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VEAC

Sous-comité des anciens combattants

 

Délibérations du Sous-comité des
Anciens combattants

Fascicule no 19 - Témoignages du 17 octobre 2018


OTTAWA, le mercredi 17 octobre 2018

Le Sous-comité des anciens combattants se réunit aujourd’hui, à 12 h 3, afin de poursuivre son étude sur les services et les prestations dispensés aux membres des Forces canadiennes; aux anciens combattants; aux membres et anciens membres de la Gendarmerie royale du Canada et à leurs familles (sujet : l’étude sur l’utilisation du cannabis à des fins médicales par les anciens combattants du Canada).

Le sénateur Jean-Guy Dagenais (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Mesdames et messieurs, bienvenue au Sous-comité des anciens combattants. Avant de commencer, j’aimerais donner l’occasion aux sénateurs de se présenter, en commençant par ma droite.

[Traduction]

La sénatrice Boniface : Gwen Boniface, de l’Ontario

La sénatrice Griffin : Diane Griffin, de l’Île-du-Prince-Édouard.

[Français]

Le sénateur McIntyre : Paul McIntyre, du Nouveau-Brunswick.

Le président : Merci, mesdames et messieurs les sénateurs. Je suis le sénateur Jean-Guy Dagenais, président du Sous-comité des anciens combattants. J’aimerais remercier nos deux invités, les Drs Greg Passey et Édouard Auger, d’avoir accepté notre invitation. Aujourd’hui, nous poursuivons notre étude sur l’utilisation du cannabis à des fins médicales par les anciens combattants canadiens.

Encore une fois, messieurs, je vous souhaite la bienvenue. Nous allons écouter vos présentations en commençant par le Dr Auger qui est avec nous par vidéoconférence. À la suite de vos présentations, nous passerons à la période des questions. Dr Auger, nous vous écoutons.

Dr Édouard Auger, psychiatre, à titre personnel : Merci beaucoup, monsieur le président, de me permettre de vous adresser la parole à propos de ce sujet très important qui a eu et qui a encore un impact majeur sur nos activités cliniques.

Tout d’abord, je suis psychiatre depuis 1998. Après ma résidence en psychiatrie, j’ai fait une formation en psychothérapie du trouble de stress post-traumatique et j’ai commencé mon travail sur cette problématique au sein de la clinique de troubles anxieux de l’Institut universitaire en santé mentale de Québec. J’ai été chef médical de cette clinique de 1999 jusqu’à mon départ de l’institut. J’ai été aussi chef médical du programme des troubles affectifs de 2006 à 2008. En 2007, j’ai commencé à temps partiel mon implication au sein de la Clinique TSO de Québec. La clinique est parrainée, bien sûr, par le ministère des Anciens Combattants. En 2008, j’ai quitté l’institut pour me joindre à temps plein à la Clinique TSO, dont je suis chef médical depuis ce temps.

Je suis aussi professeur de clinique au département de psychiatrie et de neuroscience de l’Université Laval où j’ai participé surtout à l’enseignement de la thérapie cognitive comportementale aux résidents en psychiatrie. Je participe actuellement au projet de recherche sur l’utilisation des chiens de service pour les anciens combattants qui souffrent d’un trouble de stress post-traumatique. J’ai donc une bonne expérience dans les diagnostics et le traitement du trouble de stress post-traumatique, autant chez les civils que chez les anciens combattants.

J’ai déduit de votre invitation, à la suite de la lecture des comptes rendus de réunions précédentes, que vous vous intéresserez surtout à mon expérience de clinicien qui traite depuis plusieurs années des patients atteints de cette maladie très souffrante et invalidante. Je vais donc vous décrire rapidement comment les choses se sont passées au cours des dernières années et comment, comme cliniciens, nous avons tenté, au sein de notre clinique, de garder une approche rationnelle pour protéger le bien-être de nos patients vulnérables. Je crois que cet exercice vous permettra de saisir les enjeux vécus sur le terrain des cliniciens.

Dans les années 2010, quand nous avons commencé à parler du cannabis à des fins thérapeutiques pour traiter le trouble de stress post-traumatique, nous avons été plutôt surpris. En passant, j’utilise ici le « nous » parce que je crois parler au nom de mes collègues médecins de la clinique. Nous avons eu de nombreuses discussions et communications à ce sujet au cours des dernières années. Nous avons été d’abord surpris parce que de façon anecdotique, nous n’avons jamais particulièrement remarqué de bienfaits chez les nombreux patients qui consommaient du cannabis. Nous avons cependant aussi ressenti de la curiosité, étant donné que nous avions déjà commencé à utiliser du nabilone, un cannabinoïde synthétique qui n’a pas d’effets euphorisants, dans le traitement des cauchemars, puisque ce problème résistait aux autres traitements.

Il faut savoir que, à ce moment-là, le Québec s’était doté d’un registre provincial pour les patients qui recevaient du cannabis à des fins thérapeutiques. Nous nous sommes donc dit que le cannabis pourrait peut-être devenir un traitement expérimental, compte tenu de l’absence de recommandations et de données de recherches. Nous avions pensé alors créer un comité consultatif dans nos cliniques pour réviser les dossiers pour lesquels nous pourrions envisager une telle prescription, avec, bien sûr, une participation au registre provincial. Nous étions alors bien naïfs. Nous étions un peu comme des gens qui marchent sur une plage où on annonce une grosse vague et qui, à la dernière seconde, se retrouvent confrontés à un tsunami, sans plan d’urgence ou d’évacuation.

Afin de poursuivre avec la même analogie, nous avons été alors inondés de demandes d’ordonnances...

Le président : Docteur Auger, je vais vous demander de ralentir votre débit pour les interprètes. Merci beaucoup.

Dr Auger : ...de cannabis de la part de patients. Nous nous sommes retournés vers nos instances dirigeantes, entre autres l’hôpital et le réseau des Cliniques TSO, pour nous rendre compte qu’il n’existait, à ce moment-là, aucune politique encadrant ce type d’ordonnance. Bien sûr, les médecins ont refusé de prescrire ou d’autoriser un tel traitement en raison du manque de données de recherche et de recommandations de la part d’associations professionnelles, car nos associations professionnelles prétendaient alors et toujours que le cannabis n’était pas reconnu comme un traitement de conditions psychiatriques.

Devant ce refus, les patients ont facilement contourné le problème. Avec de l’aide extérieure, ils ont rapidement été mis en contact avec des médecins prescripteurs qui, la plupart du temps, voyaient les patients quelques minutes pour ensuite rédiger l’ordonnance. Ces médecins pratiquaient la plupart du temps à l’extérieur de la province de Québec et n’étaient pas assujettis au registre provincial. De plus, ces prescripteurs ne nous contactaient jamais pour mieux saisir les enjeux du patient et n’offraient pas de suivi de la condition. Beaucoup de patients avec des contre-indications claires, à mon avis, par exemple des antécédents de psychose toxique, des problèmes de toxicomanie reconnus et sévères et des maladies bipolaires instables, se sont donc retrouvés du jour au lendemain avec 10 grammes de cannabis par jour, livrés par la poste. Aussi, selon notre expérience, la grande majorité des patients recevaient d’emblée le maximum de la dose possible, soit 10 grammes par jour et, par la suite, 3 grammes par jour. Les patients revenaient donc nous consulter pour leur suivi et ne comprenaient pas que nous ne voulions pas valider l’ordonnance d’un autre médecin et que, en plus, on remettait en cause leur participation aux autres modalités de traitement de la clinique.

Il faut toutefois dire que, autant je n’aurais pas aimé que le pilote de mon avion pour Regina consomme 10 grammes de cannabis par jour, autant un patient avec le même dosage est complètement inapte à entreprendre ou à poursuivre une psychothérapie de la moindre valeur. Tout cela a mené à une grande confusion. Vous saisissez ici l’image du tsunami.

Nous avons donc décidé, entre médecins, de préparer une politique maison pour nous permettre d’avoir une approche concertée, rationnelle et flexible en tentant de ne pas nuire à nos patients les plus atteints. Sans entrer dans les détails, cette politique réaffirmait le fait que le cannabis n’est pas reconnu comme un traitement valable du trouble de stress post-traumatique, que les médecins de la clinique n’en prescriraient pas et que le fait d’en recevoir entraînerait une évaluation de la participation aux autres traitements de la clinique. Tout cela est toujours en cours et est évalué au cas par cas. Si le comité le souhaite, je peux lui faire parvenir le texte de cette politique qui a été appuyée par tous les intervenants de la clinique, qu’ils soient médecins ou non.

Bien sûr, le fait de diminuer le dosage maximal de 10 grammes à 3 grammes par jour a diminué l’importance de la problématique, mais, à notre avis, 3 grammes par jour s’avèrent encore un dosage trop élevé compte tenu des effets néfastes reconnus de cette substance.

Personnellement, je trouve que certains patients qui s’en tiennent à des dosages habituellement en dessous de 1 gramme par jour sont ceux qui semblent en profiter le plus des effets — je l’avoue — partiels au niveau du sommeil et de l’anxiété. À ce moment-là, ils ne modifient pas leur médication et ils peuvent participer aux autres traitements.

C’est la même chose pour un patient qui prendrait du cannabis non prescrit ou une consommation d’alcool non problématique. Est-ce que ce cannabis devrait être remboursé dans le contexte d’une condition psychologique? Je n’en suis pas sûr. D’autant plus que, tout récemment, l’American Psychiatric Association, l’une des plus importantes associations de psychiatres, a réitéré que le cannabis n’est pas une option de traitement pour des conditions psychiatriques.

En conclusion, je crois qu’il est beaucoup trop facile pour d’anciens combattants souffrant du trouble de stress post-traumatique de se procurer du cannabis à des fins thérapeutiques et que cela peut nuire à leur rétablissement à long terme. À notre clinique, on remarque, avec le temps, que la santé des patients qui consomment des dosages plus élevés de cannabis — après une période de lune de miel — se détériore petit à petit. Ils deviennent entre autres apathiques ou moins fonctionnels.

Il serait avantageux que les demandes soient analysées par des comités évaluateurs pour éviter que ce traitement expérimental continue d’être perçu comme un traitement de première intention. Il faudrait que les fournisseurs de cannabis soient bien encadrés et qu’il y ait une indépendance entre le prescripteur et le fournisseur. Il faudrait aussi que le médecin puisse décider entre deux dosages et du type de cannabis pour éviter les excès.

Alors, pourquoi le cannabis a-t-il connu une hausse de popularité pour le traitement du trouble de stress post-traumatique? On peut certainement parler du système endocannabinoïde, de l’effet du CBD, du THC, mais il y a un autre élément qui est très important. Le trouble de stress post-traumatique est souvent une maladie sévère et handicapante, et il est vrai que les traitements actuels sont ardus. Les médicaments ont des effets secondaires et des effets thérapeutiques limités. Les psychothérapies sont ardues et demandent beaucoup de motivation et de travail de la part des patients. Le cannabis, lui, offre du rêve. Il offre une alternative rapide, sans effort et sans douleur. Les patients sont vulnérables, et ils sont fragiles aux discours sur les traitements miraculeux, et on peut les comprendre. Il faut être prudent pour éviter les lendemains qui déchantent.

Merci beaucoup.

Le président : Merci beaucoup, docteur Auger, pour votre présentation. Avant de continuer avec le Dr Passey, je vais présenter la sénatrice Wallin, de la Saskatchewan, qui s’est jointe à nous. Bienvenue au comité, sénatrice Wallin.

Nous allons maintenant poursuivre avec la présentation du Dr Passey.

[Traduction]

Dr Greg Passey, psychiatre, à titre personnel : Bonjour. Je vous remercie de me permettre une fois de plus de fournir des renseignements médicaux à votre comité.

Je ne vais pas passer toute ma carrière en revue, mais je dirai seulement que j’ai fait 22 ans de service dans l’armée. J’évalue et je traite l’ESPT depuis 25 ans, c’est-à-dire depuis 1993. J’ai eu le privilège d’évaluer et de traiter les anciens combattants de toutes les guerres et de la presque totalité des déploiements outremer de l’ONU depuis que le Canada y participe.

J’aimerais souligner deux choses : premièrement, au cours de ma carrière, aucun de mes patients ne s’est suicidé alors qu’il était sous ma responsabilité. Le seul soldat qui est mort alors qu’il était à ma charge est Greg Matters, qui a été atteint par une balle dans le dos par une équipe d’intervention d’urgence de la GRC qui ne comprenait pas à quoi elle avait affaire et qui ne m’a pas donné la chance de parler avec mon patient.

Les recherches que le Dr David Crockett et moi avons faites en 1993 ont servi de point de départ aux Centres de soutien pour trauma et stress opérationnels des Forces armées canadiennes en 1999 et à la création subséquentes des cliniques pour traumatismes liés au stress opérationnel d’ACC.

On a souligné — et je n’emprunte pas tout à fait le même chemin que mon collègue — qu’Anciens Combattants Canada avait pour mission de fournir des services et des avantages axés sur le client qui soient exemplaires et adaptés aux besoins des anciens combattants, de nos autres clients et des familles de ceux-ci, de manière à reconnaître les services qu’ils ont rendus au Canada et à graver dans la mémoire de tous les Canadiens et de toutes les Canadiennes le souvenir de leurs réalisations et de leurs sacrifices. Selon moi, ce n’est pas ce qui se passe avec la politique sur le cannabis d’ACC.

Je prescris du cannabis médicinal depuis 2008. J’ai commencé à le faire de façon détournée. Bon nombre de mes patients anciens combattants consommaient du cannabis à l’époque et je ne voulais pas qu’ils doivent affronter la GRC. J’ai commencé à leur prescrire du cannabis. Ensuite, j’ai constaté quelque chose d’intéressant : lorsque je leur prescrivais du cannabis, leur besoin de médicaments sur ordonnance diminuait au fil du temps et ils continuaient leur processus de rétablissement.

Selon ACC, en 2016-2017, plus de 4 000 anciens combattants consommaient du cannabis médicinal remboursé à hauteur de 63 millions de dollars par ACC. La consommation moyenne quotidienne par ancien combattant était de 4,6 grammes. En 2017, ACC a décidé de limiter le remboursement pour tous les anciens combattants à seulement 3 grammes par jour, à moins que les anciens combattants n’obtiennent une lettre d’un spécialiste qui leur prescrivait une dose plus élevée. Plus de 7 200 anciens combattants étaient inscrits pour utiliser du cannabis médicinal et leur dose quotidienne maximale a été ramenée de force à 3 grammes. Cette situation s’est soldée par une moyenne générale de 2,25 grammes par jour en raison de la décision unilatérale d’ACC d’économiser de l’argent, peu importe les répercussions sur les symptômes et le bien-être des anciens combattants. Si ACC n’avait pas imposé cette réduction à nos anciens combattants et si la dose moyenne quotidienne était demeurée à 4,6 grammes, le coût aurait été de plus de 104 millions de dollars. ACC a donc économisé 53 millions de dollars en imposant cette politique draconienne sur le plan médical.

Un autre témoin a affirmé que cela correspondait à la recommandation du vérificateur général de limiter les coûts tout en veillant au maintien de la santé et du mieux-être des anciens combattants. En réalité, cette politique a été mise en œuvre sans qu’on se préoccupe de ses répercussions sur la santé et le bien-être des anciens combattants. Pour autant que je sache, aucun médecin traitant n’a été consulté au sujet des conséquences d’une baisse abrupte de la dose de cannabis médicinal à seulement 3 grammes par jour. Chez certains de mes patients anciens combattants dont l’état était stable depuis 2008, les symptômes sont réapparus soudainement en raison de cette politique. Des anciens combattants d’un peu partout au pays m’ont appelé, car ils ne parvenaient pas à trouver un spécialise pouvant confirmer par lettre qu’ils avaient besoin de plus de 3 grammes par jour et demander le remboursement.

La Dre Courchesne a déclaré qu’il y avait moins de personnes qui présentaient des demandes d’autorisation exceptionnelle de remboursement. C’est là une affirmation fort trompeuse. Le besoin n’a pas diminué, mais il y a trop peu de spécialistes pour suffire à la demande. En outre, l’affirmation selon laquelle même si le nombre d’anciens combattants qui présentent des demandes de remboursement continue d’augmenter, le coût par ancien combattant a diminué est aussi trompeuse.

Selon moi, cette politique a été mal pensée et constitue de la négligence médicale. On n’a pas respecté le serment d’Hippocrate qui prévoit qu’il ne faut pas causer de tort. Dix-neuf pour cent des patients atteints de stress post-traumatique font une tentative de suicide et 46 p. 100 ont déjà songé au suicide.

Les témoins précédents n’ont pas pu fournir un seul résultat clinique positif attribuable à cette politique. Ils n’ont pas non plus parlé des résultats négatifs. En fait, ils n’ont aucune idée de l’impact clinique de cette politique. La politique pourrait nuire à la santé de nombreux anciens combattants et à leur vie de famille, et les porter au suicide.

Si ACC se préoccupait réellement des anciens combattants, il aurait laissé ceux qui consommaient déjà du cannabis médicinal conserver leur dose quotidienne prescrite avant la mise en œuvre de la politique et assujetti seulement les nouvelles ordonnances à la nouvelle politique.

Plusieurs experts ont recommandé d’adopter une approche prudente en ce qui concerne l’usage du cannabis, et je suis tout à fait d’accord avec eux en ce qui concerne les nouveaux patients. Certains experts ont indiqué que 1 à 2 grammes par jour représentaient une quantité raisonnable. Le problème avec ces recommandations, c’est que personne ne dit s’il s’agit de la variété sativa, indica ou hybride. Quel est le pourcentage de THC ou de cannabinoïdes? Personne ne parle de cela; on parle de la marijuana de façon générale. C’est comme si je disais : « Les analgésiques sont mauvais pour vous. » De quoi parle-t-on? De la morphine ou de l’aspirine? Personne ne fait la distinction avec la marijuana à des fins thérapeutiques.

Personne ne m’a contacté pour me parler de l’incidence de cette décision sur mes patients. J’en ai plus de 200 à l’heure actuelle. Personne d’ACC ne m’a téléphoné à ce sujet. J’ai communiqué avec le bureau de la Dre Courchesne et fixé un rendez-vous afin que nous puissions discuter de la situation et de mes cas. Le rendez-vous est passé; le médecin ne m’a jamais rappelé et mes appels par la suite sont restés sans réponse.

Lorsqu’on dit qu’on n’a constaté aucune diminution dans la consommation des autres catégories de médicaments, comme les benzodiazépines ou les somnifères, et qu’on a uniquement constaté une augmentation des dépenses associées au cannabis, c’est une déclaration très trompeuse. Le problème, c’est qu’on n’a pas examiné les changements dans la médication des personnes à qui l’on avait prescrit la marijuana à des fins thérapeutiques. Lorsque je fais une prescription, je fais attention au pourcentage de THC et de CBD, par exemple.

À titre d’exemple, l’ancien combattant B a reçu en 2009 un diagnostic de trouble de la douleur associé à des troubles psychologiques et à une condition médicale générale : dépression grave, état de stress post-traumatique chronique et douleurs sévères; tout cela. Il utilisait une canne et parfois un déambulateur pour marcher. Il avait de la difficulté à monter les marches et c’est pourquoi je le rencontrais dans un bureau situé au rez-de-chaussée de la clinique de Saskatoon.

Jusqu’à ce qu’il obtienne une ordonnance de cannabis médicinal, il consommait chaque année 10 000 pilules sous ordonnance: clonazépam, nortriptyline, targin, baclofène — des analgésiques —, oxycodone — un analgésique qui entraîne une dépendance —, propranolol — pour l’anxiété —, gabapentine — un analgésique —, citalopram — un antidépresseur —, fluvoxamine, trazodone et zopiclone.

Je lui ai prescrit du cannabis médicinal en 2013. Nous avons ensuite commencé à réduire ses autres médicaments tout en ajustant la posologie de son cannabis médicinal. Il a cessé de prendre des médicaments contre la douleur en décembre 2017.

Il a une prescription de 10 grammes de cannabis médicinal, à teneur élevée en CBD et à faible teneur en THC, à prendre deux fois par jour sous forme de suppositoire. Il continue de réduire sa consommation de nortriptyline et devrait pouvoir complètement s’en passer d’ici la fin de l’année. Il marche maintenant sans canne et il s’est acheté une motoneige et un véhicule tout-terrain. Il est parfaitement mobile et a toute sa tête.

La politique continue de causer des problèmes, même aux anciens combattants qui avaient été autorisés à consommer plus de 3 grammes par jour. La demande d’autorisation est habituellement rejetée par une infirmière et il n’y a aucune communication préalable avec le vétéran ou son médecin traitant. Le vétéran doit généralement attendre de quatre à six semaines avant d’obtenir une décision, même s’il avait déjà obtenu une autorisation par le passé. La procédure d’appel prend elle aussi de quatre à six semaines.

Entre-temps, le vétéran ne peut pas utiliser le médicament qui avait pourtant stabilisé son état. J’ai ici deux exemples de lettres de refus. Je crois qu’elles n’ont pas été traduites, malheureusement. Même si j’avais répondu à tous les critères d’ACC dans la demande, une infirmière l’a refusée. Elle ne m’a jamais parlé, n’a jamais parlé de l’incidence d’une telle décision sur l’ancien combattant et ne lui a jamais parlé non plus.

J’ai parlé des diverses souches de cannabis et du THC par rapport au CBD.

Le sénateur Richards a fait valoir que le cannabis masquait le problème, mais ne le réglait pas. Le Dr Wong a dit que les patients ne prenaient pas nécessairement du mieux; que certains symptômes pourraient être dissimulés. Je veux être clair : on peut dire la même chose de tous les médicaments employés pour traiter l’ESPT. Les médicaments ne peuvent guérir l’ESPT, tout comme il n’y a pas de cure contre le diabète. On peut seulement en gérer les symptômes.

Les effets secondaires du cannabis médicinal sont beaucoup moins dommageables que ceux des médicaments sur ordonnance. Les effets secondaires typiques des médicaments sur ordonnance habituellement prescrits incluent la dysfonction sexuelle, le bruxisme — c’est-à-dire le grincement et la fragmentation des dents — , l’anxiété, les troubles moteurs, l’altération des habiletés motrices, pour n’en nommer que quelques-uns. Il y a aussi bien d’autres médicaments dont l’utilisation n’est pas indiquée — c’est-à-dire qu’aucun essai contrôlé aléatoire n’a été fait pour justifier leur utilisation dans le traitement de l’ESPT —, mais qui sont pourtant prescrits par des médecins et qui ont des effets secondaires bien plus graves.

Le Dr MacKillopp a fait valoir ceci :

Qui plus est, des études ont établi un lien entre la consommation de cannabis et l’automutilation et le suicide chez les vétérans [...]

Comme je le disais plus tôt, les anciens combattants souffrant d’ESPT présentent des taux de suicide plus élevés. Le Dr Jetly a pour sa part déclaré :

Nous avons la preuve des dangers possibles de la marijuana, y compris l’apathie, la dépression, l’anxiété et la psychose.

Ces troubles sont aussi des effets secondaires de nombreux médicaments prescrits. Cette affirmation ne fait pas non plus la distinction entre les diverses variétés de cannabis et les concentrations de THC ou de CBD.

Je vais clore mon exposé en vous rappelant que la recherche a démontré que le manque de soutien est aussi important que l’exposition à des incidents traumatiques pour expliquer l’évolution, la gravité et la persistance de l’ESPT. Les anciens combattants perçoivent les refus répétés d’ACC comme un manque de soutien. Ces refus sont responsables de diverses manières de l’aggravation des symptômes psychologiques des anciens combattants, et ce n’est pas seulement pour les demandes associées à la marijuana ou au cannabis, mais bien pour toutes leurs demandes.

[Français]

Le président : Je vous remercie beaucoup de votre présentation, docteur Passey. Nous allons maintenant passer à la période des questions avec la sénatrice Boniface.

[Traduction]

La sénatrice Boniface : Ma question s’adresse à vous deux. Docteur Auger, je remarque que vous utilisez les termes « medical », tandis que le Dr Passey utilise le terme « medicinal ». Quelle est la différence entre les deux? Est-ce qu’ils sont équivalents?

Dr Auger : C’est peut-être les termes utilisés par les interprètes. En français, j’ai dit « à des fins thérapeutiques ».

[Français]

On parle donc d’utilisation à des fins de traitement. Je ne pense pas que c’est un traitement qui est habituellement médical, car il n’est pas reconnu par les associations médicales actuellement. Le terme en français que j’ai utilisé n’est pas « médical », mais « à des fins de traitement ». Est-ce que cela répond à votre question?

[Traduction]

La sénatrice Boniface : Oui, merci.

La sénatrice Wallin : Bienvenue à vous deux. Docteur Auger, je suis certaine que vous avez participé à la conférence de l’ICRSMV qui se tient à Regina. J’y ai passé quelques jours et tout le monde jonglait avec cette question. J’aimerais vous entendre tous les deux à ce sujet. Docteur Passey, vous avez dit que nous ne semblons pas avoir de résultats cliniques — positifs ou négatifs — parce que, comme la substance était illégale, aucun essai clinique n’a été réalisé. Qu’est-ce qu’on fait maintenant? Docteur Auger, vous pouvez commencer.

[Français]

Dr Auger : Je ne suis pas un chercheur, mais bien un clinicien. On espère avoir plus de données cliniques pour démontrer l’efficacité ou le manque d’efficacité et le dosage selon les types de cannabis. On sent bien que le cannabis contient probablement une molécule ou un mélange de différentes molécules qui sont utiles. On espère qu’on fera aussi de la recherche plus exhaustive. Il existe déjà des composés de CBD et certains médicaments à base de THC qui sont mieux contrôlés, et on sait un peu plus ce qu’on prescrit, au lieu de prescrire une plante dans laquelle on retrouve au moins 100 molécules actives. On aimerait aussi obtenir l’aval des associations scientifiques, qui démontreront que la substance peut être utilisée, de quelle façon et à quel moment.

[Traduction]

Dr Passey : C’est une très bonne question. Je préfère que mes patients utilisent les huiles parce que je connais exactement la dose et le pourcentage de THC qu’elles contiennent, par rapport au pourcentage de CBD. Lorsqu’on fume ou qu’on mange le cannabis, on n’a aucune idée de la dose consommée.

Les essais cliniques aléatoires représentent maintenant la norme de pointe. Je comprends, mais si nous avions attendu cela lorsqu’Edward Jenner a découvert que la vaccine pouvait prévenir la varicelle... Il n’y avait pas d’essais cliniques aléatoires à l’époque. Dans les faits, la médecine se fonde surtout sur les observations. J’observe mes patients depuis une décennie maintenant. J’ai de nombreux cas. Dans la communauté de recherche, c’est ce qu’on appelle des données empiriques, qui n’ont pas beaucoup de poids, mais j’ai vu la différence. Est-ce que cela fonctionne pour tout le monde? Non. Est-ce que le cannabis enraye le problème? Non, mais il est efficace.

Si je peux aider les gens à cesser de consommer de l’alcool et des opioïdes — qui entraînent une forte dépendance et augmentent le risque de suicide — en ayant recours au cannabis à teneur élevée en CBD, alors je vais le faire, parce que cela fonctionne. Je vais attendre que la recherche nous rattrape. Je reviendrai, et je ne nuirai à personne. Je ne fais de tort à personne.

La sénatrice Wallin : Nous ne le saurons pas tant que nous n’aurons pas fait d’essais cliniques aléatoires ou d’autres types d’essais.

Quelle est la prochaine étape, donc? Le cannabis est maintenant légal dans une certaine mesure; que peut-on faire? Est-ce que nous demandons à ACC de demander aux anciens combattants qui reçoivent un financement de participer à un essai clinique? Pouvons-nous leur demander cela en échange du remboursement du produit qu’ils utilisent?

Dr Passey : On ne peut forcer les sujets. Ils doivent être d’accord. Cela poserait problème. Ce serait bien pour la population d’anciens combattants, mais les chercheurs civils diraient qu’il s’agit d’une population biaisée.

Nous avons tout à fait besoin d’essais cliniques aléatoires, mais ce sera difficile. Il n’est pas seulement question d’examiner le cannabis médicinal. Est-ce qu’il aura une teneur élevée en THC, une faible teneur en CBD? Est-ce que ce sera moitié-moitié? Est-ce qu’il aura une faible teneur en THC et une teneur élevée en CBD? Quels types de CBD seront utilisés? Il y a un cannabinoïde qui aide à dormir; est-ce qu’on l’isolera? La marijuana compte quelque 87 composés. J’essaie de me restreindre à l’huile.

Il y a beaucoup de travail à faire. Si l’on coupait les vivres aux anciens combattants maintenant, alors que la marijuana s’est avérée efficace au sein de ma population de patients... Ce n’est peut-être pas du tout le cas pour mes collègues, mais mes patients sont stables et ils ont réussi à abandonner bon nombre d’autres médicaments. Ce n’est qu’un petit pourcentage de ma population totale. Ce ne sont pas tous les anciens combattants qui consomment du cannabis. Je n’en consomme pas, alors je n’en ai pas l’expérience, mais je constate les résultats.

La sénatrice Wallin : Comment pouvons-nous effectuer des essais réels? C’est-à-dire des essais cliniques dans lesquels nous comparons des pommes et des pommes, et non des pommes et des oranges et des poires et des bananes?

[Français]

Dr Auger : C’est en effet très difficile. Actuellement, comme il y a quand même 7 000 anciens combattants qui consomment du cannabis, ce serait une population intéressante à examiner afin de voir leur évolution avec le temps.

Nous ne prescrivons pas de cannabis, mais nous ne jetons pas nécessairement les patients à la porte lorsqu’ils en consomment, parce que certains sont très malades. Nous devons les garder à l’œil. On voit leur évolution. Il serait donc intéressant de voir comment ils évoluent, parce qu’on a beaucoup de patients qui sont un peu déçus, après un certain temps, de se rendre compte que le cannabis ne les mène nulle part.

Ce n’est pas vrai que tous les traitements fonctionnent toujours très bien. Beaucoup de patients, finalement, passent à autre chose. Ils nous reviennent après deux ou trois ans pour dire qu’ils se rendent compte qu’ils ne sont pas dans la bonne voie, qu’ils ne sont plus capables de fonctionner et qui nous demandent de trouver une solution. Ce serait intéressant d’examiner cela.

Il est sûr que le fait de mener des études contrôlées par placebo, c’est très compliqué et très complexe. Il faut choisir les bonnes doses. Comme le dit le Dr Passey, il faut savoir ce qu’on prescrit.

Ce que je sais, actuellement, c’est que lorsqu’on ne prescrit pas de cannabis... La plupart du temps, ce que nous constatons, c’est qu’on autorise le cannabis et le patient choisit le type de cannabis qu’il veut consommer. Je vous dirais qu’à 90 p. 100 du temps, il s’agit de hautes teneurs en THC, donc, pour avoir l’effet euphorisant. Oui, certains patients vont prendre le CBD, mais ce n’est pas la majorité. On n’a pas de contrôle sur ça. On ouvre une porte et on ne sait pas ce qui va arriver. Ce n’est pas de cette façon que je pratique la médecine. Je n’ai pas le contrôle sur le dosage qu’ils prennent.

[Traduction]

La sénatrice Wallin : Ce que j’aimerais savoir, c’est à qui incombe une telle initiative? De qui est-ce la responsabilité? Les deux témoins peuvent répondre.

[Français]

Dr Auger : Je crois qu’il doit y avoir des institutions qui sont indépendantes. Le problème, c’est qu’il y a beaucoup d’informations qui sont un peu teintées par les fournisseurs.

Un peu comme le Dr MacKillop, qui est complètement indépendant, je pense qu’il faut encourager ces institutions de recherche où il y a des gens sérieux qui ne sont pas en conflit d’intérêts avec le domaine du cannabis. Je pense que c’est à ces gens qu’il faut confier cela. Il faut utiliser les données qui sont accessibles actuellement, et il faut aller de l’avant. Cependant, il faut être prudent. Je crois que nous avons ouvert une porte beaucoup trop grande.

Je parle également au nom des neuf médecins de ma clinique. On a vu plus de désastres que de bons résultats.

[Traduction]

Dr Passey : Anciens Combattants Canada fait équipe avec les Forces armées canadiennes. Je ne me souviens plus de l’acronyme utilisé, mais en collaboration avec plusieurs universités, ils examinent la possibilité de mener des études et des recherches sur le traitement de l’ESPT, et je crois qu’il faut se pencher sur la question du cannabis thérapeutique.

J’aimerais souligner deux autres points qu’on ne semble pas mentionner. Le meilleur traitement que nous offrons, c’est la thérapie verbale. Ce traitement a un taux de réussite de plus de 60 p. 100. Cela signifie que cette thérapie n’améliore pas l’état d’environ 40 p. 100 des patients. Le taux de réussite des médicaments est encore moins élevé; nous devons donc tenir compte de cela.

L’autre chose dont on ne parle jamais — la plupart des gens ne sont pas au courant, et je l’ai moi-même appris dans les années 1990 —, c’est qu’il y a trois volets dans l’ESPT. Le premier est la peur. Ce volet se traite très bien avec la thérapie par exposition et les différents types de thérapies verbales. Les deux autres volets sont la culpabilité et la colère. Le taux de réussite des thérapies par exposition et des thérapies cognitivo-comportementales, à moins qu’elles soient menées de façon appropriée, est de moins de 20 p. 100. Il s’agit donc d’un trouble très difficile à traiter. Nous devons déterminer dans quelle mesure la situation du cannabis contribuera à nos thérapies verbales et permettra aux patients de progresser.

La sénatrice Wallin : Êtes-vous d’accord avec ce que le Dr Auger a dit au sujet du DeGroote Institute? Serait-ce un bon endroit pour mener certaines recherches?

Dr Passey : Je crois que toute organisation de niveau universitaire qui est impartiale — car ces temps-ci, il y a beaucoup de partialité — se penchera sur la question. C’est difficile, comme je l’ai mentionné. Il y a tous ces différents types de cannabis et de pourcentages. Cela coûtera beaucoup d’argent et nécessitera beaucoup de travail.

La sénatrice Wallin : Merci.

La sénatrice Griffin : J’ai deux questions. Je viens de l’Île-du-Prince-Édouard et c’est là que se trouve l’administration centrale du ministère des Anciens Combattants. Ce sujet m’intéresse donc beaucoup.

En ce qui concerne le cannabis thérapeutique pour les anciens combattants, quelles mesures précises le gouvernement devrait-il prendre, selon vous?

Dr Passey : C’est difficile. Pour être honnête, le gouvernement a de l’influence sur Anciens Combattants Canada, mais il ne semble pas être en mesure de lui faire faire quoi que ce soit. Une partie du problème, c’est qu’on doit mener plus de recherches. Cela ne fait aucun doute.

L’autre chose que je demanderais à Anciens Combattants Canada, c’est que lorsque je prescris une substance à un patient — et cela semble seulement se produire dans le cas du cannabis — et que l’état du patient est stable pendant qu’il la prend et que j’ai réussi à lui faire arrêter de prendre tous les autres médicaments, j’aimerais que le ministère n’intervienne pas.

Je suis clinicien. Si l’état de mon patient se détériore, je m’en occuperai. Si je crois qu’un patient utilise de la marijuana de façon inappropriée, je m’occuperai du problème. En réalité, la plupart de mes patients n’utilisent pas de la marijuana à teneur élevée en THC et, s’ils le font, c’est pour la nuit, car cela les aide à dormir et à ne pas faire de cauchemars. La plupart d’entre eux utilisent de la marijuana à teneur plus élevée en CBD pendant la journée pour traiter leurs douleurs chroniques, leur anxiété et leur irritabilité.

Je ne veux pas que le personnel infirmier m’informe qu’on juge que ce n’est pas approprié et que l’approvisionnement sera réduit, et que mon patient passe de 10 grammes à 3 grammes. Que fera ce patient? Va-t-il avoir recours à l’alcool? Dois-je lui prescrire des narcotiques pour ses douleurs?

Nous pouvons mener des recherches, mais dans les cas où cela fonctionne, laissez-nous simplement faire notre travail.

La sénatrice Griffin : Le patient peut-il continuer d’utiliser 10 grammes, mais dont seulement 3 grammes sont remboursés?

Dr Passey : Certainement, mais cela pose un problème lorsque les patients ne peuvent pas se le permettre.

La sénatrice Griffin : C’est un autre problème, vous avez raison.

Dr Passey : C’est un autre problème.

La sénatrice Griffin : À partir d’aujourd’hui, comme vous le savez, il est maintenant légal d’avoir de la marijuana à des fins récréatives. Avez-vous une idée de l’impact que cela pourrait avoir sur l’utilisation de la marijuana thérapeutique? Cela sera-t-il utilisé pour combler l’écart, surtout lorsqu’on réduit la dose fournie de 10 grammes à 3 grammes?

Dr Passey : Je dois être honnête. Une minorité de patients utilisent 10 grammes. La plupart d’entre eux utilisent 5 grammes ou moins. En fait, une bonne partie d’entre eux utilisent 3 grammes. Cependant, je ne traite pas les cas faciles d’ESPT. La clinique de TSO semble m’envoyer les cas difficiles, surtout s’il est question de cannabis.

Mes patients vont où ils peuvent pour obtenir le reste de leur dose si elle a été réduite. Le problème, c’est que les dispensaires ne connaissent pas souvent le pourcentage de THC et de CBD dans leurs produits. Nous ne savons pas si le produit est mélangé à d’autres ingrédients. Les patients sont donc exposés à un risque très élevé lorsque leur approvisionnement est réduit.

Ce sera peut-être un peu plus facile maintenant, car si le produit est légal et vendu dans des magasins légitimes, nous connaîtrons peut-être ces informations. Cela devrait être plus facile, car la plupart des dispensaires, en raison des coûts, ne mesurent pas la quantité de THC et de CBD dans chacun de leurs produits. La plupart du temps, jusqu’à aujourd’hui, cette information n’était pas connue. Cela pourrait peut-être améliorer les choses dans une certaine mesure, mais encore une fois, j’aimerais que mes patients utilisent seulement les huiles, car je pourrais connaître la composition exacte de chaque dose.

La sénatrice Griffin : Merci.

[Français]

Dr Auger : Je n’ai pas répondu à la question précédente. J’aurais aimé répondre sur la diminution à 3 grammes. Je suis d’accord avec le Dr Passey pour dire que ce n’est pas facile de reculer lorsqu’on a ouvert la porte à quelque chose. Je comprends que, lorsqu’on a autorisé quelque chose, ce n’est pas facile de l’enlever par la suite, surtout si on fait la démonstration que c’est bénéfique sur une longue période. Donc, peut-être que la légalisation pourra aider dans un certain sens.

Cela va avec la deuxième question sur ce que seront les règles, étant donné que le cannabis ne se sera plus illégal et qu’il sera disponible. Peut-être qu’on se tournera vers des choses qui sont plus reconnues et recommandées, et on pourra se poser par la suite la question à savoir si ça doit être payé ou remboursé. J’ai tellement entendu d’histoires de gens qui reçoivent 3 grammes de cannabis ou 10 grammes de cannabis. C’est peut-être une occasion de se recentrer sur ce qui sera autorisé ou non. C’est une hypothèse.

Le président : Docteur Auger, autoriser un traitement avec du cannabis, cela peut-il créer une dépendance à un certain moment? Une fois le traitement terminé, est-ce que le patient voudra continuer d’en consommer?

Dr Auger : Le cannabis n’est pas la drogue qui occasionne le plus de dépendance. Plus les dosages sont élevés, plus les risques de dépendance augmentent. Ce n’est pas arrivé de façon catastrophique, mais il est arrivé qu’on ait dû envoyer des gens se faire traiter dans des unités de désintoxication autorisées par le ministère des Anciens Combattants. Tout cela était payé par le ministère. Il est paradoxal qu’on ait prescrit un traitement pour défaire ce traitement.

On a eu des patients qui ont été hospitalisés, qui ont fait des psychoses. De nombreux médecins des urgences psychiatriques nous ont demandé ce qui se passait avec nos patients et pourquoi ils étaient complètement intoxiqués. Il y a un manque de contrôle. Les choses sont allées beaucoup trop vite. C’est pour cette raison que j’ai parlé d’un tsunami. On n’a jamais eu le temps de réfléchir et de s’arrêter en se disant qu’on ne peut pas tolérer cela. Il y a peut-être une place pour le cannabis, mais il faut la trouver.

À mon avis, actuellement, il s’agit d’un traitement expérimental. Pour certains de nos patients, cela devient un traitement de première ligne. On va directement vers le cannabis. On ne veut pas tenir compte des autres approches qui sont difficiles, mais qui sont reconnues. Même si les thérapies sont difficiles, elles sont reconnues par la science. Les thérapies d’exposition, il y a au-dessus de 200 ou de 300 études qui démontrent leur efficacité. C’est sûr que c’est difficile, mais ça peut fonctionner.

Le sénateur McIntyre : Docteur Auger, je comprends que votre clinique fait partie du réseau de Cliniques pour traumatismes liés au stress opérationnel. Cela dit, dans un article journalistique de décembre 2017, on affirme que l’équipe de la Clinique pour traumatismes liés au stress opérationnel de Québec a envoyé une lettre à Anciens Combattants Canada, en 2016, exprimant ses inquiétudes en ce qui concernait, et je cite :

[les] témoignages de patients qui utilisaient des doses élevées pour fournir du cannabis aux membres de leur famille et à leurs amis ou encore en faire la revente.

Qu’entendiez-vous par cela? S’agit-il de cas isolés ou d’un nombre important de patients?

Dr Auger : Je n’ai pas fait le calcul, mais ce sont des choses qui se produisaient assez souvent pour que ça devienne inquiétant. Je devais expliquer aux patients qu’ils n’avaient pas le droit d’offrir du cannabis aux membres de leur famille puisque c’était illégal. Je devais leur expliquer que, légalement, c’était prescrit pour eux.

Les gens n’étaient pas au courant. J’ai entendu dire que des gens faisaient même la revente de cannabis. Je n’ai pas fait de recherches là-dessus, mais on l’a assez entendu dans toute la clinique pour que ça nous inquiète. Lorsqu’on fait référence à cette lettre-là, il s’agit de la politique qu’on a préparée en 2016. C’est exactement cette lettre que j’avais envoyée dans le réseau des cliniques, à Anciens Combattants Canada et dans notre propre hôpital pour indiquer nos recommandations.

Le sénateur McIntyre : Estimez-vous que le fait d’avoir réduit à 3 grammes le montant de cannabis remboursé par Anciens Combattants Canada a corrigé ce problème potentiel?

Dr Auger : À mon avis, cela l’a tout de même amélioré, parce qu’on n’a plus les dosages extrêmes de 10 grammes de cannabis. Il n’y en a presque plus. Certaines personnes vont compléter avec plus de 3 grammes de cannabis. Je ne dis pas que c’est parfait, mais en raison de cette limite, il y a moins d’événements majeurs et hors du commun et d’hospitalisations dans des contextes de psychose secondaire au traitement par le cannabis. Ça reste une problématique, mais je vous avoue que ça nous a permis de prendre un certain recul et de ne pas mettre les patients dans des situations où ils doivent choisir leur traitement. On est plus à même de les garder, de les amener à participer à d’autres traitements et à diminuer leur consommation de cannabis.

[Traduction]

Le sénateur McIntyre : Ma prochaine question s’adresse aux deux témoins. Doit-on tenir compte de facteurs liés au sexe dans le cas de l’utilisation du cannabis thérapeutique?

Je remarque que vous souriez.

Y a-t-il des indications selon lesquelles le cannabis pourrait avoir des effets différents chez les hommes et chez les femmes? Les hommes et les femmes font-ils face à des obstacles différents lors de l’utilisation du cannabis thérapeutique?

Dr Passey : C’est une excellente question. Nous ne le savons pas. La plupart des études sont menées sur des hommes et on ne cherche pas nécessairement les différences.

La majorité des militaires en service sont des hommes, et non des femmes. Je n’ai pas un grand nombre de patientes qui utilisent la marijuana. Cela dit, je suis toujours inquiet si elles tombent enceintes, car c’est un gros problème pour le développement du cerveau du fœtus. Si elles allaitent, c’est un autre problème. Je parlerais de ces choses.

Mon collègue en sait peut-être davantage sur le sujet. Actuellement, à ma connaissance, nous ne savons pas s’il y a une différence. La taille fait une différence. En effet, le produit se répand dans le gras, et il y a une différence entre le gras des femmes et des hommes. Je m’attendrais à ce qu’il y ait une différence, mais je n’ai jamais entendu parler d’aucune étude à cet égard. Le problème, c’est qu’on n’a pas mené suffisamment d’études sur la question.

Le sénateur McIntyre : J’aimerais revenir à la question que j’ai posée au Dr Auger au sujet des patients qui utilisent des doses élevées pour approvisionner les membres de leur famille et leurs amis ou pour revendre le produit. Avez-vous fait face à cette situation?

Dr Passey : Personnellement, je n’ai pas eu à faire face à cette situation. Ai-je entendu parler de cette situation? Oui. Ai-je des soupçons? Cela peut arriver. Encore une fois, je surveille assez étroitement la plupart de mes patients qui consomment de la marijuana.

Le produit qui serait revendu a une teneur élevée en THC. Je n’ai pas un grand nombre de patients anciens combattants qui utilise une teneur élevée en THC. Il se peut qu’ils utilisent les deux types de produits, c’est-à-dire qu’ils utilisent le CBD pendant la journée et un peu de THC pour la nuit. J’ai probablement deux ou trois patients qui utilisent une teneur élevée en THC. Cela peut être attribuable à un métabolisme ou à des besoins différents. Je ne suis personnellement pas au courant d’aucun cas de ce genre.

Nous avons peut-être des groupes de patients différents. Depuis 2008, parmi tous les patients que j’ai évalués et traités avec de la marijuana, un seul a fait une psychose, et c’est arrivé parce qu’il a doublé sa dose sans m’avertir. Lorsqu’on a réduit sa dose à la quantité que j’avais suggérée, les psychoses ont cessé.

Je n’ai vu aucune hospitalisation. Je sais que des anciens combattants consultent des cliniques. Un omnipraticien leur prescrit jusqu’à 3 grammes et les laisse partir. Je ne fais pas cela. Je ne crois pas que c’est une bonne façon de pratiquer la médecine. En effet, il faut suivre ses patients continuellement et chercher les signes d’effets secondaires potentiels que mon collègue a décrits.

[Français]

Le président : Avant de clore la séance, j’aurais quelques questions. Docteur Auger, dans vos recherches, on dit qu’on veut minimiser le sentiment d’euphorie obtenu par certains vétérans, et on utilise l’appellation thérapeutique. Est-ce que ce n’est pas un élément qui a facilité la consommation du cannabis? Comme vous l’avez mentionné, il est parfois difficile de faire des suivis avec ce genre de thérapies.

Dr Auger : Je ne suis pas certain d’avoir bien compris la question.

Le président : Vous parlez d’une appellation thérapeutique. Est-ce que cette appellation thérapeutique est un élément qui facilite la consommation du cannabis, mais qui ne vous permet pas d’assurer un suivi comme tel auprès du patient?

Dr Auger : Oui, je l’ai appelée comme ça parce que, en fin de compte, ce n’est pas quelque chose qui est sous supervision médicale. Dans notre coin de pays, c’est autorisé et, ensuite, il n’y a plus de contrôle. Je ne peux pas appeler cela un traitement médical, parce qu’il n’y a pas de suivi médical. Je suis d’accord avec le Dr Passey. S’il y a un traitement, il faut qu’il y ait un suivi. C’est essentiel. Ça ne se faisait pas dans ce cas-là.

Le président : Ma question s’adresse au Dr Passey. Vous avez parlé des économies qui peuvent être réalisées lorsque les Forces armées canadiennes remboursent le traitement au cannabis. Est-ce que cela n’a pas un effet de vases communicants? On prescrit du cannabis, remboursé par les forces armées; c’est plus économique, mais, à ce moment-là, est-ce que cela ne pourrait pas faire augmenter le coût d’autres médicaments qui sont remboursés par l’armée?

[Traduction]

Dr Passey : Permettez-moi d’apporter une petite correction. Les Forces canadiennes ne remboursent pas le cannabis. Cela ne se fait pas. C’est Anciens Combattants Canada qui s’en occupe.

Le point que je faisais valoir, c’est qu’Anciens Combattants Canada a épargné beaucoup d’argent en effectuant des réductions. On a justifié cela en partie par les coûts, mais c’était aussi parce qu’on n’observait aucune différence entre les taux de prescription et les coûts d’autres médicaments. Ce qui me préoccupe, c’est que ce résultat est trompeur, car on n’a pas tenu compte des anciens combattants qui prenaient des médicaments et qui ont ensuite obtenu une prescription de cannabis. Qu’est-il arrivé à ces autres médicaments?

Presque tous les patients que j’ai traités avec du cannabis ont diminué les autres médicaments qu’ils utilisaient. Épargne-t-on de l’argent, au bout du compte? Je ne le sais pas, car je ne connais pas le prix des autres médicaments. Personne n’a examiné cela. Le cannabis coûte cher; il coûte 8,50 $ le gramme. C’est ce qu’Anciens Combattants Canada paie pour le cannabis. À cela s’ajoutent les coûts des opioïdes et des antidépresseurs. Je ne crois pas que le cannabis permettrait d’épargner de l’argent au bout du compte, mais je crois qu’il faut tenir compte de la diminution de l’utilisation d’autres médicaments lorsque le cannabis est ajouté au traitement.

[Français]

Le président : J’aimerais terminer par une question d’actualité pour nos deux invités. Croyez-vous que la vente autorisée de cannabis récréatif, dont les prix, entre autres au Québec, seront assez bas, pourrait avoir un effet à la baisse sur l’achat de cannabis thérapeutique?

Dr Auger : C’est une excellente question à laquelle il est très difficile de répondre. Souvent, il y a la question de l’acceptabilité sociale. Des gens m’ont dit : « Moi, je veux consommer du cannabis, mais je ne veux pas me faire arrêter par la police. » S’il y a cette acceptabilité, peut-être que les gens ne viendront pas nous demander une ordonnance. Ils vont tout simplement aller acheter leur cannabis comme on achète une petite bière le vendredi soir.

[Traduction]

Dr Passey : C’est une excellente question. Au Canada, environ 292 000 personnes utilisent le cannabis à des fins thérapeutiques. Une partie du problème concerne les règlements, l’assurance de la qualité et d’autres éléments qui sont nécessaires lorsqu’on prescrit un produit thérapeutique. Cela contribue donc à faire augmenter le prix du produit thérapeutique. Toutefois, en ce qui concerne l’échelle de production... Encore une fois, je ne suis pas un expert en économie, mais je travaille à la création d’une entreprise appelée le programme d’initiative des anciens combattants. Nous examinons des choses comme le prix de la marijuana. Nous nous intéressons à la marijuana thérapeutique et surtout aux huiles.

Il y aura certainement un ajustement des prix sur le marché. En effet, les principaux producteurs augmentent grandement leur production, jusqu’à 350 000 pieds carrés de production. Cela se produit dans l’ensemble de la Colombie-Britannique et, je présume, d’un bout à l’autre du Canada. Le prix du cannabis à des fins récréatives devrait donc diminuer. Nous espérons que cela fera également diminuer le prix du cannabis thérapeutique. Encore une fois, si vous utilisez les huiles, il faut tenir compte de l’extraction, de la purification et d’autres étapes qui sont nécessaires pour les produire. En résumé, cela fera-t-il à diminuer les coûts? Certainement.

Par exemple, au Canada, une livre de cannabis coûte environ 3 800 $. Je peux obtenir le même cannabis en Afrique pour 1 $. Il est donc tout à fait possible de faire diminuer les coûts.

[Français]

Le président : S’il n’y a pas d’autres questions, nous allons lever la séance. Je remercie nos deux invités, le Dr Auger et le Dr Passey, pour leur excellent témoignage.

(La séance est levée.)

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