Aller au contenu
 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 7 - Témoignages du 12 février 2003


OTTAWA, le mercredi 12 février 2003

Le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel on a renvoyé le projet de loi C- 10B, Loi modifiant le Code criminel (cruauté envers les animaux), se réunit à 14 h 02 pour étudier le projet de loi.

Le sénateur George J. Furey (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Cet après-midi, nous accueillons deux groupes de témoins qui nous aideront dans notre étude du projet de loi C-10, qui vise à modifier les dispositions du Code criminel touchant la cruauté envers les animaux.

Nos premiers témoins nous viennent d'Inuit Tapiriit Kanatami. Comme vous vous en souviendrez sans doute, ce groupe voulait comparaître devant nous avant Noël et a aimablement accepté de le faire aujourd'hui. Nous le remercions sincèrement de sa considération et de son indulgence.

Le deuxième groupe de témoins a été constitué à la demande de membres du comité, qui souhaitaient entendre des spécialistes en mesure de fournir des détails sur la douleur éprouvée par les animaux. Nous accueillons donc le Dr Livingston de Saskatoon et Mme Shelley Adamo de Halifax à ce propos.

Le premier groupe de témoins, qui représentent ITK, se compose de M. Jose Kusugak, président, et de Natan Obed, conseiller en politiques.

Nous allons réserver une heure et demie par groupe de témoins. Je rappelle aux témoins qu'ils disposent de cinq minutes pour leur exposé, après quoi nous passerons à la période de questions et de réponses.

M. Jose Amaujaq Kusugak, président, Inuit Tapiriit Kanatami: Merci, honorables sénateurs, de l'occasion qui nous est donnée de témoigner devant vous aujourd'hui au nom d'Inuit Tapiriit Kanatami. Natan Obed, notre conseiller en politiques environnementales, m'accompagne aujourd'hui et sera en mesure de répondre à vos questions concernant les modifications des dispositions du Code criminel touchant la cruauté envers les animaux contenues dans le projet de loi C-10B.

Inuit Tapiriit Kanatami représente les quatre régions visées par des revendications territoriales inuites qui, collectivement, comptent pour environ 30 p. 100 de ce vaste territoire, soit environ 3 millions de kilomètres carrés. On trouve dans ces régions plus de 43 p. 100 du littoral canadien. En outre, une bonne part des eaux océaniques et intérieures de l'ensemble du territoire national drainent des régions visées par des revendications territoriales inuites. Étant donné l'immensité de nos territoires et la diversité des espèces animales qu'on y retrouve, sans parler de la grande importance que nous attachons à nos pratiques de subsistance, le projet de loi à l'étude revêt une grande importance pour les Inuits du Canada.

Les Inuits croient au traitement humain des animaux, comme en témoignent nos interactions avec eux. Nous approuvons l'idée qui sous-tend le projet de loi, mais certaines dispositions proposées et quelques problèmes entourant le processus législatif ne nous donnent pas satisfaction. Même si les mesures législatives fédérales qui concernent les Autochtones doivent faire l'objet de consultations significatives, dans le cas présent, les Inuits n'ont pas été consultés.

Le 28 novembre 2001, ITK a écrit au ministre de la Justice pour lui faire part de son opinion sur le projet de loi et de sa volonté d'être associé de façon significative au processus législatif. C'était il y a quinze mois. Le mois dernier, nous avons reçu une réponse du ministre de la Justice, M. Cauchon. On y lit:

Je tiens à vous assurer que nous mettrons tout en œuvre pour tenir compte des vues des intervenants autochtones. On a fait parvenir une copie du document de consultation de 1998 intitulé Crimes contre les animaux à de nombreuses organisations autochtones en les invitant à nous faire part de leurs commentaires et de leurs points de vue.

Nous ne sommes pas d'accord avec le ministre Cauchon pour dire qu'un seul publipostage massif constitue des consultations significatives. Le ministère de la Justice a soutenu devant le comité qu'il avait clarifié la définition d'«animal» proposée à l'article 182.1. Nous ne sommes pas d'accord.

En vertu de la définition proposée, tout organisme vivant peut être considéré comme un animal, à condition qu'il ait la capacité d'éprouver de la douleur. Dans le projet de loi, on ne définit nulle part la douleur ni la façon dont on peut la mesurer chez les animaux. D'ailleurs, aucune autorité compétente n'est en mesure d'établir si un organisme vivant est en mesure d'éprouver de la douleur.

Comme la définition proposée s'appliquerait à un large éventail d'espèces, il serait difficile d'établir quels animaux ne répondent pas à la nouvelle définition. En fait, ceux qui souhaitent poursuivre des Inuits pour avoir contrevenu à l'article 182.1 en provoquant de la douleur chez les organismes qu'ils récoltent pourraient invoquer cette définition générale. Si on modifie la définition d'«animal», la solution de rechange devrait mieux servir les intérêts des parties qui seront touchées. La définition proposée d'«animal» ne constitue pas une amélioration par rapport à la définition existante, et elle n'est pas plus claire.

Nous recommandons que la définition existante d'«animal» demeure telle qu'elle est aujourd'hui. Elle sert bien les Inuits depuis des années. Nous ne voyons aucune raison de la modifier. La nouvelle infraction, tuer sauvagement ou cruellement un animal, sans parler du défaut de définir ces termes, fera courir des risques de poursuites plus grands aux Inuits qui récoltent les ressources, même s'ils le font conformément à leurs droits constitutionnels. Cette nouvelle disposition, introduite sans égard aux droits des Autochtones, est inacceptable.

Des poursuites intentées en vertu de l'article 182.1 et de l'alinéa 182.2(1)b) proposés entraîneraient des coûts nutritionnels et culturels accablants pour les communautés inuites. En vertu de la modification proposée, les pratiques de récolte inuites, par exemple tuer un phoque ou une baleine au harpon, pourraient être considérées comme brutales, sauvages ou cruelles et être passibles d'une peine d'emprisonnement maximale de cinq ans. Si cela semble aujourd'hui impensable, qui peut dire comment le public canadien interprétera les pratiques de chasse des Inuits dans 50 ou 100 ans?

Puisque le projet de loi n'assure pas une protection juridique en amont en négligeant de reprendre les notions d'apparence de droit, de justification légale ou d'excuse légale du paragraphe 429(2) du Code criminel, ITK propose qu'on insère dans le projet de loi la clause non dérogatoire pour les Autochtones d'avant 1997, laquelle se lit comme suit:

Il est entendu que la présente loi ne porte pas atteinte à la protection des droits existants — ancestraux ou issus de traités — des peuples autochtones du Canada découlant de leur reconnaissance et de leur confirmation au titre de l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

Cette formulation est la seule clause non dérogatoire qu'ITK appuiera. En conclusion, les Inuits veulent avoir l'assurance que les dispositions législatives proposées ne pourront en aucun cas être interprétées comme signifiant que les meilleures pratiques de récolte actuellement utilisées par les Inuits sont sauvages, cruelles ou brutales. À cet égard, ils ne se contenteront pas de déclarations générales émanant de ministères du gouvernement selon lesquelles les pratiques de subsistances des Inuits ne sont pas touchées par les dispositions législatives proposées. Les assurances en question passent par l'inclusion des Inuits dans le processus législatif, le retour à la définition établie d'«animal», la reconnaissance du droit que nous avons d'utiliser les normes en vigueur chez les Inuits en ce qui a trait à la cruauté envers les animaux grâce à l'inclusion du paragraphe 429(2) du Code criminel et l'inclusion de la clause non dérogatoire pour les Autochtones d'avant 1997.

Le projet de loi C-10B ne nous donne pas satisfaction. Nous craignons que les Inuits ne soient la cible de poursuites découlant des dispositions du projet de loi. Nous sommes conscients et inquiets du fait que le traitement que nous réservons aux animaux et nos interactions avec eux puissent faire de nous des criminels. Or, nous respectons et valorisons les animaux depuis notre arrivée dans l'écosystème de l'Arctique; en fait, notre subsistance dépend d'eux. Les Inuits sont les intendants de l'Arctique et de ses nombreuses ressources depuis des temps immémoriaux et ils entendent continuer de jouer ce rôle important à l'avenir. Nous aimerions que le projet de loi encourage les relations des Inuits avec les animaux et les terres sur lesquelles ils vivent au lieu de les empêcher.

Le président: Je vous remercie beaucoup, monsieur Kusugak.

Le sénateur Baker: Le sénateur Watt a tenté de sensibiliser bon nombre d'entre nous à la formulation d'une modification qui répond, je crois, aux objections que vous avez soulevées devant le comité.

Il est certain que le sénateur Adams a tenté au fil des jours d'expliquer à d'autres témoins ayant comparu devant le comité les intérêts particuliers relatifs au droit des personnes touchées par ce nouveau projet de loi.

Le ministre des Pêches administre la Loi sur les pêches, et ses propos font la loi. À l'occasion, les habitants du Nunavut ont traîné le ministre des Pêches devant les tribunaux. Je constate qu'ils ont eu gain de cause en 1997 concernant une allocation de turbots autour du Nunuvut, décision qui a été annulée par la Cour d'appel fédérale, après quoi la Cour suprême du Canada a rejeté l'appel. Il y a eu un autre cas concernant l'activité terrestre et maritime, et la cause a elle aussi été perdue.

Dans la Loi sur les pêches, il est aujourd'hui question de la pêche aux phoques et à d'autres mammifères aux termes du Règlement sur les mammifères marins. Dans ce règlement, il est question de la façon de tuer un phoque et de ce qu'on est censé faire. Les modalités sont strictement balisées. Cependant, on prévoit des exceptions pour ceux qu'on appelle les «bénéficiaires». Si, en d'autres termes, vous êtes visé par la Convention de la baie James ou un autre accord conclu avec le gouvernement fédéral, vous êtes exempté d'un bon nombre de dispositions. Le paragraphe 49(2) de la Loi sur les pêches, on fait référence à la notion d'apparence de droit.

En vertu de la Loi sur les pêches, les personnes capables de prouver qu'elles croyaient honnêtement être autorisées à faire ce qu'elles faisaient sont réputées innocentes.

Comme les sénateurs Watt et Adams l'ont souligné, le projet de loi C-10B ne vous assure aucune protection. Vous n'avez pas de statut de bénéficiaires. Dans ce projet de loi, rien ne vous met à l'abri de ce que vous qualifiez de «poursuites abusives». Il n'y a absolument pas de lignes directrices à cet égard.

Vous recommandez l'inclusion de la notion d'apparence de droit dans le projet de loi C-10B. En outre, vous demandez l'inclusion de la clause non dérogatoire dans le projet de loi. Cela réglerait-il le problème pour vous?

M. Natan Obed, conseiller en politiques, Inuit Tapiriit Kanatami: Honorables sénateurs, de telles mesures contribueraient à atténuer certaines des préoccupations que nous inspire le projet de loi. Ce n'est cependant pas tout ce que nous souhaitons obtenir. Nous aimerions également que, dans le projet de loi, on inclue expressément une exemption pour les Inuits visés par les accords sur les revendications territoriales ou un mécanisme de cette nature, qui porterait de façon explicite que les Inuits ont des préoccupations et des droits particuliers.

Le sénateur Baker: Avez vous des commentaires à faire au sujet des dispositions législatives relatives aux animaux et aux mammifères découlant de la Loi sur les pêches? Avez-vous une opinion au sujet de la Loi sur les pêches et de la réglementation qui s'applique au sujet dont il est question aujourd'hui?

M. Obed: Je ne connais pas le texte de loi en question. Je ne suis donc pas en mesure de me prononcer à son sujet.

Le sénateur Baker: Voilà une réponse honnête.

Comme le sénateur Watt l'a souligné, les responsables de l'application des lois ou quiconque prend des mesures contre un chasseur auront désormais un choix. On pourra poursuivre aux termes de la Loi sur les pêches, des dispositions relatives aux mammifères marins ou du Code criminel.

Le sénateur St. Germain: Ma question porte sur la clause non dérogatoire. Le sénateur Baker a mentionné que les sénateurs Watt et Adams s'inquiètent de cas concernant l'article 35. Ici, à Ottawa, tout le monde trépigne en disant qu'on va protéger les droits des Autochtones grâce à l'article 35, puis on nous arrive avec le projet C-69, qui concerne l'enregistrement des armes à feu et a des impacts négatifs sur votre peuple, et la loi sur les espèces en péril qu'on a fait adopter à toute vapeur et qui vous porte également préjudice. On voit ces gens pontifier au sujet de la protection de la merveilleuse Charte des droits et libertés qui a été adoptée ici en 1982. À la Chambre des communes et au Sénat, les mêmes personnes permettent l'adoption de projets de loi de cette nature. Pour ma part, je suis d'avis qu'ils portent préjudice aux Inuits et aux Autochtones dans leur ensemble.

Dans votre exposé, vous proposez la formulation suivante: «Il est entendu que la présente loi ne porte pas atteinte à la protection des droits existants — ancestraux ou issus de traités — des peuples autochtones du Canada découlant de leur reconnaissance et de leur confirmation au titre de l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.»

Au Nunuvut, on a, je crois, contesté l'enregistrement des armes à feu devant les tribunaux. Envisagez-vous d'autres mesures en ce qui a trait à la protection de vos droits?

M. Obed: Faites-vous expressément référence à la clause non dérogatoire?

Le sénateur St. Germain: Je vous demande ce que sera votre approche générale. Je pense que le projet de loi C-68 a contrevenu à vos droits. Si je comprends bien, il en va de même pour la Loi sur les espèces en péril. Si les droits en question n'ont pas été violés, ils pourraient l'être.

Il y a d'autres dispositions législatives qui pourraient être encore plus nuisibles. Envisagez-vous de vous attaquer au problème dans son ensemble, ou allez-vous aborder chacune de ces questions une à la fois?

M. Kusugak: Même en ce qui a trait à la question des pêches évoquée par le sénateur Baker, les traités sur les revendications territoriales étaient censés avoir la préséance. Dans ces documents, on retrouve ce qu'on appelle des «droits protégés par la Constitution» qui sont souvent violés. Les Inuits aiment à suivre la procédure établie.

Nous ne travaillons pas vraiment de façon isolée, et nous serions ravis de faire changer les choses suivant certaines des suggestions du sénateur Watt. Ici, par exemple, sous la rubrique «tuer ou blesser des animaux», on parle d'infractions commises «volontairement ou sans se soucier des conséquences de son acte». Pour un Inuit, «volontairement» s'entend de la joie ou du plaisir pris à tuer. Ce n'est pas une question de joie ni d'agir «volontairement» comme on l'entend; il s'agit plutôt de nourrir sa famille. Au bureau, récemment, je discutais du présent exposé, et on m'a rappelé que, au moment où nous faisions du porte à porte dans l'Arctique, il y avait dans toutes les maisons du caribou, de la baleine, du phoque, du morse ou autre chose qu'il avait fallu tuer d'une façon ou d'une autre. On n'avait agi ni volontairement, ni astucieusement, ni joyeusement. En fait, on avait récolté une ressource pour s'en nourrir.

Si vous êtes chasseur de père en fils depuis des milliers d'années, la chasse procure de la joie, mais quand les Inuits voient à la télévision des pêcheurs qui capturent, décrochent et libèrent des poissons, ils y voient une forme de cruauté: en fait, on ne fait que s'amuser avec le poisson.

Si, en revanche, on harponne des baleines et des phoques ou d'autres animaux, l'idée est non pas de s'amuser, mais bien plutôt d'éviter que la bête ne coule après avoir été tuée. Si on n'autorise plus l'utilisation du harpon, parce qu'on la considère comme cruelle ou autre chose du genre, nous allons perdre des tas de phoques parce qu'ils ne flottent qu'en hiver. À d'autres périodes de l'année, ils coulent parce que la couche de gras est plus mince. Si vous ne la harponnez pas d'abord, tous les individus que vous abattez vont couler. Pour répondre à ses besoins, une famille gaspillera de nombreuses baleines ou de nombreux phoques. Il faut comprendre ce que nous appelons l'«animal qui se présente». Il existe des expressions du genre en rapport notamment avec tout ce qui concerne la cruauté, c'est-à-dire prendre plaisir à la chose et jouer avec les animaux. Ces actions sont définies comme de la cruauté envers les animaux. Si vous faites preuve de cruauté envers les animaux, ils vont se venger, dit-on, en faisant en sorte que vos enfants tombent malades ou je ne sais quoi. De véritables problèmes se posent, et c'est pourquoi la question est si importante. Cependant, les définitions doivent tenir compte du fait que nous ne voyons pas toujours les choses de la même façon que les habitants du Sud. Nous avons notre façon de pêcher, et c'est parfois amusant d'entendre des gens qui capturent des poissons et leur déchirent la gueule avant de les relâcher dire que c'est parfaitement acceptable et, en apparence, la meilleure façon de faire les choses.

Les aliments achetés dans les magasins coûtent très cher. Si nos gens ont peur de chasser et d'être considérés comme cruels, leur vie deviendra très difficile: à l'heure actuelle, la nourriture traditionnelle abonde dans tous les foyers. En fait, il s'agit de cruauté envers les humains.

Je sais que cela ne répond pas directement à votre question.

Le sénateur St. Germain: Très brièvement, ce qui me préoccupe, c'est l'érosion fondamentale des droits autochtones dont on est témoin. Un empiétement n'attend pas l'autre. D'abord, il y a eu le plus évident, c'est-à-dire le projet de loi C-68, puis la loi sur les espèces en péril a été adoptée, et il y a enfin la modification visant la cruauté envers les animaux, autant d'éléments qui vont à l'encontre des traités sur les revendications territoriales qui devraient avoir la préséance afin de protéger vos intérêts. Si on continue d'adopter des textes de loi de cette nature et que vous y êtes assujettis, vous serez confrontés à un véritable problème.

J'aimerais maintenant savoir si vous avez arrêté une stratégie pour faire face à ces situations. Essentiellement, il s'agit toujours de la même chose, même si on présente chaque fois les choses sous un jour un peu différent. La modification relative à la cruauté envers les animaux est plus grave dans la mesure où elle concerne chacun à titre personnel. On peut l'interpréter. Certains risquent de considérer que le fait d'enlever la vie à une mouche, un phoque ou autre chose, par exemple, constitue une forme de cruauté.

Ce qui m'inquiète, c'est que la contestation de mesures de ce genre coûte cher, et vous n'êtes souvent pas en mesure de le faire. Vous ne disposez pas immédiatement des ressources nécessaires pour contester de telles choses. C'est pourquoi la situation nous inquiète, les sénateurs Adams, Watt, Gill et moi. Avez-vous établi une stratégie concertée avec d'autres Autochtones? Je crois savoir que le Nunavut a exercé un droit d'action en justice au regard du projet de loi C-68, qui porte sur l'enregistrement des armes à feu.

Le sénateur Watt: Il a obtenu gain de cause à titre temporaire.

Le sénateur St. Germain: Il a obtenu une injonction parce que l'on considère que la mesure contrevient à vos droits aux termes de l'article 35. Voilà pourquoi je me demande si vous avez adopté une stratégie générale, le ministère de la Justice ayant dit d'autres choses au sujet des clauses non dérogatoires.

Le sénateur Bryden: Nous avons déployé beaucoup d'efforts pour dissocier la question des armes à feu de celle qui s'applique à la cruauté envers les animaux. Tout n'est pas terminé, mais, jusqu'ici, nous semblons appliquer notre rhétorique davantage au projet de loi C-68, qui concerne les armes à feu, qu'au projet de loi à l'étude. Si nous avons dissocié les deux, c'est notamment pour pouvoir nous concentrer sur le projet de loi en question.

Le sénateur St. Germain: Si vous étiez un Autochtone comme nous, monsieur le président, avec votre permission, vous ne considéreriez pas qu'il s'agit de «rhétorique». Il s'agit du retrait de droits. Tout est donc affaire de point de vue. Je ne pense pas qu'il s'agisse de rhétorique.

Le président: Permettez-moi de demander à M. Kusugak s'il a autre chose à ajouter en réponse à votre question concernant un éventuel plan général dans le contexte du projet de loi à l'étude.

M. Kusugak: Nous nous sommes intéressés, du moins à l'époque où j'appartenais à Nunavut Tunngavik Inc., à la question des pêches. Nous nous sommes aussi intéressés, comme le sénateur l'a indiqué, à la question du contrôle des armes à feu. Nous avons aussi fait ce que le sénateur Adams et le sénateur Watt, me semble-t-il, font parmi les sénateurs, c'est-à-dire initier autrui à l'Arctique, aux personnes qui y vivent, aux animaux et ainsi de suite. Cela, nous le faisons.

C'est la seule façon de faire. Pour faire vraiment bouger les choses, nous devons favoriser chez les Canadiens et d'autres l'acceptation du fait que le Canada se compose de différentes sociétés. Nous formons une société multiculturelle. Nous ne sommes pas un creuset, comme c'est le cas aux États-Unis. Nous acceptons qu'il existe des différences entre les Indiens, les Inuits, les Italiens et les Français. Nous devrions accepter non seulement que nous sommes de couleur différente, mais aussi que nous vivons dans des régions géographiques différentes, que nous parlons des langues différentes, que nous nous nourrissons différemment et ainsi de suite. À titre de président d'Inuit Tapiriit Kanatami, je fais ce que je peux, à tout le moins, en me rendant dans des universités, et j'ai des projets. À titre d'exemple, nous organisons une visite dans l'Arctique à l'intention de quelques cadres supérieurs du gouvernement fédéral: ils viennent à Kuujjuaq et dans d'autres collectivités voir de quoi nos communautés et nos maisons ont l'air, et nous leur faisons goûter certains des aliments dont il est ici question, par exemple.

En même temps, nous préparons une tournée pancanadienne à l'occasion de laquelle nous nous adresserons à des universitaires et à d'autres pour faire connaître notre pays diversifié et montrer que les Inuits diffèrent non seulement sur le plan de la couleur, mais aussi sur celui du milieu géographique et de la vie qu'ils mènent.

Je remercie le sénateur d'avoir posé sa question. Tout ce que je puis dire pour le moment, c'est que nous n'avons pas de plan d'ensemble. La Labrador Inuit Association, l'Inuvialiut Council et la Société Makivik du Nouveau-Québec surveillent et appuient la cause du Nunuvut. En ce qui concerne la question du contrôle des armes à feu, nous nous intéressions tous au cas de l'Alberta, où on pourra aborder la question sous l'angle du droit à la propriété, mais lorsque Nunavut Tunngavik Inc. a décidé d'aller de l'avant en évoquant l'article 5 du traité concernant ses revendications, nous lui avons accordé notre appui. En ce sens, nous avons des projets généraux.

L'idée générale, c'est d'obtenir le soutien du Canada et d'amener les Canadiens à prendre conscience du fait que, du point de vue des Inuits, il existe une définition de la cruauté. Il existe aussi des définitions qui s'appliquent à la récolte, et nous devons définir les Inuits non seulement à titre non seulement de «récoltants», mais aussi d'éléments de l'écosystème qui existait, je pense, de nombreuses années avant l'arrivée des Européens, et ce rôle nous échoit encore aujourd'hui.

Le sénateur Beaudoin: On devrait régler la question d'entrée de jeu. Je fais référence à l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, où nos droits collectifs sont enchâssés dans la Constitution du Canada. La Cour suprême a interprété ces droits de façon très généreuse, et je suis d'accord avec elle. Il s'agit d'un mécanisme nettement supérieur à une disposition incluse dans un projet de loi. Les droits collectifs des Autochtones figurent en plein cœur de la Constitution. Certains de ces droits concernent la pêche, la chasse, la cueillette, et cetera. Ma première réaction, c'est que les Autochtones sont déjà protégés par la Constitution elle-même. À strictement parler, ils n'ont pas besoin d'une clause de limitation.

Vous me répondrez que cette protection a beau être inscrite dans la Constitution, vous devez, en cas de non- application de l'article 35, vous adresser aux tribunaux. Je suis d'accord avec vous. Cependant, je ne crains pas du tout que les droits des nations autochtones ne soient pas dûment protégés dès le départ. Si on a recours à une clause limitative, je pense que nous devrions nous contenter de mentionner que les dispositions s'appliquent sous réserve de l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et ainsi de suite concernant la nation autochtone.

Il s'agit d'une solution nettement préférable à une clause limitative purement législative dans la mesure où la Constitution a un statut supérieur. Nous devrions peut-être en tenir compte. Je comprends ce que disent les témoins. Ils ont raison, et je suis tout à fait d'accord avec eux. L'arrêt Sparrow est on ne peut plus clair. Vous avez des droits que nous n'avons pas. Cela ne fait aucun doute.

Si, par conséquent, on recourait à une clause non dérogatoire dans le projet de loi C-10B, on ne devrait pas la libeller à la façon d'une disposition portant que vous êtes exempté. À mon avis, le projet de loi C-10B s'appliquera sous réserve de la Constitution du Canada et, en particulier, l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

C'est important. À mes yeux, il s'agit pour les nations autochtones d'une protection nettement supérieure à une exemption inscrite dans la loi elle-même.

La seule chose qui me préoccupe en pratique, c'est qu'il faut éviter aux nations autochtones de devoir recourir aux tribunaux pour faire respecter leurs droits. Cependant, ils sont déjà protégés par l'article 35.

En guise de modification du projet de loi C-10B, nous devrions peut-être indiquer que la loi s'applique sous réserve de la protection déjà offerte par la Constitution — nommément l'article 35 — et ainsi de suite.

À mon avis, il s'agit d'un problème de formulation plutôt que de substance.

Le sénateur Adams: Dans le mémoire, je crois qu'on dit qu'il a fallu 15 mois pour que le ministre réponde à une lettre. Va-t-il fournir une explication, accepter une disposition pour les Inuits ou se contenter de dire que les choses vont rester comme elles sont? Je ne voudrais pas que se reproduise la situation que nous avons connue au début du projet de loi C-68. Avec le président, le sénateur Watt et moi avons travaillé ici à cette question il y a environ six ans.

Le sénateur Beaudoin: Oui, je me souviens de ce débat.

Le sénateur Adams: Nous avions entendu 60 témoins en deux semaines. À l'époque, M. Rock avait en quelque sorte accepté des choses avant l'adoption du projet de loi. Il allait nous accorder une reconnaissance différente avant l'introduction du contrôle des armements. Puis, lorsque le projet de loi a été adopté, il est revenu devant le comité et a déclaré: «Nous sommes tous les mêmes. Nous sommes tous canadiens. Personne n'est différent.» Voilà ce qu'il nous a dit.

Je me demandais si le ministre qui vous a écrit la lettre vous dirait la même chose au sujet du projet de loi C-10B.

Selon le Règlement du Sénat, nous ne sommes pas autorisés à apporter une modification à des projets de loi de la Chambre des communes. Entre-temps, nous pouvons espérer qu'une modification sera adoptée ici au Sénat et au comité. Nous allons avoir un peu de mal. Le sénateur Watt et moi sommes minoritaires. Nous pouvons venir nous asseoir ici et vous poser des questions. C'est notre rôle au Sénat. Si la modification est mise aux voix à la chambre, nous pouvons voter. Il est difficile d'aller au-delà de l'étape de l'étude en comité. C'est ainsi que fonctionne le système des comités. Entre-temps, que vous disait le ministre au sujet du projet de loi C-10B dans sa lettre?

M. Kusugak: Le ministre Cauchon?

M. Obed: Si le ministre Cauchon a retiré le paragraphe 429(2), c'est parce que, comme le sous-ministre l'a aussi affirmé à l'occasion de sa comparution devant votre comité en décembre, la mesure avait pour effet de clarifier le projet de loi et de supprimer un élément qui induisait les gens en erreur, c'est-à-dire qu'ils n'avaient pas l'apparence de droit. C'est l'une des questions qui ont été soulevées et auxquelles on a répondu.

Le ministre ne croyait pas que les dispositions législatives proposées allaient nous nuire en raison non seulement de nos droits tacites, mais aussi de nos pratiques actuelles, celles des Autochtones, mais aussi celles de l'industrie canadienne. Elles ne seront pas touchées par le nouveau projet de loi, pas plus que les intérêts des Autochtones.

Le sénateur Adams: Il y a quelques mois, certains avocats spécialisés en droit pénal nous ont parlé de la question de l'apparence de droit, mais je crois comprendre que le principe s'applique à quelqu'un qui tue votre chien sur votre terrain, par exemple, mais pas à la cruauté envers les animaux.

Le sénateur Beaudoin: Pour revenir sur ce que j'ai dit, je suis d'accord avec les trois dernières lignes de la modification que vous proposez. Je suis d'accord pour dire qu'il n'y a certainement pas d'inconvénient à dire «il est entendu» dans le texte de loi. Mon intervention ne visait qu'à préciser que l'article 35 vous protège déjà, mais qu'il serait peut-être très utile de rappeler dans le texte de loi que c'est «entendu».

En d'autres termes, nous n'avons pas besoin de cette disposition à strictement parler, mais, en pratique, elle pourrait vous éviter des tas d'inconvénients. Vous ne serez pas obligés de vous adresser aux tribunaux.

Le sénateur Watt: Je vais dire un mot de la question des consultations. Dans ses propos liminaires, M. Kusugak a montré clairement qu'il n'y avait pas eu de consultations adéquates entre le ministre et son organisation. Le sénateur St. Germain s'est interrogé sur le plan général des Autochtones puisqu'on empiète sans cesse sur leurs droits par des voies législatives, sans toutefois passer par des modifications de la Constitution, qui exige la tenue d'une conférence des premiers ministres.

Chaque fois que le sénateur Beaudoin, notre constitutionnaliste, fait référence à l'article 35, je m'inquiète un peu.

Le sénateur Beaudoin: Ce que je dis à propos de l'article 35 vous est favorable.

Le sénateur Watt: Je fais référence à la première partie de vos commentaires, qui, à mon avis, ne sont pas tout à fait exacts.

Le sénateur Beaudoin: J'aimerais bien savoir pourquoi.

Le sénateur Watt: La reconnaissance constitutionnelle demeure intacte, mais les assemblées législatives peuvent parfois lui conférer une interprétation différente par l'entremise de textes de loi. Cela ne signifie pas que nous ne pouvons pas rouvrir le débat et discuter de la question, mais c'est l'une des raisons qui font que je m'inquiète lorsque vous dites que nos droits constitutionnels sont acquis et que nous ne devrions pas nous inquiéter.

Le sénateur Beaudoin: Vous ne pouvez pas bénéficier d'une protection supérieure à celle qu'offre la Constitution.

Le sénateur Watt: Je ne demande pas davantage. Tout ce que je veux, c'est que l'application des droits que nous confère la Constitution demeure la même et ne soit pas modifiée par des voies législatives.

Les témoins nous ont dit qu'il n'y avait pas eu de consultation adéquate à ce propos. Comme on s'attaque sans cesse à nos droits par des voies législatives, sans jamais modifier la Constitution, le sénateur St. Germain a demandé quel était le plan général des Autochtones. Depuis 1982, nous avons été touchés par des initiatives législatives comme celle qui concerne le contrôle des armes à feu et diverses autres.

Les mesures envisagées par les Inuits du Canada dans leur ensemble, qu'ils soient du Labrador, du Nunavut ou du Nunavik, que M. Kusugak connaît très bien, devrait faire l'objet de discussions au conseil d'administration d'ITK.

À titre de sénateur, je ne crois pas que le projet de loi à l'étude soit à toute épreuve. Je pense que les tribunaux pourraient très facilement l'invalider, en particulier à la lumière de l'article 35 de la Loi constitutionnelle qui protège les droits des Autochtones.

Comme je l'ai indiqué ici à de nombreuses reprises, on devra tôt ou tard reconnaître nos activités de chasse et de pêche traditionnelles. La meilleure façon de le faire, c'est de modifier le projet de loi. J'ignore si on adoptera une modification significative pour tenir compte des préoccupations des Autochtones.

À ma connaissance, le projet de loi ne se trouve pas entre les mains de nos leaders et n'a pas fait l'objet de discussions sérieuses.

Vous êtes d'accord, monsieur Kusugak?

M. Kusugak: Je suis d'accord. Je ne connais qu'une personne qui l'a étudié. J'ai tenté d'en parler avec d'autres personnes, mais elles n'étaient pas au courant. Il ne suffit pas de mettre un questionnaire à la poste. On doit faire appel à un processus de consultations plus personnelles.

Quant à l'existence d'un plan général, cette année marque le 10e anniversaire de la signature de l'accord concernant les revendications territoriales par le Nunavut, et on va revenir sur toute la mise en œuvre et sur certains aspects qui n'ont plus été honorés par l'autre partie.

Il y a quelques exemples. Le contrôle des armes à feu en est un. La loi va peut-être à l'encontre de l'article 5 de l'accord sur les revendications territoriales.

On prévoit pour le mois de mars une réunion qui sera présidée par un des groupes à l'origine des revendications territoriales: on en profitera pour interroger les autres groupes sur les mécanismes de mise en œuvre. Au Nouveau- Québec, le mécanisme de mise en œuvre date de plus de 20 ans. Dans la région ouest de l'Arctique, Inuvialuit, le mécanisme est quelque peu plus récent. Le Labrador met la dernière main au sien. On n'a pas encore donné suite à de nombreux aspects.

Quant à savoir si tous les Canadiens sont égaux ou identiques, je voudrais bien que ce soit le cas. Si c'était vrai, on n'aurait pas besoin d'associations représentant les femmes, de Parti libéral, d'Alliance canadienne ni de PC. Nous sommes tous différents, et nous devons l'accepter.

En ce qui concerne la clause non dérogatoire, il arrive très souvent, lorsque nous évoquons certaines parties des revendications, par exemple, que personne ne sache de quoi il s'agit, sauf nous, parce que nous travaillons sans cesse avec ces documents. C'est comme si quelqu'un lisait la clause de non-dérogation sans savoir de quoi il s'agit.

Je suis d'accord avec le sénateur Watt pour dire qu'il faut utiliser un déterminant quelconque pour qualifier des termes différents lorsqu'on utilise la clause de non-dérogation. Selon les secteurs où on l'applique, il faut parfois qualifier les choses en employant certains mots. Nous le faisons assez souvent à l'occasion de discussions avec certains députés, par exemple, non seulement en rapport avec tel ou tel article de nos revendications territoriales — en fait, nous écrivons les mots. Il faut moins de temps pour lire un petit article que pour parcourir l'ensemble du livre à la recherche de l'article dont il est question.

Je pense qu'il est nécessaire de qualifier les termes que nous utilisons. Voilà ce que nous entendons par la clause de non-dérogation, par exemple.

Le sénateur Bryden: Nous tendons à utiliser les mots «cruauté envers les animaux» dans des sens différents. Cependant, ce qui me frappe, c'est que, si on excepte la mention entre parenthèses dans le titre du projet de loi, le mot «cruauté» n'apparaît nulle part. Ce qu'on retrouve ici et là dans le projet de loi, c'est l'interdiction de certaines activités qui constitueraient une infraction. Au paragraphe 182.2(1) du projet de loi, par exemple, on précise: commet une infraction quiconque, volontairement ou sans se soucier des conséquences de son acte, fait telle ou telle chose.

Ai-je raison de penser qu'une bonne partie de votre témoignage repose sur le fait que les Inuits et les Autochtones ne maltraitent pas les animaux volontairement ou sans se soucier des conséquences de leurs actes?

À l'article 182.2, on énonce les infractions au sens du projet de loi. Commet une infraction quiconque, y lit-on, par négligence, cause à un animal de la douleur, des souffrances ou des blessures sans nécessité. Si je vous comprends bien, traditionnellement, aucun Inuit n'agirait de cette façon. Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet?

Une partie du problème vient du fait qu'on craint que la GRC, des agents du ministère des Pêches et un peu tout le monde parcourront le pays pour inculper des gens en vertu du nouveau projet de loi. Avant de pouvoir le faire, ils devront montrer que les actes commis sont bel et bien visés par les mesures législatives proposées. Il faut que la personne ait commis les actes en question volontairement ou sans se soucier de leurs conséquences ou encore qu'elle ait agi par négligence.

Vous nous avez dit que les Inuits n'auraient jamais d'intention de ce genre puisque ce sont trois choses qui ne pourraient jamais passer par la tête d'un Autochtone.

M. Kusugak: Je ne peux pas généraliser et dire que tous les Innus sont ainsi. Chez les Inuits, il existe des lois applicables à quiconque maltraite des animaux brutalement, volontairement ou pour le plaisir.

Je ne dis pas que tous les Inuits sont parfaits ni qu'ils aiment tous les animaux. Du point de vue des lois qui régissent la société inuite, il existe des criminels inuits. Ils sont traités selon nos modes de vie traditionnels. Dans les cas les plus graves, j'imagine, il faudrait deux chasseurs pour clouer l'intéressé au sol et un troisième pour le poignarder à mort.

Le sénateur Bryden: Cela aussi serait illégal.

M. Kusugak: Avant la GRC et l'application de la justice dans le Nord au bon gré du gouvernement fédéral, les Inuits avaient leurs propres façons de régler des problèmes de cette nature. En vertu des lois traditionnelles inuites, la cruauté et la brutalité envers les animaux sont des infractions si vieilles que nous croyons en effet que les coupables de telles actions verront leurs enfants ou leurs êtres chers atteints de maladie.

Les honorables sénateurs auront beau dire: «C'est un tissu de balivernes à la sauce spirituelle.» Cependant, c'est ce qu'on nous enseigne dès la naissance.

Nous ne tuons jamais d'animaux volontairement ou avec plaisir, pour le simple plaisir de tuer. Si nous tuons des animaux, c'est pour les utilisations que nous en faisons.

Je porte des mitaines en peau de phoque. Je sais que je peux me rendre dans un magasin et acheter des mitaines, mais celles que je trouverai à Ottawa ne se compareront jamais à celles que j'ai ici parce qu'elles sont fabriquées différemment.

Le sénateur Bryden: Je cherchais à accomplir deux choses. D'abord, je voulais établir ce que vous dites en général au sujet des Autochtones, c'est-à-dire qu'ils ne contreviennent pas à ces règles.

Cependant, comme vous l'avez indiqué, il n'est pas exclu qu'il y ait un mauvais sujet au sein de votre communauté, comme au sein de toutes les autres, qui risque de se comporter volontairement de la sorte. C'est très bien, et je comprends. L'une des choses que nous ne devons pas oublier, c'est qu'il faut qu'une infraction ait été commise avant que des accusations soient portées. Inutile de vous défendre si on ne vous accuse de rien.

Je voulais poser quelques questions en rafale. Dans la conclusion de votre mémoire, et je tiens à éliminer toute ambiguïté à ce sujet, vous dites que les Inuits ont établi des meilleures pratiques et que, à la lumière du projet de loi, on ne devrait pas pouvoir en venir à la conclusion que les meilleures pratiques en question sont cruelles, brutales ou sauvages.

Vous ajoutez que votre droit d'utiliser les normes établies par les Inuits en matière de cruauté envers les animaux devrait être reconnu, mais, en réalité, les pratiques établies auxquelles vous avez fait référence se poursuivraient.

Ma question est très précise: les règles et les normes en question sont-elle écrites quelque part? De toute évidence, la communauté les établit. Certaines d'entre elles ont-elles été couchées par écrit?

M. Kusugak: Dans certaines collectivités, il y a des centres culturels. Je suppose qu'on les a écrites.

Toutefois, ce ne serait rien de comparable à ce qu'on retrouve dans une bibliothèque du Sud puisque, traditionnellement, des peuples nomades n'auraient pu transporter de grandes quantités de papier d'un emplacement à l'autre à l'aide de traîneaux à chiens.

Dans le monde scientifique occidental, il y a l'hypothèse, la méthode, l'expérimentation et les conclusions. Dans les connaissances traditionnelles inuites, on s'est passé de l'hypothèse, de la méthode et de l'expérimentation, mais on a conservé les conclusions. Ces conclusions, c'est ce qu'on appelle les «connaissances traditionnelles». Ces dernières deviennent ce que les anthropologues se plaisent à désigner d'une façon spirituelle et romantique. En fait, les connaissances traditionnelles situent les choses dans un contexte spirituel en vertu duquel, en cas de désobéissance, vous allez mourir dans l'année ou quelque chose du genre.

Soit dit avec le plus grand sérieux, il s'agit simplement d'une façon d'obliger les enfants à obéir. Si, par exemple, on dit aux enfants qu'il est mal de faire tomber des inuksuit, on les incite fortement à le faire. Si, en revanche, on leur dit qu'ils risquent de mourir dans l'année s'ils le font, ils obéissent à la loi.

Inutile de coucher de tels enseignements par écrit. De génération en génération, on sait que la cruauté envers les animaux est passible de telle ou telle sanction, laquelle, j'imagine, varie selon les régions. Jusqu'ici, les connaissances traditionnelles, à quelques petits écarts près, varient très peu, qu'on se trouve dans la région du sénateur Watt ou dans celle du sénateur Adams. Je peux généraliser et affirmer que, de l'Alaska au Groenland en passant par Iqaluit, les lois sociales sont très semblables et profondément ancrées. On se les transmet de génération en génération. Maintenant que nous avons des ordinateurs, je puis vous assurer que nous allons les coucher par écrit. Peu à peu, le monde occidental accepte ces connaissances traditionnelles, lesquelles peuvent enrichir la science occidentale.

Pour répondre à votre question, je suis certain que, d'ici quelques années, nous pourrons affirmer: «Oui, c'est écrit.»

Le sénateur Bryden: Vous serez en mesure d'établir la norme pour une communauté, c'est-à-dire les modalités.

M. Kusugak: Oui, assurément.

Le sénateur Bryden: Je veux revenir sur certaines choses que vous avez affirmées. Vous avez fait allusion à la diversité au Canada. Fort bien. Au cas où vous ne seriez pas au courant, je tenais à mentionner que, la semaine dernière, un rabbin de la communauté juive a comparu devant nous et nous a demandé de proposer que l'abattage cérémonial des animaux pour les confessions juive et islamique soit exempté des dispositions du projet de loi. Comme position de repli, il a proposé, je crois, qu'on inclue le paragraphe 429(2) à titre de défense éventuelle. Vous avez vous- même affirmé vous inspirer d'une tradition spirituelle.

Hormis le fait que vous auriez dû être consulté et qu'on n'aurait pas dû se contenter de vous écrire, ce que nous comprenons tous et qu'il faudra un certain temps pour corriger, l'inclusion de la disposition «il est entendu» de la Constitution faisant référence à l'article 35 et de l'article 429 dans le projet de loi ferait beaucoup pour répondre aux difficultés précises que vous avez soulevées en rapport avec le texte, n'est-ce pas?

M. Kusugak: Je suis d'accord. Je ne voudrais toutefois pas qu'on pense, en référence au rabbin, que nous utilisons des animaux à des fins de sacrifice rituel ni rien de ce genre.

Le sénateur Cools: J'aimerais faire un rappel au règlement. Je pense que le sénateur Bryden voulait parler d'«abattage rituel». On ne sacrifie pas d'animaux ni rien de la sorte. Les témoins qui ont comparu devant nous ont évoqué l'abattage rituel adéquat des animaux, les aliments casher en ce qui concerne la communauté juive et les aliments halal en ce qui concerne les musulmans. Il n'est jamais question d'abattage cérémonial ni de sacrifice.

M. Kusugak: Toutes mes excuses.

Le sénateur Bryden: C'est ma faute.

M. Kusugak: Je suis désolé. Les explications du sénateur m'ont fait penser à certaines choses. En fait, je pense que ce serait le contraire de la préparation d'un animal. [M. Kusugak parle dans sa langue autochtone.]

Ce que j'ai dit, c'est qu'on n'aime même pas pourchasser les animaux parce qu'on dit que le sang d'un animal pourchassé n'a pas aussi bon goût que celui d'un animal immobile.

L'honorable sénateur a dit que je donnais l'impression que je faisais des animaux une question spirituelle et ainsi de suite. C'est totalement faux. Même si les Inuits fondent des règles sur une explication spirituelle, je voulais simplement dire que c'était la conclusion scientifique, afin que nous n'ayons pas à revenir sur les raisons qui nous ont conduits à ce point. Je vous assure que cela n'a rien de spirituel. C'est scientifique. Les Inuits sont les personnes les plus scientifiques que je connaisse, du moins de notre côté du monde.

Souvent, nous adoptons un point de vue rituel, spirituel, ce qui nous évite de nous justifier sans cesse. Lorsqu'il s'agit de connaissances traditionnelles, la plupart des gens ne savent pas comment ils en sont arrivés là. À l'heure actuelle, grâce aux ordinateurs et à la modernité, nous commençons à tout déchiffrer.

Toutes les connaissances traditionnelles dont vous entendrez parler après le déchiffrage des règles s'apparenteront à la science occidentale dans la mesure où tout commencera par une hypothèse.

Le sénateur Jaffer: Je tiens à vous remercier d'être ici. Vous avez fait un long voyage, et je tiens à vous dire que le sénateur Watt et le sénateur Adams ont assurément beaucoup fait pour nous éclairer sur vos positions. Je vous remercie également des efforts que vous déployez pour faire comprendre la diversité aux Canadiens.

La consultation représente un enjeu important. Je suis ici depuis peu, mais j'ai compris qu'il arrive parfois que nous transmettions des remarques au ministre concernant la procédure. Au moment où nous formulerons nos recommandations, ou peu importe ce que nous ferons, nous devrions peut-être écrire au ministre au sujet de la faiblesse du processus de consultation. Vous avez avec beaucoup d'éloquence dénoncé la quasi-absence de consultations menées dans ce cas-ci. Nous en avons pris bonne note.

Je reviens sur ce que le sénateur Bryden vous disait au sujet de la douleur. Ma question est plus précise en ce sens que je comprends très bien ce que vous dites au sujet du respect que vous éprouvez pour les animaux et du traitement particulier que vous leur réservez. Cependant, nous devons tous convenir du fait que les animaux éprouvent une certaine douleur au moment où on les abat à des fins licites.

Si j'ai bien compris, la loi ne concerne que la douleur causée «sans nécessité». Il existe aussi de la jurisprudence ne portant que sur la douleur causée sans nécessité.

Êtes-vous d'accord pour dire que le fait d'infliger de la douleur fait nécessairement partie de vos activités de chasse et que, au sens du projet de loi, elle est licite? Rien ne change en ce qui concerne la douleur nécessaire infligée à un animal.

M. Kusugak: Oui. C'est pourquoi, dès le début, nous avons dit que les Inuits respectent le projet de loi du point de vue des affirmations concernant la cruauté envers les animaux qu'il renferme. Lorsqu'on est un élément de l'écosystème, ce que nous disons être, depuis très longtemps, on souhaite traiter les animaux le plus humainement possible. Cela fait partie intégrante de nos traditions. Comme je l'ai dit, les Inuits ne sont pas tous parfaits. Il y a chez nous de mauvais sujets, comme dans tout autre groupe. Cependant, la société s'est donné des lois pour s'occuper de leur cas, et — jusqu'au point où, dans le monde occidental, on peut emprisonner quelqu'un, et cetera. Cependant, rien ne fait plus mal que de savoir et de laisser savoir que, si vous faites preuve de cruauté envers les animaux, ce sont vos enfants qui écoperont. Leur santé sera touchée, et ainsi de suite. Ce n'est un sort que personne n'envie. Parfois, c'est pire que d'aller en prison.

Je suis parfaitement d'accord avec vous, tant et aussi longtemps que les pratiques de chasse traditionnelles des Inuits et tout le reste ne sont pas touchés et que nos gens n'ont pas peur d'aller à la chasse pour nourrir leur famille à cause d'une loi qui dit que, ce faisant, on risque la prison.

Nous savons que le problème ne se posera peut-être pas maintenant; en fait, il ne se posera peut-être pas avant 20 ans. Apparemment, un type de la Nouvelle-Écosse a sans jamais se faire importuner traversé la rue pour aller faire le plein aux États-Unis. Puis, un beau jour, il a traversé la rue, fait le plein, et un policier américain l'a arrêté. Voilà ce qui nous fait peur. Il est possible qu'on comprenne l'intention aujourd'hui, mais, sans une définition claire et nette, comme le sénateur Watt l'a laissé entendre, nous ne savons pas à quoi les gens s'arrêteront dans 20 ou 50 ans.

Le sénateur Jaffer: Nous croyons comprendre que ce sont les poursuites abusives, en particulier les poursuites privées, qui vous préoccupent. Est-ce exact? C'est ce que je crois comprendre à partir de ce que vous avez dit auparavant.

M. Obed: Oui, c'est ce à quoi nous voulions en venir. Je veux revenir sur quelques questions qui ont été posées, en particulier par le sénateur Bryden, au sujet de l'inclusion possible d'une référence à l'article 35 dans le projet de loi en question.

En ce qui concerne la façon dont les Inuits cadrent dans des textes de loi de cette nature, nous voyons dans les exceptions, la clause de non-dérogation ou des références précises aux revendications territoriales globales dans des lois fédérales comme le lien ou le sentier qui conduit à la vérité. Une référence à l'article 35 dans le projet de loi contribuerait à l'établissement de ce lien. Nos droits sont là. Nous en sommes conscients, mais, sur le plan de l'application pratique du projet de loi, nous devons voir ce lien. Nous devons avoir l'assurance qu'on s'est occupé de nous, que le gouvernement canadien se préoccupe de nos intérêts lorsqu'il légifère et que nos intérêts sont suffisamment importants pour que le gouvernement les inscrive en noir sur blanc.

On nous a dit à de nombreuses reprises que nous ne subirons pas d'effets négatifs. Si tel est le cas, nous aimerions trouver des garanties explicites dans le projet de loi.

Le sénateur Joyal: Le dernier commentaire du témoin est très important dans la mesure où nous avons affaire à des questions de droit et de bonne foi. Dans son bref exposé, M. Kusugak a affirmé que les Inuits n'ont pas été consultés.

J'aimerais attirer l'attention de notre collègue, le sénateur Jaffer, sur ce point. Il s'agit d'un problème constitutionnel. Faire parvenir un projet de loi ou un livre blanc aux Canadiens non autochtones en général pour les inviter à faire part de leurs commentaires et de leurs suggestions — ce n'est pas qu'une bonne politique gouvernementale.

En ce qui concerne la chasse, la pêche et la récolte d'animaux, les Autochtones jouissent de droits constitutionnels garantis par l'article 35. En plus d'être garantis par l'article 35, ils sont réaffirmés par l'article 25, où on fait allusion à la Proclamation royale de 1763. La Cour suprême du Canada a très bien interprété la signification de ces deux articles de la Constitution dans trois arrêts récents suivant l'adoption de la Charte. L'arrêt Guerin en 1984, l'arrêt Sparrow en 1993 et, enfin, l'arrêt Wewaykum en 2002.

En ce qui concerne l'obligation de la Couronne vis-à-vis des Autochtones, la Cour suprême a déclaré que, au moment de légiférer dans des domaines où les Autochtones sont directement touchés, la Couronne — le gouvernement fédéral, le Parlement fédéral — a trois obligations. La première est de consulter les Autochtones. Il s'agit d'une obligation constitutionnelle découlant des articles 25 et 35. La deuxième, c'est que nous devons trouver la solution qui perturbe le moins possible leur mode de vie. C'est un peu comme l'ancien critère à appliquer en relation avec l'article premier de la Constitution: qu'est-ce qui est raisonnable? La troisième obligation, c'est que les Autochtones doivent être dédommagés en cas d'empiétement sur leurs droits traditionnels.

Nous avons ici un certain nombre d'Autochtones: le président Kusugak, le sénateur Adams, le sénateur Watt et le sénateur Gill. Nous procédons à une étude, et on nous apprend que, au stade de la préparation du projet de loi, nous — collectivement — n'avons pas respecté les obligations que nous ont faites les tribunaux dans le contexte de la préparation de textes de loi relatifs aux droits des Autochtones.

Par conséquent, il ne s'agit pas uniquement de dire: «Vous êtes protégés. Si telle ou telle chose vous déplaît, adressez- vous aux tribunaux.» Nunavut Tunngavik Incorporated a entrepris un recours contre le Procureur général du Canada dans le dossier de la loi sur les armes à feu. Nous ne pouvons pas nous contenter de dire, comme nous le disons aux autres Canadiens: «Nous allons légiférer, et si ce que nous faisons vous déplaît, contestez devant les tribunaux.» Nous devons associer les Autochtones au processus parce que nous avons une obligation de fiduciaire. Nous sommes les fiduciaires de leurs droits. C'est l'élément le plus important de l'article 35.

Ce que les témoins nous disent aujourd'hui, c'est que nous, à titre de sénateurs et de fiduciaires, nous devions les consulter, les indemniser et créer le moins de perturbations possibles. Malheureusement, ils en sont venus à la conclusion que nous ne l'avons pas fait. Dans ce contexte, comment peuvent-ils être convaincus que, à l'avenir, personne ne va décider que leurs pratiques de chasse sont cruelles? La cruauté est une notion qui comporte des éléments subjectifs. Ce qui est cruel pour vous ne l'est pas nécessairement pour moi. Cette subjectivité sera fonction de l'appréciation des normes sociales qui, en ce qui concerne les animaux, évolue.

Que ferons-nous de ce que les témoins nous disent aujourd'hui? Je suis certain que leur situation n'est pas différente de celle d'autres Autochtones. Je parierais que d'autres Autochtones n'ont aussi reçu que de la documentation par la poste.

Je ne cherche pas querelle au ministre de la Justice actuel, qui est en poste depuis seulement un an environ. Cependant, le résultat net, c'est que nous avons une décision à prendre. Comment répondre à la requête qui nous a été adressée aujourd'hui? Comment concilier la responsabilité que nous avons vis-à-vis des Canadiens en général de légiférer équitablement et raisonnablement dans le dossier de la cruauté envers les animaux et les droits protégés par la Constitution qu'ont les Autochtones de récolter, de chasser et de pêcher selon leurs pratiques traditionnelles?

Voilà où nous en sommes vis-à-vis du projet de loi et de notre obligation de fiduciaire envers les Autochtones du Canada.

Vous avez proposé l'inclusion d'une clause de non-dérogation. Cette proposition nous pose un problème, comme à l'époque du projet de loi sur la protection des espèces en péril. Je pense que le sénateur Nolin et le sénateur Beaudoin étaient au Sénat à l'époque où nous avons débattu du projet de loi en troisième lecture l'automne dernier. Le ministre de la Justice étudie maintenant la possibilité de supprimer toutes ces dispositions, de rétablir les libellés utilisés en 1997 ou de recourir à une clause de non-dérogation rédigée autrement. Que faire?

Nous ne voulons pas porter préjudice aux Inuits ni aux autres Autochtones du Canada. Nous savons que la clause de non-dérogation pose un problème. Tous mes collègues assis autour de la table, en particulier les sénateurs Watt, Gill et Adams, sont intervenus à ce propos.

En rapport avec d'autres projets de loi, nous avons décidé de laisser ces dispositions telles quelles, et nous sommes confrontés à ce problème. Par ailleurs, nous ne voulons pas adopter un texte de loi qui risque de compromettre les droits de pêche, de chasse et de récolte traditionnels et constitutionnels des Autochtones, droits qu'ils exercent depuis au moins 400 ans, bien avant le premier établissement européen sur ce territoire.

Quoi qu'on fasse, on est toujours perdant. Cependant, je ne veux pas adopter un texte de loi qui nuira aux Autochtones du Canada et empiétera sur leurs droits constitutionnels, alors qu'il est clair qu'ils sont protégés lorsqu'ils chassent et pêchent sur leur territoire.

Le sénateur Smith: Les commentaires du sénateur Joyal sont très utiles. De toute évidence, il connaît mieux que moi les trois arrêts de la Cour suprême du Canada.

Vous avez fait référence à notre obligation de consulter les groupes autochtones. Est-il clair que ces consultations doivent intervenir au stade de la rédaction, ou peuvent-elles avoir lieu au stade de l'étude en comité parlementaire, après la première et la deuxième lectures du projet de loi?

Le sénateur Joyal: On prescrit de consulter avant de légiférer. Or, si on souhaite légiférer en faisant le moins de vagues possible, on soupèse diverses options et on choisit celle qui causera le moins de perturbations.

Le sénateur Smith: Je ne dis pas le contraire.

Le sénateur Joyal: Aux termes de la définition, il est clair que les consultations doivent intervenir avant.

Le sénateur Smith: Vous pensez donc qu'elles doivent intervenir au stade préalable à la rédaction. On a donc affaire ici à une procédure foncièrement déficiente, mais qui pourrait être corrigée?

Le sénateur Joyal: Oui. Voilà pourquoi les témoins sont ici. Ils sont de bonne foi.

Le sénateur Smith: Je m'en rends compte.

Le sénateur Joyal: Ils sont venus nous demander de modifier la proposition afin que les non-Autochtones obtiennent ce qu'ils veulent, c'est-à-dire un projet de loi qui protège les animaux contre la cruauté, tout en leur permettant de continuer de chasser et de pêcher sur leur territoire selon leur mode de vie traditionnel, sans risquer d'être poursuivis devant les tribunaux ni d'être harcelés ou gênés à l'avenir dans ce qu'ils font depuis très longtemps.

Oui, on peut corriger la situation.

Le sénateur Baker: Je tiens à rassurer les témoins. Comme vous le voyez, les sénateurs se passionnent pour ce débat. Nunavut Tunngavik Incorporated a traîné le gouvernement fédéral devant les tribunaux, et votre déclaration sous serment a été utilisée dans le cadre de l'affaire. Vous avez soutenu devant la Cour fédérale que le gouvernement avait signé une entente créant le Conseil de gestion des ressources fauniques du Nunavut et que, aux termes de la Constitution, il fallait consulter cet organisme au sujet de la législation, que c'est ce que vous avez signé.

Vous avez traîné le gouvernement fédéral devant les tribunaux en 1997 lorsqu'il a réduit votre quota de turbots pour en donner une partie à des nations étrangères et le reste aux Terre-Neuviens et à d'autres personnes.

Vous avez traîné le gouvernement fédéral devant les tribunaux, et vous avez eu gain de cause. Puis, le gouvernement fédéral a dit: «Un instant. Non, vous ne pouvez pas gagner, nous allons porter la cause en appel.» Le gouvernement s'est adressé à la Cour d'appel fédérale. Cette dernière a tranché que, aux termes de la loi, le ministre exerçait un pouvoir discrétionnaire; tout ce qu'il était tenu de faire, c'était de consulter le Conseil de gestion des ressources fauniques du Nunavut.

Puis il y a eu une autre cause, et vous avez décidé de vous adresser à la Cour fédérale, où vous avez perdu. Vous avez interjeté appel devant la Cour d'appel fédérale, où vous avez également perdu. Puis, vous vous êtes pourvus en appel devant la Cour suprême du Canada. Tout ce temps, la cour vous a imputé les frais juridiques. La Cour suprême a refusé d'entendre votre appel.

À l'époque où l'organisme s'est attaqué au gouvernement fédéral relativement à tous les dossiers dont il est ici question aujourd'hui, c'est vous qui étiez à la présidence. La décision finale revient à la Cour suprême du Canada. En 2000, la Cour d'appel fédérale a eu tout à fait raison, en ce sens que la décision du ministre se justifiait et avait tenu correctement compte des principes de la contiguïté et de la dépendance économique, tel qu'interprété dans la décision antérieure de la Cour d'appel fédérale.

Comment vous sentez-vous après cette procédure? Comment vous sentiez-vous à la fin, lorsque vous avez perdu une cause que vous étiez certains de gagner, puisque, comme les sénateurs Watt et Adams l'ont dit, vous pensiez être protégés par l'accord initial sur les revendications territoriales et que, en fin de compte, il s'est avéré que vous ne l'étiez pas du tout? Comment vous sentiez-vous à la fin de ce processus? Est-ce l'une des raisons qui font que vous êtes ici aujourd'hui pour exiger des garanties plus grandes dans le projet de loi à l'étude?

M. Kusugak: Lorsqu'on consulte une page à la fois les questions relatives à la mise en œuvre — et les revendications ont été signées et acceptées par les deux parties — et quand on arrive au passage concernant la contiguïté, par exemple, tout semble si clair. À la première page de l'accord, il est question de l'autonomie, des moyens de la favoriser et ainsi de suite.

Une des façons de favoriser l'autonomie consiste à accorder des quotas plus grands dans les zones de pêche adjacentes aux secteurs visés par les revendications territoriales du Nunuvut, de façon que les intéressés puissent acheter les bateaux qui conviennent et ainsi de suite. Nous possédons à la fois First Air et Canadian North. Nous possédons les sociétés de transport et des choses de ce genre, mais l'accord porte sur la mise en valeur du secteur des pêches. Nous avons dû renoncer complètement à ce secteur faute de quotas suffisants qui permettent de rentabiliser quelque bateau de pêche que ce soit. Voilà pourquoi nous avons décidé de nous adresser aux tribunaux. C'est la dernière chose que l'on souhaite en raison du caractère définitif des décisions judiciaires. On ne sait jamais de quel côté va pencher la balance. La décision a fait mal à l'époque et continue de faire mal.

Lorsque les dispositions législatives relatives au contrôle des armes à feu, par exemple, ont compromis des droits que nous faisaient les accords sur les revendications territoriales, nous avons une fois de plus décidé que le jeu en valait la chandelle, que les difficultés et les coûts inhérents aux actions en justice se justifiaient. Nous ne sommes pas comme le gouvernement fédéral; notre argent ne vient pas des contribuables, année après année. Au sein de notre organisation, nous avons dû prendre la décision d'aller de l'avant dans ce dossier. Nous ne savons jamais ce que sera le résultat. Voilà pourquoi j'espère que le projet de loi comprendra peut-être certains éléments qui auront pour effet de mieux définir les dispositions législatives proposées.

À la lecture du mot «volontairement», je ne sais pas s'il faut comprendre: «Oui, je veux tuer cet animal», ou si, en tuant un animal pour le bien-être de la famille, j'agis aussi de façon «volontaire». Je ne sais pas.

Aux yeux des Autochtones, une traduction libre ne signifie rien du tout. On doit définir ces questions de façon à ce qu'elles n'empiètent pas sur les droits de chasse des Inuits.

Le sénateur St. Germain: Le sénateur Joyal a touché un aspect très délicat du processus de consultation. Ce n'est pas la première fois que nous en entendons parler. Je ne suis pas insensible aux réalités du Parlement. Le Parlement est un milieu de travail difficile parce qu'il faut tenir compte de la partisanerie, de la protection des gouvernements et de quantité d'autres choses encore.

Je répugne à l'idée de revenir sur le projet de loi C-68, mais nous avons étudié ce projet de loi ici même. J'ai travaillé avec les sénateurs Watt, Adams et d'autres sur ce projet de loi. Nous nous sommes rendus dans le Nord; nous avons discuté avec les Inuits, et il n'y a pas eu de consultations à proprement parler. J'ignore comment nous pouvons corriger la situation. Je ne cherche ni à épater la galerie ni à bousculer qui que ce soit, mais on doit faire face à la réalité.

Le sénateur Beaudoin affirme que les droits sont enchâssés, mais ces droits ne sont valables que s'ils sont respectés et effectifs. Si les groupes en question doivent s'adresser aux tribunaux, les témoins ont montré que ces recours sont coûteux et inefficaces pour les personnes qui vivent dans les territoires nordiques.

Le projet de loi C-10A s'inscrivait dans le scénario arrêté pour les armes à feu. C'était l'un des problèmes; à certains égards, on faisait face aux mêmes problèmes qu'aujourd'hui. Le projet de loi C-10A allait avoir un effet négatif sur la propriété d'armes à feu. Le fait qu'on ait eu recours à des poursuites pour corriger la situation le montre bien.

Loin de moi l'idée de dire aux membres du comité ce qu'ils doivent faire, mais il leur incombe néanmoins de prendre en considération, une fois pour toutes, les droits qui sont véritablement protégés par les articles 35 et 25 de la Constitution. Que cela nous plaise ou non, c'est notre Charte; elle nous appartient. Elle sera là pour des générations à venir. Nous devons faire en sorte qu'elle fonctionne. Si nous ne faisons pas en sorte qu'elle fonctionne pour nos Autochtones, nous nous défilons et ne prenons pas nos responsabilités. Nous devons trouver un moyen de faire en sorte que les choses fonctionnent. Nous avons là une occasion en or. Je n'y vois pas de capitulation.

Si vous me dites: «Sortez, et nous allons régler le problème parce que nous préférons le faire sans vous», je vais partir. Je veux que les Autochtones bénéficient des avantages auxquels ils ont droit. C'est sous cet angle que nous devons aborder la question.

Nous avons une excellente occasion de corriger le problème. Avec les sénateurs Beaudoin, Joyal, Nolin et Bryden, qui sont tous avocats, nous avons en main l'expertise nécessaire. Faisons quelque chose et arrangeons-nous pour que les choses fonctionnent.

Le sénateur Cools: Vous devriez inclure d'autres personnes que des avocats, qui ont le don de tout embrouiller.

Le sénateur Beaudoin: Malheureusement, il est vrai qu'il n'y a pas eu de consultation. C'est dommage. L'article 35 tel qu'interprété par la cour nous en fait l'obligation juridique et même constitutionnelle. Cependant, nous pouvons corriger la situation ici même, à cette table. C'est la seule chose que nous puissions faire. Nous ne pouvons revenir sur ce qui a été fait il y a cinq ans, mais nous pouvons faire quelque chose. Les Autochtones sont ici. Nous avons des Autochtones au sein de notre comité du Sénat. Nous devrions corriger la situation et, cette fois-ci, nous conformer à toutes nos obligations constitutionnelles. C'est une avenue.

Je suis d'accord avec le sénateur Joyal pour dire qu'il s'agit d'un problème constitutionnel. Cela ne fait aucun doute. Cependant, le fait qu'il s'agisse d'un problème constitutionnel ne signifie pas qu'il soit insoluble. Il peut être réglé et devrait l'être.

Le président: Monsieur Kusugak, monsieur Obed, merci d'être venus, d'avoir patienté et d'avoir attendu votre heure pendant toute la période de Noël. Merci d'avoir partagé vos réflexions et vos préoccupations avec nous.

M. Kusugak: Je tenais à préciser que je suis navré de ne pas avoir apporté avec moi une copie de notre mémoire en français. Nous n'avons jamais eu de fonds pour le faire traduire. Je suis né dans un iglou d'une communauté catholique romaine il y a 53 ans, mais l'Église nous enseignait le latin, et non le français.

Le président: Nous allons le faire traduire et circuler.

M. Kusugak: Merci de l'occasion que vous nous avez donnée de comparaître devant vous, de votre attention et de l'aide que vous nous avez proposée.

Le président: Nous avons maintenant la chance d'accueillir comme témoins deux spécialistes de la douleur chez les vertébrés et les invertébrés. Le premier est le Dr Alexander Livingston du département de médecine vétérinaire du Western College of Veterinary Medicine, qui a fait le voyage de Saskatoon pour être avec nous aujourd'hui. Mardi, on a fait circuler son mémoire portant sur l'évaluation de la douleur chez les animaux. Son expertise porte principalement sur les vertébrés.

Notre deuxième spécialiste est Shelley Adamo, titulaire d'un doctorat en biologie et chercheuse spécialisée dans les invertébrés à l'Université de Dalhousie. Son mémoire, dans lequel elle se demande si les invertébrés éprouvent de la douleur, a également été distribué mardi dernier.

Je vous remercie tous les deux de nous avoir fait parvenir vos mémoires à l'avance et d'avoir fait le voyage à Ottawa à bref préavis pour venir nous faire profiter de votre expertise.

Avant de commencer, je tiens également à remercier Clément Gauthier, du Conseil canadien de la protection des animaux qui a aidé le comité à obtenir la participation des témoins de ce soir.

Dr Alexander Livingston, doyen, Département de médecine vétérinaire, Western College of Veterinary Medicine: Je vous remercie beaucoup, les membres du comité et vous, monsieur le président, de nous avoir invités. Nous sommes heureux de l'occasion qui nous est donnée de vous fournir des renseignements susceptibles de vous être utiles.

J'ai fait des études de vétérinaire. J'ai obtenu mon diplôme de médecine vétérinaire à Londres, où j'ai également obtenu un diplôme en physiologie. À Bristol, au Royaume-Uni, j'ai enfin obtenu un doctorat en pharmacologie. Pendant ce temps, je me suis intéressé à la pharmacologie du système nerveux central avant, quelque 25 années plus tard, de me passionner pour le domaine de la douleur. J'y consacre toute mon énergie depuis, si on excepte le temps que je consacre depuis dix ans aux négociations collectives et aux impératifs de l'équilibre budgétaire. Je puis vous assurer que les budgets et les unités de négociation collective me permettent de me concentrer sur la notion de douleur, même s'il ne s'agit pas nécessairement de douleur animale.

La question de la douleur chez les animaux est des plus intéressantes et des plus stimulantes. Le défi principal vient du fait que la plupart de nos informations proviennent d'études sur les humains. Ce n'est que par l'intermédiaire de l'expression et de la communication humaine concernant la douleur que nous pouvons commencer à évaluer la situation des animaux, mais, même là, des problèmes se posent.

Sans verser dans la philosophie trop poussée, comment savoir si je ressens la douleur de la même façon que vous? Je ne peux en être absolument certain. Puisque nous avons affaire à une perception, nous sommes confrontés à un grand nombre de défis absents de nombreux autres aspects des études physiologiques que nous pouvons effectuer sur les animaux. En revanche, nous pouvons examiner certains des effets que nous voyons associés à la douleur et tenter de déduire grâce à eux si l'animal éprouve les problèmes conceptuels que nous associons à l'expérience de la douleur.

Ce qui fait qu'il est difficile ne serait-ce que de commencer, c'est que le stress ou la détresse peut provoquer de nombreux changements hormonaux ou biochimiques dans le corps sans provoquer de douleur. À titre d'exemple, pour les animaux qui vivent en troupeau comme les moutons, l'isolement est un stress bien plus grand que la douleur. Pour un mouton, le fait de se trouver seul au milieu d'une grande pièce ne s'accompagne d'aucune douleur, mais l'animal éprouvera une détresse considérable du seul fait qu'il ne voit aucun autre mouton. S'il n'y a pas de mouton autour de lui, c'est qu'il se trouve en fâcheuse position.

Dissocier la douleur de la détresse et du stress représente un problème continuel. On peut réaliser quelque progrès en consultant des études sur le comportement. Les animaux adoptent des comportements que nous pouvons associer à des blessures. Le problème qui se pose — et qui saute aux yeux quand on y pense —, c'est que les comportements sont propres à des situations et à des espèces particulières. Je veux dire par là que votre réaction à une douleur donnée sera très différente de celle à une autre douleur — comparez une douleur au ventre à celle que vous éprouvez lorsque vous vous tapez sur le pouce avec un marteau. La réaction est très différente.

La douleur aiguë et chronique fait partie de l'équation, mais, en même temps, la douleur que vous ressentez lorsque vous vous frappez le tibia sur le côté de la table et votre réaction sont différentes de celles que provoque l'arthrose. Le fait que nous avons affaire à un large éventail de types de douleur différents constitue un défi majeur.

L'autre problème tient à ce que différentes espèces animales réagissent différemment aux mêmes stimuli. Je suis certain que les honorables sénateurs ont vu à la télévision des émissions comme celles qu'on présente au canal Découverte. On y voit des gnous ou des zèbres aux flancs lacérés par des lions et des guépards qui semblent brouter tout à fait normalement et ne trahissent aucun changement de comportement majeur.

Les animaux qui vivent en troupeau ont intérêt à ne pas afficher de comportement trop ouvert. Le cas échéant, ils peuvent avoir la certitude d'être les prochains à figurer au menu du prédateur. Les prédateurs errent à la lisière du troupeau en quête d'animaux dont le comportement est anormal. Ne pas afficher de réaction majeure à des stimuli qui provoquent de la douleur constitue une caractéristique inhérente à l'instinct de survie. Cela ne signifie pas que les animaux n'ont pas mal. Seulement, ils se disent: «J'ai mal, mais vaut mieux ne rien montrer, sinon je vais servir de petit déjeuner au lion.»

Tout aussi difficile, les prédateurs peuvent eux se permettre d'afficher des symptômes de douleur. C'est un luxe. Nombreux sont les propriétaires de chiens et de chats. Lorsqu'on marche sur la patte du chien, comme nous le savons tous, on pourrait croire qu'on lui a arraché la tête tant il hurle et gémit. C'est parce que les chiens, à cause de leur association avec l'homme, peuvent s'offrir le luxe d'afficher ouvertement des symptômes de douleur.

Puis nous en venons à l'homme. L'homme peut vraiment se permettre d'afficher les symptômes de la douleur. Nous sommes le prédateur ultime. Par-dessus tout, nous en tirons un avantage social dans la mesure où nos collègues se porteront à notre secours. L'homme n'est pas le meilleur exemple sur lequel fonder des conclusions au sujet de la douleur.

Comme je l'ai indiqué dès le départ, toutes nos évaluations de la situation observée chez les animaux doivent se fonder sur ce que nous savons de l'homme parce que seul ce dernier est en mesure de décrire la nature de la douleur.

Le facteur verbal joue un rôle très important dans la compréhension que nous avons de la douleur. Quand on y pense, on est en mesure de décrire la douleur au moyen de l'utilisation raffinée d'adjectifs absents de bon nombre d'autres domaines où nous exerçons notre activité: aiguë, chronique, déchirante, sourde, pulsatile, cuisante, voilà autant de mots que nous utilisons et qui aident les praticiens médicaux à évaluer le problème auquel nous sommes confrontés.

Comment faire cela dans le cas du règne animal? La réponse à la question, c'est qu'il faut faire de notre mieux. Autant que nous le sachions, il est probable que les animaux ressentent de la douleur. Pourquoi suis-je de cet avis? Si vous me permettez de faire une analogie un peu simple, disons qu'il y a ici, au milieu de la pièce, un groupe de mécaniciens et qu'il y a là un moteur, une transmission, quatre roues, un capot, un coffre et un volant, que le truc fait «vroum, vroum, vroum», ou que cela fait «bip, bip» quand on actionne le klaxon. Je pourrais dire avec une assez grande certitude qu'il s'agit d'un véhicule automobile, mais je ne saurais avoir une certitude absolue à moins de pouvoir monter à bord et conduire le véhicule. C'est de cette façon, en quelque sorte, que nous percevons la question de la douleur chez les animaux. Nous pouvons être assez certains qu'ils éprouvent de la douleur, mais, malheureusement, pour ce qui est des animaux, nous ne pouvons monter à bord et prendre le volant. Nous ne pouvons affirmer de façon absolument certaine, à 100 p. 100, que les animaux éprouvent de la douleur. Tout de même, je dirais simplement que cela fait «vroum, vroum» et «bip, bip»; je suis donc assez sûr de cela.

Mme Shelley Adamo, chercheure, Université Dalhousie, Département de psychologie: Honorables sénateurs, je suis une biologiste qui se spécialise dans les invertébrés et j'étudie les insectes aussi bien que les céphalopodes, plus particulièrement les seiches. Je m'intéresse à la physiologie comportementale chez eux. On m'a demandé de répondre à une question: les invertébrés éprouvent-ils de la douleur? Je vais faire de mon mieux pour répondre à cette question.

Par convention, les invertébrés sont définis comme étant des animaux n'ayant pas de colonne vertébrale. Cela englobe les insectes, les palourdes, les calmars, les étoiles de mer, les animaux de ce genre. Essentiellement, si ce n'est pas un oiseau, un reptile ou un mammifère, c'est probablement un invertébré.

Mon collègue a déjà parlé de la question de la douleur. Nous avons tous une idée de ce qu'est la douleur. Je veux en souligner un aspect. La douleur ne consiste pas seulement en la réaction qu'on peut avoir à un stimulus aversif; c'est la part affective de la réaction qui fait la douleur. C'est un élément important de la définition. Voilà pourquoi la question devient très difficile dans le cas des invertébrés. En fait, cela revient à dire: les invertébrés sont-ils capables d'une forme quelconque de réaction affective? C'est ce que l'on cherche vraiment à savoir.

Quelle sorte de signe chercherait-on alors à repérer? Comme notre collègue l'a dit, on pourrait essayer de voir si l'organisme se débat ou a des sortes de convulsions; à ce moment-là, nous pourrions croire qu'il y a de la douleur. La difficulté réside dans le fait que tous les organismes, y compris les bactéries et les protistes et autres trucs n'ayant aucun système nerveux central — dont on est assez sûr de pouvoir dire qu'ils n'éprouvent pas de douleur — ont de telles réactions. Ils se tordent et essaient d'échapper à la contrainte, de s'éloigner du stimulus aversif. Ce n'est pas parce qu'il y a une réaction à quelque chose de déplaisant qu'il y a forcément une douleur ressentie.

Chez les scientifiques, nous alignons notre travail essentiellement sur trois voies pour essayer de déterminer si les invertébrés éprouvent de la douleur.

Premièrement, nous nous interrogeons sur la raison d'être de la douleur elle-même, au départ. Pourquoi quelque organisme que ce soit, qu'il s'agisse d'un humain ou d'un animal, éprouve-t-il de la douleur? La meilleure réponse que l'on puisse donner à cette question, c'est que la douleur constitue une fonction importante — elle nous enseigne quelque chose, c'est un instrument — au sens où, dans le cas des vertébrés tout au moins, chez lesquels une bonne part du comportement est acquis et non pas préprogrammé sur le plan génétique, il faut tirer les leçons utiles de l'environnement. Or, la douleur est efficace pour transmettre ce genre de leçon.

Les invertébrés ont tendance à avoir une vie très courte, qui fait souvent quelques jours à peine. Dans la plupart des cas, les «parents» ne s'occupent nullement de la progéniture. C'est donc dire que si vous êtes une mouche, vous sortez de l'œuf, vous passez par les étapes du développement larvaire, vous devenez adulte. Tout votre comportement — et notamment votre façon de chasser, de vous reproduire et toutes les choses que vous voulez faire en tant que mouche — forcément, doit être plus ou moins préprogrammé génétiquement, car il n'y a personne là pour vous enseigner les choses de la vie. Votre mère est morte depuis longtemps. Il n'y a pas de société de mouches où vous pourriez apprendre à vivre. Il existe à cet égard certaines exceptions dans le règne animal, par exemple les abeilles, mais cela est très rare.

L'autre facteur qu'il nous faut étudier, c'est la capacité «neuronale» des invertébrés. Pour avoir une forme de réaction affective, à notre avis, il faut un système nerveux relativement complexe. C'est pourquoi, honorables sénateurs, vous avez devant les yeux ces images. J'aimerais simplement que l'on jette un coup d'œil au système nerveux de certains invertébrés.

Les invertébrés ont un cerveau de taille très réduite. C'est une chose que vous devriez savoir. Leur système nerveux est beaucoup plus petit que le nôtre. Ils ont des neurones moins nombreux qui sont organisés différemment.

Si on regarde la figure 3.5, on constate qu'il y a trois sortes d'insectes. Ce que je souhaite vous faire voir, c'est que même à l'intérieur du groupe des insectes lui-même, le cerveau présente un aspect différent. Ce qui est très foncé, c'est le cerveau. L'organisation est également différente. Ce que tous les cas ici ont en commun, c'est que le cerveau ne se trouve pas à un seul et unique endroit. Notre cerveau à nous fait partie intégrante d'un seul et unique système nerveux, mais l'insecte, lui, compte plusieurs mini cerveaux.

Selon les spécialistes de la «neuroinformatique», quand tous les éléments du cerveau ne se trouvent pas au même endroit, la puissance de traitement est moindre. Comme les éléments de notre cerveau sont rassemblés en une sorte de bloc, nous avons une puissance de traitement plus grande. Non seulement les vertébrés ont le cerveau à un seul et unique endroit, mais encore ils ont un nombre nettement plus grand de neurones. La capacité neuronale des invertébrés est nettement inférieure. Est-ce insuffisant pour qu'il y ait une réaction affective? Cela, nous ne le savons pas. Tout de même, tout compte fait, les gens sont nombreux à dire que c'est le cas.

Le dernier facteur que nous pouvons étudier, c'est le comportement des invertébrés. Comment se comportent-ils? Si nous étudions leurs réactions aux stimuli aversifs, nous constatons qu'elles sont très différentes des nôtres. Ce sont des animaux qui sont vraiment d'un autre ordre que le nôtre. Il nous est difficile d'imaginer ce que serait leur réaction affective, s'ils en avaient une. Par exemple, les sauterelles se tordent de convulsion si on vaporise sur elles du DDT.

Le DDT est une substance neurotoxique; elle détruit leurs neurones. Cela n'a rien d'étonnant, elles ont une sorte de réaction motrice. Par contre, brisez la patte d'une sauterelle, et vous verrez qu'elle continue de l'utiliser avec la même vigueur que les autres pattes. La sauterelle n'a pas besoin de cette patte-là, elle en a six. Vous pourriez lui enlever entièrement la patte en question, et elle s'en tirerait très bien avec les cinq qui restent. La sauterelle ne réagit pas à ce signal, pour des raisons que nous ne comprenons pas vraiment.

Autre chose: disons que la sauterelle est occupée à manger et qu'une mante religieuse arrive par derrière et commence à la manger, elle. La sauterelle continuera à manger de l'herbe jusqu'à ce que la mante l'ait entièrement consommée. La sauterelle réagit bel et bien au stimulus aversif et, on peut l'affirmer, elle est capable d'apprendre. Toutefois, sa réaction nous est très étrangère. Tout compte fait, la plupart des scientifiques estiment que les insectes, tout au moins, n'éprouvent pas de douleur de la façon dont nous entendons ce terme.

La seule exception qui est parfois faite, c'est celle des céphalopodes, les animaux comme les pieuvres, calmar et seiches. Leur cerveau est relativement plus grand et se trouve plus ou moins fusionné à un seul endroit. Leur cerveau a à peu près la taille de celui d'un poisson.

Nous ne savons pas grand-chose de ces animaux. Nous ne connaissons pas leur réaction hormonale au stress ni leur réaction comportementale au stimulus aversif, de sorte que nous ne pouvons en dire grand-chose. Étant donné la taille du cerveau de ces animaux, la plupart des scientifiques joueront de prudence et affirmeront qu'il est possible qu'ils éprouvent de la douleur, même si nous n'en avons aucune preuve. Quant au reste des invertébrés, selon le consensus, il est peu probable qu'ils puissent ressentir de la douleur. Par contre, comme mon collègue l'a fait remarquer, ce n'est pas une question à laquelle nous pouvons répondre avec certitude.

Le président: Merci beaucoup, madame Adamo.

Le sénateur Beaudoin: Je dois dire que ces études m'impressionnent. Il doit être difficile de savoir exactement ce que peut ressentir un animal.

Monsieur Livingston, je crois que vous l'avez dit clairement: on ne saurait être absolument certain qu'ils éprouvent de la douleur. Quel est à cet égard le degré de probabilité? Est-ce très élevé ou est-ce plutôt le doute qui est grand? Je comprends que cela ne soit pas absolu, puisqu'ils sont si différents de nous, mais il y a cette probabilité, n'est-ce pas?

M. Livingston: Oui. Je dirais, pour parler du cas des mammifères, que c'est de l'ordre de 99,99 p. 100.

Le sénateur Beaudoin: Ce n'est pas 100 p. 100?

M. Livingston: Je ne dis jamais jamais, mais je ne dis jamais toujours. Rien n'est sûr à 100 p. 100.

Le sénateur Morin: Voilà ce qui distingue le scientifique de l'avocat.

M. Livingston: Dans le cas des mammifères, c'est probable à 99,99 p. 100.

Le sénateur Beaudoin: Je comprends qu'il y a là une probabilité très forte. Les conclusions sont déterminantes.

M. Livingston: Pour être aussi absolu qu'un scientifique peut se permettre de l'être, je dirais que les mammifères ressentent de la douleur.

Le sénateur Beaudoin: Notre tâche est de légiférer, et les gens ici autour de la table sont nombreux à souhaiter que l'on puisse disposer d'une définition plus adéquate de l'animal. C'est une tâche vraiment difficile.

Le premier témoin, à mon avis, devrait certainement être un scientifique. Ce qu'il faut faire, c'est rédiger le projet de loi avec la plus grande précision possible. Nous ne pouvons en faire plus.

Mon impression, à première vue, c'est que la définition que renferme le projet de loi est trop ambiguë, mais j'aimerais savoir ce qu'un scientifique en pense.

M. Livingston: Comme vous le dites, ce sont les scientifiques contre les avocats.

Le sénateur Beaudoin: Je croyais que c'était seulement une blague.

Le sénateur Morin: Ce sont les scientifiques qui vont perdre.

M. Livingston: Nous serons l'objet de poursuites, à tout le moins. Un bon exemple me vient à l'esprit: le gouvernement britannique a demandé à son directeur de médecine vétérinaire s'il était possible que les humains puissent contracter l'EBS en présence du bétail. Il a dit que cela était très peu probable, mais les autorités voulaient une réponse absolue. À la fin, il a fini par dire «non», de manière réticente. Eh bien, il y a eu 150 cas au sein d'une population de 50 millions, ce qui représente un très faible nombre, mais je crois que le vétérinaire en est assez peiné. Ma réponse est la suivante: dans le cas des mammifères, nous disposons d'excellents éléments de preuve pour conclure qu'ils éprouvent de la douleur. Nos données sont beaucoup moins importantes dans le cas des oiseaux, mais les éléments de preuve demeurent assez solides. Il faut poursuivre notre travail auprès des perroquets, car, eux, ils vont pouvoir nous le dire.

Ensuite, par ordre de grandeur, il y a les reptiles, les amphibiens et les poissons, et la raison à cela, c'est que nous n'avons pas mis l'effort voulu pour répondre aux questions. Une des difficultés qui se présentent chez un grand nombre des vertébrés inférieurs, les poissons, les reptiles, les oiseaux et les amphibiens, c'est que nous ne savons pas très bien comment il faut poser la question. En sciences, on peut seulement obtenir la réponse à la question qu'on pose. Or, comment poser cette question, comment savoir si un animal ressent de la douleur? Il ne peut s'agir uniquement d'une réaction d'évitement, car cela tiendrait seulement compte des cas de douleur aiguë.

Chez les humains, les traitements dans le domaine portent dans la plupart des cas sur une douleur chronique. Les comportements associés à la douleur chronique sont très différents de ceux que l'on observe dans le cas d'une douleur aiguë.

Pilez sur la queue d'un chat et vous verrez qu'il va crier et grimper dans les rideaux. Si le chat a au contraire une tumeur dans son abdomen, il ira s'isoler discrètement dans un coin jusqu'à ce qu'il meure. Il faut se demander alors comment on pose la question dans le cas des espèces autres que les mammifères? Nous connaissons dans une certaine mesure le cas des chats, des chiens, des chevaux et des vaches, parce que nous les côtoyons quotidiennement et que nous les avons beaucoup observés. C'est une question familière qui entre en jeu, mais à mon avis, la preuve dont on dispose va pour ainsi dire de pair avec le temps que nous passons à étudier l'animal.

Le sénateur Cools: J'aimerais souhaiter la bienvenue aux témoins et dire que les écouter me rappelle l'époque, il y a longtemps, où j'étudiais la psychologie expérimentale et les activités des rats et d'autres animaux, particulièrement pour ce qui est de l'instinct. Comme le témoin le disait, les mouches sont essentiellement programmées pour savoir tout ce qu'elles doivent savoir immédiatement. Dommage que ce ne puisse être le cas des humains. Il fait toute une vie à apprendre et, encore là, nous ne sommes pas encore sûrs des choses.

Quiconque a déjà mis des homards sur le feu sait que ceux-ci essaient de se sortir de l'eau bouillante. Quand j'étais petite, ma mère se pressait de nous éloigner du poêle. La question que je veux vous poser est un peu plus scientifique et tient à la dimension neurologique. Du point de vue de la douleur, vous êtes certains de ce qui se passe chez les mammifères. Je me demande si l'un d'entre vous, sinon les deux, pourrait nous en dire un peu plus long sur la structure du système nerveux central et son développement dans le cas des organismes — je prends soin ici de dire «organismes» et non pas «animaux» — qui fait qu'ils éprouveraient de la douleur. La douleur, en fin de compte, est une sensation.

Mme Adamo: Je prendrai cette affirmation pour point de départ. Tout animal, depuis l'hydre, qui possède le système nerveux sous sa forme la plus simple, jusqu'aux trucs comme les céphalopodes, dont le système nerveux compliqué comporte des millions de neurones, a la capacité d'éprouver quelque chose. Tout de même, nous n'irions pas dire que l'hydre ressent de la douleur, parce qu'il est peu probable que la réaction aversive de l'hydre ait une composante affective. L'hydre possède des cellules sensorielles qui sont reliées à des neurones intercalaires, et les neurones intercalaires en question sont reliés aux neurones moteurs.

Quand la cellule sensorielle, le mécanorécepteur, est activée, particulièrement si elle est activée vivement, l'influx nerveux passera dans un circuit neuronal qui «dira» au neurone moteur de se contracter. Le circuit entier compte au total cinq à sept neurones. À notre avis — mais il faut dire que nous ne saurions l'établir —, les cinq à sept circuits de neurones de l'hydre ne lui donnent pas la capacité de ressentir de la douleur. Autrement dit, c'est un circuit moteur un peu comme les sonnettes des maisons. Si la sonnette se fait entendre, ce n'est pas parce qu'elle est contente de voir que quelqu'un arrive. C'est qu'un circuit électrique a été activé. La réaction de l'hydre est du même ordre.

La difficulté qui se présente à nous et au comité est la suivante: où se trouve la ligne de démarcation? Voilà le problème. Selon les meilleures preuves scientifiques dont nous disposons, si vous passez de l'hydre aux organismes ayant un système nerveux plus compliqué qui comporte un plus grand nombre de neurones, et où les éléments du système nerveux sont davantage «fusionnés», il semble que cela soit important du point de vue de la puissance de traitement.

C'est chez les vertébrés que cela atteint son comble. Les céphalopodes constituent la classe supérieure des invertébrés. Tous les autres ont un système nerveux en pièces détachées et un nombre de neurones qui se situe probablement à cinq ordres de grandeur. Ce n'est pas qu'il y ait ici quelques neurones en moins; il est question de millions de neurones en moins.

Je ne sais pas si cela vous est utile, mais je dirais que tout organisme qui a un système nerveux en pièces détachées et qui compte moins de 100 000 neurones n'a probablement pas la capacité de ressentir de la douleur. Je me fonde sur les formes indirectes d'éléments de preuve dont nous disposons pour tirer cette conclusion.

Tout de même, nous n'en sommes pas sûrs, et j'en suis moi-même beaucoup moins sûre que M. Livingstone, quand je dis que les mammifères peuvent éprouver de la douleur. D'une certaine façon, vous pourriez croire que nous sous- estimons ces organismes. Tout de même, étant donné leur histoire naturelle et leur comportement, cela me semble peu probable, et les éléments de preuve nous manquent, à regarder leur comportement.

Le sénateur Cools: Les deux, vous pouvez affirmer avec clarté et certitude que la classe des mammifères peut éprouver de la douleur, mais vous n'êtes pas trop sûrs dans le cas des ordres inférieurs.

Mme Adamo: Je m'en remets à l'avis de mon collègue pour ce qui est des oiseaux et des reptiles.

Le sénateur Cools: La question à laquelle il nous faut donc trouver une réponse, c'est de savoir que, dans le cas où quelqu'un s'en va dans la brousse et porte sciemment atteinte à l'environnement en tuant 100 crocodiles...

M. Livingston: C'est la question clé, oui.

Le sénateur Cools: C'est une question difficile. Est-ce là un mal en soi, même si l'animal ne ressent pas de douleur? Je parle de crocodiles parce que c'est un animal qui vit très loin de nous. Nous savons tous que la classe des mammifères peut ressentir de la douleur. Par exemple il y a quelques mois, j'ai observé le chien d'un voisin qui chassait des écureuils, et j'ai vu une petite bestiole qui se tordait de douleur et essayait de s'échapper. De fait, cela nous a bouleversés. Ce n'était pas beau à voir.

Néanmoins, il existe certainement des cas où je serais prête à criminaliser l'affaire, des cas que j'estime aussi répréhensibles, par exemple le comportement nuisible à l'environnement, qui ne correspond peut-être pas à votre classification du degré de certitude quant à la douleur comme c'est le cas pour la classe des mammifères. Est-ce que c'est bien une classe comme je l'ai dit?

Mme Adamo: Oui.

Le sénateur Cools: J'ai quand même pris des cours de biologie. Je me souviens un peu.

M. Livingston: Cela nous ramène à la tendance que nous avons à tout juger selon des critères humains. Une des difficultés que posent les jugements ainsi portés sur des vertébrés autres que des mammifères, comme les oiseaux, les crocodiles et les poissons, c'est qu'en tant qu'êtres humains, nous accordons une importance énorme à notre réaction à la réaction de l'animal pour certaines choses comme l'expression faciale. Je crains que les poules, les crocodiles et les poissons n'aient pas un faciès très expressif. Par exemple, si vous observez un poisson dans un bocal, vous pouvez vous demander «Est-il en colère?» Il est difficile de le déterminer parce que le seul repère absolu dont nous disposons, c'est nous-mêmes.

Par conséquent, comme les humains se fondent tant sur des choses comme l'expression faciale, les animaux qui n'ont pas la capacité de modifier l'expression de leur faciès pourraient en souffrir. Si nous souhaitons pécher par excès de prudence, j'inclurais les autres vertébrés. Par contre, je ne sais pas si Mme Adamo serait d'accord.

Mme Adamo: Je le serais, mais je ne sais si vous voulez criminaliser — vous pourriez le faire — le cas où quelqu'un fait bouillir des homards ou décide sciemment d'écraser des escargots. Je ne suis pas sûre que ce soit là l'intention du projet de loi.

Le sénateur Cools: Pouvez-vous revenir à ma question initiale à propos du développement neurologique des espèces qui fait qu'elles peuvent éprouver de la douleur? Pourrez-vous donner au comité une courte description des parties du cerveau qui ressentent la douleur?

M. Livingston: Nous disons qu'il n'y a «aucune susception», ce qui veut dire réaction à un stimulus nuisible. Quand vous mettez le doigt sur une plaque chaude, le récepteur qu'il y a au bout perçoit un stimulus. Ce n'est pas de la douleur. C'est simplement la stimulation d'un récepteur. Puis, la sensation chemine le long du nerf cubital, jusqu'au plexus brachial, dans l'épine dorsale. Ce n'est pas encore de la douleur. C'est un message. Il investit la corne postérieure de la moelle épinière et se divise. Il y en a une partie qui monte, une partie qui traverse et une partie encore qui fait le tour, cela donne un arc réflexe; vous n'avez pas à penser de déplacer votre main. C'est votre main qui pense de le faire avant vous. Il n'est pas question de douleur ici. Ce sont des événements neuronaux semblables à la description qu'en a faite Mme Adamo dans le cas des invertébrés. L'influx nerveux monte le long de la moelle épinière, il gagne les zones intégrées dans la medulla, puis monte jusque dans l'hypothalamus. Dans l'hypothalamus, on constate nombre des autres réactions qui accompagnent le phénomène de la douleur, par exemple l'aspiration subite d'air. Il y a libération d'hormones ou modification de la pression sanguine. Ce sont des phénomènes qui touchent l'hypothalamus. Il n'y a pas encore de douleur; c'est un réflexe. Ensuite, l'influx finit par atteindre le cortex, et nous croyons qu'il y a une perception au niveau du cortex. La réponse est la suivante: si vous parlez de douleur, il faut qu'il y a un cortex cérébral, à notre avis, chez les mammifères et autres vertébrés. C'est pourquoi dans certaines conditions créées en laboratoire, les gens ont le droit de pratiquer des expériences sur des animaux décortiqués, c'est-à-dire des animaux dont on a fait l'ablation du cortex. À ce moment-là, l'animal n'est pas censé éprouver de douleur.

Le sénateur Cools: Je sais ce qu'est le cortex, mais je ne suis pas sûre que tous les membres du comité le savent. Pourriez-vous donner au comité la définition la plus courte que vous puissiez trouver du cortex.

M. Livingston: Sur le diagramme qui se trouve au verso de la dernière page du mémoire de mon collègue, le cortex est la partie ovale qui se trouve à l'avant. Chez les humains, bien entendu, cela représente une partie importante du cerveau. Il compte pour une part nettement moins importante du total de la masse cérébrale chez certaines espèces, comme le rat et la souris. C'est encore moins dans le cas des grenouilles et des oiseaux. Les oiseaux ont un très gros cervelet, zone associée à la coordination motrice, ce qui fait qu'ils peuvent voler. Le degré de coordination motrice nécessaire au vol est nettement plus grand que ce qu'il faut à un rongeur pour marcher. Chez les poissons et les amphibiens, le lobe olfactif est très gros parce que ce sont des animaux qui comptent énormément sur l'odorat. Ils ont quand même un cortex cérébral, c'est juste qu'il n'est pas si gros.

Le sénateur Jaffer: Je souhaite vous remercier tous les deux d'avoir présenté un exposé très intéressant. Je ne m'y connais pas aussi bien que les autres en matière scientifique; je vous prierai donc de faire preuve d'un peu plus de patience à mon égard.

Pour qu'il y ait condamnation, il faut prouver devant un tribunal, hors de tout doute raisonnable, que l'animal a ressenti de la douleur. Ai-je raison d'affirmer que tous les vertébrés ont un cortex cérébral?

M. Livingston: Oui.

Le sénateur Jaffer: Par conséquent, ils ont la capacité d'éprouver de la douleur.

M. Livingston: Vraisemblablement.

Le sénateur Jaffer: Devant un tribunal, «vraisemblablement» peut vouloir dire oui ou non. Tout de même, je crois que le projet de loi dit clairement que par «animal» il faut entendre vertébrés; donc, le cas de tout animal qui est un vertébré est couvert.

Je me soucie de la deuxième partie, là où il est question de «tout autre animal pouvant ressentir la douleur». C'est à ce sujet que, à mon avis, nous avons besoin de votre aide. Est-ce qu'il y a d'autres animaux dont on pourrait dire avec certitude qu'ils ressentent de la douleur?

Mme Adamo: Je présume que c'est la raison pour laquelle on m'a invitée. En tant que scientifique, je crois que vous devriez être précis, plutôt que de laisser la question ouverte. S'il existe des animaux particuliers que vous souhaitez protéger, vous devriez les nommer.

Parmi tous les invertébrés, le seul groupe que vous souhaiteriez peut-être inclure est celui des céphalopodes, c'est-à- dire les calmars, pieuvres et seiches, parce qu'elles ont un gros cerveau, de la même taille que celui des poissons. Ils n'ont pas de cortex cérébral, mais ils ont des structures apparentées à un cortex. Encore là, nous disposons de très peu d'éléments qui nous permettraient de croire qu'ils ressentent de la douleur. Si vous voulez être très prudent, ce serait là le seul groupe d'invertébrés qu'il faudrait inclure selon moi.

Le sénateur Joyal: Le sénateur Jaffer a mis le doigt sur le problème en parlant de la définition proposée du terme «animal». On nous demande à nous, qui sommes profanes plutôt que scientifiques comme vous, de définir le terme «animal» comme étant tout être vivant ayant la capacité de ressentir de la douleur. Notre perception, à la lecture de cette définition, c'est que cela nous engageait dans un champ inconnu. Nous légiférons en vue de modifier le Code criminel, non pas en vue d'accorder des bourses de recherche. Nous créons des infractions qui seraient assujetties à des sanctions graves, afin de nous assurer d'être au diapason de la société contemporaine.

Je vous ai écoutée très attentivement, madame Adamo. Vous avez mentionné que les organismes ayant moins de 100 000 neurones n'ont pas la capacité de ressentir la douleur.

Mme Adamo: C'est très peu probable.

Le sénateur Joyal: J'essayais de déterminer quels seraient les niveaux d'êtres vivants qui seraient inclus dans cette définition. J'ai demandé à mon collègue, le sénateur Sparrow, qui habite les Prairies, si les sauterelles figuraient à son avis dans ce groupe. Quand j'étais petit, mon frère et moi, on attrapait des sauterelles, on les saisissait par les ailes et on les comprimait un peu, et un peu de liquide sortait de leurs narines. On disait: «Donne-moi du miel ou je te tue.» Le pauvre insecte rendait son liquide, puis on le libérait. Bien entendu, si l'insecte ne donnait pas de liquide, on lui arrachait une patte. C'était de la cruauté; c'était de le blesser. On lui arrachait une patte. C'est de la douleur en un certain sens, parce qu'au moment où nous comprimions les ailes, il y avait une réaction. Comme l'a dit M. Livingston, c'était probablement une réaction d'autodéfense.

Tout de même, j'essaie de déterminer quelles catégories d'êtres vivants nous inclurons dans cette partie de la définition qui dit «pouvant ressentir la douleur». Vous nous dites qu'il est nécessaire d'avoir un cortex cérébral pour éprouver de la douleur. Peut-être que nous devrions dire que la définition dépend de la présence d'un cortex cérébral, car la science en est venue à une conclusion qui est fondée là-dessus.

Nous débattons encore l'idée d'inclure ici les insectes.

Mme Adamo: Je n'inclurais pas les insectes dans cette liste. Ce serait le consensus scientifique. Je peux vous laisser des documents, si vous le voulez, des lectures complémentaires. Les documents expliquent plus à fond les raisons pour lesquelles nous croyons qu'il est peu probable que les insectes, en tant que groupe, ressentent de la douleur. Il vaut mieux être précis, si vous savez quels animaux vous souhaitez inclure et lesquels vous souhaitez exclure.

Une sauterelle compte entre 100 000 et 800 000 neurones. Le développement est un peu plus poussé. De ces neurones, 80 p. 100 interviennent dans le traitement de l'information sensorielle de première ou de seconde source.

Dans le cas de notre cerveau à nous, la proportion serait nettement moins grande. La plupart des neurones de notre cerveau interviennent dans le traitement de l'information. Seule une petite part des neurones des sauterelles participent au traitement de l'information parce que la sauterelle ne traite pas autant d'information que nous. Elle a un système nerveux qui est plus petit et plus réparti. C'est une des raisons pour lesquelles, à notre avis, les sauterelles ne ressentent pas de douleur.

Si vous laissiez la formulation telle quelle, je présume que quelqu'un viendrait contester cela en cour.

Le sénateur Joyal: Proposez-vous que nous ajoutions une définition plus précise, si nous souhaitons couvrir le cas d'animaux qui ne sont pas des vertébrés?

Mme Adamo: Si les honorables sénateurs ne souhaitent pas inclure les invertébrés, par exemple les insectes, homards, palourdes et huîtres, le texte de loi proposé est formulé de façon si vague que, du moins pour le scientifique qui l'étudie, il est possible que quelqu'un en arrive à penser, par exemple, que le fait de faire bouillir des homards pourrait donner lieu à des poursuites. Certes, le groupe People for the Ethical Treatment of Animals s'oppose à ce que l'on fasse bouillir des homards. Suivant la formulation du projet de loi, il n'est pas évident de savoir que certains animaux sont exclus.

Le sénateur Joyal: Vous avez parlé de quelque chose de très important aux yeux de la communauté scientifique. Vous dites que, dans les cas où on retire le cortex cérébral, l'animal ne ressent plus de douleur.

Dans le code canadien qui régit la recherche sur les animaux — le témoin précédent était censé nous le fournir, mais nous ne l'avons pas encore reçu — est-ce qu'il y a une disposition qui dit que lorsqu'un laboratoire d'université fait des recherches scientifiques ou qu'une société pharmaceutique fait des recherches à des fins industrielles, il ou elle doit retirer le cortex cérébral de l'animal, pour que celui-ci ne ressente plus de douleur ou de souffrance?

M. Livingston: Je crois que c'est le cas de certains animaux.

Le sénateur Morin: Monsieur le président, ma prochaine question a trait au conseil de protection des animaux; M. Gauthier pourrait peut-être se joindre au groupe. Voilà un point important. J'ai l'impression qu'on noie le poisson. M. Gauthier pourrait peut-être préciser la position du Conseil canadien de protection des animaux.

Le président: Monsieur Gauthier, je vous invite à vous joindre au panel.

Le sénateur Joyal: Monsieur Gauthier, j'aimerais savoir si, dans le code auquel les témoins précédents ont fait allusion, les divers animaux sont classés aux fins de la recherche et si des consignes sont données quant au traitement des animaux en question. Ma question est la suivante: ce code comporte-t-il une disposition portant que, dans les cas où les animaux servent à des expériences au sein d'établissements de recherche, les chercheurs sont invités à leur enlever le cortex cérébral pour que l'animal ne ressente pas de douleur?

M. Clément Gauthier, directeur général, Conseil canadien de protection des animaux: Honorables sénateurs, nous avons fait parvenir 30 copies du code au comité trois jours après ma comparution; vous devriez les avoir quelque part.

Le sénateur Morin: Je l'ai eue.

Le sénateur Joyal: Signalons que le sénateur Morin n'est pas membre du comité.

Le président: Nous allons vous transmettre une autre copie, sénateur Joyal.

M. Gauthier: Les comités de protection des animaux des établissements décident localement de ces affaires à partir de lignes directrices et de politiques. Nous classons les procédés selon cinq niveaux d'intrusion: nous demandons aux chercheurs de décrire les procédés à appliquer au moment de soumettre un protocole, pour l'examen d'ordre éthique, au comité local de protection des animaux de l'établissement.

Le genre d'expérience que vous mentionnez serait vraisemblablement classé «D». Le conseil supervise et évalue l'usage qui est fait de 30 espèces. La plupart sont des vertébrés. Chez les invertébrés, nous nous occupons seulement du cas des céphalopodes. Le conseil ne traite pas des expériences faisant intervenir d'autres types d'invertébrés, pour les raisons que vous venez d'entendre. C'est-à-dire qu'il n'y a pas de consensus scientifique à savoir qu'il faudrait s'occuper du cas d'autres espèces d'invertébrés parce qu'elles ressentiraient de la douleur.

Nous couvrons tout de même le cas de tous les vertébrés et céphalopodes. L'utilisation des animaux en question doit être signalée au conseil tous les ans. Cela dépend du degré d'intrusion. Par exemple, s'il ne s'agit que d'observer le comportement des animaux, l'expérience serait classée «A» ou «B»; normalement, c'est le niveau inférieur de l'échelle.

Par contre, si on procède à des essais de toxicité, l'expérience est nécessairement classée «D». Si le degré de toxicité qui intervient est élevé. C'est classé «E», degré d'intrusion le plus élevé que nous nous permettons, puisque nous entrevoyons là la possibilité que l'animal éprouve de la douleur. Cela doit être l'équivalent de la douleur que ne viendrait pas soulager chez les humains un analgésique ou une anesthésie. Nous demandons aux chercheurs de classifier l'expérience avant de soumettre leur protocole. Le comité évalue la chose. Le comité détermine également ce que le chercheur entend faire pour atténuer la douleur de chaque animal, selon le degré d'intrusion du procédé envisagé. Est-ce qu'il entend utiliser des analgésiques ou l'anesthésie? Si c'est le cas, de quel type? Il existe d'autres façons de procéder, outre l'ablation du cortex cérébral, pour faire diminuer la douleur, notamment l'utilisation de drogues de divers genres.

Le sénateur Joyal: Est-ce que le Valium serait un exemple?

M. Gauthier: Diverses substances sont employées. Le comité se compose de vétérinaires, de scientifiques, d'usagers et de non-usagers ainsi que de représentants du public. Il est question ici de 224 comités. Ils évaluent cela.

La réponse à votre question, c'est que si le protocole préconise l'ablation du cortex cérébral, il faut le faire en respectant des pratiques chirurgicales rigoureuses, sous la supervision de vétérinaires, avant que la permission d'utiliser les animaux en question ne puisse être accordée. Ce n'est pas un droit. C'est un privilège que les gens reçoivent. La formule est fondée entièrement là-dessus. Nous appliquons des exigences strictes, qui dépendent, encore une fois, du degré d'intrusion du procédé.

Ai-je répondu à votre question?

Le sénateur Joyal: Oui, merci.

Le sénateur Morin: J'aimerais simplifier les choses.

Monsieur Gauthier, n'entrez pas dans les détails. Il est très important pour les gens de savoir clairement ce à quoi nous avons affaire. Vous êtes directeur général du Conseil canadien de protection des animaux. Vous exercez un droit de regard sur l'utilisation des animaux comme sujets de recherche scientifique au Canada. Il existe quelques aspects de la recherche scientifique sur lesquels vous n'exercez pas ce droit de regard; c'est bien cela?

M. Gauthier: Nous nous occupons de la protection et de l'utilisation des animaux à des fins scientifiques, pour les essais réglementaires et l'enseignement.

Le sénateur Morin: Vos lignes directrices interdisent de causer sans nécessité toute douleur aux sujets animaux d'expériences scientifiques?

M. Gauthier: Oui, c'est cela, à moins que les études en question ne portent sur la douleur elle-même.

Le sénateur Morin: Cela serait nécessaire. J'ai utilisé le terme «sans nécessité». J'essaie d'être le plus clair possible. À l'exemple du projet de loi, est-ce que le code interdit de causer sans nécessité de la douleur aux animaux dans le cadre d'expérience scientifiques?

M. Gauthier: Oui

Le sénateur Morin: À quels animaux ces lignes directrices s'appliquent-elles?

M. Gauthier: Les lignes directrices s'appliquent à 30 espèces animales, et tous les animaux classés sous le phylum des vertébrés, y compris les mammifères. Les oiseaux sont également compris. Dans le cas des invertébrés, l'espèce mentionnée est le céphalopode.

Le sénateur Morin: Exception faite des céphalopodes, essentiellement, elles s'appliquent à tous les vertébrés. Est-ce que le homard est un vertébré?

M. Livingston: Non, c'est un crustacé.

Le sénateur Morin: La sauterelle du sénateur Joyal est-elle un vertébré?

M. Livingston: Non, elle ne l'est pas.

Le sénateur Morin: Voilà qui est clair, sauf pour une exception: les poissons sont des vertébrés. Les reptiles et les crocodiles sont des vertébrés, si on se fie à la définition du conseil.

Nous avons donc affaire ici à une réglementation stricte. Sur quoi le conseil s'est-il fondé pour décider d'inclure les vertébrés et d'exclure d'autres animaux?

M. Gauthier: La décision a été fondée sur la connaissance scientifique, le consensus scientifique établi au fil des ans, selon lequel les animaux en question peuvent ressentir de la douleur.

Le sénateur Morin: Est-ce le genre de connaissances dont nous avons entendu parler ce soir?

M. Gauthier: Tout à fait.

Le sénateur Morin: Sauf pour une exception, les seuls animaux visés par le projet de loi sont les vertébrés. Cela concorderait assez bien avec ce qui se fait dans les milieux scientifiques et ailleurs dans le monde.

Si cette définition était appliquée dans le cas qui nous occupe, cela cadrerait avec ce qui se fait partout dans le monde en ce qui concerne la réglementation du genre, n'est-ce pas?

M. Livingston: Ce serait à l'avant-garde. La protection des animaux aux États-Unis n'est pas une affaire très avancée. Les États-Unis excluent toujours les souris, les rats et les céphalopodes.

L'autre chose que je souhaite ajouter à ce que M. Gauthier a mentionné, c'est qu'il importe de se rappeler que les lignes directrices du conseil de protection des animaux sont des documents évolutifs. Ils sont constamment mis à jour au fur et à mesure que se présentent de nouveaux renseignements scientifiques. De même, certaines espèces sont visées par des recommandations particulières. Un bon exemple: le conseil vient de publier ses plus récentes lignes directrices concernant la faune.

C'est un travail permanent.

Le sénateur Morin: Voici ma dernière question: est-ce que les céphalopodes n'auraient pas figuré sur la liste il y a dix ans? À quel moment y a-t-il eu l'ajout?

M. Gauthier: Cela fait un bout de temps; c'était au début des années 80.

Le sénateur Morin: Comme il s'agit d'une chose évolutive qui peut changer au fil du temps, est-ce que vous nous donneriez pour consigne d'être très précis et d'inclure les vertébrés et les céphalopodes, ou encore simplement de dire qu'il s'agit d'animaux qui peuvent ressentir de la douleur?

Le sénateur Joyal: On peut lire ici qu'un animal «s'entend de tout vertébré — à l'exception de l'être humain — et de tout autre animal pouvant ressentir la douleur».

Le sénateur Morin: Que pensez-vous de cette définition?

M. Livingston: Le «tout autre animal» m'inquiète un peu.

Mme Adamo: Je suis du même avis. Cela fait 400 ans que nous savons que les céphalopodes ont un gros cerveau; depuis 100 ans, ils sont considérés comme des sortes de vertébrés honoraires, et cela repose sur très peu de choses, sinon qu'ils ont un gros cerveau. De même, cela fait longtemps que nous croyons que les insectes ne ressentent pas de douleur ni ne méritent de protection spéciale. Je ne vois pas en quoi cela pourrait changer dans un proche avenir. Plus nous en apprenons sur eux, plus nous constatons que ce sont des êtres merveilleux qui possèdent des capacités extraordinaires, mais après les avoir étudiés depuis très longtemps, il demeure qu'ils nous sont très étrangers. Je crois qu'il est vrai de dire que nous aurions de la difficulté à reconnaître la douleur, comme l'a dit M. Livingston. Même en essayant de garder l'esprit ouvert, le système nerveux qu'il possède et les mécanismes qui entrent en jeu chez eux ne nous portent pas à penser qu'ils éprouvent de la douleur.

Si vous laissez la question ouverte, ce que je crains, c'est que cela puisse donner lieu à des poursuites frivoles intentées contre des gens qui font bouillir des mollusques. Je suis originaire des Maritimes. Nous mangeons beaucoup de homards, de palourdes et d'huîtres.

Si j'ai bien compris, ce projet de loi vise légitimement à protéger des animaux contre la souffrance. Je ne crois pas que vous souhaitiez étendre la protection aux animaux qui sont probablement incapables de souffrir. Si ce n'est pas là votre intention, vous allez peut-être souhaiter le préciser.

Le sénateur Morin: La définition proposée dit qu'il s'agit des vertébrés et de tout autre animal qui est capable de ressentir de la douleur. Croyez-vous que cette définition est trop large?

Mme Adamo: Étant donné la définition de la «douleur», même si nous avons fait en sorte que cela paraisse clair, il y aurait certainement contestation. Encore une fois, je ne suis pas avocate, je ne saurais dire à quoi mènerait la prépondérance de la preuve. Je ne crois pas que je serais en mesure de prouver à quelqu'un qu'un homard ne ressent pas de douleur. Selon la prépondérance de la preuve, ce serait peu probable, mais un autre pourrait interpréter l'information différemment.

Le sénateur Joyal: Voilà le problème. Il y a un doute.

Mme Adamo: Cela dépend de votre intention.

Le sénateur Joyal: Je crois que cela nous est très utile: on sait à quoi on a affaire à ce moment-là. Je souhaite formuler une distinction sans équivoque, pour M. Gauthier. Vous avez la responsabilité d'appliquer un code. Je présume qu'il y a des sanctions, mais la sanction qui est prévue dans le projet de loi, c'est une peine d'emprisonnement de cinq ans et une amende de 10 000 $. C'est de ça qu'il s'agit ici. Voilà pourquoi il s'agit d'une question très grave. Les milieux scientifiques appliquent une démarche où, en cas de transgression de vos lignes directrices, je dirais, humblement, qu'il n'y a aucun équivalent, pour ce qui est des conséquences — pour une transgression des lignes directrices — par opposition à une transgression du Code criminel. Voilà pourquoi nous nous débattons avec cette question.

Monsieur Gauthier, est-ce qu'il existe un groupe de pression qui fait campagne pour empêcher que les animaux soient utilisés dans le cadre d'études?

M. Gauthier: Oui, il est bien connu. Je crois qu'au moment de notre comparution, le 11 décembre, Mme Borwein a fait valoir qu'il existe bel et bien. Il y a des avantages et des inconvénients à cela, mais le rôle du conseil est quasi réglementaire. Nous tenons pour acquis que la société accepte que l'on utilise des animaux, suivant certaines conditions. Nous devons nous assurer que ces conditions-là existent, et qu'il y a une volonté commune et de la collaboration. Nous établissons bel et bien des normes à cet égard, et nous le faisons depuis 34 ans. Par contre, il existe des groupes qui souhaiteraient que les humains n'utilisent pas du tout d'animaux, que ce soit pour produire des aliments ou faire des recherches. Ces groupes existent, et ils sont très actifs.

Il ne me revient pas à moi de les décrire. Notre rôle à nous consiste à nous assurer que l'usage fait des animaux est optimal, que ce ne soit pas un gaspillage. L'usage en question doit se faire dans des conditions adéquates, pour réduire la douleur et la détresse autant que possible. Voilà ce que nous faisons.

Le sénateur Joyal: C'est ce qui nous préoccupe aussi. Quand vous avez témoigné aux côtés de vos autres collègues, je crois que vous avez eu l'impression que notre souci, autour de la table, serait d'agir comme il se doit dans cette affaire, pour ce qui est des objectifs que vous souhaitez atteindre dans les milieux scientifiques.

Quand un être humain éprouve une sorte de douleur psychosomatique, le médecin lui prescrit un placebo. On croirait que la personne souffre atrocement, mais c'est psychologique. Le médecin prescrit un petit quelque chose contre la douleur, comme on pouvait le dire anciennement. Aujourd'hui, la pilule ainsi prescrite n'est peut-être pas la même qu'elle était à l'époque, mais dans ce temps-là, c'était un placebo. C'était une pilule de sucre.

À regarder la personne, on serait convaincu qu'elle ressent une douleur réelle. Un vertébré peut-il avoir le même genre de réaction?

M. Livingston: C'est une bonne question. La majeure partie de la recherche sur la douleur chez les humains est maintenant associée à ce que nous qualifions de douleur «neuropathique». Autrement dit une douleur où il n'y a ni lésion ni pathologie. C'est une douleur associée à des maladies particulières, dont le diabète, est un bon exemple. Les diabétiques peuvent être relativement plus sensibles que les autres à toute forme de douleur. Les chercheurs étudient une panoplie de traitements. Les diabétiques ne réagissent pas bien à la morphine et aux médicaments de ce genre, mais certains des nouveaux anticonvulsivants fonctionnent assez bien, par exemple. Est-ce que cela arrive chez les animaux? Oui, je le crois. Nous avons vu des exemples de chiens dont on a amputé une patte. Ils semblent ressentir la douleur dite du membre fantôme. La question de la douleur du membre fantôme chez les êtres humains suscite maintenant un intérêt nettement plus marqué, du fait des mines terrestres et du cas de l'Afrique, où les gens se sont fait couper le bras.

Pour conséquent, il y a beaucoup plus de travail qui se fait du côté de cette douleur. C'est une douleur neuropathique: le membre n'est plus là. Je me rappelle un cas particulier auquel j'ai eu affaire; c'était une jeune femme qui avait perdu le bras. Elle avait cette vision: son bras était toujours là, et elle ressentait une crampe terrible dans la paume de la main, et ses doigts se recourbaient. Elle savait que si elle arrivait seulement à redresser les doigts, la crampe disparaîtrait, mais elle ne pouvait le faire, parce que ses doigts n'existaient pas.

C'est le genre de douleur qui agit sans relâche, qui est très déprimante et très difficile à traiter. Est-ce que cela arrive chez les animaux? Probablement que oui, à mon avis. Certes, cela arrive chez certains animaux que nous avons pu voir, comme les chiens, cas où nous avons des preuves qu'ils souffrent d'une telle douleur.

Vous avez posé une question sur l'inclusion des invertébrés dans le projet de loi. Je crois que c'est un excellent projet de loi, et je l'appuie depuis toujours. Une des questions dont je me préoccupe, c'est que l'impact sur les vertébrés pourrait être dilué si toute une attention est accordée aux invertébrés. Mon souci, c'est que la protection des animaux qu'il faut vraiment serait diluée.

Le sénateur Joyal: Vous parlez de la deuxième partie de la définition.

Le sénateur Morin: C'est un très bon point que vous faites valoir.

M. Livingston: C'est ce qui me préoccuperait. Ce que vous prévoyez pour les vertébrés et les mammifères est excellent, et c'est la chose à faire. Par contre, si une chose dont on n'est pas sûr venait gâcher l'affaire, c'est ce qui m'inquiète.

Le sénateur Nolin: J'essaie de contribuer autant que mon collègue, M. Morin. Même si la question de la douleur et de la définition n'est pas importante dans le cas des vertébrés, car le projet de loi les inclut, douleur ou pas, le problème que pose la question de la douleur a trait aux infractions. Si quelqu'un est accusé, il faut avoir la preuve qu'il a causé une douleur sans nécessité. Cela nous amène à nous demander s'il y a eu douleur ou non. Vous dites, monsieur Livingston, que les animaux ressentent bel et bien la douleur; entendons-nous là-dessus.

Voici le problème. Nous n'avons pas grand-chose en fait de jurisprudence sur la question, mais nous avons un cas particulier qui a été soumis à la cour d'appel au Québec. Le juge Lamer, qui était alors juge à la Cour d'appel, a déterminé que le niveau de douleur est l'élément important pour établir si la douleur était nécessaire ou non, dans les cas où un être humain emploie une certaine méthode pour tuer ou infliger de la douleur. Ma question est la suivante: maintenant que nous nous entendons pour dire que les animaux ressentent bel et bien de la douleur, quels que soient la classe ou le groupe dont ils font partie, comment faire pour jauger le niveau de douleur en question?

M. Livingston: C'est une question intéressante pour ce qui est des vertébrés autres que les mammifères. Nous pouvons jauger les niveaux de douleur de la même façon que nous le faisons pour les êtres humains. Dans le cas des êtres humains, l'Organisation mondiale de la santé a conçu une sorte d'échelle de la douleur qui va de la douleur légère à la douleur extrême en passant par les douleurs moyenne et grave. On y recourt souvent pour déterminer la dose appropriée d'un médicament. Cela concerne particulièrement le traitement du cancer. Il y a aussi des lignes directrices sur les médicaments qu'il faut employer en rapport avec tel ou tel niveau de douleur.

Le conseil demande à l'auteur de l'expérience de dire de quel niveau de douleur il peut s'agir, puis il demande au comité local si cela est exact et approprié. Certains niveaux de douleur sont bel et bien associés aux mammifères.

Fait assez intéressant, c'est un des problèmes auxquels nous avons fait face en étudiant les réactions comportementales d'animaux autres que les mammifères. Ce que je veux dire, c'est que si on augmente lentement le niveau de douleur chez les êtres humains, leur niveau d'activité d'évitement augmente. Plus cela fait mal, plus ils se débattent.

Si nous renforçons par contre le stimulus chez les vertébrés autres que mammifères, il n'y a pas cette réaction progressive. Il semble que ce soit tout ou rien. Il semble y avoir un seuil où un crocodile ou un oiseau se dit subitement: cela fait mal, puis il y a une réaction très violente. Il semble aussi que la réaction se fasse au niveau maximal. Pensez à la réaction d'un oiseau: subitement, il se met à battre des ailes et à crier.

C'est une question très intéressante. De fait, c'est une question avec laquelle nous nous débattons, pour essayer d'évaluer l'utilisation possible des analgésiques chez les vertébrés autres que mammifères. Les modèles dont nous disposons dans le cas des mammifères ne fonctionnent pas pour les autres classes. On peut se renseigner sur les diverses évaluations des niveaux de douleur pour la majorité des espèces répertoriées par le conseil.

Le sénateur Nolin: J'ai une dernière question à propos du fameux homard dont on a parlé. Mes collègues ne vous l'ont pas dit, mais j'ai soulevé en chambre la question du homard. Est-ce que le homard ressent de la douleur?

Mme Adamo: Je ne crois pas, mais je ne saurais vous le dire avec certitude. Je dirais que non.

Le sénateur Morin: Ce ne sont pas des vertébrés.

Le sénateur Nolin: Est-ce de l'ignorance que d'affirmer que les homards ressentent de la douleur?

Mme Adamo: Ils ont de bons réflexes. Ils ont des réflexes d'évitement parmi les plus rapides qui se trouvent dans le règne animal, parce qu'ils ont des synapses électriques, contrairement à vous, qui avez des synapses chimiques. Par conséquent, ils réagissent vigoureusement et rapidement, et ce n'est pas leur cerveau principal qui entre en jeu à ce moment-là.

Le sénateur Nolin: Pouvez-vous traduire cela pour que je comprenne?

Mme Adamo: Si un homard est capable de penser, le seul organe qui lui permettrait de le faire serait son cerveau principal, qui se trouve dans sa tête. Vous pouvez le lui enlever, sceller le trou fait avec de la cire, et le homard a la même réaction tout à fait. Son réflexe d'évitement est indépendant de son cerveau. C'est à cela que ça se résume quand vous voyez le homard qui essaie de sortir du chaudron.

Le sénateur Nolin: Il n'essaie pas de se tirer de là parce qu'il ressent de la douleur?

Mme Adamo: Non, il essaie de se sauver parce qu'il a un réflexe moteur qui lui dit de réagir de cette façon au stimulus sensoriel.

Le sénateur Nolin: Vous défendez votre paroisse.

Le sénateur Joyal: Pour parler de cette même question de la douleur, l'article 182.3 parle d'une personne qui, «par négligence, cause à un animal de la douleur, des souffrances ou des blessures, sans nécessité». Je comprends le terme «blessure». On arrache une patte, par exemple. Notre collègue, le sénateur Nolin, a soulevé la question de la douleur. Que veut dire le terme «souffrance» dans votre vocabulaire à vous? Avons-nous besoin de ce terme?

M. Livingston: On peut souffrir sans qu'il y ait de douleur — par exemple, l'isolement fait souffrir.

Le sénateur Morin: Le mouton souffrirait, mais ce ne serait pas de la douleur.

M. Livingston: Tout à fait. Il peut y avoir de la souffrance dans des groupes d'animaux du même sexe, dans la mesure où ils aimeraient se reproduire.

C'est une vieille question pour nous: le triangle stress-détresse-douleur, comme nous le disons. On a toujours affirmé qu'il est possible de ressentir du stress sans ressentir de douleur, mais le stress cause la détresse. La douleur cause toujours de la détresse. Peut-on avoir de la douleur sans stress?

Voilà une question intéressante. Pour ce qui est des humains, la réponse est probablement: oui. Il y a des gens qui composent avec une douleur chronique et, dans la mesure où elle est peu importante, ils peuvent apprendre à vivre avec la douleur de l'arthrite ou quelque chose du genre. Cela ne cause probablement pas de stress chez eux, mais c'est probablement une cause de détresse.

Le sénateur Morin: Faut-il laisser dans le texte le terme «souffrance»?

M. Livingston: Cela me tracasse.

Le sénateur Morin: Si cela vous tracasse, imaginez ce que ça veut dire pour nous.

M. Livingston: Si j'étais appelé à témoigner en tant qu'expert devant un tribunal et qu'on me demandait si un animal souffre, je produirais une opinion, mais je serais peut-être moins convaincant si l'animal peut ressentir de la douleur.

Le sénateur Joyal: Il est plus facile de prouver qu'il y a douleur que de prouver qu'il y a souffrance.

Le sénateur Morin: Votre exemple de souffrance serait celui où le mouton se trouve isolé, mais ce n'est pas là vraiment l'intention du projet de loi.

M. Livingston: Je présume que ce n'est pas là l'intention.

M. Gauthier: Puis-je donner des informations complémentaires sur la définition des termes? Dans son mémoire, M. Livingston a parlé de la définition de la douleur telle que l'établit l'International Association for the Study of Pain:

Une expérience sensorielle et affective déplaisante associée à des dommages réels ou potentiels aux tissus ou décrite en fonction de ces dommages.

Le terme «douleur», de manière générale, est bien défini internationalement. L'autre terme, c'est «détresse». Au Conseil canadien de protection des animaux, de la façon dont nous comprenons la notion, quand un animal fait face à du stress, mais ne peut échapper à la source de stress, il est gagné par la «détresse» qui est l'incapacité d'échapper à un stimulus stressant.

Les deux termes sont clairement définis. Le terme «souffrance» est parfois employé d'une façon moins rigoureuse comme synonyme de douleur, mais les termes «douleur» et «détresse» ont été définis clairement, et pour cause. L'an dernier, le département américain de l'agriculture a dû faire en sorte que les deux termes soient définis, devant une poursuite juridique où intervenaient les notions de douleur et de détresse. L'United States Humane Society a intenté contre lui une poursuite pour avoir manqué d'appliquer sa propre réglementation à cet égard. Les Américains ont donc défini clairement les deux termes, il n'y a pas longtemps, mais disons qu'ils avaient déjà été définis par l'International Association for the Study of Pain. Par conséquent, les deux termes sont clairs, alors que le mot «souffrance» est nébuleux.

Le sénateur Jaffer: Le fait de ne pas donner d'eau à un chien cause-t-il de la douleur, de la détresse ou de la souffrance?

M. Livingston: À mon avis, cela causerait de la détresse à l'animal, mais cela ne lui causerait pas de la douleur.

Nous employons les deux termes, ce qui porte à croire qu'ils ont des sens différents. Dans la langue populaire, nous parlons de douleur et de souffrance, ce qui fait croire que nous voulons dire deux choses différentes.

Le sénateur Joyal: C'est un point très important, car il est question de «douleur, souffrance ou blessure», de sorte que les trois entrent en ligne de compte.

M. Livingston: Les trois n'ont pas à être applicables.

Le sénateur Joyal: Ce n'est pas «souffrance et douleur», ni même «souffrance et blessure». Chacun des états peut être un motif d'infraction.

Le sénateur Morin: Peut-on remplacer «souffrance» par «détresse»?

M. Livingston: C'est une grande question sur le plan législatif. Voulez-vous vraiment vous engager là-dedans?

Le sénateur Morin: Le fait de priver un animal d'eau est mentionné dans le projet de loi.

Le sénateur Nolin: Le niveau de mens rea est nettement moins élevé que cela. L'intention criminelle dont il est question n'est pas aussi compliquée que c'est le cas pour d'autres crimes. Si vous ne donnez pas d'eau, de nourriture ou d'air, c'est de votre faute.

M. Livingston: Cela fait l'objet d'une section distincte dans les lignes directrices du conseil.

Le sénateur Sparrow: Maintenant, je comprends moins qu'au moment où je suis arrivé.

Dans le cas des animaux autres que les vertébrés, une abeille, par exemple, ressentira le danger ou la crainte. Une araignée s'éloigne rapidement de la source de danger quand elle ressent qu'il y a danger.

Mme Adamo: L'agilène, par exemple, remonte dans son refuge quand l'information sensorielle qu'elle reçoit fait voir qu'il y a un prédateur tout près, mais je ne dirais pas que l'araignée aurait alors peur de quoi que ce soit.

Le sénateur Sparrow: Qu'en est-il des abeilles? N'ont-elles pas peur?

Mme Adamo: Je ne dirais pas que les abeilles ont peur. Le répertoire des comportements de l'abeille est merveilleux, et il y a toutes sortes de possibilités, mais je crois que la plupart d'entre elles sont déterminées génétiquement. Leur faculté d'apprendre à certains égards est merveilleuse, mais, dans l'ensemble, leur comportement est prédéterminé. D'abord, elles sont nourricières, puis elles font le ménage du nid, elles gardent le nid, et enfin elles deviennent fourrageuses. Tout survient à un rythme prédéterminé, et elles présentent certains comportements stéréotypés en réaction à une certaine stimulation sensorielle. On peut expliquer l'intégralité de leur comportement de cette façon, sans invoquer quelque sentiment de crainte.

Par exemple, quand l'ours s'approche, elles reçoivent une information visuelle et olfactive. Elles sont programmées pour défendre la ruche, ce qui veut dire qu'elles vont piquer l'ours. Elles libèrent des phéromones d'alarme et ont toutes sortes d'agissements, mais on pourrait programmer un robot pour qu'il fasse cela. Diriez-vous que le robot qui est apte à faire tout cela est un robot qui ressent la peur?

En tant qu'entomologistes, c'est de cette façon que nous interprétons depuis toujours le monde des insectes. Si on étudie leur système nerveux, c'est ce qu'on constate. On observe des petites boucles qui partent du système sensoriel, avec des neurones intercalaires qui se rendent dans un générateur central de rythme, lequel contrôle le circuit moteur.

Nous n'observons pas chez eux les nombreux neurones que nous voyons chez d'autres animaux et qui nous font penser qu'ils ont une capacité affective. Nous avons peut-être tort, mais nous présumons que c'est le genre de réaction affective dont vous parlez — la crainte, la colère et d'autres types d'émotions — qui exigent une certaine capacité cognitive, et non pas simplement un circuit sensoriel branché à quelques neurones intercalaires, branchés, eux, à un circuit moteur.

Le sénateur Sparrow: Les oiseaux sont des vertébrés, et ils peuvent éprouver de la douleur. L'expérience démontre que si vous coupez les ailes à un perroquet trop près du point d'articulation, le perroquet a de la douleur.

M. Livingston: J'ai fait des expériences sur les canards l'an dernier en collaboration avec un de mes étudiants de doctorat, simplement parce que c'est une espèce que l'on trouve facilement en Saskatchewan. Nous cherchions à savoir s'il est possible de modifier divers comportements en réaction au fait de leur pincer les pattes. Nous avons retourné la question et nous nous sommes demandé si des analgésiques utilisés chez les humains pouvaient faire cesser certains comportements à ce moment-là chez le canard. La réponse: oui. La pression sanguine des canards n'augmentait pas; ils ne battaient pas des ailes.

Si le médicament analgésique pour l'humain fait en sorte que le canard revient à son comportement normal devant le stimulus en question, cela porte à croire que la première réaction du canard correspondait à de la douleur. C'est une sorte de raisonnement circulaire. Si l'analgésique fait cesser un comportement, on pourrait dire que l'animal ressentait de la douleur au moment où il avait le comportement de départ.

Le sénateur Sparrow: L'article 182.1 qui est proposé se lit comme suit:

Dans la présente partie, «animal» s'entend de tout vertébré — à l'exception de l'être humain — et de tout autre animal pouvant ressentir la douleur.

Les oiseaux pourraient entrer dans cette catégorie, n'est-ce pas?

M. Livingston: Oui, ils pourraient.

Le sénateur Sparrow: Si vous souhaitez ne pas inclure les oiseaux, comment faut-il formuler la chose?

M. Livingston: Vous devez alors nommer les classes d'animaux que vous souhaitez inclure. La classe serait celle des mammifères et non pas celle des oiseaux, et il faudrait dire, oui ou non, qu'on inclut les reptiles et, oui ou non, les amphibiens, et, oui ou non, les poissons.

Le sénateur Sparrow: Pour être clair, il faut ajouter cela.

M. Livingston: Si vous voulez exclure un animal, il faut nommer les autres. Les vertébrés englobent les mammifères, les oiseaux, les amphibiens, les reptiles et les poissons.

Le sénateur Morin: Pourriez-vous répéter en français, s'il vous plaît?

M. Livingston: Les vertébrés sont les mammifères, c'est-à-dire toutes les bêtes à poils; les oiseaux, les créatures à plumes, les reptiles, ceux qui sont sans plumes ni fourrure, et cela comprend les serpents, les tortues et les crocodiles, les trois grands groupes — il y a les lézards et quelques autres trucs bizarres là-dedans; et les amphibiens, c'est-à-dire les grenouilles, les crapauds et les salamandres. Les poissons englobent deux grands groupes, soit les poissons osseux et les poissons cartilagineux. Les poissons osseux sont les poissons ordinaires que l'on connaît, et les poissons cartilagineux sont les requins, chiens de mer et les raies.

Le sénateur Morin: Le projet de loi couvre tous les animaux en question, en tant que vertébrés?

M. Gauthier: Oui, il le fait.

Mme Adamo: Les vertébrés primitifs sont également inclus.

Le sénateur Sparrow: Chez l'être humain, avec l'augmentation de la douleur, est-ce que cela peut atteindre le point où on ne ressent plus rien, même si on est conscient?

M. Livingston: C'est une question intéressante. Cela fonctionne de deux façons. La plupart de nos sens peuvent être «désensibilisés». Je veux dire par là que si vous travaillez dans un environnement bruyant, vous devenez sourd; votre sensibilité diminue. Si vous travaillez dans un environnement où la lumière est brillante, vos pupilles se contractent, et vous devenez moins sensible à la lumière brillante. La même chose vaut pour l'odorat; les gars qui travaillent dans les égouts ne le sentent pas. Si vous fumez, votre odorat est désensibilisé. C'est probablement un mécanisme de survie.

Dans le premier cas, si vous êtes exposé à une douleur constante, la douleur, en vérité, s'accroît. C'est un peu comme le supplice de la goutte d'eau. Si j'exerce une pression de, disons, 5 newtons sur le dessus de votre main, au début, cela n'est pas trop douloureux. Si je continue d'exercer la même pression, la douleur s'accroît — je me le fais en ce moment même, et je suis sur le point d'atteindre le seuil — et, à un moment donné, cela devient vraiment pénible. C'est probablement un mécanisme de survie qui entre en jeu, qui empêche de faire fi de la douleur.

Si je vous pique avec le bout arrondi d'un stylo et que je maintiens la pression, vous allez finir par dire: «aïe, ça fait mal», puis vous allez retirer votre main.

Du point de vue de la douleur, le toucher se situe à l'opposé des autres sens, qui deviennent moins «sensibles». Avec la douleur, on devient plus sensible. L'autre chose que nous avons découverte récemment chez les humains, c'est la sensibilisation «périphérique» et «centrale». La sensibilisation périphérique intervient dans les cas où on endommage et on stimule les terminaisons nerveuses à la périphérie. À ce moment-là, elles deviennent sensibles à la douleur. Cela vous est déjà arrivé, j'en suis sûr. Vous recevez un coup de bâton, ce qui donne une ecchymose à l'endroit où vous avez reçu le coup; la zone de stimulation de départ devient une zone de douleur. Vous touchez la zone sensible, et cela fait mal.

De même, nous savons que si vous êtes exposé constamment à une douleur chronique de faible intensité, votre cerveau devient plus sensible à la douleur, non pas à la périphérie, pas le truc en marge, mais, en fait, votre cerveau devient plus sensible à la douleur, et vous réagissez à un stimulus ou à un seuil moins élevé. Ici je parle des êtres humains. Nous croyons avoir peut-être démontré cela dans le cas des chiens, des chats et, peut-être, des moutons.

Le sénateur Sparrow: Si vous pratiquez une césarienne sur une vache sans recourir à des analgésiques, la première réaction de la vache, c'est de ressentir de la douleur. Au fur et à mesure que progresse la césarienne, l'animal a tendance à accepter la douleur. Il cesse de beugler ou de bouger; il accepte la douleur. Qu'est-ce qui se passe dans un tel cas?

M. Livingston: Ce sont probablement des récepteurs de la douleur de différents tissus qui entrent en ligne de compte. La peau d'une vache, comme la nôtre, compte de nombreux récepteurs de la douleur. L'utérus n'en a pas tant et est moins sensible à une coupure, bien qu'on y trouve des récepteurs de la douleur sensibles à l'étirement. L'utérus est relativement insensible aux incisions. L'effet d'étirement est lié aux récepteurs de la douleur dans le péritoine.

Le cerveau n'a presque aucun récepteur de la douleur. Tout le monde a vu le film «Hannibal». Le cerveau n'a pas de récepteur de la douleur. On peut retirer la calotte crânienne et toucher le cerveau. Les gens peuvent voir des lumières qui scintillent ou quelque chose du genre, mais ils ne ressentent pas de douleur.

Le sénateur Joyal: Ces comme cela qu'on pratique l'intervention sur les gens qui ont la maladie d'Alzheimer.

M. Livingston: Oui, c'est cela.

Le président: Monsieur Livingston, madame Adamo, monsieur Gauthier, merci beaucoup. Vos exposés ont été très riches en enseignements.

La séance est levée.


Haut de page