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Délibérations du comité sénatorial spécial sur la
Loi antiterroriste

Fascicule 12 - Témoignages - Séance de l'après-midi


OTTAWA, le lundi 30 mai 2005

Le Comité sénatorial spécial sur la Loi antiterroriste se réunit aujourd'hui, à 13 h 5, pour procéder à un examen approfondi des dispositions et de l'application de laLoi antiterroriste (L.C. 2001, ch.41)

Le sénateur Joyce Fairbairn (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, je déclare la séance ouverte. Nous en sommes à la vingt-sixième séance du Comité sénatorial spécial sur la Loi antiterroriste.

Pour le bénéfice de nos spectateurs, je vais expliquer l'objectif du comité. En octobre 2001, en réponse directe aux attaques terroristes contre les villes de New York et de Washington, D.C., et l'État de la Pennsylvanie, et à la demande des Nations Unies, le gouvernement canadien a déposé le projet de loi C-36, la Loi antiterroriste. Compte tenu de l'urgence de la situation à l'époque, le Parlement a été invité à accélérer l'étude du projet de loi. Nous avons accepté, et la date limite pour l'adoption du projet de loi a été fixée à la mi-décembre 2001.

Toutefois, pour apaiser les craintes de ceux qui estimaient qu'il était difficile d'en évaluer pleinement les conséquences en si peu de temps, il a été décidé que le Parlement reverrait au bout de trois ans les dispositions de la Loi et ses répercussions sur les Canadiens, en ayant un peu plus de recul et dans un contexte un peu moins chargé d'émotions. Les travaux du comité spécial représentent la concrétisation de cet engagement au niveau du Sénat.

Quand nous aurons terminé notre étude, nous présenterons au Sénat un rapport dans lequel nous exposerons les problèmes dont il faudra s'occuper à notre avis, et nous mettrons le résultat de nos travaux à la disposition du gouvernement et du grand public. Par ailleurs, la Chambre des communes se livre actuellement à un exercice analogue.

Le comité a rencontré jusqu'ici des ministres et des fonctionnaires, des experts canadiens et étrangers en matière de sécurité, des juristes ainsi que des organismes de renseignement et d'application de la loi.

Cet après-midi, nous allons mettre l'accent sur les questions liées à l'immigration. Nous accueillons M. Lorne A. Waldman, membre de la Section nationale du droit de l'immigration et de la citoyenneté de l'Association du Barreau du Canada. Il était censé comparaître lors d'une séance antérieure, mais il a été victime d'un malencontreux accident à l'aéroport. Nous sommes heureux de le compter parmi nous aujourd'hui.

Nous allons entendre, plus tard, Barbara Jackman, une avocate qui se spécialise dans ce domaine et qui a déjà représenté des personnes détenues en vertu d'un certificat de sécurité, et Andrew Brouwer, membre du comité exécutif du Conseil canadien pour les réfugiés.

M. Lorne A. Waldman, membre, Section nationale du droit de l'immigration et de la citoyenneté, Association du Barreau du Canada : D'abord, je m'excuse de ne pas être venu la dernière fois. J'ai dû m'absenter parce que j'ai fait une chute à l'aéroport. Vous avez pu reporter ma comparution, et j'en suis bien heureux.

Je tiens à signaler que le mémoire de l'ABC aborde des sujets qui ne sont pas directement liés à la Loi, dont notamment l'échange de renseignements, une question jugée extrêmement importante. Je compte, à cet égard, vous parler de l'affaire Maher Arar, affaire qui illustre très bien les problèmes auxquels peut donner lieu l'échange de renseignements.

Après les incidents du 11 septembre, le premier ministre Chrétien a nommé John Manley vice-premier ministre et principal responsable du dossier de la sécurité. Il est devenu le président d'un nouveau comité du Cabinet chargé de la sécurité nationale et a entamé une série de rencontres avec son homologue américain. L'objectif de ce processus, comme l'a déclaré lavice-première ministre McLellan, était, entre autres, d'assurer le flux constant d'informations entre les États-Unis et le Canada. C'est d'ailleurs là-dessus qu'ont porté nos négociations avec les Américains.

Or, l'affaire Arar nous montre à quel point les choses peuvent horriblement mal tourner quand nous échangeons des renseignements sans tenir compte de divers facteurs.

Et un des facteurs clés, comme l'a reconnu le sous-commissaire Loeppky dans des notes fournies à la commission, c'est que les États-Unis ont adopté une stratégie antiterroriste différente de celle du Canada.

Nous savons, d'après les documents qui ont été rendus publics, que M. Arar n'était pas l'objet d'une enquête. Il jouait un rôle plutôt accessoire dans l'enquête principale portant sur l'existence d'une présumée cellule d'al-Qaïda à Ottawa. On s'était intéressé à lui parce qu'il avait été vu en présence de personnes qui étaient les principales cibles de l'enquête et qui avaient été placées sous surveillance à l'époque.

Dans le cadre du processus d'échange de renseignements entre le Canada et les États-Unis, peu de temps après avoir vu M. Arar en présence de ces autres personnes d'intérêt, les autorités canadiennes ont fourni tous les détails de ces rencontres, y compris d'autres renseignements personnels concernant M. Arar, aux autorités américaines. Parmi ceux- ci figuraient un bail que la GRC avait obtenu de manière clandestine de Minto Properties, à Ottawa, et sur lequel apparaissaient les noms de M. Arar et de la personne visée par l'enquête en matière de sécurité nationale.

Environ un an après avoir été vu avec cette personne, M. Arar, qui revenait d'un voyage en Tunisie vers Ottawa, où un poste l'attendait, a fait escale à l'aéroport international Kennedy. On a été reconnu, dans les documents rendus publics, que le nom de M. Arar avait été ajouté à la liste de surveillance des États-Unis par suite de renseignements transmis par les autorités canadiennes. Nous avons appris aujourd'hui, à la Commission Arar, et dans d'autres documents, que les autorités canadiennes ont été les seules à fournir les renseignements qui ont abouti à la détention de M. Arar et à sa déportation vers la Syrie.

Nous voyons à quel point l'échange d'informations peut avoir un impact désastreux. L'affaire Arar soulève manifestement la question suivante : dans quelle mesure pouvons-nous échanger des renseignements avec des régimes qui ne partagent pas les mêmes valeurs que les nôtres? Les États-Unis constituent un exemple parmi d'autres. Il suffit de voir ce qui se passe à Guantanamo Bay, à la prison Abu Ghraib et dans le dossier Arar pour nous rendre compte qu'ils ont des valeurs différentes et qu'ils sont prêts à poser des gestes que le Canada, lui, ne poserait pas. Toutefois, l'information n'est pas uniquement échangée avec des régimes comme celui des États-Unis. Nous savons que dans le cas de M. Arar, le SCRS s'est rendu en Syrie, que des représentants canadiens ont demandé à maintes reprises aux Syriens de leur fournir plus de renseignements sur M. Arar. Tout cela donne à penser qu'il y a eu échange de renseignements non seulement entre la Syrie et le Canada, mais également entre le Canada et la Syrie pendant que M. Arar était enfermé dans une cellule de trois pieds par six pieds par neuf pieds.

Bien que le cas de M. Arar soit le plus connu, ce n'est pas le seul exemple de personnes qui ont été détenues par suite d'informations transmises par des fonctionnaires canadiens à un gouvernement étranger. Mme Jackman représente deux autres personnes qui ont été victimes du même traitement par suite d'informations qui, elles en sont convaincues, ont été fournies par les autorités canadiennes.

Nous devons donc, comme premier point, et nous en discutons dans notre mémoire, tenir compte des conséquences qu'entraîne l'échange de renseignements. Nous devons également nous demander si nous pouvons échanger des renseignements avec des régimes qui ne respectent pas, comme nous le faisons, les droits de la personne, sans obtenir de fermes garanties que ces régimes n'utiliseront pas l'information pour violer les droits d'une personne.

Le deuxième point que j'aimerais aborder, et qui figure également dans notre mémoire, est celui de la surveillance. L'ABC a insisté, dans ses exposés, sur la nécessité de mettre en place un mécanisme de surveillance. Les documents du cabinet que nous avons pu consulter dans le cadre de l'affaire Arar montrent clairement que, par suite de cette affaire, les hauts fonctionnaires du gouvernement jugent maintenant que les enquêtes menées par la GRC dans le domaine de la sécurité nationale doivent faire l'objet d'une surveillance quelconque. Cela fait d'ailleurs partie du mandat du juge O'Connor.

Nous devons nous doter d'un mécanisme de surveillance intégré et unique fondé sur le principe de la responsabilité, surtout à la lumière de ce que nous avons entendu aujourd'hui à l'enquête Arar. Le ministre Graham a en effet clairement indiqué qu'à son avis, il serait tout à fait approprié qu'un ministre intervienne dans le déroulement de toute enquête en matière de sécurité nationale.

Tout cela est très bien, mais si les ministres qui sont censés être responsables, sur le plan politique, des opérations des ministères qu'ils dirigent ne savent pas ce qui se passe quand des enquêtes en matière de sécurité nationale ont cours, alors il est plus important que jamais de mettre en place un mécanisme de surveillance efficace. Ce mécanisme doit être indépendant des organismes qu'il est chargé de surveiller. Il doit avoir le pouvoir de décider ce qui, au bout du compte, sera rendu public. Il doit avoir le pouvoir de mener une enquête en bonne et due forme.

Madame Heafey, présidente de la Commission des plaintes du public contre la GRC, a indiqué dans un mémoire présenté au juge O'Connor, et elle l'a déclaré publiquement à maintes occasions, qu'elle ne disposait pas de pouvoirs suffisants pour remplir son mandat.

Le troisième point que nous souhaitons aborder porte sur la Loi sur l'accès à l'information et la Loi sur la preuve au Canada. Concernant cette dernière, nous estimons que le libellé du paragraphe 38.01 et des paragraphes qui suivent est tout à fait inadéquat. Nous avons présenté, dans le cadre de l'affaire Arar, une demande en vue d'avoir accès aux résumés du SCRS que le juge O'Connor voulait rendre publics. Le gouvernement est intervenu parce qu'il n'était pas d'accord avec la décision du juge concernant les renseignements qui pouvaient être communiqués.

La Loi sur la preuve au Canada empêche la Cour fédérale de même informer M. Arar, sans le consentement du gouvernement, que le gouvernement a présenté une demande en vertu de cette loi. La Cour fédérale n'a pas le pouvoir de déterminer ce qui peut ou non être rendu public. Le degré de confidentialité que prévoient ces dispositions est tout à fait injustifié.

Il y a plusieurs autres points que j'aimerais aborder, mais mon temps est écoulé. Je n'ai pas parlé des certificats de sécurité parce que je sais que Mme Jackman et M. Brouwer vont en discuter.

La présidente : Merci beaucoup, monsieur Waldman.

Je souhaite la bienvenue aux autres témoins.

M. Andrew Brouwer, membre du comité exécutif, Conseil canadien pour les réfugiés : Merci de nous avoir invités à comparaître devant vous. Le Conseil canadien pour les réfugiés fait partie de la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles qui, si j'ai bien compris, doit comparaître plus tard devant le comité. Le CCR appuie le mémoire de la Coalition, qui aborde toute une série de thèmes qui intéressent au plus haut point le Conseil canadien pour les réfugiés. Je compte aujourd'hui vous parler des certificats de sécurité, et de l'immigration et de la sécurité.

C'est avec plaisir que nous accueillons la décision d'inclure dans cet examen le processus de délivrance des certificats de sécurité que prévoit la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. À notre avis, le gouvernement utilise les procédures relatives à l'immigration, au lieu des poursuites criminelles, pour contourner les mesures de sauvegarde que prévoit le système de justice pénal. Les nombreuses préoccupations que nous entendons soulever aujourd'hui figurent également dans la lettre du 14 octobre 2004 que je vous ai distribuée. Elle porte la signature de plus d'une cinquantaine de professeurs de droit de toutes les régions du Canada et de réseaux juridiques de différentes ONG.

Il serait logique, dans le cadre de cet examen, d'analyser non seulement la question des certificats de sécurité, mais également celle de la sécurité en matière d'immigration, puisque le certificat de sécurité n'est pas utilisé chaque fois que des non-citoyens font l'objet d'allégations selon lesquelles ils représentent un danger pour la sécurité.

Ce qui inquiète avant tout le CCR, c'est la discrimination qui existe entre citoyens et non-citoyens, et aussi à l'égard de groupes ethniques et religieux particuliers, notamment les Arabes et les musulmans.

Les lois devraient contribuer à minimiser les risques de discrimination. Or, la Loi antiterroriste et la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés augmentent le risque de discrimination du fait qu'elles donnent des pouvoirs accrus au gouvernement, pouvoirs qui font l'objet d'une surveillance minime et qui sont entourés de secret dans de nombreux cas.

Par ailleurs, la définition trop vaste de l'« interdiction de territoire pour raison de sécurité », que prévoit l'article 34 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés constitue un problème de fond. Deux points méritent d'être mentionnés. D'abord, les personnes renvoyées du Canada sont décrites ouvertement comme des personnes qui constituent un danger pour la sécurité. Toutefois, la loi elle-même dispose que le certificat de sécurité doit être signé et jugé raisonnable par la Cour fédérale, pour des motifs de sécurité, même s'il n'existe aucune allégation selon laquelle la personne représente un danger pour la sécurité du Canada.

Ensuite, la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés fixe de larges paramètres qui permettent au gouvernement de juger une personne interdite de territoire pour des raisons de sécurité. Par exemple, l'expression « membre d'un groupe terroriste » peut être interprétée de manière très vaste et englober les associés et ceux qui partagent le même point de vue de la personne sur un sujet politique particulier.

Plus important encore, il n'est pas nécessaire que l'appartenance soit établie. En vertu de l'article 33 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, il suffit uniquement que les faits soient appréciés sur la base de motifs raisonnables de croire qu'ils sont survenus, surviennent ou peuvent survenir. Le champ d'interprétation est très vaste.

Autre sujet de préoccupation concernant les certificats de sécurité : l'absence de procédure régulière. L'inéquité du processus, qui soulève de graves inquiétudes, est bien connue. Cette inquiétude est partagée par le CCR. Je vous renvoieau rapport de la Commission interaméricaine de février 2000. Certaines parties sont annexées au document que j'ai fait circuler.

La détention obligatoire est un autre problème fondamental. Les résidents non permanents peuvent faire l'objet d'une détention obligatoire. Le processus peut être très long, ce qui fait que ces personnes restent en détention pendant très longtemps. Madame Jackman va vous en parler plus en détail.

Autre problème clé : l'absence de surveillance. Avant l'adoption de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, les résidents permanents pouvaient s'adresser au Comité de surveillance des activités de renseignement et de sécurité, le CSARS. Ce recours a été supprimé en vertu de la LIPR, contrairement aux recommandations formulées par le CCR et de nombreux organismes et observateurs des droits de la personne qui avaient réclamé un élargissement du mandat du CSARS. Le CCR estime que la surveillance aurait dû être élargie, et qu'elle devrait toujours l'être.

Le refoulement vers un pays qui pratique la torture est un autre sujet de préoccupation manifeste. Le Canada adopte une position qui va directement à l'encontre de ses obligations internationales en matière de respect des droits de la personne. Le Comité contre la torture a récemment dénoncé le Canada au motif que :

a) la Cour suprême du Canada, dans l'affaire Suresh c. le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, a négligé de reconnaître, au niveau du droit interne, la nature absolue de la protection que confère l'article 3 de la Convention, protection qui ne souffre d'aucune exception.

Cela équivaut à une interdiction absolue de la torture et du refoulement vers un pays qui la pratique. Nous avons annexé à notre mémoire la partie du rapport du Comité contre la torture qui traite de cette question.

Le refoulement ne constitue pas une solution au problème du terrorisme. En continuant de recourir au refoulement pour des raisons de sécurité, le gouvernement du Canada néglige de prendre au sérieux les observations qu'il a lui- même formulées au sujet du caractère planétaire des menaces à la sécurité. S'il est vrai que les menaces à la sécurité ont un caractère planétaire, nous ne pouvons pas tout simplement nous contenter de renvoyer les personnes vers un autre pays si elles constituent effectivement une menace. Par ailleurs, il est injuste et discriminatoire d'assujettir les non- citoyens à des mesures que nous n'appliquerions pas aux citoyens. Je vous renvoie à la décision de la Chambre des lords que le comité a déjà examinée.

Enfin, il faut respecter pleinement les dispositions de la Charte et des conventions internationales sur les droits de la personne. L'alinéa 3(3)f) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés dispose que l'interprétation et la mise en oeuvre de la loi doit avoir pour effet de se conformer aux instruments internationaux portant sur les droits de l'homme dont le Canada est signataire. Or, la nature discriminatoire des dispositions touchant la sécurité et l'admissibilité de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, la procédure de délivrance des certificats de sécurité, et le résultat potentiel et final de ce processus — le refoulement vers un pays qui pratique la torture — vont à l'encontre des droits fondamentaux de la personne déjà clairement établis.

J'aimerais, pour terminer, formuler six brèves recommandations. Premièrement, le Canada doit se doter d'une loi qui interdit absolument le refoulement vers un pays qui pratique la torture, comme il est tenu de le faire en vertu du droit international. Deuxièmement, il faut restreindre la portée de la définition de l' « interdiction de territoire pour raison de sécurité » que prévoit la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. Troisièmement, nous recommandons que les dispositions relatives au certificat de sécurité soient supprimées. Quatrièmement, nous demandons au gouvernement de faire en sorte que toutes les personnes jugées inadmissibles pour des raisons de sécurité aient accès à la procédure régulière, à une décision rapide, au Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité, et enfin, qu'elles puissent en appeler à la Cour fédérale du Canada en cas de décision défavorable les concernant. Cinquièmement, nous voulons un mécanisme pour assurer la surveillance efficace et indépendante de toutes les activités antiterroristes menées par tous les organismes, y compris le ministère de l'Immigration, l'ASFC, le SCRS, la GRC et le CST. Enfin, nous demandons que le Canada élimine les dispositions relatives à la détention obligatoire qui figurent dans la LIPR.

La présidente : Merci beaucoup, monsieur Brouwer. Nous allons maintenant entendre Mme Jackman.

Mme Barbara Jackman, témoignage à titre personnel : Je représente des gens aux prises avec le système de sécurité nationale depuis la fin des années 1970. Je représentais des personnes quand il n'y avait même pas encore de système en place, de 1984 à 1992, et toutes les affaires concernant la sécurité étaient renvoyées au Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité. De 1992 à 2002, les cas des étrangers, des personnes qui n'étaient pas résidentes permanentes, étaient renvoyés à la Cour fédérale; les cas des résidants permanents étaient présentés au Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité. Depuis 2002, toutes les affaires sont examinées par la Cour fédérale, donc le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité a été retiré complètement des dossiers où il y avait des inquiétudes en matière de sécurité sur un non-citoyen.

Je vous proposerais de confier à nouveau ces affaires au Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité et ce, pour diverses raisons que je vais vous expliquer.

J'ai lu la transcription du témoignage de M. Paul Kennedy devant le comité de la Chambre des communes sur les certificats de sécurité. Il est sous-ministre adjoint principal du solliciteur général. Il affirme que le Canada n'utilise les certificats de sécurité que dans des cas extrêmes. Il est vrai que très peu de certificats de sécurité sont utilisés. Je pense qu'on en a utilisé 26 ou 27 au cours des 14 dernières années, dont cinq depuis quelques années, et tous s'appliquaient à des musulmans.

Il se peut que le gouvernement n'utilise pas souvent les certificats de sécurité, mais leur effet est percutant. Ils entraînent la détention automatique des personnes qui ne sont pas résidentes permanentes. Dans la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, on les appelle des « étrangers ». Je vais vous donner l'exemple de trois de mes clients.

Hassan Almrei a maintenant 30 ans. Il est en isolement cellulaire depuis trois ans et sept mois, depuis octobre 2001. Au départ, il l'était involontairement. Il a fait une demande d'habeas corpus pour sortir de cet isolement. Lorsqu'il a été mis avec les autres, il s'est fait battre parce que tous les gardiens et les autres le qualifiaient de terroriste. Il est retourné en isolement pour sa propre protection.

J'ai présenté une seconde demande d'habeas corpus pour qu'il obtienne des chaussures. Je ne savais pas qu'il marchait sur un plancher en ciment au Centre de détention de la communauté urbaine de Toronto-Ouest depuis deux ans sans chaussures, sous prétexte qu'il était en isolement, même si cinq gardiens étaient prêts à témoigner en sa faveur parce qu'il ne représentait aucune menace pour le personnel de la prison. Après six jours et demi devant le tribunal, il a obtenu des chaussures. Sa plus grande préoccupation, c'est de savoir s'il reçoit ou non les livres qu'on lui envoie. Il fait fréquemment la grève de la faim. C'est la seule façon pour lui de parer à son impuissance, à son isolement et d'essayer d'obtenir ce qu'il pense mériter.

Quelqu'un lui a envoyé le livre de Steve Coll intitulé Ghost Wars, que j'ai lu. C'est un excellent livre qui présente l'histoire de la CIA aux États-Unis et en Afghanistan. Ce livre a été retenu par la sécurité pendant quelques semaines. On lui a envoyé une copie du règlement sur le traitement des prisonniers dans les prisons fédérales.

Il ne l'a pas reçu avant une bonne semaine, même si ce document est accessible sur le site Web du gouvernement du Canada. Il a été retenu. Ce type d'événement est le propre de sa vie. Toute sa vie est axée sur une petite cellule. Ce que fait le Canada aux personnes faisant l'objet de certificats de sécurité est inhumain. Le gouvernement affirme ne les utiliser que dans des cas extrêmes, mais il faudrait penser aux personnes dont la vie est détruite.

L'autre personne est M. Mahjoub. Il est en isolement cellulaire depuis cinq ans. Il se détériore. S'il reste en isolement, il va devenir fou. Son profil psychologique est très négatif. Il n'arrive pas à tenir le coup. Chacun s'en sort à sa façon. M. Mahjoub n'arrive pas à composer avec l'isolement cellulaire. Il a une femme et deux petits enfants, qui sont tous deux citoyens canadiens.

M. Jaballah n'est pas en isolement. Il a une femme, qui s'est retrouvée seule pour s'occuper de leurs six enfants. Il est en détention depuis le mois d'août 2001 et il l'a été avant, d'avril à novembre 1999, en vertu d'un autre certificat de sécurité que la Cour fédérale a annulé. Le SCRS n'était pas content et en a adopté un deuxième, sans nouveau renseignement, en gros. Les événements du 11 septembre sont arrivés, et le certificat a été maintenu. Il a ensuite été annulé une autre fois. Il va donc faire l'objet d'un troisième examen de certificat de sécurité. Il faut comprendre qu'en vertu de la loi actuelle sur l'immigration, M. Jaballah, qui a fait l'objet d'un examen des motifs de la détention en 2004, parce qu'à ce moment-là, il y avait un certificat de sécurité non annulé, n'est pas admissible à un examen des motifs de la détention en ce moment, parce que sa détention est obligatoire jusqu'à ce que le certificat ait été examiné par la Cour fédérale. La Cour fédérale doit donc examiner le certificat de nouveau. Il est détenu depuis trois ans et neuf mois et ne peut pas obtenir d'examen pour une période indéfinie. Son certificat de sécurité est en suspens jusqu'à ce que le ministre ait décidé pour la deuxième fois s'il doit le renvoyer à la torture.

Ce type de comportement de la part du gouvernement canadien est inacceptable. Je ne sais pas si les parlementaires ou le Sénat comprenaient, lorsque cette loi a été adoptée, les incidences d'un emprisonnement pour une durée indéfinie sans que le détenu n'ait accès à l'habeas corpus ni à la liberté sous caution.

Le gouvernement va dire que ce n'est pas pour une durée indéfinie. La détention est de durée indéfinie lorsqu'on n'en connaît pas la date de fin et qu'elle peut être retardée encore et encore. Ce n'est pas acceptable que des gens vivent ainsi. Ce n'est pas acceptable pour leurs familles. Mme Jaballah ne peut pas s'occuper de ses six enfants sans l'aide de son mari.

M. Kennedy a dit que le Canada ne privait personne de sa liberté comme punition. Je le cite pour illustrer ce que les gens du gouvernement vous ont dit ou vont vous dire. Je pense qu'on ne devrait pas l'accepter. Jusqu'où peut-on aller sous prétexte qu'on ne punit pas la personne? Peut-on torturer des gens jusqu'à les rendre fous afin qu'ils ne représentent plus de risque pour le Canada, puis dire que c'est acceptable parce que ce n'est pas une punition? Les tribunaux ont statué que l'isolement cellulaire était acceptable parce qu'il ne constituait pas une punition. Ce sont les conséquences sur l'être humain et non l'objectif pour lequel on l'autorise qui devraient nous porter à nous soucier des droits de la personne. Ce n'est pas l'angle sous lequel nos tribunaux examinent la chose. C'est l'angle sous lequel des tribunaux d'autres pays examinent la chose. Le Canada se laisse distancer à cet égard.

Le gouvernement dira aussi que ces personnes peuvent toujours quitter le Canada. J'aimerais vous citer Lord Nicholls of Birkenhead dans l'affaire dont M. Brewer nous a parlé, à la Chambre des Lords :

À une exception près, toutes les personnes actuellement détenues sont en prison depuis trois ans et rien ne laisse prévoir leur libération imminente.

Cela s'applique à nos détenus aussi.

Il est vrai que les détenus peuvent sortir n'importe quand de leur lieu de détention s'ils quittent le pays. On dit que leur prison n'a que trois murs. Mais cette liberté est plus théorique réelle. La présence continue de la plupart des détenus à Belmarsh le montre bien. Ils préfèrent rester en prison que de s'exposer au risque de mauvais traitements dans un pays qui serait prêt à les accepter.

M. Almrei va retourner en Syrie. C'est là où Maher Arar a été torturé. On peut être certain qu'il va être torturé. M. Jaballah et M. Mahjoub vont retourner en Égypte. Il y a d'autres personnes qui ont été « extradées » de pays européens vers l'Égypte, où elles ont été détenues et torturées. Des gens meurent dans les prisons égyptiennes. Ce ne sont pas des solutions de rechange acceptables pour ces hommes, donc l'isolement cellulaire est la seule option qui s'offre à eux pour le moment.

Ce n'est pas réaliste, c'est un mythe que de dire qu'ils peuvent simplement fuir tout cela en quittant le pays. Il y a une femme qui a trouvé un pays prêt à accepter son mari, M. Baroud. Il faisait l'objet d'un certificat de sécurité il y a plusieurs années. Le Canada n'aide aucune de ces personnes à se trouver un tiers pays sûr. En fin de compte, il n'a pas été autorisé à entrer dans le pays et a été en orbite, d'aéroport en aéroport, pendant huit mois. Le Canada a laissé cette situation survenir, parce qu'il ne s'est pas assuré qu'il serait accepté dans un tiers pays.

Ce comité comme tout autre comité qui étudie la question devrait se demander quelles sont les autres options à part ce système de détention obligatoire extrême qui s'applique en ce moment. On laisse ces affaires aux membres de la Section de l'immigration de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. Depuis que la Loi sur l'immigration a été modifiée en juin 2002, ils peuvent recevoir des preuves secrètes dans les audiences normales et régulières sur la déportation. C'est important, parce que le gouvernement affirme que nous devons nous en remettre à la Cour fédérale, parce qu'elle peut entendre des témoignages secrets. On peut présenter des preuves secrètes dans les enquêtes d'immigration ordinaires. Il y a des examens périodiques des motifs de la détention aux 30 jours. Peu importe le type de crime commis, les détenus font l'objet d'un examen périodique des motifs de la détention. Ce n'est pas le cas à la Cour fédérale.

De plus, on pourrait confier ces dossiers de nouveau au Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité. Je dirais que ce processus est beaucoup plus juste que celui de la Cour fédérale. J'ai entendu beaucoup de politiciens et de fonctionnaires dire à quel point il était merveilleux que le Canada ait la Cour fédérale pour examiner ces procédures. J'ai exercé le droit dans ces deux systèmes, celui du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité et celui de la Cour fédérale. Si l'on fait un peu d'histoire, le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité a été créé après la Commission McDonald, pas seulement pour examiner les affaires liées à la sécurité, mais aussi pour examiner les activités du SCRS et veiller à ce qu'ils ne tombe pas dans l'illégalité, comme l'unité de renseignement de la GRC l'avait fait auparavant. Ce comité peut connaître et comprendre le service de sécurité bien mieux que la Cour fédérale.

Les juges de la Cour fédérale entendent des affaires sur l'immigration, la fiscalité, l'assurance-emploi, le transport et le droit international. Les juges nommés à la Cour fédérale sont pour la plupart nommés par les gens d'affaires du Canada pour leurs compétences en matière fiscale et non parce qu'ils connaissent les collectivités immigrantes.

Par conséquent, on nomme un juge d'une petite ville du Nouveau-Brunswick ou d'ailleurs qui a exercé le droit des sociétés toute sa vie et on s'attend à ce que soudainement, il connaisse et comprenne une culture différente. Ce n'est pas le cas.

Au moins, la plupart des membres du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité sont des politiciens ayant beaucoup d'expérience des relations avec les gens. Ils ont l'avantage supplémentaire de comprendre le SCRS pour pouvoir juger de la crédibilité et de la véracité des propos des agents du SCRS.

Pour avoir plaidé devant ce comité et devant la Cour fédérale, je pense que si le SCRS dit que le noir est blanc, le juge de la Cour fédérale hochera de la tête et dira : « C'est bon. C'est possible. Il y a des motifs raisonnables de croire que le noir est blanc. » C'est un système complètement différent. Un tribunal ne se trouve pas en position d'évaluer ce type d'affaire. Je serais favorable à ce que ces dossiers incombent de nouveau au Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité, parce que je pense que les audiences étaient plus justes.

La Cour d'appel fédérale a dit à mes deux clients, Almrei et Charkaoui, qu'ils ne pouvaient pas charger un avocat indépendant d'évaluer la valeur des preuves secrètes. Si le Parlement veut ajouter une disposition en ce sens à la loi, il peut le faire. Le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité a la même structure législative que la Cour fédérale. Il a jugé que qu'il était équitable d'admettre un avocat indépendant, parce que ce type de procédure n'intervient que dans des circonstances extrêmes et que les preuves sont présentées en secret. Il n'y a personne pour en vérifier la validité. Les membres de ce comité ont dit qu'en toute équité, il devrait y avoir un avocat, quelqu'un qui a obtenu une autorisation de sécurité, pour contre-examiner la preuve et assurer un processus juste.

L'autre différence entre la Cour fédérale et le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité, c'est le degré de confiance qu'ils accordent au type de renseignements qui peuvent être diffusés ou pas. Au Comité de surveillance, beaucoup plus de choses sont divulguées. Par ailleurs, si le SCRS demande à la Cour fédérale de ne pas divulguer un renseignement, il ne sera jamais divulgué. Tout ce qu'on obtient, ce sont des renseignements déjà publics ou des articles de journaux.

La troisième option est de ne pas utiliser ces dispositions antiterroristes, mais d'utiliser la même loi pour tout le monde.

Je sais que mes clients préféreraient être assujettis à la condition de rapport aux 12 mois prévue dans les dispositions antiterroristes du Code criminel plutôt que d'être retenus en isolement cellulaire pendant une durée indéfinie. C'est un système préférable à celui dans lequel ils se trouvent à l'heure actuelle.

Pour ce qui est de la décision de la Chambre des lords, notre Cour fédérale a affirmé que nous étions différents parce que nos détentions n'étaient pas de durée indéfinie. Ce n'est tout simplement pas vrai : elles sont de durée indéfinie. Elle ne voit pas l'évidence. Nous ne nous en prenons qu'à des non-citoyens, même si je peux vous dire qu'il y a des citoyens dont le Canada s'inquiète mais contre lesquels rien n'est fait. On n'utilise pas les dispositions antiterroristes contre ces personnes. Pourquoi ne pourrait-on pas au moins utiliser ces dispositions un peu moins extrêmes pour nos clients, surtout qu'on ne peut pas les expulser du Canada sans contrevenir au droit international? Dans tous les cas dont nous nous sommes occupés, les tribunaux ont décidé de renvoyer nos clients à la torture. C'est très grave.

Dans les documents divulgués à la commission Arar, il y avait une note pour dire à Bill Graham d'appuyer la position prise au sujet d'Hassan Almrei. Comme M. Arar a été torturé, ils savaient bien qu'Hassan Almrei était susceptible d'être torturé en Syrie. Cette note disait essentiellement que nous allions nous faire critiquer à l'échelle internationale parce que nous allions enfreindre le droit international, donc ils voulaient que le ministre les appuie. Je peux fournir cette note au Sénat, si vous le voulez. Elle est publique.

Je suis d'accord avec M. Brouwer pour préciser le cadre. Il faut comprendre l'incidence de l'étendue du cadre sur la collectivité. Je vais vous donner deux exemples. Les Tigres de libération de l'Eelam tamoul au Sri Lanka mènent probablement des activités terroristes. Ils mènent un conflit armé, bien qu'il y ait un processus de paix en cours. Ils ont le soutien populaire de la collectivité tamoule. Une étude montre qu'environ 70 p. 100 des Tamouls du Canada les appuient.

Si vous dites que toute personne associée aux TLET est terroriste, vous allez perdre toute la confiance que vous aviez au sein de cette collectivité. Les TLET n'ont pas qu'un seul but. Leur organisation comporte de multiples volets. Ils gèrent des orphelinats et l'administration dans le nord du Sri Lanka. Un médecin qui travaille dans un orphelinat financé par les TLET serait assujetti aux dispositions de notre loi et il pourrait être déporté du Canada pour cette raison, même s'il travaille dans un secteur qui n'a aucun lien avec des activités militaires.

La même chose vaut pour l'OLP. Je suis certaine que vous savez que l'OLP a bien d'autres ramifications que son aile militaire. Elle est presque de nature gouvernementale. Les différentes factions de l'OLP participent à l'autorité palestinienne.

L'une de mes clientes a fait du bénévolat dans un orphelinat pour un comité de femmes al-Fatah. Son droit d'établissement a été retardé de dix ans pour cette raison.

Tant que les dispositions seront si vastes et que des personnes comme celles-là se trouveront prises, ne pensez pas que les collectivités vont faire confiance au SCRS lorsqu'il essaie de trouver l'information nécessaire pour repérer les menaces à la sécurité. Tous les membres de ces collectivités se sentent visés et ont l'impression d'être des ennemis du Canada, même s'ils veulent faire partie du Canada. On ne peut pas administrer un service de renseignement de façon efficace lorsque les lois sont si vastes qu'elles visent tout le monde. Conjuguez cela à l'incompréhension de la diversité ethnique et à l'établissement de profils raciaux par le SCRS et vous verrez que la bataille est perdue. Nous n'arriverons pas à repérer les menaces à la sécurité du Canada, parce que le SCRS n'a pas les contacts nécessaires pour les trouver.

Le sénateur Jaffer : Merci. Je ne vais pas parler des certificats de sécurité, car vous avez déjà traité de cette question de façon assez approfondie.

Je voudrais m'intéresser aux conseillers spéciaux. Vous êtes au courant de l'expérience tentée en Angleterre. Nous avons beaucoup entendu parler de ces conseillers spéciaux. Est-ce que votre travail serait facilité par la présence d'un conseiller spécial en mesure de recevoir l'information?

Mme Jackman : D'après moi, le système de conseiller spécial a été efficace dans le cadre du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité, étant donné qu'il n'y avait pas divulgation complète de la cause. Nous pouvions rencontrer les conseillers spéciaux. Les Britanniques ont interdit toute rencontre entre l'avocat et le conseiller une fois que celui-ci est intervenu dans une cause. Il n'en a jamais été ainsi pour notre système. Nous pouvions rencontrer les conseillers, leur poser des questions et soulever certaines préoccupations. Pour le contre-interrogatoire de l'agent du SCRS, nous pouvions réinstaurer le huis clos et reprendre les questions déjà posées dans le cadre de l'audience publique, tout en pouvant en poser de nouvelles. Mes clients avaient ainsi beaucoup plus confiance dans le processus que c'est le cas actuellement avec la Cour fédérale.

Le sénateur Jaffer : Serviez-vous d'intermédiaire entre le conseiller spécial et votre client, en ce sens que vous obteniez de l'information de votre client pour la transmettre au conseiller spécial? Un avocat demande à son client ce qui s'est produit, écoute ce qu'on a à dire et rassemble les deux éléments. Quel était le mode de fonctionnement avec le CSARS?

Mme Jackman : Nous ne confiions pas la cause en entier à un avocat indépendant, mais nous soulevions différents sujets de préoccupation en fonction de l'aperçu obtenu du CSARS. Nous avions également droit à des transcriptions expurgées de l'audience secrète, ce qui n'est jamais le cas avec la Cour fédérale. On ne tient même pas de transcription à la Cour fédérale; les juges n'interrogent d'ailleurs pas directement les témoins.

Nous soulevons certains points et posons parfois des questions au sujet de différentes préoccupations. Nous ne leur disons pas quelles questions ils doivent poser, mais nous leur conseillons de s'enquérir au sujet d'une certaine entreprise, par exemple.

Le sénateur Jaffer : Vous pouviez soulever certains points parce que vous saviez ce qui avait été dit en secret.

Mme Jackman : C'est exact. Nous pouvions transmettre ces renseignements aux avocats, dans la mesure où ils étaient pertinents. Il va de soi qu'ils devaient connaître le bagage de la personne concernée. Je ne pense pas que cela les plaçait dans une situation compromettante.

Le sénateur Jaffer : Quelles devraient être nos recommandations pour ce qui est des conseillers spéciaux?

M. Waldman : Il serait intéressant que le comité puisse parler à M. Cavalluzzo, qui est avocat dans l'affaire Arar. Je ne sais toutefois pas s'il lui est possible de témoigner en public étant donné que l'enquête est en cours. Son expérience d'avocat dans cette affaire est assimilable à ce qui se produit au CSARS. Il a pu examiner des documents qu'il nous était impossible de voir; il comprenait ainsi quels étaient les enjeux. Nous l'avons rencontré sans qu'il ne soit question d'éléments liés à la sécurité nationale. Il a pu nous poser des questions et nous avons été en mesure de lui fournir des renseignements qui lui ont été utiles.

C'est un processus pouvant être délicat, ce qui explique probablement qu'on ait voulu garder ces fonctions distinctes dans le système britannique. Je suis toutefois d'avis qu'il ne faut pas séparer le conseiller spécial de l'avocat de la personne en cause si l'on veut optimiser ce mécanisme. Pour qu'un conseiller spécial puisse vraiment jouer un rôle significatif, il doit absolument pouvoir rencontrer l'avocat pour assembler les différents éléments, tout en comprenant bien sûr qu'il est tenu de préserver la confidentialité aux fins de la sécurité nationale.

Dans l'enquête sur l'affaire Arar, nous constatons pour l'instant que c'est un processus efficace, car il nous a été possible d'avoir des discussions. Nous ne pouvons bien sûr pas savoir ce qui se passe derrière les portes closes, mais nous croyons avoir pu apporter une contribution utile aux avocats pour leurs questions et leurs contre-interrogatoires.

Du point de vue de l'Association du Barreau canadien et à mon avis personnel, le recours à des conseillers spéciaux serait déjà un minimum à recommander. Ce n'est toutefois pas l'option privilégiée. La contribution d'un genre d'intervenant désintéressé rendrait le processus plus équitable, mais on doit tout de même permettre la contribution du conseiller spécial aux discussions, comme ce fut le cas dans l'affaire Arar et dans les audiences du SCARS. Dans le cas de ces audiences, l'avocat indépendant nous a rencontrés et a pu nous poser des questions, sans toutefois révéler ce qui avait été dit.

Il y a des façons de poser des questions pour obtenir des renseignements sans dévoiler des secrets touchant la sécurité nationale. Cela nécessite une certaine technique, mais celle-ci peut s'acquérir au fil des ans.

Si on fait appel à un intervenant désintéressé n'ayant aucunement accès au client, il devient impossible pour lui de remplir son rôle. Pour sa part, le client a l'impression de ne pas être représenté. Il lui est impossible de parler à l'avocat qui va aller défendre ses intérêts derrière des portes closes.

Le sénateur Jaffer : Je ne sais pas si vous pourrez me répondre à ce sujet parce que l'enquête est en cours, mais est-il possible pour les avocats dans la Commission d'enquête O'Connor d'obtenir des renseignements de M. Arar? Est-ce que M. Arar peut contribuer au processus?

M. Waldman : Tout cela est public, je crois. Non seulement M. Cavalluzzo, avocat pour le commissaire O'Connor,rencontre-t-il l'avocat de M. Arar, mais il peut aussiparler aux avocats des intervenants. Nous avons la possibilité de suggérer à M. Cavalluzzo les questions que nous aimerions qu'il pose lors des audiences à huis clos, en fonction des versions des documents que l'on nous transmet.

Bien que le processus demeure très pénible pour M. Arar, il a tout au moins l'impression de pouvoir contribuer un peu au déroulement des audiences secrètes.

Mme Jackman : Si vous souhaitez explorer la question de l'intervenant désintéressé, Maurice Archdeacon, qui a été directeur exécutif du SCARS de 1984 à 1999, pourrait être considéré comme l'expert en matière de processus équitable pour les audiences secrètes. C'est en grande partie sous sa direction que le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité est parvenu à atteindre un niveau optimum d'équité. C'est M. Archdeacon qui a mis en œuvre toute ces procédures, y compris celles concernant le conseiller spécial.

Toujours dans l'objectif de tenir des audiences équitables, je pense que le besoin est particulièrement criant à la Cour fédérale dont les juges manquent d'expertise et arrivent mal à comprendre les autres cultures. Dans une large mesure, nous avons un SCRS blanc et une Cour fédérale blanche. On n'y trouve pas d'immigrants. Ils ne constituent pas un juste reflet de la diversité canadienne. Le SCARS a le pouvoir de faire appel à des experts indépendants et il s'en est souvent prévalu. Il pouvait ainsi accueillir un professeur qui connaissait bien l'OLP ou les TLET, par exemple; un expert indépendant capable de fournir les renseignements nécessaires pour bien saisir le contexte. C'est une mesure essentielle pour tout tribunal essayant de comprendre les dossiers qu'il doit examiner. Il ne s'agit pas de questions faciles à régler. Ce sont des dossiers très complexes qui peuvent être mal interprétés lorsqu'on ne comprend pas bien le contexte.

Le sénateur Smith : Ma question n'est pas sarcastique; je veux vraiment connaître votre point de vue. Pourriez-vous m'indiquer un motif pouvant justifier l'expulsion d'un client ou de toute autre personne — et lorsqu'il est question de certificats de sécurité — de non-Canadiens?

Mme Jackman : Il est bien évident que je peux envisager qu'un non-Canadien puisse être expulsé. S'il y a risque véritable de torture, je ne crois pas que l'on puisse procéder à l'expulsion à moins que le Canada soit en mesure de trouver un autre pays d'accueil.

Le sénateur Smith : Parfois, j'ai l'impression que cela fait l'affaire de certains. Qu'en est-il de la situation en Iran? N'y a-t-il pas eu toutes sortes d'hypothèses voulant que cette personne ait été torturée? À ma connaissance, ce n'est pas ce qui s'est passé.

Mme Jackman : Vous parlez de l'affaire Ahani. Il est difficile de savoir exactement ce qui s'est passé. Je sais que le gouvernement a indiqué qu'il n'y avait pas eu de torture. Il s'est présenté à l'ambassade pour demander quelque chose. Nous avons essayé de communiquer directement avec lui.

Le sénateur Smith : Ne voulait-il pas que des affaires lui soient renvoyées là-bas?

Mme Jackman : Oui. Nous n'avons pas pu communiquer directement avec lui pour savoir de quoi il en retournait et nous avons eu vent de rumeurs qui indiquaient le contraire, à savoir qu'il avait été gardé en détention à un certain moment. Je ne sais pas où se situe la vérité. Une fois que les gens retournent dans ces pays, comment est-il possible de confirmer quoi que ce soit? Il ne sert à rien de faire comme le National Post qui a dépêché un journaliste à la résidence d'une personne pour lui demander si tout allait bien pour elle en Iran. Il s'est bien évidemment fait répondre que tout allait pour le mieux.

M. Waldman : J'ai actuellement un client qui, de l'avis même du gouvernement du Canada, fera l'objet de torture s'il est expulsé. Malgré cela, les responsables gouvernementaux se proposent de le renvoyer dans son pays parce qu'ils ont déterminé qu'il était plus important d'agir ainsi pour des motifs de sécurité nationale que de protéger cette personne contre la torture.

Si l'on ne tient pas compte du cas de l'Iranien, où les faits peuvent être contestables, on peut affirmer très clairement qu'il ne fait absolument aucun doute que le gouvernement du Canada a décidé qu'il renverrait des personnes dans des pays où elles seront victimes de torture. Si mon client n'a pas été expulsé, c'est uniquement parce que la Cour d'appel fédérale a été saisie de sa cause. Il ne sera donc pas expulsé tant que la Cour d'appel n'aura pas déterminé si la Cour suprême du Canada a laissé ou non la porte ouverte à de telles expulsions dans l'arrêt Suresh.

Le gouvernement a indiqué très clairement, et c'est un fait reconnu dans ses conclusions écrites, que mon client serait torturé, mais on veut quand même le renvoyer dans son pays. On ne parle plus de situation hypothétique. Je ne peux même vous donner le nom de mon client. Il en est question dans les décisions de la Cour fédérale. Il s'agit de l'affaire Sogi.

Devant le Comité contre la torture, le gouvernement du Canada a dû répondre à des questions concernant son interprétation de l'arrêt Suresh qui est censé lui permettre de renvoyer des gens exposés à la torture. Le représentant du gouvernement du Canada a fait valoir qu'on ne l'avait encore jamais fait. Si on ne l'a pas encore fait, c'est uniquement parce que la Cour fédérale ne l'a pas permis. Il faut attendre pour voir si la Cour fédérale et la Cour suprême, dans le cas d'un appel éventuel, détermineront si nous pouvons expulser une personne vers un pays où elle sera torturée.

Je veux faire valoir au comité que de telles pratiques sont inacceptables. En Europe, il est absolument interdit de procéder à une expulsion dans ces circonstances.

Mme Jackman : C'est la même chose en Nouvelle-Zélande.

M. Waldman : Le Canada, qui se targue d'être un pays où les droits de l'homme sont respectés, se propose d'enfreindre l'une des conventions les plus importantes en la matière qui ait été signée depuis la Deuxième Guerre mondiale, soit la Convention contre la torture. L'article 3 de cette convention interdit explicitement l'expulsion vers un pays où la personne sera torturée. Le comité a blâmé le Canada à cet égard. En tant que citoyen canadien, c'est avec embarras que je constate que notre gouvernement est disposé à passer outre à l'un des engagements internationaux qu'il a pris, soit celui de ne pas renvoyer des gens vers un pays où ils seront torturés.

Cette question est venue sur le tapis au Royaume-Uni après la décision de la Chambre des lords à laquelle Mme Jackman a fait référence. La solution retenue, qui a déplu aux groupes de défense des droits de la personne au Royaume-Uni, est l'imposition de mesures de contrôle. Selon la loi adoptée, on ne peut pas renvoyer une personne dans un pays où elle sera torturée, mais s'il est convenu qu'elle constitue une menace pour la sécurité nationale, on peut lui imposer des mesures de contrôle restreignant sa liberté de mouvement.

Le sénateur Smith : Quel est le pays où vous croyez, tout comme le gouvernement canadien, d'après ce que vous nous avez dit, que cette personne serait torturée? Pouvez-vous nous le dire?

M. Waldman : Vous parlez de l'arrêt Sogi. Après examen du dossier de M. Sogi, un responsable du gouvernement du Canada a conclu qu'il serait probablement torturé s'il était renvoyé en Inde. Le gouvernement du Canada n'a pas remis cette conclusion en cause. Malgré cela, le gouvernement a indiqué qu'il devait être expulsé pour des motifs de sécurité nationale.

Mme Jackman : Ils ont pris la même décision dans les cas de Jaballah et Mahjoub en Égypte et de Hassan Almrei en Syrie.

Le sénateur Smith : J'entends bien garder l'esprit ouvert quant aux questions auxquelles vous venez de faire référence. Je suis persuadé que nos collaborateurs seront en mesure d'obtenir l'information disponible figurant dans ces dossiers. J'estime que, tout compte fait, le Canada s'est généralement montré généreux à l'égard des réfugiés. Peut-être parlons-nous uniquement de certains des cas les plus extrêmes.

Je me souviens que lorsque j'étais député, on frappait à ma porte tous les samedis matins pour venir se plaindre notamment, pour des motifs humanitaires, de cas de resquillage au vu et au su de tous, sans fondement réel. Peut-être s'agissait-il de cas particuliers. Je ne veux pas que nous nous retrouvions dans un carcan qui nous empêchera d'aider les gens qui entrent effectivement dans cette catégorie. Lorsqu'on examine le nombre de causes, entre 26 et 28 depuis les tout débuts, et seulement cinq depuis l'entrée en vigueur de la loi que nous examinons, on ne peut pas parler d'une quantité astronomique.

Mme Jackman : Elles sont peu nombreuses, mais elles ont complètement changé et détruit la vie des personnes concernées.

Le sénateur Smith : Je serais seulement curieux de savoir si l'expulsion d'Ernst Zündel a préoccupé quelqu'un parmi vous? Croyez-vous qu'on a suivi les règles établies?

Mme Jackman : Il s'en allait en Allemagne.

Le sénateur Smith : Ce n'était pas ma question.

Mme Jackman : Je ne crois pas qu'il était exposé à un risque de torture. Je pense que le cas d'Ernst Zündel a été traité de façon totalement inappropriée.

Je ne sais pas pourquoi le processus de sécurité a été mis en branle. On aurait pu le laisser passer par le processus normal et il aurait pu être expulsé.

Le sénateur Smith : Combien d'années a-t-il fallu?

Mme Jackman : Le processus a été beaucoup plus long en raison des mécanismes utilisés.

Le sénateur Smith : Est-ce que le résultat final vous inquiète?

Mme Jackman : Est-ce que le fait qu'un homme soit renvoyé dans un pays démocratique pour faire face à des accusations m'inquiète? Non, pas du tout.

Le sénateur Stratton : Il y a des personnes qui sont gardées en isolement cellulaire pendant trois ans, ce qui nous amène à nous demander comment il se fait qu'il n'ait pas été possible de régler la situation plus rapidement. Pourquoi faut-il aussi longtemps? Comme vous l'avez dit, il n'y a aucune limite.

Pouvez-vous nous donner au moins un élément expliquantla lenteur du processus? C'est un problème fondamental qui se pose non seulement au Canada, mais aussi, semble-t-il, en Grande-Bretagne et dans d'autres pays.

Mme Jackman : Cela se limite aux pays du Commonwealth. L'Espagne, l'Allemagne et les autres pays européens n'utilisent pas ce genre de système. C'est comme si les États-Unis, l'Angleterre, l'Australie, la Nouvelle-Zélande et le Canada avaient tous décidé de suivre le courant et de se donner tous les mêmes lois. Cependant, les choses se passent différemment dans les autres pays.

Le sénateur Stratton : Pourquoi est-ce aussi long?

Mme Jackman : Par exemple, dans le cas de M. Almrei, le certificat de sécurité a été délivré en octobre. Il a été gardé en détention et le certificat a été maintenu pour les mois de novembre et décembre 2001, soit juste après le 11 septembre. Ce délai d'attente correspond au temps nécessaire au gouvernement pour décider s'il serait expulsé et exposé à la torture. Une décision a été rendue. Nous avons saisi la Cour fédérale de cette affaire parce que nous savions qu'il serait torturé. Le ministre a reconnu qu'il y avait eu des erreurs dans le processus. L'affaire a donc été examinée de nouveau. Pour une deuxième fois, le ministre a décidé de l'expulser malgré les risques de torture. Nous en avons saisi la Cour fédérale. Après examen du dossier, la Cour a annulé la décision et renvoyé l'affaire au ministre. C'est donc la troisième fois que le ministre doit trancher dans ce dossier parce qu'il commet des erreurs à chaque occasion. Ce n'est pas la faute de l'intimé.

M. Waldman : La raison fondamentale est reliée au processus, mais à la base de tout cela, même si un petit nombre de gens sont en cause, il faut considérer qu'il s'agit de cas extrêmes et, comme nous le savons tous, les démocraties sont évaluées en fonction de leur capacité à traiter les cas les plus difficiles, et non les plus faciles. En l'espèce, nous parlons de gens qui sont terrifiés à la perspective de retourner dans leurs pays parce qu'ils craignent d'être torturés. Comme Mme Jackman l'a indiqué, mon client, Sogi, est détenu à Montréal dans un centre de surveillance depuis plus de trois ans. Il n'est pas du tout à son aise, mais plutôt que de retourner chez lui pour être torturé, il préfère encore demeurer au centre de surveillance. Tant que nous n'aurons pas une décision définitive de la Cour suprême du Canada ou de la Cour d'appel fédérale quant à la possibilité de renvoyer ces gens vers un pays où ils seront torturés, la détention pourrait se poursuivre pendant des années, parce que c'est la principale question à régler.

La Cour suprême du Canada a rendu l'arrêt Suresh, qui nous a tous laissés croire qu'on ne pouvait pas envoyer des gens à la torture. Toutefois, nous avions tort. Selon l'interprétation du gouvernement, il y a une phrase dans cet arrêt qui permettrait de le faire dans des circonstances exceptionnelles. Au cours des trois dernières années, on a voulu excuser d'énormes abus en invoquant cette très petite exception que la Cour suprême du Canada a laissé entrevoir.

La première chose qu'il faut faire en tant que société, que ce soit par les tribunaux ou par les gouvernements, c'est de décider si nous voulons suivre l'exemple des pays comme le Royaume-Uni, qui disent: « Nous n'enverrons personne à la torture et nous devons trouver une solution de rechange lorsque nous traitons de ce petit groupe d'individus suspects », ou encore si nous voulons nous soustraire à nos obligations internationales et envoyer des gens à la torture. Lorsque cette question sera réglée, je crois qu'on pourra accélérer le processus.

Mme Jackman : Je ne suis pas de cet avis, parce qu'à l'heure actuelle, le gouvernement reconnaît que des gens seront soumis à la torture et qu'il les renverra quand même en cas de « circonstances exceptionnelles ».

Si les tribunaux nous donnent raison parce que nous faisons valoir qu'ils ne peuvent être envoyés à la torture, parce que c'est absolument interdit, alors les fonctionnaires du ministre diront que ces gens ne seront pas soumis à la torture, même si la preuve documentaire laisse croire le contraire. Lorsqu'ils auront décidé de les renvoyer, nous finirons encore une fois devant les tribunaux. On ne peut pas éviter le processus judiciaire, comme je le souhaiterais. C'est terrible.

Le sénateur Stratton : Je peux comprendre cela, et j'imagine que c'est un fait admis. On dit que ce sont des personnes suspectes, et il semblerait qu'elles le sont puisqu'elles ont été gardées si longtemps. Sinon, pourquoi les aurait-on détenues? Voilà la question sous-jacente; si ces personnes sont suspectes, alors il y a peut-être anguille sous roche. Cela suppose qu'il y a quelque chose que nous ne sommes peut-être pas en mesure de prouver; par conséquent, nous abordons le problème en retardant les choses. Vous retardez le processus en disant: « Vous ne pouvez pas faire cela, vous ne pouvez pas déporter cette personne », et le gouvernement réplique: « Oui, mais ces personnes-là sont suspectes. Nous ne les laisserons pas en liberté ». Vous ne le pouvez pas.

Je ne sais pas si c'est juste, mais s'ils disent encore après trois ans que ces personnes sont suspectes, elles le sont peut- être. Il y a peut-être un problème auquel il faut s'attaquer. C'est là ce qui me préoccupe.

Mme Jackman : Au cours d'une réception à laquelle j'ai assisté à Santiago, au Chili, avec un député et quelques Chiliens — nous parlions de la détention des prisonniers politiques au Chili — un ambassadeur canadien a dit à Svend Robinson, qui était là également: « Ces personnes ne seraient pas en prison au Chili si elles n'avaient rien fait. » Or, chaque personne autour de cette table, y compris Ricardo Lagos, qui est aujourd'hui président du Chili, avait déjà été incarcérée. Il a tenu ces propos devant le chef de la commission des droits de la personne, le chef des principaux partis démocratiques et Ricardo Lagos, un socialiste, qui avaient tous fait de la prison. Vous devez vous montrer prudent, parce qu'il y a là une question de nuance. Je crois qu'ils s'en prennent parfois à certaines personnes — en fait, Paul Kennedy l'a admis — et qu'ils en établissent le profil pour avoir un impact sur une communauté, pour que la détention ne soit pas nécessaire.

Dans l'affaire Suresh, par exemple, ils ont cru qu'il s'agissait d'un dirigeant de la communauté tamoule. C'était un chef de cette communauté. L'affaire a eu un effet de refroidissement sur la communauté. Ils auraient pu s'asseoir avec les Tamouls et dire: « Écoutez, nous ne voulons pas que vous appuyiez les TLET », au lieu de l'incarcérer pendant deux ans et demi à la prison Don pour faire valoir leur point de vue.

Dans une certaine mesure, je ne crois pas que la détention est nécessairement justifiée dans tous les cas. Vous devez chercher des solutions de rechange à l'emprisonnement. Vous devez aussi vous demander pourquoi seuls des non- citoyens se retrouvent en prison. Dans le cas de M. Almrei, il aurait eu des contacts avec M. Al-Quisi, un citoyen canadien et une personne suspecte aux yeux du SCRS. Il n'a jamais été emprisonné. Il suscite le même degré d'inquiétude que M. Almrei. Je ne crois vraiment pas qu'ils doivent les garder en prison tout ce temps. Je crois que des mesures restrictives pourraient apaiser les inquiétudes, selon le degré de risque. Les risques que représente M. Almrei ont été réduits au plus bas niveau possible au Toronto West Detention Centre.

M. Waldman : J'aimerais faire suite à votre commentaire une fois de plus. C'est important de le faire, à la lumière de ce que nous avons appris de l'affaire Arar.

Comme Mme Jackman l'a fait remarquer, un des principaux aspects de l'affaire Arar, c'est qu'il s'agissait d'un citoyen canadien. Beaucoup de documents n'ont pas été divulgués. Nous savons qu'une conversation a eu lieu entre un agent de la GRC et un porte-parole des autorités américaines avant la déportation de M. Arar. Une grande partie de cette conversation a été censurée, mais d'autres parties ne l'ont pas été; on disait notamment « C'est un citoyen canadien, nous devons donc le laisser entrer ». Il est très clair pour moi que si M. Arar n'avait pas été citoyen canadien, on aurait envisagé la possibilité d'utiliser un certificat de sécurité contre lui.

Gardons à l'esprit ce que nous savons maintenant par rapport à ce que nous savions lorsqu'il a été arrêté et posons- nous la question suivante : parce que les services de sécurité estiment qu'une personne peut être dangereuse, pouvons- nous accepter cette hypothèse sans poser de questions? Rappelons-nous ce qui est arrivé à la commission du 11 septembre aux États-Unis, où on a parlé d'importantes erreurs des services de renseignement, et transposons cela à ce que nous savons de M. Arar. Le gouvernement a divulgué aujourd'hui des documents que nous avons réclamés.

Ces documents nous apprennent essentiellement que M. Arar ne faisait pas l'objet d'une enquête au Canada, mais qu'il suscitait un certain intérêt en raison de ses liens avec d'autres personnes.

Nous avons entendu tout cela; nous savons qu'il est Canadien, que les Américains ont prétendu qu'il était membre d'al-Qaïda, selon les renseignements canadiens, et que les Canadiens ont dit que ce n'était pas suffisant pour l'accuser ou même pour mener une enquête sur lui. Peut-on présumer qu'une personne est dangereuse seulement parce que les services de sécurité le prétendent?

Je m'occupe de M. Sogi depuis près de trois ans maintenant. Le gouvernement dit qu'il s'agit d'une personne très dangereuse. Tout ce que j'ai vu, ce sont des articles de journaux et des renseignements sur l'organisation dont il dit faire partie. Accepter ces preuves à première vue ne me satisfait pas beaucoup, en sachant qu'il n'y a eu aucune procédure où elles auraient pu être contestées par une personne représentant les intérêts de M. Sogi.

Il y a eu une procédure pour les cinq personnes qui sont détenues maintenant, mais les gens qui les représentent sont d'avis qu'il y a eu des erreurs fondamentales parce que toutes les preuves ont été évaluées en secret et qu'aucune personne représentant les intérêts de ces gens, ou même une personne indépendante comme un amicus, n'était dans la salle pour contester ces preuves. On s'en remet au juge de la Cour fédérale ou au juge de l'immigration, selon la procédure utilisée par le gouvernement, pour mettre les preuves en doute, ce qui n'est pas le rôle que nous attribuons habituellement aux juges, un rôle qui, à notre avis, leur est extrêmement difficile à assumer. Cela n'est pas très rassurant.

Il est clair que le SCRS croit que ces personnes sont très menaçantes, et un certain juge a examiné les preuves fournies par le SCRS et les a acceptées, mais il n'y avait pas de partie indépendante pour les contester.

Le sénateur Stratton : Je croyais que le juge était indépendant.

M. Waldman : Le rôle du juge est de rendre une décision.

Le sénateur Stratton : Je ne veux pas argumenter, mais il me semble qu'il y a une question à laquelle on n'a pas répondu.

M. Brouwer : Le certificat de sécurité est délivré à la suite d'une procédure que nous ne pourrions jamais considérer comme acceptable pour les citoyens canadiens. Tant que nous n'aurons pas une procédure conforme au principe d'application régulière de la loi que nous exigeons pour tout citoyen canadien, nous ne saurons pas si la détention de ces personnes est justifiée. Il faut une procédure pour pouvoir au moins contester la détention et forcer le gouvernement à fournir des preuves complètes et justes et pour que la décision soit prise par une partie indépendante.

Mme Jackman : Vous pouvez formuler un ensemble de règles d'équité communes. Dans l'arrêt Harkat, le juge Dawson a fait un excellent travail pour vérifier la preuve. Dans l'affaire Suresh, le juge Teitelbaum a fait cette vérification en contre-interrogeant l'avocat du ministre — l'avocat, et non un témoin.

Il n'y a pas de procédure commune. La Cour d'appel a dit que le Parlement devait établir une procédure équitable. Une recommandation pourrait être faite en ce sens. S'ils n'ont pas l'intention de le faire par souci d'équité, lorsqu'un tribunal administratif juge la procédure équitable et que la cour n'est pas de cet avis, on pourrait au moins recommander l'adoption de règles normalisées sur ce qui est équitable.

Le sénateur Lynch-Staunton : Monsieur Waldman, savons-nous quels sont les renseignements que les autorités canadiennes ont envoyés aux Américains et qui ont conduit à la détention de M. Arar?

M. Waldman : Il a été dit publiquement qu'un disque compact comportant beaucoup de renseignements a été envoyé. Nous ignorons les détails Il a été reconnu officiellement, par exemple, que le SCRS menait une enquête de sécurité nationale relativement à une soi-disant cellule d'al-Qaïda à Ottawa et, après le 11 septembre, il a été décidé de transférer du SCRS à la GRC bon nombre d'enquêtes pouvant conduire à des accusations criminelles. Une unité appelée « O Canada » a été mise sur pied sous la direction de la GRC, dont faisaient partie des représentants de la police provinciale de l'Ontario et du service de police d'Ottawa. On menait une enquête de sécurité nationale relativement à d'autres individus auxquels M. Arar a été associé. Il a été vu avec l'un de ces individus et, par conséquent, de nombreux renseignements sur lui ont été envoyés aux États-Unis.

Nous ne savons pas exactement tout ce qui a été envoyé, mais il a été confirmé qu'il y avait beaucoup d'informations.

Le sénateur Lynch-Staunton : Je ne veux pas prendre partie, mais vous avez parlé de « mésinformation » tout à l'heure. Comment pouvons-nous parler de mésinformation si nous ne savons pas quelle était cette information?

M. Waldman : Je ne crois pas avoir utilisé le mot « mésinformation ».

Le sénateur Lynch-Staunton : Une information trompeuse?

M. Waldman : C'était clairement une information trompeuse.

Le sénateur Lynch-Staunton : Si vous ne savez pas quelle était cette information, comment pouvez-vous en arriver à cette conclusion?

M. Waldman : Nous savons qu'à la lumière de cette information, les Américains ont conclu que M. Arar était membre d'al-Qaïda, tandis que les autorités canadiennes ont affirmé ne pas avoir suffisamment d'information pour l'accuser ou même pour justifier la tenue d'une enquête à son sujet.

Le sénateur Lynch-Staunton : Avons-nous vu quels étaient les renseignements qu'avaient les Américains?

M. Waldman : Dans son témoignage aujourd'hui, M. Graham a clairement indiqué que les Américains ont fondé leur décision uniquement sur les renseignements canadiens, ce qui a été confirmé dans les documents que nous avons vus. Si l'information sur laquelle se sont fondés les Américains pour conclure que M. Arar était membre d'al-Qaïda n'était pas suffisante pour justifier la tenue d'une enquête à son sujet et qu'elle faisait de lui seulement un sujet d'intérêt, parce qu'il avait été vu avec d'autres personnes qui pouvaient être des membres d'al-Qaïda, on peut douter des conclusions que les Américains ont tirées à la lumière de cette information. Quoi qu'il en soit, cette affaire nous ramène à la question dont j'ai parlé avant l'arrivée de Mme Jackman. Lorsque nous partageons des renseignements avec des régimes et des gouvernements qui n'ont pas les mêmes vues que nous au chapitre des droits de la personne, quelles mesures de protection devons-nous mettre en place pour nous assurer que ce partage d'information ne mène pas à la violation des droits des citoyens canadiens?

Le sénateur Lynch-Staunton : Je ne peux réfuter cet argument.

Quelque temps après le retour de M. Arar, le gouvernement du Canada a annoncé qu'il avait conclu un accord avec lesÉtats-Unis pour qu'il n'y ait plus aucun renvoi unilatéral d'un citoyen canadien des États-Unis sans que le Canada ne soit consulté. Un témoin qui a comparu devant le comité a confirmé cet accord et devait nous en envoyer une copie. Je ne crois pas que nous l'ayons reçue.

Êtes-vous au courant de cet accord? Le cas échéant, pouvez-vous nous dire dans quelle mesure il est contraignant?

M. Waldman : Je peux vous mettre en contexte. Après le retour de M. Arar au Canada, une enquête publique a été réclamée à grands cris. Je le sais parce que j'ai examiné des documents du Cabinet pour préparer le contre- interrogatoire des témoins plus tard cette semaine. Le Canada a mis sur pied une stratégie en trois volets : l'examen du SCRS par le CSARS, la commission pour l'examen des plaintes publiques par Mme Heafey et un accord avec les États- Unis.

Fait intéressant, on remarque des changements subtils d'approche dans les documents du BCP. Dans certains documents, on disait que la déportation d'un citoyen canadien devait être approuvée par le Canada. En bout de ligne, tout ce qu'on a pu obtenir dans le protocole d'entente, c'est que le Canada serait consulté. Or, selon les propres documents du gouvernement, ceci n'a aucun effet juridique parce qu'il ne s'agit pas d'un traité, mais d'un simple protocole d'entente.

L'ambassadeur des États-Unis au Canada, M. Cellucci, a dit très clairement que les États-Unis se réservent encore le droit de décider de déporter un citoyen canadien s'ils jugent que c'est dans l'intérêt national de le faire. Cet accord ne garantit pas que des Canadiens ne seront pas déportés par des Américains. Il ne fait qu'établir qu'il y aura une certaine forme de consultation avant que les Américains ne prennent une décision.

Cet aspect est important à retenir.

Il importe aussi de noter que le partage de renseignements ne touche pas seulement des gens comme M. Arar qui séjournent aux États-Unis. Ce partage peut entraîner la détention de Canadiens dans d'autres pays que les États-Unis, comme l'a montré le client de Mme Jackman, M. Nureddin, qui a été détenu en Syrie et a fait l'objet d'abus en raison de renseignements provenant du Canada.

Lorsqu'on parle du partage de renseignements, il ne faut pas croire que les États-Unis en sont les seuls destinataires. Deux scénarios sont possibles. Une fois que nous avons transmis des renseignements aux États-Unis, les Américains peuvent les transmettre à qui bon leur semble. C'est déjà arrivé. Par ailleurs, nous pouvons envoyer l'information directement à un autre pays. Nous ne partageons pas de l'information seulement avec les États-Unis. La question qui se pose est la suivante : lorsque nous partageons des renseignements avec un pays qui ne respecte pas les droits de la personne de la même manière que nous, comment pouvons-nous garantir que des abus ne sont pas commis à l'endroit des citoyens canadiens visés par cette information?

J'ai un client qui fait l'objet d'une enquête de sécurité nationale parce qu'il filmait la tour du CN. Cet incident a eu des suites l'an dernier. Une enquête a été entreprise parce que des gens se sont plaints. L'enquête pouvait être légitime au départ, mais il semble que des renseignements ont été envoyés à l'extérieur du Canada à un moment donné. Même s'il a été conclu que les allégations n'étaient pas graves, le fait que cette information a été partagée à l'extérieur du Canada a conduit à son arrestation et à sa détention en Égypte, où on lui a bandé les yeux et on l'a enchaîné pendant deux semaines, période durant laquelle on l'a interrogé sur des renseignements provenant du Canada.

Les problèmes surviennent non seulement lorsque l'information est envoyée aux États-Unis. Les problèmes liés au partage de renseignements commencent lorsque vous envoyez des informations dans le cyberespace. Savons-nous qui verra cette information au bout du compte, et devrions-nous savoir quelles pourraient en être les conséquences si l'information tombe entre les mains d'un régime qui ne respecte pas les droits de la personne?

Le sénateur Lynch-Staunton : Pourrions-nous rappeler aux représentants que nous avons effectivement demandé cet accord? Maintenant que M. Waldman nous a donné des précisions, il est important que nous prenions connaissance du texte.

Le sénateur Joyal : Concernant votre dernière réponse, qui porte sur le mécanisme intégré d'échange de renseignements que vous avez évoqué dans votre déclaration, je me rends compte que les renseignements ne sont pas tous exacts. Autrement dit, nous vivons dans un monde de désinformation et de règlements de compte. Si nous devons échanger des renseignements, nous devons être convaincus dans une certaine mesure qu'ils sont exacts. Cela m'apparaît comme la première précaution à prendre. Sinon, nous mettrions en péril des gens qui n'ont rien à se reprocher. Comment pouvons-nous nous assurer que les renseignements sont exacts avant de les échanger?

De plus, même si nous ne devrions pas collaborer à cet égard avec les pays qui n'ont pas la réputation du Canada en matière de protection des droits de la personne, il n'en demeure pas moins, comme vous l'avez dit assez clairement, que nous ne pouvons plus exercer aucun contrôle lorsque l'information est divulguée.

Si nous prenons votre proposition au pied de la lettre, l'échange de renseignements ne comporte-t-il pas en fait un risque permanent dans la situation actuelle? Dans l'affirmative, est-ce un aspect avec lequel nous devons composer comme « société libre » dans le cadre des ententes sur l'échange de renseignements que le Canada a conclues avec bon nombre de ses partenaires?

M. Waldman : Je prends bonne note de vos questions. J'en ignore les réponses. Je peux simplement vous indiquer que, comme société, nous devons au moins envisager cette question et la débattre. La lecture des documents du Cabinet vous montre très clairement que nous devons avant tout continuer à échanger des renseignements, particulièrement avec les États-Unis, parce que nous obtenons d'eux d'avantage d'information que nous leur en donnons. Il est extrêmement important que nous puissions continuer d'échanger avec les Américains des renseignements sur les enquêtes en matière de sécurité nationale. Je peux comprendre ce point.

Cependant, il faut poser précisément la question que vous avez formulée, et c'est ce qui se produit, je crois, maintenant à cause de l'affaire Arar et des autres affaires qui ont été portées à l'attention du grand public. Comment pouvons-nous échanger des renseignements? Si l'échange de renseignements entraîne des préjudices, quelles mesures prenons-nous?

J'ignore les réponses à ces questions. Il est de toute évidence illogique d'affirmer que nous ne pouvons jamais échanger des renseignements; ce n'est pas quelque chose que nous pourrions éventuellement accepter. Je crois qu'il faut essayer de trouver un équilibre. Reconnaissant que nous devons échanger des renseignements, nous devons insister pour que les autorités à tout le moins envisagent les risques que cela entraînera pour les citoyens canadiens, prennent toutes les mesures de précaution raisonnables dans la mesure du possible et évaluent les circonstances justifiant l'opportunité d'échanger ou de ne pas échanger des renseignements. Comme vous l'avez indiqué, des renseignements bruts sont susceptibles de mettre en danger quelqu'un s'ils sont divulgués à un régime donné, mais c'est tout à fait invérifiable.

Je fais simplement valoir qu'il faut débattre de cette question dans la société civile pour encadrer précisément l'échange de renseignements. Les événements du 11 septembre nous ont bouleversés. Nous avons ouvert les vannes et nous avons simplement commencé à échanger des renseignements sans même songer aux conséquences.

Trois ans se sont écoulés depuis, et le temps est venu de se dire : « Il faut échanger des renseignements, mais le cas échéant, sur quelles mesures de précaution devons-nous insister? » Votre conclusion sera peut-être différente de la mienne. C'est clairement fonction du point où vous établissez l'équilibre.

Mme Jackman : Il faut se demander à quoi sert l'échange de renseignements. Pourquoi faut-il donner des renseignements? Dans l'affaire Nureddin, on échangeait, semble-t-il, des renseignements aux fins de l'interrogatoire dans un autre pays; que les autorités syriennes posaient à M. Nureddin les mêmes questions au sujet des mêmes personnes et des mêmes organisations que les responsables de la sécurité au Canada.

Nous ne devrions pas échanger de renseignements à moins qu'il y ait une raison de le faire. C'est aussi simple que cela. Si nous avons des doutes au sujet d'une personne qui fait l'objet d'une enquête et qui est en voyage, nous pouvons demander un rapport d'observation si nous pensons qu'elle rencontrera quelqu'un. Nous ne sommes pas tenus d'échanger des renseignements. Nous pouvons dire : « Indiquez-nous qui cette personne rencontre à part les membres de sa famille. » Il n'y aura pas de détention si une telle demande est transmise à un État.

Ce n'est malheureusement pas ce qu'ils font. Ils transmettent aux autres pays toutes les hypothèses et les rumeurs qu'ils ont obtenues au sujet de ces gens. Je ne pense pas que cela ait sa raison d'être. Il n'est pas dans notre intérêt que des gens soient torturés. Cela n'est d'aucune utilité pour notre pays.Si nous avons l'intention de mettre ces personnes en accusation, faisons-le. Nous ne voulons pas que ce soit la Syrie qui le fasse. Ce n'est pas équitable. Ce sont des citoyens canadiens.

Le sénateur Joyal : Ma deuxième question porte sur le rôle ou le statut du juge qui examine la preuve présentée à l'appui du certificat de sécurité.

Il n'est pas vrai que le juge se retrouve dans la position impossible d'agir à la fois comme interrogateur et arbitre? Autrement dit, un juge chevronné par rapport aux questions de sécurité pourrait exécuter une enquête beaucoup plus exhaustive de concert avec le représentant du ministère ou de la Couronne qu'un juge qui n'est pas expérimenté à ce chapitre. Le juge serait alors plus enclin à croire ce qu'on lui expose, particulièrement en ce qui concerne les « motifs ». Dans la version anglaise, c'est « believable grounds » qui constitue le critère et non pas « reasonable grounds ». Ce sont deux concepts différents. Un juriste peut établir la distinction s'il doit rendre un jugement sur la preuve.

N'avons-nous pas établi une protection juridique qui a modifié la nature du système judiciaire? C'est pourquoi, si nous adoptions la proposition britannique, comme l'a souligné le sénateur Jaffer, il faudrait désigner un conseiller pour que le juge joue le rôle d'arbitre entre les parties opposées, ce qui maintiendrait les principes du système. Sinon, la décision serait prise d'un simple coup de dé. Vous ne savez pas exactement comment vous parviendriez à rendre une décision équitable pour tous.

M. Brouwer : Si je peux simplement vous résumer le point de vue du CCR, je vous répondrai que votre argument est tout à fait valable et débouche sur au moins deux conclusions. Premièrement, l'examen devrait être exécuté par un organisme plus compétent, comme le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité. Même si un procureur spécial était désigné, l'affaire sera encore entendue par un juge de la Cour fédérale qui ne possède peut-être pas l'expérience nécessaire pour apprécier la preuve. Il faut également un conseiller indépendant.

Il y a également le point se rapportant à votre première question, c'est-à-dire la fiabilité de l'information et de la preuve. Votre question portait sur les éléments que nous divulguons. Il est également question de l'information provenant d'autres gouvernements, dont un bon nombre s'intéressent particulièrement à la personne faisant l'objet de l'enquête, et demandée aux fins des certificats de sécurité. Encore une fois, il faut vraiment disposer de critères exhaustifs pour apprécier la preuve. Sans un conseiller, cela est impossible devant la Cour fédérale.

Mme Jackman : Les sénateurs Joyal et Jaffer ont fait allusion au système britannique. Il s'agit de recourir à un CSARS. Les Britanniques nous ont copiés à cet égard. Initialement, c'était l'affaire Jahal. Il était question de la Cour fédérale, alors qu'il aurait fallu le CSARS. Il s'agit de la décision de la Cour européenne des droits de l'homme. Les Britanniques ont adopté notre système. Lorsque vous faites allusion au système, vous devriez préciser qu'il s'agit du système inhérent au CSRAS.

Le sénateur Joyal : Pour une fois, nous avons inventé quelque chose que les Britanniques ont adopté.

Ma troisième question porte sur les propos de M. Brouwer au sujet de la soi-disant mondialisation de la lutte contre le terrorisme. Il m'apparaît paradoxal — et je l'ai déjà indiqué ici — que, lorsque le Canada détermine qu'un immigrant constitue un danger pour la sécurité, nous — et j'utiliserai une expression familière — refilons l'affaire à quelqu'un d'autre. Nous nous en lavons les mains par rapport à cette personne.

Si nous nous préoccupons de la sécurité mondiale, nous devrions nous intéresser au sort de cette personne, qu'il faudrait traiter à l'aide d'un moyen quelconque dans le système mondial. Personne ne nous a indiqué le rôle que le Canada devrait jouer à l'égard de cette question sur le plan international. Autrement dit, dans un monde où le Canada comptera de plus en plus sur l'immigration pour renouveler sa main d'œuvre et accueillera davantage d'immigrants, il devra composer, au cours des années à venir, avec le risque que plus d'immigrants seront susceptibles de poser un problème en matière de sécurité. Ils demeureront là où ils sont.

En matière d'immigration, nous devons nous demander quel régime nous souhaitons pour satisfaire à nos besoins, non seulement au chapitre de la main-d'œuvre, mais également sur le plan de la sécurité, afin que celle-ci soit assurée par les autres pays.

Mme Jackman : Dans le National Post du 29 septembre 2000, on donne un bon exemple de la façon dont Oussama ben Laden s'est servi du Canada pour préparer son procès à Paris. M. Adnani a obtenu le statut de réfugié au Canada, où il a été appréhendé et identifié comme un violent extrémiste islamiste. Le Canada aurait pu l'accuser d'infractions criminelles — vol, fraude, et cetera. Il l'a plutôt expulsé à destination de la Bosnie, qui lui a accordé la citoyenneté. Il a été en liberté jusqu'à ce que, deux ou trois ans plus tard, la France convainque les Bosniaques de l'extrader pour qu'il puisse être mis en accusation en France. Nous avons expulsé un extrémiste soupçonné de violence qui pouvait ainsi exécuter ses activités jusqu'à ce qu'un pays assume ses responsabilités et intente des poursuites contre lui. En vertu de nos obligations internationales, nous devons extrader ou poursuivre les personnes qui commettent des actes criminels, et non les remettre en liberté dans un autre pays. Nous ne faisons qu'exporter le problème, comme l'a indiqué M. Brouwer.

En ce qui concerne les gens qui risquent la torture, vous devez les assujettir à des mesures restrictives au Canada. C'est la solution qui s'impose. Vous ne pouvez pas les incarcérer. Vous pouvez cependant leur imposer de telles mesures. Dans le fond, à quoi peuvent-ils servir alors? Prenez l'exemple de M. Jaballah et de ses six enfants. Si les accusations dont il faisait l'objet s'étaient avérées, à quoi peut-il servir aujourd'hui? Il mène une vie normale, s'occupant de ses six enfants. Il est restreint dans ses activités parce que le SCRS l'a à l'œil tout comme la communauté internationale, à condition, naturellement, que l'information le concernant soit vraie.

M. Brouwer : Plusieurs résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU ont porté sur le terrorisme. On continue de faire valoir que les membres de la communauté internationale doivent recourir à l'extradition et aux poursuites.

Le gouvernement canadien prend des mesures absolument irrationnelles à l'égard de non-citoyens qu'il accuse de présenter une menace pour la sécurité. C'est illogique.

Le sénateur Joyal : Proposeriez-vous que nous changions la loi pour établir une liste où figurerait le nom des personnes considérées comme une menace à la sécurité, liste qui serait révisée par un tribunal à intervalles réguliers? Si, après plusieurs années, telle personne semble avoir repris une vie normale, le tribunal pourrait alors revoir les conditions qui lui ont été imposées. Il faudrait préciser le régime dont disposerait le tribunal pour que des règles bien définies puissent être mises en œuvre afin garantir que nous respectons nos obligations nationales et internationales, et que nous assurons la sécurité sur ces deux plans.

M. Waldman : Au Royaume-Uni, le tout est examiné systématiquement tous les 12 mois. Les lois antiterroristes de nos pays sont similaires, mais celles du Royaume-Uni ont une portée plus grande. Au Canada, vous pouvez détenir une personne en vertu de Loi antiterroriste s'il y a des motifs raisonnables de croire qu'elle est sur le point de commettre une infraction. Au Royaume-Uni, si les autorités ne croient pas qu'une telle personne est sur le point de commettre une infraction mais si elles sont d'avis qu'elle constitue une menace pour la sécurité nationale, elles peuvent lui imposer des mesures restrictives.

La mesure de notre action est fonction de ce qui est jugé nécessaire par le Parlement.

Cependant, il n'en reste pas moins que nous nous acquittons mieux de nos obligations internationales lorsque nous nous attaquons au problème au lieu de laisser quelqu'un d'autre s'en occuper. S'attaquer au problème peut signifier recourir aux poursuites ou à l'extradition, ou encore, si la preuve ne permet pas si l'une ou l'autre de ces deux solutions, assujettir les personnes à des mesures de contrôle pour nous assurer qu'elles ne pourront pas mener, au Canada ou ailleurs, des activités susceptibles de représenter une menace à la sécurité. Nous esquivons nos obligations internationales en essayant de refiler le problème à un autre pays.

M. Brouwer : Vous avez évoqué l'appartenance à un groupe fichée. C'est un point qu'ont fait valoir plusieurs témoins devant vous, et je crois que je l'ai fait également, mais nous nous interrogeons beaucoup sur les motifs justifiant qu'une organisation figure sur la liste, sur les organisations qui sont fichées et sur le sens qu'implique vraiment l'expression « appartenance à une organisation » dans le contexte de la sécurité en matière d'immigration. Actuellement, ladite liste est très exhaustive puisqu'elle englobe les organisations d'aide humanitaire, ce qui est tout à fait inacceptable.

Le sénateur Jaffer : L'une de mes questions découle des propos de mon collègue, le sénateur Joyal, au sujet du système accusatoire du Canada par rapport à celui de la France, notamment, qui repose sur l'enquête. D'après ce qu'a fait valoir Mme Jackman particulièrement, c'est de toute évidence là que les juges rencontrent un obstacle insurmontable parce qu'ils ne sont pas habitués au système reposant sur l'enquête. Il serait utile que nous sachions comment, d'après vous, les juges gèrent une telle transition. Ils n'ont reçu aucune formation. Ils ont acquis une partie de leur formation lorsqu'ils étaient avocats et utilisaient la procédure. Notre procédure n'est pas fondée sur l'enquête.

Mme Jackman : Le système évolue au sein de la Cour fédérale et devient plus équitable parce que les juges Lufty et Noël ont été nommés à la magistrature, les deux ayant été des procureurs indépendants au SCARS. Ils savent donc comment fonctionnait le système. La procédure au sein de la Cour fédérale est en vigueur depuis 12 ans. Les juges n'interrogeaient pas les témoins. Ils pouvaient simplement lire les affidavits. Ils pouvaient éventuellement contre- interroger l'avocat, mais ils n'interrogeaient pas les témoins. C'est uniquement lorsque deux juges au courant de la procédure équitable ont été nommés à la magistrature que la Cour a commencé à changer sa façon de faire. Je pense que la principale raison était le manque d'expérience à cet égard. On espère maintenant qu'une formation interne permanente sera donnée à la Cour fédérale. Maurice Archdeacon, l'homme que j'ai qualifié de spécialiste capable de donner une procédure équitable à un procès secret, est maintenant consultant à la Cour fédérale.

Certains efforts favorisent le changement, mais ils ne sont pas imputables à la formation des juges mais au fait que deux nouveaux juges savaient comment le tout pouvait se dérouler correctement.

Le sénateur Jaffer : Mon autre question est la suivante : pourquoi le gouvernement est-il passé du CSARS à la Cour fédérale? Quel a été le motif?

Mme Jackman : Je pense, qu'on essayait de réduire les étapes. Lorsque l'affaire était entendue devant le CSARS, la Cour fédérale pouvait réviser la décision prise par ce comité. On essayait de passer directement d'une décision administrative — la personne pose un risque et le ministre signe le certificat — à la Cour fédérale sans qu'il n'y ait une étape intermédiaire. C'est plus efficace sur ce plan. Cependant, il existe des façons de structurer le tout, notamment en augmentant le CSARS. Les membres du CSARS se rendaient dans différentes villes pour tenir les audiences afin d'entendre ces genres d'affaires, parce qu'ils étaient saisis auparavant des affaires portant sur les ressortissants étrangers et les résidents permanents.

Le CSARS ne compte que cinq membres. Il faudrait donc l'augmenter pour qu'il soit plus efficace. Le gouvernement souhaiterait vivement que les gens ne puissent pas obtenir une révision judiciaire de la décision les concernant, ce qui s'impose et ce qui n'est qu'équitable après la décision rendue par le CSARS. Que le CSARS entende ou non ces affaires, vous ne pourriez pas éliminer cette étape, et ce n'est que le premier niveau à la Cour fédérale; si vous examinez l'historique de n'importe quelle de ces affaires, vous constatez qu'elles sont si complexes sur le plan juridique, parce que, dans la plupart des cas, il s'agit de renvoyer quelqu'un à la torture. Comme avocats de la défense, nous prenons toutes les mesures juridiques possibles pour défendre nos clients si nous croyons qu'ils seront torturés s'ils sont renvoyés dans leur pays d'origine.

Par conséquent, je ne crois pas que le processus du CSARS prenne plus de temps que l'actuel processus — et je ne crois pas que ce fut le cas, dans le passé. Il y a un mois, j'ai demandé que la cour accélère la révision d'une décision en matière de détention. Voilà une autre personne en prison pour quatre ans en attendant la révision ordinaire de sa détention. Je n'ai pas eu de nouvelles de la Cour fédérale. Je pourrais déposer un habeas corpus auprès de la cour supérieure de l'Ontario le vendredi et avoir la réponse dès le lundi suivant. La Cour fédérale n'est pas organisée de manière à traiter ce genre de cas. Elle n'a pas les priorités voulues ou le nombre requis de juges. Ce n'est pas comme les cours criminelles qui réagissent tout de suite et dans lesquelles des juges sont de service pour entendre les causes d'urgence. Ce n'est pas ainsi qu'a été établie la Cour fédérale.

Le sénateur Jaffer : Nous avons parlé de ce qui se passaitau Royaume-Uni. Ils n'ont pas notre Charte. La Charte vous facilite-t-elle la tâche?

Mme Jackman : J'ai rédigé un document que je peux fournir au comité et dans lequel j'explique pourquoi la Charte n'est pas aussi efficace qu'elle devrait l'être. Il règne une espèce de deux poids, deux mesures. La Charte nous aide effectivement dans notre travail, mais le point de départ pour une analyse en vertu de la Charte est le statut de la personne au Canada. On y a recours, je crois, pour minimiser l'importance des droits.

Par exemple, dans la décision rendue par la cour d'appel dans l'affaire Ahani, les juges ont dit que l'article 7 de la Charte n'était pas enfreint parce qu'il n'y avait pas eu d'habeas corpus, de libération sous caution, rien, pendant une période indéfinie. Ils avaient pour raisonnement que l'article 7 devait être examiné à la lumière du fait que la personne n'était pas un citoyen canadien. La détention est une privation de liberté. C'est la privation d'un droit de la personne, non pas du droit d'un citoyen. Ce n'est pas une question de liberté civile, mais bien de droit de la personne. La Charte n'est pas aussi efficace qu'elle pourrait ou devrait l'être.

La citoyenneté a une influence quand il est question de demeurer au Canada ou de partir. C'est bien ainsi que cela devrait être. Il le faut. Cependant, quand il est question de détenir une personne ou de la torturer, la citoyenneté ne devrait pas avoir d'importance. C'est un droit de la personne et un droit important, de sorte que la Charte n'est pas aussi efficace qu'elle pourrait l'être. Nous l'invoquons et nous continuerons de le faire et, avec un peu de chance, les cours élargiront la protection au fil des ans.

Le sénateur Jaffer : Je crois savoir que trois d'entre vous ont parlé du fait que, devant un tribunal de l'immigration, des experts viennent témoigner sur ce qui se passe, par exemple, en Palestine ou en Égypte. N'est-ce pas également le cas à la Cour d'appel fédérale?

M. Waldman : Ce que nous savons des audiences secrètes et, de toute évidence, nous en savons très peu sur leur déroulement, nous porte à croire que ce n'est pas le cas. Par conséquent, il n'en serait question que durant l'audience publique, dans la mesure où, en tant que conseillers juridiques de cette personne, nous tenterions d'amener la question sur le tapis.

Naturellement, comme j'ai déjà défendu certaines causes relatives à des certificats, je peux affirmer qu'il est presque impossible en tant qu'avocat de le faire et, chaque fois que je le fais, je jure qu'on ne m'y reprendra plus tellement je deviens frustré. Si vous ignorez les chefs d'accusation ou la preuve et que vous ne pouvez pas contester la preuve, comment pouvez-vous défendre quelqu'un? Comment savoir ce qui est pertinent et ce qui ne l'est pas? Comment savoir quelle preuve a été soumise au juge pour défendre votre client quand vous n'avez aucune idée de ce que le juge a vu et du fondement des allégations? Bien souvent, la seule allégation dont vous entendez parler est que la personne est membre du groupe X, sans autres détails. Comment faire face à une pareille situation? C'est impossible.

En réponse à votre question, nous ignorons ce qui se passe durant les audiences secrètes. Si nous avons bien compris, la seule chose qui est divulguée est la preuve secrète. Je ne crois pas que de l'information sur le pays d'origine est incluse.

Mme Jackman : Il faudrait que vous sachiez qu'au sujet des sunnites — l'information vient de l'affaire de M. Mahjoub qui a été entendue récemment —, le Canada a envoyé un groupe d'agents du SCRS à un cours de formation donné par le service de sécurité égyptien, celui-là même qui a été dénoncé par Amnistie et d'autres organismes non gouvernementaux internationaux de défense des droits de la personne comme service qui pratique la torture. Voilà d'où vient la formation de nos agents.

Le sénateur Smith : En quoi les forme-t-on?

Mme Jackman : On leur donne de la formation sur le terrorisme sunnite.

Le sénateur Smith : Cela vous pose-t-il un problème?

Mme Jackman : Oui. Croyez-vous que le gouvernement d'Égypte soit impartial dans la façon dont il voit ces organismes et ces mouvements et dans le genre d'information qu'il transmet à nos agents? Il ne l'est pas.

Le sénateur Smith : Pourquoi faudrait-il qu'il le soit, s'il s'agit en fait de terroristes?

Mme Jackman : La question est plus compliquée que cela. Tout n'est pas noir et blanc. Si vous lisez les rapports sur les droits de la personne, vous constaterez que l'Égypte détient des milliers de personnes parce qu'elles sont soupçonnées d'avoir des liens avec les sunnites. Comment savoir si le point de vue égyptien est juste quand l'information est obtenue sous la torture? Ces renseignements sont problématiques. Si nos agents doivent être envoyés en Égypte pour être formés par des tortionnaires, ils devraient aussi être formés par d'autres organismes ou instituts universitaires et impartiaux.

Le sénateur Smith : Quels pays sunnites ont, selon vous, l'expertise voulue, sont plus blancs que neige, de sorte qu'ils pourraient aider à former les Canadiens à suivre l'évolution de la scène mondiale?

Mme Jackman : Il existe plusieurs experts universitaires internationaux bien connus qui pourraient leur donner une bonne séance d'information.

Le sénateur Smith : Revenons-en à la question de la liste mentionnée par M. Brouwer qui m'a bien intrigué. Y a-t-il des groupes qui, selon vous, devraient figurer sur la liste? Je vais donner quelques noms et vous pourrez me dire s'ils devraient y être. Al-Qaïda est-il un groupe qui devrait figurer sur la liste?

Je n'arrive jamais à prononcer son nom, mais l'homme de Baghdad qui vient d'être blessé, je crois, et qui semble être la source de plus de bombardements que n'importe quel autre actuellement, son groupe devrait-il y être?

Nous avons entendu plusieurs observations au sujet des Tigres de libération de l'Eelam tamoul. J'essaie de garder l'esprit ouvert, mais la dernière fois que j'étais au Sri Lanka, on dénombrait à 60 000 le nombre de personnes qui étaient mortes. Quepensez-vous du Hezbollah et des autres groupes actifs sur la scène israélo-palestinienne? Que pensez-vous du groupe tchétchène qui a pris d'assaut l'école ou encore les auteurs des explosions à Bali? Il est possible que tout ne soit pas tout noir ou tout blanc et que presque tout soit gris. Nous essayons d'être justes à l'égard de ces organismes qui protègent les personnes normales qui mènent des vies paisibles. Est-ce qu'un de ces groupes que j'ai mentionnés vous inquiète suffisamment pour que vous l'inscriviez sur la liste?

M. Brouwer : Je ne voulais pas laisser entendre qu'il ne devrait pas y avoir de liste. Je disais plutôt qu'il faut faire une analyse fouillée des groupes. Il faut déterminer si un groupe est engagé dans diverses activités, dont certaines d'ordre purement humanitaire, par exemple ouvrir des cliniques et des écoles, administrer une région, ou s'il a des objectifs limités et brutaux. Dans ce dernier cas, on pourrait l'inscrire sur la liste. Par contre, dans le cas des premiers, il faudrait être plus sensible à qui représente ou ne représente pas une menace. Par ailleurs, il y a aussi la question de l'appartenance à un groupe et de l'association. Actuellement, du simple fait qu'on est associé à une personne qui partage le point de vue d'un de ces organismes, l'Agence des services frontaliers du Canada peut nous interdire l'entrée au Canada sous prétexte qu'on est membre d'un groupe terroriste, ce qui selon nous est beaucoup trop général. Si l'on tient vraiment à protéger le Canada contre les menaces à la sécurité, il faut savoir faire la distinction entre ceux qui représentent une véritable menace et ceux qui ne le sont pas.

Le sénateur Smith : Qui inscririez-vous sur la liste?

M. Brouwer : Je ne suis pas expert en la matière. Je peux vous parler de certains de nos clients qui sont qualifiés de membres de groupes terroristes simplement parce qu'ils partagent un point de vue politique au sujet de l'indépendance de leur peuple.

Par exemple, prenons le PKK, c'est-à-dire le Parti des travailleurs du Kurdistan. Quiconque est associé à un membre du PKK en Turquie ou interagit avec lui est considéré comme étant un terroriste. Toutefois, il faut savoir nuancer. Certains sont probablement des terroristes. D'autres, par contre, ne le sont certainement pas, mais ils croient à l'autonomie de leur peuple.

Le sénateur Smith : L'exemple kurde illustre bien notre dilemme. Celui dont je vais vous parler maintenant ne relève pas du groupe dont nous parlons. Il y a quelques semaines, je faisais partie d'un groupe qui a été invité en Irlande. Nous avons rencontré des dirigeants à Belfast et à Dublin. En Irlande, le Sinn Fein, qui se présente comme un véritable parti politique composé de membres, traverse une période difficile actuellement. En fait, il a une branche paramilitaire qui tue les gens dans les pubs, qui commet des vols de banque jusqu'à hauteur de 26 millions de livres et d'autres choses du même genre. Il est temps qu'on en prenne acte.

Nous ne pouvons pas tolérer le deux poids, deux mesures. Si des organismes s'adonnent à ce genre d'activités dans des pays industrialisés de l'Occident, il faudrait qu'ils soient vertement condamnés. S'ils le font ailleurs, ce sont des terroristes et il faut les reconnaître comme tels. Je me rends compte que je généralise un peu trop.

M. Waldman : De toute évidence, il existe des nébuleuses comme al-Qaïda qui se classent dans la catégorie des groupes limités qui organisent des coups brutaux. Il y en a d'autres qui se situent davantage dans la zone grise, comme les Tigres de libération de l'Eelam tamoul et le PKK. Le groupe des tigres tamouls est encore le meilleur exemple. Beaucoup de personnes appuient le groupe et le volet humanitaire de son activité. On ne peut mettre tout le monde dans le même sac sans tenir compte de la nature de leur participation.

L'autre difficulté que soulignait M. Brouwer est la définition très large de l'« appartenance à un groupe ». La Cour fédérale a bien précisé que si une personne affirme être membre d'un organisme ou que l'organisme lui-même affirme que cette personne en est membre, elle examinera ce que fait la personne, examinera l'appartenance dans son sens large et déclarera la personne membre de l'organisme selon le niveau et l'étendue de sa participation. Voilà où se situe selon nous le problème.

Quand il s'agit d'un petit groupe qui utilise des moyens brutaux, il n'y a pas de problème. Cependant, quand on applique la définition large à un organisme qui mène certaines activités légitimes et d'autres plus problématiques, ceux qui participent aux activités innocentes sont qualifiés de terroristes. Je crois que c'est le point que tentait de faire valoir M. Brouwer.

Le sénateur Lynch-Staunton : J'aimerais faire une observation à ce sujet. Pas un seul des groupes figurant sur la liste — je crois qu'il y en a 35 — a demandé à en être radié. Ils peuvent toujours interjeter appel.

M. Waldman : C'est problématique si l'appartenance à un groupe vous expose à des sanctions criminelles. Qui va présenter la demande pour faire radier le nom de la liste?

Le sénateur Lynch-Staunton : Personne ne peut me faire la preuve qu'aucun de ces groupes ne s'est livré à des activités criminelles. C'est fort bien de dire que le Hezbollah, le Hamas et d'autres donnent des cours, financent des hôpitaux et des activités communautaires et qu'ils participent à la vie politique municipale. Ils ont aussi des fusils. Qu'ils déposent les armes!

Mme Jackman : Le point à retenir, c'est que nous prenons des sanctions contre ceux qui travaillent à l'hôpital.

Le sénateur Lynch-Staunton : Ces personnes savent qu'elles travaillent pour un organisme terroriste.

Mme Jackman : Avez-vous vécu en Palestine? S'il y a une ouverture pour un poste d'infirmière à l'hôpital de votre quartier, vous acceptez le travail et aidez les gens. Vous refusera-t-on alors l'entrée au Canada simplement parce que le Hamas finance l'hôpital? Dans cette région du monde, tous les hôpitaux sont financés par ce genre d'organisations. Si le travail pour un de ces groupes était interdit, il serait impossible de travailler dans 90 p. 100 des hôpitaux de la Palestine. Voilà la réalité. Faut-il que nos lois soient d'application si générale qu'elles fermeront la porte à des gens normaux qui souhaitent et ont toujours souhaité mener une vie paisible, en toute légalité, simplement parce que l'hôpital était financé par un de ces organismes? C'est ainsi qu'est structuré le régime. Il est d'une application trop générale, de sorte qu'il aliène tous les Palestiniens au Canada. Le Canada les a déjà aliénés. Nous souhaitons qu'ils soient des citoyens canadiens bons et utiles. On ne peut leur faire cela et s'attendre à ce que leurs enfants aient un sentiment de loyauté à l'égard du Canada. Ce ne sera pas le cas. Je le constate déjà.

Le sénateur Lynch-Staunton : Si nous avions plus de temps, j'aimerais bien en débattre avec vous. Toutefois, il faudrait revenir au projet de loi C-36. Notre travail consiste à examiner la loi. Je me suis déjà prononcé contre les certificats de sécurité. Vous avez renforcé mon opinion à ce sujet.

La loi permet de procéder à des arrestations sans mandat. L'un de vous a-t-il quelque chose à dire au sujet de ces dispositions qui me semblent offrir au détenu ou à la personne qui est arrêtée une certaine protection qu'on ne retrouve pas dans la Loi sur l'immigration, comme le fait d'avoir à comparaître devant un juge et de pouvoir être libéré et ainsi de suite?

Je rappelle qu'il est question du projet de loi C-36.

M. Waldman : Parlez-vous de détention préventive?

Le sénateur Lynch-Staunton : Oui. Je parle de l'arrestation sans mandat.

M. Waldman : Le processus d'arrestation et de détention préventive est intéressant. Je vous exhorte à examiner la loi de prévention du terrorisme qui vient tout juste d'être adoptée au Royaume-Uni. Dans la Loi antiterroriste canadienne, il y a une disposition qui permet aux autorités d'arrêter des personnes si elles ont des motifs raisonnables de croire qu'elles sont sur le point de commettre un acte terroriste, puis de leur imposer différentes mesures visant à limiter leur liberté, de manière à ce qu'elles ne puissent commettre de pareils actes.

Au Royaume-Uni, après que la Chambre des lords ait aboli la loi de la détention préventive telle qu'appliquée aux non-citoyens, on a adopté une loi qui va un peu plus loin que la loi canadienne en vue de résoudre le problème du refoulement de personnes visées par des certificats de sécurité. Le dilemme qui en ressort, c'est que vous ne pouvez pas refouler quelqu'un visé par un certificat de sécurité parce que la personne risque d'être soumise à la torture. Mme Jackman vous a parlé de cet article. Ces personnes finissent par être détenues pendant des années dans des conditions horribles. Quand la Chambre des lords a aboli la loi, le Parlement du Royaume-Uni a adopté un processus analogue, mais plus vaste. Il permet au Royaume-Uni de détenir des personnes non seulement s'il y a des motifs raisonnables de croire qu'elles sont sur le point d'enfreindre la loi, mais également si on croit qu'elles menacent la sécurité nationale, puis de les soumettre à des mesures de contrôle.

L'arrestation sans mandat a de toute évidence été critiquée devant votre comité il y a trois ans comme étant une mesure sans précédent. Toutefois, le régime britannique va un peu plus loin et permet la prise de mesures d'arrestation et de contrôle, y compris la détention à domicile, lorsqu'on croit que la personne représente une menace.

Ce que nous en disons, c'est bien que ce soit problématique, nous aimerions faire en sorte qu'une pareille mesure soit examinée avec soin et soit approuvée par un juge. Cela pourrait aider à résoudre, en partie, la difficile question de savoir quoi faire de personnes que vous considérez comme représentant une menace, mais pour lesquelles vous n'avez pas suffisamment de preuves pour les accuser et que vous ne pouvez pas déporter parce qu'elles seraient alors soumises à la torture.

Le sénateur Lynch-Staunton : Ma question était plus précise. Quelle est votre opinion, n'importe lequel d'entre vous, des dispositions du projet de loi C-36 qui permettent l'arrestation sans mandat? Nous parlons ici de détention préventive.

Mme Jackman : Ces dispositions n'ont pas vraiment été appliquées.

Le sénateur Lynch-Staunton : Elles n'ont pas du tout été invoquées. Il est plus facile pour le gouvernement d'avoir recours à la Loi sur l'immigration parce que le détenu est alors à sa merci, alors que dans ce cas-ci, le détenu, la personne arrêtée, jouit de certaines protections procédurales.

Mme Jackman : Parlez-vous de l'article aux termes duquel elles peuvent être libérées sous le coup d'une ordonnance de 12 mois?

Le sénateur Lynch-Staunton : Oui.

Mme Jackman : Ce serait préférable à ce que prévoit la Loi sur l'immigration.

Le sénateur Lynch-Staunton : L'article comme tel est-il satisfaisant? Si des arrestations préventives se font, comme je le crains pour des raisons évidentes, est-ce une façon acceptable de s'y prendre?

Mme Jackman : Je ne voudrais pas couper l'herbe sous le pied d'avocats de la défense spécialisés en droit pénal, mais du fait que j'ai exercé la profession dans ce domaine pour le compte de personnes qui n'avaient pas la citoyenneté, je ne me tromperais pas en vous disant qu'ils se frotteraient les mains de plaisir.

Le sénateur Lynch Staunton : Cette mesure s'applique à tout le monde.

Mme Jackman : Elle n'a jamais été utilisée pour nos clients.

Le sénateur Lynch Staunton : Vos clients, malheureusement, sont visés par la Loi sur l'immigration, mais cette mesure pourrait s'appliquer à eux aussi.

Mme Jackman : Comparée à ce que prévoit la Loi sur l'immigration, elle est formidable pour nos clients. Nous aimerions pouvoir y recourir.

Le sénateur Lynch Staunton : Si vous n'aviez pas la Loi sur l'immigration et deviez employer cette mesure, cela vous satisferait-il? Tout vaut mieux que les attestations de sécurité, mais est-ce conforme aux critères de base, en présumant qu'on doive faire des arrestations préventives?

Mme Jackman : Que la question soit examinée par un juge de la Cour provinciale qui vérifie et impose des conditions, tout cela est acceptable. En fait, ces juges ont beaucoup plus d'expérience que ceux de la Cour fédérale pour surveiller les personnes libérées sous condition en attente d'un procès, par exemple. Ces juges seraient les mieux placés pour s'occuper de questions de détention de ce genre.

M. Waldman : Essentiellement, si on prouve que c'est nécessaire, ce que vous devrez évidemment déterminer, c'est mieux que ce que prévoit le processus d'immigration mais, à tout le moins, il faudrait que ce soit assujetti à un examen judiciaire attentif pendant toute la durée de l'arrestation et de la détention et que la liberté soit restreinte au minimum en fonction des objectifs visés.

On parle ici de restreindre la liberté de citoyens canadiens par opposition à des non-Canadiens, non pas parce qu'ils ont commis un délit mais parce qu'on croit qu'ils pourraient en commettre un plus tard. Cela pose un problème et devrait faire l'objet d'un contrôle judiciaire afin que le juge ait la conviction que les faits exposés sont assez graves pour justifier l'ordonnance, et il faudrait que la situation soit suivie de près.

M. Brouwer : Les consultations faites par la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles auprès de ses membres ont fait ressortir la crainte d'un profilage racial. Même si la disposition n'a pas été appliquée, elle constitue une grave entrave à l'expression politique de ces personnes, et même à leur participation à des activités religieuses qui risquent d'être considérées comme une menace à la sécurité et mener à leur arrestation. Que ce soit rationnel ou non, cela suscite de grandes craintes. Le fait qu'un mandat ne soit pas nécessaire est un problème dans ce contexte. D'ailleurs, la Coalition s'expliquera davantage là-dessus quand elle comparaîtra devant vous.

Le sénateur Lynch Staunton : Ces craintes nous ont été exprimées quand nous avons étudié le projet de loi. Je me rappelle qu'on nous avait bien fait comprendre l'angoisse ressentie. Heureusement, cette disposition n'a pas encore été invoquée. Elle est peut-être trop généreuse et, quand le gouvernement décide de détenir quelqu'un, il applique laLoi sur l'immigration avec les conséquences que cela a entraînées pour vos clients.

Le sénateur Jaffer : Le sénateur Lynch-Staunton a parlé de détention préventive. Que pensez-vous du processus d'investigation?

Mme Jackman : Vous parlez de l'article 83.28?

Le sénateur Jaffer : Celui qui a été invoqué dans l'affaire d'Air India.

Mme Jackman : La Cour suprême du Canada en a confirmé la validité sur le plan constitutionnel. Les avocats de la défense, dans cette affaire, ont participé à l'audience à huis clos, ce qui ne se fait jamais. La Cour suprême a confirmé sa validité, reconnaissant qu'elle plaçait le juge dans une situation compromettante mais, comme les poursuites étaient quand même de nature accusatoire et contradictoire, le juge n'est pas complètement dépourvu d'indépendance ou d'impartialité.

Les arguments présentés par la cour à propos del'article 83.28 nous permettraient probablement de contester les attestations de sécurité parce qu'il n'y a pas d'avocat de la défense informé ni d'avocat indépendant. D'ailleurs, depuis que ce jugement a été rendu, notre barreau se demande si cela devrait être considéré comme un problème. C'est cependant un processus plus équitable que ce que nous voyons.

Les gens critiquent quelque chose qui vaut tellement mieux que tout ce que prévoit la Loi sur l'immigration.

Le sénateur Jaffer : Vous parlez de la loi?

Mme Jackman : Les dispositions du Code criminel sur la lutte antiterrorisme valent tellement mieux qu'il est difficile pour nous de les critiquer alors que nous aimerions pouvoir les invoquer. Nous préférerions que nos clients y soient assujettis.

Le sénateur Joyal : Ma première question porte sur ce que vous avez dit à propos de la protection de la Charte et des autres conventions internationales que le Canada a signées.

L'article 7 de la Charte s'applique à tout le monde, pas seulement aux citoyens. Il y a seulement trois dispositions de la Charte qui sont réservées seulement aux citoyens, et ce n'est pas le cas de cet article.

L'article 7 dit bien que : « Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne. » Autrement dit, toute personne qui, en vertu d'une procédure d'immigration, est visée par une autorisation de sécurité peut invoquer l'article 7 de la Charte.

J'ai écouté vos réponses aux questions. L'équilibre entre les droits prévus à l'article 7 et à l'article 1 de la Charte est un problème très délicat. Nous avons entendu des témoins, que je ne nommerai pas, qui estiment que le droit à la sécurité existe. Le droit à la sécurité prime sur tous les autres droits parce que, sans sécurité, tout le reste est inutile.

En fait, ce n'est pas l'avis de la Cour suprême. Dans la décision unanime rendue dans l'arrêt Canada c. Chiarelli, le juge Sopinka a expliqué que l'article 7 doit être placé dans le contexte des intérêts en jeu. Ces intérêts sont ceux de la personne, le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité. L'État a le droit à la sécurité. Autrement dit, la sécurité ne prime pas sur les autres droits. La sécurité est le contexte dans lequel les droits de la personne sont exercés. C'est très important pour moi. Cela permet au tribunal de décider dans certains cas si la procédure est juste, et si elle ne l'est pas dans d'autres.

C'est bien précisé dans l'arrêt Suresh dans lequel on indique que, sauf dans des circonstances exceptionnelles, le tribunal veut toujours assurer une protection contre tout ce qui peut arriver. C'est une constante pour ce tribunal. J'ai lu de nombreuses décisions. Dans l'arrêt Burns and Rafay, la cour affirme qu'on ne peut pas extrader quelqu'un qui va être mis à mort, sauf dans des circonstances exceptionnelles.

Une autre décision a été rendue vendredi dernier. L'argumentation est parfaite. On dit oui, peut-être dans des circonstances exceptionnelles. C'est la façon dont la cour semble fonctionner. Étrangement, quand on lit ces décisions en tant qu'avocat, on finit par voir ce que la cour estime être le système juridique normal au Canada.

Je dirais que la Charte a contribué à établir ce principe, avec l'interprétation de la cour. Dans certains cas, on perd et dans d'autres on gagne. L'important, c'est que la Charte reste plus ou moins le cadre général des droits de la personne sur lequel se fonde le système juridique au Canada.

Ce n'est pas à toute épreuve mais, dans l'ensemble, la cour a contribué à empêcher que la doctrine du « droit à la sécurité » prévale. C'est peut-être plus théorique que pratique dans un cas en particulier.

Quoi qu'il en soit, pour savoir quelle sera la protection quand vous allez défendre une cause, cela reste le meilleur système, à mon avis. Je ne vois pas quelle autre protection on pourrait offrir en principe dans le contexte de l'après 11 septembre, d'insurrections appréhendées ou de toute autre situation mettant en péril la sécurité des gens. Vous savez autant que moi comment les gens réagissent normalement quand leur sécurité est menacée. Ils sont prêts à abandonner leurs droits. C'est une constante dans toute société démocratique. Ce n'est pas facile de chercher comment améliorer le système que nous avons au Canada.

Il se peut que nous ayons à nous battre, comme vous l'avez dit, dans des circonstances exceptionnelles pour que le gouvernement ou les forces policières ne permettent pas les abus. Nous sommes tous d'accord là-dessus. Dans l'ensemble, je ne crois pas que les définitions et les principes fondamentaux soient incorrects.

Mme Jackman : Je suis d'accord avec vous pour dire que notre système judiciaire est bon. Notre démocratie est solide et dynamique, ce qui ne veut pas dire que tout est parfait. Cela veut dire qu'on doit continuer de revendiquer. Les juges sont des êtres humains et nous aussi. Les droits de la personne évoluent avec le temps.

Les premiers arguments que j'ai présentés à la Cour fédérale sur les attestations de sécurité sont complètement différents de ceux que nous formulons aujourd'hui à propos de ce que nous demandons aux juges de faire. Notre point de vue sur ce qui est équitable évolue, et leur réflexion sur le sujet change. Je pense que c'est une bonne chose.

Ce n'est pas encore parfait. Aucun système n'est parfait. À mon avis, il n'est pas acceptable que trois ou quatre juges estiment qu'il est parfaitement normal de passer trois ans et demi en isolement cellulaire. C'est dire qu'il faut continuer à se battre. Je pense peut-être ainsi parce que je suis avocat de la défense. Je milite toujours pour ce qui m'apparaît meilleur. On finit par l'obtenir. Les tribunaux changent d'idée avec le temps.

M. Waldman : Je suis d'accord avec vous, mais vous devez comprendre notre déception quand nous constatons que la protection de la Charte est bien limitée à l'égard de nos clients immigrants et que les tribunaux interprètent de façon très conservatrice la Charte dans le cas des étrangers vulnérables. C'est ce que Mme Jackman voulait faire valoir et j'abonde dans le même sens.

Il est clair que nous devons insister et nous battre. De temps en temps, nous faisons des gains comme dans l'arrêt Suresh, puis les choses régressent et la lutte reprend. Dans l'ensemble, ce qui nous frustre, c'est la portée limitée de la protection. Nous étions beaucoup plus optimistes quand nous avons commencé à contester la Charte en matière d'immigration il y a des années, mais nous avons enregistré beaucoup plus de défaites que de victoires en cherchant à garantir les droits des non-Canadiens en vertu la Charte. C'est tout ce que nous disons.

Les choses évoluent et il y a l'effet du balancier. Les attentats du 11 septembre ont fait osciller le balancier dans un sens et, trois ans plus tard, on examine beaucoup plus calmement la situation qu'en décembre 2001. Il pourrait y avoir un retour du balancier avec des causes comme celle de M. Arar. Cela nous force à réviser ce que nous pensons être vrai.

Le sénateur Joyal : J'ai eu l'occasion, il y a deux semaines, tout comme le sénateur Jaffer, d'entendre le professeur François Crépeau de l'Université de Montréal, nous parler des droits des immigrants à un déjeuner-causerie. À son avis, il y a sept lacunes en matière de droit de la personne dans le système d'immigration.

Notre comité n'est pas censé examiner la Loi sur l'immigration. Ce n'est pas notre mandat, mais nous avons accepté de le faire parce qu'un représentent des services de sécurité nous a dit que la Loi sur l'immigration était un des outils dont le milieu se servait pour régler le problème; c'est ce qui nous a amené à nous pencher sur la question des attestations en regard de la loi.

Dans l'ensemble, même si certaines décisions ne nous plaisent pas, nous ne croyons pas qu'elles font ressortir les problèmes fondamentaux qu'il faudrait régler. C'est peut-être difficile pour M. Arar d'être autant suivi par les médias, mais cette affaire va sensibiliser tout le monde.

S'il existe un mécanisme de surveillance plus efficace que celui que nous avons actuellement, la situation aura aidé les gens, les gouvernements et les parlementaires à comprendre qu'il faut améliorer les choses.

Comme le sénateur Lynch-Staunton l'a dit, peut-être que l'engagement que le gouvernement du Canada a obtenu des États-Unis ne veut pas dire grand-chose mais, concrètement, cette réflexion nous aide à améliorer le système. D'une réunion à l'autre, nous avons la conviction de pouvoir parfaire le système sans nuire à l'objectif global qui consiste à assurer la liberté et les déplacements des gens dans une société sécuritaire.

J'aimerais profiter de votre expérience avec la communauté arabe, parce que la plupart des gens dont vous avez parlé aujourd'hui sont arabes. Le professeur Wright-Neville d'Australie nous a dit que, dans la lutte contre le terrorisme, il n'y a pas une seule façon de résoudre le problème, mais qu'il faut prendre une série de mesures sur différents fronts.

Vous avez dit que la communauté se sent isolée. Que proposeriez-vous pour obtenir l'appui de la communauté en vue d'améliorer la sécurité au Canada?

Mme Jackman : La diversité ethnique au sein des services de sécurité est essentielle. Il est déplacé sur le plan culturel et religieux qu'un agent blanc du SCRS donne la main à une femme musulmane, et les agents ne le savent pas. Cette compréhension n'existera pas au sein du SCRS à moins que le Service ne soit le reflet de la diversité au Canada. Ce sont surtout des Blancs qui sont en contact avec des gens de beaucoup de cultures différentes. Ils n'ont même pas grandi dans les centres urbains de Toronto ou Montréal. Ils viennent de petites localités et villages des régions du Canada. Certains d'entre eux n'avaient même jamais rencontré d'immigrants avant de faire partie du SCRS. Je ne sais pas si c'était voulu, si on pensait que cela faisait d'eux de meilleurs candidats, mais le Service doit refléter la diversité ethnique du pays.

De plus, le SCRS doit faire plus de sensibilisation. Au lieu d'assister à des réunions pour cibler les gens, on devrait y aller pour expliquer ce qu'on fait.

J'ai rédigé un document sur les préoccupations concernant le Service de sécurité et je peux vous le fournir. Il y a beaucoup de problèmes liés à leurs rapports avec les gens. Les agents se présentent chez les gens sans rendez-vous. Quand ils savent que les gens ont des avocats, ils n'en tiennent pas compte. Ils insistent pour qu'ils se passent de leur avocat. Ils n'enregistrent pas les entrevues, même si le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité leur a dit deux fois qu'ils devaient les enregistrer. Il est toujours difficile de croire qui dit vrai sur ce qui se passe au cours de l'entrevue. Les forces policières enregistrent sur bande magnétoscopique les entrevues pour avoir un compte rendu exact de ce qui s'est passé et pour que les personnes interrogées ne soient pas victimes d'abus. Le SCRS devrait faire la même chose, pour les mêmes raisons.

Je peux vous fournir ce document, si vous le voulez. Il y a certaines mesures qui doivent être prises pour que le Service corrige le tir afin de mieux surveiller les menaces réelles à la sécurité au Canada.

M. Waldman : Mon travail dans l'affaire Arar m'a amené à rencontrer les communautés touchées. Il est clair pour ceux d'entre nous qui ont travaillé avec M. Arar que les communautés estiment être ciblées. Quand M. Hooper, le directeur adjoint du SCRS, est venu témoigner, il a parlé de la menace dans le métro de Toronto. Ma fille et mon fils prennent le métro et je ne veux pas plus que vous qu'une bombe éclate dans le métro. Nous courons tous les mêmes risques dans ce cas. Nous devons tous faire notre part pour que le Canada reste un endroit sécuritaire. Quand les communautés sont traitées comme Mme Jackman l'a décrit, elles se sentent ciblées et elles ont peur de s'exprimer. Au lieu de s'exprimer et de collaborer, elles se taisent et se rebellent. Finalement, les services qui veulent leur collaboration obtiennent le contraire de l'effet recherché. Les communautés savent mieux que quiconque ce qui se passe. Si on se les met à dos et qu'elles ne veulent pas collaborer avec les services de renseignements, parce qu'elles ont peur, nous nuisons au Canada. À mon avis, c'est ce qui s'est passé avec certaines communautés depuis les attentats du 11 septembre.

Nous en avons discuté après les audiences l'an dernier. Le Service doit changer son mode de fonctionnement s'il veut que les gens collaborent. Sans collaboration, je crois que nous sommes beaucoup plus en danger.

M. Brouwer : Pour ce qui est d'améliorer les relations, il faut aussi examiner la situation de l'ASFC en plus de celle du SCRS. On a vraiment le sentiment que certains groupes font l'objet d'enquêtes plus poussées et que leur établissement est retardé par l'Agence des services frontaliers du Canada. Beaucoup d'aspects soulevés par mes collègues à propos SCRS s'appliqueraient aussi dans son cas. Tant que la situation n'aura pas été corrigée, les gens auront vraiment le sentiment d'être exclus par le gouvernement et le pouvoir établi.

La présidente : Je tiens à remercier nos témoins de nous avoir fait part de leurs réflexions sur les questions que nous examinons.

Veuillez nous envoyer votre document, madame Jackman.

La séance est levée.


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