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Débats du Sénat (Hansard)

Débats du Sénat (hansard)

2e Session, 36e Législature,
Volume 139, Numéro 47

Le mardi 11 avril 2000
L'honorable Gildas L. Molgat, Président


LE SÉNAT

Le mardi 11 avril 2000

La séance est ouverte à 14 heures, le Président étant au fauteuil.

Prière.

[Traduction]

DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS

Présentation d'excuses à l'honorable Ron Ghitter

Déclaration en réponse

L'honorable John Lynch-Staunton (chef de l'opposition): Honorables sénateurs, j'aimerais, à titre de déclaration, lire un extrait de la déclaration de notre ancien collègue, l'honorable Ron Ghitter, au sujet des excuses qu'il a reçues de M. Ezra Levant et de M. Rob Anders. Le voici:

[...] J'ai maintenant reçu des excuses complètes et sans équivoque de M. Levant et de M. Anders...

En plus des excuses qui seront publiées cette semaine dans le Calgary Herald, le Calgary Sun et l'Edmonton Journal, le règlement à l'amiable prévoit également le plein paiement de mes frais juridiques et une contribution substantielle à la Tom Baker Cancer Clinic et à la Sheldon Chumir Foundation. Dans les deux cas, les montants versés seront les mêmes.

Il ne s'agit pas tant d'une attaque contre mon intégrité, qui m'a beaucoup fait souffrir, que d'une tendance lourde qu'on observe actuellement sur la scène politique canadienne, à savoir les attaques personnelles qui se font de plus en plus fréquentes. Ce qui est en jeu, ce sont les questions fondamentales touchant le leadership, la dignité ainsi que les responsabilités premières des personnes qui sont en politique, à savoir le maintien d'un minimum de décorum, d'équité et, par-dessus tout, de courtoisie dans leur conduite.

En termes clairs, nous avons, en politique, l'obligation de débattre vigoureusement de questions, de mettre en doute les politiques des autres, de s'engager dans les joutes oratoires de la vie publique et de convaincre du bien-fondé de nos programmes et de nos arguments. Cependant, user de tactiques de diffamation répugnantes et mesquines, fondées sur des allégations fausses et des interprétations hors contexte, afin de susciter des contributions à une campagne, voilà qui est non seulement inacceptable, mais déplorable.

Si l'on ne s'oppose pas à de telles tactiques, l'absence de respect à l'égard de nos institutions et des hommes et femmes dévoués qui servent notre pays continuera de s'accentuer. Résultat, de moins en moins de Canadiens doués seront prêts à nous représenter au sein du Parlement, des assemblées législatives et des conseils municipaux.

Dans ce cas-ci, c'est Preston Manning qui, ultimement, est responsable.

M. Anders est un député réformiste et M. Levant était un conseiller proche de Preston Manning au moment où il a écrit et fait circuler la lettre. Tous deux ont agi sous l'autorité de M. Manning et avec la bénédiction du Parti réformiste.

Quand j'ai menacé d'intenter un procès, M. Manning a dit ceci:

Il n'y a rien de diffamatoire dans cette lettre, Ghitter n'a aucun motif pour intenter un procès.

Maintenant que cette lettre circule tous les jours en Alberta, que va faire Ron, poursuivre en justice toute la population de l'Alberta? C'est un sénateur qui ne rend pas de comptes, qui n'est pas élu et pour lequel les Albertains ont de moins en moins de respect.

C'est le même M. Manning qui aurait dit précédemment:

Nous ferons campagne sur la base de principes et de faits précis et éviterons de nous en prendre à nos adversaires et de jouer avec les symboles. Le Parti réformiste, je tiens à le souligner, ne veut ni se lancer dans des attaques personnelles contre des individus ni s'en prendre à un groupe ou une région quelconque du Canada.

M. Ghitter termine en disant ceci:

Je pense qu'il serait approprié que M. Manning s'excuse publiquement d'avoir appuyé et encouragé une conduite aussi déplorable et de tels propos diffamatoires de la part de l'un de ses députés et de l'un de ses principaux conseillers. Espérons qu'il le fera.

Des voix: Bravo!

Les championnats mondiaux de curling Le championnat mondial junior de curling

Félicitations aux équipes gagnantes

L'honorable Gerry St. Germain: Honorables sénateurs, je rends hommage aujourd'hui à 15 Canadiens remarquables originaires de la grande province de la Colombie-Britannique. Le Canada et la Colombie-Britannique sont fiers de ces trois équipes championnes mondiales et les félicitent.

Le championnat du monde de curling a eu lieu la fin de semaine dernière à Glasgow, en Écosse. Le dimanche 9 avril 2000, l'équipe masculine canadienne était formée des membres du Royal City Curling Club de New Westminster, qui est dirigé par Greg McAulay. Elle se composait de Greg McAulay, capitaine, Brent Pierce, troisième, Bryan Miki, deuxième, Jody Sveistrup, premier, et Darin Fenton, cinquième. L'équipe de McAulay a remporté le championnat mondial masculin de curling par une victoire retentissante sur la Suède en neuf manches. C'était la vingt-sixième victoire du Canada chez les hommes depuis le début de la compétition en 1959.

La victoire des hommes a assuré la médaille d'or au Canada, complétant le doublé amorcé la veille par l'équipe féminine de Kelley Law, de Richmond, en Colombie-Britannique, qui a remporté une excitante victoire de 7 à 6 sur la Suisse. L'équipe féminine, formée de membres du Richmond Winter Curling Club, était composée de Kelley Law, capitaine, Julie Skinner, troisième, Georgina Wheatcroft, deuxième, Diane Nelson, première et Cheryl Noble, cinquième.

Law a remporté le championnat avec la dernière pierre de la dixième manche, assurant ainsi au Canada son onzième championnat mondial féminin. McAulay est devenu le troisième capitaine de Colombie-Britannique à remporter un championnat mondial cette année.

Le premier a été Brad Kuhn, de Vernon, en Colombie-Britannique, qui a remporté le championnat du monde junior, le 26 mars dernier, à la patinoire Grundel à Geising, en Allemagne. L'équipe qui a représenté le Canada au championnat du monde de curling chez les juniors était dirigée par l'entraîneur Jock Tyre et composée de Brad Kuhn, capitaine, Kevin Folk, troisième, Ryan Kuhn, deuxième, Hugh Bennett, premier, et Jeff Richard, cinquième. L'équipe de la Colombie-Britannique était formée de membres du Kelowna Curling Club.

Pour la dixième fois depuis le début de la compétition en 1975, et pour la troisième année consécutive, le Canada a obtenu la médaille d'or au championnat mondial masculin de curling junior.

(1410)

On ne peut faire mieux que cela. Grâce à la victoire de Greg McAulay, c'est la neuvième fois que le Canada remporte à la fois le championnat chez les hommes et chez les femmes au cours de la même année. Aucun autre pays n'a jamais pu égaler ce record.

Honorables sénateurs, les gens de la Colombie-Britannique sont sortis en trombe, ils ont remporté la victoire en Écosse, ont raflé tous les honneurs et nous sont revenus trophées en main dans la grande province de la Colombie-Britannique.

Des voix: Bravo!

Le Forum sur la société et l'économie

L'honorable Douglas Roche: Honorables sénateurs, le Parlement a été témoin hier d'un événement remarquable. Le Forum sur la société et l'économie, le point culminant d'une consultation sur deux ans menée par l'Église unie du Canada, sous la présidence du révérend Bill Phipps, a jeté un éclairage religieux sur les questions liées à une politique socioéconomique avisée. Cette manifestation avait pour objet de rappeler les valeurs et les principes fondamentaux de justice sociale qui devraient fonder la prise de décisions politiques et économiques aux niveaux de l'individu, de la communauté et de la nation.

Au nombre des valeurs énoncées figuraient le consensus, la communauté, la dignité de l'être humain, la solidarité et l'inclusion. Ces valeurs contrastent avec les revendications exposées hier par les démunis. Ces derniers sont de plus en plus nombreux et s'enfoncent davantage dans leur déchéance en dépit d'une économie en rapide expansion; ils s'imaginent en outre être responsables de leur situation et se sentent exclus. S'agissant de promouvoir le bien commun, les participants au forum ont exprimé le souhait de participer de plein droit à la définition des priorités nationales et d'être habilités à demander des comptes aux autorités en place.

Ce message opportun coïncide avec la parution du rapport du millénaire présenté par le secrétaire général des Nations Unies et intitulé: «We, the Peoples»; ce rapport appelle les sociétés civiles à concerter leurs efforts dans le cadre des institutions communes fondées sur des principes et des valeurs visant à libérer les peuples de la pauvreté et de la crainte. Au vu de la mondialisation en cours, les peuples s'estiment menacés par les événements les touchant de près ou de loin. Ils sont également plus sensibles aux questions d'injustice et d'exclusion et comptent sur les États pour mener des actions concrètes en la matière.

Le message véhiculé hier était on ne peut plus clair. Les peuples qui sont à la recherche de renouveau délaissent les partis et processus politiques. En fait, le sénateur Murray, notre collègue, a déclaré devant les participants réunis que les institutions politiques du Canada ont été minées à un point tel qu'elles ne riment plus à rien aujourd'hui. Nous devons nous inquiéter de ce que des membres de la population active se désintéressent peu à peu du processus politique canadien.

Honorables sénateurs, il est ressorti des propos de ces dirigeants communautaires et religieux un mot révélateur - le mot espoir. La désaffection manifestée par le forum à l'égard des gouvernements en place ne s'est pas répercutée sur son désir d'action et d'idées nouvelles, même si celles-ci ne sont qu'embryonnaires. Le groupe qui a participé au forum d'hier ne restera pas muet. Il préconise le changement.

Visiteur de marque

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, je vous signale la présence d'un visiteur à notre tribune. M. Cliff McIsaac a été député à l'Assemblée législative de la Saskachewan durant plusieurs années. Il y a été également ministre en même temps que notre collègue, l'honorable sénateur Wiebe, et a été plus tard député à l'autre endroit, ici à Ottawa.

Bienvenue au Sénat.

Des voix: Bravo!


[Français]

PÉRIODE DES QUESTIONS

Les affaires étrangères

Les négociations pour le processus de paix entre Israël et la Palestine-La déclaration du premier ministre-L'attitude différente à l'égard du Québec

L'honorable Jean-Claude Rivest: Honorables sénateurs, le très honorable premier ministre du Canada connaît un printemps difficile. Après les tumultes du congrès du Parti libéral du Canada, voilà que le premier ministre a pris la route du Proche-Orient, où il multiplie les impairs. Encore ce matin, il s'est prononcé, contrairement à la politique établie du gouvernement du Canada, sur l'appartenance des rives du lac de Tibériade, indisposant la Syrie ce matin, Israël hier et les Palestiniens le jour précédent.

Honorables sénateurs, le premier ministre, qui prétend être un homme de clarté, a créé la confusion suite à sa déclaration relativement à la proclamation de l'indépendance unilatérale que pourraient proclamer les Palestiniens. Une telle déclaration a des résonances politiques - même si la comparaison peut difficilement tenir - quant à la situation au Québec, étant donné le débat sur la proclamation unilatérale de l'indépendance.

Nous savons bien que la situation du Québec n'est pas la même que celle de la Palestine. Sur le plan international, comment le Canada, s'il avait à faire face à une telle situation, pourrait-il expliquer une attitude différente à l'égard du Québec de celle que le premier ministre dit vouloir porter à l'égard de la Palestine?

[Traduction]

L'honorable J. Bernard Boudreau (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, je remercie l'honorable sénateur Rivest de sa question. Je me doutais bien qu'il n'avait pas assisté au récent congrès biennal libéral, et la description qu'il en fait confirme qu'il n'y était pas.

Je dois corriger l'honorable sénateur quand il dit que cela a été un congrès difficile. J'y étais avec plusieurs de mes collègues. Le congrès a été merveilleux et formidable. Il a été extrêmement fructueux et énormément apprécié par le premier ministre à cause de l'appui sans réserve qu'il y a reçu.

Je dois maintenant apporter une légère correction sur le fond de la question que l'honorable sénateur a soulevée. Je reconnais avec lui que la situation en Palestine est fondamentalement différente de la situation au Québec. Il l'a souligné et je suis d'accord avec lui. Notre pays est résolu à encourager les autorités israéliennes et les autorités palestiniennes à poursuivre leurs négociations pour parvenir à une heureuse conclusion.

La communauté internationale partage fermement cette position, et nous voulons faire tout ce que nous pouvons pour la maintenir. De temps à autre, ces négociations présentent des aspects décourageants, mais nous devons demeurer optimistes et encourager les parties à continuer de s'efforcer de parvenir à un accord de paix global pour que ces deux peuples puissent vivre en harmonie l'un avec l'autre.

(1420)

Je ne pense pas qu'il soit utile dans ce contexte de spéculer en long et en large sur des situations hypothétiques. Dans la mesure du possible, je m'en garderai bien, d'autant plus que nous ne voulons pas tenir ici des propos qui pourraient entraver le déroulement des négociations.

L'honorable John Lynch-Staunton (chef de l'opposition): C'est déjà fait. Vous voulez dire que vous ne voulez pas recommencer, une fois suffit.

L'honorable A. Raynell Andreychuk: Honorables sénateurs, s'il est vrai que nous ne voulons rien dire, pourquoi le premier ministre a-t-il dit quelque chose?

Le sénateur Lynch-Staunton: Parce qu'il croit à la clarté.

Le sénateur Boudreau: Honorables sénateurs, je pense que le premier ministre exprimait ses sentiments personnels concernant l'avenir du peuple palestinien dans sa patrie. C'est une position que nous appuyons probablement tous.

Quant à savoir exactement pourquoi le premier ministre a fait cette déclaration à ce moment-là, je suppose qu'il y aura des gens qui lui poseront cette question quand il reviendra.

Le sénateur Andreychuk: Honorables sénateurs, le leader du gouvernement au Sénat dit que les Canadiens appuient la déclaration du premier ministre. À ce que je sache, du point de vue de la politique étrangère, les Canadiens appuient le processus de paix et, avant l'intervention du premier ministre, c'était la position du gouvernement. Notre politique étrangère est-elle toujours la même? Si nous en sommes à modifier notre politique étrangère au jour le jour, heure par heure, selon les besoins, les effets vont être désastreux, tant au Moyen-Orient qu'au Canada.

Le sénateur Boudreau: Je pense que le sénateur a tout à fait raison. La position de notre pays est d'encourager le processus de paix. C'est toujours notre position. Dans les circonstances, nous ne pouvons que nous efforcer d'encourager le processus et espérer qu'il aboutisse.

Le sénateur Andreychuk: La position du Canada était donc d'appuyer les parties qui négocient et qui participent au processus de paix, de ne rien faire pour nuire au processus de paix, de ne pas nous mêler de ce processus et de ne pas faire de déclarations concernant le contenu de ce processus. Ainsi, dans ce contexte, pourquoi le premier ministre a-t-il fait cette déclaration? Il n'était pas là en tant que simple citoyen, mais à titre de premier ministre du Canada.

Le sénateur Boudreau: Honorables sénateurs, notre position en tant que pays n'a pas changé. Je ne crois pas que notre premier ministre se soit ingéré de quelque façon que ce soit dans le processus de paix. En fait, il continue de déclarer que le Canada encourage activement les parties à poursuivre le processus de paix et que nous souhaitons ardemment que ce processus aboutisse.

Le sénateur Andreychuk: Honorables sénateurs, j'en déduis donc que le premier ministre a commis une erreur.

Le sénateur Boudreau: Je ne souhaite pas échafauder d'hypothèses sur ce qui pourrait se produire dans d'autres circonstances si, en fait, le processus de paix n'aboutit pas, ou en fonction de certains résultats. Je ne le ferai pas parce que cela n'aide pas le processus de paix lui-même. Je ne peux que garantir à l'honorable sénateur que la position du Canada aujourd'hui est ce qu'elle était hier ou le mois dernier. Nous continuons d'espérer que le processus de paix aboutisse à une conclusion heureuse.

Le sénateur Andreychuk: La réponse du leader du gouvernement au Sénat m'amène à croire que le problème qui se pose au gouvernement depuis quelque temps persiste. Autrement dit, il y a une politique étrangère énoncée par notre ministre des Affaires étrangères et il y a ensuite les actions du premier ministre. Quand vont-ils tous deux s'entendre sur une politique étrangère cohérente?

Le sénateur Boudreau: Honorables sénateurs, la position du premier ministre est identique à celle du Canada et du ministre des Affaires étrangères, à savoir que nous encourageons le processus de paix sans réserve, nous espérons qu'il aboutisse à une conclusion heureuse et nous ferons tout en notre pouvoir pour aider ce processus. C'est la position actuelle du Canada, et je crois pouvoir dire que c'est celle du premier ministre.

L'honorable Lowell Murray: Honorables sénateurs, en fonction de la déclaration du premier ministre, la position du gouvernement est-elle que le Canada reconnaîtrait une déclaration unilatérale d'indépendance par l'Autorité palestinienne? Oui ou non?

Le sénateur Boudreau: Honorables sénateurs, comme je l'ai dit en répondant à une question précédente, il n'est pas très utile de spéculer sur des situations hypothétiques. La situation est particulière. Les parties sont engagées dans ce processus et nous souhaitons sincèrement qu'il sera couronné de succès.

Israël-Le déploiement de mines antichar à neutrons-La possibilité de démarches faites par le premier ministre pendant sa visite

L'honorable John Lynch-Staunton (chef de l'opposition): Honorables sénateurs, j'ai une question à poser au sujet de la visite du premier ministre au Moyen-Orient.

Le sénateur Kinsella: Ramenez-le chez lui.

Le sénateur Lynch-Staunton: Je crois savoir que, aujourd'hui, il rendait visite à nos soldats, sur le plateau du Golan. Le Canada assure une présence là-bas depuis maintenant 25 ans et, selon les derniers chiffres, 189 casques bleus canadiens y sont déployés. J'espère que le premier ministre a été informé d'un article très inquiétant paru dans le Times de Londres du 26 mars et dans lequel on rapporte qu'Israël a un plan appelé «David's Sling» pour déployer des mines antichar à neutrons à proximité du plateau du Golan, où des casques bleus du Canada montent la garde. Le premier ministre a-t-il été informé de cet article, qui provient d'un quotidien réputé? Si tel est le cas, a-t-il abordé cette question avec les dirigeants d'Israël au cours de ses discussions là-bas?

L'honorable J. Bernard Boudreau (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, je dois dire au sénateur que je ne puis répondre à cette question. J'ignore si le premier ministre a été mis au courant de cet article, ou s'il a été informé de la situation avant la parution de l'article, si cette situation existe effectivement. Je peux seulement donner au sénateur une réponse très incomplète à ce stade-ci, mais je vais certainement adresser sa question au cabinet du premier ministre. Il est certain que le premier ministre l'examinera à son retour.

Le sénateur Lynch-Staunton: Honorables sénateurs, je pense qu'il devra s'occuper de bien des choses à son retour. J'espérais que le leader du gouvernement au Sénat puisse trouver la réponse et nous la donner dès que possible. Espérons que l'article est erroné.

Comme nous le savons, Israël n'a jamais admis ni nié qu'elle était une puissance nucléaire. Israël possède certainement des armes nucléaires. Premièrement, les casques bleus canadiens devraient-ils se trouver là, sur des terres où des mines antichar nucléaires pourraient être enfouies? Deuxièmement, ces mines antichar nucléaires sont-elles visées par le Traité sur l'interdiction des mines terrestres que le Canada a si fermement soutenu?

Le sénateur Boudreau: Honorables sénateurs, je peux comprendre le désir du sénateur Lynch-Staunton d'obtenir l'information le plus tôt possible. En l'absence du premier ministre, je pourrais peut-être transmettre la question au ministre des Affaires étrangères en incluant précisément les points que le sénateur soulève.

Je dois cependant faire une observation et répéter une évidence, soit que nos soldats de la paix ont mis leur vie en danger dans bien des régions du monde et ont servi de façon absolument remarquable dans de telles circonstances. Cependant, je peux comprendre que l'honorable sénateur soulève une question qui, comme il le laisse entendre, pourrait vraiment sortir de l'ordinaire. J'essaierai d'obtenir l'information pour lui le plus rapidement possible.

[Français]

Le solliciteur général

Le rapport du vérificateur général sur les méthodes de la Gendarmerie royale du Canada lors du prélèvement d'empreintes génétiques

L'honorable Pierre Claude Nolin: Honorables sénateurs, le vérificateur général du Canada a déposé un rapport ce matin. Le chapitre 7 de ce rapport traite de la Gendarmerie royale du Canada et des services offerts aux responsables de l'application de la loi.

Honorables sénateurs, vous vous souviendrez que nous avons étudié le projet de loi C-3 il y a un an et demi. Nous avons adopté ce projet de loi après un long examen au comité des affaires juridiques et constitutionnelles.

Ce projet de loi visait la création d'un régime de prélèvement d'empreintes génétiques et la constitution d'une banque de données génétiques. Lors de l'examen de ce projet de loi, nous avons entendu des témoins, entre autres de la GRC, qui nous ont longuement parlé de leur projet d'implantation de laboratoires au Canada qui analyseraient ces empreintes génétiques.

Le rapport du vérificateur général démontre une toute autre réalité que celle présentée par les autorités de la GRC. Je ne parle pas seulement du ministre, je parle aussi des experts qui sont venus témoigner à notre comité et qui nous ont convaincus de la nécessité de la mesure. Nous en sommes toujours convaincus. Maintenant, nous avons un problème de délais.

(1430)

Des témoins de la GRC ont dit au comité qu'il faudrait 30 jours pour faire des analyses génétiques. Ce matin, nous apprenons qu'au laboratoire d'Ottawa il faut 100 jours et qu'à celui de Vancouver, il en faut 171. Une enquête pour meurtre l'an dernier a coûté 1,3 million de dollars parce que la GRC avait pris trop de temps à déposer son rapport. Je suis certain que les adjoints du ministre l'ont déjà mis au fait des différents éléments du rapport du vérificateur général. Que doit-on en faire?

[Traduction]

L'honorable J. Bernard Boudreau (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, j'ai eu très peu de temps pour lire les commentaires du vérificateur général, car ce document vient d'être déposé aujourd'hui. Le sénateur comprendra que je n'ai pas pu le lire en entier, mais on m'a informé de son contenu, et plus précisément dans le domaine qui préoccupe le sénateur.

Les sénateurs doivent comprendre que le vérificateur général s'est intéressé principalement à certains services fournis à l'échelle nationale par la GRC et non aux activités de police. Le sénateur parle du laboratoire et du service médico-légal offert dans tout le pays par la GRC, et plus précisément du test des empreintes génétiques qui comporte un processus de dépistage en deux étapes, soit l'étape initiale et le travail final.

Si je ne m'abuse - et n'oubliez pas que je dis cela de mémoire à la suite d'un très bref examen -, le vérificateur général a constaté que, pour effectuer le test des empreintes génétiques, le dépistage initial prenait jusqu'à 83 jours et le dépistage final, jusqu'à 183 jours.

J'ai demandé des données plus récentes et je communiquerai les réponses spécialement au sénateur. Cependant, je crois comprendre qu'il y a eu des changements radicaux depuis que le vérificateur général a fait son enquête. À l'heure actuelle, le dépistage initial, qui prenait 83 jours, en prend maintenant cinq, je crois. Le dépistage final, qui prenait 183 jours, en prend maintenant 30. On s'est donc attaqué énergiquement au problème.

Je cite ces données de mémoire. Si elles ne sont pas exactes, je prie le sénateur de se montrer indulgent.

Le sénateur Nolin: Quand le leader du gouvernement parlera à son collègue, le solliciteur général, l'honorable Lawrence MacAulay, plus tard cet après-midi peut-être, pourrait-il lui dire ceci: nous avons étudié le projet de loi C-3 sur l'identification par les empreintes génétiques il y a un an et demi. Le projet de loi C-10, qui a modifié le Code criminel pour prévoir l'identification par les empreintes génétiques, a été étudié il y a quelques mois. Nous avons entendu au comité les mêmes témoins pour les deux projets de loi. Le vérificateur général a terminé son enquête en septembre 1999. C'est en janvier dernier que nous avons entendu les témoins. Ces derniers ont soutenu que la période était de 30 jours, sachant qu'elle était vraiment de six mois. Nous devons avoir l'assurance que le comité a entendu la vérité. Le système sera complètement en marche en juin prochain, au moment de l'entrée en vigueur du projet de loi.

Comment le ministre explique-t-il que la période soit passée de six à un mois? Les mêmes témoins qui avaient comparu devant nous il y a un an et demi sont revenus témoigner il y a deux mois. Qui ment?

Le sénateur Boudreau: Selon les derniers renseignements que j'ai obtenus du solliciteur général au sujet du test des empreintes génétiques, tous les cas reçoivent maintenant une cote de priorité. Le dépistage initial prend en moyenne cinq jours, au lieu de 82 jours, comme l'avait constaté le vérificateur général. Tous les cas de première priorité, par exemple, une affaire de meurtre, seront traités dans un délai de 30 jours, au lieu du délai moyen de 183 jours, comme à l'époque des constatations du vérificateur général.

L'honorable sénateur dit que les témoins qui ont comparu devant le comité ont déclaré qu'à leur avis, les données n'avaient pas changé à la date de leur comparution. Je vais certainement en parler au solliciteur général, mais les données que j'ai fournies au Sénat sont les plus récentes que je possède. Il semble qu'il y ait contradiction avec ce qui a été dit au sujet des progrès substantiels réalisés dans la résolution de ces problèmes.

Le sénateur Nolin: Honorables sénateurs, on ne nous a jamais parlé d'un délai d'environ six mois. Les témoins ont toujours dit que le délai était de 30 jours. L'information que le ministre a reçue de M. MacAulay correspond à celle que nous possédons - il y a deux mois, c'était un an et demi et 30 jours. Lorsque les témoins ont comparu devant le comité sénatorial, nous parlaient-ils de l'objectif qu'ils voulaient atteindre ou de la réalité?

C'est la liberté des gens qui est en cause, et nous comprenons qu'il est important de suivre la procédure. Une personne peut être impliquée dans un crime, c'est donc très grave. Les témoins ne nous ont jamais parlé de six mois. S'agit-il d'un problème de ressources ou de technologie? On ne nous l'a jamais dit. Ils ont toujours soutenu qu'ils recevaient même des visiteurs qui observaient notre système pour le copier.

Nous avons un problème, et c'est pourquoi je pose ces questions. Est-ce six mois? Le solliciteur général affirme qu'il faut 30 jours. C'est exactement ce que les ministres, les fonctionnaires et les spécialistes de la GRC nous ont dit quand ils ont comparu devant le comité.

Le sénateur Boudreau: Honorables sénateurs, je communiquerai la préoccupation formulée par le sénateur. Les renseignements que je transmets au Sénat aujourd'hui sont identiques à ceux qu'un comité sénatorial a obtenus il y a quelque temps, mais au moins un sénateur est un peu sceptique et souhaite une confirmation des chiffres que je donne.

Je présenterai la question au ministre de la façon que je viens de décrire et je transmettrai la réponse au Sénat.


ORDRE DU JOUR

Les travaux du Sénat

L'honorable Dan Hays (leader adjoint du gouvernement): Honorables sénateurs, je demande la permission de dire un mot au sujet des travaux du Sénat.

Son Honneur le Président: La permission est-elle accordée, honorables sénateurs?

Des voix: D'accord.

Le sénateur Kinsella: Il n'a pas besoin de demander la permission.

Le sénateur Hays: Permission ou pas, j'aimerais dire un mot sur le déroulement des travaux du Sénat.

(1440)

Honorables sénateurs, conformément au Règlement, et dans l'intérêt d'un processus ordonné en cette Chambre, je confirme que le sénateur Kinsella, chef adjoint de l'opposition, et moi avons discuté de la manière de procéder pour le premier point à l'ordre du jour, à savoir le projet de loi C-9, Loi portant mise en vigueur de l'Accord définitif nisga'a.

Nous avons convenu, au nom du gouvernement et de l'opposition officielle, que tous les votes portant sur le projet de loi ou sur les amendements au projet de loi seront tenus à 15 h 30 jeudi.

Je remercie mon homologue de sa coopération pour parvenir à cet accord. Nous l'apprécions beaucoup.

L'honorable Noël A. Kinsella (chef adjoint de l'opposition): Honorables sénateurs, je confirme ce que vient de dire le leader adjoint du gouvernement au Sénat. J'aimerais informer le Sénat que, conformément à l'article 38 du Règlement:

Lorsque le Sénat siège, le leader du gouvernement au Sénat ou le leader adjoint du gouvernement au Sénat peut, de sa place au Sénat, déclarer que les représentants des partis au Sénat se sont entendus...

Tel est l'accord auquel a fait allusion le sénateur Hays et auquel nous sommes partie.

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, je crois que, conformément au Règlement, il devrait y avoir une motion à cet effet. Le problème, c'est qu'il se peut qu'il y ait des sénateurs indépendants qui ne soient pas d'accord sur cette entente conclue entre les deux parties.

Le sénateur Hays: Honorables sénateurs, comme je l'ai indiqué, il ne s'agit pas d'un ordre du Sénat, mais plutôt d'un accord conclu entre le côté du gouvernement et le côté de l'opposition. Je suis conscient que cela n'inclut pas les sénateurs indépendants.

On a cité l'article 38 du Règlement. Je serai très heureux de déposer une motion à cet effet une fois que j'aurai le texte. Avec la permission du Sénat, je déposerai cette motion plus tard.

Son Honneur le Président: La permission est-elle accordée, honorables sénateurs, pour que cette motion soit déposée plus tard?

Des voix: D'accord.

Le sénateur Kinsella: Honorables sénateurs, l'article 38 du Règlement confère un pouvoir discrétionnaire. Il précise que le leader adjoint peut proposer une motion. Par contre, comme nous avons conclu une entente et que nous en avisons la Chambre, ce serait un ordre du Sénat.

L'honorable Anne C. Cools: Non. Ce ne serait absolument pas le cas. Honorables sénateurs, je suis très heureuse que les leaders adjoints aient conclu une entente et qu'ils aient la délicatesse de nous en informer. Toutefois, il faut faire de cette entente privée intervenue entre ces deux personnes un ordre officiel du Sénat liant chacun d'entre nous.

Une motion est nécessaire, et le sénateur Hays a le plein appui de tous ceux qui sont ici présents pour présenter cette motion plus tard aujourd'hui.

L'honorable Edward M. Lawson: Honorables sénateurs, les deux côtés de la Chambre ont de nouveau conclu une entente sans tenir compte des sénateurs indépendants, comme si ceux-ci étaient des non-personnes. Ce genre d'entente s'apparente à un échange de femmes avec un célibataire. Qu'est-ce qui y est prévu pour les indépendants?

Le sénateur Hays: Honorables sénateurs, je comprends le point soulevé par le sénateur Lawson. J'aurais aimé pouvoir discuter de cette question avec les sénateurs indépendants si le temps l'avait permis. Toutefois, comme l'entente est intervenue à peine quelques minutes avant la séance d'aujourd'hui, nous n'avons pas eu le temps de le faire. C'est la principale raison pour laquelle les sénateurs indépendants n'ont pas été informés de la discussion et de son aboutissement.

Son Honneur le Président: Êtes-vous d'accord, honorables sénateurs, pour y revenir plus tard aujourd'hui aux fins de l'adoption d'une motion?

Des voix: D'accord.

Projet de loi concernant l'accord définitif nisga'a

Troisième lecture-Motion d'amendement-Suite du débat

L'ordre du jour appelle:

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Austin, c.p., appuyée par l'honorable sénateur Gill, tendant à la troisième lecture du projet de loi C-9, Loi portant mise en vigueur de l'Accord définitif nisga'a;

Et sur la motion d'amendement de l'honorable sénateur St. Germain, c.p., appuyée par l'honorable sénateur Andreychuk, que le projet ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu'il soit lu une troisième fois d'ici six mois.

L'honorable Ione Christensen: Honorables sénateurs, avant d'entreprendre mes observations au sujet du projet de loi C-9, j'aimerais commenter la remarque du sénateur Lawson selon laquelle l'entente intervenue entre le leader adjoint du gouvernement et le chef adjoint de l'opposition s'apparente à un échange de femmes. C'est une remarque très sexiste. À mon avis, les personnes de mon sexe ne trouveraient pas que c'est une chose souhaitable.

Le sénateur Taylor: Pourquoi pas «échange de conjoints»?

Le sénateur Christensen: Cela ne serait guère mieux.

Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet du projet de loi C-9, Loi portant mise en vigueur de l'Accord définitif nisga'a. De nombreux sénateurs ont démontré le caractère complexe et litigieux de ce projet de loi, dont on pourrait même dire qu'il est source de division. J'ai écouté les arguments complexes de constitutionnalistes, ici même et au cours des audiences du comité. Des érudits qui comptent de nombreuses années d'expérience dans l'enseignement et l'application des matières constitutionnelles nous ont présenté des points de vue contradictoires. Je ne crois pas qu'il serait indiqué, pour l'instant, de demander, comme certains l'ont suggéré, un avis de la Cour suprême sur la constitutionnalité de l'accord. Peut-être le fera-t-on dans l'avenir, mais ce ne sera possible qu'une fois que le projet de loi sera entré en vigueur et s'il s'avère, une fois que l'accord aura été appliqué, qu'il est nécessaire de demander l'avis de la cour.

De nombreux traités, déjà signés, ont eu des répercussions beaucoup plus importantes sur les terres et sur la scène politique que n'en aura l'accord nisga'a. Chaque accord est unique et chaque revendication future variera selon les circonstances propres à chaque bande et selon ce qui sera nécessaire à l'autonomie politique de chacune.

L'accord-cadre final du Yukon était différent. Il établissait un cadre à l'intérieur duquel les 14 bandes du Yukon devaient négocier et ratifier leurs propres traités pour répondre à leurs besoins. Tous ces traités reconnaissent le droit d'établir les critères de citoyenneté sous l'autorité de la commission d'inscription. Toutes ces bandes sont reconnues comme un nouvel ordre de gouvernement au Yukon, ayant le droit de participer au développement de l'ensemble du Yukon par le truchement de commissions, de comités et dans le cadre de négociations de gouvernement à gouvernement.

Il y a deux façons d'assurer l'exécution des obligations fiduciaires du Canada à l'égard des Premières nations: la négociation ou la contestation en justice. La négociation est certainement, et de loin, la solution la plus favorable. Dans les cas de contestation en justice, les tribunaux doivent appliquer la loi et il a été clairement démontré, dans de nombreux cas cités ici et tout au long des audiences du comité, que les droits des autochtones concernant les terres, les ressources, la culture et la langue sont reconnus.

Les gouvernements élus de toutes les parties se sont efforcés de négocier des accords qui tiennent compte de façon équitable des intérêts de toutes les parties, tout en permettant aux Premières nations de contrôler leur propre destinée avec les ressources nécessaires à leur développement. La contestation en justice impose des solutions prévues par la loi et ne laisse aucune latitude aux autorités publiques ou politiques. La contestation en justice est beaucoup plus coûteuse, tant sur le plan financier que social, que la négociation.

Beaucoup ont fait valoir que les coûts de négociation et de mise en oeuvre de ces traités sont beaucoup trop lourds pour les contribuables. Une contestation en justice ou le maintien de la Loi sur les Indiens coûterait aussi cher, sinon plus. Si l'on gardait la Loi sur les Indiens, ce serait un flot constant de fonds sans possibilité pour les Premières nations de devenir autonomes ni de participer à la société en tant que contribuables. Grâce à des règlements négociés, les Premières nations pourront faire les deux en prenant leur place avec fierté et dignité.

(1450)

Certains croient qu'il faut tenir un référendum avant de ratifier un tel traité. Je suis en complet désaccord. On ne peut pas recourir à un référendum pour une question de droits minoritaires. Ce n'est pas démocratique. L'accord nisga'a est assujetti à la Charte des droits et libertés et protège donc à tous égards les droits de toutes les personnes visées par cet accord, comme l'a si éloquemment fait remarquer le sénateur Chalifoux dans son discours concernant les droits des femmes des Premières nations et les droits de propriété.

De toutes les questions, celle qui nous a préoccupés le plus est la question des chevauchements non résolus de territoires entre des Premières nations voisines. Ce n'est pas un nouveau problème dans les négociations de revendications territoriales. Dans les revendications territoriales de la baie James, du Nunavut, des Territoires du Nord-Ouest et du Yukon, les chevauchements ont été et continuent d'être un problème pour toutes les parties. Celles-ci traitent cette question chacune à leur manière. Certains chefs de la Première nation du Yukon disent qu'ils sont les seuls à pouvoir régler cette question entre eux et que des tiers, tels que les gouvernements territorial, provincial ou fédéral, ne devraient pas s'en mêler.

Honorables sénateurs, c'est un problème délicat. Les cartes ne respectent pas la façon traditionnelle de tracer les limites entre les territoires. Traditionnellement, on traçait les limites en fonction des divers usages correspondant à différents moments de l'année et du partage de la terre. La propriété individuelle était une notion étrangère. En employant les lois des non-autochtones, les Premières nations essaient de prouver l'utilisation historique et de rendre cela sur une carte clairement définie. Ce n'est pas facile.

Conformément à l'accord nisga'a, des changements peuvent être apportés et, dans ce cas, les Nisga'as seront indemnisés. D'autres bandes qui négocient aussi pourraient bénéficier de dispositions similaires. Leurs droits seraient reconnus là où elles peuvent prouver leurs droits de propriété. Si elles perdaient de ces droits, elles seraient indemnisées aussi, si cela faisait partie des dispositions des ententes négociées avec les gouvernements.

Nous ne pouvons pas, au Sénat, renégocier ce traité. Toutefois, nous pouvons faire et nous faisons des recommandations au sujet du traitement des chevauchements dans de futures revendications. Retarder la mise en oeuvre de ce traité ne réglera pas les problèmes de chevauchement. Ce n'est qu'après son adoption que des négociations plus poussées pourront se tenir et que les parties pourront, au besoin et seulement en dernier recours, s'en remettre aux tribunaux.

Avons-nous choisi la bonne orientation, honorables sénateurs? Comment l'histoire jugera-t-elle le projet de loi C-9 dans 50 ans? Déterminera-t-on que cette loi a résisté à l'épreuve du temps? En remontant 100 ans en arrière, nous savons que l'attitude paternaliste que nous avons adoptée envers les Premières nations dans la Loi sur les Indiens n'a pas donné de bons résultats. Certes, à cette époque-là, compte tenu de la pensée sociale en vogue, cette démarche était considérée comme la bonne. Elle n'a pas été adoptée de façon malicieuse. Au contraire, ses concepteurs étaient remplis de bonnes intentions. On pourrait même se demander où seraient les Premières nations aujourd'hui s'il n'y avait pas eu cette politique et si l'on n'avait pas réglé leurs problèmes, même mal.

Par des traités modernes, comme celui des Nisga'as, les Premières nations ont obtenu des droits et des responsabilités qui leur ont permis de devenir maîtres de leur destinée. Le traité sera-t-il couronné de succès? Pas nécessairement. Représentera-t-il une meilleure démarche que celle du passé? Assurément.

Pouvons-nous créer un projet de loi parfait en retardant la mise en oeuvre du traité et en amendant le projet de loi C-9? Je ne le pense pas. En dépit des imperfections du projet de loi C-9, qui sont inévitables dans toute entente négociée, je suis prête à appuyer le projet de loi C-9, sachant que c'est un processus qui ne fait que commencer et que des modifications pourront y être apportées en cours de route.

Honorables sénateurs, nous nous employons à aider des Canadiens à tracer leur avenir, des Canadiens qui n'ont pas eu cette chance dans le passé. Nous devons leur montrer que nous avons confiance en leur capacité de gérer leurs affaires. Nous ne créons pas de nouvelles collectivités ni de nouveaux peuples avec cette mesure législative. Les gens à qui s'applique le traité étaient là et ils bénéficiaient d'une aide financière pour subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs collectivités. De nouvelles subventions ne seront peut-être pas nécessaires. Ce ne serait en fait qu'une réaffectation des fonds qui étaient versés. Le traité n'a pas pour effet de leur enlever des ressources. Bien en contraire, celles-ci resteront pour les aider à se développer et à nous enrichir tous.

Le projet de loi C-9 et des traités semblables donnent l'occasion aux Canadiens autochtones de devenir des partenaires égaux à part entière des autres Canadiens pour la première fois.

Honorables sénateurs, je voudrais attirer votre attention sur une question qui a été soulevée récemment, hier en fait. Elle concerne le projet de loi C-9.

Certains sénateurs savent peut-être que quatre membres de la communauté nisga'a se sont adressés aux tribunaux pour empêcher l'adoption du projet de loi C-9. Ils allèguent que le processus de ratification du traité avec les Nisga'as a été vicié à l'automne 1998, lorsque plus de 60 p. 100 des Nisga'as ont voté en faveur de la signature du traité. Il faut noter que le 5 avril 1999, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a rejeté une injonction provisoire visant à empêcher le Canada et la Colombie-Britannique d'adopter le projet de loi C-9. Hier, le 10 avril 2000, la Cour d'appel de la Colombie-Britannique a aussi refusé une injonction provisoire et a rejeté l'appel.

On m'a dit que la Cour suprême de la Colombie-Britannique avait répété que les tribunaux hésitaient à s'ingérer dans le processus législatif. Elle a aussi répété que la totalité du dossier législatif, y compris les débats du Sénat, était admissible dans une contestation de la constitutionnalité du traité avec les Nisga'as.

Honorables sénateurs, nous devrions nous acquitter de nos responsabilités jusqu'au bout dans le processus législatif en cours. Les plaignants pourraient alors contester la loi devant les tribunaux.

L'honorable Gerry St. Germain: Honorables sénateurs, j'ai plusieurs questions à poser au sénateur Christensen. J'ai écouté attentivement et je félicite ma collègue pour son discours.

Madame le sénateur Christensen a déclaré que la négociation était le meilleur moyen de procéder et qu'un litige serait trop coûteux. Elle faisait partie du comité avec nous et y a fait un excellent travail. Elle a entendu les témoignages des Gitanyow et des Gitxsan, qui ont déclaré qu'ils seraient forcés de se lancer dans des litiges coûteux. Lorsque l'on a demandé au ministre s'il accepterait d'accorder des fonds pour un tel recours aux tribunaux, il n'a pas répondu. Où ces gens sans ressources trouveront-ils l'argent pour s'adresser aux tribunaux?

D'après ce dont je me souviens, le ministre n'a jamais dit qu'il n'entamerait pas tout de suite des négociations sérieuses. Cependant, il n'a pas dit non plus qu'il le ferait.

Notre collègue a vu de nombreuses négociations et de nombreux accords du genre au Yukon. Ne trouve-t-elle pas choquant que les négociateurs aient accordé cinq terrains en fief simple couvrant 85 p. 100 du territoire revendiqué par les Gitanyow?

J'approuve le reste du discours de l'honorable sénateur. Les Nisga'as méritent un accord. Nous devons aller de l'avant. Toutefois, plusieurs personnes à qui j'ai parlé et moi-même considérons cette situation de chevauchement comme un pur affront.

En réalité, il y a six terrains en fief simple, un dans le territoire contesté par les Gitxan et cinq autres dans le territoire contesté par les Gitanyow. Ils sont tous situés dans la zone de gestion, et non dans la zone centrale. Madame le sénateur ne trouve-t-elle pas cela offensant que les négociateurs aient accordé ces terrains en fief simple en faisant un pied de nez aux Gitanyow?

Le sénateur Christensen: Honorables sénateurs, je n'étais pas à la table de négociation. Je ne sais pas ce qui a été négocié et ce qui a été donné et quelle preuve a été fournie relativement à ces propriétés en fief simple. Par conséquent, je ne peux pas dire si c'était juste.

Toutefois, comme je l'ai dit, les questions de chevauchement sont une source de préoccupation pour nous. À mon avis, l'Accord définitif nisga'a donne la possibilité d'apporter les changements nécessaires aux frontières des terres nisga'a en vertu des articles 33, 34 et 35.

(1500)

Le sénateur St. Germain: Honorables sénateurs, je suis d'accord avec le sénateur sur ce point. Nous avons entendu dire que leur seul recours était d'aller devant les tribunaux, ce sur quoi portait ma première question. Je sais qu'il doit y avoir d'autres recours aux termes de ces articles. Cela ne semble toutefois pas rassurer les Gitxan et les Gitanyow. Ils seront forcés de se lancer dans des procédures judiciaires coûteuses, mais ils n'auront pas les fonds nécessaires pour aller jusqu'au bout. Comment y arriveront-ils? C'est un cas où les négociateurs se moquent des droits d'un groupe autochtone minoritaire.

Le sénateur Christensen: Honorables sénateurs, je crois que les articles 33, 34 et 35 ouvrent toujours la porte aux négociations. J'ai rencontré les Gitanyow, et ils sont de cet avis. Ils estiment toutefois que cela devrait être renforcé d'une façon ou d'une autre afin que ce soit clair pour les Nisga'as.

Les Nisga'as ont déjà eu des négociations très fructueuses avec deux autres bandes au sujet de leurs frontières. D'après ce que j'ai entendu, je crois qu'il est encore possible qu'ils acceptent de négocier. Le recours aux tribunaux est toujours la dernière étape. Je crois cependant qu'il y a d'autres moyens à leur disposition.

Son Honneur le Président pro tempore: Honorables sénateurs, les quinze minutes du sénateur Christensen sont écoulées.

L'honorable A. Raynell Andreychuk: Honorables sénateurs, je voudrais poser une question au sénateur Christensen.

Son Honneur le Président pro tempore: Honorables sénateurs, accordez-vous une prolongation au sénateur Christensen?

Des voix: D'accord.

Le sénateur Andreychuk: Comme l'honorable sénateur l'a dit à juste titre, la cour de la Colombie-Britannique a expliqué qu'elle n'avait pas l'intention d'intervenir pour prendre quelque décision que ce soit avant que le projet de loi ne soit adopté. À mon avis, si elle en a décidé ainsi, c'était peut-être pour éviter de paraître partiale, les demandes étant présentées par des «parties concernées»:

Madame le sénateur est-elle d'accord pour dire que les avocats ont ici porté à notre attention une question fondamentale, celle de la fonction gouvernementale dans notre Constitution? Par conséquent, est-elle d'accord pour dire qu'un renvoi à la Cour suprême du Canada est une question distincte de celle des tribunaux de la Colombie-Britannique?

Le sénateur Christensen: Je remercie l'honorable sénateur de sa question. Je m'attendais certainement à ce qu'on me pose cette question. Malheureusement, j'ai perdu mes notes sur ce sujet particulier. Vu mon âge avancé, ma capacité de retenir de nombreuses informations n'est pas aussi bonne qu'elle l'a déjà été. Je n'ai pas l'esprit d'un juriste.

Je pense qu'il n'y a pas de problème en ce qui concerne l'article 35 de la Constitution. Au Yukon, le pouvoir a été délégué au lieu d'être enchâssé, comme il le sera dans le cas des Nisga'as. Le fait de recourir à la délégation revêt un caractère paternaliste. Cela laisse la porte grande ouverte. C'est ce que nous faisons depuis des années avec la Loi sur les Indiens. L'enchâssement sous-entendu dans l'accord conclu avec les Nisga'as confère cette certitude qui permet aux Nisga'as d'agir. Des dispositions sont prévues pour qu'on apporte des changements, si cela s'avère nécessaire. Cela ne me préoccupe toutefois pas.

L'honorable John Buchanan: Honorables sénateurs, je ne me lancerai pas dans une discussion sur le fond de l'accord ou du projet de loi. Je m'oppose catégoriquement à ce projet de loi pour une raison bien précise, soit que le projet de loi n'est pas structuré de manière constitutionnelle. C'est une mauvais mesure législative du point de vue constitutionnel.

Tout projet de loi passant par la Chambre des communes, le Sénat ou toute autre assemblée législative au Canada, y compris le projet de loi sur l'Accord définitif nisga'a, doit respecter la Constitution actuelle qui, comme nous le savons tous, constitue la base sur laquelle notre pays repose. Je parle de la Constitution telle que modifiée en 1982-1983. Si l'accord, et maintenant ce projet de loi, ne respectent pas la Constitution, ce projet de loi ne devrait pas passer alors par le Sénat. C'est aussi simple que cela. On devrait apporter les correctifs nécessaires avant que le Sénat ne l'adopte. On aurait dû le faire avant que la Chambre des communes ne l'adopte.

Ce projet de loi vise à faire en sorte que certains pouvoirs d'une province soient concomitants avec les pouvoirs de ce troisième ordre de gouvernement, un gouvernement autochtone. Cela ne pourrait se produire que si la Constitution du Canada était modifiée pour permettre un transfert de pouvoirs aux termes des articles 91 et 92 à un troisième ordre de gouvernement. Cela ne s'est pas produit. Il n'y a pas eu de conférence constitutionnelle où on a procédé à cela.

Selon moi, nous devons respecter la Constitution du Canada dans toutes les mesures que nous prenons dans cette enceinte. Sans cela, nous risquons d'aboutir à l'anarchie dans notre régime.

Je ne dis pas que l'accord, ou «le marché» comme certains l'appellent, est bon ou mauvais. Je ne parle absolument pas du fond de cet accord.

Honorables sénateurs, pourquoi adopterions-nous au Sénat un projet de loi qui, comme nous le savons, n'est pas constitutionnel et va probablement être contesté avec succès devant les tribunaux, selon certains honorables sénateurs? Nous ne servons certes pas les intérêts des autochtones visés par cet accord ni des citoyens de la Colombie-Britannique et du Canada en adoptant une mesure qui n'est pas constitutionnelle, tout simplement dans le but d'accélérer les choses. Pour une raison quelconque, le gouvernement veut faire cela. Pourtant, une contestation de cette mesure qui, comme nous le savons, est inévitable, risque d'aboutir à son rejet par les tribunaux.

Est-ce un projet de loi constitutionnel? Pour répondre à cette question, honorables sénateurs, nous devons revenir sur les conférences au cours desquelles on a modifié la Constitution. En d'autres termes, il faut revenir à la fin des années 70 et au début des années 80. En 1982, a-t-on exprimé l'intention de modifier la Constitution du Canada pour établir un troisième ordre de gouvernement, l'intention d'offrir l'autonomie gouvernementale aux autochtones? Les honorables sénateurs vont examiner la question et se demander si en 1982, les articles 91 et 92 ont été modifiés pour permettre l'établissement d'un troisième ordre de gouvernement, pour accorder l'autonomie gouvernementale aux autochtones. Après 1982 et 1983, la Constitution du Canada était intacte. Elle l'est toujours aujourd'hui, comme en 1982 et 1983. Les premiers ministres provinciaux de l'époque et le premier ministre Trudeau n'ont pas modifié la Constitution du Canada pour permettre l'établissement d'un troisième ordre de gouvernement ou octroyer l'autonomie gouvernementale aux autochtones.

(1510)

L'accord constitutionnel de 1982 ne prévoyait absolument pas une telle autonomie gouvernementale ou un troisième palier de gouvernement, pas plus que ne le prévoyaient les conférences de 1977, 1978, 1980, 1981, 1982 ou 1983.

Si, comme certains le prétendent, l'accord de 1982 autorise un troisième palier de gouvernement, comment se fait-il alors qu'à l'occasion de cette conférence et des conférences subséquentes, les premiers ministres fédéral et provinciaux de l'époque aient prévu d'autres conférences pour discuter de ce même point, soit l'autonomie gouvernementale pour les autochtones? Pourquoi aurait-on agi de la sorte si cette question avait déjà été réglée en 1982? Ces conférences ont été convoquées pour discuter de cette question, soit savoir si nous voulions accorder l'autonomie gouvernementale aux autochtones du pays, créer un troisième niveau de gouvernement.

Si, comme certains le prétendent, cela avait été fait en 1982, pourquoi perdrions-nous notre temps à déterminer si nous allons le faire ou non dans l'avenir?

Certains disent qu'il existe déjà au Canada un troisième niveau de gouvernement dans les provinces. Ce sont les administrations municipales. En notre qualité de législateurs, nous savons que ce n'est pas vrai. L'administration municipale n'a jamais été un troisième palier de gouvernement en vertu de la Constitution du Canada. Cela n'a jamais été le cas. Les administrations municipales sont simplement des créations des assemblées législatives provinciales. Nous les établissons et nous pouvons les faire disparaître. Nous pouvons les modifier, les amender et les détruire. Comme le sait le leader du gouvernement au Sénat, nous avons agi de la sorte en de nombreuses occasions en Nouvelle-Écosse. Nous avons modifié des lois municipales afin de changer les pouvoirs qui leur avaient été délégués, et non transférés. Ce sont des pouvoirs délégués qui leur ont été retirés.

Que ce soit en 1982, en 1999 ou en l'an 2000, il n'y a jamais eu au Canada de troisième palier de gouvernement. Pour qu'il y en ait un, il faudrait pouvoir se reporter à des documents où cela a été convenu et où cela a été parachevé sous forme constitutionnelle. Cela n'a pas été fait en 1982. Est-ce arrivé après 1982? La seule façon dont cela aurait pu se produire après 1982 aurait été dans le cadre d'un accord intervenu entre les provinces et le gouvernement fédéral, ratifié par toutes les assemblées législatives provinciales ou peut-être en vertu de la règle des sept provinces comprenant au moins 50 p. 100 de la population. Cela n'a pas été le cas. Il ne s'est rien produit de tel dans quelque assemblée législative que ce soit au Canada, ni à la Chambre des communes. Il y a ici d'honorables sénateurs qui étaient à la Chambre des communes dans les années 80 et 90. Ils savent que cela ne s'est pas produit. Aucune résolution semblable n'a été présentée pendant les années 80 ou 90. Il n'y a certes pas eu de résolution semblable dans les assemblées législatives provinciales.

Où sommes-nous donc allés chercher l'idée que le Sénat pouvait adopter un projet de loi qui est inconstitutionnel? C'est impossible. Il n'y a jamais eu d'accord sur la question à aucune des conférences fédérales-provinciales présidées par les premiers ministres Trudeau, Clark, Trudeau de nouveau, et Mulroney. Jamais. Par conséquent, nous abdiquons complètement nos responsabilités de législateurs si nous adoptons une mesure en sachant pertinemment qu'elle est inconstitutionnelle.

La question a-t-elle déjà été discutée, honorables sénateurs? Certainement. Depuis la fin des années 70 et tout au long des années 80, on en parlé aux conférences pour les autochtones qui ont été convoquées par des gouvernements provinciaux et des premiers ministres du Canada pour discuter de questions comme l'autonomie gouvernementale. On en a discuté, mais c'est tout. Il n'y a jamais eu d'accord là-dessus. Je vous mets au défi de me trouver un document qui prévoit la création d'un troisième ordre de gouvernement. Cela ne s'est jamais fait.

Comment puis-je le savoir, me demanderez-vous? J'étais là. Je viens d'entendre le leader du gouvernement au Sénat dire qu'il était présent à une réunion où une certaine chose s'est produite. Je n'ai pas suivi le fil de sa pensée, mais je l'ai entendu dire: «J'étais là.» Je vous le dis, j'ai été là, à chacune de ces conférences, de 1977 jusqu'à l'Accord du lac Meech de 1990. J'ai vérifié avec certains premiers ministres provinciaux qui étaient là. J'ai vérifié mes notes, qui ont été versées aux archives de la Nouvelle-Écosse, mais dont j'ai conservé copie. J'ai vérifié les comptes rendus des journaux. Je me suis dit: «Buchanan, tu n'as pas l'esprit un peu embrouillé? Ils te disent que ce niveau de gouvernement a été établi en 1982.» Pourtant, j'étais là, et nous n'avons pas établi de nouvel ordre de gouvernement.

Je me rappelle les premiers ministres qui assistaient à ces conférences: Bill Bennett, Peter Lougheed, Sterling Lyon, Bill Davis, Grant Devine. J'ai parlé à Grant Devine l'autre jour et je lui ai posé la question: «Vous souvenez-vous quand nous avons établi un troisième niveau de gouvernement, l'autonomie gouvernementale?» Il a rétorqué: «Nous ne l'avons jamais fait.» J'ai répondu: «Excellent, Grant. Vous étiez là.» Le premier ministre Hatfield? Hélas, il est impossible de lui parler. Mais je sais ce qu'il dirait. Le premier ministre Peckford? Les premiers ministres Lee ou MacLean? Tous les deux ont été là, le premier ministre MacLean d'abord, puis le premier ministre Lee. Je n'ai jamais raté une conférence, de 1977 jusqu'en 1990.

Je vois ici des sénateurs qui siégeaient derrière le premier ministre au début des années 80. Connaissez-vous quelqu'un d'autre qui siégeait derrière le premier ministre de l'époque? C'est le premier ministre actuel, M. Jean Chrétien. Il était là. Est-il en train de nous dire que le premier ministre de l'époque, M. Trudeau, a accepté d'accorder l'autonomie politique aux autochtones, c'est-à-dire un troisième niveau de gouvernement, et qu'il a ensuite fait volte-face et décidé de tenir plus tard des conférences pour discuter d'autonomie politique? Pourquoi? Pour quelle raison? Parce que nous n'avons pas créé de troisième ordre de gouvernement au départ.

Honorables sénateurs, des constitutionnalistes vous le confirmeront, lorsqu'un tribunal interprète des lois, que fait-il en cas de doute? Il se réfère à l'intention du législateur. Un tribunal appelé à examiner ce projet de loi, une fois qu'il aura été adopté et qu'il sera contesté, ce dont je ne doute pas, tiendra compte de ce dont ont discuté les dix premiers ministres provinciaux et le premier ministre fédéral. Je peux vous assurer que vous ne trouverez nulle part que ces derniers avaient l'intention de constituer un troisième niveau de gouvernement en 1982 ou 1983, ni au cours des conférences qui ont suivi. Je puis l'affirmer car j'y étais. Si vous vérifiez auprès des premiers ministres provinciaux de l'époque, ils vous diront la même chose.

Tout ce que je dis, c'est qu'il faut faire preuve de bon sens. Évitons de toucher au fond de la question. Il s'agit peut-être d'un excellent accord, mais ne commençons pas à adopter une loi pour le simple plaisir de la chose, et ce sans tenir compte du fait que nous agirions peut-être à l'encontre de la Constitution.

Aussi, j'invite les honorables sénateurs à ne pas adopter le projet de loi tant que nous n'aurons pas eu la possibilité d'y apporter des améliorations et de le rendre irréprochable du point de vue constitutionnel.

L'honorable Lowell Murray: Le sénateur Buchanan me permet-il de lui poser une question?

Le sénateur Buchanan: Certainement.

Le sénateur Murray: Il se souviendra des trois conférences de premiers ministres prévues par la Constitution de 1982. La première, en 1983, était présidée par le premier ministre Trudeau. Je ne crois pas simplifier outre mesure, et le sénateur pourra me corriger, en disant que le premier ministre Trudeau avait proposé l'autorité déléguée à cette conférence. Le premier ministre Mulroney avait présidé les deux dernières conférences, au cours desquelles il avait déclaré que le gouvernement fédéral était prêt à aller plus loin que l'autorité déléguée. Des pouvoirs seraient accordés et attribués aux gouvernements autochtones par voie d'amendement constitutionnel.

(1520)

Au cours de la deuxième des trois conférences, où mon ami était également présent, ils sont venus très près d'une entente, mais ils n'y sont pas arrivés.

J'ai participé à la troisième conférence et à la négociation avec les provinces et les organismes autochtones. Là encore, nous nous sommes rendus au niveau des premiers ministres et cela a échoué, non seulement parce que nous n'avons pas pu nous allier suffisamment de provinces pour l'adoption d'un amendement constitutionnel, mais également parce qu'il y avait une certaine dissension parmi les quatre organismes autochtones, comme cela avait été le cas au cours de la deuxième conférence. Mon ami s'en souviendra.

Il n'en reste pas moins qu'on n'a pas parlé du sujet des discussions. Nous parlions d'un amendement constitutionnel en vue de définir et d'établir les droits dont on parle à l'article 35.

Dans l'Entente de Charlottetown, le gouvernement fédéral a fait un autre pas dont nous parlons dans le débat en cours. C'était une reconnaissance des droits inhérents des peuples autochtones à l'autonomie gouvernementale. Si je me rappelle bien des dispositions de l'Entente de Charlottetown, et là encore je ne les ai pas en main, les provinces, le gouvernement fédéral et les autochtones devaient se rencontrer pour établir les pouvoirs, et s'ils n'arrivaient pas à s'entendre à ce sujet, la question devait être soumise à la Cour suprême du Canada qui devait en arriver à une définition finale. Si je me rappelle bien, c'était là l'essentiel de l'Entente de Charlottetown.

Ceci étant dit, j'ai une question à poser à l'honorable sénateur. Comme je l'ai dit l'autre soir, le sénateur Austin, le sénateur Joyal et moi-même étions présents le soir où l'article 35 a été adopté au comité mixte du Sénat et de la Chambre des communes. Que pense-t-il du paragraphe 35(3), qui dit:

Il est entendu que sont compris parmi les droits issus de traités, dont il est fait mention au paragraphe (1), les droits existants issus d'accords sur des revendications territoriales ou ceux susceptibles d'être ainsi acquis.

Comme l'honorable sénateur le sait bien, on retrouve la même phrase à l'article 25 de la Charte qui garantit certains droits. Cette disposition prévoit que les droits et libertés des autochtones ne sont pas touchés par la Charte en ce sens que la Charte ne peut les abroger. Cela inclut les droits ou libertés reconnus par la proclamation royale de 1763 ainsi que ceux «issus d'accords sur des revendications territoriales ou ceux susceptibles d'être ainsi acquis».

Je ne sais pas si les arguments des partisans de ce projet de loi reposent sur l'expression «ou ceux susceptibles d'être ainsi acquis» et s'ils prétendent que les dispositions concernant l'autonomie gouvernementale contenues dans l'accord de règlement de la revendication territoriale ou du traité, comme on l'appelle, sont couvertes par l'article 35. Qu'en pense l'honorable sénateur?

Son Honneur le Président: Avant de passer à toute autre question, je signale que le temps de parole de l'honorable sénateur Buchanan est expiré. Permission est-elle accordée à l'honorable sénateur de poursuivre?

Des voix: D'accord.

Le sénateur Buchanan: Tout d'abord, ce qu'a dit l'honorable sénateur Murray au sujet des conférences après 1982 est absolument vrai. Comme je l'ai dit dans mon discours, nous avions déjà convenu d'organiser d'autres conférences constitutionnelles sur l'autonomie gouvernementale des autochtones. Nous en avions convenu après 1982.

Pourquoi aurions-nous convenu après 1982 et 1983 d'organiser des conférences? Le sénateur Beaudoin était présent en tant qu'expert. Pourquoi aurions-nous convenu de les organiser si nous avions déjà prévu un troisième ordre de gouvernement? C'est inconcevable. Ça n'est jamais arrivé parce que nous ne l'avions jamais prévu. Je le répète, l'article 35 dit ceci:

Il est entendu que sont compris parmi les droits issus de traités, dont il est fait mention au paragraphe (1), les droits existants issus d'accords sur des revendications territoriales ou ceux susceptibles d'être ainsi acquis.

Cet article parle de revendications territoriales et de droits «susceptibles d'être ainsi acquis» et de rien d'autre. Quiconque le lit peut voir qu'il n'a rien à voir avec l'autonomie gouvernementale ni avec la création d'un troisième ordre de gouvernement. Si tel était le cas, pourquoi aurions-nous ultérieurement tenu des conférences pour parler de la chose même dont certain prétendent qu'elle existait déjà? Elle n'a jamais existé.

Si nous appelions chacun des premiers ministres provinciaux et les trois premiers ministres fédéraux qui ont participé au processus pendant les années 80, ils nous diraient tous la même chose. Nous n'avons jamais eu l'intention d'accorder l'autonomie gouvernementale aux autochtones et il n'y a jamais eu de modification de la Constitution canadienne à cet effet.

Je ne veux pas dire pour autant que je m'oppose à l'autonomie gouvernementale. Certains premiers ministres provinciaux y étaient opposés, comme l'a dit le sénateur Murray. C'est pourquoi, lors de deux conférences constitutionnelles, nous n'avons pas fait ce que certains disent que nous avons fait. C'est impossible. Comment se fait-il que nous ne soyons pas parvenus à faire quelque chose que nous avions déjà fait? La réponse est simple: parce que cela n'avait jamais été fait.

Fait intéressant, si vous étiez présent, si vous avez pris des notes et si votre mémoire n'est pas entièrement défaillante, il n'y a aucun doute. Je dis aux honorables sénateurs que nous n'avons jamais créé un troisième ordre de gouvernement ni prévu l'autonomie gouvernementale, pas plus en 1978, qu'en 1980, 1981, 1982, 1983, 1985, 1986, 1987 ou 1990.

Le sénateur Chalifoux: Et en 1995?

Le sénateur Buchanan: Ni en 1995. Si mon honorable collègue peut me montrer où nous l'avons fait, je lui ferai des excuses.

Le sénateur Chalifoux: Cela se trouve ici même.

Le sénateur Buchanan: Est-ce vrai? Lisez-moi cela, car j'étais là en 1995.

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs...

Le sénateur Buchanan: Si elle a la preuve, j'aimerais la voir.

Le sénateur Taylor: Asseyez-vous et nous allons vous en faire lecture.

Le sénateur St. Germain: Déposez le document.

Son Honneur le Président: Est-ce que cela termine l'intervention de l'honorable sénateur Buchanan et les questions qui y font suite?

Le sénateur St. Germain: Elle veut déposer quelque chose.

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, le sénateur Chalifoux est déjà intervenue sur le sujet, mais elle peut poser une question.

Le sénateur Lynch-Staunton: Elle peut faire une observation. Faites une observation.

L'honorable Thelma J. Chalifoux: Honorables sénateurs, je voudrais poser une question.

Le sénateur DeWare: Faites une observation.

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, il est tout à fait correct que le dernier intervenant réponde à une question, mais il n'est pas correct que le dernier orateur pose une question à qui que ce soit d'autre dans la salle. Sinon, il n'y aura pas d'ordre dans nos délibérations.

Le sénateur Chalifoux: Honorables sénateurs, l'honorable sénateur Buchanan sait-il qu'à la suite de la politique canadienne des droits inhérents de 1995, il est possible de négocier des dispositions d'autonomie gouvernementale simultanément avec des questions de territoire et de ressources dans le cadre d'un accord de règlement global de revendications territoriales? Les négociations dans le cadre du processus de la Commission des traités de la Colombie-Britannique constituent un exemple de négociations globales de revendications territoriales qui incluent un élément d'autonomie gouvernementale.

Le sénateur St. Germain: C'est une politique libérale.

Le sénateur Buchanan: Je peux trouver toutes sortes de déclarations faites au fil des années. Ce que l'honorable sénateur vient de me dire n'est pas une modification constitutionnelle apportée en 1995 à la Constitution du Canada. Si cela s'était produit, il aurait fallu que cette modification ait été ratifiée par sept provinces canadiennes représentant 50 p. 100 de la population du Canada et par leur assemblée législative, de même que par la Chambre des communes et le Sénat. Je mets l'honorable sénateur au défi de me montrer une telle modification, car je me trouvais à l'assemblée législative tout ce temps-là et nous n'avons pas approuvé une modification de ce genre.

(1530)

Le sénateur Chalifoux: Honorables sénateurs, j'y étais aussi. J'étais de l'autre côté. Je ne fais pas référence à une modification constitutionnelle, mais à une politique adoptée par le gouvernement du Canada en 1995. En êtes-vous informé?

Le sénateur Lynch-Staunton: Citez-vous le livre rouge?

Le sénateur Buchanan: Les différents gouvernements canadiens ont adopté de nombreuses politiques à ce sujet.

Le sénateur Chalifoux: Est-ce oui ou non?

Le sénateur Buchanan: Le mot politique, P-O-L-I-T-I-Q-U-E, ne veut rien dire du tout.

Le sénateur Tkachuk: C'est à peu près la même chose que la politique de libre-échange ou la TPS.

Le sénateur Jack Austin: J'ai beau avoir écouté attentivement ce que disait le sénateur Buchanan, je ne sais toujours pas de quelle modification constitutionnelle il parlait. Le projet de loi C-9 ne modifie en rien la Constitution. Il prévoit une disposition qui opère dans le sens de la Constitution et des lois du Canada. Cette disposition place le projet de loi C-9 sous la protection de l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Cependant, le projet de loi ne propose aucun changement à la Constitution du Canada.

Le sénateur Lynch-Staunton: Personne n'a dit que c'était le cas.

Le sénateur Buchanan: Je sais que ce n'est pas le cas. Voilà le problème. Comment peut-on modifier la Constitution si...

Le sénateur Austin: Non.

Le sénateur Buchanan: C'est pourtant ce que vous venez de dire. Le fait est qu'on n'a jamais apporté de modification à la Constitution du Canada qui permettrait la mise en place d'un troisième niveau de gouvernement au Canada - à moins que cela ne se soit produit au cours des cinq à huit dernières années. Mais je ne le crois pas. Est-ce que je me trompe, sénateur Beaudoin?

Le sénateur Beaudoin: Non.

Le sénateur Buchanan: Non. Au cours des années 70 et 80, cela ne s'est jamais produit. Je vous mets au défi d'appeler tous les premiers ministres et de leur demander s'ils ont modifié la Constitution pour ajouter un troisième ordre de gouvernement. Ils ne l'ont pas fait. La seule façon d'ajouter un troisième ordre de gouvernement en ce pays, c'est par le truchement d'un amendement, et vous dites que l'article 35 l'a fait?

Le sénateur Austin: Non. Je dis qu'il n'y a dans le projet de loi C-9 aucun amendement à la Constitution, absolument aucun.

Le sénateur Buchanan: Le projet de loi C-9 accorde la primauté à un autre ordre de gouvernement. Si vous voulez changer la formulation pour que cela devienne «l'accord délègue aux Nisga'as», je serais d'accord. «Délègue», cela veut dire qu'on peut le reprendre quand on veut. Si c'est ce que vous voulez faire, je vous le concède, car bien des modifications à nos lois sur les municipalités sont adoptées dans le but de déléguer un pouvoir, quitte à le reprendre par la suite. Si c'est ce que vous vouliez faire, alors je crois qu'il n'y pas de désaccord ici. Le sénateur Beaudoin dit oui et, s'il dit oui, il a raison.

Le sénateur Austin: Honorables sénateurs, je voudrais demander au sénateur Buchanan s'il connaît les arrêts Sparrow et Delgamuukw de la Cour suprême du Canada? Dans ces arrêts, la Cour suprême du Canada dit que les droits autochtones constitutionnellement protégés en vertu de l'article 35 ne sont pas absolus et qu'on peut les transgresser, pourvu que le gouvernement du Canada ou la Colombie-Britannique fasse valoir les motifs pour ce faire. Il n'y a aucune modification à la Constitution canadienne.

Le sénateur Buchanan: Je n'ai jamais entendu parler d'un amendement constitutionnel qui soit agréé par une province et le gouvernement du Canada. Ce n'est pas possible.

Une voix: Si. L'article 25. C'est ainsi.

Le sénateur Rompkey: C'est ainsi qu'on a modifié le système éducatif de Terre-Neuve. On le peut.

Le sénateur Buchanan: Oh, la clause 17.

Le sénateur Lynch-Staunton: Ce n'est pas bilatéral.

Le sénateur Buchanan: Vous avez raison, ce n'est pas bilatéral.

Voulez-vous dire que si le projet de loi C-9 est adopté, n'importe quel gouvernement dans ce pays peut créer un troisième palier de gouvernement sur son territoire?

Le sénateur Beaudoin: C'est une question de suprématie.

Le sénateur Buchanan: C'est une question de suprématie, c'est cela. Est-ce ce que vous dites? Dans ce cas, vous avez tort.

Le sénateur Robertson: C'est ce qu'ils disent.

Le sénateur Christensen: Honorables sénateurs, je voudrais poser une question au sénateur Buchanan.

L'honorable sénateur a certes bien précisé qu'il n'approuvait ni n'acceptait un troisième palier de gouvernement. Comment l'honorable sénateur appelle-t-il le palier de gouvernement des Premières nations au Yukon et dans les deux territoires qui ont négocié des traités et qui sont en fait reconnues comme un troisième palier de gouvernement dans ces territoires?

Le sénateur Buchanan: Il n'y a pas de troisième palier de gouvernement. Il s'agit d'une délégation de pouvoirs fédéraux. C'est tout.

L'honorable Noël A. Kinsella (chef adjoint de l'opposition): Honorables sénateurs, pour le sénateur Buchanan, qui était là et qui a consulté...

Le sénateur Taylor: À l'époque où il jouait le rôle de pacificateur?

Le sénateur Buchanan: Étiez-vous présent?

Le sénateur Kinsella: Le sénateur Buchanan nous a dit qu'il était présent, qu'il avait consulté plusieurs autres premiers ministres qui se trouvaient là. Il n'a pas pu consulter notre ancien collègue, Richard Hatfield - que son âme repose en paix -, mais j'étais un conseiller de Richard Hatfield et j'étais présent.

Le sénateur Buchanan: Effectivement, vous étiez présent. C'est juste.

Le sénateur Nolin: Nous étions tous présents.

Le sénateur Tkachuk: Nous nous trouvions tous là.

Le sénateur Graham: Dommage que nous n'ayons pas tous été présents.

Le sénateur Kinsella: Quand la question de l'autonomie gouvernementale a été examinée, n'est-il pas vrai que la plupart des premiers ministres provinciaux, sinon tous, et le premier ministre fédéral en poste à l'époque ont tenu d'importantes discussions et se sont concentrés sur le modèle du gouvernement municipal? C'est le modèle qu'ils examinaient.

Le sénateur Buchanan: Je suis heureux que vous soyez intervenu parce que vous étiez là. C'est exact. J'y étais également. Curieusement, c'est exactement le modèle dont nous avons discuté.

L'honorable sénateur Kinsella se rappellera peut-être aussi que beaucoup de chefs autochtones qui étaient présents n'étaient pas très certains de la forme de gouvernement autonome qu'ils voulaient mettre sur pied. Il est intéressant de constater qu'ils n'étaient pas certains de ce qu'ils voulaient créer. En tant que premiers ministres, nous n'en étions pas certains non plus. Alors, pourquoi dites-vous que nous l'avons fait? Cela n'a absolument pas été fait.

Cependant, c'est tout à fait exact. Nous avons tenu ces conférences. J'ai des photographies magnifiques où l'on peut me voir en train de fumer le calumet de paix avec bon nombre des chefs autochtones. Nous avons eu d'excellentes réunions. Le sénateur Beaudoin était présent à titre d'expert-conseil. Beaucoup des participants fumaient le calumet de paix.

Le sénateur Lawson: Mais il n'a pas inhalé.

Le sénateur St. Germain: Quelle sorte de tabac aviez-vous?

Le sénateur Andreychuk: Honorables sénateurs, je suis sûrement la seule personne à ne pas avoir été présente à ce moment-là, et je voudrais que cela soit consigné au compte rendu. Je voudrais ajouter que c'est à cause de mon âge, mais je présume qu'il n'est pas possible de le faire.

Une voix: Voilà un coup bas.

Le sénateur Andreychuk: Je voudrais poser au sénateur Buchanan la question qui se rapporte le plus, je l'espère, à ce qui nous occupe actuellement.

Si je comprends bien la position du gouvernement, il fait reposer ses arguments sur des avis juridiques qui lui ont été donnés, à savoir que les législateurs, dont le sénateur, ont envisagé en 1982 des structures comme celles qui font partie du traité nisga'a, soit des négociations entre une Première nation et le gouvernement fédéral, et que nous ne pourrions pas intervenir dans les pouvoirs exclusifs des Premières nations à moins de répondre au critère de justification. Ce critère serait une situation extrêmement urgente. Est-ce qu'on en a discuté en 1982?

Le sénateur Buchanan: Je ne me souviens pas qu'on en ait discuté, car je ne me souviens pas que nous ayons discuté, à quelque conférence que ce soit, du transfert de pouvoirs ou du transfert de pouvoirs simultanés. Nous avons discuté, comme le sénateur Kinsella l'a dit, de la possibilité de créer un gouvernement autonome calqué sur le modèle des administrations municipales qui existent dans tout le pays, ce qui ne signifie pas un transfert de pouvoirs ou l'attribution de pouvoirs simultanés qui ne peuvent pas être repris. Il s'agissait tout simplement d'une délégation de pouvoirs que les assemblées législatives pourraient retirer à n'importe quel moment. C'est de cela que nous avons discuté.

En outre, il ne fait aucun doute que certains premiers ministres - dont je tairai le nom - s'opposaient à toute forme de gouvernement autonome, mais étaient d'accord sur la création d'un gouvernement calqué sur le modèle d'une administration municipale. Certains chefs autochtones ne s'opposaient pas à cela, mais ils n'étaient pas certains de la forme d'autonomie gouvernementale qu'ils désiraient.

(1540)

Si cela a eu lieu tout au long des années 80, pourquoi dites-vous que cela a été accompli en 1982, alors que, comme l'a dit le sénateur Murray, il y a eu trois ou quatre conférences après 1982? La plupart des séances ont été publiques, bien que quelques-unes aient été tenues à huis clos. Je ne vais pas divulguer ce que nous avons fait durant les séances à huis clos. Cependant, il n'est résulté l'établissement d'une autonomie gouvernementale ou d'un troisième niveau de gouvernement d'aucune des séances tenues à huis clos, pas plus que des séances publiques.

L'honorable Gerald J. Comeau: Dans les années 70, le sénateur Buchanan était ministre des Pêches de la Nouvelle-Écosse. Je présume donc que, en tant que premier ministre de l'époque, il nous aurait fait profiter de ses compétences en matière de pêches lors des discussions concernant l'autonomie gouvernementale.

Le sénateur se souvient-il d'avoir, à un moment donné, donné son accord ou d'avoir peut-être donné son accord sur la suprématie d'un troisième palier de gouvernement en matière de pêches?

Le sénateur Buchanan: Je corrigerai une chose qu'a dite le sénateur Comeau. Le sénateur Andreychuk a parlé d'âge. J'ai été élu une première fois en 1967, mais je n'étais alors âgé que de 15 ans. J'ai en réalité été ministre des Pêches en 1968, 1969 et pendant une partie de 1970. La réponse à la question est non.

(Sur la motion du sénateur Andreychuk, le débat est ajourné.)

Projet de loi donnant effet à l'exigence de clarté formulée par la Cour suprême du Canada dans son avis sur le Renvoi sur la sécession du Québec

Deuxième lecture-Suite du débat

L'ordre du jour appelle:

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Boudreau, c.p., appuyée par l'honorable sénateur Hays, tendant à la deuxième lecture du projet de loi C-20, donnant effet à l'exigence de clarté formulée par la Cour suprême du Canada dans son avis sur le Renvoi sur la sécession du Québec.

L'honorable William M. Kelly: Honorables sénateurs, jusqu'à maintenant, j'ai suivi attentivement le débat sur le projet de loi C-20 et j'ai été impressionné par de nombreux arguments. Le discours du sénateur Rivest m'a particulièrement intéressé. Je dois admettre que j'ai quelque peu modifié ma position face à cette mesure après avoir entendu certains arguments qui ont été défendus au Sénat ces dernières semaines.

À mon avis, le projet de loi C-20 ne peut être étudié isolément. Il fait partie d'une série d'événements passés et d'une stratégie plus large face à la menace de la séparation du Québec. En soi, cependant, le projet de loi peut paraître inutile ou maladroit, entre autres. Je suis certain que, situé dans un contexte plus large, le projet de loi est logique, en principe.

La situation me rappelle les paroles que Charles Dickens attribue à Ebenezer Scrooge, dans Un Conte de Noël:

Les hommes suivent des directions qui conduisent inévitablement à certaines fins. Mais si les directions changent, les fins changent également.

Je crois que ce projet de loi est devenu inévitable par suite des résultats du référendum de 1995, de la décision du gouvernement de renvoyer à la Cour suprême la question de la légalité de la sécession unilatérale du Québec, de l'avis de la Cour suprême sur ce renvoi et de l'annonce par le gouvernement de sa stratégie comportant un plan A et un plan B.

Comme Ebenezer Scrooge, même si nous voulions défaire des actes ou réécrire des décisions, nous ne le pouvons pas. Nous ne pouvons pas changer les résultats du référendum de 1995. Nous ne pouvons pas changer la décision du renvoi à la Cour suprême, ni les questions posées dans ce renvoi. Nous ne pouvons pas changer l'avis de la Cour suprême. Nous ne pouvons pas changer l'engagement du Bloc Québécois à faire la séparation. À cause de tout cela, le projet de loi C-20 devient nécessaire.

L'avis de la Cour suprême dit essentiellement que le Québec ne peut procéder unilatéralement à la sécession, mais il va plus loin en précisant les conditions en vertu desquelles le gouvernement fédéral et les autres acteurs constitutionnels négocieraient la sécession du Québec. Selon ces conditions, il faudrait «un vote qui aboutirait à une majorité claire au Québec en faveur de la sécession, en réponse à une question claire». Toutefois, la Cour suprême n'a pas formulé d'avis sur ce que représentent une majorité claire ou une question claire, laissant la décision aux acteurs constitutionnels.

Le projet de loi est devenu nécessaire pour deux raisons. Premièrement, il clarifie ce que les tenants de la séparation ont tenté d'obscurcir. Les séparatistes ont insisté sur seulement une partie de l'avis de la Cour suprême, selon laquelle le gouvernement fédéral serait obligé de négocier par suite d'une réponse donnée en faveur de la séparation, exprimée au cours d'un référendum. Ils essaient de ne pas tenir compte de l'autre partie, selon laquelle l'obligation n'existe que par suite d'une réponse exprimée par une majorité claire à une question claire.

Deuxièmement, le projet de loi stipule que la primauté du droit l'emporte sur toute décision politique ponctuelle quand vient le temps de déterminer ce qui constitue une majorité claire et une question claire. Il est judicieux d'établir une telle procédure en période de calme et de tranquillité au lieu de le faire dans l'atmosphère de panique et d'émotivité que créerait inévitablement un résultat référendaire favorable à la séparation.

Jusqu'à maintenant, au cours du débat, trois choses m'ont troublé. La première est l'absence, pour le Sénat du Canada, d'un rôle comparable au rôle de l'autre endroit et conforme au mandat constitutionnel du Sénat.

Honorables sénateurs, je dois dire que je ne prends pas cette question très au sérieux car il est irréaliste de penser que des gens raisonnables ne modifieront pas cette partie du projet de loi au comité. Cela n'a aucun sens lorsqu'il s'agit de l'avenir du Canada.

La deuxième est l'absence, dans le projet de loi, de toute définition de ce qui constitue une majorité claire. À cet égard, l'argumentation du sénateur Lynch-Staunton m'a bien impressionné. Par ailleurs, je suis sensible à l'argument voulant qu'il soit impossible de définir à l'avance un seuil immuable. On ne peut prévoir toutes les circonstances qui affecteraient légitimement le seuil et qui pourraient survenir au moment du référendum.

La troisième concerne l'argument du sénateur Rivest, qui soutient que ce projet de loi inscrira en droit un «dialogue de sourds» entre Québec et Ottawa en ce qui concerne tous les référendums à venir.

Si j'ai bien compris l'argument du sénateur Rivest, le Parti québécois ne tiendrait un référendum que sur la souveraineté-association et Ottawa ne reconnaîtrait qu'un référendum sur une question sans équivoque visant la sécession. Selon mon interprétation du projet de loi et de l'avis de la Cour suprême, ce projet de loi n'empêche pas le Québec de tenir des référendums sur des questions autres que la sécession. Il ne fait qu'établir le rôle du gouvernement du Canada au cas où le Québec souhaiterait poser une question référendaire ou interpréter celle-ci comme un mandat de sécession. Par conséquent, le Québec pourra tenir des référendums, comme le pourront les autres provinces d'ailleurs, sur diverses modifications constitutionnelles sauf la séparation, et le gouvernement fédéral pourra y jouer un rôle et en reconnaître les résultats à sa discrétion. J'espère que le comité étudiera attentivement cette question.

J'appuie donc ce projet de loi en principe, honorables sénateurs, en comptant bien qu'il sera soigneusement étudié en comité. Je préférerais, bien sûr, pour reprendre les paroles d'Ebenezer Scrooge, que le gouvernement revienne sur sa position à l'égard de la réforme de la Constitution, de telle sorte que «la fin change» et que le projet de loi C-20 ne soit plus nécessaire.

Honorables sénateurs, il est clair pour moi, comme pour vous tous sans doute, que ce projet de loi sera adopté à l'étape de la deuxième lecture. J'ai appris à reconnaître ici la règle de la majorité. Ce n'est pas une règle que j'aime beaucoup, mais on me l'a rappelée assez souvent pour que je sache que ce projet de loi sera adopté à l'étape de la deuxième lecture. Il faudrait que cela se fasse au plus tôt pour que ce travail très important puisse commencer au comité, car il y a beaucoup de travail à faire.

[Français]

(1550)

L'honorable Lise Bacon: Honorables sénateurs, comme vous le savez tous, je n'ai pas la réputation de me complaire dans des positions ambiguës ou de refuser de prendre position. Cependant, à l'occasion du débat en cours sur le projet de loi C-20, en tant qu'ex-ministre au gouvernement du Québec et d'abord et avant tout en tant que Québécoise, je vis, je tiens à le préciser, ce que je pourrais appeler un tiraillement, tiraillement malheureusement vécu par un grand nombre de Québécois depuis plus d'un quart de siècle. L'adoption du projet de loi C-20 annulera-t-elle cet effet de tiraillement? Pas du tout. Pourtant, nous devons y trouver une raison d'être.

(1550)

Je veux donc vous faire part de mes réflexions en débutant par le plus facile, soit mes certitudes.

Je crois fortement en un Canada uni. Je crois que la mise en commun des valeurs, des idées, des ressources et des énergies de la population entière de ce pays est la seule manière de maintenir et d'améliorer la qualité de vie de notre société et de rayonner partout dans le monde.

Autre certitude, je suis tout aussi convaincue que le Québec est en mesure de se développer dans la réalité canadienne. Sa langue, sa culture, ses institutions et son économie, malgré certains ajustements nécessaires, ont pu vivre, grandir et prospérer.

Le Québec est aussi un moteur d'évolution pour l'ensemble du Canada de par sa manière différente d'aborder les problèmes et dans ses recherches de consensus et de solutions novatrices.

Là où, pour moi ces constats n'ont plus de sens, c'est lorsque je suis «harcelée», interpellée constamment par le gouvernement du Québec et que je dois lui répéter encore et encore que je veux rester Canadienne.

Il continue sans relâche et sans respecter nos opinions. Nous n'avons alors d'autre choix que de comprendre que le gouvernement du Québec, pour atteindre son but constitutionnel, est tenté de manipuler ce qui est notre droit fondamental en un choix clair, libre, et démocratique.

Je considère qu'il y a malheureusement trop d'écarts de conduite faciles dans le monde politique actuel. Lorsque le message n'est pas entendu, il n'y a d'autre choix que d'agir.

Le résultat, le projet de loi C-20, qui nous est ici présenté, veut garantir l'intégrité de toute démarche constitutionnelle, à la grandeur du pays, de la part du gouvernement fédéral comme des gouvernements provinciaux. Ce projet de loi, au risque de déplaire à quelques-uns, est loin de l'anti-démocratie, comme plusieurs ténors péquistes tentent de le faire croire.

En passant, il s'agit d'une voie facile pour des gens qui, depuis l'adoption de l'article 1 de leur programme et après 30 années d'existence de leur parti, ne veulent encore rien entendre de ce qu'une grande majorité de Québécoises et de Québécois leur ont dit lors de leurs tentatives de faire du Québec un pays indépendant.

Malgré des réponses claires, le gouvernement du Parti québécois n'entend rien. Est-ce cela la démocratie? Au-delà des partis politiques, les événements ont aussi prouvé que la sagesse populaire et l'enracinement profond des Canadiens et des Québécois aux valeurs qui ont servi à construire ce pays ont rendu ce débat constitutionnel civilisé malgré tout.

On l'a vu avec les résultats des deux derniers référendums. Les taux de participation exceptionnels ont confirmé que la démocratie s'est exercée. Quant aux résultats, les Québécois par deux fois ont affirmé leur désir de conserver des liens constitutionnels avec le Canada.

De ces deux exercices de démocratie, au-delà des tergiversations autour du contenu et de l'énoncé de la question, la population a compris que la réponse était un OUI ou un NON au Canada. Il n'est pas nécessaire de faire trop de syntaxe pour se comprendre. Le reste, c'est de l'arrangement, de la négociation, de la discussion, de la conciliation, une main tendue et, ce que plusieurs ont oublié, l'ingrédient essentiel: de la bonne foi.

À l'heure actuelle, dans le contexte fédéral-provincial que nous connaissons bien, la répétition forcée de l'exercice constitutionnel n'est en fait pour le gouvernement provincial qu'une manière de chercher à nous faire dire «peut-être». Il est très clair, question de clarté, que les fédéralistes resteront fortement attachés au Canada et que les indépendantistes seront toujours animés du désir de faire de leur province un pays.

Peut-on être seulement amoureux de ce que nous sommes et travailler ensemble à parfaire cette entité qu'est le Québec dans le Canada? Peut-on cesser de se parler par loi interposée?

Depuis des années, nous répétons la même chose. Depuis des années, le débat constitutionnel nous sclérose. Depuis des années, d'un côté comme de l'autre, nous perdons nos énergies à trouver ce qui embêtera l'autre. Pouvons-nous penser à autre chose, faire autre chose?

Malgré le fait que la majorité de la population du Québec a répondu par deux fois NON, il semble que cela ne soit pas possible. Il semble que nous n'ayons d'autre choix que de nous donner un cadre législatif pour nous assurer que le débat constitutionnel sera traité avec toute l'importance et la rigueur qui se doit, puisque 27 millions de personnes en vivront les répercussions.

Lors des multiples exposés officiels ou dans les discussions de salon, ce qui semble vraiment faire l'unanimité, tant chez les fédéralistes, dont je suis, qu'auprès des indépendantistes-nationalistes, c'est que le Québec devrait pouvoir profiter de tous les leviers nécessaires pour s'enrichir et ne pas perdre sa reconnaissance au sein du Canada. C'est sur cette certitude qu'il faut maintenant travailler, et je souhaite fortement qu'on le fasse d'un côté comme de l'autre.

Si nous prenons un peu de recul, en aucun temps et en aucun lieu, l'histoire de l'humanité n'a été un continuum de bonnes nouvelles et de développement durable. Notre histoire n'est pas différente. Depuis toujours, chez nous au Québec comme partout au Canada, des personnes d'origines et de cultures différentes cohabitent et essaient de bâtir une société et d'atteindre un niveau de sécurité et de stabilité essentiel au progrès.

Notre histoire est donc remplie de besoins, de désirs, de revendications, de travail, de batailles, de victoires et de défaites. Elle est aussi modelée par les structures mises en place au fil des ans afin d'assurer à cette jeune société le respect des valeurs fondamentales partagées par l'ensemble de la population.

En ce sens, la recherche de nouvelles avenues, la liberté de les présenter et d'en discuter sur la place publique est l'une des forces de notre système politique. Cependant, le débat constitutionnel n'a pas rapporté les résultats escomptés. Les Québécoises et les Québécois ne croient plus que ce soit la meilleure voie pour améliorer leur sort.

Il est donc plus que temps de passer à autre chose. Si nous ne nous occupons pas rapidement de notre pays, il deviendra probablement tout autre chose. Notre pays pourrait devenir le cinquante-troisième État de notre voisin du sud ou un satellite des quatre ou cinq très grands de ce monde.

Arrêtons donc de «parlementer», mettons nos énergies en commun dans chacun de nos champs de responsabilités respectifs pour avancer et non pour nous imposer constamment des ultimatums et des contraintes, comme tout autant d'embûches, pour nous convaincre que la cohabitation est impossible.

Tous les Canadiens, y compris les Québécois, parlent de services de santé adaptés à notre réalité. Tous les Canadiens, y compris les Québécois, veulent des emplois stables et rémunérés adéquatement pour bien faire vivre leurs familles et se valoriser. Tous les Canadiens, y compris les Québécois, sont inquiets du sort réservé aux jeunes, à leur éducation et à leur avenir.

Sommes-nous vraiment si différents? Sommes-nous seulement une des couleurs essentielles d'un arc-en-ciel qui se projette de l'Atlantique au Pacifique? Il faut arrêter, de part et d'autre, de dépenser des énergies improductives n'ayant pour seul objectif que de trouver ce qui différencie les régions du Canada. Nous irons toujours plus loin grâce au respect mutuel et à la collaboration.

Le gouvernement fédéral, en présentant le projet de loi C-20, a voulu établir les règles du jeu afin que les droits de chaque Canadien soient respectés. L'objectif est en soi louable, et je vais voter en faveur du projet de loi C-20, tout en sachant fort bien que nous avons été forcés par le gouvernement du Parti québécois de reparler de la Constitution et d'indiquer les balises à ne pas dépasser pour interpréter la volonté des Québécoises et des Québécois.

En tant que politiciens et représentants de la volonté populaire, nous devons être conscients que le jeu constitutionnel est dépassé. Les Canadiens et les Québécois, comme le précisait le sondage présenté dimanche dernier, ne veulent plus jouer. Ils nous demandent, à nous qui avons la mission d'encadrer et de faciliter leur vie au quotidien, de passer aux sujets qui les préoccupent vraiment.

Mettons fin à ce jeu, puisque le projet de loi C-20 l'a maintenant clarifié. Portons plutôt notre attention sur ce qui rapproche les Canadiens, sur les gestes politiques qui permettront à chaque collectivité d'influencer positivement le développement de l'autre.

(1600)

Arrêtons de rechercher constamment ce qui nous divise et permettons-nous, pour une rare fois, d'être idéalistes et de croire que les francophones, les anglophones, les Premières nations, présentes depuis le début de notre histoire moderne, avec l'apport de tous ceux qui choisissent de devenir Canadiens, par raison ou obligation, sont capables de réaliser ensemble des projets de société.

Attardons-nous maintenant à définir la nouvelle société canadienne, qui rassemblera les gens sur des valeurs pleinement et librement partagées.

S'il y a des joueurs qui veulent maintenant s'y inscrire et s'y impliquer, il en est plus que temps parce que bientôt, ce seront des joueurs qui nous seront étrangers qui viendront imposer leurs règles du jeu. Alors, il sera trop tard.

L'honorable Lowell Murray: Honorables sénateurs, le sénateur Bacon mentionne dans son excellent discours, pour lequel je la félicite, des choses qui divisent les Québécois. Elle n'est pas sans savoir que le projet de loi C-20 a suscité des opinions partagées chez ses ex-collègues du gouvernement du Québec. M. Gil Rémillard a comparu devant le comité de la Chambre des communes pour exprimer son appui au projet de loi. Cependant, M. Claude Ryan, son ancien chef, s'y oppose, de même que M. Jean Charest, le chef des fédéralistes au Québec.

Considère-t-elle que ce projet de loi est de nature à renforcer ou à diviser la cause fédéraliste et les forces fédéralistes au Québec?

Le sénateur Bacon: Honorables sénateurs, ce projet de loi était nécessaire pour que nous ayons une situation claire. Il est nécessaire maintenant, mais passons à autre chose. Nous ne pouvons pas en rédiger un deuxième.

(Sur la motion du sénateur Kinsella, au nom du sénateur Tkachuk, le débat est ajourné.)

[Traduction]

Le Code criminel
La Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition

Projet de loi modificatif-Deuxième lecture-Suite du débat

L'ordre du jour appelle:

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Cools, appuyée par l'honorable sénateur Watt: Que le projet de loi C-247, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (peines consécutives), soit lu une deuxième fois.-(L'honorable sénateur Bryden).

L'honorable John G. Bryden: Honorables sénateurs, le projet de loi C-247 vise à faire deux choses. En premier lieu, il modifie le Code criminel de façon que la peine imposée à une personne pour une agression sexuelle soit purgée consécutivement à toute autre peine infligée pour une infraction similaire qu'elle purge à ce moment-là, sauf certaines exceptions. En second lieu, il modifie la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition pour que la personne qui purge une peine d'emprisonnement à perpétuité pour le meurtre de plus qu'une personne puisse purger au plus cinquante ans d'emprisonnement avant d'avoir droit à la libération conditionnelle. À l'heure actuelle, la peine prévue est de 25 ans d'emprisonnement.

Je m'oppose au principe de ce projet de loi, à la façon dont il a été traité et renvoyé au Sénat et à son texte imparfait. Premièrement, selon moi, le projet de loi favorise un principe de détermination de la peine qui va à l'encontre du système de justice pénale canadien et des principes de détermination de la peine soigneusement élaborés qui sont énoncés dans le Code criminel. Deuxièmement, le projet de loi n'est pas l'aboutissement d'une mûre réflexion ou d'une étude détaillée. Il a été concocté à la Chambre à l'étape du rapport parce que le Comité permanent de la justice et des droits de la personne, où sont représentés tous les partis, avait rejeté chacun des articles du projet de loi original. Troisièmement, même si le Sénat acceptait le principe de détermination de la peine préconisé dans ce projet de loi et qu'il faisait abstraction du processus bancal qui a caractérisé son étude et son renvoi au Sénat, le projet de loi est tellement mal rédigé qu'il faudrait non pas y apporter de nombreux amendements, mais le réécrire entièrement afin de ne pas créer une confusion totale à propos de la détermination de la peine pour agression sexuelle ou pour meurtre.

Je vais examiner plus en détail ces préoccupations. La première porte sur le fait que le projet de loi propose selon moi un principe de détermination de la peine qui va à l'encontre du système de justice pénale canadien et des principes de détermination de la peine soigneusement élaborés qui sont énoncés dans le Code criminel.

Honorables sénateurs, à l'exception peut-être de la Charte des droits et libertés, notre Code criminel et notre système de justice pénale constituent notre plus profonde expression de ces préceptes moraux fondamentaux qui nous lient dans une société civile. Ce code a été soigneusement élargi depuis des décennies, voire des siècles. Nous avons été témoins du soin avec lequel des changements fondamentaux sont apportés à ce système quand, il y a seulement quelques années, soit en 1995, le projet de loi C-41 a été adopté. Dans ce projet de loi, le Parlement a énoncé, pour la première fois dans l'histoire du Canada, les principes sur lesquels devrait être fondée la détermination de la peine dans les causes criminelles. Ces principes résultaient de nombreuses années d'études poussées. Ils reflétaient des recommandations faites au cours d'une période de 13 ans et tirées de deux livres blancs, du rapport d'une commission royale d'enquête sur la détermination de la peine, du rapport d'un comité parlementaire et de deux projets de loi morts au Feuilleton. Le comité parlementaire, soit dit en passant, était présidé par David Daubney, alors député progressiste conservateur aux Communes. M. Daubney est maintenant coordonnateur, Réforme de la détermination de la peine, au ministère de la Justice, et il a témoigné des problèmes que posent ce projet de loi.

Permettez-moi de lire aux honorables sénateurs les principes de la détermination de la peine qui ont été énoncés par le Parlement il y a cinq ans seulement et qui se trouvent maintenant dans l'article 718 du Code criminel. Cet article prévoit ceci:

Le prononcé des peines a pour objectif essentiel de contribuer, parallèlement à d'autres initiatives de prévention du crime, au respect de la loi et au maintien d'une société juste, paisible et sûre par l'infliction de sanctions justes visant un ou plusieurs des objectifs suivants:

a) dénoncer le comportement illégal;

b) dissuader les délinquants, et quiconque, de commettre des infractions;

c) isoler, au besoin, les délinquants du reste de la société;

d) favoriser la réinsertion sociale des délinquants;

e) assurer la réparation des torts causés aux victimes ou à la collectivité;

f) susciter la conscience de leurs responsabilités chez les délinquants, notamment par la reconnaissance du tort qu'ils ont causé aux victimes et à la collectivité.

(1610)

Honorables sénateurs, ce sont là les principes qui doivent s'appliquer dans tous les cas - et non seulement dans quelques-uns d'entre eux. Tels sont les principes qui doivent régir la détermination de la peine pour tous les crimes perpétrés. Tels sont les principes dans lesquels nous devons avoir confiance et que les juges sont tenus d'appliquer. Ces principes reflètent notre société. Ils reflètent les valeurs canadiennes. Ils nous servent à nous définir en tant que Canadiens. Sans caractère vindicatif, ils visent à assurer la sécurité des Canadiens. Ils assurent le respect des normes de conduite dans la collectivité. Tout projet de loi qui prétend changer le rôle de la détermination de la peine dans la société canadienne doit être jugé à la lumière de ces principes qui ont été soigneusement établis.

Honorables sénateurs, le projet de loi C-247 n'est pas fidèle à ces principes. Tel qu'il est rédigé, il violerait ces principes à bien des égards, mais je reviendrai sur cette question plus tard lorsque je parlerai des nombreux défauts du projet de loi. Pour l'instant, je vais me concentrer sur le principe qui sous-tend le projet de loi.

Lorsque je lis la transcription des discours prononcés par le parrain et les partisans du projet de loi, sous sa première ou sa deuxième forme, je ne peux pas faire autrement qu'en arriver à la conclusion que, sous le mantra des droits des victimes, ce projet de loi introduit la vengeance comme principe de détermination de la peine dans notre système de justice pénale. Le concept est fondé sur la recommandation biblique qui dit «oeil pour oeil». Je vais vous lire toute la citation extraite de Exode, chapitre 21, versets 23 à 25:

... vie pour vie,
Oeil pour oeil, dent pour dent, pied pour pied,
Brûlure pour brûlure, meurtrissure pour meurtrissure, plaie pour plaie.

L'application littérale de ce principe pose des problèmes. Doit-on violer un violeur, agresser un agresseur? Comment enlever la vie deux fois à quelqu'un qui a tué deux personnes? Ce projet de loi a plutôt recours à l'emprisonnement.

Le principe de base de ce projet de loi est que le temps qu'un contrevenant passe en prison devrait être directement lié au nombre de victimes et aux infractions commises. Plus le contrevenant reste longtemps en prison, mieux c'est. C'est aussi simple que cela. Les principes comme la dissuasion, la réadaptation, la réparation et la responsabilité dépendent du nombre d'infractions commises. L'emprisonnement devient une panacée - une panacée dangereuse peut-être.

Honorables sénateurs, cette approche m'inquiète non seulement parce qu'elle ne tient pas compte des principes de base de la détermination de la peine que j'ai énoncés plus tôt, mais aussi parce qu'il n'est pas clair que des peines d'emprisonnement plus longues réduisent le nombre d'agressions sexuelles. En fait, il n'est pas du tout certain que des peines d'emprisonnement plus longues réduiront la probabilité qu'un contrevenant récidive. Une étude faite l'an dernier pour le compte du ministère du Solliciteur général du Canada a justement révélé le contraire, soit que l'imposition de peines d'emprisonnement plus longues accroît le risque de récidive.

Cette méta-analyse est la seule évaluation quantitative à avoir été effectuée à propos du lien entre le temps passé en prison et la récidive. La base de données utilisée comportait 325 comparaisons... À partir des faits constatés, nous sommes en mesure de tirer une conclusion passablement solide: aucune des analyses effectuées n'a démontré à l'évidence que les peines d'emprisonnement permettent de réduire la récidive.... L'idée que l'incarcération n'aurait un effet dissuasif que sur les délinquants à faible risque n'a également pu être confirmée. En fait, le groupe des délinquants jugés à faible risque et ayant passé plus de temps en détention affichait des taux de récidive plus élevés.

C'est tiré d'un document intitulé: «L'incidence de l'emprisonnement sur la récidive», Rapport 1999-24, par Paul Gendreau et Claire Goggin, Centre d'études sur la justice pénale, Université du Nouveau-Brunswick, et Francis T. Cullen, département de la justice pénale, Université de Cincinnati.

Une autre étude publiée en janvier 2000 établit une méthode d'évaluation des risques visant expressément à déterminer le risque de récidive des délinquants sexuels. Les auteurs font preuve d'un optimisme prudent quant aux résultats obtenus jusqu'à maintenant. Voici une des répercussions sur le plan des politiques qui est mentionnée dans l'étude:

Étant donné que le niveau de risque d'un délinquant peut changer considérablement, les politiques devraient favoriser la réinsertion sociale des délinquants sexuels plutôt que de présumer que ce type d'individus risqueront toujours de récidiver.

C'est tiré d'une recherche en bref du solliciteur général du Canada sur une étude de R. Karl Hanson et Andrew Harris intitulée: «La mesure de l'évolution du risque chez les délinquants sexuels».

Si, comme certains l'ont dit, ce qui importe, c'est de régler le problème des dangereux violeurs et des tueurs en série - comme les Clifford Olson et les Paul Bernardo - le Code criminel ne prévoit-il pas justement une procédure qui est très rigoureuse et qui a été mûrement réfléchie à l'égard des contrevenants dangereux et de ceux qui purgent une peine de longue durée? Si quelqu'un constitue un danger pour la population, des dispositions sont déjà prévues à ce sujet. Le projet de loi dont nous sommes actuellement saisis ne fait qu'ajouter de la confusion.

Je pense que ce projet de loi modifie fondamentalement le principe qui consiste à déterminer la peine adéquate pour un crime particulier et pour un contrevenant, conformément aux principes énoncés dans le Code criminel, pour privilégier une escalade des peines par le biais d'une augmentation de la peine d'incarcération qui sera infligée à un contrevenant, en proportion du nombre d'infractions commises. C'est très risqué.

Honorables sénateurs, le Canada avait auparavant un système de justice pénale fondé sur le châtiment. Les peines devaient être proportionnelles à l'horreur que le crime inspirait à la société.

Je donne aux sénateurs quelques exemples tirés du livre Crime and Punishment in Canada: A History, par D. Owen Carrigan, qui a été publié en 1997.

Jacques Begeon, qui avait tué son voisin en 1668, a été condamné à être soumis à la torture puis traîné jusqu'à la porte de l'église paroissiale vêtu seulement d'une robe de nuit, une corde au cou et portant une torche. À genoux, il a dû demander pardon à Dieu et au Roi et demander que justice soit faite pour les crimes qu'il avait commis. Il a ensuite été pendu au gibet dressé place du marché dans la haute-ville. Après sa pendaison, il a eu le bras droit et la tête tranchés et ils ont été exposés sur la place publique au bout d'une pique.

Un certain David McLane a été condamné pour haute trahison. Il a été condamné à être pendu, mais pas avant d'avoir eu le ventre ouvert «et vos entrailles brûlées sous vos propres yeux; puis vous aurez la tête coupée et le corps coupé en quatre.»

Honorables sénateurs, je ne lis pas ces extraits par curiosité historique. Ces châtiments n'ont pas été imposés par nos ancêtres comme châtiments barbares. Je suis convaincu qu'ils croyaient sincèrement que cela était juste pour le condamné et pour les victimes, et que ces châtiments exemplaires pouvaient avoir un effet dissuasif. Ces peines ont été imposées longtemps avant l'introduction des principes de détermination de la peine dans le Code criminel. Cependant, même aujourd'hui, dans certaines sociétés, des châtiments éminemment horribles et répugnants sont encore imposés au nom de la justice.

Le 17 mars, le National Post rapportait qu'au Pakistan, un juge a condamné un tueur en série dont les victimes étaient des enfants à être étranglé, puis à avoir le corps coupé en 100 morceaux, un pour chacune de ses victimes, et jeté dans l'acide. Le juge l'a aussi condamné à 700 ans de prison pour avoir détruit des preuves, soit sept ans pour chacun des corps que, selon le juge, il avait détruit.

Cette sentence nous semble lointaine et ne ressemble en rien à ce que nous connaissons. J'ai donc été choqué de lire une lettre à la rédaction publiée dans le Ottawa Citizen du 21 mars dernier. On y lit ceci:

Enfin. Quelqu'un croit à la loi du talion et je félicite la justice pakistanaise pour le châtiment imposé à Javad Iqbal, le tueur d'enfants qui a pris la vie de 100 d'entre eux. Il était à peu près temps qu'un de ces monstres subisse les tortures qu'il a infligées si froidement à des enfants innocents. Le Canada devrait s'inspirer de ce châtiment.

C'est signé «Claire Saunders, de Kanata».

Honorables sénateurs, notre système de justice pénale en révèle autant sur qui nous sommes et sur nos valeurs que sur tout le reste. Quelle est la nature de la société canadienne d'aujourd'hui? Les partisans de ce projet de loi ont beaucoup parlé des Clifford Olson et des Paul Bernardo de ce monde. Ce sont toutefois des exceptions. Je cite un article d'Andrew Sullivan, dont le frère a été assassiné, publié dans le Globe and Mail du 21 mars 2000:

. (1620)

On ne peut rien apprendre d'utile de, disons, Karla et Paul...

... il parle de Karla Homolka et de Paul Bernardo...

... De leur cas, on ne peut rien apprendre d'utile sur le système judiciaire, sur l'équité, ou sur quoi que ce soit de ce genre; ces gens sont des monstres qui ne font rien d'autre que peupler nos cauchemars... Des cas vraiment horribles, nous pouvons sans doute apprendre ce qu'il faut changer dans notre culture, mais la discussion nous causerait beaucoup plus de souffrance que la majorité d'entre nous sommes prêts à endurer, surtout en public. Dans notre colère, nous préférerions entendre la cacophonie désespérée de ceux qui sont assoiffés de vengeance.

Voulons-nous, en tant que société, nous laisser définir par ces monstres, les Clifford Olson et les Paul Bernardo? J'espère que non. Pour ma part, je ne donnerai pas à ces criminels la satisfaction de changer notre nation ou de modifier nos principes et nos valeurs de base.

Nous appartenons à une société décente qui repose sur des valeurs solides. En fait, la criminalité est en régression. Depuis six ans, le nombre de crimes violents diminue tous les ans. Je frémis à l'idée de ce que nous deviendrions si nous ajoutions la vengeance et la rancune aux principes de la justice.

Honorables sénateurs, je crains que nous ne devenions comme eux. Nos valeurs ne seraient pas différentes de celles des criminels que nous punissons. Nous dirions en fait que ces valeurs sont acceptables.

Son Honneur le Président: Pardonnez-moi, sénateur Bryden, mais les 15 minutes de votre temps de parole sont épuisées.

Le sénateur Bryden: Je demande la permission de poursuivre.

Son Honneur le Président: La permission est-elle accordée?

Des voix: D'accord.

Le sénateur Bryden: Nous dirions en fait que ces valeurs sont acceptables. Est-ce ce que nous voulons enseigner à nos enfants? Est-ce là la vision que nous avons du Canada et des Canadiens de demain?

Qui plus est, et je vais y revenir plus en détail plus tard, il n'est pas nécessaire que nous modifiions nos lois pour régler ces cas extraordinaires. Ces gens ont été reconnus coupables. Qu'ils deviennent ou non admissibles à une libération conditionnelle, je doute fort qu'une commission des libérations conditionnelles juge bon de la leur accorder. J'ai confiance dans notre système actuel. Nous avons renforcé les dispositions du Code criminel à l'égard des délinquants dangereux et des délinquants à long terme, notamment par suite des leçons qu'on a tirées de pareils cas.

Je constate que bien des arguments ont été avancés à l'appui de ce projet de loi au nom des droits des victimes, dans un effort pour assurer une certaine équivalence entre la peine infligée et le mal qui a été fait. Il ne saurait y avoir d'équivalence entre un crime et sa punition. Est-ce que la vie d'un criminel est, aux yeux d'un père et d'une mère, équivalent à la vie de leur fils ou fille bien aimé? Bien sûr que non. On ne cherche ni ne trouve un sens à la mort d'un être cher dans la longueur de la peine infligée à son auteur.

À dire vrai, je ne sais pas si on peut trouver un sens à un meurtre. Je crains que nous nous faisions des illusions et que nous trompions les familles des victimes en croyant que leur souffrance va être atténuée si le criminel doit passer 50 ans en prison au lieu de 25 avant d'être admissible à une libération conditionnelle. Ces familles ont affreusement souffert. Elles doivent surmonter la douleur à leur façon. Ce ne sont pas ces modifications qui vont leur redonner la paix. Permettez-moi de citer une fois de plus l'article d'Andrew Sullivan, paru récemment dans le Globe and Mail. On y lit ceci:

Les gens dont un être cher a été assassiné sont en colère. Quand mon frère Matthew a été assassiné en 1998, j'étais en colère. Mais on ne devrait pas consulter des gens en colère comme témoins experts quand il s'agit de réformer le système judiciaire. Nous qui sommes en colère avons soif de revanche. Et une fois que nous aurons eu notre revanche, nous ne serons pas satisfaits; cette soif ne sera jamais étanchée. Rien ne sera suffisant. C'est impossible. Il ne peut tout simplement pas y avoir de «dossier clos» quand je parle du meurtre de mon frère, qui est survenu dans l'allée de sa maison à Buffalo ou quand vous parlez de la façon dont votre fille a été tuée en traversant la rue. Ceux d'entre nous qui cherchent un moyen d'apaiser leur propre colère ne peuvent rendre la justice.

Et d'ajouter M. Sullivan:

À la radio, j'ai entendu un politicien du Parti réformiste se plaindre du manque de sévérité du système pénal au Canada. J'ai entendu le père d'un homme aujourd'hui décédé dire que les sanctions seraient nettement plus sévères dans un autre pays; il disait cela avec une avidité navrante. Il me semble que nous sommes trop nombreux à vouloir voir les autres souffrir. L'idée est peut-être que, puisque les criminels violents font souffrir les autres, eux aussi devraient souffrir. Gandhi a répondu à cela en disant qu'en appliquant le principe d'un oeil pour un oeil, on allait rendre le monde aveugle. Faire souffrir autrui ne rapporte rien.

En fait, les groupes de défense des droits des victimes ne réclament pas la vengeance. Ils demandent à être notifiés, appuyés et à avoir le droit d'être consultés. Ce sont là les résultats d'une étude spéciale réalisée à la Chambre des communes par le Comité permanent de la justice et des droits de la personne, sous la présidence de la regrettée Shaughnessy Cohen. Le comité a produit un excellent rapport intitulé à juste titre: «Les droits des victimes - Participer sans entraver». Ce rapport a été publié en octobre 1998. Malheureusement, la marraine de ce projet de loi à l'autre endroit, Mme Albina Guarnieri, a admis qu'elle n'avait pas lu le rapport en question lorsqu'elle a défendu ce projet de loi sur la base des droits des victimes.

Honorables sénateurs, il y a plusieurs années, j'ai assisté à une réunion avec le regretté juge en chef Ivan Rand. La discussion tournait en partie autour de la peine capitale. On lui a demandé quelle serait sa réaction si, en rentrant chez lui, il découvrait que quelqu'un avait tué sa femme et ses enfants. La réponse du juge Rand a été succincte: «Je le tuerais, et c'est pourquoi nous avons des lois, pour contenir les gens comme moi.»

C'est ce genre de pensée qui, a mon avis, a joué un rôle essentiel dans l'élaboration des principes de la détermination de la peine qui sont inscrits dans le Code criminel et qui guident à présent les juges.

À mon avis, le principe à la base du projet de loi C-247 minerait et éroderait ces principes. Ce serait une mesure terriblement rétrograde qui nous ramènerait à un stade de notre développement social que nous avons dépassé depuis longtemps.

Le deuxième point qui m'ennuie, c'est que le projet de loi n'est le résultat d'aucune réflexion ou étude approfondie. Il a été concocté à l'étape du rapport dans l'autre endroit parce que le comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes, qui est constitué de représentants de tous les partis, en a rejeté chaque article ainsi que le projet de loi original, intégralement.

Le sénateur Cools a exprimé de l'étonnement devant la proposition du sénateur Nolin, selon lequel le projet de loi n'est pas conforme aux principes de la détermination de la peine. Le sénateur Cools a signalé que la Chambre des communes avait déjà adopté le projet de loi et qu'elle pensait bien qu'il avait été donné à beaucoup de personnes de l'étudier au fil des étapes.

Honorables sénateurs, le sénateur Cools se trompe. Dans son libellé actuel, le projet de loi n'a jamais été examiné à l'autre endroit.

Qui plus est, certains se sont portés à la défense de cette initiative sous prétexte qu'elle représentait une victoire du Parlement sur le gouvernement. Ainsi, le sénateur Cools a déclaré dans son discours au Sénat:

Au Canada, on ne veut pas savoir ce que pensent les parlementaires de l'administration de la justice pénale, en particulier en ce qui concerne la détermination de la peine et le châtiment. Le projet de loi C-247 est l'expression d'une opinion parlementaire non voulue qui a été adoptée à la Chambre des communes par un vote majoritaire, même si la ministre de la Justice n'était pas d'accord.

Honorables sénateurs, cela ne nous dit pas tout. La ministre de la Justice ne voulait peut-être pas de ce projet de loi - je n'en sais trop rien. À l'issue d'un examen attentif, j'en suis venu à la conclusion que le projet de loi ne peut que nuire à notre système de justice pénale, et non l'améliorer. La ministre est sans doute fondée de le croire. Le projet de loi était également non souhaité par le comité parlementaire de l'autre endroit qui l'a étudié en profondeur.

(1630)

Le comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes a rejeté toutes les dispositions du projet de loi lorsqu'il en a été saisi. Il a ensuite négocié des amendements au projet de loi à l'étape du rapport. Ce projet de loi dans sa forme amendée, c'est-à-dire la forme sous laquelle il est aujourd'hui, n'a pas été étudié à l'autre endroit et les amendements ont modifié de façon radicale le projet de loi. C'est une question qui a été mise en lumière par Paul DeVillers, le député libéral de Simcoe-Nord, lorsqu'il a pris la parole sur le projet de loi à l'étape de la troisième lecture durant la dernière session de la présente législature. Il s'agit d'un membre de comité qui a étudié et rejeté le projet de loi. Il a dit ceci, comme on peut le lire à la page 15894 des Débats de la Chambre des communes du 7 juin 1999:

Madame la Présidente, on a beaucoup insisté ce matin sur le fait que c'est une lutte des simples députés contre le gouvernement. De nombreux députés d'arrière-ban qui ne font pas partie du gouvernement sont très gênés par ce projet de loi et par le fait qu'il n'a pas fait l'objet d'un vote au comité.

Les amendements mis aux voix aujourd'hui ont été négociés pendant l'étape du débat au stade du rapport. De nombreuses questions devraient être étudiées. Bon nombre d'entre nous estiment que le projet de loi devrait être renvoyé au comité.

Honorables sénateurs, ce n'est pas la façon dont nous adoptons des lois au Canada, surtout des lois qui empiètent sur la liberté des Canadiens. Ce n'est pas la façon dont nous devrions promulguer des lois au Canada. Doit-on faire fi du point de vue des comités parlementaires? Le comité de l'autre endroit a pris ce projet de loi très au sérieux. Il a entendu des témoins de 15 organisations. Il a écouté les points de vue, pour et contre, y compris ceux de deux professeurs que, selon le sénateur Cools, le comité sénatorial pourrait vouloir entendre. Les membres du comité ont ensuite décidé que le projet de loi ne devrait pas aller plus loin.

Honorables sénateurs, je crois dans le régime parlementaire tel qu'il a évolué au Canada. Je prends au sérieux les points de vue de nos collègues parlementaires. Lorsqu'un comité étudie un projet de loi et décide ensuite de rejeter catégoriquement toutes ses dispositions, c'est une décision qui mérite d'être prise au sérieux. Le comité n'a pas présenté d'amendements; il s'est simplement contenté de rejeter le projet de loi. Lisez les comptes rendus, honorables sénateurs. Personne ne s'est dit indigné au cours de l'étude article par article du projet de loi. Personne n'a prétendu que le processus était imparfait. Personne n'a affirmé qu'on essayait de faire adopter en vitesse des amendements. Non, honorables sénateurs, le processus était tout à fait approprié. Après une étude détaillée, le comité a décidé de rejeter le projet de loi.

Honorables sénateurs, il n'est pas juste de présenter ce projet de loi comme une victoire pour la démocratie. Je considère ce projet de loi comme une grave atteinte à la démocratie, car on a écarté et feint d'ignorer les opinions sérieuses des membres du comité qui ont étudié le projet de loi en détail, comme si aucune étude n'avait eu lieu.

Enfin, honorables sénateurs, la version actuelle de ce projet de loi laisse gravement à désirer. Selon les partisans du projet de loi, il a pour objectif de punir les auteurs des crimes les plus odieux, notamment ceux qui ont commis plusieurs viols ou plusieurs meurtres. Pourtant, l'article 1 du projet de loi C-247 ne traite pas des agressions sexuelles vraiment graves. On pourrait dire qu'il punit sévèrement les crimes les moins odieux, comme les attouchements sexuels sans consentement, tandis qu'il fait fi de crimes comme les agressions sexuelles armées et les agressions sexuelles graves.

Honorables sénateurs, cette lacune souligne également l'importance de nos comités parlementaires. Cette question a été soulevée plusieurs fois dans les témoignages présentés au comité de l'autre endroit. En fait, les amendements ont ajouté des références à ces autres agressions sexuelles plus graves, mais ils l'ont fait d'une manière absolument insensée. Je m'explique, honorables sénateurs.

Tel qu'il est rédigé actuellement, le projet de loi prévoit qu'un juge prononce une peine consécutive lorsqu'une personne est condamnée pour une agression sexuelle de niveau 1 et qu'elle a déjà été condamnée pour une agression sexuelle de niveau 1, pour une agression sexuelle plus grave ou pour une agression sexuelle armée. Des exceptions à cette disposition sont également prévues et donnent d'étranges résultats, mais nous y reviendrons plus tard, honorables sénateurs.

Pour l'instant, permettez-moi de souligner que le projet de loi ne vise qu'une personne condamnée pour une agression sexuelle de niveau 1, comme des attouchements sans consentement. Il ne prévoit pas de peine consécutive lorsqu'une personne a été condamnée plusieurs fois pour des agressions sexuelles graves ou des agressions sexuelles armées. Cette personne n'est pas visée par ce projet de loi. Il en résulte qu'une personne pourrait être condamnée à une peine d'emprisonnement plus longue pour des attouchements sans consentement que pour une agression sexuelle armée.

Doit-on considérer qu'il s'agit d'un problème de mauvaise rédaction? Oui. On remarque le même manque de soin tout au long du projet de loi. Comme je l'ai souligné, il y a des exceptions à cette exigence relative aux peines consécutives. Fondamentalement, le projet de loi exige qu'un juge impose une peine consécutive dans le cas d'une agression sexuelle de niveau 1, si cette personne a déjà été reconnue coupable d'agression sexuelle, à moins que le juge ne soit «convaincu que le fait de la purger consécutivement ne serait pas conforme aux principes de détermination de la peine prévus aux articles 718 à 718.2 du Code criminel, auquel cas il peut ordonner que la peine soit purgée concurremment».

Autrement dit, honorables sénateurs, si l'application de peines consécutives devait être incompatible avec les principes de détermination de la peine au Canada, le juge pourrait alors, et seulement alors, décider d'imposer que la peine soit purgée concurremment. Honorables sénateurs, si les peines consécutives sont incompatibles avec nos principes de détermination de la peine, le juge devrait être tenu d'imposer que la peine soit purgée concurremment. Pourquoi y a-t-il un pouvoir discrétionnaire dans cette partie du projet de loi?

Le projet de loi va d'ailleurs encore plus loin à cet égard. L'alinéa 3 proposé établit les facteurs qui doivent être considérés par le juge lorsqu'il exerce ses pouvoirs discrétionnaires, c'est-à-dire lorsque le juge a le droit de tenir compte de certains éléments comme la nature de la faute, les circonstances dans lesquelles elle a été commise, l'importance des torts physique et émotif dont la victime a souffert, l'attitude du délinquant, ses antécédents judiciaires et d'autres facteurs. Honorables sénateurs, c'est bouleverser notre système de justice pénale. C'est complètement rétrograde. Les principes de détermination de la peine doivent d'abord être respectés avant que l'on tienne compte des situations particulières.

Encore une fois, honorables sénateurs, le projet de loi C-41, qui a créé les articles 718 à 718.2 du Code criminel, a codifié pour la première fois au Canada ces principes essentiels reconnus par le Parlement comme devant régir la détermination de la peine criminelle. Ce ne sont pas des principes que le pouvoir judiciaire discrétionnaire peut se permettre de rejeter. Au contraire, ce sont les principes de base qui doivent régir tout le processus du pouvoir judiciaire discrétionnaire.

Je pourrais en dire bien plus sur les nombreux problèmes que présente le projet de loi. Par exemple, il exige qu'une peine imposée pour une agression sexuelle de niveau un soit purgée consécutivement à toute autre peine pour une agression sexuelle. Honorables sénateurs, l'emprisonnement n'est pas la seule peine imposée pour les agressions sexuelles, particulièrement pour les agressions de niveau 1 dont parle ce projet de loi. Oui, les agressions sexuelles de niveau 1 comprennent le crime odieux qu'est le viol, mais, comme je l'ai mentionné précédemment, elles comprennent également toute la gamme des attouchements sans consentement. Elles ne se soldent pas toutes par une peine d'emprisonnement. Dans certains cas, par exemple, une condamnation avec sursis est choisie comme la meilleure approche pour réadapter l'agresseur et réduire la probabilité de récidive. Encore une fois, ce problème a été signalé par le comité qui a étudié le projet de loi, mais, manifestement, les personnes qui ont procédé à la modification du projet de loi à l'étape du rapport n'ont pas tenu compte de ce témoignage.

Ces commentaires montrent le manque de soin qui a été apporté à la rédaction de ce projet de loi. Pourtant, ce dernier aurait un impact considérable sur la liberté des Canadiens. On ne peut pas adopter des modifications au Code criminel, sans aucun doute la loi la plus sérieuse que nous ayons, d'une manière aussi désinvolte et bâclée.

En fait, les amendements contenus dans l'article 1 sont complètement inutiles. Actuellement, les peines consécutives s'appliquent, à moins que des condamnations multiples ne proviennent d'un même événement. Honorables sénateurs, avec toutes ses dispositions, rien dans ce projet de loi ne changerait cela. Le projet de loi initial aurait changé cela. Il aurait exigé qu'un juge impose des peines consécutives pour une infraction «basée sur les mêmes faits et pour toute autre sentence que la personne purge à ce moment-là pour une infraction assujettie au paragraphe (1)».

Cela a été complètement changé par les amendements à l'étape du rapport. En vertu du projet de loi tel qu'il est actuellement formulé, les peines consécutives ne s'appliqueraient que lorsqu'une personne a précédemment été condamnée à une peine pour l'autre agression sexuelle. Elles ne s'appliqueraient pas pour les condamnations multiples imposées au cours du même procès, comme ce serait généralement le cas pour les condamnations multiples basées sur les mêmes faits.

(1640)

En d'autres mots, le projet de loi ne modifierait pas la loi actuelle. C'est inutile. Pourtant, il pourrait saper sérieusement les principes canadiens de détermination de la peine. Pourquoi voudrions-nous agir de la sorte, honorables sénateurs? Que pourrions-nous chercher à atteindre qui justifierait une mesure aussi grave et aussi rétrograde?

Je passerai maintenant au deuxième article du projet de loi. On nous a dit catégoriquement que le projet de loi remet en question la loi actuelle, qui permet que les auteurs de meurtres multiples n'aient pas à se voir imposer de peines supplémentaires, soit pas un jour ou une heure de plus, pour le deuxième, le troisième ou même le onzième meurtre brutal qu'ils ont commis. On nous a dit que le projet de loi C-247 remet en question la notion selon laquelle les auteurs de meurtres multiples devraient se voir garantir la chance de demander une libération conditionnelle après avoir purgé 10 ou 25 ans de leur peine d'emprisonnement à perpétuité, peu importe le nombre de meurtres commis.

Honorables sénateurs, c'est ce que l'on nous a dit à l'occasion de débats antérieurs en cette Chambre, mais ce n'est pas tout à fait exact. Lorsqu'on lit les témoignages entendus par le comité à l'autre endroit, on apprend quelque chose de différent. Dans son témoignage, M. David Daubney a dit que, en réalité:

Un délinquant qui purge une peine d'emprisonnement à perpétuité, qui est toujours soumis à la période de 25 ans au cours de laquelle il n'est pas admissible à une libération conditionnelle et qui reçoit une autre peine d'emprisonnement à perpétuité pour un meurtre au premier degré entreprendra une nouvelle période de 25 ans au cours de laquelle il ne sera pas admissible à une libération conditionnelle le jour de son arrestation pour cet homicide. Donc, si cela se produisait après qu'il a passé 24 ans en prison, il ferait face à une nouvelle période de 25 ans au cours de laquelle il ne serait pas admissible à la libération conditionnelle. Une grande partie de ce qui est visé par le deuxième article du projet de loi fait à mon avis déjà partie de notre loi.

Il n'est pas exact de dire que les auteurs de meurtres multiples se voient garantir une chance d'obtenir leur libération conditionnelle après avoir purgé dix ans de leur peine à perpétuité. La disposition concernant l'admissibilité à la libération conditionnelle au bout de dix ans exclut expressément les auteurs de meurtres multiples. En vertu du paragraphe 745b) du Code criminel, une personne reconnue coupable de plus d'un meurtre ne pourra pas demander la libération conditionnelle avant 25 ans.

Honorables sénateurs, j'ai de nouveau été surpris du fait que le parrain exagère l'incidence du projet de loi. Bien que l'on nous ait dit que le projet de loi verrait à ce que chaque victime «compte» dans la peine imposée, le projet de loi ne «compte» en réalité, pour utiliser ce mot déplorable, que les deux premières victimes. En vertu du paragraphe (2.3) proposé, une personne reconnue coupable de meurtres multiples serait tenue de purger deux périodes consécutives d'inadmissibilité à la libération conditionnelle d'une durée maximale de 50 ans. En tenant pour acquis que la période d'inadmissibilité à la libération conditionnelle est de 25 ans pour chaque meurtre, cela signifie que seulement les deux premiers meurtres «comptent».

Honorables sénateurs, j'en suis venu à penser que ce projet de loi porte davantage sur la rhétorique que sur la justice pénale. Il proclame, en termes ronflants, que les auteurs des infractions sexuelles multiples les plus graves devront purger des peines consécutives. Or, quand on examine la question de plus près, on constate que les peines consécutives existent déjà et que le projet de loi ne modifie en rien les dispositions législatives qui sont déjà en vigueur. Il suffit de lire le projet de loi attentivement pour comprendre qu'il ne vise pas les personnes qui purgent des peines multiples pour les infractions sexuelles les plus graves.

En ce qui concerne les personnes condamnées pour meurtre, contrairement à ce que dit le texte, le projet de loi n'ajoute pas 25 ans d'emprisonnement pour chaque victime de meurtre brutal, qu'elles soient au nombre de 2, 3 ou même 11. En fait, le projet de loi ajoute 25 ans d'emprisonnement à la période de 25 ans, déjà en vigueur, au cours de laquelle le détenu est inadmissible à la libération conditionnelle.

Honorables sénateurs, cela met en évidence un autre problème fondamental que soulève le projet de loi. Nous ne comptons pas et ne devons pas «compter» le nombre des victimes. Nous déplorons le meurtre et le dénonçons. Un meurtrier est-il moins condamnable parce qu'il n'a à son actif qu'une victime? Non. Le Code criminel prévoit une peine d'emprisonnement à perpétuité en cas de meurtre, un point c'est tout. De fait, l'une des déclarations les plus éloquentes au sujet de ce projet de loi, à l'étape de l'étude en comité, est celle de M. Glen Flett, qui avait été condamné pour meurtre et qui, bénéficiant maintenant d'une libération conditionnelle, se consacre aux détenus en prison. Il a déclaré:

Je suis contre le projet de loi, et l'une des principales raisons de mon opposition est le fait qu'il supprime la dénonciation du meurtre, ou du moins sa dénonciation par l'emprisonnement à perpétuité. Je purge actuellement une peine d'emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle avant 14 ans. Pour moi, une peine d'emprisonnement à perpétuité est une peine d'emprisonnement à vie, et non pas de 14 ans. Je suis en liberté depuis 9 ans et ma vie est plus difficile au sein de la communauté qu'elle ne l'était en prison. C'est que je dois faire face aux conséquences de mon acte.

Ce sont les propos que tenait Glen Flett devant le comité le 16 mars 1999. Je signale en passant que M. Flett travaille aussi avec les victimes d'actes criminels au sein de son organisation.

Nous n'avons qu'une vie à vivre. Comment peut-on imposer une peine plus longue que l'emprisonnement à perpétuité? L'auteur du projet de loi a clairement reconnu qu'il est juste et indiqué d'appliquer des restrictions en ce qui concerne la période obligatoire d'inadmissibilité à la libération conditionnelle. La loi canadienne prévoit 25 ans. Le projet de loi porterait la période d'inadmissibilité à 50 ans.

Honorables sénateurs, il ne faut jamais oublier la nature de la décision dont nous sommes saisis. L'admissibilité à la libération conditionnelle n'est pas le droit à la libération conditionnelle. Quand la loi canadienne dit qu'une personne est admissible à une demande de libération conditionnelle, cela signifie qu'une commission dûment formée entend des témoignages, y compris ceux de la victime et de la famille de cette dernière, s'ils le veulent, et décide si le contrevenant, qui a alors purgé 25 ans d'emprisonnement, devrait bénéficier d'une libération conditionnelle pour purger le reste de sa peine dans la collectivité.

Honorables sénateurs, 25 ans, c'est long. Peut-on dire qu'une personne a plus de chances d'être réadaptée et en mesure de réintégrer la société civile après 50 ans plutôt que 25? Comment peut-on demander à un juge de prévoir 50 ans à l'avance comment sera alors le contrevenant? Adopte-t-on des lois qui ne peuvent être modifiées quand les circonstances évoluent pendant 50 ans? Non. On demande pourtant à un juge de prendre cette décision. Ne serait-il pas préférable de ne pas modifier la loi, qui permet à la commission des libérations conditionnelles d'examiner le dossier du contrevenant après 25 ans d'emprisonnement et de rendre une décision en se fondant sur ce qu'il est à ce moment-là, et non à ce qu'il était avant son emprisonnement? Que faut-il penser de Glen Flett, qui a véritablement changé et qui contribue d'ailleurs positivement à la société canadienne?

On ne sera pas étonné de constater que cet article présente également de graves difficultés techniques. Premièrement, je me demande si cet article du projet de loi modifie la bonne loi. Une partie de cet article appartient bien à la Loi sur le système correctionnel, mais il serait extrêmement inhabituel de donner au juge qui impose la peine une certaine discrétion dans la Loi sur le système correctionnel. Le paragraphe (2.2) que propose le projet de loi devrait, il me semble, aller dans le Code criminel avec les autres dispositions concernant l'imposition de la peine.

Je me demande également si le projet de loi modifie le bon article de la Loi sur le système correctionnel. Il propose d'en modifier l'article 120, mais cet article ne porte absolument pas sur l'inadmissibilité à la libération conditionnelle. Les dispositions à ce sujet sont énoncées aux articles 120.1 et 120.2. Le paragraphe (2.4) que propose le projet de loi donne des instructions au juge dans l'exercice de sa discrétion pour décider s'il y a lieu d'imposer une période d'inadmissibilité à la libération conditionnelle, et exige précisément - par l'usage du terme «shall» à caractère obligatoire en anglais - que le juge détermine si le temps d'épreuve total serait suffisant pour bien dénoncer le meurtre et reconnaître le tort causé à la victime.

Encore une fois, honorables sénateurs, le projet de loi ne tient pas compte des principes d'établissement de la peine libellés avec soin que nous avons adoptés récemment. Est-ce que le projet de loi enjoint au juge de ne pas tenir compte des autres principes en la matière touchant par exemple la réadaptation et l'effet dissuasif? Pour changer les principes canadiens d'établissement de la peine, il faudrait y consacrer une réflexion et une analyse approfondies.

Le projet de loi C-41, qui a initialement donné force de loi à ces principes en les incorporant dans le Code criminel, était le fruit de plusieurs années d'étude approfondie. Allons-nous évacuer ces principes d'une manière aussi cavalière dans un projet de loi qui n'a pas été étudié sérieusement à l'autre endroit, sauf par un comité qui a voté en faveur du rejet total de la mesure l'ayant précédé? Est-ce approprié? Est-ce juste? Est-ce conforme à la façon de faire canadienne?

(1650)

Honorables sénateurs, j'estime qu'au-delà de l'émotion et des beaux discours, ce projet de loi est tellement vicié, tant dans son principe que dans son libellé, qu'il devrait être rejeté. Franchement, pour remédier aux problèmes, il faudrait le remanier tellement que je doute qu'il refléterait encore le principe qui le sous-tend maintenant.

Ce qui importe le plus, cependant, c'est que voter en faveur du principe de ce projet de loi marquerait un grave point tournant dans la justice pénale au Canada. À mon avis, nous introduirions le principe de la vengeance dans notre système. Pour ma part, j'aime trop le Canada et je respecte trop notre rôle en tant que parlementaires pour franchir ce pas.

Honorables sénateurs, je crois savoir qu'il existe une procédure en vertu de laquelle, si le Sénat le juge opportun, un projet de loi semblable peut être renvoyé à un comité sans qu'il soit adopté en principe à l'étape de la deuxième lecture. Si tel est le souhait du Sénat, qu'il en soit ainsi. Je ne le propose pas parce que je ne pense pas que le projet de loi est récupérable. Toutefois, c'est peut-être le souhait des sénateurs.

Cela étant dit, je conclurai en citant encore l'article de M. Sullivan, qui dit:

Si la police arrêtait le meurtrier de mon frère, nous pourrions, je suppose, l'écrouer pour toujours ou le pendre ou l'exécuter sur la chaise électrique ou avec un poison. Mais cela ne me donnerait pas la paix ni ne guérirait les blessures du reste de ma famille. Cela n'aurait pour effet que de rouvrir les plaies.

[...] Non, cessons de crier vengeance. Il y a eu assez de sang versé. Efforçons-nous plutôt de trouver la paix - sans recourir encore à la colère et à la haine -, ne serait-ce qu'en restant silencieux pendant quelque temps face à la mort. Au moins, le silence nous donnerait le temps de penser à ce que nous faisons.

Honorables sénateurs, je ne peux pas et je ne veux pas appuyer ce projet de loi.

L'honorable Anne C. Cools: Honorables sénateurs, le sénateur Bryden accepterait-il de répondre à une question?

Son Honneur le Président: Honorable sénateur Cools, désirez-vous poser une question?

Le sénateur Cools: Oui.

Son Honneur le Président: Veuillez le faire.

Le sénateur Cools: Je remercie le sénateur de sa bienveillance.

Le sénateur a parlé de la façon canadienne de faire les choses. Je me demande s'il veut dire que ma façon de procéder n'est pas très canadienne. Il a déclaré à plusieurs reprises que la marraine du projet de loi exagérait; il s'agit de moi, en l'occurrence, mais je ne suis pas liée en tous points aux dispositions de ce projet de loi, honorables sénateurs, car c'est le projet de loi de Mme Guarnieri. Le sénateur pourrait-il m'expliquer en quel sens j'ai exagéré?

Permettez-moi d'expliquer soigneusement la question. Je suis convaincue que, lorsque j'interviens en cette Chambre, les sénateurs savent et croient que je parle avec beaucoup d'intégrité. Je veux que le sénateur Bryden m'explique dans quelle mesure et à quel moment j'ai exagéré.

Le sénateur Bryden: Honorables sénateurs, si vous examinez le compte rendu des débats, vous constaterez que je n'ai jamais employé le mot «exagérer». J'ai commenté le projet de loi lui-même, lequel n'est pas utile, à mon avis, ou même pire. J'ai commenté les déclarations faites à l'autre endroit par la marraine de ce projet de loi en cette autre Chambre. J'ai aussi commenté et cité les propos tenus au Comité permanent de la justice et des droits de la personne de l'autre endroit et j'ai cité quelques phrases tirées des déclarations du sénateur Cools. J'ai été très prudent. Je n'ai jamais dit que le sénateur avait exagéré. J'ai dit que, à mon avis, elle se trompait, et que la question était beaucoup plus vaste; j'ai ensuite cité ses propos. Jamais je ne dirais qu'elle agit autrement que dans le meilleur intérêt de cette Chambre. Tout comme le sénateur Cools, cependant, j'ai droit à mes opinions. Encore une fois, j'ai bien pris soin d'ajouter l'expression «à mon avis» en préambule à mes commentaires. J'invite le sénateur à vérifier le compte rendu.

Honorables sénateurs, voilà ma position. J'essaie tout simplement de rétablir les faits du mieux que je le peux.

Le sénateur Cools: Honorables sénateurs, je remercie le sénateur Bryden de sa réponse, mais je reste insatisfaite. Lorsqu'il est question de la marraine du projet de loi C-247 en cet endroit, c'est de moi dont on parle, car le débat a lieu au Sénat. Je suis la marraine du projet de loi C-247. J'ai dit à maintes occasions que je ne suis pas liée en tous points aux dispositions du projet de loi. Je me trompe peut-être, mais je suis certaine d'avoir entendu le sénateur Bryden dire que la marraine exagérait. J'ai compris qu'il voulait parler de la marraine en cet endroit.

Si ce n'est pas ce que le sénateur Bryden voulait dire, alors je suis heureuse de me rasseoir et d'admettre que j'ai mal entendu ou mal interprété ce qu'il a dit. Cependant, le sénateur Bryden a parlé très clairement de la marraine. Au Sénat, c'est moi la marraine. Le sénateur John Bryden pourrait-il apporter les éclaircissements qui s'imposent?

Le sénateur Bryden: Je vais faire de mon mieux. J'ai essayé d'expliquer clairement - et j'ai effectivement mentionné le nom de la députée dans le compte rendu - que je parlais de la marraine du projet de loi. Encore une fois, je peux me tromper, mais je ne pense pas avoir parlé d'exagération.

Lorsque j'ai parlé de ce qui s'est passé ici, au Sénat, j'ai expressément cité à deux reprises le nom du sénateur Cools parce que je citais ses paroles. C'est arrivé deux fois. Si le sénateur Cools a eu une impression différente, c'est regrettable, mais c'est certainement ce que je voulais dire et je crois que c'est ce que j'ai dit.

Le sénateur Cools: Je vérifierai attentivement le compte rendu, mais ce que j'ai entendu, en tant que marraine, c'est l'honorable sénateur parler du projet de loi au Sénat. La marraine du projet de loi à l'autre endroit n'a pas sa place dans le débat que nous avons ici parce que nous devons faire montre de respect dans nos paroles, même envers les membres de l'autre endroit. Aux fins du débat, le mot «marraine» utilisé ici me désigne moi. Cependant, je peux y revenir un autre jour.

Je voudrais clarifier une chose, honorables sénateurs. Lorsque je prends la parole au Sénat, j'essaie toujours de faire preuve de noblesse et de magnanimité et j'essaie d'être juste. N'importe quel honorable sénateur peut vérifier au compte rendu, il verra que ma fiche est éloquente à cet égard. Nous reprendrons cette discussion un autre jour.

Honorables sénateurs, je puis vous assurer que je fais de grands efforts pour vérifier tout ce que je dis. Je consacre un nombre incalculable d'heures à mon travail pour que les sénateurs sachent que, lorsque je prends la parole, je le fais avec beaucoup de considération pour le Sénat et beaucoup d'intégrité. Les gens peuvent dire beaucoup de choses sur mon compte, mais ils ne peuvent certainement pas dire que j'exagère.

(1700)

La vraie question que je veux poser au sénateur Bryden est la suivante: il a dit que les quatre principes de la détermination de la peine sont le châtiment, la dissuasion, la réadaptation et la proportionnalité. Je crois qu'il a dit que c'étaient là les quatre principes. Avant de parler de réadaptation, on employait le terme «amendement», qui était l'action de se corriger, en parlant d'un détenu.

Le sénateur Bryden pourrait-il me dire exactement comment le projet de loi C-247 dévie de quelque façon que ce soit des principes de la proportionnalité et de l'amendement?

Le sénateur Bryden: Je ne veux pas répéter mon discours, mais je dirai encore une fois que, aux fins des services correctionnels, il n'y a pas quatre mais bien six principes de la détermination de la peine:

a) dénoncer le comportement illégal;

b) dissuader les délinquants, et quiconque, de commettre des infractions;

c) isoler, au besoin, les délinquants du reste de la société;

d) favoriser la réinsertion sociale des délinquants;

e) assurer la réparation des torts causés aux victimes ou à la collectivité;

f) susciter la conscience de leurs responsabilités chez les délinquants, notamment par la reconnaissance du tort qu'ils ont causé aux victimes et à la collectivité.

Ce sont là les principes qu'on a pris tellement de temps à formuler et qui sont énoncés dans la loi.

J'ai fait de mon mieux pour passer en revue le projet de loi et pour présenter ma position. Si ce n'est pas encore assez clair pour le sénateur Cools, je n'ai aucune façon de rendre cela plus clair. J'ai malheureusement abusé de la patience du Sénat, ce que je ne fais pas habituellement. Il n'y a pas grand-chose que je puisse ajouter à ce que j'ai déjà dit aujourd'hui, sauf peut-être des détails concernant certains changements dans le projet de loi lui-même.

Le sénateur Cools: J'accepte ce que le sénateur Bryden a dit. Je tiens toutefois à être claire encore une fois, honorables sénateurs, parce qu'il me faudra manifestement du temps pour éclaircir ces questions. Je connais bien la question de la détermination de la peine parce que j'ai moi-même été membre de la Commission nationale des libérations conditionnelles pendant quelques années. Les deux principes essentiels qui sous-tendent ce projet de loi sont la question de la proportionnalité dans la détermination de la peine et la question de l'amendement. Je pourrai revenir sur cela un autre jour.

Le sénateur Bryden m'a donné à penser qu'il avait compris que le projet de loi C-247 amènerait un juge à condamner les meurtriers, par exemple ceux qui avaient commis un meurtre au premier degré, à 25 années supplémentaires d'inadmissibilité à la libération conditionnelle. Je crois que le sénateur Bryden a dit grosso modo que tous les meurtres ne compteraient pas, mais seulement deux.

Le sénateur Bryden voudrait-il m'éclairer un peu? Je comprends que, à la deuxième infraction, un juge pourrait imposer un nombre d'années supplémentaires pour une autre infraction, mais qu'il n'existe aucun maximum absolu qu'il doit imposer pour chaque infraction. Autrement dit, si un meurtrier était reconnu coupable d'un deuxième meurtre, d'un troisième et d'un quatrième, il pourrait écoper d'une période d'inadmissibilité à la libération conditionnelle de 25 ans pour le premier meurtre et de cinq ou six autres années pour le second, le troisième et le quatrième. Le nombre total d'années ne pouvant toutefois pas dépasser 50 ans. Est-ce mon interprétation ou celle du sénateur Bryden qui est juste?

Le sénateur Bryden: Aussi étrange que cela puisse paraître, il se peut que nous ayons tous les deux raison.

Je crois avoir dit que le projet de loi laisse entendre que la période maximale d'inadmissibilité peut aller jusqu'à 50 ans. Je n'ai pas exclu la possibilité qu'on puisse dire: «Non, nous ne vous donnerons pas 25 ans; ce sera cinq ans pour le second meurtre ou le troisième.»

Je crois que le sénateur Cools a raison de dire que, si un prévenu est condamné à une certaine période d'inadmissibilité à la libération conditionnelle parce qu'il a été reconnu coupable d'un meurtre, le projet de loi n'exige pas que la période d'inadmissibilité imposée ensuite par le juge pour un autre meurtre soit de 25 ans. Elle pourrait être de dix ans, par exemple.

Quoi qu'il en soit, ce que j'ai essayé d'expliquer est peut-être différent du point de vue que le sénateur Cools tentait de faire ressortir. Je demandais en fait si cela nous était vraiment utile de faire passer de 25 ans à un maximum de 50 ans la période d'inadmissibilité. Les sénateurs peuvent tirer leurs conclusions. Prenons un exemple. Admettons que le juge, à la troisième ou à la quatrième condamnation, prévoit trois périodes successives de sept ans et demi, ce qui donne un total de 23. Ensuite, supposons que le type sort de prison et tue encore cinq personnes. Ces cinq victimes obtiennent-elles ce qui reste sur les 50 ans, en tranches de six mois?

C'est la grande réserve que le projet de loi m'inspire. Si la durée n'est que d'un an pour le dernier meurtre alors qu'elle était de 25 pour le premier, cela veut-il dire que la personne tuée la dernière vaut moins que celle qui a été tuée la première? À mon avis, cela ne se quantifie pas. Comme l'a fort bien dit une personne qui purge une peine pour meurtre, la condamnation à perpétuité, c'est pour toute la vie, et on n'a qu'une vie.

Je voudrais m'arrêter là. On me dit qu'il est possible de refuser de répondre aux questions, mais je ne veux pas faire cela. Par contre, je ne veux pas abuser de la patience des honorables sénateurs.

L'honorable Nicholas W. Taylor: Honorables sénateurs, je voudrais poser une question, mais comme je risque de me faire dire «non» par l'honorable sénateur, pourrais-je lui demander une clarification?

Le sénateur Bryden: J'ai essayé.

Le sénateur Taylor: L'honorable sénateur a parlé de dissuasion et de vengeance. Je tiens à le remercier pour son analyse savante qui donne à réfléchir sur toute la question de la délibération de la peine dans ce qu'on avait l'habitude d'appeler un crime capital. En imposant une peine, on imagine facilement qu'un juge pourrait penser à la dissuasion, alors qu'un autre songerait à la vengeance. Au bout du compte, comment déterminer si une peine avait pour but la dissuasion ou la vengeance? N'est-ce pas une décision très subjective? Comment la vengeance entre-t-elle dans l'équation? Le résultat final peut être de cinq ou de 15 ans. La dissuasion autant que la vengeance entre en jeu.

Le sénateur Bryden: J'ai fait mes devoirs et j'ai une connaissance pratique de la Bible. Dans une épître de saint Paul aux Romains, il est écrit: «À moi la vengeance, dit le Seigneur.» Il n'est aucunement question de vengeance dans les principes qui régissent la détermination de la peine par les tribunaux criminels du Canada.

Vous demandez quels principes il faut appliquer. Les juges sont des êtres humains. Je suppose que, dans certains cas, on pourrait mettre davantage l'accent sur un aspect particulier, mais, en déterminant la peine, le juge prend soigneusement en considération ces six principes. Je présume que, dans chaque cas, un juge peut très bien accorder plus d'importance à un principe, selon les circonstances. Il ne faut pas oublier que nous n'avons pas toujours affaire à des meurtres ou à crimes haineux lorsque nous déterminons la peine.

(1710)

La question du sénateur met en évidence la question de savoir ce qu'un juge doit prendre en considération. C'est pour cette raison que cette liste existe. Un juge qui ne prendrait pas en considération chacun de ces principes lorsqu'il détermine la peine ne ferait pas son travail correctement. Il ne doit pas nécessairement accorder le même poids à chacun, mais il doit les prendre tous en considération lorsqu'il détermine la peine.

L'honorable Pierre Claude Nolin: Honorables sénateurs, je remercie le sénateur Bryden pour cette leçon très intéressante.

Le sénateur Bryden s'est-il demandé si le projet de loi C-247 était conforme à l'article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés? Pour l'information des honorables sénateurs, cet article de la Charte dit:

Chacun a droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités.

Le sénateur Bryden a-t-il tenu compte de cet article ou a-t-il seulement tenu compte de l'article 718 du Code criminel?

Le sénateur Bryden: Je n'ai pas étudié l'article 12 en détail. Dans son intervention, le sénateur Carstairs a souligné sa préoccupation à l'égard de l'article 12. Nous devons donc en tenir compte.

Ce que je crains, c'est que, même si la peine n'était pas considérée comme cruelle ou inusitée du point de vue de la justice pénale, cela semble être un net changement de direction par rapport à celle que nous avions prise et qui semblait donner des résultats.

Le Canada est le pays du monde occidental qui a le taux d'incarcération le plus élevé. C'est là-dessus que je voulais insister. Les peines du type auxquelles nous avons affaire là, en dehors de la peine maximale de 50 ans plutôt que de 25, se trouvent dans le Code criminel, avec la peine consécutive, et cetera. Ce que je veux dire, c'est que le projet de loi n'ajoute pas grand-chose aux principes de détermination de la peine. Il sort du cadre de ces principes et renverse non pas la responsabilité, mais la prépondérance, c'est-à-dire l'obligation d'imposer des peines consécutives pour ce genre d'infraction à moins que d'autres facteurs n'interviennent.

(Sur la motion du sénateur Taylor, le débat est ajourné.)

Régie interne, budgets et administration

Huitième rapport du comité-Ajournement du débat

Le Sénat passe à l'étude du huitième rapport du Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration (Faciliter l'accès aux personnes handicapées), présenté au Sénat le 10 avril 2000.-(L'honorable sénateur Nolin).

L'honorable Bill Rompkey propose: Que le rapport soit adopté.

- Honorables sénateurs, le huitième rapport du Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration, qui a été présenté hier au Sénat, traite d'un plan d'action pour faciliter l'accès aux personnes handicapées. Ce plan d'action a été élaboré par un groupe de travail qui était dirigé par les sénateurs Carstairs et Robertson et qui comprenait des membres du personnel du Sénat. Le groupe a travaillé en étroite collaboration avec des représentants des personnes handicapées, afin d'élaborer un plan qui traite de questions comme les objectifs en matière d'emploi, les installations qui sont nécessaires au Sénat pour les personnes handicapées, l'information du public, les objectifs ainsi que la fourniture d'une aide technique, de dispositifs et d'appareils pour aider les personnes handicapées.

Le huitième rapport décrit les étapes que le Sénat a franchies et ce qu'il a accompli ces derniers mois, depuis le dépôt en décembre dernier du document intitulé «Guide sur les personnes handicapées à l'intention des sénateurs». Le rapport fait aussi état des mesures que le comité de régie interne entend mettre en oeuvre pendant l'exercice financier 2000-2001. Le comité veut notamment finaliser une trousse d'information sur les personnes handicapées, organiser des cours à l'intention des gestionnaires et du personnel et verser dans l'Intranet du Sénat de l'information sur les questions d'accessibilité.

Honorables sénateurs, les Canadiens ont le droit de participer pleinement aux travaux du Sénat. Nous croyons que ce plan d'action établit un excellent plan directeur sur les mesures à prendre pour améliorer la participation des personnes handicapées. Au nom du Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration, je remercie mesdames les sénateurs Carstairs et Robertson d'avoir entrepris ce projet et accompli ce travail. Le mérite leur revient à elles plus qu'à toute autre personne. Le personnel du Sénat a travaillé avec elles, mais ce sont elles qui ont proposé le plan et fait preuve de leadership. Je les remercie du travail qu'elles ont accompli relativement à ce document.

Honorables sénateurs, je recommande l'adoption du rapport.

L'honorable Brenda M. Robertson: Honorables sénateurs, je suis heureuse de prendre la parole au sujet du huitième rapport du Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration.

La démocratie canadienne souscrit à la primauté du droit et nous devons nous assurer que nos lois favorisent les vraies libertés. Nous voulons que nos lois offrent à tous les citoyens une possibilité juste et égale de réaliser leurs possibilités de s'acquitter de leurs responsabilités en tant que citoyens. Dans notre société, l'égalité réelle est une expérience libératrice clairement définie par la Charte canadienne des droits et libertés.

Je sais que tous les sénateurs défendraient leur droit à une protection égale et à des avantages égaux que leur reconnaissent nos lois et notre Constitution. Toutefois, certaines circonstances et situations empêchent des citoyens de jouir des droits et libertés que la plupart d'entre nous tenons pour acquis. Il existe des obstacles réels, quoique peut-être non voulus, à l'égalité, des barrières artificielles dont nous devons tenir compte et que nous devons nous efforcer d'éliminer.

Honorables sénateurs, c'était l'objet de l'intervention que j'ai faite au Sénat, en février 1998, lorsque j'ai posé des questions au sujet de l'accessibilité et de la participation, aux affaires du Sénat, de Canadiens handicapés. Aujourd'hui, je suis heureuse de me joindre au sénateur Carstairs et aux membres du comité pour recommander que le Sénat adopte ce rapport, qui permettra de venir en aide à quelque 4,2 millions de Canadiens handicapés. Ce rapport fait honneur au Sénat du Canada.

Au cours des 18 derniers mois, des sénateurs et des fonctionnaires du Sénat ont travaillé avec des personnes handicapées pour produire le plan d'action du Sénat pour faciliter l'accès aux personnes handicapées, qui est le produit de notre énergie créatrice et de notre passion pour l'égalité. Ce plan d'action met tout particulièrement l'accent sur la participation et l'accessibilité pleine et entière.

Le Sénat a pris des mesures ces dernières années pour répondre aux besoins des personnes handicapées. Certaines questions ont été soulevées par des visiteurs sur la colline, des employés du Sénat et par des sénateurs eux-mêmes qui souffrent de handicaps. Nous avons fait des progrès, mais nous sommes tous conscients qu'il reste encore beaucoup à faire.

Quel est le but du plan d'action? Il s'agit d'un effort coordonné pour tirer profit de ce qui a déjà été fait et pour répondre aux attentes des Canadiens. Notre but principal était de faire du Sénat un modèle d'égalité et l'une des institutions parlementaires les plus accessibles au Canada. Pour cela, notre plan d'action prévoit des initiatives spéciales en matière d'emploi, des améliorations à apporter à nos installations, la mise en place d'aides et de dispositifs techniques, l'amélioration de l'accès à l'information publique et la prise de mesures en matière de santé et de sécurité. Ce plan d'action général aura des répercussions sur les politiques et pratiques au Sénat, dans presque toutes les sphères d'activité.

Honorables sénateurs, nous aurons de nouvelles directives concernant le choix des endroits où auront lieu les séances de comité sur la colline du Parlement; des sondages démographiques aideront à mieux cibler des programmes d'emploi; l'accès aux publications et à la documentation d'information sera facilité.

Le programme d'expérience de travail à l'intention des personnes handicapées sera amélioré et une liste des aides et dispositifs techniques permettant de répondre aux besoins spéciaux sera établie. Ce ne sont là que quelques-uns des éléments du plan d'action, mais j'aimerais ajouter quelque chose à ce sujet.

(1720)

D'une manière ou d'une autre, tous au Sénat, tant les sénateurs que leur personnel, ont une certaine responsabilité dans le succès de cette entreprise. L'administration sera certes confiée aux hauts fonctionnaires du Sénat, mais les sénateurs ont également un rôle à jouer. Vous vous souvenez d'avoir reçu en décembre dernier un petit livret intitulé «Guide sur les personnes handicapées à l'intention des sénateurs». Ce document renferme une vingtaine de pages d'informations de base sur les personnes handicapées au Canada, comme, par exemple, qui fait quoi et comment obtenir de l'aide. Il est également conçu pour appuyer nos responsabilités de leaders dans nos collectivités. Il vous aidera à mieux comprendre le rôle que vous pouvez jouer pour faire de l'égalité une réalité.

Le plan d'action du Sénat pour faciliter l'accès aux personnes handicapées requiert également votre diligence et votre attention. Les fonctionnaires ont besoin de notre aide et de notre appui. Nous avons tous besoin des conseils du public, notamment des Canadiens souffrant d'un handicap. En somme, ce plan n'est qu'un premier pas vers l'atteinte de l'objectif de la participation et de l'accessibilité à part entière. Il devrait être réexaminé tous les ans afin de coïncider, peut-être, avec la Journée internationale des handicapés, soit le 3 décembre.

Honorables sénateurs, je félicite ceux qui ont travaillé si fort à l'élaboration du plan d'action pour faciliter l'accès aux personnes handicapées, et j'ai hâte de poursuivre mon engagement dans ce projet. Je tiens à remercier de façon particulière le sénateur Carstairs de son bon travail dans ce projet, ainsi que tous les membres du personnel qui ont travaillé très fort et avec beaucoup de soin. Nous avons changé d'administrateurs à quelques reprises, mais le travail s'est quand même fait. En guise de conclusion, je voudrais appuyer l'adoption de ce rapport par le Sénat.

(Sur la motion du sénateur Hays, au nom du sénateur Carstairs, le débat est ajourné.)

Le financement de l'enseignement postsecondaire

Interpellation-Suite du débat

L'ordre du jour appelle:

Reprise du débat sur l'interpellation de l'honorable sénateur Atkins, attirant l'attention du Sénat sur le financement de l'enseignement postsecondaire au Canada, particulièrement la partie du financement que supportent les étudiants, en vue d'élaborer des politiques qui viseront à amoindrir le fardeau des dettes des étudiants au niveau postsecondaire au Canada.-(L'honorable sénateur Graham, c.p.).

L'honorable B. Alasdair Graham: Honorables sénateurs, je voudrais ajouter ma contribution au débat portant sur l'interpellation concernant l'avenir de l'enseignement postsecondaire qui a été éloquemment amorcé par l'honorable sénateur Atkins plus tôt cette année. Dans un exposé soigneusement documenté présenté à la Chambre le 22 février, nous avons été informés que le sénateur Atkins voulait parler de ce qu'il considérait comme les principaux problèmes de l'éducation au Canada: le taux élevé de décrocheurs, le manque de préparation des jeunes au marché du travail et la nécessité de revoir la méthode de financement de l'enseignement postsecondaire au Canada. Je voudrais toucher un mot sur ces trois problèmes et exposer trois motifs de préoccupation qui sont d'égale importance dans ce que je considère comme un processus continu de débat national sur les buts et l'orientation de nos établissements d'enseignement postsecondaire.

Les honorables sénateurs se rappelleront qu'un comité sénatorial spécial sur l'enseignement postsecondaire a été créé en août 1996 et qu'il a soumis son rapport final en décembre 1997. Bien des questions examinées à l'époque restent tout aussi pertinentes à l'aube d'un nouveau siècle. J'attire l'attention sur cet excellent rapport qui traite, entre autres, des prêts et des dettes des étudiants, de ce que notre pays fait pour attirer des étudiants de l'étranger et de l'urgence pour le gouvernement du Canada de prendre un engagement stratégique, à long terme, à l'égard du financement de la recherche et du développement dans les établissements d'enseignement postsecondaire. Je vais revenir sur cette question dans mes observations. Je n'ai pas l'intention de m'étendre sur le trésor de renseignements que recèle ce rapport; je me contenterai de dire tout le bien que l'on pourrait retirer de la lecture de ses recommandations en guise de préparation à un débat sérieux sur ce thème.

Tout d'abord, je tiens à dire que je suis d'accord avec le sénateur Atkins quand il parle du taux inacceptable de décrocheurs. Je préfère aborder différemment la question générale concernant les divers niveaux de participation dans le domaine de l'enseignement postsecondaire.

Comme on le soulignait récemment dans un rapport exhaustif de Statistique Canada et du Conseil des ministres de l'Éducation, les niveaux de formation, qui étaient déjà élevés par rapport aux normes internationales, se sont considérablement améliorés depuis une dizaine d'années au Canada. En fait, les jeunes Canadiens sont plus nombreux à avoir achevé des études secondaires et entrepris des études universitaires au cours de cette période. Le rapport conclut que, en 1990, 20 p. 100 des jeunes Canadiens âgés de 25 à 29 ans ne possédaient pas de diplôme d'études secondaires. En 1998, cette proportion était passée à 13 p. 100. De 1990 à 1998, la proportion de jeunes de ce groupe d'âge à avoir obtenu un diplôme universitaire est passée de 17 à 26 p. 100. Sur le plan international, le Canada était en 1995 le pays de l'OCDE qui comptait la plus forte proportion de sa population, environ 48 p. 100, à posséder un diplôme d'études postsecondaires, alors que, pour les autres pays de l'OCDE, la moyenne était de 23 p. 100. Ce sont là les chiffres les plus récents que j'ai pu obtenir.

En 1995, nous avons consacré 7 p. 100 du PIB à l'éducation, soit plus que tous les autres pays du G-7. La moyenne était de 5,6 p. 100 pour les autres pays de l'OCDE et de 6,7 p. 100 pour les États-Unis, ce qui plaçait ce pays au second rang, après le Canada.

Honorables sénateurs, je signale en outre que les étudiants canadiens ont obtenu d'excellents résultats à l'issue de l'évaluation internationale du rendement scolaire en mathématiques et en sciences. Cette évaluation a été effectuée en 1995, dans le cadre de la Troisième enquête internationale sur l'enseignement des mathématiques et des sciences. Il en ressort notamment que les élèves canadiens de 8e année ont obtenu des notes supérieures à la moyenne en sciences, et d'excellentes notes en mathématiques, par rapport à la moyenne internationale. L'investissement très lourd que nous avons fait dans l'éducation semble porter fruit. Les macro-indicateurs nous permettent de nous enorgueillir des succès que nous remportons sur nos concurrents.

J'aimerais à présent revenir sur les propos du sénateur Atkins au sujet de ce qui passe à ses yeux pour être le deuxième grand problème de l'éducation, à savoir l'insuffisance de la préparation des jeunes aux exigences du marché du travail. Je partage l'avis du sénateur là-dessus, mais pour des raisons légèrement différentes.

Dans son dernier rapport, préparé sous la direction du Conseil consultatif des sciences et de la technologie, le groupe d'experts sur les compétences a fait le point de la situation dans cinq secteurs stratégiques de l'industrie au Canada, dont l'aérospatiale, la biotechnologie et la technologie de l'information et de la communication. Le groupe consultatif a constaté qu'il n'y avait pas de pénurie de main-d'oeuvre en haute technologie au Canada, mais qu'il existait plutôt un manque de débouchés, c'est-à-dire un problème d'inadéquation auquel les gouvernements et l'industrie doivent remédier, si l'on veut que nos diplômés possédant une formation scolaire très avancée trouvent leur place dans une économie fondée sur le savoir. Selon ce rapport:

De manière générale, nos établissements d'enseignement et de formation [...] semblent répondre aux exigences des employeurs canadiens à la recherche d'employés possédant les compétences techniques [...] Dans certains champs de spécialisation et secteurs de pointe, nos universités produisent plus de diplômés que les entreprises canadiennes n'en peuvent absorber. [...] Par contre, nous avons constaté qu'il existait une pénurie endémique de personnes possédant non seulement de solides compétences techniques, mais également des compétences essentielles (communication, travail en équipe, etc.) [...] Ces compétences non techniques sont des éléments tout aussi essentiels à la réussite des entreprises canadiennes dans un marché concurrentiel.

Honorables sénateurs, la plupart des employeurs s'attendent à ce que les diplômés fraîchement sortis des universités possèdent des compétences techniques, mais ils croient que c'est seulement par l'expérience en milieu de travail qu'ils pourront acquérir les compétences non techniques mais néanmoins essentielles en gestion. On lit plus loin qu'il [...] faut sérieusement réfléchir à ce que nous enseignons aux jeunes et à la manière de le faire, et nous demander s'il ne serait pas possible que nos écoles et nos entreprises les préparent mieux au monde du travail.»

(1730)

Je crois que le sénateur Atkins soulève un problème intéressant qui mérite une discussion plus approfondie. Je ne doute pas que les entreprises puissent jouer un plus grand rôle dans le processus d'éducation. Je crois que les initiatives comme celles que l'on observe en Irlande et au Royaume-Uni, où les gouvernements fournissent aux petites entreprises les moyens d'embaucher des diplômés très bien formés, mais sans expérience, et dont les compétences peuvent, avec le temps, les aider à innover, aident les petites et moyennes entreprises à surmonter le handicap que crée leur petite taille. Ces programmes, conjugués à l'énorme potentiel des conseils industriels sectoriels, par exemple, sont essentiels pour mieux préparer nos diplômés à affronter le merveilleux monde du travail.

Je crois que nous devons chercher ailleurs l'origine des plaintes des industries, qui prétendent qu'il faut revoir ce que l'on enseigne à nos jeunes et comment. Je rends hommage au sénateur Lois Wilson, qui nous a récemment fait part de ses réflexions sur la valeur intrinsèque d'excellentes connaissances générales, les communications et les sciences humaines, entre autres, étant tout aussi utiles, sinon plus, aux diplômés qui recherchent un emploi que la formation technique ou en haute technologie.

Le sénateur Wilson a fait référence au fait que le gouvernement de l'Ontario dépensait allègrement pour les cours de technologie de pointe dans les grandes universités, mais qu'il laissait sans aide les arts et les écoles plus petites se concentrant sur les arts.

J'aimerais remercier le sénateur Wilson de ses remarques opportunes et extrêmement significatives sur ce sujet important. Je suis entièrement d'accord sur le fait que l'éducation doit apporter un équilibre entre les matières techniques et les arts, entre les sciences et les communications.

Ironiquement, je suis d'accord avec des gens avec lesquels je ne suis pas toujours ou pas souvent d'accord, à savoir les cadres des industries canadiennes de technologie de pointe. La semaine dernière, 30 directeurs généraux ont demandé une augmentation du financement des arts. Leur communiqué, je crois, était, dirais-je totalement inattendu, était, pourrais-je ajouter, ce qu'on pourrait considérer comme un revirement historique de notre industrie qui s'est énormément plainte, par le passé, du fait que nos institutions postsecondaires n'offraient pas de formation suffisante dans les matières techniques. Il semblerait maintenant que de récents résultats indiquant qu'il n'existe pas d'insuffisance dans les matières technologiques au Canada les contredisent. Nous voyons finalement ces dirigeants d'industries demander publiquement un équilibre dans le financement, affirmant que l'industrie ne peut pas bâtir d'économie numérique uniquement avec des diplômés en technologie. Les directeurs généraux ont manifestement fini par comprendre qu'il est tout aussi nécessaire et urgent de former des gens largement instruits, des décideurs cultivés et créatifs, capables de bien raisonner, de bien écrire et de bien parler.

Honorables sénateurs, il n'est plus démodé de penser que l'éducation doit se concentrer sur la maximisation de tous les talents de la personne. Nous revenons, très légitimement, aux valeurs de l'enseignement des arts. De plus en plus, les entrepreneurs nous préviennent que nous risquons de faire une erreur historique monumentale si nous nous concentrons uniquement sur l'enseignement des matières techniques.

Je vais maintenant parler des remarques très perspicaces du sénateur Atkins concernant la crise actuelle de l'endettement des étudiants, ainsi que des problèmes liés au financement général des études qu'il a présentés. J'ai été particulièrement frappé par ses propos sur les initiatives d'après-guerre pour les anciens combattants. En raison de ces programmes, il a conclu:

Le Canada avait une main-d'oeuvre énergique et bien formée qui a contribué pendant les années 50 et le début des années 60 à faire du Canada l'un des principaux pays du monde.

Je crois qu'il y a beaucoup de vrai là-dedans. Le sénateur Atkins a raison de dire que, si l'on n'examine pas de quelle façon les Canadiens ont fait les choses dans le passé, nous ne pouvons pas avoir de base solide pour étudier de quelle façon nous pourrons bâtir un meilleur avenir.

Je n'ai pas besoin d'aborder longuement les questions de coûts et de lourdes dettes d'études, car les sénateurs Atkins, Wilson, DeWare et Callbeck ont très bien exposé l'ampleur de ce qui constitue, je le reconnais, la véritable crise financière à laquelle font face les étudiants inscrits dans les établissements canadiens d'enseignement postsecondaire. Je tiens à féliciter tous les sénateurs que j'ai mentionnés il y a un instant pour les excellents exposés et les excellentes contributions qu'ils ont apportées à ce débat au Sénat.

Honorables sénateurs, c'est un fait que, tandis que les gouvernements réduisaient de 27 p. 100 au cours de la dernière décennie les dépenses consacrées à l'enseignement supérieur, les frais de scolarité ont plus que doublé dans la plupart des régions du pays. Les hausses de frais de scolarité ont fait grimper les dettes d'études. Les diplômés d'université sont endettés de plus de 25 000 $ en moyenne. Certains doivent même plus de 60 000 $ à la fin de leurs études.

Des voix: C'est honteux!

Le sénateur Graham: Quelles sont les solutions? Nous savons que les étudiants de nombreux pays de l'OCDE comme l'Autriche, le Danemark, la France, l'Allemagne et l'Irlande n'ont pas à payer de frais de scolarité. Serait-il possible de suivre un tel exemple dans notre pays?

Quant au remboursement de la dette, nous avons beaucoup entendu parler du modèle australien de régime de remboursement en fonction du revenu, où les versements sont liés au revenu annuel d'une personne et perçus par le truchement du système d'impôt sur le revenu, ce qui contribue à faire en sorte que les diplômés ne soient pas acculés à la faillite par le remboursement de leur dette.

À mesure que se poursuit le débat sur la motion du sénateur Atkins, nous entendrons sans doute parler de nombreux autres exemples comparatifs dans les jours à venir. Nous commencerons à voir apparaître l'iceberg aux proportions gigantesques auquel ressemblent les problèmes auxquels font face nos établissements d'enseignement postsecondaire. Nous savons que, outre l'avalanche critique des coûts croissants et la crise financière à laquelle font face beaucoup de nos étudiants, nos universités, qui ont déjà du mal à joindre les deux bouts, doivent se préparer à une augmentation spectaculaire des nouvelles inscriptions. On estime que nos établissements d'enseignement postsecondaire connaîtront une augmentation de 20 p. 100 des demandes de places au cours de la prochaine décennie.

En plus des énormes pressions qu'exercera sur l'infrastructure et les services la montée en flèche des inscriptions, nous devons tenir compte de la nécessité d'embaucher jusqu'à 32 000 nouveaux professeurs à temps plein d'ici 2010 pour pallier le problème des inscriptions et pour remplacer ceux qui partent à la retraite.

Le gouvernement fédéral a un rôle important à jouer dans l'examen stratégique des problèmes à venir.

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, je regrette d'interrompre le sénateur, mais ses quinze minutes sont écoulées. La permission de continuer est-elle accordée au sénateur?

Des voix: D'accord.

Le sénateur Graham: Les honorables sénateurs savent que, au moyen de divers programmes, notamment le Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux et le Programme canadien de prêts aux étudiants, le gouvernement fédéral a défrayé environ la moitié du coût de l'éducation postsecondaire au Canada. Il est clair que le Sénat est bien placé pour examiner les choix stratégiques qui conviennent le mieux pour résoudre les graves problèmes qui existent dans notre système d'éducation postsecondaire.

Je vais maintenant parler de mes préoccupations à propos de ce qu'on a appelé le déficit de l'investissement dans les universités de la région de l'Atlantique.

Même si les Canadiens de l'Atlantique représentent seulement 7,8 p. 100 de la population canadienne, au chapitre de l'éducation postsecondaire, les universités de l'Atlantique comptent 12 p. 100 du corps enseignant du Canada et 12 p. 100 des diplômés universitaires canadiens. Elles jouent un rôle clé dans l'économie de la région, produisant 2,2 p. 100 du PIB de la région, tandis que la moyenne canadienne se chiffre à 1,4 p. 100. Elles font aussi toujours bonne figure lorsqu'on les compare aux autres universités canadiennes. Cependant, au cours des dernières années, nous avons constaté un lourd déficit au chapitre du financement en recherche et développement, car le gouvernement a réduit ses dépenses dans ce domaine critique.

(1740)

Lorsqu'on s'arrête à l'apport de l'industrie, un partenaire clé du financement du développement à l'échelle du pays, on est étonné de la faible croissance de la R.-D. dans le Canada atlantique. Selon les conclusions d'un nouveau rapport important sur l'état des établissements postsecondaires dans le Canada atlantique, intitulé: «Catching the Wave of Research Investment», «entre 1989 et 1985 [...] l'industrie n'a haussé que de 2 p. 100 sa contribution à la R.-D. dans la région de l'Atlantique, comparativement à une hausse de 47 p. 100 à l'échelle nationale pendant la même période».

Situons ces données en contexte. Honorables sénateurs, nous savons que les universités apportent une contribution de premier plan à la société à base de connaissances. Au Canada, comparativement à d'autres pays, nous sommes davantage tributaires de ce secteur, étant donné que près du quart de la R-D s'effectue dans les universités. C'est la proportion la plus élevée au sein des pays du G-7.

On note un sérieux déficit dans le Canada atlantique, largement attribuable au fait que l'on n'y trouve pas les solides assises industrielles et non gouvernementales dont bénéficie le Canada central, et qui sont les principales sources de la vague d'investissement dans le secteur de la recherche que connaissent d'autres régions du pays. Le problème est exacerbé par le fait que le Canada atlantique est, toutes proportions gardées, plus tributaire de son secteur universitaire que d'autres régions du pays.

Au moment où les universités canadiennes et américaines commenceront à faire face à la pénurie de professeurs au cours des prochaines années, on craint que la région de l'Atlantique soit moins en mesure d'attirer les étoiles de la collectivité universitaire. Par conséquent, les universités de l'Atlantique tiennent particulièrement à ce que les nouvelles chaires du XXIe siècle du gouvernement fédéral ne soient pas situées principalement dans les universités du Canada central. Une telle démarche donnerait à ces universités un avantage injuste en leur permettant d'attirer les diplômés canadiens les plus brillants des universités de l'Atlantique.

Dans ce contexte, le mémoire en date du 22 novembre 1999 que les présidents du Conseil des universités de la Nouvelle-Écosse ont présenté au Groupe de travail sur la gestion financière: planification volontaire donne plusieurs avertissements. Le mémoire est judicieusement intitulé: «Nova Scotia: A Knowledge Economy Drop-Out?»

Selon les auteurs, aucune région ne peut rattraper les leaders de l'économie du savoir en se contentant de travailler plus d'heures, avec plus de rapidité et plus d'acharnement. Nous devons travailler plus intelligemment. Toutefois, il faut aussi pour cela de l'argent.

On nous dit que la diminution régulière des subventions gouvernementales accordées aux universités a donné lieu à une calamité de premier ordre. Selon le rapport, la Nouvelle-Écosse vient au dernier rang par rapport aux autres provinces en ce qui concerne les dépenses par étudiant universitaire. Cet écart est particulièrement inquiétant, en ce qui concerne le soutien financier du secteur de la R-D. Le Council of Nova Scotia University Presidents a dit fort à propos que la R-D était notre garantie d'avenir.

Étant donné le nombre d'entreprises de la Nouvelle-Écosse qui sont très actives dans la R-D, il a fallu compter sur les efforts héroïques des universités de l'endroit pour porter le flambeau.

Dans ma région, honorables sénateurs, la grande crainte est que cette garantie d'avenir ne soit perdue. Une autre crainte, c'est que les meilleurs professeurs et les meilleurs chercheurs de la Nouvelle-Écosse ne nous soient ravis par les établissements d'enseignement supérieur du Canada central et des États-Unis, où la R-D est mieux financée et où les installations universitaires de base sont supérieures. Nous devons faire face à la perspective vraiment tragique que le réseau universitaire dont nous sommes si fiers et qui se tire si honorablement d'affaire dans les comparaisons avec les autres universités canadiennes ne subisse un exode des cerveaux qui aura des conséquences inimaginables pour l'avenir de toute la région de l'Atlantique.

L'enquête que le Sénat a menée en 1997 a abordé ce problème qui, comme prévu, s'est aggravé depuis. Les auteurs ont signalé que le fait que le financement fédéral de la R-D soit lié à des partenariats entre nos établissements d'enseignement postsecondaire et nos sociétés commerciales aidait à mobiliser l'appui du secteur privé, ce qui est éminemment souhaitable. Cependant, étant donné la répartition inégale des grandes sociétés au Canada, l'accent excessif qui a été mis sur les partenariats provoquera presque infailliblement une aggravation du désavantage comparatif dont souffrent déjà les établissements de notre région.

La recommandation du comité sénatorial spécial a été la suivante:

[...] que les programmes fédéraux d'aide à l'enseignement postsecondaire soient structurés de manière à assurer [...] que les éléments du programme global de soutien prennent en compte et corrigent les disparités régionales marquées qui caractérisent notre système postsecondaire; et que les programmes de soutien veillent à tirer le plus grand avantage possible de la réalisation du plein potentiel de tous nos collèges et universités.

Le dernier budget fédéral annonçait une aide très attendue qui permettra de résoudre certaines des difficultés auxquelles font face les universités canadiennes. Le financement accru de la Fondation canadienne pour l'innovation et l'augmentation de l'exemption d'impôt applicable aux bourses d'études constituent des étapes préliminaires, tout comme l'annonce récente faite par le gouvernement concernant la mise en place de nouvelles mesures permettant d'assurer la prestation ininterrompue des programmes de prêts d'études au Canada.

Je crois que les universités de la région atlantique bénéficieront de l'aide accrue du gouvernement fédéral à la recherche, dans le cadre des «chaires d'excellence» annoncées récemment. Ce programme, qui n'exige pas de financement paritaire de la part des provinces, constitue donc un pas dans la bonne direction.

Honorables sénateurs, nous sommes bien conscients de vivre dans un monde qui repose sur le changement perpétuel. L'apprentissage continu est le moteur de l'économie de la connaissance. Les universités doivent se transformer, car la course vers l'avenir les oblige à mettre leurs moindres ressources à contribution. Partout, les gouvernements doivent travailler en étroite collaboration, et de concert avec l'industrie, pour éliminer tous les obstacles à la mise en valeur des talents de nos jeunes.

Notre réponse à l'intervention opportune du sénateur Atkins concernant l'éducation ne constitue qu'une amorce de réponse aux énormes questions que nous pose l'âge de l'information, à l'origine de l'une des plus importantes transformations de l'histoire.

Nous parlons d'objectifs nationaux. Quels sont ces objectifs? L'éducation doit-elle être réservée uniquement à ceux qui ont des compétences dans le domaine de la technologie de pointe ou doit-elle servir à assurer l'équilibre entre les compétences et les valeurs? Quel genre d'étudiants voulons-nous former dans notre pays? Formerons-nous des travailleurs de l'information qui ne pensent qu'en fonction des normes de leur milieu de travail? Ces gens seront-ils des scientifiques accomplis aux talents formidables, qui travailleront dans des laboratoires mais seront incapables de communiquer efficacement avec d'autres? Devons-nous utiliser la nouvelle technologie pour diffuser l'information plus efficacement? Nos établissements postsecondaires doivent-ils utiliser la technologie nouvelle aussi bien pour amener les étudiants à participer à l'activité politique que pour s'intéresser à l'histoire ou à la croissance spirituelle? À quelles valeurs notre pays doit-il adhérer? Quelles valeurs cultivons-nous dans le cyberespace?

Je crois que la technologie doit acquérir un visage humain dans les établissements d'enseignement. C'est là que nos jeunes doivent comprendre que la réussite ne se limite pas à la conquête d'une part de marché. La réussite est aussi une question de valeur, de service et de fidélité à nos racines. Honorables sénateurs, c'est là la façon canadienne et c'est le secret de la réussite de notre pays.

Oui, tout cela doit se passer dans la salle de classe. Songez un peu à nos enfants, à nos petits-enfants et à cette merveilleuse nouvelle génération qu'on appelle l'éco-boom, une vague démographique considérable, et songez à leurs exigences par rapport à nos systèmes d'enseignement supérieur. Par où commencer? Comment penser à ces jeunes, au dynamisme explosif et énergétique qui anime cette génération analytique, intelligente, avisée, innovatrice, curieuse et appuyée par le plus important mécanisme d'apprentissage de l'histoire de l'humanité, le réseau Internet? C'est une génération interactive, qui manipule avec une grande facilité des outils numériques dont le champ d'action est la planète tout entière. C'est une vague qui n'est que le début du véritable tsunami qui déferlera sur notre façon de voir l'enseignement supérieur.

Je remercie le sénateur Atkins du bon sens dont il a fait preuve en attirant notre attention sur les problèmes et les défis que connaissent nos institutions d'enseignement postsecondaire. Durant ce débat, j'ai ouvert la fenêtre sur d'autres questions qu'il faudra explorer en cette Chambre et partout au pays, à mon avis.

(1750)

L'avenir du pays sera intimement lié à la création d'une société juste et unie dans l'accès à l'information, à la création d'une véritable démocratie, la démocratie du savoir. Nous devons instaurer cette démocratie d'un océan à l'autre en veillant à ce que tous nos citoyens, toutes nos universités et tous nos jeunes aient le droit et les moyens d'emprunter l'autoroute de l'information en première classe.

(Sur la motion du sénateur Andreychuk, le débat est ajourné.)

Le budget de 2000

La déclaration du ministre des Finances-Interpellation-Suite du débat

L'ordre du jour appelle:

Reprise du débat sur l'interpellation de l'honorable sénateur Lynch-Staunton, attirant l'attention du Sénat sur le budget présenté par le ministre des Finances à la Chambre des communes le 28 février 2000.-(L'honorable sénateur Stratton).

L'honorable Terry Stratton: Honorables sénateurs, je voudrais parler du dernier budget fédéral qu'a présenté le ministre des Finances, Paul Martin.

Lorsque les Canadiens de la classe moyenne entendent des rapports élogieux sur l'économie, et qu'ils lisent que le TSE a atteint des niveaux records, bon nombre d'entre eux se demandent pourquoi ils ne peuvent pas profiter de tout cela. Ils se demandent quand ils vont commencer à récolter les fruits d'une économie plus vigoureuse.

Honorables sénateurs, ils devront attendre quelques années de plus, car le gouvernement accorde actuellement des réductions d'impôt au compte-goutte, en promettant d'autres réductions d'ici 2004. Après tout, si les impôts étaient réduits plus rapidement, où le gouvernement se procurerait-il l'argent pour construire une fontaine à Shawinigan? Nous ne pouvons pas continuer de prélever chez les Canadiens des taux d'impôt qui sont exagérément élevés par rapport à ceux des États-Unis et des autres pays du G-7. L'année dernière, le premier ministre a dit aux Canadiens qui n'étaient pas satisfaits de nos impôts qu'ils devraient quitter le pays. Quelle merveilleuse déclaration à faire aux Canadiens, surtout lorsqu'il fait construire sa fontaine. Ce genre de déclaration reflète l'opinion du monde dans les années 60 et 70.

Il y a trente ans, l'exode des cerveaux signifiait pour le Canada une économie robuste et une politique militaire impopulaire aux États-Unis. Ajoutons à cela des facteurs comme les soins de santé et la criminalité, et les Canadiens réfléchissaient longuement à la possibilité de quitter le pays.

Honorables sénateurs, les attitudes et les circonstances ont changé depuis les années 70. Les facteurs qui ont dissuadé nos gens les meilleurs et les plus compétents de s'installer aux États-Unis il y a une génération ne comptent plus beaucoup aujourd'hui. Leur nouvel employeur paiera leurs cotisations au régime d'assurance-santé, leur offrant un accès à un système où ils devront attendre des jours, et non des mois ou des années. Ils habiteront et travailleront probablement loin du centre-ville, où la criminalité pose un problème. La guerre du Viêtnam et les sentiments anti-Américains qui ont pris naissance à cette époque-là sont inconnus pour les diplômés d'aujourd'hui.

Honorables sénateurs, avant la présentation du budget, nos impôts sur le revenu des particuliers étaient les plus élevés des pays du G-7. Après sa présentation, ils sont toujours les plus élevés. Les réductions d'impôt prévues dans ce budget sont trop faibles et elles ne sont pas assez rapides. Prenons par exemple l'augmentation de 100 $ prévue cette année pour la déduction personnelle de base. Cela représente en fait une réduction d'impôt de seulement 17 $ par année, soit de 33 cents par semaine. Ces 33 cents ne permettent même pas d'acheter une tasse de café. Plus tard, en 2004, la déduction personnelle de base passera à 8 000 $, surtout en raison de l'inflation.

Honorables sénateurs, comment peut-on justifier de prélever des impôts à des Canadiens qui gagnent seulement 8 000 $, une somme inférieure à ce qu'une personne peut gagner en travaillant au salaire minimum presque partout dans notre pays? Pour commencer, la déduction personnelle de base devrait passer à 10 000 $ au moins, sinon davantage.

Puis il y a la hausse du début de la tranche de revenu du milieu qui passe de 29 590 $ cette année à 30 004 $. Cela permettra une extraordinaire économie de 72 cents par semaine - encore une fois, ce n'est pas assez pour une tasse de café. Ce qui se produit, c'est que l'inflation ne met plus le contribuable dans une tranche d'imposition plus élevée. En réalité, le gouvernement a annulé la hausse d'impôt en désindexant. Un grand nombre des réductions d'impôt promises dans le budget n'entreront en vigueur qu'une fois les prochaines élections passées. Le parti qui avait promis d'éliminer la TPS s'il était élu promet maintenant un allégement fiscal après les prochaines élections.

Je me réjouis de l'orientation générale du gouvernement, qui consiste à augmenter la prestation fiscale pour enfants et son supplément, la prestation nationale pour enfants.

Des voix: Bravo!

Le sénateur Stratton: Toutefois, la conception de ce supplément présente deux problèmes graves qu'il faudrait régler. S'il fallait additionner toutes les dispositions de récupération et les impôts auxquels font face les grosses familles, les taux d'imposition atteindraient 70 p. 100 pour les familles ayant trois enfants et nettement au-delà de 80 p. 100 pour celles qui ont plus que trois enfants. Faisons le calcul. Commençons par une famille ayant trois enfants, dont le revenu annuel sera de 28 000 $ en 2002. Supposons que le travailleur gagne 1 $ de plus.

D'abord, il y a l'impôt sur le revenu du fédéral de 17 p. 100. Ma belle province du Manitoba, à l'exemple de plusieurs autres, proposera un nouveau régime fiscal où l'impôt sera calculé sur le revenu plutôt que sur l'impôt fédéral à payer. Supposons que le résultat soit à peu près le même qu'aujourd'hui, c'est-à-dire que l'impôt provincial correspondra à 47 p.100 de l'impôt fédéral. Finalement, la différence sera d'à peine quelques points de pourcentage de plus.

Si on applique le taux d'imposition du Manitoba de 47 p. 100 au taux d'imposition fédéral de 17 p.100, on obtient 8 p. 100 de chaque dollar de revenu additionnel. Puis il y a la surtaxe provinciale de 2 p. 100 du revenu net. Ainsi, l'impôt sur le revenu fédéral et provincial totalise maintenant 27 p. 100. Il y a ensuite la disposition de récupération de 5 p. 100 du crédit de TPS. On arrive donc à 33 p. 100. Dans le cas d'une famille ayant trois enfants, en vertu de la Prestation nationale pour enfants nouvelle et améliorée, il y a une disposition de récupération de 33,4 cents sur chaque dollar gagné au-dessus d'environ 22 000 $, ce qui porte le total à 66 p. 100. Les charges sociales prendront encore 5 p. 100 des crédits d'impôt. Si l'on additionne tout cela, honorables sénateurs, on constate que 71 cents sur chaque dollar de revenu additionnel s'en va aux impôts et aux dispositions de récupération pour un écart de revenu d'environ 4 000 $.

C'est plutôt incroyable. Le gouvernement va prendre 71 cents sur chaque dollar supplémentaire que vous gagnez.

Le supplément de la prestation nationale pour enfants est conçu de telle sorte qu'il est tout à fait éliminé pour les familles de trois enfants ou moins au moment où leur revenu atteint le début de la deuxième tranche d'imposition et au moment où la récupération de la principale prestation fiscale pour enfants commence.

Qu'en est-il d'une famille de quatre enfants ou plus dont le revenu est de 31 000 $, une fois que les modifications touchant la prestation nationale pour enfants entrent en vigueur? Cette famille se retrouve maintenant dans la deuxième tranche d'imposition fédérale, avec le nouveau taux plus bas, soit 24 p. 100. Si on ajoute à cela le taux d'imposition actuel au Manitoba, cela représente une ponction fiscale de 35 p. 100. Ajoutons maintenant la surtaxe de 2 p. 100 prévue au Manitoba et la baisse de 2 p. 100 dans la valeur de la réduction d'impôt actuelle au Manitoba pour les familles à faible et moyen revenus. Cela nous ramène à 39 p. 100.

Si on ajoute à cela la récupération de 33,4 p. 100 en ce qui concerne la prestation nationale pour enfants, la récupération de 5 p. 100 quant au crédit pour TPS et la récupération de 5 p. 100 encore pour la prestation fiscale canadienne pour enfants, ainsi que les 5 p. 100 pour les charges sociales, le grand total est de 87 p. 100, ou 87 cents sur chaque dollar supplémentaire gagné.

(1800)

Je reconnais que ce taux vraiment élevé ne s'applique qu'à une fourchette très limitée d'environ 2 600 $, mais toute personne se situant dans cette fourchette est vraiment très lourdement imposée. Pourquoi créer un régime fiscal où les Canadiens au revenu très modeste perdent jusqu'à 87 p. 100 de l'argent supplémentaire qu'ils gagnent en travaillant quelques heures supplémentaires? Il vaudrait peut-être mieux pour la personne en question de refuser l'argent.

Honorables sénateurs, l'objectif de la prestation fiscale canadienne pour enfants est bon; il s'agit d'aider les familles qui en ont le plus besoin. Cependant, il y a une très grave lacune dans la conception de cette mesure en ce qui concerne la façon dont les grosses familles sont traitées. Le gouvernement pourrait peut-être envisager sérieusement de corriger le problème. J'espère que les honorables sénateurs seront d'accord avec moi.

L'honorable Wilfred P. Moore (Son Honneur le président suppléant): Honorables sénateurs, il est 18 heures. Le Sénat souhaite-t-il que je ne me préoccupe pas de l'heure?

Des voix: D'accord.

Le sénateur Stratton: Honorables sénateurs, vous devrez me pardonner. D'autres ont parlé très longtemps, et je crois qu'ils le comprennent.

Les taux d'imposition non concurrentiels auxquels sont assujetties les sociétés sont également un problème, honorables sénateurs. Il y a 40 ans, nous avions une économie axée sur les ressources qui était protégée par d'énormes barrières tarifaires. Si on voulait ces ressources, on n'avait qu'à payer des impôts élevés pour exploiter une entreprise ici. Si on voulait vendre des produits aux Canadiens, on était encouragé, à cause des droits élevés, à fabriquer des produits au Canada pour le marché canadien, même si les Canadiens payaient la note au moyen des prix plus élevés et même si les marchés d'exportation étaient difficiles à développer. C'était une époque où il ne suffisait pas de cliquer avec une souris pour que l'argent quitte instantanément le pays.

Nous ne sommes pas dans les années 60, honorables sénateurs, et les taux d'imposition revêtent une plus grande importance qu'à n'importe quel autre moment de notre histoire. Nous ne pouvons pas nous permettre d'établir des taux d'imposition des sociétés qui excèdent de 7,5 points de pourcentage la moyenne de l'OCDE. Ce budget réduit l'écart d'un point de pourcentage, avec seulement une promesse d'autres réductions d'ici 2004.

Malheureusement, le monde ne restera pas là à attendre que le Canada se rattrape. Les entreprises de notre pays luttent pour se tailler une place sur les marchés partout dans le monde. Pouvons-nous imaginer d'envoyer des athlètes aux Jeux olympiques avec de l'équipement des années 60? Bien sûr que non. Pourtant, c'est comme cela que le gouvernement s'attend à ce que nos entreprises soutiennent la concurrence.

Je vais maintenant parler de l'assurance-emploi. Honorables sénateurs, «les impôts sur la masse salariale constituent un obstacle à l'emploi.» Si vous ne me croyez pas, demandez au ministre des Finances. Cette phrase est tirée de son budget de 1994. Cette année, le gouvernement prévoit percevoir quelque 18 milliards de dollars en cotisations d'assurance-emploi, mais ne verser que 12 milliards en prestations. L'actuaire de l'assurance-emploi nous dit qu'il y a assez d'argent dans la caisse pour faire face à une véritable récession. Les cotisations pourraient facilement tomber à moins de 2 $ sans que cela ne compromette le programme. En fait, comme les recettes sont supérieures du tiers aux cotisations, ces dernières pourraient être réduites du tiers, ce qui les ramènerait à environ 1,60 $, et cela serait encore suffisant pour couvrir le coût du programme cette année. Sur une année, la différence entre 1,60 $ et 2,40 $ représente plus d'un jour et demi de salaire pour le travailleur moyen. Pendant un jour et demi, cette personne travaille pour accroître l'excédent de la caisse d'assurance-emploi.

Pourtant, honorables sénateurs, 7 milliards de dollars viendront bientôt s'ajouter aux 27 milliards que contient déjà la caisse d'assurance-emploi, ce qui portera le total cumulatif à 35 milliards de dollars au 31 mars prochain.

Le gouvernement nous dit que les cotisations à l'assurance-emploi vont baisser au cours des prochaines années de 10c. par an, pour s'établir à 2 $ en 2004. Ce n'est pas suffisant. Rien que cette année, la cotisation au RPC - ou au RRQ pour les personnes qui vivent au Québec - a augmenté de 40c. par tranche de gain de 100 $. Quand ce gouvernement a été élu, le petit travailleur qui gagnait un salaire moyen payait 753 $ par an au titre des cotisations au RPC. Cette année, il va payer 1 330 $. En 2003, il paiera 1 688 $. Ça représente une augmentation d'impôt de 900 $ par an depuis 1993. Or, pour une raison étrange, ceci n'apparaît pas dans les exemples de réduction d'impôt du gouvernement. Le gouvernement parle d'une réduction des cotisations à l'assurance-emploi, qui reste à voir, mais ne parle nulle part de l'augmentation des cotisations au RPC.

Honorables sénateurs, en théorie, le taux des cotisations à l'assurance-emploi est fixé par la Commission de l'assurance-emploi, de façon à prévoir les prestations à long terme. La loi exige que la commission tienne compte de l'argent qui se trouve dans le compte et des prestations qu'elle pourrait avoir à payer. Il est de plus en plus difficile pour le gouvernement de maintenir des taux élevés, étant donné les paramètres juridiques actuels. Si le gouvernement n'agit pas rapidement, ils sera forcé de réduire les cotisations plus vite et davantage qu'il ne le souhaite.

Il y a un indice caché à la page 66 du budget, où il est dit:

Le gouvernement examine de près les recommandations du Comité permanent des finances au sujet de la tarification future.

Honorables sénateurs, qu'a dit le comité de la Chambre des communes? Il a dit que le gouvernement devrait oublier l'argent qui est déjà dans le compte de l'assurance-emploi lorsque les taux seront fixés car «les taux des cotisations vont devoir être fixés à un niveau bien inférieur aux niveaux actuels.» Le comité de la Chambre dit plus loin:

Il faudrait que les taux des cotisations soient établis en fonction des recettes nécessaires pour couvrir les coûts du régime sur l'ensemble d'un cycle conjoncturel, sans prendre en considération les excédents ni les déficits cumulés et les intérêts créditeurs, le cas échéant.

Autrement dit, le gouvernement est sur le point de dire: «Oubliez les 35 milliards de dollars qui se trouvent dans le compte de l'assurance-emploi. Ils n'appartiennent pas aux gens qui les y ont mis. Nous allons adopter une nouvelle loi pour pouvoir maintenir les cotisations de l'assurance-emploi à un niveau très élevé.»

Il y a une autre chose qui doit être dite à propos de cet excédent cumulé de l'assurance-emploi de 35 milliards de dollars. À ce jour, le gouvernement a remboursé un total de 6 milliards de dollars de la dette fédérale. La seule façon dont il y est parvenu est en faisant payer trop cher aux Canadiens pour l'assurance-emploi. L'argent qu'ils versent à l'assurance-emploi n'est plus une cotisation au sens véritable du terme. C'est une taxe, purement et simplement.

Honorables sénateurs, permettez-moi de parler un instant du régime de santé. Je vais de nouveau faire une analogie avec les années 60 car jamais, depuis cette époque, les Canadiens ne se sont sentis aussi vulnérables face au système de santé qu'aujourd'hui. Quarante ans avant l'assurance-maladie, les Canadiens se sentaient vulnérables car un problème de santé majeur pouvait entraîner leur ruine. Aujourd'hui, ils se sentent vulnérables en raison des listes d'attente et de la pénurie de médecins créés par le sous-financement du régime de santé. S'ils ont besoin d'une nouvelle hanche, ils se sentent vulnérables parce qu'ils doivent attendre un ou deux ans. S'ils vivent dans un village, ils se sentent vulnérables parce qu'il n'y a plus de médecin sur place: il a soit pris sa retraite, soit suivi le conseil du premier ministre et quitté le pays. Même dans les zones urbaines, ils se sentent vulnérables s'ils ont besoin de voir un médecin régulièrement car si leur généraliste s'en va ou prend sa retraite, ils risquent d'attendre des mois avant de trouver un médecin qui prenne de nouveaux clients, et c'est un véritable problème.

Le gouvernement parle beaucoup des fonds que le présent budget réinvestit dans les soins de santé, mais supposons un instant que, au lieu de réduire de plus de six milliards de dollars par année les paiements de transfert versés aux provinces au titre de la santé, de l'éducation et des programmes sociaux, le gouvernement fédéral les ait simplement gelés au niveau de 1993. S'il avait fait cela, même en tenant compte des fonds qui ont été réinvestis, les transferts représenteraient malgré tout 3 milliards de dollars de plus que ce que le gouvernement fédéral a l'intention de remettre aux provinces cette année. En fait, si l'on prend une année à la fois, qu'on compare les transferts en espèces au titre de la santé, de l'éducation et des programmes sociaux aux niveaux de 1993 et qu'on additionne le tout, on constate un manque à gagner de quelque 35 milliards de dollars entre 1993 et la fin de l'horizon de planification en 2004 - j'ai bien dit 35 milliards de dollars!

Seulement dans ma province, le Manitoba, le manque à gagner représente quelque 160 millions de dollars cette année, comparativement à 1993. Le manque à gagner total pour le Manitoba, de 1993 à la fin de l'horizon de planification en 2004, représente 1,7 milliard de dollars.

(1810)

Je ne vois aucun plan à long terme pour sauver les soins de santé. Je ne vois dans le budget aucune mesure visant à réduire les listes d'attente. Je ne vois de la part du gouvernement fédéral aucune intention sérieuse de travailler avec les provinces afin de résoudre le problème.

Voyons les aspects à long terme du plan budgétaire. Le gouvernement n'a pas de plan budgétaire à long terme. On nous présente seulement des prévisions sur deux ans, même si le vérificateur général préconise des prévisions à plus long terme qui nous donneront une meilleure idée de l'état dans lequel les finances publiques se trouveront, étant donné les pressions à long terme exercées par une population vieillissante.

Le gouvernement dit que le ratio dette-PIB sera de 50 p. 100 en 2004, mais ne nous explique pas ce qu'il entend faire pour y parvenir. La seule chose que nous savons avec certitude, c'est que, à la fin de l'horizon de planification de deux ans présenté dans le budget, le rapport sera de 55 p. 100. Honorables sénateurs, je pense que des calculs simples peuvent nous montrer de quelle manière le gouvernement compte atteindre cet objectif en 2004. Si l'économie connaît une croissance de 3,4 p. 100 par année, compte tenu de l'inflation, pendant les trois années suivant 2001, le ratio dette-PIB baissera à 50 p. 100 en 2004, et ce, même si l'on ne remboursait pas un cent sur la dette. Ce n'est pas parce que la dette diminue que ce rapport va baisser.

Son Honneur le Président: Honorable sénateur Stratton, je suis désolé de devoir vous interrompre, mais vos 15 minutes sont écoulées.

Le sénateur Stratton: J'ai besoin de deux minutes de plus.

Son Honneur le Président: Est-ce d'accord, honorables sénateurs?

Des voix: D'accord.

Le sénateur Stratton: La promesse d'atteindre un ratio de 50 p. 100 de la dette au PIB est trompeuse parce que c'est la promesse de ne rien faire à l'égard de la dette globale. C'est déplorable car on ne fait rien. D'accord, le ratio de la dette au PIB est réduit à 50 p. 100, mais vous n'avez rien fait. Vous y avez consacré 6 milliards de dollars. Dans cinq ans, nous aurons encore une dette de 577 milliards de dollars et, chaque année, nous paierons encore plus de 40 milliards de dollars au titre du service de la dette, une dette qui ne sera jamais remboursée complètement.

C'est peut-être pour cette raison que le gouvernement ne nous montre que les chiffres correspondant à deux années; il veut dissimuler l'absence de progrès réel en ce qui concerne la réduction de la dette. Il nous faut des prévisions financières à long terme, nous ne saurions nous contenter de voir ce qu'il advient de la dette, nous voulons avoir une meilleure idée de ce qui entre dans les coffres du gouvernement et de ce qui en sort.

Voici un exemple qui explique bien pourquoi nous avons besoin de ces données. Tout le monde sait que l'argent accordé à la Défense dans ce budget ne servira pas à acheter les hélicoptères qui font tant défaut ni le matériel que le gouvernement annoncera, espérons-le, sous peu. Il serait utile de pouvoir jeter un coup d'oeil au plan quinquennal; au moment de l'annonce, nous pourrions voir comment cela s'inscrit dans le contexte budgétaire global.

En terminant, honorables sénateurs, j'exhorte le gouvernement à reconsidérer le rythme passablement lent qu'il entend adopter pour la réduction des impôts. C'est cette année que les Canadiens ont besoin d'une réduction d'impôt substantielle, pas dans quatre ans. Remettons de l'argent dans les poches des Canadiens, faisons du Canada un pays concurrentiel, maintenons les Canadiens au Canada, contribuons à la création d'emplois et aidons les étudiants qui ploient littéralement sous le poids de leurs dettes.

Le sénateur Robichaud: Avec un bon gouvernement libéral, nous ferons tout cela.

(Sur la motion du sénateur DeWare, le débat est ajourné.)

Énergie, environnement et ressources naturelles

Motion autorisant le comité à examiner le retrait de la Loi canadienne visant la protection de l'environnement

L'ordre du jour appelle:

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Spivak, appuyée par l'honorable sénateur Andreychuk:

Que le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles entreprenne sur le champ l'examen de la Loi canadienne visant la protection de l'environnement, comme il est recommandé à l'unanimité dans le Septième rapport du comité en date du 8 septembre 1999, qui a été déposé au Sénat le lendemain. -(L'honorable sénateur Kinsella).

L'honorable Nicholas W. Taylor: Honorables sénateurs, la question a été abordée il y une semaine environ. Il a été convenu, me semble-t-il, de retirer la motion du Feuilleton. Il a toutefois été décidé de n'en rien faire avant que le sénateur Spivak ne soit des nôtres, car le leader d'en face souhaitait lui parler. Le sénateur a fait de nombreuses apparitions depuis une dizaine de jours. Je voudrais savoir du sénateur Kinsella s'il a obtenu son accord pour retirer la motion du Feuilleton.

L'honorable Noël A. Kinsella (chef adjoint de l'opposition): Honorables sénateurs, notre collègue m'a chargé de parler en son nom, bien qu'elle soit présente. Je m'en remets à elle.

Le sénateur Taylor: Honorables sénateurs, pendant l'absence du sénateur Spivak, nous avons étudié la motion qui était inscrite au Feuilleton et qui concerne le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles. Nous avons attiré l'attention sur un communiqué récent du ministre de l'Environnement et des Ressources naturelles, selon lequel une étude avait été effectivement entreprise, comme l'avait demandé le comité dont le sénateur Spivak et moi faisons partie. Il avait alors été convenu que, cela étant, il valait peut-être mieux retirer la question du Feuilleton.

L'honorable Mira Spivak: Honorables sénateurs, je suis d'accord pour que la motion soit retirée.

Son Honneur le Président: Le sénateur Spivak demande le retrait de cette motion du Feuilleton. Êtes-vous d'accord, honorables sénateurs?

Des voix: D'accord.

(La motion est retirée.)

l'Examen de la politique canadienne antidrogue

Motion proposant la création d'un comité spécial du Sénat

L'ordre du jour appelle:

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Nolin, appuyée par l'honorable sénateur Cohen:

Qu'un comité spécial du Sénat soit formé afin de réévaluer les lois et les politiques canadiennes antidrogue, de consulter abondamment la population canadienne pour déterminer les besoins spécifiques des différentes régions du pays, plus particulièrement là où les problèmes sociaux liés au trafic et à l'usage de drogues illicites sont plus manifestes, d'élaborer des propositions pour diffuser toute information relative à la politique canadienne antidrogue et, enfin, de produire des recommandations pour en arriver à l'adoption d'une stratégie antidrogue mise au point par et pour les Canadiens encourageant tous les paliers de gouvernement à travailler en étroite collaboration à la réduction des méfaits liés à la consommation de drogues illicites;

Sans que ce qui suit ait pour effet de restreindre son mandat, que le comité soit autorisé à:

- réexaminer l'approche adoptée par le gouvernement fédéral pour combattre la consommation de drogues illicites au Canada, son efficacité comme moyen de réduire les effets de la consommation de stupéfiants et la mesure dans laquelle son application est juste;

- élaborer une politique nationale de réduction des méfaits afin d'atténuer les impacts négatifs de la consommation de drogues illicites au Canada et faire des recommandations sur la façon d'appliquer cette politique, notamment la possibilité de considérer avant tout l'usage et l'abus de drogues comme un problème sociosanitaire;

- étudier les modèles de réduction des méfaits adoptés par d'autres pays et déterminer, s'il y aurait lieu, de les appliquer partiellement ou intégralement, au Canada;

- examiner le rôle et les obligations internationales qui incombent au Canada en vertu des conventions des Nations Unies sur les stupéfiants, de la Déclaration universelles des droits de l'homme et d'autres traités connexes afin de déterminer si ces traités l'autorisent à prendre des mesures autres que les poursuites criminelles et la pénalisation des contrevenants à l'échelle internationale;

- explorer les effets du cannabis sur la santé et étudier la question de savoir si l'emploi de politiques alternatives au sujet de l'usage du cannabis conduirait à une augmentation de l'usage et de l'abus à court et à long terme;

- étudier la possibilité que le gouvernement use du pouvoir de réglementation que lui confère la Loi sur les contraventions comme moyen supplémentaire d'appliquer une politique de réduction des méfaits comme il est d'usage dans d'autres juridictions;

- étudier toute autre question relative à la politique canadienne antidrogue que le comité juge appropriée pour accomplir son mandat.

Que le comité spécial soit composé de cinq sénateurs et que le quorum soit de trois membres;

Que le comité ait le pouvoir de faire comparaître des personnes et de produire des documents, d'entendre des témoins, de faire rapport de temps à autres et de faire imprimer au jour le jour documents, mémoires et témoignages selon les instructions du comité;

Que les mémoires reçus et les témoignages entendus lors de l'examen du projet de loi C-8, Loi portant sur la réglementation de certaines drogues et de leurs précurseurs ainsi que d'autres substances par le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles durant la deuxième session de la trente-cinquième législature soient déférés au comité;

Que le comité soit habilité à autoriser, s'il le juge opportun, la radiodiffusion, la télédiffusion et la diffusion par le biais des médias électroniques de la totalité ou d'une partie de ses délibérations et des informations qu'il détient;

Que le comité soit autorisé à siéger pendant les ajournements du Sénat en vertu du paragraphe 95(2) du Règlement du Sénat; et

Que le comité présente son rapport final au plus tard trois ans après la date de sa création.-(L'honorable sénateur Hays).

L'honorable Anne C. Cools: Honorables sénateurs, c'était mon intention de prendre la parole sur cette motion. Je suis très consciente du fait que le sénateur Nolin souhaite vivement faire avancer l'étude de la motion et mettre le processus en mouvement.

Cela dit, honorables sénateurs, je tiens à féliciter le sénateur Nolin d'avoir soulevé la question. J'aimerais affirmer officiellement que je crois que les initiatives des sénateurs dans le vaste domaine de l'étude du bien public sont les bienvenues et qu'elles méritent d'être appuyées et encouragées.

J'avais l'intention de soulever certaines questions en rapport avec le sujet à l'étude dont le sénateur Nolin pourrait vouloir tenir compte lorsque le comité entreprendra ses travaux. Toutefois, je pourrai le faire une fois que le comité aura entrepris ses travaux.

Je suis donc prête à passer la parole au sénateur Nolin pour qu'il puisse proposer sa motion. Je le remercie de son initiative.

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, j'aimerais faire savoir au Sénat que, si le sénateur Nolin prend la parole maintenant, son discours aura pour effet de clore le débat sur cette motion.

[Français]

L'honorable Pierre Claude Nolin: Honorables sénateurs, je propose l'adoption de la motion.

Son Honneur le Président: Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?

Des voix: D'accord.

(La motion est adoptée.)

[Traduction]

(1820)

La défense nationale

Motion visant à établir un comité sénatorial spécial chargé d'examiner la conduite du personnel au cours de la mission en Somalie et la destruction de dossiers médicaux du personnel en mission en Croatie-Suite du débat

L'ordre du jour appelle:

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Lynch-Staunton, appuyée par l'honorable sénateur Kinsella:

Qu'un comité spécial du Sénat soit constitué afin d'enquêter et de faire rapport sur deux questions importantes qui touchent la conduite de la chaîne de commandement des Forces canadiennes, autant dans les opérations sur le théâtre qu'au quartier général de la Défense nationale: c'est-à-dire sa réaction aux problèmes opérationnels, décisionnels et administratifs qui se sont manifestés au cours du déploiement de forces en Somalie, dans la mesure où ces questions n'ont pas été approfondies par la Commission d'enquête sur le déploiement des Forces canadiennes en Somalie; et les allégations selon lesquelles des troupes canadiennes ont été exposées à des substances toxiques en Croatie entre 1993 et 1995 de même que les allégations de destruction des dossiers médicaux de militaires envoyés en Croatie;

Que le comité, dans l'examen des questions précédentes, soit habilité à interroger des témoins qui, selon lui, pourraient contribuer au déroulement de l'enquête, notamment, mais non exclusivement:

1. L'actuel ministre de la Défense, quant aux deux questions spécifiées;

2. D'anciens ministres de la Défense, quant aux deux questions spécifiées;

3. Le sous-ministre de la Défense nationale à l'époque, quant aux deux questions spécifiées;

4. Le chef de cabinet du ministre de la Défense nationale à l'époque, quant aux incidents survenus en Somalie;

5. Le conseiller spécial du ministre de la Défense nationale à l'époque (M. Campbell), quant aux incidents survenus en Somalie;

6. Le conseiller spécial du ministre de la Défense nationale à l'époque (J. Dixon), quant aux incidents survenus en Somalie;

7. Les personnes ayant occupé le poste de juge-avocat général pendant la période concernée, quant aux incidents survenus en Somalie;

8. Le juge-avocat général adjoint - Litiges à l'époque, quant aux incidents survenus en Somalie; et

9. Le chef d'état-major de la Défense et le sous-chef d'état-major de la Défense à l'époque, quant aux deux questions spécifiées.

Que sept sénateurs nommés par le Comité de sélection remplissent les fonctions de membres du comité spécial, et que trois constituent le quorum;

Que le comité soit autorisé à convoquer des personnes, à faire produire des documents et des dossiers, à entendre des témoins assermentés, à faire rapport de temps à autre et à faire imprimer au jour le jour documents et témoignages selon les instructions du comité;

Que le comité soit habilité à autoriser, s'il le juge opportun, la radiodiffusion et la télédiffusion de la totalité ou d'une partie de ses délibérations;

Que le comité soit autorisé à retenir les services de conseillers, professionnels, techniciens, employés de bureau ou d'autres personnes nécessaires, pour l'aider à mener son étude;

Que les partis politiques représentés au comité spécial reçoivent une allocation pour la contribution de spécialistes aux travaux du comité;

Que le comité soit autorisé à voyager à l'intérieur et à l'extérieur du Canada;

Que le comité soit autorisé à siéger pendant les séances et les congés du Sénat;

Que le comité soumette son rapport un an au plus après sa formation, et que si le Sénat ne siège pas au moment où le rapport est déposé, celui-ci soit considéré comme ayant été déposé le jour où il est remis au greffier du Sénat.-(L'honorable sénateur Bryden).

L'honorable John G. Bryden: Honorables sénateurs, je vais parler brièvement de cette motion inscrite à mon nom. Il existe plusieurs raisons pour lesquelles nous ne devrions pas donner suite à cette motion, dont le fait qu'elle est là depuis longtemps, sous diverses formes, et qu'il faudrait la reformuler.

La raison la plus importante est, je crois, que le temps a passé au point où de nombreuses personnes ne sont plus disponibles pour témoigner. De nombreuses choses se sont passées au ministère de la Défense nationale. Peut-être vaudrait-il mieux évaluer l'évolution des choses plus tard.

Je n'ai donc pas l'intention d'appuyer cette motion, comme, je le crois, la majorité des sénateurs de ce côté-ci.

(Sur la motion du sénateur Kinsella, le débat est ajourné.)

Affaires juridiques et constitutionnelles

Retrait de l'avis de motion visant à autoriser le comité à se réunir en même temps que le Sénat

L'ordre du jour appelle:

Que le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles soit autorisé à siéger à 15 h 30 mercredi prochain, le 12 avril 2000, même si le Sénat siège à ce moment-là, et que l'application du paragraphe 95(4) du Règlement soit suspendue à cet égard.

L'honorable Lorna Milne: Honorables sénateurs, je demande le consentement du Sénat pour retirer cette motion.

Son Honneur le Président: Les honorables sénateurs sont-ils d'accord pour que la motion soit retirée du Feuilleton?

Des voix: D'accord.

(La motion est retirée.)

[Français]

Transports et communications

Retrait de l'avis de motion visant à autoriser le comité à se réunir en même temps que le sénat

L'ordre du jour appelle:

Que le Comité sénatorial permanent des transports et des communications soit autorisé à siéger à 17 h 30 le mercredi 12 avril 2000 pour son étude du projet de loi S-17, Loi concernant la responsabilité en matière maritime et la validité de certains règlements, même si le Sénat siège à ce moment-là, et que l'application du paragraphe 95(4) du Règlement soit suspendue à cet égard.

L'honorable Lise Bacon: Honorables sénateurs, je demande la permission du Sénat de retirer cette motion.

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, la permission est-elle accordée de retirer cette motion?

Des voix: D'accord.

(La motion est retirée.)

[Traduction]

Projet de loi donnant effet à l'exigence de clarté formulée par la Cour suprême du Canada dans son avis sur le Renvoi sur la sécession du Québec

Motion visant à donner instruction d'amender au comité-Recours au Règlement-Ajournement du débat en attendant la décision du Président

L'honorable John Lynch-Staunton (chef de l'opposition), conformément à l'avis donné le 10 avril 2000, propose:

Qu'au moment du renvoi du projet de loi C-20 au comité, ce dernier reçoive instruction d'amender ledit projet de loi de manière à faire du Sénat du Canada un partenaire égal à la Chambre des communes, et de faire rapport en conséquence.

L'honorable Dan Hays (leader adjoint du gouvernement): Honorables sénateurs, j'invoque le Règlement à propos de cette motion. Il est de mon devoir d'attirer l'attention du Sénat sur un point qui n'est peut-être pas réglementaire.

La question que soulève la motion no 61, proposée par le sénateur Lynch-Staunton, est de savoir si le Sénat peut donner mandat à un comité de faire quelque chose qu'il a déjà le pouvoir de faire. Selon les autorités que j'ai consultées, une instruction à un comité doit lui permettre de faire quelque chose.

Cela ressemble à une affaire sur laquelle Son Honneur s'est prononcée, le 30 novembre 1995, au sujet d'une motion proposée par le sénateur Carstairs, alors leader adjoint du gouvernement, comme on peut le lire à la page 2391 du hansard du Sénat de ce jour-là. Dans son jugement, Son Honneur cite une décision rendue, le 10 mars 1971, par le Président Deschâtelets. La citation renvoie ainsi à Bourinot:

Bourinot cite de nombreux précédents où des instructions données à des comités ont été déclarées irrecevables parce que le comité en question était déjà habilité à prendre la mesure indiquée.

Honorables sénateurs, il est possible, sinon probable, que le Sénat charge un comité spécial d'étudier le projet de loi C-20. Le projet de loi peut aussi être renvoyé à un comité permanent ou au comité plénier. Ce sont là trois possibilités et, avec un peu d'imagination, on peut en trouver d'autres.

De toute façon, je crois que cette motion est irrecevable pour les raisons énoncées. Je ne veux pas m'étendre là-dessus parce que je crois que la question est bien traitée dans un jugement que Son Honneur a rendu assez récemment.

L'honorable Noël A. Kinsella (chef adjoint de l'opposition): Honorables sénateurs, je crois que cette motion est tout à fait recevable quant à la forme et, surtout, quant au fond. Elle ne se compare en rien au cas auquel l'honorable sénateur fait allusion. C'est la première fois dans l'histoire du Sénat qu'une mesure législative qui nous est soumise défie notre pouvoir et notre consentement. Il s'agit d'une mesure législative très particulière et la motion constitue une réaction à cette attaque sans précédent qui vise à rabaisser le Sénat du Canada.

Au cours du débat en deuxième lecture sur le projet de loi C-20, des sénateurs des deux côtés ont fait état de sérieuses préoccupations à l'égard de ce projet de loi, car il amoindrirait le Sénat du Canada au cours de notre mandat. Nous devons donner une orientation claire à un comité, que ce soit le comité plénier, un comité spécial ou le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Étant donné les circonstances particulières et exceptionnelles dans lesquelles nous nous trouvons, nous devons donner comme instruction au comité qui étudie le projet de loi, quel qu'il soit, de s'occuper de la sérieuse menace qui pèse sur le Sénat du Canada.

Au moment de considérer si la motion est recevable, ce dont je suis convaincu, je crois que SOn Honneur doit se demander si le projet de loi lui-même est constitutionnel du point de vue du Sénat. Je soutiens qu'à cet égard, il est anticonstitutionnel; que nous n'avons pas le pouvoir d'étudier un projet de loi dont l'objectif est de briser le Canada. Un tel projet de loi n'a jamais été présenté au Parlement. Je ne crois pas qu'il existe de fondements parlementaires justifiant l'étude de ce projet de loi par le Sénat.

Par conséquent, Son Honneur voudra peut-être déterminer si le projet de loi est constitutionnel. Évidemment, s'il ne l'est pas, il n'aura pas à se soucier de la première partie.

Le sénateur Lynch-Staunton: Honorables sénateurs, j'attire votre attention sur le commentaire 896 de Jurisprudence parlementaire de Beauchesne:

(1) Une fois proposée la motion portant adoption, la Chambre peut renvoyer de nouveau le rapport au comité pour plus ample étude ou avec instruction de le modifier.

Certains diront que le projet de loi doit encore être renvoyé. La motion en tient compte en disant qu'au moment du renvoi, nous donnerons une instruction au comité.

(1830)

Je crois qu'il convient tout à fait de donner instruction au comité et de lui demander de faire rapport en conséquence. Certains pourront avoir des réserves par rapport à l'ordonnancement des événements, mais personne ne s'opposera au fait de donner instruction. On a tenu compte de l'ordre des événements en disant «au moment du renvoi du projet de loi C-20 au comité». Si le projet de loi n'est pas renvoyé, il n'y a pas d'instruction; une fois qu'il est renvoyé, le comité reçoit instruction ou non, à la discrétion du Sénat.

L'honorable Nicholas W. Taylor: Honorables sénateurs, je désire faire un bref commentaire.

À la page 614 dans Erskine May - et Son Honneur le Président voudra sans doute voir cela plus en détail - au sujet de la modification d'un renvoi et des instructions s'adressant aux comités, à la Chambre des lords et à tout autre Parlement, on décrit en détail ce que la Chambre peut faire en modifiant les instructions, en changeant l'ordre original et en limitant, ou en augmentant, les pouvoirs du comité. Tout cela est expliqué au deuxième paragraphe de cette page. Je suis convaincu que Son Honneur apprécierait grandement la lecture de ce paragraphe.

Le sénateur Hays: La seule nouvelle question qui a été soulevée demandait si, oui ou non, le projet de loi est inconstitutionnel, c'est-à-dire s'il va au-delà des pouvoirs du Sénat. C'est une application assez inhabituelle de l'expression. Nous l'entendons habituellement dans son sens constitutionnel et par rapport aux différents ordres de gouvernement, soit fédéral ou provincial, mais je ne l'ai jamais encore entendue dans le contexte du Parlement.

Le projet de loi, je le concède, ne se compare pas à ceux que nous recevons habituellement du gouvernement. Cependant, je puis assurer à Son Honneur et à tous les sénateurs que le fait d'étudier un projet de loi comme le projet de loi C-20, dont nous sommes saisis maintenant, ne va pas du tout au-delà des pouvoirs du Parlement, y compris ceux de cette Chambre du Parlement, bien entendu. Je tenais à clarifier ce point, au cas où celui-ci s'ajouterait aux arguments voulant que nous soyons habilités à donner instruction pour autoriser un comité, et non pas à donner mandat à un comité de faire quelque chose qu'il a le pouvoir de faire de toute façon.

L'honorable Anne C. Cools: Honorables sénateurs, c'est tout à fait nouveau pour moi. Je trouve cela très intéressant et je crois que la question mérite un long débat. Son Honneur doit prendre une décision par rapport à un recours au Règlement qui ne porte pas sur le Règlement, mais plutôt sur une véritable question de fond.

Je veux d'abord dire que le Président est censé être le premier et le plus ardent défenseur de ces pouvoirs et privilèges. Le deuxième plus ardent défenseur est censé être le ministre de la Couronne qui, au Sénat, remplit les fonctions de leader du gouvernement.

La motion dit précisément que «ce dernier reçoive instruction d'amender ledit projet de loi de manière à faire du Sénat du Canada un partenaire égal à la Chambre des communes, et de faire rapport en conséquence». Ce que nous avons devant nous est un rappel au Règlement au sujet du projet de loi C-20. Un aspect important de cette motion et de la question que le Président devra trancher - et il sera intéressant de voir comment cela se fera - est de savoir si le projet de loi C-20 lui-même place le Sénat au rang de «partenaire égal à la Chambre des communes». La question fondamentale soulevée par la motion est celle de savoir si le Sénat du Canada est ou non un partenaire égal à la Chambre. Bien que l'on n'ait pas discuté de cette motion, celle-ci présume fondamentalement que le comité va juger que le projet de loi C-20 ne confère pas au Sénat le statut de partenaire égal. La motion demande au Sénat de corriger cette lacune ou ce problème particulier.

Honorables sénateurs, tout cela est bien intéressant parce que, au premier abord, une directive donnée à un comité est toujours recevable. Elle est aussi recevable si elle est donnée au comité au stade particulier qu'est la deuxième lecture. Par conséquent, la question que doit trancher Son Honneur le Président est celle de savoir si un sénateur peut laisser entendre que le projet de loi C-20 est problématique parce qu'il dit implicitement que le Sénat du Canada n'est pas un partenaire égal dans la Constitution du Canada.

Honorables sénateurs, lorsque Son Honneur prendra cette question en délibéré, je lui saurais gré d'être fort et de faire la distinction entre ce qui est irrecevable et ce qui est défectueux. Il y a des motions qui sont déficientes, des motions qui sont incomplètes, et il y en a d'autres qui sont inadéquates, mais il est tout à fait possible que des motions incomplètes, déficientes et inadéquates soient recevables. Je fais respectueusement valoir à Son Honneur que s'il décidait que chaque motion inadéquate, déficiente ou incomplète présentée au Sénat était irrecevable, il en rejetterait toute une série. Honorables sénateurs, je propose donc que l'on établisse cette distinction entre une motion «déficiente» et une motion «recevable».

Ma prochaine intervention porte sur le projet de loi C-20 et sur la question de savoir si nous en sommes saisis comme il convient. Je trouve cela fascinant parce que la Cour suprême a commencé par nous dire qu'il n'existe pas de loi sur la question d'un droit légitime à la sécession. Si une telle loi n'existe pas, sur quoi se fonde le projet de loi C-20? C'est une question fort intéressante, honorables sénateurs, parce que le projet de loi C-20 propose d'isoler le Sénat du Parlement du Canada. C'est un processus fort intéressant. Je citerai l'article 17 de la Loi constitutionnelle de 1867, qui précise ce qui suit:

17. Il y aura, pour le Canada, un parlement qui sera composé de la Reine, d'une Chambre haute appelée le Sénat, et de la Chambre des Communes.

De toute évidence, le Sénat ne peut être isolé du Parlement du Canada. L'article 18 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique est ainsi libellé:

18. Les privilèges, immunités et pouvoirs que posséderont et exerceront le Sénat et la Chambre des Communes et les membres de ces corps respectifs, seront ceux prescrits de temps à autre par loi du Parlement du Canada; mais de manière à ce qu'aucune loi du Parlement du Canada définissant tels privilèges, immunités et pouvoirs ne donnera aucuns privilèges, immunités ou pouvoirs excédant ceux qui, lors de la passation de la présente loi, sont possédés et exercés par la Chambre des Communes du Parlement du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d'Irlande et par les membres de cette Chambre.

La Loi constitutionnelle dit très clairement que le Sénat du Canada est une institution à part entière au même titre que la Chambre des communes. La question devient alors: comment un simple projet de loi de la Chambre des communes peut-il abroger les pouvoirs qui nous sont conférés par l'article 18?

Son Honneur le Président: Honorable sénateur Cools, j'hésite à vous interrompre, mais vous traitez ici du fond du projet de loi, et non pas du recours au Règlement dont est saisi le Sénat.

Le sénateur Cools: Je ne le crois pas. Qu'on me corrige si je me trompe, mais le fond de la motion dont on demande qu'elle soit jugée irrecevable est que le comité «reçoive instruction d'amender ledit projet de loi de manière à faire du Sénat du Canada un partenaire égal à la Chambre des communes...»

(1840)

Ce que j'essaie de montrer très clairement, c'est que, si cette motion est imparfaite d'une façon ou d'une autre, elle demeure recevable tant que le Sénat n'en a pas décidé autrement au moyen d'un débat. Autrement dit, la véritable question est de savoir comment on en arrive à ces conclusions. J'estime, honorables sénateurs, qu'on en arrive à ces conclusions à la fin d'un débat sous la forme d'une opinion du Sénat lui-même.

J'en aurai long à dire sur le contenu du projet de loi lorsque nous en viendrons là. Il est très clair que nous avons légèrement outrepassé notre mandat et que nous devrions peut-être débattre de la question de savoir si le projet de loi C-20 est conforme à la loi du Parlement. Au bout du compte, la loi du Parlement inspirera toute décision que Son Honneur devra prendre. La question est de savoir si cette motion est conforme aux règles sur lesquelles le Sénat doit se guider. Autrement dit, la motion est-elle conforme aux intérêts du Sénat et au rôle constitutionnel qui a été confié aux honorables sénateurs, au Sénat?

Comme je l'ai déjà dit, honorables sénateurs, je ne traite pas de la teneur du projet de loi C-20 en tant que telle, mais le sénateur Lynch-Staunton a soulevé une très importante question qui concerne le caractère approprié de l'exclusion du Sénat du projet de loi C-20.

Le sénateur Lynch-Staunton: Honorables sénateurs, je n'avais pas l'intention de prendre la parole, mais j'ai entendu le sénateur Taylor citer Erskine May au sujet des procédures de la Chambre des lords. Je voudrais citer directement la source, soit le Companion to the Standing Orders and Guide to the Proceedings of the House of Lords, édition de 1994, page 116, sous la rubrique «Instructions». La voici:

Les instructions à tout comité sur un projet de loi peuvent être proposées après la deuxième lecture. Il peut s'agir d'instructions permettant au comité de faire quelque chose qu'il ne pourrait faire autrement, comme diviser le projet de loi en deux; ou d'instructions prescrivant une ligne de conduite, comme l'omission de certaines dispositions ou l'étude de dispositions et d'annexes dans un ordre différent de celui du projet de loi. Les instructions visant à élargir la portée des projets de loi ne sont pas souhaitables.

... mais pas interdites...

Nous sommes d'avis que nous pouvons ordonner au comité de prendre une mesure obligatoire. Là où je suis d'accord pour dire qu'il existe une zone grise, c'est en ce qui a trait au moment de la démarche. Les lords disent après la deuxième lecture. Beauchesne n'est pas aussi précis, mais il semble sous-entendre que des directives doivent avoir été envoyées au comité avant de proposer une telle motion. Je n'aurais absolument aucune objection à ce que nous le faisions maintenant ou plus tard, mais je veux plus de clarté, si je puis me permettre d'employer ce mot, sur le droit que nous avons d'agir de la sorte.

Le sénateur Hays: J'ai une observation à formuler, suite aux interventions des sénateurs Cools et Kinsella.

Je pense que Son Honneur devrait être dissuadé de rendre une décision relativement à quelque chose dont il n'est pas saisi, à savoir la motion dont nous débattons, soit la recevabilité du projet de loi comme tel.

[Français]

L'honorable Pierre Claude Nolin: Honorables sénateurs, cette fois-ci, Son Honneur aura une décision facile à prendre et voici pourquoi.

S'il juge que l'amendement proposé par le sénateur Lynch-Staunton n'est pas recevable, il ira à l'encontre de la Constitution du Canada. Je suis convaincu qu'il ne veut pas faire cela.

A contrario, si l'amendement du sénateur Lynch-Staunton mentionnait que le Sénat n'est pas le partenaire égal de la Chambre des communes, je suis convaincu que Son Honneur ne voudrait pas décider cela.

Il n'en tient qu'à Son Honneur de maintenir l'article 17 de la Constitution qui, dans sa rubrique intitulée: «Pouvoirs législatifs», dit que le Parlement du Canada est composé de la Reine, d'une Chambre haute - appelée le Sénat - et de la Chambre des communes. Ce sera donc pour Son Honneur une décision très facile à rendre.

[Traduction]

Son Honneur le Président: S'il n'y a aucun autre sénateur qui désire prendre la parole, je remercie tous les honorables sénateurs qui ont participé au débat. Il est toujours intéressant de prendre connaissance de décisions antérieures rendues par la présidence, même si celles-ci sont parfois un peu déconcertantes. Quoi qu'il en soit, je prends toute la question en délibéré.

Projet de loi concernant l'Accord définitif nisga'a

Motion de renvoi à six mois de la troisième lecture

L'honorable Dan Hays (leader adjoint du gouvernement): Honorables sénateurs, conformément à l'article 38 du Règlement, je propose:

Que, relativement au projet de loi C-9, Loi portant mise en vigueur de l'Accord définitif nisga'a, au plus tard le jeudi 13 avril 2000 à 15 h 15, tous travaux devant le Sénat soient interrompus et que toutes questions nécessaires pour disposer de la troisième lecture du projet de loi soient posées sans autre débat ou amendement, et qu'aucun vote sur lesdites questions ne soit reporté; et

Que, si un vote par appel nominal est demandé, le timbre d'appel des sénateurs sonne durant quinze minutes pour que le vote ait lieu à 15 h 30.

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, comme on l'a précisé plus tôt, il y a eu entente entre l'honorable sénateur Hays et l'honorable sénateur Kinsella. L'honorable sénateur Kinsella appuie-t-il la motion?

L'honorable Noël A. Kinsella (chef adjoint de l'opposition): Oui, honorables sénateurs.

Son Honneur le Président: Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?

Des voix: D'accord.

(La motion est adoptée.)

Ajournement

Permission ayant été accordée de revenir aux avis de motion:

L'honorable Dan Hays (leader adjoint du gouvernement), avec la permission du Sénat et nonobstant l'alinéa 58(1)h) du Règlement, propose:

Que, lorsque le Sénat ajournera aujourd'hui, il demeure ajourné jusqu'à demain, le mercredi 12 avril 2000, à 13 h 30;

Que, à 15 h 30 demain, si le Sénat n'a pas terminé ses travaux, le Président interrompe les délibérations pour ajourner le Sénat;

Que, si un vote est différé à 17 h 30 demain, le Président interrompe les délibérations à 15 h 30 pour suspendre la séance jusqu'à 17 h 30 pour la mise aux voix du vote différé; et

Que tous les points figurant à l'Ordre du jour et au Feuilleton des avis, qui n'ont pas été abordés, demeurent dans leur ordre actuel.

(La motion est adoptée.)

(Le Sénat s'ajourne au mercredi 12 avril 2000, à 13 h 30.)


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