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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 4 - Témoignages


OTTAWA, le jeudi 2 décembre 1999

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi S-10, Loi modifiant la Loi sur la défense nationale, la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques et le Code criminel, se réunit aujourd'hui à 10 h 45 pour en faire l'examen.

La sénateur Lorna Milne (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Je vois que nous avons le quorum. Je vous souhaite la bienvenue. Vous pouvez commencer.

Mme Marian Harymann, analyste principale des politiques, Division de l'application de la loi, ministère du Solliciteur général du Canada: Je suis responsable de la gestion d'ensemble du projet de loi S-10; à ce titre, j'en connais tous les aspects. Le ministère du Solliciteur général a la responsabilité particulière des modifications à la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques.

Ron Fourney, chercheur scientifique, Méthodes judiciaires et banque de données, Laboratoire judiciaire central, Gendarmerie royale du Canada: Je suis chercheur scientifique, mais c'est également moi qui suis chargé de la banque nationale de données génétiques. Je suis chargé de veiller au bon déroulement des activités scientifiques et de mettre en oeuvre, de développer et de gérer le fonctionnement de la banque nationale de données génétiques.

M. Michael Zigayer, avocat-conseil principal, Politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice: J'ai participé à l'élaboration de tous les projets de loi sur l'ADN qui ont été présentés au Parlement -- le projet de loi C-104 en 1995, le projet de loi C-3 et, maintenant, le projet S-10 -- en ce qui concerne les aspects liés au Code criminel, et j'ai également donné des conseils juridiques à propos de l'élaboration du projet de loi sur la banque de données.

M. Stanley Cohen, avocat-conseil principal, Section des droits de la personne, ministère de la Justice: Mon domaine, ce sont les droits de la personne. Du point de vue du comité, ces deux questions concernent les droits de la personne au plan national, en particulier pour ce qui est de la Charte des droits et libertés et du processus de justice criminelle. J'ai comparu devant vous à propos du projet de loi C-3. J'ai participé à l'examen de ce qui s'est fait au sujet de tout ce qui pourrait concerner la Charte.

Mme Jane Harrigan, commander, Services juridiques des pensions et des finances, Bureau du conseiller juridique, ministère de la Défense nationale: J'ai fait partie, ces deux dernières années, de l'équipe qui s'est occupée des modifications à la Loi sur la défense nationale. J'ai suivi les activités de cette équipe et je l'ai aidée quand elle a comparu devant vous au Sénat à propos du projet de loi C-25. Quant le fait que nous n'avions pas été inclus dans le projet de loi C-3 a été mentionné, j'ai été nommée à ce projet, et je travaille depuis lors avec Marian Harymann et Michael Zigayer. C'est ce que je continue à faire, même si je faisais initialement partie de l'équipe chargée des modifications à la LDN.

M. John Maguire, commander, directeur juridique, Justice militaire politique et recherche, cabinet du juge-avocat général, ministère de la Défense nationale: Je fais partie de l'équipe chargée des modifications apportées à la LDN par le projet de loi C-25, et j'en suis parti au mois d'août pour devenir membre de cette direction. Elle a été consultée dans le cadre de la préparation de ce projet de loi. Ce qui nous intéresse particulièrement est l'interaction entre le projet de loi et les services.

Le sénateur Beaudoin: Aux termes du projet de loi S-10, les gens bénéficient-ils de façon générale de la même protection qu'actuellement avec le Code criminel et la Charte, ou ce système est-il un peu différent? Nous avons consacré beaucoup de temps à la justice militaire. C'est très important. Nous avons beaucoup progressé. Comment peut-on comparer les deux systèmes? Pour les gens qui relèvent du projet de loi S-10, le processus sera-t-il le même? Le même principe s'appliquera-t-il?

Mme Harrigan: Oui. Comme dans le projet de loi C-3, nous avons essayé ici de concilier les protections de la vie privée avec les exigences de l'application de la loi en incluant des normes et des procédures conformes au Code criminel tel que modifié par le projet de loi C-3. Nous avons essayé de mettre en place un régime parallèle.

Le sénateur Beaudoin: Est-il parallèle?

Mme Harrigan: Oui.

Le sénateur Beaudoin: Il existe déjà un système parallèle de justice. Il y a la justice militaire et la justice civile. Ces deux systèmes sont parallèles. Ils sont conformes avec le fondement de notre droit.

Quand nous appliquons les mêmes principes à quelqu'un au ministère de la Défense nationale, la protection sera-t-elle exactement la même en fin de compte?

Mme Harrigan: Oui. On a conçu le système pour qu'il soit compatible avec le Code de discipline militaire. Il faut examiner la loi dont ces dispositions feront partie. Par exemple, dans les articles 196.14 ou 196.15 qui ont été proposés, les normes sont exactement les mêmes. Il n'est pas question des gens condamnés en vertu de la Loi sur les jeunes contrevenants, parce que toute personne relevant du Code de discipline militaire est condamnée en vertu de la Loi sur la défense nationale. Ce que le juge doit examiner au moment de se prononcer est identique à ce que prévoit le Code criminel tel que modifié par le projet de loi C-3.

En ce qui concerne la vie privée, les gens qui s'occuperont des échantillons d'ADN et des choses de ce genre dans notre système seront passibles des mêmes sanctions que les policiers civils auxquels s'appliquent les dispositions du Code criminel. Nous avons été inclus dans les dispositions relatives aux infractions au Code criminel pour ce qui est des utilisations illégales de l'ADN.

Le sénateur Beaudoin: Je suis heureux de l'apprendre.

Le sénateur Poy: En ce qui concerne l'obtention de données génétiques, y a-t-il un âge limite quelconque pour les jeunes contrevenants? Ce projet de loi exclut-il la possibilité d'obtenir leurs empreintes génétiques?

M. Zigayer: D'après les dispositions de la Loi sur les jeunes contrevenants, on peut demander un mandat en vue de l'obtention d'échantillons corporels de quelqu'un soupçonné d'être un jeune contrevenant. De même, si quelqu'un qui est un jeune contrevenant est condamné, le juge du tribunal pour adolescents peut agir à sa discrétion. Et si cette personne n'a pas atteint l'âge limite, quel qu'il soit, la loi s'appliquerait, et, dans les deux cas, au niveau du mandat et après la déclaration de culpabilité, le juge pourrait se prononcer à sa discrétion.

Le sénateur Poy: Donc, l'âge du jeune contrevenant n'a pas d'importance; c'est le juge qui décidera s'il faut garder les échantillons en cas de condamnation?

M. Zigayer: Oui. Il n'y a rien d'automatique, c'est une décision du juge.

Le sénateur Ghitter: Monsieur Cohen, d'après vos recherches, y a-t-il quelque chose dans ce projet de loi qui pourrait être contesté en vertu de la Charte?

M. Cohen: Ce projet de loi a des dispositions parallèles à ce qui figure déjà dans le Code criminel. Les dispositions du Code criminel ont été contestées. En fait, un tel cas a récemment été soumis à la Cour suprême de la Colombie-Britannique. Feeney était une célèbre affaire de meurtre qui a été soumise à la Cour suprême du Canada, qui s'est prononcée en faveur d'un nouveau procès. Une question d'ordre génétique a été soulevée. La Cour suprême a examiné toutes ces dispositions à cette occasion.

Elle a rendu une décision longue et bien argumentée, qui passe en revue les préoccupations à propos desquelles vous m'interrogez ici. Le juge explique cela beaucoup mieux que je ne peux le faire. Vous trouverez cela dans un volume récent des Criminal reports; je crois que c'est le volume 23, 5e série, page 74. Vous verrez que le juge examine la loi, considère qu'elle est bien conçue et équilibrée et en confirme la constitutionnalité. Je pense que c'est ainsi qu'elle sera traitée en fin de compte.

Le sénateur Ghitter: Dans le cas d'une demande présentée ex parte, si quelqu'un souhaite s'opposer à cette demande avant le prélèvement du premier échantillon génétique, quels sont ses droits?

M. Cohen: Les procédures ex parte se déroulent en l'absence de l'avocat qui représente le prévenu. Ces procédures étaient une des premières objections examinées dans l'affaire R. c. Feeney. Le juge était d'avis que la procédure ex parte n'est pas nécessairement inévitable, mais un juge examinant une demande de mandat pourrait solliciter l'intervention de l'avocat qui représente un prévenu, encore que cela ne soit pas nécessaire. C'est au juge examinant la demande qu'il appartiendrait de déterminer s'il doit élargir le cadre de l'audience pour déterminer si d'autres points de vue devraient être entendus au moment de la demande.

Pour le juge qui a entendu l'affaire Feeney, la procédure ex parte n'était pas contraire à la constitution.

Le sénateur Ghitter: À quel niveau l'affaire Feeney a-t-elle été entendue?

M. Cohen: Au niveau de la Cour suprême de la Colombie-Britannique.

Le sénateur Ghitter: A-t-elle fait l'objet d'un appel?

M. Zigayer: Oui, elle a fait l'objet d'un appel, qui n'a pas été plaidé. L'arrêt rendu dans cette affaire reflétait fondamentalement d'autres arrêts sur la même question, la procédure ex parte, qui avaient été rendus par différents tribunaux du pays. Une de ces affaires a été plaidée, F(S) c. Canada (procureur général). Ce jugement a fait l'objet d'un appel, qui a été plaidé récemment devant la Cour d'appel de l'Ontario. Bien entendu, nous sommes convaincus que cette loi sera maintenue, sur la base des jugements rendus par tous les autres tribunaux qui se sont prononcés, y compris dans l'affaire Feeney.

Tous les mandats de recherche sont émis ex parte, pour préserver la preuve -- afin qu'elle ne soit pas détruite. Les empreintes génétiques ne peuvent pas être détruites, mais on peut certainement les emporter à l'extérieur du pays. C'est pour cette raison que le système du mandat, le système ex parte, a été maintenu.

Tout le monde n'est pas d'accord à propos de ce qu'il faut faire si quelqu'un est détenu -- ou ne peut pas s'en aller, en d'autres termes. La procédure ex parte est-elle encore applicable, ou est-il approprié de donner un préavis et d'autoriser le répondant à se présenter à l'audience sur l'émission éventuelle du mandat? C'est une décision de fonds qu'a prise le gouvernement.

Il nous faudra attendre l'issue de l'affaire F(S). C'était une des questions soulevées par le juge Hill en première instance. Nous verrons ce que la Cour d'appel de l'Ontario trouve à dire à ce sujet.

M. Cohen: La loi a reçu un certain appui in arbiter de la part de la Cour suprême du Canada dans l'affaire R. c. Stillman. Vous constaterez dans le jugement que le juge Cory, en examinant les dispositions, déclare qu'elles sont apparemment conformes aux normes constitutionnelles.

Une décision rendue par le juge Murray, de la Cour du Banc de la Reine de l'Alberta, pourrait vous intéresser; elle porte sur la constitutionnalité de certaines des questions concernant les empreintes génétiques.

Le sénateur Ghitter: Pourquoi la procédure doit-elle être ex parte? Elle n'est pas très différente d'un mandat de perquisition. Il s'agit d'une personne individuelle. Pourquoi procéder ex parte? Pourquoi ne pas avertir l'accusé -- ou est-il accusé à ce moment-là? Peut-être n'est-il même pas accusé. Cela fait-il partie de l'accumulation de preuves?

M. Zigayer: Simplement parce que cette personne n'a pas pu s'en aller.

Si elle est détenue, la situation est différente. Dans ce cas-là, il n'y a pas de possibilité de fuite ou d'obstruction de la justice. Toutefois, dans le cours normal de l'obtention d'un mandat de perquisition -- et il s'agit fondamentalement d'un mandat de perquisition en vue d'obtenir des choses qui font partie du corps --, il faut éviter que quelqu'un puisse influencer le cours de la justice.

Le sénateur Moore: Madame Harymann, le solliciteur général nous a dit hier que tout semblait se dérouler comme prévu et que la banque de données fonctionnerait en juin 2000, comme cela avait été dit initialement l'année dernière quand nous étudiions l'autre projet de loi.

Dans ces conditions, et en ce qui concerne le projet de règlement au sujet du comité consultatif de la banque de données génétiques, avez-vous commencé à nommer les membres du comité? Diverses disciplines doivent être représentées. Cherchez-vous à avoir des membres du comité venant de toutes les régions du pays?

Mme Harymann: C'est à la GRC qu'il incombe de constituer le comité. Le commissaire de la GRC nommera ses membres. Il est censé être formé avant la mise en service de la banque de données, afin de pouvoir donner des conseils à ce sujet.

Je demanderai à M. Fourney, qui est directement associé à la constitution de ce comité, de répondre de façon plus approfondie à votre question.

Le sénateur Moore: À mon avis, il est important que le comité soit en place pour commencer à préparer le terrain avant l'ouverture de la banque. N'êtes-vous pas d'accord?

M. Fourney: Si. Nous n'avons pas ménagé nos efforts pour constituer un très bon comité. Il comprendra sept personnes: il y aura des spécialistes des questions juridiques et judiciaires, de la protection de la vie privée, de la génétique médicale, de la biologie de la population, de l'éthique biomédicale, de la police, ainsi que moi-même à titre de représentant technique pour les aspects scientifiques fondamentaux.

Tant que la loi n'est pas promulguée, nous ne pouvons pas nommer officiellement ces gens-là. Nous nous sommes adressés à des gens qui sont des experts de réputation internationale. Ils semblent être en faveur de cette idée et ravis d'être membres du comité.

Nous espérons avoir une réunion officielle. Toutefois, si ce n'est pas le cas, nous avons alors l'intention d'organiser un atelier d'orientation pour familiariser ces gens avec les différents aspects scientifiques et certaines des questions juridiques. Nous nous en occupons activement en ce moment même.

Le sénateur Moore: Quand envisagez-vous de tenir la réunion de l'atelier?

M. Fourney: Vers la troisième semaine de janvier.

Le sénateur Moore: De quelles provinces viennent les membres éventuels?

M. Fourney: De l'ensemble du Canada, et il y a aussi quelqu'un de l'étranger.

Le sénateur Poy: Monsieur Fourney, quand vous mettrez en place la banque de données, fonctionnera-t-elle de façon rétroactive pour les personnes déjà condamnées pour un crime ou celles qui sont déjà en prison? Leurs échantillons seront-ils prélevés immédiatement?

M. Fourney: Oui.

Le sénateur Poy: On stockera les données de tous les gens qui sont en prison, n'est-ce pas?

M. Zigayer: Il y a un système rétroactif très limité. Cela figure dans le Code criminel. Il est entré en vigueur après l'adoption du projet de loi C-3. Il s'appliquera seulement à trois catégories de contrevenants. Il y a les contrevenants dangereux. Il y a les gens qui, à toutes fins pratiques, passeront en prison le reste de leur vie. Une autre catégorie est celle des gens qui ont commis plusieurs meurtres à des moments différents. La troisième catégorie est celle des personnes qui ont été reconnues coupables de plusieurs délits sexuels -- agression sexuelle, agression sexuelle grave. Le nombre total des gens que nous avons identifiés est d'environ 1 700.

Mme Harymann: Ce nombre change tous les jours au fur et à mesure que des délinquants terminent leur peine. Aux dernières nouvelles, il était toutefois d'environ 1 400.

Le sénateur Poy: Cependant, à l'avenir, à partir du moment où la banque de données sera mise en place, les catégories vont changer, n'est-ce pas? Il y aura plus de criminels que ceux que vous venez de mentionner.

M. Zigayer: C'est seulement le système rétroactif. Ensuite, toute personne déclarée coupable d'une infraction désignée pourra être tenue de fournir des substances corporelles et de voir son profil génétique inclus dans la banque de données. C'est le juge qui décidera. Il peut, à sa discrétion, une fois que quelqu'un a été condamné, prendre en considération le dossier de l'accusé, les circonstances entourant le délit ainsi que d'autres facteurs pour déterminer si une telle décision est appropriée en l'occurrence.

Par exemple, l'introduction par effraction est une infraction désignée secondaire. Si un jeune est condamné pour une telle infraction, le juge peut refuser de prendre cette décision dans ce cas-là. En fait, puisqu'il s'agit d'une infraction secondaire, la présentation d'une demande à cet effet est laissée à la discrétion du procureur provincial. Celui-ci peut déterminer que ce n'est pas approprié.

Par contre, l'agression sexuelle est une infraction désignée primaire. Dans un tel cas, le juge approuvera la demande, à moins que l'avocat de la défense ou l'accusé ne prouve que ce serait inapproprié.

Il y aura donc deux choses différentes. Il est plus que vraisemblable que les gens qui commettent des infractions désignées primaires seront inclus dans la banque de données. Pour ce qui est de ceux qui commettent des infractions secondaires, le procureur pourra, à sa discrétion, présenter la demande, et le juge pourra, à sa discrétion, se prononcer sur son acceptation.

La GRC a estimé combien de gens pourraient être inclus chaque année.

Mme Harymann: Au cours de la première année de fonctionnement de la banque de données, nous prévoyons qu'environ 28 000 échantillons y seront déposés si on prend pour hypothèse que ce chiffre inclura 100 p. 100 des auteurs d'infractions primaires et 10 p. 100 des auteurs d'infractions secondaires; il ne faut pas oublier qu'il y a moins de chances de trouver des preuves génétiques sur les lieux où une infraction secondaire a été commise. Cette information est peut-être moins utile dans ces cas-là.

Le sénateur Poy: Qu'advient-il des criminels auxquels on a accordé l'anonymat, par exemple Karla Homolka? Quand elle sera libérée, elle pourra avoir un nouveau profil, être une personne différente. Si on suppose que vous avez son échantillon génétique, que lui arrivera-t-il?

M. Zigayer: C'est une très bonne question. L'empreinte génétique ne changera pas, mais celle qui fait partie de la banque de données génétiques de M. Fourney est reliée aux empreintes digitales de la banque de données judiciaires dont s'occupe la GRC au niveau national. M. Fourney ne connaîtra jamais l'identité, le nom de cette personne, ni certains autres renseignements à son sujet.

Il y aura toutefois un code à barres correspondant à celui qui accompagne l'identification des empreintes digitales. Pour revenir à votre exemple, si Homolka reçoit une nouvelle identité et est désormais connue sous le nom de, disons, Jones, cela figurera dans la banque d'empreintes digitales.

Il y a ici quelqu'un de la GRC qui sait comment fonctionne la banque d'empreintes digitales.

La présidente: Nous pouvons peut-être inviter ces messieurs à s'asseoir à la table pour nous donner plus de renseignements.

M. Lee Fraser, surintendant, officier responsable, Services de l'identité juridique, Gendarmerie royale du Canada: Je suis responsable du programme judiciaire qui s'occupe du travail que réalise la police sur les lieux d'un crime. En outre, même si je suis responsable de la direction des empreintes digitales, nous nous occupons des dossiers criminels des délinquants condamnés.

Pour répondre à votre question, ce serait la même chose que pour quelqu'un qui a reçu un pardon. Les renseignements seraient là, mais il y a des règles très strictes pour ce qui est de leur divulgation ou de leur diffusion. Si une identification était réalisée à partir de la banque de données génétiques, elle serait transmise au service des dossiers criminels. Nous pourrions établir un lien entre le numéro génétique et celui du dossier criminel.

Ces renseignements sont entreposés dans un coffre protégé. Deux personnes doivent y entrer ensemble. Dans le cas d'un pardon ou de quelque chose de ce genre, on examine les renseignements et on en avise le gouvernement. Il y a des règles très strictes qui régissent ce qu'on peut divulguer au sujet des gens qui ont bénéficié d'un pardon. Ce serait la même chose dans votre exemple.

Le sénateur Poy: Peut-on modifier les empreintes digitales?

M. Fraser: Seulement par une grosse cicatrice.

Quelqu'un pourrait recourir à la chirurgie esthétique. Il faut toutefois traverser deux couches de peau pour cela. La peau se régénère. John Dillinger, un célèbre criminel, l'a essayé. On a retiré la peau de ses mains. Il y a toutefois des détails semblables aux empreintes digitales sur toute la main, si bien qu'il faudrait tout modifier. Nous utilisons surtout les bouts des doigts. Ce qu'a fait John Dillinger ne lui a toutefois servi à rien; nous avons quand même pu l'identifier en examinant d'autres endroits. Il serait extrêmement difficile d'utiliser la chirurgie esthétique pour circonvenir le système.

Le sénateur Cools: Le sénateur Poy posait une question à propos des gens qui sont à l'abri de toute poursuite ou ont conclu certaines sortes d'entente sur le plaidoyer. Vous avez déclaré qu'on les traite comme ceux qui ont reçu un pardon. À ma connaissance, leur dossier reste ouvert au cas où ils commettraient ultérieurement un autre crime et ils ne sont pas traités comme ceux qui ont bénéficié d'un pardon, à moins bien sûr que ce ne soit le cas. Pouvez-vous clarifier cela?

M. Fraser: Je ne sais pas quelle est la réponse exacte. Il faudrait que les législateurs, les avocats et les juges décident quoi faire avec ces renseignements, s'ils étaient disponibles. S'il y avait une ordonnance exigeant que ces renseignements soient retirés de la base de données d'empreintes digitales, ils le seraient, et nous recommencerions ensuite à zéro. Dans le cas des pardons, les renseignements ne sont pas retirés; toutefois, la procédure à suivre est très complexe.

En cas de changement d'identité, toutefois, je ne sais pas exactement.

Le sénateur Poy: Ce n'est pas la même chose qu'un pardon?

M. Fraser: Non.

Le sénateur Joyal: Pourriez-vous remettre un exemplaire de l'article du rapport sur le droit criminel à nos recherchistes afin que nous puissions avoir le temps d'y jeter un coup d'oeil?

La présidente: Monsieur Cohen, vous en remettrez un exemplaire au greffier. Nous veillerons à ce que vous le receviez, sénateur Joyal.

Le sénateur Joyal: L'article 13.1 du projet de loi, page 16, fait référence au rapport annuel que le commissaire de la GRC doit présenter au solliciteur général, qui doit, à son tour, le déposer devant chaque chambre du Parlement avant une certaine date. L'article 13.1 fait spécifiquement référence à «un rapport sur l'activité de la banque nationale de données génétiques.»

Une préoccupation fondamentale des membres du comité et du Sénat dans son ensemble est de faire en sorte que, en notre qualité de parlementaires, nous soyons informés, tout comme nos collègues de l'autre endroit, de l'activité de la banque conformément aux dispositions de la Charte et à la protection de la vie privée prévue par la loi.

Je me demande si le texte du rapport devrait inclure automatiquement un examen des affaires à propos desquelles un arrêt aurait été rendu ou de celles qui ne sont pas encore réglées à ce moment-là. Ces renseignements pourraient être inclus dans le rapport, afin que nous ayons des détails sur l'activité de la banque, son fonctionnement, les difficultés, les résultats positifs, le nombre de demandes qui ont été présentées -- les détails administratifs habituels.

Par ailleurs, cela attirerait l'attention des parlementaires sur les questions qui se rattachent à la Charte des droits et à la protection de la vie privée, questions qui intéressent beaucoup le Sénat et, en particulier, notre comité. Si la proposition présentée par des sénateurs des deux bords en faveur de l'étude des droits de la personne par un comité sénatorial ne se concrétise pas, cela attirera au moins l'attention de tout le monde sur les questions fondamentales qui intéressent toutes les personnes assises autour de cette table ou qui viendront s'y asseoir à l'avenir. L'activité de la banque de données génétiques intéressera toujours les futurs parlementaires.

Mme Harymann: Nous avions certainement l'intention d'inclure un examen de la jurisprudence pertinente. Pour le moment, nous avons identifié un certain nombre de détails administratifs qu'il serait important, à notre avis, d'inclure dans le rapport annuel -- par exemple, le respect des dispositions relatives à la protection de la vie privée.

En ce qui concerne vos préoccupations au sujet de la Charte et des questions touchant la vie privée, il est important de se rappeler que le commissaire à la protection de la vie privée aura un représentant au sein du comité consultatif sur la banque de données génétiques. Ce comité sera tenu de présenter son propre rapport. Nous aimerions en refléter la teneur dans le rapport annuel du commissaire de la GRC.

Le sénateur Joyal: Il s'agit-là de la question de la vie privée, mais il reste les questions fondamentales touchant la Charte. Il me paraît important que cela soit déterminé dans l'intérêt de tous. Devrions-nous régler cette question dans le règlement? Le règlement devrait-il être plus précis? Le projet de loi devrait-il être plus précis à propos de ce dont nous avons besoin à cet égard?

Je soulève ces questions, mais je n'ai aucune proposition précise à présenter ce matin.

Si nous voulons faire un suivi -- et nous avons soulevé cette question quand vous avez présidé la dernière discussion que nous avons eue ici. Nous avons proposé un examen au bout de cinq ans. Avec une période de cinq ans, si un procès a eu lieu, tous les appels seront terminés. Nous serons alors en mesure de prendre les initiatives législatives nécessaires. Voilà pourquoi j'attache beaucoup d'importance à la façon d'aborder la question du rapport. Le principal outil de travail des parlementaires que nous sommes reste le suivi des activités et de leurs répercussions sur les dispositions législatives relatives aux droits de la personne et aux droits fondamentaux. À ce titre, j'ai encore quelques questions concernant la façon dont nous allons nous occuper de cette question et la façon dont elle est traitée dans ce projet de loi -- ce qui ne veut pas dire que c'est un mauvais projet de loi. Il contribue fortement à répondre à ce qui nous préoccupe. Je m'inquiète toutefois de la façon dont se fera le suivi institutionnel pour ce qui est de ceux qui feront partie du comité au cours des années à venir.

La présidente: C'est une bonne remarque, sénateur. L'examen au bout de cinq ans fait encore partie de ce projet de loi. La présentation annuelle d'un rapport s'ajoute à cela. C'est une sorte de système d'avertissement; il peut présenter des mises en garde chaque année au fur et à mesure.

Mme Harymann: La disposition relative à l'examen au bout de cinq ans est la plus complète que nous pouvions rédiger. Elle indique que nous examinerons les dispositions et l'application de ce projet de loi, ce qui inclut toutes les dispositions de la loi ainsi que l'application du règlement.

Le sénateur Joyal: Elle est générale, sans être spécifique. Il vaut parfois mieux ne pas être spécifique pour laisser plus de marge de manoeuvre. Toutefois, si on veut garantir un résultat final, il est parfois préférable de préciser certaines choses, par exemple «sans limiter la portée des dispositions antérieures, elle inclut un examen de la Charte».

Je m'en tiendrai là au sujet de cette question. J'aimerais lire le rapport juridique actuel et continuer à y réfléchir. Je profiterai de cette occasion pour lire les affaires auxquelles nos témoins ont fait référence ce matin.

Dans le passé, nous avons parlé du coût de la mise en place de la banque de données. Il me semble qu'il est plus élevé que ce à quoi on se serait attendu au début. Pour quelle raison a-t-on dépassé le budget prévu?

M. Fourney: Avant tout, j'aimerais penser que nous pouvons respecter le budget. Vous demanderez peut-être ce que cela veut dire. Il est important de se rendre compte que nous nous occupions d'une installation pouvant recevoir un nombre extrêmement variable d'échantillons. Marian Harymann a indiqué que, si nous recevons 10 p. 100 des infractions secondaires, cela fera 30 000 échantillons. En réalité, nous devrions en recevoir 20 ou 30 p. 100.

Je suis arrivé au travail un lundi matin et j'ai remarqué que ce sur quoi j'avais travaillé depuis deux ans allait dépasser le budget. Je n'arrivais pas à comprendre pourquoi. Toutefois, on m'a dit que, si on mettait davantage d'échantillons dans la banque de données, cela coûterait plus cher -- et c'est probablement vrai. De même, quand nous avons demandé un financement initial au Conseil du Trésor, cela n'incluait pas certains des frais de mise en service. La GRC a pu les couvrir à même son propre budget.

Nous avons consacré énormément d'efforts à cela pour ajuster notre calendrier afin de pouvoir commencer en juin. Quiconque a fait de la planification ou a travaillé sur un projet sait que, si on n'a pas fixé une date finale, il peut arriver n'importe quoi pendant longtemps. Nous avions seulement 18 mois, et nous avons dû mettre au point beaucoup d'éléments techniques, la mise en service. Nous avons déménagé dans un édifice flambant neuf, nous embauchons 31 personnes. Certains de ces coûts ont été absorbés par la GRC.

Nous envisageons toujours des frais d'exploitation compris entre 5 et 6 millions de dollars par an. Ce sont les frais d'exploitation. Pour en arriver là, nous avons dû ajouter des fonds supplémentaires pour la mise en service.

J'ai une équipe dévouée de consultants qui travaillent sur cette question, des experts en la matière. On a investi approximativement 2 millions de dollars dans les frais de mise en service pour que la mise en service puisse se faire comme prévu en juin -- c'était aux frais de la GRC -- et il y a également eu à ce moment-là un achat d'équipement, dépense qui n'aura pas à être répétée. Je suis convaincu que les installations fonctionneront sans dépasser le budget.

Nous avons également examiné et remanié toute la façon de constituer des banques de données. Nous avons trouvé un moyen efficace et efficient, ce qui permettra de réduire les frais d'exploitation au fil du temps. En ce moment, mes gestionnaires de projet me disent que nous avons fait 50 p. 100 du travail et dépensé 50 p. 100 du budget. Donc, à moins que quelqu'un ne me dise autre chose, je vous dirai que nous respectons actuellement le budget.

M. Zigayer: Je voudrais répondre au sénateur Joyal. Nous avons déjà terminé un des rapports que la loi nous faisait obligation de présenter. Il n'incluait pas un examen de la jurisprudence accumulée jusque-là. Il a été déposé il y a environ un an.

Supposons qu'un tribunal statue que la procédure ex parte est inappropriée pour ce qui est du système rétroactif -- les délinquants dangereux, les auteurs de deux meurtres ou de deux agressions sexuelles, qui sont détenus dans les pénitenciers fédéraux. Si le tribunal décide que les dispositions normales ne s'appliquent pas à telle personne et exige que celle-ci soit représentée au moment de l'audition de notre demande, ce serait un jugement qui aurait beaucoup d'impact. Il ferait l'objet d'un appel. Toutefois, l'important est que nous vous en informerions.

La présidente: Avez-vous des exemplaires de ce rapport?

M. Zigayer: Il a été déposé au Parlement en 1997.

La présidente: Nous en obtiendrons des exemplaires à l'intention des membres du comité.

M. Zigayer: C'est le comité de l'autre endroit qui a demandé que nous présentions un rapport à trois reprises, une fois immédiatement, une fois avant la fin de cette législature, et une fois au bout de cinq ans. Nous avons présenté un rapport en 1997. C'est un document public. Je crois qu'il était accessible sur le Web pendant un certain temps.

La présidente: Si vous nous faites savoir où et quand il a été présenté, nous en obtiendrons des exemplaires pour les membres du comité.

M. Zigayer: Sénateur Joyal, je voudrais également ajouter que nous vous remettrions avec plaisir des exemplaires de tous les jugements touchant cette loi qui ont été rendus jusqu'à présent. C'est seulement le système des mandats qui a pu faire l'objet d'une discussion. Nous pourrions également vous fournir un exemplaire d'une communication que j'ai présentée à la faculté de droit d'Osgoode Hall en octobre. Elle donne un aperçu de tous ces procès, à l'exception de deux ou trois affaires récentes.

Le sénateur Beaudoin: Vous avez fait référence à l'affaire Stillman, où le juge Cory a fait des observations de portée très générale. Il est allé jusqu'à dire que la disposition du Code criminel relative aux empreintes génétiques est conforme à la Charte des droits et libertés -- ce qui est un excellent début. C'est encore arbiter dictum.

L'affaire Feeney est le premier arrêt portant directement sur la conformité du prélèvement d'empreintes génétiques avec la Charte des droits et libertés. Un arrêt a été rendu à ce sujet par la Cour suprême -- par cinq voix contre quatre -- et il y a ensuite eu un procès. Le tribunal a statué à cette occasion que le prélèvement génétique respecte la Charte des droits et libertés.

Le sénateur Fraser a mentionné hier le cas d'un médecin qui a modifié à deux reprises un échantillon de sang. Quelle sorte de protection avons-nous?

M. Fourney: J'ai ici quelques articles qui font référence à cela. Cette information a été publiée sur Internet. Le premier article vient du National Post. J'en ai de plusieurs journaux. Ils expliquent ce que ce médecin a reconnu avoir fait durant le procès. Je le distribuerai à tous ceux qui le veulent.

Il y a là trois articles. Le premier porte sur la preuve, et le médecin explique comment il a procédé.

Le sénateur Beaudoin: Sommes-nous dûment protégés dans un tel cas?

M. Zigayer: Cette affaire montre la nécessité de mettre en sécurité les trois types de substances corporelles qu'on peut obtenir. Le médecin prévoyait que la police allait demander du sang pour une analyse génétique. Il a prélevé le sang lui-même. Il a dit: «Je ne fais pas confiance à la personne que vous avez amenée parce que j'ai vu ce qu'elle fait pour prélever un échantillon. Je le ferai moi-même.» Il a donc prélevé l'échantillon de sang et l'a remis à la police. Quand l'analyse génétique a été faite, le médecin a été exclu, parce qu'elle ne correspondait pas au liquide séminal trouvé sur les vêtements que portait la victime au moment du crime.

En fin de compte, la police a obtenu d'autres preuves provenant de ce suspect. Elles ne correspondaient pas au premier échantillon de sang. La police a donc demandé à nouveau un mandat au tribunal pour obtenir des cheveux, afin de ne pas se faire avoir à nouveau. J'ai ici la demande de ce mandat.

Vous pouvez constater qu'il y a là toute l'histoire de cette enquête. Cet article dit que le médecin a agressé la victime à l'hôpital. La victime s'était rendue à l'hôpital parce qu'elle avait des troubles affectifs. Le médecin lui a donné un tranquillisant et l'a placée dans une chambre. La victime n'était pas inconsciente, mais elle n'avait aucune sensation et était incapable de réagir ou même de parler, et c'est à ce moment-là que le médecin l'a agressée sexuellement. La première fois, il a fourni volontairement le sang. Les policiers se sont méfiés.

M. Fourney: Avant tout, je ne comprends pas les paramètres légaux. En tant que scientifique, je travaille normalement avec des faits concrets. Il faut que vous vous rendiez compte des circonstances dans lesquelles cette affaire s'est déroulée. L'homme en question a, en fait, installé ce qu'on appelle un drain de Penrose, un tube de 15 centimètres, dans son bras. Pour ce faire, il a dû pratiquer une incision et insérer un tube. Il a dû prendre du sang à un autre patient et le mettre dans le tube. Il y a de nombreux éléments techniques qui interviennent là. À mon avis, n'importe quel profane aurait du mal à le faire.

Aujourd'hui, on pique le bout du doigt, comme le font les diabétiques pour vérifier leur taux de glycémie. Ils piquent leur doigt et mettent le sang directement sur le papier pour constater le résultat. Une des raisons pour lesquelles nous aimons cette méthode est qu'on voit directement que le sang du doigt va sur le papier. C'est une démonstration visuelle, la continuité est bien préservée. C'est l'échantillon que nous préférons à la banque nationale de données et dans la plupart des organismes de police du Canada, pour diverses raisons.

Lors de mon intervention l'année dernière, j'ai mentionné que c'était le type d'échantillon de contrôle utilisé dans le cas de Swissair pour identifier un grand nombre des victimes. Nous les avons identifiés en prélevant des échantillons d'un grand nombre de membres de leurs familles. C'était très rapide et très efficace. On n'a pas besoin de beaucoup de sang et le papier utilisé a reçu un traitement spécial pour protéger l'échantillon. Le papier sert d'agent d'archivage. Ce qui est plus important est que les produits chimiques neutralisent, en fait, les agents bactériens et viraux, ce qui protège l'agent de police qui prélève l'échantillon.

Permettez-moi toutefois de dire que nous ne voulons pas prélever le sang d'une veine comme échantillon. De même, dans les échantillons que nous avons prélevés par le passé -- je ne suis pas tellement d'accord pour qu'on m'arrache les cheveux. Par contre, les frottis buccaux peuvent causer un problème. Il faut gratter l'intérieur de la bouche. Généralement, cela marche, mais la banque de données génétiques des Services scientifiques judiciaires a eu affaire à des cas d'échange de salive entre des détenus.

Pour nous, l'échantillon le plus efficace est un échantillon de sang. La quantité dont nous avons besoin tiendrait sur la pointe d'un crayon. Il reste stable quand il est stocké et c'est un système sans danger. Le cas qui s'est produit en Saskatchewan est unique.

Le sénateur Fraser: Il n'y a apparemment aucune limite à l'imagination humaine. Il me semble bon d'avoir plusieurs possibilités.

L'allusion à Mme Homolka m'a amené à me demander ce qui se passerait dans les cas -- et si ces cas seraient nombreux -- où les gens qui ont commis des infractions en vertu desquelles leurs empreintes génétiques seraient normalement placées à la banque pratiqueraient une sorte quelconque de marchandage de plaidoyer. Ils pourraient finalement être accusés et, le moment venu, reconnus coupables seulement d'infractions en vertu desquelles ils ne figureraient pas dans la banque de données. Que se passe-t-il alors? Nous savons qu'ils sont coupables. On peut supposer que la police le sait, mais elle est d'accord pour fermer les yeux là-dessus.

M. Zigayer: C'est une question importante. Elle fait actuellement l'objet d'une discussion entre un groupe de procureurs et un groupe de gens du ministère à Ottawa. Un groupe de travail a été constitué sous l'égide des responsables des poursuites judiciaires au gouvernement fédéral et dans les provinces. J'en suis le président. Nous examinons les questions concernant l'application. Il s'agit de la politique relative au marchandage ou à la négociation de plaidoyer par opposition à ce qui constituerait une situation appropriée pour présenter une demande au sujet d'une infraction désignée secondaire.

C'est une chose qui pourra inciter les procureurs généraux des provinces à envisager de donner des conseils à ce sujet à leurs procureurs. Supposez qu'un contrevenant vous propose de plaider coupable, ce qui veut dire qu'il passerait de la liste des infractions désignées primaires à celle des infractions secondaires. L'accepterez-vous? Ou direz-vous: «Je l'accepterai si vous prenez l'engagement de ne pas vous opposer à la demande d'empreintes génétiques parce que c'est ce qu'il convient de faire.» Le marchandage de plaidoyer est peut-être proposé pour une bonne raison. C'est peut-être le cas. Il est important pour les procureurs d'avoir l'esprit ouvert à cet égard et de ne pas trop se méfier de ce qu'on leur offre. Il faut pouvoir accepter des plaidoyers de culpabilité parce que, pour ce qui est de l'administration de la justice, cela économise de l'argent et que le jury siège moins longtemps; c'est plus rentable. Par contre, ce n'est pas approprié dans tous les cas.

Le sénateur Fraser: Deuxièmement, en ce qui concerne l'information au sujet des affaires concernant les droits de la personne ou, en fait, d'autres affaires, vous pouvez fournir de telles informations. Serait-il bon que le règlement stipule que le rapport annuel du commissaire doit inclure un rapport sur les années antérieures -- la jurisprudence ou les affaires en cours? Je ne parle pas de constituer toute une encyclopédie, si bien qu'au bout de dix ans, on recevrait une véritable bibliothèque juridique à nos bureaux; je fais référence simplement à ce qui s'est produit cette année-là.

M. Zigayer: Dans le cours normal des choses, nous suivrons la mise en oeuvre de la loi et nous observerons ces affaires, si bien que nous pourrons inclure cela dans notre rapport. Que vous demandiez ou non au commissaire de la GRC et au solliciteur général de modifier leurs règlements pour le spécifier, nous suivrons ces affaires. Mes collègues de nos bureaux régionaux défendront activement la constitutionnalité de la loi. Nous n'intervenons pas dans tous les cas, mais nous le faisons certainement pour défendre sa constitutionnalité.

Le sénateur Fraser: Cela pourrait être utile. Pour les gens qui viennent à cette table sans connaître cette question, c'est un sujet terriblement compliqué. Il serait utile de mentionner cela dans le règlement.

Mme Harymann: C'est un amendement que nous pourrions apporter au projet de règlement.

[Français]

Le sénateur Nolin: Monsieur Maguire, dans l'application de la justice militaire, est-ce qu'il existe, comme en droit pénal civil, des verdicts de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux?

[Traduction]

Ce verdict de non-responsabilité pour cause de troubles mentaux existe-t-il dans la justice militaire?

M. Maguire: Oui.

Le sénateur Nolin: Pourquoi n'y a-t-il pas dans le projet de loi S-10 un article parallèle à celui du Code criminel?

M. Zigayer: Le projet de loi C-3, le système civil, ne prévoit aucune disposition au sujet d'une ordonnance intervenant après la condamnation ou après l'énoncé d'un verdict de non-responsabilité pour cause de troubles mentaux, si bien que cette personne ne sera pas incluse dans la banque de données. Cette question est en train d'être examinée. Nous consultons actuellement nos collègues des provinces à ce sujet. Cette question pourrait être examinée au moment de l'examen prévu au bout de cinq ans ou à un autre moment d'ici là.

En fait, une résolution à ce sujet a été adoptée l'été dernier lors de la Conférence pour l'harmonisation des lois au Canada. La grande majorité des délégués ont voté en faveur d'un amendement qui autoriserait le prélèvement d'échantillons génétiques auprès de personnes qui n'ont pas été condamnées. Premièrement, il faudrait modifier le nom du fichier des condamnés ou dire qu'il pourrait aussi contenir les profils génétiques de ces gens -- qui n'ont pas été déclarés coupables ni condamnés.

C'est une question à laquelle nous prêtons attention, et nous en discutons avec nos collègues des provinces et nos collègues ici à Ottawa.

Le sénateur Cools: Je tiens à remercier les témoins pour leurs excellentes interventions, en particulier celle du représentant du laboratoire judiciaire. Dans une étape antérieure de ma carrière, j'ai été laborantine à l'université quand j'étudiais la biochimie, je comprends donc les difficultés qu'il y a pour établir certaines preuves judiciaires.

La présidente: Vous avez raté le petit cours de biochimie que nous avons eu au sujet du dernier projet de loi.

Le sénateur Cools: Tout à l'heure, pendant sa déposition, Mme Harymann a dit qu'on avait identifié entre 1 700 et 2 400 contrevenants de ce type. Est-ce dans l'ensemble du pays ou au sein du système de justice militaire?

Mme Harymann: Ce serait dans l'ensemble du pays. Il n'y a aucun contrevenant rétroactif provenant de la justice militaire. Les 28 000 cas que nous prévoyons dans l'ensemble du pays avec le système proposé n'incluent pas les contrevenants militaires qui seraient condamnés en vertu de leur système.

Le sénateur Cools: Combien de personnes ou de délinquants le système de justice militaire traite-t-il en fait chaque année?

M. Maguire: Nos chiffres sont relativement bas, ce à quoi on peut probablement s'attendre, vu que les Forces canadiennes ont seulement 60 000 membres. D'ici la fin de 1999, 50 personnes auront été poursuivies en cour martiale. Parmi elles, en utilisant la dichotomie qu'on trouve dans ce projet de loi au sujet des infractions désignées, nous estimons qu'environ six d'entre elles auraient fait l'objet d'un prélèvement d'échantillon génétique après leur condamnation.

Ce chiffre de 50 en 1999 est, en fait, élevé par rapport aux trois ou quatre dernières années. En 1998, il y a eu 44 cours martiales, et 39 en 1997. Au cours des trois années précédentes, la moyenne se situait entre 25 et 40. Avec une moyenne de six par an, je ne pense pas que cela pourrait même doubler. Compte tenu du fait que nous n'avons pas compétence pour prononcer des condamnations pour agression sexuelle, nous ne nous attendons pas à ce que ce chiffre double.

Entre le 3 août 1998 et le 30 août 1999, il y a eu 965 procès sommaires. Ils concernent les infractions inférieures à un certain seuil, lui-même inférieur à celui des infractions désignées. Il s'agit des infractions de caractère disciplinaire -- concernant le comportement. Il pourrait, par exemple, s'agir de quelqu'un qui ne s'est pas présenté à l'heure à son travail et qui a été accusé d'absence sans permission. Les délits de ce genre n'auraient aucune influence sur les chiffres. Nous ne nous attendons pas à ce que ces chiffres soient élevés, mais nous voulons faire partie de ce système, parce que nous avons de temps à autres des cas graves, comme ce qui s'est passé en Somalie le donne à penser.

Le sénateur Cools: La plupart de ces poursuites sont-elles effectuées ici au Canada, ou y en a-t-il dans le reste du monde?

M. Maguire: C'est dans tout le Canada. C'est un système qui peut tout à fait se déplacer. Ce chiffre inclurait les cas traités à l'extérieur du Canada. Nous avons eu des cours martiales outremer l'année dernière.

Le sénateur Cools: Si une personne appartenant aux forces armées avait commis une infraction dans un autre pays, l'armée se rendait autrefois dans ce pays et avait la possibilité de la poursuivre elle-même. Cela arrive-t-il encore?

M. Maguire: Nous avons des ententes avec la plupart de nos alliés de l'OTAN. Nous négocions également des accords sur le statut des forces armées avec d'autres pays où nous sommes déployés. Nous l'avons fait pendant la guerre du Golfe.

Nous essayons de faire valoir notre compétence à propos de tous les membres des Forces armées ou de qui que ce soit d'autre qui tombe sous le coup du Code de discipline militaire. Il y a une raison d'être à cela; c'est que ces gens peuvent être traités en vertu du droit canadien, la Charte s'applique.

J'étais outremer pendant la guerre du Golfe, et c'est certainement un sujet de préoccupation dans certains pays.

Le sénateur Cools: Monsieur Zigayer, tout à l'heure, en décrivant un cas particulier, vous avez parlé des difficultés extraordinaires que le procureur avait eues pour recevoir un nouveau mandat. En parlant, vous donniez l'impression que ces difficultés avaient été énormes. Pourriez-vous nous dire en quelques mots pourquoi le procureur a eu tant de mal à faire son travail?

M. Zigayer: De la façon dont le système fonctionne, un agent de police se présente devant un juge de paix ou, dans ce cas-là, un juge de cour provinciale et résume brièvement la situation. Le mandat est émis.

Aujourd'hui, nous devons divulguer tous les détails au sujet de ce qui s'est passé pendant l'enquête. Pour gagner du temps, on fournit souvent des exemplaires de tout le dossier de la police, c'est-à-dire les notes manuscrites figurant dans ce dossier, avec un résumé, qui est, en fait, une narration des faits pour aider l'officier de justice qui émet le mandat. Ce n'est rien d'extraordinaire. Cela fait partie du travail. Le juge est alors bien plus en mesure d'émettre ou non le mandat à sa discrétion.

Dans certains autres cas, un premier mandat a été obtenu, et les substances corporelles ont été prélevées sur la personne concernée. Lors de l'enquête préliminaire, la Couronne a alors constaté qu'en exécutant ce mandat, la police n'avait pas respecté certaines dispositions du Code criminel concernant la protection de la vie privée. Le code est très clair. Il stipule qu'un agent de police doit informer l'accusé de plusieurs choses.

C'est ce qui est arrivé à un agent de police qui avait de longues années d'expérience et qui n'avait pas prêté attention à cela. La Couronne, lors de l'enquête préliminaire, a jugé que son témoignage ne serait pas admissible au procès, et elle a donc demandé aux agents de police d'obtenir un nouveau mandat en faisant les choses correctement.

Pour convaincre le juge d'émettre un deuxième mandat, il faut donner tous les détails de la situation. Par exemple, pourquoi porte-t-on atteinte une deuxième fois au droit de cette personne à la protection de sa vie privée? Il faut donner tous les détails. Dans le cas en question, un deuxième mandat a été émis. Au procès, le juge a dit qu'à son avis, c'était une bonne chose d'avoir demandé le deuxième mandat, parce qu'il aurait rejeté la preuve. Ces renseignements sont inclus dans R. c. Kyllo et al, affaire à laquelle il est fait référence dans les documents où je fais référence aux mandats multiples. Il s'agit d'un échantillonnage multiple de cette personne pour faire comprendre au juge pourquoi vous voulez obtenir une substance corporelle de quelqu'un qui vous l'a fournie volontairement la première fois. Vous devez l'expliquer. Cela fait partie aujourd'hui des responsabilités de la police. Les juges veulent pouvoir exercer leur discrétion de façon appropriée.

Le sénateur Fraser: D'après ce dont je me souviens, si un délit grave, un meurtre ou quelque chose de très grave, est commis par un membre des forces armées au Canada, celui-ci est remis entre les mains du système de justice civile, qui s'occupe de l'enquête et des poursuites. Est-ce exact?

M. Maguire: C'est exact. Au Canada, les forces armées n'ont pas compétence pour certains délits, notamment le meurtre, l'homicide involontaire et l'enlèvement d'un enfant. Dans de tels cas, elles s'en dessaisissent. Pour d'autres délits, les deux systèmes sont compétents au Canada, ce qui veut dire que nous pouvons nous saisir d'une affaire si elle a des liens étroits avec les Forces armées, mais nous pouvons ne pas le faire. Elle peut être traitée par un tribunal civil.

Le sénateur Fraser: Les statistiques que vous avez citées tout à l'heure incluaient donc seulement les gens qui sont soumis à des procès militaires?

M. Maguire: Oui. Toute personne comparaissant devant un tribunal civil serait incluse dans les statistiques sur le règlement de ces questions.

Le sénateur Fraser: Nous n'avons pas besoin de ce projet de loi pour les couvrir.

M. Maguire: Il y a une différence entre ce qui se passe à l'intérieur et à l'extérieur du Canada. À l'extérieur du Canada, nous avons compétence pour les affaires de meurtre et les autres catégories d'infraction auxquelles j'ai fait référence.

La présidente: Monsieur Cohen, à la page 19 de ce projet de loi, on a supprimé la partie au sujet de la possibilité que quelqu'un aurait de dire quelle substance corporelle elle préférerait qu'on lui prélève. Nous en avons parlé aujourd'hui. Je peux comprendre pourquoi.

Avez-vous des préoccupations à ce sujet du point de vue des droits de la personne?

M. Cohen: Je suis au courant de cette question. Je ne crois pas qu'il y ait quoi que ce soit à ce sujet dans le droit criminel. Quand on examine l'affaire à laquelle j'ai fait référence tout à l'heure, elle semble indiquer qu'il n'y a rien non plus dans la jurisprudence actuelle qui permette à quelqu'un d'exprimer une préférence au sujet de la procédure à utiliser pour prélever un échantillon.

Je ne crois pas qu'il y ait quoi que ce soit ici qui soit contraire à la Charte, pourvu qu'on respecte de façon appropriée la vie privée ainsi que la dignité humaine et corporelle.

Il y a des faits qui sont propres à chaque affaire. Si les choses sont exécutées d'une façon que quelqu'un juge offensante, cela peut donner lieu à une demande en vertu de la Charte. Tout dépend de la façon dont l'échantillon est obtenu.

La présidente: Je vous remercie de vous être joints à nous aujourd'hui.

La séance est levée.


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