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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 15 - Témoignages (Séance du 2 décembre)


OTTAWA, le lundi 2 décembre 1996

Le comité sénatorial permanent des banques et du commerce qui est saisi du projet de loi C-5 modifiant la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies et la Loi de l'impôt sur le revenu se réunit aujourd'hui à 18 h 05 pour examiner le projet de loi.

Le sénateur Michael Kirby (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Honorables sénateurs, nous poursuivons nos audiences sur le projet de loi C-5. Les premiers témoins de ce soir seront des représentants de l'Association canadienne des professionnels de l'insolvabilité. J'invite M. Peterson, président de l'association, à présenter les personnes qui l'accompagnent et à faire sa déclaration liminaire.

M. Ralph Peterson, président, Association canadienne des professionnels de l'insolvabilité: Je m'appelle Ralph Peterson et je suis président de l'Association canadienne des professionnels de l'insolvabilité. Je suis accompagné à ma gauche de Bill Drake, ex-président de l'association, à ma droite, de Alan Spergel, l'un de nos membres spécialisés dans les faillites de consommateurs et, à ma gauche, de Norm Kondo. Bill, Alan et moi-même sommes tous des syndics agréés, des professionnels de l'insolvabilité et des comptables agréés.

Le président: Puis-je vous demander une chose? Nous devons accueillir demain le Groupe des 100, comme il s'appelle, qui est une composante de votre association si j'ai bien compris. Pour que les choses soient bien claires, pouvez-vous nous dire quelle est la différence?

M. Peterson: Il s'agit en fait d'une organisation différente, appelée l'Institut de l'insolvabilité, mais bon nombre de ses membres font également partie de l'Association canadienne des professionnels de l'insolvabilité.

Le président: Quelle différence y a-t-il entre les deux?

M. Peterson: Ils ont un sociétariat plus ouvert. Leurs membres ne sont pas que des syndics. Il y a aussi des avocats et certains cadres d'entreprises. Le nombre de membres ne peut pas dépasser 100.

Le président: Tous les membres de votre propre organisation sont des syndics?

M. Peterson: Ce sont tous des spécialistes agréés de l'insolvabilité. Certains sont en outre des syndics agréés, et nous avons aussi des étudiants en stage.

Le président: Merci.

M. Peterson: Je suis heureux de dire que notre mémoire a reçu l'appui de l'Institut canadien des comptables agréés, qui regroupe environ 60 000 membres d'un bout à l'autre du pays.

Nous sommes très heureux de pouvoir témoigner devant votre comité pour vous communiquer l'opinion des professionnels de l'insolvabilité sur le projet de loi C-5. Les 820 membres généraux de l'Association canadienne des professionnels de l'insolvabilité représentent la majeure partie des professionnels qui jouent le rôle de syndics de faillite, de séquestres, d'agents et d'experts-conseils dans les affaires d'insolvabilité.

Cela veut dire, monsieur le président, que nous sommes les agents de première ligne chargés de mettre en oeuvre les dispositions de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité. Nos membres ont participé à des discussions avec Industrie Canada et avec d'autres parties prenantes, et ils appuient de manière générale ce projet de loi.

L'Association canadienne des professionnels de l'insolvabilité a participé aux travaux du Comité consultatif sur la faillite et l'insolvabilité, dans la mesure où elle était représentée au sein de son comité directeur, et à la majeure partie des groupes de travail et groupes d'étude du CCFI. En outre, plusieurs de nos membres ont fait bénéficier le CCFI de leur temps et de leur savoir-faire à titre de représentants d'autres organisations.

Nous avons préparé à votre intention un mémoire technique que nous vous remettons aujourd'hui. Ce mémoire porte sur un large éventail de questions précises et vous y trouverez diverses recommandations destinées à améliorer certaines dispositions du projet de loi, dans le cadre de son objectif global. Je n'ai pas l'intention de vous lire tout le mémoire ce soir. Nous pensons en effet qu'il serait préférable de vous donner notre opinion sur les questions qui nous paraissent les plus importantes, de point de vue particulier de spécialistes des problèmes pratiques de faillite et d'insolvabilité. À mesure que nous aborderons certaines de ces questions les plus importantes, nous formulerons des recommandations qui nous semblent justifiées pour permettre au texte de loi de mieux répondre à son objectif social et économique.

De fait, l'objectif fondamental du projet de loi est d'assurer un règlement ordonné, juste et efficient des problèmes d'insolvabilité. Pour ce faire, le législateur a prévu d'établir des règles très claires à l'intention des débiteurs et des créanciers, ce qui est indispensable dans une économie où il peut parfois y avoir des problèmes. On s'est efforcé d'atteindre cet objectif en équilibrant le souci de réhabiliter et de protéger l'intégrité de l'individu et celui de protéger les intérêts des créanciers. S'il n'y avait pas de système de faillite et d'insolvabilité, les risques normaux d'ordre commercial et financier qui sont essentiels au bon fonctionnement de l'économie seraient intolérables autant pour les particuliers que pour les entreprises. Nous insistons sur cet objectif global du projet de loi, monsieur le président, car nous croyons qu'il est important de comprendre qu'un système ordonné, juste et efficient de faillite et d'insolvabilité a des ramifications non seulement pour les personnes qui sont directement touchées par une faillite ou une insolvabilité mais aussi pour l'ensemble de la collectivité.

Avant d'examiner les modifications proposées dans le projet de loi C-5, il vaut la peine de se pencher brièvement sur la dernière série de modifications importantes qui ont été apportées à la Loi. En effet, les modifications de 1992 visaient à rendre le système plus efficient, étant bien entendu que plus le règlement d'un problème de faillite coûte cher en temps et en ressources, moins on est à même de donner satisfaction aux créanciers et de faciliter le rétablissement de la personne insolvable. Les modifications de 1992 visaient donc à encourager les personnes insolvables -- et nous parlons ici de consommateurs --, à soumettre à leurs créanciers des propositions concordataires dans lesquelles ils s'engageraient à effectuer des paiements pour régler leurs dettes plutôt qu'à déclarer faillite. On supposait alors que les créanciers réagiraient favorablement et négocieraient des compromis avec les personnes insolvables. On estimait par ailleurs que des propositions concordataires seraient souhaitables car elles donneraient aux gens le moyen de respecter leurs engagements financiers, au moins en partie, tout en garantissant aux créanciers de récupérer des sommes plus importantes que dans le cadre d'une faillite.

Les résultats n'ont pas été à la hauteur des espérances. L'an dernier, sur près de 79 000 faillites de consommateurs au Canada, seulement 4 100 environ ont été réglées par le truchement de propositions concordataires, le reste ayant abouti à des faillites.

Comme le but du projet de loi C-5, qui ressemble en cela aux modifications de 1992, vise à favoriser le recours aux propositions concordataires pour résoudre les questions d'insolvabilité, nous pensons qu'il serait utile de se pencher sur certaines des raisons pour lesquelles les modifications de 1992 n'ont pas débouché sur un plus grand nombre de propositions concordataires.

C'est mon collègue, Alan Spergel, qui va aborder cette question.

M. Alan Spergel, membre du groupe de travail de la LFI, Association canadienne des professionnels de l'insolvabilité: Il existe trois obstacles principaux qui empêchent les personnes insolvables de faire des propositions concordataires, et les créanciers de les accepter. Premièrement, lorsque les sommes en jeu ne sont pas considérables -- petites créances, actifs limités et possibilités limitées de rembourser --, l'établissement d'une proposition concordataire risque tout simplement de coûter trop cher à la fois au débiteur et au créancier. Dans certains cas, le débiteur a déjà épuisé tous ses actifs avant de déclarer son insolvabilité. L'établissement d'une proposition concordataire coûte plus cher qu'une procédure sommaire de faillite, et il est parfaitement clair qu'une proposition concordataire n'aurait aucun sens si ses frais d'établissement et de mise en oeuvre étaient supérieurs au montant des créances.

Deuxièmement, certains comportements des créanciers constituent un obstacle à des propositions concordataires, bien que les banques et les autres prêteurs deviennent peu à peu plus sensibles aux besoins des PME. Gérer une proposition concordataire exige plus de travail et de dépenses de la part du prêteur et l'on a constaté, notamment lorsque les créanciers ne connaissent pas bien le concept, qu'il est plus simple d'exiger le remboursement du prêt, d'imposer la faillite et de radier la créance, car les créanciers ne sont pas toujours convaincus qu'ils auraient un intérêt net à accepter une proposition.

Dernier obstacle, le fait que les agences d'évaluation du crédit ont tendance à ne faire aucune différence entre une proposition concordataire couronnée de succès et une déclaration de faillite. Avec la faillite, le dossier est totalement apuré sept ans après la période d'administration de neuf mois. Par contre, les gens qui finissent par établir une proposition concordataire, ce qui prend normalement de deux à trois ans plutôt que quelques mois, continuent d'être considérés comme de mauvais débiteurs pendant encore sept ans. C'est manifestement un obstacle.

Comme les modifications de 1992, le projet de loi C-5 vise à encourager la négociation de propositions concordataires, mais il se trouve qu'il va aussi perpétuer les obstacles actuels à l'établissement de propositions.

Comme je l'ai dit, l'un des obstacles les plus sérieux concerne le coût de la procédure. Il est essentiel que celle-ci soit aussi simple que possible. On pourrait donc améliorer les exigences de rapport du projet de loi C-5 de façon à mieux répondre à ce critère. Vous constaterez dans notre mémoire que nous vous proposons de collaborer avec le Bureau du surintendant des faillites pour poursuivre la rationalisation des exigences de rapport et de notification.

On ne trouve dans le projet de loi C-5 aucune disposition concernant l'incidence des propositions concordataires sur la cote de crédit. De fait, le texte entraîne le risque que les débiteurs qui ont tenté de trouver un compromis et qui ont finalement opté pour la faillite ne finissent par être assujettis à une libération sous conditions. Autrement dit, ils se retrouveraient dans une situation pire que s'ils avaient simplement déclaré faillite -- ce qui est encore une fois un obstacle alors qu'il faudrait offrir une incitation. Vous trouverez des recommandations à ce sujet dans notre mémoire.

L'un des aspects positifs du projet de loi est la modification destinée à autoriser des propositions conjointes de consommateurs. Il conviendrait cependant d'étendre l'application de cette modification aux propositions de non-consommateurs, ce qui serait particulièrement bénéfique dans le cas des petites entreprises qui utilisent souvent des biens matrimoniaux pour garantir leurs emprunts. Il se peut toutefois que les limites financières établies dans le projet de loi soient encore trop faibles.

Dans le but d'encourager les propositions concordataires, le législateur envisage dans le projet de loi C-5 que le fait de ne pas formuler de proposition pourrait déboucher sur une libération sous conditions du failli. Cette approche est tout simplement erronée. Elle va à l'encontre du souci de prévisibilité, qui est une caractéristique essentielle de la faillite, et elle pourrait transformer en opération longue et incertaine un processus que l'on souhaite au contraire clair et rapide.

Dans le même ordre d'idées, le projet de loi C-5 obligerait le syndic à donner son avis au tribunal sur la question de savoir si le failli aurait dû ou non faire une proposition. Monsieur le président, cela obligerait le syndic à porter un jugement moral après coup, ce qui serait un fardeau tout à fait inapproprié. Les consultations avec le syndic avant la faillite, exigées par le règlement, ne sont pas prises en compte. Il est essentiel que le syndic puisse expliquer au débiteur toutes les options à la faillite. Hélas, il peut y avoir des cas où l'on pourrait formuler une proposition viable mais où celle-ci ne serait pas nécessairement dans l'intérêt du failli ou des créanciers. À moins que le débiteur ne soit admissible à une proposition de consommateur de Division II, le processus même d'élaboration de la proposition peut représenter une utilisation plus coûteuse de ses actifs restants.

En outre, la liquidation des biens du débiteur, comme un REÉR, des actions en bourse, et cetera, risque d'avoir des conséquences fiscales défavorables si elle intervient dans le cadre d'une proposition concordataire plutôt que d'une simple faillite.

Le projet de loi offre toujours aux débiteurs la possibilité de choisir entre une proposition et la faillite, selon sa situation et son état d'esprit. Vous trouverez dans notre mémoire des recommandations sur ces deux questions. Essentiellement, nous recommandons que le fait de ne pas formuler de proposition ne devrait pas risquer de compromettre la libération du failli.

Un autre domaine dans lequel nous croyons que des dispositions du projet de loi C-5 vont en fait à l'encontre de l'objectif formulé concerne les modifications proposées à l'article 68 en matière de revenu excédentaire. Certes, l'objectif est louable puisqu'il s'agit de veiller à ce que le failli continue de travailler pour apurer ses dettes avant sa libération, si les circonstances le permettent. En revanche, les modifications proposées à cette fin ne permettront pas d'atteindre cet objectif. Le processus recommandé est trop lourd et entraînera un gaspillage de ressources, autant de l'État que du Bureau du séquestre officiel, et il risque aussi d'être inflexible.

Par exemple, l'exigence actuelle que 100 p. 100 des gains dépassant une certaine limite soient considérés comme des gains excédentaires et soient versés à la succession peut fort bien n'être pas une bonne solution dans certaines situations. Cela peut en tout cas être considéré comme un facteur de dissuasion de tout effort de gagner un revenu supérieur à la limite établie. En outre, l'idée que la somme devant être payée par le failli devrait être précisément chiffrée est tout simplement irréaliste et ne tient pas compte du fait que les circonstances risquent d'évoluer pendant la période d'administration.

Vous trouverez dans notre mémoire plusieurs recommandations à ce sujet, monsieur le président, ainsi que des arguments très convaincants pour que l'on remplace l'établissement d'une somme fixe par une formule convenue entre les parties. L'expérience a montré que cette méthode est la plus efficace et la plus bénéfique autant pour le débiteur que pour le créancier.

Mon collègue, Bill Drake, va maintenant aborder d'autres aspects du projet de loi.

M. William J. Drake, président du groupe de travail de la LFI, Association canadienne des professionnels de l'insolvabilité: La Loi sur la faillite et l'insolvabilité est censée être une loi pour les gens d'affaires, monsieur le président. Si tel est le cas, il importe qu'elle soit simple, directe et peu dispendieuse. Hélas, nous croyons que le projet de loi C-5 aura tendance à alourdir et à compliquer le système.

On en trouve un exemple parfaitement clair à la proposition de modification de l'article 170.1, qui introduit dans le processus de libération une nouvelle étape de médiation par le truchement du séquestre officiel. Cela va compliquer le processus, accroître son incertitude et entraîner de nouvelles dépenses.

Les tribunaux ont toujours été et continuent d'être parfaitement compétents pour appliquer la Loi sans intervention bureaucratique, pour autant qu'ils en assument la responsabilité. À l'heure actuelle, les tribunaux règlent rapidement et efficacement les affaires de faillite dans certaines provinces mais pas dans d'autres. L'étape supplémentaire de médiation proposée dans ce projet de loi vise peut-être à résoudre ce problème mais elle s'appliquera aussi dans les provinces où il n'y a pas de problème à ce chapitre. Les risques de conflit d'intérêts que le processus imposerait aux séquestres officiels, ajoutés au fait qu'un processus déjà complexe le deviendra encore plus, de manière inutile, sont largement supérieurs à tout avantage envisageable. Si l'on veut que les modifications proposées soient efficaces, il faudra permettre aux séquestres officiels d'acquérir de nouvelles compétences, à grands frais.

Si l'on estime qu'il y a des problèmes avec les tribunaux de certaines provinces, il faudrait intervenir plus directement pour faire face à ces problèmes-là.

Par ailleurs, et nonobstant le fait que nos membres ne pensent pas que les dispositions de médiation prévues dans le projet de loi modifiant la Loi sur la faillite et l'insolvabilité soient nécessaires, nous croyons que le concept proposé est sérieusement vicié. Qui assumera les frais du processus de médiation? De combien de temps la procédure sera retardée à cause du processus de médiation? Est-ce que le fait que le projet de loi exige que les documents soumis au médiateur fassent partie du dossier public de faillite ne vont pas totalement à l'encontre du principe de médiation? D'après nous, le processus de médiation devrait être totalement abandonné tant que l'on n'aura pas répondu de manière satisfaisante à ces questions.

Une autre de nos préoccupations concerne les biens exemptés de saisie, qui varient d'une province à l'autre. C'est là un problème dont devrait s'occuper Industrie Canada en négociant avec les provinces pour assurer plus d'équité, tout en tenant compte des différences régionales qui doivent persister. Il est intéressant de constater que c'est une question sur laquelle le CCFI n'a pas réussi à trouver de consensus.

Il y en a une par contre qui a fait l'objet de l'unanimité. Il s'agit du fait que tous les régimes enregistrés d'épargne-retraite et autres régimes similaires d'épargne-retraite devraient être exemptés de saisie en cas de faillite, sous réserve de mécanismes adéquats pour éviter les abus. Dans le régime actuel, les régimes de pension collectifs et les REÉR détenus par les compagnies d'assurances sont protégés, mais ce n'est pas le cas des autres REÉR et régimes de retraite similaires. Le CCFI a conclu à l'unanimité qu'ils devraient l'être.

Comme nous savons que les exemptions relèvent des compétences provinciales, on ne peut apporter de modification à ce chapitre uniquement par le truchement du projet de loi C-5. En conséquence, les travailleurs indépendants et les autres entrepreneurs qui dépendent de leur REÉR pour leur retraite sont sensiblement plus vulnérables que d'autres personnes, par exemple les participants à un régime de retraite d'entreprise. C'est là un facteur d'iniquité et de destruction. Nous recommandons fermement, parallèlement aux améliorations apportées par le projet de loi C-5, d'encourager vigoureusement Industrie Canada à négocier des solutions avec les provinces, et nous recommandons que votre comité favorise ce processus.

D'autres membres de notre association s'inquiètent également d'une modification du projet de loi C-5 qui s'appliquerait aux entreprises en cours de restructuration dans le cadre de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies. Même si nous pensons que le processus de consultation qui a permis d'élaborer le projet de loi C-5 a été fort efficace, un amendement a été apporté au texte pendant le processus d'adoption par la Chambre des communes qui risque à notre avis de menacer l'application de la LACC et de susciter confusion et incertitude dans les tribunaux. Il s'agit de l'article 124 du projet de loi, qui introduit dans la LACC une disposition interdisant au tribunal de rendre une ordonnance de suspension de l'action des créanciers à moins qu'aucun d'entre eux ne risque de subir un préjudice matériel. Prise au pied de la lettre, cette disposition pourrait mettre en danger la restructuration d'un grand employeur, ce qui aurait des conséquences graves pour des milliers de Canadiens, même si l'on pensait qu'un seul petit créancier risque de subir un préjudice matériel. À notre avis, cette disposition est tout à fait déséquilibrée, monsieur le président. Nous pensons que le critère adéquat devrait être de savoir si les créanciers dans leur ensemble risquent de subir un préjudice matériel.

Nous voudrions attirer l'attention du comité sur une dernière question de fond. Il s'agit des qualifications exigées des contrôleurs nommés en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers et les compagnies, et des séquestres en vertu des dispositions de la Partie XI de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité. Sous sa forme actuelle, le projet de loi C-5 exigerait que les tribunaux désignent une personne pour jouer ce rôle. Par contre, il ne dit rien des compétences requises de cette personne. Le CCFI a recommandé à l'unanimité que l'on indique précisément dans le projet de loi, pour ce qui est de la LACC, que c'est un syndic de faillite qu'il faudrait nommer. Évidemment, les tribunaux accorderont une certaine protection au sujet de qui devrait être cette personne. À moins que l'on ne modifie le texte actuel, cependant, des personnes inadéquates risquent d'être désignées, l'expérience l'a montré.

Une solution existe déjà à ce sujet dans ma province d'origine, la Colombie-Britannique. En effet, la législation de la province exige que le séquestre d'une compagnie soit un syndic de faillite, ce qui garantit que les personnes nommées à ce titre sont à la fois compétentes et impartiales. Nous recommandons que l'alinéa proposé de la LACC soit modifié pour exiger que le contrôleur soit un professionnel agréé de l'insolvabilité ou, si cela n'est pas possible, un syndic de faillite.

M. Peterson va conclure notre déclaration liminaire, monsieur le président.

M. Peterson: Vous trouverez dans notre mémoire 33 recommandations précises sur les questions dont nous venons de parler et sur plusieurs autres. Nous proposons un certain nombre de modifications visant à assurer une meilleure protection à la fois aux consommateurs et aux créanciers, et à aider les membres de l'Association canadienne des professionnels de l'insolvabilité à s'acquitter le plus efficacement possible de leurs responsabilités. Nous serons très heureux de discuter avec vous de ces recommandations ou de toute autre question. Pour l'heure, je rappelle que nous avons choisi de limiter notre déclaration liminaire aux aspects du projet de loi qui nous semblent les plus importants.

Nous sommes heureux d'apprendre que l'on a tenu compte de notre recommandation de raccourcissement de la période d'examen obligatoire du projet de loi, laquelle a maintenant été ramenée de sept ans, comme on l'envisageait au départ, à cinq ans.

Nous croyons que le but du projet de loi devrait être de rationaliser le système. Hélas, certaines des modifications qu'il comporte auront l'effet contraire, en ajoutant de nouvelles complications. Il importe notamment de résoudre la question des obstacles aux propositions concordataires, lesquelles devraient être encouragées lorsqu'elles constituent une solution de bon sens. Nous pensons que le système devrait être assez souple pour pouvoir tenir compte de la réalité, et qu'il devrait produire le minimum d'incertitude.

Il est important de souligner que le système canadien de faillite et d'insolvabilité répond dans l'ensemble aux besoins de l'économie canadienne. Les 820 membres de l'Association canadienne des professionnels de l'insolvabilité, qui travaillent quotidiennement dans ce domaine, tiennent à dire très clairement qu'il n'y a actuellement qu'un minimum d'abus dans le système, même s'ils sont les premiers à dire que celui-ci pourrait toujours être amélioré. C'est dans ce but que nous avons formulé nos recommandations.

Nous croyons que les modifications que votre comité recommandera au projet de loi C-5 pourront améliorer le système afin de lui permettre de mieux fournir aux débiteurs et créanciers les règles nécessaires pour agir efficacement dans une économie caractérisée par le risque, et pour équilibrer la nécessité de réhabiliter et de protéger l'intégrité des débiteurs avec le souci de protéger les intérêts des créanciers.

En conclusion, monsieur le président, je dois vous dire que nous avons été franchement déçus que la majorité des recommandations détaillées que nous avions proposées dans notre mémoire technique n'ont pas été retenues par le comité permanent de la Chambre des communes. Cinq de nos membres du plus haut niveau ont travaillé pendant plus d'un an pour préparer ce mémoire. Nous croyons que chacune de nos recommandations, ainsi que les analyses et commentaires correspondants, mérite d'être sérieusement examinée par votre comité et nous restons à votre entière disposition si votre comité ou ses conseillers souhaitent nous consulter à nouveau.

Nous sommes maintenant prêts à répondre à toute question que vous pourriez avoir sur ce que nous avons dit ce soir ou sur le contenu de notre mémoire technique. Nous vous remercions à nouveau de votre attention.

Le président: Comme vous l'avez dit, votre mémoire contient 33 recommandations mais elles ne sont pas classées par ordre de priorité. Je suppose que celles que vous avez abordées ce soir sont les plus importantes.

M. Peterson: Oui.

Le président: Est-ce le même mémoire que vous avez présenté à la Chambre?

M. Peterson: Oui.

Le président: Vous avez dit que l'une des recommandations retenues par la Chambre des communes concernait le raccourcissement de la période d'examen.

M. Drake: Je dois ajouter, monsieur le président, qu'il y en a deux autres qui ont été adoptées en partie par la Chambre des communes.

Le président: Nous sommes donc maintenant rendus à 30, n'est-ce pas? Je dis cela sans ironie.

Dans votre déclaration liminaire, vous avez mis l'accent sur les questions de faillite des consommateurs plutôt que des entreprises. Vous avez abordé diverses questions, comme les propositions concordataires. De fait, la majeure partie de vos recommandations, soit 20 ou 25 des 30, concernent les cas de faillite et d'insolvabilité des particuliers plutôt que des entreprises, n'est-ce pas?

M. Peterson: Je pense que certaines des recommandations concernant les propositions concordataires peuvent s'appliquer aux deux.

Le président: Toutefois, et vous me corrigerez si je me trompe, j'ai perçu dans vos remarques une très forte orientation vers les particuliers plutôt que vers les entreprises.

M. Peterson: C'est exact.

Le président: J'insiste sur ce point parce que nous avons entendu divers témoins critiquer les dispositions relatives aux propositions concordataires en ce qu'elles touchent les consommateurs individuels mais, relativement parlant, beaucoup moins lorsqu'il s'agit des entreprises. Cela pourrait donner l'impression que les modifications concernant les consommateurs n'ont pas fait l'objet d'une réflexion aussi approfondie que celles concernant les entreprises. Est-ce aussi votre interprétation?

M. Drake: L'une des raisons à cela est peut-être que le processus de faillite des consommateurs est plus systématisé et relève plus d'une réglementation et de règles générales, en vertu de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, alors que le processus de restructuration des entreprises et de faillite est plus axé sur les préoccupations de ces dernières. Lorsqu'on veut résoudre un problème particulier, il convient de chercher une solution particulière. Cela dit, on a peut-être porté plus attention aux préoccupations des consommateurs parce que c'est dans ce domaine qu'il y a plus de règles qu'il faut suivre de manière détaillée.

Le président: Vous semblez dire que le système devrait être plus simple.

M. Drake: Comme il comporte plus de dispositions réglementaires, il y a plus de chances que certaines d'entre elles n'atteignent pas la cible. Nos recommandations détaillées visent à nous en rapprocher.

Le président: Si aucune de vos recommandations n'était retenue, la situation des consommateurs serait-elle meilleure ou pire, du fait de la loi? Vous semblez dire qu'elle serait pire mais je n'en suis pas certain.

M. Drake: Dans l'ensemble, nous pensons que le projet de loi améliore la situation. Il y a certains domaines, comme le processus de médiation, où l'on a l'impression que le processus n'est pas encore étoffé. Il se peut que l'on puisse améliorer la situation en étoffant le processus mais nous ne sommes pas très optimistes à ce sujet.

Le président: Je vais essayer de traduire votre réponse en termes concrets. Si je vous comprends bien, vous dites que le projet de loi C-5 améliore la situation actuelle mais qu'on pourrait l'améliorer encore beaucoup plus. C'est bien ça?

M. Drake: Je dirais que nous donnons au projet de loi la note `A' moins, alors qu'il serait très facile de le modifier pour qu'il obtienne la note `A' ou `A' plus.

Le président: Il y a bien longtemps que je n'ai pas vu un projet de loi obtenir une note `A' moins. Quoi qu'il en soit, notre comité a tendance à être très sévère.

Pour ce qui est des REÉR, vous pourriez adopter l'une de deux positions, et je voudrais savoir laquelle vous préférez. Vous pourriez dire que tous les REÉR devraient être traités de la même manière, c'est-à-dire qu'ils puissent tous faire l'objet de saisie, ou qu'aucun ne puisse en faire l'objet. Si vous choisissez la deuxième option, est-ce seulement parce que nous n'exemptons à l'heure actuelle que les REÉR détenus par les compagnies d'assurance-vie?

M. Drake: Nous disons que tous les REÉR devraient être exemptés de saisie.

Le président: Pourquoi?

M. Drake: Essentiellement parce qu'il s'agit de mécanismes de planification de notre retraite, en mettant de l'argent de côté pendant les années où nous sommes productifs. Il serait très difficile de saisir un régime de retraite, étant donné les nombreuses règles de droits acquis qui existent. Ce serait peut-être la solution la plus facile mais l'équité exige que l'on applique absolument les mêmes règles à tous les mécanismes d'épargne-retraite. Nous estimons que ces mécanismes existent pour protéger les Canadiens pendant leur retraite.

Le président: Donc, comme on ne peut pas saisir un régime de pension de retraite, vous dites qu'on ne devrait pas non plus pouvoir saisir un REÉR. À l'heure actuelle, seuls les REÉR des compagnies d'assurances sont protégés, ce qui est tout à fait inéquitable. Laissons cependant cette question de côté, car on pourrait la résoudre de plusieurs manières. Votre thèse est qu'il faudrait exempter tous les gains de retraite, n'est-ce pas?

M. Drake: Parfaitement, avec des mécanismes d'anti-évitement adéquats pour que personne ne puisse gonfler son REÉR au maximum et se mettre en faillite six semaines après, notre objectif étant de protéger les revenus excédentaires qui sont disponibles à la veille de l'insolvabilité.

Le sénateur Meighen: Comme d'habitude, le président a posé la plupart de mes questions.

Vous dites que ce projet de loi mérite une note `A' moins. Je tiens cependant à préciser que nous avons recueilli un certain nombre de critiques de parties intéressées dont l'opinion n'a cependant pas été sollicitée ou a été ignorée lors de l'adoption du projet de loi par la Chambre des communes. Je reviens à ce que disait le président au sujet du nombre d'amendements. Si nous avions un mois ou deux à notre disposition, nous pourrions examiner chacun d'entre eux attentivement. Malheureusement, nous sommes obligés d'établir un certain ordre de priorité car je ne vois pas comment nous pourrions étudier attentivement tous les amendements que vous proposez, à cette étape-ci du processus, alors que beaucoup sont vraiment très techniques.

Je voudrais revenir à notre principale préoccupation, qui est d'éviter que la loi ne favorise les faillites plutôt que les propositions concordataires, ce qui irait tout à fait à l'encontre du but visé. Vous avez abordé certaines choses qui permettraient d'encourager les propositions concordataires plutôt que les déclarations de faillite.

Pourriez-vous rappeler les modifications fondamentales qu'il faudrait apporter pour trouver un équilibre adéquat, afin que les gens ne se retrouvent pas dans la situation que vous avez décrite, c'est-à-dire qu'il leur soit plus avantageux de déclarer faillite que de faire une proposition?

M. Spergel: Je vais vous donner une réponse au sujet des problèmes que posent les propositions concordataires des consommateurs. Le principe de ces propositions a été adopté avec la dernière série de modifications. Franchement, aussi bien les syndics de faillite que les administrateurs ont été déçus par le petit nombre de propositions concordataires qui ont été formulées, mais cela s'explique par les facteurs de dissuasion inhérents au système. On en trouve de toutes sortes. Le législateur a commencé lentement à réagir aux problèmes et, pour notre part, nous avons aussi recommandé quelques solutions.

Nous avons mis l'accent sur les facteurs de dissuasion parfaitement clairs qui influent sur les débiteurs. Je rappelle que nous sommes en première ligne du processus. Nous rencontrons des faillis tous les jours, du matin au soir. Nous savons que cette question est très importante à leurs yeux. Manifestement, l'une des choses les plus importantes est leur cote de crédit et leur souci de se rétablir.

Je suis sûr que vous savez tous que l'un des objectifs de la Loi est d'assurer la réhabilitation du failli, pour lui permettre de se réinsérer dans les circuits économiques. À l'heure actuelle, rien n'incite clairement un particulier à faire une proposition concordataire plutôt qu'à déclarer faillite. Cela résulte en partie du problème des cotes de crédit. On ne fait à l'heure actuelle aucune distinction entre une personne qui a fait une proposition concordataire et une personne qui a déclaré faillite.

En outre, du point de vue fiscal, il existe divers facteurs de dissuasion qui rendent très difficile l'établissement d'une proposition concordataire de consommateur. Les biens sont liquidés ou ils servent à financer la proposition. Or, la liquidation des biens amène le débiteur à devoir de l'impôt qu'il devra acquitter après que la proposition concordataire aura été faite.

Nous avons déjà fait de grands progrès en matière d'éducation du public et des agences de crédit en ce qui concerne cette question. N'oubliez pas que l'on parle ici d'un engagement non négligeable de la part du débiteur. Nous ne parlons pas de la période de neuf mois entre la déclaration de faillite et la liquidation automatique dont bénéficie généralement ceux qui font faillite pour la première fois. En général, il s'agit d'un engagement de deux à trois ans, ce qui est loin d'être négligeable et qui exige un grand sacrifice de la part du débiteur. Il est essentiel d'en tenir compte.

Voilà quelques-uns des problèmes auxquels nous faisons face lorsque nous voulons encourager les propositions concordataires de consommateurs.

Le sénateur Meighen: Je suis parfaitement d'accord avec vous à ce sujet. Pourriez-vous m'indiquer dans quelle partie de votre mémoire vous abordez précisément cette question et vous recommandez des modifications? Je n'ai pas pu lire votre mémoire avant le début de la séance.

M. Spergel: C'est à la partie A.2 du mémoire, au début, où nous traitons de l'effet des propositions concordataires sur la cote de crédit.

Le président: À l'onglet D, page 1.

Le sénateur Meighen: J'y trouve cette recommandation: que les agences d'évaluation du crédit et d'octroi de crédit du Canada tiennent compte de la différence importante qui existe entre une proposition concordataire couronnée de succès et une faillite, et que l'on encourage la poursuite de consultations en vue d'offrir des avantages clairs aux débiteurs qui choisissent le mécanisme des propositions plutôt que la faillite.

M. Spergel: C'est cela.

Le sénateur Meighen: Mais vous ne proposez aucune modification au projet de loi. Vous nous demandez simplement de donner des félicitations plus chaleureuses à quiconque fait une proposition concordataire et se bat pendant deux ans pour réussir à payer ses dettes. N'est-ce pas simplement un voeu pieux?

M. Spergel: Non, nous recommandons un bienfait concret. Nous ne savons peut-être pas comment cela pourrait être intégré à la Loi mais il est clair que c'est là un élément essentiel qui empêche d'utiliser efficacement les propositions concordataires de consommateurs.

Le sénateur Meighen: Vous soulignez le problème mais vous ne proposez pas de solution?

M. Spergel: C'est cela.

Le sénateur Meighen: Je partage votre opinion. Il y a une autre question sur laquelle vous pouvez faire une proposition concrète. Je veux parler de la modification qui a été apportée en dernière minute à l'article 124 de la LACC au sujet de la prorogation d'une ordonnance.

C'est une question qui me vaut beaucoup de messages télécopiés et téléphoniques. Il y a évidemment des gens qui ne partagent pas votre position là-dessus. Pour ma part, je suis d'accord avec vous, mais je ne suis pas un expert. Il me semble manifestement impossible qu'une restructuration compliquée puisse être effectuée en 30 jours. Je dis cela parce que je suppose qu'il serait quasiment impossible de prouver qu'aucun créancier ne va subir de préjudice matériel. Et je crois que c'est aussi votre opinion.

Il y a des gens qui ne sont pas d'accord avec cela. Si j'interprète bien leur position, ils estiment que le tribunal sera raisonnable et ne s'en tiendra pas à la lettre même de cet article et à une interprétation très restreinte du préjudice.

Avez-vous quelque chose à ajouter sur ce que vous nous avez déjà dit quant aux effets négatifs de cette modification à l'article 124?

M. Drake: Vous dites qu'une restructuration complexe prendrait probablement plus de 30 jours. De fait, même les restructurations simples prennent souvent plus longtemps. Lorsque la situation est complexe et qu'il y a un nombre assez élevé de parties prenantes, c'est incontestable. Les meilleures restructurations sont celles qui reposent sur un consensus que l'on essaie de forger dans des conditions extrêmement difficiles, ce qui peut prendre du temps.

L'un des avantages offerts depuis près d'une décennie par la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies est qu'elle offre aux parties prenantes et à leurs conseillers la souplesse requise pour élaborer des solutions sur mesure aux problèmes financiers et, bien souvent, aux problèmes opérationnels aussi. Chercher les bonnes solutions à des problèmes relativement complexes n'est pas tâche facile mais la LACC offre la souplesse requise. D'aucuns diront peut-être que l'on est en fait allé trop loin dans cette voie et qu'il ne reste maintenant plus beaucoup d'obstacles à franchir dans ce domaine.

Pour ce qui est de la proposition concernant la prorogation de l'ordonnance, il s'agissait d'une solution de consensus. La modification de dernière minute n'a pas été conforme au consensus auquel était parvenu un certain nombre de parties prenantes au sein du CCFI. Pour que le processus de consultation avec le secteur privé soit aussi efficace qu'il l'a été au CCFI, il faudrait que l'on tienne compte de ce consensus. C'est l'un des domaines sur lesquels le consensus a été très clair. Or, il est difficile de concevoir une restructuration importante en vertu de la LACC qui n'ait pas causé de préjudice à la quasi-totalité des parties prenantes, puisque telle est l'idée même d'une restructuration de dettes. Chacun cède un petit peu et accepte un petit préjudice à court terme dans le but de sauver le long terme. Évidemment, il peut aussi arriver, malheureusement, qu'un créancier subisse un préjudice matériel, et voilà pourquoi il faut trouver un équilibre satisfaisant en fonction de l'intérêt commun.

Le sénateur Meighen: Avez-vous une idée des raisons pour lesquelles on a apporté cette modification? Je me suis laissé dire qu'il s'agissait essentiellement d'adopter quelque chose qui soit analogue à ce qui existe dans la Loi sur la faillite et l'insolvabilité.

M. Drake: Il y a une disposition analogue dans la Loi sur la faillite et l'insolvabilité. À plusieurs égards, le but général des modifications apportées à la LACC était d'établir un parallèle entre les deux Lois.

Comme vous l'avez dit, les tribunaux ont fait un excellent travail pour gérer le processus de restructuration dans le cadre de la LACC. Il convient cependant de se demander s'il est juste de placer les tribunaux dans une situation où ils sont obligés d'évaluer, sur la base d'arguments techniques, la menace que la restructuration d'une dette de plusieurs centaines de millions de dollars risque de causer un préjudice matériel à un créancier dont la créance n'est que de 1 000 $.

Le président: Cette disposition, qu'il s'agisse de la limite de 30 jours ou, plus important, du fait qu'absolument personne ne doit subir de préjudice, semble avoir été une erreur, pour un néophyte comme moi. Il est difficile de croire que l'on a pu sérieusement adopter cette modification. J'ai peine à comprendre ce qui a pu justifier ce changement. D'instinct, cela ne semble pas du tout réaliste.

Comme nous allons accueillir des représentants du gouvernement, ainsi que d'autres témoins, et je suis sûr que nous obtiendrons leur réponse. Ils auront trois jours pour y réfléchir.

M. Drake: Je sens des regards perçants derrière moi.

Le président: Il doit clairement y avoir une raison. En avez-vous une idée?

M. Drake: Le principe fondamental est que la restructuration de l'entreprise A ne devrait pas entraîner l'effondrement de l'entreprise B. Même si c'est fondamental, cela peut malheureusement arriver, de temps à autre. Voilà peut-être ce que l'on entend par «préjudice matériel». Il faudrait peut-être modifier la définition de cette expression, ou ce que l'on entend par «aucun créancier», mais il est clair que la solution devra consister à demander aux tribunaux de tenir compte de la situation globale, ce qu'ils ont très bien fait jusqu'à présent.

Le président: Autrement dit, pourquoi leur imposer un tel carcan?

M. Drake: Précisément.

Le sénateur Stewart: Vous vous souviendrez, monsieur le président, que deux témoins nous ont exposé la semaine dernière leur opinion sur la cause de l'augmentation considérable du nombre de faillites des consommateurs. Si je me souviens bien, ils ont évoqué trois explications. La première est que certains consommateurs font preuve d'une irresponsabilité flagrante envers leurs engagements financiers; la deuxième est que certains sont incompétents et n'arrivent pas à gérer leurs finances; la troisième est que la situation financière des consommateurs a pu se détériorer entre le moment où ils se sont endettés et le moment où leur créance arrive à échéance. Les témoins dont je parle ont clairement mis l'accent sur ce troisième facteur pour expliquer la hausse du nombre de faillites de consommateurs. Je ne dirais pas que les deux autres explications n'avaient à leurs yeux aucune importance mais il est clair qu'elles venaient largement après la troisième, c'est-à-dire la détérioration de la situation financière.

Je voudrais demander aux témoins d'aujourd'hui ce qu'ils pensent de ces explications, étant donné que l'on ne peut chercher de solutions efficaces au problème si l'on ne parvient pas à en cerner la cause.

D'après vous, pourquoi le nombre de faillites de consommateurs a-t-il tellement augmenté?

M. Spergel: Si je connaissais la réponse à votre question, sénateur, je chercherais peut-être un autre poste, par exemple de grand argentier.

Il est clair que nous traversons actuellement ce que plusieurs économistes ont qualifié de révolution, c'est-à-dire une révolution technologique et une transformation profonde du monde du travail, ce qui met bien des gens en difficulté.

Si vous me permettez de m'arrêter à votre troisième explication, c'est-à-dire la détérioration de la situation financière de la personne, il est clair que c'est un phénomène important lorsque la population active est tellement perturbée. Il y a de nombreuses familles où les deux parents gagnent un revenu mais ont quand même du mal à s'en sortir. Si l'un d'entre eux perd son emploi pour une raison quelconque, la situation financière devient rapidement catastrophique.

Grâce à la législation sur la faillite et l'insolvabilité, le couple peut chercher refuge face à ses créanciers. J'en vois des exemples tous les jours. Vous avez des gens qui assument une dette tout à fait honnêtement, parce qu'ils ont la conviction qu'ils pourront la rembourser. Plus tard, cependant, à cause des changements constants de notre économie, ils n'en sont plus capables. C'est manifestement l'une des explications les plus importantes du phénomène que vous avez évoqué.

Il y a constamment un certain nombre de gens qui entrent et qui sortent de la population active. Lorsqu'ils travaillent, ils assument des dettes puis, lorsqu'ils cessent de travailler, ils ne peuvent plus les rembourser. Certains se rétablissent plus rapidement que d'autres. Ceux qui réussissent à se recaser rapidement parviennent à s'en sortir. Ceux qui ne trouvent pas immédiatement de nouvel emploi sont évidemment obligés de se réfugier derrière la Loi sur la faillite et l'insolvabilité.

Le sénateur Stewart: Je vais vous poser une autre question. L'explication que l'on nous donne est que les gens font face à ce que les économistes appellent des «ajustements». Cela dit, si la situation de l'emploi est tellement imprévisible, ne se pourrait-il pas que vos propositions soient inadéquates? En effet, ce que vous proposez repose au fond sur la conviction que les gens finiront par s'en sortir lorsque la conjoncture s'améliorera.

M. Spergel: D'aucuns affirment que le processus de faillite tel qu'il existe aujourd'hui est une sorte de chambre de compensation pour se débarrasser de ses dettes. Très franchement, j'ai rencontré beaucoup de gens qui préféreraient un autre processus. Pour beaucoup, la faillite est encore quelque chose de honteux.

Le sénateur Stewart: Dans le contexte actuel, l'avenir est devenu tellement imprévisible que bien des gens sont dans le brouillard le plus complet. Qu'est-ce qui vous permet, à vous ou à n'importe qui d'autre, d'établir des prévisions plus exactes sur ce que sera la situation dans quatre ou cinq ans? C'est un problème de fond, à mon avis.

M. Spergel: Je ne peux évidemment pas deviner ce que feront les gens.

Tout ce que nous pouvons faire, c'est essayer de prendre des mesures préventives, comme on le fait actuellement en offrant des services-conseils à tous les faillis, dans l'espoir que cela leur évitera de retomber dans les mêmes pièges.

Le sénateur Stewart: Croyez-vous qu'il serait utile de rendre ce genre de counselling obligatoire?

M. Spergel: Je ne crois pas qu'un counselling obligatoire soit utile dans tous les cas.

Le sénateur Stewart: Quand vous parlez de counselling, vous semblez sous-entendre que les gens n'ont pas été assez avisés pour faire face à leur changement de situation mais qu'ils le seront après avoir obtenu de l'aide. Vous n'aimez peut-être pas le mot «avisés». Disons qu'ils n'ont pas été assez perspicaces mais qu'ils le deviendront plus avec le counselling. C'est cela, votre argument?

M. Spergel: Cela reste à voir. Le Canada est l'un des chefs de file dans ce domaine. Votre objectif est-il de savoir si nous faisons le nécessaire pour mieux éduquer les faillis, afin qu'ils connaissent mieux le processus plus tard?

Le sénateur Stewart: Je veux savoir s'ils seront capables de mieux gérer leurs obligations financières, grâce au counselling.

M. Spergel: Il y a un élément important dans le counselling, c'est apprendre à dresser un budget. Combien de gens savent le faire? À ma connaissance, ce n'est pas enseigné dans les écoles ni par les créanciers. En fait, ce n'est enseigné par personne. Nous essayons donc d'expliquer honnêtement aux gens ce que coûtent vraiment les choses. Quand on se met à chiffrer les dépenses réelles de cigarettes, de loisirs et de vacances, il est facile de montrer à la personne qu'elle n'aura plus rien pour pouvoir acheter sa nouvelle table, réparer sa télévision ou acheter une nouvelle voiture. Apprendre à dresser un budget offre donc des avantages inestimables, et c'est l'un des éléments du counselling.

J'aimerais ajouter quelque chose sur la procédure de faillite. Il existe en effet un autre processus. En ce qui concerne les personnes qui font faillite pour la première fois, elles obtiennent automatiquement leur libération au bout de neuf mois, sauf si un créancier s'y oppose. Par contre, quand il s'agit de récidive, il n'y a pas de libération automatique, on doit participer à une audience. On doit donc essayer de convaincre un juge que l'on mérite une libération sans conditions, ce qui est un excellent facteur de dissuasion.

Je pensais qu'il valait la peine de le mentionner car nous discutions du fait que le counselling devrait servir à éviter la récidive. On s'imagine parfois que la faillite est une procédure équivalant à une porte-tambour. C'est peut-être vrai pour la personne qui fait faillite la première fois, mais ce ne l'est plus du tout dès la deuxième, la personne étant obligée de participer à cette audience durant laquelle on examine de très près les raisons pour lesquelles elle a fait faillite une deuxième fois.

Le sénateur Stewart: Il vaudrait peut-être la peine d'aborder également le problème du point de vue inverse. Autrement dit, le témoin nous dit que le counselling et la procédure d'audience dès la deuxième faillite ont un effet éducatif pour l'emprunteur. Cela ne veut-il pas cependant dire que les prêteurs se comportent parfois eux aussi de manière mal avisée?

M. Spergel: Voulez-vous que je vous parle de ma fille de 11 ans qui a reçu une carte de crédit par la poste, avec une marge de crédit? J'ai écrit au président de l'entreprise pour lui dire: «Soyez certain qu'elle sera très heureuse de vous rembourser avec son allocation de 2 $ par mois», et j'ai renvoyé la carte de crédit par la poste.

Dans bien des cas, les cartes de crédit sont accordées beaucoup trop facilement.

M. Peterson: Il n'en reste pas moins que le counselling vient après coup, alors que la solution serait peut-être de mieux éduquer les jeunes sur les questions financières.

Le sénateur Stewart: Je répète qu'il me semble que ce ne sont pas seulement les emprunteurs qui sont mal avisés, mais aussi les prêteurs. De fait, en cas de faillite, emprunteurs et prêteurs sont confrontés aux mêmes données financières. Comme vous êtes des politiciens, vous êtes discrets à ce sujet. Vous ne voulez pas dire qu'ils agissent avec imprudence, audace et stupidité. Qu'en pensez-vous?

M. Peterson: Vous ne trouverez personne dans notre groupe pour contester l'idée que le crédit est trop facile. J'en ai la preuve évidente avec mes fils adolescents qui veulent avoir un téléphone cellulaire, une carte bancaire et une carte de crédit. Quand ils songent à acheter leur première automobile, que veulent-ils faire? Ils veulent faire de la location-bail parce que ça coûte moins cher. Il suffit de faire un paiement mensuel.

Le sénateur Stewart: C'est clair.

Je voudrais maintenant poser une question concernant les régimes de retraite des compagnies d'assurance-vie.

Ai-je raison de dire qu'il s'agit là d'un ancien élément de la loi qui était probablement tout à fait justifié à l'époque mais qui est devenu une anomalie maintenant que nous avons toutes sortes de régimes d'épargne-retraite?

M. Drake: Je ne sais pas si ce que vous dites est la bonne explication ou s'il s'agit plutôt du fait que bon nombre des régimes exemptés de saisie sont les régimes d'assurance-vie. Je veux parler ici de régimes dans lesquels une personne paie une prime de 100 $ par mois, par exemple, dont 30 $ constituent de l'assurance-vie et 70 $ un régime de retraite.

La solution serait peut-être de découpler ces deux éléments, d'autant plus que la législation des assurances relève dans la plupart des cas des compétences provinciales.

Le sénateur Stewart: Quand vous parliez de l'abolition de la prorogation de l'exemption, vous disiez que cela devrait se faire de manière à éviter que des candidats à la faillite ne gonflent délibérément leur régime de retraite juste avant de déclarer faillite.

La situation est certainement plus complexe. Les gens dont vous parlez sont des gens qui se trouvent en situation précaire année après année. Finalement, ils se disent: «Je veux en tout cas essayer de me protéger», et c'est pourquoi ils cotisent le maximum possible, année après année. Certes, ils finissent par tomber en faillite mais, lorsque cela arrive, c'est l'aboutissement d'un processus de plusieurs années. Qu'en pensez-vous?

M. Drake: Nous y avons réfléchi. Il n'y a pas de solution facile. Quand nous en discutions entre nous, nous pensions qu'il fallait se demander s'il n'y a pas une sorte de comportement négatif habituel. Prenez le cas d'une personne qui verse régulièrement depuis cinq ou six ans 5 500 $ par an dans son REÉR, avec un salaire de 100 000 $ ou de 150 000 $ par an. C'est probablement une personne qui arrive à bien gérer ses affaires et qui ne devrait pas avoir de difficulté. Par contre, si l'on constate qu'elle verse d'un seul coup au mois de mars sa cotisation de l'an dernier et celle de l'année en cours, ce qui est tout à fait contraire à son habitude, cela devrait peut-être nous mettre en garde.

Le sénateur Hervieux-Payette: Vous dites qu'il y a 811 membres dans votre groupe, et 300 autres dans une autre catégorie. Cela fait un total d'environ 1 100 personnes, pour environ 80 000 faillites par an, soit 80 faillites pour chacun de vos professionnels.

Y a-t-il d'autres spécialistes reconnus qui s'occupent de faillites? Vous avez réclamé que les seules personnes pouvant être acceptées pour administrer la Loi soient les membres de votre groupe. Qui peut devenir membre de votre association? Quelle formation faut-il avoir pour passer votre examen?

M. Peterson: Nous accueillons des membres qui ont reçu des formations très diverses mais il faut bien reconnaître qu'une majorité écrasante se compose de gens qui ont une formation en finances ou en comptabilité. Nous avons cependant aussi parmi nos membres quelques avocats qui n'exercent pas, ainsi que des syndics agréés.

Le sénateur Hervieux-Payette: En parlant de médiation, vous avez dit qu'elle augmenterait les coûts et que ce ne serait pas nécessairement la procédure la plus efficiente. Voudriez-vous que cette disposition soit éliminée du projet de loi? Vous semblez dire qu'elle ne sert à rien.

M. Peterson: Nous n'en voyons pas la nécessité. C'est quelque chose que l'on veut imposer mais nous ne voyons pas pourquoi. Nous pensons que cela va compliquer et retarder le processus. Nous ne voyons pas le problème que l'on essaie de résoudre.

Le sénateur Hervieux-Payette: Les membres de votre groupe auraient-ils un rôle à jouer à cet égard?

M. Drake: Oui, car le mécanisme envisagé dans le projet de loi permet de penser que l'on aurait recours à la médiation en cas de désaccord entre le syndic de faillite, c'est-à-dire l'un d'entre nous, et le failli. La médiation est donc la méthode envisagée par le législateur pour tenter de résoudre l'impasse. Nous serions donc manifestement partie à la médiation, mais certainement pas à titre de médiateurs.

Le sénateur Hervieux-Payette: Estimez-vous vraiment que cet article n'est pas nécessaire?

M. Peterson: C'est cela.

Le sénateur Hervieux-Payette: À votre avis, pourquoi le pourcentage de propositions concordataires acceptées est-il si faible? Pensez-vous que ce processus devrait être invoqué plus souvent? Croyez-vous que les propositions concordataires sont quasiment toujours vouées à l'échec, étant donné qu'il est très rare que toutes les parties puissent s'entendre? Y a-t-il un mécanisme favorisant l'acceptation d'une proposition concordataire ou est-il plus facile de déclarer faillite?

M. Spergel: Il est beaucoup plus facile de déclarer faillite. Quand je dis à un failli: «Vous pouvez faire des paiements à même votre revenu excédentaire pendant neuf mois et vous bénéficierez généralement d'une libération automatique si c'est votre première faillite, ou nous pouvons lancer une proposition concordataire qui exigera beaucoup plus de temps», il me répond généralement: «Quelle sera la différence, sur le plan de ma cote de crédit? Combien de temps me faudra-t-il pour rétablir mon crédit?» Dans ce cas, je dois lui expliquer que cela ne fait généralement aucune différence, et il ne faut pas longtemps à la personne pour répondre, en toute logique: «Pourquoi devrais-je donc envisager de faire une proposition concordataire? Je vais déclarer faillite et je reprendrai ma vie dans neuf mois.»

Le sénateur Hervieux-Payette: Je suppose que ce sont seulement les gens de la génération de mon père qui préfèrent payer pendant toute leur vie plutôt que de tomber faillite. On n'en trouve plus, aujourd'hui. Cela ne semble plus faire partie de nos valeurs. Aujourd'hui, dans notre système, les gens disent: «Tirons un trait sur tout cela. Liquidons cette période négative de notre vie et recommençons à zéro. Je ne vais pas assumer cela pendant 10 ans.»

M. Peterson: Je ne sais pas s'il s'agit d'une question de valeurs ou d'une question de conjoncture financière.

Le sénateur Hervieux-Payette: Une telle disposition est-elle encore nécessaire, ou ne l'est-elle que lorsqu'on parle des grandes entreprises? Nous savons que les grandes entreprises ont intérêt à essayer de restructurer leurs activités. Quand il y a des centaines de millions de dollars en jeu, on est évidemment motivé à chercher une autre solution que la faillite. Quand on est un simple consommateur, est-ce nécessaire?

M. Peterson: Je pense que c'est encore nécessaire.

Il ne faut pas oublier que les propositions concordataires ne sont pas une solution dans tous les cas. Pour qu'une proposition réussisse, il faut que certaines conditions soient réunies, notamment que la personne ait des revenus réguliers et de l'argent disponible. Dans la plupart des cas, les consommateurs qui font faillite n'ont pas d'argent disponible ou n'ont pas accès à de l'argent.

Je ne veux pas répéter ce que disait Alan au sujet de la cote de crédit mais je pense que c'est très important. Si l'on pouvait dire au failli qu'il retrouvera son crédit dans une période de deux à trois ans, par exemple, cela serait bien souvent un incitatif suffisant pour lancer une proposition concordataire. Bien des gens préféreraient cette solution et feraient de très gros efforts pour s'acquitter de leurs responsabilités. Par contre, s'il n'existe aucune incitation, et si ce processus est plus long que la faillite, la proposition concordataire est pire car la décote de crédit sera allongée de toute la période nécessaire pour obtenir l'acceptation de la proposition.

Le sénateur Hervieux-Payette: Vous voudriez qu'il soit plus intéressant de passer par une proposition concordataire que par la faillite, alors que c'est le contraire aujourd'hui?

M. Peterson: C'est cela.

Le sénateur Hervieux-Payette: J'ai souvent entendu des gens dire qu'ils ne peuvent se payer la faillite car le processus coûte trop cher. Que peut-on leur répondre?

M. Spergel: Il existe un programme d'aide aux personnes qui cherchent la protection d'un syndic mais qui ne peuvent pas payer les honoraires. Ma firme participe au programme d'aide aux débiteurs de notre région. Nous acceptons de traiter certaines faillites, même si nous savons que les honoraires ne pourront pas être payés, à titre de service communautaire. La participation au programme est purement volontaire. À ma connaissance, il n'y a quasiment personne à Toronto qui ne puisse obtenir les services d'un syndic, à condition de connaître la bonne procédure. Il s'agit tout simplement de s'adresser au bon fonctionnaire.

Le sénateur Hervieux-Payette: Vous faites cela bénévolement, sans en recevoir aucun crédit? Êtes-vous donc particulièrement vertueux?

M. Spergel: Nous estimons que c'est un service à rendre à la collectivité. Cela nous paraît naturel.

Le sénateur Hervieux-Payette: Dans la plupart des cas de faillite que j'ai connus, les gens n'avaient strictement plus aucune ressource. Ce sont eux qui disent: «Nous n'avons pas les moyens de tomber en faillite.» Que leur répondez-vous?

Le sénateur Meighen: À la lecture des divers mémoires, j'ai eu le sentiment qu'il y a deux écoles de pensée. La première serait: «Adoptons une loi globale pour tous les cas. Qu'il s'agisse de restructuration d'entreprise, du dépanneur d'à côté ou d'Algoma Steel, une seule loi suffit pour régler toutes les situations.» La deuxième est qu'on ne peut pas régler toutes ces situations différentes de la même manière. De fait, bien des gens m'ont dit que la LACC est une loi extraordinaire par rapport à la législation américaine du chapitre 11, même si ce nom est plus facile à retenir que LACC, qui ressemble au nom d'une ligue de hockey.

Quelle est la position de l'Association canadienne des professionnels de l'insolvabilité? Préféreriez-vous deux lois différentes? Pensez-vous qu'il faudrait adopter des lois différentes pour les restructurations d'entreprise et pour les faillites de consommateurs?

M. Peterson: Je crois que les deux ont leur rôle à jouer. La LACC s'est avérée efficace pour les grandes restructurations. Certes, il serait peut-être bon de les rationaliser, dans la mesure du possible, mais je crois que les deux ont un rôle à jouer.

Le sénateur Meighen: La modification apportée à l'article 124 visait précisément la rationalisation, mais vous ne l'aimez pas.

M. Peterson: Parce qu'on est allé un peu trop loin.

Le sénateur Stewart: Avez-vous quelque chose à dire au sujet des étudiants qui déclarent faillite pour ne pas rembourser leurs emprunts? En avez-vous rencontrés?

M. Spergel: Oui. Nous avons une certaine expérience en la matière. Notre association appuie sans réserve la modification proposée pour qu'il n'y ait pas de libération automatique de cette dette pendant deux ans à partir du moment où l'étudiant n'est plus étudiant à temps plein.

Le président: Pourquoi veut-on traiter différemment les prêts étudiants des autres prêts?

M. Spergel: Les prêts étudiants sont évidemment destinés à faire des études. Il nous semble que l'idée de faire des études, qui auront des retombées bénéfiques à long terme, justifie un traitement différent. Ce n'est pas comme acheter d'autres biens.

En général, obtenir un diplôme est considéré comme un atout considérable. Prenez le cas des professionnels qui assument des dettes considérables, éventuellement par le truchement de prêts étudiants, pour faire des études. Prenez le cas d'un médecin. Il est évident que son potentiel de gain est très élevé. Je crois qu'il n'est que juste de dire que cet étudiant, quel que soit son potentiel de gain, devrait être obligé d'attendre et d'essayer de gagner un revenu au lieu de déclarer faillite immédiatement après avoir terminé ses études.

Le président: Je ne voudrais pas prolonger le débat mais je dois dire que votre théorie des différentes catégories d'actifs est très intéressante.

D'après votre dernière réponse, je crois comprendre que vous soupçonnez que certains étudiants empruntent de l'argent pour faire leurs études puis déclarent faillite immédiatement après avoir terminé ces études, ce qui fait qu'ils n'ont pas obtenu un prêt mais plutôt une bourse. Si vous avez des preuves, j'aimerais bien les connaître. Vous considérez à l'évidence que l'actif appelé «études» est différent de toutes les autres catégories d'actifs, à cause de son potentiel à long terme.

Je ne trouve pas d'exemple immédiat mais je soupçonne qu'il doit y avoir d'autres catégories d'actifs ayant une valeur similaire à long terme mais que vous ne seriez pas prêts à traiter différemment.

M. Spergel: Les études sont un cas tout à fait particulier. Les circonstances dans lesquelles l'étudiant encourt la dette sont uniques. Là où il y a problème, c'est lorsque quelqu'un commence des études puis les abandonne en cours de route sans avoir remboursé son emprunt.

Le président: À votre avis, quelle serait la solution dans ce cas? Nous parlons maintenant d'une personne qui ne finit pas ses études. Que peut-on faire? Il me semble que c'est précisément là-dessus qu'achoppe votre argument.

M. Spergel: C'est fort possible. Je crois cependant que la limite de deux ans est parfaitement saine. Il me semble tout à fait réaliste d'exiger que la personne qui a obtenu un prêt d'étudiant fasse un effort sérieux pour le rembourser. Certes, il peut y avoir des cas particuliers difficiles à régler, notamment ceux des étudiants qui décrochent en cours de route. En effet, ils se trouvent dans une situation particulièrement difficile puisqu'ils ne peuvent bénéficier du potentiel que devait produire leur emprunt.

Le sénateur Stewart: Vous semblez dire que la loi régulière sur la faillite ne devrait pas s'appliquer aux prêts étudiants.

Le président: C'est exactement ce qu'il dit.

Le sénateur Hervieux-Payette: On peut saisir une automobile ou une maison, mais on ne peut pas saisir des études. C'est quelque chose que l'on garde pour le reste de sa vie.

Le sénateur Stewart: C'est le même argument.

M. Norman H. Kondo, directeur général, Association canadienne des professionnels de l'insolvabilité: L'éducation est un actif différent dans la mesure où on ne peut pas la saisir. Si l'on considère que l'éducation est en soi un actif précieux, même si l'on n'obtient pas de diplôme, même si l'on décroche en cours de route, l'étudiant obtient quand même un actif qu'on ne peut pas lui reprendre.

Le président: Vous avez parlé de l'avantage qu'il y a à avoir à la fois la Loi sur la faillite et l'insolvabilité et la LACC. Quels seraient les avantages et les inconvénients d'avoir une législation différente pour les faillites de consommateurs? On aurait donc essentiellement une loi pour les faillites de consommateurs et une autre pour les faillites d'entreprises.

M. Peterson: Voulez-vous parler de scinder la LFI en deux?

Le président: Oui. Quels seraient le pour et le contre? Quand on examine la LFI, on a le sentiment que c'est une sorte de fourre-tout. Je me demande quels pourraient être les avantages et les inconvénients d'en séparer les dispositions s'appliquant uniquement aux consommateurs. On aurait donc une loi pour les consommateurs et une autre pour les entreprises.

M. Drake: Il y aurait d'abord un problème de définition. Nous parlons de faillites d'entreprises et de faillites de consommateurs, mais que ferions-nous des gens qui exercent une activité commerciale sans être constitués en société? Il y a des cas où la limite entre une faillite de consommateur et une faillite d'entreprise personnelle deviendrait très floue.

Je peux peut-être vous dire pourquoi il est justifié de n'avoir qu'une seule loi. Cela vous semblera peut-être aller à l'encontre des remarques de M. Peterson au sujet de la LACC mais, s'il n'existe qu'un seul ensemble de règles et que des parties différentes du même texte de loi s'appliquent aux cas particuliers d'une proposition de consommateur, d'une proposition d'entreprise et d'une faillite de consommateur, il n'y a qu'une seule loi à modifier si l'on veut modifier les dispositions s'appliquant dans les trois cas, ce qui est un avantage. L'idée de préserver cette cohérence, en ayant qu'un seul texte de loi, n'est pas dénuée de mérite.

Le président: Considérant que 30 de vos recommandations n'ont pas été adoptées mais que certaines n'exigent pas de modification législative, je me demande si vous pourriez nous communiquer d'ici à jeudi prochain vos huit ou dix priorités absolues. Certaines de vos recommandations portent sur des questions de fond alors que d'autres semblent ne porter que sur des questions de détail. J'aimerais savoir si vous avez une idée précise de vos priorités. Je ne dis pas cela pour vous adresser des reproches mais vos priorités ne ressortent pas clairement de votre mémoire.

M. Peterson: Nous serons très heureux de vous les communiquer.

Le président: Nous allons maintenant accueillir les représentants de l'Association du Barreau canadien. M. Robert Klotz est le président de la Section nationale de la faillite et l'insolvabilité, et Mme Tamra Thomson est directrice de la Section de la législation et de la réforme du droit.

Merci beaucoup de votre participation. Je crois comprendre que c'est Mme Thomson qui va commencer.

[Français]

Mme Tamra Thomson, directrice, législation et réforme du droit: L'Association du Barreau canadien est une association nationale qui représente plus de 34 000 juristes au Canada. Parmi les principaux objectifs de l'association, nous avons l'amélioration du droit, l'administration de la justice et la promotion de l'égalité dans le système judiciaire. C'est dans cette optique que nous présentons nos commentaires ce soir.

L'Association du Barreau canadien approuve l'orientation des modifications contenues dans le projet de loi C-5. Les membres de l'Association du Barreau canadien ont participé activement au processus de consultation mené par le comité consultatif sur les faillites et l'insolvabilité. Nous croyons que les modifications énoncées dans le projet de loi doivent se faire le plus rapidement possible.

[Traduction]

Nous avons remis au comité un exemplaire de notre mémoire détaillé concernant le projet de loi C-5, ainsi qu'une lettre exprimant nos préoccupations au sujet des amendements adoptés par l'autre Chambre en ce qui concerne les arriérés alimentaires. C'est cette question que nous souhaitons aborder devant vous ce soir.

M. Klotz, qui exposera nos préoccupations, est un expert en la matière. Il a beaucoup publié sur les questions de droit de la famille et de faillite, de manière générale, et sur les arriérés alimentaires, en particulier. Nous vous avons d'ailleurs remis un exemplaire de son principal article à ce sujet. Il a soulevé la question des arriérés alimentaires lors du processus de consultation du CCFI, au nom de l'ABC, et il a joué un rôle crucial pour veiller à ce que cette question soit prise en considération et fasse l'objet d'une solution équilibrée.

Je souligne par ailleurs que la politique de l'ABC sur cette question a été entérinée par la Section nationale de la faillite et par la Section nationale du droit de la famille de l'ABC, et qu'elle a été adoptée par le Conseil de l'ABC, organisme directeur le plus largement représentatif de l'ABC. Je demande maintenant à M. Klotz d'exposer notre position.

M. Robert A. Klotz, président, Section nationale de la faillite et de l'insolvabilité, Association du Barreau canadien: Bonne soirée, monsieur le président et honorables sénateurs. L'Association du Barreau canadien a participé activement au processus de consultation du Comité consultatif de la faillite et de l'insolvabilité, et elle appuie généralement l'orientation et les détails du nouveau projet de loi. Lors de l'examen du projet de loi C-5 par le comité de la Chambre des communes, nous avons exposé notre position, et plusieurs de nos préoccupations ont été prises en considération avant l'adoption du texte par la Chambre des communes.

Cela dit, nos principales préoccupations concernant les pensions alimentaires n'ont pas été prises en compte. De fait, le projet de loi qui vous est soumis exacerbe le problème dont nous parlions dans notre mémoire, c'est-à-dire le risque de collusion. Il ne fait aucun doute qu'une réforme s'impose en la matière. La Loi sur la faillite et l'insolvabilité est anachronique en ce qui concerne les pensions alimentaires, et c'est pourquoi nous avons proposé cet amendement, que nous avons vigoureusement défendu. Nous proposions un amendement équilibré, fondé sur un partage égal. Ce que l'on trouve dans le projet de loi C-5 n'est pas équilibré et comporte de sérieuses lacunes. Le problème concerne la prise en considération du fait que, dans bien des cas, la faillite et la dissolution du mariage sont simultanées. Chacune contribue à l'autre. Bien souvent, la question de la pension alimentaire entre les conjoints se négocie lorsque les créanciers sont sur le point d'intervenir.

Voilà ce qui crée le risque de collusion, qu'on l'appelle cession frauduleuse, préférence frauduleuse ou transaction révisable. Le concept est bien connu dans le droit de la faillite et a fait l'objet de nombreux arrêts. Notre crainte est que la nouvelle solution proposée ne soit une invitation à la collusion, sans aucun contrôle.

Je vais vous expliquer la situation en vous donnant l'exemple, mentionné dans notre lettre, d'un époux lourdement endetté qui gagne un très bon revenu et qui possède sa résidence conjointement avec son épouse. Disons qu'il gagne 100 000 $ par an et que sa résidence vaille 200 000 $. En cas de séparation, l'époux perdra la moitié de sa résidence, en vertu du droit actuel, et devra payer une pension alimentaire à son ex-épouse. Ses créanciers obtiendront un certain dividende. Avec le projet de loi C-5, l'époux se dira, ou son avocat lui dira: «Pourquoi ne pas lui verser une pension alimentaire forfaitaire de 100 000 $, ce qui lui permettra de garder la maison? Les créanciers n'obtiendront rien et il n'y aura pas de pension alimentaire à payer pendant les cinq prochaines années.»

Le recours envisagé dans le projet de loi C-5 permettrait de prendre une telle mesure au moyen d'une entente de séparation la veille de la déclaration de faillite. Aucune limite n'est prévue quant au montant. De plus, il ne s'agit pas là d'un règlement relevant de l'article 91 de la Loi, puisque aucun bien ne change de propriété. Ce n'est pas une cession frauduleuse en vertu de la législation provinciale. Ce n'est pas une préférence frauduleuse au titre de l'article 94 puisque c'est la loi elle-même qui crée la préférence, pas les parties. Cette nouvelle préférence ne ressemble en rien à toute autre existant dans la loi étant donné qu'elle peut découler d'une entente, alors que toute autre préférence actuellement prévue par la loi doit découler du statut: d'une relation d'emploi, d'une réclamation d'indemnisation pour accident du travail, d'une dette fiscale. Le problème est que la pension alimentaire future sera payée aux dépens des créanciers et non pas à même le revenu futur de l'époux ou à même ses actifs exemptés, comme des REÉR.

Quelle est la conséquence du fait qu'il n'y a pas de mesure contre la collusion? C'est quelque chose qui ne saute pas aux yeux et que seule une lecture attentive de la loi permet de saisir. Le nouveau recours a un effet anti-famille. Lorsque la famille connaît des problèmes financiers, cela crée un stress considérable. Il est donc crucial de l'encourager à rester unie face à l'adversité, mais le projet de loi C-5 a l'effet exactement le contraire. Comme les conjoints peuvent protéger les biens familiaux au moyen d'une entente de pension alimentaire négociée la veille de la déclaration de faillite, on encourage l'éclatement de la famille pour qu'elle puisse profiter de cette disposition. Si le mariage est en difficulté et que l'époux est sur le point de faire faillite, l'épouse peut obtenir une priorité pour des milliers de dollars si elle décide de partir. Si elle reste après la date de faillite, elle n'obtient aucune priorité. Pourquoi diable veut-on créer une telle incitation à la scission des familles?

Il existe un problème de confiance des créanciers dans le système de la faillite. Nous devons nous préoccuper du ton moral et éthique de la législation sur la faillite, comme vous l'avez dit vous-même au Sénat, monsieur le président, et du dégoût que ressentiront certains créanciers s'ils perdent leur dividende dans ces circonstances. Malgré les démarches que nous avons entreprises auprès du comité de la Chambre des communes, aucune disposition anticollusion n'a été ajoutée au projet de loi. Au contraire, la solution proposée a été renforcée en rendant la prouvabilité, c'est-à-dire la possibilité de partage, illimitée plutôt que limitée comme elle l'était dans la version antérieure. Ainsi, un conjoint obtient la priorité et peut également obtenir le partage égal de tout solde, ce qui peut représenter une prétention à 15 années d'arriérés que personne ne pourra contester et qui risque de ne pas correspondre du tout à la réalité de cette période de 15 ans.

Il existe plusieurs solutions au problème, mais aucune n'est parfaite. Si vous le désirez, je serais très heureux de vous les décrire en détail pendant la période des questions.

Monsieur le président, honorables sénateurs, il s'agit ici d'une modification importante destinée à aider les conjoints et les enfants dans le besoin. Si le dispositif actuel n'est pas modifié, il risque de porter atteinte à la confiance des créanciers, de susciter la méfiance à l'égard du système et de provoquer la scission de familles en difficulté. Voilà pourquoi il est important que votre comité envisage sérieusement une solution plus équilibrée. Merci.

Le président: Merci. Vous venez de parler de la lettre qui accompagnait votre mémoire. Comme vous le savez, ce dernier contient plusieurs autres recommandations, environ une douzaine. Y en a-t-il certaines dont vous voudriez parler maintenant?

Par exemple, vous recommandez d'abolir le processus de médiation, tout comme les témoins qui vous ont précédé. Pour ce qui est de l'anomalie concernant les REÉR, ainsi que le raccourcissement de la période d'examen, nous en avons déjà parlé. Au moins trois de vos 12 recommandations ont été abordées par d'autres témoins, et vous avez pu vous faire une idée de l'opinion des membres du comité suite à leurs questions. Y a-t-il parmi vos autres recommandations des éléments qui vous paraissent absolument cruciaux?

M. Klotz: Oui, il y en a trois auxquels nous attachons beaucoup d'importance; ce sont les recommandations 1, 2 et 11 que vous trouverez dans notre résumé de la page 21.

Le président: Voulez-vous faire quelques remarques à ce sujet?

M. Klotz: Oui.

On vous a souvent dit qu'il serait souhaitable de renforcer le mécanisme de proposition concordataire pour les consommateurs. L'une de nos recommandations allant dans ce sens est d'établir un seuil supérieur à 75 000 $.

Nous ne proposons pas de chiffre précis mais nous disons qu'il conviendrait de relever le montant pour que le mécanisme soit plus attrayant. En outre, une telle décision ne présenterait aucun inconvénient notable.

Le président: Pensez-vous que le chiffre devrait être établi dans la loi ou par voie réglementaire? Je pose cette question parce que vous savez qu'il est beaucoup plus difficile de modifier une loi qu'un règlement. Qu'en pensez-vous?

M. Klotz: Il serait tout à fait acceptable d'appliquer cette mesure par voie réglementaire, à condition que les gens sachent qu'elle existe. Les syndics de faillite pourraient fort bien veiller à diffuser l'information à la population. Je ne vois aucun problème à ce sujet.

Le président: En conséquence, vous dites qu'il faudrait relever le montant à un niveau supérieur à 75 000 $, mais vous ne précisez pas de chiffre, celui-ci devant être établi par voie réglementaire?

M. Klotz: En effet, nous ne recommandons pas de chiffre, mais je suppose que celui-ci pourrait être établi dans un règlement.

Le sénateur Angus: Pourrait-il varier?

M. Klotz: Nous n'avons pas d'opinion ferme à ce sujet; il nous semble simplement souhaitable de relever le montant, étant donné les sommes qui sont actuellement en jeu dans les propositions concordataires de consommateurs et que 75 000 $ représentent aujourd'hui beaucoup moins qu'autrefois.

Le sénateur Angus: Envisagez-vous un chiffre élevé?

M. Klotz: Je vais vous donner mon avis personnel. Je crois que le montant devrait être supérieur à 100 000 $. Par contre, il ne peut pas être astronomique parce que nous parlons ici de consommateurs et non pas d'entreprises.

La deuxième recommandation qui nous tient à coeur est l'abolition du processus de médiation. L'Association du Barreau canadien, notamment sa Section de l'insolvabilité, a la conviction que les syndics sont parfaitement compétents en matière de médiation. Nous tous, qui nous occupons de problèmes d'insolvabilité, sommes constamment appelés à peser des intérêts contradictoires. En outre, les syndics ont une formation particulière pour faire face aux conflits d'intérêts éventuels. S'ils ne sont pas en mesure de gérer ces conflits, ils peuvent avoir recours aux tribunaux.

Après avoir examiné les propositions, nous craignons très sérieusement que leur coût ne soit supérieur à leur bienfait, c'est-à-dire que la bureaucratie et les services de formation supplémentaires qui seront nécessaires seront insuffisants pour améliorer ce que pourraient faire directement les syndics.

Notre troisième recommandation importante est la 11e. Il s'agirait d'abaisser le seuil établi dans la LACC, afin de rendre la loi accessible dans certaines régions du pays où les revenus ne sont pas nécessairement aussi élevés qu'à Toronto ou à Vancouver, par exemple. Plusieurs de nos membres craignent que l'on ne puisse, sans un certain degré de latitude judiciaire, prendre certaines dispositions au titre de la LACC qui seraient tout à fait adéquates et justifiées et que seules les deux villes que j'ai mentionnées finissent par pouvoir se prévaloir de la loi.

Le président: Je comprends l'objectif de votre proposition mais, du point de vue pratique, que faudrait-il faire?

Il me semble y avoir deux solutions. On pourrait fixer un seuil tellement bas que pratiquement tout le monde serait automatiquement inclus, mais on pourrait peut-être aussi donner aux juges le pouvoir d'abaisser ou de relever le chiffre. Que préféreriez-vous?

M. Klotz: Il faut fixer un chiffre, cela ne nous pose pas de problème. Cela dit, dans certains cas, répondant à des critères établis, le tribunal pourrait accepter des variations. Les critères dont il s'agit pourraient être des facteurs géographiques, des facteurs économiques, et cetera. Personnellement, je suis en faveur de cette solution.

Le président: Je me demande si vous pourriez rédiger un projet de disposition à ce sujet et nous l'envoyer dans les prochains jours. Cela serait très utile. Nous comprenons votre objectif mais il serait utile de voir comment l'amendement pourrait être formulé.

M. Klotz: D'accord.

Le président: Merci.

Le sénateur Angus: Vous avez limité cela, monsieur le président, à ces trois recommandations, auxquelles s'ajoutent les autres qui sont reproduites. C'est tout ce que vous voulez?

Le président: Vous souhaitez vraiment ces modifications?

M. Klotz: Bien sûr.

Le sénateur Angus: Vous avez commencé votre déclaration en disant que vous étiez en faveur de l'orientation générale et des détails du projet de loi, après quoi vous avez fait ressortir certaines failles du texte, d'importance variable. Vous avez parlé du problème des arriérés alimentaires, mais il y en a d'autres.

D'après vous, si ces modifications n'étaient pas adoptées, y aurait-il dans le projet de loi des carences tellement graves que vous seriez obligé de retirer votre appui?

M. Klotz: Voulez-vous dire, à part les éléments dont je viens de parler?

Le sénateur Angus: Oui, je songe à vos 10 ou 12 recommandations.

M. Klotz: Nous continuerions d'appuyer le projet de loi.

Le sénateur Angus: Vous pensez donc qu'il est positif?

M. Klotz: Oui. Des membres de notre association ont fait partie des divers groupes de travail du Comité consultatif de la faillite et l'insolvabilité ainsi que du comité directeur. Nous avons largement contribué à l'élaboration du texte. La majeure partie des dispositions ont été proposées, examinées et filtrées par certains de nos membres. Nous sommes très satisfaits du processus.

Le sénateur Angus: Il y a donc généralement un consensus satisfaisant sur le projet de loi?

M. Klotz: Je le pense.

Le sénateur Angus: Vous avez dit que c'est surtout la Section de la faillite et de l'insolvabilité, de l'ABC, qui a participé au processus.

M. Klotz: Oui, par le truchement de certains de nos membres et au niveau global de notre association.

Le sénateur Angus: Vous nous avez invités tout à l'heure à vous demander des précisions sur la manière dont on pourrait résoudre les problèmes que vous avez identifiés. J'ai lu le résumé de votre mémoire, hier soir, en venant de Montréal, et j'ai été fort étonné par votre affirmation qu'il est extrêmement fréquent de voir arriver en même temps une faillite et la scission du couple.

M. Klotz: Il y a beaucoup de similitudes entre ces deux phénomènes. Tout d'abord, le divorce et la faillite ont fait pendant très longtemps l'objet d'une stigmatisation sociale. Voilà pourquoi, dans une certaine mesure, ils se produisent ensemble. Le divorce peut coûter des sommes incroyablement élevées, parfois suffisantes pour mettre quelqu'un en faillite.

Finalement, il n'est pas étonnant de voir apparaître des tensions dans un couple lorsqu'il y a de graves difficultés financières. Il n'est pas inhabituel de voir les deux se produire en même temps.

Le sénateur Angus: Est-ce que votre Section et la Section du droit de la famille ont coordonné leur position là-dessus?

M. Klotz: Tout à fait. La position de l'ABC a été approuvée à la fois par la Section du droit de la famille et par la Section de la faillite et de l'insolvabilité.

Mme Thomson: Tout ce qui concerne les arriérés alimentaires a fait l'objet d'une résolution du conseil de l'ABC, laquelle avait été parrainée par la Section de la faillite et de l'insolvabilité et la Section du droit de la famille.

M. Klotz: Voudriez-vous connaître les solutions que l'on pourrait envisager?

Le sénateur Angus: Absolument. Vous avez dit qu'il y en a trois ou quatre mais il y en a peut-être une que vous préférez.

M. Klotz: Je dois dire tout d'abord que le ministère de l'Industrie, des Sciences et de la Technologie a dialogué avec nous sur certaines de ces questions. Nous avions espéré que l'une de nos solutions se retrouverait dans le projet de loi. Laissez-moi vous indiquer brièvement les possibilités.

La première consisterait à plafonner la priorité, c'est-à-dire à fixer une limite supérieure au montant de la priorité de l'article 136. On parlait à un certain moment de 30 000 $ mais ce pourrait être un autre chiffre. Une telle mesure éliminerait les cas concernant des sommes extrêmement élevées. Par contre, le comité doit bien comprendre que la plupart des faillites de consommateurs concernent moins de 30 000 $ d'actifs.

Le sénateur Angus: Vous donniez tout à l'heure l'exemple d'une somme forfaitaire versée la veille de la déclaration de faillite. Autrement dit, même avec un bien pouvant coûter 300 000 $, par exemple, comme une maison, la limite serait de 30 000 $?

M. Klotz: C'est cela. La priorité serait plafonnée à 30 000 $. Le même genre de problème pourrait encore exister mais seulement pour des sommes plus petites. Malheureusement, c'est dans ces cas qu'il n'y a pas assez d'argent en jeu pour faire une contestation.

Les affaires de collusion seraient limitées aux cas où il n'y a pas de solutions pratiques parce que la valeur des actifs n'est tout simplement pas assez élevée. C'est l'un des problèmes de cette solution.

Une autre solution consisterait à fixer une période de temporisation ou de réflexion. Cela existe dans d'autres contextes pour éviter la collusion. Par exemple, en ce qui concerne les préférences frauduleuses, la période de réflexion est de trois mois ou, s'il s'agit d'une partie reliée, de 12 mois. En ce qui concerne les règlements qui constituent des transactions frauduleuses, la période de réflexion est d'un an ou de cinq ans. On pourrait donc prévoir une période de réflexion de trois mois ou d'un an.

Cela permettrait de résoudre certains problèmes, comme celui de «la veille», mais je crois que nous verrions alors des conjoints négocier une entente puis attendre simplement la fin de la période. Comme la plupart des faillites sont déclarées volontairement et non pas sur l'intervention d'un créancier, le couple pourrait souvent attendre la fin de la période. Cette solution pourrait néanmoins éviter certains types de collusion.

La troisième possibilité constituerait à adopter une disposition anti-évitement, c'est-à-dire une disposition en vertu de laquelle un tribunal aurait le pouvoir de réduire ou d'annuler la priorité des arriérés alimentaires en fonction de certains facteurs tels que l'existence d'une collusion, le caractère artificiel de l'accord, l'intention de nuire aux créanciers et le fait qu'il ne s'agit pas vraiment d'arriérés alimentaires.

Le sénateur Angus: Mais le fardeau de la preuve serait énorme, n'est-ce pas?

M. Klotz: Le problème est que ce serait un recours incertain et dispendieux. Pour de nombreuses raisons que vous connaissez, il importe d'assurer la certitude du processus.

La dernière solution envisageable consisterait à revenir seulement à la modification relative à la prouvabilité... c'est-à-dire à prévoir un partage égal, ce qui serait une nouveauté. Le partage égal protège d'office contre la collusion.

Le sénateur Angus: Comment ferait-on?

Le président: Quand on parle de modifications à la loi, il ne faut pas oublier qu'il y a plusieurs théories. Il y a les modifications qui ont été apportées à la Loi sur la faillite, et il y a les modifications que le gouvernement a tout simplement -- j'allais presque dire forcées, ce qui n'est pas exact --, jetées sur la table le dernier jour des travaux du comité de la Chambre des communes. Quand vous dites qu'il faudrait «revenir» à une modification, de quoi s'agit-il exactement?

M. Klotz: Je voulais parler de la proposition d'origine de l'Association du Barreau canadien qui était que les arriérés alimentaires devraient être dans une certaine mesure prouvables... c'est-à-dire qu'il y aurait un partage avec les autres créanciers. Au risque de répéter des choses que vous connaissez déjà, les arriérés alimentaires ne sont pas considérés comme une dette à l'heure actuelle. Ils survivent à la faillite. On peut en imposer le paiement malgré la faillite mais, lorsque tout le monde reçoit 10 p. 100, 20 p. 100, 2 p. 100 ou 90 p. 100, le créancier des arriérés alimentaires obtient zéro. C'est un anachronisme historique mais c'est la réalité.

L'amendement proposé par l'Association du Barreau canadien s'inspirait d'un amendement australien de 1980 exigeant que les arriérés alimentaires, sous réserve d'une limite d'arriérés d'une année plus une somme forfaitaire, devraient pouvoir être prouvés en cas de faillite comme toute autre créance. On continuerait de pouvoir les faire exécuter, malgré la faillite, ce qui n'est pas le cas des autres créances, mais le paiement se ferait en fonction du même pourcentage qu'obtiendraient tous les autres créanciers.

Il s'agirait là d'un amendement modéré qui ne grugerait pas les autres créanciers. Il n'y aurait pas de priorité par rapport aux autres créances. L'avantage est que la collusion ne serait plus possible.

Reprenez l'exemple que je mentionnais tout à l'heure, d'un mari ayant 100 000 $ d'actifs. Il s'entend avec son épouse pour lui donner 100 000 $. Il en a parfaitement le droit. Il n'y a aucune raison pour qu'il ne le fasse pas, bien au contraire. En plus, il n'est même pas nécessaire que les conjoints se fassent confiance. De fait, des conjoints qui se haïssent passionnément auront encore intérêt à agir comme cela parce que c'est dans l'intérêt du mari.

Le sénateur Angus: Je ne sais pas où en sont les lois sur le divorce mais, même si les parties croient avoir une entente irréversible sur le paiement forfaitaire de 100 000 $, ne se pourrait-il pas que l'autre conjoint réclame plus tard une pension alimentaire supérieure?

M. Klotz: Il est vrai qu'il existe certaines possibilités limitées à cet égard et que l'on ne peut jamais vraiment rien faire pour l'éviter, même si les avocats font de leur mieux. Il n'en reste pas moins que l'époux peut donner ces 100 000 $ à son épouse sans enfreindre les dispositions du projet de loi.

Si l'on adopte l'amendement exigeant simplement que la validité du paiement soit prouvée, ce qui était notre première proposition, il y a toujours un risque que le mari agisse ainsi. Le risque va l'amener à éviter la collusion. Le risque est le suivant: s'il accepte de verser une pension alimentaire forfaitaire de 100 000 $, l'épouse n'en recevra qu'un pourcentage, c'est-à-dire le même pourcentage que les autres créanciers. C'est un avantage pour le mari. Par contre, si elle reçoit 50 p. 100, par exemple, comme tous les autres créanciers, l'époux pourra penser: «Si je fais ça, elle aura une ordonnance de pension alimentaire de 50 000 $ qu'elle pourra invoquer contre moi après ma faillite. L'ordonnance va survivre à la faillite et je vais devoir lui faire confiance». Or, lorsque les gens se séparent, il n'y a généralement plus de confiance mutuelle et c'est précisément cela qui risque de dissuader l'époux de négocier une entente privilégiée avec son épouse, aux dépens des créanciers. Voilà la logique inhérente à cet argument.

Lorsqu'on accorde un droit de priorité, comme le fait le projet de loi C-5, on fait face à un risque de collusion qu'il est très difficile d'éviter. L'une des beautés de la proposition que nous avons faite est qu'elle comporte un dispositif anti-collusion automatique.

Le sénateur Angus: Vous dites que ce système a été adopté par l'Australie en 1980.

M. Klotz: Ce qui est curieux, c'est que l'Australie n'avait pas adopté à l'origine de disposition anti-collusion. Elle a adopté cette disposition sept ans plus tard. Ce que nous vous proposons, c'est de l'intégrer immédiatement dans le projet de loi pour ne pas être obligé d'y revenir dans cinq ans. C'est pour cette raison que nous nous adressons à vous. Nous avons vu ce qui est arrivé en Australie, c'est-à-dire exactement ce dont nous venons de parler ici. Vous en trouverez des exemples dans la jurisprudence et dans le mémoire que nous vous avons remis. En Australie, le système permettait à des conjoints heureux dans leur mariage d'agir de cette manière. Une entreprise ayant trois administrateurs était sur le point de faire l'objet de poursuites pour des millions de dollars. Les administrateurs ont négocié une entente de séparation. Chacun continuait d'être heureux dans son mariage. Chacun a cependant négocié une entente avec son épouse pour lui donner tous ses biens, et la cour a dû constater que c'était parfaitement admissible car il n'y avait pas de disposition anti-collusion.

Nous verrons la même chose au Canada mais, non seulement cela, nous verrons que les avocats chargés des faillites conseilleront au couple d'agir de cette manière. Les tribunaux de la famille ne pourront rien y faire puisque leur fonction est de protéger les familles. La Loi sur le divorce les oblige à assurer le paiement des pensions alimentaires pour les enfants. C'est une excellente manière de le faire. Rien dans le texte qui vous est soumis ne peut l'empêcher.

Le sénateur Angus: Il s'agit donc d'une autre forme de collusion puisqu'il n'y a pas en fait de rupture du mariage. Les conjoints essaient simplement de gruger les créanciers.

M. Klotz: La collusion, c'est le terme négatif qui désigne ce comportement. On peut cependant employer des termes beaucoup plus innocents, par exemple subvenir aux besoins de la famille. Les tribunaux de la famille ne verront rien à y redire.

Le sénateur Hervieux-Payette: C'est excellent. Le mari sera à la merci de l'épouse pendant les sept années qui suivent. Pourquoi êtes-vous contre cela? C'est la meilleure chose que j'aie entendue. C'est probablement une femme qui a fait cette proposition.

Le sénateur Angus: Avez-vous fini?

M. Klotz: J'en ai fini sur cette question, sénateur.

Mon souci est que la pension alimentaire de l'avenir devrait être payée à même les revenus de l'avenir alors que, dans le cas que j'évoque, elle est payée avec l'argent des créanciers. L'Association du Barreau canadien estime que l'on n'a pas étudié assez attentivement les ramifications de cette disposition. Lorsque cela arrive, ce n'est pas beau à voir.

Le sénateur Hervieux-Payette: Je crois que certaines de vos recommandations sont semblables à celles des témoins précédents. La médiation ne semble vraiment pas très populaire.

Le sénateur Stewart: J'ai été un peu surpris de vous voir appuyer le projet de loi dans son ensemble, malgré les réserves qui justifient vos amendements. La semaine dernière, nous avons entendu des témoins qui étaient beaucoup plus critiques. Par exemple, nous avons entendu un avocat du nom de Ramsay. Avez-vous lu son témoignage?

M. Klotz: Oui, et j'ai discuté avec M. Ziegel.

Le sénateur Stewart: Ce sont des gens qui semblaient savoir de quoi ils parlaient. Or, je constate que vous, qui savez également très bien de quoi vous parlez, vous semblez adopter une position tout à fait contraire au sujet du projet dans son ensemble.

Le sénateur Angus: Il n'y a pas de collusion chez les avocats.

Le sénateur Stewart: Non, mais cela va nous amener à douter de leur compétence.

Le sénateur Meighen: Je croyais que c'était déjà fait.

M. Klotz: J'ai discuté de cette question avec M. Ziegel et je lui ai parlé de ce problème. Je crois que nos positions différentes s'expliquent par le fait que nous oeuvrons dans des domaines un peu différents. À l'Association du Barreau, nous sommes des avocats qui exerçons dans le monde réel. Nous travaillons avec ce que nous avons. Les professeurs, quant à eux, peuvent voir les choses de manière plus générale. Ils veulent voir le système dans son ensemble, du point de vue de sa structure globale. Nous, nous nous concentrons beaucoup plus sur les détails. Nous prenons le système tel qu'il est et nous nous demandons comment l'améliorer, petit à petit. Il est incontestable que le projet de loi constitue une amélioration, même minime, du système. Permet-il de résoudre les carences sous-jacentes identifiées par MM. Ziegel et Ramsay? Probablement pas. Ces carences sont-elles importantes? Probablement. Quoi qu'il en soit, notre analyse à nous est beaucoup plus restreinte et je reconnais que nous travaillons peut-être ici aux marges du système, en essayant de résoudre les problèmes sur le plan pratique plutôt que de nous occuper de la structure globale.

Le sénateur Stewart: Mais vous semblez dire ici que leur démarche est peut-être trop -- et je ne voudrais pas être méchant à leur égard -- théorique.

M. Klotz: Notre rôle est différent. J'ai le plus grand respect pour M. Ziegel. J'ai lu ses mémoires et j'y ai trouvé beaucoup de remarques qui me touchent et qu'il faut prendre très au sérieux. Mon rôle à moi, comme celui de l'association, n'est pas aussi global. Nous avons travaillé avec le ministère de l'Industrie, des Sciences et de la Technologie et avec le comité consultatif de la faillite et l'insolvabilité, et nous avons investi beaucoup trop d'heures non rémunérées dans notre travail pour dire que le projet de loi est mauvais simplement parce qu'on n'a pas pu résoudre toutes les carences du système. Ce n'est pas notre position. Nous croyons qu'il y a dans le projet de loi des progrès incontestables. Tous les problèmes sont-ils résolus? Non. Certains problèmes sont-ils atténués? Oui, sous réserve des exceptions dont nous avons parlé.

Le président: Je comprends toutes vos recommandations sauf la neuvième, dans laquelle vous dites qu'il faudrait modifier le paragraphe 14.06 du projet de loi pour dégager les syndics et les séquestres de la responsabilité directe découlant de la législation relative au nouvel employeur. Que voulez-vous dire?

M. Klotz: Je crois comprendre que cette question a été réglée par un amendement, mais je vais demander aux experts qui sont derrière moi de me le confirmer.

Le président: Je regarde M. Mendelson et M. Marantz. Faites-vous signe que «oui» ou que «non»? L'un dit oui, l'autre non.

M. Gordon Marantz, conseiller juridique auprès du ministère de l'Industrie: Il y a eu une modification à ce sujet mais on veut aller plus loin.

Le sénateur Angus: Plusieurs témoins sont également venus parler des questions environnementales. Avez-vous quelque chose à dire là-dessus?

M. Klotz: Oui. Pour ce qui est des questions environnementales, il y a eu scission au sein de l'Association du Barreau canadien. Pour simplifier terriblement, la Section de l'environnement estime que les dispositions pertinentes devraient être renforcées, alors que la Section de l'insolvabilité estime qu'elles sont déjà trop fortes. Comme nous sommes restés sur ce désaccord, nous ne vous avons adressé aucune recommandation à ce sujet. Il y a simplement une divergence d'opinion à cet égard.

Le sénateur Angus: Cela veut peut-être dire que la solution du projet de loi constitue un moyen terme satisfaisant.

M. Klotz: On peut peut-être accepter ce truisme... les deux extrêmes étant à l'évidence insatisfaits.

Le président: C'est le principe canadien de péréquation de l'insatisfaction.

Le sénateur Meighen: Dois-je conclure de votre onzième recommandation que vous estimez que la LACC et la LFI devraient continuer d'exister séparément?

Deuxièmement, avez-vous réfléchi à l'amendement de la Chambre concernant l'article 124 proposé? Comme vous n'en avez pas parlé, dois-je en conclure que vous ne le jugez pas important?

M. Klotz: Nous ne l'avons pas examiné. Il ne faut donc pas en conclure que nous le jugeons sans importance. Nous nous sommes limités aux aspects dont nous vous avons parlé ce soir. À première vue, je serais plutôt en faveur.

Le sénateur Meighen: Vous n'en avez pas tenu compte parce qu'il a été proposé après coup, c'est-à-dire après votre étude?

M. Klotz: C'est cela. Nous n'allions pas reprendre notre mémoire pour tenir compte de cette question.

Pour ce qui est d'avoir deux lois ou une seule loi, mon opinion personnelle est qu'il en faut deux. Dans un certain sens, il est plus facile et plus pratique de rédiger deux textes de loi différents. Cela dit, nous n'avons pas d'opinion très ferme dans un sens ou dans l'autre. Nous aimerions que tout soit intégré dans un seul texte mais nous n'avons aucune objection à ce qu'il y en ait deux.

Le sénateur Meighen: Puisque vous êtes assez bon pour nous donner votre avis personnel, que pensez-vous de l'amendement proposé à l'article 124?

M. Klotz: Mon avis personnel diffère de celui de la Section de l'insolvabilité. Je préfère donc vous donner l'avis général de la Section, qui est que l'article proposé est problématique.

Le sénateur Angus: Même avec l'amendement?

M. Klotz: Non, sous sa forme actuelle. Mon opinion personnelle est différente. Je serais ravi de vous la communiquer mais cela ne correspondrait pas à l'opinion du groupe que je représente.

Le président: Merci, madame Thomson et monsieur Klotz. Il s'agissait aujourd'hui de la deuxième comparution de l'Association du Barreau depuis un mois, et les deux ont été absolument remarquables. Merci beaucoup.

Nos derniers témoins sont des représentants de l'Association canadienne des compagnies d'assurance de personnes. Pour une fois, nous n'allons pas parler d'institutions financières. Je suis très heureux de pouvoir accueillir les représentants de cette association pour parler d'autre chose. Je vous remercie de comparaître devant le comité.

Comme vous êtes là depuis le début de la séance, vous avez entendu nos débats jusqu'à présent. Dans votre déclaration liminaire, vous pourriez peut-être, comme l'ont fait les deux témoins précédents et d'autres que nous avons accueillis la semaine dernière, nous communiquer vos réactions sur la question des REÉR, c'est-à-dire sur le fait que, selon la Loi actuelle, les REÉR des compagnies d'assurances sont considérés comme des biens ne pouvant être saisis, ce qui n'est pas le cas de tous les autres REÉR. En outre, vous pourriez nous dire si vous auriez des objections quelconques à ce que l'on place tous les REÉR sur un pied d'égalité. Je vous invite à exprimer votre point de vue sur cette question tout de suite étant donné qu'on vous interrogera manifestement là-dessus.

Monsieur Daniels, pourriez-vous nous présenter vos collègues? Comme vous avez déjà souvent comparu devant le comité, vous savez que vous pouvez faire une déclaration liminaire, après quoi nous vous poserons des questions. Vous avez la parole.

M. Mark Daniels, président, Association canadienne des compagnies d'assurance de personnes: Je suis accompagné de M. Paul Cozzi, président du comité de la faillite et de l'insolvabilité, de l'ACCAP, et de M. Sam Steel, président du Comité des questions environnementales.

Comme vous le savez, les représentants des compagnies d'assurance de personnes ont témoigné à plusieurs reprises devant votre comité ces dernières années... et même ces derniers mois. Ces occasions qui nous sont offertes de discuter avec vous des principales préoccupations de l'industrie des services financiers sont très importantes à nos yeux.

Nous voudrions aujourd'hui, monsieur le président, vous communiquer notre réaction au projet de loi C-5 et aux modifications qu'il comporte en matière de législation sur la faillite. Je signale en passant que mes collègues et moi-même sommes toujours à votre entière disposition pour contribuer aux travaux de votre comité, si cela peut être utile.

Avant de demander à M. Cozzi et à M. Steel d'exposer les détails de nos recommandations, monsieur le président, je tiens à dire que notre secteur est dans l'ensemble très favorable au projet de loi C-5 et aux modifications qu'il propose à la Loi sur la faillite et l'insolvabilité et à la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies. Nous croyons que la plupart des mesures proposées par le gouvernement permettront d'améliorer sensiblement ces lois.

Par exemple, en ce qui concerne les assureurs jouant le rôle de propriétaires fonciers, nous appuyons les modifications proposées qui concernent les baux commerciaux. Le but de ces modifications est d'éviter toute exploitation abusive des dispositions de la LFI qui permettent à un locataire commercial insolvable de casser un bail immobilier. Lors de l'adoption des dispositions pertinentes, en 1992, on n'avait pas envisagé que certains locataires pourraient en faire une exploitation abusive. Dans certains cas, cela a causé des problèmes considérables aux propriétaires. Les changements proposés, qui permettront aux locataires commerciaux insolvables de faire des propositions de dénonciation de baux, établiront un équilibre plus adéquat entre les droits et responsabilités des propriétaires et ceux des locataires, ce qui était à notre avis l'objectif visé en 1992.

Notre industrie est également favorable au maintien du système de révision des règles de la faillite à intervalles réguliers. Ce genre de loi-cadre constitue un volet essentiel de tout système économique cohérent, et il convient de la mettre à jour régulièrement.

Vous trouverez dans notre mémoire des recommandations sur deux aspects particuliers du projet de loi C-5, afin de rendre celui-ci plus efficace. Il s'agit d'amendements à la LACC et aux dispositions concernant la superpriorité environnementale. Pour ce qui est de la superpriorité, les membres du comité viennent de recevoir un bref document exposant les thèses de notre industrie sur les méthodes susceptibles de rendre les dispositions pertinentes plus justes et plus rigoureuses. Mon collègue, Sam Steel, vous donnera des précisions à ce sujet dans un instant.

Le président: Pour votre information, honorables sénateurs, il s'agit du document intitulé: «Bill C-5: A Proposal for Fairer and Stronger Provisions for Environmental Clean-up Costs».

M. Daniels: Avant de demander à mes collègues d'aborder nos deux principales préoccupations, je voudrais traiter du processus qui a mené à l'élaboration des dispositions proposées au sujet de la superpriorité environnementale. Je tiens à dire en effet que l'industrie des compagnies d'assurance de personnes n'a pas eu la possibilité de donner son avis sur la proposition avant qu'elle ne soit intégrée au projet de loi. Nous croyons comprendre que certains prêteurs ont été consultés mais pas les membres de notre association.

Vous trouverez peut-être que j'exagère un peu, monsieur le président, mais il convient de savoir que les autres prêteurs qui ont été consultés étaient les banques. Or, ces dispositions de superpriorité environnementale confèrent manifestement un avantage non négligeable aux banques, ce qui nous préoccupe beaucoup.

Je vais maintenant demander à M. Cozzi de commencer, monsieur le président.

M. Paul Cozzi, vice-président et codirecteur du contentieux, Compagnie d'assurance-vie Sun Life du Canada, Association canadienne des compagnies d'assurance de personnes: Monsieur le président, le Canada est le seul pays au monde qui ait adopté deux lois distinctes au sujet du même problème: la restructuration des entreprises. Je veux parler de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, la LACC, qui a été adoptée dans les années 30, et de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, qui a été adoptée en 1992 après un processus exhaustif d'étude et de délibérations.

Nous indiquons dans nos documents les faiblesses que nous percevons au sujet de la LACC et les raisons pour lesquelles nous avons déjà recommandé son abrogation. Il s'agit notamment de la nature contradictoire des procédures en vertu de la LACC et du caractère extrêmement dispendieux, en temps et en argent, du processus.

Malgré cela, nous sommes sensibles aux efforts qui ont abouti aux dispositions du projet de loi C-5 concernant la LACC. Voilà pourquoi nous appuyons les modifications à la LACC qui se trouvent dans le projet de loi. Par exemple, comme vous le savez, il y aura un seuil de 10 millions de dollars de passif pour qu'une entreprise puisse demander une restructuration en vertu de la LACC. En outre, le projet de loi établit des critères, similaires à ceux figurant dans la LFI, auxquels l'entreprise débitrice devra satisfaire pour pouvoir obtenir une ordonnance initiale de suspension ou la prorogation d'une ordonnance. Il s'agit de l'article 124, que plusieurs témoins ont déjà abordé devant le comité.

Les débiteurs pourront demander une ordonnance initiale de suspension des droits des créanciers. Cette ordonnance initiale ne pourra avoir effet que pendant 30 jours et il ne sera pas nécessaire au débiteur d'informer les créanciers qu'une demande de suspension a été formulée. Il n'existe qu'un seul critère à satisfaire pour obtenir cette ordonnance initiale, et c'est qu'il existe des circonstances justifiant la formulation de la demande.

Dans les 30 jours suivant l'ordonnance initiale, un avis doit être adressé aux créanciers ayant une créance de plus de 500 $. Ces créanciers et le débiteur doivent alors se présenter devant le tribunal pour participer à une audience visant à déterminer si l'ordonnance de suspension doit être maintenue. C'est à ce moment-là que le critère à trois volets dont on a parlé et qui figure à l'article 124 devient pertinent.

Je signale en passant que, d'après mon expérience, les procédures relevant de la LACC ne commencent pas en réalité lorsque le débiteur se présente au tribunal pour obtenir une ordonnance de suspension. En règle générale, en effet, il y a déjà eu de longues discussions entre le débiteur et ses créanciers car le débiteur ne s'est pas réveillé brutalement un matin en constatant qu'il avait de sérieuses difficultés financières. Il le savait depuis longtemps. Typiquement, le débiteur a déclenché la mise en oeuvre de certaines ententes financières figurant dans des contrats ou dans des actes de fiducie. Certains créanciers en auront pris conscience et il y aura donc déjà eu des discussions considérables avec le débiteur, généralement longtemps avant que ne soit présentée la demande de suspension. Cela me semble être un élément à prendre en considération lorsqu'on réfléchit à la limite de temps proposée dans les modifications à la LACC.

Je signale aussi qu'il n'y a aucune exigence qu'un plan soit présenté au bout de la période de 30 jours. La seule exigence est que le débiteur et les créanciers reviennent devant le tribunal et que le critère à trois volets de l'article 124 soit satisfait pour que la suspension soit maintenue.

À notre avis, cela améliore considérablement la LACC, pour quatre raisons. La première est que cela montre que le législateur donne aux tribunaux des indications sur les critères auxquels il faut satisfaire pour qu'une suspension soit accordée ou maintenue. Auparavant, il n'y avait aucune indication à cet égard. Aucune ligne directrice n'était donnée aux tribunaux quant à la manière dont il fallait appliquer ce critère.

La deuxième est que cela rapproche sensiblement la LACC de la LFI, à cet égard important. Cette mesure concorde avec l'orientation des autres modifications à la LACC qui visent aussi à rapprocher celle-ci de la LFI. Je précise que vous trouverez dans les dispositions relatives aux contrats financiers admissibles, dont celles relatives aux questions environnementales et beaucoup d'autres, une terminologie similaire ou identique à celle de la LFI. Pour nous, cela témoigne à l'évidence d'un rapprochement entre les deux lois.

Troisièmement, les critères qui s'appliqueront en vertu de l'article 124 sont les mêmes que ceux qui s'appliquent, dans des situations équivalentes, en vertu de la LFI. Ce sont des critères qui avaient fait l'objet d'une étude et d'une réflexion exhaustives avant l'adoption de la LFI, et ils existent depuis 1992. Personne n'a recommandé que ces critères soient modifiés dans la LFI.

On vous a dit que la LACC ne sera invoquée que pour les grandes restructurations d'entreprises. Je constate cependant que la LFI peut être invoquée pour la restructuration aussi bien des grandes que des petites entreprises. D'après mon expérience personnelle, je puis vous dire que la restructuration de Birks s'est faite en vertu de la LFI, pas de la LACC. À mon avis, il y aura de grandes restructurations qui se feront en vertu de la LFI, tout autant qu'en vertu de la LACC.

La quatrième raison est que, selon nous, ce critère de l'article 124 obligera les tribunaux à réfléchir à l'incidence que pourrait avoir une ordonnance de suspension sur les créanciers. Cela renforce ce que nous considérons comme un principe important de toute législation sur la faillite, c'est-à-dire qu'il faut assurer un équilibre entre les intérêts des débiteurs et ceux des créanciers pendant le processus de restructuration.

Vous trouverez dans notre mémoire d'autres recommandations concernant la tenue de statistiques et d'informations sur les restructurations commerciales. Vous y trouverez également quelques suggestions au sujet du rôle des contrôleurs et de la nécessité d'assurer l'aboutissement du processus.

Il est incontestable que le changement le plus important à nos yeux se trouve déjà dans le projet de loi. Il concerne l'article 124. Nous espérons que nos propositions constructives constitueront une contribution utile à l'amélioration de la législation sur l'insolvabilité et les restructurations.

M. Sam Steel, vice-président adjoint et codirecteur du contentieux, Compagnie d'assurance-vie Sun Life du Canada, Association canadienne des compagnies d'assurance de personnes: Monsieur le président, le projet de loi C-5 propose de créer une superpriorité en ce qui concerne les frais de réparation des dégâts environnementaux, c'est-à-dire une superpriorité par rapport à toutes les autres créances, y compris celles des créanciers garantis, par exemple les prêteurs hypothécaires. Les frais de réparation des dégâts environnementaux seraient couverts au moyen d'une sûreté de premier rang sur les biens immobiliers du débiteur en faillite et sur toute propriété immobilière contiguë du débiteur en faillite qui est reliée à l'activité ayant produit les dégâts environnementaux.

Les amendements proposés tiennent compte du fait que ce ne sont pas les syndics et les séquestres qui étaient les pollueurs, ce qui les dégage de toute responsabilité personnelle. Ils leur donnent le temps d'évaluer le frais de respect des ordonnances environnementales, ainsi que la possibilité ultime d'abandonner les biens en question.

Cela dit, les prêteurs non plus ne sont pas des pollueurs. Pourtant, dans le cas de biens contaminés appartenant à un propriétaire insolvable, les prêteurs sont exposés à des pertes financières considérables, voire à la perte complète de leur investissement.

L'élément essentiel de la proposition de superpriorité figurant dans le projet de loi C-5 est que la réparation environnementale serait assurée au moyen d'une charge imputée aux biens immobiliers touchés du débiteur. Elle ne le serait pas au moyen d'une sûreté imputée aux autres actifs commerciaux du débiteur, par exemple l'outillage et l'équipement.

Les compagnies d'assurance de personnes n'acceptent pas que les parties faisant des prêts garantis par des biens immobiliers soient assujetties à cette sûreté superprioritaire pour couvrir les frais de réparation des dégâts environnementaux alors que les prêteurs sur les autres catégories de biens ayant servi à exercer l'activité ayant entraîné ces dégâts ne seraient pas obligés de partager l'obligation d'assainissement.

Nous demandons au comité de modifier la disposition de superpriorité proposée dans le projet de loi afin que la sûreté de superpriorité s'applique à la fois aux biens immobiliers et aux autres catégories de biens du débiteur. Une telle modification rendrait la disposition de superpriorité plus conforme aux principes d'équité et de «paiement par le bénéficiaire» énoncés par le Conseil canadien des ministres de l'environnement.

Le principe du «paiement par le bénéficiaire» est que les parties qui tirent profit de l'assainissement d'un site contaminé ne devraient pas jouir d'un enrichissement injuste. Les personnes qui bénéficient de l'activité ayant entraîné les dégâts environnementaux devraient partager la responsabilité des réparations.

La différence de traitement entre les prêteurs sur biens immobiliers et les prêteurs sur l'outillage et l'équipement revêt une importance cruciale pour notre industrie étant donné que les compagnies d'assurance de personnes sont, de toutes les institutions financières opérant au Canada, la plus grande source de financement des hypothèques commerciales.

Les assureurs-vie fournissent plus de 50 p. 100 des hypothèques commerciales du Canada, alors que les banques n'en fournissent que 25 p. 100 environ. Les assureurs-vie détiennent actuellement 32 milliards de dollars d'hypothèques commerciales, ce qui représente 21 p. 100 de leurs actifs totaux au Canada. Pour ce qui est des banques, les hypothèques commerciales ne représentent que trois pour cent de leurs actifs canadiens.

En termes relatifs, les autres prêteurs ne seraient pas aussi touchés par la disposition de superpriorité étant donné qu'ils prêtent essentiellement sur des biens tels que l'outillage et les actifs courants. Les assureurs de personnes font beaucoup plus de prêts garantis par des immeubles commerciaux. Or, c'est cette catégorie de biens qui serait le plus pénalisée par les frais de réparation des dégâts environnementaux.

Monsieur le président, nous croyons que l'application de la superpriorité aux seuls biens immobiliers est injuste et inadéquate. En conséquence, les compagnies d'assurance-vie recommandent que la superpriorité s'applique à la fois aux biens immobiliers et aux autres types de biens du débiteur. Cette modification serait relativement simple à adopter et entraînerait un traitement beaucoup plus équitable des obligations d'assainissement environnemental en éliminant l'avantage injuste dont bénéficient les banques dans la version actuelle du projet de loi C-5. Cela permettrait également de renforcer la protection environnementale en assujettissant un plus large éventail de ressources financières à la sûreté de premier rang de la Couronne pour l'assainissement environnemental.

Sur une question connexe, nous croyons également que l'extension de la garantie aux biens immobiliers contigus du débiteur serait problématique pour les prêteurs sur biens immobiliers. En conséquence, nous recommandons que l'on soit tenu d'établir un lien de causalité avant d'appliquer une sûreté à des biens contigus, c'est-à-dire que l'on soit tenu de montrer que l'utilisation des biens contigus a contribué de manière non négligeable à la détérioration du site contaminé. Les prêteurs recherchent avant tout la prévisibilité; ils ont horreur de l'incertitude. Or, les dispositions relatives aux biens contigus ne feront qu'ajouter incertitude et confusion dans le secteur de la protection environnementale.

Il ne suffit pas que les biens contigus soient reliés à l'activité ayant causé les dégâts environnementaux. Certes, il se peut que certaines parties soient attirées par les poches profondes de certains prêteurs pour résoudre les problèmes de contamination de l'environnement, mais cibler ainsi les prêteurs irait en fait à l'encontre de l'objectif visé puisque cela provoquerait une contraction de la masse de crédit, l'abandon d'un plus grand nombre de sites et une réduction des sommes disponibles pour la réparation des dégâts.

Cela conclut notre déclaration, monsieur le président. Nous sommes à votre disposition pour répondre à vos questions.

M. Daniels: En ce qui concerne la protection des rentes viagères et des autres polices d'assurance-vie contre les créanciers, le comité sait qu'il s'agit d'un domaine extrêmement complexe de la législation fédérale et provinciale. Il existe déjà beaucoup de jurisprudence complexe à cet égard. Très franchement, si le comité désire connaître notre position à ce sujet, nous serions ravis de préparer un mémoire et de venir témoigner sur cette question particulière. Il nous semble en effet qu'il conviendrait d'examiner attentivement tous les aspects pertinents de cette question, au sujet de laquelle nous possédons des informations exhaustives. Je ne voudrais pas exprimer une opinion sommaire devant le comité. Je voudrais pouvoir réfléchir attentivement à la question avant de m'exprimer. Il ne serait pas juste à l'égard des personnes que nous représentons ni, ce qui est encore plus important, des honorables sénateurs, de faire des déclarations lapidaires à cet égard.

Le président: Je pourrais comprendre votre position si le but de la proposition était d'abolir le droit existant. Cela dit, avez-vous besoin du même temps de réflexion pour nous dire si vous vous opposez à ce que les REÉR autres que ceux des compagnies d'assurances bénéficient de la même protection contre les créanciers que les REÉR des compagnies d'assurances?

M. Daniels: Je ne connais pas la réponse à cette question, sénateur, et j'ai appris qu'il vaut mieux réfléchir avant de répondre. Je ne voudrais pas exprimer un avis lapidaire devant votre comité.

Le président: Parce que cela pourrait revenir vous hanter?

M. Daniels: En effet. En outre, c'est une question importante. Je ne pense pas que nous nous acquitterions adéquatement de notre responsabilité à l'égard de votre comité en vous donnant des réponses sommaires.

Le président: Je trouve dans votre mémoire deux recommandations, aux pages 10 et 11, concernant le rôle d'un contrôleur.

J'aimerais vous demander d'étoffer ces recommandations, si vous le pouvez. La première se trouve au chapitre intitulé «Nomination et fonctions du contrôleur».

M. Cozzi: La recommandation formulée à ce sujet repose sur le fait que le syndic, qui joue en vertu de la LFI un rôle équivalent à celui du contrôleur en vertu de la LACC, est tenu d'exprimer un avis sur les liquidités disponibles et sur les états financiers du débiteur. Or, on n'exige pas la même chose du contrôleur, en vertu de la LACC, bien que son rôle soit équivalent.

En ce qui concerne le créancier qui dépend de cette information pour décider ou non d'appuyer une ordonnance de suspension ou pour juger s'il vaut la peine de participer à une négociation de restructuration ou d'appuyer l'entreprise, il est important qu'il obtienne un avis indépendant sur les informations financières. Et il est important que cet avis émane du contrôleur.

Pour revenir sur ce que je disais au sujet d'une source indépendante en vertu de la LFI, vous savez que les vérificateurs aux comptes de l'entreprise ne peuvent jouer le rôle de syndic, la raison en étant qu'ils ne bénéficient plus de la confiance des créanciers. Les vérificateurs de l'entreprise sont là depuis trop longtemps, sont trop directement associés à l'entreprise et ont trop tendance à défendre sa position. Ils ont trop en jeu. Ce sont eux qui n'ont pas vu venir la catastrophe.

À votre avis, le contrôleur de la LACC devrait jouir de la même indépendance que le syndic de la LFI. Il devrait y avoir une firme comptable indépendante qui puisse étudier les liquidités disponibles et les états financiers et formuler un avis éclairé, de façon à rétablir la confiance nécessaire chez les créanciers pour entreprendre un travail de restructuration.

Le président: Il faut absolument que le contrôleur soit considéré comme une partie indépendante. Comme vous le dites, cela ne serait pas nécessairement le cas si les vérificateurs devaient aussi jouer le rôle de contrôleurs.

M. Cozzi: C'est cela.

Le sénateur Angus: J'ai bien saisi ce que vous avez dit sur le processus, monsieur Daniels, mais je ne suis pas sûr de bien comprendre comment cela s'est produit. Comme vous connaissez parfaitement la manière dont se font les choses dans cette ville, je ne comprends pas ce qui a pu se passer.

M. Daniels: La raison est très simple, sénateur: nous n'avons rien pu faire parce que nous n'avons pas été informés. Nous faisions des appels téléphoniques pour savoir quand les consultations se tiendraient mais, un jour, nous avons appris que c'était fini.

En cas normal, cela ne nous inquiéterait pas. Cette fois-ci, cependant, il y a dans le projet de loi ce déséquilibre tout à fait particulier, comme l'a dit M. Steel, étant donné que le projet touche 20 p. 100 de notre portefeuille mais seulement trois pour cent de celui d'un groupe important de nos concurrents. Si l'on applique une superpriorité environnementale à nos actifs, cela faussera le processus.

Le sénateur Angus: Vous voulez dire, si je réduis votre argument à sa plus simple expression, que vos hypothèques risquent d'être menacées, voire liquidées, par cette superpriorité?

M. Daniels: Je veux simplement dire que cela risque d'avoir une influence sur les taux.

M. Steel: Le terrain de jeu ne serait plus égal.

Le sénateur Angus: Vous dites que celui qui prête sur des biens mobiliers se trouve dans une meilleure situation, ce que je comprends bien, mais j'aimerais avoir des précisions.

À première vue, votre position semble tout à fait raisonnable, et je sais que les gens qui vous lancent actuellement des regards perçants dans le dos ne sont pas déraisonnables. J'aimerais donc savoir ce qui manque, exactement.

M. Daniels: Ce n'est pas clair à nos yeux non plus, sénateur. Nous avons tenté d'attirer l'attention du gouvernement sur cette question, par le truchement du comité de la Chambre des communes, mais sans succès, à l'évidence. On nous a dit de nous adresser à votre comité. Je ne peux pas vous dire quelle est la réponse exacte à votre question, je ne la connais pas.

M. Steel: Les deux catégories de prêteurs peuvent influer sur les activités de leurs clients en ce qui concerne les questions environnementales. De ce fait, les deux catégories devraient partager les responsabilités de réparation des dégâts environnementaux résultant de ces activités.

Le sénateur Angus: Vous semblez dire aussi que les dégâts environnementaux pourraient fort bien avoir été causés par les biens mêmes qui constituent la garantie des autres prêts.

M. Steel: Ce serait possible. On pourrait bien constater qu'une banque ou un prêteur sur biens mobiliers serait autorisé à se rendre sur les lieux, dans une situation d'insolvabilité et de propriété contaminée, afin de se saisir des comptes à recevoir ou de l'équipement, en laissant la responsabilité de la propriété contaminée au prêteur immobilier. Dans certains cas, les stocks que la banque possède en garantie risquent d'être devenus inutilisables, par exemple à cause d'insecticides ou de produits chimiques corrosifs. En vertu de cette proposition, la banque n'aurait aucune responsabilité à l'égard de la décontamination, ni même à l'égard de l'élimination de ces stocks qu'elle avait en garantie. Qui devra donc se charger de l'assainissement? Le prêteur et, si le prêteur décide de ne rien faire et si le gouvernement se charge du travail, il y aura une sûreté de superpriorité sur le bien donné en garantie au prêteur.

Le sénateur Angus: Vous perdrez donc deux fois.

M. Steel: Exactement, ce qui est parfaitement injuste. Il n'y a aucune raison que les deux catégories de prêteurs soient traitées différemment.

Le sénateur Angus: Vous ne représentez ici que votre association mais je suppose qu'il peut y avoir beaucoup d'autres prêteurs qui seraient touchés de manière similaire. Vous dites que les hypothèques représentent 20 p. 100 de votre portefeuille?

M. Steel: Nous fournissons plus de la moitié des hypothèques commerciales au Canada, lesquelles représentent 21 p. 100 de nos actifs. En ce qui concerne les banques, cela ne représente que 3 p. 100 de leurs actifs puisqu'elles prêtent essentiellement sur des biens mobiliers et de l'équipement. Voilà pourquoi elles ne sont pas ici aujourd'hui. Elles sont tout à fait satisfaites de cette disposition. À titre de prêteurs sur des biens immobiliers, nous serons beaucoup plus touchés qu'elles.

Le sénateur Angus: Avez-vous des statistiques ou des données quelconques à nous remettre au sujet de l'incidence de la pollution ou des dégâts environnementaux sur les biens qui garantissent vos prêts?

M. Steel: Je n'ai jamais vu de statistiques à ce sujet au Canada.

Le sénateur Angus: Autrement dit, votre argument n'est peut-être que théorique.

M. Steel: Je peux vous donner des statistiques sur les effets de la législation environnementale sur les prêts. Je ne vois pas bien ce que vous souhaitez.

Le sénateur Angus: Par exemple, sur 10 faillites impliquant des biens immobiliers, y a-t-il déjà eu des cas de dégâts environnementaux causés à ces biens ou de dépenses de remise en état qui ont dû être assumées par les pouvoirs publics?

M. Steel: Je n'ai pas ce genre de renseignement.

Le sénateur Angus: J'essaie de voir pourquoi on n'a pas tenu compte de vos démarches.

M. Steel: Ce qui est important, c'est l'effet que cela aura sur les activités de prêt.

Le sénateur Angus: Évidemment, c'est une autre manière de poser la même question. Si ces cas sont fréquents, cela aura un effet considérable sur les prêts. Votre industrie ayant établi des lignes directrices au sujet de ses activités de prêt, je me demande si vous pensez vraiment que ce projet de loi pourrait tellement les modifier.

M. Steel: J'ai des statistiques américaines, si vous me donnez un instant.

Le sénateur Hervieux-Payette: Lors de la vente de Petro-Canada, j'ai entendu dire que la plupart de ses terrains de l'est de Montréal étaient contaminés.

Le sénateur Angus: Mais il n'y avait aucune loi à ce sujet à l'époque.

Le sénateur Hervieux-Payette: Cela dit, les terrains ne pouvaient plus être utilisés. Les frais d'assainissement auraient été plus élevés que la valeur même des terrains. Je parle ici du centre de Montréal. L'équipement des raffineries valait beaucoup plus que les terrains eux-mêmes. Or, il y avait certainement des hypothèques sur ces terrains.

Je connais un autre exemple où une entreprise qui a presque fait faillite avait une usine de naphte et beaucoup d'équipements. Les frais de décontamination du site auraient été énormes, représentant jusqu'à 10 fois le prix du terrain. D'après mes informations, dans ce type d'opérations, le matériel vaut presque toujours beaucoup plus que le terrain.

M. Steel: Il est donc facile de voir que les prêteurs devront être beaucoup plus prudents si ce projet de loi est adopté.

J'ai ici quelques statistiques sur les effets de ce type de législation sur les activités et politiques de prêt. Elles viennent d'une étude sur les banques américaines. Sur 159 banques ayant participé à l'étude, 97 ont dit avoir refusé des prêts entre une et dix fois; 30, entre 11 et 50 fois; 9, entre 51 et 100 fois; et une, plus de 100 fois.

Il n'est que raisonnable de supposer que les prêteurs prendront des mesures pour protéger leurs intérêts si cette loi les expose à ce genre de responsabilité.

Le sénateur Angus: Vous venez peut-être d'exprimer la réponse même du gouvernement dans ce que vous venez de dire, M. Steel. Certains témoins nous ont dit que nos problèmes de faillite et d'insolvabilité résultent en partie du fait que le crédit est beaucoup trop facile au Canada.

Cherchons-nous un facteur de dissuasion? Je ne le sais pas. Je ne peux pas deviner l'intention du législateur.

M. Steel: Nous sommes tout à fait favorables à un surcroît de prudence. Les lois adoptées depuis une demi-douzaine d'années ont amené les prêteurs à faire preuve de beaucoup plus de prudence et à faire des études environnementales, ce qui est tout à fait bénéfique.

Il faut cependant assurer un certain équilibre quand on répartit les responsabilités de la contamination environnementale. Je ne pense pas qu'il soit réaliste d'imposer toute cette responsabilité aux prêteurs. Si vous lisez les documents de réflexion, et si vous examinez les lois récemment adoptées en Nouvelle-Écosse, en Colombie-Britannique ou au Manitoba, vous verrez que le législateur a fini par comprendre que le fait qu'un groupe ait des poches très profondes ne saurait être le facteur déterminant d'attribution de la responsabilité de résoudre les problèmes des sites orphelins et de contamination.

Il n'y a rien de mal à ce qu'on soit plus exigeant en ce qui concerne la prudence environnementale. Il y a par contre un problème si cette prudence légitime devient tellement dispendieuse et tellement irréaliste qu'elle a pour effet de bloquer l'activité économique normale.

Lors d'audiences devant le Congrès des États-Unis, plusieurs firmes de nettoyage à sec ont déclaré qu'elles ne pouvaient plus trouver d'endroit pour exercer leurs activités à cause de la rigueur des lois sur l'environnement qui imposent une responsabilité commune et partagée en matière de contamination passée. Une firme n'a pas pu occuper des locaux qu'elle souhaitait si elle n'assumait pas la responsabilité de mesures d'assainissement de un million de dollars, des frais juridiques de 38 000 $ et des dépenses de 8 000 $ pour des études environnementales. Le propriétaire n'était tout simplement pas prêt à assumer le risque auquel il s'exposerait en acceptant ce genre d'activité dans ses locaux.

Si l'on décide d'imposer des critères différents aux prêteurs hypothécaires et aux prêteurs sur biens mobiliers, les premiers devront faire preuve de beaucoup plus de prudence avant d'autoriser l'exercice de certaines activités sur leurs propriétés immobilières. On peut bien dire que les banques seront exemptées, elles ne prêtent que sur des biens mobiliers. Pourtant, il faut bien que ces entreprises puissent exercer leurs activités quelque part.

Le sénateur Angus: Vous défendez fort bien votre cause. Ce que vous dites justifierait un débat fort intéressant. Vous avez très bien exprimé votre point de vue.

M. Steel: Nous n'avons aucune objection à ce qu'on impose certains critères rigoureux de prudence à l'égard de l'environnement. Nous comprenons parfaitement que le gouvernement ne veuille accorder à aucun prêteur le bénéfice des dépenses d'assainissement qu'il devrait assumer lui-même.

Cela dit, il faut que les règles soient les mêmes pour tout le monde. Tout prêteur qui est en mesure d'influer sur les activités de ses emprunteurs devrait partager la responsabilité de ses activités.

Le sénateur Stewart: C'est un problème très sérieux. Prenez le cas de quelqu'un qui a fait un prêt hypothécaire pour l'exercice de certaines activités industrielles. Au cours des années, les méthodes changent et il se trouve que les activités ont produit beaucoup de pollution. La compagnie d'assurances qui a fait le prêt hypothécaire se retrouverait inévitablement aujourd'hui dans un rôle de surintendance ou de supervision. On lui demanderait d'assumer les coûts. D'un autre côté, si le changement des méthodes et le recours à de nouvelles machines produisaient une pollution massive, on ne pourrait lui imposer le même rôle de supervision. Ce serait simplement un phénomène auxiliaire à un processus continu. Il n'en reste pas moins que ce seraient peut-être ses nouveaux produits chimiques qui auraient causé la pollution.

J'essaie de comprendre pourquoi on s'attaque aux biens immobiliers. D'un point de vue pratique, ils semblent constituer une très bonne cible. Je ne veux pas dire que ce soit juste mais, du point de vue pratique, on a beaucoup plus de chances de pouvoir agir que si l'on essaie d'appliquer une sorte de rôle général de surintendance ou de supervision à l'égard de tous les changements apportés aux procédés industriels, comme dans l'industrie des pâtes et papiers, par exemple.

M. Steel: Vous vous trompez en disant que les biens immobiliers sont une bonne cible. Je crois qu'ils constituent plutôt une cible facile. Je vais me répéter mais on indique clairement dans un document de réflexion du Manitoba que chaque prêteur a la possibilité d'influer sur les activités de son emprunteur en ce qui concerne les responsabilités environnementales. À titre de prêteur hypothécaire, je peux fort bien inclure dans le contrat hypothécaire une disposition relative aux diverses activités que peut exercer l'emprunteur sur la propriété, et je peux surveiller que ces conditions sont respectées.

La banque qui prête de l'argent au même entrepreneur pour lui permettre d'acheter de l'outillage a exactement la même possibilité de contrôler les activités du prêteur en ce qui concerne la protection environnementale.

Pourquoi le prêteur hypothécaire devrait-il être traité différemment? En fait, si vous y pensez bien, le prêteur hypothécaire est purement passif. Il se contente de fournir à l'entrepreneur un lieu où exercer ses activités. Pour ce qui est de la banque, c'est elle en fait qui aura prêté l'argent ayant permis l'achat du matériel utilisé pour causer le problème environnemental.

Le sénateur Stewart: J'en reste là, monsieur le président.

Le sénateur Meighen: Au sujet du terrible article 124, monsieur Cozzi, dois-je comprendre que, selon vous, on a invoqué la LFI dans de grandes restructurations? Dans la plupart des cas, il y a de longues discussions avant d'invoquer la LACC ou la LFI, et tout le monde sait très bien à quoi s'en tenir. De ce fait, le délai de 30 jours est vraiment suffisant. En outre, s'il ne l'est pas, il y a toujours la possibilité, même si elle est distante, de respecter le critère à trois volets.

Est-ce là une méthode trop simpliste de résumer votre position?

M. Cozzi: C'est assez bien, sénateur. L'entreprise n'a aucune obligation de fournir un plan au bout des 30 jours. Il se peut fort bien qu'elle le fasse mais je suis prêt à parier que, dans la plupart des cas, elle demandera une prorogation de l'ordonnance de suspension.

S'il y avait de l'opposition, l'entreprise devrait respecter le critère de 30 jours. Entre-temps, si elle a entrepris assez de discussions avec ses créanciers et si elle a réussi à les convaincre qu'elle a une chance de succès, elle devrait être capable d'en convaincre aussi le tribunal.

Ce critère comporte également d'autres éléments. L'entreprise doit être capable de convaincre le tribunal qu'elle a une chance sérieuse de trouver un arrangement ou un compromis, ce qui, encore une fois, est parallèle aux dispositifs établis il y a cinq ans au titre de la LFI. Cela veut généralement dire qu'un groupe de créanciers va voter de manière collective. Si ce groupe est inexorablement opposé à la prorogation de l'ordonnance de suspension parce qu'il estime que l'entreprise n'a aucune chance réelle de s'en sortir en se restructurant, il votera en conséquence et il est probable que l'ordonnance ne sera pas prorogée.

Le sénateur Meighen: Il faudra convaincre le juge, je suppose.

M. Cozzi: Les créanciers devront convaincre le juge dans tous les cas. Tout ce que je veux dire, c'est qu'il y a également d'autres critères.

Le troisième -- qui ne reprend en fait que ce qu'il y a dans la LFI, comme vous l'avez dit --, consiste simplement à trouver un équilibre satisfaisant entre les créanciers et les débiteurs.

Le sénateur Meighen: Les partisans de l'existence de deux lois différentes affirment -- et vous trouverez peut-être cela tout à fait fallacieux -- que les choses sont complètement différentes lorsqu'on parle d'une grande restructuration. Il ne serait pas difficile à un créancier de prouver qu'il y a eu un préjugé. Peut-être devrait-on dire dans la loi que «les créanciers ne subiront généralement pas de préjudice matériel» plutôt qu'«aucun créancier», étant donné qu'il ne serait sans doute pas très difficile d'en trouver au moins un.

M. Cozzi: Vos deux remarques sont tout à fait pertinentes. Je vais d'abord parler du créancier individuel. J'ai entendu les représentants de l'ACPI sur cette question. Leur hypothèse était celle d'une entreprise ayant de nombreux employés mais un seul petit créancier. Je peux d'ailleurs vous donner un exemple issu de mon expérience personnelle.

J'étais présent lors des tentatives de restructuration de O&Y. Il y avait aussi là d'autres compagnies d'assurances, comme la Confédération-Vie. J'étais là également lors de la restructuration de Bramalea dans le cadre de la LACC -- la deuxième fois où elle a fait faillite, je le précise --, et la Confédération-Vie y était représentée par un séquestre en vertu de la Loi sur les liquidations. Dans le cas de O&Y, la Confédération-Vie aurait fort bien pu arguer qu'elle allait subir un préjudice matériel. À mon avis, le but de ce critère est d'établir un équilibre.

Lors de la faillite de O&Y, relativement peu d'employés ont perdu leur emploi. On en a beaucoup parlé parce que les sommes en jeu étaient énormes et qu'il s'agissait de très gros créanciers. Il y avait des banques et des compagnies d'assurances, ainsi que des prêteurs étrangers. Il y avait Canary Wharf. Il y avait des immeubles un peu partout... aux États-Unis, au Canada et au Royaume-Uni. Cependant, si vous examinez le nombre d'emplois, il a été minime. Comparez cela avec le nombre d'emplois perdus à la Confédération-Vie. Je ne veux pas dire que la Confédération-Vie a fait faillite à cause de O&Y. Je veux simplement dire que l'on devrait avoir la possibilité d'essayer d'en apporter la preuve.

Votre deuxième remarque concernait le fait de savoir s'il nous faut deux lois ou une seule. J'ai entendu des représentants de l'ACPI en parler. Je peux également deviner ce que vous a dit le professeur Ziegel car j'en ai discuté avec lui. J'ai entendu le témoignage de l'Association du Barreau canadien. Il s'agit là d'un débat continu. J'ai fait partie du comité du CCFI qui s'est occupé des restructurations commerciales. Je sais parfaitement que ce qui a été proposé était formulé de manière à dire qu'il s'agissait là de la recommandation actuelle au sujet de la LACC mais, si vous examinez bien le texte, vous verrez que c'était dit de manière tellement prudente que cela montrait qu'on ne pouvait pas faire mieux pour le moment. Je connais le texte de la recommandation.

Comme j'ai fait partie du comité du CCFI sur les restructurations commerciales, je peux vous dire que la proposition représentait le plus petit dénominateur commun. Si le CCFI avait eu six mois de plus, il aurait peut-être fort bien fait une recommandation différente.

Cela n'enlève rien à notre appui au projet de loi C-5 pour ce qui est des modifications touchant la LACC. Je dis simplement que, lors de la prochaine ronde de discussions du CCFI, vous risquez fort bien de voir apparaître une série d'amendements différents pour la LACC. Pour ce qui est de notre appui à l'égard de cette Loi, j'espère qu'il était parfaitement implicite dans mes affirmations.

Le président: Merci beaucoup de vos témoignages, messieurs. Nous reprendrons peut-être contact avec vous au sujet de la question des REÉR.

La séance est levée.


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