et la Chine tente de réaliser cet accomplissement beaucoup plus rapidement. Dès que cette étape aura été franchie avec succès, cela aura des effets très positifs sur l'économie mondiale.

Aujourd'hui, la Chine est beaucoup plus importante qu'elle ne l'était il y a 10 ans. Il y a 10 ans, un point de pourcentage de croissance en Chine équivalait au double par rapport à son effet sur nos exportations et sur le marché que nous desservons. Je considère donc que tout cela est positif sous réserve, bien évidemment, des risques que vous évoquez. Je comprends ces risques. La situation n'est pas sans contrepartie. Potentiellement, il s'agit d'un problème, de ce que nous pourrions qualifier de vulnérabilité, pour ainsi dire, dans la mesure où nous sommes vulnérables à un choc négatif.

Le sénateur Enverga : Ma deuxième question est également complémentaire.

Dans l'édition d'aujourd'hui du Rapport sur la politique monétaire, on fait état d'une baisse des prévisions de croissance, pour la Chine. Votre rapport fait également état d'échanges commerciaux mondiaux en déclin et du ralentissement des investissements et du commerce, depuis 2012. On y dit ceci :

... en partie par l'incertitude entourant les perspectives de la demande mondiale et par les ajustements structurels ayant lieu en Chine.

Ce soir, nous allons assister à un troisième débat présidentiel dans lequel le prochain président des États-Unis ne se montrera pas ouvertement en faveur du libre-échange. Bien qu'il soit possible que l'économie mondiale recouvre un certain dynamisme, le vote pris à Bruxelles, au cours de la fin de semaine, et les élections américaines laissent tous les deux entrevoir que le soutien à l'égard du libre-échange, à travers le monde, ne s'oriente pas dans le bon sens. Au vu de cette réalité, ne contribuons-nous pas à répandre de faux espoirs lorsque nous laissons entrevoir que le commerce contribuera à régler notre déficit actif incontrôlé? Peut-on affirmer que des impôts et des taxes plus élevées constituent le seul moyen dont on peut affirmer, avec certitude, qu'il permettra de reprendre le contrôle sur le déficit actif?

M. Poloz : Je partage certainement votre inquiétude quant à l'avenir du système commercial mondial. Je m'inquiète de la façon dont se répand le discours protectionniste. Comme je l'ai dit tant officiellement qu'en public, il incombe à tous les décideurs et, en fait, aux employeurs de mieux expliquer à la population en quoi le commerce importe pour leur entreprise, leur emploi et leur moyen de subsistance. Manifestement, cela dépasse cependant largement le cadre de la politique monétaire, quant à ses répercussions sur l'économie.

Mme Wilkins : Je pense que nous sommes en présence de deux questions. L'une tient à la hausse du sentiment protectionniste qui pourrait faire reculer certaines des avancées qui ont été accomplies. Dans notre Rapport sur la politique monétaire, nous traitons de ce qui s'est passé sur le plan des échanges commerciaux mondiaux et de la hausse du protectionnisme qui s'est déjà manifestée. À titre d'exemple, on pourrait citer les quelque 1 500 lois à caractère protectionniste qui ont été adoptées au cours des dernières années.

Il y a lieu de tenir compte d'un autre aspect, lorsque l'on s'interroge sur ce que nous devrions souhaiter. Je pense que lorsque l'on s'attarde à cet aspect, il faut tenir compte de ce qui se produit, au plan structurel, en termes de croissance mondiale. Je pense que les changements démographiques qui se produisent actuellement et qui ralentissent la croissance potentielle, non seulement au Canada, mais ailleurs, importent du fait que tant la croissance mondiale que les investissements sont naturellement appelés à ralentir, emportant avec eux les échanges commerciaux.

Depuis que la Chine s'est jointe à l'OMC, l'autre facteur tient au fait que la croissance des échanges commerciaux a été si marquée au cours des 16 dernières années que l'on ne peut s'attendre à ce que ce type de rattrapage sur le plan du commerce mondial dure. En définitive, cela signifie que, si ce n'est du protectionnisme, nous pouvons penser que les échanges commerciaux continueront de contribuer à la croissance, mais peut-être pas au rythme dont nous avons été témoins par le passé, du fait que le potentiel sera moindre.

Je pense que s'agissant de la Chine, il est tout à fait naturel qu'elle connaisse un ralentissement. Elle vit actuellement les mêmes changements démographiques, mais plus rapidement, en fait, que certains autres pays et sa population en âge de travailler est en baisse. Cependant, comme l'a dit le gouverneur, un taux de croissance de 6 à 6,5 p. 100, dont nous estimons qu'il représente sa croissance potentielle, sur une économie deux fois plus importante, contribue tout de même malgré tout énormément au PIB mondial, annuellement.

Le sénateur Tannas : J'ai lu que la fin de la présente année marquerait plus ou moins la fin du mandat qu'exercerait la Banque du Canada à de nombreux égards. J'aimerais vous demander spécifiquement ce qu'il en est de la cible en matière d'inflation et du taux d'inflation dans une fourchette de 1 à 3 p. 100, qui est le vôtre. Peut-être pourrais-je avancer que je vous soumets une question facile, en l'espèce. Pourriez-vous nous exposer certains des avantages dont vous estimez qu'ils ont été liés à la politique actuelle?

Je lis et j'entends par ailleurs que de nombreux experts et commentaires évoquent un rajustement à la hausse ou à la baisse de cette fourchette. Je conçois que dans le cadre de l'établissement ou de la détermination du prochain mandat, il ne s'agit pas là d'une conversation à sens unique. Quels seraient certains des éléments dont vous pourriez tenir compte alors que vous envisagez de rajuster cette fourchette? Que faudrait-il pour vous convaincre qu'il serait souhaitable de rajuster la fourchette?

M. Poloz : Il est vrai d'affirmer que l'établissement des cibles en matière d'inflation dont nous avons traité, au plan institutionnel, a fait l'objet d'une entente entre la Banque du Canada et le ministre des Finances ce qui, en l'espèce, crée, pour ainsi dire, une responsabilité conjointe à cet égard et, pour nous, une responsabilité directe à ce chapitre. Comme cette entente suit un cycle quinquennal, elle parviendra à son terme à la fin de cette année, de sorte que ce processus est sur le point de se terminer.

Cela est synonyme de cinq années de nouvelles recherches sur les questions, dont plusieurs que vous avez soulevées, de conférences académiques, de travaux académiques, d'articles conjoints, ce genre de chose, pour intervenir à l'égard de ces questions. Nous faisons ensuite une synthèse que nous soumettons au ministre sous forme de proposition avant de faire une recommandation.

Carolyn a indiqué plus tôt que nous nous approchions du 25e anniversaire de ce cadre. Celui-ci remonte à 1991. Ce cadre a véritablement fixé les attentes en matière d'inflation. Il suffit de sortir dans la rue et de demander à quelqu'un qui ne connaît rien en matière d'économie, « Selon vous, quel sera le taux d'inflation? » pour que cette personne vous réponde « Environ 2 p. 100. » En vérité, cette réponse est inestimable puisque l'on peut faire le même exercice dans d'autres pays et ne pas obtenir une telle réponse. Ce qui lui confère son inestimable valeur tient au fait que lorsque la conjoncture est moins favorable, chacun sait que ce repère existe et que la banque centrale s'emploie à le maintenir. Elle ne s'emploie pas à faire quoi que ce soit d'autre.

Admettons qu'il y ait une crise financière et une récession à l'échelle mondiale et que, en raison de cette récession, vous coupez les taux d'intérêt, personne ne doute des raisons de cette décision. Les gens ne pensent pas que vous essayez de faire autre chose. Vous essayez seulement de ramener l'inflation à un taux moins élevé, comme elle doit l'être et y rester. C'est très important parce que cela vous donne une marge de manœuvre.

Des attentes qui ne sont pas ancrées offrent un contre-exemple. Nous avons eu le choc pétrolier, qui était clairement négatif pour l'économie canadienne, et tout aussi négatif pour l'économie mexicaine. Grâce à des attentes bien ancrées, nous avons pu réduire les taux d'intérêt pour atténuer les répercussions sur l'économie. Au Mexique, les dirigeants politiques ont cru nécessaire de hausser les taux d'intérêt lors du même choc pétrolier, même si leur économie était ralentie par le choc. La principale raison est que les attentes n'étaient pas aussi bien ancrées, alors leur marché de changes a interagi avec nous, et la situation est devenue plus problématique.

Voilà les avantages concrets.

Quant à hausser les fourchettes de l'inflation, il y a eu de saines discussions à ce sujet au cours des dernières années. L'essence de cette question se trouve dans la question posée précédemment sur le fait d'envisager des taux d'intérêt négatifs lorsque ces taux sont bas. Supposons que la cible d'inflation soit de 3 p. 100 au lieu de 2 p. 100. Ainsi, lorsque tout est normal, le taux d'intérêt serait de, disons, 4 p. 100 au lieu de 3 p. 100. Vous avez donc un autre point de pourcentage de jeu pour baisser le taux d'intérêt si un événement vient ébranler l'économie, sans atteindre la valeur inférieure de la fourchette. Voilà qui semble être une raison, compte tenu de ce qu'on a vécu, d'envisager de hausser ces fourchettes. Voilà dans quel contexte vous en avez entendu parler.

Le revers de la médaille est que l'expérience vécue au cours des cinq dernières années démontre que les politiques monétaires non classiques fonctionnent vraiment. Avant cela, elles n'avaient jamais été essayées. En 2008, nous pensions que le taux d'intérêt serait à 25 points au plus bas. Maintenant, nous croyons qu'il pourrait être d'un point de pourcentage plus bas encore, au besoin, quelque chose dans cette zone, alors moins de zéro. La marge de manœuvre est assez semblable à celle que vous obtenez en haussant votre cible d'inflation.

Vous demandez s'il est sensé de demander aux ménages et aux entreprises de payer une taxe d'inflation chaque jour, pour toujours, afin de nous assurer d'avoir une marge de manœuvre si un événement qui n'arrive qu'une fois dans une vie se reproduit. Voilà le genre de question que nous avons posée au cours de la recherche menée dans le cadre de ce processus de renouvellement des cibles d'inflation.

Le sénateur Tannas : C'est une question rhétorique, on dirait.

M. Poloz : Mais je dois dire qu'il existe de solides données probantes dans les deux sens. Cette question a été traitée comme une question directe, et non une question rejetée.

Le sénateur Smith : Les économistes parlent depuis des années de la question de la productivité dans notre pays. Depuis 1992, nous occupons une place productive très concurrentielle. Je crois que nous nous classions à la huitième ou dixième place au monde, et nous sommes maintenant rendus à la seizième ou la vingtième place. Bref, notre situation s'est détériorée. Ces dernières années, les revues financières et les rapports financiers ont beaucoup parlé de notre problème de productivité.

Que pensez-vous de la question de la productivité? Avez-vous fait des recommandations au gouvernement ou aux entreprises sur les mesures à prendre pour essayer d'améliorer notre place pour que nous puissions être plus concurrentiels sur les marchés mondiaux?

M. Poloz : La capacité concurrentielle et la productivité vont pas mal ensemble. En économie, ces termes ne sont pas exactement synonymes, mais ils renvoient au même concept du point de vue des affaires.

Cette question a un lien avec quelques-uns des points que j'ai soulevés dans mes observations préliminaires, soit les aspects que les entreprises perçoivent comme les ralentissant ou les empêchant de faire des échanges. Même à l'échelle nationale, il existe beaucoup d'autres obstacles semblables qui les empêchent d'avancer dans leurs activités commerciales. C'est national ou international. Dans les deux cas, il y a des obstacles.

J'ai soutenu que, dans le passé, peut-être lorsque la croissance économique était autour de 3 p. 100, n'importe quelle mesure permettant de hausser le taux de croissance économique du Canada de 0,2 p. 100 par année pour toujours aurait paru intéressante, mais peut-être que nous n'étions pas aussi motivés de retrousser nos manches pour la mettre en œuvre à l'époque que maintenant, parce que, aujourd'hui, nous pensons que le taux de croissance potentiel de l'économie tourne autour de 1,5 p. 100. Cela représente un demi-point de pourcentage ou un peu plus de la croissance de la main-d'œuvre. La moitié vient de la croissance de la main-d'œuvre et l'autre, de la croissance de la productivité qui, comme vous le dites, a été assez lente.

Que peut-on faire pour hausser ce chiffre? Si le taux est de 1,5 p. 100 et qu'il est possible de le hausser de 0,2 p. 100 pour toujours, cette proposition semble beaucoup plus intéressante que lorsque le taux est à 3 p. 100. Voilà pourquoi je soutiens que chaque point décimal compte beaucoup plus maintenant, compte tenu du monde d'aujourd'hui. La liste des mesures à prendre inclurait notamment le libre-échange interprovincial. On parle de 0,2 p. 100 ou à peu près. C'est beaucoup d'argent gratuit pour les revenus des Canadiens. Par des ententes de libre-échange avec les autres, il est possible d'obtenir un taux de 0,1 ou 0,2 p. 100. Il y a une foule d'autres facteurs qui influencent notre capacité concurrentielle.

Mme Wilkins : Lorsque je discute avec des gens d'affaires, je vois quelques points communs intéressants. Les entreprises du secteur des pâtes et papiers et celles du secteur de la technologie peuvent avoir des défis légèrement différents à relever. La liste est longue, mais quelques-uns me viennent à l'esprit.

Nous savons que la création d'entreprises — de jeunes entreprises dont la croissance est rapide — est une réelle source de croissance de la productivité. Le fait qu'il n'y en a pas eu depuis un bout de temps est un obstacle. Il faut examiner les obstacles auxquels se butent les entreprises ou les entreprises en démarrage de ce genre.

Selon ce qu'on me dit, cette situation serait en partie causée par la bureaucratie, si on peut dire, et d'autres facteurs, notamment la difficulté de trouver de bons travailleurs. Sur le plan de la scolarité, les jeunes d'aujourd'hui n'ont peut-être pas exactement les bonnes connaissances ou compétences techniques pour les postes offerts ou n'ont pas assez la fibre entrepreneuriale pour savoir comment transformer une excellente idée, en biotechnique par exemple, en produits concrets à offrir sur le marché.

Un autre obstacle serait que les entreprises en démarrage, surtout celles du domaine de la technologie, ont d'énormes frais fixes. Elles ont besoin de laboratoires et d'ordinateurs puissants pour mettre leurs idées à l'épreuve, et tout cela coûte très cher pour une petite entreprise. Les gens d'affaires à qui j'ai parlé trouvent utiles les centres technologiques qui leur permettent de partager les coûts. Ce sont des questions pratiques, mais elles peuvent parfois faire la différence entre une idée qui grandit et qui avance et une idée qui reste sur la tablette d'un bureau.

M. Poloz : C'est très vrai. Voilà des facteurs qui facilitent la croissance. Je n'ai aucun doute que le conseil sur la croissance de Dominic Barton aura au fil du temps de bonnes idées à nous communiquer. Cependant, voici une question très pratique : les entreprises me disent que l'électricité leur coûte deux fois plus cher à Toronto qu'à Détroit. Ce genre d'obstacles touche directement la capacité concurrentielle.

En tant qu'économistes, nous abordons généralement la capacité concurrentielle en pensant aux salaires et à la productivité, et si les taux de change montent, cela vous aide à équilibrer le tout. Mais il y a beaucoup d'autres facteurs à considérer, comme l'incertitude réglementaire, l'adoption éventuelle d'un accord de libre-échange, et ce genre de choses, et certains aspects pratiques aussi, comme les coûts de l'électricité ou de l'énergie et autres frais réglementaires qui entrent dans l'équation. Les entreprises nous répètent sans cesse qu'elles ne sont pas encore prêtes à investir pour ces raisons, et leur productivité baisse par rapport à ce qu'elle aurait été si elles avaient investi.

Bon nombre de ces facteurs sont des obstacles qui peuvent être éliminés. Nous disposons de ce qu'on appelle des politiques structurelles. Il ne s'agit pas de politiques monétaires ni de politiques fiscales non plus. Ce sont des politiques qui nécessitent des capitaux parce qu'elles entraînent une négociation ou un changement de règles ou autre, alors leur mise en œuvre est longue. J'espère que, étant donné le faible taux de croissance de 1,5 p. 100, les gens verront la plus grande importance de ce type de changements pour notre milieu d'affaires.

Le sénateur Smith : Bien entendu, vous savez que le groupe assis autour de la table a rédigé un excellent rapport sur le commerce interprovincial.

M. Poloz : Oui, je le sais.

Le sénateur Smith : Ma seconde question est un peu différente. Vous avez parlé plus tôt de l'importance du programme d'infrastructures et de l'engagement de 60 milliards de dollars qu'a pris le nouveau gouvernement en fonction de l'engagement de 60 milliards de dollars pris par le gouvernement précédent, ce qui fait en tout un engagement de 120 milliards de dollars.

Faites-vous une quelconque analyse des avantages et inconvénients en matière d'infrastructure et de la façon de mesurer les infrastructures? Notre comité des finances est à mener une étude sur les infrastructures, et nous avons rapidement découvert qu'une partie du problème est d'obtenir les fonds et d'enclencher les projets, mais il y a également un réel problème de mesure. Je me demande comment les banques envisagent toute cette question de mesurer les résultats et de déterminer lesquels auront une incidence sur l'économie.

M. Poloz : Nous envisageons cette question surtout d'un point de vue macro-économique, ce qui ne permet pas d'évaluer chacune des idées. Cela correspond tout à fait à la situation dont je viens de parler. De nombreuses entreprises, avant de parler d'électricité, mentionneront les infrastructures déficientes comme important obstacle pour elles. À quoi pourraient ressembler ces infrastructures? À un train à haute vitesse? À une autoroute à quatre voies au Nouveau-Brunswick pour faciliter la livraison de fruits de mer dans le nord-est des États-Unis?

Le sénateur Day : Ce serait bien.

M. Poloz : Il y en a une, une qui vient d'être terminée, et elle a vraiment permis de stimuler le commerce des fruits de mer.

Voilà le type d'infrastructures qui vise des facteurs pouvant manifestement stimuler la croissance. Je crois qu'il s'agit du seul critère, et je prends réellement l'affaire à cœur. Si c'est le cas, ils vont directement dans le capital-actions commun, qui est un peu comme une entreprise qui investit pour stimuler sa productivité. C'est le capital national partagé, les investissements provenant du secteur public, et cela permet de stimuler la productivité de tous ceux qui utilisent cette infrastructure. Je l'envisage de la même façon.

Nous avons inclus des annonces dans nos prévisions, et elles viendront, d'ici la fin de l'exercice 2017-2018, hausser le PIB du Canada d'environ 1 p. 100, ce qui est une hausse significative.

Le sénateur Smith : Comment en arrivez-vous à ce chiffre?

M. Poloz : Comme il est communément accepté au sein du milieu des économistes, il repose sur la façon dont ces facteurs interagiront dans l'économie. Comme toute chose en économie, il existe une incertitude autour de ces estimations. Certains diront qu'elles pourraient être plus élevées. D'autres soutiendront qu'il peut y avoir des fuites, ce qui aboutira à un PIB moins élevé. Il y a place à la discussion, et nous ne savons jamais exactement, parce que tous ces facteurs influenceront l'économie, et que celle-ci en ressortira plus solide; par la suite, nous tentons d'établir l'ampleur de cette hausse.

À titre d'exemple, un article a été rédigé par l'un de nos sous-gouverneurs, Sylvain Leduc, lorsqu'il travaillait à la Federal Reserve Bank of San Francisco. À cette époque, on analysait l'infrastructure des ponts et des autoroutes aux États-Unis. C'étaient des éléments de base, et il a été démontré qu'au cours d'une période de huit ans, chaque dollar investi dans ces infrastructures avait une incidence économique de plus de 3 $. La raison est que ces infrastructures stimulent la croissance. La question n'est pas seulement de regarder l'argent dépensé, mais ce qu'il permettra d'obtenir d'autre. Ces investissements ont en réalité influencé la courbe de tendance dont j'ai parlé plus tôt. Le 1,5 p. 100 peut devenir 1,6 ou 1,7, et tout cela s'additionne d'année en année.

Ce n'est qu'un article par contre. Il existe aussi beaucoup d'analyses, comme les économistes ont tendance à le faire. Ils peuvent débattre sans fin, mais tout cela aura certainement un effet positif, tant sur le plan de la création d'emplois, mais seulement si ces investissements sont bien ciblés, ce qui, à ma connaissance, est le cas; alors on obtiendra des effets sur la croissance.

La sénatrice Ringuette : Je suis confuse, et vous pourrez peut-être éclairer ma lanterne. Voilà l'enjeu. Pendant des années, on nous a dit que le marché immobilier effervescent de Vancouver, plus que celui de Toronto, quoique cela semble la situation à Toronto aussi, était causé par la propriété étrangère. Soudainement, il semble que le problème de ces deux villes justifie la mise en place d'une politique nationale qui aura probablement une incidence négative sur les autres régions du pays. Je suis surprise de voir dans votre rapport que vous appuyez une initiative nationale, une politique nationale, pour régler une situation qui est surtout celle d'une seule ville de notre pays, et un peu celle de Toronto. À mes yeux, c'est une politique nationale incompréhensible pour aborder deux problèmes ciblés. Cette initiative nuira surtout aux jeunes familles.

Y avait-il d'autres solutions, et avez-vous étudié d'autres solutions pour arrêter la surchauffe des marchés immobiliers de Vancouver et de Toronto?

M. Poloz : Laissez-moi commencer par dire quelques mots sur les éléments de base, et je laisserai la parole à Carolyn.

Il est important pour nous de garder à l'esprit que le Grand Toronto et le Grand Vancouver sont nos deux économies canadiennes dont la croissance est la plus rapide. Si nous pouvions les définir comme une entité, nous verrions qu'elles ont de loin la croissance de l'emploi la plus rapide, la croissance des revenus la plus rapide et, de ce fait, la croissance la plus rapide de la demande en logement. Alors, commençons par cela. Les éléments de base sont très forts.

Lorsque vous avez un marché immobilier dynamique, si tout le Canada connaissait une croissance aussi rapide, on pourrait s'attendre à voir un marché immobilier aussi dynamique partout au Canada; mais nous l'observons un peu dans des régions, la forte croissance de l'immigration, la forte croissance de l'emploi et la forte croissance des revenus créent le point de départ à l'analyse.

Mme Wilkins : Un point de départ solide avec les éléments de base est important pour mettre la question de la propriété étrangère en contexte, qui est ce dont vous parliez surtout concernant Vancouver. Nous avons longtemps dit qu'il était difficile de déterminer à quel point c'était important. C'était certainement un facteur assez important pour que vous exprimiez un commentaire à ce sujet. Il ne me semble pas qu'on puisse tout expliquer de la hausse des prix dans ces villes à partir des éléments de base.

L'autre question est pourquoi une politique nationale lorsque le problème est local? Je crois que vous comprendrez pourquoi en examinant exactement à quoi sert cette politique. Les principaux changements ont été apportés pour qu'un test de tension soit fait afin de voir si les emprunteurs ont suffisamment de revenus pour couvrir leur dette à un taux plus élevé que le taux offert dans leur contrat. Alors, il faudra maintenant le taux affiché. Ce n'est que pour nous assurer que la famille n'aura pas de difficulté à rembourser si les taux venaient à monter pour quelque raison que ce soit. En fait, vaut mieux pour tout le monde que ce soit le cas.

En regardant les chiffres, et nous les avons examiné, les chiffres, une pleine boîte lors de l'examen de notre système financier en juin, on a constaté que le problème était que les gens qui prenaient une hypothèque avaient un taux d'endettement assez élevé. Au-dessus de 44 %, c'est un peu élevé, et cela se traduit par un ratio emprunt-revenu assez élevé, soit un emprunt important par rapport au revenu. Nous avons constaté au cours des dernières années une très forte croissance des ratios emprunt-revenu dans des villes comme Vancouver et Toronto. Ce que cela nous a révélé est que cette mesure en particulier, bien que nationale, est en fait assez ciblée sur un enjeu très précis, soit l'abordabilité de l'emprunt et la qualité de l'emprunt. Voilà pourquoi cette mesure aura une incidence sur les emprunteurs de tout le pays, qui peuvent ne pas être les plus solvables, mais en même temps cette mesure aura probablement le plus d'effet dans les villes où nous avons constaté les plus fortes hausses.

Pour cette raison, je crois qu'il s'agit d'une politique plus appropriée qu'une autre. Le gouvernement a pris plusieurs mesures jusqu'à maintenant. Il a arrêté d'accorder des assurances hypothécaires aux maisons valant plus de 1 million de dollars. Il a pris beaucoup d'autres mesures au fil des ans.

Une autre façon de faire, comme l'a suggéré quelqu'un : pourquoi ne pas simplement hausser les taux d'intérêt? Voilà une mesure qui aurait définitivement une incidence sur tout le monde au pays en touchant tous les prix des biens, et non seulement de l'hypothèque. Une telle hausse affecterait de nombreux secteurs de l'économie : la consommation, le logement, les exportations et l'investissement.

Cet outil macroprudentiel ciblé est l'outil qui convient pour aborder la question de la qualité des emprunteurs.

La sénatrice Ringuette : Monsieur Poloz, avez-vous quelque chose à rajouter?

M. Poloz : Non, je pense que c'était une très bonne explication.

La sénatrice Ringuette : Mme Wilkins a confirmé qu'il s'agissait d'une politique nationale pour régler un enjeu dans deux régions du pays. Le résultat final, je le crains, sera que le marché immobilier des plus petites communautés et des régions rurales en subira les contrecoups négatifs. J'ai beaucoup de réserves.

Je poserai maintenant ma seconde question. C'est une question qui est posée depuis de nombreuses années maintenant, en fait chaque fois que vous êtes devant nous. Je parle de l'état des réserves des grandes corporations du Canada qui ne sont toujours pas investies dans la croissance économique de leurs affaires ou de ce pays. Où en sommes-nous présentement et pourquoi sont-elles encore en place?

M. Poloz : Avant de répondre à cela, laissez-moi clarifier, puisque j'étais ici. Mme Wilkins n'a pas dit que nous approuvions l'adoption d'une politique nationale qui devrait cibler un enjeu local. Elle a dit que la politique mise en place visait très clairement les régions du pays où les enjeux étaient les plus importants. C'est une nuance importante. C'est une politique très bien conçue.

En passant, le Grand Toronto et le Grand Vancouver semblent être deux endroits différents, mais ensemble ils représentent plus de 40 p. 100 du marché immobilier canadien. L'interaction entre le coût élevé du logement et le haut taux d'endettement est celle dont nous nous préoccupons le plus, et c'est là que ça se passe. Voilà pourquoi la politique les vise.

Quant aux investissements, vous avez raison, c'est une question qui se répète d'année en année. Les entreprises semblent être en bonne position pour faire des investissements. Elles en ont la capacité. Les entreprises à qui j'ai parlé ont cette volonté, elles sont prêtes, mais il semble que chaque fois que je leur en parle, elles ont une nouvelle raison pour attendre encore un peu. J'ai mentionné quelques-unes de ces raisons déjà. L'incertitude réglementaire est un aspect que le gouvernement peut contrôler, mais du point de vue des entreprises, cette variable semble très importante, notamment ce qui pourrait leur arriver après une campagne électorale américaine où on a laissé planer le doute non seulement sur les futurs accords commerciaux, mais aussi sur ceux qui sont déjà en place et desquels certaines entreprises peuvent dépendre chaque jour. Donc, les entreprises vivent dans le doute. J'ai toutes les raisons de croire que non seulement aux États-Unis, mais aussi au Canada, on se retient d'investir cette année en raison de l'incertitude soulevée par toute cette rhétorique autour des élections américaines. Voilà pourquoi nous en avons parlé ce matin.

L'une des grandes sources d'incertitude pour nous aujourd'hui, entre autres, est le comportement en matière d'exportations. Lorsque les mesures fiscales commencent à donner des résultats, l'autre partie des données devrait arriver. Nous devons analyser ces questions à mesure, mais une des choses importantes à faire est de réduire nos prévisions d'investissements pour les États-Unis. La même chose se produit au Canada presque en même temps, parce que nous sommes tellement liés aux mêmes chaînes d'approvisionnement qui approvisionnent les mêmes entreprises. La séquence naturelle est que lorsque nos exportations augmentent, les entreprises sont à plein rendement et elles investissent. Les exportations ont chuté de façon significative plus tôt cette année, ce qui a soulevé des doutes encore une fois.

Ce fut une année difficile de ce point de vue, et j'ai peur qu'il n'y ait eu aucun réel progrès à ce chapitre depuis que nous nous sommes parlé la dernière fois, sauf peut-être que la chute des investissements totaux au Canada et aux États-Unis a été clairement influencée par le choc pétrolier. Les pétrolières sont de très gros investisseurs. C'est une activité à très forte intensité de capital. Et non seulement l'exploitation pétrolière, mais aussi les autres entreprises d'extraction, les autres entreprises de ressources.

Tout ce que nous constatons donne à penser que cette tendance est sur sa fin. Il reste des ajustements à se produire quant aux faibles prix du pétrole, surtout en raison de la perte de revenu à l'échelle macroéconomique, mais les coupures dans les investissements semblent être pour la plupart derrière nous.

Nous savons que de nombreuses entreprises vont bien. Nous savons que les autres entreprises, qui représentent 87 p. 100 de l'économie canadienne, ont une croissance d'environ 2 p. 100, ce qui est une hausse tendancielle; pas une hausse soudaine de 2 p. 100, mais une croissance constante de 2 p. 100, et elles sont beaucoup plus susceptibles d'être prêtes à investir parce qu'elles ont vécu cette hausse. Lorsque le climat sera plus rassurant pour elles, c'est exactement ce que nous verrons.

Nous ne prévoyons pas de hausse marquée des investissements dans nos prévisions, mais nous nous attendons à une contribution positive, puisqu'il y a eu contribution négative depuis les deux dernières années.

Le sénateur Day : Ma première question est un suivi sur quelques points qui ont été soulevés. Vous avez parlé de vos prévisions en fonction d'un certain nombre de facteurs. Vous dites « Si cela arrive, alors... », mais, lorsque nous regardons les prévisions, il n'y a pas de « si ». Quelles sont donc vos limites? Par exemple, Mme Wilkins était à Trois-Rivières, et ils s'inquiètent là-bas de l'expiration de l'Accord sur le bois d'œuvre. Cela aura une incidence très importante sur l'économie de cette région du Canada. On parle aussi d'un Partenariat transpacifique (PTP) et d'un accord commercial avec l'Europe. Quand tranchez-vous la question et vous dites-vous « Si cela arrive, alors... mais voilà ce qu'on prévoit qu'il se passera? »

M. Poloz : Pour simplifier un peu les choses, nous n'incluons dans nos prévisions que les éléments qui ont été adoptés. Il n'y a rien dans nos prévisions sur le PTP ni sur l'accord de libre-échange avec l'Union européenne ni sur rien de ce genre parce qu'ils n'ont pas encore franchi la ligne d'arrivée. Nous devrons réfléchir à fond à ces choses et je vous ai remis le cadre que nous utiliserons. Nous calculerons le nombre d'entreprises qui pourraient tirer profit de ces accords, et nous avons des études sur leurs répercussions. Comme je l'ai dit dans ma présentation il y a quelques semaines à Québec, l'accord de libre-échange avec l'Union européenne peut représenter 0,1 ou 0,2 p. 100 sur le taux de croissance tendanciel, ce qu'il est important pour nous d'avoir, mais ce n'est pas encore fait.

D'un autre côté, qu'arrivera-t-il en cas de résultat négatif? Pour reprendre l'exemple de l'accord sur le bois d'œuvre, nous ne savons pas ce qu'il en adviendra. Des négociations sont en cours. J'espère, comme tout le monde, que les choses s'arrangeront et que les affaires reprendront leur cours normal.

Si quelque chose tourne mal, alors nous avons un modèle du passé duquel nous inspirer. Nous pouvons évaluer l'incidence marquée qu'il aurait eue sur l'économie si les choses s'étaient déroulées comme la dernière fois. Voilà comment nous essayons de rajuster nos prévisions.

Mais ces facteurs sont trop hypothétiques pour être intégrés. Les gens nous demandent toujours : « Mais si ça arrivait? Que feriez-vous? » Honnêtement, si cela devait arriver, je ne suis pas certain de l'effet que cela aurait sur l'économie. Je ne vais certainement pas tenir pour acquis que cela arrivera et essayer de déterminer à l'avance ce que nous pourrions faire dans un an si jamais cela arrivait.

Ce que nous ferions plutôt, comme toute bonne banque centrale, ce serait de surveiller nos données. Si cela arrivait, on dirait : « Wow, ça pourrait avoir tel ou tel impact. Il faudra surveiller cela. » Puis on verrait dans nos modèles que nous surévaluons, disons que s'il s'agissait des exportations, que les exportations de bois d'œuvre chutaient, nous serions alors capables de le voir directement dans nos données. Nous saurions quel serait l'impact maximal et nous pourrions l'intégrer, et puis nous serions en mesure d'élaborer nos propres politiques à partir de nouvelles prévisions. Mais nous réagirions en fonction des conséquences réelles plutôt que d'essayer de les deviner à l'avance.

Le sénateur Day : Merci. Cela nous éclaire beaucoup.

Ma deuxième question est en lien avec les services. Beaucoup de vos commentaires renvoyaient à l'exportation de biens. Si nous avons eu une croissance négative au dernier trimestre, c'est en raison de l'exportation générale de biens et du problème lié aux sables bitumineux. Toutefois, l'économie a connu une croissance en ce qui concerne les services, au point où les services représentent environ 70 p. 100. Je pense que vous l'avez mentionné dans votre document.

M. Poloz : Oui.

Le sénateur Day : Cela représente environ 70 p. 100 de notre économie à l'heure actuelle.

Pouvez-vous aborder l'aspect des services? Nous n'en avons pas parlé. Qu'est-ce qui risque d'arriver sur le plan des services? Est-ce que cela compense le déclin évident des biens et de la croissance de l'exportation des biens?

M. Poloz : Je suis enchanté que vous souleviez cette question. C'est un de mes sujets favoris. Je voudrais simplement attirer votre attention sur le graphique 5, qui est à la page 9 de notre rapport. On dirait bien que le vôtre n'est pas en couleur, mais en noir et blanc. La ligne la plus lisse représente les exportations de services, et la ligne dentelée est celle des exportations de biens.

Le sénateur Day : La ligne rouge.

M. Poloz : Il y a deux échelles. Ce qu'il faut retenir, c'est que les exportations de services sont de l'ordre de 80 à 90 milliards de dollars par année, tandis que les exportations de biens sont plus proches d'un ordre de 500 milliards de dollars. Alors, plus ou moins 20 p. 100 de nos exportations sont sous la forme de services.

Tout comme notre économie, les exportations de services ont connu une croissance très régulière. Avant de céder la parole à Carolyn, j'aimerais dire que la ligne est plus lisse pour les services, et c'est parce que nous n'avons pas de données mensuelles sur les exportations de services. Ce sont des données trimestrielles. Vous n'en entendez presque pas parler parce qu'elles sortent le même jour que les comptes nationaux, ce qui est bien sûr une journée très passionnante. Quelle a été la croissance de l'économie? Eh bien, en passant, les services ont connu une croissance. Eh bien, cela ne m'intéresse pas trop. Quel était le PIB? Aux États-Unis par contre, toutes les publications mensuelles des données liées au commerce comprennent autant les biens que les services, alors on peut en faire un meilleur suivi. En tout cas, les services vont bien.

Mme Wilkins : C'est vrai. C'est une chose sur laquelle nous n'avons pas tendance à nous concentrer. Quand vous regardez cela du côté du rendement et des exportations et que vous constatez une croissance, vous pouvez aussi la voir du côté de l'emploi. Si vous regardez un peu du côté de la croissance de l'emploi que nous avons connue depuis la fin de 2014, environ 250 000 emplois ont été créés dans le secteur des services. Et bien sûr, dans le secteur des biens, cela a chuté d'environ 70 p. 100.

Il faut s'arrêter au type de services. C'est intéressant. Sur cette période, il s'agissait de services à valeur ajoutée assez élevée, comme les finances et les assurances, le transport aérien et les soins de santé. D'autres services, comme l'hôtellerie, sont également en croissance, mais 75 p. 100 de ces emplois ont des salaires horaires plus élevés que la moyenne, juste pour illustrer le type d'emploi dont on parle. Le portrait est donc assez réjouissant.

Il n'est pas aussi réjouissant pour ce qui est des produits manufacturés, par exemple, où l'emploi est depuis quelque temps pratiquement stagnant. On ne voit pas encore de croissance d'emploi dans ce secteur, ce que nous aimerions voir. Nous avons assisté à quelques ventes positives dans le domaine manufacturier au cours des derniers mois, alors nous surveillerons cela de près.

Le sénateur Day : Pour donner suite à tout cela, est-ce que vous prévoyez que la croissance des services pourrait compenser la croissance plutôt bancale des biens?

M. Poloz : Non. Cela pourrait, dans le sens de la croissance, mais avec l'importance que cela a — comme je l'ai précisé, les exportations de services ne représentent qu'environ 20 p. 100 du total — alors ce serait difficile pour ce secteur de compenser. Pensez par exemple à ce que nous avons perdu avec le choc pétrolier. La déception que nous avons vécue cette année du côté des exportations se situait entièrement du côté des biens. Nous parlons souvent d'exportations non liées aux produits de base.

Les plus importants facteurs de leur faiblesse sont liés aux histoires d'investissement que nous avons abordées dans quelques questions traitées aujourd'hui. Ainsi, les investissements sont faibles de façon générale. Ils sont faibles aux États-Unis. Ils sont faibles au Canada. Les biens d'investissements sont l'une des catégories d'exportation les plus importantes. Alors quand la catégorie d'investissement des États-Unis ralentit, cela a une incidence disproportionnée sur notre rendement en exportation de biens.

Nous avons bon espoir d'avoir tourné la page sur cet épisode, et nous avons hâte de voir de meilleurs résultats. Nous voulons le voir avant de miser là-dessus.

Le sénateur Day : Merci.

Le sénateur Ringuette : Est-ce qu'on peut aller au graphique 9 de la page 14?

M. Poloz : Bien sûr.

La sénatrice Ringuette : Les biens non énergétiques exportés aux États-Unis, et c'est en milliards de dollars américains. Lorsqu'on regarde le graphique, par exemple de 2011 à 2015, on constate qu'il y a une stagnation à hauteur de milliards de dollars américains.

M. Poloz : C'est vrai.

La sénatrice Ringuette : Pas en dollars canadiens.

Ensuite on constate la croissance des exportations mexicaines vers les États-Unis, même si vous soutenez que l'économie américaine ne connaît pas la croissance qu'elle a déjà connue.

M. Poloz : Oui.

La sénatrice Ringuette : Le Canada et le Mexique participent au même accord de libre-échange avec les États-Unis.

M. Poloz : C'est vrai.

La sénatrice Ringuette : Alors, que se passe-t-il? Le Mexique a réussi à accroître ses exportations vers les États-Unis au cours des cinq dernières années, et pas nous.

M. Poloz : C'est vraiment l'idée que j'exposais dans mes observations préliminaires. Notre compétitivité n'a pas été à la hauteur.

Quand une entreprise décide d'étendre sa présence et se demande où, au sein de l'ALENA, elle devrait le faire, si le Canada a une plus faible compétitivité que le Mexique, elle peut aussi bien le faire au Mexique et obtenir une main-d'œuvre adéquate et dévouée. Elle a l'avantage de coûts plus faibles que si, par exemple, elle s'installait dans le sud-ouest de l'Ontario, disons en tant que constructeur de pièces d'automobiles. Au cours de ces années, nous avons perdu une part considérable du marché face au Mexique, particulièrement dans le secteur de l'automobile, en raison du fait que lorsqu'une usine de montage est construite au Mexique, cette entreprise préférerait de loin avoir ses fournisseurs relativement proches.

Comparativement, il y a aussi eu des expansions vers les États-Unis et seulement dans une faible proportion vers le Canada. Donc, le secteur de l'automobile est un acteur important dans ce que vous observez, mais il n'est pas le seul. Je veux simplement dire qu'il n'y a pas que l'automobile. Par exemple, il y a maintenant au Mexique une bonne chaîne d'approvisionnement en aérospatiale, bien développée, et une grappe industrielle a émergé au Mexique pour les pièces aérospatiales. Les pièces aérospatiales se déplacent plus parce qu'elles sont à forte valeur. On ne veut pas être obligé de les construire à côté de l'usine de montage. Ainsi, un avion qui est assemblé à Toronto ou Montréal contient des pièces qui sont fabriquées au Mexique, aujourd'hui. Voilà un exemple où ces usines auraient pu être situées quelque part au Canada, et cela changerait ces choses que vous avez fait remarquer. Il s'agit d'exemples précis.

Comme j'ai mentionné dans mes observations préliminaires, notre monnaie s'est dépréciée comparativement à celle des États-Unis, et cela nous rend plus compétitifs que lorsque les prix du pétrole étaient élevés, mais le Mexique a connu une dépréciation encore plus importante. Par conséquent, lorsqu'on fait ce calcul, on constate que nous n'avons pas été gagnants au sein de l'ALENA, si vous voulez.

La sénatrice Ringuette : Je vous serais certainement reconnaissante, et peut-être que les autres membres du comité aussi, si vous aviez plus de renseignements sur la situation quant à la compétitivité entre le Canada et le Mexique par rapport au marché américain.

M. Poloz : C'est sur cela que nous nous penchons, puisque nous avons connu une année décevante en matière d'exportations. Comme je disais, nous estimons pouvoir expliquer peut-être la moitié des exportations manquantes.

D'un autre côté, nous affirmons que puisque nous ne pouvons l'expliquer, cela doit être dû à un de ces facteurs que l'on appelle la compétitivité, et nous ne pouvons donner d'explications plus précises. Nous pouvons observer, et les entreprises nous le diront, qu'elles n'ont pas installé d'usines en Ontario, qu'elles les ont installées au Mexique à cause de ceci et de cela — le prix de l'électricité ou autre facteur. Elles citent ces raisons.

Nous pouvons vous donner quelques exemples, mais ce ne sera pas aussi précis que vous l'espérez peut-être. Nous ne pouvons pas vraiment tout répertorier, donc nous tenons pour acquis qu'il s'agit de données permanentes de nos prévisions, et que c'est quelque chose de perdu. Nous espérons pouvoir gagner la faveur d'autres entreprises d'autres façons, mais il faudra voir avant de pouvoir compter là-dessus.

Le sénateur Lang : J'aimerais revenir à votre rapport. Vous y avez fait référence quelques fois dans votre exposé, puis un peu plus tard en réponse aux questions, et vous avez dit que nos rapports établissent maintenant des prévisions quant aux possibilités de développement de différents aspects des risques, et qu'ils établissent les indicateurs que nous surveillons pour évaluer les risques.

J'aimerais revenir à ma question de tantôt sur le financement par le déficit pour le gouvernement. Ma préoccupation principale est quant à la taille du déficit, qui grandira avec le temps. Quand est-ce que cela devient un danger pour l'économie, en général? Nous avons vécu cela par le passé, dans les années 1990, lorsque les déficits étaient hors de contrôle. De votre point de vue, quand est-ce que cela devient un danger? Aujourd'hui, vous connaissez les chiffres projetés pour les trois prochaines années, aussi précisément qu'ils peuvent l'être. Quand est-ce que cela devient un danger tel pour l'économie que vous, en tant que Banque du Canada, devez conclure que le financement déficitaire aura un effet à long terme sur l'économie?

M. Poloz : Il n'y a pas de démarcation claire à partir de laquelle il y a un danger pour l'économie, c'est important de garder ça à l'esprit. Toutefois, nous avons de nombreux exemples historiques de déficits financiers et d'économies qui ont connu des problèmes. Ici au Canada, vous avez absolument raison de dire que nous avons connu une période pendant laquelle c'était le cas.

À cette époque, le ratio de la dette au PIB au Canada était, je pense, dans les 70 pour cent pour la dette fédérale. En d'autres mots, il était à bien plus que le double de ce qu'il est aujourd'hui. Non seulement ça, mais le déficit élevé allait en augmentant. Le cycle dans l'économie indiquait que le déficit était en quelque sorte insoutenable. Lorsque les marchés financiers ont pu le voir sous cette lumière, alors nous avons vu que le taux de change a fait l'objet de fortes pressions de vente sur les marchés, et la Banque du Canada a dû hausser les taux d'intérêt pour calmer la situation, et ainsi de suite.

Voilà les indices que les marchés pensent que les chiffres deviennent trop gros. Nous sommes très loin de cette situation actuellement. D'autres pays ont un ratio de la dette au PIB bien plus élevé, mais ne connaissent pas ce genre de pressions.

Tout ce que je peux vous dire, c'est que cela ne semble pas poser problème pour l'instant. On pourrait aussi soutenir que cela dépend de l'utilisation qui est faite de cet argent. Si cet argent sert, en pratique, à investir dans la croissance du Canada, donc dans son programme d'infrastructure, alors il est très probable que cela contribue à la croissance du pays et, pour cette raison, crée un cercle vertueux par lequel plus de revenus sont générés plus tard.

Lorsqu'une entreprise fait un investissement, elle peut emprunter pour obtenir les fonds lui permettant d'investir dans cette nouvelle machinerie ou pour agrandir son usine, et cela permet à l'entreprise de croître, et ensuite de non seulement rembourser sa dette, mais aussi de créer plus d'emplois et de grandir. La situation au sein de l'économie canadienne, en tant que concept macroéconomique, est très semblable à cela, à condition que cet argent soit utilisé pour ce que j'appellerais un investissement dans la croissance — dans l'infrastructure visant la croissance.

Le président : Merci, monsieur le gouverneur Poloz et madame la première sous-gouverneure Wilkins. Cette 1 h 45 minutes a été très fructueuse. Je vous en suis très reconnaissant.

Avant de lever la séance, chers collègues, nous allons passer à huis clos pour quelques minutes afin de discuter de quelques questions. Nous allons prendre une pause de deux ou trois minutes pour saluer nos invités, puis nous allons nous retrouver ici pour une séance à huis clos. C'est plutôt important, alors j'aimerais que vous restiez.

(La séance se poursuit à huis clos.)

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