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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 8 - Témoignages


OTTAWA, le jeudi 27 novembre 1997

Le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi S-5, Loi modifiant la Loi sur la preuve au Canada, le Code criminel et la Loi canadienne sur les droits de la personne relativement aux personnes handicapées et, en ce qui concerne la Loi canadienne sur les droits de la personne, à d'autres matières, et modifiant d'autres lois en conséquence, se réunit aujourd'hui, à 10 h 54, pour examiner le projet de loi.

Le sénateur Lorna Milne (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Honorables sénateurs, nous allons d'abord entendre les représentants du Barreau du Québec.

Vous avez la parole.

[Français]

Mme Carole Brosseau, avocate, service de recherche et législation, Association du Barreau du Québec: Madame la présidente, d'entrée de jeu, j'aimerais remercier le comité sénatorial de nous avoir invitées à faire nos représentations sur le projet de loi S-5. Nous représentons le Barreau du Québec. Je suis avocate au service de recherche et législation. J'ai le plaisir d'être accompagnée aujourd'hui de Mme Madeleine Caron dont j'expliquerai le profil professionnel dans quelques instants.

J'aimerais d'abord vous présenter le rôle du Barreau du Québec qui est prescrit par la loi. Nous avons un rôle de protection du public et lorsque nous faisons des représentations nous avons toujours ce rôle à l'esprit. Nous ne présenterons pas les intérêts d'aucun groupe, mais nous essayerons de voir quel est le meilleur intérêt du public dans les projets de loi présentés.

Le Barreau du Québec fonctionne de la façon suivante: nous consultons des spécialistes dans chacun des domaines concernés qui sont des comités aviseurs. Ultérieurement, avec l'aide de ces comités, nous élaborons nos positions officielles qui sont entérinées par le bâtonnier ou le cabinet du bâtonnier, ou encore par les instances décisionnelles du barreau qui sont le comité administratif et le conseil général. Cela vous donne un aperçu de notre façon de fonctionner.

Nous avons consulté, dans le cadre de l'étude du projet de loi S-5, deux comités de travail: un comité créé particulièrement dans le domaine du droit administratif et des droits de la personne, ainsi que le comité permanent en droit criminel qui a comparu plusieurs fois devant le comité sénatorial. Vous avez le nom des personnes consultées dans le cadre de l'élaboration du mémoire présenté aujourd'hui. Voilà pour ce qui est de la structure et de la présentation initiale.

Je vous indique que Mme Caron est spécialiste dans le domaine des droits de la personne. Elle est avocate depuis de nombreuses années et elle est depuis 1979 au service de la Commission québécoise des droits de la personne, où elle a occupé le poste de chef du contentieux de 1986 à 1997. En ce qui a trait aux aspects du droit de la personne du Tribunal canadien des droits de la personne et des modifications à la Loi canadienne des droits de la personne, je vais céder la parole à Mme Caron.

Compte tenu des délais qui nous étaient impartis, nous avons utilisé pour les fins de l'étude du projet de loi, la copie du projet de loi C-98, qui a été déposé en avril dernier. J'ai fait une vérification et les articles du projet de loi S-5, et ceux du projet de loi C-98 correspondent. Pour les fins de l'étude, nous avons utilisé la version du projet de loi C-98 pour accélérer nos travaux. Toutes les références aux articles sont prises à partir du projet de loi C-98.

Je vais commencer par les dispositions qui sont prévues dans le projet de loi sur la Loi sur la preuve et au Code criminel. Quant à la Loi sur la preuve, je pense qu'il est du désir du législateur d'accommoder les personnes handicapées pour qu'elles participent davantage au processus judiciaire.

Par ailleurs, en ce qui concerne les modifications au Code criminel, on aurait deux commentaires à faire valoir. Il s'agit du nouvel article 153.1 proposé par l'article 2 du projet de loi C-98. On y crée une infraction particulière lorsqu'une personne en situation d'autorité profite sexuellement d'une personne ayant une déficience mentale ou physique. On comprend dans quel esprit cet article a été introduit dans le projet de loi. Cependant, lorsqu'il s'agit d'une personne majeure et handicapée, les dispositions des articles 151 et 152 du Code criminel prévoient, dans le cas d'une personne inculpée, une peine pouvant aller jusqu'à 10 ans, alors que le nouvel article 153.1 indique une peine maximale de 5 ans pour une infraction comparable.

On pense qu'il s'agit de deux situations comparables dans les faits qui entraîneraient des sanctions différentes. Le cas d'une personne mineure est déjà couvert à l'article 153. On s'interroge sur le fait de créer une nouvelle infraction dans cet esprit.

Mon deuxième commentaire tient compte de l'article 3 du projet de loi qui modifie l'article 627 du Code criminel. Il s'agit à ce moment, d'accommoder un juré ayant une déficience physique mais capable de remplir de manière convenable ses fonctions en utilisant une aide technique ou autre, ou des services d'interprétation. Dans ce cas, il s'agit d'une interrogation que l'on voudrait vous soumettre.

Nous avons des réserves. Il ne faut pas oublier qu'il s'agit de la constitution d'un jury. Il s'agit toujours d'infractions graves. En conséquence, lorsqu'il y a besoin d'une aide technique, nous pensons, par exemple, à une déficience auditive, on peut utiliser un interprète qui constituerait un treizième juré éventuellement. L'interrogation que nous avons dans ces cas est la suivante: est-ce que cette personne serait un treizième juré qui participerait aux délibérations du jury en question?

Il faudrait s'assurer de moyens pour que l'aide technique ne soit pas un treizième juré dans les cas où il y aurait un juré handicapé, souffrant d'un handicap auditif.

Il s'agit plus d'une interrogation que vraiment d'un inconfort vis-à-vis cette question. Cela complète les deux aspects relativement aux modifications du Code criminel.

Je vais céder la parole à Mme Caron. Nous allons traiter des modifications apportées à la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Mme Madeleine Caron, avocate, membre, sous-comité sur le projet de loi S-5, Association du Barreau du Québec: Le premier article sur lequel nous avons des commentaires est l'article 8. Sur le fond, nous sommes tout à fait d'accord que l'on prévoie des mesures visant à la satisfaction des besoins des personnes handicapées. Nous sommes d'avis que le texte français est peut-être plus fort et plus proactif que le texte anglais. Le texte français parle de prise de mesures visant à la satisfaction des besoins. Ce n'est pas une remarque fondamentale. On devrait harmoniser le texte anglais pour avoir cette idée proactive dans la protection des personnes et le respect de l'égalité.

L'article 9.2 et 9.8 sont très intéressants. L'article 9 modifie l'article 15.

Le sénateur Cogger: On n'arrive pas à vous suivre. On ne procède pas à partir du même texte.

Mme Caron: Alors est-ce que ce serait l'article 8 du projet de loi? Est-ce qu'il y aurait une différence avec le projet de loi S-5?

Le sénateur Cogger: Avez-vous le projet de loi S-5?

Mme Brosseau: L'article 8 est maintenant l'article 9.

Mme Caron: Vous avez raison, c'est l'article 9 du projet de loi S-5 qui modifie l'article 2 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Nous sommes d'accord avec cette disposition. Nous remarquons que le texte français de l'article 9 est plus fort que le texte anglais. Il parle expressément de prise de mesures visant à la satisfaction des besoins.

Cette prise de mesures indique une intervention proactive. Nous sommes tout à fait d'accord avec cette formulation. Elle pourrait être reprise plus explicitement dans le texte anglais.

Le deuxième article, l'article 10 modifie l'article 15 qui prévoyait des actes non discriminatoires. L'article 10(2) définit la contrainte excessive.

Les faits prévus à l'alinéa(1)a) [...] constituent, pour la personne qui doit les prendre, une contrainte excessive en matière de coûts, de santé et de sécurité.

L'article 10(2) limite la contrainte excessive dans les matières de coûts, de santé et de sécurité. La jurisprudence, particulièrement celle de la Cour suprême, a bien défini la contrainte excessive en matière d'accommodement et de discrimination. Nous craignons que la notion soit restreinte par ce paragraphe avec les définitions données. On pourrait se limiter à parler de contraintes excessives et laisser l'interprétation jurisprudentielle définir les contours de cette notion.

Mme Brosseau: Pour ce qui est de cet article, on avait un commentaire favorable. Maintenant les critères d'évaluation par règlement par le gouverneur en conseil seront prépubliés. Les règlements seront prépubliés en ce qui concerne la Loi canadienne sur les droits de la personne. Le Barreau du Québec avait déjà fait des représentations devant le comité permanent de la Justice dans le cadre du projet de loi C-25, la Loi fédérale sur les règlements. On avait suggéré au gouvernement d'emprunter au système québécois qui exigeait la prépublication de tous les règlements.

Dans le domaine des droits de la personne, il s'agit d'un domaine qui touche particulièrement le public. Cette prépublication est un élément favorable, à notre avis. On voudrait souligner cette position. C'est très intéressant et même important.

Mme Caron: L'article 10(9) mérite encore la même remarque que précédemment. On semble avoir une définition particulière de l'exigence de l'emploi imposée aux Forces armées canadiennes. Il ne devrait pas y avoir une définition de cette notion particulière aux Forces armées canadiennes. La jurisprudence, de toute façon, a reconnu que les Forces armées canadiennes exigent certaines capacités particulières. Il semble inutile d'avoir une définition spéciale pour les Forces armées canadiennes. La jurisprudence n'a pas amené des abus dans ce domaine.

L'article 14 concerne les représailles. Le Barreau du Québec est d'accord que l'on prévoit que des représailles contre une personne qui se plaint de discrimination soient considérées comme un acte discriminatoire. Nous suggérons cependant d'avoir la possibilité de mesures d'urgence ou de mesures d'intervention immédiate. Quand une personne porte plainte pour discrimination et que, par exemple, son employeur utilise des représailles à son égard, il ne faut pas attendre que toute l'enquête soit terminée pour se présenter devant un tribunal pour avoir des mesures particulières pour arrêter ces représailles. Nous suggérons qu'il puisse y avoir des mesures d'urgence dans ce cas.

Mme Brosseau: Par rapport à notre mémoire, il y a un décalage d'un article à chaque fois. Au lieu de lire l'article 8, vous lirez l'article 9, c'est la différence par rapport à C-98.

L'article 19 modifie l'article 25 du projet de loi et définit l'«emploi» en y assimilant un contrat conclu avec un particulier pour la fourniture de services. Nous sommes d'accord avec cette disposition qui protège contre la discrimination l'employé contractuel par exemple, ou l'employé engagé par l'intermédiaire d'une agence de placement.

L'article 23 du projet de loi permet à la commission -- c'est la commission qui se présente devant ce tribunal dont on parlera plus tard -- de joindre des plaintes devant le tribunal. Le barreau suggère -- et cela va revenir un peu plus tard lorsqu'on va parler de la nécessité de faire plus de distinction et d'avoir une plus grande distance entre le tribunal et la commission -- d'insister que ce soit le tribunal qui puisse ordonner la jonction des plaintes. On pourrait avoir une formulation qui serait la suivante: le tribunal peut, sur requête de la commission, ordonner la jonction des plaintes. Cette formulation semble laisser croire que dès que la commission demande la jonction des plaintes, le tribunal doit l'accorder. Le tribunal doit avoir plus de distance. La commission est un organisme administratif, le tribunal a des fonction d'adjudication.

Cela nous mène maintenant au chapitre sur le Tribunal canadien des droits de la personne, l'article 27 du projet de loi, à la page 12. De façon générale, nous prenons acte de l'intention de créer un Tribunal canadien des droits de la personne qui a une certaine permanence. Le barreau est d'accord avec cela. Mais nous vous ferons remarquer que l'indépendance du tribunal pourrait être davantage affirmée par rapport à la commission, à l'administration publique et, notamment, au ministère public.

Dans notre mémoire nous faisons allusion aux critères d'indépendance judiciaire. Je ne veux pas réciter au complet notre mémoire, mais à la page 9 de notre mémoire nous citons madame le juge McLlaughlin qui dit, en particulier, et je cite:

La condition capitale du maintien de l'indépendance judiciaire est que les relations entre le pouvoir judiciaire et les autres organes du gouvernement ne doivent pas empiéter sur les pouvoirs et fonctions essentiels du Tribunal [...]

Il faut que ce tribunal fonctionne de façon impartiale mais qu'il soit aussi perçu de cette façon par une personne raisonnable et sensée. Le Barreau du Québec note que le projet de loi fédéral n'est pas identique à celui qui existe au Québec. Au Québec, le Tribunal des droits de la personne est un tribunal judiciaire parce que les auditions sont présidées par des juges permanents. Nous ne demandons pas cela au tribunal fédéral. Cependant, comme nous en avons parlé précédemment, il faudrait que la loi soit très claire quant au statut distinct du tribunal et de la commission: la commission par requête peut faire des demandes et le tribunal décide. La loi doit être claire sur ce point. Sinon, dans des situations particulières où un particulier peut penser que le tribunal a cédé aux pressions de la commission, cela donne lieu à des litiges et le texte de la loi n'aiderait pas à résoudre ces litiges.

L'article 48.3 du projet de loi S-5, donne au ministre de la Justice beaucoup de pouvoir relativement aux mesures correctives ou disciplinaires qui peuvent être ordonnées à un membre du tribunal. Cela est flagrant dans l'article 48.3: le ministre de la Justice peut agir sur un membre du Tribunal des droits de la personne en matière disciplinaire. Cela nous semble incongrue et surprenant. Il faudrait que cet article soit révisé.

L'article 48.5 indique, et je cite:

Les membres à temps plein doivent résider dans la région de la capital nationale ...

Le barreau croit que cette disposition aura pour effet de rendre difficile le recrutement de gens de haut calibre parce que les membres seront choisis à travers le Canada. Nous comprenons mal cette obligation, compte tenu des moyens modernes de communication, et nous nous interrogeons sur l'importance d'une résidence permanente en périphérie. Nous croyons que les membres du tribunal ne devraient pas nécessairement résider tous dans la région de la capitale nationale, surtout que les causes viennent de partout au Canada.

Mme Brosseau: Un des principes ou un des objectifs de cette disposition était d'assurer la représentativité des régions au tribunal. Compte tenu des mouvements de personnes et compte tenu des mouvements des familles, on doute aussi de la possibilité d'atteindre l'objectif de représentativité des régions, toujours en ayant en mémoire que l'on veut des gens, siégeant sur ce tribunal, qui soient les plus compétents possibles. La compétence des membres du tribunal est aussi un des objectifs pour en assurer le bon fonctionnement. On a des doutes sérieux là-dessus.

Mme Caron: Un jugement récent de la Cour suprême a traité de cette question de résidence obligatoire dans un endroit donné pour remplir des fonctions. Il faudrait une corrélation étroite entre les exigences de cette fonction et l'obligation de résidence. On peut se référer à l'affaire Godbout c. la Ville de Longueuil.

Mme Brosseau: Dans le projet de loi S-5, à l'article 48.8, ces dispositions ne sont pas modifiées. À la page 17 du projet de loi, l'article 48.8 (2) permet au président, et je cite:

[...] du Tribunal peut engager des experts pour aider et conseiller les membres [...]

Le Barreau du Québec ne s'objecte pas à la présence d'experts. Cependant, cette présence d'experts peut poser un problème de transparence lorsque l'expertise en question tiendra compte de faits nouveaux. Il faut noter ici qu'il s'agit de l'expert du tribunal et non pas l'expert des parties en cause. Si l'expert qui sera responsable, mentionne des faits nouveaux, il devrait y avoir absolument un processus de divulgation de ces expertises pour permettre aux parties de prendre en considération ces expertises, de façon à pouvoir les analyser et contre-interroger l'expert de la cour.

Actuellement, le projet de loi ne mentionne aucune possibilité de divulgation sur des faits nouveaux. Nous sommes d'avis que cela devrait faire partie intégrante du projet de loi S-5. Nous ne sommes pas contre le principe, mais dans le cas où il y a des faits nouveaux, il devrait y avoir des modalités de divulgation de la preuve.

Le sénateur Beaudoin: Est-ce l'article 48?

Mme Brosseau: L'article 48.8 (2). Ce serait un ajout important.

Mme Caron: L'article 49.(1) est un exemple d'une trop grande promiscuité entre la commission et le tribunal. On y lit:

La Commission peut, à toute étape postérieure au dépôt de le plainte, demander au président du Tribunal, de désigner un membre pour instruire la plainte, [...]

Premièrement, cela donne l'impression que la commission peut choisir ses juges; ce qui n'est pas le but de la disposition. Le tribunal a une juridiction; la commission dépose des plaintes et le tribunal en dispose selon sa juridiction. Mais, il ne devrait pas y avoir cette formulation de communication administrative entre la commission et le tribunal.

Pour ce qui est du paragraphe (2) de l'article 49, nous faisons la même remarque à savoir que cela ne devrait pas être sur demande de la commission que le président désigne un membre.

Au paragraphe (3), le barreau a des commentaires sur les personnes qui doivent assumer la présidence de ces tribunaux. Le barreau considère que la présidence du tribunal devrait, en tout temps, être confiée à une personne qui a une formation juridique pour les raisons suivantes: l'administration de ces causes, comme d'autres d'ailleurs, exige une connaissance de la jurisprudence et des règles de la preuve. Les tribunaux des droits de la personne ne sont pas tenus strictement à l'observation des règles habituelles en matière de preuve, mais pour échapper à la rigueur de la procédure et de la preuve, il faut que les personnes en autorité les connaissent pour mieux les évaluer. Cependant, dans le projet de loi il n'y a que dans certaines circonstances où une personne ayant une formation juridique doit présider les auditions. Nous croyons que dans tous les cas, cela devrait être une personne ayant une formation juridique; pour les raisons de preuve et de connaissance du droit et de la jurisprudence.

Mme Brosseau: Je vais vous référer à l'article 50. (1) du projet de loi S-5, à la page 19 et je cite;

Le membre instructeur, après avis conforme à la Commission, aux parties et, à son appréciation, à tout intéressé, instruit la plainte pour laquelle il a été désigné; il donne à ceux-ci la possibilité [...]

J'insiste sur ces mots:

[...] pleine et entière de comparaître et de présenter, en personne ou par l'intermédiaire d'un avocat, des éléments de preuve ainsi que leurs observations.

Quand on parle de «possibilité pleine et entière» cela fait toujours référence à un élément qui relève du droit criminel. Dans un contexte de droit de la personne, ce caractère est beaucoup trop fort. Il n'est pas question d'un caractère répressif; ce n'est pas l'esprit d'une loi sur les droits de la personne.

Nous sommes d'avis que l'exigence pourrait aller jusqu'aux critères qui sont énumérés dans l'arrêt Stinchcombe de la Cour suprême; ce qui est exorbitant de l'objectif du projet de loi.

Le sénateur Gigantès: Pourriez-vous élaborer sur votre objection? Quel est le danger?

Mme Brosseau: Les mots «pleine et entière» font référence à une notion de droit criminel. Dans un contexte de droit de la personne, il ne faut pas invoquer le droit criminel, parce que les mesures appropriées sont des mesures correctrices et non pas des mesures répressives.

Au niveau de la preuve, dans l'arrêt Stinchcombe le procureur de la Couronne est tenu de divulguer à la défense l'ensemble de sa preuve. Si nous nous plaçons dans l'esprit de la commission qui aura recueilli la preuve pour et au nom du tribunal, elle sera dans une situation très désagréable si elle doit divulguer l'ensemble de sa preuve à la partie défenderesse en l'espèce. Le degré de preuve est vraiment exorbitant. Cela est exorbitant de parler de «preuve pleine et entière». Si l'on enlevait ces deux mots, cela pourrait satisfaire à nos besoins.

Le sénateur Gigantès: En soi, est-ce que cela est toujours mauvais que la commission soit devant une situation désagréable?

Mme Caron: La question n'est pas de savoir si la commission peut être dans une situation désagréable ou non. La question qui se pose c'est qu'en matière de droit de la personne, nous ne sommes pas en matière répressive ou pénale au criminelle, nous sommes en matière de prévention et de correction et de réparation. Cependant, lorsque nous parlons de «défense pleine et entière», nous sommes carrément dans le domaine du droit criminel. En droit civil, l'on parle plutôt de la possibilité de présenter tous les éléments de preuve, de faire valoir tous ses moyens. Ce sont les mots «pleine et entière» qui allument une chandelle de droit criminel, qu'il faudrait éviter. Bien entendu, les partis doivent avoir la possibilité de présenter toutes les preuves.

Mme Brosseau: De faire valoir pleinement la preuve, mais pas d'une «preuve pleine et entière» comme on l'entend au niveau de la défense.

Le sénateur Gigantès: Je voudrais une exemple concret.

Le sénateur Losier-Cool: Est-ce que les mots anglais «full and ample» ont la même signification?

Le sénateur Cogger: Je pense que l'on ne doit pas appliquer les termes «pleine et entière» au degré de preuve qui doit être offert. On parle de la possibilité pleine et entière de comparaître. Cela n'a rien à voir avec le degré de preuve. Je ne vois pas où vous faites le lien. Ce sont des termes consacrés utilisés au criminel.

Le sénateur Losier-Cool: C'est la possibilité qui est pleine et entière.

Le sénateur Cogger: Cela m'apparaît très correct comme intention de la part du législateur.

Mme Caron: C'est une question de formulation, vous pouvez utiliser l'«entière possibilité ou la pleine possibilité de comparaître». Les jargons sont ainsi faits. Ils permettent des choses.

Mme Brosseau: Cela peut être un danger, une assimilation dans le langage.

[Traduction]

Le sénateur Cogger: Le projet de loi parle de la possibilité pleine et entière de comparaître, de présenter des éléments de preuve ainsi que des observations.

Le sénateur Lewis: Cela n'a rien à voir avec la preuve.

Le sénateur Cogger: C'est ce que je dis. Cette expression n'a rien à voir avec le degré de preuve.

[Français]

Mme Brosseau: Quand nous faisons ces représentations, nous ne le faisons pas avec l'objectif de dire que c'est bon ou mauvais. C'est une mise en garde sur la terminologie. Cela nous apparaît trop fort. Il faut faire valoir pleinement une preuve. Il faut faire valoir pleinement nos prétentions, mais les mots «pleine et entière» nous paraissent un peu fort.

[Traduction]

La présidente: Est-ce que les membres du comité préfèrent qu'on poursuive cette discussion ou qu'on entende le reste de l'exposé?

Le sénateur Beaudoin: J'aimerais qu'on règle cette question parce qu'une erreur a été commise en quelque part.

[Français]

Dans l'arrêt que vous avez cité, c'est la défense «pleine et entière». Ce n'est pas la comparution «pleine et entière». Cette terminologie ne me gêne pas. L'accusé a une défense «pleine et entière». Que la comparution soit complète, je n'ai aucune objection. C'est une question de libellé.

Mme Brosseau: C'est strictement cela. Ils ont emprunté un mauvais langage qui pourrait amener cette interprétation.

Le sénateur Beaudoin: Peut-être que le mot «entière» aurait suffi.

Mme Brosseau: Exactement.

Le sénateur Beaudoin: Je ne refuserais pas le projet de loi juste pour cela.

Mme Brosseau: Non, mais vous pouvez apporter des modifications dans vos commentaires ou dans votre rapport. Vous pouvez le faire valoir. Le Barreau du Québec vous fait une mise en garde. Nous n'avons pas d'intérêt sauf celui de voir à ce que la législation puisse être appliquée et applicable dans l'esprit des lois que l'on connaît actuellement.

[Traduction]

Le sénateur Beaudoin: Madame la présidente, il ne reste que 15 minutes. Je suis certain que nous avons tous des questions à poser. Je voudrais parler de l'indépendance du tribunal. J'aimerais beaucoup qu'on aborde ce point.

La présidente: Puisque personne d'autre n'a réservé cette pièce, nous pouvons interroger le groupe encore un peu. Les autres témoins sont prêts à comparaître.

Le sénateur Doyle: J'aimerais poser une autre question sur la permanence des juges. Si ce sont des juges qui président les auditions, les décisions seront rédigées en termes juridiques, ce qui ne sera pas le cas si c'est un travailleur social qui agit en qualité de juge. Nous pourrions peut-être revenir sur ce point lorsque nous débattrons de l'opportunité de nommer des juges au tribunal.

Je suis impressionné par le fait que ce soit des juges au Québec qui président les audiences. On tient compte de la différence qui existe entre mesures correctives et mesures répressives.

C'est à vous de décider, madame la présidente, si nous devons régler cette question tout de suite, ou si nous allons attendre d'en discuter plus tard.

La présidente: Je suggère que vous abordiez ce point plus tard.

Le sénateur Losier-Cool: J'aimerais parler de l'expression «possibilité pleine et entière».

[Français]

Est-ce que cela a la même connotation ou le même danger? Cela allume-t-il les mêmes lumières pour vous?

Mme Brosseau: Oui.

Le sénateur Losier-Cool: Que la responsabilité entière, parce que «full and ample opportunity», on voit tout de suite que c'est l'opportunité de comparaître.

Le sénateur Beaudoin: En droit criminel, la défense «pleine et entière» est un concept.

Le sénateur Losier-Cool: On ne parle pas de défense.

Le sénateur Cogger: En français, c'est la possibilité «pleine et entière». C'est la même chose qu'en anglais.

Mme Caron: Nous passons maintenant à l'article 51, et je cite:

En comparaissant devant le membre instructeur et en présentant ses éléments de preuve et ses observations, la Commission adopte l'attitude la plus proche, à son avis, de l'intérêt public, compte tenu de la nature de la plainte.

Tout le processus, devant le Tribunal des droits de la personne, comme cela existe dans les autres tribunaux des droits de la personne au Canada et au Québec, est de type inquisitoire. Le tribunal peut lui-même aller rechercher des preuves. Nous remarquons dans cet article la discrétion qu'a la commission pour défendre l'intérêt public. On dit «que la Commission adopte l'attitude la plus proche, à son avis, de l'intérêt public». Nous croyons que la commission ne devrait pas jouir d'une telle discrétion mais que le projet de loi devrait indiquer son obligation de représenter les intérêts de la victime en tenant compte, par ailleurs, de l'intérêt public. Il faudrait enlever l'aspect discrétionnaire donné à la commission.

À l'article 53(2), nous trouvons que nous glissons vers les aspects criminels. La Cour suprême a, à plusieurs reprises, indiqué que les lois sur les droits de la personne sont des lois préventives et réparatrices et non pas des lois punitives et répressives. L'article 53(2), mentionne que: «le membre instructeur peut ordonner à la personne trouvée coupable d'un acte discriminatoire...». Nous voudrions que le projet de loi enlève l'expression «trouvée coupable». On peut tout simplement dire: tenue responsable d'un acte discriminatoire. C'est une question de formulation pour éviter la connotation criminelle à une loi sur les droits de la personne.

Le même article parle de la possibilité pour le membre instructeur d'ordonner, selon les circonstances, à la personne trouvée responsable d'un acte discriminatoire, certaines mesures. Nous trouvons préférable, au lieu de parler de circonstances, de dire en fonction de la preuve recueillie. Ce serait plus objectif que de parler de circonstances. Le membre instructeur peut ordonner, en fonction de la preuve obtenue, tel dommage ou telle réparation.

[Traduction]

Le sénateur Gigantès: La traduction de cette disposition pose de sérieux problèmes. La personne qui l'a traduite doit être d'origine française parce qu'elle utilise l'expression «membre instructeur», un concept qui ne figure pas du tout dans la version anglaise. Celle-ci utilise plutôt l'expression «member or panel».

[Français]

En français, c'est ce que l'on dit, mais ce n'est pas cela en anglais. En anglais, ils disent «the member or panel».

Mme Caron: Parfois la loi prévoit un membre du tribunal ou trois membres selon le genre de cause.

Le sénateur Gigantès: Mais le mot «instructeur» signifie en français juge d'instruction. Pour moi, la traduction pose des problèmes linguistiques.

[Traduction]

La présidente: Je tiens à dire au comité que les projets de loi ne sont pas traduits. Ils sont rédigés séparément dans les deux langues. C'est peut-être pour cette raison qu'on a utilisé l'expression «membre instructeur».

Le sénateur Cogger: Je suis d'accord avec le sénateur Gigantès. Le mot «panel» ne figure pas dans la version française. Il se peut que l'expression «membre instructeur» rende bien le sens du mot «member», mais le mot «panel», lui, ne figure pas dans la version française.

Le sénateur Gigantès: Les rédacteurs ne se consultent pas? Est-ce qu'ils ne sont pas bilingues?

La présidente: C'est une question que nous pourrions poser au ministre. Nous allons en prendre note.

Nous allons poursuivre notre discussion, mais en surveillant le temps qui nous reste.

[Français]

Mme Caron: La dernière disposition sur laquelle nous avons des commentaires, à la page 22, est l'article 54, qui prévoit le cas particulier d'une plainte basée sur la propagande haineuse. Des sanctions particulières sont prévues dans cette loi par rapport à des actes de propagande haineuse. Le barreau souligne que la propagande haineuse est déjà interdite par le Code criminel. Il peut y avoir dans cette Loi sur les droits de la personne des possibilités de mesures réparatrices pour la propagande haineuse. Nous suggérons d'éliminer des sanctions parce que cela ferait double punition par rapport au Code criminel. Nous suggérons d'enlever l'article 54(1)c), qui prévoit l'ordonnance imposant une sanction d'au plus 10 000 $, et l'article 54(1.1) qui parle de la sanction pécuniaire.

Le sénateur Beaudoin: À quelle page?

Mme Caron: Page 22, l'article 54(1)c) et 54(1.1). Ceci termine les représentations du Barreau du Québec.

[Traduction]

La présidente: Merci beaucoup. Vous nous avez présenté une analyse détaillée du projet de loi, et je sais que les membres ont de nombreuses questions à vous poser.

Le sénateur Beaudoin: Comme les questions vont être nombreuses, je vais me limiter à un ou deux points.

[Français]

D'abord, je vous félicite. Ce n'est pas tous les jours que le Barreau du Québec, le Barreau canadien ou celui de l'Ontario viennent devant nous. Nous sommes toujours intéressés à avoir les opinions des barreaux.

Il y a un point qui me frappe dans tout ce que vous venez de dire, c'est l'indépendance judiciaire. J'ai l'impression que peut-être au Québec, le système est probablement plus respectueux de l'indépendance judiciaire. Je suis d'accord avec vous que le président d'un tribunal sur les droits de la personne doit être un juriste. Ce n'est pas une nécessité constitutionnelle mais je pense que cela est une bonne chose. J'aimerais, en quelques mots, que vous nous expliquiez comment cela se passe au Québec. C'est un juriste qui préside les tribunaux des droits de la personne. Ceci n'exclut pas que d'autres membres soient des non-juristes, mais qu'il aient une expérience très grande dans le domaine des droits de la personne. Ce système est meilleur, d'après moi. Je me demande si on ne devrait pas l'adopter au niveau fédéral. En deux mots, quelle est la situation au Québec?

Mme Caron: Au Québec, il y a un Tribunal des droits de la personne: ce tribunal est formé d'un président, qui est un juge de la Cour du Québec. C'est un juge permanent nommé à vie.

Le sénateur Beaudoin: Un juge régulier, professionnel.

Mme Caron: Oui, et il y a deux autres juges à temps partiel mais qui sont aussi des juges réguliers de la Cour supérieure du Québec. La formation qui entend les causes est aussi formée d'un juge et de deux assesseurs qui peuvent être non juristes mais les assesseurs ont un rôle assez particulier. Ils assistent le juge pour recueillir la preuve, donnent des conseils, des avis au juge. Mais c'est le juge qui assume la responsabilité du jugement, le jugement n'est signé que par le juge. Les assesseurs ne signent pas le jugement. Parmi les assesseurs, il y a des juristes et des non-juristes. C'est la situation au Québec.

Le sénateur Beaudoin: À la page 12, l'article 48.1, vous dites que l'on devrait affirmer l'indépendance judiciaire. Comment? Avez-vous un amendement à proposer à l'article 48.1?

Mme Caron: Sur l'indépendance, le barreau ne demande pas ou n'est pas allé jusqu'à demander que le Tribunal des droits de la personne soit formé de juges à vie, de juges permanents. C'est un tribunal administratif. Le barreau n'est pas contre cette formule. Cependant, à plusieurs reprises, nous avons souligné à la commission qu'il faudrait que cela soit plus clair. Je peux reprendre les articles.

Le sénateur Beaudoin: Donnez-nous juste un exemple?

Mme Caron: Il devrait être clair que le tribunal ordonne sur requête de la commission ou de l'autre partie, qu'il n'y ait pas un lien administratif dans la loi entre la commission et le tribunal. La commission fait enquête. La commission croit qu'elle a une preuve pour amener une cause devant le tribunal, à ce moment-là, il faudrait que ce cela soit clair dans la loi que la commission agit comme une partie demanderesse dans ce tribunal et la procédure reflète cette indépendance du tribunal par rapport à la commission. La commission présente des requêtes, présente des preuves. La commission présente sa cause et ne demande pas au tribunal de désigner un membre pour l'entendre.

La commission présente sa cause et ce tribunal, qui a une juridiction établie par la loi, examine la procédure et peut avoir des objections provenant de l'autre partie, s'il est compétent ou non.

Le sénateur Beaudoin: Autrement dit, quand le tribunal agit à la demande de la commission, le tribunal doit être autonome?

Mme Caron: C'est cela.

Le sénateur Beaudoin: Il ne doit pas recevoir d'ordres de la commission? Juste une demande?

Mme Caron: Exactement. C'est la première chose. La deuxième chose, c'est par rapport au ministère de la Justice. Il y a un long article sur la possibilité pour le ministère de la Justice de sanctionner un membre du tribunal pour des manquements à l'éthique. Là-dessus, nous sommes contre cette possibilité.

Le sénateur Beaudoin: Quel article est-ce?

Mme Brosseau: On l'a identifié.

Le sénateur Losier-Cool: L'article 48.3.

Le sénateur Beaudoin: Je cite l'article 48.3:

Le président du Tribunal peut demander au ministre de la Justice de décider si des mesures correctives [...]

C'est pas mal fort.

Le sénateur Gigantès: Ils ne sont pas juges, donc ce n'est pas un comité de juges qui va décider cela. Qui va décider si ce n'est pas le ministre de la Justice? Il faudrait qu'on nous le dise.

Le sénateur Beaudoin: Je soulève le point parce que c'est la première fois que je vois cela dans un texte de loi, qu'un tribunal demande au ministre de la Justice d'apporter des mesures correctives.

Le sénateur Gigantès: C'est un tribunal administratif?

Le sénateur Beaudoin: Oui.

Le sénateur Gigantès: À qui le demanderait-il?

Mme Brosseau: C'est un tribunal administratif, mais on confie au tribunal administratif des fonctions judiciaires. On les a mentionnées au fur et à mesure, je ne voudrais pas refaire la présentation, mais il y a des pouvoirs judiciaires. C'est en cela qu'il faut réserver. En réponse à ce que vous disiez, sénateur Beaudoin, quand on cité l'arrêt Valente et toute la notion d'indépendance, où l'on a traduit la pensée de madame le juge McLachlin, il faut avoir une distance. Une personne sensée et raisonnable ne doit pas connaître le fonctionnement du tribunal, mais elle doit être sûre qu'il y a une indépendance et une autonomie du tribunal par rapport aux parties qui sont là. C'est une question d'indépendance, d'impartialité et c'est toute la crédibilité de notre système judiciaire. Cela est important.

[Traduction]

La présidente: Je tiens à préciser aux témoins qu'on nous a indiqué, hier, que les lois régissant divers autres tribunaux contiennent des dispositions identiques. Ce n'est donc pas un concept nouveau.

[Français]

Mme Caron: Je vais répondre à cela. Je crois justement qu'il y a eu des critiques faites à l'égard des tribunaux des droits de la personne dans toutes les provinces. Le Québec est à part, on l'a expliqué. Je pense que l'objectif de cette loi, c'est justement de répondre à certaines critiques faites à l'égard des tribunaux des droits de la personne, qui étaient trop proches de l'administration publique. Il y a déjà un pas de fait, mais il reste encore un pas à faire pour effectuer cette division entre l'administratif et l'indépendance du tribunal. Les membres sont nommés par le gouverneur en conseil. On pourrait prévoir une procédure de plainte et une «surpreuve» de mauvaise conduite pour qu'il y ait une destitution par le gouverneur en conseil, et que le processus de réprimande soit ajusté au processus de nomination. Cela pourrait être une solution.

Le sénateur Beaudoin: Elle est facile.

Le sénateur Gigantès: Le gouverneur en conseil, c'est le Cabinet, et le Gouverneur général signe une décision du Cabinet. Pour une telle question, le Cabinet va sûrement donner priorité au point de vue du ministre de la Justice. Si l'on ne prend pas la voie du Québec et l'on dit que ces gens seront des juges professionnels à plein temps, et que désormais le conseil de la magistrature s'occupera de leur discipline, s'il ne sont pas des magistrats réguliers, quelle autre option voyez-vous au ministre de la Justice? Il ne faut pas se cacher derrière les mots et dire l'arrêté en conseil, c'est le ministre de la Justice qui va donner l'opinion.

Le sénateur Cogger: La ville d'Ottawa est parsemée de gens qui détiennent leurs fonctions en vertu d'un arrêté du gouverneur en conseil et qui sont nommés pendant bonne conduite. Le même corps qui les a désignés a le pouvoir de les résilier de leurs fonctions. On pourrait garder toute mention du ministre de la Justice, ils tiennent leur domination pas du ministre de la Justice, mais du gouverneur en conseil.

Le sénateur Gigantès: Je disais que le gouverneur en conseil est le Cabinet et dans de pareils cas, c'est le ministre de la Justice qui va instruire le cas, pour utiliser les mots de la jurisprudence française. Il va dire: «Mes chers collègues, voici que ce que je recommande.» Le Cabinet va dire: «D'accord, monsieur le ministre.» et c'est signé par le gouverneur en conseil.

Mme Caron: Avec le Cabinet, il peut y avoir un débat, tandis que si c'est seulement le ministre de la Justice, on évite le débat.

[Traduction]

La présidente: J'aimerais qu'on reprenne la discussion avec les témoins.

[Français]

Le sénateur Beaudoin: Je suis très satisfait de votre réponse. Vous dites qu'il y a un problème. Comme avocat, comme membre du barreau, vous dites qu'il faudrait peut-être assurer plus clairement l'indépendance de ce tribunal une fois qu'il est saisi par la commission. Je suis d'accord avec cela. Je ne dis pas que tous les membres doivent être juristes, mais je suis certain que si l'on veut des tribunaux des droits de la personne qui prennent une distance vis-à-vis l'administration du pays, il faut leur donner une autonomie à l'intérieur de leurs fonctions. Cela me suffit comme réponse. Je ne sais pas s'il faudrait amender le projet de loi, c'est là ma question.

[Traduction]

La présidente: Sénateur, vous ne posez pas une question, vous faites une observation.

Le sénateur Beaudoin: C'est vrai. C'est une observation qui découle d'une question.

[Français]

Le sénateur Cogger: Je vous remercie de votre présentation et je dois vous dire que je suis entièrement d'accord avec vous lorsque vous proposez qu'on retire à l'article 15 les derniers mots «en matière de coûts, de santé et de sécurité», c'est-à-dire qu'on laisse la «contrainte excessive» et le soin aux tribunaux de l'interpréter. Je dois vous dire que certains autres témoins se sont prononcés dans le même sens.

Le sénateur Gigantès: À quelle page et à quelle ligne, s'il vous plaît?

Mme Caron: À la page 7, l'article 10 du projet de loi.

Le sénateur Cogger: L'article 10 amende l'article 15. En vertu de la proposition du Barreau du Québec, il retirerait à la fin du premier paragraphe les mots «en matière de coûts, de santé et de sécurité».

Le sénateur Gigantès: Les handicapés les aiment et les employeurs ne les aiment pas. C'est ce qui ressort des témoignages qu'on a entendus jusqu'ici.

Le sénateur Cogger: Ne soyez pas si catégorique dans votre interprétation. Mme Falardeau-Ramsay est d'accord avec le fait qu'on laisse «contrainte excessive ». Cependant, vous nous dites que lorsqu'on crée un comité pour entendre une plainte, il serait constitué de trois membres dont le président devrait être membre du barreau. En l'absence d'un comité, quand on a un membre instructeur, qu'est-ce qu'on fera? Êtes-vous en train de me dire que tous les membres de la commission devraient être avocats?

Mme Brosseau: Non, ce n'est pas ce qu'on dit. Quelqu'un qui préside le tribunal doit être juriste.

Le sénateur Cogger: Il va agir seul et comme président. Or, je vous signale qu'à l'article 50.(2), on dit que ce membre instructeur «tranche les questions de droit et les questions de fait dans les affaires dont il est saisi en vertu de la présente partie».

Mme Caron: C'est une question d'opinion. Un membre du barreau est plus en mesure de reconnaître les problèmes d'administration de la preuve et d'apprécier la jurisprudence qu'un non-juriste.

Le sénateur Cogger: Pour qu'on s'écarte de la difficulté de votre position, ce n'est pas cela qu'on a voulu dire lorsqu'on a donné le pouvoir au président de retenir un expert?

Mme Brosseau: Non, ce n'est pas la même chose.

Le sénateur Cogger: C'est votre interprétation.

Mme Brosseau: En ce qui concerne l'expert, il y a confusion.

Le sénateur Cogger: Quel est l'article au sujet de l'expert? C'est l'article 48.8.

Mme Caron: L'expert sera par exemple en construction, en médecine, sur des questions de fait.

Le sénateur Cogger: On mentionne qu'il est là «pour aider et conseiller les membres». Qu'est-ce qui empêche le membre instructeur du tribunal qui n'est pas avocat d'avoir à ses côtés un expert qui en l'occurrence serait un membre du barreau et qui l'aiderait à trancher les questions de droit?

Mme Brosseau: Pourquoi engager deux personnes quand une seule pourrait le faire?

Le sénateur Cogger: Mais l'alternative est la suivante, selon la loi. Tous les membres seront des avocats ou on aura quelqu'un qui n'est pas avocat, qui n'a pas à ses côté un expert-avocat et qui va trancher des questions de droit.

Mme Caron: Il y a des comités qui regroupent un membre ou trois membres. Ce n'est pas nécessaire que tous soient avocats. Sur les comités de trois membres, il peut y avoir des non-juristes, mais sur le comité d'un membre, on nommerait un juriste. Alors les non-juristes seront sur les comités de trois membres.

[Traduction]

Le sénateur Doyle: Vous pouvez peut-être m'aider, madame la présidente. Les commissions des droits de la personne qui n'exigent pas que le président soit un avocat n'ont-elle pas l'habitude de retenir les services d'un avocat pour conseiller le président?

La présidente: Apparemment non.

Le sénateur Doyle: Est-ce qu'elles accepteraient qu'on retienne les services d'un avocat pour les conseiller?

La présidente: Lorsqu'elle a comparu devant nous, hier, Mme Mactavish a dit:

Les comités sont généralement présidés par un avocat. Depuis la création du Tribunal, il y a 19 ans, un seul comité n'a pas été présidé par un avocat, et il s'agissait du premier d'entre eux.

Le sénateur Doyle: Pourquoi ne pas leur dire tout simplement d'embaucher un avocat comme président?

Le sénateur Gigantès: Après avoir commis des erreurs dans le premier cas, elles ont embauché des avocats pour tous les autres.

La présidente: C'est ce que font les commissions à l'heure actuelle, même si cette pratique n'est pas enchâssée dans le projet de loi. Je présume qu'elles vont continuer de le faire. Nous pourrons peut-être en parler plus tard lorsque nous proposerons un amendement.

[Français]

Le sénateur Gigantès: C'est très agréable d'avoir des témoins qui connaissent leur sujet et qui le présentent aussi bien que vous. J'ai encore certains problèmes avec l'affirmation de l'indépendance s'ils ne sont pas des juges professionnels. S'ils sont des juges professionnels, ils dépendent du Conseil de la magistrature et on présume que ceci leur donne une certaine indépendance et on oublie que les juges sont humains, ont des préjugés commettent des erreurs, condamnent des gens qui n'étaient pas coupables. Ils ont l'indépendance de faire leurs erreurs eux-mêmes sans l'intervention de qui que ce soit. Je ne comprends pas comment vous allez affirmer cette indépendance s'ils ne sont pas des juges professionnels.

Mme Brosseau: D'une part, il y a l'indépendance des juges et d'autre part, il y a l'indépendance et l'autonomie de l'institution. On y a fait référence plus tôt. On voulait que le tribunal soit autonome par rapport à la commission. On n'a pas tenu compte du juge. Les juges et la présidence du tribunal sont deux aspects de la question, mais on ne parlait pas de ceux qui sont intimement liés à la personne du juge, mais bien à l'institution elle-même. Je sens une certaine confusion sur l'institution, le tribunal lui-même.

Le sénateur Gigantès: Mais la commission demande, elle n'exige pas, ne commande pas, elle demande au tribunal de nommer quelqu'un. Le tribunal, quand il reçoit une demande, n'est pas obligé d'y acquiescer. Une demande est une demande. Une requête est une requête. Ce n'est pas un ordre. Donc, ils sont indépendants et la commission ne peut pas dire: vous allez nommer monsieur Beaudoin.

Mme Caron: Au fond, je pense que l'intention du projet de loi est bonne. Je ne vois pas d'intention mauvaise, de comploter pour accepter des causes ou en refuser. Je pense que c'est une question de formulation pour que non seulement l'intention soit bonne, mais qu'elle soit claire.

Le sénateur Gigantès: Vous êtes parmi des paranoïaques, nous sommes tous paranoïaques. Sur un comité comme celui-ci il faut l'être.

Mme Caron: Vous savez très bien que dans certains cas, la commission canadienne s'est fait reprocher justement son parti pris parce que la loi pouvait peut-être suggérer cela à des gens mal intentionnés.

[Traduction]

La présidente: Avant de passer à une autre question, je tiens à signaler que c'est ce que précise la loi.

[Français]

Le sénateur Gigantès: À la page 19, article 50.(1), quand Mme Brosseau a expliqué et s'est opposée à «la possibilité pleine et entière», le sénateur Beaudoin a dit et d'autres l'ont appuyé qu'il s'agit de la possibilité, et non de la preuve. Vous ne m'avez pas donné un exemple concret, un scénario des dangers que ceci pourrait causer.

Mme Brosseau: On n'en a pas fait parce que c'était une interrogation que nous avions sur la teneur de l'article qui nous apparaissait exorbitante. Quand on étudie un projet de loi, on va essayer d'en avoir une vue d'ensemble. Dans le contexte des droits de la personne, on trouvait que c'était exorbitant, que cela allait beaucoup trop loin. On a noté tout au long du projet de loi la teneur de l'article qui relevait du droit criminel et ce n'était pas l'esprit de la loi. C'était un exemple parmi tant d'autres et on a pris la peine d'insister, non pas pour changer l'intention derrière cet article, mais pour changer la teneur du langage. Si on comparaît ce matin devant vous et qu'on s'est donné la peine de faire cette recherche, c'est qu'on trouvait pertinent de clarifier et d'empêcher que la loi soit contestée éventuellement. C'est dans cet esprit qu'on a apporté cet exemple. On n'a pas trouvé d'exemple. C'est une interrogation qu'on soulevait sur la portée de l'article lui-même.

Le sénateur Gigantès: Madame la présidente, ce sont toutes des questions où le sens du texte français et du texte anglais ne correspond pas suffisamment. C'est un sujet qu'on devra soulever avec le ministre ou le sous-ministre de la Justice.

Mme Brosseau: On l'a souligné d'ailleurs dans le mémoire de façon générale, que souvent les versions anglaises et françaises ne correspondaient pas en tout point. Cela laisse toujours une possibilité d'interprétation, les deux langues officielles étant ce qu'elles sont.

Le sénateur Gigantès: Peut-être qu'on devrait forcer ceux qui écrivent les projets de loi dans chacune des deux langues officielles à se parler de temps à autre.

[Traduction]

La présidente: Sénateurs, nous avons un autre groupe de témoins qui attend de comparaître devant nous ce matin.

Le sénateur Lewis: Je regrette, mais je vais devoir poser mes questions en anglais.

Mme Brosseau: Ce n'est pas un problème.

Le sénateur Lewis: Le projet de loi S-5 est identique au projet de loi C-98.

[Français]

Mme Brosseau: Oui. Il faut essentiellement que ce soit la même chose pour qu'on vous l'ait acheminé directement au Sénat, parce qu'il avait déjà été déposé en avril dernier.

[Traduction]

Le sénateur Lewis: Il a été déposé à la Chambre des communes. Avez-vous eu l'occasion de présenter un mémoire sur le projet de loi C-98, comme vous le faites aujourd'hui devant nous?

Mme Brosseau: Non.

Le sénateur Lewis: C'est la première fois que vous abordez cette question devant un comité?

Mme Brosseau: Oui.

Le sénateur Lewis: Et vous n'avez pas fait de recommandations au ministère?

Mme Brosseau: Non.

La présidente: Le projet de loi est mort au Feuilleton avant qu'il ne puisse être renvoyé au comité.

Le sénateur Lewis: Vous n'avez pas eu l'occasion de présenter un exposé sur la question? C'est la première fois que vous le faites?

Mme Brosseau: C'est exact.

Le sénateur Lewis: Je crois comprendre que vous remettez en question l'article 48.5, à la page 16. Vous n'êtes pas d'accord avec l'idée que les membres du tribunal «doivent résider dans la région de la capitale nationale». Il est question dans cet article des «membres à temps plein». La disposition précédente précise que seuls le président et le vice-président sont nommés à temps plein. Les modalités de l'article 48.5 s'appliqueraient uniquement au président et au vice-président. C'est de cette façon que je l'interprète.

La présidente: Les autres membres, qui siègent à temps plein ou à temps partiel, peuvent résider ailleurs.

Le sénateur Lewis: Les membres à temps plein doivent résider dans la région de la capitale nationale. Cela laisse entendre qu'il y a des membres qui pourraient habiter d'autres régions du pays, ce qui réglerait le problème.

[Français]

Mme Brosseau: Nous avons des doutes sur la possibilité ou la représentativité. L'objectif est la représentativité des régions au tribunal. Cette disposition est clairement empruntée à ce qu'on peut lire dans la Loi sur la Cour fédérale, où il s'agit d'un tribunal sans ambiguïté. Il n'y a pas de problème là-dessus. Sauf qu'ici, dans un cadre de tribunal administratif, où les régions deviennent importantes, on dit: «it would be less attractive for the people». Ce sont vraiment des gens très compétents, parce qu'ils ont à amener leur famille dans la région de la capitale nationale. C'est pour cela que l'on insiste sur le fait que l'on ne croit pas à la nécessité d'exiger pour les membres une résidence permanente. Ils pourraient avoir, comme les députés ou les sénateurs, une résidence secondaire dans la région de la capitale nationale, mais pas nécessairement une résidence permanente, qui entraînerait un déménagement de la famille au complet. Ce n'est pas une nécessité.

[Traduction]

La présidente: L'article ne précise pas que les membres doivent «résider en permanence» dans la région, mais seulement qu'ils «doivent résider» dans la région de la capitale nationale. Je tiens également à signaler que toutes les régions du pays sont représentées à la Chambre des communes et au Sénat par des gens qui ne vivent pas en permanence à Ottawa.

Le sénateur Lewis: Le témoin n'a pas tort.

Si j'ai soulevé cette question, c'est parce que l'article précise que seuls le président et le vice-président seraient tenus de résider dans la région de la capitale nationale, pas les autres membres, sauf s'ils sont nommés à temps plein.

Le sénateur Jessiman: Sur ce même point, est-ce que les audiences de la Commission des droits de la personne n'ont pas lieu à Ottawa?

[Français]

Mme Caron: Non, les audiences se tiennent à travers le Canada.

[Traduction]

Mme Brosseau: Elles ont lieu dans toutes les régions du pays.

Le sénateur Jessiman: Elle tient des audiences dans toutes les régions.

Mme Brosseau: Oui.

Le sénateur Jessiman: Je vois où vous voulez en venir. J'avais l'impression que la plupart des audiences se dérouleraient à Ottawa, comme c'est le cas avec les audiences de la Cour suprême du Canada.

[Français]

Mme Brosseau: Cela s'assimile davantage à la Cour fédérale, qui est une cour itinérante.

[Traduction]

Le sénateur Jessiman: Dans quel article précise-t-on qu'ils peuvent se déplacer?

La présidente: Ce point sera clarifié plus tard avec les fonctionnaires. J'espère que le personnel du ministre prend des notes.

Le sénateur Beaudoin: J'ai un petit commentaire à faire.

[Français]

Vous avez piqué ma curiosité sur l'article 4.627.

Le juge peut permettre au juré ayant une déficience [...] d'utiliser une aide technique, personnelle ou autre, ou des services d'interprétation.

Et vous avez dit qu'il ne faudrait pas que ce soit un treizième juré. J'espère bien que non. Supposons que quelqu'un ait besoin d'un interprète, il reste libre de dire oui ou non, il me semble?

Mme Brosseau: Dans le projet de loi S-5, on assermente la personne qui va agir comme interprète. Je vous dis cela de mémoire, il faudrait que je regarde à nouveau. Le treizième juré -- je crois que c'est vraiment l'exemple approprié d'une déficience auditive, on parle d'une personne handicapée physiquement ou mentalement. Par exemple, pour quelqu'un qui souffre de paralysie ou de dégénérescence verbale, il lui faut un traducteur, donc il n'y a pas d'interprétation dans ce cas.

Dans le cas de déficience auditive, vous avez un langage différent. Il ne faudrait pas que cette personne interprète à sa façon les délibérations du jury. Ce n'est pas lorsqu'ils sont en cour que cela pose problème, c'est au niveau des délibérations des jurés.

Le sénateur Beaudoin: L'interprète serait dans le jury?

Mme Brosseau: Il n'aurait pas le choix. La personne est sourde et muette.

Le sénateur Beaudoin: C'est nouveau?

Mme Brosseau: Oui. C'est une question d'adaptation. C'est la volonté de permettre. Je vais reprendre le mémoire, parce que je citais au complet le début de l'article. Quand on dit:

[...] de remplir d'une manière convenable ses fonctions [...]

Quand on dit: «d'une manière convenable ses fonctions», ce n'est pas déterminé dans l'article du projet de loi S-5, mais cela amène une interrogation. Nous pouvons penser de cette façon, mais peut-être s'est-on trompé. Nous ne prétendons pas avoir la vérité absolue. Cependant, a-t-on étudié cette question; est-ce qu'on a considéré cette facette dans la rédaction du projet de loi?

Le sénateur Beaudoin: S'il s'agit juste d'une question d'interprétation, il n'y a pas de problème. Si vous avez un témoin qui parle une langue que personne ne comprend...

Mme Brosseau: On parle ici d'une personne handicapée, il ne s'agit pas d'interprétation, de traduction.

Le sénateur Cogger: Si quelqu'un traduit du serbo-croate à l'anglais...

Mme Brosseau: Mais ce n'est pas la question.

Le sénateur Cogger: Vous n'êtes pas en mesure d'évaluer si l'interprète n'intervient pas dans le débat pour en changer le sens.

Mme Brosseau: Mais dans ce cas, il s'agit d'un jury. Le jury apprécie la preuve dans des circonstances de droit, dans des poursuites de droit criminel qui entraînent des conséquences énormes pour les accusés. Ce sont les plus grosses infractions.

Le sénateur Cogger: De la même façon, l'interprète qui traduit du serbo-croate au français peut faire condamner un gars à mort. Il faut quand même que l'on s'en remette à la qualité du serment de l'interprète, puis tenir pour acquis qu'après avoir été dûment assermenté, il va exécuter ses fonctions correctement.

Mme Brosseau: Mais il ne s'agit pas de la même chose.

Le sénateur Beaudoin: Dans ce cas-ci, il ne s'agit pas d'un interprète linguistique?

Mme Brosseau: Pas du tout, c'est au niveau des langages. Le langage ou l'interprétation pour les sourds et muets est différent. Cette personne va prêter serment comme les autres au niveau de l'aide technique qu'elle va apporter à la personne handicapée. Nous parlons ici de la constitution du jury. Ce n'est pas la même chose que l'appréciation par le tribunal d'une cause donnée. Quand le jury va délibérer, cette personne n'aura pas d'autre choix que de s'associer à ce jury, elle deviendra alors la treizième personne. Il ne faudrait pas que cette personne prenne part aux délibérations.

Le sénateur Beaudoin: La treizième personne n'est pas celle qui dit: coupable ou non coupable.

Mme Brosseau: Non, c'est la personne qui va dire aux membres du jury: elle vient de me dire qu'elle est coupable ou non coupable, si elle agit comme interprète. Cette treizième personne peut participer aux délibérations d'une façon ou d'une autre. On ne peut pas contrôler cela. On vous demande aujourd'hui si vous vous êtes interrogés sur ces conséquences. Avez-vous étudié cette question? Il s'agit d'une treizième personne. Est-ce que vous voyez la différence entre l'interprète et...

[Traduction]

La présidente: On ne s'entend pas sur ce point. Je crois que nous avons fait le tour de la question et que nous devrons l'analyser plus à fond.

Au nom des membres du comité, j'aimerais vous remercier d'avoir comparu devant nous. Vous nous avez donné beaucoup de matière à réflexion.

Nous allons maintenant accueillir Margot Young, qui est membre du comité directeur national de l'Association nationale de la femme et du droit. Elle est professeur agrégé à la Faculté de droit de l'Université Victoria.

Madame Young, vous avez la parole.

Mme Margot Young, membre du comité directeur national; professeure agrégée, faculté de droit, Université de Victoria: Merci de m'avoir invitée à comparaître devant vous, madame la présidente.

L'Association nationale de la femme et du droit est une organisation nationale sans but lucratif qui favorise l'égalité des femmes par la promotion de la réforme du droit, la défense des droits, l'éducation et la recherche.

J'ai quelques mots à dire au sujet du projet de loi que vous examinez aujourd'hui. Après quoi, je répondrai volontiers à vos questions.

J'aimerais d'abord vous rappeler que la Loi canadienne sur les droits de la personne sert de fondement à la protection des droits de la personne au Canada. Adoptée en 1977, la loi confirme que les Canadiens peuvent mener leur vie comme ils l'entendent, sans discrimination aucune, et participer pleinement à la société.

La loi reflète ainsi les engagements internationaux pris par le Canada dans le cadre de la Déclaration des Nations Unies sur les droits de l'homme, et des Conventions des Nations Unies relatives aux droits civils et politiques, et aux droits économiques, sociaux et culturels.

La Loi canadienne sur les droits de la personne s'applique aux entreprises du secteur public et privé qui relèvent de la compétence fédérale. Elle confirme donc le rôle du gouvernement fédéral en tant qu'employeur et fournisseur de services, et lie aussi les entreprises ou industries sous réglementation fédérale.

La Cour suprême du Canada a reconnu à maintes reprises le caractère fondamental et particulier de la législation sur les droits de la personne. En effet, elle a confirmé son caractère quasi-constitutionnel, ce qui témoigne de son importance.

De plus, la Loi sur les droits de la personne a joué un rôle important dans l'élaboration et l'interprétation des droits constitutionnels, surtout en ce qui concerne les droits à l'égalité en vertu de la Charte des droits et libertés.

Le caractère et la portée de la Loi canadienne sur les droits de la personne sont essentiels au développement des droits de la personne au Canada. J'encourage le comité à adopter à l'égard de ce projet de loi une approche proactive et dynamique.

Mon exposé comporte trois volets. D'abord, je voudrais dire quelques mots au sujet des modifications positives qui ont été apportées au projet de loi, c'est-à-dire les dispositions que l'Association appuie vigoureusement.

J'aimerais d'abord féliciter le gouvernement fédéral d'avoir inclus dans le projet de loi diverses dispositions, la première étant celle qui reconnaît la multiplicité des motifs de distinction illicite. Il s'agit là d'un facteur important puisque la loi reconnaît ainsi de façon plus générale les divers actes discriminatoires dont sont victimes aujourd'hui les Canadiens, de même que les torts que causent ces actes.

De plus, le projet de loi reconnaît explicitement l'existence de formes de discrimination directe et indirecte, prévoit la création d'un tribunal permanent à temps plein, oblige la commission à faire rapport directement au Parlement et non au ministre de la Justice, et autorise celle-ci à instituer une plainte de son propre chef, plutôt que d'attendre qu'un particulier le fasse. D'après l'association, ces changements ne font qu'accroître l'efficacité, la cohérence et l'indépendance du système fédéral de protection des droits de la personne.

S'il veut vraiment tirer parti des avantages que présente la création d'un tribunal permanent à temps plein, il faut que le gouvernement prenne le processus de nomination des membres du tribunal au sérieux, qu'il en assure la transparence et qu'il nomme des experts sur les droits de la personne et des particuliers qui représentent les groupes ayant le plus besoin de la protection qu'offre la Loi canadienne sur les droits de la personne. À cet égard, je crois qu'il serait sage, dans le cadre de ce processus, de consulter les groupes des droits à l'égalité qui défendent les intérêts des défavorisés au sein de la société canadienne.

J'aimerais, dans un deuxième temps, vous parler des éléments qui ne figurent pas dans le projet de loi et qui, d'après l'association, ont malheureusement été laissés de côté.

Le premier a trait à l'absence de toute mention de la pauvreté ou de la condition sociale comme motif de distinction illicite. D'après l'association, le fait de ne pas inclure la condition sociale dans la liste des motifs montre que le gouvernement continue d'accorder peu d'importance aux préoccupations des Canadiens à faible revenu, et que cette omission permet à la Loi sur les droits de la personne de demeurer discriminatoire, voire inconstitutionnelle.

Le projet de loi omet également d'étendre l'application de l'article 16, qui prévoit l'adoption de programmes d'action, aux groupes qui sont victimes de discrimination fondée sur l'orientation sexuelle. Encore une fois, l'association estime que cet oubli discriminatoire renforce les clivages qui existent au sein de la société. Il serait plus simple d'élargir la portée de l'article 16 en incluant dans cette disposition la liste plus complète de motifs de distinction illicite définis au paragraphe 3(1) de la loi elle-même.

Finalement, je tiens à mentionner que le projet de loi ne fait aucunement mention de l'engagement à long terme pris par le gouvernement d'entreprendre un examen en profondeur de la loi. Comme les concepts de discrimination de même que les problèmes et les torts causés par l'inégalité ont évolué, la loi est, à certains égards, dépassée ou encore n'est plus aussi efficace qu'elle devrait l'être. Il faut procéder à un examen en profondeur de cette loi qui a été créée il y a 20 ans.

Troisièmement, j'aimerais parler des problèmes que posent certaines des dispositions du projet de loi.

De façon plus précise, je désire attirer votre attention sur le nouveau paragraphe 15(2) qui incorpore l'obligation de tenir compte de la situation de quelqu'un et la défense de contrainte excessive. Comme vous le savez, le projet de loi dispose que lorsque l'existence d'une pratique discriminatoire est confirmée, le répondant doit prendre des mesures pour satisfaire aux besoins de la personne lésée. Toutefois, le répondant peut soutenir que les mesures qu'il doit prendre lui causeraient une contrainte excessive. De façon plus précise, les employeurs ou les fournisseurs de services peuvent uniquement invoquer l'exception que constitue le motif justifiable pour établir que l'adoption de mesures pour répondre aux besoins de la personne lésée imposerait une contrainte excessive.

Autrement dit, aux termes du paragraphe 15(2) proposé, une personne mise en cause n'a pas d'obligation d'accommodement si cela constitue pour elle une contrainte excessive. La disposition relative à l'obligation d'accommodement assortie de la justification de contrainte excessive doit être comprise comme une limite à l'égalité.

La jurisprudence actuelle en matière de droits de la personne reconnaît déjà une justification de contrainte excessive dans le cas d'une forme de discrimination indirecte ayant un effet préjudiciable, c'est-à-dire une discrimination qui se produit lorsqu'une règle ou une pratique est neutre en pratique. La Cour suprême du Canada a déjà établi une liste de facteurs dont il faut tenir compte en ce qui a trait à la contrainte excessive ce qui inclut les coûts financiers, la rupture de convention collective, les problèmes de moral parmi d'autres employés, l'interchangeabilité de la main-d'oeuvre et des installations. Parmi ces facteurs, la Cour suprême considérera la taille et l'envergure de l'activité en question.

Le projet de loi à l'étude limiterait à trois les critères d'évaluation de cette nouvelle justification de contrainte excessive. Il s'agit de la santé, de la sécurité et des coûts.

L'ANFD exprime des réserves à l'égard du dernier de ces trois critères. Elle est d'avis que les coûts ne devraient pas être pris en considération lorsqu'il s'agit d'établir une justification de contrainte excessive. L'association craint que l'inclusion des coûts dans cette liste envoie ou renforce le message qu'il est légitime de tolérer la discrimination s'il est «trop coûteux» ou s'il est «coûteux» d'y mettre fin. Il pourrait bien arriver que les droits soient troqués contre des dépenses et que l'effet des mesures antidiscrimination de la loi soit ainsi atténué.

De l'avis de l'association, cela soulève la dangereuse possibilité, très réelle selon moi en ces temps de conservatisme financier, que la protection des droits de la personne devienne une question de droits que l'on peut s'offrir ou non. Cette approche est tout simplement inacceptable.

Même si le concept de l'obligation d'accommodement assorti de la justification de contrainte excessive a été élaboré dans le contexte de la discrimination fondée sur la religion et l'incapacité, son inclusion à cet égard avec la mesure législative proposée pourrait faire en sorte que ces contextes fassent l'objet de discrimination fondée sur tous les motifs de distinction illicites dont il est question dans la loi. Par exemple, la justification de contrainte excessive deviendrait applicable à n'importe quelle forme de discrimination à l'endroit des femmes.

On peut imaginer des exemples où ceci donnerait lieu à des situations qui ne semblent pas particulièrement aboutir à nos engagements en matière de droits de la personne et d'égalité ou les appuyer. Prenez l'exemple des travailleuses qui, pour cause de grossesse, pourraient avoir des besoins particuliers en ce qui a trait à l'horaire de travail ou aux responsabilités professionnelles. De tels accommodements peuvent être coûteux. Allons-nous dire que ces coûts pourraient justifier le refus de l'égalité en milieu de travail pour les femmes, après avoir déjà accepté l'importance fondamentale d'un lieu de travail englobant, un lieu de travail qui permet, d'une part, la pleine participation des personnes indépendamment de la fréquence des maternités et, d'autre part, le perfectionnement professionnel peu importe le sexe de ces personnes? Comment alors devient-il cohérent d'affirmer que ce principe plus large et fondamental peut être écarté par des préoccupations en matière de coûts?

Déjà nous voyons la tendance qui se dessine, parmi ceux qui jugent les plaintes pour discrimination, d'attirer l'attention sur les coûts, qu'ils soient minimaux ou autres, pour rejeter des plaintes pour discrimination évidentes. Certains exemples d'arguments avancés par des intimés ressortent, par exemple, dans la décision qu'a rendue récemment la Cour suprême dans l'affaire Elderidge c. Colombie-Britannique et à l'égard de laquelle le gouvernement provincial a soutenu que les coûts associés à l'interprétation gestuelle qui fait partie des services de santé qu'il assure le justifiait de ne pas fournir ces services de traduction.

De même, les grosses entreprises comme les banques ont aussi soutenu qu'elles devraient être relevées de leurs obligations en matière de droits de la personne en raison des restrictions budgétaires. Nous voyons dans une décision rendue récemment en Ontario, en vertu de la loi ontarienne, que la compagnie Ford a gagné son point en soutenant que 7 000 $ constituaient une contrainte excessive.

De toute évidence, cela ne laisse planer aucun doute sur la valeur que nous accordons à la protection des droits de la personne. Nous estimons que la Loi canadienne sur les droits de la personne ne devrait pas envoyer comme message aux tribunaux que ces motifs d'ordre financier peuvent l'emporter sur nos engagements en matière d'égalité.

Qui plus est, la Loi canadienne sur les droits de la personne s'applique surtout au gouvernement fédéral et aux grandes entreprises nationales pour qui les considérations de coûts ne sont pas, pourrait-on dire, assez importantes pour justifier qu'on les relève de leurs obligations en matière de respect des droits de la personne.

La Cour suprême du Canada, dans sa jurisprudence concernant la Charte, a refusé avec raison de reconnaître les coûts comme facteur légitime pour justifier la violation d'un droit par la Charte. Les répercussions en ce qui a trait aux coûts peuvent intervenir et ont joué un rôle lorsqu'il s'est agi de trouver le redressement approprié, mais elles ne justifient pas la violation d'un droit. Il faut s'inquiéter du fait que la mesure législative proposée permettrait de légitimer des arguments de ce genre qui ont été rejetés à d'autres occasions.

Comprendre que les mesures d'égalité ou antidiscrimination constituent une obligation d'accommodement est en soit une façon moins que souhaitable de conceptualiser ce que devraient être des dispositions antidiscrimination appropriées. Cependant, si nous plaçons la protection des droits de la personne dans le cadre d'une obligation d'accommodement, il est très important de bien définir la justification de contrainte excessive.

L'association est aussi d'avis que l'inclusion du coût en tant que critère justifiant une décision de contrainte excessive encouragera une législation en matière de droits de la personne qui sera de plus en plus incapable de répondre aux besoins des plus marginaux de notre société. La reconnaissance des formes plus graves de discrimination et le redressement qui y est associé entraîneront souvent les mesures les plus coûteuses. Elles donneront souvent lieu à d'énormes changements au sein des structures, des institutions et des programmes que nous trouvons dans notre société.

Les plus désavantagés auront souvent besoin des redressements les plus radicaux et les plus complets. En permettant que le coût détermine qui aura droit ou non à une décision favorable en matière de discrimination, on s'assure simplement que la Loi sur les droits de la personne n'offre qu'un changement minimal et marginal et, finalement, tout à fait inefficace.

Si nous tenons l'engagement que nous avons pris de créer une société juste et équitable, il est important que nous ne permettions pas que le prix associé à l'égalité serve à déterminer qui a droit à l'égalité des chances et à la pleine participation.

L'association exhorte le comité à supprimer les coûts des critères d'évaluation en ce qui a trait à la justification de contrainte excessive. Si le comité ne considère pas opportun de le faire, l'association lui conseille vivement de songer à tout le moins à faire suivre de l'adjectif «excessifs», le mot «coûts» pour qu'il soit bien clair que cette mesure vise avant tout l'égalité et que si les coûts doivent servir de critères, ils doivent être plus que minimaux, voire dérisoires. Il doit en fait s'agir de coûts importants et excessifs.

J'ai remarqué après avoir lu la transcription des délibérations du comité relativement à ce projet de loi qu'il a été question du pouvoir de réglementation prévu dans la mesure législative. Je veux parler du pouvoir du cabinet de prendre des règlements en ce qui a trait à la justification de contrainte excessive. Je reprendrai simplement à mon compte la préoccupation selon laquelle le gouverneur en conseil n'est pas le mieux placé pour ce faire. Comme le gouvernement est le plus souvent mis en cause dans les plaintes déposées en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne, la disposition, qui permet au cabinet de prendre des règlements au sujet des justifications dont il dispose en ce qui concerne la contrainte excessive, affaiblit l'intégrité des protections offertes par la loi. Cela nuit au message selon lequel ces protections doivent être prises au sérieux et sont d'un grand intérêt public.

Le sénateur Jessiman: Dites-vous que vous préférez limiter les coûts à «des coûts excessifs»?

Mme Young: Nous préférerions que les coûts soient retirés des critères. Cependant, nous accepterions que l'on fasse suivre le mot «coûts« de l'adjectif «excessifs».

C'est la Commission des droits de la personne, l'organisme expert en la matière auquel le législateur a confié le mandat d'assurer la protection des droits de la personne, qui détient le type de pouvoir de réglementation qui permettrait de définir l'expression «contrainte excessive» à laquelle je viens tout juste de faire référence.

Qui plus est, la disposition relative au pouvoir de réglementation ne prévoit pas une participation adéquate des groupes chargés de représenter les personnes désavantagées qui s'intéressent tout particulièrement à l'égalité des chances. Elle ne permet pas de procéder au type de consultation qui s'impose pour cet élément essentiel du projet de loi. Celui-ci prévoit une consultation, mais il stipule également que des règlements peuvent être pris après six mois même si la commission n'a pas remis son rapport.

Nous aimerions une protection accrue ou des indications fermes de l'importance et de la nécessité d'une consultation avec ces groupes.

Un certain nombre de groupes de défense des droits à l'égalité ont demandé à comparaître devant le comité mais sans succès. Ainsi, le Fonds d'action et d'éducation juridiques pour les femmes et le Réseau d'action des femmes handicapées du Canada auraient aimé envoyer des représentants, mais ils n'ont pas été invités à le faire. Les groupements féminins aimeraient énormément que ces groupes aient l'occasion d'exprimer leurs vues. Les membres du comité se sont sans doute rendu compte que les groupes de défense des droits à l'égalité n'ont pas tous la même opinion de l'obligation d'accommodement et de la notion concomitante de contrainte excessive. Je demande instamment au comité de réexaminer sa décision de ne pas prolonger ses audiences afin de permettre à certains groupes, tout particulièrement au réseau, de comparaître devant vous.

La présidente: Plus de 30 groupes différents ont demandé à comparaître devant le comité. Nous avons tenté de faire en sorte que le point de vue de chacun d'entre eux soit à tout le moins exprimé pour que nous puissions en tenir compte.

Le dernier groupe que vous avez mentionné est chapeauté par une organisation que nous avons entendue hier.

Mme Young: Les différents organismes chargés de défendre les droits des personnes handicapées n'ont pas tous le même point de vue au sujet du projet de loi proposé. On m'a informé que le réseau n'est pas du même avis que l'organisation que vous avez entendue hier. J'insiste tout particulièrement pour que le comité entende le réseau, parce qu'il s'intéresse à la fois à la cause des femmes et aux droits des personnes handicapées.

La présidente: Nous avons reçu un mémoire du réseau hier. Il sera distribué demain aux membres du comité.

Le sénateur Beaudoin: Madame Young, vous avez parlé du tribunal à plein temps. Je ne m'y oppose pas du tout. Vous avez également fait référence aux nominations des membres de ce tribunal, mais je n'ai pas bien compris votre suggestion. Proposez-vous un nouveau type de nomination? Demandez-vous que les membres possèdent d'autres qualités?

Mme Young: Je ne propose aucune alternative. Je signale simplement qu'il serait peut-être souhaitable que le comité, dans son rapport, rappelle au gouvernement que les membres de ce tribunal permanent doivent avoir une expérience et des compétences importantes dans ce domaine et qu'ils soient représentatifs des groupes sociaux canadiens qui s'intéressent surtout aux droits à l'égalité. Ce commentaire ne concerne pas directement le projet de loi, mais plutôt les réalités politiques inhérentes à des nominations gouvernementales. Dans un tel contexte, les personnes nommées devront être assez compétentes pour qu'on puisse pleinement profiter des avantages liés à la constitution d'un tribunal permanent à temps plein.

Le sénateur Beaudoin: Quels antécédents ces personnes devraient-elles avoir? Devraient-elles avoir de l'expérience dans le domaine juridique, dans celui des droits de la personne ou autres?

Mme Young: Un certain nombre de facteurs importants devraient être pris en considération. Les connaissances juridiques jouent souvent un rôle essentiel dans les poursuites judiciaires.

Il est également primordial que ces personnes connaissent bien le domaine des droits de la personne et soient sensibles aux préoccupations des groupes les plus directement visés par cette mesure législative. Je ne crois toutefois pas qu'il faille être un expert du domaine juridique pour être un expert des droits de la personne ou pour être un membre compétent du tribunal. Quelques-uns des meilleurs experts canadiens des droits de la personne n'ont aucune formation juridique; ils ont par contre une expérience et une connaissance approfondies du système de protection des droits de la personne.

Toute une série de facteurs entrent en jeu. Si je comprends bien, le comité a discuté un certain temps de la nécessité de nommer des avocats à des comités particuliers ou au tribunal. Il est cependant possible de retrouver ce genre de compétences chez des gens qui n'ont reçu aucune formation juridique mais qui possèdent une expérience précieuse en la matière.

Le sénateur Beaudoin: Je viens d'une faculté de droit qui offre toujours un cours sur les femmes et le droit. Si je ne m'abuse, chaque faculté de droit compte une association de femmes. Votre association est-elle présente dans l'ensemble du Canada?

Mme Young: Oui. Je suis membre d'une organisation nationale qui a son siège social à Ottawa et dont le personnel et le comité directeur représentent les différentes régions du pays. Elle a également des sections locales, dont certaines dans des facultés de droit. Ainsi, l'Association nationale de la femme et du droit a une section locale à la faculté de droit de l'Université de Victoria.

Quelques-unes des sections locales sont principalement composées de membres du barreau et d'avocats en exercice. Les sections varient d'un endroit à l'autre, mais l'organisme qui les coordonne a un bureau national.

Le sénateur Beaudoin: Combien êtes-vous?

Mme Young: Le comité directeur national compte 12 membres. Le bureau national emploie deux personnes et demie. En ce qui concerne le nombre de sections locales, je suis désolée, mais je n'en connais pas le nombre exact.

Le sénateur Beaudoin: Y en a-t-il une dans chaque province?

Mme Young: Oui. Dans certaines provinces, notamment en Ontario, il y en a plus d'une.

Le sénateur Beaudoin: Vous avez suggéré que nous ajoutions la pauvreté à la liste des motifs dont il faudrait tenir compte. Ne vaudrait-il pas mieux ajouter également la «condition sociale»?

Mme Young: J'ai parlé de la pauvreté et de la condition sociale. J'ai mentionné le terme «pauvreté», parce que je voulais souligner que je me préoccupais surtout du sort des personnes à faible revenu. L'expression «condition sociale» conviendrait toutefois peut-être mieux pour le projet de loi.

Une jurisprudence a déjà été établie en vertu de la charte québécoise concernant la définition de cette expression. Celle-ci recouvre de façon assez appropriée toute la gamme des préoccupations qui touchent particulièrement les personnes à faible revenu.

Le sénateur Beaudoin: Certains jugements ont déjà été rendus concernant la définition de cette expression.

Mme Young: Oui, en vertu de la législation québécoise.

Le sénateur Doyle: Lorsque vous avez abordé cette question, vous avez dit que les droits étaient évalués en fonction des coûts qu'ils engendrent. Quelques instants plus tard, vous avez parlé des femmes enceintes. Je n'ai pas très bien compris où vous vouliez en venir avec les femmes enceintes. Pourriez-vous m'expliquer tout cela encore une fois?

Mme Young: J'ai parlé des femmes enceintes pour vous donner un exemple concret. Les coûts liés à certaines mesures antidiscrimination, pourtant généralement acceptées par la société, pourraient permettre à des employeurs de se soustraire à leur obligation s'ils invoquent la défense de contrainte excessive.

J'ai donné l'exemple de femmes qui, en raison de leur grossesse, ont besoin de faire modifier leur horaire de travail ou leurs responsabilités professionnelles, parce que ces modifications peuvent entraîner des coûts pour l'employeur. Il serait déplorable que l'existence de ces coûts permette à un employeur de ne pas satisfaire les besoins de travailleuses enceintes.

Le sénateur Doyle: Dans quelle mesure les femmes sont-elles protégées par les programmes de congé de maternité?

Mme Young: Les normes d'emploi en vigueur assurent une certaine protection aux yeux de la loi, alors que des conventions collectives ou d'autre type d'entente prévoient que l'employeur doit offrir des avantages supplémentaires ou un congé de maternité.

Dans le cas de certains emplois, activités professionnelles ou horaires particuliers, il s'avère souvent difficile voire impossible pour une femme enceinte de poursuivre ses activités; cela pourrait même parfois constituer un danger. Chaque employeur satisfait généralement ces besoins selon le contexte.

C'est en règle générale la législation sur les droits de la personne qui incite les employeurs à satisfaire ces besoins. Le non-respect de cette obligation dans le cas de femmes enceintes peut être considéré comme une discrimination fondée sur le sexe.

Si un employeur peut invoquer les coûts pour se soustraire aux obligations qu'il doit assumer en vertu de la législation sur les droits de la personne, la capacité de celle-ci à inciter ou à obliger les employeurs à instaurer un milieu de travail plus équitable en sera d'autant diminuée.

Le sénateur Doyle: J'espère que vous ne comptez par sur la Cour suprême pour y parvenir.

J'ai une autre question. J'ai été surpris de constater que, dans la liste des domaines sujets à amélioration, vous n'avez pas mentionné les programmes de réduction des effectifs qui touchent les hommes et les femmes de 40 à 50 ans, qui me semblent être une cible de choix pour ce genre de programmes. Vous ne croyez pas qu'il s'agisse d'une discrimination fondée sur l'âge? On a l'impression que si la discrimination fondée sur l'âge est exercée à grande échelle, personne ne s'y oppose.

Mme Young: La loi protège les citoyens contre une discrimination fondée sur l'âge et, dans l'exemple que vous donnez, monsieur le sénateur, les personnes visées ne cherchent pas assez énergiquement à faire respecter cette protection.

Nous partons peut-être dans une digression, mais il s'agit à mon avis d'une digression importante. En autorisant la commission à déposer une plainte, on met en place un mécanisme qui permet à une personne autre que la victime d'un acte discriminatoire fondé sur l'âge d'intervenir. Ainsi, en permettant à la commission de jouer un rôle plus actif dans l'application des mesures anti-discrimination, on pourrait régler le genre de problème dont vous avez parlé où les victimes d'un acte discriminatoire, pourtant très évident, n'agissent pas de façon assez vigoureuse.

Le sénateur Cogger: Êtes-vous en train de nous dire que vous aimeriez que le projet de loi soit modifié de façon à ne plus tenir compte des coûts?

Mme Young: Oui.

Le sénateur Cogger: Croyez-vous également que, si n'agissons pas dans ce sens, il faudrait à tout le moins ajouter le mot «excessifs»?

Mme Young: Oui. Le mot «excessifs» est probablement plus fort que «considérables», mais c'est bien là notre position.

Le sénateur Cogger: Examinons ce deuxième point. Ne peut-on déduire que si les coûts sont excessifs, ils constituent une contrainte excessive? Vous suggérez que nous évaluions la contrainte excessive en fonction de coûts excessifs. Cela me semble redondant. Si les coûts sont excessifs, il faudrait à mon avis conclure qu'ils constituent une contrainte excessive. Nous avons le choix entre tenir compte des coûts ou ne pas en tenir compte. Si nous en tenons compte, les coûts excessifs seront déterminés au moment d'évaluer la contrainte, qu'elle soit excessive ou non.

Mme Young: Je vois ce que vous voulez dire, mais je vais vous expliquer devant quel dilemme nous nous retrouvons. Nous ne voulons pas qu'il soit tenu compte des coûts minimes, dérisoires, abordables ou acceptables.

Le sénateur Cogger: S'ils sont dérisoires, ils ne constitueront pas une contrainte excessive.

Mme Young: On ne sait pas très bien dans quelle mesure les coûts entreront en ligne de compte pour établir une contrainte excessive. Comme je l'ai déjà dit, on pourrait se retrouver avec d'autres décisions comme celle qui vient d'être rendue par un tribunal ontarien et selon laquelle des coûts de 7 000 $ constituent une contrainte excessive pour Ford du Canada. Nous craignons que de telles décisions deviennent monnaie courante et nous croyons que la loi doit être beaucoup plus précise et indiquer clairement que les coûts doivent être excessifs. Une conclusion de contrainte excessive peut avoir des répercussions importantes.

Le sénateur Cogger: Vous savez probablement que certaines personnes ont suggéré -- et je suis d'accord avec elles -- que nous éliminions les éléments de coûts, de santé et de sécurité. Autrement dit, nous aurions uniquement la notion de contrainte excessive qu'il faudrait déterminer en fonction des circonstances.

Votre position me pose un problème. Pourquoi se donner la peine de constituer un tribunal, de nommer un président, un vice-président et des avocats, de les faire venir ici, à Ottawa, si, par la même occasion, on leur impose tellement de normes et de critères qu'on finit par limiter le pouvoir discrétionnaire de ces personnes ou on leur indique qu'on a très peu confiance en leur capacité de porter un jugement approprié?

Mme Young: La rédaction législative oscille toujours entre ces deux extrêmes. Nous voulons que l'intention du législateur soit claire, que le pouvoir discrétionnaire accordé au tribunal soit exercé à bon escient et que la loi précise de façon appropriée l'orientation que devrait prendre ce pouvoir discrétionnaire. Je ne pense pas que l'ajout du mot «excessifs» en ce qui concerne les coûts restreigne vraiment le pouvoir discrétionnaire du tribunal. Je crois que le tribunal aurait encore amplement la possibilité d'interpréter. Je ne crois pas non plus que cela démontre un manque de confiance envers le tribunal. Je réponds ainsi aux deux principales préoccupations que vous avez formulées, monsieur le sénateur.

Le sénateur Cogger: Vous comprenez également que de nombreux groupes, tout particulièrement des fournisseurs de services, considèrent le projet de loi d'un mauvais oeil parce qu'il permet que des plaintes soient déposées sans qu'il y ait de victime. C'est une partie du problème. Qu'en pensez-vous? Certains craignent que le dépôt des plaintes devienne une petite industrie, et la commission prend déjà de 40 à 45 mois pour traiter une demande. Elle n'a peut-être pas besoin d'une multitude d'autres plaintes, surtout quand il n'y a pas de victime.

Mme Young: J'ai un argument très convaincant. Je commencerai par souligner qu'il n'y a pas de plainte sans victime. En fait, il s'agit là d'une altération de la réalité. On parle de cas où une plainte officielle n'a pas été déposée par un particulier. Il y aura des victimes, il y aura des cas précis de discrimination qui inciteront la commission à conclure qu'il y a peut-être un problème de discrimination. Elle pourra alors entamer des procédures de son propre chef pour corriger certaines situations très concrètes qu'elle a observées dans un milieu de travail particulier ou dans le cas de certains services fournis. Les responsabilités de la commission ont été modifiées parce que, depuis un certain temps déjà, la médiocrité du système de protection des droits de la personne en vigueur au Canada inquiète beaucoup de gens. Cette préoccupation découle du fait que le processus en place ne permet à la commission que de réagir aux problèmes alors que, pour s'attaquer à la discrimination, elle devrait pouvoir agir avec dynamisme. Dans de nombreux cas, il n'est pas raisonnable de croire que des personnes présenteront des plaintes même si des actes discriminatoires très évidents sont posés. Il importe que la commission puisse agir de façon proactive dans ces cas. On reconnaît ainsi que, pour éliminer la discrimination, il faut adopter une approche systémique et non pas compter uniquement sur les individus pour réagir.

La présidente: En ce qui concerne le paragraphe 10(7), vous avez dit que le gouverneur en conseil ne devrait pas être chargé de prendre des règlements. Je suis persuadée, madame Young, que vous savez que tous les règlements découlant de lois fédérales sont pris par le gouverneur en conseil par l'entremise d'un décret. Quelle alternative suggéreriez-vous? Nous ne traiterons certainement pas ce projet de loi différemment des autres lois fédérales.

Mme Young: Je parlais précisément du pouvoir autorisant le gouverneur en conseil à prendre des règlements concernant la notion de contrainte excessive et non du pouvoir de réglementation en général. Selon moi, ce pouvoir ne devrait pas être accordé au gouverneur en conseil, parce que le gouvernement fédéral est plus souvent qu'autrement l'intimé ou la partie qui risque d'invoquer la défense de contrainte excessive. Il conviendrait mieux que, dans ce cas particulier, le pouvoir soit accordé à la Commission.

En vertu de la loi, la commission a le pouvoir d'émettre des lignes directrices ou des guides permettant d'interpréter la loi. Ce nouveau pouvoir ne ferait que s'ajouter à celui qui existe déjà. Il reviendrait alors à la commission de déterminer s'il y a contrainte excessive, car elle possède la compétence et les connaissances nécessaires et s'est vue confier un mandat très clair pour protéger les droits de la personne.

La présidente: Mais la commission sera beaucoup plus étroitement liée au Parlement du Canada que le tribunal proposé.

Mme Young: Je ne considère pas cela comme un problème. La commission émet déjà des lignes directrices exécutoires concernant l'interprétation de la loi. Elle a reçu le mandat clair de promouvoir les droits de la personne. Des groupes comme l'association que je représente seraient soulagés d'apprendre que le pouvoir permettant d'établir qu'il y a contrainte excessive ne repose pas entre les mains du gouverneur en conseil.

La présidente: Si je ne m'abuse, ce pouvoir de la Commission est actuellement devant les tribunaux. Le jury ne s'est pas encore prononcé.

Je vous remercie de votre exposé. Vous avez complété et renforcé certains des autres exposés qui nous ont été présentés.

Chers collègues, compte tenu de l'échéancier que le sénateur Kinsella a établi pour ce projet de loi, nous devrons rédiger le rapport tout de suite après la comparution du ministre. Si les membres du comité ont des modifications à proposer, qu'ils les présentent le plus rapidement possible.

La séance est levée.


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