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RIDR - Comité permanent

Droits de la personne


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES DROITS DE LA PERSONNE

TÉMOIGNAGES


EDMONTON, le jeudi 8 septembre 2022

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd’hui, à 13 h 27 (HR), pour examiner les questions qui pourraient survenir concernant les droits de la personne en général.

La sénatrice Salma Ataullahjan (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, je m’appelle Salma Ataullahjan, sénatrice de Toronto et présidente de ce comité. C’est avec une extrême tristesse que nous avons appris le décès de Sa Majesté la Reine Elizabeth II. Au nom du Sénat du Canada, nous offrons nos sincères condoléances à Sa Majesté et à tous les membres de la famille royale. Honorables sénateurs, mesdames et messieurs, nous allons maintenant observer une minute de silence.

(Les personnes présentes se lèvent pour observer une minute de silence.)

La présidente : Nous tenons aujourd’hui une réunion du Comité sénatorial permanent des droits de la personne, et j’aimerais profiter de l’occasion pour vous présenter les membres du comité qui participent à cette réunion. Voici le sénateur Arnot, de la Saskatchewan; la sénatrice Jaffer, de la Colombie-Britannique; la sénatrice Martin, de la Colombie-Britannique, et la sénatrice Simons de l’Alberta.

Après avoir tenu deux réunions en juin, à Ottawa, nous continuons aujourd’hui notre étude sur l’islamophobie au Canada, conformément à notre ordre de renvoi général. Notre étude portera, entre autres, sur le rôle de l’islamophobie dans la violence en ligne et hors ligne contre les musulmans, la discrimination générale, ainsi que la discrimination en matière d’emploi, y compris l’islamophobie dans la fonction publique fédérale.

Notre étude portera également sur la source de l’islamophobie, ses répercussions sur les gens, notamment sur la santé mentale et la sécurité physique, ainsi que sur les solutions possibles et les réponses des gouvernements.

Nous sommes heureux d’être ici, à Edmonton, et d’entendre des témoins sur l’islamophobie dans cette région du pays. Il s’agit de la deuxième de nos audiences publiques à l’extérieur d’Ottawa. Hier, nous étions à Vancouver, et dans deux semaines, nous nous réunirons à Québec et à Toronto.

Permettez-moi de vous donner quelques détails sur la réunion d’aujourd’hui. Cet après-midi, nous aurons deux blocs de discussion d’une heure avec des témoins invités. Chaque heure, nous entendrons d’abord les témoins, puis les sénateurs auront l’occasion de leur poser des questions. Il y aura une courte pause vers 15 h 15. De plus, le comité s’est réservé du temps, en fin d’après-midi, pour entendre de brèves interventions de cinq minutes de membres du public, sans séance de questions et réponses. Si vous souhaitez participer à ce segment de la réunion, vous devez vous inscrire à l’avance auprès du personnel du comité assis à la table située au fond de la salle.

Je vais maintenant vous présenter notre premier groupe de témoins. Chaque témoin est invité à faire une déclaration préliminaire d’environ cinq minutes, et je vous demanderais de ne pas dépasser six ou sept minutes, tout au plus, parce que nous voulons nous garder suffisamment de temps pour que les sénateurs posent des questions. La même limite est imposée aux sénateurs lorsqu’ils posent des questions.

Je vais vous présenter notre premier groupe de témoins. Nous vous avons demandé de faire des déclarations d’ouverture, et nous allons entendre tous les témoins, après quoi nous passerons aux questions des sénateurs. Nous accueillons Omar Yaqub, serviteur des serviteurs (directeur général) de l’Association des services sociaux et familiaux islamiques; Ibtissam Nkaili, analyste financière principale à Exportation et développement Canada; Timiro Mohamed, poétesse, et Nasra Adem, chef de Black Arts Matter, poète, artiste et activiste queer.

Nous allons commencer par M. Yaqub.

Omar Yaqub, serviteur des serviteurs, Association des services sociaux et familiaux islamiques : Merci. Commençons par honorer le Créateur, Dieu, Allah, qui est connu sous de nombreux noms et qui a révélé qu’il est le plus gracieux, le plus miséricordieux. Nous lui demandons de bénir ce comité sénatorial et la terre vénérée sur laquelle se tient cette réunion, une terre que nous reconnaissons comme la terre ancestrale des peuples autochtones et métis, des Cris, des Pieds Noirs, des Sioux Nakota, des Iroquois, des Dénés, des Ojibway, des Saulteaux, des Anishinaabe, des Inuits et de bien d’autres auxquels nous sommes liés par des traités, par notre humanité commune et par un appel sacré à la fraternité, à la sororité et au devoir civique.

Je vous parle en tant que co-lauréat historien d’Edmonton et en tant que personne qui soutient l’Association des services sociaux et familiaux islamiques, l’ASSFI, un organisme de changement social. Notre association est un organisme de bienfaisance reconnu par Imagine Canada et Great Places to Work, elle a reçu le prix de l’inspiration du gouvernement de l’Alberta pour la lutte contre la violence familiale, le prix des soins professionnels de l’Association canadienne pour la santé mentale, le prix YEG Startup Pivot of the Year et plus encore.

L’Association des services sociaux et familiaux islamiques soutient la mère qui fuit la violence sans l’obliger à renier son identité et sans compromettre sa sécurité. Nous venons en aide aux personnes à la recherche de conseils qui respectent leurs valeurs. Nous aidons les jeunes à la recherche d’une plateforme créative qui valorise et amplifie leur voix. Nous sommes un centre où la communauté contribue et guérit.

En plus d’un travail holistique de première ligne en situation de crise, nous menons des recherches nationales sur l’aumônerie en prison et le placement en famille d’accueil de membres de communautés en quête d’équité, ainsi que sur le logement abordable pour les familles nombreuses et élargies, et nous offrons de la formation aux prestataires de soins communautaires informels sur la façon de traiter la désinformation et la mésinformation dans les médias hyperlocaux.

Lorsque des événements déclencheurs surviennent, comme la douzaine d’attaques contre des femmes musulmanes voilées de couleur noire, notre équipe réagit en fournissant aux victimes et à la communauté un soutien adapté en matière de santé mentale, en organisant des rassemblements de guérison, en menant des actions de sensibilisation auprès des partenaires et en interagissant avec les médias et les plateformes sociales.

La société dispose de systèmes pour s’occuper des victimes de crimes directs. Un cambriolage peut faire l’objet d’un suivi de l’unité des services aux victimes de la police, mais la situation est différente pour les crimes haineux et la rhétorique islamophobe. Ils déclenchent des traumatismes indirects qui se répercutent sur les communautés. Les victimes peuvent se trouver à des milliers de kilomètres du lieu de l’incident, mais leur traumatisme peut être débilitant.

Mon plus grand défi est d’aborder le traumatisme alors que je suis moi-même traumatisé. Lorsque j’entends parler d’une attaque haineuse ou du projet de loi 21, je dois gérer la peur que je ressens, la peur que ma femme ressent lorsqu’elle sort de la maison, la peur que mon équipe ressent en venant travailler. Mon équipe et moi devons créer, planifier et maintenir un espace pour la communauté alors que nous sommes nous-mêmes ébranlés. Nous luttons contre le feu alors que nous sommes nous-mêmes brûlés par le feu.

Pour guérir le traumatisme collectif, nous devons commencer par trois choses. Premièrement, nous devons favoriser la réconciliation en soutenant les diverses communautés, en créant des ponts et des liens entre elles. Une discussion sur l’islamophobie qui ne s’appuie pas sur la réconciliation restera incomplète. Les attaques contre les femmes noires musulmanes et celles contre les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées sont profondément liées. Nous savons, grâce aux révélations des tribunaux, que les auteurs de nombreux incidents haineux sont des survivants des pensionnats. Ceux-ci doivent résister aux réactions réflexes de vengeance et de punition plus sévère. Nous devons prendre conscience du fait que les causes profondes du problème sont profondément ancrées dans l’histoire canadienne, et favoriser une approche réparatrice si nous voulons obtenir justice et guérison.

Depuis sept ans, la société Bent Arrow et l’Association des services sociaux et familiaux islamiques travaillent main dans la main pour accueillir les réfugiés à l’aéroport au moyen de cérémonies, de chants et de danses traditionnelles. Nos organismes et nos communautés célèbrent et apprennent ensemble. Ce comité sénatorial doit encourager la collaboration entre les communautés autochtones et les communautés de colons non européens pour que la guérison collective ait lieu.

Deuxièmement, il faut investir dans les voix des communautés. Nous ne pourrons pas enrayer la haine en ligne à coups de restrictions et de mesures de coercition. Il faut au contraire investir dans les expressions positives de l’identité. Par exemple, le « Mosquers » est un festival de cinéma local qui existe depuis 15 ans. Il met de l’avant et fait connaître des artistes musulmans locaux. Bien qu’il s’agisse du plus grand festival de ce genre au monde, il ne bénéficie d’aucun financement fédéral. Ses interactions avec le ministère du Patrimoine canadien constituent un exemple typique de ce à quoi ressemble la discrimination systémique. Ce comité doit réclamer l’élévation des voix musulmanes par les arts et l’élimination des obstacles au financement des organisations musulmanes.

Troisièmement, nous devons élargir notre vision du monde et faire passer le débat de la phobie à la mawadda, l’affection communautaire. Le traumatisme que nous vivons ne peut être dissipé par les systèmes coloniaux qui l’ont perpétué ou par une approche fondée sur le déficit et la peur. Nous devons passer de l’islamophobie, la peur des musulmans, à la mawadda, le terme arabe désignant l’affection communautaire. Nous pouvons, pour cela, nous inspirer de perspectives islamiques. Cela pourrait nous aider à innover et à gérer différemment une pauvreté insoluble, le racisme et divers autres maux.

Les cercles autochtones de détermination de la peine et les exercices de justice réparatrice ne sont pas seulement meilleurs pour les Autochtones, ils sont meilleurs pour tout le monde. L’islam est une riche tradition millénaire qui a beaucoup à offrir à notre époque.

Il existe de nombreux excellents exemples de ce à quoi pourrait ressembler une approche fondée sur la mawadda. Il y en a un exemple qui mérite d’être célébré ici, soit celui du tapis de prière canadien, une œuvre d’art textile qui montre ce à quoi ressemble une tradition riche. Ce tapis est l’œuvre de jeunes qui se sont mis à l’écoute des aînés et des premiers à travailler avec des artistes métis et musulmans; ils ont magnifiquement tissé la tradition islamique avec les histoires locales.

Je demande à la chambre du second examen objectif de remettre en question le règne de la peur pour se laisser plutôt guider par l’amour. La mawadda peut vous sembler étrange ou audacieuse. Mais pourquoi donc? Pourquoi nous contenter de moins? Je vous remercie.

La présidente : Merci. Je me tourne maintenant vers vous, Ibtissam Nkaili. Je suis désolée, je suis sûre que je prononce mal votre nom, je vous prie de me corriger, mais c’est votre tour.

[Français]

Ibtissam Nkaili, analyste financière principale, Exportation et développement Canada, à titre personnel : Bonjour. Je tiens à remercier les membres du comité de m’avoir invitée à participer à cette discussion aujourd’hui. Je m’appelle Ibtissam Nkaili, je suis comptable professionnelle agréée en Alberta, et il y a 14 ans, je suis arrivée au Canada comme étudiante internationale. J’ai fait mes études dans l’est du Canada et par la suite, je me suis installée dans l’ouest du pays.

Mes expériences personnelles et professionnelles au Canada ont été très positives. Je suis persuadée que le port du hijab ou du voile ne m’a aucunement empêchée de progresser dans ma carrière ou d’avoir des expériences positives et enrichissantes. Cela dit, je dois avouer que le nombre croissant d’attaques abjectes dont la communauté musulmane est victime est très préoccupant. Je cite l’attentat à la mosquée de Québec, la tragédie à London, en Ontario, et toutes les attaques dont les femmes musulmanes voilées ont été victimes, dont plusieurs à Edmonton.

En tant que Canadienne de confession musulmane, c’est toujours avec affliction et effroi que nous prenons connaissance de ce type d’événement bouleversant, ce qui nous mène à craindre pour la sécurité des personnes de confession musulmane au Canada.

Je tiens également à exprimer ma solidarité contre toutes sortes de violence ou de fanatisme à l’origine de ces actes condamnables qui ont frappé notre pays d’adoption. Oui, nous sommes des musulmans, mais avant, nous sommes des Canadiens et nous avons fait le choix de vivre ici. Pour nous, c’est notre pays d’adoption et nous voulons nous sentir en sécurité dans ce pays.

Le Canada est l’un des pays les plus convoités, justement, en raison de sa tolérance et sa liberté. C’est surtout pour cela que c’est très choquant de voir de telles choses. On n’y croit pas. C’est bouleversant. À cet effet, je crois qu’une initiative comme celle-ci est très importante. Il est urgent que le gouvernement prenne des actions pointues pour rassurer la communauté musulmane en matière de sécurité, mais aussi pour renforcer son sentiment d’appartenance.

Selon moi, il faut d’abord reconnaître que l’islamophobie existe et renforcer la sécurité afin de prévenir ce type d’événement, mais il faut également mettre en place des moyens de communication adaptés pour pouvoir interagir ou signaler des situations d’islamophobie ou de telles attaques. Au lieu de passer par le système habituel, il faudrait mettre en place des mesures qui peuvent aider dans des situations de violence.

On dit souvent que la peur, c’est l’ignorance. Il me semble qu’il y a une certaine méconnaissance de la religion musulmane. Comme d’autres communautés, la nôtre est hétérogène. Ce qui nous rassemble, c’est que nous avons choisi le Canada. Nous avons la même confession, mais nous sommes tous différents. Nous ne sommes pas identiques. Nos pays d’origine sont différents, nos langues sont différentes, nos coutumes sont différentes. Quand on généralise, ce n’est jamais une bonne pratique, surtout lorsqu’il s’agit d’une religion qui rassemble plus de deux milliards de croyants, d’où l’importance de prendre des mesures concrètes pour démythifier la communauté musulmane canadienne, ses croyances et ses pratiques. Cela peut commencer par des actions simples: par exemple, l’introduction d’activités qui favorisent le rapprochement et le partage dans le curriculum scolaire et la reconnaissance des journées importantes dans les autres religions, que ce soit l’islam, le judaïsme ou d’autres.

J’aimerais aussi ajouter que dans le cadre du travail, la diversité et l’inclusion ne se limitent pas au fait de recruter des employés venant de groupes racialisés, mais de faire en sorte que ces employés se sentent valorisés et peuvent venir à leur travail en étant eux-mêmes, avec toute leur identité et leur culture, tout en se sentant valorisés. Finalement, la lutte contre le racisme est une nécessité pour bâtir un Canada sain et plus fort en s’appuyant sur les leçons du passé. Merci.

[Traduction]

La présidente : Merci beaucoup. Je donne maintenant la parole à Timiro Mohamed.

Timiro Mohamed, poétesse, à titre personnel : Salamu’alaikum Warahmatulahi Wabaraktuh. Je m’appelle Timiro Mohamed. Je suis une femme poète canadienne d’origine somalienne vivant sur le territoire du Traité no 6. Mes parents sont arrivés au Canada au début des années 1990 en tant que réfugiés parrainés par le gouvernement, fuyant la guerre civile et les conflits. Mon identité se situe à l’intersection de plusieurs expériences. Je ne peux pas dissocier ma compréhension des mouvements anti-Noirs de ma compréhension de l’islamophobie ou de la haine contre les musulmans. Pour ces raisons, je vais vous parler de la réalité unique de l’islamophobie anti-Noirs, un terme inventé par Délice Mugabo en 2016.

En tant que femme noire musulmane née et élevée sur l’île de la Tortue, je comprends bien l’effacement, l’annulation lente et intentionnelle de mon existence par les systèmes d’oppression. Si les archives écrites, les récits oraux et les œuvres artistiques montrent que les Noirs ont été les premiers musulmans sur ce continent, cette réalité est souvent passée sous silence, parce que le discours raciste a pour visée de rayer les Noirs de l’histoire du Canada et de nous présenter uniquement comme de nouveaux arrivants, de présence récente, alors que notre présence ici date de 400 ans.

Mon expérience en tant que Canadienne d’origine somalienne est singulière, unique, parmi les expériences riches, variées et diversifiées des musulmans noirs d’Afrique, des Caraïbes et des Amériques. En réfléchissant à son étude de 2019, intitulée Black Muslims in Canada: A Systemic Review of Published and Unpublished Literature, Fatimah Jackson-Best écrit que le manque de données sur les musulmans noirs d’origine autre que somalienne porte également à croire qu’il y a un problème plus vaste concernant les récits et les images dominants qui définissent qui sont les musulmans noirs au Canada et qui est exclu de ces représentations.

Mes remarques d’aujourd’hui portent principalement sur les innombrables attaques perpétrées contre des femmes musulmanes noires en Alberta. Bien que les données sur le nombre d’incidents signalés varient, selon le Conseil national des musulmans canadiens, ou CNMC, la communauté musulmane de l’Alberta a été victime de 14 attaques déclarées au cours des six derniers mois. Ce qui est particulièrement inquiétant ici, c’est le nombre d’attaques non déclarées qui ont lieu. L’expérience déshumanisante de la violence, de l’anxiété et du traumatisme qui survient lorsque les membres de notre communauté sont violemment attaqués est aggravée par l’inaction ou l’absence de dialogue aux échelles locale et nationale.

L’islamophobie anti-Noirs est insidieuse. Elle se manifeste par des microagressions, dans les espaces personnels et professionnels, et porte atteinte à notre dignité. C’est le syndrome de l’imposteur qui nous envahit quand nous ne nous voyons pas représentés dans les médias, au gouvernement, dans le monde universitaire ou dans les milieux professionnels. Elle est présente dans les systèmes scolaires, qui nous effacent du discours canadien, qui orientent subtilement les étudiants noirs musulmans vers des programmes éducatifs qui ne leur donneront pas accès aux établissements postsecondaires et desquels les étudiants noirs musulmans sont expulsés de façon disproportionnée.

Elle existe dans le système policier, où le profilage racial est monnaie courante, quand les policiers n’interviennent pas si nous signalons des actes de violence, quand ils nous infligent des lésions corporelles, et dans un système carcéral où les musulmans noirs sont surreprésentés et se voient refuser l’accès à des aumôniers sensibles sur le plan spirituel. Elle existe dans le réseau de la santé, où il manque de soutien culturellement adapté pour les membres des communautés vivant des traumatismes intergénérationnels.

L’islamophobie anti-Noirs existe dans les épiceries, aux arrêts de bus et dans les parcs, où notre sécurité est menacée simplement parce que nous existons. Elle est constante. Elle transparaît dans toutes les facettes de la société canadienne. Pourtant, la suprématie blanche fait porter le fardeau du changement à ceux qui sont le plus touchés par sa violence.

Pour comprendre la réalité de l’islamophobie anti-Noirs, il faut également examiner les conditions qui sont en place pour faciliter sa prolifération.

L’existence du Canada nécessite un effacement. C’est une nation fondée sur la colonisation, la suprématie blanche et le génocide. On ne peut pas dissocier les actes de violence contre les femmes noires musulmanes des actes de violence perpétrés par les policiers contre les membres des communautés noires et autochtones.

Selon la Commission ontarienne des droits de la personne...

La présidente : N’hésitez pas à faire une petite pause. Nous vous entendons, et nous sommes bouleversés. Nous comprenons, prenez votre temps.

Mme Mohamed : Selon la Commission ontarienne des droits de la personne, une personne noire court plus de 20 fois plus le risque d’être abattue par la police qu’une personne blanche.

La complaisance est aussi une forme de violence. C’est le même système qui observe en silence les attaques contre les femmes noires musulmanes et qui fait en sorte que la violence contre les femmes autochtones disparues et assassinées perdure. Il y a plus de 1 181 femmes autochtones qui sont disparues et ont été assassinées au Canada.

Selon le rapport final de l’enquête nationale, intitulé Réclamer notre pouvoir et notre place, la violence subie par les femmes et les filles autochtones et les personnes 2SLGBTQIA équivaut à un génocide. Je ne saurais trop insister sur l’urgence de s’attaquer à l’islamophobie anti-Noirs.

Je recommande l’élaboration d’une stratégie nationale qui s’inspire des modes de connaissance autochtones, qui soit dirigée par la communauté et qui s’inscrive dans une optique de réconciliation. Premièrement, il faut réduire les obstacles systémiques à la justice et investir dans des approches communautaires en matière de justice, qui offrent d’autres solutions que l’incarcération aux musulmans noirs survivants d’attaques haineuses de même qu’aux délinquants autochtones ou musulmans noirs.

Il faut soutenir les municipalités dans un plan de désinvestissement du maintien de l’ordre et investir dans des communautés sûres et prospères grâce à des services communautaires sensibles à la culture et à la spiritualité.

Il faut mettre en place une structure de gouvernance des données sensible aux particularités culturelles et spirituelles pour la collecte de données sur l’emploi, l’éducation, les soins de santé et le système de justice pénale.

Il faut investir dans les bourses d’études dirigées par des Canadiens musulmans noirs ainsi que dans la production artistique et culturelle dirigée par des Canadiens musulmans noirs.

Il faut créer des milieux scolaires plus sûrs et plus accueillants pour les jeunes musulmans noirs en investissant dans un soutien scolaire adapté à leur culture et à leur spiritualité.

Il faut célébrer le patrimoine et les contributions des musulmans noirs au Canada.

Il faut reconnaître les diverses pratiques culturelles et les fêtes sacrées des élèves et des enseignants musulmans noirs.

Il faut réévaluer les mesures punitives démesurées imposées aux élèves musulmans noirs.

Selon la tradition des innombrables artistes musulmans noirs qui m’ont précédée, mon rôle est d’imaginer ce qui est possible, d’imaginer un monde qui ne soit pas confiné dans les réalités déshumanisantes du racisme et de la suprématie blanche. Vous êtes en position de pouvoir, donc je vous demande de réfléchir à votre rôle, de reconnaître qu’en raison de ce pouvoir, vous êtes tenus de passer à l’action et que l’islamophobie anti-Noirs existe dans nos mécanismes inconscients, qu’elle se manifeste par notre complaisance et notre volonté de maintenir un statu quo nuisible et violent. Merci.

La présidente : Merci. Je donnerai maintenant la parole à Nasra Adem pour son témoignage.

Nasra Adem, chef de Black Arts Matter, poète, artiste et activiste queer, à titre personnel : Merci. Je remercie les autres témoins qui ont raconté leurs expériences aujourd’hui. Je m’appelle Nasra Adem, et je suis assez émotive en ce moment, alors soyez indulgents avec moi. Je suis poète, je suis également la directrice et fondatrice de Black Arts Matter, un mouvement né d’un appel à démystifier et à faire entendre la voix des artistes noirs en Alberta. Je suis une Gurgura, ce qui signifie que je suis Oromos et Somalienne. Je suis une Canadienne de première génération. Je suis une personne non binaire, de genre fluide. Je suis handicapée. Je mentionne ces traits identitaires parce qu’ils sont profondément politisés et parce que cette politisation influence profondément ma qualité de vie. Dans cet espace politique, je pense qu’ils méritent une attention particulière. Ce sont également des traits identitaires qui façonnent mon point de vue sur l’islamophobie et les mouvements anti-Noirs.

Je suis reconnaissante à Timiro d’avoir mis de l’avant le vocabulaire de l’islamophobie anti-Noirs parce que c’est également mon angle d’approche.

J’ai beaucoup vécu entre deux mondes. J’ai grandi en Ontario et en Alberta, dans des communautés majoritairement noires musulmanes, mais j’ai souvent quitté ces communautés afin de trouver des ressources adéquates pour le travail et l’école parce que j’avais besoin de l’art pour ma santé mentale et pour digérer toutes les horreurs qui étaient normalisées autour de moi, au point où je ne me rendais plus compte que c’était des horreurs.

J’ai dû quitter ma communauté pour trouver du soutien structurel. En me retrouvant ainsi entre ces deux mondes, j’ai pu me faire une bien meilleure idée de la situation. Il en est clairement ressorti que l’islamophobie était profondément enracinée en moi-même et que l’islamophobie combinée au racisme envers les Noirs, la suprématie blanche et le colonialisme s’étaient infiltrés dans mon propre foyer pour que j’en ressente les répercussions par l’entremise de mes proches. J’en suis ainsi venue à ne plus me sentir en sécurité à la maison, pas plus d’ailleurs que dans le reste du monde. Sans cesse confrontée aux mêmes discours, je me suis tournée vers l’art qui m’a permis d’en sonder profondément la signification pour trouver ma propre voie.

Dans mon œuvre, je continue de mettre en lumière les femmes et les personnes de genres non conformes et queers musulmanes de race noire, car je constate à quel point ce groupe identitaire est durement touché, même au sein de ma propre communauté, par un ostracisme profondément ancré à plusieurs niveaux. C’est ainsi que j’ai pu observer que bon nombre de ces enjeux sont enracinés dans la psyché collective et qu’un engagement résolu sera nécessaire pour reconnaître toute l’ampleur et les nuances de nos expériences d’islamophobie afin de pouvoir en guérir collectivement.

Ma petite cousine a été confiée à la protection de l’enfance cette année, une conséquence et un symptôme de l’immigration et du manque de soutien. J’ai passé beaucoup de temps à m’assurer qu’elle avait des repas halal et des transports Uber pour l’amener là où elle devait aller, car il y a un manque de personnel dans les résidences. J’ai dû faire tout cela en continuant à gérer mes propres traumatismes non traités.

Lorsque les institutions censées vous prendre en charge ne font que vous ostraciser et vous victimiser davantage, et que l’on vous blâme pour la façon dont vous composez avec votre déstabilisation constante, vous pouvez avoir l’impression de n’avoir nulle part où aller.

L’islamophobie est un problème de santé publique. Le racisme envers les Noirs est un problème de santé publique. Le manque de financement des arts est un problème de santé publique. J’ose espérer que ces échanges nous permettront de mieux reconnaître l’intersectionnalité de ces enjeux ainsi que toutes les couches et toutes les nuances de l’islamophobie de sorte que nous puissions mettre à contribution nos réseaux de gouvernance pour nous attaquer aux couches profondes du traumatisme qu’on laisse ainsi s’enraciner. Merci énormément.

La présidente : Merci à tous pour ces témoignages très vibrants. Nous avons établi une liste et c’est la sénatrice Martin qui aura droit à la première question.

La sénatrice Martin : Merci, madame la présidente. D’abord et avant tout, je veux remercier chacun d’entre vous d’avoir pris la parole avec autant de courage et d’honnêteté. Ces témoignages suscitent également chez moi beaucoup d’émotion, quoique dans une perspective un peu différente, étant donné ce que j’ai moi-même vécu au Canada. J’habite à Vancouver et je suis née en Corée. À titre de fille d’immigrants, je suis donc à même de comprendre vos points de vue sous différents aspects.

Je n’ai que cinq minutes et je veux d’abord m’adresser à M. Yaqub. Vous nous dites que l’Association des services sociaux et familiaux islamiques traite les traumatismes, ce qui fait que des gens comme vous doivent composer non seulement avec leurs propres traumatismes, mais aussi avec ceux de leur communauté. J’aimerais donc savoir s’il vous est possible de travailler efficacement avec des alliés et des partenaires qui n’ont pas à gérer le même genre de traumatismes.

M. Yaqub : Merci pour la question. On peut penser à la façon dont nous réagissons lorsqu’un crime haineux est commis. Il est fréquent que la police d’Edmonton aiguille les victimes d’actes criminels vers des services capables de leur offrir le soutien nécessaire. Il convient maintenant de se demander si ces services savent comment réagir en cas de crime haineux et comment traiter les traumatismes indirects qui se font ressentir dans l’ensemble de notre communauté. C’est peut-être une seule personne qui a été agressée, mais ce sont tous les membres de la communauté qui se sentent visés et qui craignent de sortir de la maison parce que quelqu’un qui leur ressemble, quelqu’un qui est comme eux, a été victime d’une attaque. Cela dépasse les compétences des services aux victimes. C’est là qu’entrent en jeu notre organisation et d’autres intervenants comme Timiro qui peuvent notamment organiser des rassemblements pour la guérison. Le problème vient toutefois du fait que les gens qui accomplissent ce genre de travail sont eux-mêmes en cours de traitement et de guérison. Vous pouvez ressentir un grand désespoir et un isolement profond après avoir aidé des gens à faire ce cheminement que vous n’avez vous-même pas encore réussi à mener à terme.

Je pense que les alliés sont nombreux, mais qu’il n’existe pas au sein des systèmes en place des mesures de soutien expressément prévues pour donner aux communautés les moyens de bien réagir lorsque de tels événements se produisent.

La sénatrice Martin : Vous avez aussi donné l’exemple du ministère du Patrimoine canadien en citant les obstacles susceptibles de se dresser à ce niveau. Je présume que votre organisation s’efforce également d’aider d’autres groupes ou des gens à s’y retrouver dans le processus. N’est-il pas vrai que tout cela est fort complexe?

M. Yaqub : Nous sommes intervenus pour aider The Mosquers, un festival de cinéma local. Ce fut en fait un exercice très révélateur. Notre interlocutrice au ministère du Patrimoine canadien nous répond d’emblée que ce festival n’est pas admissible. Lorsque je transmets cette réponse à l’un des organisateurs, il s’éclipse rapidement en se disant que, tant pis, son festival n’est pas admissible.

Comme je suis quelqu’un de téméraire et de vraiment privilégié, je décide de revenir à la charge. J’ai droit à la même réponse, et je demande pour quelle raison. La même personne m’indique que nous ne sommes pas une organisation artistique. Je fais valoir qu’il s’agit d’un festival de cinéma. Elle rétorque que le festival n’existe pas depuis assez longtemps. Je lui réponds qu’il se tient depuis 14 ans. Puis, pour mettre fin à cet échange où je pourfends ses arguments les uns après les autres, elle me dit que notre proposition n’est pas conforme à tel et tel critère. Je lui souligne alors que son ministère a accordé du financement à la Quarters Arts Society, à deux coins de rue de notre festival, et que j’aimerais savoir en quoi notre dossier est différent. Après cette question, ce fut le silence radio.

J’appelle ensuite un ami qui appelle un ami, et nous pouvons finalement parler à la sous-ministre adjointe. Sans l’admettre expressément, les gens se sont rendu compte qu’un phénomène systémique se produisait et que le refus n’était fondé sur aucune politique concrète. Il y a plutôt au ministère du Patrimoine canadien des sentinelles chargées de refuser du financement en répondant à des organisations qu’elles ne sont pas admissibles.

La sénatrice Martin : Nous devrons assurément en traiter dans notre rapport.

La présidente : Oui. J’allais justement poser une question similaire. C’est ce que nous allons faire.

La sénatrice Martin : Peut-être pourriez-vous enchaîner dès maintenant avec votre question.

La présidente : Cela allait tout à fait dans le sens de vos commentaires sur les interactions avec le ministère du Patrimoine canadien qui témoignent d’une discrimination systémique.

La sénatrice Martin : Oui.

La sénatrice Martin : Il nous faudra donc examiner la question avec soin.

La présidente : Oui, nous devrons approfondir le tout.

La sénatrice Martin : Oui, et j’aimerais conclure en m’adressant à Mme Mohamed. Vous avez décrit de façon très précise la forme que devrait prendre une stratégie nationale, et je me demandais si vous aviez quelque chose à ajouter à ce sujet. Je pense que vous avez dressé une liste très exhaustive et très claire des mesures à prendre, mais je sais que c’est un sujet chargé d’émotion, et je me demande donc si vous souhaiteriez apporter des éclaircissements à l’égard des différents éléments énoncés, ou si nous pourrons trouver ces recommandations dans votre mémoire.

Mme Mohamed : Merci de me donner l’occasion de prendre à nouveau la parole. Je n’ai rien à ajouter, mais n’hésitez surtout pas à me demander des éclaircissements.

La sénatrice Martin : D’accord, je vais regarder tout cela de plus près. Merci.

La présidente : À vous la parole, sénatrice Jaffer.

La sénatrice Jaffer : Merci beaucoup pour vos exposés. J’ai écouté tout cela avec une vive attention, et j’ai dû m’en remettre à ma propre réalité pour bien assimiler vos observations, et surtout celles de Mme Mohamed. Je tiens d’abord à ce que vous sachiez que nous vous avons entendus très clairement et que nous ne manquerons pas de relire la transcription de cette séance. Nous vous avons bien entendus et je ne pouvais pas m’empêcher de m’interroger en vous écoutant, et en écoutant les autres nous parler de toutes ces batailles que vous livrez au quotidien, quant aux répercussions sur votre vie personnelle et votre famille.

Mme Mohamed : Je pense que je me retrouve dans un monde à part, un peu comme le disait M. Yaqub. J'ai l'occasion de servir la communauté et, au quotidien, d'offrir du soutien à des jeunes qui vivent des réalités semblables. Je peux vous dire seulement qu’il s’agit d’une réalité, d’une constante dans nos vies. Nous n’avons pas le luxe de mettre fin au bulletin de nouvelles en fermant la télé pour nous mettre au lit et ne plus avoir à y penser. C’est une réalité présente jour après jour dans toutes les facettes de nos existences. Qu’il s’agisse de monter dans un avion, de simplement aller au magasin ou de faire une demande d’emploi, c’est une constante. Et j’ajouterais que la complaisance est aussi une constante, car très peu de gens comprennent bien toutes les ramifications d’une telle réalité.

La sénatrice Jaffer : Merci. Madame Adem, si vous jugez la question trop difficile, vous n’êtes pas tenue d’y répondre. Je dois cependant vous avouer que j’admire beaucoup votre courage. Étant moi-même musulmane, je ne sais pas trop comment vous dire que votre simple présence parmi nous témoigne d’une bravoure exceptionnelle. Comme je fais partie de la même communauté, je pense avoir une bonne idée — sans toutefois pouvoir me mettre totalement à votre place — des difficultés que vous devez surmonter.

Madame Adem, je sais que vous nous avez déjà dit différentes choses, mais si vous avez quoi que ce soit à ajouter, car cinq minutes c’est très vite passé, et seulement si vous vous en sentez capable, j’aimerais vous laisser l’occasion de le faire maintenant.

Mme Adem : Merci beaucoup de bien vouloir m’accueillir et de reconnaître le courage que cela exige. Je pourrais essayer de répondre à la question que vous avez posée à Mme Mohamed dont la contribution ne cesse de m’émerveiller et que je tiens à remercier vivement pour le tableau clair et précis de la situation qu’elle nous a exposé. Pour ce qui est des répercussions dans ma vie quotidienne, je peux vous dire que j’ai reçu il y a quelques mois un diagnostic de trouble neurologique après avoir souffert d’épuisement grave. Je me suis alors rendu compte que toutes ces actions que j’étais obligée de mener, en composant avec mon armure et la pression de devoir m’exprimer et constamment défendre ma vérité, avaient des conséquences négatives dont je ne saisissais pas toute l’ampleur, d’autant plus qu’il a fallu que je fasse ma place — parce que personne ne m’en a fait cadeau — dans mon intégralité, aussi bien au travail que dans la communauté.

J’ai fondé Black Arts Matter parce que j’étais en train de me noyer. Même après avoir étudié en arts et trouvé ma voie au milieu des discours familiaux et religieux cherchant à me dicter ce qui était possible pour moi, même après l’obtention de mon diplôme, j’ai dû constater que les publics et les tribunes dont j’avais besoin pour pouvoir raconter mon histoire en toute sécurité d’esprit n’existaient pas en Alberta. On m’a alors dit que je devrais partir ou bien faire ceci ou cela, mais je suis restée en me rappelant que James Baldwin a dit que l’espace qui nous convient n’existe qu’à partir du moment où nous le créons nous-mêmes. Ainsi donc, la pression associée à cet exercice s’est ajoutée aux efforts à déployer en vue de construire mon œuvre de poétesse pour en venir à épuiser complètement toutes les ressources de mon corps.

Je suis passée bien près de ne pas pouvoir me présenter devant vous aujourd’hui en raison de mes problèmes de santé, lesquels sont directement reliés à l’obligation d’évoluer au sein d’un système colonialiste fondé sur la suprématie blanche. J’aurais voulu vous parler plus longtemps encore, mais mon système nerveux et mes limitations physiques en ont décidé autrement.

Lorsqu’il est question des répercussions au quotidien, je vous ramène aux 10 minutes qui ont précédé ma comparution. J’ai dû alors combattre mon anxiété, parce que je n’ai pas pu consacrer suffisamment de temps à mon allocution et parce que je dois m’en remettre à un corps ravagé par tous ces systèmes qui m’en demandent beaucoup trop sans m’offrir aucun répit dans mon identité propre et en m’empêchant de gagner ma vie et de mener mon existence comme n’importe qui d’autre peut le faire.

C’est vraiment un exercice très chargé émotivement, psychologiquement et spirituellement de vivre comme musulman dans cette région du monde, sans compter tous les autres traits identitaires qui me caractérisent. C’est un processus très intime. Ces structures nous permettent de traiter en toute intimité du déclenchement de ces traumatismes dans nos existences.

Merci de m’avoir offert cette tribune.

La sénatrice Jaffer : En fait, ce n’est pas vous qui devriez nous remercier. Ceci dit très respectueusement, c’est nous qui vous remercions. Nous en avons en effet beaucoup appris de vous. Je veux que vous sachiez que tous les membres de ce comité et toutes les personnes ici présentes vous ont non seulement entendues toutes les deux, Mme Mohamed et vous, mais ont également appris de vous deux, alors vous n’avez pas à nous remercier. C’est nous qui vous remercions. Merci beaucoup. Madame la présidente, est-ce qu’il me reste encore du temps?

La présidente : Oui, encore quelques minutes. Je ne sais pas si les autres sénateurs ont aussi des questions.

La sénatrice Simons : Oui.

La présidente : D’accord. Et le sénateur Arnot?

La sénatrice Jaffer : Je passerai après.

La sénatrice Simons : Ne suis-je pas également sur la liste? Ne vous souvenez-vous pas que je l’avais demandé?

La présidente : Vous pouvez effectivement poser vos questions. Sénatrice Jaffer, je vous inscris pour le second tour, mais je vous demanderais de bien vouloir éteindre votre microphone.

La sénatrice Simons : En ma qualité de sénatrice de l’Alberta et de fière résidente d’Edmonton, je dirais que mes collègues sénateurs ont pu voir aujourd’hui ce que l’Alberta a de plus beau et de plus laid à offrir. Nous avons pu entendre des témoins remarquables qui nous proposent le meilleur exemple qui soit de la diversité, de la richesse et de l’enracinement de la communauté musulmane en Alberta et à Edmonton. Ce n’est pas comme si nous avions mis en vitrine notre visage le plus flatteur. C’est une question que je n’ai pas pu poser à M. Saïd Omar. Je crois que c’est en juillet que l’Alberta a nommé un nouveau commissaire aux droits de la personne. On a alors mis au jour un article publié par le nouveau commissaire, Collin May, alors qu’il était journaliste en 2009. Voici ce qu’il disait alors de l’islam :

L’islam n’est pas une religion pacifique que des radicaux utilisent à de mauvaises fins. C’est plutôt une des religions les plus militaristes connues de l’homme, et c’est précisément cet héritage militariste qui guide les actions des radicaux dans tout le monde musulman.

Dans un contexte où il est possible d’attribuer de telles déclarations au dirigeant principal de la Commission des droits de la personne de l’Alberta qui est censé protéger les droits des minorités, je serais portée à demander d’abord et avant tout à M. Yaqub et à Mme Nkaili comment ils réagissent à des commentaires semblables en Alberta, l’endroit qu’ils ont choisi pour faire leur vie.

M. Yaqub : Je pense que cela montre bien tout le travail qu’il reste à accomplir. Je sais que M. May a récemment intenté des poursuites contre la publication qui a ressorti ses remarques. Il est très intéressant de le voir ainsi poursuivre des gens qui transmettent des commentaires qu’il a fait publiquement.

Je sais que le Conseil national des musulmans canadiens a tenté de discuter avec lui, un effort qui n’a pas été couronné de succès. Je pense qu’il faut trouver un juste équilibre. Nous voulons laisser aux gens la marge de manœuvre nécessaire pour apporter des changements, mais s’ils ne peuvent pas faire valoir des résultats concrets et s’ils refusent d’interagir avec la communauté, alors je pense qu’il faut nous interroger sur les raisons pour lesquelles notre système permet que ces personnes restent en place et sur l’existence de contrepoids suffisants pour faire le nécessaire à ce chapitre.

Je pense aussi que l’on peut établir un parallèle avec la récente nomination de Sharif Haji comme candidat du NPD dans Decore. M. Haji est directeur général de l’Africa Centre. C’est un homme formidable qui travaille pour sa communauté depuis des années, notamment afin d’augmenter l’offre de logements abordables. Et, vous savez quoi, il s’est permis il y a sept ou huit ans une remarque sur Twitter qui a été citée hors contexte, ce qui a déclenché un vaste tollé alors que la situation n’est pas du tout la même.

Je pense que ces deux cas doivent être étudiés et abordés, et que nous devons mener une réflexion approfondie. Pourquoi le candidat noir est-il tenu à une norme différente et calomnié de manière beaucoup plus prononcée même s’il a pris des mesures concrètes pour effectuer des changements, alors que la personne qui n’a pas pris de mesures concrètes conserve son emploi et son poste?

[Français]

La sénatrice Simons : Pourriez-vous me dire quelque chose au sujet du travail que vous faites maintenant en Alberta pour une société plus juste?

[Traduction]

Mme Nkaili : Me demandez-vous quel genre de travail j’ai fait à titre personnel? Pendant quelques années, j’ai été membre du conseil d’administration de l’Islamic Family Social Services Association, une association de services sociaux pour les familles islamiques. C’était ma contribution, à titre de musulmane, à une association qui fait bouger les choses, et qui est unique. En effet, je n’ai jamais rien vu de semblable au Canada, car cette association offre des services qui sont plus adaptés à notre culture et à notre religion et elle s’occupe de certains enjeux que le système ordinaire laisse de côté.

Il y a encore beaucoup de travail à faire. Plus tôt aujourd’hui, Mme Adem a mentionné une chose qui m’a marquée, c’est-à-dire que lorsqu’un enfant est placé dans une famille d’accueil, rien n’est prévu dans le système pour tenir compte de sa foi, de sa culture et de tout le reste, de sorte que cet enfant est traité comme n’importe quel autre. Le système ne tient donc pas compte de ces éléments, et aucun suivi n’est effectué. Des organismes comme l’IFSSA tentent de remédier à cette situation, mais ils ont besoin de plus de financement et de soutien, car il y a certainement des défis à relever.

Ma contribution personnelle passe donc par le bénévolat. Évidemment, j’ai une famille, c’est-à-dire que j’ai un enfant de deux ans qui me tient un peu occupée en ce moment, mais c’est ma contribution.

La sénatrice Simons : Ai-je le temps de poser une autre question?

La présidente : Je suis désolée, sénatrice, mais la parole est maintenant au sénateur Arnot, et j’aimerais également poser une question.

Le sénateur Arnot : Je tiens simplement à remercier nos invités des témoignages courageux et passionnés qu’ils livrent aujourd’hui et je les remercie d’informer le comité des problèmes auxquels nous devons faire face et certainement de formuler des recommandations que nous pourrions suivre.

Je tiens simplement à souligner que lors de sa visite au Canada en 2010, l’Aga Khan a décrit le Canada comme étant l’expérience de pluralisme la plus réussie dans le monde — et je pense qu’il a tout à fait raison. Toutefois, cette réussite reste fragile, car elle est directement liée à la connaissance, à la compréhension et à l’engagement qu’ont tous les Canadiens envers notre pays multiculturel, multithéiste et multiethnique. En fait, elle n’est pas très solide.

En 2018, je crois, un sondage d’Ipsos a révélé que seulement 38 % de la cohorte des plus de 40 ans embrassaient le multiculturalisme, qui est un élément fondamental de l’identité canadienne.

Nous avons bien réussi, mais cette réussite est directement attribuable à l’investissement que nous avons réalisé en ce sens, et cet investissement ne suffit pas. C’est évident. Je pense que les gouvernements précédents ont dû espérer que, par osmose ou par quelque magie, ces Canadiens seraient adoptés et qu’ils seraient considérés comme égaux, mais cela ne s’est pas produit. Nous avons donc besoin, à l’avenir, de ce type d’investissement, c’est-à-dire d’un investissement beaucoup plus énergique que ce que nous avons eu jusqu’ici, et j’espère que cela se produira dans le domaine de l’éducation.

Il s’agit d’un projet à plus long terme, mais il s’agirait d’un système de la maternelle à la douzième année où on enseignerait aux citoyens canadiens — à chaque citoyen canadien — les droits liés à la citoyenneté, mais plus important encore, les responsabilités qui viennent avec ces droits. L’une des principales responsabilités, c’est que chaque citoyen canadien doit respecter ses concitoyens sans exception, et certaines choses doivent donc changer.

J’espère qu’une nouvelle approche en matière d’éducation permettra de faire bouger les choses, afin que la discrimination systémique et la haine et le racisme auxquels font face les Canadiens musulmans puissent être éliminés lorsque les gens seront mieux informés.

J’adhère à la notion selon laquelle la citoyenneté canadienne repose sur cinq compétences. Il y en a probablement beaucoup d’autres, mais je pense que tous les citoyens canadiens devraient adopter un comportement fondé sur l’éthique, la recherche d’information, l’engagement, l’autonomisation et l’empathie. Ce dernier point est particulièrement important, car les Canadiens doivent comprendre la place qu’occupent leurs concitoyens et apporter les rajustements nécessaires pour que notre pays soit véritablement inclusif et équitable.

Je vous remercie de comparaître aujourd’hui et de nous faire part de vos observations. Si vous avez des commentaires sur ce que je viens de dire, j’aimerais beaucoup les entendre.

La présidente : Vous avez la parole, monsieur Yaqub.

M. Yaqub : Je pense que Mme Mohamed a abordé la question de l’éducation avec beaucoup d’éloquence. Depuis 2020, elle s’efforce notamment de faire reconnaître les congés inclusifs dans le calendrier scolaire. En 2020, les membres de la commission scolaire publique d’Edmonton ont raccourci l’année scolaire de cinq jours, et ils ont décidé de donner aux parents et aux élèves des pauses plus longues en novembre.

À première vue, cela ne semble pas signifier grand-chose, mais si on creuse un peu plus, on peut se demander ce qui se passe réellement. Pourquoi n’a-t-on pas décidé de reconnaître les jours de célébration des élèves?

Sur le plan fonctionnel, si on observe ce qui se passe dans les écoles publiques d’Edmonton, on constate que les jours de célébration de l’Aïd sont des jours où on n’enseigne pas beaucoup, car il y a des dizaines d’absents. Toutefois, les membres de l’administration ne reconnaissent pas l’importance de cette situation et ils choisissent plutôt des congés privilégiant leurs jours de célébration. C’est peut-être un point de vue cynique, mais pas nécessairement invraisemblable, sur la situation actuelle.

Pourquoi cette situation se produit-elle? Probablement parce que cela ne leur est pas encore arrivé. Ils n’ont jamais eu à faire l’expérience de demander un jour de congé pour leurs célébrations religieuses et d’être ainsi perçus comme « l’autre », et c’est ce qui pose problème, selon moi.

Je vous suis très reconnaissant d’avoir souligné la question essentielle de l’empathie, et je pense que l’empathie signifie qu’il ne devrait pas être nécessaire que cela arrive à quelqu’un pour que cela lui importe.

Il s’ensuit que cette situation se produit dans les écoles parce que les décideurs et les directeurs n’ont jamais vécu ce genre de choses et qu’ils n’accordent donc pas la priorité à une question aussi simple et évidente que celle des congés inclusifs.

La présidente : Je vous remercie. Je vais poser une brève question, puis je donnerai brièvement la parole à la sénatrice Jaffer. Le greffier vient de m’informer que nous devons terminer à 14 h 35.

Tout d’abord, je tiens à remercier tous les témoins. Madame Adem, vous avez dit que vous n’étiez pas prête, mais vous l’étiez plus que quiconque, car vous avez parlé avec votre cœur, et c’est ce qui compte. Et c’est la même chose pour vous, madame Mohamed. Lorsque vous partagez vos émotions sans crainte et sans retenue, c’est très émouvant, et c’est ce que nous retiendrons d’Edmonton.

Je dois vous dire que j’ai proposé cette étude, entre autres raisons, à cause de la situation des jeunes femmes noires somaliennes à Edmonton. En effet, on leur a arraché leur hijab, on leur a craché dessus, on leur a versé du café dessus et on les a agressées physiquement. À titre de femme musulmane, je me suis demandé à quoi bon occuper le poste que j’occupe présentement si je ne peux pas intervenir au nom de mes sœurs. Je tiens à vous remercier de vos témoignages, car ils étaient très poignants et je ne les oublierai pas.

Monsieur Yaqub, je vais vous mettre dans une position un peu difficile. Puisque vous faites partie de l’Association des services familiaux et sociaux, pourriez-vous me parler des musulmans qui sont incarcérés?

M. Yaqub : Je vous remercie. C’est une excellente question. Lorsqu’on consulte les données de correction de Statistique Canada, qui sont tout à fait accessibles, on apprend quelque chose de très surprenant. En effet, ces données de correction révèlent une augmentation de 20 % du nombre de musulmans incarcérés entre 2014 et 2018. Pour mettre ces chiffres en perspective, les musulmans représentent 3 % de la population canadienne et 7,5 % de la population carcérale. Je trouve ces données très inquiétantes et bouleversantes. Nous n’avons pas suffisamment d’explications et nous ne cherchons pas suffisamment à connaître les raisons d’une telle situation.

Notre organisme examine l’option du service d’aumônerie de la fonction publique. En effet, en 2013, le gouvernement de l’époque a éliminé ce service, ce qui a eu pour effet de désavantager considérablement les communautés musulmanes et les autres minorités religieuses. Les musulmans incarcérés n’ont pas accès aux soutiens de base à un moment où ils en ont le plus besoin. À mon avis, il y a beaucoup de travail à faire dans ce domaine.

Je pense aussi, comme l’ont souligné Mme Adem, Mme Mohamed et Mme Nkaili, que nous devons réfléchir aux raisons pour lesquelles ces gens sont incarcérés en premier lieu.

La présidente : Je vous remercie beaucoup. Avant de donner la parole à la sénatrice Jaffer pour la dernière question, je dois dire que ceux d’entre nous qui siégeons au Sénat — et je vois la sénatrice Jaffer rire — n’avons pas de jours de congé pour nos fêtes religieuses. Il s’ensuit que pendant certains jours de célébration de l’Aïd, j’ai siégé ici, à Ottawa, pendant que ma famille était en Ontario ou la famille de la sénatrice Jaffer était en Colombie-Britannique. Nous pouvons donc tous travailler en ce sens d’une manière ou d’une autre.

Sénatrice Jaffer, vous avez la parole pour une brève question, car le greffier est assis à côté de moi et il ne cesse de me rappeler l’heure.

La sénatrice Jaffer : Je vais avoir une conversation privée avec vous, mais tout d’abord, vous me rappelez quand j’étais plus jeune, sauf que vous avez plus de cran et cela vous attire des ennuis. La sénatrice Simons rigole, car je m’attire aussi des ennuis maintenant. C’est pour cela qu’elle rigole.

Vous devriez peut-être écrire une brochure pour expliquer aux jeunes que ce n’est pas une si mauvaise chose d’avoir du cran.

De plus, j’aimerais que vous réfléchissiez à quelque chose. Je travaille sur un projet de loi concernant les personnes qui ont été incarcérées à un jeune âge ou qui ont été placées dans une famille d’accueil à un jeune âge et ensuite incarcérées et qui sont expulsées au bout du compte. Si vous avez ou connaissez de tels cas, j’aimerais en parler avec vous. Je vous remercie. Je vous remercie également, madame la présidente, de m’avoir permis de faire cette intervention.

La présidente : Merci beaucoup. Je tiens à remercier tous les témoins de leurs témoignages et de leurs contributions dans le cadre de cette étude. Nous vous sommes très reconnaissants de votre aide, et cela nous aidera certainement lorsque viendra le temps de rédiger notre rapport.

Honorables sénateurs, je vais maintenant présenter notre deuxième groupe de témoins. Chaque témoin a été invité à faire une déclaration préliminaire de cinq minutes. Nous entendrons tous les témoins, puis nous passerons aux questions des sénateurs. Vous disposez donc de cinq minutes chacun, mais je serai très indulgente et je vous laisserai peut-être aller jusqu’à six ou sept minutes, mais pas plus. Comme je déteste interrompre les gens, je vous prie de me faciliter la tâche à cet égard. Je vous remercie.

Nous accueillons donc Wati Rahmat, fondatrice et directrice du groupe Sisters Dialogue. Nous accueillons également Vernon Boldick, coordonnateur des promotions et des communications à la Société de guérison traditionnelle de Bent Arrow. Nous avons aussi Ibrahim Karidio, ingénieur pour la Ville d’Edmonton, ainsi que Temitope Oriola, professeur de criminologie et de sociologie à l’Université d’Alberta et président désigné de la Société canadienne de sociologie.

Je demanderais maintenant à Mme Rahmat de faire sa déclaration. Je tiens à remercier chacun d’entre vous de votre patience, puisque nous avons légèrement dépassé le temps imparti avec le groupe de témoins précédent.

Wati Rahmat, fondatrice et directrice, Sisters Dialogue : Je vous remercie. Je vais commencer par présenter l’organisme Sisters Dialogue. Il s’agit d’un nouvel organisme communautaire fondé sur le Traité no 6 dont l’objectif est de fournir des espaces et des soutiens culturellement adaptés aux femmes et aux filles musulmanes racialisées par l’entremise d’un cadre sectionnel, collaboratif et axé sur les femmes.

Il a été créé en février 2021 en réponse directe à la vague d’attaques commises contre les femmes musulmanes, en particulier les femmes musulmanes noires, ici à Edmonton. Nous amplifions la voix des personnes touchées, nous plaidons pour leur sécurité et leur bien-être, et nous fournissons aux femmes musulmanes les ressources et le soutien nécessaires pour améliorer leur qualité de vie. L’organisme Sisters Dialogue a aussi été mis sur pied lorsqu’il est devenu nécessaire, pour les femmes musulmanes, de mener des initiatives qui concernent directement leur propre bien-être.

Nous adoptons une approche proactive pour intervenir dans les communautés touchées par la violence et les préjudices par l’entremise d’interventions communautaires qui sont efficaces, qui tiennent compte de la culture et qui sont axées sur les victimes.

À ce jour, Sisters Dialogue a organisé et animé des ateliers et des cercles de guérison, a soutenu de nombreuses victimes de l’islamophobie en leur envoyant des colis de réconfort, en les dirigeant vers les ressources appropriées, telles que des séances gratuites avec des thérapeutes qui tiennent compte de leur culture, ou en les aidant à signaler ces incidents aux autorités compétentes.

Parmi nos projets, citons des groupes de discussion sur l’islamophobie, des cercles de guérison avec la thérapie par l’art et un projet pilote de marche sécuritaire dans la collectivité en collaboration avec l’Edmonton Federation of Community Leagues, c’est-à-dire les ligues communautaires d’Edmonton, où les femmes musulmanes qui ne se sentent pas en sécurité peuvent s’inscrire pour marcher avec un bénévole de la collectivité formé à la marche sécuritaire à Edmonton.

Aujourd’hui, au nom de Sisters Dialogue, j’aimerais aborder les stratégies de lutte contre l’islamophobie. Si nous examinons les stratégies et les travaux actuels en matière de lutte contre l’islamophobie, nous constatons que l’accent a été mis en grande partie sur la recherche, la collecte de données, l’éducation et la sensibilisation, la résolution des problèmes systémiques et le plaidoyer en faveur de changements législatifs.

Mais le travail de recherche et de défense des intérêts est encore nécessaire pour faire avancer les choses sur des questions telles que le projet de loi 21 au Québec, la création de lois pour freiner la haine en ligne, l’interdiction des symboles haineux, la collecte de données fondées sur la race, la réduction des obstacles au signalement et la réduction du seuil requis pour qu’un crime soit considéré comme étant un crime haineux.

Au sein de Sisters Dialogue, nous pensons qu’il est nécessaire de recadrer la façon dont nous abordons l’islamophobie. En effet, nous devons aborder l’islamophobie comme une maladie, car il s’agit d’une menace qui cause des dommages sur les plans physique, mental, émotionnel et social. En raison de sa nature multidimensionnelle, son impact ne se limite pas à la personne qui en est directement victime. Il s’agit donc de déterminer les mesures que nous prenons actuellement pour éliminer cette maladie et les lacunes à cet égard.

Comme je l’ai mentionné plus tôt, les stratégies actuelles des différents ordres de gouvernement et des groupes de défense des intérêts sont fondées sur la réflexion. Nous explorons des stratégies axées sur l’éducation, la sensibilisation et l’élaboration de lois, qui sont toutes des choses importantes, mais il nous manque un élément crucial, à savoir les gens. En effet, une maladie fait des victimes, et il n’existe pas d’infrastructure et de protocoles appropriés pour protéger les personnes touchées par le fléau de l’islamophobie.

Faute de se focaliser sur les victimes de l’islamophobie, les services immédiatement et directement offerts après une attaque ainsi qu’à long terme sont incomplets. Je recommande également l’élargissement de la définition de « victime d’islamophobie », car nous ne pouvons pas faire comme si l’ensemble des musulmans ne subissait pas d’effets indirects après une attaque ou un incident islamophobe.

C’est après avoir accepté la réalité des effets indirects que nous pourrons soutenir bien et convenablement ceux qui ont le plus besoin de soutien. À Edmonton, les principales victimes des attaques islamophobes ont été les femmes musulmanes, particulièrement les Noires, en raison de la discrimination croisée dont elles sont victimes comme femmes et Noires. Comme elles sont ciblées, il est urgent de les soutenir, pour assurer leur sécurité générale, leur mieux-être et leur santé mentale.

Chez Sisters Dialogue, nous reconnaissons ce besoin, et nous avons organisé un certain nombre de cercles de guérison avec divers groupes de musulmanes. Chaque séance nous a fait constater le besoin de plus de ces lieux sûrs de guérison, y compris de soins communautaires et de soutien pour la santé mentale adaptés à la culture des patientes. Les musulmanes edmontoniennes vivent dans la crainte. Elles sont inquiètes et constamment dans un état de vigilance extrême en raison des incidents islamophobes qui se succèdent et dont peu ont été médiatisés.

Nous demandons à votre comité que toute recommandation visant l’islamophobie prévoie des services, des programmes et des mesures de soutien à la santé mentale qui soient communautaires, et qui visent particulièrement les musulmanes noires et racisés. Il faut également élargir la définition de « victime d’islamophobie » pour aider également les victimes indirectes.

Enfin, je voudrais ajouter que les musulmanes sont plus susceptibles d’être des victimes, en raison de l’islamophobie qui s’en prend à leur sexe et des obstacles qui existent actuellement dans les communautés musulmanes, tels que le patriarcat systémique. On devrait délibérément chercher à mieux faire entendre la voix des musulmanes et à appuyer leurs organisations et initiatives. Merci.

La présidente : Merci beaucoup. Monsieur Boldick, nous vous écoutons.

Vernon Boldick, coordonnateur des promotions et des communications, Société de guérison traditionnelle de Bent Arrow : Bonjour. C’est avec un profond sentiment d’honneur et d’humilité que je m’adresse à vous en ma qualité de représentant de la Société de guérison traditionnelle de Bent Arrow, en remplacement de notre directrice Cheryl Whiskeyjack.

Depuis 28 ans, notre société accomplit sa mission, sur le territoire visé par le traité no 6, mission qui consiste à mettre en rapport les enfants, les familles et les jeunes autochtones avec leur propre monde culturel et le monde occidental pour que, non seulement, ils puissent les fréquenter, mais, également, y réussir.

Dans le même temps, nous avons tiré de nombreuses leçons qui ont aidé nos organisations à faire de notre organisme un chef de file et une pierre angulaire de la communauté d’Edmonton. Aujourd’hui, je souhaite vous entretenir de trois de ces leçons touchant l’islamophobie au Canada. Elles ont un rapport avec le sacré, la colonisation et l’islamophobie et elles se servent de médias hyperlocaux.

Contre l’islamophobie, il faut s’attaquer à la même cause de la haine et de la discrimination contre les Autochtones, c’est-à-dire à la rupture du lien avec le sacré.

Lorsque nous parlons du lien avec le sacré, nous parlons non seulement du lien entre nous, mais aussi du lien avec ceux qui étaient là avant nous et ceux qui nous suivront, qui construiront des ponts que nous ne pouvons pas concevoir; du lien avec les communautés auxquelles nous appartenons; du lien avec le sol sur lequel nous marchons et les ressources que nous utilisons tous les jours; du lien avec le ciel et l’air que nous respirons et qui nous permet de vivre. Lorsque nous parlons du sacré, nous parlons d’un amour humble qui nous amène à construire pour demain, ce qui commence dans nos propres communautés.

Bent Arrow choisit, entre autres choses, d’établir un lien avec le sacré au moyen d’un camp culturel de quatre jours chaque mois de juin. Nous y accueillons du personnel, des partenaires communautaires, des organismes et des membres de la communauté. Ensemble, en tant que personnes autochtones et non autochtones, nous célébrons la culture autochtone et nous y prenons part. Nous chantons, nous dansons, nous écoutons les aînés et nous participons à des sueries et à un festin, et nous établissons un lien avec le sacré.

Je demanderais au comité de demander une hausse du financement pour les organismes islamiques afin qu’ils puissent organiser un plus grand nombre d’activités comme le camp culturel de Bent Arrow. Ces activités permettent à ces organismes d’aider ces communautés à vivre dans le sacré.

Bent Arrow travaille avec l’Association des services sociaux et familiaux islamiques pour accueillir les nouveaux Canadiens à l’aéroport. On le fait pour de nombreuses raisons, notamment pour lutter contre la perception négative que certains nouveaux Canadiens ont des Autochtones. Pour lutter contre ces idées négatives avec l’Association des services sociaux et familiaux islamiques, nous accueillons ces personnes de façon cérémoniale. Leur première interaction avec les Autochtones consiste à partager et à célébrer la culture. C’est la raison pour laquelle un membre du personnel de Bent Arrow a été approché par une jeune musulmane pendant qu’elle se promenait. Elle lui a dit « Je me souviens de vous. Vous avez accueilli ma famille lorsque nous sommes arrivés au Canada, et je n’ai plus eu peur ensuite. »

C’est la collaboration entre deux organisations ayant un objectif commun qui a rendu possible ce beau moment touchant. Sans ce partenariat, une jeune femme serait arrivée en ayant peur et en craignant les Premières Nations du Canada. Dans l’examen de citoyenneté qu’elle a passé pour devenir citoyenne canadienne, nous ne voyons pas la riche tradition des Autochtones dont elle a fait l’expérience à l’aéroport.

Nous ne pouvons pas vaincre l’islamophobie sans travailler à la réconciliation. Les deux sont étroitement liés, et je demande au comité sénatorial de faire valoir l’importance de la collaboration entre des organisations islamiques comme l’Association des services sociaux et familiaux islamiques et des organisations autochtones comme Bent Arrow.

La triste réalité est que les médias, y compris les médias sociaux, deviennent des vecteurs de l’islamophobie et de la haine sous toutes ses formes. Les algorithmes qui nous donnent nos nouvelles ou nos publications sur des sites comme Facebook n’en sont qu’à leurs balbutiements. Nous devrions tous être préoccupés par le pouvoir qu’ils procureront dans 15, 30 ou même 50 ans.

Je souhaite discuter de la valeur du financement et du soutien pour des médias très locaux. Le Canadien ordinaire est plus susceptible de voir ce qui se fait aux États-Unis que le travail accompli dans sa propre région. Cela nous ramène à une rupture du lien avec le sacré. Lorsque les histoires que nous voyons ne sont pas les nôtres, nous perdons le contact avec notre réalité et nous oublions de voir l’humanité chez nos voisins.

Je demande au comité d’amplifier la voix des médias très locaux, de les aider à sensibiliser et à informer les gens à propos de ce qui se fait dans leurs propres communautés. Le sacré comprend les parcs où nous amenons nos enfants et le terrain sur lequel reposent nos maisons. On peut le protéger et le favoriser grâce aux histoires que nous entendons sur les autres personnes dans nos propres communautés. Ces voix très locales doivent se faire entendre puisqu’elles sont étouffées par le flux ininterrompu de pièges à clics, de médias misant sur la rage pour nous diviser. Merci. Hiy hiy.

La présidente : Merci. Je vais maintenant donner la parole à Ibrahim Karidio pour qu’il fasse son exposé. Merci.

[Français]

Ibrahim Karidio, ingénieur, Ville d’Edmonton, à titre personnel : [Mots prononcés dans une autre langue]. Au nom de Dieu, le miséricordieux et compatissant [mots prononcés dans une autre langue], que la paix soit sur vous.

Je voudrais commencer par vous remercier de m’avoir invité à témoigner devant ce comité sénatorial permanent chargé des enjeux qui ont trait aux droits de la personne, et plus particulièrement à un enjeu fondamental qui affecte toute la fabrique de la société canadienne, pour ne pas dire de la race humaine : l’islamophobie.

Je m’appelle Ibrahim Karidio. Je suis d’origine africaine; né au Niger, éduqué sur trois continents — l’Afrique, l’Europe et l’Amérique — et adopté par le Canada depuis plus de 35 ans maintenant. Je suis multilingue : je parle français, anglais, djerma et un peu de haoussa. Je suis ingénieur professionnel, gestionnaire de centre de recherche et entrepreneur. Je suis leader communautaire, impliqué dans les activités de plusieurs communautés : nos communautés associatives, scolaires, sportives, etc. Je suis entraîneur de soccer. Enfin, je suis aussi musulman et père de famille.

Peu importe la définition des savants, pour moi et nos communautés, l’islamophobie est cette peur aveugle et injustifiée de l’autre qui conduit l’islamophobe à manquer de respect et de considération envers le musulman ou celui qui paraît musulman. Cette peur ou phobie le conduit carrément à déshumaniser le musulman, à lui refuser ses droits primaires à une vie sans crainte d’agression et de dérision, sans crainte d’humiliation et sans avoir à porter ce lourd fardeau de justification continuelle, pour simplement oser exercer son droit humain de pouvoir pratiquer pacifiquement sa religion selon sa propre conscience, comme cela se doit, et sans crainte de répercussions telles que l’exclusion, la discrimination ou l’agression.

Cette islamophobie existe au Canada et ailleurs. Elle affecte un grand nombre de musulmans, surtout ceux qui sont visibles par leur habillement, leurs pratiques, leur alimentation, ou toute autre action visible qui est différente ou incompréhensible pour les non-musulmans.

Cette islamophobie se manifeste par le refus de nous embaucher dans les postes correspondant à nos compétences, de nous accorder les mêmes possibilités que nos pairs, ou de nous promouvoir aux postes de responsabilité que nous méritons.

Cette islamophobie se manifeste par le refus de nous permettre de vivre dans le quartier de notre choix, par la méfiance accrue et continuelle envers nous, par la ghettoïsation de nos enfants, qui sont souvent obligés de fréquenter des écoles de moindre standard et très souvent mal en point.

Cette islamophobie se manifeste par la violence aveugle et inhumaine contre les filles et les femmes voilées, ou même celles qui sont simplement habillées différemment; celles-là mêmes qui ne cherchent qu’à survivre ou qui font tout pour contribuer positivement au bien être de leur famille et de la société canadienne. C’est cette violence affreuse qui a défiguré et édenté des innocentes partout au Canada, surtout à Edmonton, juste parce qu’elles ont osé paraître différentes; de la violence contre des gens pacifiques dans leur sanctuaire, leur mosquée, où ils et elles étaient venus pour se ressourcer et prier le Tout-Puissant pour leur bien-être spirituel et celui de leur communauté, du Canada et de l’humanité en général.

Je ne parle pas que de moi, mais aussi de tous ceux et celles, souvent sans voix et sans moyens, que nous représentons, comme père de famille ou comme leader communautaire. Je parle ici pour toutes ces victimes innocentes pour qui nous sommes souvent appelés à verser des larmes faute de pouvoir les défendre au moment opportun, de façon efficace et adéquate.

Les facteurs qui entraînent et influencent l’islamophobie au Canada sont nombreux. Il y a l’ignorance de l’islam et des musulmans. Il y a la fausse représentation de l’islam et des musulmans dans les médias, qui souvent ne parlent de l’islam que dans des contextes négatifs. Souvent dans le même reportage, l’islam est cité à tort avec toutes sortes de mots péjoratifs, négatifs et violents. Une étude de l’Université de l’Alberta a confirmé ce que d’autres ont aussi évoqué, soit ce qui suit :

[...] le vocabulaire employé dans les reportages sur l’islam était surtout à connotation négative et donnant une grande importance à des mots concernant la politique, le militarisme et la violence, plutôt qu’à des termes centrant sur l’assistance, la religion et le collectivisme.

La mauvaise intention et la mauvaise foi de certaines personnes envers l’Islam et les musulmans contribuent à l’islamophobie; les suppositions erronées vis-à-vis des musulmans, qui sont en grande majorité épris de paix et de tolérance; les disparités économiques causant la pauvreté et la marginalisation de plusieurs musulmans; le manque de lois claires pour prévenir et dissuader ceux et celles qui infligent leur haine et leur injustice sur des innocents; le manque d’aménagements et d’accommodements pour que les musulmans puissent accomplir leurs devoirs religieux comme les prières quand celles-ci devraient être faites et le manque de flexibilité dans certains sports d’équipe pour les athlètes féminines qui ne pourraient porter les uniformes tels quels.

Le manque de respect et d’accommodements relatif à leur alimentation et leurs fêtes religieuses obligent certains musulmans à enfreindre certaines règles du milieu en s’absentant de l’école ou du travail pendant ces journées de fêtes musulmanes, ou à ne pas prendre part aux événements de réjouissances collectives, car ils ne peuvent consommer les aliments ou les boissons qui leur sont offertes.

Voici quelques voies et moyens pour lutter contre l’islamophobie, ne serait-ce que pour réduire ses effets pervers, violents et agressifs : une grande campagne de sensibilisation de la population canadienne pour mieux comprendre ce qu’est l’islam et surtout pour avoir une meilleure appréciation de l’impact de l’islamophobie sur les victimes musulmanes innocentes et le Canada tout entier; une réforme ou un renforcement de la loi — peut-être la loi criminelle — pour rendre passible de peine dissuasive tous ceux et celles reconnus coupables d’islamophobie. Cette réforme devrait être suivie d’une campagne d’information, d’éducation et de sensibilisation de la population afin qu’elle comprenne les enjeux et les répercussions juridiques pour ceux et celles qui se rendraient coupables d’islamophobie.

Il faudrait un accroissement des moyens des forces de l’ordre et des services de sécurité pour contrôler ceux qui propagent les messages haineux d’islamophobie et de racisme dans les cybermédias et les réseaux sociaux, et une meilleure sensibilisation aux médias traditionnels sur l’impact de leurs reportages tendancieux sur l’islam et les musulmans. Ces médias utilisaient deux fois et demie plus de termes à connotation négative tels violence, extrémiste et exclusion que de termes à connotation positive tels que collectivisme, assistance et sécurité dans leurs reportages sur l’islam. Encore une fois, je cite le rapport de l’Université de l’Alberta.

Pensons aussi à une meilleure formation et sensibilisation pour les forces de l’ordre afin d’éviter le profilage, l’amalgame et surtout les fausses suppositions sur les musulmans et l’islam, à une meilleure sensibilisation pour les éducateurs et les responsables administratifs afin qu’ils puissent sortir de leur posture malsaine de discrimination et d’exclusion envers les musulmans, à des accommodements pour les musulmans dans les écoles et autres institutions, comme les maisons de vieillesse, les hôpitaux, les prisons et autres, afin qu’ils puissent prier dignement dans un endroit sain et approprié et qu’ils puissent manger des aliments appropriés (halal).

Je pense également à une meilleure défense de la Charte canadienne des droits et libertés par le gouvernement fédéral et possiblement par les gouvernements provinciaux afin que des lois discriminatoires et islamophobes, quelle que soit leur intention, ne puissent être appliquées au Canada. Il y a aussi la création d’une base de données pour les crimes haineux et ceux coupables de crime haineux accessible à la population et aux autorités compétentes qui permettrait de mieux suivre ce phénomène pernicieux. Cette base de données se doit d’être visible, et les données répertoriées par province, région, quartier et même par endroit pour permettre aux victimes potentielles d’éviter certains endroits et lieux. La création d’une autorité autonome, en plus de la police, mais indépendante de celle-ci, pour rapporter les crimes haineux permettrait aussi d’éliminer la partialité de certains éléments des forces de l’ordre.

Enfin, il faudrait un accroissement des mesures d’accompagnement et d’élimination de la pauvreté dans les classes les plus vulnérables afin de permettre leur intégration sociale et économique dans la société canadienne, sans oublier la réduction de la marginalisation des femmes musulmanes et des hommes musulmans afin qu’ils puissent intégrer le monde du travail sans discrimination ni préjudice.

Je pourrais aller plus loin, mais vu le temps qui m’est imparti, je m’arrêterai ici. Je vous remercie pour votre temps et votre attention, et merci infiniment pour cette opportunité.

[Traduction]

La présidente : Merci beaucoup. Nous passons à notre dernier témoin, Temitope Oriola. Vous avez la parole.

Temitope Oriola, professeur de criminologie et de sociologie à l’Université de l’Alberta et président élu de la Société canadienne de sociologie, à titre personnel : Madame la présidente, distingués sénateurs, chers collègues témoins et membres du personnel qui travaillent en coulisse, merci beaucoup. Je m’appelle Temitope Oriola. Je suis professeur de criminologie à l’Université de l’Alberta et président élu de la Société canadienne de sociologie. Mes travaux de recherche portent entre autres sur le recours à la force par la police et sur le terrorisme. Je comparais à titre de citoyen préoccupé.

Malgré des débats intellectuels rigoureux et parfois incohérents, je trouve plutôt didactique la description de l’islamophobie de Schiffer et Wagner. Ils décrivent l’islamophobie comme une nouvelle forme de racisme ou de racisme culturel visant la communauté musulmane.

Selon l’universitaire Sabri Ciftci, le terme a été reconnu officiellement pour la première fois par le Forum international de Stockholm sur la lutte contre l’intolérance en janvier 2001. Ciftci soutient que lorsque des personnes se sentent menacées par la présence physique et culturelle de musulmans, elles associent les musulmans au terrorisme. Et je devrais ajouter que, la même année, en 2001, les Nations unies ont demandé que l’islamophobie soit reconnue de la même façon que nous reconnaissons généralement antisémitisme.

Dans son rapport intitulé Islamophobia: A Challenge for Us All, le Runnymede Trust définit l’islamophobie comme :

[...] une hostilité non fondée envers l’islam. Il est également question des conséquences pratiques d’une telle hostilité, d’une discrimination injuste contre les personnes et les communautés musulmanes et de l’exclusion des musulmans des affaires politiques et sociales courantes.

Au cours de l’année scolaire de 2015-2016, un étudiant qui participait à mon séminaire de niveau 400 sur le terrorisme, un Canadien musulman d’ascendance moyenne-orientale, m’a dit qu’il avait rencontré à une mosquée d’Edmonton un homme qu’il croyait être un agent de sécurité. Mon étudiant a eu l’impression que l’homme tentait de déterminer s’il avait des points de vue ou des sentiments extrémistes. Les questions que l’homme a posées ont rendu l’étudiant mal à l’aise et semblaient être une tentative pour démasquer des terroristes. Il s’est inquiété pour sa sécurité. Il a cessé de fréquenter cette mosquée à cause de cet incident.

L’étudiant est maintenant avocat. Que se serait-il produit s’il avait mordu à l’hameçon? Il était très jeune à l’époque. Que se serait-il produit si les événements mondiaux l’avaient influencé et s’il avait eu des questions sur les guerres dans des pays musulmans? À quoi cette situation aurait-elle mené?

Ce n’est pas sans rappeler le cas de John Nuttall et d’Amanda Korody. Selon des données publiques, la GRC aurait dépensé environ 1 million de dollars pour enquêter sur eux. Vous vous souvenez peut-être que Nuttall et Korody ont placé des bombes fabriquées avec des autocuiseurs à l’Assemblée législative de la Colombie-Britannique en 2013.

Je saute beaucoup de choses pour gagner du temps.

Leur déclaration de culpabilité a fini par être annulée, mais la juge chargée de l’affaire, Catherine Bruce, a constaté pendant le procès que la police avait piégé Nuttall et Korody.

L’idée n’est pas que chaque enquête antiterroriste cherche à piéger les gens, mais plutôt que nous devons nous méfier de la possibilité que l’islamophobie crée des tendances et des propensions institutionnelles à discriminer contre certains membres de la communauté musulmane.

En citant ces deux cas, celui de mon ancien étudiant et celui de Nuttall et Korody, je cherche à attirer l’attention sur la dimension institutionnelle et le contexte de l’islamophobie au sein des services de sécurité depuis le 11 septembre 2001. La texture de ces pratiques institutionnelles nuit à la communauté musulmane et compromet aussi la sécurité nationale.

Dans la littérature, on s’entend de plus en plus pour dire que malgré les énormes ressources financières et humaines déployées par les services de sécurité pour surveiller les activités terroristes liées au djihadisme, on a négligé la surveillance d’acteurs de la droite comme les « incels », c’est-à-dire les célibataires involontaires. Je pense notamment à Alek Minassian, le jeune homme qui a tué 10 de nos citoyens à Toronto en 2018, et, bien entendu, il y a l’enquête en cours sur la participation au convoi de la liberté de policiers et de membres des Forces armées canadiennes actifs et à la retraite.

L’islamophobie a d’autres répercussions sur la communauté musulmane au-delà du fait qu’elle peut créer des angles morts en matière de sécurité nationale et permettre à d’autres formes de racisme d’apparaître et de se répandre parce que notre attention est détournée.

Cela comprend les formes graves de violence tout comme les mauvais traitements injustifiés et anodins. Le cas de Nathaniel Veltman et de l’assassinat de la famille Afzaal à London, en Ontario, a sans aucun doute ébranlé les gens. Nous devons nous demander comment une personne de 20 ans peut nourrir une haine si forte qu’il en vient à frapper mortellement une famille avec son camion.

Mis à part ce genre de cas spectaculaires, de nombreuses personnes ordinaires sur le plan psychologique sont islamophobes. Ici, à Edmonton, il y a eu des attaques non provoquées sur des musulmanes noires qui portent le hidjab. Leur seul crime était d’avoir plusieurs traits identitaires en tant que femmes, personnes noires et musulmanes. Ce croisement de traits identitaires semble maintenant être un cocktail mortel ciblé par les islamophobes. Je m’empresse de dire que les agresseurs ne sont pas des monstres. Ce sont des gens ordinaires, et c’est précisément ce qui rend ces cas particulièrement troublants.

Comment pouvons-nous répondre en tant que société? Nous devons d’abord reconnaître les multiples dimensions de l’islamophobie, les niveaux macro, méso et micro. Ces trois niveaux nécessitent une intervention clinique et bien calibrée. Au niveau macrosociologique, la sensibilisation est essentielle. D’autres témoins l’ont déjà souligné. L’islamophobie est alimentée, en partie, par des perceptions des musulmans en tant que menace physique et culturelle. La recherche laisse entendre qu’une sensibilisation accrue réduit l’importance de l’islamophobie. Par conséquent, la sensibilisation du public est essentielle.

Il est essentiel de sensibiliser le public à l’égard des musulmans au Canada, de leur intégration et de l’investissement dans notre tissu social en les dépeignant normalement et modestement en tant que voisins, parents, amis, camarades de classe, pompiers, professeurs, policiers et ainsi de suite.

Nous devons déployer des efforts pour que les gens soient moins tentés de recourir à une synecdoque dangereuse, alors que l’agresseur est considéré dans l’imaginaire du public comme l’ambassadeur de millions de personnes. Il faut également examiner différents programmes scolaires à partir de la maternelle. Il faut aussi examiner en profondeur les comportements que favorisent les émissions et les dessins animés pour enfants.

C’est essentiellement un travail idéationnel nécessaire pour lutter contre des perceptions erronées et des méconnaissances qui existent depuis plusieurs générations.

Les lois et les politiques doivent aussi expressément reconnaître, nommer et chercher à oblitérer les manifestations de l’islamophobie et d’autres formes de racisme. Cela comprend les pratiques d’embauche, les salaires et les promotions, entre autres choses. Un examen des salaires pour combler l’écart salarial dans la fonction publique fédérale est un moyen de rendre justice aux personnes ayant été désavantagées par différentes formes de racisme, y compris l’islamophobie et le racisme anti-Noirs. Les organismes de sécurité et d’application de la loi doivent aussi avoir des dirigeants et des agents bien informés et de différentes origines pour éviter l’inertie et l’indifférence stratégiques qui ont fait en sorte que l’accent a presque exclusivement été mis sur le djihadisme pendant que des extrémistes de droite comme les Proud Boys, les Three Percenters et ainsi de suite ont effrontément développé et répandu leurs idéologies.

Nous avons aussi besoin de bons systèmes de déclaration, de suivis et de services efficaces pour les victimes afin de lutter contre les manifestations quotidiennes de l’islamophobie au travail et dans la rue.

Comme on a déjà abordé la question, l’impuissance des victimes de l’islamophobie, je vais sauter un bon nombre de choses et passer au fait que la police et d’autres services publics devraient être tenus de prendre au sérieux les signalements d’islamophobie, qu’il y ait des blessures physiques ou non.

Enfin, j’aimerais terminer par une citation de Madiba, Nelson Mandela. Dans son autobiographie, Un long chemin vers la liberté, Mandela dit, et je le cite :

Personne ne naît en haïssant une autre personne à cause de la couleur de sa peau, ou de ses origines, ou de sa religion. Les gens doivent apprendre à haïr et s’ils peuvent apprendre à haïr, ils peuvent apprendre à aimer, car l’amour jaillit plus naturellement du cœur humain que son opposé.

Merci.

La présidente : Merci beaucoup. Nous avons une liste de sénateurs qui veulent poser des questions, et je vais commencer par la sénatrice Simons, qui sera suivie de la sénatrice Jaffer.

La sénatrice Simons : Merci beaucoup, madame la présidente. Vous savez, je constate que nous avons entendu parler aujourd’hui de trois sortes précises et différentes d’islamophobie. Nous avons entendu parler des conséquences dévastatrices des attaques dont sont surtout victimes les femmes noires qui portent un hijab, qui sont en grande partie attribuables, je suis navrée de le dire, à des membres de la communauté autochtone d’Edmonton, dont plusieurs itinérants qui souffrent d’une maladie mentale et qui sont eux-mêmes victimes d’un système qui les a laissés tomber. Pour exprimer leur frustration, ils ont choisi comme cibles faciles des femmes noires qui portent le hijab.

Nous avons parlé de ce qu’on pourrait appeler une sorte d’islamophobie qui s’appuie sur le suprémacisme blanc de la part de groupes organisés comme les Sons of Odin, les Three Percenters ou des gens qui s’associent au convoi et au mouvement des gilets jaunes, ou tout simplement, vous savez, les Freemen on the Land, des loups solitaires islamophobes.

Mais M. Oriola a ensuite attiré notre attention sur une sorte différente d’islamophobie qui est tout aussi importante, c’est-à-dire les préjugés systémiques silencieux qui font partie intégrante de nos services de police et de nos services de sécurité à l’aéroport, de nos services gouvernementaux.

Il me semble qu’il y a étrangement trois différents types d’islamophobie qui nécessitent différentes solutions.

Donc, après un préambule plutôt long, je veux commencer par une question pour M. Boldick. Que pouvons-nous faire — au-delà des mesures que vous avez nommées, comme se rendre à l’aéroport afin d’accueillir les gens et organiser des activités — pour que les Autochtones frustrés d’Edmonton, surtout ceux sans logement qui sont atteints d’une maladie mentale, ne ciblent pas les femmes musulmanes? Nous allons commencer là.

M. Boldick : Merci. Je pense que la question est vaste et qu’il y a beaucoup à dire à ce sujet, et de nombreux points ont été abordés aujourd’hui par les autres témoins, qui ont parlé de la façon dont cela fait partie de nos systèmes. Nous ne donnons pas à ces personnes une chance de survivre. Nous avons entendu parler de la façon dont le racisme et l’islamophobie sont ancrés dans nos méthodes socioéconomiques. Les gens n’ont pas l’occasion de changer de classe sociale, qu’il s’agisse de la classe inférieure ou de la classe moyenne. Il arrive souvent que ces personnes n’aient aucune possibilité, que ce soit à cause des pensionnats, de la rafle des années 1960 ou d’autres traumatismes. Elles n’ont jamais eu de possibilités, et dans cette situation, tous les moyens semblent bons pour évacuer la rage qui les habite. Nous devons donc leur offrir des possibilités. Nous devons les rencontrer où elles se trouvent.

Comme je l’ai dit dans mon exposé, c’est lié au sacré, pour leur donner l’occasion de renouer avec leur propre culture, avec leur propre spiritualité, avec leur propre communauté. Lorsqu’on sort les gens de leur communauté, qu’on leur prend leur identité, ils n’ont plus de possibilités, et c’est ce que nous devons changer pour qu’ils évoluent dans un système qui fonctionne pour eux, pas contre eux.

Comment? Il faut créer des fonds, investir dans la communauté, et consacrer du temps et de l’énergie aux personnes qui n’ont eu aucune possibilité. J’espère que cela répond à votre question. Je pense que la réponse se trouve là.

La sénatrice Simons : Je veux poser la question à M. Oriola. Je crois que l’un de vos domaines d’expertise consiste à examiner la façon dont les gens se radicalisent et sont recrutés, que ce soit dans un groupe suprémaciste blanc ou un groupe terroriste musulman comme Boko Haram. Que devons-nous savoir à propos de la façon dont les gens se radicalisent sur les médias sociaux ou dans de petits groupes? Quel est le processus auquel nous devons nous attaquer pour éviter que de jeunes hommes blancs se tournent vers le terrorisme et la suprématie blanche, et pour éviter que de jeunes musulmans fâchés ne tombent dans le panneau?

M. Oriola : Merci beaucoup, sénatrice. De mon point de vue, une bonne part de la radicalisation en ligne par les groupes extrémistes de droite découle en partie de la neutralisation apparente des organismes d’application de la loi et des organismes de sécurité.

Au risque de verser dans l’hyperbole, j’estime qu’il s’agit d’un choix stratégique. Si un groupe de jeunes hommes musulmans avaient déversé en ligne le genre de déclarations que publient certains jeunes hommes blancs en ligne, sur leur téléphone et sur ces sites Web bien connus, ils auraient été presque immédiatement appréhendés, puis arrêtés. Les organismes d’application de la loi ont choisi de laisser tranquilles ces individus.

La publication en ligne de propos misogynes, racistes, voire d’actes de violence, ainsi que les menaces sont suffisamment alarmantes pour qu’on essaie d’en retrouver les auteurs. En fait, ces individus seraient appréhendés si leur identité était différente.

Au nom du concept de menace perçue, certains commentaires ne sont pas considérés comme menaçants. Une forme d’intersubjectivité banalise la gravité des propos. On dira : « Il faut que jeunesse se passe. » Les jeunes hommes musulmans affirment que leurs publications en ligne seraient immédiatement détectées. J’aimerais que nous reconnaissions cet état de fait. C’est un choix stratégique que font les organismes d’application de la loi.

Cela étant dit, il faut également souligner que la société connaît une autonomisation et une individualisation croissantes. La cohésion sociale se délite. Par conséquent, après deux ans de pandémie de COVID, trop de gens, en bonne partie des jeunes de moins de 30 ans, confinés à la maison et coupés du reste de la société, se sont autoradicalisés en ligne. Lorsque vous ajoutez dans ce mélange une entreprise colossale de média social, dont les algorithmes sont programmés en quelque sorte pour vous offrir principalement votre contenu de prédilection, vous commencez à vivre dans un cocon. Ces personnes qui vivent dans leur cocon, leur bulle, consomment la rhétorique d’acteurs sociaux se logeant à la même enseigne idéologique qu’eux. Nous savons que ces choses suivent des tendances.

Je pense, par exemple, à la tuerie d’Isla Vista perpétré en 2014 par Elliot Rodger, aux propos d’Alek Minassian citant Elliot Rodger, au jeune homme en Nouvelle-Zélande auteur du massacre de Christchurch, et à tout le reste. Ils ont une rhétorique en commun, mais ils expriment leurs vues dans un manifeste dont ils sont les seuls signataires. Plusieurs d’entre eux ont écrit des manifestes citant leurs frères idéologiques. On a observé la même chose chez l’auteur de l’attaque perpétrée en Norvège, si ma mémoire est bonne, en 2011.

Ces individus sont connectés entre eux. Rien de ce qu’ils font n’est inédit. Il faudrait seulement faire preuve de volonté politique et affecter des ressources appropriées à ce domaine prioritaire. Normalement, lorsque des priorités sont établies, des ressources y sont affectées. Voilà le grand principe à observer selon moi.

La sénatrice Simons : À quel point devrions-nous nous préoccuper des politiciens des grands partis qui publient des messages codés contenant des marqueurs de la théorie du remplacement ou du nationalisme ethnique blanc? Doit-on trouver dangereux le comportement des politiciens qui tentent de normaliser ce genre de discours?

M. Oriola : Sénatrice, vous avez soulevé un point fondamental. Je suis heureux que vous le mentionniez. Le discours politique donne de l’oxygène à bon nombre de messages que nous voyons.

La présidente : Votre microphone est fermé.

La sénatrice Martin : Je suis désolée. Je pensais me rendre utile.

M. Oriola : J’étais certain de l’avoir activé.

L’État est au bout du compte le contenant, et les personnes chargées de faire fonctionner l’État ou qui occupent des postes très importants et influents, surtout s’ils ont une valeur symbolique, ont une incidence profonde sur les cœurs et les esprits. Alors, lorsque des individus écoutent dans leur cocon les discours politiques provenant des couloirs du pouvoir, et le message codé ou l’appel du mégaphone, ce qu’ils entendent renforce leur idéologie, car ces messages font office de point de ralliement. Certains politiciens leur donnent une tribune. Je résiste à la tentation de nommer des noms. Ce genre de comportement nourrit sans aucun doute le phénomène.

Je pense qu’il faudrait adopter une approche non partisane lorsque nous examinons le danger que posent ces comportements pour la société. Il faudrait affirmer collectivement que ce mouvement n’est pas le Canada, que ce n’est pas nous et que nous ne le tolérerons pas, quelles que soient nos allégeances politiques.

Nous sommes témoins d’opportunisme politique. Les adeptes de ce genre de discours constituent une certaine catégorie d’électeurs. Les politiciens jouent le jeu pour obtenir des appuis dans les différentes franges de la société. Ils utilisent un langage que connaissent ces individus. À mon avis, c’est comme cela que les choses se passent en politique.

La sénatrice Simons : J’aimerais intervenir lors de la deuxième série de questions, le cas échéant, mais je cède la parole à ma collègue.

La présidente : Merci. Je donne la parole à la sénatrice Jaffer, puis à la sénatrice Martin.

La sénatrice Jaffer : J’aimerais revenir sur votre échange avec la sénatrice Simons, professeur, c’est-à-dire lorsque vous avez expliqué votre point de vue à l’égard des individus qui ne subissent pas de conséquences même après avoir publié ces choses en ligne. Souhaiteriez-vous que nous durcissions les lois? Que demandez-vous?

M. Oriola : Je suis désolé. Je n’ai pas compris ce que vous avez dit.

La sénatrice Jaffer : Souhaiteriez-vous que les lois soient renforcées? Que suggérez-vous? En tant que criminologue, pouvez-vous nous dire comment combler cette lacune?

M. Oriola : Absolument.

La présidente : Activez votre microphone.

M. Oriola : Alors, oui, parce que les 15 dernières années nous ont appris qu’il fallait prendre ces menaces au sérieux et que ces paroles se transformaient en actions dans la vraie vie. Par exemple, les descriptions dégradantes des femmes en ligne se sont traduites par des attaques physiques commises par des incels dans nos rues. L’attaque au camion-bélier à Toronto nous vient tout de suite à l’esprit. Nous ne sommes plus dans la théorie.

Il est temps que les lois soient en phase avec la société. Selon moi, nous avons atteint une croisée des chemins; il faut que les lois sanctionnent la rhétorique en ligne. Je demande que certains de ces actes fassent l’objet de conséquences structurées et proportionnelles. Ces menaces se concrétisent. Certains individus commettent des attaques dans la réalité, dans la société.

Cela dit, je connais bien les exigences relatives à la protection des libertés fondamentales garanties par la Charte. Selon moi, un juste équilibre peut être atteint à cet égard. En fait, personne n’a le droit de commettre des actes de violence, de proférer des menaces et tout le reste...

La sénatrice Jaffer : Je vais vous interrompre ici, car j’ai énormément de questions et parce que la présidente ne me donnera pas... J’ai bien saisi ce que vous voulez dire. Merci. Désolé.

M. Karidio, félicitations pour votre présentation. Vous avez dit que l’islamophobie désignait une peur aveugle et injustifiée de l’autre qui se solde par un manque de respect et de considération. Je pense que c’est la définition que je vais employer, mais seriez-vous prêt à dire que la peur injustifiée de l’autre pousse les islamophobes à commettre des actes de racisme? Peut-on parler alors d’islamophobie, ou plutôt de discrimination?

M. Karidio : Oui. Je pense que les islamophobes suivent le modèle du racisme et de la discrimination. Ils fonctionnent de cette façon. Certains comportements islamophobes sont calqués sur ce modèle.

Comme nous l’avons dit, l’islamophobie est un phénomène très difficile à définir, qui se manifeste de différentes manières. Je pense que la plus...

[Français]

La sénatrice Jaffer : Franchement, j’ai trouvé pour la première fois la définition que j’aime.

M. Karidio : Merci beaucoup.

La sénatrice Jaffer : Parce qu’elle était vraiment compliquée avant. Merci.

[Traduction]

Monsieur Boldick, j’aimerais vous remercier d’avoir déposé un mémoire aussi substantiel, qui renferme beaucoup de matière à réflexion dans différents domaines; votre témoignage va s’avérer vraiment utile. Je vais réfléchir longuement sur ce que vous avez dit. Alors, merci beaucoup.

Madame Rahmat, vous faites preuve de bravoure dans votre travail de soutien aux femmes. Pour le commun des mortels, ce travail ne rapporte pas de dividendes, mais vous et moi savons que ce n’est pas vrai. Il n’est pas facile de soutenir une sœur dans sa famille, dans sa communauté. J’ai deux questions. Est-ce que le gouvernement fédéral vous soutient? Votre soutien provient-il seulement du gouvernement provincial?

Mme Rahmat : Merci. Comme je l’ai déjà dit, Sisters Dialogue est un organisme qui a été mis sur pied assez récemment. Nous n’avons pas de fonds de fonctionnement. J’occupe un emploi à temps plein. Deux des membres de notre conseil d’administration sont des mères seules. Nous sommes toutes des femmes. Nous nous sommes réunies parce que nous voulons aider. Jusqu’à présent, nous avons reçu du financement au niveau municipal et provincial, mais ce sont des fonds destinés à la programmation. Nous avons rencontré le député d’Edmonton-Centre, Randy Boissonnault, qui nous a promis un certain nombre de choses. J’ai fait un suivi auprès de son personnel, mais nous n’avons pas eu de nouvelles. Nous voudrions obtenir une subvention de démarrage, car en plus de l’islamophobie, les musulmanes subissent un patriarcat systémique. Plusieurs hommes nous représentent à l’échelle d’Edmonton, mais puisque ce sont les femmes qui se font attaquer, nous voulons faire nous-mêmes nos revendications. Nous souhaiterions embaucher quelqu’un. Je suis mère de trois enfants et j’ai des réunions les soirs et les week-ends. J’ai également un emploi à temps plein. Si seulement nous obtenions une subvention de démarrage, nous pourrions louer des locaux et embaucher des employés à temps plein pour nous soutenir. Nous avons abattu beaucoup de travail depuis la création de l’organisme il y a un an. Nous avons un programme de marche sécuritaire, nous avons organisé des cercles de guérison, toutes des choses que veulent les femmes.

La sénatrice Jaffer : Je suis désolée. La présidente va m’interrompre. J’ai l’air de lui jeter le blâme, mais ce n’est pas mon intention. Désolée. Je vais vous parler hors ligne, car c’est de cette manière que nous avons commencé la conversation.

Mme Rahmat : D’accord.

La sénatrice Jaffer : Rapidement, je voudrais vous remercier tous les quatre. Même si votre tour est arrivé tard en après-midi, après deux journées complètes de délibérations, vous nous avez donné plein de matière à réflexion. Tous les témoins nous ont apporté de nouvelles idées de ce que nous pouvons faire. Je voudrais vous remercier en mon nom. Merci, madame la présidente.

La sénatrice Martin : Merci, madame la présidente. Et merci à tous les témoins. En fait, j’allais dire qu’après une longue journée passée avec les témoins, tout ce que j’ai entendu me donne beaucoup plus d’espoir. Donc, madame Rahmat, merci. Ma vue baisse. Il faut que je remplace mes lunettes.

La présidente : Nous sommes tous fatigués.

La sénatrice Martin : Ce qui me frappe le plus dans ce que vous avez dit, c’est que nous devons considérer l’islamophobie comme une maladie. Les maladies se guérissent avec le bon traitement et les bonnes méthodes. Vous avez cité Nelson Mandela, qui disait que nous ne sommes pas nés pour haïr. Ces comportements sont appris. Vous avez prononcé un discours très inspirant qui termine bien la séance.

Je suis curieuse de connaître les partenariats dont vous avez parlé, monsieur Boldick, avec le groupe Islamic Family, mais j’ai l’impression qu’une collaboration serait possible avec les cercles de guérison dont a parlé madame Rahmat. Avez-vous la même impression?

M. Boldick : J’ai cette même impression, et je vous remercie. J’étais prêt à sortir ma carte professionnelle et à vous inviter à poursuivre la discussion. Vous lisez dans mes pensées.

Mme Rahmat : Nous faisons tout cela parce que nous savons qu’il est important de bâtir des ponts entre les différentes communautés.

La sénatrice Martin : Tout à fait.

Mme Rahmat : Nous entretenons des relations avec la nation crie de Samson. Nous organisons des cercles de guérison avec des femmes autochtones, ce qui s’inscrit dans un objectif. Je serais heureuse de discuter avec monsieur Boldick pour les aider à poursuivre leur travail.

La sénatrice Martin : J’ai vu cette connexion tout de suite.

Mme Rahmat : Merci.

La sénatrice Martin : Dans votre mémoire, monsieur Boldick, vous parlez de recourir aux médias sociaux hyperlocaux. Voilà certainement une des clés du succès selon moi. D’autres groupes ont également formulé des recommandations sur la diffusion de publicités gouvernementales. En fait, ce pourrait être des campagnes publicitaires diffusées sur des médias sociaux hyperlocaux, mais aussi au moyen de canaux gouvernementaux, mais c’est le message qui devrait primer. Voudriez-vous dire quelque chose sur le recours aux médias sociaux hyperlocaux?

M. Boldick : Pourriez-vous décrire plus précisément le genre de message que vous recherchez?

La sénatrice Martin : Je pense que le message véhiculé par le média social hyperlocal doit être d’abord clair et concis. D’autres organisations ont également demandé au gouvernement du Canada de faire des campagnes publicitaires. Je me demandais donc s’il était nécessaire de faire les deux. Quel type de message faudrait-il diffuser pour lutter contre cette maladie?

M. Boldick : Un des messages les plus importants à transmettre est le caractère inéluctable de ces événements, qui surviennent encore, que ce soit dans une mosquée ou dans un organisme local. Venez voir. Soyez des nôtres. Participez et acceptez les invitations.

Notre directrice générale, Cheryl Whiskeyjack, est une femme brillante. J’aurais souhaité qu’elle soit ici, car elle s’exprime beaucoup mieux que moi. Elle parle de la culture d’intervention bienveillante. Alors, j’aimerais que les messages diffusés dans les médias hyperlocaux invitent les gens à se rassembler à nos côtés.

Souvent, lorsque les gens viennent à Bent Arrow, ils ont peur, car ils ne savent pas quoi faire; ils ne connaissent pas le protocole de la cérémonie de la purification. Ils ne savent pas quoi faire et ils ont peur de demander. Ils craignent d’être offensants ou de paraître insensibles. Nous voulons leur faire comprendre que nous voulons les accueillir. Nous voulons qu’ils viennent nous voir. Le message doit dire : « Venez. N’ayez pas peur. Vous ne vous rendrez pas ridicule. Nous allons vous montrer. Nous vous accompagnerons pas à pas. » C’est ainsi que la connexion s’opérera.

J’ai parlé abondamment de la nécessité de bâtir une communauté. C’est de cette manière que nous y parviendrons. J’aimerais vraiment voir des messages qui véhiculent une philosophie de la bienveillance, de l’accueil et de la communion. Des messages qui disent : « N’ayez pas peur. Nous allons vous montrer. »

La sénatrice Martin : Je suis d’accord avec vous. Très bien. Merci, madame la présidente.

La présidente : Merci. J’ai un commentaire, ou peut-être pourrions-nous appeler cela une question. Monsieur Karidio, vous avez parlé du jugement porté sur la tenue vestimentaire. Nous avons entendu ces mêmes propos hier, à Vancouver, venant d’une femme professeure qui, chaque fois qu’elle est en public, a l’impression que les gens pensent qu’elle est incapable de dire quelque chose d’intelligent. Ce genre de situation mettant en cause une enseignante est survenue au Québec après l’adoption du projet de loi 21. Voyez-vous, on transmettait aux enfants le message voulant que les enseignantes qui se couvrent la tête soient incapables d’enseigner. Saisissez-vous ce message? Ce qui est intéressant, c’est que lorsque je suis vêtue de mes vêtements traditionnels, ma tenue n’est jamais qualifiée de traditionnelle. Pour certains, ce ne sont pas des vêtements que je porte, c’est un costume. Les enfants lèvent alors les yeux au ciel en rigolant. Je pense que les jeunes ont développé ce mécanisme d’adaptation qui consiste à rire dès que des frictions surviennent. Vous apportez ce concept intéressant du jugement que les gens portent sur la tenue vestimentaire. Ces gens pourraient plutôt prendre le temps de découvrir ce que les personnes ainsi vêtues ont réalisé et ce qu’elles ont accompli. Dans votre cas, vous qui vous trouvez devant moi, nous pouvons sans nul doute parler d’énormes réalisations.

M. Karidio : Je vous remercie de cette question. Elle est vraiment pertinente. En fait, l’idée de commencer à porter mes vêtements traditionnels, notamment à l’extérieur, m’est venue de ma fille qui a décidé, après avoir obtenu son diplôme d’études secondaires, de son propre chef et sans pression, de porter le hidjab et de changer sa façon de s’habiller, entre autres choses. Elle m’a dit un jour : « Papa, comment peux-tu comprendre et ressentir ce qu’elle ressent lorsqu’elle sort, alors que tu n’es pas un musulman typique. »

En réalité, je suis un musulman typique, car le musulman représentait tout. Comment te sentirais-tu, parce que tu n’es pas... tu ne portes pas... tu ne ressembles pas à un musulman? C’est alors que j’ai pris la décision. Pour pouvoir ressentir et comprendre ce qui se passe, je vais m’habiller et sortir ainsi. C’est un habillement normal que nous portons quand nous sortons et qui n’a rien à voir avec quoi que ce soit.

Si je veux faire un exposé lors de mes conférences, je parie que les gens vont plus m’écouter si je porte un habit et une cravate que si je m’habille de cette façon. C’est seulement pour montrer que ce n’est pas l’apparence qui compte. En français, on dit « l’habit ne fait pas le moine ». Ce n’est donc pas votre habillement ni votre apparence qui exprime ce que vous avez à l’intérieur de vous. Et ce que vous avez à l’intérieur — vos pensées ou votre intellect — n’est pas le reflet de votre habillement.

La présidente : Merci. Monsieur Oriola, j’ai une question à vous poser. Il y a environ 10 jours, j’étais à une conférence, après quoi je me suis assise avec un collègue. À ce moment, un collègue de l’autre côté — du côté de la Chambre — s’est tourné vers nous, mon collègue aussi racisé et moi, et a dit : « Eh bien, tant que vous continuerez à vivre cloisonnés, vous savez... » Ce à quoi j’ai répondu : « Tant que vous continuerez à nous demander d’où nous venons, comme cela se produit tous les jours ». Cette conversation a été interrompue parce que quelqu’un d’autre est arrivé. Comment expliquer aux gens que nous ne voulons pas vivre cloisonnés, mais que nous avons parfois l’impression de ne pas être à notre place? Quand on me demande d’où je viens, alors que j’ai passé la plus grande partie de ma vie au Canada et que l’on me demande quelle langue je parle, j’ai presque envie de leur répondre que c’est la langue parlée à Toronto maintenant, car si vous travaillez dans la région de Toronto, vous savez que 52 % des gens parlent une autre langue que l’anglais. Je pense que parfois, les habitants des grandes villes comprennent, mais dans certaines petites villes, c’est plus difficile. Qu’en pensez-vous? Comment gérez-vous cela?

M. Oriola : C’est très difficile, sénatrice. Je pense qu’une partie de la société veut comprendre les choses. C’est un peu sommairement, sans profondeur ni nuances. C’est la façon dont les gens sont capables de donner un sens à un monde où tout est rapide et complexe, surtout dans le contexte multiculturel dont nous parlons. Ils conçoivent un raccourci dans leur façon de comprendre l’ordre social. En fonction des apparences, ils font des suppositions dont beaucoup se révèlent fausses, mais parce que la mémoire en est imprégnée, c’est ainsi qu’ils naviguent dans le monde et qu’ils lui donnent un sens.

Mais j’aime toujours faire la distinction entre ce genre de questions ou de rencontres presque banales et sans doute presque sans conséquence, et me concentrer davantage sur les questions plus importantes comme l’emploi, la promotion, le logement, l’obtention d’un prêt, le taux d’intérêt et tout le reste. Je m’arrête moins aux choses plus banales, car chaque société est confrontée à ce genre de problèmes sous une forme ou une autre.

Je suis né et j’ai grandi au Nigeria, où il y a 252 groupes ethniques. Il y a toutes sortes de croyances, mais rien, bien sûr, ne correspond directement aux problèmes raciaux fondamentaux des sociétés euroaméricaines — loin de là. Rien n’empêche que ces problèmes existent partout.

Ce que je veux dire, c’est que sur le plan praxéologique, sur le plan politique, nous devrions nous préoccuper des types de pratiques et de discours discriminatoires qui ont des conséquences sur le bien-être des personnes, leur emploi, leur santé — ceux qui sont mesurables, observables, et que des politiques ou des dispositions législatives peuvent atténuer.

Il est difficile d’imposer aux gens d’être gentils au moyen de dispositions législatives. Je suis un réaliste. Je vois le monde tel qu’il se présente à moi. Encore une fois, si quelqu’un me demande d’où je viens, je répondrai, mais soyez prêt à répondre aussi, car je vous poserai la même question. Mais tant que cela ne se traduit pas par le déni de possibilités, le déni d’une promotion, je pense que nous devrions considérer que cela fait simplement partie du contexte plus large de la condition humaine.

La présidente : Pourtant, ne pensez-vous pas que les gens se font une idée sur vous dès que vous entrez dans un lieu, compte tenu de votre habillement et de votre allure? En fait, j’avais une amie qui convoitait un emploi, et chaque fois qu’elle manifestait son intérêt, elle essuyait un refus. Puis elle a demandé à une autre amie de manifester de l’intérêt pour le poste. On lui avait dit que le poste était pourvu, et quand elle a demandé à une autre personne qui n’était pas d’origine ethnique de vérifier, on lui a dit que le poste était toujours disponible. Donc parfois cela fonctionne. Une des choses que j’ai apprises en politique est que les gens vous jugent dans les 30 premières secondes où ils vous voient. Ils vous jugent. Ils vous regardent, et ils se sont déjà fait une idée.

Je vais laisser le dernier mot à la sénatrice Simons, de l’Alberta.

La sénatrice Simons : Lorsque j’ai réalisé qu’on allait me demander de siéger en tant que remplaçante au sein de ce comité, j’ai en quelque sorte entrepris de dresser la meilleure liste de témoins possible. L’une des choses que je voulais vraiment faire était de veiller à ce que nous entendions des personnes représentant toute la diversité de la communauté musulmane d’Edmonton. Même là, nous n’avons pas pu le faire. Je ne pense pas que nous ayons eu quelqu’un de la communauté ismaïlienne, de la communauté ahmadie, ou quelqu’un d’Indonésie ou de Malaisie. Il est très, très difficile de saisir toute la diversité. Le Canada est un pays multiculturel, mais l’islam est une religion incroyablement multiculturelle. Lorsqu’il s’agit de combattre l’islamophobie — je voudrais principalement entendre Mme Rahmat et M. Karidio à ce sujet —, si vous ne venez pas de la communauté musulmane dominante, je me demande dans quelle mesure il est difficile de susciter l’engagement communautaire, de jeter des ponts et, pour l’islam, qui est une foi aux multiples facettes, de rassembler les gens d’Edmonton lorsqu’il existe des différences de longue date en matière de culture et de doctrine au sein de vos propres communautés?

M. Karidio : Oui. Je pense que c’est une excellente question. Mais je pense que si l’on parle de l’islam, partout où je suis allé, je dis toujours que je me moque bien de savoir où vous vous situez précisément. Où que vous soyez, vous êtes musulman, point final. Cela ne change rien pour moi.

Et j’ai vécu à Prince George, où il y a une grande diversité de personnes, et j’ai pu unir des gens de différentes religions, les faire travailler et vivre ensemble — pas seulement avec les musulmans, mais avec le reste de la communauté. J’ai probablement été le premier à faire en sorte que les musulmans puissent prier dans l’église unie Knox, car nous n’avions pas de mosquée à l’époque. J’ai fait en sorte que ce soit acceptable pour eux. Et lorsque la mosquée de Prince George a été construite, je me rappelle que le prêtre, et la personne de la synagogue...

La sénatrice Simons : Le rabbin...

M. Karidio : Oui, le rabbin. Ils sont venus. En fait, ils ont presque pleuré parce qu’ils étaient très heureux que nous ayons une mosquée et parce que c’était la première fois qu’il y avait une collaboration entre toutes les confessions. Les ahmadis, nous les considérons comme des frères et sœurs et nous travaillons ensemble.

À Edmonton, c’est la même chose. Je vais habituellement dans différentes mosquées pour prier. Je peux prier chez moi, car l’islam le permet. L’islam est la religion la plus inclusive et la plus diversifiée, et je pense — je le dis parfois en tant que scientifique — que l’islam est la religion la plus rationnelle parce qu’elle permet les accommodements. Vous pouvez vivre avec d’autres personnes et vous adapter. Il n’est pas difficile pour moi de fréquenter des Somaliens. C’est la même chose avec les communautés noires. C’est pour cela que parfois, quand on me demande d’où je viens, je réponds que je suis du Niger. Je n’aime même pas cela. Je suis né au Niger, mais je dirais que j’ai été adopté par le monde entier.

La sénatrice Simons : Merci.

M. Karidio : Il n’y a pas de quoi. Merci.

Mme Rahmat : Je vous remercie de votre question. Je suis originaire de Singapour. En tant que musulmane, je suis une personne indigène marginalisée à Singapour même. Je n’ai donc jamais su ce que c’était que de faire partie de la majorité. En dehors du tribalisme ou du racisme, notamment envers les Noirs, au sein des communautés musulmanes, je pense qu’il y a des choses que nous essayons de régler nous-mêmes. Je pense que nous nous penchons sur les problèmes internes, mais l’islamophobie est un enjeu qu’il faut traiter séparément.

En tant que communauté, nous pouvons faire bien des choses pour assurer la cohésion entre nous. Le racisme envers les Noirs est le principal problème, mais je veux me concentrer sur l’islamophobie. Je suis une femme musulmane d’Edmonton qui a parlé à divers groupes de femmes musulmanes. Nous clamons que nous avons besoin de services d’aide aux victimes et qu’il faut étendre ces services aux personnes touchées indirectement.

Si vous lisez ou cherchez sur Google, vous verrez qu’il y a beaucoup d’articles de recherche sur l’islamophobie et la radicalisation — comme l’a dit mon frère, il se fait beaucoup de choses —, mais nous avons besoin de plus de soutien aux victimes. C’est pourquoi je suis ici, et j’espère que ma voix est entendue. Merci.

La sénatrice Simons : Elle l’est. Merci de faire entendre vos voix et de raconter votre histoire.

La présidente : Merci. Votre voix sera certainement entendue. Tout ce que vous avez dit est consigné, et à la fin de l’étude, il y aura des recommandations. Merci.

Je tiens à remercier chacun d’entre vous d’être venu relater votre histoire et exprimer vos pensées. Je tiens également à souligner, sénatrice Simons, que lors du premier recensement de 1871, Edmonton comptait 13 musulmans d’origine écossaise et qu’on y trouvait, bien sûr, la première mosquée en Amérique du Nord. Edmonton a une histoire dont il y a lieu d’être très fier, et je suis ravie d’être ici. En fait, j’ai passé beaucoup de temps à Edmonton parce que ma fille a fait son doctorat à l’Université de l’Alberta, alors Edmonton est très proche de mon cœur.

Je remercie chacun d’entre vous. Mesdames et messieurs les sénateurs, cela nous amène à la fin des témoignages d’aujourd’hui. La journée a été longue et chargée d’émotions pour certains d’entre nous. Nous avons entendu des témoignages très émouvants et qui donnent à réfléchir, alors je veux profiter de cette occasion pour vous remercier. Mesdames et messieurs, je tiens à vous remercier, ainsi que notre incroyable personnel, car sans vous, nous ne serions rien.

Merci beaucoup et profitez du reste de la journée. La réunion est terminée.

(La séance est levée.)

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