Délibérations du Sous-comité des
Anciens combattants
Fascicule no 8 - Témoignages du 3 mai 2017
OTTAWA, le mercredi 3 mai 2017
Le Sous-comité des anciens combattants du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale de la défense s'est réuni aujourd'hui, à 12 h 1, pour étudier les questions liées à la création d'un système professionnel, cohérent et défini pour les anciens combattants lorsqu'ils quittent les Forces armées canadiennes.
La sénatrice Mobina S. B. Jaffer (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Se joignent à nous aujourd'hui Kevin Pittman, greffier du comité, et Havi Echenberg, notre analyste de la Bibliothèque du Parlement. Je suis la sénatrice Mobina Jaffer, et je suis présidente du comité. Je prie les sénateurs de bien vouloir se présenter.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Bonjour, je m'appelle Jean-Guy Dagenais. Je suis vice-président du comité et un sénateur du Québec.
[Traduction]
La sénatrice Boniface : Gwen Boniface, de l'Ontario.
Le sénateur Lang : Le sénateur Dan Lang, du Yukon.
[Français]
La présidente : Le Sous-comité des anciens combattants a reçu le mandat d'examiner, pour en faire rapport, les questions relatives à la création d'un système professionnel, cohérent et défini destiné aux anciens combattants quand ils partent des Forces armées canadiennes.
[Traduction]
Nous sommes heureux d'accueillir aujourd'hui Richard Blackwolf, président national de Canadian Aboriginal Veterans; Michael L. Blais, président et fondateur du groupe Canadian Veterans Advocacy; et, enfin, Ray McInnis, directeur du Bureau d'entraide. Vous avez fait un excellent travail dans ces domaines. C'est pourquoi nous étions impatients de vous parler. Nous vous souhaitons la bienvenue.
Les trois organisations que vous représentez ici sont membres du Groupe consultatif sur l'excellence du service auprès du ministre des Anciens Combattants. Elles ont pour mandat de fournir au ministre des recommandations visant à remédier aux difficultés auxquelles se heurtent les anciens combattants des Forces armées canadiennes, les membres de la GRC et leur famille dans leur transition et leur retour à la vie civile, ainsi que des recommandations visant à combler les lacunes dans le dispositif de soutien en faveur de nos anciens combattants traditionnels qui constituent le groupe le plus âgé des anciens combattants d'aujourd'hui, ainsi que des membres de la GRC et leur famille, pour veiller à ce qu'ils reçoivent les services et les prestations dont ils ont besoin.
Je vous souhaite à tous la bienvenue. C'est à M. Blais de commencer, je crois.
Michael L. Blais, président et fondateur, Canadian Veterans Advocacy : Mesdames et messieurs les sénateurs, merci d'avoir invité notre groupe à témoigner sur les questions liées à la transition. Nous sommes un groupe de défense axé sur la consultation au service exclusif des blessés et de leur famille. C'est ainsi qu'au cours des six dernières années, nous avons accompagné une multitude de soldats, d'aviateurs, de marins grièvement blessés et handicapés, et leur conjoint, dans leur transition au travers d'un fouillis de difficultés se dressant entre eux en qualité de Canadiens nouvellement handicapés et le ministère de la Défense nationale et Anciens Combattants Canada, vers une vie civile qu'ils n'avaient jamais envisagée.
Ne doutant pas que d'autres témoins reviendront sur ces difficultés et, conscient du peu de temps à notre disposition et de l'ampleur du sujet, je voudrais me concentrer sur les moyens permettant d'améliorer la coopération entre la Défense nationale et Anciens Combattants Canada et, chose tout aussi importante, sur les politiques à mettre en œuvre pour garantir la continuité du dispositif d'aide à la transition lorsque les intéressés réintègrent leur communauté.
Le chef d'état-major de la Défense a récemment mis en place des réformes substantielles renvoyant à l'évolution de ses conceptions en matière de transition. Des changements ont été apportés à la structure de commandement au niveau de la direction tendant à transformer les unités interarmées de soutien au personnel, fort critiquées, en une entité aux attributions plus étendues capable de fournir des services de qualité et débarrassée des problèmes dont ont eu à pâtir les efforts de transition au stade de la conception et de la mise en œuvre avec leurs conséquences inévitables. Malheureusement, trop peu de temps s'est écoulé pour permettre une évaluation, et les problèmes d'embauche de personnel de santé mentale qualifié persistent et constitueront un obstacle majeur.
Il s'agit là d'un problème fondamental. L'incapacité du ministère de la Défense d'engager un nombre suffisant de professionnels de la santé mentale, notamment de psychiatres, psychologues et conseillers, pour servir sur les bases isolées où sont regroupées la plupart de nos unités de combat, est à la racine du problème. Je ne crois pas qu'il suffise d'offrir des incitations financières pour le régler. Comme cette problématique a été abordée au niveau civil, il y a d'autres obstacles qui interviennent.
J'ai participé à la réunion de l'Association de psychologie de l'Ontario à Toronto sur la santé mentale militaire. De nombreux professionnels de la santé mentale, psychologues et psychiatres, ne sont pas formés aux subtilités de la guerre ou à la violence des opérations de maintien de la paix. Notre objectif était de leur donner une introduction à la culture militaire, de dissiper les craintes et les stigmates injustifiés, de les encourager à se former de l'intérieur, de mettre en place un rapport avec Anciens Combattants Canada, y compris un réseau de professionnels à l'échelle de la province qui, fidèles à leur obligation sacrée, sont disposés à s'intégrer pleinement et harmonieusement au dispositif établi par Anciens Combattants Canada en matière de transition et de réinstallation pour apporter un soulagement à la femme et à la famille du blessé.
Je crois que le ministère de la Défense et Anciens Combattants Canada exigent le même niveau d'engagement et que s'ils se tournaient vers les associations de santé mentale, collectivement peut-être pour réduire les frais, et commençaient à parler des graves traumatismes mentaux et physiques que les filles et les fils du Canada ont subis en Afghanistan et ailleurs et, tout simplement, leur disaient qu'ils ont besoin de leur aide, leur réponse serait positive. Il ne suffit pas de publier une offre d'emploi. Cela fait des années que nous avons des carences dans ce domaine. Le risque de conséquences catastrophiques dû aux retards dans les soins ou à l'insuffisance des ressources en matière de santé mentale au stade de la transition est évident et effectif. Il appartient au gouvernement d'aller au-devant de ces professionnels dont on a besoin, de les convaincre d'épouser leur cause sacrée à l'égard des blessés dans le cadre de symposiums sur la culture militaire, éventuellement organisés aux fins d'une mission spécifique, traitant de la gravité des blessures subies par les filles et les fils du Canada, faisant valoir que l'on a absolument besoin qu'ils se solidarisent avec les blessés et fournissent des services efficaces afin d'assurer que les soins dispensés durant la transition se poursuivent par la suite sans retard nocif ni stress mental inutile.
Dans l'idéal, pareille initiative encouragerait des rapports et des liens directs entre le ministère de la Défense et Anciens Combattants Canada de même qu'avec les communautés professionnelles intéressées partout au pays. Notre dispositif de transition doit viser à garantir qu'une fois achevée la transition, l'ancien combattant et son conjoint et sa famille, qui sont réinstallés dans la communauté de leur choix, puisse trouver un docteur, un spécialiste de la souffrance, un psychiatre ou un psychologue qui l'attend et, lorsque c'est possible, un groupe de soutien local disposé à l'aider.
Je dirai quelques mots de l'apport d'Anciens Combattants Canada au processus de transition. Il importe au plus haut point de mettre en place des protocoles formels de partage de l'information et de collaboration efficaces entre le ministère de la Défense et Anciens Combattants Canada pour s'assurer que les formalités administratives requises par Anciens Combattants Canada ont été dûment remplies avant la libération définitive; que le vétéran est identifié comme client d'ACC; et que les mesures préparatoires ont été prises par ACC au niveau de la communauté pour garantir la disponibilité au niveau local des professionnels de la médecine appropriés pour assurer le traitement.
L'un des principaux obstacles, tant durant la transition qu'après la libération, tenait à la complexité, à la paperasse et à la durée du délai nécessaire pour déterminer l'admissibilité, le statut et l'octroi d'une compensation ultérieure pour leur sacrifice ou, comme promis pour l'avenir, le début de la pension mensuelle à vie. Cela cause immanquablement de graves difficultés financières et empêche le versement de fonds désespérément nécessaires qui auraient pu aider à la transition en raison d'une libération pour raison de santé imprévue et n'ayant pas laissé le temps nécessaire pour constituer une épargne, et d'une réinstallation forcée dans un lieu éloigné de la communauté militaire ou des services qui leur venaient en aide durant la transition. À propos de transition, il faut absolument qu'Anciens Combattants Canada mette en place des mécanismes capables d'assurer la continuité des soins et un dispositif complet de soutien avant la libération pour garantir une transition harmonieuse.
Je suis au fait des efforts déployés par les deux instances gouvernementales pour simplifier les procédures. J'estime toutefois qu'on n'obtiendra pas de résultats probants concernant l'amélioration du dispositif de transition avant d'avoir réembauché, reformé et redéployé le personnel opérationnel qui a été mis à pied durant la décennie obscure. Cela a été, je crois, l'une des principales causes de mécontentement au sein de la communauté des anciens combattants, au regard de la transition et de manière générale. Le niveau de compétence requis pour assurer la gamme complète des services aux différents niveaux pour des blessures de guerre complexes ne se trouve pas au « décrochez-moi-ça », et une formation appropriée est nécessaire. À ce jour, le budget du ministre O'Toole prévoit le recrutement de 250 personnes. Le gouvernement actuel en avait promis des centaines d'autres. On a désespérément besoin de chacun d'entre eux pour pouvoir assurer un service complet et efficace tant au niveau de la transition que de nos efforts visant à faire que les protocoles de transition couvrent également la période post-transition.
La simplification des procédures est en cours, mais indépendamment de notre réussite en la matière, sans les effectifs appropriés à Anciens Combattants Canada pour assurer un traitement efficace des dossiers et fournir des services relevant d'ACC durant la transition et au-delà, retards et frustrations resteront notre lot quotidien.
Je ferai également observer en ma qualité d'ancien combattant qu'il y eut une époque où celui qui faisait état de problèmes de santé mentale passait pour un faible, se faisait traiter avec mépris et devait surtout se la fermer et être stoïque, que les mentalités ont considérablement évolué au cours des cinq dernières années. On le doit, je crois aux vigoureux efforts déployés pour sensibiliser aux questions liées à la santé mentale, notamment dans l'armée, et au bien- être en général. Les efforts visant à éliminer la stigmatisation, de même que les autres initiatives proactives peuvent avoir un impact positif important sur les services accompagnant la transition dont il est question aujourd'hui.
Merci. J'attends avec impatience les questions que vous souhaiteriez me poser sur ce que je vous ai dit ou sur d'autres domaines de la transition que, faute de temps, je n'ai pas eu le temps d'aborder.
La présidente : Merci beaucoup pour votre présentation.
Nous entendrons maintenant M. Richard Blackwolf, président national de Canadian Aboriginal Veterans. Bienvenue, monsieur Blackwolf.
Richard Blackwolf, président national, Canadian Aboriginal Veterans : Merci, madame la présidente.
Mesdames et messieurs les sénateurs, merci de votre invitation à comparaître aujourd'hui devant ce distingué sous- comité.
Je suis le président national de la Canadian Aboriginal Veterans Association. Cela fait 39 ans que notre association représente les anciens combattants autochtones canadiens et défend leurs droits au niveau national. Notre association communique sur le plan national et international au moyen de son site web national qui a dépassé les 480 000 visites. Elle anime une vingtaine de groupes sur les médias sociaux pour informer nos membres et recevoir d'eux leurs informations sur tout problème les concernant et les événements intéressant les anciens combattants dans la région du Canada qui est la leur.
Pour ce qui est des activités de défense des droits des anciens combattants autochtones réalisées par le passé, l'association a fait des suggestions en vue de réduire le temps d'attente imputable à l'interface entre les archives des forces armées et d'Anciens Combattants. Elle a suggéré notamment la création de bureaux d'Anciens Combattants Canada dans chaque base des Forces armées canadiennes afin de créer un point de contact direct avec ACC.
Elle a suggéré en second lieu de modifier la Loi sur la protection des renseignements personnels afin d'accélérer le transfert des dossiers personnels par le recours à une interface intégrée entre les archives de l'armée et ACC.
Elle a suggéré en troisième lieu la création d'un lien direct au niveau exécutif entre le ministère de la Défense nationale et Anciens Combattants Canada.
Nous sommes ravis que le ministre des Anciens Combattants est aussi le ministre associé de la Défense nationale.
Afin de contribuer à l'étude du sous-comité du Sénat sur les anciens combattants, l'association avance la proposition suivante. On sait qu'il y a du personnel militaire formé dans tous les centres de recrutement des Forces armées canadiennes partout au pays. Les membres des Forces armées canadiennes reçoivent une formation avant déploiement sur tous les aspects du recrutement avant de devenir membre du personnel dans un centre de recrutement des Forces armées canadiennes.
L'association avance les suggestions ci-après en vue de l'élaboration d'un système professionnel cohérent et défini de libération des Forces armées canadiennes.
Nous recommandons que les Forces armées canadiennes créent un ensemble complet de centres de libération adaptés dans les divisions navales, les divisions des forces terrestres et divisions de l'armée de l'air partout au Canada; et qu'elles créent une structure de formation centralisée visant à dispenser une formation professionnelle pour le personnel de l'armée de terre, de la marine et de l'armée de l'air appelé à servir dans les centres de libération des forces armées.
Cette structure centrale de formation aura pour fonction première de fournir une formation professionnelle complète au personnel des centres de libération, couvrant toutes les procédures et catégories de libération des Forces armées canadiennes. Sa deuxième fonction sera de dispenser une formation concernant les programmes, les procédures et la navigation sur le site « Mon dossier ACC » et sur la création d'un compte personnel « Mon dossier ACC ».
L'enseignement des modules concernant les anciens combattants serait confié à des membres du personnel d'Anciens Combattants Canada.
Dans la conception que l'association se fait des centres de libération des Forces armées canadiennes, il existe une « procédure de sortie » suivie par tout le personnel militaire au moment de quitter les forces armées. L'association suggère d'étendre cette « procédure de sortie » en y incorporant un séjour dans un centre de libération des Forces armées canadiennes.
La tâche première du centre de libération consisterait à fournir du matériel, des programmes et des types de formation spécifique adaptés à chaque catégorie de libération.
La principale responsabilité du centre de libération à l'égard d'Anciens Combattants Canada consisterait à élaborer un programme personnalisé d'études et des types de formation étroitement adaptés au parcours de transition à la vie civile de chaque membre.
Dans le cadre des programmes personnalisés du centre de libération, le membre serait chargé de vérifier et contresigner le relevé de ses déploiements pour s'assurer que tous les types de travaux et toutes les activités y sont clairement consignés. En second lieu, il devrait vérifier et contresigner son dossier médical pour s'assurer que toutes les blessures ou maladies intervenues durant sa période d'enrôlement y sont consignées, et qu'il contient pour chaque blessure un rapport circonstancié précisant le où, quand et comment.
Anciens Combattants Canada, première interview : alors que le membre est toujours en service dans les Forces armées canadiennes dans l'attente de sa libération, afin d'être informé des programmes de formation d'ACC qu'il est admis à suivre immédiatement.
Anciens Combattants Canada, deuxième interview : afin d'être informé des programmes de formation auxquels il pourra participer et des prestations d'ACC dont il pourra bénéficier après sa libération.
Anciens Combattants Canada, troisième interview : formation à la navigation sur le site de « Mon dossier ACC » et création d'un compte « Mon dossier ACC ».
Nous recommandons que soit délivrée une carte d'identité des Forces armées canadiennes pour chaque individu avant le jour de sa libération : au recto, une photo et le certificat du service militaire; au verso, numéro de registre d'Anciens Combattants, renseignements personnels d'identification et renseignements encodés du compte « Mon dossier ACC » de l'intéressé pour lecture automatique sur les terminaux des bureaux d'Anciens Combattants Canada ou de Service Canada.
L'association recommande vivement que la date officielle de libération soit celle à laquelle le membre en transition reçoit le premier versement de sa pension ou de ses allocations d'ACC pour éviter les problèmes liés au système de paiement Phénix et autres.
En conclusion, Anciens Combattants Canada passe aux yeux de nombreux vétérans pour une devanture brillante derrière laquelle se cache une compagnie d'assurances, qui cherche, comme toute compagnie d'assurances, à réduire ses pertes au minimum.
La méthode d'examen des réclamations est la preuve qu'ACC fonctionne comme une compagnie d'assurances, ladite méthode exigeant que le vétéran introduisant une demande produise un état complet de ses services dans l'armée, tous ses dossiers médicaux militaires et se soumette à un examen physique réalisé par un docteur d'Anciens Combattants Canada.
La méthode d'examen leur apparaît comme biaisée dès le départ à leur encontre parce que les pièces fournies à l'appui par le déclarant sont le plus souvent écartées, qu'on ne leur accorde pas le bénéfice du doute, et que les taux de compensation sont minorés.
En l'absence de volonté politique, la culture de l'institution et le mode de fonctionnement d'ACC ont peu changé depuis sa création en 1944 en dépit de nombreux changements de gouvernement et de l'adoption en avril 2007 de la Déclaration des droits des anciens combattants.
La matérialisation d'une volonté politique capable d'infléchir positivement l'évolution de la culture institutionnelle et du mode de fonctionnement d'ACC, en cela compris sa mise en conformité intégrale avec la Déclaration des droits des anciens combattants, ne pourra résulter que de la pression qui s'exercera de l'extérieur lorsque le Bureau de l'ombudsman des anciens combattants et le Bureau de l'ombudsman des anciens combattants pour le ministère de la Défense nationale et les Forces armées canadiennes seront soustraits à la tutelle des ministères des Anciens Combattants et de la Défense nationale du Canada, et que les ombudsmans jouiront de la pleine autonomie, du droit de citer à comparaître, et relèveront directement du Parlement.
Merci, mesdames et messieurs les sénateurs, pour votre aimable attention.
La présidente : Merci, monsieur Blackwolf.
Nous poursuivrons avec M. Ray McInnis, de la Légion royale canadienne. Merci de votre présence ici.
Ray McInnis, directeur, Bureau d'entraide, Légion royale canadienne : Bonjour. C'est un grand plaisir de comparaître de nouveau devant votre comité. Au nom du président national de la Légion royale canadienne, David Flannigan, nous vous offrons notre concours dans la poursuite de vos efforts en défense des vétérans de tous âges et de leur famille. Merci pour le travail que vous faites pour nos anciens combattants et leur famille.
Je suis le directeur national du Bureau d'entraide. Je suis retraité, adjudant-chef, et j'ai presque 34 ans de service.
La Légion vient en aide aux vétérans et à leur famille depuis 1926 en vertu du mandat que lui confèrent tant la Loi sur les pensions que la Nouvelle Charte des anciens combattants. Une transition positive vers la vie civile est essentielle pour tous les membres des Forces armées canadiennes, qu'ils soient membres réguliers ou réservistes, et pour leur famille également, qui subit également l'impact de ce changement.
L'expérience de la vie après la libération est différente et unique pour chaque ancien combattant. Certains partent volontairement après une brève période de service, certains sont célibataires, certains ont de jeunes enfants et certains ont besoin de travail. D'autres prennent leur retraite après de nombreuses années de service et jouissent d'une bonne sécurité financière. Certains membres prennent leur retraite après avoir subi une blessure au service de leur pays et doivent effectuer cette transition dans des circonstances difficiles. Il est important, par conséquent, que le ministère de la Défense nationale et Anciens Combattants Canada mettent en place des politiques, des pratiques et des programmes complémentaires étayés par un programme de recherche durable visant à permettre une transition harmonieuse pour tous les anciens combattants et leur famille au moment où ils opèrent ce tournant dans leur vie. Le processus de transition doit être défini, professionnel efficace.
Nous préconisons l'établissement d'une carte d'identité d'ancien combattant pour tout membre qui quitte les forces armées, qui non seulement facilite l'accès aux états de services du titulaire, mais qui permette également à ACC de maintenir un contact actif avec lui après son départ de l'armée. C'est une priorité maintenant que le budget de 2017 promet deux nouveaux avantages : les services de transition vers une carrière et la prestation pour les études et la formation, offerts à tous les vétérans, pas seulement ceux qui bénéficient de prestations d'invalidité servies par Anciens Combattants Canada.
La Légion royale canadienne est la seule organisation de services qui aide les anciens combattants et leurs familles à défendre leurs droits devant Anciens Combattants Canada et le Tribunal des anciens combattants, révision et appel, ou le TACRA. Le programme de représentation et de défense des droits et intérêts est au cœur de notre mission. Nos officiers d'entraide professionnels de direction, tous dotés d'une autorisation de sécurité sont répartis à travers le pays et fournissent une aide gratuite aux vétérans et à leurs familles pour l'obtention d'indemnités et de services auprès du gouvernement.
Il faut noter aussi que nul n'est besoin d'être membre de la Légion pour se prévaloir de nos services. En vertu d'une législation, la Légion a accès aux dossiers médicaux et documents ministériels qui permettent une représentation qui soit à la fois complète et indépendante, et ce, sans aucuns frais. L'an dernier nos officiers d'entraide sont intervenus et ont agi comme représentant auprès d'ACC et du TACRA, dans des cas de prestations d'invalidité au nom de plus de 3 000 vétérans.
Les filiales de la Légion favorisent également l'esprit de camaraderie et, dans de nombreux cas, sont d'importants piliers des villes et communautés canadiennes. Dans le cadre de nos efforts visant à aider les vétérans à passer à la vie civile, la Légion, en collaboration avec le programme Départ dans la dignité des Forces armées canadiennes, offre une adhésion gratuite d'un an à tous les militaires qui partent à la retraite et qui ne sont pas encore membres de la Légion. Alors qu'ils entrent dans une nouvelle étape de leur vie, le fait d'être membre de la Légion s'avère un excellent moyen de rester en contact avec la famille militaire, d'honorer et de soutenir ceux qui ont servi et se sont sacrifiés, et de renforcer la collectivité.
L'incidence qu'a le service militaire sur les hommes et femmes que sont nos soldats, marins et aviateurs rend souvent le retour à la vie civile quelque peu ardu. Notre expérience du Programme de transition des vétérans démontre que quelques vétérans et leur famille se sentent isolés et désirent, de façon bien concrète, se sentir bien accueillis. Le Programme de transition des vétérans, le seul programme du genre au Canada, vient en aide aux membres des FAC et de la GRC lors de leur retour vers la vie civile. Ce programme a été mis sur pied afin de traiter les blessures invisibles de nos militaires et, ce faisant, de les aider à mieux s'intégrer et à entretenir de saines relations avec leur famille, leurs amis, leur milieu de travail, ainsi qu'avec eux-mêmes.
La Légion poursuit sa prestation de plusieurs programmes venant en aide aux vétérans et à leur famille, afin d'assurer une qualité de vie après la libération et de faciliter le passage vers la vie civile; mais, il faut plus de recherches visant à évaluer les incidences du service qui sont propres au groupe démographique que sont les militaires canadiens et aux opérations canadiennes. Aussi la Légion s'implique présentement auprès de l'Institut canadien de recherche sur la santé des militaires et des vétérans, l'ICRSMV, en lui apportant son soutien pour mettre en œuvre cette capacité.
Les familles constituent la force derrière l'uniforme et, dans ce rôle, elles doivent être impliquées dès le départ dans le processus de retour à la vie civile, surtout lorsque la blessure est d'ordre psychologique. Les familles peuvent demander de l'aide auprès des Centres de ressources pour les familles de militaires, ou CRFM, où elles peuvent avoir accès au soutien d'un officier de liaison attitré aux familles du Centre intégré de soutien au personnel, le CISP, une ressource qui est en fait un travailleur social. La Légion a été heureuse de constater que le projet pilote d'ACC de CRFM destiné aux vétérans sera porté de 7 à 32 CRFM à compter d'avril 2018, ce qui permettra aux membres libérés pour des raisons médicales et à leur famille de continuer à recevoir un soutien du Programme des services aux familles des militaires, le PSFM. Peut-être un jour, tous les vétérans pourront recevoir un soutien de ce programme. Nous disposerions alors d'un véritable centre de ressources pour les familles des militaires et des vétérans.
La première étape dans l'aide à apporter aux militaires qui quittent la vie militaire consiste en une entrevue de transition. Ainsi, tous les membres des Forces armées canadiennes en voie de libération, qu'ils soient de la Force régulière ou de la Réserve, ont droit à une entrevue de transition. Dans le cas des militaires blessés ou malades, nous recommandons fortement la présence obligatoire de la famille lors de l'entrevue. Nous recommandons aussi que l'entrevue se fasse très tôt durant le processus de libération, dans le but d'aider les militaires et leur famille à identifier tôt à l'avance les besoins auxquels ils pourraient être confrontés. En fait, les militaires devraient être informés dès qu'ils joignent les forces armées des prestations d'invalidité offertes par ACC.
Notre programme d'aide de bienfaisance a en 2015 contribué 19,5 millions de dollars pour répondre aux besoins essentiels des vétérans et de leurs familles disposant de moyens financiers limités. Ce programme, accessible à tous les paliers de la Légion, est offert aux vétérans dans le besoin, y compris les militaires en service actif, et à leur famille. Cela incluait un don de 1 million de dollars offert à l'hôpital Royal Ottawa pour la recherche en santé mentale et, plus spécifiquement, pour la création d'un Centre en imagerie cérébrale.
Nous animons des présentations lors des séminaires sur le Service de préparation à une seconde carrière ou le SPSC, pour informer les militaires sur nos services. La Légion est aussi présente dans la plupart des Centres intégrés de soutien au personnel, les CISP, qu'on retrouve sur chaque base, pour venir en aide aux vétérans et à leur famille dans le cadre du processus de transition.
La Légion s'implique aussi depuis plusieurs années pour venir en aide aux vétérans sans abri par l'entremise de son programme national Leave the Streets Behind. Et avec l'aide des Fonds du coquelicot, la Légion est en mesure d'apporter une aide d'urgence, d'offrir du logement, de la nourriture, des vêtements, des billets d'autobus et la liste n'est pas close.
Finalement, je voudrais aborder avec vous les questions de communications et d'accessibilité. La Nouvelle Charte des anciens combattants a été mise en œuvre afin d'appliquer des principes modernes de gestion des invalidités; pour ce faire, elle met l'emphase sur la réadaptation et une transition harmonieuse. Nous avons tous une obligation de comprendre les complexités et les interrelations, et de faire connaître et d'expliquer la Nouvelle Charte des anciens combattants. Nos vétérans et leur famille ne méritent rien de moins. Le gouvernement quant à lui doit s'assurer que les ressources et les programmes sont en place pour répondre à leurs besoins; il doit aussi examiner l'accessibilité à ces programmes et s'assurer que le personnel de première ligne est en place, et qualifié pour aider les vétérans et leur famille. Cela ne doit pas être un système libre-service.
La Légion continuera à perfectionner ses programmes afin de mieux répondre aux changements démographiques, et ce, tout en soutenant la communauté traditionnelle que sont les vétérans. Toutefois, et peu importe la capacité de la Légion royale canadienne, nous pensons vraiment que les ministères de la Défense nationale et d'Anciens Combattants Canada ont la responsabilité de s'assurer que leurs politiques, leurs programmes et leurs pratiques, le tout soutenu par un programme de recherche durable, soient accessibles et répondent aux besoins uniques des vétérans et de leur famille, et ce, avec l'objectif de leur permettre une transition harmonieuse au cours de cette période de leur vie on ne peut plus changeante, et parfois difficile, qu'est le retour à la vie civile.
La Légion royale canadienne continuera d'exiger les améliorations indispensables nécessaires à la transition de la vie militaire à la vie civile. Ce gouvernement doit donner aux hommes et aux femmes qui ont été blessés au service de notre pays l'espoir d'un avenir meilleur et plus positif. Merci beaucoup.
Le président : Merci beaucoup, monsieur McInnis. J'apprécie les trois présentations.
Nous en venons maintenant aux questions, et nous commencerons avec le président du Comité de défense, le sénateur Lang.
Le sénateur Lang : Permettez-moi de vous remercier de votre présence ici. Merci d'être venu. Je dois dire que depuis que je siège au comité, une période qui couvre de nombreuses années, et notamment ces derniers temps, des changements sont intervenus. Pas aussi vite qu'on l'aurait souhaité peut-être, mais Anciens Combattants Canada et le ministère de la Défense, en conjonction avec des organisations comme la vôtre, poursuivent une cause commune et s'efforcent de simplifier les choses et les rationaliser afin de permettre à l'ancien combattant — homme ou femme — d'avoir des contacts directs et d'avoir accès aux prestations qu'ils ont bien méritées. Seriez-vous d'accord avec ça compte tenu de la situation d'aujourd'hui par rapport, disons, à celle d'il y a cinq ans?
Monsieur McInnis, vous souhaitez peut-être intervenir sur ce point.
M. McInnis : Voilà une excellente question. Je travaille au Bureau d'entraide de la Légion depuis 2011, et je constate que la coopération entre les deux ministères s'est considérablement développée.
Pour ce qui est de l'examen des réclamations et du processus d'examen des dossiers d'invalidité, nous sommes dans la bonne voie. Nous rationalisons le processus de traitement des dossiers, qui reste cependant encore un peu trop pesant. On envisage maintenant d'alléger certains des questionnaires médicaux utilisés pour les vétérans qui ne sont plus en service et qui sont tenus de remplir un questionnaire médical relativement à un diagnostic spécifique.
Pour ce qui est du délai de traitement des demandes, il continue d'y avoir des dossiers en souffrance. On travaille actuellement sur des premières demandes présentées en mai de l'an dernier. Cela ne veut pas dire qu'il en va de même pour toutes les demandes dont est saisi Ancien Combattants Canada. D'autres dossiers ont été clôturés depuis lors. Cela veut dire qu'il s'agit des demandes les plus anciennes, et que les premières requêtes les plus anciennes remontent à mai 2016.
Nous continuons de collaborer avec l'équipe d'Anciens Combattants Canada chargée de l'examen des dossiers en vue de rationaliser le processus — et de le rendre, je ne dirais pas « simple », parce que je pense que rien n'est jamais simple lorsqu'on a affaire à une agence du gouvernement— afin de « faciliter » l'accès au programme, pour ainsi dire.
M. Blais : Vous avez raison de dire que des améliorations ont été apportées au fil du temps. J'ai eu le luxe de m'entretenir avec le général Vance avant la journée du souvenir l'an dernier, pendant toute une heure, dans son bureau, des questions liées à la transition parce qu'on a bataillé fort pour réformer l'UISP pour en faire l'unité polyvalente que ses concepteurs avaient envisagée.
Le général Vance a désormais un point de vue bien arrêté en matière de transition, mais il se heurtera aux mêmes problèmes que nous avons eus par le passé. Nous ne pouvons pas recruter de psychologues parce que le ministère de la Défense nationale paye 30 p. 100 de moins que n'importe quelle autre entité gouvernementale au Canada. Cela crée un problème. Est-ce que nous obtenons les meilleurs psychologues à 30 p. 100 de moins? J'ai dans l'idée que non. De ce fait, quoi que nous fassions pour rationaliser et résoudre les petits problèmes logistiques, deux problèmes demeureront. Premièrement, nous ne disposons pas de personnel suffisant à ACC pour mettre en œuvre efficacement les services qui devraient l'être en matière d'enseignement, de déclaration des réclamations et de prise en charge des responsabilités. Puis se posent les problèmes des personnels en service. Ils séjournent dans des bases isolées qui ont du mal à attirer ces personnels qualifiés. Si l'on n'a rien appris d'autres à propos des blessures mentales, plus tôt on agit et plus tôt on signale le cas de l'intéressé, plus vite on devient une équipe disposant d'un psychiatre, d'un psychologue, de services sociaux pour la famille et de conseillers à la famille et de soutien pour le conjoint, en cas de besoin, le mieux c'est.
Oui, nous faisons des progrès. Mais il y a beaucoup de fumée et d'effets de miroir dans ce sens que nous avons d'excellentes politiques en place, mais pas de personnel pour les mettre en œuvre dans l'esprit qui a présidé à leur conception.
Je me suis délibérément cantonné à cela dans mes commentaires. Il faut remédier aux carences en personnel d'Anciens Combattants Canada. Il faut un personnel formé aux spécificités liées à la guerre et aux modalités de traitement des pathologies du soldat rendu à son foyer.
Par ailleurs, les problèmes relatifs aux anciens combattants ne sont pas de ceux qu'une simple incitation financière permet de régler. J'ai parlé à des psychologues et, franchement, ils ont peur de nous. Ils ont peur d'avoir affaire à un ancien combattant grièvement blessé. Ce n'est pas une question de choix. Ils ont peur, et s'ils ont peur, c'est parce qu'on ne fait rien pour leur expliquer que cet homme ne constitue pas une menace. Il n'est une menace pour personne. Il est grièvement blessé. Il a été témoin de traumatismes dont on ne ferait jamais l'expérience au Canada, et si le dispositif de santé mentale n'est pas immédiatement disponible, sitôt que l'intéressé prend conscience de sa situation, il se dérobe. Cette famille sera perdue. Un cycle de désespoir s'ouvre. Il nous faudra aller le chercher dans la rue. Un nouvel incident catastrophique risque de se produire.
[Français]
Le sénateur Dagenais : J'ai deux questions à poser. La première s'adresse à M. Blackwolf. J'aimerais obtenir des précisions concernant les problèmes de paie. Le général Vance avait l'intention de mettre en place des méthodes d'indemnisation avant la libération des membres afin qu'il n'y ait pas de délai. Les gens ont souvent de bonnes intentions, mais n'ont pas toujours les moyens de leurs ambitions. Pouvez-vous nous donner des exemples de la situation actuelle et des conséquences qui s'ensuivent? Lorsque les membres passent de la vie militaire à la vie civile, il doit y avoir un délai, et j'imagine que vous avez des besoins.
[Traduction]
M. Blackwolf : Oui, honorable sénateur. Les arrangements contractuels relatifs au système de paye ont été modifiés. Le système Phénix en est un exemple. Des personnes au service du gouvernement, des employés, n'ont pas été payés pendant des mois dans certains cas, ou pas comme il se devait, c'est pourquoi nous recommandons d'envisager le moyen de garantir qu'une personne en transition ou qui quitte l'armée soit considérée comme en service jusqu'au jour où il reçoit son chèque de pension ou a en main son allocation d'ACC. Nous avons eu des cas où des anciens combattants ont quitté l'armée, sont arrivés au terme du processus de libération et n'ont reçu aucun financement ni aucune allocation avant bien longtemps. Il est possible d'éviter ces difficultés en s'assurant qu'ils ont reçu leur dû avant leur départ.
M. Blais : J'observe, sénateur, que le général Vance a déclaré récemment que personne ne sera libéré avant d'avoir reçu sa première paye, et ça c'est un progrès considérable.
En complément de ce que vous dites, parmi toutes les recommandations que j'ai entendues au cours des quatre ou cinq dernières années, c'est Gary Walbourne, l'ombudsman des forces armées, qui a fourni le cadre le plus complet de résolution des problèmes liés à la situation de la transition, où cette proposition est fondamentale. Votre paye est en place la semaine suivant votre départ. Votre pension d'Anciens Combattants a déjà été établie au cours de la période de transition. Par conséquent il n'y a pas de retard. Nous avons la transition sans heurts que nous cherchons tous à réaliser.
M. McInnis : Sénateur, dans la même veine que ce que disait Michael, le système de paye Phénix ne gère pas la paye des militaires. Il ne concerne que les fonctionnaires. La paye des membres des forces régulières et de la réserve relève du système de paye militaire normal. Nos pensions ne sont pas non plus payées par Phénix. Lors du transfert de janvier de l'an dernier, elle relevait des travaux publics ou du nouveau ministère des approvisionnements, donc ce n'est pas le système Phénix.
Il n'y a pas de crainte à ce sujet, mais on craint toujours de recevoir sa pension en retard. Vous demandez quelles sont les répercussions. Les gens ne peuvent pas payer leur hypothèque. Ils n'ont pas l'argent. Vous avez beau leur demander de se préparer longtemps à l'avance avant de quitter l'armée, c'est beaucoup d'argent pour un jeune soldat ou même un jeune quadragénaire, lorsqu'ils quittent l'armée, de réunir l'argent pour faire trois ou quatre paiements hypothécaires d'affilée pour conserver leur maison.
J'applaudis le général Vance pour ce qu'il voudrait faire. Nous voulons juste nous assurer que ces pensions seront versées dès la date de la libération, à l'exclusion de tout gros problème administratif. Si vous êtes dans le service ordinaire de réserve, il y a là un problème, mais pour un simple membre régulier des forces armées qui quitte l'armée, votre chèque de pension doit être viré sur votre compte bancaire dans les 45 jours suivant votre libération. Vous pouvez prévoir pour 45 jours, mais certainement pas pour 5 mois tout en préservant votre maison et l'unité de votre famille.
[Français]
Le sénateur Dagenais : J'aimerais aborder un autre problème avec vous, monsieur McInnis, qui n'est pas facile à aborder, mais je crois qu'il faut le faire pour être en mesure de bien l'évaluer.
On parle souvent du suicide chez les ex-militaires. Dans quelle mesure le manque de services ou les retards dans la prestation des services peuvent-ils être en cause dans le suicide des militaires? Je comprends que les chocs post-traumatiques peuvent être liés au suicide, mais est-ce que les mesures en place, qui ne favorisent pas la transition, peuvent être une cause de suicide chez les ex-militaires?
[Traduction]
M. McInnis : Monsieur le sénateur, je ne suis pas un expert de la sensibilisation au suicide. Enfin, de la sensibilisation, si, mais je ne suis pas spécialiste du suicide en tant que tel. J'aimerais souligner que lorsque vous privez une famille de ressources financières pendant une longue période, si l'individu souffre d'un trouble psychique, différents facteurs contribuent à expliquer le suicide des soldats. En ce sens, l'accumulation de ces facteurs mène à un point critique où le drame peut survenir.
La présente enquête et la proposition de ne pas libérer le soldat avant que tout soit en place seront bénéfiques si elles aboutissent. Au départ, les Centres intégrés de soutien du personnel étaient censés offrir un guichet unique, et ils l'ont fait effectivement, du moins jusqu'à ce qu'Anciens Combattants Canada prenne la relève. Une collaboration entre Anciens Combattants Canada et MDN/FAC aboutissant à la mise en place d'une sorte de centre de transition, d'une infrastructure par laquelle tous les membres en voie de libération, qu'ils soient malades ou blessés ou non, passeraient et seraient soumis au même système, au même processus, permettrait de régler une bonne partie des problèmes.
Pour ce qui est plus précisément de votre question, ce n'est pas dans mes cordes.
M. Blais : Je pense que je peux intervenir sur ce point, en ce qui concerne le contact direct avec les vétérans et leurs familles. Je travaille sur le suicide avec Renata du Globe and Mail, nous essayons de découvrir qui sont ces gens. J'étais choqué d'apprendre que sur les 70 et quelques cas de suicides identifiés à travers ce processus, plus de la moitié avaient eu lieu dans les 2 ans suivant la libération du soldat, beaucoup même dans les 6 ou 7 mois suivants. Cela indique, je pense, que nous n'avions mis en place ni l'encadrement psychiatrique adéquat, ni une infrastructure sociale assez solide avant de les laisser partir.
Voilà pourquoi il est si important de développer un processus de transition complet, où le risque de suicide est pris en considération, surtout lors de ces deux années critiques. Durant cette période — pas pour tous, mais pour les individus qu'Anciens Combattants Canada a identifiés comme souffrant de graves blessures psychiques et recevant un traitement en conséquence — je pense qu'un effort supplémentaire doit être consenti pour leur assurer un niveau de bien-être supérieur à la moyenne, effort pleinement justifié comme mesure de prévention du suicide.
[Français]
La sénatrice Saint-Germain : Je vous remercie et vous félicite pour la qualité et le sérieux de vos présentations.
Ma première question s'adresse à M. Blackwolf. Si j'avais une entreprise privée, je vous engagerais comme gestionnaire, parce que je trouve que vous avez fait une présentation extrêmement pragmatique.
Je pense que la mise en œuvre de vos recommandations pourrait s'autofinancer, parce qu'à mon avis, il y a des recommandations qui seraient moins coûteuses à mettre en œuvre que les pratiques de gestion actuelles et la correction de certains de leurs impacts négatifs.
Avez-vous obtenu une réaction de la part du ministère, à quelque niveau que ce soit? Et croyez-vous que vos recommandations seront progressivement et sérieusement considérées et mises en œuvre?
[Traduction]
M. Blackwolf : Ces recommandations, honorable sénateur, sont formulées en réponse à l'étude du sous-comité. La pratique veut, lorsque nous sommes invités à comparaître devant les comités, que nous répondions à leurs questions du mieux que nous pouvons. En l'occurrence, votre étude concerne un système de libération, une chose qui est exactement ce que le général Vance a présenté au comité il y a quelques jours.
Ce sont là nos suggestions sur la façon de le mettre en œuvre. C'est ainsi que nous entendons apporter notre contribution à cette étude, et nous l'avons fait pour dire quels sont les éléments en place et ceux qui devrait être mis en place.
Pour ma part, je suis un ancien combattant de l'époque de la guerre froide. Je suis passé des Forces armées canadiennes à la fonction publique, une carrière de 39 ans en tout. Or, j'ai vécu deux types de transitions.
Le monde est beaucoup plus complexe aujourd'hui, et voilà pourquoi nous pensons résolument que les ombudsmans doivent sortir physiquement des ministères, afin d'exercer ces pressions politiques ou d'apporter ces changements. Le processus serait beaucoup plus rapide s'ils disposaient des moyens nécessaires.
La présence des ombudsmans dans les ministères empêche d'exercer le genre de pression qui aurait été nécessaire au cours des dernières années pour apporter ces changements. Nous agissons maintenant de l'extérieur. Nous participons aux réunions des intervenants. Nous formulons des suggestions, mais elles n'ont pas vraiment d'impact politique. C'est ce qu'il faudrait dans le cas présent, pour résoudre nombre de problèmes. L'ombudsman doit pouvoir les souligner afin que le Parlement puisse agir en conséquence.
La sénatrice Saint-Germain : À titre d'ancienne ombudsman parlementaire du Québec, je comprends très bien ce que vous voulez dire.
[Français]
Vous avez parlé de l'importance d'un changement de culture. Vous dites notamment qu'à l'heure actuelle, le ministère gère les programmes comme une compagnie d'assurance le ferait et, au fond, le risque est géré en faveur de la compagnie d'assurance.
Je sais que ce n'est pas une question facile pour vous, mais comment croyez-vous que ce changement de culture pourrait s'exercer? Depuis nombre d'années, il y a eu plusieurs rapports, plusieurs recommandations qui ont été présentés. Au-delà de la question de l'ombudsman — et, éventuellement peut-être, de la fusion des fonctions des deux ombudsmans —, qu'est-ce qu'il faudrait prévoir, au plus haut niveau, pour que le changement de culture puisse se faire concrètement?
[Traduction]
M. Blackwolf : Madame la sénatrice, nous serions infiniment reconnaissants si le ministère des Anciens Combattants était plus soucieux de ses services. Nous recherchons un ministère qui est davantage au service des anciens combattants.
Comme nous l'avons dit, nous estimons dès le départ que le processus d'arbitrage constitue un droit négatif. Nous comprenons qu'il pourrait y avoir de fausses réclamations, et ce genre de choses, et c'est pourquoi notre présentation a souligné que les employés devraient partager leurs dossiers de service et leurs fiches médicales pour que l'on en connaisse le contenu et pour que toutes les blessures soient couvertes.
Nous avons été confrontés à des situations où l'on refusait la réclamation des magasiniers de la marine, les stewards, en raison de leur surdité. Le ministère des Anciens Combattants n'a pas compris que ces gens, dans leurs postes de combat, et tout dépendant de la classe du navire, se trouvaient près des canons et qu'ils les alimentaient en munitions. Cela serait passé inaperçu dans le dossier si la personne était un steward. « Bon, c'est le genre de travail qu'il fait, et cela n'aurait jamais pu endommager son ouïe. »
C'est le genre de processus qui a mené à l'identification des tâches inhérentes aux différents postes. Dans l'armée, par exemple, tous sont classés fantassins, peu importe leurs responsabilités. Certains de nos membres faisaient partie de l'intendance militaire canadienne, mais ils sautaient hors des avions en parfait état de fonctionnement avec les autres membres du bataillon. Ces activités auront une incidence sur eux, et il nous faut en tenir compte. Nous voulons que cela soit inscrit à leur dossier.
À notre avis, cela réduirait également la fraude. Nous devons composer avec des réclamations frauduleuses; c'est l'un des problèmes. Cela explique pourquoi nos arriérés remontent au mois de mai 2016. Nous sommes d'avis qu'il s'agit d'une lacune dans la Charte des anciens combattants, étant donné que ces dossiers sont censés être traités rapidement.
À l'origine, on nous avait dit que les longs délais quant au transfert des renseignements des archives au ministère des Anciens Combattants étaient causés par la nécessité de formuler une demande pour chacun des dossiers, par l'intermédiaire de l'interface et de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Dans nos premières recommandations, nous incitions le gouvernement à agir et à apporter, au besoin, des modifications à la Loi sur la protection des renseignements personnels, et à prendre les mesures nécessaires. Nous voulions établir une ligne droite entre les archives et le ministère des Anciens Combattants afin de réduire ces délais.
Aujourd'hui, le délai est de 16 semaines, mais nous sommes toujours d'avis que c'est beaucoup trop long. Les démarches auprès du ministère des Anciens Combattants causent beaucoup de frustration. Nombre de gens nous rapportent qu'ils ont eux des problèmes avec ce ministère et ses systèmes, et qu'ils laissent finalement tomber.
Nous aimerions voir la mise en place d'un service à la clientèle. Nous sommes conscients des pressions qu'exercent les ombudsmans, mais ils doivent être indépendants et faire rapport au Parlement. On doit leur accorder le droit d'assigner des témoins. En d'autres mots, ils doivent pouvoir sommer les représentants du gouvernement à comparaître.
M. McInnis : Je traite les demandes d'invalidité tous les jours. Au cours des deux dernières années, avec la politique de bienveillance, compassion, respect, j'avoue que la réponse aux demandes a été plus positive, que le ministère des Anciens Combattants en accepte plus que jamais.
Les dossiers médicaux relatifs au service sont maintenant électroniques. Nous les recevons par voie électronique sur notre système sécurisé. À partir du moment où nous enregistrons une réclamation, où nous décidons de la traiter, nous recevons ces documents dans un délai de quatre à six semaines. C'est beaucoup mieux que le délai de quatre à six mois qui s'appliquait aux copies papier. Le processus pour obtenir les documents s'est beaucoup amélioré.
Oui, comme je l'ai mentionné, il existe un processus d'arbitrage normal d'une durée de 16 semaines. Comme je l'ai souligné, la réclamation qui accuse le plus grand retard remonte au mois de mai 2016. Et les demandes sont traitées par la suite. Il existe un grand nombre de cas urgents que nous traitons rapidement, dans les 14 jours pour le personnel qui est en situation d'urgence. Pour les autres, pour celle portant sur la perte auditive, nous ne présentons pas seulement une demande. Lorsque nous formulons une réclamation, nous mettons l'accent sur les dossiers médicaux relatifs au service et nous les examinons. Si un membre exerçait une fonction de soutien dans un régiment, nous nous assurons qu'un énoncé des tâches relatives à cette fonction et au régiment soit inscrit au dossier, en effet, étant donné que ce membre avait des responsabilités régimentaires, tout comme le personnel des corps blindés, d'infanterie et d'artillerie. Tout cela est inscrit dans les réclamations, avec les énoncés de tâches. Dans le cas d'une fonction de soutien sur un navire, plusieurs des tâches secondaires sont probablement plus dangereuses que la responsabilité principale. Nous inscrivons tout cela dans les réclamations que nous faisons parvenir au ministère des Anciens Combattants.
Permettez-moi d'apporter une correction quant aux dossiers médicaux relatifs au service militaire. Tous les employés paraphent ces dossiers lorsqu'ils quittent les forces armées. Nous avons eu des problèmes il y a plusieurs années lorsque les employés ne signaient pas ces dossiers lors de leur démobilisation. Mais on a aussi corrigé cette lacune au cours des six dernières années, à mon avis. Tous reçoivent les renseignements nécessaires avant de signer et dater leur formulaire de libération. Cela ne signifie pas qu'ils approuvent tout le contenu de leur dossier, étant donné qu'ils ne l'ont pas examiné en profondeur; ils signent le formulaire de libération qui accompagne leur dossier. Mais nous examinons le dossier au complet, pas seulement celui portant sur la libération médicale.
[Français]
La présidente : Sénatrice Saint-Germain, si vous le permettez, le sénateur Lang aimerait poser une autre question.
[Traduction]
Le sénateur Lang : J'aimerais revenir sur ce que M. Blackwolf a dit. Dans votre réponse à la sénatrice Saint- Germain, vous avez parlé de réclamations frauduleuses. Avez-vous idée du nombre de réclamations frauduleuses présentées au cours d'une année?
M. Blackwolf : Sénateur Lang, nous n'en avons aucune idée, mais nous savons que le processus d'arbitrage vise à prévenir les réclamations frauduleuses. Nous comprenons que les mesures visant à réduire les demandes frauduleuses accéléreront le processus. Voilà tout.
Comme M. McInnis l'a souligné, les gens signent leur dossier depuis les dernières années seulement.
Prenez le cas d'une personne comme moi, un ancien combattant de l'époque de la guerre froide. Lorsqu'on atteint les 70 ans, comme moi, les choses qu'on a faites au cours de notre service militaire commencent à nous rattraper. Bien sûr, à cette époque les dossiers n'étaient pas bien conservés, et la suggestion que nous formulons aujourd'hui prône la création d'une bonne gestion des dossiers, du début jusqu'à la fin. Parce que même les gens libérés dans des circonstances normales, pour cause de départ à la retraite, pourraient souffrir de séquelles liées à leur service militaire au cours des 10 ou 15 années suivantes. Or, si les dossiers sont bien documentés, le processus d'arbitrage devrait se dérouler beaucoup plus facilement.
Nous appuyons le processus d'arbitrage. À mon avis, il s'agit d'un processus important. En particulier, on devrait accorder le bénéfice du doute aux gens comme moi, ce qui n'est pas le cas à l'heure actuelle.
Le sénateur Lang : Merci.
M. Blais : Sénateur Lang, puis-je ajouter un commentaire à cet égard? Lorsque nous parlons de fraude, il faut mettre les choses en perspective. Il s'agit d'une transition et de personnes grièvement blessées qui passent à travers une période de leur vie. Il n'y a pas de fraude là.
La fraude existe; comprenez-moi bien.
Le sénateur Lang : Non, je vous prie de bien me comprendre. Je suis désolé. Ma question s'adressait à M. Blackwolf et portait sur ses propos. Je tentais de comprendre ce dont nous discutions. Je ne crois pas que l'on doive chercher à justifier un groupe par rapport à un autre.
M. Blais : Ce n'était pas mon intention non plus. Il s'agissait d'une discussion des normes pour combattre la fraude.
La sénatrice Boniface : Je vous remercie tous de votre présence ici. Soucieuse du temps dont nous disposons, je poserai seulement l'une de mes questions, qui fait suite à vos propos sur les problèmes de santé mentale et sur notre capacité de les traiter et de venir en aide aux anciens combattants à cet égard.
J'aimerais en savoir davantage sur la période de transition, sur la réintégration à la vie civile et à la communauté. Je soupçonne que l'une de nos difficultés, au Canada, porte sur l'accès aux services, peu importe qui vous êtes, en particulier sur l'accès aux services de santé mentale. Cela aggrave-t-il le problème à long terme?
M. Blais : Comme pour tous ces problèmes que l'on envisage sur le long terme, nous leur fournissons ou tentons de leur fournir une qualité de service lorsqu'ils sont dans les forces armées. Par la suite, nous les libérons sans faire d'efforts pour rejoindre cette communauté. Nous n'avons rien pour eux, surtout s'ils en prennent connaissance dans un CRFM ou sur une base militaire. Ils n'ont aucun moyen pour se faire entendre.
Dans plusieurs cas, ils ne veulent pas établir de contacts. Ils sont malades. Ils s'isolent. Ils croient pouvoir s'en occuper eux-mêmes. Je saurais vous dire qu'une blessure mentale est comme une écharde; personne ne s'en occupe seul. Lorsqu'elle se produit, il y a empoisonnement du sang et on a besoin d'un médecin. En l'absence de ces médecins, on crée, pour ainsi dire, un cycle du désespoir.
La sénatrice Boniface : L'argument que je voulais soulever est qu'il s'agit d'une situation exaspérante. Je vis dans une petite ville et j'ai travaillé dans le domaine policier. À l'heure actuelle, dans plusieurs régions du Canada, un grand nombre de familles ont de la difficulté à obtenir des services de santé mentale. Ce serait exaspérant pour les gens qui vivent dans une collectivité où il se trouve seulement un ou deux psychologues, lesquels n'auraient aucune expérience quant aux soins dont vous parlez.
D'après vous et selon vos échanges avec des personnes qui font des représentations semblables aux vôtres ailleurs dans le monde, pouvez-vous nous dire quels gouvernements semblent avoir une meilleure approche? L'Australie et à la Nouvelle-Zélande me viennent à l'idée, des pays dont la taille est comparable à la nôtre.
M. Blais : Je viens de lire un rapport australien fort intéressant. Ils ont déployé beaucoup d'efforts pour contrer la stigmatisation — pour inciter les gens à sortir de l'ombre sans être stigmatisés. Ce sont de précieux efforts. Les Britanniques envisagent aussi une telle approche.
Ces services existent aux États-Unis, mais il est difficile d'établir une comparaison avec ce pays, étant donné qu'il est si vaste et possède autant de ressources. Par contre, la Grande-Bretagne, la Nouvelle-Zélande et l'Australie sont d'une taille plus semblable. Nos services de santé mentale sont de taille comparable.
Mais je crois vraiment que le seul moyen d'obtenir de bons résultats est de convaincre ces professionnels de la santé mentale d'accepter leur obligation sacrée. Ils ont des listes d'attente. Ils sont déjà débordés.
La sénatrice Boniface : Ils le sont.
M. Blais : La vie militaire entraîne de sérieux traumatismes. On ne peut attendre sept mois avant qu'une personne se porte mieux ou qu'elle soit rétablie.
M. Blackwolf : On m'a invité en Australie trois fois, et j'ai de très bons contacts avec l'Australian Defence Force, l'ADF. Ils ont une approche différente. Ils sont en train d'élaborer une approche assez unique dans certains cas. Ils ont combattu auprès des États-Unis dans tous les conflits. Ils sont en guerre presque sans interruption depuis les 30 dernières années ou plus. Leurs anciens combattants remontent à la guerre du Vietnam et à toutes les guerres depuis.
Je suis honoré d'avoir été invité là-bas. Ils ont de bons programmes au chapitre de la santé physique, comme les remplacements de genoux. Il m'est arrivé d'y tomber malade lors d'un voyage, et on m'a inscrit dans le système de santé australien. Ils ont eu la gentillesse de m'envoyer une lettre, où ils me disaient : « Nous savons qu'il s'agissait de votre 75e anniversaire. Vous devriez revenir nous voir. Nous serions ravis de vous examiner. »
M. McInnis : C'est toujours une bonne idée d'examiner les processus de recherche et les pratiques à l'étranger.
Je suis d'accord avec Michael pour ce qui est d'éliminer la stigmatisation. Au Canada, nous avons fait de très grands progrès sur le seul plan de la santé mentale au cours des 10 dernières années, dans les collectivités et avec des athlètes professionnels et le programme Bell Cause pour la cause. Et dans les forces armées aussi. Nous devons continuer à aller de l'avant et à parler de la santé mentale tous les jours.
Il s'agit d'un énorme problème pour les plus petites collectivités. Dans certaines provinces, les gens ont de la difficulté à remplir un questionnaire médical ordinaire, parce qu'ils n'ont pas de médecin de famille. Ils ne peuvent se rendre dans un centre de santé pour obtenir une recommandation médicale. Vous dites qu'il existe un délai de 16 semaines pour l'examen d'une réclamation, mais certaines personnes doivent attendre six mois pour remplir un questionnaire médical afin de prouver qu'ils ont une maladie diagnostiquée. Cela se produit à travers le pays, bien que nous éprouvions plus de problèmes dans les provinces de l'Est que dans celles de l'Ouest.
Nous devons également souligner qu'il existe nombre d'excellents services au Canada. Je crois que nous sommes le seul pays où le gouvernement offre gratuitement les services d'un avocat à toute personne désireuse d'interjeter appel de l'une de ses décisions.
Mais il est toujours bien d'aller chercher de bonnes idées en lorgnant du côté des autres pays.
La présidente : J'ai quelques questions. Le comité est conscient des sans-abri. Toutefois, monsieur McInnis, vous avez parlé des anciens combattants sans-abri et du programme Leave the Streets Behind. Notre comité pourrait-il formuler des recommandations à cet égard?
M. McInnis : Nous venons en aide aux anciens combattants depuis 1926, mais en 2010, la direction provinciale de l'Ontario de la Légion royale canadienne a créé le programme Leave the Streets Behind. Nous en avons fait un programme national en 2012.
Il s'agit d'un programme qui n'offre pas des services en double. Nous collaborons avec les abris communautaires, l'Armée du Salut et les Shepherd's ministries. Dans les différentes provinces, nous utilisons le Fonds du coquelicot à divers niveaux et collaborons avec les agents de traitement des cas afin d'assurer que les anciens combattants aient assez d'argent pour couvrir le premier et le dernier mois de loyer. Nous offrons également des sacs à dos pour les sans- abri, lesquels contiennent des biens de première nécessité.
Pour sa part, la direction provinciale de l'Ontario a contribué à peu près 1,6 million de dollars au programme depuis qu'elle l'a lancé en 2010, et elle est venue en aide à plus de 460 anciens combattants sans-abri dans la seule province de l'Ontario. Le programme a été élargi et on l'offre maintenant dans la région du Niagara.
Il s'agit d'un excellent programme. Certaines provinces n'ont pas d'anciens combattants sans-abri, ou elles ne les recensent pas. Nous surveillons de près le dénombrement ponctuel d'EDSC afin d'avoir une idée du nombre d'anciens combattants sans-abri au Canada. Nous n'avons pas le chiffre exact. Certains anciens combattants sans-abri ne veulent pas habiter dans un refuge ou un foyer. Ils refusent la responsabilité sociale que représente la propriété d'une résidence, notamment en Colombie-Britannique, où le temps est plus doux. Nous leur donnons une bonne formation lorsqu'ils sont dans les forces armées. Ils entrent dans un abri ou un foyer et ils y vivent. Ils y entrent lorsqu'ils le doivent. Mais lorsqu'ils acceptent de l'aide, ils peuvent soit se rendre à la maison Cockrell, à Victoria, soit se présenter à la direction provinciale pour obtenir des fonds, s'ils en ont besoin.
En 2015, la LRC a créé un comité consultatif pour les anciens combattants sans-abri. Nous avons eu deux réunions depuis. Nous invitons la participation des gouvernements — municipaux, fédéral, provincial, et les différents ministères. Nous voulons que le public soit toujours informé des enjeux relatifs à l'itinérance. C'est très important. À mon n'avis, nous ne parviendrons jamais à éliminer ce problème, mais nous aimerions le contrôler. Je dis toujours qu'un seul ancien combattant sans-abri en est un de trop. Mais, comme je l'ai souligné, certains d'entre eux refuseront toujours de quitter la rue, et c'est leur choix. Cependant, ils auront du soutien et des services lorsqu'ils en auront besoin.
Du côté du gouvernement, du ministère des Anciens Combattants, on a créé des Bureaux de première responsabilité dans les régions. J'étais en Colombie-Britannique au mois de novembre pour le congrès de l'Institut canadien de recherche sur la santé des militaires et des vétérans. Et lors de ma visite au bureau de la direction, un ancien combattant sans-abri est entré. À la suite d'une conversation téléphonique de deux heures, il a pu obtenir du soutien et des services.
L'itinérance nécessite un soutien spécialisé. ACC n'a en place aucun programme détaillé visant à fournir du soutien direct aux vétérans sans abri; ces derniers doivent se qualifier en vertu du système.
Le président : J'ai une question pour vous, monsieur Blackwolf. Peut-être que d'autres peuvent y répondre aussi.
Nous parlons des services. Je me trompe peut-être, mais d'après ce que je comprends, les services ne sont offerts que dans les villes assez densément peuplées. Vous qui êtes président des services aux vétérans autochtones, que se passe-t-il avec les vétérans qui partent s'établir dans les réserves ou en région rurale? Comment font-ils pour accéder à ces services?
M. Blackwolf : À l'origine, disons après la Seconde Guerre mondiale, vous ne receviez aucun service si vous retourniez vivre dans la réserve. Par contre, en vous établissant dans une zone urbaine, vous aviez accès aux gratifications et aux autres crédits offerts aux vétérans de la Seconde Guerre mondiale et de la guerre de Corée.
En fait, les personnes qui retournaient dans la réserve tombaient sous la gouverne du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, qui n'avait évidemment aucun programme en place pour les vétérans. Une compensation financière leur a été offerte et versée au début des années 2000, compensation que plusieurs ont acceptée et que certains ont rejetée. En gros, voilà comment cela fonctionnait.
Aujourd'hui, au moment de la libération, les militaires peuvent se présenter à un bureau des Anciens Combattants, qu'ils vivent dans la réserve ou non.
Le gouvernement fédéral gère cinq programmes conçus pour attirer les candidatures d'Autochtones. Pour les jeunes, il existe trois programmes d'été de sept semaines, qui sont suivis, à l'automne, d'une formation en milieu de travail. Le Collège militaire royal offre également une formation d'un an.
Les Autochtones sont considérés comme étant d'excellentes recrues. Ils font de bons soldats : ils ont le sens de la famille et lorsqu'ils entrent dans les forces armées, ils ont tendance à y rester. Ils affichent un bon taux de rétention. C'est l'une des principales raisons pour lesquelles on cherche à les attirer. Il existe cinq cours spécialement conçus rien que pour les Autochtones.
Les vétérans autochtones ont des problèmes, c'est certain, mais dans les réserves, ils ont des ressources comme le spiritualisme et la religion des Grandes Plaines. Ce genre de soutien les aide beaucoup, surtout dans le cadre de certains programmes de santé mentale.
Le président : Quelqu'un a-t-il un commentaire à ajouter au sujet de l'inaccessibilité des services en région rurale?
M. Blais : J'ai parlé avec un grand nombre de ces vétérans. Il est malheureux de constater que souvent, les personnes qui ont subi un traumatisme mental grave choisissent l'isolement. Elles préfèrent vivre dans le nord de votre région, dans le Nord de la Saskatchewan, ou dans des endroits où la population civile souffre d'une pénurie de soins de santé mentale et de médecins généralistes. Nous sommes tous au courant des sérieux problèmes qui existent à cet égard. Plus les gens s'éloignent des grands centres, plus il est difficile de leur fournir les ressources dont ils ont besoin pour que nous puissions les aider à réintégrer la vie civile, leur offrir un répit et nous assurer qu'ils ont accès à un réseau de soins. Nous n'avons pas ce genre de spécialistes sur place. Nous n'avons ni psychologues ni psychiatres.
Ce n'est pas faute d'efforts, nous avons tout essayé. En tant que défenseurs des intérêts des anciens combattants, nous nous tournons vers les psychologues en place dans les collectivités locales, nous faisons tout notre possible, mais dans bien des cas, ils sont déjà débordés avec le bassin de population dont ils s'occupent. On vous met sur la liste d'attente, mais il peut y avoir 50 personnes sur cette liste d'attente. C'est très difficile.
Le président : C'est un problème pour tout le monde, en effet.
J'aimerais terminer en disant que si nous vous avons invités à comparaître, c'est parce vous êtes des spécialistes de la question. Vous nous faites découvrir toutes les difficultés auxquelles les vétérans font face. Nous savons également que le général Vance travaille à améliorer le professionnalisme du service.
Je vais poser cette question à chacun de vous : s'il est une recommandation que vous souhaiteriez voir figurer dans notre rapport, une recommandation qui vous aiderait dans votre travail, quelle serait-elle?
M. McInnis : Si l'on prévoit d'ouvrir un centre de transition pour remplacer les CISP, je recommanderais fortement qu'il soit doté des meilleures ressources que vous êtes en mesure d'offrir, à savoir, des personnes et de l'argent. Les intervenants qui travailleront dans ce centre doivent savoir faire preuve de compassion, ils doivent avoir la passion d'aider les autres. On ne peut pas affecter du personnel dans un centre de transition et lui dire : « En passant, dorénavant vous allez prendre soin de personnes malades et blessées. »
Les quatre derniers officiers d'entraide que j'ai recrutés à la Direction nationale, c'est dans le milieu des CISP que j'ai été les chercher, parce que je savais qu'ils auraient la compassion et la passion nécessaires pour accomplir ce travail. On ne peut pas embaucher des personnes qui vont réagir en disant : « Oh, un cas de plus. Remplissez les formulaires, s'il vous plaît. » Il doit également s'agir de personnes qui accordent de la valeur à la famille. Les familles jouent un rôle très important. Elles doivent connaître les systèmes, le MDN/FAC et les politiques d'ACC.
Il ne sera pas facile de recruter du personnel pour ce centre. Il faudra du temps pour tout mettre en place, mais comme je l'ai dit tout à l'heure, on ne peut pas y affecter du personnel ou des civils qui ne possèdent pas les connaissances nécessaires.
Michael a parlé de la culture militaire. Il y a de cela plusieurs années, lorsqu'on a commencé à ouvrir des centres de soutien aux blessés, on a cru qu'il était possible de recruter des professionnels de la santé parmi la société civile. Jusqu'à ce qu'une infirmière d'Edmonton envoie une lettre dans laquelle elle disait : « Je suis honorée de soigner des soldats, mais je ne connais rien d'eux. J'ai besoin qu'on m'éduque à leur sujet. » C'est alors qu'on a mis sur pied un cours que l'on pourrait appeler Vétérans 101, qui est donné à la fonction publique. C'est cela qui manque aux professionnels de la santé.
Vous parlez de gestion des cas et des personnes qui viennent postuler un emploi. On peut bien trouver et embaucher des personnes diplômées, mais il faudra beaucoup de temps pour donner à ces personnes la formation qui leur permettra d'acquérir les connaissances nécessaires sur ACC et les Forces canadiennes. Un soldat n'est pas une personne comme les autres.
Lorsque j'ai été libéré de la Force régulière en 2003 puis de la Force de réserve en 2010, ma transition vers la vie civile s'est faite de façon tout à fait harmonieuse. C'est du moins ce que je pensais. Puis j'ai dû me diriger vers la communauté médicale civile. Je me suis dit que ce n'était pas bien grave. J'allais désormais devoir prendre mes rendez- vous moi-même.
Après 34 ans dans l'armée, je suis entré pour la première fois dans un centre de soins de santé. Dans l'armée, on s'occupait de mes rendez-vous avec le dentiste et de mes examens médicaux annuels. À l'époque, je n'y voyais rien d'extraordinaire, c'était des médecins militaires. Laissez-moi vous dire que lorsque vous quittez l'armée et que vous devez aller consulter des médecins civils, vous souhaiteriez n'avoir jamais quitté le système de soins de santé militaire.
M. Blackwolf : Pour ce qui est des recommandations, je reviendrais exactement à ce dont nous parlions : mettre en place un centre de formation professionnelle centralisé. Ce centre de formation professionnelle permettrait de former adéquatement les personnes avant de doter les postes d'un centre de libération chargé de traiter toutes les catégories de libération : la retraite normale et la libération de fin de carrière.
Ces centres seront de plus en plus nombreux, puisque ACC offre maintenant une prestation pour études aux anciens combattants ayant six années de service, et aussi dix années de service. L'armée, en particulier, est normalement encline à retenir les gens dans ses rangs, mais il y a toujours des soldats libérés en raison de diverses conditions médicales, de blessures graves ou légères.
Nous devons commencer par établir une école. Au lieu d'un centre de formation, envisageons plutôt la création d'une école où les militaires pourront recevoir une formation professionnelle.
Notre deuxième recommandation, qui est primordiale, est de retirer la fonction d'ombudsman des ministères et d'en faire des postes autonomes dans le cadre desquels l'ombudsman pourra assigner une personne à comparaître et en faire rapport au Parlement. Cette mesure m'apparaît essentielle en ce qui concerne les pressions qui doivent être exercées sur le système et sur les personnes qui seraient en droit de le faire.
M. Blais : Nous pourrions nous étendre sur bien des sujets, mais ce qui importe plus que tout est la capacité d'intervenir auprès des personnes atteintes de problèmes de santé mentale, pendant et après la transition. La seule façon d'y parvenir est par le déploiement d'un effort gouvernemental constructif et par la mobilisation de la Société canadienne de psychologie et de l'Association des psychiatres du Canada. Nous devons assister à leurs congrès, parler de culture militaire et les supplier de nous aider, littéralement.
Deuxièmement, j'aimerais parler des fonctionnaires du ministère des Anciens Combattants. Je sais que c'est une vieille histoire, mais 90 p. 100 des plaintes dont nous entendons parler — qu'il s'agisse de retards ou d'attentes à n'en plus finir — sont liées au manque de personnel nécessaire pour traiter les demandes dans des délais raisonnables. Ce n'est ni par malveillance ni par mauvaise intention, il n'y a tout simplement pas assez de personnel.
Le président : Je vous remercie de votre présence ici aujourd'hui. Vous nous avez appris beaucoup de choses et nous voulons vous remercier pour tout le travail que vous accomplissez au nom des vétérans. Merci de servir les Canadiens.
Si vous pensez à autre chose que nous devrions examiner, n'hésitez pas à écrire au greffier; nous distribuerons votre message à tous les membres du comité.
(La séance est levée.)