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Délibérations du comité sénatorial permanent
des affaires étrangères

Fascicule 20 - Témoignages - Séance du matin


VANCOUVER, le jeudi 6 février 1997

Le comité sénatorial permanent des affaires étrangères se réunit aujourd'hui, à 9 h 00, dans le but d'examiner, pour en faire rapport, l'importance croissante pour le Canada de la région Asie-Pacifique, en mettant l'emphase sur la prochaine Conférence pour la coopération économique en Asie-Pacifique qui aura lieu à Vancouver, en automne 1997, l'Année canadienne de l'Asie-Pacifique.

Le sénateur John B. Stewart (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Honorables sénateurs, nous accueillons aujourd'hui un panel composé de M. Terry McGee, de l'Institute of Asian Research de l'Université de la Colombie-Britannique; de M. Douglas A. Ross, du département des sciences politiques de l'Université Simon Fraser, et M. Brian Job, de l'Institute of International Relations de l'Université de la Colombie-Britannique.

M. McGee connaît très bien la région Asie-Pacifique, étant donné qu'il y a vécu pendant plusieurs années et qu'il s'est spécialisé dans des domaines comme l'urbanisation, ce qui lui a permis d'agir comme conseiller en la matière auprès des gouvernements concernés.

M. Ross, du département des sciences politiques de l'Université Simon Fraser, est spécialisé dans divers domaines: mentionnons les politiques étrangère et de défense du Canada et des États-Unis; la stratégie nucléaire; le contrôle des armements nucléaires et le désarmement; les conflits internationaux et la coopération en matière de contrôle des armements.

Notre troisième panéliste, M. Job, de l'Université de la Colombie-Britannique, se spécialise dans les relations et la sécurité internationales, notamment dans la région Asie-Pacifique, et dans les politiques étrangère et de défense du Canada.

Comme les honorables sénateurs le constatent, vu les domaines d'intérêt de nos panélistes, il sera beaucoup question de sécurité aujourd'hui, mais nous ne parlerons pas exclusivement de mesures de sécurité.

Monsieur McGee, je vous demanderais d'ouvrir la discussion.

M. Terry McGee, directeur, Institute of Asian Research, Université de la Colombie-Britannique: Monsieur le président, je vous remercie de me donner l'occasion de comparaître devant vous ce matin.

L'Institute of Asian Research, que je dirige, est un institut interdisciplinaire qui relève de la faculté des études supérieures de l'Université de la Colombie-Britannique. Il regroupe cinq centres d'études sur la Chine, le Japon, l'Inde, l'Asie du Sud, l'Asie du Sud-Est et la Corée, et compte une douzaine de professeurs et d'employés à temps plein, ainsi que 120 assistants à l'enseignement et professeurs agrégés. Nous nous spécialisons dans trois secteurs d'activité.

Nous effectuons des recherches sur divers aspects des relations entre le Canada et l'Asie. À l'heure actuelle, les divers centres participent ensemble à cinq grands projets de recherche, de même qu'à plusieurs projets individuels axés sur l'Asie. Ceux-ci comprennent une étude sur la diaspora asiatique -- c'est-à-dire les populations asiatiques qui ont migré vers d'autres pays d'Asie, au Canada, aux États-Unis, en Australie et en Nouvelle-Zélande. Certains projets portent sur les sciences humaines et les divers aspects du développement en Asie. Nous sommes également en train de mettre au point un projet de recherche sur l'APEC et le rôle des ONG.

J'aimerais vous parler aujourd'hui du Canada et de l'APEC, et vous exprimer mes vues sur la question, lesquelles reflètent, dans une certaine mesure, celles de mes collègues. J'espère que mon intervention vous sera utile.

Je tiens à préciser que l'Université de la Colombie-Britannique accorde beaucoup d'importance à ce sujet d'étude, tout comme d'autres établissements d'enseignement au Canada. Elle consacre d'énormes ressources au développement de compétences sur l'Asie-Pacifique. Aujourd'hui, l'université possède la plus importante collection d'ouvrages en langues asiatiques au Canada, une collection qui n'a rien à envier à celle que l'on trouve aux États-Unis. L'université offre un grand nombre de cours sur l'Asie, dont des cours de droit, d'administration des affaires et d'art. C'est l'une des rares universités au Canada qui offrent des cours en cinq langues asiatiques, soit le hindi, le chinois, le japonais, le coréen et l'indonésien. Toutes ces langues sont essentielles à la formation des Canadiens, car elles leur permettent d'acquérir les connaissances dont ils ont besoin pour se familiariser avec la région Asie-Pacifique, que le Canada est rapidement en train de rejoindre. Le Canada doit investir dans les programmes de ce genre.

En ce qui nous concerne, notre président et d'autres administrateurs ont mené une importante campagne de levée de fonds, surtout auprès de donateurs asiatiques, qui leur a permis d'amasser environ 20 millions de dollars, dont une bonne part a été versée à l'institut. Nous avons fondé quatre chaires et mis sur pied divers programmes. Nous avons également établi des liens électroniques avec de grands instituts de recherche en Asie. C'est grâce aux décisions que nous avons prises il y a longtemps que nous avons pu faire toutes ces choses. Le Canada, s'il tient à être reconnu comme un pays de l'Asie-Pacifique, doit poursuivre ses efforts en ce sens.

J'aimerais aborder trois points particuliers concernant le Canada et l'APEC. D'abord, je voudrais vous parler du contexte dans lequel l'APEC a été fondé. S'il n'y avait pas eu l'APEC, un autre institut aurait vu le jour, puisque les circonstances rendaient nécessaire la création d'organisations régionales plus vastes et plus flexibles.

Deuxièmement, j'aimerais dire quelques mots au sujet du rôle que joue le Canada au sein de l'APEC, un rôle très important puisque le Canada accueillera la conférence de l'APEC en novembre, à l'Université de la Colombie-Britannique. À mon avis, le Canada cherche encore à définir ce rôle, ce qui n'est pas sans difficultés.

Troisièmement, j'aimerais faire quelques observations au sujet du Canada et de l'Asie, des observations que le comité pourrait, dans un sens, considérer comme des recommandations.

Avec votre permission, je vais utiliser quelques diapositives pour illustrer ces trois points.

Parmi les facteurs à l'origine du phénomène de croissance exceptionnel que connaît la région Asie-Pacifique, il y a l'information. Les télécommunications et les systèmes informatiques favorisent de plus en plus la création de liens à l'intérieur même de la région, et à l'échelle internationale.

De nombreux observateurs estiment que ces facteurs menacent la croissance de l'État-nation; toutefois, ils favorisent en même temps l'émergence de blocs économiques transfrontaliers, comme on peut le voir sur cette diapositive. L'État-nation en fait toujours partie, mais il y a un échange d'activités économiques entre ces blocs particuliers. L'essor qu'ont connu la Nouvelle-Zélande et l'Australie, de même que les triangles de croissance qui ont vu le jour dans diverses régions d'Asie -- je connais surtout celui de Singapour --, favorisent la circulation des biens, des personnes et des produits entre les pays. L'APEC désire surtout, à ce moment-ci, favoriser la circulation des personnes, des biens, des produits et des investissements entre les pays.

On entend beaucoup parler aujourd'hui de «mondialisation». Je tiens à rappeler aux membres du comité qu'on a déjà connu, à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècles, une révolution technologique que l'on a qualifiée, 50 ans plus tard, de révolution industrielle. C'était la vapeur qui était à l'origine de cette révolution. Nous n'avons pas encore trouvé de mot pour désigner le phénomène que nous connaissons aujourd'hui. Certains l'appellent «l'âge de l'information», mais le terme qui semble le plus populaire est celui de «mondialisation». Il faudra peut-être attendre encore 50 ans avant de lui trouver un nom approprié.

Le gouvernement canadien, comme en témoigne les déclarations du premier ministre et de nombreux ministres, s'est prononcé en faveur de la mondialisation. Or, cet engagement laisse sous-entendre que le Canada doit, entre autres, être compétitif et poursuivre ses efforts d'internationalisation.

La mondialisation est à l'origine des nouvelles alliances régionales qui voient le jour, dont l'APEC. Pourquoi l'Asie-Pacifique? L'Asie-Pacifique est une immense région géographique qui s'étend sur 18 000 kilomètres en passant par l'équateur. Elle regroupe 18 pays. Ils ne représentent pas tous les pays de la région Asie-Pacifique, mais constituent certains des joueurs les plus importants de l'Asie-Pacifique.

À première vue, compte tenu de la réalité géographique de l'Asie-Pacifique, on n'aurait pas tendance à croire que la proximité géographique encouragerait l'établissement de liens avec les pays du Pacifique. En effet, l'établissement de liens avec les États-Unis et, historiquement, avec l'Europe paraît beaucoup plus logique. Or, la mondialisation est en train de faire tomber ces barrières géographiques, de sorte que le Canada pourra participer de façon active à l'essor de la région Asie-Pacifique. Sa présence, d'ailleurs, se fera de plus en plus sentir dans presque toutes les facettes de notre existence et de nos relations internationales.

La région Asie-Pacifique se démarque par sa diversité. J'ai ici un cartogramme. J'ai tout simplement pris le produit intérieur brut de l'ensemble de la région et calculé la contribution en pourcentage de chaque pays. Ces chiffres ne s'appliquent pas seulement à l'APEC, mais à l'ensemble des pays de la région Asie-Pacifique. Les données couvrent la période allant de 1982 à 1992. Deux économies dominent la région Asie-Pacifique, soit les États-Unis et le Japon.

On a de plus en plus tendance à croire que la croissance de la Corée, de Taiwan et de Hong Kong, entre autres, réduira notre part du marché mondial. Les pourcentages n'ont pas changé entre 1982 et 1992. Les chiffres sont demeurés stables au cours de ces dix années. En effet, la contribution réelle du Japon et des États-Unis au produit intérieur brut de l'ensemble de la région Asie-Pacifique a augmenté de 3 p. 100 entre 1982 et 1992. Je tiens à le mentionner au comité parce qu'il s'agit là d'un facteur très important en ce qui concerne l'APEC.

Enfin, j'aimerais rappeler au comité les réalités démographiques de la région. Cette diapositive indique les taux de natalité enregistrés en 1982 et en 1992. Ils donnent une toute autre perspective de la situation économique de la région Asie-Pacifique. Ces chiffres indiquent qu'environ 66 p. 100 de la population vit dans la partie est de la région Asie-Pacifique, ce qui n'est pas sans importance, compte tenu des niveaux de développement de ces pays.

J'aimerais maintenant vous parler du rôle joué par le Canada au sein de l'APEC. L'APEC est un organisme axé sur le consensus, qui s'inspire des principes qui se dégagent d'organisations régionales comme l'ANASE. Pour certains, l'APEC est un organisme mal structuré qui ne va nulle part et qui ne produit aucun résultat concret.

On a tort, à mon avis, de penser ainsi. L'APEC ne produit peut-être pas de résultats concrets, mais c'est peut-être là sa plus grande force. Le fait de réunir un grand nombre de pays de la région dans ces tribunes crée une atmosphère qui favorise la libéralisation des échanges et des investissements.

D'autres soutiennent que l'APEC ne peut s'occuper des droits de la personne, des questions relatives à la main-d'oeuvre. Certaines ONG ne se cachent pas pour exprimer leurs vues à ce sujet. À mon avis, cette question est très complexe. J'ai lu dans les journaux que Mike Harcourt a déclaré au comité que le Canada devrait jouer un rôle plutôt modeste au sein de cet organisme.

J'estime plutôt que nous devons sensibiliser les ONG aux différences culturelles, aux différents niveaux de développement des pays de l'APEC, au contexte historique dans lequel ce développement se produit. Nous devons fournir plus de renseignements aux ONG. D'autres critiques ont été formulées à l'égard de l'APEC. Est-ce que l'organisme devrait surtout s'occuper de développement? Devrait-il mettre en oeuvre l'initiative Partenaires du progrès, proposée par l'ancien premier ministre du Japon? Devrait-il promouvoir le développement des ressources humaines? Toutes ces questions figureront à l'ordre du jour des réunions qui auront lieu au cours de l'Année Asie-Pacifique.

Le Canada jouera inévitablement un rôle actif au sein de la région Asie-Pacifique. Les retombées pour le Canada sont de trois ordres. Certaines sont déjà connues, mais elles doivent toutes être consolidées.

Nous devons continuer d'investir dans l'éducation, la formation, l'éducation planétaire. Nous devons continuer d'encourager les Asiatiques à venir étudier au Canada. Leur présence ici constitue non seulement une source de revenus, mais elle permet aussi de créer des affinités culturelles ainsi que des réseaux et des liens. Nous devons faire en sorte que nos propres étudiants aient l'occasion d'aller étudier en Asie. Nous devons mettre au point des programmes plus ambitieux dans ce domaine. Les fonds alloués aux diplômés désireux d'aller travailler en Asie sont très limités.

La participation du Canada au développement de l'Asie pose un défi multiculturel. Notre société évolue rapidement. Nous avons déjà vu les conséquences de cette évolution en Australie et en Nouvelle-Zélande où, l'année dernière, la migration asiatique a permis de mettre à jour -- pour utiliser un terme que nous hésitons à employer --, des comportements «racistes». Au Canada, les grandes agglomérations urbaines, où s'installent la plupart des immigrants, doivent se tenir prêtes à composer avec cette éventualité. Heureusement, aucun grand parti politique ne s'est prononcé contre cette initiative. Toutefois, nous devons mettre en place des programmes d'information, organiser des activités et nous doter d'une politique d'immigration qui font du Canada un membre à part entière de la communauté multiculturelle de l'Asie-Pacifique.

Enfin, nous célébrons en 1997 l'Année canadienne de l'Asie-Pacifique. Nous nous considérons presque comme un pays asiatique, comme l'a déclaré Bob Hawk en 1978. Toutefois, nous n'irions pas jusqu'à dire que nous sommes un pays asiatique, comme l'a fait Bob Hawk en parlant de l'Australie. Toutefois, je crois que nous sommes sur la bonne voie, étant donné que 1997 a été proclamée l'Année canadienne de l'Asie-Pacifique.

Les Canadiens en général connaissent encore très mal l'APEC. J'ai demandé à des étudiants de quatrième année de l'Université de la Colombie-Britannique de me dire ce qu'ils pensaient de l'APEC. Seulement trois étudiants sur 20 ont su me donner une réponse plus ou moins intelligente. L'université a encore beaucoup à faire à ce chapitre. Nous devons sensibiliser davantage les gens au rôle que joue cet organisme.

Nous devons continuer d'accorder une place importante au volet culturel dans nos liens avec les pays d'Asie. J'espère que, lorsque vous vous pencherez sur ces questions, vous allez essayer de voir comment le Canada peut tirer profit de son expérience au sein de l'APEC et imprimer une nouvelle vision à sa politique étrangère.

M. Douglas A. Ross, département des sciences politiques, Université Simon Fraser: Je remercie le comité de me donner l'occasion de comparaître devant lui et de discuter de ces questions importantes.

Je compte surtout mettre l'accent sur la sécurité, et vous exposer les nombreux problèmes et concepts qui nous viennent à l'esprit lorsque nous examinons la région Asie-Pacifique, les concepts comme la prospérité et la sécurité à plus long terme.

J'ai participé récemment à une conférence à Winnipeg où il a été question de la politique étrangère canadienne entre l'Est et l'Ouest, et des objectifs que nous devons nous fixer à long terme: devons-nous établir des liens étroits, solides et efficaces avec l'Europe de l'Ouest, devons-nous miser davantage sur les échanges à l'intérieur de l'hémisphère, ou devons-nous nous tourner vers le Pacifique. Nous nous sommes tous mis à défendre nos propres intérêts, ce qui n'a rien d'étonnant, et à dire que nous devions faire ces trois choses. D'où le problème suivant: pouvons-nous remplir ces trois objectifs, ou allons-nous nous éparpiller dans tous les sens? Voilà le dilemme auquel seront de plus en plus confrontés les décideurs et les dirigeants politiques à Ottawa.

Je m'intéresse avant tout aux menaces à long terme qui pèsent sur la sécurité globale. Denis Stairs, un collègue de l'Université Dalhousie, a parlé des désastres qui attendent la race humaine à l'aube de l'an 2000. Je les appellerais tout simplement «les trois terreurs» -- la surpopulation, la famine et la migration non contrôlée. Il s'agit là des principaux problèmes auxquels nous serons bientôt confrontés.

Chacun de ces derniers, directement ou indirectement, risque d'entraîner et entraînera probablement des guerres importantes dans les pays très isolés et très perturbés de l'Afrique. Il ne faut pas oublier non plus le spectre de la désintégration, de la destruction et des conflits en Asie.

Depuis dix ans, nous considérons la région de l'Asie-Pacifique comme le grand espoir du monde sur le plan de la prospérité, et toutes les statistiques économiques sont extrêmement encourageantes. Malheureusement, ceux qui examinent l'utilisation de l'environnement et des ressources craignent fort que la Chine et l'Inde n'arrivent pas à mettre en place des économies assez stables et durables.

De nombreux auteurs, autant Thomas Homer-Dixon de l'Université de Toronto, Paul Kennedy de Yale que d'autres qui ont écrit avant eux, craignent en fait que l'explosion démographique des trois dernières décennies n'ait des conséquences inévitables qui se répercuteront sur nous.

Le graphique qui apparaît à l'écran classe un grand nombre des auteurs les plus lus et dont on parle le plus à l'heure actuelle, du moins en politique internationale, dans le domaine de la sécurité de l'environnement. Les deux Canadiens les plus réputés sur la liste sont peut-être Thomas Homer-Dixon et Gwynne Dyer. Dans le quadrant supérieur gauche figurent les auteurs les plus pessimistes. À gauche en bas, on retrouve Kennedy, Gwynne Dyer, Ivan Head, qui a publié On a Hinge of History, ouvrage qui contribue grandement au débat mais n'est pas suffisamment lu au Canada, et enfin Laurie Garrett, une journaliste américaine que j'ai mentionnée là parce qu'elle traite du problème des maladies.

Dans le quadrant supérieur droit, sur lequel je vais concentrer mon propos, nous retrouvons Samuel Huntington. Ce sont ses opinions qui sont les plus problématiques et j'espère que le comité y sera sensible lorsqu'il se penchera sur l'avenir de la politique canadienne et le rôle que nous envisageons pour notre pays dans un monde de plus en plus divisé, voire déchiré.

Dans le quadrant du bas, nous retrouvons les auteurs qui croient que la science et la technologie régleront tous les problèmes environnementaux, les «inconditionnels» de la technologie pourrait-on dire. Pour eux, les conflits seront un jour chose du passé, et la race humaine va mettre un terme aux divisions et aux discordes. Ils voient donc la vie en rose. Je placerais aussi dans ce quadrant un grand nombre d'idéologues du commerce et d'utopistes libéraux néo-conservateurs. Je ne vous en parlerai pas du tout parce qu'ils sont à mon avis complètement déconnectés de la réalité.

J'estime que l'avenir se présente plutôt mal. Si je devais me placer moi-même dans une catégorie, je me situerais quelque part dans le quadrant inférieur gauche. Le conflit est évitable et remédiable. D'ici deux ou trois siècles, nous serons peut-être en voie de dépasser le militarisme, comme l'a d'ailleurs proposé Dyer dans sa série en quatre volets, The Human Race, présentée par l'ONF. Mais c'est une tout autre histoire. L'optimisme prudent de Dyer n'a rien à voir avec ce que beaucoup d'autres spécialistes de la question ont prédit.

Les conséquences concrètes du réchauffement de la planète intéressent de moins en moins les gens. Depuis que des scientifiques ont de plus en plus la certitude que le niveau des océans dans le monde va augmenter de 1,5 pied d'ici 50 à 100 ans, nombreux sont ceux qui pensent que nous serons aux prises avec de graves problèmes dans beaucoup d'estuaires à forte densité de population et que cela aura un impact sur les terres arables, et partant, sur la production alimentaire.

Ce n'est pas le moindre des problèmes que pose le réchauffement du globe. Je dirais que beaucoup de nos politiciens à Ottawa, à Washington et ailleurs ferment trop les yeux sur ce problème. Des changements soudains risquent de se produire tant en ce qui à trait au climat qu'à l'accessibilité à la nourriture. Le réchauffement du globe va exacerber la pénurie d'eau. Il est tout à fait évident qu'à l'heure actuelle ces divers cours d'eau colorés en vert ne coulent pas vers l'océan pendant de grandes parties de l'année. Les cours d'eau de ces réseaux hydrographiques s'assèchent complètement. Cela fait au moins une décennie que le Colorado n'atteint plus le golfe de Californie. Cette situation ne fera qu'empirer.

Par exemple, comme l'eau transporte de moins en moins de sédiments dans le delta du Nil, et que la situation ne change pas, nous verrons de plus en plus d'inondations. Il s'agit d'un changement assez graduel. Les analystes de l'environnement se concentrent sur cette région et disent que nous avons du temps pour nous adapter. Cependant, le message ne passe pas.

Depuis deux ans, les nappes glacières de l'Antarctique font l'objet de beaucoup de recherches. Un grand nombre de spécialistes discutent activement de ce qui risque de se produire si les calottes glacières de l'Antarctique orientale et de l'Antarctique occidentale se mettent à glisser. Ces zones sont instables. Nous avons encore beaucoup à apprendre sur la géophysique du globe. Si l'inlandsis de l'Antarctique orientale commence à glisser, le niveau des océans pourrait augmenter non pas de 1,5 pied, mais de 20 pieds. Dans plusieurs siècles, si l'inlandsis devait commencer à se déplacer très rapidement, le niveau de la mer pourrait alors monter de 150 pieds.

Ceux qui ont visité le parc provincial des dinosaures en Alberta savent qu'on y trouve beaucoup d'os de dinosaures étant donné qu'il bordait une immense mer intérieure. Presque toute la partie centrale de l'Amérique du Nord a été ensevelie sous les eaux. En provoquant un changement climatique irréversible, nous pourrions condamner les générations futures à vivre sur une planète immergée. Nous sommes toujours bien loin d'une température moyenne du globe. Le plafond a été atteint à la dernière période interglaciaire. C'est une considération importante mais qui ne l'est peut-être pas pour la plupart de nos politiciens dont la carrière politique est peut-être de quatre ou huit ans. Il s'agit toutefois d'une question à laquelle nous devons tous réfléchir. En fait, il nous faudra peut-être commencer à mettre en place le genre de coopération politique qui permettra de régler le problème du taux de production des chlorofluorocarbures, par exemple.

Aux États-Unis, comme d'habitude, on discute ardemment de la coopération à offrir aux principaux intervenants en Asie. Ce qui m'inquiète le plus, c'est que depuis cinq ans les Américains préconisent de plus en plus, du moins sur le plan stratégique, l'idée de forteresse hémisphérique. Samuel Huntington le fait ressortir très clairement dans ses écrits. Son article paru 1993, The Clash of Civilizations and the Remaking of World Order, est considéré par beaucoup de gens comme un article déterminant pour le XXIe siècle, l'équivalent de la doctrine de l'endiguement qu'avait énoncée George Kennan.

Sur le plan militaire aux États-Unis, on continue de perfectionner les aéronefs et les Républicains du Congrès exigent de doubler le nombre de bombardiers B-2, ces appareils qui valent littéralement plus que leur pesant d'or. Les Américains consacrent des sommes astronomiques pour développer des armes de haute technologie et des capacités de surveillance aérienne par télédétection difficilement repérables et qui leur assureront, croient-ils, le contrôle absolu sur les champs de bataille de l'avenir et la perspective d'en arriver à une ère sans guerre meurtrière.

L'asymétrie et les pertes associées à la guerre du Golfe s'étendront à tout conflit futur auquel participeront les États-Unis. Les forces aériennes des États-Unis et certains membres du Congrès américain exercent de fortes pressions pour réactiver un système de défense national contre les missiles balistiques et considèrent que nous en faisons partie intégrante. J'ai ici une carte qui a paru dans Aviation Week and Space Technology. Le United States Intelligence Council présume tout simplement que nous ferons partie de la même zone. Apparemment, cela aura des répercussions financières pour nous en termes de partage des coûts.

Il est tout à fait évident que les Américains ont renoncé à l'aide publique au développement et qu'ils sont très inquiets des compressions faites par Ottawa à cet égard, qui sont très malavisées. Cependant, nos compressions ne se comparent en rien à celles des Américains. Ils ont pour ainsi dire renoncer à l'aide au développement, mais maintiennent le niveau des dépenses de défense. La paix n'a pas rapporté de dividendes. Je vous fais remarquer que pour l'année 1995-1996, les États-Unis ont consacré à la défense un montant égal au budget réuni de la Russie, du Japon, de la France, de la Grande-Bretagne, de l'Allemagne, de la Chine et de l'Inde.

Pour ce qui est des pays où les États-Unis croient que leurs forces peuvent être déployées et qui constituent une menace déclarée à leur sécurité, comme la Corée du Nord, l'Iran, l'Iraq et d'autres pays en crise ou qui risquent de le devenir comme la Syrie, la Libye et Cuba, ils consacrent collectivement à la défense environ 9,7 milliards de dollars américains. Cela représente un vingt-septième du budget de défense des États-Unis. Au cours des trois ou quatre prochaines années, les États-Unis pourraient diminuer très faiblement leurs dépenses à ce chapitre. Il faut s'interroger sur ce surprenant engagement soutenu à la défense et sur la hausse de dépenses préconisée par beaucoup républicains conservateurs.

Nous devons examiner précisément certaines des recommandations formulées par Samuel Huntington et d'autres, mais plus particulièrement Huntington. Il a principalement laissé entendre que les regroupements mondiaux se feront selon les cultures, des clivages en fait, que les grands conflits du XXIe siècle seront ce qu'il appelle un «affrontement des civilisations». Il avait déjà dit en 1991 que le Japon et les États-Unis n'avaient aucune raison de collaborer. Il estime que l'élite économique japonaise a déjà déclaré la guerre aux États-Unis qui devraient reconnaître ce fait et formuler leur politique en conséquence.

Huntington parle également d'un antagonisme fondamental entre la Chine et les États-Unis qui est tout aussi troublant. Il a proposé essentiellement que les États-Unis prennent leur distance par rapport à un grand nombre de leurs engagements passés en matière de sécurité et se retirent de la région Asie-Pacifique, en traitant presque le Japon comme un adversaire et un rival.

Il laisse aussi entendre que la supériorité militaire américaine doit être maintenue tant que cela sera scientifiquement et économiquement possible. L'Ouest deviendra la cible. Son dernier article laisse entendre que l'Ouest, et il entend par là l'Europe de l'Ouest et l'Amérique du Nord, se fera surpasser en nombre et pourrait même être déclassé au XXIe siècle. Il faut donc s'ingénier maintenant à atteindre un équilibre des forces, à limiter la croissance, les capacités et la force des autres pays, surtout de la Chine et du Japon.

Le «confrontalisme» naissant assez explicite est une position soutenue dans le débat qui a cours aux États-Unis. Je ne dis pas qu'il s'agit d'une politique des États-Unis. Cependant, je crains que de plus en plus de gens ne s'y rallient graduellement.

Huntington laisse aussi entendre que l'OTAN est l'organisation de sécurité par excellence pour l'Ouest et qu'elle devrait être au coeur de la politique internationale de sécurité américaine. Cela serait vraiment dangereux. Selon lui, l'élargissement de l'OTAN est une bonne chose, mais seuls les pays dont la culture est de toute évidence ouest-européenne devraient être autorisés à en faire partie. Les pays slaves ne peuvent compter y être admis, pas plus d'ailleurs que ceux des Balkans. En fait, je crois qu'il dirait probablement que les Turcs devraient être mis à la porte parce qu'ils sont islamiques.

Ce genre de division ou clivage qu'il prévoit n'a rien à voir avec la réalité. Nombreux sont ceux qui ont une approche essentiellement libérale, voire internationaliste, à l'égard de la politique américaine et j'espère qu'il continuera d'en être ainsi. Huntington a un très large public. De plus en plus de gens appuient ses recommandations. Il préconise aussi, presque littéralement, de sceller les frontières de l'Amérique du Nord pour endiguer l'immigration non contrôlée et se réjouit que les Européens de l'Ouest aient entouré d'un nouveau mur de Berlin l'Europe occidentale. Les Italiens et les Espagnols consacrent presque toute leur énergie à tenter d'endiguer l'immigration incontrôlée des Africains du Nord. Pour les Américains, c'est le Mexique et l'Amérique latine qui posent un problème. Huntington hésite probablement beaucoup à penser que le Mexique pourrait être intégré à l'Amérique du Nord et à la civilisation occidentale, mais c'est une possibilité.

De toute façon, je crois que vous avez là l'essentiel de ses recommandations. En ce qui a trait au contrôle des armes et au désarmement pour l'Asie-Pacifique ou ailleurs, il dit très simplement qu'il faudrait s'en servir pour faire avancer la sécurité dans l'Ouest. Il ne parle pas de réciprocité pas plus que d'universalité au sens que l'entendent les Canadiens dans des accords comme le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires. Il faut purement et simplement continuer de s'en servir comme outil d'intervention discriminatoire pour assurer la sécurité de l'Ouest à long terme.

J'ai laissé copie d'un résumé de certaines des critiques importantes que je formule à l'égard des travaux d'Huntington. J'y explique aussi pourquoi je ne les trouve pas convaincants.

Je vais vous parler brièvement des répercussions pour le Canada et notre politique dans la région Asie-Pacifique.

En tout premier lieu, ce qui importe, c'est que nous faisons notre possible. Nous jouons un bien petit rôle et nous pèserons peu dans la balance. Cependant, nous devons faire tout ce que nous pouvons pour essayer de mettre en place une nouvelle communauté politique. L'APEC est importante. Nous risquons pourtant de disperser nos énergies dans trois directions à la fois. Cependant, nous devons empêcher que ces tendances de la politique américaine ne finissent par prédominer car cela aurait pour effet d'isoler le Japon, de rompre les liens que nous avons avec lui et de laisser l'Asie orientale régler ses problèmes. Huntington a une pensée isolationniste. Il estime que l'Ouest ne devrait pas s'engager dans une politique interventionniste qui ne ferait que créer des problèmes. On peut penser qu'il recommande l'autolimitation. En fait, cela peut vouloir dire de laisser pourrir la situation et de laisser les pays s'effondrer si c'est ce qui doit arriver, pour protéger nos intérêts dans l'hémisphère occidental. Cette sorte de mentalité «du chacun pour soi» est fondamentalement insoutenable. Les recommandations à long terme d'Ivan Head et d'autres, et notamment Paul Kennedy, laissent entendre qu'on ne peut laisser pourrir la situation chez les moins bien nantis de la planète et laisser les pays s'effondrer. Nous serons de plus en plus tentés de nous désengager, de nous retirer. Il ne faut toutefois pas oublier que, tout aussi peuplés et pauvres que sont ces pays, nombreux sont ceux dont le potentiel industriel est bien développé. Ils peuvent exploiter ou non leurs capacités nucléaires, mais à coup sûr nombre d'entre eux possèdent déjà des armes chimiques et biologiques. Si, du point de vue écologique, nous sommes bel et bien une planète interdépendante, l'exercice de ce qu'Ivan Head a appelé «les guerres de ressentiment» est bien réel. Il est primordial d'empêcher ce genre de polarisation Nord-Sud.

Pour ce faire, toutefois, nous devrons repenser nos programmes d'aide au développement et de sécurité. Nous nous sommes marginalisés. En réduisant de façon constante le budget de l'aide jusqu'en 1999, nous avons commis une erreur grave. Nous nous trompons également en prétendant que les problèmes de sécurité deviendront de plus en plus négligeables et que le Canada n'a aucun rôle à jouer. Si nous nous sommes fixé comme objectif d'essayer d'empêcher la création et l'évolution de tous ces clivages et des forces grandissantes d'isolement aux États-Unis, nous devons collaborer avec ces derniers à un groupe chargé de la sécurité et être en mesure de les influencer. Si nous ne pouvons rien partager, aucun effort ne sera déployé pour tenter de faire face aux crises dans les régions quand elles éclateront. C'est ce que j'envisage pour l'avenir. Entreposer la plupart de nos aéronefs et priver notre flotte de guerre anti-sous-marine d'hélicoptères efficaces pendant de longues périodes, c'est risquer de n'avoir plus aucune influence au niveau des relations internationales.

La sécurité internationale n'est pas sur son déclin. Elle réapparaîtra pour de bon au XXIe siècle. Si nous ne nous positionnons pas correctement, nous n'aurons aucune influence sur l'aboutissement de ces graves combats qui pointent à l'horizon.

Je m'arrête là dessus.

M. Brian Job, professeur, Institute of International Relations, Université de la Colombie-Britannique: Monsieur le président, je remercie les membres du comité de m'avoir invité ici aujourd'hui. Je me joins à d'autres pour le féliciter de l'attention qu'il porte aux relations du Canada avec la région Asie-Pacifique. Je crois fermement que le rôle du Canada au sein du système international du XXIe siècle sera largement dicté par les activités dans cette région et par notre participation à la vie économique, politique et sociale des nations de la région Asie-Pacifique.

Je vous dirai tout d'abord quelques mots à mon sujet de même qu'au sujet de l'organisme que je représente. Je suis directeur de l'Institute of International Relations de l'Université de la Colombie-Britannique. L'institut a été créé en 1971 et a pour mandat de faire progresser l'enseignement et la recherche dans le domaine des relations internationales. Au cours des dernières années, nous avons concentré nos efforts pour redéfinir les politiques étrangère et de défense du Canada de l'après-guerre froide de même que les relations internationales entre les États du Pacifique, surtout en matière de sécurité politique.

Notre institut travaille en étroite collaboration avec M. Terry McGee, de l'Institute of Asian Research de l'Université de la Colombie-Britannique. J'insiste pour dire qu'il s'agit d'un des centres de prestige en Amérique du Nord en ce qui a trait aux études sur l'Asie. Il s'agit d'une véritable ressource nationale et je lui envie son bâtiment.

Je vais être bref ce matin et me concentrer sur trois points précis pour que vous ayez le temps de nous poser des questions.

Je suppose que le comité, même s'il entreprend ses délibérations, dispose déjà de beaucoup de preuves, de statistiques et de données pour se convaincre du dynamisme économique de la région Asie-Pacifique de même que des avantages pour le Canada d'y faire du commerce et d'y investir.

Qui plus est, comme j'ai le sentiment que c'est particulièrement évident dans cette région du pays, vous êtes sans doute au fait de l'influence directe de l'Asie et des Asiatiques sur le Canada de même que de la grande place qu'ils occupent dans notre économie et dans notre société.

L'argument que je vais faire valoir c'est que nous, Canadiens, des secteurs universitaires, gouvernementaux et privés, ne pouvons tout simplement pas définir notre lien avec l'Asie en termes économiques étroits, c'est-à-dire en termes d'emplois et d'échanges commerciaux. J'estime que ce serait manquer de largeur de vues que de définir notre politique étrangère et nos relations bilatérales avec l'Asie en fonction de seuls critères économiques, étant donné que nous allons compromettre un jour ou l'autre nos intérêts économiques et notre succès dans la région.

Je vais tout d'abord vous parler du caractère indissociable de la stabilité, de la sécurité et de l'économie de la région Asie-Pacifique. Je vous entretiendrai ensuite des désavantages de ce que j'appellerai une «politique étrangère monochrome». Enfin, je traiterai de la durabilité après l'APEC de même que de l'Année canadienne de l'Asie-Pacifique.

En ce qui concerne le premier de ces points, le caractère indissociable de la stabilité, de la sécurité et de l'économie, une étude effectuée en 1995 sur les cadres supérieurs et les cadres moyens établis en Asie-Pacifique, a révélé que l'instabilité politique constituait pour 77 p. 100 d'entre eux la principale barrière au commerce dans les marchés naissants de la région. En janvier 1997, l'éditorial principal du Far Eastern Economic Review se lisait comme suit: «La question que l'on se pose au sujet du miracle de l'Asie a peu à voir avec les affaires. Du Japon à la Thaïlande et à l'Indonésie les points d'interrogation sont fondamentalement politiques.»

Ce que je veux dire c'est que, dans la formulation de notre politique étrangère et économique, nous devons continuer, au fur et à mesure que nous progressons, de prêter attention à ces questions sous-jacentes au sein de la région et de ces pays, et ce un peu plus que nous le faisons à l'heure actuelle.

Les intérêts visant à assurer le développement stable des divers pays d'Asie et de la région dans son ensemble se sont accrus en même temps que le mouvement des biens, des services et des capitaux. Cette stabilité nécessaire au maintien de la croissance économique dépend d'un ensemble de questions de politique interne dans des pays clés comme l'Indonésie et la Chine, de même que de l'établissement de relations régionales pacifiques.

Le Canada doit en arriver à mieux comprendre ces dimensions internes et externes et en tenir compte pour faire avancer ses intérêts. Pour assurer la stabilité dans cette région, nous devons nous éloigner du statu quo. Nous devons comprendre, tant en ce qui a trait à la politique commerciale que gouvernementale, que la stabilité en soi entraînera d'importants changements.

Pour ce qui est de la dimension externe, à la différence de l'Europe, les frontières territoriales au sein de la région, ne sont pas satisfaisantes, surtout la délimitation maritime. La guerre froide a de graves effets surtout sur la péninsule coréenne. Je suis sûr que vous avez tous entendu parler des exercices militaires qui ont eu lieu dans le détroit de Taiwan, de même que des problèmes reliés à la mer de Chine méridionale. Je vous laisserai me poser des questions à ce sujet.

Les États augmentent démesurément leurs stocks d'armes. La prolifération d'armes de haute technologie qui peut accroître leur pouvoir est à la hausse. À cela s'ajoutent les problèmes que pose le potentiel nucléaire dans la région.

Du point de vue de la dimension interne, ce qui est intéressant et important au sujet de ce lien entre les économies et la stabilité, c'est que les gouvernements asiatiques ont dans l'ensemble adopté comme stratégie, de faire précéder la réforme politique par la réforme économique et qu'ils ont très bien réussi à ce chapitre. Nous devons nous rappeler trois choses. Premièrement, la prospérité économique entraîne des difficultés. Nous observons des disparités, d'énormes perturbations, au sein des régions et des pays. L'idée, c'est que 100 millions de Chinois essayent de passer d'une région à l'autre ou de trouver un endroit pour vivre et pour travailler. Le risque de ce que nous considérerions comme des troubles sociaux est donc énorme.

Les États ont entrepris des réformes économiques, mais en maintenant un régime autoritaire souple ou rigide. Ces régimes vont finir par changer, sinon, nous serons appelés de plus en plus à traiter de questions de droits de la personne.

Tous les dirigeants politiques, et cela comprend les États-Unis et le Canada, doivent leur survie à la performance économique de leur pays. Ils doivent donc prendre des mesures pour soutenir cette performance économique et rester au pouvoir, de sorte qu'il y a un lien de plus en plus étroit qui s'établit entre la politique et l'économie.

J'aimerais dire, sans trop m'attarder là-dessus, que l'intervention récente en Indonésie a été fort révélatrice. Les Canadiens sont maintenant conscients des enjeux qui existent et de la vulnérabilité politique des principaux régimes asiatiques. Les gens d'affaires canadiens ont vu à quel point il est important de comprendre le contexte politique dans lequel évoluent les Asiatiques, surtout dans les États où les liens à long terme et la stabilité politique influent sur les retombées que procurent les investissements massifs effectués dans les secteurs minier, des transports et des communications, entre autres. Nous pouvons, plus tard, parler du cas de Hong Kong, de Taiwan et de la Chine.

Deuxièmement, il y a les effets négatifs de ce que j'appellerais la «politique étrangère monochrome». J'exagère peut-être un peu, mais je désire attirer votre attention sur cette question.

La principale priorité du gouvernement canadien, en ce qui concerne la politique étrangère, est le bien-être économique des Canadiens. Ce qui est tout à fait logique pour un pays comme le Canada qui est tributaire des échanges. Il faut mettre en place des politiques étrangères qui visent à promouvoir nos intérêts économiques. Toutefois, cela ne veut pas dire que nos politiques étrangères peuvent ou devraient être définies uniquement en termes économiques.

Les Canadiens, et peut-être plus important encore, les Asiatiques, ont parfois l'impression que le Canada ne s'intéresse qu'aux questions économiques. Les missions d'Équipe Canada renforcent, dans une certaine mesure, cette impression. Ces missions se sont avérées très efficaces sur le plan économique; elles ont également contribué à mieux renseigner les Canadiens en général. Je ne propose pas qu'on abandonne ces missions, ou encore qu'on accorde une place aux questions sociales dans nos échanges avec les pays asiatiques. Toutefois, j'estime que nous devons repenser et réorienter notre démarche dans la région, nous montrer plus attentifs à certains des facteurs que j'ai mentionnés plus tôt, et ce, pour plusieurs raisons. D'abord, les Asiatiques se méfient des étrangers qui viennent dans leur région ou pays dans le simple but de gagner rapidement de l'argent. Vous agiriez de la même façon, n'est-ce pas?

Les Asiatiques veulent également établir des blocs régionaux solides et ils s'attendent à ce que nous participions à ce processus dans le cadre du forum régional de l'ANASE, de même qu'en Asie du Nord-Est, où il n'existe pas de mécanismes sous-régionaux efficaces. Si l'on jette un coup d'oeil sur les cartes qu'a fournies Terry McGee, on voit que la plupart des problèmes se concentrent dans la région de l'Asie du Nord-Est.

Le Canada va se rendre compte, de plus en plus, que ses intérêts économiques ont une incidence sociale, politique et sécuritaire. Au Canada, l'impact de l'immigration se fait sentir immédiatement. S'il y avait un problème grave à Hong Kong, on en ressentirait aussi l'impact immédiatement. Je ne dis pas que c'est ce qui va se produire. Toutefois, il faut penser au long terme et au court terme dans ce contexte.

Nous devons renforcer nos liens bilatéraux avec la région, et analyser aussi les incidences politiques et sécuritaires plus vastes que cela peut avoir sur l'APEC.

Chaque fois qu'on utilise les mots «sécurité» et «APEC» dans la même phrase, les gens deviennent nerveux. Lorsque le secrétaire d'État américain de la Défense aborde ces questions, il crée des remous à l'échelle internationale. Nous devons être conscients du fait que les organismes comme l'APEC vont un jour commencer à se pencher sur des dossiers qui ont des incidences politiques et sécuritaires. Ils vont discuter des normes de travail et de l'immigration, et ces questions, même si, à proprement parler, elles n'ont rien à voir avec le commerce, sont importantes.

Troisièmement, il y a la question de la durabilité. Comme on se plaît à le répéter, les gens d'affaires et les dirigeants asiatiques misent sur le long terme. Ils choisissent soigneusement les gens avec qui ils veulent établir des liens. Ils vont engager des dépenses considérables à court terme pour obtenir des résultats concrets à long terme. Le Canada devrait adopter la même attitude. L'établissement de liens économiques et politiques durables avec l'Asie et à l'intérieur même du Canada est une question qui m'intéresse beaucoup.

Côté international, je suis certain que vous allez entendre parler, si ce n'est déjà fait, de la nécessité pour les entreprises et les dirigeants canadiens d'établir des liens à long terme avec l'Asie. Je ne compte pas aborder cette question. Je tiens à préciser que la situation à l'échelle nationale m'intéresse elle aussi.

Les ressources que nous consacrons à l'analyse des politiques, au sein du gouvernement, dans les milieux universitaires et ailleurs, ont diminué de façon constante. Vous avez remarqué que je ne parle pas ici de la recherche fondamentale, mais plutôt de la recherche politique qui influe de façon directe sur les relations commerciales et autres.

Le ministère des Affaires étrangères manque cruellement de personnel en termes absolus, et surtout par rapport aux ministères asiatiques des affaires étrangères, où des divisions entières se consacrent à des dossiers auxquels le Canada n'affecte qu'une seule personne. Le gouvernement ne peut prétendre se tenir au courant de ce qui se passe dans ces domaines en agissant de la sorte.

Les ressources consacrées à la recherche politique ont donc beaucoup diminué. Il suffit de jeter un coup d'oeil sur le sort réservé à plusieurs organismes et sur les compressions imposées à la Fondation Asie-Pacifique.

L'année Asie-Pacifique, les activités entourant l'APEC, sont financées grâce à un effort extraordinaire et j'applaudis à cette initiative. Les fonds réunis proviennent de divers gouvernements et du secteur privé. Ce qui me préoccupe, c'est ce qui va se produire non pas en 1997, mais en 1998. Serons-nous en mesure de poursuivre notre élan, de maintenir les avantages comparatifs que nous détenons dans la région? Serons-nous en mesure de donner aux jeunes les compétences dont ils ont besoin pour occuper des postes au sein des entreprises canadiennes, c'est-à-dire des jeunes qui possèdent des compétences techniques et linguistiques et qui ont peut-être déjà travaillé pour une entreprise asiatique ou participé à un projet regroupant des entreprises canadiennes et asiatiques? Nous devons trouver des moyens de tirer parti des progrès réalisés en 1997, de donner aux établissements les ressources dont ils ont besoin pour donner une formation pratique axée sur la recherche politique.

Le sénateur Grafstein: Monsieur le président, les témoins nous ont présenté des exposés fort intéressants. Ce qui rend les choses si difficiles pour nous, c'est la complexité des questions et notre manque de connaissances.

J'ai essayé de formuler dans mon esprit une sorte de paradigme en vue de poser des questions éclairées. Je vais voir si cela va donner quelque chose. Nous devons tenir compte de certains facteurs: les ressources limitées que possède le Canada, le fait que les territoires en Asie soient vastes et qu'ils se démarquent par leur langue, leur culture, leur niveau de développement et leur stabilité politique; l'immense incertitude entourant notre force stabilisatrice dans le monde, les Américains, qui sont très imprévisibles en ce moment-ci. Huntington illustre parfaitement bien les principes qui sous-tendent leur réflexion stratégique actuelle. Lorsqu'on lit Huntington, on se demande où il se cache depuis 50 ans. S'il y a une chose dont je suis certain au sujet de l'intelligence des Américains -- et des banques canadiennes --, c'est que s'ils se dirigent tous dans le même sens, vous savez que vous devez choisir le sens inverse.

Commençons par examiner les fonctions ou comportements traditionnels qui s'inspirent de la «loi de Pearson». Si nous essayons de développer un prisme, utilisons celui de Pearson -- ce qu'il dirait au sujet des relations multilatérales stables. Ma première question serait la suivante: si vous examinez la région du Pacifique, quels sont les deux ou trois grands piliers sur lesquels nous pouvons bâtir une infrastructure? Le Japon en est un. Qui sont les autres? Singapour? Taiwan? Quels sont les piliers sur lesquels nous pouvons bâtir une infrastructure multilatérale?

Il est clair dans mon esprit, et l'étude que nous avons menée en Europe le confirme, que nous consacrons trop peu de ressources aux affaires étrangères et au commerce international. Comment pouvons-nous développer rapidement nos compétences dans ces domaines? Le gouvernement peut-il coordonner les efforts des chercheurs universitaires et des groupes d'analystes afin de nous doter d'un bassin de spécialistes? Je jette un coup d'oeil sur le modèle allemand, les Stiftungs en Allemagne, vers qui les politiciens se tournent pour prendre des décisions. Est-ce quelque chose que nous pourrions envisager?

Troisièmement, pouvons-nous modifier l'orientation stratégique de nos forces armées? Voulons-nous qu'elles soient composées d'officiers d'élite qui peuvent remplir le même rôle qu'a joué l'armée britannique lors de la Grande Guerre où, lorsque l'Empire britannique voulait mettre la main sur de vastes territoires entre l'Europe et l'Asie, elle détachait une équipe d'officiers militaires brillants qui s'installaient dans la région, se familiarisaient avec le milieu et élaboraient une stratégie politique? Autrement dit, devons-nous réexaminer le rôle de nos militaires? Ils ont fait de bonnes choses. Par exemple, les Forces armées canadiennes ont envoyé un groupe d'officiers dans les ports du Pacifique. J'ai trouvé cela très intelligent. Nous devrions peut-être prendre d'autres initiatives de ce genre.

Nous devons voir ce que peuvent faire les Forces armées canadiennes dans ce secteur particulier. Nous sommes très doués dans le domaine des communications, et nous sommes raisonnablement intelligents. Est-ce que ces deux éléments peuvent, ensemble, nous donner un avantage comparatif?

Comme vous vous êtes tous les trois penchés sur cette question, j'espère que vous pourrez nous aider à comprendre quelque chose.

M. McGee: Il est évident que l'ANASE, encore plus de Singapour, a permis au Canada d'établir des liens avec les pays asiatiques. L'ANASE a déjà ouvert ses portes au Viêtnam. Elle prévoit accepter l'adhésion du Cambodge et du Laos dans les deux ou trois prochaines années. Elle songe même à admettre Myanmar une fois que la situation politique dans ce pays se sera stabilisée.

Le Canada est l'un des principaux partenaires de l'ANASE. L'Association des nations d'Asie du Sud-Est s'est efforcée de développer une tribune où les ministres des Affaires étrangères peuvent se réunir une fois l'an. Joe Clark, à l'époque où il était ministre des Affaires étrangères, avait déclaré, dans un discours prononcé à l'université, que cette réunion de l'ANASE était très importante car elle permettait de réunir les ministres des Affaires étrangères de divers pays, y compris des États-Unis. Elle permettait d'ouvrir le dialogue. Il a déclaré qu'il lui aurait fallu trois ou quatre ans pour organiser une rencontre bilatérale, une rencontre dont la tenue dépendait beaucoup des circonstances politiques.

L'ANASE est très importante. Il ne faut pas oublier qu'elle rassemblera près de 600 millions de personnes lorsqu'elle deviendra l'ANASE 10. Elle est très forte sur le plan économique. La stabilité politique constitue un problème, comme Brian l'a mentionné. Néanmoins, le Canada doit continuer de développer ses liens avec l'ANASE, qui est un des piliers de l'Asie.

Le cas de la Chine est plus compliqué et difficile. Je ne sais pas si d'autres personnes ont cette impression, puisque je n'ai pas accès aux études qui me permettraient de le confirmer, mais j'ai l'impression que les États-Unis se préparent, à ce stade-ci, à se montrer plus ouverts envers la Chine, puisqu'il y aura bientôt un changement à la tête du pays. On remarque que le dialogue est plus ouvert.

Le Canada ne peut faire fi de la Chine, qui est le plus vaste pays d'Asie, et qui serait sans doute le plus riche aussi s'il pouvait se développer et se débarrasser de l'instabilité politique à laquelle mes deux collègues ont fait allusion. Il est dans notre intérêt, aussi bien économique que politique, de maintenir le dialogue avec la Chine. De façon plus précise, il se peut qu'il soit nécessaire de créer un organisme en marge de l'ANASE dans la partie nord-est, qui est très différente de l'Asie du Nord-Est. Il faut mentionner aussi le problème absolument insoluble des deux Corées. La situation dans cette région est très différente de celle que l'on trouve dans le pays de l'ANASE. Comparativement à l'Asie du Sud-Est, l'Asie du Nord-Est fait face à des problèmes difficilement résolubles. Si un jour on décide de créer une tribune régionale identique à l'ANASE, on pourrait peut-être s'en servir pour établir avec la Chine des liens nouveaux qui servent ses intérêts sécuritaires et économiques, ainsi que les nôtres.

Nous ne pouvons pas nous permettre de tourner le dos à la Chine, même si les choses risquent de se compliquer au cours des trois ou quatre prochaines années. Il n'y a aucun doute que Deng Xiaoping se trouve à l'article de la mort. Nous entendons beaucoup de rumeurs à ce sujet. J'étais à Guangdong, en décembre dernier, et j'ai appris qu'il devait se rendre au sud de Hong Kong. Il se trouvait, à ce moment-là, à Shanghai où il devait assister à la cérémonie de passation des pouvoirs prévue pour le 1er juillet. D'autres personnes m'ont dit qu'une telle chose était hautement improbable, étant donné son état de santé.

Je vais terminer là-dessus. Je suis certain que mes collègues ont d'autres observations à ajouter.

M. Job: Pour revenir à ce que disait M. McGee au sujet des piliers, le défi, pour nous, est de trouver des piliers en Asie du Nord-Est. L'Asie du Sud-Est, l'ANASE, comme Terry McGee l'a décrit, est un cadre déjà bien établi. L'Asie du Nord-Est présente des problèmes énormes. Il est difficile de réunir tous les joueurs à la même table. On a réussi à convaincre les Coréens du Nord d'y participer. Les Chinois participeront aux réunions à divers degrés. C'est là que le Canada devrait faire sentir sa présence. Nous avons réussi à créer un réseau composé d'universitaires, de spécialistes et de gens d'affaires en Asie du Sud-Est. Nous n'avons pas fait preuve de la même imagination en Asie du Nord-Est.

Le sénateur Austin a participé en fin de semaine à une réunion du groupe de travail sur le Pacifique Nord-Ouest, qui essaie d'entreprendre des démarches en ce sens. Il peut vous parler des difficultés que pose un tel projet. C'est un processus très long et très lent, mais, en même temps, la situation évolue très rapidement.

Que nous faut-il au Canada? Le modèle Stiftung en Allemagne est sans aucun doute efficace. Il existe des systèmes équivalents aux États-Unis. Le problème se situe au niveau du financement, et surtout au niveau de la durabilité. Nous possédons au Canada des ressources qui, si elles étaient garanties pour une certaine période, donneraient des résultats concrets. Je vais vous donner un exemple.

Le ministère de la Défense nationale offre des programmes d'études sur la sécurité dans diverses régions du pays. Il consacre très peu d'argent à ces programmes, environ un million de dollars pour l'instant, répartis entre 12 ou 13 centres. Ce n'est pas beaucoup. Cette initiative existe depuis 25 ans. Or, si un établissement sait qu'il va pouvoir recevoir cet argent pendant cinq ans, qui correspond à la durée du programme, il peut alors planifier des activités pour attirer les étudiants et les visiteurs et utiliser cet argent comme subvention de démarrage pour d'autres entreprises. Compte tenu des compressions auxquelles nous faisons face, nous ne pouvons pas nous engager à investir «X» milliards ou millions de dollars à long terme dans un certain nombre d'organismes. Toutefois, l'idée d'un financement soutenu est importante.

J'aimerais aborder un autre point, celui des centres d'études de l'APEC. Un financement relativement modeste permettrait à ces centres de vendre leurs services de façon beaucoup plus efficace auprès du secteur privé. La question que se pose le secteur privé pour l'instant est la suivante: ces centres sont ici aujourd'hui, mais seront-ils là demain? S'il savait qu'ils allaient exister pendant les 10 prochaines années, et que leur rendement sera évalué, le secteur privé participerait plus volontiers à ces projets.

Nous sommes pris dans un dilemme au plan militaire, étant donné que nous ne serons jamais en mesure d'assurer une présence en Asie, c'est-à-dire une présence comparable à la présence américaine, en supposant que celle-ci subsistera, au moins en partie. Par contre, les Forces armées canadiennes ont quelques rôles importants à jouer dans le contexte de l'Asie, dont celui qui a été cité, soit les visites. Nous pourrions organiser des programmes de visites entre militaires en Asie et au Canada.

Le deuxième rôle consisterait à créer des liens plus efficaces avec les pays d'Asie, notamment des genres de stratégies relatives à l'édification et au maintien de la paix. Je pourrais donner plus détails à ce sujet si j'en avais le temps.

M. Ross: Pour répondre à la question du sénateur Grafstein, je dirais que Taiwan est un problème, et bien qu'elle présente beaucoup d'attraits en matière de possibilités et d'orientation politique générale, elle peut, au cours des 10 à 15 prochaines années, devenir le point de convergence des difficultés entre les États-Unis et la Chine.

À mon avis, Terry McGee n'a pas tort de dire que l'administration américaine essaye de tendre la main et de faire de cette année l'année de la Chine et des visites entre chefs d'État, sans oublier toutefois qu'en mars dernier elle menait une diplomatie coercitive dans les eaux de Taiwan.

Il ne faut pas oublier non plus que la politique en Chine même ne sera pas nécessairement stable ou prévisible au cours des 5 à 10 prochaines années. Compte tenu de l'extrême instabilité sociale et économique à l'intérieur du pays, on peut dire qu'il existe un risque important que parmi les factions qui vont se disputer le pouvoir en Chine continentale, certaines feront appel à des sentiments nationalistes assez forts. Elles ne pourront peut-être pas tenir leurs promesses au plan intérieur, si bien qu'elles joueront la carte nationaliste. Cela veut dire confronter le Japon à propos des îles Diaoyu/Senkaku et peut-être aussi adopter une ligne beaucoup plus dure face aux Américains si les États-Unis expédient à Taiwan les chasseurs F-16 déjà payés. Ces chasseurs devraient être livrés cette année. C'est une situation très difficile.

Les droits de la personne, les droits démocratiques, nous posent un problème dans la mesure où des élections plus ou moins véritables ont eu lieu à Taiwan. Allons-nous, en fait, nous sentir moralement obligés d'aider Taiwan à sauvegarder son autonomie, son indépendance, au cas où elle déciderait de se détacher complètement et ouvertement? Il est clair que les États-Unis espèrent pouvoir régler cette situation en usant de leur influence pour arracher des concessions. S'ils n'y parviennent pas, nous entrerons dans une période de guerre froide entre la Chine et les États-Unis et je ne vois pas comment nous pourrions éviter d'y être mêlés. J'ai donc le sentiment que compter sur Taiwan n'est pas la bonne solution.

En fait, il est plus probable que l'Australie et les États-Unis seraient les deux gouvernements où bon nombre de personnes partagent le même point de vue, n'ont pas cette perspective «huntingtonienne» et s'intéressent à la coopération et à la création de liens communautaires.

Il faut concentrer beaucoup de nos efforts sur le Japon. Ce pays n'est pas prêt à jouer un rôle de leader dans la région en matière de sécurité. Il ne va pas être accepté par l'ANASE dont les dirigeants ont plus ou moins rejeté le concept de pourparlers parallèles bilatéraux, face à face.

Il faut en fait essayer d'aider le Japon à devenir utile sans nécessairement avoir peur ou se laisser intimider au cas où les États-Unis se retireraient de la région. Ils ne vont pas le faire. J'espère qu'ils ne partiront pas, mais nous ne pouvons pas le garantir. Créer des liens communautaires est essentiel, mais pour ce faire, il faut jouir d'une certaine crédibilité.

Les visites de navires comme les échanges d'officiers sont de bonnes idées. Je tiens à souligner que 100 p. 100 de tous les officiers américains sont titulaires d'un diplôme universitaire de premier cycle; 50 p. 100 d'un diplôme universitaire de second cycle. Au Canada, ces pourcentages sont de 50 et 10 respectivement. C'est une réalité que nous devrions essayer de changer immédiatement.

La présence de gens intelligents dans ces postes est une bonne idée et serait un atout, mais cela ne suffit pas. Nous avons besoin de sous-marins sur la côte ouest. Nous avons besoin de bâtiments de lutte ASM performants qui se rendent régulièrement dans cette région pour y assurer une présence. Si nous voulons participer au jeu de la diplomatie coercitive visant à dissuader la Chine de ramener Taiwan en son sein, nous devons faire partie de la collectivité des pays du Pacifique. Nous devons nous trouver dans cette position si nous voulons empêcher une solution militaire aux exigences nationalistes qui pourraient surgir en Chine.

Le président: Mesdames et messieurs les sénateurs, nous commençons à manquer de temps, ce qui était prévisible. Trois sénateurs souhaitent poser des questions à nos témoins. Je vais leur demander d'être précis. Nous commençons par le sénateur Austin.

Le sénateur Austin: Monsieur le président, je me sens comme un petit enfant qui a 5 cents pour s'acheter un bonbon et qui doit le choisir parmi les 150 qui lui sont proposés.

J'aimerais demander aux témoins, qui ont d'énormes connaissances du sujet que nous examinons, d'envisager quelque chose de tout à fait subjectif. En tant qu'artisans de la politique, nous sommes confrontés à un problème: comment vivre la différence entre nos valeurs et les valeurs «asiatiques». Nous nous heurtons à plusieurs contradictions, alors que nous essayons de faire avancer notre dialogue politique avec les pays d'Asie. Ces contradictions peuvent parfois prendre la forme d'un rejet catégorique des valeurs que nous considérons universelles -- et nos critiques refusent le caractère universel de ces valeurs -- ou la forme de valeurs humaines dotées de caractéristiques asiatiques.

Les Canadiens et les Américains sont profondément imprégnés de notre échelle de valeurs, laquelle s'est formée au fil de nombreuses années et nous a permis d'instaurer un dialogue ouvert et l'examen contradictoire des faits, ce qui a créé une transparence qui permet le fonctionnement de la démocratie et la progression efficace de l'économie. Cette sorte de transparence ne se retrouve pas dans la plupart des sociétés asiatiques et pourtant, la croissance économique y est phénoménale.

Dans le domaine des droits de la personne, que pouvons-nous légitimement faire pour assurer la progression de nos intérêts tout en maintenant le dialogue et en assurant un processus d'intégration avec l'Asie?

D'après vous, la démocratie et la transparence sont-elles en définitive essentielles au succès économique en Asie ou l'absolutisme peut-il aussi réussir au plan économique?

M. McGee: En ce qui concerne les droits de la personne, il me semble, d'après ce que laisse entendre le ministère des Affaires étrangères, qu'il vaut mieux poursuivre le dialogue que d'adopter une position absolument intransigeante. On peut avancer de très solides arguments à cet égard. Dans le cadre de nos relations avec les divers gouvernements d'Asie, il faudrait donc s'assurer que la question des droits de la personne reste à l'ordre du jour, même si elle n'y occupe pas la première place.

Je crois que dans certains cas, la situation des droits de la personne exige que le gouvernement canadien prenne position; je veux parler ici des cas de génocides ou autres abus envers les personnes. Je sais aussi qu'il est très difficile et complexe de démontrer pareilles situations, mais il n'est pas impossible qu'elles se produisent; à ce moment-là, le gouvernement canadien a la responsabilité morale de prendre position, indépendamment des répercussions que cela pourrait avoir sur les échanges ou sur les relations qu'il entretient avec cet État particulier.

La question des valeurs est vraiment difficile. Il a fallu plusieurs centaines d'années à nos propres pays pour arriver à la démocratie. Or, nous nous attendons à ce que l'Asie devienne démocratique en l'espace de 10, 15, 20 ans. C'est beaucoup demander. Nous devons être à l'écoute des réalités culturelles des pays d'Asie et ne pas exiger que les processus politiques soient les mêmes que les nôtres. En toute franchise, je ne crois pas que nous ayons le droit de le faire. Cela dépasse le cadre de notre mandat en tant que Canadiens. Dans nos relations avec ces pays, nous devons essayer de comprendre leur culture, leur religion et leur échelle de valeurs.

L'APEC permet de promouvoir ce genre de compréhension. Nous devons considérer l'APEC comme une organisation de consultation, qui favorise le dialogue, à l'instar de l'ANASE. Si un point à l'ordre du jour risque de poser problème pour un État, l'ANASE a pour principe de ne pas l'inclure à l'ordre du jour. C'est une façon d'entretenir des relations internationales qui diffère de la façon dont nous avons procédé auparavant, mais cela fait partie de l'exercice.

M. Job: En ce qui concerne la démocratie et la démocratisation, l'un des problèmes, c'est de tenir compte du facteur temps, comme l'a indiqué Terry McGee. Nous devons nous rendre compte que le passage d'une autocratie à la démocratie est un processus qui déstabilise de façon marquée les régimes et les élites au pouvoir. Certaines études faites à ce sujet indiquent que les autocraties en voie de démocratisation sont les sociétés les plus susceptibles de connaître des troubles intérieurs ou extérieurs et c'est un aspect dont nous devons être extrêmement conscients et auquel nous devons faire très attention.

M. Ross: Ce sont les sociétés les plus susceptibles d'entrer en guerre.

M. Job: Où les conflits peuvent aussi bien être intérieurs qu'extérieurs.

M. Ross: La guerre est l'aspect qui me dérange le plus car le plus difficile est de déterminer comment réagir. L'exemple le plus évident est Taiwan. Il est pratiquement inévitable que les Taiwanais finiront par se prononcer en faveur d'une indépendance officielle en bonne et due forme. S'ils ont l'impression que les liens avec les États-Unis sont en train de disparaître, ils décideront de courir leur chance en espérant s'en tirer à bon compte et obtenir un certain appui. Que ferons-nous à ce moment-là? Ils devront pouvoir se débrouiller seuls et se servir par conséquent des capacités militaires qu'ils tentent désespérément d'acheter et de développer eux-mêmes. Ils ont déjà eu un programme nucléaire et pourraient essayer de le remettre sur pied.

En ce qui concerne la question plus générale des valeurs, j'ai assisté à une conférence où Jeremy Paltiel de Carleton a indiqué que nous ne devons pas oublier que dans le cas de la Chine, il ne fait aucun doute que le pouvoir autoritaire est considéré comme la seule façon d'assurer la renaissance à long terme du peuple chinois. L'État est le véhicule de la libéralisation, de la réintégration et de l'expression du peuple chinois. Depuis la guerre de l'opium de 1840, les droits de la personne et le droit international ont représenté l'impérialisme des droits de la personne exercé par l'Occident, par les colonialistes européens et désormais par les Américains, et cela pose problème. Même l'expression «droits de la personne» n'est pas traduite. En chinois, la notion de «droit» ne possède pas la connotation libérale qu'elle possède en anglais. Elle s'apparente davantage à la notion de «force». C'est un dilemme. Il s'agit d'une lacune culturelle fondamentale. Selon M. Paltiel, il serait préférable non pas tant d'insister pour faire valoir notre vision des droits de la personne et des droits démocratiques libéraux occidentaux, mais plutôt d'explorer ce qu'il a appelé «les dimensions du pouvoir humain» en indiquant qu'il pourrait s'agir d'un terrain d'entente.

À mon avis, l'une des dimensions du pouvoir humain est le règlement pacifique des différends et c'est ce que nous devrions prôner chaque fois que l'occasion se présente. Bien entendu, il faudrait aussi qu'il existe un certain équilibre des forces, ce qui aiderait énormément les initiatives diplomatiques. Les dimensions du pouvoir humain et toutes les mesures possibles d'éviter la coercition et le recours explosif à la violence permettraient sans aucun doute d'arriver à une certaine forme de réconciliation et de trouver un terrain d'entente.

Le président: Ma question s'adresse principalement au professeur Ross. Notre comité est un comité qui s'occupe des affaires étrangères. Pourtant, au cours des huit, neuf ou dix dernières années, pratiquement tous nos travaux ont surtout porté sur les relations économiques. Pourquoi? Parce que c'est un domaine où il y a des factures à payer. C'est un domaine où l'exécutif du gouvernement du Canada prend d'importantes initiatives. Le gouvernement et le ministère ont énormément mis l'accent sur l'amélioration des relations économiques. Ils se sont donnés des objectifs précis et immédiats. Lorsque nous délaissons l'aspect économique pour nous intéresser à ce que nous pourrions appeler la dimension plus globale et stratégique, il devient difficile de définir des objectifs précis et immédiats.

Est-ce que cela ne pose pas un problème réel, d'ordre pratique? Je ne prétends pas que ce que vous venez de dire n'est pas d'une importance capitale. Mais n'y a-t-il pas un réel problème lorsqu'un ministère ou les membres d'un ministère s'occupent de ce type d'objectifs très importants mais très généraux et à très long terme? Que feraient-ils? Donneraient-ils des cours aux étudiants?

M. Ross: Ils pourraient faire des recherches stratégiques à long terme.

Le président: Je suppose qu'un bon exemple de ce problème, c'est la situation d'une armée en temps de paix. Une armée en temps de paix a tendance à se laisser aller, n'est-ce pas? Je songe à l'expérience américaine avant Pearl Harbour.

M. Ross: Je ne le crois pas. Aujourd'hui, la systématisation des affaires militaires dans les pays industriels avancés est telle que l'armée peut faire preuve d'une incroyable disponibilité opérationnelle. Il suffit de songer à la réforme de l'armée américaine après la guerre du Viêtnam. Le public se demandait comment l'armée américaine se débrouillerait lors de la guerre du Golfe mais sa performance a étonné tout le monde. Si un pays fournit les ressources, assure un leadership et est prêt à faire l'investissement nécessaire, il est possible d'avoir une armée très efficace.

Le président: N'êtes-vous pas en train de défendre précisément le type de concentration et de néo-militarisme extrêmement scientifique que vous déploriez il y a un instant?

M. Ross: Oui. Nous ne voulons pas que les Américains s'isolent dans leur coin en Amérique du Nord. Je crois qu'en maintenant nos liens avec les États-Unis et en leur montrant que nous sommes prêts à assumer une part raisonnable du fardeau, nous pouvons exercer une certaine influence auprès d'eux. Si nous leur tournons le dos et décidons de resquiller au maximum, nous n'aurons plus aucune crédibilité.

Nous devons posséder une capacité militaire crédible qui peut être déployée, une capacité polyvalente, c'est-à-dire une armée vraiment capable de se battre, qui ne se contente pas de participer à des activités constabulaires de maintien de l'ordre. Il faudrait assurer une présence militaire importante. Nous avons besoin de capacités aériennes et navales. Nous ne devrions pas réduire la force navale, ni la laisser stagner. Nous ne devrions pas non plus mettre en réserve le gros de notre force aérienne. Cela est coûteux. Nous connaissons le même type de contraintes que les Américains et les Européens. Nous ne pouvons pas nous permettre de faire revenir au pays un grand nombre de militaires qui sont allés se battre dans des conflits régionaux très loin à l'étranger.

Par contre, nous ne voulons manifestement pas perdre le contrôle de la situation. J'estime que nous avons beaucoup trop réduit nos dépenses militaires et que les Américains continuent à dépenser beaucoup trop. S'ils dépensent autant, c'est peut-être parce qu'ils ne voient aucun autre pays occidental dépenser quoi que ce soit, ce qui risque d'exacerber leurs propres craintes et leur propre paranoïa à long terme.

Le président: Qu'est-ce que M. Eisenhower aurait dit? Aurait-il parlé du complexe militaro-industriel?

Le sénateur Andreychuk: Je suis sûre qu'une autre méthode de dissuasion consisterait à tenter de nouer une certaine forme de dialogue ou d'établir une certaine forme de coopération dans ces régions du monde qui ne font pas partie d'un organisme de coopération. Il existe des organisations pratiquement partout, sauf dans le Pacifique Nord, qui aident à maintenir la paix. Il doit sans doute exister une autre solution au statu quo, c'est-à-dire à la course aux armements, bien que je convienne avec vous que les sous-marins peuvent être une mesure de dissuasion.

J'aimerais que nous recevions des conseils concrets que nous pourrions inclure dans notre rapport et qui pourraient être utiles au gouvernement à l'avenir. Manifestement, les politiques gouvernementales récentes ont mis l'accent sur l'emploi et l'accroissement du commerce, comme si par miracle la croissance économique allait amener une plus grande liberté. Or, j'ai entendu dire que le miracle économique ne durera probablement pas et que l'instabilité suivra.

On a beaucoup parlé de culture et de démocratisation en Asie. J'ai fait partie du comité mixte du Sénat et de la Chambre des communes il y a deux ou trois ans. J'ai l'impression que chaque fois que les Canadiens tâchent de nouer des liens avec de nouveaux partenaires commerciaux, on met en doute notre compréhension des autres cultures et des autres langues. Je ne songe pas uniquement à l'Asie. Il semblait que nous étions mal préparés pour le commerce international.

Nous parlons constamment de la culture asiatique et pourtant nous soulevons rarement cet aspect lorsque nous parlons d'autres pays comme l'Afrique et la Russie, qui connaissent eux aussi des problèmes. C'est peut-être parce que les autres pays ont un meilleur système de relations publiques et savent mieux tirer parti de leur culture que les autres.

Le comité mixte est entre autres arrivé à la conclusion qu'au lieu d'établir un service de politique et de recherche, puis d'étoffer le ministère des Affaires étrangères, il serait préférable de suivre les entreprises où elles veulent aller. Le gouvernement canadien devrait donc éviter de dicter aux entreprises les régions où elles devraient faire des affaires. Il s'agissait peut-être d'une région qui a été oubliée parce que nous avons accordé trop d'attention à l'ALÉNA et à l'Europe.

Nous avons recommandé entre autres de constituer un comité mixte réunissant des représentants du secteur privé et du gouvernement pour s'occuper de recherche, de politique et d'information. Il s'agirait d'une source primaire, subventionnée au début par le gouvernement et l'entreprise, mais appuyée par l'entreprise pour prendre le genre d'initiatives qui prépareront les entreprises à pénétrer d'autres marchés et leur permettront de se familiariser avec les facteurs de stabilité et d'instabilité de ces régions.

Est-ce une recommandation que nous devrions présenter à nouveau?

M. McGee: La fin du miracle économique est une thèse qui est surtout attribuée à Paul Krugman. Selon Krugman, il est impossible de maintenir un taux de croissance de 9 à 11 p. 100 et la croissance industrielle est surtout axée sur l'exportation de produits à faible coût. Cependant, il ne tient pas suffisamment compte -- et je crois que ceux qui le critiquent feront valoir le même argument -- de la capacité croissante de consommation intérieure des pays asiatiques au fur et à mesure qu'augmente leur richesse économique. Quoi qu'il en soit, pour nous au Canada, un taux de croissance qui se maintient à 6 p. 100 serait souhaitable. C'est pourquoi, je considère qu'une simple baisse de 11 à 6 p. 100 n'est pas particulièrement inquiétante.

L'intensification du processus de démocratisation sera une source d'instabilité. Il y aura des hauts et des bas économiques. Cependant, nous ne voulons sûrement pas perdre les marchés importants que représente pour nous la majorité des pays de l'Asie. Il s'agit de toute évidence de marchés très compétitifs. Nous devons faire concurrence à l'Union européenne et aux États-Unis pour accéder à leurs marchés. Il s'agit de savoir dans quelle mesure les entreprises canadiennes peuvent être compétitives. C'est un aspect qui peut être amélioré grâce à ce que nous avons appelé l'information commerciale.

Lorsque Brian a parlé de politique, il faisait allusion aux tribunes qui favorisent le dialogue entre les entreprises, les milieux universitaires et les gouvernements. Je suis loin d'être convaincu de la nécessité pour les entreprises de toujours montrer la voie au gouvernement. Le rôle du gouvernement est de diriger le pays et de prendre ses propres décisions. Il devrait consulter, demander conseils sans forcément emboîter le pas aux entreprises, aux milieux universitaires ou aux ONG. Il est à mon avis possible de créer des outils d'intervention à cet égard. Selon moi, dans l'ensemble, le Canada, comparativement aux États-Unis et à certains pays de l'Union européenne, ne possède pas de très bons mécanismes pour réunir les milieux d'affaires, les milieux gouvernementaux et les milieux universitaires. Nous n'avons pas de bonnes institutions de recherches stratégiques. Nous pourrions y travailler dans le cadre de ce schéma général et améliorer l'information à laquelle le sénateur a fait allusion.

M. Job: Toute initiative conjointe doit être axée sur les jeunes. Je ne mâcherai pas mes mots: notre avenir en Asie n'est pas entre les mains de la génération actuelle. C'est également parmi les jeunes que se trouve le plus important bassin de candidats compétents et probablement le plus grand bassin de compétences sous-utilisées. L'important sera de former des jeunes possédant les capacités linguistiques et culturelles voulues et favoriser ainsi la compréhension culturelle partout dans la région du Pacifique.

M. Ross: Je suis tout à fait d'accord avec vous. Il est absolument essentiel d'investir dans l'enseignement secondaire et universitaire. Le développement de notre capacité à établir des liens en Asie doit être axé sur le long terme. Je suis loin d'être convaincu que les milieux d'affaires savent ce qu'ils font. Il s'agit d'une stratégie ponctuelle, sans la profondeur ni le savoir-faire permettant d'entretenir des relations durables. Ils seront évincés.

Nos échanges commerciaux dans la région de l'Asie-Pacifique diminuent au lieu d'augmenter. Ce n'est pas accidentel. Le gouvernement a préconisé le commerce avec cette région de la même façon qu'il a préconisé d'établir des relations économiques avec l'Europe dans les années 70. Cela n'a mené à rien.

Il faut aider nos milieux d'affaires. Dans bien des cas, ce sont de jeunes entrepreneurs qui établiront les prochaines relations avec la région de l'Asie-Pacifique. Une stratégie à long terme permettra d'établir l'infrastructure. Il faudra toutefois y mettre le prix. J'ai l'impression que dans le cadre de pratiquement tous les examens de la politique, on recherche des solutions miracles et bon marché. Comment pouvons-nous remplacer les ressources intellectuelles par une infrastructure scientifique et technologique coûteuse? C'est impossible. Le moment est venu d'agir. Si nous sommes sérieux, nous devons dépenser. Nous ne pouvons pas continuer à nous leurrer et prétendre pouvoir nous débrouiller en faisant un minimum de dépenses. Ce n'est plus possible.

Le sénateur Andreychuk: Lundi, le sénateur Perrault et moi-même siégerons à un autre comité sénatorial sur l'enseignement postsecondaire. Vos commentaires reprennent ce que nous avons entendu aux audiences de ce comité, à savoir qu'il faut investir dans l'enseignement postsecondaire et qu'il faut le faire de façon différente. Vos observations intéresseraient ce comité.

Le sénateur Perrault: Le professeur Ross nous a apporté des notes supplémentaires qui s'ajoutent à ses observations. C'est un document très intéressant bien qu'à certains égards il présente un scénario un peu alarmiste. À la page 13 de votre document, vous dites:

... les conséquences écologiques de ce nouveau «monde sans frontières» du commerce international et les risques incroyablement accrus de nouvelles maladies infectieuses et de virus mutants...

Nous avons été témoins de ce problème dans notre province cette semaine. Vous poursuivez en disant:

Bien que les populations en pleine expansion des pays pauvres ne puissent pas migrer, les maladies bactériennes et virales qu'elles contractent en provenance des forêts tropicales qui viennent d'être explorées peuvent migrer facilement.

Quelle est la gravité de ce danger et que devraient faire les Canadiens pour se prémunir contre les risques inhérents dont vous parlez?

M. Ross: Comme je l'ai déjà dit, il faut former les responsables de la santé publique et mieux sensibiliser les médecins aux maladies tropicales qui commencent à apparaître à Vancouver, à Toronto, à Montréal et dans bien d'autres coins du pays. La plupart de nos médecins sont incapables de reconnaître un grand nombre des symptômes de ces maladies et n'ont donc aucune idée de ce dont il s'agit.

Le sénateur Perrault: Quelle est la gravité de la situation? Est-ce un problème qui préoccupe vraiment nos chercheurs médicaux?

M. Ross: Oui.

Le sénateur Perrault: Sont-ils formés pour ne pas alarmer la population?

M. Ross: Le rôle de notre personnel médical n'est pas d'encourager l'hystérie. Nous laissons ce soin aux politicologues; c'est notre travail. Au Canada, l'hystérie à ce sujet sera relativement contrôlée.

Au cours des 10 prochaines années, cela deviendra un grave problème. Je ne crois pas que ce monde sans frontières puisse durer plus longtemps.

Le sénateur Perrault: On constate le retour de la tuberculose et de bien d'autres maladies.

M. Ross: Des formes de tuberculose extrêmement résistantes aux médicaments sont en train d'apparaître. Les grosses compagnies pharmaceutiques dans le monde entier n'ont pas investi dans la recherche parce que cette maladie frappe les pays pauvres qui n'ont pas les moyens de payer ce type de recherche.

Le sénateur Perrault: J'aimerais lire un autre extrait de votre document:

Dans cette optique, les maladies mettront les riches et les pauvres sur le même pied d'égalité -- aussi désagréable et effrayante que puisse être une telle perspective pour les nantis. Les riches qui croient être à l'abri de ce problème font preuve d'une naïveté désespérante.

C'est une déclaration d'une grande importance.

M. Ross: Ce sera un village global, si ce n'est déjà le cas.

Le sénateur Perrault: Nous devrons augmenter les dépenses que nous consacrons à la recherche médicale et à l'infrastructure de la défense. Est-ce que cela ne pose pas un problème pour M. Martin et ses collaborateurs?

M. Ross: Les impôts sont la solution.

Le sénateur Perrault: Selon vous, nous devons être prêts à faire ce genre de dépenses.

M. Ross: Oui, tout à fait.

Le sénateur Stollery: C'est un sujet extrêmement intéressant et vaste. En ce qui concerne la défense, personne n'a mentionné le traité de défense américano-japonais, l'un des deux seuls traités de défense que possèdent les États-Unis, en plus du traité de l'OTAN.

Les témoins ont-il réfléchi sur l'avenir du traité de sécurité nippo-américain et se sont-ils demandé si les États-Unis songent à le renégocier, à se retirer de leurs bases en Extrême-Orient ou si celui-ci servira de cadre à un traité de sécurité plus apparenté à l'OTAN en cas de désordres sur la partie continentale de ce que nous appelons à l'heure actuelle l'Asie du Nord-Est?

M. Job: Le traité a été reconduit l'année dernière. Nous lui accordons beaucoup plus d'importance dans un contexte régional que dans les relations bilatérales. D'après certaines études, nous constatons, comme vous le dites, que ce lien est maintenant essentiel à la stabilité de la région et que les États-Unis et le Japon devront commencer à trouver une façon d'y rendre le Japon plus responsable et plus visible.

Cela peut commencer par la planification des urgences régionales que vous avez décrites. Ce qu'il faut se demander à plus long terme, c'est quel sera le rôle des États-Unis dans la région? À l'heure actuelle, aucun État en particulier ne veut que les États-Unis se retirent et, bien sûr dans les coulisses, tout le monde pense que la présence américaine a un grand effet stabilisateur. Nous devons nous demander ce qui inciterait les États-Unis à se retirer. L'adoption par ces derniers d'une politique isolationniste pourrait être l'une de ces causes.

Si la présence des troupes n'a plus sa raison d'être -- par exemple, une fusion de la Corée du Nord et de la Corée du Sud dans un esprit pacifique rendra inutile la présence des fusiliers marins au Japon. Ce genre de prévision aurait de quoi inquiéter les États-Unis, le Japon et d'autres États asiatiques.

Le sénateur Stollery: Le traité de sécurité nippo-américain se régionalise même si en 1950 il découlait de la guerre de Corée. S'il devient le cadre d'un accord de défense régional et que le Canada multiplie ses échanges commerciaux avec l'Asie, faudra-t-il que le Canada apporte une contribution comparable à sa participation à l'OTAN?

M. Job: Sénateur, la mise en place d'un mécanisme de sécurité fermement institutionnalisé comme l'OTAN dans le Pacifique Nord et l'Asie du Nord-Est est très improbable selon moi. L'intention n'est pas de se diriger vers une structure institutionnalisée de ce genre et la cause commune que nous avions au sein de l'OTAN est fondamentalement absente. Si nous tentions de mettre en place une alliance du même genre, nous exclurions des parties comme la Russie et la Chine. On créerait ainsi plus de problèmes qu'on en réglerait à moins qu'une circonstance n'ait entraîné l'isolation de ces pays.

Il est peu probable que le Canada participe à une institution du genre de l'OTAN. Il est toutefois plus probable que le Canada participe à un exercice multilatéral, pour résoudre une crise dans la péninsule coréenne par exemple. L'exercice serait probablement organisé par l'entremise d'un mécanisme des Nations Unies, un peu comme cela s'est fait dans le golfe Persique.

Le président: Je suis convaincu, honorables sénateurs, que je parle en votre nom lorsque je dis aux professeurs McGee, Job et Ross que nous les remercions d'une contribution qui servira à alarmer, éveiller, provoquer et stimuler les membres du comité.

Nous passons maintenant à quelque chose de très différent. Nous entendrons trois témoins. M. Winston D. Stothert, du Stothert Group Inc., un groupe d'ingénieurs, a beaucoup d'expérience dans le domaine des produits forestiers. M. John MacDonald, président du conseil d'administration de MacDonald Detweiller, représente une entreprise de télécommunications. M. Phil Crawford est le directeur général de Simons Consulting Group, une société de conseil en gestion.

Il se peut très bien que ma brève introduction ne fasse pas ressortir les points les plus importants en ce qui concerne l'expérience et l'expertise de ces témoins. Je m'en remettrai donc à eux pour qu'ils complètent ou corrigent ce que j'ai dit lorsque cela est souhaitable.

M. Winston D. Stothert, président, Stothert Group Inc.: Monsieur le président, honorables sénateurs, je suis heureux d'être ici. Dans la partie de la séance qui vient de se terminer vous avez eu une vue d'ensemble de la situation. J'aurais plutôt tendance à m'attarder peut-être plus aux détails. Si vous voulez entendre une analyse détaillée sur le commerce et l'investissement en Asie-Pacifique, l'honorable Raymond Chan est vraiment le meilleur porte-parole et partisan que nous n'ayons jamais eu dans les domaines du commerce international et de l'investissement en Asie-Pacifique. Je n'ai vraiment que des louanges à faire à son sujet.

Le Stothert Group a entrepris ses activités à partir de son siège social à Vancouver il y a 31 ans bien que notre division des services de consultation forestière existe depuis 53 ans. Nous offrons une vaste gamme de services de gestion et d'ingénierie: études de marché et de faisabilité, financement de projets, formation aux opérations et gestion d'usine; ainsi que concept d'ingénierie, études détaillées, acquisition du matériel d'usine et gestion de construction.

Notre spécialité consiste à offrir, dans ces domaines, toute l'expertise nécessaire à la réalisation de projets industriels, commerciaux et publics et ce, du début à la fin. Nos services sont surtout axés sur l'environnement, les forêts, les produits du bois, les pâtes et papier, les usines chimiques, les installations pétrolières et gazières, l'énergie thermique et hydroélectrique.

À partir de 1973, Stothert s'est tournée vers l'étranger pour se diversifier et pour s'armer contre les ralentissements économiques du marché intérieur. Nous avons réalisé des projets de ressources et des projets industriels dans la plupart des provinces du Canada et des États américains de même que dans plus de 50 autres pays. Plus de la moitié de nos travaux à l'étranger avant 1990 ont été exécutés en Afrique, alors que les organismes de financement internationaux subventionnaient des projets industriels parapublics. Ce financement a presque disparu pour les raisons que vous connaissez j'en suis convaincu. Stothert vise à exercer la moitié de ses activités au Canada et l'autre moitié à l'étranger.

Je parlerai de certaines de nos activités commerciales dans la région Asie-Pacifique, qui peuvent servir d'indicatifs utiles au gouvernement canadien en ce qui a trait à sa politique étrangère et commerciale.

Pour terminer, je ferai quelques observations et quelques suggestions.

Stothert a fait plusieurs incursions en Chine sans grand succès. Après avoir fait des études sur de petites usines de traitement de paille de riz et de glycérie aquatique, nous avons fait certaines recommandations. Nous sommes allés sur place afin de voir où les choses en étaient. Les usines avaient donné suite à toutes nos recommandations et avaient obtenu les résultats escomptés. On nous a ensuite demandé de préparer des propositions pour des projets de beaucoup plus grande envergure. Faute de financement, les choses sont restées en plan. Ces usines sont nombreuses en Chine. Il ne s'y fait pas de traitement des eaux usées. Étant donné la haute teneur en silice de la paille de riz, les méthodes nord-américaines normales de réduction de la pollution sont inadéquates.

Pour un client ontarien, nous avons travaillé à un intéressant projet en Chine sur l'utilisation du bambou comme fibre ligneuse. Nous avons dépêché une équipe d'ingénieurs pendant un mois ou deux pour qu'ils procèdent à une étude de faisabilité. Le client devait financer toute l'importation de l'équipement et du matériel et le gouvernement de l'État devait s'occuper de l'édification du gros oeuvre, des éléments d'infrastructure et de la ressource. Le client devait participer à la production pour les marchés d'exportation de manière à récupérer son investissement et à réaliser un bénéfice. Par la suite, l'usine devait appartenir en totalité à l'État. Le projet est tombé à l'eau lorsque l'État s'est rendu compte que le coût des intrants pour le bambou était plus élevé que celui de la fibre de bois de bien plus grande qualité ici en Amérique du Nord.

Le Stothert Group a déployé une excellente initiative en vue de fournir la conception technique de même que tout l'équipement et le matériel d'une station de traitement d'eau qui satisferait les besoins de 250 000 personnes. Ces gens dépendaient de puits et la nappe phréatique diminuait sensiblement. C'est avec toute la diligence voulue que nous nous sommes efforcés de déterminer si l'organisme responsable pouvait obtenir les fonds nécessaires. On nous a assurés qu'une provision pour prêts extérieurs avait été approuvée pour le projet par la Banque centrale de Chine, en s'appuyant sur le crédit du gouvernement canadien. Nous avons préparé une offre. La partie rattachée à la conception et à la fourniture du matériel et de l'équipement se chiffrait à quelque 6 millions de dollars. La soumission nous a coûté 60 000 $.

L'organisme a accepté l'offre. Cependant, il nous a par la suite informés que la Banque centrale retardait son approbation tant qu'il n'aurait pas remboursé deux autres emprunts extérieurs fait antérieurement. Nous avons suivi l'affaire pendant plusieurs années et nous avons trouvé des Chinois de souche à l'étranger qui étaient disposés à investir dans le projet. Cependant, comme le gouvernement central impose maintenant un droit de 30 p. 100 sur l'équipement et les matériaux étrangers importés, nous ne pouvons réaliser le projet.

Le programme d'amélioration d'une usine de pâtes et papiers, conçue et construite par des Chinois, a connu des difficultés. La Banque asiatique de développement avait consenti, pour le projet, un prêt important. Elle a communiqué avec Stothert, sur la recommandation du représentant du gouvernement canadien, pour lui demander de visiter l'usine et d'effectuer une évaluation préliminaire. Une deuxième évaluation a été effectuée par plusieurs ingénieurs de Stothert, qui ont préparé un plan détaillé devant servir de base au programme d'amélioration. La Banque a ensuite lancé un appel d'offres. C'est un soumissionnaire des États-Unis qui a décroché le contrat.

Il y a des entreprises qui ont réussi à lancer plusieurs projets en Chine. Nous avons communiqué avec certaines d'entre elles, et elles nous ont qu'il était essentiel, pour réussir, d'avoir un partenaire ou un client basé à Hong Kong ou à Taiwan, ainsi que des fonds.

Nous participons également à des projets en Inde. Lors d'une visite à la Banque asiatique de développement à Manille, où Stothert se rend deux ou trois fois par année, nous avons appris que la Banque avait consenti un prêt de 400 millions de dollars à l'Inde pour développer le secteur pétrolier et gazier dans l'état de Gujerat. Nous avons obtenu le dossier d'appel d'offres et fractionné le projet. Un partenariat a été établi avec un entrepreneur indien avec qui Stothert avait déjà collaboré ailleurs dans le monde. Nous avons préparé la soumission, travaillant dans le bureau de Bombay et dans les nôtres au cours de la dernière étape du processus. Nous avons présenté une offre de 50 millions de dollars, que nous avons fait parvenir à la National Oil Company, à Delhi, qui, elle, a transmis toutes les offres à la Engineers India Ltd., une société d'État. Il n'y a pas eu de suivi. Nous avons demandé au Haut-commissariat du Canada de faire enquête, mais, pendant deux ans, nous n'avons eu aucune nouvelle au sujet du projet.

La troisième année, Stothert a appris, après une visite à Delhi, que le projet avait été attribué à une société indienne. La Banque asiatique de développement, semble-t-il, n'avait pas participé à la décision. En Inde, le gouvernement accorde un avantage de 15 p. 100 à toute offre provenant de sociétés indiennes.

Nous avons vécu une expérience intéressante au Népal. La Banque asiatique de développement avait lancé un projet de construction d'une usine de pâtes et papiers au Népal. Nous avons obtenu le dossier d'appel d'offres. La Banque a joué un rôle déterminant dans le processus d'évaluation. Nous avons demandé l'aide du représentant canadien qui est détaché auprès de la Banque, mais il nous a dit qu'il représentait trois pays et qu'il ne pouvait faire preuve de favoritisme en appuyant la soumission canadienne. Nous avons reçu l'aide d'une source inattendue, l'ambassade de la Corée du Sud. Stothert collabore depuis longtemps avec des entreprises coréennes. Nous avons décroché le contrat malgré la vive concurrence d'entreprises indiennes.

Nous avons terminé les études et soumis un rapport. Or, il y avait un problème majeur. La Banque asiatique de développement avait prévu 30 millions pour la construction de l'usine au Népal. Nos études indiquaient qu'il en coûterait 50 millions pour construire une usine très simple. Nous avons fait l'objet de nombreuses critiques et le contrat pour la deuxième étape du projet, soit la conception et la gestion des travaux de construction, a été confié à une autre entreprise.

Stothert a appris par la suite qu'elle n'avait pas suivi la «procédure établie», qui était de présenter une estimation qui correspondait aux 30 millions prévus par la Banque asiatique de développement. Ensuite, après avoir entamé les travaux et injecté 10 ou 15 millions de dollars dans le projet, elle aurait effectué une évaluation supplémentaire montrant que le coût total du projet s'élèverait à 50 millions de dollars. Elle aurait demandé un prêt additionnel de 20 millions, qui n'aurait pas été refusé vu les fonds déjà investis. Il est intéressant de noter que, huit ans plus tard, l'usine n'est toujours pas construite.

Pour ce qui est du Vietnam, Stothert a reçu un appel de la Banque mondiale, située à Washington, D.C., l'invitant à répondre à l'appel d'offres portant sur la prestation de services de gestion à la plus grande usine de pâtes et papiers au Vietnam. La Banque mondiale était en train d'aider l'Organisation suédoise pour le développement international à choisir une équipe de conseillers qui offriraient des services de gestion à l'usine construite 10 ans plus tôt avec l'aide de la Suède. Stothert a fait une offre et a obtenu un contrat de trois ans. L'objectif était d'aider l'usine Vinh Phu, à Bai Bang, à devenir efficace, rentable et autonome. Au cours des trois années, la productivité et les ventes ont augmenté, passant de moins de 50 p. 100 à plus de 100 p. 100.

Stothert a prêté main-forte à l'entreprise dans plusieurs domaines, alors que le gouvernement passait d'une économie planifiée à une économie de marché. Nous lui avons fourni des conseils sur la planification et la réalisation des objectifs à long terme, la gestion des devises, la planification financière, les principes comptables et la commercialisation.

En 1995 et 1996, Stothert, en collaboration avec un associé, a effectué une étude de préfaisabilité sur un projet d'aménagement hydroélectrique de 120 mégawatts dans le centre du Vietnam. Le gouvernement est prêt à aller de l'avant avec le projet avec un investisseur qui se chargera de construire, de diriger et d'exploiter la centrale.

L'étude préliminaire indique que le projet est réalisable et que la centrale pourrait produire de l'électricité à des coûts compétitifs. Cette étude a été en partie financée par l'ACDI, par le biais du MCPP. La prochaine étape consiste à réaliser une étude de faisabilité au coût de un million de dollars. Une somme de 250 000 $, provenant d'un fonds d'aide du Moyen-Orient, a déjà été prévue pour couvrir les dépenses directes engagées au pays. La Banque asiatique de développement, l'IFC et des investisseurs privés sont intéressés à participer au projet.

Depuis le début des années 80, nous travaillons, aux Philippines, avec la Société des industries papetières, la plus grande compagnie forestière du pays. On nous a demandé, en 1994, d'évaluer les opérations, et cette évaluation a abouti à la vente de l'entreprise à de nouveaux propriétaires. On nous a ensuite demandé de mettre sur pied une équipe pour gérer les opérations, ce que nous faisons toujours.

En Thaïlande, nous avons effectué une étude d'impact sur l'environnement. La majorité de l'électricité provient de centrales thermiques alimentées au charbon, qui sont à l'origine des pluies acides. Nous avons, dans le cadre de l'étude, effectué un suivi dans une vaste région de la partie septentrionale du pays. Nous avons conclu que le problème de pollution était grave. Dans quelques-unes des vallées, l'air était irrespirable au-delà d'un certain point. On a recommandé de brûler de la roche calcaire avec le charbon pour réduire les émissions de souffre.

Heureusement, cette pierre calcaire se trouve sous la mine à ciel ouvert. C'est l'EGAT, la Electricity Generating Authority de Thaïlande, qui a proposé cette solution. L'étude, que nous avons dirigée, a été menée de concert avec Hydro-Québec, une firme d'experts-conseils thaïlandais, de même qu'une université thaïlandaise. Le financement initial a été fourni, en partie, par l'ACDI. La deuxième phase a été financée par EGAT. Il y a eu beaucoup de controverse en Suède lorsque l'Organisation suédoise pour le développement international nous a octroyé ce contrat important au Vietnam.

Il y a quelques années, une étude de faisabilité financée par l'ACDI, par le biais du MCPP, a été réalisée en vue de construire une usine de transformation du bois en Indonésie. Une entreprise parapublique détenant des droits de coupe devait participer au projet en collaboration avec d'autres investisseurs. Lorsque nous sommes arrivés en Indonésie pour présenter notre rapport au président de l'entreprise, le représentant nous a informés que Stothert devait débourser 25 p. 100 du coût de l'étude. Stothert a refusé et n'a pas été en mesure de rencontrer le président. Elle a fait appel à l'ambassadeur du Canada, qui comprenait fort bien le problème. Il s'est engagé à remettre des exemplaires du rapport au président. Nous n'avons pas donné suite au projet.

Au cours des six dernières années, Stothert a fourni des services de conception, de l'équipement et du matériel à plusieurs usines de pâtes et papiers en Indonésie. Il s'agit d'entreprises privées. Le paiement est confirmé par le biais de lettres de crédit irrévocables. Stothert n'a eu aucun problème et ne s'est vu imposer aucune exigence déraisonnable.

Il y a plusieurs années, le président du groupe Stothert a participé à une mission commerciale organisée par la Chambre de commerce de Vancouver dans divers pays d'Asie du Sud-Est. Des rencontres avaient été organisées à l'avance avec des dirigeants gouvernementaux et des cadres d'entreprises. La mission est arrivée à Djakarta immédiatement après les émeutes survenues dans le Timor oriental, qui ont été vigoureusement réprimées par les forces gouvernementales. Le groupe a rencontré l'ambassadrice du Canada, qui l'a informé qu'elle prendrait part, le lendemain, à la réunion prévue avec un ministre de premier plan du cabinet. À la suite du départ de la mission, le ministre et notre ambassadrice ont déposé une plainte officielle concernant le Timor oriental. Il ne fait aucun doute qu'on lui avait donné des ordres et qu'elle les suivait. De toute évidence, elle n'avait pas réussi à organiser une rencontre, de sorte qu'elle a utilisé la mission pour transmettre son message. Cette situation a eu un effet négatif sur les objectifs de la mission de la Chambre de commerce.

En Malaisie, nous avons mis sur pied une entreprise en participation avec la B.C. Gas International et une compagnie de Buma Putra, dont le bureau est situé à Kuala Lumpur. Nous disposons d'un bureau distinct dirigé par un cadre supérieur, qui évalue les possibilités industrielles tout en élaborant des politiques pour les administrations locales et des systèmes de gestion, contre rémunération. Elle organise également des colloques sur l'intégration de la femme au développement, et propose des programmes d'action dans ce domaine à un certain nombre de pays, y compris l'Indonésie.

J'aimerais maintenant faire quelques observations et suggestions générales. Ces exposés ont mis l'accent sur l'aide qu'apportent les bureaux gouvernementaux canadiens dans ces pays. Avant que l'ancien ministère de l'Industrie et du Commerce et celui des Affaires étrangères ne fusionnent, les représentants commerciaux à l'étranger intervenaient activement dans ces dossiers, contrairement aux hauts fonctionnaires.

La situation a beaucoup changé dans la plupart des cas. Les ambassadeurs ou les hauts commissaires s'intéressent de près aux efforts que déploient les représentants des entreprises canadiennes désireux de tirer parti des débouchés commerciaux et des possibilités d'investissement. Souvent, ces postes supérieurs sont maintenant occupés par une personne qui a des connaissances en commerce. Nous devrions continuer à mettre l'accent sur le fait que la promotion des échanges et des investissements constitue un aspect clé du travail des hauts fonctionnaires en poste à l'étranger.

Il est difficile d'obtenir des contrats d'approvisionnement financés par la Banque asiatique de développement. Il existe, au sein des pays récipiendaires, des obstacles tangibles et intangibles. Des contrats similaires sont attribués à des entreprises canadiennes sur les marchés internationaux lorsque aucun prêt de la Banque asiatique de développement n'est en cause. Nous recommandons que le directeur canadien de la Banque asiatique de développement et le représentant de l'ambassade continuent de militer en faveur de règles du jeu équitables.

Plusieurs projets décrits dans le présent exposé ont été lancés grâce au MCPP. Une première étude a été financée, en partie, par le Programme de coopération industrielle de l'ACDI. Leurs objectifs sont les suivant:

La section des Services professionnels du Programme de coopération industrielle comporte cinq mécanismes qui permettent aux organismes canadiens admissibles de mener des études et de fournir des conseils professionnels à des clients éventuels dans des pays en développement.

Bon nombre des projets qui ont débuté de cette façon ont été menés à terme au moyen de fonds commerciaux.

Comme le Programme de coopération industrielle de l'ACDI parvient à introduire des technologies nouvelles et à créer des emplois dans les pays en développement, tout en finançant les activités d'entreprises canadiennes à l'étranger, il devrait être maintenu.

Certains projets décrits dans cet exposé et de nombreux autres réalisés par Stothert nécessitent l'envoi, à l'étranger, d'employés canadiens pour une période de deux ans. Dans la plupart des cas, le personnel est composé de ressortissants canadiens qui ont la réputation d'accepter plus facilement ces affectations que les ressortissants d'autres pays développés. Ce phénomène tient peut-être, en partie, à la nature des Canadiens, mais il se peut aussi qu'ils acceptent ces postes parce qu'ils ne paient d'impôt pendant leur séjour à l'étranger. Les Canadiens qui participent à des projets industriels exercent une influence sur les clients et ont tendance à les diriger vers des fabricants canadiens parce qu'ils connaissent mieux leurs produits. Tout ceci a pour effet de favoriser le commerce d'exportation.

Nous devons continuer d'exempter de l'impôt les Canadiens qui travaillent à l'étranger, conformément aux modalités en vigueur. Toutefois, il faudrait réduire la durée de la période d'affectation, qui est fixée à un minimum de deux ans, selon une simple règle édictée par Revenu Canada.

On a de plus en plus tendance à embaucher des ressortissants dans les bureaux à l'étranger pour réduire les dépenses. Cette mesure a ceci de négatif que ces ressortissants ne connaissent pas bien les produits et services canadiens et sont donc incapables d'en faire la promotion. Il faudrait embaucher davantage de Canadiens pour les postes à l'étranger.

En Chine, où certains projets sont susceptibles d'être financés par la SEE, l'entreprise canadienne doit débourser une somme considérable pour proposer une soumission à prix fixe et obtenir le contrat avant que le client ne puisse s'adresser à la Banque centrale de Chine afin de voir si la banque acceptera d'utiliser une partie de la ligne de crédit de la SEE pour le projet. Il faudrait prévoir un mécanisme pour que le gouvernement chinois donne son approbation conditionnelle aux projets financés au moyen de fonds canadiens. Les organismes de financement internationaux fournissent actuellement non seulement des prêts à long terme pour les projets entrepris par le secteur privé, surtout dans le domaine de l'infrastructure, mais également des capitaux. L'entrepreneur d'un projet bénéficie donc d'un soutien considérable lorsqu'il cherche à obtenir des capitaux additionnels et des prêts à terme. Le pays hôte est beaucoup moins susceptible de modifier les règles pour les investisseurs étrangers lorsque qu'un grand organisme international participe à un projet.

Il faudrait donc continuer d'encourager la SEE à investir des capitaux dans des projets entrepris par le secteur privé, pour la raison que j'ai indiquée.

Le groupe Stothert a participé aux missions d'Équipe Canada dirigées par le premier ministre dans la région Asie-Pacifique. Elles nous ont permis d'établir des contacts fort utiles avec des gens d'affaires et des dirigeants gouvernementaux dans les pays visités. Aucun autre pays ne semble avoir accordé autant d'importance à la promotion des échanges et des investissements. Nous recommandons que les missions d'Équipe Canada se poursuivent.

Si l'on devait distribuer des bouquets, on en remettrait un immense au premier ministre Jean Chrétien.

M. John MacDonald, président du conseil d'administration, MacDonald Detweiller: Monsieur le président, notre entreprise a vu le jour dans mon sous-sol, il y a 28 ans. Elle emploie maintenant entre 800 et 900 personnes. C'est une entreprise plurinationale. Nos revenus cette année proviennent dans une proportion de 78 p. 100 de nos exportations, surtout dans la région Asie-Pacifique. Nous sommes présents dans presque tous les pays membres de l'ANASE et de l'APEC, sauf le Mexique et le Chili. J'ai passé une grande partie de ma vie dans le bassin du Pacifique, où j'essayais de vendre des produits.

Nous sommes une entreprise de haute technologie qui se spécialise dans trois grands domaines. Mentionnons d'abord les systèmes d'informatique géographique, pour lesquels nous sommes les mieux connus. Nous construisons des systèmes de traitement au sol pour les engins spatiaux munis de dispositifs de formation d'images de la Terre. Nous avons construit entre 80 et 85 p. 100 de tous les systèmes utilisés dans le monde. Nous sommes également spécialisés dans ce que nous appelons la «défense spatiale», quoique nos activités soient surtout liées à la défense. Notre principal client est le ministère de la Défense nationale, bien que nous essayions de développer des marchés d'exportation. Nous avons vécu une expérience plutôt déplaisante en Corée, mais nous n'en parlerons pas. Enfin, nous sommes spécialisés dans les systèmes d'aviation, notamment les systèmes automatiques de contrôle de la circulation aérienne et les systèmes d'information aéronautique.

En ce qui me concerne, j'ai fait partie de presque tous les conseils consultatifs sur les sciences et la technologie que le gouvernement canadien et les provinces ont mis sur pied. J'ai également fait partie du Groupe de personnalités éminentes de l'APEC, de sorte que j'ai beaucoup contribué à façonner l'orientation actuelle de l'APEC.

Cela dit, j'aimerais prendre quelques minutes pour vous expliquer pourquoi, à mon avis, les relations avec l'Asie-Pacifique sont extrêmement importantes pour le Canada. Comme tout le monde ici le sait, nous sommes présentement confrontés à un important problème financier avec lequel nous devrons composer pendant quelque temps encore, malgré les progrès réels accomplis par le gouvernement. Nous devons miser sur la croissance économique pour sortir de cette situation. Nous ne pouvons pas nous permettre de vivre une autre récession. Si nous voulons venir à bout de notre dette, nous devons assurer notre croissance économique. Nous ne pouvons pas uniquement compter sur les réductions des dépenses, même si ce moyen est extrêmement efficace. D'après les chiffres tirés du dernier budget, si nous ne parvenons pas à maintenir une croissance économique au moins supérieure à 1,34 p. 100, nous n'arriverons jamais à nous en sortir, compte tenu des paramètres actuels.

Nous sommes l'une des principales nations commerçantes du monde, surtout par habitant. Logiquement, si nous voulons réduire les risques de récession, nous devons absolument accroître nos échanges avec les économies qui sont en plein essor. Autrement dit, une nation commerçante doit avoir une économie forte et elle doit transiger avec des pays dont les économies connaissent une croissance plus rapide que la sienne. Il n'y a qu'un seul endroit au monde où cela est vrai -- l'Asie du Sud-Est et l'Asie de l'Est. J'exclus le Japon, puisqu'il est affligé des mêmes maux que nous.

Il y a un autre facteur extrêmement important qu'il convient de mentionner: l'expansion de nos relations commerciales et l'établissement de relations plus vastes, surtout avec les pays de l'Asie du Sud-Est, de l'Asie de l'Est et de l'Asie du Sud, nous permettent de diversifier nos échanges. En effet, nos échanges avec des économies en plein essor comptent pour beaucoup dans le redressement de notre situation. Nous transigeons depuis toujours avec les États-Unis, l'Europe et le Japon, nos trois plus grands partenaires commerciaux. Ce sont toutes des économies industrielles bien établies, comme nous, et elles connaissent toutes des difficultés, peut-être pas aussi graves que les nôtres, sauf pour ce qui est de l'Italie. Nous devons absolument concentrer nos efforts sur l'établissement de relations commerciales solides avec l'Asie de l'Est, l'Asie du Sud-Est et l'Asie du Sud.

Il faut ensuite se demander ce que nous avons à offrir. Il faut changer notre façon de penser. Jusqu'ici, le Canada faisait surtout le commerce de ses ressources primaires et il continuera probablement de le faire longtemps encore. Si nous voulons percer sur les marchés dont il est question ici, il faudra réviser notre stratégie. L'Indonésie, la Chine et les Philippines sont des concurrents dans le secteur primaire ou le deviendront très bientôt. Nous avons certes des ressources à offrir à ces pays, mais notre véritable atout concurrentiel se trouve dans le secteur des services fondés sur des compétences spécialisées. En d'autres mots, c'est notre savoir-faire qui les intéresse. La façon dont nous présentons ce savoir-faire est une autre paire de manches.

Mes voyages un peu partout en Asie pendant de nombreuses années m'ont appris que l'on tient les Canadiens en haute estime là-bas. Partout, on leur fait bon accueil dès que l'on se rend compte qu'ils ne sont pas des Américains. On nous voit comme une porte d'accès sans danger aux connaissances techniques nord-américaines. L'infrastructure technologique nord- américaine est la meilleure base de connaissances au monde et elle le demeurera dans l'avenir prévisible. Les connaissances scientifiques et technologiques sont à leur apogée en Amérique du Nord. Il ne faut pas croire que les Américains sont meilleurs que nous dans ce domaine; seulement, ils le font à plus grande échelle.

Une des choses qui m'a frappé, il y a quelques années, et que de nombreuses visites en Asie m'ont confirmé depuis lors, c'est qu'il existe une dichotomie intéressante. En Amérique du Nord, dans le domaine des sciences et de la technologie, il n'y a essentiellement pas d'argent. Toutefois, nous avons accumulé beaucoup de savoir-faire qui est -- si vous me permettez de m'exprimer en toute franchise -- en grande partie sous-utilisé, particulièrement dans le secteur public, mais aussi dans le monde universitaire. Il est à espérer que ce n'est pas le cas dans le secteur industriel. La situation en Asie de l'Est et du Sud-Est est tout à l'opposé. Ces régions accusent une pénurie chronique de savoir-faire technologique et scientifique qu'il ne leur sera certes pas possible d'acquérir en une seule génération, voire en deux. La pénurie là-bas durera donc probablement entre 20 et 30 ans. Par contre, elles ont à leur disposition beaucoup d'argent. Elles ont toutes un surplus économique. Elles souhaitent toutes faire ce que nous avons fait pour développer notre économie, c'est-à-dire se doter d'une infrastructure technologique. Elles sont assoiffées de technologie et d'infrastructure, de même que du savoir à leur base.

Prendre conscience de cette réalité ouvre tout plein de portes à ceux d'entre nous qui peuvent parcourir le monde et leur vendre ce dont elles ont besoin. J'ai eu l'idée -- elle est actuellement à l'étude -- de mettre sur pied un réseau de recherche sur le bassin du Pacifique dans lequel seraient mises en commun des ressources. Les réseaux de recherche n'ont plus de secret pour les Canadiens. Bien que nous ayons essuyé des échecs à l'occasion, dans l'ensemble, nous exploitons avec succès des centres d'excellence depuis six ans environ. Un groupe de la côte Ouest est en train d'examiner cette idée en vue de voir si des Canadiens n'ont pas des connaissances à vendre que des clients de l'autre côté de l'océan seraient prêts à acheter.

Il importe au plus haut point que le Canada fasse une participation utile au sein de l'APEC. Durant mon mandat en tant que membre canadien du Groupe de personnalités éminentes, je me faisais demander quelle était la position du Canada à cet égard. À cette question, je répondais que le Canada affichait une indifférence bienveillante, ce dont j'étais convaincu. Ici, sur la côte Ouest, ce n'est plus le cas, mais dès qu'on franchit les Rocheuses et qu'on s'aventure plus avant dans l'Est mystérieux, c'est de plus en plus vrai. Le commerce continue d'y être axé sur les États-Unis et l'Europe qui, en toute honnêteté, sont des économies en déclin.

Nous jouons un rôle plutôt important au sein de l'APEC. Ainsi, en termes de produit intérieur brut, nous figurons au quatrième rang, à égalité avec la Chine dont la population est beaucoup plus grande que la nôtre. Notre produit intérieur brut par tête d'habitant est beaucoup plus élevé. Exception faite des États-Unis et du Japon, l'économie des autres membres est à peu près la même que la nôtre ou un peu plus petite. Nous avons donc un rôle d'importance moyenne à jouer. Nous sommes très respectés.

L'APEC est un organisme dont les décisions sont prises par consensus. Sur le plan culturel, il est plus centré sur l'Asie que sur l'Europe, ce qui nous avantage. Il a pour principe le «régionalisme ouvert». Je vous en donnerai une définition quand je répondrai à vos questions. Fait plus important, à Bogor, en 1994, les dirigeants de l'APEC ont fixé comme objectif pour tous la réalisation du libre-échange et du libre investissement dans le bassin du Pacifique d'ici à l'an 2020 et pour les pays développés, d'ici à l'an 2010. J'ai contribué, bien que faiblement, à l'adoption de cet objectif puisqu'il était tiré du rapport du Groupe de personnalités éminentes. C'est un objectif époustouflant, mais je ne vois pas pourquoi on ne pourrait l'atteindre. Il faudrait y contribuer massivement et, en fait, je crois qu'il est impératif que nous le fassions.

Au Canada, 1997 est l'Année de l'Asie-Pacifique. Il faut vous dire que, durant mon dernier voyage en Asie, j'ai appris des choses qui m'ont un peu perturbé. Cette année de l'Asie-Pacifique au Canada ne crée pas beaucoup d'attentes chez nos collègues asiatiques, convaincus que le Canada ne fera pas grand-chose. Toutefois, il existe des choses très importantes que nous pouvons faire durant l'année au Canada, par exemple conserver son élan au mouvement de libéralisation du commerce. C'est important à la fois pour nous et pour le bassin du Pacifique.

Le domaine dans lequel le Canada peut faire une contribution importante, mis à part le maintien du mouvement en faveur d'une libéralisation du commerce et de l'investissement, est l'environnement. La protection de l'environnement en Asie-Pacifique nous ouvre de très grands horizons commerciaux à long terme. Ainsi, l'industrialisation de la Chine représente une véritable manne. La population de la Chine représente plus du double des populations réunies de tous les membres du G-7, plus du double de la population du monde industrialisé. Si l'on y ajoute l'Inde, cette population quadruple, voire quintuple. Imaginez l'impact environnemental qu'aura l'industrialisation dans cette partie du monde, car elle s'industrialisera, si l'on n'y fait pas une utilisation maximale des technologies environnementales. Nous savons comment le faire. C'est un énorme créneau commercial pour nous.

Un élément clé à résoudre à cet égard est la façon d'inclure le coût de la protection de l'environnement dans l'équation économique parce que, si ce n'est pas fait, il sera très difficile d'en traiter.

Avant de conclure, j'aimerais faire une remarque au sujet de ce qu'a dit M. Stothert concernant les délégués commerciaux. Je l'ai dit en vain à de nombreuses reprises, sur de nombreuses tribunes, mais c'est particulièrement vrai au sujet de l'Asie: nous changeons les affectations de nos délégués commerciaux beaucoup trop souvent. Quiconque a commercé en Asie sait que, dans la culture asiatique, les relations personnelles sont absolument cruciales. Elles ont bien sûr de l'importance en Europe et en Amérique du Nord, mais pas autant qu'en Asie. Il n'est pas étonnant que nous éprouvions des difficultés avec certains de nos délégués commerciaux. Ils changement si souvent d'affectation qu'ils sont incapables de bien faire leur travail.

La situation des diplomates est différente. Toutefois, je recommanderais vivement au gouvernement d'envisager la possibilité de maintenir les personnes au même poste pendant huit à dix ans. Je connais des gens au ministère qui le feraient volontiers. Ils étudient ces cultures; ils parlent la langue et ils aiment vivre là-bas. Actuellement, il leur faut un an pour s'établir, puis ils ont peut-être six mois pendant lesquels ils font un travail efficace avant de commencer à se préoccuper de leur affectation suivante. Soit dit en passant, il n'y a pas de mémoire de l'organisation.

Je n'ai fait partie que d'une des trois missions d'Équipe Canada, bien que je parte souvent en mission par moi-même. J'ai accompagné le premier ministre une seule fois. Ces missions sont utiles et elles connaissent un certain succès. Cependant, leur principale utilité est ici, au Canada, parce qu'elles mettent en valeur l'importance de l'Asie pour nous.

Tout se passera durant le premier quart ou la première moitié du prochain siècle. Il faudra en être.

M. Phil Crawford, vice-président et directeur général, Simons Consulting Group: Monsieur le président, honorables sénateurs, je me réjouis d'avoir aujourd'hui l'occasion de vous faire connaître les vues de H.A. Simons Ltd. sur les politiques et les pratiques par lesquelles le gouvernement du Canada pourrait améliorer le commerce avec la région Asie-Pacifique. Je précise que, lorsqu'il est question de H.A. Simons, il est question de tout le groupe d'entreprises. En effet, Simons Consulting Group que je dirige est un organe stratégique de première ligne qui effectue une grande partie des études de faisabilité, des études stratégiques préalables à un investissement majeur. Nous possédons des équipes d'experts qui voyagent dans le monde entier.

Simons a considérablement intensifié ses activités dans cette région au cours des années 90. Notre maison est très satisfaite de l'aide commerciale qu'elle a reçue des organismes gouvernementaux. La région Asie-Pacifique représente un marché potentiel énorme, étant donné sa taille et le rythme de sa croissance économique. La demande de produits et de services qui en résulte nous permet de viser non seulement la région elle-même, mais également d'autres pays du monde qui y exportent et qui ont besoin de nos services. Simons applaudit aussi les récentes missions commerciales d'Équipe Canada. D'ailleurs, nous avons participé à celles qui se sont rendues en Amérique du Sud, en Inde et en Indonésie.

Ceux d'entre vous qui ne connaissent pas Simons trouveront une brève description de la société en annexe du mémoire. Je précise simplement que notre société exerce partout dans le monde, qu'elle a son siège à Vancouver, qu'elle fait de la conception et de la gestion de projets d'ingénierie et qu'elle cherche avant tout à satisfaire ses clients en leur fournissant des solutions, des systèmes et des installations répondant à leurs attentes.

Le bon fonctionnement de la société repose sur l'excellence de son personnel, sur son utilisation de la technologie et sur ses associations avec d'autres partenaires. Nos principaux secteurs d'activité sont l'industrie forestière, les mines, la protection de l'environnement, les produits de consommation, les produits chimiques spéciaux, l'énergie et les ressources hydrologiques. La société Simons travaille dans toute la région Asie-Pacifique; elle réalise actuellement des projets en Indonésie, en Thaïlande, en Malaysia, en Chine, aux Philippines et en Papouasie-Nouvelle-Guinée. Elle a aussi des projets en cours en Inde, en Australie et en Nouvelle-Zélande, projets que je n'ai pas inclus dans cet exposé. Manifestement, j'ai mal compris ce qu'entendait le comité par «Asie-Pacifique».

La région Asie-Pacifique représente environ 30 p. 100 de nos revenus d'entreprise au Canada. Actuellement, environ 130 de nos employés y travaillent. Simons emploie 3 000 personnes au total, mais 130 d'entre elles se trouvent en Asie-Pacifique. Les recettes que nous avons tirées de l'Asie-Pacifique au cours des trois dernières années ont probablement représenté environ 300 millions de dollars. C'est donc une région très importante pour nous.

Quant aux possibilités commerciales, la région a une grande population et un rythme de croissance économique très rapide. Les niveaux de vie s'améliorent dans cette région du monde. Tous ces facteurs explique la demande considérable. Nous faisons de notre mieux pour relever certains des défis qui se posent dans nos domaines de spécialisation. L'Asie du Sud-Est et l'Asie-Pacifique ont d'importantes ressources minérales et forestières, elles ont grand besoin d'énergie et d'infrastructures, particulièrement en ce qui concerne l'eau et les aliments.

Pour nous, elles représentent une excellente cible, un marché aux possibilités énormes en matière de pâtes et papiers parce qu'en Asie du Sud-Est, la fibre pousse à un rythme phénoménal. Ainsi, en Colombie-Britannique, il faut attendre 70 ans environ avant de pouvoir utiliser un arbre. Plus on va vers le Nord, plus cette période allonge. En Indonésie, la rotation des cultures se fait tous les six ou huit ans, ce qui est un net avantage sur le plan de la concurrence. Comme la population y est si importante, il existe un marché considérable pour les produits qui sortent de ces usines. La plupart de nos employés actuellement en poste dans la région travaillent dans le secteur des pâtes et papiers, mais nous y faisons aussi des découvertes minérales. Notre groupe des mines est vivement intéressé, sans compter les autres débouchés dans les domaines de la protection de l'environnement, des ressources hydrographiques et des aliments et boissons.

Nous avons une équipe de développement des entreprises qui concentre ses activités sur l'Asie-Pacifique. Nous possédons des bureaux à Jakarta, à Bangkok et à Singapour. De plus, nous participons à une coentreprise de l'Australie et de la Nouvelle-Zélande qui fait partie de notre réseau.

Fort de l'expérience de Simons en Asie-Pacifique, j'aimerais vous parler des problèmes et des défis qui nous empêchent de soutenir efficacement la concurrence sur le marché de la région et qui relèvent, selon nous, de la sphère d'influence du gouvernement du Canada.

En ce qui concerne les mesures d'incitation destinées à certaines industries particulières, nous aimerions que le gouvernement du Canada établisse une courte liste des secteurs stratégiques pour la fourniture de biens et services aux grands marchés de la région, par exemple les télécommunications, la gestion de projets d'ingénierie, les céréales, les services de protection de l'environnement. Ces industries stratégiques ont besoin d'incitation et d'un travail d'équipe pour faire valoir leurs points forts et mieux pénétrer les marchés. Je songe notamment à maximiser le rendement sur l'investissement, à en tirer le plus possible. L'argent est rare.

La mise en place d'une équipe spécialisée, qui regrouperait des représentants d'organismes gouvernementaux et de quelques industries choisies et qui utiliserait les incitatifs selon une approche ciblée, nous assurerait sans doute des résultats bien meilleurs. On pourrait conserver une approche plus large pour le commerce général.

En Asie-Pacifique, le concurrent le plus redoutable de Simons est ce que nous appelons l'«Équipe Finlande», représentée par une société finlandaise d'ingénierie qui peut compter sur le plein appui de son gouvernement, par l'entremise des ambassades et des organismes de crédit à l'exportation, ainsi que des banques et des fournisseurs de matériel finlandais. Elle peut donc assortir ses projets d'une gamme complète de biens et services et compter sur un financement rapide. Le développement des entreprises appuyé par le personnel consulaire demeure axé sur quelques secteurs industriels importants choisis pour des raisons de stratégie et visant des marchés précis. Dans le domaine des pâtes et papiers, le Canada est légèrement défavorisé, puisque notre industrie de fabrication de matériel dans ce secteur est maintenant beaucoup plus petite. En effet, le nombre de fournisseurs de ce genre de matériel a diminué à l'échelle mondiale. Ils fusionnent et, en pratique, nous font une concurrence directe, car ils apportent leurs propres solutions en matière d'ingénierie. Pour mettre fin à ce désavantage, il faudrait que le Canada concentre ses efforts de pénétration des marchés cruciaux en y consacrant une initiative «Équipe Canada». Il nous faut adopter une attitude de coopération en ce qui concerne les partenariats avec les fournisseurs étrangers si nous voulons capturer une part du marché.

Quant à la prestation d'aide par des spécialistes sectoriels affectés à certains consulats, dans la foulée de l'approche d'équipe dont nous venons de parler, nous recommanderions une stratégie analogue à celle qu'emploient les pays concurrents. Selon nous, le gouvernement du Canada n'a pas poussé assez loin le recours à des spécialistes sectoriels. La méthode habituelle, qui consiste à appuyer une vaste gamme de produits et de services commerciaux, ne s'y prête guère. Le Canada possède un savoir-faire d'envergure mondiale dans des secteurs industriels majeurs qui ont un excellent potentiel sur certains marchés, et nous croyons qu'il faut en tirer profit au maximum.

Une aide spécialisée dans une gamme plus étroite de biens et services favoriserait les réussites, qui entraîneraient elles-mêmes d'autres réussites. Les sections commerciales des consulats pourraient donner un bon coup de pouce aux entreprises dans ce domaine. Dans le passé, nous avons reçu un excellent appui du personnel des ambassades du Canada en Asie-Pacifique. Néanmoins, ce que nous proposons ne fait qu'améliorer les relations actuelles et l'expansion des marchés.

J'aimerais retrancher le point numéro 3 de mon mémoire, celui qui porte sur les crédits à l'exportation. Nous estimons qu'il est sans rapport.

Par contre, il faudrait aligner de plus près la fiscalité canadienne s'appliquant aux travailleurs à l'étranger sur ce que fait la concurrence. M. Stothert a mentionné que, si un Canadien habite à l'étranger pendant plus de deux ans, son revenu n'est pas imposable. Toutefois, la nature du travail des experts-conseils en ingénierie est telle que, fort souvent, ces travailleurs vont à l'étranger pour de plus courtes périodes variant peut-être entre six et 24 mois. Durant cette période, l'employé a droit à un crédit d'impôt qui représente 80 p. 100 de son salaire, jusqu'à concurrence de 80 000 $. Cette limite de 80 000 $ a été adoptée en 1984, quand avait été reconnue la nécessité d'une telle mesure pour demeurer concurrentiels. Toutefois, elle n'a pas changé depuis lors. Si elle était essentielle en 1984, raison de plus pour l'ajuster maintenant!

Je crois savoir que le Québec offre aussi une incitation en vertu de laquelle, après 90 jours à l'étranger, l'employé n'a pas à payer d'impôt provincial. Je n'en suis pas sûr, mais c'est ce que j'ai compris.

Les accords de sécurité sociale sont un autre moyen de favoriser la compétitivité. Dans les pays avec lesquels le Canada a conclu des traités de sécurité sociale, nous pouvons continuer de payer, aux tarifs canadiens, les cotisations des Canadiens domiciliés et employés à l'étranger, ce qui renforce notre position par rapport à bon nombre de nos concurrents parce que, bien souvent, le coût de la sécurité sociale y est beaucoup plus élevé qu'au Canada. Par conséquent, le fait d'étendre nos accords de sécurité sociale à certains pays cruciaux rendrait les sociétés canadiennes plus concurrentielles. Nous croyons savoir qu'aucun pays de l'Asie-Pacifique n'a conclu pareil traité avec le Canada.

Un autre point serait de mieux cibler le soutien financier destiné à mettre la clientèle de la région Asie-Pacifique en contact avec la technologie, les biens et les services canadiens. Au fil des ans, le gouvernement du Canada n'a obtenu qu'un succès relatif lorsqu'il a financé les dépenses de délégués étrangers afin de permettre à ceux-ci de rencontrer des représentants d'entreprises canadiennes et d'assister à des colloques et à des foires commerciales. Cet insuccès tient surtout à l'éparpillement des efforts et au manque de continuité. Comme les fonds dont dispose le gouvernement diminuent et que plusieurs organisations cherchent à les obtenir, on peut s'attendre que le programme continuera d'être boiteux. Seul un effort concerté du gouvernement en vue d'axer sa stratégie d'aide à l'exportation sur les services et les industries les plus importants pourrait redresser la situation. Il faut continuellement restreindre les interventions à un champ étroit, de manière à se limiter à certains groupes choisis, pour ne pas marginaliser l'impact.

Selon nous, il faudrait simplifier les formalités d'obtention des visas et de renouvellement des permis de travail dans les pays de l'Asie-Pacifique. Plusieurs obstacles empêchent les travailleurs canadiens d'assurer le service en temps voulu et à bon compte dans les pays étrangers. L'obtention des visas et le renouvellement des permis de travail sont peut-être les pires obstacles dans la région de l'Asie-Pacifique. Parfois, les résidents canadiens doivent renouveler leur permis tous les trois mois, ce qui signifie qu'ils doivent sortir du pays d'accueil, ce qui leur fait perdre temps et argent. Cette procédure nous place nettement en désavantage par rapport à la concurrence.

Il semble que ces difficultés sont quelquefois la réciproque directe des règles appliquées par le Canada aux ressortissants des pays d'Asie-Pacifique qui demandent des visas et des permis de travail ici. Nous recommandons au gouvernement du Canada d'examiner ces règles pour voir si elles ne nuisent pas indirectement aux entreprises canadiennes qui vendent des services exigeant une présence prolongée dans la région Asie-Pacifique. Il faudrait aussi comparer ces règles à celles des pays industrialisés qui font concurrence à l'industrie canadienne.

Nous passons maintenant au point portant sur les négociations de gouvernement à gouvernement. L'interdépendance économique et la coopération croissante au sein même de la région Asie-Pacifique sont en train d'en cimenter la puissance économique. La libéralisation du commerce et de l'investissement, de même que la mondialisation de l'économie, avancent à grands pas. Aussi, il faut que notre gouvernement fédéral défende bien les intérêts du Canada dans toutes les négociations en cours au GATT ou dans le cadre d'accords commerciaux mondiaux et dans les traités politiques concernant la dynamique région d'Asie-Pacifique.

Simons est convaincu que, aussi bien dans le cadre de l'APEC que dans les discussions bilatérales, le gouvernement veillera à ce que le Canada continue de jouer un rôle majeur dans la région Asie-Pacifique, qu'il conserve un bon accès aux marchés, voire qu'il améliore ses échanges avec cette région.

Dans son rapport paru en 1972, le comité sénatorial sur la région du Pacifique a reconnu qu'il faudrait que le gouvernement consente aux entreprises canadiennes un appui comparable à celui qu'offrent les autres pays. Il a mentionné plus particulièrement les incitatifs à l'exportation, le cadre fiscal, le financement et l'assurance-crédit à l'exportation. Il semble que ces recommandations soient demeurées lettre morte. Elles semblent être tout aussi actuelles maintenant. Certains changements sont survenus, mais ces éléments continuent d'être d'une importance cruciale pour la compétitivité.

Il s'agit d'une région dynamique et stimulante, où le Canada est très bien placé puisqu'il possède un littoral sur le Pacifique. Aussi, il faut exercer une grande vigilance pour faire en sorte que les entreprises canadiennes y soient au moins sur un pied d'égalité avec la concurrence.

Le président: Les recommandations particulières faites par ces trois témoins m'impressionnent. Elles seront très utiles au comité.

Le sénateur Andreychuk: Ma question s'adresse à M. MacDonald selon lequel il faut que le Canada mette l'accent sur l'industrie de la matière grise. Moi aussi, j'ai tendance à croire que c'est notre force. Vous dites que nous disposons de 20 à 30 ans avant que l'Asie ne nous rattrape. Que proposez-vous plus particulièrement au gouvernement fédéral pour améliorer concrètement l'accès de l'industrie de la matière grise du Canada à l'Asie? J'insiste plus particulièrement sur la jeunesse. Que ferons-nous au bout de 20 et de 30 ans dans la région d'Asie-Pacifique? M. Crawford a souligné à juste titre que le rapport de 1972 est demeuré sans suite.

M. MacDonald: Je commencerai, si vous le permettez, par répondre à la seconde partie de votre question. Il vaudra mieux pour nous être compétitifs lorsque les pays de cette région le deviendront. Pour l'instant, nous jouissons d'un atout dans l'industrie de la matière grise parce que nous avons un excellent système d'enseignement au pays qui forme des travailleurs très compétents. Il faudrait insister davantage sur les programmes comme ceux du collège Capilano où de jeunes Canadiens apprennent comment transiger en Asie-Pacifique avant d'y aller travailler. Ces programmes donnent des résultats phénoménaux. Vous seriez étonnés de voir ce que peuvent faire ces jeunes dont certains, en fait, ne sont déjà plus si jeunes. En effet, le programme est offert depuis quelque temps déjà.

En réponse à la question que vous m'avez posée concernant ce que le gouvernement peut faire pour aider l'industrie de la matière grise et de la technologie de pointe, je vais vous décrire une expérience vécue en Corée afin de bien vous faire comprendre le genre de climat dans lequel nous évoluons. Nous avons soumissionné pour l'obtention d'un contrat des militaires coréens concernant un système de reconnaissance plutôt important. On nous a dit que, sur le plan technique, nous étions les meilleurs, que notre soumission était la plus basse et que nous offrions les meilleurs avantages industriels. Toutefois, le gouvernement des États-Unis a exigé du gouvernement de la Corée qu'il achète le système américain, sans quoi il menaçait de lui facturer la reconnaissance par satellite. Nous étions en concurrence avec l'organisme américain de ventes de matériel militaire à l'étranger, pour lequel il n'existe tout simplement pas de pendant canadien. Rien ici ne peut s'en rapprocher. Il s'agit d'une énorme machine de mise en marché militaire qu'auraient peine à concevoir les Canadiens. L'ambassade nous a beaucoup aidé. Elle a fait de son mieux.

Dans le domaine de la haute technologie, particulièrement de la haute technologie utilisée à des fins militaires, qui ne représente que 20 p. 100 environ de notre activité, si votre propre gouvernement n'achète pas de vous, vous êtes désavantagé au départ, sur un marché international. Bien que je ne prône pas des dépenses gouvernementales, le gouvernement a tout de même une responsabilité à la fois économique et fonctionnelle à l'égard des dépenses d'investissement canadiennes, non seulement dans le domaine de la défense, mais aussi dans le domaine civil. Il lui incombe aussi de voir aux répercussions de ses politiques sur les exportations, à l'acquisition de savoir à la Défense nationale, aux Transports, à Énergie atomique du Canada et au développement d'une culture. C'est certes ce qui se fait ailleurs.

Il faut que le gouvernement du Canada accorde à son industrie un traitement comparable à ce que font d'autres gouvernements. Nous avons une dette publique astronomique. Il est très difficile de composer avec elle actuellement. Il faut donc commencer par l'éliminer avant de prendre certaines mesures. Je ne préconise pas que le gouvernement du Canada fasse plus que d'être très conscient de ce qu'il faut pour être compétitif, du rôle qu'il a à jouer et de ce que font les autres gouvernements.

Dans le secteur des technologies de pointe, du moins dans le domaine scientifique qui nous concerne, que cela plaise ou non, les gouvernements sont de très importants clients. La plupart de nos clients dans le monde sont des gouvernements, tout simplement à cause de notre domaine d'activité. J'aimerais qu'il en soit autrement, mais voilà, c'est ainsi!

Le sénateur Andreychuk: Monsieur Stothert, vous préconisiez un plus grand recours aux délégués commerciaux canadiens en raison de leurs compétences en biens et services canadiens. Nous savons que certains aimeraient que les délégués commerciaux aient des affectations plus longues. Je remarque que le gouvernement a récemment pris des mesures pour maintenir en place des employés engagés sur place et pour leur offrir du perfectionnement afin qu'ils acquièrent peut-être plus de compétences dans leur domaine de responsabilité. Il faut que les Canadiens demeurent là pendant au moins 10 ans avant de pouvoir se faire des relations utiles, j'en conviens. Nous avons eu de bons échanges commerciaux là où nous avons engagé du personnel sur place, que nous l'avons formé et que nous l'avons gardé en poste pendant longtemps, des employés qui sont respectés, qui ont une bonne instruction et qui comprennent bien toutes les nuances de la machine interne. D'après ce que vous avez dit, j'en conclus que ce n'était pas le cas, pour vous. Ai-je raison?

M. Stothert: Tant les ambassades canadiennes que les hauts-commissariats avec lesquels nous avons travaillé, les nationaux que nous avons rencontrés, ne semblent pas avoir cette connaissance poussée.

Le sénateur Andreychuk: Certains dirigeants d'entreprise et capitaines industriels ont attribué leur succès aux employés du gouvernement. Je ne parle pas uniquement d'employés canadiens affectés aux ambassades, mais aussi des personnes engagées sur place qui ont de suite vu ce qui clochait et qui ont réussi à réagir avec suffisamment de rapidité pour régler les problèmes. Comme j'ai moi-même travaillé à l'étranger, je sais que c'est vrai.

M. Stothert: Je me réjouis d'apprendre que ceux qui ont une affectation prolongée assurent ce genre de service. Pour ce qui est de la fréquence de rotation des principaux agents de commerce, il est parfois arrivé que les trois ou quatre agents de commerce et d'investissement d'un important bureau à l'étranger soient tous réaffectés en l'espace de six mois. Il y a moyen d'éviter cela.

M. MacDonald: Le rendement des agents formés à nos ambassades et dans nos hauts commissariats est énormément fonction des qualités personnelles de chacun. Certains sont très bons, d'autres le sont beaucoup moins. Des ambassadeurs et des entreprises m'ont déjà demandé d'intervenir à Ottawa pour éviter une mutation. L'employé lui-même ne voulait pas de la mutation. Il a néanmoins été muté. Je pense qu'il existe un service à l'édifice Pearson dont le travail consiste à réaffecter les gens. Débarrassons-nous-en, et il n'y aura plus de problème!

J'imagine que c'est aussi le cas des employés engagés sur place. Mes contacts avec ces employés n'ont pas été bons, mais j'ai peut-être tout simplement été malchanceux.

Le sénateur Andreychuk: Il ne faut pas oublier le coût de la réinstallation. Les médias passent leur temps à nous rappeler que la réinstallation de chaque membre de la famille coûte au bas mot 25 000 $.

Le président: Voilà une préoccupation que nous mentionnerons certes dans notre rapport!

Le sénateur Corbin: M. MacDonald a mentionné les immenses possibilités commerciales qui s'offrent dans le domaine de l'environnement. J'aimerais que vous m'en disiez davantage à ce sujet et que vous nous décriviez les préoccupations de l'Asie dans ce domaine. Est-elle préoccupée par la qualité de son environnement? A-t-elle pu établir des normes et des programmes en vue de préserver une qualité de vie décente? Quels défis doit-elle relever? Comment pouvons-nous, en tant que Canadiens et Nord-Américains, satisfaire à ses attentes et à ses besoins? Qu'a votre propre entreprise, monsieur, à offrir en termes d'environnementalistes qualifiés en vue non seulement de promouvoir vos intérêts commerciaux, mais aussi d'aider ces divers pays à relever les défis?

Le président: Sénateur Corbin, puis-je poser une question supplémentaire avant que M. MacDonald ne réponde, parce que je m'interrogeais à ce même sujet, mais sous un autre angle?

Le sénateur Corbin: Faites, je vous prie.

Le président: Si l'on suppose que les gouvernements de ces régions sont conscients de la préoccupation, sont-ils capables de financer les installations voulues?

M. MacDonald: Ces questions recouvrent bien des éléments. Je commencerai par parler des possibilités commerciales. Ces possibilités viennent du fait que de nombreux pays d'Asie souhaitent se hisser dans l'échelle économique et en sont maintenant capables. Cela se traduit par une demande accrue d'infrastructures de production d'énergie et de transport. L'un d'entre vous a-t-il déjà essayé de rouler en automobile à Bangkok? La situation n'est guère plus reluisante à Kuala Lumpur ou à Jakarta. C'est le coeur du problème.

Les gouvernements d'Asie ont-ils les bonnes normes en place et comprennent-ils le problème? Ma première réaction serait de vous donner une réponse mitigée, mais, dans l'ensemble, non, ce n'est pas le cas. Comme tous les autres êtres humains, ils ne réagissent qu'à des crises, par exemple aux problèmes de circulation qu'éprouve Bangkok. Dans des endroits comme Singapour, le problème est bien compris et bien maîtrisé. Cependant, ailleurs, il ne l'est pas du tout. Ils n'ont certes pas le genre de normes de protection environnementale que nous avons ici, en Amérique du Nord, mis à part Singapour.

La capacité de financer de telles mesures est la raison pour laquelle j'ai parlé d'internaliser le coût de la protection environnementale. Il existe ici des établissements de recherche qui se spécialisent dans ce domaine. Moi-même, je suis loin d'être un expert. Quand on décide d'investir dans un projet ou d'en évaluer le coût, de nos jours, étant donné nos connaissances actuelles et la façon dont nous transigeons, le coût réel des dommages environnementaux n'entre pas dans le calcul. Nous ignorons encore comment le faire. Si nous n'apprenons pas à le faire, nous éprouverons de très graves difficultés à un certain moment donné.

Dans quelques semaines, je dois me rendre en France pour assister à une réunion du comité chargé du Programme international géosphère-biosphère, que l'on appelle communément le PIGB. Ce comité se préoccupe du dioxyde de carbone en présence dans l'atmosphère et de la façon de le mesurer. Nous sommes en train d'essayer de concevoir un modèle de l'atmosphère et des échanges atmosphère-océan. Le problème est grave, et nous risquons de ne plus pouvoir le maîtriser. D'après certains modèles, il y aura un effet de serre qui perturbera peut-être l'équilibre climatique. D'autres modèles prédisent qu'il n'y en aura pas. Par contre, si nous ignorons le problème et que les événements donnent raison à ceux qui disent qu'il y en aura, quand nous en prendrons conscience, il sera trop tard, et nous serons confrontés à une crise à côté de laquelle la dette canadienne semblera négligeable. Voilà le genre de questions auxquelles on s'attaque. Ce sont des questions mettant en jeu la qualité de vie à long terme.

Quelqu'un a demandé si les pays d'Asie ont la même définition de la qualité de la vie que nous. Dans leur propre contexte culturel, effectivement. Nous avons tous entendu parler des histoires d'horreur survenues au Japon. Nous connaissons tous la maladie de Minamata. Les gens là-bas en sont conscients. Par contre, allez savoir si elles nous inciteront à plus de prudence!

Comme notre entreprise est un des leaders mondiaux en observation de la Terre, notre principale contribution est la reconnaissance mondiale des ressources et de l'environnement, et nous fournissons certains outils pour le faire. C'est pourquoi je suis au courant de ce qui se passe dans ce domaine.

M. Stothert: Du côté industriel, non pas en construction automobile, mais surtout dans les exploitations de nouveaux sites, sans exception, les pays d'accueil nous demandent de respecter les mêmes normes de protection environnementale et antipollution qu'en Amérique du Nord. De toute façon, nous n'agirions pas autrement, pas plus que les autres consultants canadiens de bonne renommée.

Le sénateur De Bané: Vous avez dit que ces pays, comme tout le Canada, ont des ressources naturelles abondantes, mais que nous les devançons dans le domaine du savoir. De quels atouts disposons-nous, exception faite des niches spécialisées comme celle de M. MacDonald? Le Japon, dont la population représente la moitié de celle des États-Unis, produit plus d'ingénieurs chaque année que les États-Unis et, chaque année encore, il enregistre presque autant de brevets que les États-Unis. La Corée a offert d'acheter la division électronique de Thompson, en France, parce que le gouvernement français est incapable de bien la gérer. Avons-nous réellement une avance en simple ingénierie?

Je sais que l'entreprise de M. MacDonald a une niche très spécialisée, mais les entreprises de M. Stothert et de M. Crawford offrent-elles des biens et services que n'ont pas déjà ces pays?

M. Stothert: Nous collaborons avec des entreprises d'autres pays. J'ai mentionné entre autres des entreprises coréennes. Nous avons bâti une usine de pâtes et papiers au Bangladesh, de concert avec une entreprise coréenne. Nous avions aussi en cours à Cuba, de concert avec une société coréenne, un projet de 4 millions de dollars qui est actuellement en veilleuse.

De toute évidence, il existe une demande pour certaines compétences que nous avons dans le domaine de l'ingénierie, de la gestion de projets et, parfois, de la finance. L'Asie compte effectivement plus d'ingénieurs. Cependant, j'aimerais faire une remarque personnelle au sujet de l'enseignement en Asie. Les étudiants obtiennent de très fortes notes dans leurs matières de spécialisation parce qu'ils étudient avec des oeillères, en se concentrant sur un seul sujet et en l'apprenant par coeur. Nos ingénieurs ont une formation plus générale et une meilleure vue d'ensemble. J'aimerais que ceci reste entre nous, mais une fois qu'on a montré à leurs ingénieurs comment faire quelque chose, ils le font bien. Par contre, nos ingénieurs à nous ont plus d'initiative et plus d'ingéniosité en raison de leur formation. C'est une différence culturelle, et nous continuerons de jouir de cet avantage pendant quelque temps encore.

M. MacDonald: Je suis entièrement d'accord avec ce qu'a dit M. Stothert. Un de nos principaux clients est l'agence spatiale nippone. Je puis vous confirmer que ce qu'il dit est vrai.

M. Crawford: Dans la région Asie-Pacifique, la majorité des entreprises ont absolument besoin des compétences canadiennes. Cependant, j'exclurais le Japon. D'autres pays comme l'Inde et la Corée ont d'excellents ingénieurs, mais le Canada peut en profiter en adoptant, si je puis m'exprimer ainsi, la formule «Nike», en faisant faire à l'étranger une grande partie des travaux de génie de base. Le projet demeurerait canadien, mais une partie des travaux pourrait s'effectuer, par exemple, en Inde. Je connais une entreprise allemande qui procède ainsi actuellement. Tout s'effectue sur Internet. Le travail est géré à partir de l'Allemagne, mais il est effectué en Inde. Il est probable que ce genre de choses se produira de plus en plus souvent à long terme.

Le sénateur Perrault: Monsieur le président, ces trois exposés étaient excellents. Monsieur Stothert, vous nous avez décrit des projets qui sont de véritables cauchemars, en ce sens qu'après de nombreux efforts et beaucoup d'argent, ils ont échoué pour des circonstances indépendantes de votre volonté.

Protégeons-nous suffisamment les entreprises canadiennes qui s'aventurent à l'étranger dans ce monde fou de l'ingénierie internationale? Hier, des architectes qui ont témoigné devant le comité ont dit qu'il fallait mettre sur pied un programme d'assurance. Ils avaient perdu beaucoup d'argent dans des projets à l'étranger, des obligations n'avaient pas été respectées, et certains pays étaient revenus sur leurs promesses et engagements.

Avons-nous besoin d'un meilleur programme d'assurance pour aider des sociétés comme la vôtre dans leurs entreprises à l'étranger?

D'après votre présentation, le travail que vous faites comporte de très grands risques. Quel est le pourcentage de vos projets qui ont dû être abandonnés en raison de circonstances indépendantes de votre volonté?

M. Stothert: Notre expérience est une forme d'assurance. Vous connaissez le vieil adage selon lequel les mauvaises expériences vous apprennent le discernement. Nous devons être très sélectifs dans les projets que nous choisissons. Nous ne pouvons pas nous laisser emporter par notre enthousiasme.

Le sénateur Perrault: Avez-vous besoin d'une personne de la région sur place?

M. Stothert: Parfois nous avons besoin de l'aide d'un représentant local. C'est essentiel dans la plupart des pays en développement et des pays asiatiques.

J'ignore comment on pourrait mettre sur pied un type quelconque de programme d'assurance. J'ai parlé du mécanisme canadien de préparation de projets qui est un programme de l'ACDI et qui se rapproche d'une certaine façon de ce type de programme parce qu'il assure une partie du financement grâce auquel on peut déterminer si un projet existe bel et bien et s'il est faisable. On sait alors mieux si un projet comporte des risques importants.

Le sénateur Perrault: C'est peut-être une question de grands risques et de grandes récompenses, donc l'idée ne vous enthousiasme pas vraiment?

M. Stothert: Nous n'avons toujours pas trouvé ces récompenses mais nous poursuivons nos recherches.

Le sénateur Perrault: Monsieur MacDonald, il ne fait aucun doute que votre société a fait du chemin depuis qu'elle a été créée dans votre sous-sol il y a 28 ans. Pour l'information de certains de mes collègues ici présents, la société MacDonald Detweiller n'est pas seulement la belle histoire d'une réussite canadienne mais la belle histoire d'une réussite de la côte Ouest. Depuis sa création, dans combien de pays votre société a-t-elle mis sur pied des projets? Pouvez-vous nous donner une idée de ce que cela a représenté en dollars pour le pays? Je sais que c'est une question difficile.

M. MacDonald: Je ne sais plus avec combien de pays nous faisons affaire. J'ai traité avec tous les continents sauf l'Antarctique. Jusqu'à présent, nous avons traité avec tous les pays asiatiques sauf l'Indochine française. Nous y serons bientôt. Nous avons fait du commerce dans tous les pays européens et dans certains pays de l'Europe de l'Est avant même la chute du mur de Berlin. Nous avons fait des affaires dans plus de la moitié des pays d'Amérique latine et dans quelques pays africains. Au Moyen-Orient, nous avons commercé avec les deux camps.

Selon nos chiffres les plus récents, notre société peut commercer en 34 langues. Notre réceptionniste possède une base de données informatiques qui lui permet d'acheminer un interlocuteur vers une personne qui peut s'en occuper dans sa langue.

Le sénateur Perrault: Vous aimeriez que le gouvernement joue un rôle plus actif dans ce processus. S'il existait des mesures particulières que le gouvernement pouvait prendre cette année pour nous aider à accroître notre présence sur les marchés mondiaux de la haute technologie, quelles seraient-elles?

M. MacDonald: Je ne suis pas partisan d'augmenter les dépenses gouvernementales dans les circonstances actuelles. Nous reconnaissons tous que sur le plan financier le gouvernement a dans une grande mesure les mains liées.

Le gouvernement devrait contribuer à établir par divers moyens la crédibilité de l'industrie canadienne fondée sur le savoir. L'un des programmes les plus efficaces qui existait auparavant et qui existe encore je crois était le PEMBY. Pendant des années nous avons eu un compte renouvelable. Nous recevions un peu d'argent qui nous permettait d'obtenir un contrat, après quoi nous remboursions l'argent puis empruntions à nouveau et trouvions un autre contrat. C'était un petit programme peu coûteux et très efficace.

On a déjà fait valoir à plusieurs reprises l'importance de donner au délégué commercial les outils et le temps nécessaires pour qu'il se familiarise avec le milieu. C'est absolument essentiel en Asie et cela nous permettrait de réaliser des économies.

Il serait bon de mettre sur pied une stratégie dans le secteur des marchés publics pour aider tous les ministères à comprendre qu'ils ont une responsabilité en matière de développement industriel au même titre qu'une responsabilité opérationnelle. Finland Incorporated et Sweden Incorporated traitent avec l'industrie forestière et leurs gouvernements ont de très bons mécanismes de coordination.

Les Canadiens ont tendance à dévorer leur progéniture. Il existe une blague qui illustre ce fait. Connaissez-vous l'histoire des deux paniers de homards? L'un des paniers est recouvert d'un grillage et l'autre pas. Pourquoi, vous demandez-vous, l'un des paniers est-il recouvert d'un grillage? C'est parce qu'il contient des homards américains et que le grillage sert à les empêcher de s'échapper. Et l'autre panier? L'autre panier contient des homards canadiens; si l'un d'entre eux essaie de sortir du panier, les autres l'en empêcheront. Nous avons trop souvent tendance à rivaliser entre nous au lieu de collaborer. Le processus gouvernemental actuel n'améliore pas la situation.

M. Stothert: On a mis l'accent sur la technologie. Les sociétés d'experts-conseils, tant au pays qu'à l'étranger, vivent de la technologie que nous possédons. Un groupe de travail gouvernemental devrait examiner l'état de notre technologie. Nous développons la technologie, puis la perdons.

Il existe une anecdote intéressante à propos de Kvaerner en Norvège. Il s'agit d'un petit fabricant d'acier qui a travaillé sur les pontons d'exploitation pétrolière de la côte Nord. Ce projet lui a rapporté beaucoup d'argent. L'entreprise s'est ensuite mise à acheter des chantiers maritimes et à passer d'un projet à l'autre. Elle a maintenant un chiffre d'affaires d'environ 40 milliards de dollars américains par année et il ne lui a fallu probablement qu'une vingtaine d'années pour y arriver. Il y a 30 ou 40 ans, nous étions peut-être le principal pays sur le plan de la technologie et du matériel de pâtes et papiers. Aujourd'hui, nous n'avons pratiquement plus rien. La plupart de ce matériel a été acheté par les pays scandinaves. Comment y sont-ils arrivés? Comment la Société Kvaerner a-t-elle réussi à prendre autant d'expansion? Je dirais qu'elle a pu compter sur une certaine aide du gouvernement.

Si nous voulons conserver la technologie que nous développons ici chez nous et dont nous aurons besoin pour nos exportations, nous devons déterminer comment les Scandinaves ont procédé.

M. MacDonald: Une partie importante de la base de connaissances de l'industrie de l'aquiculture norvégienne a été créée en laboratoire à Nanaimo. L'idée d'une industrie du micro-ordinateur a pris naissance à Énergie atomique du Canada. Et la liste continue. C'est culturel.

À une époque, j'ai enseigné au MIT. J'ai toujours soutenu que les ingénieurs canadiens sont les meilleurs au monde. Je ne dis pas qu'ils sont parmi les meilleurs, mais qu'ils sont les meilleurs pour ce qui est de leur capacité de développement en matière de sciences et de technologie. Cependant, au niveau de l'exploitation des sciences et de la technologie, notre capacité est tout à fait désastreuse.

Le président: À qui en attribuez-vous la faute -- aux grosses entreprises, à la Banque mondiale?

M. MacDonald: Je l'ignore. C'est une question intéressante. Peut-être s'agit-il de notre mentalité coloniale dont nous n'avons pas réussi à nous débarrasser. Peut-être est-ce à cause de notre situation géographique, au fait que notre petite population soit dispersée sur un si vaste territoire. C'est peut-être une question de rivalités régionales. C'est peut-être une combinaison de tous ces facteurs. J'ignore quelle en est la cause véritable mais c'est un fait.

Un de mes amis m'a déjà dit que dès qu'une entreprise devient prospère, le gouvernement se met à acheter auprès d'une autre entreprise pour créer de la concurrence. C'est exactement ce qui est en train de se produire. J'ai toujours soutenu que la politique d'achat doit reconnaître que dans certains domaines, nous ne pouvons nous permettre qu'un seul fournisseur canadien parce que nous sommes une petite économie. C'est un aspect dont le gouvernement devrait tenir compte. Il faudrait qu'il évalue une entreprise en fonction de son rendement sur le plan des exportations, de sa capacité de créer de la richesse grâce aux exportations. Notre économie intérieure dans bien des industries ne créera jamais de grosses entreprises. C'est culturel. Nous devons commencer par reconnaître l'existence de ce problème. Il faut que le gouvernement montre la voie dans ce domaine. Les gouvernements n'ont pas besoin de dépenser beaucoup d'argent, mais nous devons adopter une orientation plus commerciale. Comme je l'ai déjà dit, c'est sans doute à cause de notre mentalité coloniale et de tout ce que cela suppose.

Le sénateur De Bané: À la fonction publique canadienne, il existe un petit programme de primes pour les cadres supérieurs qui ont fait preuve d'un rendement remarquable. Comment réagiraient les milieux d'affaires canadiens si on accordait également des primes aux délégués commerciaux qui jouent un rôle essentiel auprès des entreprises canadiennes en les aidant à obtenir des marchés à l'étranger? Quelle serait la réaction des milieux d'affaires canadiens?

M. MacDonald: C'est une excellente idée.

Le sénateur De Bané: Il faudrait bien entendu que ce soit le gouvernement canadien qui subventionne ce programme.

Le président: Pourquoi?

Le sénateur De Bané: J'ai mes propres raisons de croire que le gouvernement canadien devrait subventionner ce programme et non les milieux d'affaires. Il faudrait que les milieux d'affaires justifient leur choix et expliquent pourquoi ils considèrent que cette personne a joué un rôle important.

Comme vous l'avez déclaré, certains délégués font un travail remarquable et d'autres un travail déplorable. Cela devrait se refléter dans leur rémunération. S'ils apportent effectivement une contribution, cela devrait être reconnu et ils devraient avoir droit à une prime. Les primes ne devraient pas être uniquement offertes aux fonctionnaires qui travaillent à Ottawa.

M. MacDonald: La plupart de nos vendeurs sont payés à la commission. La plupart de nos cadres reçoivent des primes au rendement. Je ne vois pas pourquoi la situation devrait être différente.

Le sénateur De Bané: Les fonctionnaires qui vous aident devraient recevoir des primes.

M. Stothert: Je crois que la prime, comme vous le proposez, devrait être payée par le gouvernement. C'est la seule façon d'assurer l'impartialité.

Le sénateur Corbin: Plus tôt, M. Crawford voulait ajouter une observation à propos de la question de l'environnement. On pourrait peut-être lui en donner l'occasion maintenant.

Le président: Oui. N'oubliez pas que nous ne disposons pas de beaucoup de temps, monsieur Crawford.

M. Crawford: Je serai bref. Mon observation ne concerne pas l'environnement. Elle concerne la question posée par le sénateur Perrault qui voulait savoir si nous avions un but précis. Dans mon mémoire, j'ai parlé de maximiser nos investissements. Comme M. MacDonald l'a mentionné, nos fonds sont limités. Une approche ciblée sur les principaux marchés stratégiques et les industries clés où le Canada possède un grand savoir-faire permettrait de maximiser nos investissements.

Le président: Chers collègues, nous avons demandé au professeur Richard Harris de se joindre à nous pour le déjeuner. Il est l'éditeur d'un ouvrage extrêmement intéressant: The Asia Pacific Region in the Global Economy: A Canadian Prospective.

J'aimerais inviter MM. Crawford, MacDonald et Stothert à se joindre à nous pour le déjeuner. Bien sûr, vous n'y êtes pas obligés.

Vous nous avez fourni des renseignements très intéressants et nous tenons à vous en remercier.

La séance est levée.


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