Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce
Fascicule no 42 - Témoignages du 31 mai 2018
OTTAWA, le jeudi 31 mai 2018
Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd’hui, à 10 h 33, afin d’étudier les enjeux nouveaux et émergents pour les importateurs et exportateurs canadiens dans les marchés nord-américains et mondiaux.
La sénatrice Carolyn Stewart Olsen (vice-présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La vice-présidente : Chers collègues, mesdames et messieurs, bonjour et bienvenue à ceux qui suivent aujourd’hui les délibérations du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, qu’ils soient dans la salle ou sur le Web.
Je m’appelle Carolyn Stewart Olsen. Je suis la vice-présidente du comité, et je remplace notre président, le sénateur Doug Black.
J’invite les autres sénateurs ici présents à bien vouloir se présenter, à commencer par ma gauche.
Le sénateur Marwah : Sabi Marwah, de l’Ontario.
La sénatrice Wallin : Pamela Wallin, de la Saskatchewan.
Le sénateur Tannas : Scott Tannas, de l’Alberta.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Jean-Guy Dagenais, du Québec.
Le sénateur Maltais : Le sénateur Maltais, du Québec. Bienvenue.
[Traduction]
Le sénateur Wetston : Howard Wetston, de l’Ontario.
La vice-présidente : Aujourd’hui, notre comité poursuit ses délibérations sur les enjeux nouveaux et émergents pour les importants et exportateurs canadiens en ce qui a trait à leur compétitivité internationale. Certains de ces enjeux portent notamment sur le retrait possible des États-Unis de l’Accord de libre-échange nord-américain, les récentes modifications apportées à l’impôt fédéral américain des sociétés et l’augmentation des taux d’intérêt au Canada.
Le comité s’intéresse aux répercussions possibles de ces changements sur la compétitivité des importateurs et exportateurs canadiens, ainsi qu’à la façon dont les importateurs et exportateurs canadiens et le gouvernement fédéral pourraient y réagir.
Je suis heureuse de vous présenter nos témoins d’aujourd’hui, qui se concentreront sur la tarification du carbone.
Nous accueillons Lisa Stilborn, vice-présidente de la Division de l’Ontario au sein de l’Association canadienne des carburants, et M. Dale Beugin, directeur général de la Commission de l’écofiscalité du Canada.
Nous allons commencer par entendre vos déclarations préliminaires, après quoi nous passerons à la période des questions et réponses.
Madame Stilborn, je crois que vous avez accepté de prendre la parole en premier.
Lisa Stilborn, vice-présidente, Division de l’Ontario, Association canadienne des carburants : Merci beaucoup, sénatrice Stewart Olsen.
La vice-présidente : Il y aura ensuite une période de questions et réponses. Merci.
Mme Stilborn : Je suis très heureuse d’être ici, au nom des membres de l’Association canadienne des carburants.
Nous représentons l’industrie qui produit, distribue et met en marché des produits pétroliers au Canada, soit près de 95 p. 100 des carburants de transport, qui permettent le déplacement des biens et des personnes.
Nous produisons également de l’asphalte, du mazout domestique et des charges d’alimentation pour les installations de production, et nous sommes fortement intégrés au secteur de la pétrochimie. En bref, nos produits appuient tous les secteurs de l’économie, et nos membres sont reconnus comme des éléments de l’infrastructure énergétique essentielle du Canada.
Bien que l’offre de carburants soit en évolution, des prévisions dignes de confiance, dont celles de notre propre Office national de l’énergie, montrent que la demande de nos produits demeurera relativement constante jusqu’en 2040.
En Amérique du Nord, le marché des carburants est fortement intégré, comme en témoigne la circulation des marchandises vers le nord et vers le sud. Même si le Canada demeure un exportateur net de produits pétroliers, les importations en provenance des États-Unis sont à la hausse.
De nombreux facteurs entrent en jeu à cet égard, notamment le fait qu’il y a moins de grandes raffineries qui peuvent tirer parti des économies d’échelle — en fait, la taille d’une raffinerie moyenne au Canada correspond au tiers de celle d’une raffinerie moyenne aux États-Unis. Mentionnons également la transition vers les bruts plus lourds et la complexité accrue des raffineries. Enfin, et ceci est pertinent pour le sujet à l’étude, l’environnement réglementaire, qui influe aussi de façon notable sur la compétitivité des raffineries, vient ajouter des coûts que nos concurrents n’ont pas à assumer.
Soyons clairs : notre association et ses membres sont en faveur de règlements efficaces et réalisables, mais ceux-ci doivent être conçus et appliqués de façon progressive et échelonnée afin de préserver la compétitivité du secteur. Cela comprend certainement la tarification du carbone, qui est l’objet de la discussion d’aujourd’hui.
D’abord, nous appuyons des mécanismes de tarification du carbone bien conçus et nous avons de longs antécédents de collaboration avec les gouvernements provinciaux, et maintenant avec le gouvernement fédéral, pour la mise au point de tels systèmes. Lors de ces discussions, nous avons insisté sur quatre points. Premièrement, nous voulons assurer des règles du jeu équitables entre les pays concurrents. Le secteur du raffinage est à forte intensité d’émissions et exposé à la concurrence étrangère, et nos principaux concurrents — des raffineries américaines, particulièrement de la région de la côte du golfe du Mexique — ne se voient pas imposer des coûts associés à la production de carbone. Comme nous sommes un secteur qui consomme beaucoup d’énergie et qui est exposé à la concurrence étrangère, il s’agit là d’un aspect sur lequel nous tenons à insister.
L’absence d’une protection intégrale des installations contre l’exposition à la concurrence étrangère nuira à leur compétitivité, les rendra vulnérables à des fermetures et fera augmenter la dépendance des Canadiens à l’égard des importations de carburant. C’est ce que nous appelons la fuite de carbone, qui risque d’éroder les retombées économiques directes du secteur du raffinage sur le plan du PIB et des emplois. Ce phénomène déstabilisera la sécurité de l’approvisionnement en carburant, en plus de créer un risque d’interruptions de l’approvisionnement en carburant.
La fuite de carbone exercera également des pressions à la hausse sur le coût des carburants.
Enfin, cela ne fera que provoquer un transfert des émissions de raffineries canadiennes fermées vers des raffineries à l’étranger, ce qui ne contribuera en rien à réduire les émissions mondiales. Selon nous, un tel résultat représenterait un échec politique important pour le Canada.
Deuxièmement, il faut établir des objectifs réalistes. Selon la proposition actuelle d’un régime fédéral de tarification fondé sur le rendement — c’est vraiment long à dire, mais nous utilisons l’acronyme RTFR pour faire court —, tous les secteurs industriels sont appelés à réaliser une réduction à 70 p. 100 de la moyenne industrielle, sous peine de s’exposer à une pénalité. Aucune raffinerie au monde ne peut s’approcher d’un tel résultat. Je crois qu’il y a une raffinerie en Norvège, et même cette installation est loin d’y parvenir. Les objectifs devraient être réalistes, et les réductions devraient se faire de façon progressive et échelonnée.
Le troisième point sur lequel nous voulons insister ce matin, c’est l’importance cruciale d’harmoniser la rigueur des exigences avec les régimes de tarification du carbone qui existent actuellement au Canada. En faisant les calculs, on constate que les coûts du carbone pour les raffineries dans les provinces et territoires soumis au filet de sécurité fédéral sont, plus du double, des coûts pour celles qui exercent leurs activités dans des provinces ayant déjà des régimes de tarification du carbone, comme l’Ontario, le Québec, et cetera. Nous croyons très fermement qu’il faut protéger la compétitivité entre les provinces et territoires.
Enfin, au moment d’établir une tarification du carbone, nous devons tenir compte des effets cumulatifs d’autres politiques climatiques, comme la norme sur les combustibles propres. Je crois que mon collègue aura sans doute beaucoup plus de choses à dire à ce sujet.
Le gouvernement fédéral devrait — c’est ce que nous lui demandons — entreprendre une évaluation complète et transparente des effets cumulatifs de ces deux politiques sur la compétitivité de l’industrie, ainsi que sur les coûts pour les consommateurs et l’incidence sur le PIB.
Madame la présidente, je vais m’arrêter là, et j’ai bien hâte de répondre à vos questions et de prendre part aux discussions ce matin.
La vice-présidente : Merci beaucoup. Monsieur Beugin, à vous la parole.
Dale Beugin, directeur général, Commission de l’écofiscalité du Canada : Merci beaucoup de me donner l’occasion de témoigner devant vous aujourd’hui. Je représente la Commission de l’écofiscalité du Canada, un groupe d’économistes chevronnés provenant des quatre coins du pays, appuyé par un conseil consultatif multipartite composé de représentants de l’industrie, de la société civile et de tous les horizons politiques.
Notre mandat consiste à cerner des politiques qui sont rationnelles tant pour l’environnement que pour l’économie, c’est-à-dire des politiques qui permettent d’atteindre les objectifs environnementaux au coût le plus bas. Après avoir longuement étudié la question de la tarification du carbone, nous sommes arrivés à la conclusion que la tarification du carbone, pour peu qu’elle soit bien conçue, correspond justement à ce genre de politique.
J’aimerais m’attarder aujourd’hui sur deux points principaux concernant la tarification du carbone et la compétitivité.
Le premier a trait aux répercussions d’un régime national de tarification du carbone sur le commerce et la compétitivité. À cet égard, je vais m’appuyer sur certains des arguments que ma collègue a déjà fait valoir.
Je commencerai par préciser que la compétitivité et la fuite de carbone sont les deux côtés d’une même médaille et qu’elles constituent des questions d’importance capitale dans ce domaine stratégique. Elles peuvent être réglées grâce à des politiques conçues avec soin.
La politique canadienne en matière de tarification du carbone exerce des pressions concurrentielles sur les entreprises canadiennes. Ce qui nous inquiète, c’est justement l’inégalité des règles du jeu. Si le Canada adopte une politique plus rigoureuse et nettement plus stricte en matière de tarification du carbone que celle de nos partenaires commerciaux, certains craignent que la production ou les investissements, de même que les émissions correspondantes, soient tout simplement transférés dans des administrations ayant une politique moins sévère.
Oui, les inquiétudes sont bien réelles. Oui, c’est un important sujet de préoccupation. Toutefois, grâce à une bonne politique — surtout une politique qui prévoit un soutien ciblé, temporaire et transparent aux secteurs les plus vulnérables à ces pressions —, nous pouvons résoudre ce problème et dissiper ces craintes, sans pour autant nuire à la façon dont la politique de tarification du carbone incite à réduire les émissions de gaz à effet de serre, et ce, au coût le plus bas.
Permettez-moi de décortiquer un peu le tout. Les pressions concurrentielles, c’est-à-dire l’effet des politiques asymétriques en matière de tarification du carbone, ne touchent vraiment qu’une petite fraction de l’économie. Selon les analyses effectuées par la Commission de l’écofiscalité, comme Mme Stilborn l’a d’ailleurs fait remarquer, cela concerne uniquement les secteurs qui sont à forte intensité d’émissions — ceux qui produisent de grandes quantités de gaz à effet de serre —, mais aussi ceux qui sont exposés à la concurrence étrangère et qui participent aux marchés mondiaux, d’où l’impossibilité de transférer les coûts du carbone dans leur chaîne d’approvisionnement. Les secteurs qui répondent à ces deux critères ne représentent qu’environ 5 p. 100 de l’économie canadienne. Ce pourcentage varie d’une région du pays à l’autre. Par exemple, en Saskatchewan et en Alberta, ces secteurs comptent pour environ 18 p. 100 de l’économie. En Ontario et au Québec, qui représentent des économies à moins forte intensité d’émissions, c’est plutôt de l’ordre de 2 p. 100 de l’économie.
Oui, il s’agit d’un enjeu de taille; oui, c’est important. Toutefois, le problème est plus restreint, de moins grande envergure. On ne parle pas ici d’une tarification du carbone pour l’ensemble de l’économie, mais plutôt pour une partie de l’économie.
Je tiens également à signaler que nous devrions prendre garde de ne pas confondre outre mesure les préoccupations en matière de compétitivité, qui, comme le comité le sait très bien, découlent d’une vaste gamme de facteurs. Il faut éviter de rejeter la responsabilité exclusivement sur la tarification du carbone pour expliquer de nombreux autres facteurs, notamment les changements apportés aux taux d’imposition, ici et à l’étranger, aux taux de salaire, aux divers règlements, aux taux de change et aux prix des produits de base. La tarification du carbone est un facteur parmi tant d’autres, mais elle est presque toujours loin d’être le facteur le plus important.
Il est possible de répondre à ces préoccupations en élaborant des politiques intelligentes sur la tarification du carbone. Songeons, en particulier, au régime de tarification fondé sur le rendement adopté par l’Alberta aux termes de sa nouvelle politique de tarification du carbone, ainsi qu’à celui prévu au titre du filet de sécurité fédéral, en vertu de la nouvelle loi fédérale. D’ailleurs, les systèmes de plafonnement et d’échange en Ontario et au Québec reposent sur la même approche. Il s’agit d’accorder des allocations fondées sur la production, qui constituent essentiellement des droits d’émission gratuits attribués aux secteurs vulnérables, de sorte qu’ils ne paieront le prix du carbone qu’au-delà d’un certain seuil. Or, puisque le régime prévoit des crédits échangeables, les intervenants sont toujours motivés à en faire plus. Ils sont toujours enclins à réduire leurs émissions, car ils peuvent ainsi vendre des crédits supplémentaires à d’autres commerçants dans ce marché.
Au bout du compte, la tarification fondée sur le rendement maintient l’incitation à réduire les émissions de gaz à effet de serre en améliorant le rendement et elle protège la compétitivité en éliminant toute incitation à transférer ailleurs la production et les investissements, ainsi que les émissions.
Les modèles économiques établis par la Commission de l’écofiscalité révèlent que le recours aux allocations fondées sur la production et à la tarification fondée sur le rendement, de pair avec la tarification du carbone, peut réduire considérablement la fuite de carbone, c’est-à-dire le transfert des émissions vers d’autres administrations.
Je passe maintenant à mon deuxième point, qui s’éloigne du sujet de la politique nationale et qui porte plutôt sur les efforts internationaux. Je pense qu’il est important de souligner que le Canada n’agit pas seul. Même s’il existe des lacunes dans les initiatives internationales de tarification du carbone, il y a aussi des progrès considérables.
La Banque mondiale a publié, la semaine dernière, un nouveau rapport qui fait état de la prolifération de politiques en matière de tarification du carbone partout dans le monde. Ainsi, on dénombre 51 politiques sur la tarification du carbone à l’échelle internationale, infranationale et nationale, ce qui englobe les systèmes de plafonnement et d’échange et les taxes sur le carbone. Cela comprend le nouveau système national qui sera instauré en Chine d’ici 2020, dans la foulée de programmes pilotes urbains existants, ainsi que les politiques prévues dans des endroits comme l’Amérique du Sud, le Chili et certains États américains. Les États de Washington, de l’Oregon et de New York envisagent tous de nouvelles politiques de tarification, en s’appuyant sur les politiques actuelles adoptées par certains États du Nord-Est dans le cadre du système de plafonnement et d’échange de la Regional Greenhouse Gas Initiative.
En d’autres mots, les règles du jeu se transforment lentement pour devenir, de plus en plus, équitables avec le temps. Voilà pourquoi il est nécessaire de veiller à ce que le soutien offert aux secteurs vulnérables pour les protéger contre les pressions concurrentielles soit temporaire. C’est transitoire. Au fur et à mesure que nous progressons vers une action mondiale dans le domaine des changements climatiques, ce soutien temporaire devient de moins en moins nécessaire et devrait être éliminé graduellement.
Par ailleurs, la transition mondiale vers une politique de tarification du carbone a pour effet d’accroître la demande de biens à faibles émissions de carbone à l’échelle internationale. En effet, en 2016, Mark Carney a affirmé que l’intervention mondiale en matière de politiques climatiques représente une occasion de 5 à 7 billions de dollars pour les marchés financiers.
Je pense qu’il est également utile de réfléchir aux répercussions positives de la tarification du carbone sur la compétitivité. Autrement dit, il pourrait y avoir aussi des occasions à saisir. Un régime national de tarification du carbone stimulera l’innovation nationale à faibles émissions de carbone. Les technologies à faibles émissions de carbone, que les Canadiens pourraient produire en réponse à une telle politique, pourraient offrir la possibilité de répondre à la demande mondiale de ce genre de technologies, de services et d’expertise.
Un dernier point. Selon moi, il est important de souligner qu’il vaut mieux imposer notre propre tarification du carbone, c’est-à-dire de contrôler la conception et la mise en œuvre de ces politiques avant qu’elles nous soient imposées. Alors que le reste du monde adopte, de plus en plus, de politiques de tarification du carbone, il est fort possible que ces pays commencent à envisager des mesures frontalières pour appliquer leurs propres politiques dans le cadre des échanges commerciaux. D’ailleurs, le président français Macron a évoqué récemment l’idée d’un ajustement des mesures transfrontalières visant le carbone pour l’Union européenne, surtout devant l’inaction persistante, au niveau fédéral, des États-Unis. Ce genre de politiques imposeraient des coûts supplémentaires au commerce avec des pays dépourvus d’une politique de tarification du carbone.
C’est donc dire que la tarification canadienne du carbone se veut une sorte d’assurance contre ces types de menaces internationales.
Dans l’ensemble, la tarification du carbone présente de nombreux avantages. C’est une politique qui fonctionne, d’après une vaste expérience et des recherches économiques poussées; elle coûte moins cher que d’autres approches; c’est la façon la moins coûteuse d’atteindre les objectifs nationaux que nous nous sommes fixés; et c’est la meilleure façon de stimuler l’innovation. Les préoccupations en matière de compétitivité sont bien réelles, mais ce n’est pas une raison pour ne pas adopter la tarification du carbone, parce que nous pouvons régler ces problèmes grâce à des politiques intelligentes. En effet, la tarification du carbone pourrait également présenter des avantages sur le plan de la compétitivité, compte tenu de l’orientation prise par d’autres pays du monde.
Je vous remercie.
La vice-présidente : Merci à vous deux. Je voudrais simplement obtenir une précision, si vous me le permettez. Il y a probablement quelque chose que j’ai manqué ou mal compris.
Monsieur Beugin, vous avez mentionné que la taxe sur le carbone devrait être éliminée graduellement, une fois que tout sera réglé. Ai-je mal entendu?
M. Beugin : Oui. Pour que ce soit bien clair, la dimension liée à la tarification fondée sur le rendement devrait être éliminée graduellement pour être remplacée par une pleine tarification du carbone, c’est-à-dire la tarification de toutes les émissions. Le soutien fondé sur la production devrait être éliminé progressivement, mais la tarification du carbone devrait être maintenue.
La vice-présidente : Merci beaucoup. Nous passons aux questions.
La sénatrice Wallin : Monsieur Beugin, pouvez-vous me dire ce qu’est la Commission de l’écofiscalité du Canada?
M. Beugin : Volontiers. Il s’agit d’un organisme entièrement indépendant, qui est financé par environ sept fondations familiales et quelques sociétés. Les commissaires, qui sont les auteurs de notre rapport et les décideurs de la commission, sont tous des économistes indépendants. Ils sont soit des universitaires, soit d’anciens hauts fonctionnaires ou encore, des dirigeants de groupes de réflexion. Ce sont des économistes.
La sénatrice Wallin : Quand et comment vous êtes-vous réunis?
M. Beugin : L’organisation a été fondée il y a approximativement cinq années. Elle est relativement nouvelle. Ses fondateurs nous ont confié un mandat initial de six ans afin que nous puissions étudier toutes les politiques qui sont logiques pour notre environnement et notre économie. En pratique, cela veut dire des politiques qui mettent un prix sur les effets environnementaux externes, notamment la tarification du carbone, mais aussi la tarification de l’eau, de la congestion et d’autres enjeux comme ceux-ci.
La sénatrice Wallin : Nous allons passer à Mme Stilborn. Vous avez prononcé des paroles très fermes et mentionné des restrictions sur la façon dont la tarification du carbone devrait être mise en œuvre. Selon tous les commentaires que vous avez entendus, pensez-vous que le gouvernement est dans la bonne voie?
Mme Stilborn : Je vous remercie de votre question, sénatrice Wallin. Nous avons eu de bonnes discussions avec Environnement et Changement climatique Canada. Nous pensons qu’ils comprennent les répercussions que cela aura sur les secteurs à forte intensité d’émissions et exposés aux échanges commerciaux, ou les secteurs FIEEEC. Ils nous ont dit qu’il y avait une certaine marge de manœuvre en ce qui concerne la nécessité que nous atteignions 70 p. 100 du rendement sectoriel moyen, mais nous ne connaissons pas encore les détails.
Je pense que, parmi les secteurs FIEEEC, notre situation est plutôt commune; nous avons présenté des données afin de démontrer où nous nous situons sur la courbe de rendement. De plus, nous sommes en train de présenter des données supplémentaires qui rendent compte de l’intensité de nos émissions, de notre consommation d’énergie, et cetera. Ce processus est continu. Nous avons des discussions, mais je pense que nous avons l’impression d’être encore au tout début du processus.
Je vous fixe parce que vous représentez évidemment la Saskatchewan.
La sénatrice Wallin : Oui, et c’est la question que je m’apprêtais à vous poser.
Mme Stilborn : Je crois qu’ECCC, ou Environnement et Changement climatique Canada, est plutôt saisi par le fait que les entreprises établies en Saskatchewan et au Nouveau-Brunswick font face à un degré d’incertitude particulier en ce moment même, parce qu’elles ne savent pas si elles auront leur propre régime de tarification du carbone. Bien entendu, si ce n’est pas le cas, elles seront assujetties au filet de sécurité fédéral.
Je crois qu’il est bien compris que les entreprises qui relèvent de ces provinces sont dans une situation d’incertitude très difficile.
La sénatrice Wallin : Ajoutez-vous foi à ce que le premier ministre provincial et son prédécesseur ont déclaré à ce sujet, à savoir qu’en fait, ils mettent en œuvre des stratégies de réduction du carbone, mais que leurs efforts ne sont pas reconnus parce qu’ils ne procèdent pas exactement de la façon dont le gouvernement fédéral souhaite qu’ils le fassent?
Mme Stilborn : Je pense que tous les gouvernements réalisent des progrès appréciables dans ce dossier. Je pense que c’est probablement une détermination qu’il vaudrait mieux qu’Environnement et Changement climatique Canada fasse. Nous collaborons assurément avec le gouvernement de la Saskatchewan et le gouvernement fédéral.
La sénatrice Wallin : Monsieur Beugin, avez-vous des observations à formuler?
M. Beugin : Je vous remercie de votre question, madame la sénatrice. Dans les grandes lignes, j’estime que le gouvernement est dans la bonne voie. Il conjugue la tarification du carbone à un système de tarification fondé sur la production qui favorise la réduction des émissions au coût le plus bas, tout en assurant la protection et le soutien des secteurs vulnérables.
L’un des premiers principes de la tarification du carbone consiste à appliquer un prix du carbone uniforme à un nombre d’émissions aussi important que possible, qui comprend tous les secteurs et toutes les régions. Cela assure l’efficacité de la mesure en ce sens que cela favorise la production de réductions supplémentaires d’émissions dans tout l’inventaire afin de garantir que nous obtenons suffisamment de réductions pour atteindre les objectifs, mais aussi en ce sens que cela permet d’établir un bon rapport coût-efficacité et de réduire au minimum les coûts. Grâce à cette tarification uniforme du carbone dans toutes les régions et tous les secteurs, nous ne laisserons aucune réduction peu coûteuse des émissions non réalisée. L’application à l’échelle nationale d’un prix uniforme du carbone a une valeur économique.
Le sénateur Wetston : Madame la présidente, j’ajouterais que, dans le cadre de son examen de l’étude préliminaire du projet de loi C-74, le Comité de l’énergie est en voie de terminer son projet de rapport à l’intention du Comité des finances nationales portant sur ce même sujet. Je le mentionne au profit du comité et du public, car je crois, comme vous le savez, que le comité a passé beaucoup de temps à étudier les détails de la tarification du carbone au Canada.
Le Comité de l’énergie met l’accent sur les détails. J’espère qu’au cours de votre comparution d’aujourd’hui — dont je vous suis reconnaissant —, vous mettrez l’accent sur les rapports et les problèmes de concurrence que nous examinons aujourd’hui.
Il se peut que vous puissiez tous les deux me fournir des renseignements supplémentaires sur la question que je souhaite poser.
Madame Stilborn, comme vous pouvez l’imaginer, la question du 70 p. 100 engendre de nombreuses discussions au sein du comité, ce pourcentage étant très élevé et peut-être le plus élevé qui soit.
Je m’interroge à propos de la question que vous décrivez. Le Comité de l’énergie a entendu des témoins provenant d’industries comme celles des produits chimiques, du ciment, des biocarburants, ainsi que des transports routiers et aériens, qui étaient très inquiets. Ils avaient le sentiment qu’ils seraient touchés par la tarification du carbone d’une façon disproportionnée, et leurs propos étaient dans la même veine que ceux que vous avez prononcés, en particulier par rapport à nos voisins du sud. Ils ont dit être entravés dans une certaine mesure par le fait de ne pas disposer de solutions techniques ou économiques pour gérer les réductions d’émissions de la façon dont d’autres secteurs le font peut-être.
Je ne me souviens pas si vous avez abordé cette question lorsque vous avez témoigné devant le comité. Pouvez-vous fournir des renseignements ou des réflexions supplémentaires à ce sujet? Manifestement, c’est une question de compétitivité, et je sais que vous l’avez mentionné. Toutefois, quelques observations de plus seraient utiles.
M. Beugin : L’un des avantages de la tarification du carbone, par opposition à d’autres outils qui peuvent être utilisés pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, comme une réglementation ou des subventions, c’est que la tarification du carbone ne présuppose pas une réaction particulière par rapport à la politique. Elle ne présume pas des mesures particulières que l’industrie ou les entreprises pourraient prendre en réponse au prix du carbone. Il s’agit là d’une particularité voulue et non d’une lacune, parce que la tarification du carbone n’exige pas que le gouvernement possède une connaissance détaillée du secteur ou des compétences techniques. Elle permet de fixer le prix correctement et de laisser le marché réagir. Cette particularité importe également parce que des changements surviendront avec le temps. La façon la plus efficace ou la plus économique de réduire les émissions de gaz à effet de serre dans un secteur donné — et d’éviter ainsi de payer une taxe sur le carbone — n’existe peut-être pas encore. Il se peut qu’elle soit en cours d’élaboration ou qu’elle soit lancée dans les années à venir.
De plus, le prix du carbone incite précisément l’industrie à apporter ces changements technologiques. Il encourage l’innovation à faibles émissions de carbone et l’élaboration de nouvelles technologies ingénieuses et novatrices qui réduiront davantage les émissions d’une façon moins coûteuse, parce que non seulement il y a un prix du carbone en ce moment, mais on s’attend aussi à ce qu’il y en ait un dans les années à venir. Les options offertes aujourd’hui ne feront pas nécessairement partie du même sous-ensemble d’options offertes dans les années à venir.
C’est l’une des raisons pour lesquelles la rigueur de la tarification du carbone augmentera régulièrement avec le temps.
Nous ne passons pas immédiatement à un prix de 50 $ ou 100 $ par tonne. Nous commençons cette année par imposer un faible prix de 10 $ par tonne, qui augmentera graduellement. Nous procédons ainsi afin de permettre aux innovations d’être élaborées et d’intervenir, mais aussi afin de donner aux entreprises la chance de s’adapter graduellement et de choisir le moment où elles réduiront leurs émissions, en fonction du moment où un mouvement des actions du secteur technologique semblera survenir et que les anciens équipements seront prêts à être remplacés.
Mme Stilborn : À l’heure actuelle, notre situation coïncide avec celle des autres secteurs que vous avez mentionnés, comme l’industrie des produits chimiques et du ciment, en ce sens que, d’un point de vue technologique, la proposition actuelle de 70 p. 100 ne peut être atteinte par aucune raffinerie à l’échelle mondiale, et encore moins au Canada. Il n’y a aucune technologie disponible pour y parvenir.
Pour appuyer les paroles de M. Beugin, je dirais que les objectifs doivent être atteignables. Disons que l’objectif continue d’être 70 p. 100. Les entreprises paieront une pénalité et ne réinvestiront pas cet argent dans la recherche et l’innovation afin d’élaborer des solutions réalisables d’un point de vue technique en vue d’atteindre les objectifs. Ces investissements sont essentiels à l’établissement d’objectifs réalistes en matière de cadence et de préparation.
Le sénateur Wetston : La conception est un élément clé.
Mme Stilborn : Oui; exactement.
Le sénateur Wetston : Êtes-vous tous les deux d’avis qu’en raison de cela — de ce que j’appellerais la phase transitoire —, des considérations particulières sont nécessaires afin de mettre en œuvre efficacement le filet de sécurité que le gouvernement a adopté? Je ne parle pas du système de plafonnement et d’échange comparativement à la tarification du carbone et aux différents programmes adoptés par les différentes provinces. Si c’est le cas, pourriez-vous nous en dire davantage sur la forme que pourraient prendre ces considérations particulières? Je pense encore aux exportations, aux importations et à la concurrence transfrontalière avec des provinces, des États ou des pays qui ne sont pas assujettis à un régime de tarification du carbone.
Avez-vous des idées de ce à quoi cela pourrait ressembler?
M. Beugin : Permettez-moi d’exprimer une dernière réflexion à propos de la première question? Je devrais préciser clairement que nous ne devrions pas envisager le seuil de 70 p. 100 comme un objectif immuable. Contrairement à un règlement qui exigerait des résultats particuliers, ce seuil fait partie d’une politique de tarification du carbone précisément en raison de la souplesse d’une telle politique. Les entreprises ont la possibilité soit de prendre leurs propres mesures pour atteindre ce seuil d’intensité et ces réductions d’émissions, soit de choisir d’autres options de conformité en versant des frais ou en achetant des actifs ou des crédits supplémentaires.
Il n’est pas nécessairement approprié d’envisager le seuil de 70 p. 100 comme un objectif immuable que les secteurs peuvent atteindre ou non. Ce n’est pas le but. Le seuil a pour but de réduire leurs coûts moyens tout en continuant de les inciter à s’améliorer. En réalité, le seuil ne fait que définir la mesure dans laquelle nous abaissons les coûts moyens, le soutien que nous leur apportons et la mesure dans laquelle nous les encourageons à atteindre une certaine production.
Je pense que cela fait le pont entre votre première et votre deuxième question. La transition peut être mesurée en fonction de l’aide que nous apportons à ces secteurs vulnérables en définissant la valeur du seuil. Comme je l’ai indiqué au cours de mes observations, l’importance de l’aide requise fluctuera avec le temps. Plus on observera une augmentation du nombre de pays qui deviennent membres des clubs naissants de tarification du carbone et qui s’emploient activement à réduire leurs propres émissions de gaz à effet de serre, plus les pays seront sur un pied d’égalité à l’échelle internationale et moins le soutien de transition sera nécessaire. La production subventionnée que représente le soutien de transition devrait alors être éliminée progressivement avec le temps, car elle ne sera plus nécessaire en raison de l’existence de nouvelles technologies et de règles du jeu équitables.
Le sénateur Wetston : Ou, ce qui importe encore plus, les secteurs seront moins désavantagés sur le plan concurrentiel?
M. Beugin : Exactement.
La vice-présidente : Madame Stilborn, avez-vous quelque chose à ajouter à cela?
Mme Stilborn : Oui. C’est entièrement une question de soutien de transition. Je conviens avec mon collègue ici présent qu’avec le temps, d’autres pays, y compris les États-Unis, adopteront probablement un certain type de tarification du carbone. Nous savons qu’à l’heure actuelle, certains États des États-Unis comme la Californie mettent effectivement en œuvre une tarification du carbone.
Toutefois, notre secteur n’entre pas en concurrence avec la Californie. Nous soutenons la concurrence des États du golfe du Mexique et, en particulier, celle du Texas, de la Louisiane, et cetera, où il n’y a pas de tarification du carbone. Il s’agit donc de protéger la compétitivité de notre secteur. Le terme « allocations de quotas transitoires » est approprié. Certaines personnes qualifient ces allocations de « droits d’émission gratuits ». Ces droits ont l’air d’être gratuits, mais ils existent simplement pour maintenir l’égalité des chances sur le plan concurrentiel, afin de nous permettre de continuer d’innover, de produire des carburants plus propres, d’exploiter des installations plus propres et, par la même occasion, de demeurer concurrentiels et de conserver les emplois au Canada.
La vice-présidente : Merci beaucoup. Si vous n’y voyez pas d’inconvénient, nous poursuivrons nos séries de questions.
Le sénateur Marwah : Pour étoffer davantage l’argument, monsieur Beugin, vous avez mentionné qu’il y avait un mouvement à l’échelle mondiale vers un monde à faibles émissions de carbone et vers des politiques de tarification du carbone . Nous progressons donc vers une uniformisation des règles du jeu à l’échelle mondiale.
Dans ce contexte, où se classe le Canada? Je ne crois pas qu’il convienne que nous ne prenions aucune mesure. Selon vos deux points de vue, les normes proposées sont-elles trop ambitieuses, ou pas suffisamment souples? Ces normes nous amènent-elles en tête de file, comparativement aux normes mondiales?
Où nous situons-nous? Quel est l’enjeu qui, comparativement, nous désavantage? Il y a des fournisseurs de carburant et des fabricants de produits chimiques dans les autres pays qui sont touchés de façon semblable, parce qu’ils rencontrent les mêmes problèmes que nous. Quel est le problème de compétitivité à l’échelle internationale?
M. Beugin : Si je me fourvoie légèrement, n’hésitez pas à me corriger.
La façon dont j’envisage notre contribution en tant que pays a été définie par l’engagement que nous avons pris et les cibles que nous nous sommes fixées dans le cadre de l’Accord de Paris. Si nous voulons atteindre la cible de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 30 p. 100 par rapport au niveau de 2005 d’ici 2030, nos politiques doivent être suffisamment contraignantes, à savoir un prix du carbone assez élevé, une réglementation suffisamment stricte, ou une combinaison des deux.
Le truc sur le plan de la compétitivité, c’est de réaliser ces réductions d’émissions en réduisant véritablement les émissions, et non en les transférant simplement du Canada aux États-Unis.
Pour éviter ce résultat, je pense que c’est la politique que le gouvernement a adoptée et qu’il utilise. Cela est particulièrement pertinent dans le cas du Canada, compte tenu de l’intégration des marchés canadiens et américains. Je n’envisage pas vraiment cela du point de vue de l’équité. J’y pense premièrement sur le plan de l’atteinte de l’objectif et de la prévention du risque de fuite de carbone. Ce risque existera tant qu’il y aura des marchés intégrés où les prix du carbone seront plus élevés au Canada que chez ses partenaires commerciaux qui importent.
Le sénateur Marwah : Madame Stilborn, avez-vous des idées?
Mme Stilborn : Absolument. Je vous remercie de votre question, sénateur Marwah.
Au sein de notre association, nous avons déployé de nombreux efforts pour examiner où nous nous situons sur la courbe mondiale. Nous nous sommes mesurés à l’aide d’un système de référence national, et nous avons comparé nos résultats à ceux des pays de l’OCDE. C’est ainsi que, compte tenu de la proposition actuelle, nous avons déterminé que nous espérions toujours être en mesure de régler les détails et d’obtenir un régime plus souple. Dans sa forme actuelle, la proposition exigerait que les raffineries canadiennes dépassent de loin les normes respectées ailleurs dans le monde, en ce qui concerne la réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Le sénateur Marwah : J’aimerais obtenir de plus amples renseignements, si vous pouviez me les faire parvenir par la suite.
Mme Stilborn : Absolument.
La vice-présidente : Si vous n’y voyez pas d’inconvénient, veuillez me les transmettre par l’entremise de la greffière.
Mme Stilborn : Absolument.
Le sénateur Marwah : Madame Stilborn, j’ai été frappé par votre commentaire au sujet de la compétitivité interprovinciale au Canada. Est-ce une question de rattrapage en ce sens que les provinces qui n’ont pas établi une norme ont évidemment beaucoup plus de chemin à parcourir que les autres provinces qui ont déjà amorcé ce travail? Ou est-ce un problème plus profond que cela?
Mme Stilborn : Voilà une excellente question, sénateur Marwah. Je n’ai pas approfondi ce sujet au cours de ma déclaration préliminaire. Vous envisagez ce problème d’un point de vue international, mais, comme M. Beugin l’a mentionné brièvement, il est tout aussi important d’assurer la compétitivité à l’échelle nationale. Je pense que la réponse à cette question comporte deux volets. Premièrement, en ce qui concerne les provinces qui ne disposent pas actuellement d’un système de tarification du carbone et, en particulier, les provinces de la Saskatchewan et du Nouveau-Brunswick, elles pourraient être forcées de prendre leurs responsabilités et d’atteindre immédiatement la norme de référence fédérale.
Si vous prenez des endroits comme l’Ontario, par exemple, la proposition actuelle établirait le prix du carbone à environ deux fois le prix actuel du carbone en Ontario, et c’est passablement la même chose au Québec. Ce n’est pas identique, mais c’est assez semblable.
Lorsque vous avez un marché d’approvisionnement en carburant où le transport du carburant se fait librement vers des marchés étrangers et entre les provinces, vous créez certains écarts en matière de compétitivité au Canada.
Le sénateur Marwah : Ne s’agit-il pas seulement d’un rattrapage jusqu’à ce que nous soyons tous au même point?
Mme Stilborn : Cela prendra beaucoup de temps. Il y a une grande incertitude au sujet de la manière dont le filet de sécurité fédéral influera sur les régimes de tarification du carbone dans diverses provinces, comme en Ontario, au Québec, en Alberta et en Colombie-Britannique, et du moment où cela se produira. Nous avons appris que pour l’instant le filet de sécurité ne touchera pas ces provinces. À un moment donné, il y aura un processus pour déterminer l’endroit où ces provinces se situent sur la courbe du point de vue de l’équité. Il règne une certaine incertitude.
À un moment donné, il pourrait y avoir un certain rattrapage à faire. C’est une excellente question que vous pourriez poser directement aux représentants d’Environnement et Changement climatique Canada.
La vice-présidente : Je vous prierais d’être un peu plus concis dans vos réponses pour que nous ayons le temps de faire les deux séries de questions. C’est très intéressant.
Le sénateur Tkachuk : La tarification du carbone est toujours un casse-tête pour moi.
Qu’est-ce qui produit le plus de CO2? Est-ce que ce sont les automobiles? Est-ce que ce sont les centrales au charbon? Où le plus grand danger pour l’environnement se trouve-t-il?
M. Beugin : L’ensemble de l’économie produit des émissions. Les transports, l’essence que consomment les véhicules et la production d’énergie sont d’importantes sources d’émissions.
Le sénateur Tkachuk : Lorsque vous dites « importantes », parlons-nous ici de 20, 40 ou de 50 p. 100? Qui produit ces émissions?
M. Beugin : Je n’ai pas les données sous la main.
Mme Stilborn : Je crois que c’est le secteur des transports qui produit le plus d’émissions. Viennent ensuite le transport de passagers et le transport de marchandises. Je n’ai pas non plus les données exactes avec moi, mais je peux vous les envoyer après la réunion.
Le sénateur Tkachuk : C’est variable, n’est-ce pas?
Mme Stilborn : C’est variable.
Le sénateur Tkachuk : Si le transport s’effectue par train, il y aura beaucoup moins d’émissions de CO2 que si nous utilisons des camions.
Mme Stilborn : Oui, et le transport par camion. Le transport de marchandises et le transport de passagers sont les seuls segments où les émissions de gaz à effet de serre continuent de grimper, et cela s’explique notamment par notre dépendance économique au transport de marchandises par camion. Par ailleurs, plus de gens conduisent sur de plus longues distances, et la densité est plus élevée. Il y a plus de gens qui vivent en milieu urbain, mais l’étalement urbain s’accentue, par exemple.
M. Beugin : Chaque fois que nous consommons des combustibles fossiles et que nous avons recours à des procédés industriels, cela produit des émissions : la fabrication de ciment, la fabrication de produits chimiques, l’agriculture et, enfin, la foresterie.
Le sénateur Tkachuk : Le prix du carbone est établi par l’utilisateur de ce carbone. Lorsqu’une personne achète du carburant pour un camion ou une voiture, il y a une certaine taxe. Est-ce ce dont nous parlons ici?
M. Beugin : Le distributeur de carburant paie la taxe sur le carbone et il facture ce montant à ceux qui achètent son carburant.
Le sénateur Tkachuk : Une taxe reste une taxe. Lorsque des gouvernements imposent une taxe, ils convoitent ces revenus. Cette mesure devrait être sans incidence sur les revenus. Autrement, vous nuisez à l’économie en imposant une taxe si vous ne faites pas en sorte que ce soit sans incidence sur les revenus. Le Canada est en réalité un puits de carbone. Nous captons plus de CO2 au Canada que nous en produisons. Si nous imposons une taxe sur le carbone qui n’est pas sans incidence sur les revenus, vous nuisez en fait à l’économie et vous nous rendez moins concurrentiels par rapport aux autres dans le monde.
Ne devrais-je pas recevoir un crédit d’impôt pour tout ce que je paie et que je mets dans mon réservoir d’essence? Ne devrais-je pas recevoir un crédit d’impôt pour réduire mes revenus imposables et rendre le tout sans incidence sur les revenus?
M. Beugin : Il existe plus d’une manière de recycler les recettes pour les utiliser.
Le sénateur Tkachuk : À mon avis, un montant est payé, et je devrais le récupérer. Voilà la façon de nous assurer que c’est sans incidence sur les revenus. Avons-nous un régime de tarification du carbone sans incidence sur les revenus au Canada ou avons-nous seulement une taxe?
M. Beugin : Le régime en Colombie-Britannique était sans incidence sur les revenus au début.
Le sénateur Tkachuk : C’est ce que je veux dire. Les autorités convoitent cet argent. C’est un gros problème. Les gouvernements eux-mêmes s’en servent comme d’une taxe pour générer des revenus qu’ils pourront investir ailleurs.
M. Beugin : L’objectif de la tarification du carbone n’est pas de générer des revenus; c’est une mesure incitative. Il incombe aux gouvernements d’utiliser judicieusement les revenus provenant des taxes sur le carbone et d’autres instruments fiscaux.
C’est vrai qu’il y a des manières meilleures et pires que d’autres d’utiliser les revenus. C’est le cas de tous les instruments fiscaux.
Le sénateur Tkachuk : Je mets l’accent sur cet aspect, parce que, si un gouvernement me prend 2 $ et me le redonne, cela m’incite à économiser de l’argent par rapport à ce 2 $, parce que j’aimerais le dépenser à d’autres fins. Toutefois, si un gouvernement prend l’argent et le dépense, il le dépensera sur des choses qui produisent du carbone. Tout produit du carbone; indépendamment de ce que les gouvernements achètent ou de l’utilisation qu’ils en font, cela produit du carbone. En tenons-nous compte dans l’équation sur le captage de CO2? C’est vraiment ce qu’ils font. Les gouvernements prennent tout bonnement l’argent que j’aurais pu dépenser en essence et ils le dépensent pour leurs choses. Ils achètent peut-être d’autres choses qui produisent du carbone, et c’est ce qu’ils font normalement.
M. Beugin : Bon nombre d’économistes sont d’accord avec vous et ils préféreraient des approches sans incidence sur les revenus à une tarification du carbone.
La vice-présidente : Sénateur Tkachuk, pour la deuxième série de questions.
Le sénateur Tkachuk : Exercez-vous des pressions en ce sens? Vous ne l’avez aucunement mentionné. Je veux le savoir. C’est la chose la plus importante. Autrement, cela n’a aucun sens.
M. Beugin : La Commission de l’écofiscalité du Canada affirme clairement qu’il y a plus d’une manière de recycler des recettes, et chaque manière mène à des compromis différents. L’utilisation des revenus pour réduire les impôts a beaucoup d’avantages. L’utilisation des revenus à d’autres fins peut mener à des compromis ou à d’autres avantages. C’est justifié de donner une certaine marge de manœuvre aux provinces et de les laisser tailler sur mesure leur propre approche par rapport au recyclage des recettes. Ce seront les provinces qui devront déterminer si ce sera sans incidence sur les revenus, comme cela se fait dans le Cadre pancanadien.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Ma première question s’adresse à Mme Stilborn. Merci à nos invités de leur présentation.
Plusieurs sont d’avis que les objectifs politiques de réduction de gaz à effet de serre sont souvent inatteignables. D’ailleurs, les résultats du passé leur donnent raison. On a souvent l’impression qu’ils sont établis par la classe politique, pour satisfaire le lobby écologique, sans tenir compte de la compétitivité de nos entreprises. La plupart des témoins de l’industrie nous ont dit qu’ils n’avaient pas été consultés au sujet de la taxe sur le carbone, ce qui me semble anormal.
À votre avis, quel objectif pourrait-on cibler et qui serait réaliste pour le Canada?
Mme Stilborn : C’est une grande question. Je vous remercie, sénateur Dagenais.
[Traduction]
De nombreuses discussions portent sur l’établissement des objectifs. Pour être honnête, il y a des endroits au Canada et à l’étranger, dans une certaine mesure, où les gouvernements essayent d’en faire un peu plus que les autres. Ils veulent être meilleurs que les autres et établir des objectifs plus élevés. Nous sommes conscients que les gouvernements ressentent de la pression en raison de l’Accord de Paris et des précédents accords visant la réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Nous parlons beaucoup de l’établissement d’objectifs réalistes, nommément des objectifs réalistes et atteignables. Il faut comprendre les voies de conformité pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Cela exige de rigoureuses analyses économiques. Par exemple, prenons la norme sur les carburants propres qui va dans le sens de la tarification du carbone, parce que cela fait grimper le coût. Cela fait partie du coût des politiques sur le carbone. Ce n’est peut-être pas la tarification du carbone, mais cela ajoute au coût des politiques sur le carbone.
Par exemple, le gouvernement voulait réduire les émissions de 30 mégatonnes et il veut appliquer la norme sur les carburants propres à tous les secteurs.
Nous collaborons avec le gouvernement pour essayer de mieux comprendre la manière dont il proposerait que nous nous y conformions. Nous voulons être en mesure de respecter les règlements et idéalement de ne pas devoir payer pour nous dégager de nos responsabilités, que cela prenne la forme d’une tarification du carbone ou de la norme sur les carburants propres. En fin de compte, l’objectif en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre devrait vraiment être atteignable; l’objectif ne devrait pas être de payer des amendes qui ne réduisent pas les émissions de gaz à effet de serre.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Ma question s’adresse à M. Beugin. Si je vous ai bien compris, vous êtes de l’école de pensée selon laquelle les pays, comme le Canada, devraient taxer les produits venant des pays qui ne luttent pas contre les gaz à effet de serre. Avez-vous une idée de l’impact économique négatif que cela aurait sur les consommateurs, si on annonçait une telle taxe sur les produits qui viendraient, entre autres, de la Chine ou des États-Unis?
On entend dire actuellement que M. Trump veut taxer l’aluminium. Qu’arriverait-il si c’était l’inverse? Je crois que cela aurait un impact sur les consommateurs qui sont déjà touchés par la taxe sur le carbone.
[Traduction]
M. Beugin : Pour être précis, la Commission de l’écofiscalité n’est pas favorable à des ajustements fiscaux à la frontière en ce qui a trait à la teneur en carbone, et c’est le genre de mesures que vous décrivez. Dans mes commentaires, j’ai souligné que d’autres pays ont envisagé publiquement d’imposer une telle politique.
La commission n’a pas recommandé une telle approche pour le Canada; elle a plutôt proposé une approche fondée sur les extrants pour atténuer ces préoccupations liées à la compétitivité. Ce sont deux options qui ont le même objectif : les ajustements fiscaux à la frontière en ce qui a trait à la teneur en carbone et l’approche fondée sur les extrants.
La commission préconise notamment l’adoption de la tarification fondée sur les extrants comme outil pour atténuer les préoccupations liées à la compétitivité en raison précisément du point que vous faites valoir, c’est-à-dire que l’imposition de barrières commerciales entraîne des coûts. C’est aussi complexe sur le plan administratif de mesurer la teneur en carbone des produits échangés. C’est un épineux problème, et c’est plus simple à régler avec l’approche fondée sur les extrants que les ajustements fiscaux à la frontière.
[Français]
Le sénateur Maltais : J’aimerais revenir sur deux points qu’ont soulevés les sénateurs Marwah et Tkachuk, mais je vais commencer par vous, madame Stilborn. Vous venez de l’Ontario. Vous connaissez votre politique en matière de taxe sur le carbone, qui est une copie conforme à celle du Québec, qui provient elle-même de la Californie.
Mme Stilborn : Oui.
Le sénateur Maltais : Comment se comporte la bourse du carbone en Ontario? Que fait le gouvernement de l’Ontario avec les sommes recueillies grâce à la bourse du carbone?
Mme Stilborn : En Ontario, la bourse du carbone est réglementée par une loi, et les sommes provenant de la bourse sont réinvesties dans des programmes afin de réduire les émissions de gaz à effet de serre.
Le sénateur Maltais : Je vais vous donner un exemple concret qui concerne le Québec. Une des deux raffineries du Québec se trouve juste en face du Parlement.
Mme Stilborn : Oui.
Le sénateur Maltais : Cela s’est fait sans douleur parce que le Québec a choisi de réinvestir la taxe sur le carbone dans la recherche, que ce soit au niveau du raffinage, des transports ou de la modernisation de l’équipement agricole. Ce sont trois secteurs dans lesquels le Québec a choisi de réinvestir.
J’entends crier les écologistes et les éco-économistes, mais c’est le seul endroit au monde où il y a une raffinerie devant le Parlement. Ne cherchez pas ailleurs, il n’y en a pas d’autres, et cela a été fait en bonne et due forme, sans cris, sans heurt. Par contre, la raffinerie de Québec est désavantagée par rapport à celle, par exemple, de Saint-Jean, au Nouveau-Brunswick, qui n’a pas à payer de taxe sur le carbone.
Monsieur Beugin, je pense que l’harmonisation d’une taxe sur le carbone n’est pas la bonne chose à faire. Je pense plutôt qu’une modulation est nécessaire parce que les provinces qui ont fait des efforts... Et comme l’a dit le sénateur Tkachuk, une taxe, c’est une taxe parce qu’au bout de la chaîne de taxation, c’est le citoyen qui paie. Tous les ordres de gouvernement refileront la taxe au citoyen.
La vice-présidente : Votre question, s’il vous plaît.
Le sénateur Maltais : Ma question?
La vice-présidente : Oui, s’il vous plaît.
Le sénateur Maltais : Je l’ai posée à Mme Stilborn, et elle y a bien répondu.
[Traduction]
Le sénateur Tannas : J’ai hâte de voir les documents qui font suite à la question du sénateur Marwah.
Y a-t-il une pondération qui est accordée en ce sens, par exemple, pour comparer Monaco à la Chine? Monaco pourrait occuper le premier rang, mais il y a un grand nombre de pays dans le monde. Je présume qu’une certaine pondération est nécessaire, n’est-ce pas?
Mme Stilborn : Oui.
Le sénateur Tannas : Merci. Ce serait merveilleux si le Canada se trouvait au milieu de l’Europe. Nous pourrions collaborer main dans la main et tout faire ensemble. La réalité demeure que la majorité de nos emplois et de nos vies au Canada dépendent des États-Unis.
Vous venez de nous souligner une absurdité, soit l’idée d’être forcé de payer une taxe si vous n’êtes pas en mesure d’atteindre un objectif que personne dans le monde n’atteint et encore moins les États-Unis. Vous deviendrez non concurrentiel. Cela augmentera, et des gens perdront leur emploi. Cela fera grimper la quantité de carburant raffiné que nous importons au Canada.
Y a-t-il un groupe de gens qui s’appuient sur le gros bon sens qui reconnaîtrait cette absurdité et qui offrirait une solution raisonnable? Mettrons-nous tout simplement en péril un tas de secteurs pour obtenir une sorte de victoire morale qui plaira à tout le monde en Europe pendant que nous envoyons tout cet argent et ces emplois aux États-Unis?
Mme Stilborn : Sénateur Tannas, pour revenir sur ce point, nous espérons que les gens d’Environnement et Changement climatique Canada, de Ressources naturelles Canada et des autres ministères sont très attentifs à certains des points que nous faisons valoir ici aujourd’hui.
Pour répondre à votre question, vous vous demandez s’il y a un groupe proprement dit, et je peux vous dire qu’il y a évidemment des consultations sectorielles et plus vastes avec d’autres intervenants. Un groupe de représentants de l’industrie se rencontre, même si les réunions ne sont pas très fréquentes; il discute avec des hauts fonctionnaires d’Environnement et Changement climatique Canada pour examiner les répercussions concurrentielles cumulatives, surtout pour les secteurs qui produisent des émissions élevées et qui sont exposés au commerce, de la norme sur les carburants propres et du filet de sécurité sur la tarification du carbone. Nous nous penchons sur la question.
Le sénateur Tannas : Cela concerne la grande bureaucratie où personne n’est vraiment chargé de dire que c’est stupide et qu’il faut rectifier le tout. Vous participez à 100 réunions, mais vous ne savez pas si vous parlez à la bonne personne. Est-ce juste?
Mme Stilborn : Je crois que notre secteur et les autres parlent au plus grand nombre possible de représentants politiques et ministériels. Je crois que bon nombre de ces enjeux sont bien compris. Ce que vous dites vient vraiment souligner la nécessité d’une analyse rigoureuse de la compétitivité.
Le sénateur Tannas : Nous devrions peut-être avoir un ministère des Mesures sensées dont le ministre et les fonctionnaires seraient chargés d’examiner les mesures comme celle-ci qui n’ont aucun sens et qui doivent être corrigées. Merci.
La sénatrice Ringuette : C’était une discussion intéressante.
Nous avons assisté au cours des dernières décennies à un grand changement concernant la question environnementale du pétrole dans l’Ouest canadien. Corrigez-moi si j’ai tort — et j’ai peut-être tort —, mais je crois qu’il y a quelques mois le gouvernement du Canada a annoncé une coopération de plusieurs milliards de dollars avec le secteur privé concernant l’innovation et l’énergie. Vous avez tous les deux mentionné à plusieurs reprises que nous devons faire preuve d’innovation pour nous attaquer aux enjeux relatifs à l’environnement et à la tarification du carbone.
Avez-vous examiné l’apport de ce carrefour d’innovation en énergie — je crois que l’annonce concernait Calgary ou Edmonton — en ce qui a trait à ce grand plan pour l’atteinte de nos objectifs? Je vous vois hocher de la tête. Allez-y.
M. Beugin : Je ne suis pas suffisamment au courant des détails au sujet des investissements dont vous parlez. Mme Stilborn devrait pouvoir vous en dire davantage à ce sujet.
Je souligne que les ouvrages économiques sont très clairs. La tarification du carbone est la meilleure façon de stimuler l’innovation à faibles émissions de carbone et l’innovation en ce qui a trait aux nouvelles technologies et aux nouveaux procédés qui permettent de réduire les émissions de gaz à effet de serre à moindre coût et de manière plus vaste. C’est la meilleure manière d’y arriver. C’est la manière la plus économique et la plus efficace de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Ce n’est pas l’argent en tant que tel. Le plus important n’est pas les revenus générés. Le plus important est en fait de modifier la mesure incitative et de rendre plus coûteuse la production d’émissions de gaz à effet de serre. Cet aspect aura de fortes répercussions sur les forces novatrices dans notre économie au fil du temps.
La sénatrice Ringuette : Personnellement, j’analyse certains effets de ces recettes fiscales qui seront investies dans le secteur de l’innovation pour améliorer la situation globale dans certaines industries comme les raffineries et les procédés d’extraction, par exemple. Madame Stilborn, avez-vous des commentaires?
Mme Stilborn : Je peux parler du point de vue des entreprises. Toutes nos entreprises sont actives dans le domaine de l’innovation. Je suis persuadée que certaines d’entre elles ont établi des partenariats avec le gouvernement. L’objectif est d’essayer de tirer profit de certaines ressources provenant des fonds carbone des diverses provinces, en particulier avec les régimes existants de tarification du carbone. Certains n’utilisent peut-être pas ces revenus.
L’innovation est essentielle. Je crois que les entreprises innovent, qu’elles reçoivent ou non de l’aide gouvernementale, en vue de réduire les émissions de gaz à effet de serre pour diverses raisons. C’est bon pour l’environnement, comme nous le savons. La réduction de notre consommation énergétique est aussi une manière économique de faire des affaires.
Du point de vue de l’innovation, les activités des raffineries sont différentes de ce qu’elles étaient il y a 5, 10,15 ou 20 ans. Bon nombre d’installations font régulièrement ce que les entreprises appellent des arrêts planifiés de maintenance. Les activités sont interrompues un certain temps, de nouveaux équipements sont installés, et les entreprises en profitent pour faire des investissements. Vous y avez fait allusion, Dale, en ce qui concerne les cycles des investissements en capital. C’est à ce moment que les entreprises innovent et qu’elles installent de l’équipement plus efficace.
Je vous y encourage. Je sais que l’Association canadienne des producteurs pétroliers a déjà témoigné. Je crois que Tim McMillan a témoigné devant le comité il y a quelques semaines, mais il s’agit peut-être de questions que vous aimeriez poser directement aux secteurs en amont dans un contexte précis. Il y a beaucoup d’action dans le domaine.
Nous sommes au courant d’une initiative, et nous commençons à peine à trouver des façons d’être un peu plus engagés à cet égard. Nous savons que certains de nos membres y participent. C’est le Réseau d’innovation en ressources propres auquel l’industrie participe. Nous pouvons vous donner les noms de certaines personnes, si jamais vous voulez entendre ce que ce groupe peut avoir à dire.
La sénatrice Ringuette : Merci.
La sénatrice Wallin : Merci. J’aimerais revenir sur ce dont je parlais au début. Je crois que vous avez dit, monsieur Beugin, en réponse au sénateur Tkachuk, que les provinces peuvent vouloir tailler sur mesure leurs propres approches à l’intérieur d’un cadre. Est-ce que j’interprète correctement vos propos?
Dans l’affirmative, c’est certainement ce que ma province essaye de faire. Elle a un plan et elle affirme que cela permettra de réduire les émissions de 188 millions de tonnes. La province a présenté son propre plan intitulé « Résilience des Prairies ». Évaluez-vous autre chose que le plan fédéral? Avez-vous une réponse pour M. Moe qui a dit que cette idée d’une taxe sur le carbone est séduisante pour les groupes de réflexion, mais qu’il faut quelque chose d’un peu plus flexible dans le monde réel?
M. Beugin : Le Cadre pancanadien offre une certaine souplesse aux provinces de deux façons très importantes; ce sont les aspects liés à la personnalisation dont je parlais.
Premièrement, les provinces peuvent choisir si elles veulent fixer le prix du carbone au moyen de divers instruments, d’un système de plafonnement et d’échange, d’une taxe sur le carbone ou d’instruments hybrides, comme en Alberta. Cette souplesse est importante.
Fait peut-être encore plus important, les provinces ont une marge de manœuvre concernant l’utilisation des revenus que génèrent ces régimes. Je crois que c’est l’aspect le plus important de cette souplesse, parce que les contextes varient d’une province à l’autre. L’adoption d’approches différentes pour le recyclage des recettes peut être logique dans diverses régions pour des gouvernements différents.
Je crois qu’une souplesse limitée — pas infinie — est appropriée. Même s’il y a d’autres manières de réduire les émissions de gaz à effet de serre que la tarification du carbone, notamment les subventions et les règlements, ces autres moyens ont aussi des inconvénients; ils coûtent plus cher, et plus de renseignements sont nécessaires des gouvernements en vue de peut-être cerner les technologies et les secteurs précis qui méritent du soutien ou des règlements.
La sénatrice Wallin : Avez-vous en fait examiné la situation en Saskatchewan? Dans l’affirmative, qu’en pensez-vous?
M. Beugin : J’ai examiné le plan de la Saskatchewan intitulé « Résilience des Prairies ». Je crois que cela ne répondra pas aux normes établies dans le Cadre pancanadien.
La sénatrice Wallin : Ce n’est pas ce que je demande. C’est évidemment la raison pour laquelle il y a un différend entre le gouvernement fédéral et la province. Le plan ne répond pas aux normes établies par le gouvernement fédéral.
Voici ma question. Est-ce une approche raisonnable? C’est certainement différent. Je sais que vous voulez quelque chose de plus uniforme. Cela permettra-t-il d’atteindre certains objectifs?
M. Beugin : Je crois que l’un des aspects les plus intéressants dans le plan de la Saskatchewan est honnêtement la politique de tarification du carbone qui porte un autre nom. Cependant, la politique de tarification du carbone s’applique seulement aux grands émetteurs. Elle s’applique seulement à un sous-ensemble de l’économie.
Une meilleure approche, que cela se fasse dans le Cadre pancanadien ou de manière parallèle, est d’avoir des mesures incitatives et des tarifications qui s’appliquent uniformément à l’ensemble des émissions produites dans l’économie. C’est la manière de nous assurer de la présence de mesures incitatives uniformes et de possibilités de réduction des émissions à faible coût. Lorsque vous exemptez les petits émetteurs, les ménages et les véhicules de l’application des mesures, vous vous retrouvez avec une très grande proportion de l’économie à laquelle la politique ne s’applique pas. Cela fera augmenter les coûts de la politique ou en réduira l’efficacité.
La sénatrice Wallin : Je ne poursuivrai pas le débat, mais les fermes familiales ou les exploitations agricoles en ressentent les effets d’environ trois côtés. Les exploitants doivent aussi acheter de l’essence à la station-service ou de la nourriture à l’épicerie. Ils sont visés pour une raison. Je vais m’arrêter là. Merci.
Le sénateur Tkachuk : La Colombie-Britannique a-t-elle réduit ses émissions?
M. Beugin : Selon les meilleures analyses économiques, sans la taxe qu’impose la Colombie-Britannique, les émissions seraient de 5 à 15 p. 100 plus élevées qu’elles l’auraient autrement été.
Le sénateur Tkachuk : Qu’est-ce que cela signifie?
M. Beugin : Cela signifie que les émissions auraient été plus élevées si la province n’avait pas adopté pour une politique de tarification du carbone. La province a réduit ses émissions par rapport à ce qu’elles auraient été sans une telle politique.
Le sénateur Tkachuk : La province n’a pas vraiment réduit la quantité d’émissions produites.
M. Beugin : En chiffres absolus, les émissions ont légèrement augmenté au fil des ans. Cependant, elles auraient grimpé beaucoup plus rapidement sans la présence d’une politique de tarification du carbone.
Le sénateur Tkachuk : En êtes-vous certain?
M. Beugin : C’est ce que démontrent les statistiques, les analyses économiques et les données. Oui.
Le sénateur Tkachuk : Je crois qu’il est très important, si nous envisageons de faire la promotion de la tarification du carbone comme une manière efficace de réduire les émissions, de préciser que cela doit être sans incidence sur les revenus.
Je reviens sur cet élément, parce que bon nombre de personnes ont beaucoup de choix lorsqu’elles ont beaucoup d’argent. Dans le cas des hommes et des femmes ordinaires, ils se lèvent le matin et ils se rendent au travail en voiture. Ce n’est pas un choix. Il n’y a pas de train à grande vitesse à Hague, en Saskatchewan, ou à Saskatoon. Ils doivent prendre leur voiture pour se rendre au travail. Après votre journée de travail, vous arrêtez faire le plein à la station-service; l’essence coûte beaucoup trop cher. Vous payez des taxes sur ce montant. Vous n’avez aucun moyen de récupérer cet argent. Vous allez ensuite à l’épicerie, et vos emplettes vous coûtent plus cher.
C’est un fardeau qui pèse sur la vaste majorité des gens qui n’ont pas d’autres choix. Les gens qui sont bien nantis ont l’embarras du choix, et les hausses ne les dérangent pas. En fait, je serais prêt à parier que, si vous faisiez cette analyse, vous verriez que les gens à revenu élevé ont continué de se déplacer autant qu’auparavant, voire peut-être plus. Ils s’en moquent. Les gens qui en paient le prix sont les petites gens.
Si les mesures ne sont pas sans incidence sur les revenus et que ces contribuables ne sont pas admissibles à des rabais, cela voudra donc dire qu’ils n’ont pas le choix.
La vice-présidente : Merci, sénateur Tkachuk.
Le sénateur Tkachuk : Je crois qu’il devrait répondre, parce qu’il semble affirmer que cela n’a pas vraiment d’importance; le gouvernement peut utiliser l’argent à n’importe quelle fin, et c’est ce qu’il fait.
M. Beugin : Premièrement, la question d’équité est très importante. Les gouvernements devraient absolument s’assurer que les politiques de tarification du carbone ne sont pas régressives et qu’elles n’entraînent pas de coûts disproportionnés pour les ménages à faible revenu.
C’est le cas de la majorité des provinces. L’Alberta offre des rabais. Elle envoie des chèques par la poste, un peu comme les chèques de TVH, aux 60 p. 100 des ménages les moins bien nantis. La Colombie-Britannique envoie des chèques aux ménages en milieu rural et aux ménages à faible revenu.
Les revenus devraient absolument être utilisés pour veiller à ce que ce soit équitable. Je crois que nous pouvons pousser encore plus loin ce raisonnement; nous pourrions utiliser les revenus pour réduire les taxes au lieu de réduire les dépenses. Je crois que nous devrions présenter cette suggestion aux provinces. L’argument selon lequel les provinces devraient utiliser ces revenus pour réduire les taxes au lieu de réduire d’autres dépenses est très valable.
Mme Stilborn : Sénatrice Stewart Olsen, nous pouvons faire parvenir au comité les récents commentaires de notre président, Peter Boag, qui souligne que les coûts liés au transport, par exemple, sont fixes pour un grand pan de la population.
La vice-présidente : Merci. Ce serait merveilleux.
Merci à vous deux de votre présence. J’ai laissé les séries de questions s’étirer plus que je l’aurais normalement fait, parce que ce sujet préoccupe énormément les gens et que c’est très complexe. Je vous remercie de vos questions et de vos réponses franches. Nous vous en remercions énormément.
(La séance est levée.)