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Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles

Fascicule 22 - Témoignages


OTTAWA, le jeudi 21 septembre 2000

Le comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd'hui, à 9 heures, pour étudier des questions se rapportant à l'environnement et aux ressources naturelles au Canada (Sécurité des réacteurs nucléaires).

Le sénateur Mira Spivak (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Notre premier témoin ce matin est la présidente de l'International Institute of Concern for Public Health, madame Rosalie Bertell. Madame Bertell, veuillez nous faire votre exposé. Je suis convaincue que les sénateurs auront des questions à vous poser après.

Mme Rosalie Bertell, présidente de l'International Institute of Concern for Public Health: Je veux d'abord vous parler de ma formation. Je suis titulaire d'un doctorat en mathématiques, avec application en sciences biomédicales et en biologie. J'ai travaillé pendant 30 ans dans le domaine de l'épidémiologie liée aux rayonnements, particulièrement les rayonnements de faible intensité. Au début, ma recherche portait sur le radiodiagnostic médical. Par la suite, je suis passée aux installations nucléaires et à l'extraction de l'uranium, puis, de là, au secteur militaire.

Les gens font souvent un parcours inverse. Ils étudient en premier lieu la bombe nucléaire, ce qui semble énorme, puis se concentrent sur des sources de rayonnement moins importantes. Comme j'ai fait l'inverse, j'ai probablement davantage d'expertise dans le domaine des rayonnements de faible intensité, caractéristiques de la pollution, de la médecine du travail et des utilisations médicales des rayons X.

Les rayons X et les rayons gamma peuvent traverser la matière. La plupart d'entre nous connaissent les rayons X médicaux, qui traversent le corps et créent une image sur une plaque radiologique. Toutefois, il arrive périodiquement que certains éléments explosent et libèrent des particules alpha et bêta, capables d'ioniser la matière. C'est un problème différent. En fait, c'est une explosion qui peut endommager les cellules si elle se produit à l'intérieur du corps. Ce n'est pas la même chose que les rayons qui traversent le corps, qui peuvent également endommager les cellules.

En sciences, nous essayons de comprendre ce qui arrive lorsqu'on augmente la dose de rayonnements. Intuitivement, on sait que, si la dose augmente, les dommages vont également augmenter. La difficulté que posent les rayonnements ionisants vient du fait qu'il ne s'agit pas d'une courbe simple. En fait, il y a plutôt de deux courbes différentes qui se croisent. Le corps possède la capacité d'effectuer une certaine réparation. Ce qui se passe alors c'est que, généralement, la courbe des dommages augmente jusqu'à ce que le corps tue les cellules. Le rayonnement ionisant arrête de causer des dommages parce que les cellules meurent. En conséquence, les dommages ne comptent plus.

Il y a également une courbe de réparation. Cette courbe ne débute pas immédiatement au moment de l'assaut par le rayonnement ionisant. Elle intervient plus tard. C'est quand il y a eu certains dommages que le mécanisme de réparation s'enclenche. C'est alors que les dommages prennent le pas sur le mécanisme de réparation. C'est ce qui donne une courbe si complexe.

La courbe cumulative vient ensuite. Si on expose des gens à des rayonnements, on voit une augmentation des dommages, puis un plateau lorsque le processus de réparation s'installe. Il y a ensuite atteinte d'un certain équilibre. C'est ensuite que les dommages prennent le pas sur le mécanisme de réparation et qu'il se produit une nouvelle augmentation. La courbe qui redescend indique la mort de la cellule.

Pour engendrer un cancer, la cellule doit être vivante et capable de se reproduire. Ainsi, ce n'est que dans un petit intervalle qu'il y a un effet de cancer. Lorsqu'on reçoit trop de rayonnements, le corps tue la cellule ou la stérilise, et il n'y a pas développement de cancer. C'est pourquoi les rayonnements peuvent servir au traitement du cancer. Comme on détruit les cellules, on ne cause pas davantage de cancer. Le traitement par rayonnement ressemble à la chirurgie parce qu'il y a destruction de cellules.

Cet aspect complique la discussion sur le rayonnement ionisant parce que certains chercheurs n'examinent que la période où il y a plateau et déclarent qu'il n'a aucun effet. C'est faux. Il a véritablement un effet avant cela, avant même que le mécanisme de réparation de la cellule ne s'enclenche.

Voici un peu d'histoire. Le rayon X médical a été découvert en 1895 par Roentgen. Au cours des cinq premières années, les médecins considéraient essentiel d'utiliser les rayons X. En fait, on affirmait qu'il allait contre l'éthique de pratiquer la chirurgie sans recourir aux rayons X. Néanmoins, en 1912 déjà, un premier ouvrage affirme que le rayon X cause le cancer. On avait déjà compris cela assez rapidement. Toutefois, ce n'est qu'en 1950 que la réglementation concernant les rayonnements tient compte du cancer. Avant cette date, on se basait sur les brûlures cutanées et à moins que quelqu'un ait une brûlure, on estimait qu'il n'y avait pas de surdose de rayons X. Je fournis plus de détails à ce sujet dans mes notes d'information.

Finalement, en 1950, nous disposions de la bombe atomique, mise au point par les physiciens de la Seconde Guerre mondiale. Ces savants venaient du Canada, du Royaume-Uni et des États-Unis. Ils voulaient que soit promulguée, à l'échelle internationale, une norme de radioprotection. À l'époque, les trois pays avaient une réglementation différente en matière de radioprotection.

Ces physiciens se sont rencontrés entre 1945 et 1950. En 1950, ils ont demandé aux radiologues s'ils pouvaient se joindre à leur groupe pour former l'organisation qu'on appelle aujourd'hui la Commission internationale de protection radiologique ou CIPR. Ils affirmaient qu'ils ne limiteraient jamais l'utilisation médicale du rayon X, mais qu'ils désiraient établir conjointement une norme de radioprotection.

Ce groupe n'est pas une commission scientifique de type habituel où un groupe peut déléguer un représentant. Personne ne peut désigner de représentant à la CIPR, pas même l'Organisation mondiale de la santé. En fait, ce sont les savants eux-mêmes qui ont constitué la CIPR. Pour en faire partie, il faut qu'un membre actif soumette une candidature et que celle-ci soit acceptée par le comité exécutif du moment. Ce groupe fermé s'autoperpétue depuis 1950. Il compte 13 hommes qui établissent les normes de radioprotection présentement en vigueur au Canada. Pour ce qui est de sa composition, la CIPR est constituée d'environ 50 p. 100 de physiciens, 10 p. 100 de médecins radiologues, 25 p. 100 d'administrateurs du secteur médical et de ministres de la Santé des nations nucléaires, et enfin 10 p. 100 d'autres utilisateurs de rayonnements.

Autrement dit, la réglementation nous vient de gens qui utilisent les rayonnements, et ces utilisateurs protègent simplement leurs intérêts. Ils établissent les normes professionnelles en matière de santé. La Commission n'a jamais compté dans ses rangs un oncologue, c'est-à-dire un spécialiste du cancer, ni un épidémiologiste. Elle ne compte pas non plus de médecin spécialiste en santé publique ou de physicien spécialisé en santé du travail. En fait, ce sont les utilisateurs qui établissent la réglementation, non la communauté qui s'intéresse aux conséquences sur la santé.

De plus, j'estime que vous devez connaître la nature de la réglementation. Nous sommes habitués à ce qu'il y ait un seuil sous lequel on estime qu'une exposition n'est pas dangereuse et au-dessus duquel elle devient dangereuse. C'est le genre de réglementation que nous avons l'habitude de voir. Toutefois, dans le cas des rayonnements ionisants, la réglementation ne prévoit aucun seuil de ce type. Elle constitue plutôt un compromis entre les risques et les avantages des rayonnements. La CIPR reconnaît qu'il n'y a pas de seuil sous lequel les rayonnements ionisants sont sécuritaires, mais elle déclare que nous en acceptons les conséquences sur la santé étant donné leurs avantages.

L'industrie des armes nucléaires a toujours servi d'étalon en matière de réglementation. La production, le déploiement et les essais des armes nucléaires doivent pouvoir respecter les normes de radioprotection, qui s'appliquent aussi aux installations nucléaires et aux hôpitaux. Ainsi, depuis 1950, c'est le niveau minimal acceptable qui a été le principal critère dans l'établissement des normes, ce qui rend la situation très difficile lorsque les gens considèrent ces normes comme étant sécuritaires.

Admettons qu'un travailleur de l'industrie nucléaire développe un cancer et que le tribunal d'indemnisation des accidents du travail saisi de l'affaire demande si le travailleur en question a fait l'objet d'une surexposition à des rayonnements. D'un point de vue scientifique, cela ne fait aucune différence parce qu'il peut y avoir des cas de cancer dans une situation de respect de la réglementation et on s'attend à ce qu'il y en ait. Par contre, un tribunal considère que, sous un certain seuil, le niveau de radiation est sécuritaire. C'est injuste.

La situation est semblable pour ce qui est des industries polluantes dans les communautés. Souvent les habitants des secteurs résidentiels situés près de certaines industries polluantes se plaignent, et on leur répond que le niveau de radiation est bien dans les limites de sécurité établies. En fait, ce n'est pas un argument valable parce que le seuil correspond à un compromis entre les risques et les avantages des rayonnements et n'est pas synonyme de sécurité.

Le Comité scientifique des Nations Unies pour l'étude des effets des rayonnements ionisants a récemment évalué les répercussions des activités de l'industrie nucléaire à l'échelle mondiale. Le comité a examiné la dose globale de rayonnements à laquelle les populations sont soumises à cause de la production et des essais des armes nucléaires. Les essais atmosphériques se sont avérés véritablement horrifiants et nous en voyons encore les effets sur les populations nées dans les années 50 et 60. Toutefois, cette situation permet de commencer à évaluer le nombre de cas de cancer. J'utilise le terme «victime» dans son sens large. J'utilise l'expression «décès par cancer», en usage dans l'industrie, mais je tiens compte des cancers qui n'entraînent pas la mort. J'exclue le cancer de la peau parce qu'il est moins horrible que les autres cancers. En bref, j'inclus tous les autres types de cancer, qu'ils se soldent ou non par la mort.

Je tiens également compte des effets génétiques des rayonnements et, contrairement à l'industrie, de ce qu'on appelle les effets tératogènes, qui correspondent aux dommages causés à l'embryon ou au foetus dans l'utérus. Il est bien connu que les rayonnements affectent le développement du foetus ou de l'embryon. Toutefois, l'industrie nucléaire estime que, comme l'embryon et le foetus ne sont pas encore des citoyens, l'État n'a pas de responsabilité envers eux. En conséquence, elle ne prend pas ce dommage en considération. Je me base sur le seuil établi par l'industrie qui exclut les avortements spontanés et les mortinaissances, bien que ces situations soient également attribuables aux effets des rayonnements. Comme elle adopte un point de vue économique, l'industrie nucléaire ne tient pas compte de ces situations parce qu'elles ne coûtent rien à la société.

À la lumière de chiffres très conservateurs, uniquement pour ce qui est de l'industrie nucléaire militaire, on compte 484 millions de cancers fatals. C'est le chiffre que fournit l'industrie d'après les estimations des doses de rayonnement des Nations Unies et ses propres estimations de l'exposition aux rayonnements. Je parle ici de près de 500 millions de décès par cancers causés uniquement par l'industrie des armes nucléaires.

Le sénateur Taylor: Si vous me le permettez, je vais poser une question avant que vous ne passiez à autre chose. Avez-vous fait des recherches sur le taux de décès par cancer dans la population qui n'a pas participé aux essais d'armes, qui n'était pas dans le domaine militaire?

Mme Bertell: Je parle de la population en général, à l'échelle mondiale, pas uniquement des militaires. En fait, toute la planète a été touchée par les retombées radioactives.

Le sénateur Taylor: Vous ne pouvez pas dire que tous les cas de cancer dans le monde sont attribuables aux retombées radioactives.

Mme Bertell: Non. Il s'agit en fait du nombre de cancers que l'on s'attend à dénombrer en fonction de la dose de rayonnements à laquelle les populations ont été soumises.

Le sénateur Taylor: Je ne sais pas si je vous suis. Vous dites 500 millions de personnes.

Mme Bertell: J'ai dit que 500 millions de personnes avaient développé un cancer compte tenu du niveau de rayonnements provenant des essais d'armes en surface, de l'extraction et de la concentration de l'uranium et de ses débris, ainsi que des accidents militaires graves qui ont entraîné le dégagement de rayonnements dans l'atmosphère ou dans l'eau.

Le sénateur Taylor: Alors combien de décès par cancer ne sont pas associés à l'une ou à l'autre de ces causes?

Mme Bertell: De toute évidence un très grand nombre, ce qui n'en minimise pas la cause, néanmoins.

Le sénateur Taylor: J'essaie simplement d'obtenir des données pour comparer vos chiffres. Si 3 milliards de personnes sont décédées par cancer non associé à l'effet des rayonnements, alors les 500 millions de décès par cancers liés aux rayonnements ne représentent pas une proportion énorme. Cependant, si 400 millions de personnes sont mortes par cancers non associés aux effets des rayonnements, les 500 millions de décès par cancers liés aux rayonnements constituent un chiffre élevé.

Mme Bertell: Nous allons tous mourir, tous, autant que nous sommes.

Le sénateur Taylor: Je veux simplement comprendre le graphique.

La présidente: Madame Bertell, vous constatez qu'il y a de nombreuses questions. Peut-être pourriez-vous accélérer le rythme de votre exposé. Sénateur Taylor, les graphiques sont ici, vous pourrez poser la question aussitôt que le témoin aura terminé.

Mme Bertell: Vous devez vous rappeler que, lorsqu'on parle de décès attribuables à des cancers dont la cause est artificielle, on parle de morts prématurées. Les victimes peuvent notamment être des enfants ou de jeunes adultes. Bien sûr, nous allons tous mourir, mais nous parlons ici de décès prématurés.

Au nombre des accidents associés au nucléaire et aux pertes civiles, on compte environ 7,2 millions de cancers fatals. Voilà le chiffre à l'échelle mondiale.

La prochaine diapositive illustre les chiffres qui seraient admis par l'industrie nucléaire. J'ai détaillé ces catégories pour inclure les effets génétiques et tératogènes ou en d'autres termes les dommages intra-utérins, ce qui fait augmenter les chiffres. Ces catégories sont encore plus élevées. On parle ici de milliards -- soit 2,3 milliards de victimes. C'est un chiffre énorme. Les victimes sont très difficiles à trouver. Évidemment, il est très compliqué de déterminer si une personne est victime ou non parce que les effets se produisent également à cause du rayonnement naturel de fond, entre autres.

Maintenant que la guerre froide est terminée, nous devons nous poser des questions difficiles. Au sujet du compromis entre les risques et les avantages, on peut se demander si le chiffre de 2,3 milliards de victimes n'est pas trop élevé. Je pense que nous avons besoin d'une politique et d'une loi qui feraient la distinction entre des normes fondées sur les risques et les avantages et des normes qui sont vraiment sécuritaires. Ce n'est pas loyal envers la population et les travailleurs d'agir comme si la norme était sécuritaire alors qu'elle ne l'est pas puisqu'elle est fondée sur un compromis entre les risques et les avantages.

La question des risques et des avantages doit être complètement révisée maintenant que la guerre froide est terminée. Je pense qu'il est très important d'établir des zones tampons autour des installations nucléaires polluantes pour protéger les civils. Il n'y a pas que les centrales nucléaires en cause -- pensons, par exemple, à l'extraction minière et à la concentration de l'uranium. Il y a une usine à Toronto qui fabrique des barres de combustible pour les réacteurs CANDU. Elle se trouve au beau milieu de la ville. Il y a une autre usine à Peterborough. Il y a aussi une usine de tritium à Pembroke qui pollue au coeur d'une zone résidentielle. Il faut établir des zones tampons autour de ces installations. Les normes doivent être complètement revues. Elles ne sont pas sécuritaires et ne devraient pas être traitées comme si elles l'étaient.

Le sénateur Christensen: Merci de votre exposé. Dans votre mémoire, vous parlez longuement des compromis entre les risques et les avantages. Dans le cas de la production d'énergie nucléaire, estimez-vous qu'il y a un niveau d'exposition aux rayonnements ionisants qui n'est pas dommageable?

Mme Bertell: Non.

Le sénateur Christensen: Aucun niveau d'exposition n'est acceptable?

Mme Bertell: Non. Voici pourquoi. Nous savons comment mesurer la quantité d'énergie nécessaire à la rupture de l'ADN. Ce sont des liaisons chimiques. La rupture d'une liaison chimique nécessite un apport d'énergie de 6 à 10 électronvolts. L'énergie que les rayonnements produits par une centrale nucléaire émettent atteint des milliers et des millions d'électronvolts. On parle de kiloélectronvolts ou de mégaélectronvolts. Il y a plus qu'assez d'énergie émise lors d'un seul incident ou d'une seule transformation nucléaire pour rompre l'ADN.

Il s'agit de savoir si l'ADN peut être atteint par cette énergie. Par exemple, si l'incident nucléaire se produisait ici sur la table, avec des particules alpha ou bêta, mon ADN ne subirait aucun dommage, mais si j'avale ou si j'inhale les particules et qu'elles se retrouvent dans mon corps, il y 100 p. 100 de probabilités qu'elles vont endommager ces grosses molécules. Voilà pourquoi nous disons qu'il n'y a pas de niveau d'exposition sécuritaire. Une explosion spontanée à un niveau microscopique va causer des dommages.

Le sénateur Christensen: Nous parlons des risques et des avantages liés au développement de l'énergie nucléaire. Pensez-vous que le développement de l'énergie nucléaire comporte des avantages qui l'emportent sur les risques pour la population?

Mme Bertell: Je ne le pense pas, compte tenu des normes de radioprotection qui sont actuellement en vigueur, et qui ont été établies par les militaires pour les essais nucléaires en surface. À mon avis, les normes en matière d'énergie nucléaire pourraient être plus sévères, mais il faudra que les responsables changent. On a affaire surtout à des ingénieurs, et les ingénieurs ne remettent pas en question les règlements. Ils essaient de les respecter et cela les satisfait amplement. Ils croient avoir créé une industrie et ils respectent les niveaux de radiation admissibles. Ils sont très fiers de leurs réalisations.

Beaucoup de systèmes devront être repensés si les règlements sont modifiés et resserrés. Je ne sais pas si c'est possible mais, sur le plan de la santé publique, le système actuel n'est pas acceptable.

Le sénateur Christensen: Croyez-vous qu'il est possible de fonctionner sans aucun changement?

Mme Bertell: Il faut poser la question à des ingénieurs, et je ne suis pas ingénieur. C'est à eux de répondre à cela mais, comme les normes sont trop élevées, d'un facteur de 10 000 peut-être, nous ne parlons pas de petits changements.

Le ministère de la Santé du Minnesota a décidé qu'il voulait traiter l'industrie chimique et les centrales nucléaires sur un pied d'égalité. Il s'est donc fondé sur le nombre de cas de cancer causés par la pollution provenant des installations. Il a établi des normes sur l'évacuation des déchets radioactifs. Aux États-Unis, la population peut être soumise à une exposition de 500 millirems par an. Ce serait 5 millisieverts au Canada. Les systèmes de mesure sont différents. La norme est de 0,05 millirem au lieu de 500 millirems. C'est 10 000 fois moins.

La norme en vigueur au Minnesota prévoit un taux 2 000 fois plus faible que ce qui vient d'être établi dans les nouvelles normes au Canada. Par conséquent, nous ne parlons pas d'un petit changement, mais d'une réduction importante.

Le sénateur Taylor: Vous avez accompli une somme de travail remarquable pour préparer tout cela. En passant, je suis ingénieur. Je dois admettre que si on demandait à un ingénieur de construire une route dans Paris, il la ferait passer dans le Louvre.

Mme Bertell: J'ai déjà enseigné le calcul à des ingénieurs.

Le sénateur Taylor: J'essaie d'évaluer l'ampleur du problème, en revenant au chiffre que vous avez cité de 484 millions de personnes décédées d'un cancer attribuable à des activités nucléaires militaires. Si ces personnes n'étaient pas des militaires et vivaient ailleurs dans le monde, combien de cas de cancer y aurait-il pour une même population?

Mme Bertell: Environ 20 p. 100 de la population meurt du cancer. Ce chiffre peut être un peu plus élevé ou un peu plus faible selon l'endroit où l'on vit dans le monde, mais il se situe autour de 20 p. 100. Nous parlons ici de décès prématurés.

Le sénateur Taylor: Causés par le cancer?

Mme Bertell: Oui, de décès prématurés causés par le cancer. On sait que tout le monde va mourir un jour, mais il y a une longévité normale, et nous parlons ici de vies dont la durée est écourtée.

Le sénateur Taylor: Je ne vois toujours pas la différence entre un cancer prématuré et un cancer ordinaire. Vous dites qu'il y a des gens qui meurent prématurément du cancer. Tous ceux qui sont atteints du cancer ne meurent-ils pas prématurément?

Mme Bertell: Non.

Le sénateur Taylor: Où est la différence? Si vous avez plus de 70 ans, est-ce normal?

Mme Bertell: Laissez-moi vous raconter une anecdote au sujet d'Hiroshima et de Nagasaki. Quand on a découvert une augmentation des cas de cancer chez les survivants de ces régions, on a calculé le nombre de cas de leucémie en supposant que les gens vivraient jusqu'à l'âge de 72 ans. La leucémie est une maladie du vieil âge. On a calculé, à partir d'une longévité théorique de 72 ans, le nombre de cas de leucémie possibles et on a constaté qu'il y en avait un plus grand nombre. C'est ce qu'on a appelé une «différence réelle». C'est le seuil à partir duquel on a déterminé que les rayonnements causaient le cancer. Ils ne font pas seulement accélérer les cancers dont on pourrait souffrir au cours de sa vie. En fait, ils causent des cancers dont on ne souffrirait pas. Quand on calcule les cancers mortels causés par les rayonnements, il s'agit des cancers dont les gens n'auraient pas souffert dans le cours normal de leur vie.

Le sénateur Taylor: Ils n'en auraient pas souffert avant l'âge de 72 ans.

Mme Bertell: Non. Même si vous comptiez le nombre de cas de leucémie dans la population si tout le monde vivait jusqu'à l'âge de 72 ans, vous en dénombreriez encore plus.

Le sénateur Taylor: Ce tableau montre que les gens meurent en plus grand nombre que dans une situation normale. Combien de personnes sont mortes «de façon normale» alors, si 482 millions de personnes sont mortes prématurément?

Mme Bertell: Tout le monde meurt.

Le sénateur Taylor: Je sais, mais vous avez parlé de personnes mortes prématurément.

La présidente: Pouvons-nous conclure?

Le sénateur Taylor: J'essaie de comprendre les chiffres. C'est très difficile de comprendre le chiffre de 484 millions de décès. Je n'essaie pas d'embêter le témoin. Je m'excuse si c'est l'impression que je donne.

La présidente: Non, ce n'est pas ce que je dis, sénateur Taylor, mais je pense que c'est un sujet très difficile et je ne suis pas certaine que nous avons le temps de tirer cela au clair.

Mme Bertell: Prenons le cas d'un accident d'automobile. Le corps de la personne qui est frappée par une voiture subit un dur coup. Ce choc va changer le reste de sa vie. Les rayonnements portent un dur coup au corps. Ils viennent changer le cours de la vie de cette personne.

Le sénateur Taylor: L'exemple des accidents d'automobile est pertinent. Chaque année, au Canada, beaucoup de gens meurent des suites d'un accident de la route; en fait, chaque année au Canada, beaucoup de gens meurent, point, et un certain pourcentage du nombre total de ces décès est attribuable aux accidents d'automobile. C'est là où je veux en venir. Sur le nombre total de décès survenus dans le monde, quel pourcentage représente les 484 millions de décès causés par les rayonnements entre 1946 et 2000?

Mme Bertell: Sur le plan légal, vous n'êtes pas responsable de tous les décès qui surviennent normalement dans la société mais, si vous causez la mort, vous êtes responsable. C'est une toute autre histoire. Je parle du fait de causer la mort parce que vous avez fait des dommages à une personne.

Le sénateur Taylor: Je vois que nous n'allons nulle part là-dessus. Pour vous, quelle serait une zone tampon efficace autour d'une centrale nucléaire? Quelle superficie devrait-elle avoir?

Mme Bertell: C'est difficile de répondre à cette question parce qu'il y a deux problèmes. D'abord, les gaz radioactifs émis par une centrale nucléaire ne sont même pas contrôlés à moins d'être supérieurs à un million d'électronvolts, et la plupart ne dépassent pas ce seuil. Les centrales dégagent beaucoup de gaz radioactifs qui ne font l'objet d'aucune surveillance. Ces gaz, poussés par les vents, vont toucher les populations environnantes. Je ne peux vous donner de chiffre à ce sujet parce que ce n'est pas une donnée mesurée. On permet simplement ces émissions de gaz.

Pour ce qui est des rejets mesurés, c'est par la chaîne alimentaire qu'ils affectent surtout la population humaine. Il vaudrait mieux, disons, délimiter un rayon de trois kilomètres autour des terres agricoles ou des arbres fruitiers, parce que la pollution affecte la population par la chaîne alimentaire.

Le sénateur Taylor: Ne craignez-vous pas que le milieu nucléaire vous réponde qu'au moins la bactérie E.coli est ainsi éliminée.

Comme vous le savez, nous n'utilisons pas l'énergie nucléaire. En général, nous utilisons les hydrocarbures pour produire de l'énergie. Je ne parlerai même pas de l'électricité et des barrages. Vous savez que le pétrole et le gaz tuent. Les hydrocarbures tuent beaucoup de gens. Avez-vous déjà comparé le nombre de décès causés par les hydrocarbures présents dans l'air et dans les systèmes à ceux causés par l'énergie nucléaire?

Mme Bertell: Oui. Quand Ontario Hydro a présenté son plan pour 25 ans, nous avons fait une intervention sur le plan de la santé. Nous avons évalué chacun des modes de production de l'électricité sur le plan de la santé, notamment les ressources hydrauliques et les combustibles fossiles. Nous avons fait des comparaisons. Les conclusions de notre étude se trouvent dans un ouvrage de cinq tomes. C'est assez volumineux. Nous avons effectué une évaluation avec l'aide de 28 scientifiques. Si vous voulez la lire, je vous préviens que c'est long.

Le sénateur Taylor: Je ne veux pas tout lire. Je pensais être assez chanceux pour qu'il y ait un tableau indiquant combien de millions de personnes meurent prématurément à cause des hydrocarbures.

Mme Bertell: Je n'ai pas les chiffres en mémoire. Dans le cas des combustibles fossiles, ce chiffre est sûrement très élevé.

Le sénateur Taylor: Diriez-vous qu'il est plus élevé ou moins élevé?

Mme Bertell: Je ne pense pas que les chiffres présentés étaient plus élevés que dans le cas des activités nucléaires, mais il est élevé.

La présidente: Madame Bertell, si vous avez le résumé de ce rapport, nous aimerions beaucoup en prendre connaissance. Nous ne pouvons pas lire les cinq tomes, mais si vous pouviez nous fournir un résumé, ce serait utile.

Le sénateur Banks: Je suis désolé, madame la présidente et madame Bertell, de revenir à la question que le sénateur Taylor a posée, mais j'espère que vous comprendrez que, pour moi du moins, ces chiffres dépassent l'entendement. Je ne peux pas concevoir que le décès de 3 milliards de personnes soit attribuable à une activité humaine. Un chiffre pareil ne m'était jamais venu à l'esprit avant.

Je vais revenir à la question du sénateur Taylor. C'est au sujet de la méthodologie. Vous avez dit, par exemple, qu'il y a une certaine quantité de rayonnements de fond. Ils existent de toute façon. Compte tenu des niveaux d'exposition qui seraient sécuritaires, je pense que vous avez également dit qu'il y avait des endroits où les rayonnements de fond peuvent causer le cancer. Est-ce exact?

Mme Bertell: C'est exact.

Le sénateur Banks: Je poursuis ma question. Quelle certitude avons-nous quand nous attribuons le décès d'une personne morte du cancer à Des Moines ou à Saskatoon à des causes militaires plutôt qu'à d'autres causes? Sommes-nous en mesure de dire avec certitude que le décès de telle personne est attribuable à une activité militaire et que celui de telle autre est attribuable à une activité civile?

Mme Bertell: Non. Je pense que c'est le problème de notre système. Nous devons pouvoir étudier un cas et fournir des preuves. On ne peut pas le faire dans ce domaine. C'est aussi un problème pour les travailleurs, dans la mesure où on ne sait pas si ceux qui sont malades le sont parce qu'ils ont été exposés à des rayonnements ou s'ils l'auraient été de toute façon.

Je dis depuis longtemps que le problème ne vient pas de la science, mais du mécanisme d'indemnisation. Si la science pouvait nous le permettre, nous pourrions dire, par exemple, dans quelle proportion le cancer du poumon est causé par le tabagisme, la pollution et les rayonnements. Ainsi, si la personne qui a le cancer fume, elle pourrait assumer les frais de la maladie liés à cette cause. Si la pollution était responsable de 10 ou 15 p. 100 des cancers, les pollueurs paieraient 15 p. 100 du traitement de tous ceux qui ont le cancer du poumon. Ce serait une possibilité. Nous pourrions établir des proportions, de façon à savoir quelle est la proportion des cancers attribuables à l'industrie nucléaire, ce qui permettrait de lui faire payer sa part des frais de traitement. Cependant, on ne peut pas dire que la cause du cancer d'une personne en particulier est le tabagisme, l'activité d'une centrale nucléaire ou les BPC. On ne peut pas le déterminer. On pose à la science une question à laquelle elle ne peut répondre.

Le sénateur Banks: Dans ce cas, comment se fait-il que, selon le tableau, on peut attribuer 484 millions de décès aux essais nucléaires, à la production d'armes nucléaires et aux interventions militaires, et dire également que l'énergie nucléaire et les accidents industriels ont causé 72 millions de décès? Comment peut-on vérifier ces chiffres? À propos, je ne sais pas quelle est la période visée ici.

Mme Bertell: Nous avons fait beaucoup de travaux de recherche sur Hiroshima et Nagasaki, les rayonnements utilisés à des fins médicales, les catastrophes nucléaires, et le reste. Grâce aux connaissances acquises, nous pouvons évaluer le nombre de cancers en fonction de la dose de rayonnements à laquelle un grand nombre de gens sont exposés. Quand on connaît la dose à laquelle les gens ont été exposés et le nombre de personnes exposées, on peut évaluer le nombre de cancers qu'il y aura avec assez d'exactitude.

Le sénateur Banks: C'est ainsi qu'on a obtenu ces chiffres?

Mme Bertell: Oui.

Le sénateur Banks: Si je produis tant de rayonnements, je vais tuer tant de gens.

Mme Bertell: Oui. Les Nations Unies ont fait des évaluations en fonction des doses, et je me sers de leurs chiffres et des évaluations de risques tirées de la documentation scientifique.

Le sénateur Finnerty: On nous a expliqué qu'il y avait une zone tampon assez importante autour des installations nucléaires canadiennes. Qu'en pensez-vous? Pensez-vous que la zone tampon est suffisante, ou avez-vous jamais étudié la question?

Mme Bertell: D'abord, vous parlez des centrales nucléaires.

Le sénateur Finnerty: Oui.

Mme Bertell: Effectivement, dans leur cas, une zone tampon est plus ou moins prévue. Elles peuvent installer des talus ou utiliser des moyens pour prévenir une partie de la pollution de l'air et assurer une protection en cas d'accident. Mais il y a aussi des zones non protégées autour des installations d'extraction minière et de concentration d'uranium et des tas de rebuts; et il y a des entreprises qui utilisent des matériaux radioactifs, comme cette compagnie de Pembroke qui récupère le tritium et qui est établie dans une zone résidentielle. Il n'y a pas de zones tampons autour de ces entreprises. La situation n'est donc pas toujours la même. Je pense que vous avez raison; il y a des zones tampons dans le cas des centrales nucléaires.

Le sénateur Finnerty: Pensez-vous que les centrales nucléaires offrent quelque avantage que ce soit au public? Avez-vous pesé les avantages par rapport aux dommages auxquels on pourrait s'attendre?

Mme Bertell: L'avantage se situe au niveau de l'électricité. L'électricité n'est pas nécessaire pour bien des choses, comme le chauffage et le refroidissement des espaces de vie ou le chauffage de l'eau. Tout cela peut se faire directement beaucoup mieux sans avoir recours à l'électricité. On gaspille en fait beaucoup d'énergie lorsqu'on la transforme en chauffage et en refroidissement. Oui, on a besoin d'énergie, on a besoin d'électricité. Je crois qu'on s'en sert pour trop d'utilisations qui ne l'exigent pas. Par exemple, il est possible d'utiliser l'énergie solaire pour chauffer 70 p. 100 d'une maison; on pourrait ainsi considérablement diminuer le recours à l'électricité. Je ne crois pas que l'on en ait besoin.

Je crois qu'on en a fait la promotion, car il était nécessaire que le public accepte la technologie nucléaire. Il faut avoir une industrie qui serve de façade à la défense, que cette industrie produise des armes ou non, parce que l'on veut que les universités forment des physiciens et des ingénieurs nucléaires. On a besoin d'extraction et de concentration d'uranium. On a des déchets. On touche véritablement l'ensemble de la société et on veut que les gens l'acceptent.

Personne ne va faire de l'extraction d'uranium si cela ne doit servir qu'à la production d'armes. Personne ne va enseigner les sciences nucléaires dans une université si les diplômés vont se mettre à fabriquer des armes. On doit avoir une industrie qui sert de façade, si bien qu'il fallait effectivement une industrie nucléaire soi-disant «pacifique» qui serve de façade à la défense. Cela ne veut pas dire que ceux qui travaillent dans l'industrie «pacifique» appartiennent à la défense. Ce n'est pas le cas. Ils peuvent fonctionner seuls.

Cette industrie avait tout pour elle. Elle a reçu de l'argent, des moyens de recherche, on lui a constamment donné le feu vert et elle n'a pas pu se transformer en une bonne industrie. C'est une industrie perdante. Elle n'aurait jamais dû être autorisée, et à mon avis, elle servait surtout de paravent pour la défense.

Le sénateur Adams: Madame Bertell, je vis dans le Nord. Il n'y avait à l'origine qu'un territoire, et maintenant il y en a deux avec le Nunavut. Nous n'avons pas de centrale nucléaire.

Mme Bertell: Je suis allée à Baker Lake.

Le sénateur Adams: Beaucoup de gens qui vivent là-bas sont maintenant atteints du cancer. J'ai plus de 60 ans aujourd'hui. Je n'ai pas vu beaucoup de gens mourir du cancer lorsque j'étais jeune. Aujourd'hui, de plus en plus de gens sont atteints du cancer.

La pollution peut-elle se déplacer sur une longue distance à partir du secteur où se trouve la centrale? Peut-on dire que c'est comme dans le cas de n'importe quelle centrale au charbon où la pollution monte dans l'atmosphère et dès qu'il commence à faire froid, retombe sur le sol? Des études ont-elles été faites au sujet du déplacement de la pollution radioactive dans l'atmosphère?

Mme Bertell: Les retombées des essais d'armes ont été les plus importantes dans le Nord et certains des essais d'armes se sont déroulés très haut dans la stratosphère, même au-dessus de celle-ci, et les retombées se sont produites au pôle magnétique nord. Cela s'ajoute à toutes les industries nucléaires russes qui se trouvent là-bas. Les retombées ont été très nombreuses dans le Nord. Cela a été documenté et mesuré, surtout chez le caribou. Les caribous sont victimes d'une forte pollution, et bien sûr, la viande de caribou était l'un des éléments essentiels du régime alimentaire des gens du Nord. Les retombées radioactives ont été très importantes.

Les retombées d'un réacteur nucléaire sont plus localisées. Toutefois, tout rejet important comme dans un accident semblable à celui de Tchernobyl, par exemple, produit des retombées importantes dans le Nord. Vous avez été pollués, malheureusement.

Le sénateur Adams: Même en vivant dans le Nord, très loin du sud, nous sommes pollués.

Mme Bertell: Les caribous n'ont pas migré au cours de l'hiver 1957-1958. Cela s'explique probablement par les essais intensifs d'armes à ce moment-là. Je crois que les caribous n'ont pas vêlé cette année. Ils sont restés au même endroit. Beaucoup de gens du nord sont morts au cours de cet hiver. Le gouvernement canadien a envoyé des hélicoptères au printemps pour déplacer les gens qui étaient toujours en vie et les amener à Baker Lake.

Le sénateur Adams: Je m'en souviens.

Mme Bertell: C'était comme une opération de sauvetage. C'était la première fois au cours d'une histoire de 2 000 ans -- transmise oralement -- qu'il n'y avait pas eu de migration du caribou. Je crois que c'était à cause des retombées.

Le sénateur Banks: Je reviens à ce que je disais précédemment, pour essayer de bien comprendre. Au bout de quel laps de temps est-on arrivé au chiffre de 2,33 milliards de victimes de la radiation nucléaire; je n'en suis pas trop sûr.

Mme Bertell: On parle de la période qui se situe entre 1945 et 2000.

Le sénateur Banks: Au cours de ces 55 années, combien de personnes sont mortes? A quel pourcentage de décès ces 2,33 milliards correspondent approximativement? Est-ce qu'il y a eu dix fois plus, 100 fois plus, deux fois plus de décès?

Mme Bertell: Pour vous donner une estimation, et je ne compte pas en fait le nombre de décès, nous sommes maintenant 6 milliards sur cette terre, mais ce chiffre a augmenté. Normalement, lorsqu'il y a pollution par rayonnement, le pourcentage passe de 20 p. 100 à peut-être 25 p. 100 des décès, si bien que l'on pourrait dire qu'il y a près de quatre fois plus de décès au total.

Le sénateur Banks: Cela pourrait représenter jusqu'à 25 p. 100 des décès qui se sont produits au cours de la même période.

Mme Bertell: Oui, mais ce n'est qu'une estimation.

Le sénateur Taylor: Dans votre rapport, madame Bertell, vous dites que l'Organisation mondiale de la santé n'avait pas les fonds nécessaires pour publier son rapport. D'après le rapport sur les décès ou les effets de Tchernobyl, il semble que l'Agence de l'énergie atomique prétend que le nombre de décès n'a été que minime. D'après vous, me semble-t-il, ce n'est pas une conclusion exacte. Je sais que ce n'est pas publié. Cela peut être difficile, mais pouvez-vous m'éclairer à ce sujet?

Mme Bertell: L'Organisation mondiale de la santé a publié un rapport important. Toutefois, le rapport dont vous parlez a été publié par l'Agence internationale de l'énergie atomique qui s'est vu conférer par les Nations Unies le mandat de promouvoir l'énergie nucléaire. C'est le rapport qui est disponible et qui est cité.

L'Organisation mondiale de la santé a tenu une importante réunion de professionnels, lesquels ont publié d'excellents articles, mais l'Organisation n'a jamais eu suffisamment de fonds pour publier ce rapport. Cela remonte à 1959.

Si vous retournez en arrière, vous verrez que l'explosion de la bombe à hydrogène, soi-disant réussie -- a eu lieu en 1954 à Bikini. À ce moment-là, le président Eisenhower a prononcé devant les Nations Unies son discours sur «l'atome pacifique». C'est après ce discours que l'Agence internationale de l'énergie atomique a été créée et qu'elle a reçu deux mandats des Nations Unies: empêcher la prolifération horizontale des armes nucléaires et promouvoir l'énergie nucléaire et ses utilisations pacifiques.

Entre 1954 et 1960, l'Organisation mondiale de la santé a tenu deux réunions. La première qui s'est déroulée vers 1957 portait sur les effets génétiques du rayonnement. L'OMS a publié un rapport très accablant sur les dommages génétiques et tératogènes in utero auxquels on pouvait s'attendre si cette industrie allait de l'avant. Il y a eu ensuite une autre réunion convoquée à la demande des spécialistes du nucléaire sur les répercussions de l'énergie nucléaire sur la santé mentale. Selon eux, si la population était au courant des dommages génétiques, de graves problèmes de santé mentale surgiraient. Il est toujours possible de lire ces documents qui sont disponibles.

C'est une fois les problèmes de santé mentale identifiés qu'un protocole d'entente a été conclu entre l'Agence internationale de l'énergie atomique et l'OMS, stipulant que l'AIEA se chargerait des questions de santé posées par le rayonnement; l'Organisation mondiale de la santé n'a plus eu voix au chapitre.

Les spécialistes du nucléaire ont fait la même chose avec l'OIT, l'Organisation internationale du travail. L'OIT ne peut pas s'occuper de la santé des travailleurs. Tout relève de l'AIEA et pourtant les membres de l'AIEA sont ceux qui font la promotion de l'industrie. Cela ne va pas; il s'agit d'un énorme conflit d'intérêt.

La présidente: Madame Bertell, nous sommes limités par le temps. J'espère que vous serez d'accord de répondre à des questions écrites, le cas échéant.

Mme Bertell: Je m'en ferais un plaisir.

La présidente: Je suis sûre que votre témoignage a soulevé bien d'autres questions que nous n'avons tout simplement pas le temps d'examiner.

Mme Bertell: Je vais vous envoyer un résumé des diverses façons de produire de l'électricité.

La présidente: Honorables sénateurs, nous passons maintenant au point suivant de l'ordre du jour. Nous recevons les témoins de la Campagne contre la mine Adams.

M. Pierre Bélanger, Campagne contre la mine Adams: Honorables sénateurs, merci beaucoup pour cette audience improvisée. Nous vous distribuons un bref historique ainsi que la chronologie de la lutte que nous menons dans le nord de l'Ontario.

Nous sommes maintenant à Ottawa. Ce sont les dernières heures, les dernières minutes qui nous restent pour régler cette question. À l'heure actuelle, ce projet a reçu une approbation limitée d'évaluation environnementale ainsi qu'un permis du gouvernement de l'Ontario. La Ville de Toronto propose d'envoyer 20 millions de tonnes de ses déchets municipaux au cours des 20 prochaines années dans cette mine de minerai de fer remplie d'eau. Nous arrivons au bout de onze années de procédures, d'efforts, d'efforts de lobbying, tant à Queen's Park qu'à Toronto.

Le conseil de Toronto est décidé à passer à l'action le deux, le trois et le quatre octobre. Si je vous en parle, c'est parce que le temps presse. Le conseil de Toronto va ratifier ce contrat au cours de sa dernière réunion avant les élections municipales de novembre en Ontario. Le conseil l'a accepté en principe à partir d'une liste restreinte de soumissionnaires.

Nous demandons aujourd'hui l'intervention du gouvernement fédéral compte tenu des dispositions de la loi environnementale fédérale qui prévoient une telle intervention dans deux cas, soit la protection de l'eau et le droit à un environnement non pollué. Nous avons besoin d'une protection de ce projet dément.

En vertu de la loi fédérale, le gouvernement fédéral peut intervenir si la question qui se pose est transfrontalière, si elle touche deux provinces. C'est clairement le cas ici. En amont de cette mine se trouve le lac Témiscaming ou Lake Timiskaming, que vous vous trouviez du côté du Québec ou du côté de l'Ontario. Le lac est divisé en deux. En outre, en vertu de la loi, le gouvernement fédéral peut et doit intervenir lorsque des biens fonciers fédéraux sont touchés. Une collectivité autochtone a présenté une demande dont la chef Carol McBride peut parler un peu plus tard.

Nous avons présenté une demande officielle au ministre David Anderson à propos de ces deux points, l'effet que cela aura sur les biens fonciers fédéraux dans les réserves et l'effet que cela aura sur deux provinces. C'est notre point de départ. Notre mémoire est appuyé à l'unanimité par toutes les municipalités du côté québécois et à la quasi-unanimité par les municipalités du côté ontarien, par des groupes de citoyens et par des chambres de commerce. Nous demandons au gouvernement fédéral d'intervenir vu que des intérêts fédéraux sont en jeu et, partant, les intérêts des citoyens.

Cette carrière est une carrière de roches -- des roches fracturées, fissurées. Si ce projet va de l'avant et fait défaut, comme nous prouvons que cela va être le cas, un déversement va se produire dans les rivières adjacentes, dans le lac Témiscaming et dans la rivière des Outaouais, jusqu'à Ottawa et Québec. Cela touchera toutes les municipalités autour d'Ottawa ainsi que la nappe souterraine.

Nous avons une conférence de presse ce matin et cet après-midi, un grand rassemblement pour faire de nouveau part des préoccupations des habitants de cette région. Il s'agit d'une lutte très longue et très amère qui est menée dans le nord de l'Ontario. Les questions sont très nombreuses et complexes.

Nous essayons de mettre un terme à un méga-dépotoir. Si la carrière qui figure sur cette affiche est développée, ce sera le dépotoir ou le site d'enfouissement le plus important du Canada. Il se trouve deux autres carrières à côté dont le développement a également été proposé.

Nous sommes en conflit avec Toronto et les municipalités régionales avoisinantes de Peel, York et Durham qui participeraient à cette expédition. Leur taux de recyclage est de 24 p. 100. Elles ont toutes recours à des sites d'enfouissement qui -- au mieux -- correspondent à la technologie des années 50. Nous savons au Canada qu'il existe des solutions de rechange, comme l'ont prouvé Edmonton et Halifax. Une bonne gestion des déchets n'a rien de secret. On y parvient ailleurs au Canada et pourtant nous avons ici une municipalité qui ne va pas changer ses façons de faire. Tout ce qu'elle veut, c'est 20 années de plus sans problème, soit la solution du dépotoir. Le projet qui est proposé assurerait le transport des déchets par train.

La présidente: Pourriez vous nous indiquer pourquoi la Ville de Toronto a refusé d'envisager d'autres solutions?

M. Bélanger: Puis-je demander à Mme Lloyd de répondre à cette question? Je suis un homme d'affaires et je m'intéresse de très près à ce projet en tant que citoyen, mais je ne suis absolument pas qualifié au plan technique. Mme Lloyd est la spécialiste dans ce domaine.

Mme Brennain Lloyd, Campagne contre la mine Adams: Plusieurs théories et plusieurs raisons permettent d'expliquer pourquoi Toronto résiste autant à toute option autre que celle-ci. Il y a d'abord un problème de processus. Toronto examine trois options de gestion des déchets: la première, ce sont les nouvelles technologies dont le potentiel est incroyable; la deuxième, c'est le recyclage qui a fait ses preuves; et la troisième, c'est l'élimination des déchets. Pour Toronto, l'élimination des déchets équivaut à l'incinération ou à l'enfouissement. Toronto a fait un appel d'offres auprès du secteur privé pour l'élimination des déchets. Le problème fondamental du processus, c'est que la ville prend des décisions au sujet de son option d'élimination avant d'arriver à toute conclusion sur le véritable potentiel qu'offre le recyclage.

Tout d'abord, Toronto a un problème de gestion. Deuxièmement, je crois que le problème provient des rapports de longue date, ou traditionnels, qu'entretiennent certaines personnes du Service des travaux publics de la Ville de Toronto, des personnes du comité des travaux publics et des membres du personnel; certains des élus qui siègent au sein du comité des travaux publics se sont engagés depuis longtemps à l'égard de ce projet, depuis 1990. Je crois que nous avons un problème d'engagement personnel et d'alliances politiques qui ont été conclues il y a une dizaine d'années et qui continuent de nous hanter.

Troisièmement, le conseil de Toronto doit s'occuper d'un nombre incroyable de questions fort complexes. Chaque fois que nous assistons à des réunions de comité du conseil, nous nous apercevons que les membres du conseil ne sont pas en mesure de régler toutes les questions à l'ordre du jour. Je crois véritablement qu'ils essayent de trouver un moyen d'éviter de régler la question de la gestion des déchets et qu'ils pensent que cette formule leur permettra de ne plus s'en occuper. Il s'agit d'un contrat de 20 ans et ils pensent donc retirer ce point de l'ordre du jour du conseil pour les 20 prochaines années. Il s'agit peut-être davantage d'un problème structurel. Le conseil ne veut tout simplement pas régler le problème. Ces gens ne veulent pas s'occuper des investissements financiers qu'exigerait un meilleur recyclage et ils ne veulent pas revenir sur la question dans deux, trois ou cinq ans.

Le sénateur Christensen: Je viens du Yukon. La photo que vous nous avez montrée aurait pu être prise à Whitehorse. Nous avons une carrière à ciel ouvert qui a servi de décharge et ce n'est que 15 ans plus tard que les fuites ont commencé à apparaître dans les cours d'eau. Cela a pris tout ce temps-là.

Ce genre de choses ne peut pas arriver à moins que des accords ne soient conclus. Qu'en est-il de la ville de Kirkland Lake? Y a-t-il des accords? Vous ne pouvez pas amener des déchets de Toronto sans avoir consulté divers intervenants au préalable.

M. David Ramsay, député provincial (Témiscaming-- Cochrane), Campagne contre la mine Adams: Trouver un receveur consentant a été l'une des questions litigieuses. L'auteur du projet en 1989-1990 a réussi à convaincre les conseils municipaux du jour de Kirkland Lake, Larder Lake et Englehart à signer, en contrepartie d'un pourcentage de la redevance de déversement. Comme vous le savez, c'est l'argent qui mène le monde. Cela équivaudrait à plusieurs centaines de milliers de dollars par année pour Kirkland Lake et à des montants moindres pour les deux autres villes, plus petites. La région est en crise, comme le sait très bien le sénateur Finnerty, et ces conseils étaient aux abois. Vu les difficultés des mines d'or, ils ont pensé que cela pourrait être une nouvelle source de revenus.

Lors de l'élection municipale de 1991, à Kirkland Lake, on a demandé aux gens s'ils acceptaient que la ville effectue une évaluation environnementale du projet. Pour faire accepter l'idée de tenir un référendum sur la question, le maire de l'époque a dit qu'on pouvait voter sans inquiétude en faveur d'une telle évaluation, parce qu'il y aurait un deuxième vote. Si les résultats du vote étaient positifs, on tiendrait un deuxième référendum, plus tard, pour mesurer la volonté des gens d'aller de l'avant avec ce processus.

Voilà où nous en sommes. Tous les sondages d'opinion réalisés à ma demande par des maisons de sondage indépendantes révèlent qu'une vaste majorité -- 77 p. 100 -- des habitants de la région de Témiscamingue est contre le projet. L'opposition est encore plus vive dans les régions agricoles: 86 p. 100 des habitants des Tri-towns et du Clay Belt y sont opposés. Et dans le dit triangle de partenaires consentants entre Kirkland Lake, Larder Lake et Englehart, 62 p. 100 sont contre. Par conséquent, l'idée que nous sommes des partenaires consentants est fausse et c'est le message qui a été transmis au conseil de Toronto. Il s'agit d'un des principaux arguments invoqués dans le dossier, mais ce n'est pas vrai.

Le sénateur Christensen: Il n'y a pas eu de deuxième référendum.

M. Ramsay: Jamais.

Le sénateur Christensen: Vous avez tenu un premier vote, mais pas un deuxième. Ce que vous voulez, c'est qu'on effectue une évaluation environnementale détaillée du projet.

M. Ramsay: Oui, et qu'on tienne un référendum sur la question.

Le sénateur Banks: Les gens ne peuvent-ils pas, au moyen d'une pétition, obliger les municipalités à tenir un référendum?

M. Ramsay: Malheureusement, il n'y a aucune loi en Ontario qui oblige les villes à faire cela. Il n'existe pas non plus de précédent. Une nouvelle loi a été adoptée à la fin du printemps, et quand les gens ont demandé au conseil de tenir un référendum sur la question au moment de l'élection, ils se sont fait dire que c'était impossible, parce que le délai prévu par la nouvelle loi était expiré. La ville n'a jamais tenu compte de la volonté des résidents de tenir un référendum sur la question.

Le sénateur Finnerty: Chef McBride, est-ce que cette carrière fait l'objet d'une revendication territoriale? En quoi cette question vous concerne-t-elle?

Chef Carol McBride, Campagne contre la mine Adams: Je vais demander à David Nahwegahbow de répondre aux aspects techniques de la question. La mine Adams fait partie de notre territoire traditionnel. Celui-ci est indiqué en bleu sur la carte. La mine se trouve dans ce territoire.

M. David Nahwegahbow, conseiller juridique de la Première nation de Témiscamingue: Cette région fait l'objet d'une revendication qui n'a toujours pas été réglée. La région identifiée en bleu sur la carte est l'objet d'un titre ancestral non éteint. Elle appartient à la Première nation de Témiscamingue. En fait, cette question fait l'objet d'une pétition qui demande au ministre de l'Environnement d'effectuer une évaluation environnementale détaillée du projet. C'est un des intérêts fédéraux en jeu.

Comme vous le savez, la Couronne a une responsabilité fiduciaire à l'égard des peuples autochtones quand un titre ancestral est en cause -- dans ce cas-ci, il s'agit d'une réserve indienne. Le Témiscamingue tire son eau potable des rivières qui pourraient être polluées par les produits de lixiviation qui proviendraient de la décharge. La Première nation de Témiscamingue exerce des activités de cueillette dans cette région, et cette décharge pourrait lui nuire beaucoup.

Le sénateur Finnerty: On a laissé entendre que ce dossier relève du provincial, et non du fédéral. Toutefois, la question des cours d'eau et des revendications territoriales relève certainement de la compétence du fédéral.

M. Nahwegahbow: Un dernier point: nous avons une copie de la pétition des habitants de la région de Témiscamingue demandant la tenue d'une évaluation environnementale par le gouvernement fédéral. Nous allons la déposer auprès du comité.

La présidente: J'aimerais qu'on propose une solution au problème.

Le sénateur Kenny: D'abord, je tiens à dire, aux fins du compte rendu, que c'est le sénateur Finnerty, qui est originaire du Nord de l'Ontario, qui a porté cette affaire à notre attention. Nous la remercions. Il y a eu beaucoup de discussions à ce sujet, à Ottawa, par suite de son intervention. Elle a même porté cette question à l'attention du premier ministre et du cabinet. Elle a joué un rôle très actif dans ce dossier.

Sur le plan strictement politique, il s'agit d'une question de compétence provinciale, et donc d'un terrain miné. Si les provinces ont cafouillé -- et c'est ce qu'elles ont fait, semble-t-il -- alors c'est à elles d'en assumer la responsabilité. Le politicien qui s'ingère dans les affaires de quelqu'un d'autre n'est pas très judicieux. Il serait plus sûr, peut-être, de jeter le blâme sur le gouvernement provincial et de le laisser s'arranger tout seul.

Cela dit, le sénateur Finnerty a invoqué certains arguments qui font état de la responsabilité du fédéral dans ce domaine. Il y a d'abord les terres indiennes et ensuite la question transfrontalière, qui constitue également un argument convaincant.

La présidente: Ajoutons à cela les poissons dans les eaux navigables.

Le sénateur Kenny: Le gouvernement fédéral a mis au point certaines technologies qui sont utilisées dans le sud de l'Ontario. Ces technologies permettent non seulement d'assurer le traitement efficace des déchets, mais aussi de créer des sous-produits, comme de la tourbe et du gaz naturel, qui sont utiles sur le plan commercial. On me dit également qu'elles génèrent des recettes importantes. Ces technologies ne semblent pas avoir été prises en compte dans ce cas-ci.

Tout cela peut vous paraître bien précipité, mais je propose que le comité envisage de déposer une motion demandant que la présidente écrive au ministre au nom du comité afin de lui faire part de notre désir qu'une évaluation environnementale soit effectuée. Nous pourrions également déposer une motion auprès du Sénat en vue de lui indiquer que le comité estime qu'une évaluation environnementale s'impose et de lui demander son avis là-dessus. Nous pourrions soumettre la question à un vote, au Sénat, et ensuite renvoyer le tout au gouvernement. Il y a peut-être autre chose que nous pouvons faire, mais ce sont deux démarches que nous pouvons entreprendre tout de suite si nous ne voulons pas perdre de temps. Voilà ce que je propose, madame la présidente.

La présidente: Pour ce qui est de la demande faite au ministre, il faut une autorisation pour que le Sénat étudie la motion aujourd'hui. Sinon, le projet sera bientôt adopté. Quand avez-vous dit qu'il sera étudié? Le 4 octobre?

M. Bélanger: Les 2, 3 et 4 octobre.

La présidente: Il faudrait qu'on obtienne une autorisation et que vous en parliez à votre leader au Sénat. C'est ce que je voudrais que vous fassiez. Toutefois, nous devons nous prononcer sur la motion.

Le sénateur Kenny: En supposant qu'il y a entente, et rien n'a encore été décidé de ce côté-là.

La présidente: C'est vrai. Je ne fais que le signaler.

Le sénateur Finnerty: Est-ce que le comité des peuples autochtones devrait être mis au fait de la situation?

Le sénateur Kenny: Cela dépend du nombre d'heures que nous avons à notre disposition.

La présidente: Le comité des peuples autochtones ne se réunirait probablement pas à temps. Nous avons deux motions: la première porte sur la lettre adressée au ministre, et la deuxième, sur le dépôt, cet après-midi, d'une résolution au Sénat. Je suppose que ce serait une résolution.

M. Michel Patrice, greffier du comité: Ce pourrait être un rapport du comité.

Le sénateur Kenny: Je recommande qu'on dépose un rapport du comité -- un rapport provisoire, si vous voulez. Mais n'est-il pas également possible de solliciter l'avis du Sénat et de soumettre une résolution à celui-ci?

La présidente: Vous pouvez faire ce que vous voulez, si vous en avez l'autorisation.

M. Patrice: Le comité indiquerait dans son rapport qu'il souhaite présenter une demande au Sénat. La décision doit être prise par l'ensemble des membres du comité et vous devez demander au Sénat de l'approuver, tout comme vous le faites dans le cas d'un projet de loi, par exemple. À défaut d'avoir cette autorisation, le Sénat ne se prononcerait pas sur la question aujourd'hui, mais à sa prochaine réunion.

La présidente: Il serait trop tard.

Le sénateur Kenny: Il n'y a rien qui nous empêche d'envoyer la lettre et de déposer le rapport aujourd'hui. On peut très bien le faire. Pour ce qui est du troisième point, soit l'autorisation, il n'est pas sûr qu'on l'obtienne.

La présidente: On pourrait déposer le rapport, mais il faudrait également avoir une résolution. Je pense que celle-ci devrait venir du sénateur Finnerty, puisque c'est elle qui a le plus d'expérience dans ce domaine. J'aimerais, si possible, qu'on dépose le rapport et qu'on adopte également une résolution, parce que cela va donner plus de poids à notre démarche.

M. Patrice: En fait, en présentant un rapport, vous demanderiez essentiellement au Sénat d'adopter une résolution, étant donné que celle-ci viendrait de l'ensemble des membres du comité et non pas d'un membre du Sénat.

La présidente: Nous pourrons discuter de tous ces détails plus tard. J'aimerais qu'on se prononce là-dessus aujourd'hui.

Le sénateur Taylor: Il y a quelque chose qui m'intrigue. Je présume que l'administration municipale de l'époque a approuvé le projet et qu'elle est allée de l'avant avec celui-ci. Vous dites que, d'après vos sondages, 77 p. 100 des habitants s'opposent au projet. Il arrive parfois que les administrations municipales prennent des décisions que 77 p. 100 ou plus des habitants désapprouvent. Je me demande si le Sénat a le pouvoir d'intervenir auprès d'une administration municipale. Quand aura lieu la prochaine élection? Il existe une façon bien démocratique de régler ce genre de problème, et c'est en mettant ceux qui sont au pouvoir à la porte.

M. Ramsay: Puis-je apporter une précision? Les élections municipales en Ontario auront lieu le 13 novembre. Toutefois, ce site ne fait partie d'aucune de ces municipalités. La mine Adams fait partie de ce qu'on appelle, en Ontario, un territoire non organisé. Il n'y a pas d'administration municipale. Ces trois villes se portent à la défense d'une étendue de terrain qui ne fait même pas partie de leur territoire. C'est ce qui explique une partie du problème. Vu l'impact qu'a le projet sur la région, nous ne jugeons pas que les conseils, dont les membres sont élus pour un mandat de trois ans, sont bien placés pour parler au nom d'une étendue de terrain sur laquelle ils n'exercent aucune compétence.

Le sénateur Banks: Qui est responsable de cette propriété, sur le plan municipal?

M. Ramsay: Personne.

Le sénateur Taylor: Nous nous mêlons de choses qui ne nous regardent pas. Je n'aimerais pas que le Sénat adopte une résolution concernant ma municipalité parce qu'une délégation lui a dit qu'elle n'était pas d'accord avec un projet. Ma réaction serait de les mettre à la porte. Dans la plupart des provinces, ce sont les administrations municipales ou les autorités désignées qui prennent les décisions. Il y a en Ontario un ministère qui est responsable des municipalités. Vous nous demandez de dire à ce ministère comment faire son travail.

M. Ramsay: En fait, tout ce que nous demandons aujourd'hui, c'est que le gouvernement fédéral examine la requête des Premières nations. Celles-ci ont demandé que le gouvernement fédéral effectue une évaluation environnementale.

Le sénateur Taylor: Le comité devrait écrire au ministre des Affaires indiennes et du Nord afin de lui demander d'enquêter là-dessus. Je n'aime pas l'idée de m'adresser au Sénat. Nous aurons l'air ridicule.

La présidente: Je ne le crois pas, mais nous prenons note de ce que vous dites.

Le sénateur Taylor: Nous sommes enthousiastes, mais stupides.

Le sénateur Kenny: En tant que sénateur enthousiaste et stupide, permettez-moi de vous répondre. La motion que nous proposons n'a pas pour but de donner des ordres à qui que ce soit au palier provincial ou municipal. Elle a pour but d'indiquer à un ministre fédéral que nous aimerions qu'il effectue une évaluation environnementale. Point à la ligne.

Le sénateur Taylor: Nous n'avons pas besoin de motion pour cela.

La présidente: Oui, il en faut une.

Le sénateur Kenny: Comment pouvons-nous transmettre le message autrement? Elle ne peut pas écrire une lettre sans motion de la part du comité.

Le sénateur Taylor: Je suis d'accord, mais il est question ici du Sénat.

Le sénateur Kenny: C'est ça qui est formidable. Avoir l'appui de ce comité, c'est une chose, mais avoir l'appui du Sénat dans son ensemble, c'est tout autre chose.

Le sénateur Taylor: C'est un risque que je ne prendrais pas. Il va rejeter notre demande.

La présidente: J'ai participé aux audiences qui ont porté sur la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale, et si je me souviens bien, le processus a été très long. Il est évident, dans ce cas-ci, que le ministre a le pouvoir d'ordonner qu'une évaluation environnementale soit effectuée, du moins pour une raison. En fait, à y regarder de plus près, il y en a deux. Le fait est que la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale, et c'est la même chose partout au Canada, n'est pas appliquée comme elle devrait l'être. Il est temps que le gouvernement fédéral applique les principes de la loi, surtout quand il semble y avoir une telle volonté du peuple. Celui-ci demande qu'on applique la loi de façon juste et équitable. C'est de cela dont il s'agit, et on le répète partout au Canada. Par conséquent, il est hautement souhaitable que le Sénat soit saisi de la question. Voilà ce que j'en pense.

Le sénateur Banks: Il faudrait que quelqu'un appuie la motion.

La présidente: Ce n'est pas nécessaire.

Le sénateur Adams: Madame la présidente, il faudrait tenir compte du fait que Kirkland Lake fait l'objet d'une revendication territoriale de la part des Autochtones. Je ne sais pas comment fonctionne le processus dans les provinces, mais je sais par contre comment il fonctionne dans les Territoires. Quand une revendication territoriale est déposée, toutes les opérations minières sont interrompues. M. Nahwegahbow peut nous dire où en est le dossier.

M. Nahwegahbow: Le gouvernement fédéral a reçu avis que ce site fait l'objet d'une revendication territoriale. Il est au courant de la situation. En fait, le ministère fédéral des Affaires indiennes a déposé, auprès du gouvernement provincial, des documents faisant état de l'existence possible d'un titre ancestral dans cette région. Il est donc parfaitement au courant de la situation. En fait, un de ses experts au sein de la direction de la recherche et des traités a écrit une lettre confirmant l'existence de cet intérêt.

Le sénateur Adams: Depuis combien de temps négociez-vous?

M. Nahwegahbow: Il n'y a aucune négociation en cours pour l'instant. Un avis a été déposé. Nous en sommes encore à l'étape de la recherche.

Le sénateur Cochrane: Je suis sur la même longueur d'ondes que le sénateur Taylor.

Le sénateur Kenny: Il vient de changer de point de vue.

Le sénateur Cochrane: Cette question semble être de compétence municipale. Je ne sais pas si nous devrions intervenir, puisque vous semblez déjà avoir étudié la question à fond. Quelle a été la réaction, jusqu'ici, du gouvernement fédéral concernant le rôle du ministre? Avez-vous eu une réponse?

M. Bélanger: Nous allons nous réunir cet après-midi.

Le sénateur Cochrane: Rien n'a encore été fait?

Mme McBride: Nous avons soumis notre demande il y a trois semaines environ.

Le sénateur Cochrane: Quel en était l'objet?

Mme McBride: Nous avons présenté une demande d'évaluation environnementale, une pétition. Nous n'avons pas encore reçu de réponse. Aucune décision n'a encore été prise.

Le sénateur Cochrane: Madame la présidente, n'agissons-nous pas prématurément?

Le sénateur Finnerty: Ils vont rencontrer le ministre cet après-midi.

Le sénateur Cochrane: Oui, je sais.

Le sénateur Finnerty: Si nous agissons avec tant de célérité, c'est parce qu'ils ne seront ici qu'une seule journée. Quand j'ai appris cela, j'ai pensé qu'il serait utile pour nous d'entendre les doléances des habitants du Nord de l'Ontario.

Mme Lloyd: Pour ajouter à ce qu'a dit la chef McBride, vous avez tout à fait raison d'insister sur les facteurs qui peuvent inciter le gouvernement fédéral à effectuer une évaluation. Cette question relève de la compétence du fédéral, aux termes de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale. Si nous nous sommes adressés à vous, c'est parce que l'impact de ce projet concerne le gouvernement fédéral.

Il y a trois facteurs dans la loi qui peuvent mettre en branle le processus d'évaluation. Deux d'entre eux font partie de la catégorie dite pouvoir discrétionnaire. Le ministre doit renvoyer la question à une commission, qui se chargera de l'examiner. Voilà cinq ans que la loi est en vigueur -- nous en sommes à la cinquième année, et elle fait l'objet d'un examen -- et le ministre n'a encore jamais invoqué ce pouvoir. Celui-ci peut l'être quand il existe un intérêt de la part des Autochtones à l'égard de terres fédérales et quand un projet à un impact transfrontalier.

Il y a un troisième facteur qui relève de la Loi sur les pêches, et qui rend toute évaluation obligatoire quand un projet a un impact sur les poissons et les cours d'eaux. Or, 312 millions de litres de produits de lixiviation vont être déversés chaque année dans la rivière Missinaibi, qui sert d'habitat aux poissons d'eaux froides. Le MPO a fait preuve de négligence dans ce dossier, mais ce facteur rend une telle évaluation obligatoire.

Le sénateur Cochrane: Madame Lloyd, je ne conteste pas ce que vous dites. Je veux tout simplement savoir comment le gouvernement fédéral a réagi à ces arguments. Avez-vous expliqué tout cela au ministre?

Mme Lloyd: Je ne peux vous en dire plus. La chef McBride a dit qu'ils ont déposé leur pétition. Celle-ci demande officiellement au ministre de soumettre le projet à une commission d'examen. Ils ont fait cela il y a quelques semaines. Nous sommes venus vous voir aujourd'hui, à Ottawa, avec notre demande, notre lettre, notre pétition et notre mémoire. Nous avons déposé tout cela auprès de la présidence.

Le sénateur Taylor: Tout ce que nous devons faire, c'est déposer une motion en faveur de cette demande.

La présidente: Nous en avons déjà une.

Le sénateur Adams: Il y a deux motions.

M. Nahwegahbow: J'aillais dire, madame la présidente, que le ministère a manifesté de l'intérêt pour ce dossier, du moins en ce qui concerne les Autochtones, mais qu'il a également voulu mesurer la réaction du public à l'égard de cette question. Il s'agirait, au bout du compte, d'une décision politique. Comme nous le savons, tout appui en faveur d'une évaluation environnementale par le gouvernement fédéral sera utile, surtout qu'il s'agit-là d'un cas sans précédent.

Le sénateur Kenny: Madame la présidente, nous devrions préciser que nous allons parler en leur faveur ou contre eux, selon le cas.

La présidente: J'ai deux motions, et elles viennent toutes deux du sénateur Kenny. Dans la première, on propose d'envoyer une lettre au ministre en vue de lui indiquer que nous appuyons les deux requêtes. Que tous ceux qui sont en faveur veuillent bien lever la main.

La motion est adoptée.

Dans la deuxième, on propose que le comité dépose, dès cet après-midi, un rapport demandant qu'on procède à une évaluation environnementale.

Le sénateur Christensen: Est-ce qu'on peut déposer cette motion? On ne connaît pas encore la réponse détaillée du gouvernement. Je ne voudrais pas que la motion soit rejetée.

Le sénateur Kenny: Ce que je voudrais qu'on dise dans la motion, c'est que le comité encourage le gouvernement fédéral à envisager la possibilité d'effectuer une évaluation environnementale dans ces circonstances. C'est tout.

La présidente: On ne critique personne. On obtient davantage quand on se montre conciliant. Nous ne faisons que donner notre appui aux requêtes qui ont été présentées.

Le sénateur Taylor: Je ne crois pas qu'il soit nécessaire de mentionner cela dans la lettre. Il est déjà question de l'évaluation environnementale dans la motion. Il est inutile de jouer avec les mots.

La présidente: Y a-t-il d'autres commentaires? Que tous ceux qui sont en faveur veuillent bien lever la main.

Est-ce qu'il y en a qui sont contre?

La motion est adoptée.

Je tiens à dire que, dans ma propre province, le gouvernement antérieur a cédé le cinquième du territoire -- y compris de nombreuses rivières, des sites abritant des oiseaux des tropiques, des terres faisant l'objet de revendications territoriales, des poissons et des animaux de tout genre -- à la compagnie Louisiana Pacific, et qu'aucune évaluation environnementale n'a été effectuée, même si le projet pouvait nuire aux poissons. Par conséquent, je ne crois que ce facteur rende obligatoire la tenue d'une étude d'impact. Fait intéressant, on a effectué une évaluation environnementale quand il a été question de construire un petit pont.

Le sénateur Taylor: Vous devriez passer à la barre des témoins, madame la présidente.

La présidente: Je ne fais pas beaucoup d'interventions au sein du comité. Je tiens tout simplement à dire qu'ils ont effectué une étude d'impact quand il a été question de construire un petit pont sur une petite rivière, et qu'un groupe environnementaliste s'est ensuite adressé aux tribunaux pour dénoncer le fait qu'il ne s'agissait pas d'un simple petit pont, que ce pont aurait des effets beaucoup plus graves. Le juge a rejeté leur requête et leur a imposé des frais. L'affaire se retrouve encore une fois devant les tribunaux parce que le groupe environnementaliste a interjeté appel du jugement qui a été rendu. Il ne faut donc pas s'étonner de voir, comme je l'ai au début, que le processus d'évaluation environnementale est rarement utilisé.

M. Bélanger: J'aimerais faire une dernière observation. Je tiens à vous remercier d'avoir accepté de nous entendre si rapidement. Personnellement, je pense, comme vous, qu'il s'agit d'une affaire extraordinaire en ce sens qu'elle soulève beaucoup de controverse. Toutefois, dans notre district, ce dossier a contribué à rassembler les gens. Au Québec, le député du Bloc québécois s'oppose à ce projet. Vous le voyez ici, sur ces photos, à nos côtés. Des Québécois, des Ontariens, des francophones, des anglophones, des membres des Premières nations, des chambres de commerce, des travailleurs, des ouvriers, des syndicats -- c'est un bel exemple d'un mouvement d'opposition unanime qui fait consensus et dont nous sommes très fiers. Il n'entraîne pas la division, du moins à ce niveau-là, à Témiscamingue. Nous tenons à vous remercier de votre temps. Cette affaire a eu ceci de positif, qu'elle nous a permis de forger des alliances et des rapports de travail intéressants.

La présidente: Nous devons poursuivre la discussion. La séance est levée.

La séance est levée.


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