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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 5 - Témoignages du 15 juin 2006


OTTAWA, le jeudi 15 juin 2006

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui à 10 h 45 pour examiner, afin d'en faire rapport, les obstacles au commerce interprovincial.

Le sénateur Jerahmiel S. Grafstein (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Mesdames et messieurs, je tiens à remercier nos témoins et les membres du comité d'être venus ce matin. Nous souhaitons aussi la bienvenue aux téléspectateurs canadiens et américains qui suivent nos délibérations d'un océan à l'autre. Nos délibérations sont diffusées non seulement à la télévision mais aussi sur le web. Tout ce que vous direz aura des échos importants dans le monde entier.

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce examine aujourd'hui les obstacles au commerce interprovincial au Canada. Nous tenterons plus particulièrement de déterminer dans quelle mesure ces obstacles au commerce interprovincial freinent la croissance et limitent la rentabilité des secteurs touchés ainsi que la capacité des entreprises dans les provinces touchées et les États américains touchés eux aussi, de former des zones économiques, ce qu'il est convenu d'appeler les nouveaux moteurs de la croissance économique régionale qui ne peuvent qu'accroître la prospérité de tous.

Cette question des obstacles internes au commerce revêt une importance cruciale si nous voulons nous assurer un avenir prospère et productif. À mon avis, et de l'avis de nombreux membres du comité, ces obstacles font souvent augmenter les coûts des entreprises et, en définitive, les prix que paient les consommateurs. Ils peuvent aussi favoriser l'inefficacité, ce qui réduit la compétitivité et la productivité.

Nous n'avons pas une économie nationale unifiée. Ces obstacles au commerce interprovincial entraînent la fragmentation de notre économie. Nous devons plutôt chercher des façons d'accroître la compétitivité et la productivité, de supprimer les obstacles internes au commerce qui nous empêchent d'avoir une économie nationale productive, dynamique et vigoureuse.

Nous accueillons aujourd'hui d'excellents témoins. Bienvenus, messieurs. Je vous inviterais à nous faire un exposé liminaire d'une durée de trois ou quatre minutes. Nous ajouterons vos mémoires au compte rendu. Je suis certain que les membres du comité souhaitent vous poser des questions pointues.

Nous allons commencer par M. McMahon de l'Institut Fraser.

Fred McMahon, directeur, Institut Fraser : Merci de votre invitation. Je me sens honoré d'avoir été invité à comparaître ne serait-ce que parce que j'ai lu les commentaires de Robert Knox et que je peux résumer mes propos en disant que je suis d'accord avec M. Knox et aussi avec le sénateur.

J'aimerais rapidement vous raconter une anecdote qui date d'il y a 30 ans, pour ajouter un peu de couleurs aux délibérations mais aussi pour bien faire comprendre un point qui m'apparaît important.

Je suis du Canada atlantique, plus particulièrement de la Nouvelle-Écosse. Toutefois, j'ai étudié à l'Université McGill, que j'ai représentée à un tournoi d'art oratoire à l'Université Fordham. Par chance, le tournoi se tenait le même soir que la célèbre fête de Father Shrove. Nous avons découvert que Father Shrove n'était pas un dignitaire enterré depuis longtemps mais bien un jésuite bien en vie. Nous l'avons trouvé dans l'œil calme d'une immense fête, et je peux dire que c'était l'archétype d'un jésuite. Il était appuyé contre des caisses de bière Moosehead empilées tout le long du mur. À l'Université Fordham, dans le Bronx, vous pouviez acheter toute la bière Moosehead que vous vouliez. Quand je suis entré à Montréal, je ne pouvais pas acheter une goutte de bière brassée dans le Canada atlantique en raison des obstacles au commerce interprovincial.

Eh bien, sénateurs, ce qui est étonnant, 30 ans plus tard, c'est que nous nous heurtons toujours à de tels obstacles au commerce interne qui, comme l'a dit le sénateur Grafstein, continuent de peser sur notre productivité et de limiter inutilement notre croissance. Beaucoup de progrès ont été réalisés au cours de ces 30 années, en partie grâce aux efforts déployés par des gens tels Robert Knox qui n'ont pas ménagé leur peine pour faire sauter ces verrous. Ces obstacles existent toujours pour un certain nombre de raisons : pressions exercées par des groupes d'intérêts particuliers et conséquences absurdes du fédéralisme fiscal canadien. Par exemple, à Terre-Neuve, quand il a été question d'exploiter les ressources de Voisey's Bay, les revenus fiscaux accrus générés par le projet étaient inférieurs aux réductions conséquentes des paiements de péréquation, sauf si la province insistait pour qu'une fonderie soit construite à Voisey's Bay. Cette situation a des conséquences pour le commerce des ressources naturelles et la mobilité de la main-d'œuvre.

On pourrait dire que le régime d'assurance-emploi du Canada atlantique est un autre obstacle au commerce parce qu'il est extrêmement généreux et décourage la recherche de travail à temps plein.

Je ne vais pas m'attarder à décrire l'incidence négative des obstacles au commerce sur la productivité parce que ce serait pour un économiste comme si un physicien s'attardait à expliquer que la terre tourne autour du soleil. L'affaire est plus ou moins entendue. Cela nuit à notre productivité et à la création de richesse.

Toutefois, en guise de conclusion, j'aimerais vous soumettre une idée. J'ai toujours été étonné de voir à quel point le gouvernement fédéral est toujours heureux d'empiéter sur des domaines de compétence que la Constitution ne lui attribue pas. Les soins de santé en sont l'exemple parfait. Or, il n'exerce pas ses propres pouvoirs constitutionnels. En effet, la Constitution lui attribue très clairement la compétence en matière de commerce interprovincial.

J'invite instamment le comité à presser le gouvernement d'examiner ces pouvoirs que lui confère la Constitution et de les exercer afin d'éliminer les obstacles au commerce interprovincial.

Les choses simples sont parfois compliquées, et ce serait le cas ici, mais le gouvernement fédéral est habilité à agir. Le gouvernement a fait preuve d'un grand courage dans le passé lorsqu'il s'agissait de s'ingérer dans le domaine des soins de santé mais il n'a pas eu le même courage lorsqu'il s'agissait de prendre des mesures qui auraient été avantageuses pour l'ensemble des Canadiens.

Robert McKinstry, analyste principal de politiques, Chambre de commerce du Canada : Merci. Comme je suis de Saint John au Nouveau-Brunswick, je comprends parfaitement l'anecdote qu'a contée M. McMahon. Toutefois, je vais en venir au vif de mon propos. La situation s'améliore mais elle n'est pas parfaite.

Je suis ravi d'avoir aujourd'hui l'occasion de vous faire part d'informations et de recommandations qui pourront vous être utiles dans le cadre de votre examen des obstacles au commerce interprovincial. La Chambre de commerce du Canada est la plus importante association professionnelle et la plus représentative. En effet, nous représentons plus de 170 000 entreprises de tous les secteurs de notre économie et de toutes les régions du Canada.

Les obstacles au commerce intérieur, ou interprovincial, existent en raison de la nature même du fédéralisme canadien qui attribue des pouvoirs économiques et de réglementation aux gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux. Dans de nombreux cas, les obstacles résultent de l'exercice par les provinces de leurs pouvoirs autonomes en matière de politiques économique et sociale.

Toutefois, les obstacles au commerce intérieur font augmenter les coûts des entreprises et les prix que paient les consommateurs et ils ont une incidence négative sur la compétitivité de l'économie canadienne. Les obstacles au commerce incitent les entreprises à prendre des décisions stratégiques en fonction de la protection que leur assurent ces obstacles au lieu d'agir pour assurer leur expansion et leur compétitivité internationale. Ils créent essentiellement de petites économies protégées artificiellement.

À l'ère de la mondialisation, les entreprises canadiennes doivent agir sur le marché intérieur de façon à devenir concurrentielles sur les marchés internationaux. Comme vous le savez, les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux ont signé, en 1994, l'Accord sur le commerce intérieur (ACI) qui est entré en vigueur le 1er juillet 1995. L'ACI a pour but de rendre possible la collaboration des gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux afin de réduire et d'éliminer les obstacles au commerce et de favoriser la libre circulation des marchandises et des investissements au Canada ainsi qu'un marché intérieur ouvert, stable et efficient.

Dans le but d'aider les gouvernements provinciaux et territoriaux à mettre en œuvre l'ACI, la Chambre de commerce du Canada a distribué à ses membres, au cours de l'été de 2004, un questionnaire dans le but de recueillir de l'information qui permettrait de recenser les obstacles au commerce. J'espère que le comité a reçu un exemplaire de notre rapport intitulé Obstacles au libre commerce au Canada : une étude des barrières au commerce intérieur.

Selon les résultats du sondage, l'obstacle au commerce le plus répandu tient aux différences de la réglementation selon qu'elle est fédérale, provinciale ou territoriale. Nombre des plus importantes entreprises ont dit que la conformité à la réglementation alourdit leurs coûts. Les petites entreprises pour leur part ont dit que le fardeau de la réglementation les décourageait de faire des affaires dans d'autres provinces ou territoires. Ce résultat est inquiétant puisque les petites entreprises comptent pour plus de 95 p. 100 du total des entreprises au Canada et emploient environ 65 p. 100 des travailleurs canadiens. En nous appuyant sur cette étude, nous tirons les conclusions suivantes :

Premièrement, les obstacles au commerce les plus communs sont les chevauchements de réglementation entre les provinces et les territoires, les exigences multiples en matière de permis et de licences et l'attribution de marchés publics en fonction de préférences locales.

Deuxièmement, le fait d'avoir à se conformer à des règlements multiples mais similaires augmente les coûts des entreprises et constitue un obstacle pour les petites entreprises qui n'ont pas les moyens d'affecter une partie de leurs ressources à la vérification de la conformité.

Troisièmement, l'exigence de la préférence locale pour l'attribution de marchés crée des économies fermées, ne garantit pas que les contribuables en ont pour leur argent et empêche les entreprises compétitives de prendre de l'expansion.

Cela étant, la chambre de commerce a formulé les recommandations suivantes dans son étude :

Premièrement, les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux devraient utiliser cette étude comme point de départ pour réaliser une enquête visant à recenser les pratiques gouvernementales actuelles qui nuisent au commerce et à l'efficacité de l'économie canadienne.

Deuxièmement, les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux doivent travailler en étroite collaboration afin d'assurer la mise en vigueur intégrale de l'ACI et éliminer les obstacles au commerce recensés afin de créer des conditions économiques qui permettent aux entreprises canadiennes de prendre de l'expansion et de faire des affaires là où elles le désirent.

Cela met fin à mon exposé liminaire. Je répondrai volontiers à vos questions.

Robert Knox, attaché supérieur de recherche, Institut économique de Montréal : Je me réjouis des progrès réalisés puisque mes collègues peuvent maintenant acheter de la bière Moosehead chaque fois qu'ils en ont envie. Il y a à peine 16 ans, ils n'auraient pas pu le faire. C'est une petite victoire qui est réellement importante pour certains.

Permettez-moi de me présenter. Je m'intéresse activement à ce dossier depuis environ 20 ans, comme fonctionnaire au début et, plus récemment, comme expert-conseil. J'étais le fonctionnaire fédéral chargé, entre autres choses, de la politique du commerce intérieur et, de 1986 à 1992, coprésident fédéral du Comité fédéral-provincial des fonctionnaires chargés du commerce interprovincial. Je me suis intéressé à d'autres dossiers mais celui-là était l'un de mes préférés.

De 1993 à 1995, j'ai été directeur exécutif du Secrétariat du commerce intérieur et j'ai dirigé la négociation de l'Accord sur le commerce intérieur.

J'ai pris ma retraite de la fonction publique fédérale en 1996 et je travaille depuis comme expert-conseil en matière de commerce intérieur. J'ai été associé à cinq des huit plaintes entendues depuis 1998 par les commissions de règlement des conflits créées dans le cadre de l'Accord sur le commerce intérieur. Depuis que j'ai pris ma retraite, j'ai écrit un peu, j'ai fait un peu d'agriculture et du sirop d'érable. Il n'y a pas que le commerce intérieur qui m'absorbe.

J'aimerais faire un bref historique de la question. Les problèmes de commerce intérieur existent depuis la Confédération et, comme vous le savez, ils existent toujours. Notre structure fédérale est au cœur du problème. Elle est la cause première des obstacles au commerce intérieur. La Commission Rowell-Sirois faisait état du problème en 1940 comme l'a fait la Commission Macdonald en 1985. Je crois que tous ici se souviendront des négociations constitutionnelles de 1980 et de 1990 sur l'union économique et savent aussi que les négociations n'ont pas abouti. Ensuite, en 1993, nous avons réuni les représentants des divers gouvernements autour d'une table et nous avons convenu d'adopter l'Accord sur le commerce intérieur. L'accord nous a permis de régler quelques différends mais ne s'est pas avéré tout à fait efficace.

Je vous offre une citation de Graham Parsons, qui était à l'époque membre de la Canada West Foundation. Il disait, en 1994 :

[...] les obstacles au commerce interprovincial créent un nœud enchevêtré et coûteux de chasses gardées. Ce nœud étrangle lentement mais sûrement les artères économiques du Canada, provoque des pertes de production, de revenu et d'emplois pour les Canadiens.

J'ai toujours trouvé cette description du problème particulièrement parlante.

Si cette situation était à la limite acceptable avant la mondialisation de l'économie, elle ne l'est plus. L'Institut économique de Montréal croit que les gouvernements du Canada n'ont plus les moyens de tolérer les obstacles au commerce, à l'investissement et à la mobilité de la main-d'oeuvre qu'ils ont eux-mêmes créés.

L'étude publiée récemment par le Conference Board du Canada intitulée Death by a Thousand Paper Cuts — j'adore le titre et c'est un excellent rapport — constatait que l'entreprise fédérale canadienne ne saurait tolérer plus longtemps l'incidence de ces obstacles sur la productivité et la compétitivité du Canada.

Que convient-il de faire? L'Institut économique de Montréal croit que le Canada doit se doter d'un accord sur le commerce intérieur efficace et capable de garantir un marché intérieur qui soit ouvert, prévisible et efficient. Dans sa forme actuelle, l'ACI ne permet pas d'atteindre cet objectif.

J'aurais dû faire mieux en 1993, mais je ne suis pas le seul à blâmer puisque je travaillais avec d'autres.

Un accord sur le commerce intérieur doit englober tous les aspects. Il doit englober tous les échanges et les investissements ainsi que la mobilité de la main-d'œuvre au Canada — sans exclusion ni exception — sauf si le gouvernement peut démontrer que c'est la seule façon de protéger la santé et la sécurité du public ou l'environnement relevant de sa compétence. Il y a dans l'accord sur le commerce intérieur un article dit de l'objectif légitime qui s'applique justement à de tels cas. C'est une bonne disposition mais qui, à mon avis, est utilisée à mauvais escient.

Deuxièmement, l'accord doit édicter une série unique de règles ou de principes commerciaux qui s'appliquent à toute l'activité commerciale au Canada. L'ACI fait cela. Malheureusement, une fois édictés les règles et les principes, l'accord crée une série d'exceptions à ces règles.

Troisièmement, l'accord doit être clair et accessible à ceux qui sont touchés par les obstacles au commerce, qu'il s'agisse de particuliers ou d'entreprises. Le fait est que tous les obstacles ne sont pas significatifs. L'accord peut et doit être utilisé pour déterminer lesquels sont importants et apporter les correctifs nécessaires. Or, cette identification et ce règlement seront impossibles sauf si l'accord est facile à comprendre et à appliquer et si le gouvernement le respecte et l'utilise pour régler les différends du commerce intérieur.

Les obstacles doivent être faciles à identifier. Les obstacles qui découlent de la réglementation ne sont pas tous nécessairement importants. Certains le sont. L'accord doit permettre de cerner aisément les obstacles importants.

Quatrièmement, l'accord doit être assorti de procédures de règlement des différends qui soient accessibles, rapides, peu coûteuses et opposables devant les tribunaux. Avant toute autre chose, les gouvernements du Canada doivent respecter les obligations qu'ils acceptent d'assumer en signant l'accord sur le commerce. C'est l'une des plus grandes faiblesses de l'actuel ACI. Les gouvernements du Canada, pour une raison ou une autre, ne respectent pas un grand nombre de ces obligations. Il suffit qu'un seul gouvernement ne respecte pas les principes et les obligations d'un accord sur le commerce pour que ce dernier soit un échec total.

Au nom de l'Institut économique de Montréal, j'aimerais dire que nous croyons que l'examen du dossier du commerce intérieur qu'a entrepris le comité arrive à point nommé. Les ministres responsables du commerce intérieur de tous les gouvernements du Canada cherchent des façons d'améliorer l'efficacité de l'accord actuel et nous espérons que vos constatations et vos conclusions contribueront de façon positive à faire avancer ce dossier.

Le sénateur Tkachuk : L'Alberta et la Colombie-Britannique viennent tout juste de conclure un accord sur le commerce et l'harmonisation. Monsieur Knox, ont-elles respecté les principes et les obligations que vous avez décrits dans votre exposé? Y a-t-il dans cet accord des dispositions que le reste du pays pourrait adopter? Je sais que la Saskatchewan avait été invitée à participer mais qu'elle a décliné. Pouvez-vous nous aider dans tout cela?

M. Knox : Je viens tout juste de terminer un article là-dessus. L'accord respecte les critères que j'ai énoncés et je me suis déjà prononcé en disant qu'il fallait oublier l'ACI et adopter plutôt ce modèle. C'est un bon accord. Il n'est pas parfait. Je vais vous expliquer pourquoi. Il fait trois choses. Il modifie le principe de départ. Autrement dit, l'accord s'applique à tout sauf les exceptions. S'il n'y a pas d'exception ou autre chose du genre, l'activité est visée par l'accord et c'est comme il se doit. C'était notre point de départ pour l'accord sur le commerce intérieur. Nous avons énoncé les principes et nous avons ensuite ajouté toute une série d'exceptions.

Deuxièmement, l'accord est simplifié de sorte qu'il est plus facile à comprendre et à utiliser. Là encore, il n'est pas parfait mais c'est un bon début.

Troisièmement, l'accord prévoit un seul mécanisme de règlement des différends assorti des pénalités auxquelles s'exposent les gouvernements qui ne l'utilisent pas. Par contraste, l'ACI comporte une procédure de consultation dans chaque chapitre et ensuite un mécanisme de règlement des différends après tout cela. L'expérience m'a enseigné qu'après deux ou trois ans on peut peut-être espérer que la commission rende sa décision à laquelle les gouvernements se conformeront, ou non, comme bon leur chante.

Quelques problèmes persistent, mais c'est un bon début. Le problème tient en partie au fait qu'il y a encore beaucoup d'exceptions. Le deuxième problème résulte du fait que le mécanisme de règlement des différends n'est pas suffisamment contraignant. Il faudrait davantage. Les pénalités auxquelles s'exposent les gouvernements sont plafonnées à 5 millions de dollars. Beaucoup de gens estiment que le préjudice que subit l'industrie en raison des barrières se chiffre à plus de 5 millions de dollars et ce préjudice se perpétue tant que l'obstacle reste en place.

C'est un bon début et ils ont prévu un rôle pour les tribunaux. Depuis que j'ai quitté la fonction publique surtout, j'ai appris une autre chose, à savoir que même s'ils ont fait du bon travail, les règles du commerce ne sont pas aussi libres qu'elles devraient l'être dans le secteur privé. Après tout, c'est le secteur privé qui souffre des obstacles et qui devrait participer à la recherche et au choix de la solution. Encore une fois, comme ce fut le cas avec l'ACI, le secteur privé est là comme figurant.

M. McMahon : J'aimerais donner une perspective internationale à la discussion puisque, lors des pourparlers sur le commerce mondial, la question centrale c'est souvent de savoir si les accords de commerce régionaux, comme ceux de l'Amérique du Sud, de l'Amérique du Nord et de l'Asie, sont une bonne ou une mauvaise chose. Certains soutiennent que si l'on conclut des accords régionaux, cela donne la possibilité de mettre des obstacles entre les régions. Soit, l'accord de libre-échange sud-américain est davantage une zone de protection commerciale pour l'Amérique du Sud qu'un véritable accord de libre-échange qui ouvre le marché au monde.

Je ne sais pas s'il existe toujours un risque que cela ne se produise au Canada mais je tenais à mentionner que les blocs commerciaux régionaux présentent un certain danger. Par exemple, l'Alberta et la Colombie-Britannique ont entrepris d'harmoniser leurs réglementations puis ensuite le Canada atlantique fera de même et cela donne lieu à des conflits. Il en résulte une libéralisation des échanges entre l'Alberta et la Colombie-Britannique mais moins de libre- échange entre l'Ouest et le Canada atlantique. Cette approche régionale comporte des risques.

M. McKinstry : La Chambre de commerce du Canada a écrit au premier ministre Klein et au premier ministre Campbell pour les féliciter de l'accord qu'ils ont signé. Nous avons envoyé des copies conformes à leurs collègues provinciaux et territoriaux pour les encourager à prendre acte de l'accord sur le commerce intérieur, à mettre en œuvre intégralement les dispositions de l'accord et à suivre l'exemple que leur donnent l'Alberta et la Colombie-Britannique. Nous sommes plutôt optimistes à la Chambre de commerce et nous étions d'avis que c'était un pas dans la bonne direction. Nous encourageons les autres à leur emboiter le pas.

Le sénateur Tkachuk : Monsieur Knox, y a-t-il dans l'accord des exceptions importantes qui ne devraient pas y être?

M. Knox : Oui. Si vous me le permettez, j'aimerais apporter une précision à ce qu'ont dit M. McMahon et M. McKinstry.

L'article 1800 de l'Accord sur le commerce intérieur autorise la conclusion d'accords bilatéraux à condition que l'arrangement libéralise le commerce au-delà des exigences prévues par l'ACI. L'article prévoit aussi que tous les intéressés peuvent adhérer à l'accord. En plus de signer un accord régional, l'Alberta et la Colombie-Britannique ont créé un modèle qu'ils jugeaient supérieur à l'ACI auquel d'autres peuvent adhérer. Je ne crois pas que cela se produise mais j'espère que dans le cadre des discussions au sein du conseil de la fédération, le modèle pourra être repris par d'autres.

Je reviens maintenant à la question. Dans l'accord entre l'Alberta et la Colombie-Britannique, il y a deux catégories d'exceptions. Il y a des exceptions transitoires et d'autres exceptions retranchées par l'une ou l'autre des parties. Les exceptions transitoires sont intéressantes parce qu'elles visent notamment les services financiers auxquels ne s'applique pas l'ACI. Ces exceptions ont pour but de donner aux deux gouvernements la possibilité d'ajouter ces secteurs à l'accord avant son entrée en vigueur. C'est en quelque sorte un mécanisme d'élimination.

C'est un bon pas vers l'avant. Il y a d'autres facteurs, par exemple je ne me suis pas penché en détail sur ces exceptions parce que je me suis concentré plutôt sur les mécanismes, mais il y a des choses que vous connaissez assez bien, comme la gestion de l'offre tout particulièrement dans le secteur des produits laitiers. Si vous étudiez les différends qui ont été identifiés dans le cadre de l'Accord sur le commerce intérieur, vous noterez que quatre des huit différends touchaient directement ou indirectement le système de gestion de l'offre dans le secteur des produits laitiers.

Des problèmes comme celui-là doivent être réglés d'une façon ou d'une autre.

Le sénateur Tkachuk : Le problème existe depuis longtemps.

Le président : C'est le problème. Ce problème existe justement depuis la Confédération. Il nous faut assurer qu'il existe une volonté politique de régler ces problèmes.

Le sénateur Massicotte : Monsieur Knox, régler ces problèmes et assurer le libre-échange est clairement dans l'intérêt de tous les Canadiens. Le libre-échange a toujours été dans l'intérêt du peuple, car il assure une meilleure ouverture et le bien-être économique. Cet argument ne saurait être contré. Clairement, lorsque nous étudions ce qui s'est passé depuis plusieurs décennies, il est évident que nous n'avons pas encore atteint cet objectif. La Colombie-Britannique et l'Alberta ont effectué de bons progrès. Vos recommandations qui indiquent comment atteindre cet objectif sont excellentes. Cependant, ce n'est pas cela qui est difficile. Plusieurs experts canadiens peuvent préparer un bref document sur la façon d'atteindre l'objectif. À mon avis, le vrai problème est un manque de volonté politique ou un manque de pression qui pourrait être exercée par les Canadiens pour que l'on passe de la parole aux actes tout simplement. C'est un peu comme le cancer, vous n'êtes peut-être pas conscients du problème mais quand vous vous rendez compte de l'existence d'un problème il est trop tard.

Si c'est le problème, comment trouver la solution? Comment rendre le système public efficace et en venir à une vraie solution plutôt que toute cette série d'avantages privés, tout compte fait cachés, où tout le monde essaie de tricher afin d'en obtenir un peu plus? Notre comité essaiera de régler le problème, de sensibiliser le public, mais est-ce que cela suffira? Pourquoi a-t-il fallu si longtemps? Pourquoi n'existe-t-il pas de volonté politique pour régler le problème? Comment faire connaître le problème au public?

M. Knox : C'est une question que je me pose depuis déjà 20 ans. Je cherche toujours la réponse.

Il y a probablement plusieurs réponses, et aucune d'entre elles n'explique en fait la situation. Je crois que le problème est attribuable en partie à la question qui est en jeu. Nombre de ceux qui se trouvent autour de cette table connaissent mieux le monde des affaires que moi, mais si vous avez une entreprise, vous ne vous occupez pas beaucoup de politique publique. Votre responsabilité c'est d'assurer le succès de l'entreprise. Pour qu'un entrepreneur se penche sur un problème il faut absolument qu'il soit très important pour qu'il y consacre quelque temps que ce soit. Ce qui se produit dans nombre d'entreprises — et le Conference Board et la Chambre de commerce l'indiquent — c'est que les entrepreneurs comprennent ce problème et disent : « Que faire? ». Très souvent ils diront : « Tant pis. Nous ne perdrons pas notre argent et notre temps à étudier ces problèmes; nous avons une entreprise dont nous devons nous occuper. »

Dans la tribune publique cela veut simplement dire que nombre de gens rencontrent des obstacles et ils composent avec ces problèmes à leur propre façon : ces obstacles ne deviennent pas une question politique. Moosehead est devenu une question politique parce qu'il s'agissait en fait d'une question politique. La pression qui devrait être exercée par ceux qui sont confrontés à des obstacles est subsumée dans le processus commercial.

De plus, et vous avez vous-même signalé le problème, nombre de ces obstacles protègent des intérêts locaux. Vous savez quoi? Les électeurs en Ontario ne votent pas nécessairement en Nouvelle-Écosse ou ailleurs, alors on a tendance à penser plutôt aux intérêts locaux, quoique ce n'est pas toujours le cas. Il est difficile d'accorder la même importance aux politiques nationales.

Puis, il n'y a pas vraiment eu de leadership national dans ce dossier. J'emploie le terme national, parce que l'expérience m'a appris que ce n'est pas nécessairement un problème qui relève uniquement du gouvernement fédéral. Je reconnais que ce problème est celui du gouvernement fédéral dans une certaine mesure parce qu'il représente le gouvernement national, et le gouvernement fédéral et les ministres touchés ont vraiment fait preuve de leadership dans le dossier de l'ACI. Michael Wilson et John Manley ont été efficaces et ont su démontrer le leadership qui nous a permis d'en venir à un accord sur le commerce intérieur. Une fois l'accord conclu, tout le monde s'en est lavé les mains. Pour être honnête, je ne connais pas la solution au problème.

Le sénateur Massicotte : Monsieur McKinstry, vous représentez de nombreuses entreprises canadiennes. Dans cette affaire, des intérêts égoïstes et l'intérêt de tous les Canadiens sont en jeu. Comment vous assurer que nous aurons gain de cause? Comment présenter les choses pour que l'intérêt national domine et que nous réglions le problème?

M. McKinstry : Comme M. Knox l'a dit, c'est une bonne question. Nous avons constaté d'entrée de jeu que nous pouvions discuter du problème avec les représentants du gouvernement, et une de leurs premières questions a été de me demander quels étaient en fait les problèmes. Ils ont demandé de leur donner des exemples.

Dans le questionnaire nous avons essayé de recueillir le plus de renseignements utiles possible pour démontrer que les entreprises sont confrontées à des problèmes réels. C'était notre point de départ. Nous avons essayé d'encourager divers groupes comme le Conseil de la fédération à poursuivre leurs efforts. Cependant, c'est toujours un défi de maintenir la volonté politique nécessaire pour qu'on concentre toujours son attention sur ce problème. Comme M. Knox l'a signalé, il y a tellement d'intérêts locaux. Certains de ces groupes sont très bien organisés. Les gouvernements doivent consacrer beaucoup de temps et d'énergie pour essayer de régler ces problèmes à long terme. Ces questions attirent peut-être l'attention du public pendant une brève période, mais nous n'avons pas encore vu la volonté politique ou le leadership nécessaire pour maintenir les efforts qui s'imposent si l'on veut régler les problèmes que posent ces obstacles à long terme.

Nous représentons le milieu des affaires et nous profitons de toutes les occasions qui nous sont offertes pour soulever l'existence du problème, tant au niveau fédéral que provincial. Nous avons encore beaucoup de travail à faire avant de régler le problème.

M. Knox : J'aurais dû dire, sénateur, que vous pourriez rendre les accords plus simples et plus ouverts pour le secteur privé de sorte que ceux qui ont des problèmes pourraient en fait avoir recours aux dispositions de l'accord pour régler les différends. C'est une des façons d'assurer que ce dossier mérite l'attention du public. Malheureusement, puisque les fonctionnaires et les politiciens sont responsables de ces accords, ils ne sont ni simples ni ouverts.

Le sénateur Goldstein : Je tiens à vous remercier de vos excellents exposés et d'être venus nous rencontrer aujourd'hui.

L'ACI prévoit, comme vous l'avez signalé un peu plus tôt, un certain nombre d'exclusions, des exclusions importantes. L'expansion économique régionale est exclue, et il en va de même pour les institutions financières et d'autres intervenants. Les exclusions sont accordées à la suite d'interventions d'organismes non gouvernementaux, comme les syndicats, qui n'autorisent pas la mobilité de la main-d'œuvre là où ces employés devraient faire partie d'autres syndicats, et d'organismes professionnels qui insistent pour que les candidats aient certaines qualifications avant d'être autorisés à pratiquer leur métier dans une province donnée. La solution n'est pas nécessairement une intervention législative du gouvernement, même si ce dernier est clairement responsable de ce secteur parce qu'un gouvernement, tout particulièrement un gouvernement minoritaire, ne peut pas, soyons réalistes, composer avec certains de ces problèmes d'une façon qui serait jugée acceptable du point de vue politique. Il faut être conscient de ce problème particulier.

Comment pouvons-nous créer un climat qui permet à l'organisation professionnelle et aux syndicats de collaborer? Comment pouvons-nous les encourager à collaborer afin de réduire les obstacles au commerce, tout particulièrement les obstacles à la mobilité de la main-d'œuvre? Le Conseil de la fédération pourrait-il jouer un rôle utile? L'entente actuelle entre la Colombie-Britannique et la Saskatchewan peut-elle servir de modèle utile pour encourager les autres intervenants à faire de même? Qui devrait les encourager en fait? La semaine dernière le Québec et l'Ontario en sont venus à une entente — une micro-entente, mais une entente quand même — à l'égard ces certains obstacles dans le dossier de la main-d'œuvre. Il n'y a pas très longtemps, le Nouveau-Brunswick et le Québec en sont venus à une entente semblable. À part les mesures législatives, pourrait-on avoir recours à un mécanisme pour encourager l'élimination de ces obstacles non pas de la part du gouvernement mais de la part du monde des affaires? Je pense tout particulièrement aux obstacles à la mobilité de la main-d'œuvre, qui à mon avis est un des droits les plus fondamentaux. Depuis l'affaire des boissons alcoolisées en 1920, et on exclut la bière pour des raisons évidentes, l'expédition des marchandises et de produits entre les provinces ne semble pas être un problème. Cependant, la libre-circulation de la main-d'œuvre semble présenter de graves problèmes. Comment peut-on s'attaquer à ce problème?

M. Knox : Clairement, nous essayons tous de trouver une réponse à cette question.

Essayons donc d'analyser le problème. D'autres questions comportaient deux volets; la première qui touchait les ententes syndicales, qui sont beaucoup difficiles à régler à bien des égards parce qu'ils sont fondées sur des bases locales. Du côté professionnel, je pense que nous avons déjà beaucoup accompli pour régler la majorité de ces problèmes. Certains n'ont pas encore été réglés, mais des choses comme des ententes sur la reconnaissance réciproque que les gouvernements ont parrainée dans le cadre de l'ACI ont permis de régler un bon nombre de ces problèmes. Le leadership coopératif qui existe entre les ministres responsables de la mobilité de la main-d'œuvre est la meilleure façon d'attaquer le problème, parce qu'il existe un intérêt personnel dans les divers groupes professionnels. Certains groupes voudraient simplement essayer de protéger leurs propres intérêts locaux et d'autres voudraient plutôt que l'on établisse une norme nationale. Puis il y a les cas où plus d'un groupe d'une profession particulière, par exemple les comptables généraux licenciés, les CGA, et les comptables agréés, CA, que je connais très bien, mais il y en a d'autres. Il suffit de mentionner les spécialistes des pieds. Il y a des problèmes insolubles comme celui-là, mais dans l'ensemble nombre d'organismes professionnels respectent maintenant des paramètres nationaux. Il semblerait même que les avocats peuvent se déplacer d'une province à une autre. Puis il y a le sceau rouge et le sceau bleu. À mon avis la mobilité de la main-d'œuvre est un secteur où d'importants progrès ont été réalisés, et le sont toujours aujourd'hui. Le processus de consultation actif entre les gouvernements semble porter fruit. Je laisserai mes collègues qui ne partagent peut-être pas mon avis répondre à vos questions.

M. McMahon : Sénateur, si j'ai bien saisi la question, vous nous demandez de trouver une façon de convaincre les syndicats d'agir dans l'intérêt du public.

Le sénateur Goldstein : Oui, cela fait partie de ma question.

M. McMahon : Je suis d'accord avec M. Knox qui dit que certains progrès ont été effectués. Évidemment il n'y a pas de solution de guichet unique dans ce dossier. Vous avez mentionné la situation Québec-Ontario et la situation Québec- Nouveau-Brunswick. Vous vous souviendrez que dans ces deux dossiers, le gouvernement de l'Ontario d'un côté et celui du Nouveau-Brunswick de l'autre ont pratiquement dû rouer le Québec de coups et proférer toutes sortes de menaces. Il a fallu que ces gouvernements aient recours à un vocabulaire et à des gestes durs. Dans d'autres cas, comme M. Knox l'a signalé, des groupes professionnels jugent qu'il est dans leur intérêt d'avoir une compétence transnationale ainsi, si vous êtes avocat, vous pouvez déménager de la Nouvelle-Écosse à la Colombie-Britannique et y travailler. C'est à l'avantage des membres de cette association professionnelle. Cependant tous n'entrent pas dans le même moule. Vous devez étudier chaque dossier séparément, et avoir recours dans certains cas à une matraque et dans d'autres à la simple raison.

Le sénateur Gustafson : Monsieur le président, je ne suis pas membre en titre de ce comité, et je tiens à vous remercier de m'avoir offert cette occasion d'être des vôtres aujourd'hui.

Mes questions portent sur les produits agricoles. Vous avez mentionné les offices de commercialisation, évidemment. Le fait est qu'un agriculteur de la Saskatchewan ne peut pas vendre son blé en Ontario. De plus, un boucher du Manitoba ne peut pas vendre de bœuf en Saskatchewan parce que les règlements stipulent qu'au Manitoba les bouchers doivent avoir un édifice construit de blocs alors qu'en Saskatchewan l'édifice doit être fait de deux sur quatre d'acier et de murs d'acier. Les règlements sanitaires varient selon la région du pays.

En Saskatchewan il existe également le problème de la propriété étrangère. Les gens peuvent venir des États-Unis ou d'autres pays et acheter des terrains; les règlements ne sont pas les mêmes dans toutes les provinces. Cela empire vraiment la situation en Saskatchewan. Par exemple, comme vous le savez peut-être un grand nombre d'exploitations agricoles ont été vendues, et le prix des terrains a chuté, passant de 100 000 $ le quart de section à 40 000 $ en moyenne. Les Américains sont venus et ont acheté tout le bon équipement. Ils auraient acheté des terrains, mais ne pouvaient pas le faire. Ainsi, les investissements que les agriculteurs avaient faits tout au long de leur vie ont perdu énormément de valeur. Nous avons de graves problèmes à régler.

Le président : Il faut se demander comment composer avec tous ces problèmes. Ces problèmes sont très importants pour nos agriculteurs. Nous n'arrivons pas à comprendre que nous ne pouvons pas vendre du blé canadien n'importe où au Canada. Ça semble absolument ridicule. C'est absolument renversant et les gens présument simplement que cela se fait, mais le fait est que nous n'avons pas une économie nationale.

M. Knox : Évidemment, je ne peux pas offrir de réponse. Nous avons réussi dans le dossier Moosehead, mais une bonne partie du succès est attribuable au système de gestion de l'offre. Ce système ne pose pas de problème.

Cependant, un bon premier jalon serait de s'assurer que des secteurs comme ceux des grains et de la viande sont inclus dans l'accord sur le commerce intérieur. Ce n'est pas le cas actuellement. En fait, ils sont actuellement exclus.

Le gouvernement fédéral peut régler le dossier de la viande parce que le problème dépend dans une large mesure de questions d'inspection provinciale. Vous ne pouvez pas vendre votre produit dans une autre province si votre viande n'a pas été inspectée par le gouvernement fédéral. Je crois que la meilleure façon de s'attaquer au problème est de s'assurer que ces secteurs sont inclus dans une entente.

Je ne parlerai pas de la propriété étrangère. Ça semble être un problème différent, mais je comprends que cela nuit énormément au secteur agricole.

M. McMahon : Je suppose que si vous fabriquiez de la bière avec le blé vous pourriez l'envoyer dans une autre province.

Soyons sérieux; nous n'avons pas encore abordé le rôle du gouvernement fédéral dans cette affaire. Plusieurs ont demandé pourquoi nous ne pouvons pas aller de l'avant. Aux raisons données par M. Knox et M. McKinstry, je pourrai ajouter le choix du public. Il doit exister un intérêt général de s'attaquer à ces problèmes. Une disposition de la Constitution canadienne accorde à cet intérêt général l'habilité d'agir dans ces dossiers. Le gouvernement fédéral a compétence sur le commerce interprovincial.

Je crois qu'il est impossible pour le gouvernement fédéral, au point de vue politique, de se servir de cette autorité pour menacer : Faites ce que nous disons ou nous adopterons une loi. Cependant, je pense, et je crois en fait que le comité pourrait se pencher là-dessus, qu'il est possible de trouver des façons d'utiliser l'autorité fédérale de façon diplomatique. De plus, il serait possible de se servir de l'autorité réelle du gouvernement fédéral dans ce dossier pour encourager, convaincre et dans certains cas menacer gentiment les intervenants pour faire avancer le dossier. Je vous dis simplement qu'il faut trouver des façons d'y parvenir.

À certains égards, cette discussion n'a pas fait ressortir à quel point nous avons fait des progrès. Certains intervenants, comme M. Knox, ont joué un rôle très important. Des progrès sont accomplis en ce moment. Cependant, pour accélérer ce progrès, et pour aller au-delà du processus organique actuel, le gouvernement fédéral doit jouer un rôle de leadership.

Le président : Je me suis penché sur l'autorité du gouvernement fédéral en matière de commerce interprovincial et de commerce. Avez-vous déterminé si le gouvernement fédéral pourrait avoir recours à son droit d'annulation pour interdire les obstacles au commerce provincial qui nuisent à l'économie et à ce pouvoir?

M. McMahon : Je ne suis pas avocat de droit constitutionnel et j'hésite donc à répondre à cette question. Je crois cependant que le vrai problème n'est pas vraiment une question d'obstacles juridiques mais bien d'obstacles politiques. Je dis cela avec une certaine hésitation parce que je ne suis certainement pas expert en droit constitutionnel.

Le président : Vous avez piqué notre curiosité; nous nous pencherons sur cette question.

Le sénateur Harb : Je tiens à vous remercier de votre exposé aujourd'hui.

Le Canada est signataire de l'Organisation mondiale du commerce. On pourrait croire qu'à ce titre, en dépit de certains obstacles au commerce qui existent entre les provinces, que toutes les provinces respecteraient les normes internationales établies par l'Organisation mondiale du commerce en matière de commerce.

On pourrait croire que si ces provinces respectent les exigences de l'Organisation mondiale du commerce, les relations commerciales ne peuvent pas être si mauvaises. C'est peut-être pour cette raison que les entrepreneurs et les gens d'affaires ne se précipitent pas pour demander au gouvernement fédéral ou même au gouvernement provincial d'intervenir pour faire disparaître ces obstacles. Pensez-vous que cela explique en partie la situation?

M. McMahon : Je crois qu'il est juste de dire que les problèmes créés par les obstacles intérieurs au commerce, qui sont regrettables et créent des problèmes, n'entraînent pas l'effondrement de l'économie canadienne. C'est pourquoi le public ne se soulève pas contre ce genre de problèmes.

Nombre d'économistes se sont penchés sur la façon dont des petits groupes d'intérêt peuvent nuire à l'économie nationale et obtenir ce faisant des avantages politiques.

Je suis d'accord avec une partie de votre question, mais nous n'avons pas tous 10 000 $ en moins à la fin de l'année en raison de ces problèmes. Il est vrai que nous avons moins d'avantages en général en raison du problème. Ce n'est pas parce qu'il ne s'agit pas d'un problème énorme que ce problème n'est pas important.

Pour ce qui est de cette théorie du choix public, pour revenir à ce qui a été dit par M. Knox et par M. McKinstry, j'aimerais rappeler qu'on a démontré qu'un petit groupe qui a des intérêts importants dans un dossier a trop souvent le pouvoir politique nécessaire pour avoir gain de cause sur un plus gros groupe dont l'intérêt est moins important.

Si je suis un producteur laitier, je ferai beaucoup d'efforts pour protéger et trouver des façons de protéger les obstacles qui me permettent de faire de l'argent. Si je suis un consommateur de produits laitiers, je ne consacrerai pas beaucoup de temps à trouver une façon d'économiser de 10 à 20 $ par année en faisant baisser le prix du lait.

Encore une fois, je crois que vous avez raison, mais cela ne nous empêche aucunement d'aller de l'avant et d'attaquer le problème.

Le sénateur Harb : Pour ce qui est de l'enseignement postsecondaire, lorsqu'un étudiant de la Colombie-Britannique ou de Terre-Neuve veut aller à l'université en Ontario, c'est tout un cauchemar d'essayer de faire reconnaître les cours qu'il a déjà suivis dans sa province d'origine. Je crois qu'un d'entre vous a mentionné le problème un peu plus tôt.

Les groupes professionnels et les établissements d'enseignement ont un rôle à jouer. Nous ne pouvons pas demander à un seul groupe d'agir. Je crois que tous sont responsables de la situation.

Je vais me faire l'avocat du diable et dire que peut-être certains obstacles peuvent avoir un impact fort positif. Par exemple, prenons un office national qui est chargé de la réglementation et son homologue provincial. Dans certaines provinces, les règlements sont peut-être plus stricts, et ce, pour de bonnes raisons; par exemple, dans le secteur du transport ou de l'environnement.

Certaines provinces verront peut-être dans ce règlement des mesures de protection, mais tout compte fait les résidents de la province qui a adopté ce règlement les appuient probablement. Il serait à l'avantage des résidents d'une province que cette dernière adopte des mesures discriminatoires à l'égard des autres provinces, lorsqu'il s'agit de l'intérêt public.

Messieurs, avez-vous examiné en détail cette question? J'appuie le principe des normes nationales. Je vous l'assure. Cependant, je crois qu'une fois que vous établissez la norme, les gens diront qu'ils l'ont respectée mais qu'ils ne veulent pas aller plus loin. Si vous permettez la concurrence, les intervenants iront plus loin que les normes établies.

M. Knox : En fait, l'accord actuel ainsi que l'accord de l'Alberta et de la Colombie-Britannique reconnaissent justement ce facteur. L'accord établit des normes qu'on appelle des objectifs légitimes, qui précisent que si une province peut démontrer qu'elle doit adopter cette mesure pour protéger la santé et la sécurité de la population et de l'environnement, cette mesure sera adoptée. Cependant, il appartient à...

Le président : Il appartient à...

M. Knox : C'est exact et vous devez avoir un système dans lequel cette rigueur entre en ligne de compte. Le problème c'est qu'il n'existe aucun mécanisme dans la structure actuelle qui permette de dire que nous avons absolument besoin de ce règlement pour des raisons particulières et nous pouvons donc l'adopter. En fait, c'est ce qu'il faut faire.

M. McMahon : Monsieur le sénateur, ma position est complètement différente de la vôtre. Je crois que les ententes de libre-échange s'accompagnent d'un régime disciplinaire approprié en ce qui a trait aux réglementations pour les raisons qu'a énoncées M. Knox. Si vous pouvez démontrer qu'un règlement s'impose, si vous pouvez prouver qu'il est important pour la santé ou peu importe, vous pouvez maintenir le règlement. Dans le cadre des accords de libre- échange, si vous ne pouvez pas démontrer l'avantage, si vous ne pouvez pas démontrer qu'un règlement est à l'avantage non seulement d'un groupe d'intérêt spécial, vous devrez vous en défaire. Même si les leaders ne le disent jamais, nombre de pays du tiers monde sont très heureux de devenir les signataires d'accords de libre-échange internationaux parce qu'ils peuvent se défaire ainsi de toutes sortes de politiques stupides dont ils ne pourraient se défaire autrement. Je crois que le libre-échange fait justement le contraire de ce que vous avez décrit; il améliore les règlements au lieu de les empirer.

Le sénateur Eyton : Je pense que votre message, et son fondement, est très clair pour tous ceux qui sont autour de la table. Nous sommes tous du même avis et nous nous entendons sur le message. Il me semble que le problème n'est pas le libellé ou la compréhension du problème. Ce qui est difficile c'est d'obtenir l'appui politique approprié pour apporter les changements qui s'imposent.

Nous devons composer avec toutes sortes d'inhibitions, de restrictions, de pratiques ou de préférences qui sont cachées et qui visent à favoriser certains particuliers ou groupes d'intérêt, et très souvent le public ne sait même pas qu'elles existent.

J'étais fort heureusement du parti vainqueur lors des discussions et de l'adoption du libre-échange et de l'ALENA. Il est vrai que l'accord n'est pas parfait, mais il s'agit d'un document important qui a eu un impact positif marqué.

L'ACI est un pauvre document qui comporte toutes sortes d'exceptions et qui n'a eu pratiquement aucun impact depuis déjà 10 ans. Il a été préparé par tous les signataires qui faisaient semblant de s'être entendus pour améliorer les choses, mais peu a été accompli depuis sa signature.

Comment pouvons-nous créer ce même genre de sensibilité et susciter ce genre de débat pour que le public comprenne l'ampleur du problème et pour que les dirigeants décident d'agir? Vous représentez tous trois des groupes particuliers, des membres. La chambre de commerce compte environ 180 000 membres. Je pense qu'il faut que le public se soulève et dise que tout cela aura un impact sur tous les Canadiens et rendra le Canada moins concurrentiel.

Comment pouvons-nous généralement conscientiser le public, pas autant que vous l'êtes dans cette salle-ci, mais l'amener au moins à mieux comprendre la situation afin qu'au plan politique les divers gouvernements concernés décident d'agir correctement?

M. Knox : Je tâcherai de ne pas me sentir personnellement offensé du fait que l'ACI n'a pas fonctionné, puisque j'étais là pour négocier.

Le sénateur Angus : Vous étiez sorti de la salle.

M. Knox : Dès que j'ai quitté la salle, ils l'ont modifié.

Le sénateur Campbell : Ce n'est pas vous qui avez essayé de vous défiler.

M. Knox : Non, mais à l'époque j'en ai eu le sentiment.

Je ne connais pas la réponse. Lors des négociations de l'ACI, nous avons vaillamment essayé de susciter l'adhésion du public, et nous avons obtenu beaucoup d'aide de la part de la Chambre de commerce du Canada ainsi que d'autres organismes, y compris l'Association des manufacturiers canadiens, comme elle s'appelait alors, et le Conseil canadien des chefs d'entreprise, mais, je ne sais trop pourquoi, cela n'a pas duré.

Je ne connais pas la réponse. On peut remonter à la fois où le premier ministre Mulroney s'est plaint de ne pas pouvoir acheter de la Moosehead et au retentissement que cela a eu auprès du public, mais cela ne suffit pas, et ne permet pas de faire durer la sensibilisation.

Je crois personnellement que l'accord est trop bureaucratique. Il faut un accord qui permette au secteur privé d'intervenir et d'aider à cerner et à résoudre les problèmes de façon plus efficace. Il serait très inhabituel toutefois que des gouvernements adhèrent à un accord de ce type, comme vous le savez.

M. McMahon : Ce qui montre la difficulté, c'est le fait que les politiques demandent aux économistes comment communiquer avec le public.

Le sénateur Campbell : Je ne suis pas membre de ce comité-ci; en fait, je représente ici un autre sénateur. Ce domaine ne fait certainement pas partie de ceux dont je me prétends expert. Certaines personnes diraient que je n'ai aucun domaine de compétence, mais cela est un autre problème.

Que fait-on aux États-Unis? Comment les États se traitent-ils les uns les autres? Y a-t-il des obstacles là également?

M. Knox : Je vais vous répondre en trois parties. Oui, ils ont également des obstacles au commerce. Le deuxième élément, c'est que cela n'a pas beaucoup d'importance dans un État tel que celui de New York, qui compte 30 millions d'habitants. Dans ce cas-là, les obstacles n'ont pas beaucoup d'effets. Pour ce qui est de la troisième partie de la réponse, bien que je ne puisse pas être trop précis parce que je n'ai pas examiné cela depuis longtemps, je crois savoir que le gouvernement fédéral a beaucoup plus de pouvoirs pour régler les problèmes. Nous n'avons pas cela au Canada.

Le sénateur Campbell : Nous avons réussi à soutenir l'ALENA sur tous les fronts, pour les Canadiens. Il est très rare qu'une journée se passe sans qu'on ait discuté de l'ALENA d'une façon ou d'une autre. Comment se fait-il que nous ayons ce comportement-là, alors que nous ne réussissons pas à faire quelque chose qui, selon moi, paraît parfaitement évident? Il n'est pas logique que les Canadiens ne s'intéressent pas aux autres Canadiens. C'est du protectionnisme à l'état pur.

En réussissant à savoir comment nous avons maintenu la sensibilisation du public à l'endroit de l'ALENA, nous pourrions peut-être en faire autant pour le commerce interprovincial.

Je ne crois pas que le Canadien moyen ait la moindre idée de la situation. Cela ne fait tout simplement pas partie du monde dans lequel ils vivent, à moins qu'il ne s'agisse d'un boucher, au Manitoba, qui veut faire des échanges commerciaux. C'est parfaitement ridicule.

M. Knox : Une partie de la réponse se trouve dans ce que M. McMahon a dit : vaut mieux faire de petites concessions plutôt que d'être contraints à en faire de vraiment douloureuses. Permettez-moi, cependant, d'envisager les choses différemment. Cette réponse ne sera pas très utile, mais je vais tâcher de la rendre brève.

Si l'on examine les statistiques des échanges après l'ALENA et après l'Accord sur le commerce intérieur, on constate que les échanges avec les États-Unis et les pays étrangers ont considérablement augmenté. Le commerce interprovincial n'a pas diminué, quant à lui, mais il n'a pas augmenté autant. Le fait est que beaucoup des échanges qui ont lieu au Canada ont lieu dans la direction nord-sud. Parfois, il est plus facile de faire du commerce nord-sud qu'est-ouest. Si vous vivez dans l'est du Canada, il est plus facile de faire des affaires avec la Nouvelle-Angleterre qu'avec la Colombie- Britannique.

Je soupçonne qu'une partie du problème tient à la nature même de notre pays, et pourtant il s'agit là d'un élément vraiment très important. Si tous nos échanges se font dans le sens nord-sud plutôt qu'est-ouest, cela constitue un problème pour l'entreprise du fédéralisme canadien, parce que, à long terme, nous allons éprouver des difficultés.

Le sénateur Angus : Permettez-moi d'examiner le processus.

Comme l'a dit le sénateur Eyton, ces vérités sont manifestes : le Canada nage contre le courant parce que, à l'échelle mondiale, la tendance est à la libéralisation du commerce. Notre fédération a un problème qui tient au déséquilibre fiscal et à divers autres problèmes qui affligent la fédération. Proposer d'ouvrir nos portes et de modifier la Constitution est presqu'un tabou qu'on n'ose plus transcender. Tout le monde en a peur. Les gouvernements fédéral et provinciaux craignent les mots « 7/50 » dans les divers concepts d'une formule d'amendement.

Monsieur Knox, je veux vous appuyer et je suis un grand partisan de l'Institut économique de Montréal et d'autres organismes de ce genre. En qualité de gestionnaire, vous avez eu l'expérience directe de la mise en œuvre de l'Accord sur le commerce intérieur. J'ai lu le rapport annuel et il me semble qu'un processus bien précis a permis que cela se produise. Ce n'était ni la Commission Rowell-Sirois ni la Commission Macdonald, mais autre chose qui s'est produit et qui a rassemblé les divers intervenants pour parvenir à un accord. Comme vous l'avez dit, c'était un exercice imparfait, mais cela a permis de créer le cadre. Il y a un secrétariat qui produit un rapport annuel. J'ai noté que les ministres chargés du commerce de chaque province sont membres du comité principal. En outre, des hauts fonctionnaires de chaque province sont membres du comité des opérations. Nous avons déjà un point de départ. Nous n'avons pas besoin de convoquer une conférence fédérale-provinciale ni de créer une autre Commission Macdonald pour effectuer une grande étude. Nous savons que nous faisons obstacle à notre bien-être économique et à la productivité de notre pays parce que nous ne pouvons pas acheter de la margarine jaune au Québec et que nous ne pouvons pas acheter de la Newman's Port ou de la Moosehead à Toronto. Ce sont là de petites sources d'irritation et il nous faut un système de libre-échange pur et vigoureux partout au Canada. Le processus existe-t-il? Comment pouvons-nous corriger le problème? Y a-t-il moyen d'y parvenir?

M. Knox : Répondons d'abord à votre première observation : À quel moment cela s'est-il produit, ou qu'est-ce qui a causé cette situation? Ce qui l'a causée, c'est l'échec des discussions constitutionnelles concernant l'union économique. En fait, cela s'est produit bien des mois avant que les ministres ne se réunissent et ne disent qu'ils devaient faire quelque chose pour corriger le tir. Il en est résulté l'Accord sur le commerce intérieur.

Je ne sais pas comment recréer ce moment. Vous avez également raison de dire qu'un des aspects positifs de l'accord, c'est qu'il crée une structure qui, théoriquement, peut le propulser vers d'autres améliorations. Nous pensons tous que l'accord signé en 1994 n'était pas l'aboutissement, mais uniquement le début, parce qu'il entraînerait des changements. C'est pour cela qu'ont été créés le comité du commerce intérieur et le secrétariat. Bien sûr, ce qui s'est produit depuis, c'est que les membres du comité du commerce intérieur ont passé leur temps à se chamailler pour des babioles, alors qu'ils auraient dû se concentrer sur les grands dossiers. En jetant un coup d'œil sur l'accord, vous constaterez qu'il prévoit un mécanisme de publication d'un rapport annuel et qu'il examine non seulement le commerce intérieur mais aussi le marché intérieur. Comment fonctionne-t-il? Où sont les problèmes? Comment les résoudre? Dans ce pays, rédiger une réglementation, c'est plus qu'avoir tout simplement un accord sur le commerce intérieur. Il faut choisir les problèmes qui sont importants, les examiner et tâcher de concilier les divers points de vue afin que cela fonctionne.

Je parle simplement de mon point de vue. Toutefois, la structure prévue par l'accord est en place et peut servir de pierre d'assise. Depuis 1995, le secrétariat a été réduit à l'impuissance. Selon moi, il n'a aucun pouvoir, mais c'est peut- être moi qui étais le problème. Nous envisagions le secrétariat comme un catalyseur, l'élément qui aurait la capacité d'examiner les questions les plus vastes. Toutefois, les gouvernements nous ont dit non, vous ne faites rien tant que nous ne vous le demanderons pas expressément. Bien sûr, les gouvernements ne lâchent pas les rennes, parce qu'ils détestent les organismes imprévisibles ou indisciplinés et qu'ils ne peuvent pas contrôler, et c'est ce que pourrait être un secrétariat de ce type.

Dès lors, le comité du commerce intérieur s'est refermé sur lui-même et a commencé à s'intéresser à de petites choses plutôt qu'à des questions d'envergure.

Le sénateur Angus : Dans ce cas, que faudrait-il? Il me semble que cette impuissance, le comité ne se l'est pas infligée lui-même, mais qu'elle lui a été imposée par les gouvernements provinciaux et fédéral plutôt que par les intervenants qui essaient de faire fonctionner les choses. J'étais optimiste de croire que nous avions un cadre en place et qu'il pouvait résoudre le problème, pour qu'il soit activé, dans une structure qui a déjà été créée. Je crois que c'est le génie même de l'accord à l'élaboration duquel vous avez participé. Que faudrait-il pour remettre les choses sur la bonne voie?

M. Knox : Il faudrait probablement remonter le cours du temps jusqu'à 1995 et examiner le rôle du comité du commerce intérieur, des ministres et du secrétariat ainsi qu'élargir le rôle du comité du commerce intérieur. Autrement dit, il faut donner au comité le rôle que je viens de décrire, parce que ce rôle n'est pas clairement défini dans l'accord. Précisons dans l'accord qu'il nous faut un organisme qui se préoccupe du marché intérieur et que le comité sera cet organisme. Le travail du comité n'est pas simplement de prendre note des problèmes ou des plaintes, mais de régler les problèmes du marché. Ce serait déjà un bon premier pas.

Le sénateur Angus : Je constate que le président titulaire actuel est Benoît Pelletier, qui est ministre au Québec. Le succès ou l'échec de ces organismes-là dépend souvent du dynamisme du président du jour. Serait-il possible de réussir si nous installations un président animé d'une véritable volonté d'agir? Je sais que le président est choisi selon un roulement préétabli. Un président déterminé à agir pourrait-il constituer une partie de la solution?

M. Knox : Peut-être bien. Il existait officieusement un coprésident fédéral et un autre provincial, mais, je ne sais trop pourquoi, nous n'avons pas combattu assez fort pour que cela soit maintenu. Il est logique d'avoir un coprésident fédéral dans des organismes tels que celui-ci pour assurer la continuité et le leadership national. Il y a environ deux ou trois ans, on a changé cela et le roulement du titre de président n'est pas officiellement reconnu dans l'accord. Le comité pourrait faire deux choses. Au lieu d'avoir des mandats d'un an, il pourrait permettre au ministre de s'installer dans son poste de président et d'y passer un peu plus de temps. En fait, ce n'est pas tant le ministre qui en bénéficierait que les bureaucrates provinciaux. S'ils étaient là pendant deux ou trois ans, avec un coprésident fédéral, ils pourraient assurer une continuité et une surveillance différente de ce qu'elles sont actuellement.

Le sénateur Angus : C'est le processus qui est l'élément clé pour régler ces problèmes.

M. Knox : Merci, sénateur, parce que je suis d'accord. Si le processus n'est pas en place, on ne dispose pas du mécanisme nécessaire pour résoudre le problème. Pour revoir la structure et modifier le mandat, il faut un groupe de hauts fonctionnaires qui appuient ce type de processus : pas le secrétariat actuel, mais le secrétariat qui, selon moi allait être créé, mais n'a jamais vu le jour. Actuellement, le secrétariat s'occupe strictement d'organiser le fonctionnement des groupes de travail. Il joue un rôle limité et bureaucratique, mais il faudrait qu'il y ait une certaine créativité dans le processus.

Le sénateur Angus : Si nous tenons ces réunions, c'est principalement pour participer à ce processus. Nous voulons être de ceux qui aident à remettre ce processus sur la bonne voie, afin qu'il ne faille pas réexaminer la question tous les trois ans. Le comité tient à présenter un rapport musclé, si vous me permettez cette expression, afin d'amener les parties provinciales et fédérales à relancer le processus. Cela serait-il utile?

M. McMahon : Il existe une grande différence entre notre situation juridique et celle des États-Unis qui disposent d'une règle sur les échanges inter-États, règle utilisée pour à peu près n'importe quoi, y compris de nombreuses activités criminelles. La règle du commerce est utilisée aux États-Unis et sert donc de précédent politique. Au Canada, nous ne nous en servons pas. Là encore, il s'agit d'un domaine dans lequel le gouvernement fédéral devrait songer à se lancer. Les membres inutilisés finissent pas s'atrophier, mais on peut les raviver en leur faisant faire de l'exercice.

Le président : Permettez-moi de parler d'une chose que j'ai trouvée très excitante lorsque j'ai examiné cette question pour la première fois, il y a plus de 30 ans, et plus récemment. Je parle de l'aspect économique de la question. Je crois qu'une des réponses aux positions exprimées par les sénateurs Massicotte, Eyton et Angus tient à la frustration que nous éprouvons de constater qu'il n'existe pas de volonté politique. Cela s'explique, entre autre raison, par le fait que nous n'avons pas porté à l'attention de la population le coût du manque de productivité de l'économie en termes de richesse réelle.

Franchement, je suis surpris que nous n'ayons pas entendu parler de cela ce matin. Notre deuxième groupe de témoins nous en parlera peut-être, mais je cherche à connaître les coûts économiques d'une fragmentation de l'économie due à la présence d'obstacles au commerce interprovincial. En 1998, une étude fondée sur des données de recherche établies par l'Alliance des manufacturiers et exportateurs du Canada en 1991 évaluait la perte à 1 p. 100 du PIB. C'est un chiffre important, si l'on compare cela au fait qu'au cours des 20 dernières années, les revenus réels des ménages n'ont pas augmenté. Si nous n'augmentons pas la productivité de notre économie, nous réduisons la richesse collective pour chaque famille canadienne. Selon moi, ce problème a une incidence sur le pouvoir de dépenser de chaque famille canadienne.

Pouvez-vous nous fournir des statistiques récentes qui montrent les coûts actuels pour l'économie, fondées sur le modèle que vous choisirez? Combien coûte à chaque famille canadienne l'absence de volonté politique pour régler ce problème? Pouvez-vous nous aider à trouver la réponse à cela? Pouvez-vous nous fournir des renseignements statistiques à l'appui de ce que nous soutenons, c'est-à-dire que ce problème nuit à l'économie du Canada?

Le sénateur Massicotte : Combien représente 1 p. 100 du PIB, monsieur le président? Combien d'argent les Canadiens perdent-ils?

Le président : Je ne saurais l'évaluer. Monsieur McMahon, pouvez-vous nous aider?

M. McMahon : Cela s'inscrit entre 10 et 15 milliards de dollars.

Le président : Selon mon calcul, c'est entre 10 et 25 milliards de dollars. C'est un montant énorme. Cela a une incidence sur les familles. Je remercie le sénateur Massicotte d'avoir posé la question.

Nous devons faire la preuve — et vous allez devoir nous aider — que le problème n'est pas uniquement politique. Cela nuit à la croissance et à la productivité de notre pays et la situation empire au lieu de s'améliorer.

Pouvez-vous nous proposer des statistiques qui appuient ce point de vue? Les statistiques les plus récentes dont nous disposons datent de 1998, et se fondent sur des calculs effectués en 1991. Nous savons que la situation est pire aujourd'hui.

M. Knox : Je vais éviter de répondre à cette question, monsieur le président, parce que depuis 20 ans j'essaie de trouver ce chiffre, tout comme la Commission Macdonald. Ce que je peux vous dire, c'est que c'est une histoire bien triste, et que nous ne sommes jamais parvenus à un chiffre; la fois où nous nous en sommes rapprochés le plus, c'était en 1991.

Le rapport du Conference Board est utile et instructif, mais il n'établit jamais de bilan. Il montre qu'il y a une perte, mais il ne fournit jamais de chiffres précis.

Le président : Nous devrions peut-être demander au gouvernement fédéral ou à la banque centrale, la Banque du Canada, d'établir ce chiffre.

M. Knox : La seule chose que j'ai constatée, c'est qu'à l'époque on discutait pour savoir si 1 p. 100 représentait un montant important ou non.

Le président : Nous pensons que c'est un chiffre important.

M. Knox : Je le pensais également moi-même.

Le président : Permettez-moi de passer à la question suivante. Je voudrais brièvement aborder deux sujets avec vous. Je ne suis pas nécessairement d'accord avec ceux qui disent qu'au gouvernement fédéral, nous n'avons pas le pouvoir de nous occuper de ces questions. L'article 121 de la Constitution de 1982 interdit les obstacles explicites aux échanges et au commerce entre les provinces. Plus récemment, l'article 6 de la Charte canadienne des droits et libertés appuie la mobilité de la main-d'œuvre en assurant que les Canadiens ont le droit de se déplacer et de gagner leur vie n'importe où au Canada.

Si l'on songe aux divers obstacles à la productivité, on peut dire qu'en matière de mobilité de la main-d'œuvre, nous avons connu des événements positifs parce que la Colombie-Britannique et l'Alberta ont conclu une entente et que l'Ontario et le Québec ont conclu une entente sur une mobilité limitée. Nous avons, par contre, d'immenses restrictions en ce qui concerne l'approvisionnement, les transports, l'énergie, les services financiers, l'agriculture, comme l'a dit le sénateur Gustafson, et les boissons alcoolisées. Il s'agit là uniquement d'un échantillon aléatoire. Quel que soit l'endroit ou le domaine économique, il y a des empêchements à la productivité.

Notre comité s'intéresse en particulier à l'économie nationale et ces obstacles à l'activité économique nous dérangent. Nous avons examiné cela dans notre rapport. Nous allons émettre un autre rapport aujourd'hui sur la bombe à retardement que constitue la situation démographique. Cela dit, tout cela nous ramène à une seule question : la productivité.

Si nous voulons vraiment améliorer la productivité et la richesse de chaque famille au Canada, cette question-là est fondamentale. Nous devons, d'une façon ou d'une autre, accroître la conscientisation pour nous aider à obtenir les chiffres à l'appui d'une thèse qui constitue, aux yeux de tous, une évidence. Toutefois, personne n'agit.

Comment pouvez-vous nous aider à obtenir les chiffres qu'il nous faut?

M. McMahon : Nous sommes du même avis vous et moi. Je crois que le gouvernement fédéral devrait assumer son rôle de chef de file. S'il peut s'ingérer aussi librement qu'il le fait dans les champs de compétence provinciaux, pourquoi ne peut-il pas s'acquitter de ses responsabilités?

J'appuie votre demande. Il faut que le gouvernement fédéral fasse cela, ou peut-être la Banque du Canada. Le gouvernement du Canada ne peut pas ordonner à la Banque du Canada de faire ce type d'étude.

Le président : La Banque est concernée par l'union économique.

M. McMahon : Le problème, c'est que ces études sont coûteuses. Quelle entreprise ou quelle association serait prête à dépenser des dizaines voire des centaines de milliers de dollars pour effectuer une étude de cette envergure? Ces études sont coûteuses. Quel jeune économiste ambitieux est prêt à refaire le chemin déjà parcouru et à redire que le commerce est une bonne chose? Il faut l'appui de l'État.

Si cette étude importante doit être effectuée, je crois qu'il faudra que ce soit le gouvernement fédéral qui la fasse. Ce serait une chose sur laquelle vous et moi serions d'accord. Le gouvernement fédéral pourrait jouer un rôle de leadership dans son propre secteur de responsabilités.

Le président : Nous soulevons ces questions parce que nos audiences durent encore une journée et demie ou deux. Nous voulons que les autres témoins, ceux que nous n'avons pas pu entendre en raison de l'ajournement du Parlement, traitent de certaines de ces questions lorsqu'ils reviendront nous voir.

Permettez-moi de vous lire l'article 121 de la Constitution de 1867, qui montre que le gouvernement fédéral a, s'il choisit de l'exercer, le pouvoir nécessaire. Voici ce qu'on y dit :

Tous articles du crû, de la provenance ou manufacture d'aucune des provinces seront, à dater de l'union, admis en franchise dans chacune des autres provinces.

C'est manifestement un accord de libre-échange. Franchement, nous ne nous sommes pas servis du pouvoir constitutionnel qui nous est accordé pour régler certains de ces problèmes. Selon moi, si l'on croit au respect du droit, on ne saurait s'y soustraire.

Je tiens à remercier les témoins pour cette partie de nos audiences, qui se poursuivra ultérieurement. Si vous avez autre chose à ajouter aux remarques que vous avez déjà faites, et j'espère que vous nous regarderez lorsque nous tiendrons nos audiences ultérieures — si vous avez des renseignements sur l'aspect financier, l'aspect budgétaire, cela serait très utile pour le comité. Notre comité est prêt à s'occuper de cette question de façon active et en prenant les devants. Nous tenons à vous remercier de votre comparution ce matin et du temps que vous nous avez consacré.

Mesdames et messieurs, nous poursuivons notre étude des obstacles au commerce interprovincial au Canada et, plus particulièrement, de la mesure où ces obstacles limitent la croissance, la rentabilité et la productivité ainsi que la capacité des entreprises dans les provinces concernées, entre elles et avec les États intéressés des États-Unis, à former des régions économiques pour favoriser la prospérité économique.

Comme je l'ai dit plus tôt, ce comité se concentre sur les mesures concrètes qui peuvent améliorer la compétitivité et la productivité et qui peuvent supprimer les obstacles au commerce interprovincial jugés nuisibles d'une façon ou d'une autre.

Nous sommes ravis de nous concentrer sur ce que nous considérons être un nouveau modèle économique régional de croissance chevauchant la frontière Canada-États-Unis. J'ai le plaisir de recevoir aujourd'hui deux témoins, soit M. Jim Phillips, président-directeur général de la Canadian/American Border Trade Alliance, et M. Pat Whalen, consultant en commerce extérieur auprès du Buffalo World Trade Center, à Buffalo (New York).

Vous avez entendu parler des problèmes suscités par les obstacles au commerce interprovincial au Canada. C'est dans l'espoir de stimuler les décideurs canadiens que nous allons vous écouter parler des avantages de ces nouveaux moteurs de croissance.

Je suis ravi que James Phillips soit parmi nous. C'est un bon ami à moi. Cela fait dix ans qu'il fait œuvre de pionnier avec les moteurs de croissances économiques qui chevauchent la frontière.

Jim Phillips, président-directeur général, Canadian/American Border Trade Alliance : Nous sommes heureux d'avoir été invités. À titre d'information, j'ai apporté aujourd'hui pour les sénateurs une carte où figurent toutes les jonctions routières, les principales liaisons ferroviaires et, surtout, les principales régions économiques binationales entre les États-Unis et le Canada, avec leur nom figurant en haut.

Le président : Ce n'est peut-être pas évident pour notre auditoire, mais il y a le Pacifique Cascadia, c'est-à-dire le Nord-Ouest, l'ouest des Rocheuses, le centre du continent, la frontière des Grands Lacs, la frontière du Niagara, la région New York-Québec et la région Nouvelle-Angleterre-est du Canada. Il s'agit essentiellement de six régions économiques.

M. Phillips : Il y en a sept : la région du Niagara est distincte de celle du Québec, qui est elle-même distincte de l'Ontario. Nous parlons donc de sept régions.

Je vais résumer la situation. J'ai également soumis par écrit des suggestions de coopération et de coordination pour que ces moteurs économiques fonctionnent de la façon la plus efficace et efficiente possible, mais je ne le répéterai pas maintenant. Vous y trouverez les forces et les faiblesses dont il faut tenir compte, les obstacles au développement, les tendances qui s'amorcent, les pratiques exemplaires, si on peut dire, dans diverses régions et, enfin, les priorités.

La Canadian/American Border Trade Alliance a établi un conseil formé de l'ensemble des sept régions économiques binationales, du Pacifique à l'Atlantique, plus les 21 couloirs commerciaux principaux, nord-sud et est-ouest, ainsi que les portails frontaliers, les ponts et les tunnels qui relient nos deux pays.

Le président : Monsieur Phillips, ralentissez un peu, s'il vous plaît. Nous ne manquons pas de temps. Nous voulons donner aux interprètes la chance de vous suivre.

M. Phillips : La Canadian/American Border Trade Alliance a un conseil officiel. Y participent les sept régions économiques binationales qui s'étirent entre le Pacifique et l'Atlantique; les 21 grands couloirs commerciaux nord-sud et est-ouest; et les voies d'accès ainsi que les ponts et tunnels transfontaliers. L'Alliance a un conseil unique qui s'entend pour échanger des pratiques exemplaires et pour montrer le chemin à suivre.

L'analyse qui suit a fait l'objet d'une présentation à l'initiative de recherche en matière de politiques du Bureau du Conseil privé, début mars. Le sénateur Grafstein figurait parmi les hôtes du groupe parlementaire Canada-États-Unis qui a organisé l'événement. Nous avons passé un jour et demi à présenter des données, dont nous résumerons aujourd'hui les faits saillants.

Nous allons procéder d'ouest en est. La région du Nord-Ouest du Pacifique, soit la Pacific Northwest Economics Region (PNWER), constitue la région économique la plus occidentale. Elle comprend l'Alaska, l'Alberta, la Colombie- Britannique, l'Idaho, l'Oregon, le Montana, Washington et le Yukon. L'Organisation officielle par statut remonte à 1991.

Il s'agit essentiellement d'un effort du secteur public, des élus et du secteur privé. Il y a plusieurs strates que je dois préciser. Le Cascadia Center of Discovery Institute, au sein de la PNWER, effectue une bonne part du travail d'analyse; l'International Mobility and Trade Corridor, troisième groupe sous le chapeau de la PNWR, a trait à la route régionale 5 qui longe la côte Ouest, de la Colombie-Britannique à la Californie.

La deuxième diapo montre la grappe industrielle transfrontalière. Le sénateur Grafstein nous a demandé de vous montrer l'effort de développement et de coopération dans les secteurs de la nanotechnologie, la biotechnologie et l'industrie aérospatiale. Vous pouvez constater que la Colombie-Britannique, l'Alberta, l'État de Washington et l'Oregon se sont unis pour lancer une initiative aérospatiale sous l'égide de la PNWER. C'est un excellent regroupement qui travaille sur la côte Ouest. La Canadian/American Border Trade Alliance s'occupe des initiatives ayant trait aux problèmes de frontière pour le regroupement, si bien que nous travaillons en équipe.

L'ouest des Rocheuses est la prochaine région économique...

Le président : Monsieur Phillips, avez-vous la diapositive de la PNWER que nous avons vue et qui montre la coopération entre les universités dans les États frontaliers?

M. Phillips : Il faudra que je vous fournisse cette feuille plus tard, sénateur. Je suis désolé.

Le président : Continuez.

M. Phillips : Laissez-moi revenir un peu en arrière. Les universités de cette région économique, aux États-Unis et au Canada, sont unifiées. Il y a une coordination et une coopération ouvertes qui font fi des frontières — entre les États, les provinces ou nos deux pays. Il y a un effort de coopération. Si cette région était une force économique ou un pays, elle se placerait à la dixième place dans le monde.

La deuxième région est l'ouest des Rocheuses nord-américaines. C'est près de la PNWER, mais je voulais vous montrer une carte économique. La diapositive montre les mouvements de populations aux États-Unis, par État et par comté. Dans les années 80 et les années 90, voici le mouvement vers l'Est qui s'est produit, dans les zones noires.

Voici à présent une carte des régions de l'ouest des États-Unis et le détail de la croissance démographique, de l'augmentation du revenu des particuliers et de la croissance de l'emploi pour chacune des régions en comparaison avec l'ouest des Rocheuses nord-américaines.

Voici maintenant une diapositive qui vous intéressera sans doute : les mouvements de population au Canada pendant 10 ans, de 1991 à 2001, ainsi que la croissance du revenu des particuliers et celle du marché de l'emploi dans chaque province. Comme vous pouvez le constater, l'Alberta et l'Ouest connaissent une croissance fulgurante, ce qui ne vous étonnera sans doute pas. Vous avez là un exemple des aspects économiques de la région économique binationale en question.

La diapositive suivante montre le milieu occidental du continent, la région des grandes plaines du Nord. C'est essentiellement le centre du continent, de Winnipeg au Mexique, en plein milieu.

J'insiste particulièrement sur cette diapositive, parce que c'est la quintessence du phénomène que vous recherchez. Entre 1992 et 1997, les échanges entre le Canada et les États-Unis ont doublé, tant en provenance des États-Unis vers le Canada qu'en provenance du Canada vers les États-Unis. Le commerce d'est en ouest entre le Canada et les États-Unis a quadruplé dans ces régions, passant d'un milliard de dollars à près de 4 milliards de dollars. Il y a un chiffre que l'on perd de vue : la croissance des échanges économiques au sein de ces deux provinces et cinq États; ils ont été multipliés par sept durant la même période, passant de 56 millions de dollars à 376 millions de dollars. C'est bien le reflet de l'influence des moteurs économiques au sein de la région, formée par le Dakota du Nord, le Dakota du Sud, le Nebraska, le Minnesota, l'Iowa, le Manitoba et la Saskatchewan. On parle beaucoup des échanges entre les États-Unis et le Canada, mais on a tendance à perdre de vue ce phénomène, malgré les énormes répercussions pour la région d'un chiffre multiplié par sept.

La diapositive suivante présente la région économique des Grands Lacs, soit essentiellement l'Ontario, l'Illinois, l'Indiana, l'Ohio et la Pennsylvanie. À droite figurent les régions de l'Ontario et de l'État de New York, puis de l'Ontario et du Québec avec l'État de New York. Cela vous donne une idée de l'économie des Grands Lacs.

Le président : Nous avons cherché à établir des chiffres et en avons conclu que, si la région était constituée en tout par les gouvernements des deux pays, elle se placerait au second rang des économies mondiales. Est-ce bien les résultats auxquels vous arrivez?

M. Phillips : Oui, effectivement, monsieur.

Je voulais aussi vous montrer cette diapositive, réalisée par la Federal Reserve Bank de Chicago, laquelle représente le couloir des Grands Lacs à notre conseil. La diapositive distingue trois catégories : voici les usines automobiles; les points noirs sont les fournisseurs de l'industrie automobile; les carrés bleus sont les industries de fabrication; et les cercles jaunes, les usines de fabrication automobile aux États-Unis et au Canada. L'industrie de l'automobile est hautement concentrée dans la région des Grands Lacs.

Le président : Sans vouloir vous interrompre, je tenais à signaler l'importance du graphique, qui provient de la Federal Reserve Bank de l'Ouest. Ces gens ont effectué des études importantes portant sur la croissance économique. Ce sont des données majeures que la population canadienne et la population américaine découvrent juste, n'est-ce pas?

M. Phillips : Oui, monsieur le sénateur. Soit dit en passant, l'exposé intégral, incluant toutes ces diapositives, se trouve dans le site web www.canambta.org. Il a fallu environ six heures et demie à ces sept régions pour présenter cet exposé au Bureau du Conseil privé. Vous trouverez dans ce site web un diaporama de sept heures sur les sept régions économiques. Le BCP et le PRP, le Projet de recherche sur les politiques, ont aussi un exemplaire de l'exposé intégral, si cela intéresse le comité.

Le président : Vous parlez du Bureau du Conseil privé du Canada et de son bureau de recherche, le PRP?

M. Phillips : Oui, mais je crois que le PRP relève dorénavant du ministère de l'Industrie.

Sur la diapo suivante, vous voyez la frontière Ontario-New York ou Buffalo-Niagara. On y voit les liens qui ont été établis au fil des ans entre le Canada et les États-Unis dans cette région.

C'est la région économique Québec-New York, l'une des plus actives et productives. Plattsburgh, dans l'État de New York, se proclame maintenant avec fierté la banlieue sud de Montréal. Il n'y a dorénavant plus d'échanges commerciaux entre les pays, mais plutôt entre des blocs dans le cadre d'accords d'ensemble, et ces sept régions existent indépendamment l'une de l'autre, de façon positive, et ne se font pas concurrence. Le réalignement interne est important. Les échanges commerciaux adoptent naturellement certaines voies. En Amérique du Nord, il se fait dans ces corridors et il en découle la création d'une toute nouvelle région économique binationale. Ces régions constituent les moteurs de la croissance.

Vous voyez ici ce qui se passe à New York et au Québec. On constate que, à l'instar de la région du nord-ouest du Pacifique, la nanotechnologie fait l'objet d'importants investissements dans cette région aussi, autant du côté américain que du côté canadien. L'aérospatial est une autre priorité dans la région New York-Québec.

La dernière région économique est celle d'Atlantica. Dix d'entre nous devaient être présents ici aujourd'hui, mais certains avaient un conflit d'horaire. Nous avons eu beaucoup de mal à être si nombreux aujourd'hui à Ottawa. Brian Lee Crowley m'a rappelé de ne pas parler de la Nouvelle-Angleterre, mais bien de l'est des États-Unis. Voici les liens entre la région de l'Atlantique et des Maritimes et du nouveau triangle de l'Atlantique, constitué du Connecticut, du Rhode Island, de l'État de New York, de la Pennsylvanie et d'Appalechia et qui sont en contact direct les uns avec les autres ainsi qu'avec Windsor, par le biais du Canada et, plus récemment, qui est reliée à Halifax et à Buffalo, Buffalo étant le centre de distribution en étoile. Atlantica est donc très bien située pour les liens futurs.

Cette diapo vous montre une carte des zones en difficulté dans vos provinces maritimes. Cette carte est importante, car nous devons trouver des façons d'aplanir les difficultés dans cette région. Nul doute que la découverte de pétrole et de gaz dans cette région sera d'un grand secours.

On voit ici une nouvelle initiative très emballante qu'on examine très sérieusement; il s'agit du transport maritime à courte distance. Des navires d'une jauge supérieure à celle des navires Panamax apporteront 12 000 conteneurs d'un peu partout dans le monde, de l'est et de l'ouest, pour ensuite, peut-être, laisser leur fret à de plus petits navires qui pourront livrer les conteneurs dans les différents ports. Encore une fois, on applique l'approche des étoiles au transport maritime, ce qui est nouveau. La région d'Atlantica, avec le port d'Halifax, a beaucoup étudié ce dossier. C'était donc là un bref aperçu des sept régions binationales.

Comme l'on indiqué les témoins précédents, les États-Unis n'ont pas de problèmes comme le Canada en matière de commerce interprovincial. Le commerce entre les États est dynamique et encouragé. Il est vu de façon positive autant par le gouvernement fédéral que par les États. On a quelques problèmes liés à la réglementation et à la sécurité, mais ils sont négligeables. Ce ne sont pas des problèmes graves.

Il y a des échanges commerciaux dans chacune de ces sept régions économiques binationales. Aucune d'entre elles ne constitue un modèle pour les autres. Elles ne sont que des exemples. Chacune a adopté une approche différente. Elles ont chacune leur point fort et leur point faible mais nous croyons pouvoir profiter du meilleur de chacune pour réaliser nos objectifs.

Une dernière chose avant de céder la parole à M. Whalen : vous avez fait mention des facteurs qui pourraient nous aider à évaluer la véritable incidence des obstacles interprovinciaux au Canada. J'estime que trois facteurs méritent notre attention.

Le premier est celui du retard de productivité du Canada par rapport aux États-Unis. Votre productivité est habituellement de 20, 30 ou 40 p. 100 inférieure à celle des États-Unis depuis les deux ou cinq dernières années. La productivité du Canada est peu élevée. Vous pourriez mesurer l'incidence sur votre économie si vous faisiez le même gain de productivité que les États-Unis. Il me semble que la créativité et l'ingéniosité des Canadiens est certainement égale à celle des Américains.

Il y a encore deux autres facteurs : premièrement, les entreprises canadiennes ont été conçues à l'origine pour être petites. Elles sont petites et desservent une petite région plutôt que le marché mondial. Deuxièmement, les obstacles interprovinciaux limitent la productivité.

Il ne faut pas non plus oublier l'incidence du dollar canadien. Vous ne vous inquiétiez pas trop au Canada quand le dollar canadien est à 65 ou 70 cents. À l'heure actuelle, il est autour de 90 ou 91 cents, ce qui a un effet marqué sur le secteur manufacturier au Canada.

N'oublions pas que 87 p. 100 des exportations du Canada se font vers les États-Unis. Quand il y a ralentissement ou changement dans la valeur du dollar et le niveau d'activités économiques aux États-Unis, on peut comparer les secteurs de l'économie canadienne qui exportent et ceux qui n'exportent pas. On constate que dans les secteurs qui exportent, on s'en tire beaucoup mieux en matière de productivité que dans les secteurs qui n'exportent pas, ces derniers étant moins productifs sur le marché mondial.

Je pense que ces trois éléments pourraient nous en dire plus sur l'incidence réelle des barrières interprovinciales.

Le président : Avant de céder la parole à M. Whalen, j'aimerais que vous nous en disiez un peu plus long sur ce qui fait d'Halifax un port crucial pour les nouveaux conteneurs, comparativement à New York ou à Boston. Pourquoi Halifax jouit-elle d'un avantage comparatif?

M. Phillips : Halifax est un port en eau profonde naturel, le dragage n'y est donc pas un problème. Il faut draguer pour les navires d'une jauge supérieure à celle des navires Panamax, car ils nécessitent une profondeur de 50 pieds. Et il n'est pas question du dragage effectué dans le port seulement. À Montréal, par exemple, le dragage doit se faire jusqu'aux approches, dans certaines zones.

Le plus important, c'est le rayon de virage. Je ne suis pas expert en transport maritime, mais je sais que dans le port de New York, il faut trois milles pour effectuer un virage. Les grands navires ont un grand rayon de virage, même avec l'aide d'un remorqueur.

Il faut donc prendre en considération le rayon de virage, la profondeur de dragage nécessaire en fonction du dégagement sous la quille et la capacité d'accueillir ces grands navires à quai.

Halifax est un port en eau profonde naturelle. De plus, il est bien situé, il n'est pas loin. Si M. Crowley était ici, il dirait que les navires de jauge supérieure à celle des navires Panamax qui passent par le canal de Panama envisagent de plus en plus d'emprunter le passage de Suez, malgré les travaux d'élargissement et de résection des écluses dans le canal de Panama.

Si vous jetez un coup d'œil aux tableaux et aux cartes qui se trouvent dans le document, vous constaterez que les navires provenant de l'Extrême-Orient peuvent passer par le canal de Suez et atteindre la côte Est tout aussi facilement qu'à Vancouver ou la Californie.

L'emplacement du port d'Halifax et sa capacité d'accueillir des grands navires sont deux avantages importants. En outre, Halifax compte un excellent terminal à conteneurs, à voitures et pour le transport en vrac. C'est un port qui offre des possibilités emballantes.

Bien sûr, une grande partie de la population vit dans l'est des États-Unis. Par conséquent, si les biens et matériaux peuvent atteindre l'est des États-Unis et être ensuite transportés ailleurs selon la méthode de l'étoile, les biens et les matériaux arriveront aux utilisateurs finaux plus rapidement que s'ils provenaient de l'Ouest par voie terrestre.

Le président : Merci beaucoup pour cet aperçu encyclopédique.

Pat Whalen, consultant en commerce, Buffalo World Trade Center : Je vous ferai part d'un point de vue un peu différent. Je suis entrepreneur. En 1985, J'ai ouvert une entreprise en logistique transfrontalière. Elle se trouvait pas Buffalo et desservait les Canadiens qui faisaient des affaires aux États-Unis. L'entreprise a connu une bonne croissance et nous avons ouvert des bureaux à Burlington, au Vermont et à Hamilton, en Ontario. À Hamilton, nous desservions les entreprises américaines qui faisaient des affaires au Canada.

En 1996, nos clients canadiens nous ont demandé de les aider en Europe. Je suis donc allé à la recherche d'un centre de distribution européen en Belgique. Pendant que j'étais là-bas, je me suis familiarisé avec les régions binationales et leurs points forts.

Nous nous sommes installés à Ghent, en Belgique, et on nous a dit que c'était un centre important de la région des Flandres. Les Flandres se trouvent à la fois aux Pays-Bas, en Belgique et en Allemagne. C'est une région qui parle une langue commune, le flamand. Quand l'acier, le charbon et les autres industries lourdes sont disparues de cette région du monde, les Flandres ont compris que leur point fort était la logistique. Elles sont devenues un centre de distribution pour toute l'Europe. C'est devenu leur créneau, le créneau de la région, et non pas de pays particuliers.

En 2000, UPS a acheté mon entreprise. J'ai travaillé pour UPS Supply Chain Solutions pendant deux ans, période pendant laquelle, avec les profits de la vente à UPS, j'ai acheté cinq autres entreprises le long de la frontière canado- américaine pour ensuite transformer ces six entreprises en une seule société.

J'ai donc de l'expérience pratique de tous les corridors : Blaine, dans l'État de Washington; Vancouver; Sweetgrass au Montana; Calgary; Pembina, dans le Dakota du Nord; Winnipeg; Montréal; Champlain; ainsi que Toronto et Buffalo.

Pendant ce temps, j'ai compris la force des régions transfrontalières. J'ai aussi appris que toutes ces régions sont différentes. Comme l'a fait remarquer M. Phillips, il n'y a pas de solution universelle.

Aujourd'hui, quand nous regardons le monde qui nous entoure, nous comprenons que ce monde est bien différent de ce qu'il était quand j'essayais de faire croître mon entreprise et que je travaillais pour UPS. Aujourd'hui, l'Amérique du Nord mène une lutte pour sa survie économique contre l'Inde, la Chine et même l'Union européenne, qui sont les grandes puissances du monde. La concurrence ne se joue plus entre les États-Unis et le Canada, mais plutôt entre l'Amérique du Nord et les autres régions du monde. Nous devons nous démarquer. Nous pouvons nous démarquer avec nos régions binationales, un peu comme les Flandres m'ont permis de me démarquer en 1996.

Dans la région d'où je viens, il y a Buffalo et Hamilton. Quand je vais en Asie ou en Europe et que je parle de Buffalo ou d'Hamilton, personne ne sait où cela se trouve. Toutefois, si je dis que je viens de la région du Niagara, on me comprend.

Dans notre région, notre principal atout, c'est notre nom. Les régions binationales ont toutefois bien d'autres atouts. Nous avons pu voir dans certaines des diapos de l'exposé précédent les points forts des différentes régions. En Colombie-Britannique, c'est la nanotechnologie et l'aérospatial. Dans la région du Niagara, c'est la logistique, un peu comme en Flandres.

Pour revenir à Halifax, il y a des liens ferroviaires naturels entre Halifax et Buffalo. CN dessert Buffalo et Halifax. CN et CP desservent Vancouver et Buffalo. Buffalo et Niagara sont des endroits parfaits en Amérique du Nord pour la distribution à l'étranger. Nous exploitons nos points forts pour faire de notre région un centre mondial de logistique.

Je crois qu'il y a plus de courtiers en douane agréés à Fort Érié que n'importe où ailleurs au Canada. Je sais qu'il y en a plus à Buffalo, dans l'État de New York, que n'importe où ailleurs aux États-Unis.

Nous profitons du capital humain que nous a amené le commerce transfrontalier pour élargir notre région transfrontalière. Le regroupement de nos actifs dans une région nous permet de décupler nos forces.

Comme je l'ai dit, les régions binationales ont beaucoup à offrir, mais chacune est différente. Nous l'avons constaté chez UPS. Nous devions vendre nos services différemment dans chacune des régions. Nous ne vendions pas nos services de la même façon en Colombie-Britannique qu'en Ontario. En dernière analyse, le marché se mondialise et nous devons mettre l'accent sur la création d'emplois. C'est crucial à l'heure actuelle, surtout dans notre lutte avec la Chine et l'Inde. Le commerce crée des emplois. Comme l'a indiqué M. Phillips, les échanges commerciaux se font là où c'est le plus facile. Tout comme l'eau, les biens et les services circulent là où c'est le plus facile. Il faut promouvoir et encourager les efforts de la base dans chaque région, sans pour autant recourir à l'ingérence lourde du gouvernement. Nous encourageons les groupes comme celui de la région du Nord-Ouest du Pacifique et du corridor Montréal-New York. Il faut savoir les aider sans leur imposer trop de réglementation.

Le sénateur Angus : Merci, messieurs et bienvenue. Nous vous sommes reconnaissants de participer à nos discussions sur ces questions avec lesquelles nous sommes aux prises.

Je pense que vous étiez tous deux, messieurs, dans la salle quand nous avons entendu le témoignage de nos trois témoins précédents. Je constate une légère différence entre vos approches quant à ce qui est important. Si je comprends bien le modèle économique que vous exposez, les corridors commerciaux actuels se sont constitués en raison des barrières interprovinciales qui existent ici au Canada. Vaut-il mieux abattre les obstacles au commerce interprovincial pour faciliter un libre commerce total entre les provinces ou bien faut-il préconiser cet autre modèle, puisque c'est la réalité depuis 1867 et que l'accord de 1993-1994 est un échec à cause du trop grand nombre d'exceptions? Devrait-on développer ces corridors?

M. Phillips : Je n'abandonnerais pas ce modèle. La création d'emplois est cruciale. Le commerce est essentiel à la création d'emplois; la création d'emplois est capitale pour la qualité de vie; et pour que nous ayons des choix quant à notre façon de vivre et de jouer, il nous faut une qualité de vie.

J'ai passé beaucoup de temps au Canada et je suis au courant du vieux problème entre le Québec et l'État de New York en ce qui concerne les travailleurs de la construction. Aux États-Unis, les syndicats de la construction ont conclu des accords. Beaucoup de travailleurs de la construction de l'État de New York et du Montana sont allés en Louisiane travailler après l'ouragan Katrina. Ce n'est pas une grosse affaire de passer d'un État à l'autre.

Il faut reconnaître que dans certains cas, le commerce nord-sud a profité du fait que dans certaines régions, le commerce est-ouest est plus difficile. D'autre part, les corridors commerciaux ne sont pas mutuellement exclusifs. Il y va de l'intérêt supérieur du Canada de créer des emplois au Canada. L'intérêt des États-Unis réside aux États-Unis et l'intérêt régional binational est de créer des emplois au Canada et aux États-Unis dans ces régions qui chevauchent les deux pays, en utilisant les atouts de chaque pays. Si un de ces trois intérêts ne va pas dans le même sens que les autres, on n'optimisera pas les atouts. Il faut chercher à combler l'écart entre ce qui existe et ce qui pourrait exister.

Au Canada, dernièrement, et aux États-Unis également, la conjoncture a été bonne mais comme nous sommes dans le même bateau, vous constaterez les conséquences d'un ralentissement. C'est dans ce cas qu'on réalise ce qui ce serait produit si on avait agi différemment. Je vous exhorte donc à agir en supprimant ces obstacles et à empêcher que des considérations politiques interviennent. Ce n'est pas eux ou nous. C'est ce qui est bénéfique pour les relations Canada- Etats-Unis.

Le sénateur Angus : Vous avez raison et je veux entendre ce que M. Whalen a à dire. Cependant, monsieur Phillips, vous avez rappelé que notre dollar est à 0,91 $ cette semaine et que cela rend la vie des industries manufacturières canadiennes difficile.

Les membres du comité estiment que tout cela est une question de productivité au Canada. Un dollar faible masque une situation de faible productivité. Nous avons pu dès lors nous bercer d'illusions et ne pas moderniser nos équipements et divers autres moyens de production si bien que la productivité en a pâti au Canada. Résultat, nous traînons derrière les États-Unis. Nos rapports avec les États-Unis nous importent énormément. Je pense que nous sommes des libres-échangistes. Nous apprécions l'accord de libre-échange et nous souhaitons qu'il aille encore plus loin. Toutefois, il faut dire que ce qui intéresse le comité des banques au premier chef, c'est ce qui est bénéfique pour le Canada. Je m'inquiète de notre productivité. Les témoins nous disent que les obstacles au commerce interprovincial contribuent grandement à empêcher la croissance de notre productivité.

Je ne sais pas si j'accepte ce chiffre de 1 p. 100 de notre PIB. Je pense que c'est beaucoup plus élevé. Je dirais que c'est 3, 4 ou 5 p. 100. Cela représente des sommes énormes. Le sénateur Grasftein a estimé que cela représentait entre 10 et 25 milliards de dollars. Cela pourrait aller jusqu'à 50 milliards de dollars. C'est un problème capital qui touche le niveau de vie de tous les Canadiens. Il nous faut améliorer la productivité.

Je trouve le modèle des corridors nord-sud emballant. Monsieur Whalen, peut-on parler d'une brèche?

M. Whalen : Il est indiscutable, à l'évidence, que là où il y a moins de restrictions, il y a plus de commerce. L'ALENA en est la preuve.

Le sénateur Angus : C'est comme l'eau qui s'écoule.

M. Whalen : Par exemple, je travaille actuellement sur les restrictions de poids sur les routes et les autoroutes américaines, car elles sont différentes d'un bout à l'autre du pays. Nous essayons d'attirer une compagnie qui vend de la pierre à l'État de New York. La compagnie s'installera sans doute en Ontario ou au Michigan où les limites de poids sont plus élevées et d'où elle pourra distribuer sa pierre de manière plus efficace et plus rentable, étant donné qu'elle peut emprunter des routes plus importantes que dans l'État de New York.

Aux États-Unis, il y a aussi des restrictions dans d'autres secteurs. Il y a les limites de poids pour le camionnage. Il y a un nombre de restrictions dans le secteur bancaire. Nos banques, d'ordinaire, ne sont pas aussi importantes que les autres banques dans le monde. Dès qu'il y a des restrictions sur le commerce, la croissance est retardée. Je suis entièrement d'accord avec vous : vous devriez maintenir le modèle tel qu'il est. Il vous faut libéraliser le commerce entre les provinces assurément.

M. Phillips : Le secteur privé doit savoir ce qu'il en est réellement et c'est ce qui dicte la situation dans la plupart des régions. Je vais vous donner l'exemple de l'État du Montana et de l'Alberta.

Jusqu'à l'affaire de l'ESB — la frontière n'aurait jamais dû être fermée et je dis cela en tant qu'Américain — les parcs d'engraissement se trouvaient d'un côté et l'abattage du bétail de l'autre. C'était une situation optimale pour la région. La fermeture de la frontière a interrompu cela.

Prenez le cas de la Saskatchewan et du Manitoba. La région Northern Great Plains s'est révélée être un chef de file pour les produits agricoles à valeur ajoutée au Canada. Plutôt que de récolter une denrée et l'expédier ailleurs à des fins de criodéshydratation, de mise en conserve ou de transformation, la société a placé des installations dans la région. Pour certains produits alimentaires, cette région travaille avec la France et d'autres pays. C'est la région qui est le moteur de ce succès. Dans certains cas, la technologie se trouvait du côté américain et dans d'autres, les connaissances résidaient dans la province. Il n'était pas question de « nous » ou « eux ». C'est un travail de collaboration.

Je reconnais que le Canada travaille dans cet esprit de collaboration, mais il faut cerner cette fourchette de 1 p. 100 à 4 p. 100 du PIB et essayer de l'identifier par province. Que chaque province soit avisée de ce que cela représente. C'est comme la fissure entre l'Est et l'Ouest. Vous devez informer la population de ce que cela signifie pour elle. Les conséquences se traduisent par l'absence de centaines de milliers d'emplois.

Quand, en 1996, le premier programme d'entrée-sortie est entré en vigueur, l'intention était de vérifier tout le monde. C'était pire que l'Initiative de transport de l'hémisphère occidental, qui est en elle-même une plaie. J'ai écrit à chacun des gouverneurs des 50 États en leur signalant que Statistique Canada avait eu l'obligeance de me donner les chiffres sur le nombre d'emplois créés grâce au commerce entre le Canada et les États-Unis, par État. Je pouvais dire à un gouverneur combien d'emplois découlaient des importations et des exportations avec le Canada. Ils étaient nombreux à l'ignorer. C'est ce qu'il vous faut faire auprès des gouvernements provinciaux. Tout le monde a un intérêt là-dedans. Il y en a qui en profiteront davantage, mais tout le monde a un intérêt. Il faut cerner les avantages et ensuite déterminer la meilleure façon de conjuguer les efforts à la satisfaction de tous. Alors peut-être pourrons-nous progresser. Il vous faut toutefois un roi bienveillant. Vous avez des gens compétents; quelqu'un doit prendre les rennes. Le secrétariat doit intervenir. Je ne sais pas comment le gouvernement fédéral a été évincé de la coprésidence. Je ne suis pas bien au courant des détails de l'accord. Il faut vous renseigner.

Le président : Nous allons y voir.

M. Phillips : Il vous faut quelqu'un qui soit convaincu du bien-fondé de la cause et qui soit déterminé à faire quelque chose.

Le sénateur Angus : Un autre groupe a demandé si la situation est la même aux États-Unis. Nous avons évoqué la Chambre de commerce internationale, la CCI. Toutefois, je pense que la situation est pire aux États-Unis en raison de groupes d'intérêt puissants. Prenez l'exemple du problème du bois d'œuvre, qui était l'irritant le plus considérable entre nos deux magnifiques pays. La cause en était les nombreux intérêts régionaux puissants du nord-ouest des États-Unis et ces groupes d'intérêt ont presque réussi à anéantir l'interaction entre nos deux pays.

Le président : Ce n'était pas juste dans le nord-ouest.

M. Phillips : On peut en citer deux : Le Ranchers-Cattlemen Action Legal Fund, R-CALF, pour le bœuf et les industriels du bois d'oeuvre. C'est une grosse portion du commerce total. Vous avez raison. La situation est pire là-bas, dans ces deux cas. Je le reconnais en tant qu'Américain. C'est indéniable.

Le sénateur Angus : Il y a également le Jones Act. Je connais bien le secteur du transport maritime.

M. Phillips : L'essentiel ici, c'est que 94 p. 100 de nos échanges commerciaux se font sans différend et nous sommes en harmonie. C'est la faute de groupes d'intérêt puissants. Qu'il s'agisse de fabricants ou de fournisseurs de services, tout le monde est d'accord : « C'est la sève de notre sécurité économique ». On ne peut pas être une puissance mondiale sans sécurité économique comme fondement. C'est là la clé.

Le sénateur Angus : Vous avez raison.

Le sénateur Tkachuk : Je comprends bien la frustration des Canadiens qui essaient de se débarrasser de nos propres barrières commerciales et de la balkanisation qui en découle. J'aime ce que l'Alberta et la Colombie-Britannique ont fait parce qu'au moins cela nous donne un modèle. Je sais que cela va effrayer le reste des provinces. Qu'arrivera-t-il si l'Ontario et le Québec concluent un accord? Nous allons être marginalisés. Cela pourrait encourager les Maritimes à faire quelque chose.

Je pense que c'était un bon départ. Rappelons-nous que le libre-échange a exigé une quantité énorme de capitale politique et une volonté politique colossale, mais les gens ont tendance à oublier à quel point le processus a été long et ardu. Au Canada, nous n'avons même pas gratté la surface du problème du commerce interprovincial et nous n'avons pas élaboré non plus une campagne politique pour résoudre le problème.

L'accord conclut entre l'Alberta et la Colombie-Britannique aura-t-il un effet sur cette région dont j'oublie le nom, la région de l'Alberta et de la Colombie-Britannique?

M. Phillips : On l'appelle la PNWER (Pacific-Northwest Western Economic Region), dont la création a été applaudie.

Le sénateur Tkachuk : C'était une chose positive — mais il y a eu des écueils, n'est-ce pas?

M. Phillips : En effet.

Le sénateur Tkachuk : Qu'est-ce qui incite quelqu'un à adhérer à cet accord?

M. Phillips : Je ne suis pas allé en Saskatchewan depuis que l'accord existe. Certains de nos membres y adhèrent. Je pourrais leur poser la question. Je suis sûr qu'ils ont des motifs, mais je ne sais pas exactement lesquels. Manifestement, tout dépend de leur réalité, comme vous dites. Nous sommes victimes de fausses notions, de fausses perceptions et de fausse information. Il faut être au courant des faits.

Le sénateur Tkachuk : On peut se poser des questions sur ce pays où ce sont les bureaucrates qui choisissent le vin qui sera vendu dans les régions. Voilà jusqu'où va le ridicule. Nous faisons cela en Ontario et en Saskatchewan. Un bureaucrate, face à un ministre, décide quels vins seront mis en vente dans les magasins et cela n'a rien à voir avec le marché.

Le sénateur Angus : Le sénateur Tkachuk est de Saskatchewan.

Le président : Nous sommes convenus de tenir une autre séance d'une journée sur le sujet. Les représentants de PNWER et d'Atlantica viendront témoigner et vous pourrez sans doute revenir. Toutefois, avant de terminer, je tiens à vous poser quelques questions.

On nous a exposé les divers modèles. Vous nous avez dit que chacune des sept régions fonctionnait suivant un modèle différent à un degré différent d'évolution. J'ai examiné attentivement le modèle New York-Ontario-Grands- Lacs. Ayant pris connaissance de tous les modèles, lequel estimez-vous être le plus avancé même s'il est différent des autres? Quel est le modèle qui semble fonctionner le mieux et qui semble le plus avancé sur le plan de la coopération en matière de commerce, de tourisme, de fabrication ou de recherche?

M. Phillips : Il y en a deux qui se démarquent exceptionnellement. Le modèle Québec-New York est sans doute le plus efficace, 2 500 organisations au Québec et dans l'État de New York y participant. Toutefois, il s'agit d'un territoire ciblé. Il n'a pas la même incidence que la PNWER.

Le deuxième, qui est sans doute le moins compris, est le modèle de la Northern Great Plains, qui représente l'organisation binationale la mieux organisée.

La PNWER est unique, car elle a été créée par disposition législative, par les législateurs et les sénateurs américains et les députés aux assemblées législatives canadiens. Le secret de la PNWER est son profil élevé et son efficacité à obtenir l'accord gouvernemental, qui comprend en l'occurrence le Discovery Institute and the International Mobility and Trade Corridor Project, l'IMTC, qui est l'ancêtre de la PNWER et qui focalise strictement sur la frontière.

Le président : La PNWER met l'accent sur des initiatives privées-publiques. L'intérêt privé a dicté les rapports avec le secteur public. Est-ce que je me trompe?

M. Phillips : Tout a commencé par le secteur public et en 1994, des intérêts privés sont venus se greffer. Désormais, les intérêts publics et privés travaillent en étroite collaboration. Nous nous occupons des problèmes à la frontière en ce qui les concerne. L'entité est extrêmement douée et peut s'atteler aux tâches les plus difficiles. Elle fait un travail colossal dans le secteur de l'énergie, de l'environnement et de l'eau. Les Grands Lacs travaillent également dans le domaine de l'eau mais c'est surtout dans les secteurs non commerciaux et non économiques qui sont critiques. Le Pacific Northwest s'intéresse de très près aux questions liées à l'écologie et à l'économie. « Il nous faut aller de l'avant d'un côté sans toucher à l'autre ». J'ai beaucoup de respect pour cette entité. Ils évoluent dans un secteur à profil élevé.

La force du centre du pays se trouve dans la région des Grands Lacs, qui n'est pas organisée suivant un mode binational. Il y a beaucoup d'intervenants et de chasse gardée. Buffalo et Niagara sont en train de s'associer. L'influence de certaines personnalités intervient également.

Brian Lee Crowley a été le phare de la région Atlantica. Cette région est en train de se tailler une place. Le pétrole et le gaz au large de Terre-Neuve vont changer la dynamique dans l'Est. Les choses évoluent. Il faut continuer de surveiller la situation, car la donne est en train de changer.

Le président : Je tiens à ce que chaque sénateur comprenne que nous représentons diverses régions du pays et les choses vont mieux dans certaines régions que dans d'autres. Ma propre région de l'Ontario et de l'État de New York est, sur papier, bien avancée. En 2001, le gouverneur et le premier ministre de la province ont signé un accord. Quand nous avons consulté ce qui était écrit, nous avons été émerveillés, mais il ne s'est rien passé. Quand nous aborderons le sujet de nouveau, nous parlerons de cela.

Je tiens à vous remercier, tous deux, et vous monsieur Phillips, pour le travail de pionnier que vous accomplissez. Je sais que c'est un de vos dadas, en effet. Nous avons les Pères de la Confédération, et vous, vous avez certainement été un parrain pour ces régions. Monsieur Whalen, merci beaucoup.

La séance est levée.


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