Délibérations du Comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense
Fascicule 17 - Témoignages du 11 juin 2007
OTTAWA, le lundi 11 juin 2007
Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense se réunit aujourd'hui, à 16h10, pour examiner, en vue d'en faire rapport, la politique de sécurité nationale du Canada.
Le sénateur Colin Kenny (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: J'ai le plaisir de vous accueillir au Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense. Avant que nous ne commencions, je vais vous présenter les membres du comité.
Le sénateur Norman Atkins vient de l'Ontario. Il est vice-président du comité, et il a été nommé au Sénat après avoir travaillé pendant 27 ans dans le domaine des communications. Il a été conseiller principal de Robert Stanfield lorsque celui-ci était chef du Parti conservateur du Canada, de William Davis lorsqu'il était premier ministre de l'Ontario et de Brian Mulroney lorsqu'il était premier ministre du Canada.
Le sénateur Rod Zimmer vient de Winnipeg, au Manitoba. Il a fait une longue et distinguée carrière dans le domaine des affaires, il est philanthrope et il a donné de son temps pour d'innombrables bonnes causes et à d'innombrables organisations caritatives. Il siège au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, ainsi qu'au Comité sénatorial permanent des transports et des communications.
Le sénateur Joseph Day vient du Nouveau-Brunswick. Il préside le Comité sénatorial permanent des finances nationales. Il est membre des barreaux du Nouveau-Brunswick, de l'Ontario et du Québec, ainsi que de l'Office de la propriété intellectuelle du Canada. Il a été par ailleurs président-directeur général de la New Brunswick Forest Products Association.
Chers collègues, nous avons réuni aujourd'hui un groupe de spécialistes distingués de partout au pays pour discuter des questions liées au renseignement et pour qu'ils nous fassent part de ce qu'ils pensent de la proposition du gouvernement d'augmenter la capacité de collecte de renseignements étrangers du Service canadien du renseignement de sécurité, le SCRS. Nous leur avons demandé de réfléchir à cette proposition avant de venir témoigner, et nous allons maintenant les prier de nous faire part de leurs idées là-dessus. Par la suite, nous utiliserons le temps qui restera pour leur poser rapidement quelques questions.
Nous commençons avec un peu de retard, alors je ne vais présenter les témoins qu'en les nommant. Nos témoins sont James Gould, David Charters, Gavin Cameron et John Ferris.
Monsieur Charters, votre nom est le premier sur ma liste. Si vous permettez, nous allons commencer avec vous. Vous avez la parole, monsieur.
David Charters, à titre personnel: Merci beaucoup. Je voulais aborder les intérêts et les priorités du Canada et la manière dont un service de renseignement peut les servir. Pour faire l'avertissement habituel, ce que je vais dire n'est que mon point de vue personnel.
Je vais commencer par les intérêts nationaux du Canada, que j'ai mis grosso modo en ordre de priorité. J'admets que n'importe lequel de mes collègues ou d'entre vous pourrait les ordonner différemment. Cependant, je dirais que la différence entre l'importance relative d'un intérêt et d'un autre est minime. Ces intérêts sont interdépendants, et l'ordre est peu important.
Je commence par la sécurité et l'indépendance de nos institutions et de nos processus démocratiques, pour aborder ensuite la préservation des droits et des libertés qui nous sontgarantis par la Charte, le maintien de l'intégrité de notreterritoire, notre sécurité intérieure et la sécurité de notre frontière— c'est-à-dire la prévention des menaces intérieures et desrépercussions de ces menaces sur nos voisins, surtout les États-Unis —, le maintien d'une économie saine, quelle que soit la définition qu'on en donne, et la répartition du plus d'avantages possible de cette économie saine à l'ensemble des Canadiens. Ilexiste peut-être d'autres intérêts nationaux, mais ceux-ci sont ceux qui me sont venus à l'esprit.
Si nous tournons notre regard, à partir d'ici, vers le monde, nous avons tout un éventail d'intérêts, sur le plan international, qui sont souvent définis de façon idéaliste et qui frôlent à l'occasion le cliché. Cela dit, il est souhaitable de poursuivre ces objectifs; ce sont des objectifs que beaucoup de Canadiens partagent. Même si nous, les membres de la communauté internationale, n'y arrivons pas, nous cherchons à atteindre ces objectifs. Ils ne sont pas présentés de façon ordonnée, parce qu'ils sont tous aussi importants les uns que les autres, et, comme nos intérêts nationaux, nos intérêts à l'échelle mondiale sont interdépendants, et ils sont liés aussi à nos intérêts nationaux.
Parmi les intérêts nationaux, je citerais la résolution pacifique des conflits, domaine dans lequel les Canadiens ont toujours exprimé une préférence pour le recours à la loi plutôt qu'à la force, tout en admettant que le recours à la force constitue le dernier recours, la réduction de la pauvreté, du crime, des inégalités et de l'injustice, le maintien d'une économie mondiale saine et stable, qui profite au plus de gens possible — ce qui, au chapitre de nos intérêts commerciaux, signifie, bien entendu, la gestion de nos relations commerciales avec les États-Unis, qui est probablement la première priorité sur le plan économique —, la réduction et, si c'est possible, l'inversion des effets des changements climatiques et une gestion efficace des conséquences, la limitation et la cessation des conflits armés, notamment les activités terroristes, la prévention, la limitation et l'élimination des maladies infectieuses et le soutien aux organisations multilatérales comme les Nations Unies, l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord et d'autres organismes auxquels le Canada prend part.
Il se peut très bien qu'il y ait encore d'autres intérêts, et l'importance relative de ceux-ci peut varier avec le temps et d'un endroit à l'autre. À l'heure actuelle, par exemple, les changements climatiques sont un sujet très médiatisé, ce qui n'était pas aussi vrai il y a dix ans.
Qu'est-ce qui pose problème et qui menace ces intérêts? Il y a parmi les menaces des problèmes que nous connaissons depuis longtemps, ainsi que des nouveaux problèmes. Ramener ces problèmes et menaces à une courte liste ne diminue en rien leur importance ni leur complexité. Composer avec ceux-ci ne sera pas facile, et il sera encore plus dur de les éliminer. Chacune de ces menaces ou chacun de ces problèmes peut avoir des répercussions négatives sur nos intérêts nationaux et mondiaux.
Le renseignement, qu'il soit étranger ou national, peut éliminer ces menaces et problèmes de façon à promouvoir et à défendre les intérêts canadiens. Il y a un lien direct entre nos intérêts nationaux et mondiaux, les choses qui les menacent et les capacités de renseignement dont nous disposons ou dont nous devons nous doter pour éliminer ces menaces. Je place les changements climatiques au premier rang, suivis des importants conflits en cours ou qui peuvent éclater, comme au Moyen-Orient ou en Asie — et nous devons ici nous pencher sur ce qui se passe à l'heure actuelle et ce qui se passera peut-être d'ici deux, cinq ou dix ans, des États faillis ou défaillants et leurs problèmes sous-jacents — la pauvreté, l'injustice, l'infrastructure, la gouvernance et ainsi de suite, du terrorisme à l'échelle mondiale, de la marginalisation des populations d'expatriés et de leur enrôlement par des extrémistes, que ce soit ici ou à l'étranger, du nettoyage ethnique, des génocides et des déplacements forcés de population, de la propagation de maladies infectieuses résistant au traitement et les pandémies qui peuvent éclater, du déclin des ressources vitales, notamment des sources d'énergie non renouvelable, du crime, à l'échelle mondiale, notamment de l'exploitation des enfants, de la traite des personnes, du cybercrime et du trafic de stupéfiants, ainsi que du vol, du piratage et de l'espionnage économiques, scientifiques et technologiques.
Pour déterminer la meilleure façon pour notre structure du renseignement de servir ces intérêts et de prévenir les choses qui menacent ceux-ci, il faut commencer par se faire une idée de ce que la structure du renseignement devrait être et de ce qu'elle pourrait permettre de réaliser. Une capacité de sécurité ou de renseignement efficace n'est que l'un des outils qui peuvent nous aider à promouvoir et à défendre nos intérêts au pays et à l'étranger.
Ce genre de capacité efficace comporterait cinq éléments: premièrement, un système de collecte de renseignements général, ouvert et éventuellement secret; deuxièmement, une capacité d'analyse de haute qualité; troisièmement, un produit que les gens concernés mettent au point en préservant une réputation de rapidité et de précision raisonnables; quatrièmement, les moyens appropriés pour diffuser ce produit auprès des gens qui en ont besoin; cinquièmement, des décideurs souhaitant utiliser ces renseignements de façon avisée dans le cadre de leurs délibérations, et ayant la capacité de le faire.
Ce que j'ai présenté, c'est une espèce de modèle idéal. Avec suffisamment de temps et de ressources, quelques bons éléments à la tête de l'organisation et un programme de formation pour le personnel, un service de sécurité ou de renseignement peut mettre en place les quatre premiers éléments que j'ai cités et les faire fonctionner. L'inconnue, dans ce modèle, c'est le cinquième élément, c'est-à-dire le rôle joué par les décideurs. Ce rôle échappe au service, et il dépend entièrement de la personnalité des décideurs en question, des programmes politiques, de la perception du public, des attentes et ainsi de suite.
À l'heure actuelle, je pense que nous disposons des structures organisationnelles qui nous permettent de faire tout ce qui est nécessaire, mais je ne peux me vanter de savoir que les gens concernés font bien leur travail ou non, pas plus que je peux dire que les structures actuelles offrent les meilleurs moyens de le faire. Je ne connais pas suffisamment la question pour poser ce jugement.
Je vais dire deux choses. Il n'y a pas de panacée; pas de formule ou de structure qui permettent de garantir une sécurité parfaite et de nous assurer que nos intérêts sont servis et qu'aucune menace ne va nous toucher. Une bonne partie des choses que nous souhaitons accomplir, éviter ou prévenir dans le monde échappe à notre emprise. Notre destin est entre les mains des autres, qu'ils soient amis ou ennemis. Notre pouvoir limité en matière de relations diplomatiques, de sécurité et d'économie nous permet de tirer parti des occasions qui s'offrent à nous, de promouvoir nos intérêts et de réduire au minimum et d'atténuer les menaces à ces intérêts. Le renseignement est l'un des outils qui nous permettent de le faire. Modifier les structures existantes pourrait permettre d'améliorer cette capacité, mais rien n'est sûr. Les modifications pourraient éroder les capacités actuelles, ce qui nous placerait dans une situation moins intéressante que la situation actuelle. J'ai tendance à pécher par excès de prudence; mieux vaut un problème connu qu'un problème inconnu. Il y a des arguments crédibles en faveur de l'expansion de notre capacité de collecte de renseignements étrangers du coté de la collecte secrète. Cette mesure pourrait donner une valeur ajoutée à nos évaluations du renseignement étranger et être utile pour la promotion de nos intérêts nationaux et à l'étranger. Elle pourrait faire en sorte que les produits en question soient en partie du contenu canadien et indépendant: elle nous permettrait d'obtenir des résultats qui ont une utilité et de la valeur aux yeux de nos alliés et un produit que nous pourrions vendre. Nous le faisons déjà, mais la création de tout un nouveau service dans ce but est une entreprise de grande envergure. Nous devons nous assurer que les retombées, qui sont peut-être modestes, en valent la peine. Il faudrait consacrer passablement d'argent et de temps pour obtenir des résultats, mais ce ne serait pas sans risque. Sur le plan politique, la décision de créer tout un nouveau service en adoptant une loi, ainsi que le processus de mise en place de ce service, serait une patate chaude. Nous devons être réalistes. Le gouvernement qui entreprendra de le faire devra être courageux, sinon téméraire, diront certains. Le nouveau service connaîtrait, au cours de sa mise en place, des erreurs, des mauvais jugements, et peut-être même un scandale comme il y en a parfois. Il faudrait que le gouvernement et le milieu politique du pays en général fassent preuve de patience. Est-ce que notre système politique peut faire preuve d'une tolérance et d'une patience suffisantes envers ce genre de chose pour permettre à un nouveau service de survivre et de réaliser son plein potentiel, si cela doit prendre un certain temps? Je ne suis pas convaincu que c'est le cas. J'aimerais bien être convaincu du contraire, cependant.
Voilà qui nous amène à parler de l'art du possible. Si notre capacité de collecte de renseignements étrangers doit être augmentée, pour l'heure, la meilleure solution, c'est de donner de l'ampleur au mandat ou aux ressources du SCRS, qui emploie déjà des gens formés et expérimentés. Il faudrait pour cela procéder à certaines modifications législatives. Ce n'est ni sans coût ni sans risque, mais nous ne vivons pas dans un monde idéal. Ce serait un compromis, une solution tout à fait canadienne.
John Ferris, à titre personnel: Nous devrions commencer par nous faire une idée de ce dont nous parlons. Qu'est-ce que le renseignement, exactement? Le renseignement, ce n'est pas des connaissances qu'on acquiert pour elles-mêmes. Ce n'est pas un savoir comme celui qu'on constitue dans les universités. C'est quelque chose que nous utilisons, les connaissances qui servent à agir. Le renseignement consiste à rassembler de l'information ou des documents que les gens tentent de garder secrets ou de cacher. Le renseignement commence là où l'information se termine. Le renseignement est une façon de comprendre le milieu dans lequel nous vivons. Il est important de connaître toute l'histoire et l'histoire secrète des relations internationales.
Les États occidentaux et du reste du monde ont fait fonctionner, dans le cadre de leurs activités routinières, pendant le siècle dernier, de grands organismes de renseignement. Quelle est la situation au Canada? Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le Canada se trouve dans une situation inhabituelle. Nous disposons d'un service de sécurité intérieur, du groupe habituel de fonctionnaires ou de sources ouvertes, d'attachés militaires et de diplomates. Nous disposons d'une capacité de renseignement militaire à laquelle les Forces canadiennes ont recours dans le cadre de leurs opérations. Cette capacité permet de recueillir des renseignements tactiques ou opérationnels. Nous disposons aussi d'une importante capacité de collecte de renseignements de transmissions ou électromagnétiques.
Ce qui est inhabituel, au Canada, c'est qu'il n'existe pasd'organismes chargés de recueillir des renseignements étrangers humains. Qu'est-ce que ça fait? À côté de quoi le Canada passe-t-il lorsque tous les autres pays du monde occidental pensent avoir quelque chose à y gagner? Nous ne savons vraiment pas ce que nous ratons, parce que nous n'avons aucun moyen de le savoir. Nous n'avons pas de service, alors nous ne savons pas ce que le service pourrait trouver. Même des pays comme les Pays-Bas et l'Espagne jugent nécessaire d'avoir une capacité de collecte de renseignements étrangers.
Voilà qui montre probablement qu'il vaut à tout le moins la peine de se poser la question. La réponse habituelle, c'est que nous obtenons des renseignements humains de la part de nos alliés, mais cela signifie que nous recevons ce que ceux-ci veulent bien nous donner. Nous n'avons aucune emprise là-dessus, et nous laissons peut-être les autres nous imposer leur point de vue, sans pouvoir vérifier si ce qu'ils disent est vrai ou conforme à nos intérêts nationaux. Disposer d'un organisme de renseignement humain nous permettrait de vérifier ce que les autres nous communiquent et augmenterait notre capacité d'échange. Si nous possédions nos propres renseignements humains, des renseignements de valeur, nous nous trouverions dans une meilleure position pour solliciter la collaboration des autres organismes.
Enfin, du point de vue historique, il est clair que le renseignement humain peut contribuer à la résolution de certains problèmes, même s'il s'agit d'une source de renseignements très variable. Je veux dire par là que, dans le passé, nous avons obtenu les pires rapports de cette source, et je dirais aussi les meilleurs, même si c'est rare. Lorsqu'il est à son meilleur, un agent en place peut fournir de meilleurs renseignements que les renseignements de transmissions, même si la chose est rare. Quel genre de besoins le Canada a-t-il auxquels il puisse répondre en recueillant des renseignements humains?
L'un de ces besoins découle de la possibilité d'actes terroristes: il s'agit de recueillir des renseignements sur les activités terroristes à l'étranger, même si, à cet égard, le SCRS pourrait tout à fait être la source qui s'occuperait de ce dossier, et ainsi le besoin de fournir des renseignements aux Forces canadiennes dans le cadre de solides opérations militaires ou de maintien de la paix à l'étranger. Même si le ministère de la Défense nationale était la principale organisation à effectuer la collecte de renseignements, et, en fait, ce serait les Forces canadiennes ou les alliés dans le théâtre des opérations, un organisme de renseignement humain pourrait faire la collecte de renseignements utiles sur la situation politique des pays adjacents. En ce moment, en Afghanistan, il est clair que les Forces canadiennes ne recueillent pas d'information au Pakistan, même s'il serait utile de faire la collecte de renseignements humains au Pakistan.
Nous pourrions recueillir des renseignements sur nos amis. Dans le passé, le renseignement a fonctionné comme suit: on recueille des renseignements stratégiques sur ses ennemis et des renseignements diplomatiques sur ses amis, parce qu'il s'agit des personnes avec lesquelles on interagit. Cependant, il n'est pas tout à fait sécuritaire ou sage de procéder à la collecte de renseignements secrets sur ses amis, parce que si cela vous éclate au visage, il y a des problèmes. Les États sont généralement prêts à présumer que les États amis interceptent leurs communications, et ils sont prêts à vivre avec cette menace particulière. Ils sont moins contents lorsqu'ils pensent que leurs amis ont des agents qui travaillent contre eux.
Enfin, il y a des problèmes d'ordre général. En réalité, un service d'usage général et de renseignement humain réunit beaucoup de documents différents. Nous ne sommes pas en mesure de prédire quels documents sont utilisés, que ce soit à nospropres fins ou aux fins d'échange avec d'autres pays. C'estpeut-être la production ordinaire des organismes de renseignement. En ce qui concerne le genre de renseignement que le gouvernement canadien peut obtenir et qui est d'un intérêt direct par rapport à ses mesures ou politiques, il est clair qu'un service de renseignement étranger ne sera en mesure de fournir que certaines réponses. Ainsi, on est poussé à conclure que les meilleurs arguments en faveur de la mise sur pied d'un service de renseignement humain au Canada sont ceux selon lesquels nous allons de cette façon réduire notre dépendance envers nos alliés, pouvoir mieux vérifier ce qu'ils nous fournissent et obtenir certains renseignements que nous allons pouvoir utiliser comme monnaie d'échange. Ainsi, ils vont pouvoir nous fournir des informations, et nous allons pouvoir leur en fournir. Si l'on en juge par la manière dont les gouvernements fonctionnent habituellement au Canada, il n'est en aucun cas clair qu'un service de renseignement humain va fournir quotidiennement d'énormes quantités de documents au gouvernement.
Cette façon d'analyser les choses donne à penser que ce serait une façon efficace pour le gouvernement canadien de réfléchir au sujet de la manière de régler les questions liées au renseignement. L'idée, ce serait de suivre une stratégie à plusieurs volets. Une des premières choses à faire, ce serait d'améliorer nos méthodes de collecte de renseignements de sources ouvertes et de renseignements officiels. Nous pourrions probablement améliorer la collecte de renseignements portant précisément sur nos alliés en demandant au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international de travailler davantage à réunir des renseignements politiques. Nous pouvons nous concentrer sur l'analyse et la diffusion des renseignements qui sont en notre possession pour les rendre plus efficaces, même si on est confronté à la question suivante: s'il est vraiment important de recueillir et d'analyser des renseignements, alors pourquoi les utilisateurs ne nous demandent-ils pas de le faire davantage? Ma réponse, c'est que les utilisateurs n'en demandent pas davantage en partie parce qu'ils ne savent pas ce qu'ils peuvent obtenir par là. En d'autres termes, plus ils auront d'expérience dans le domaine, plus ils seront susceptibles d'utiliser des renseignements.
Il est clair que l'amélioration du renseignement sur les menaces à la sécurité intérieure du pays peut être effectuée à l'étranger par l'intermédiaire du SCRS plus que n'importe quelle autre organisation. Enfin, dans ce contexte, on peut soutenir qu'un service de renseignement humain nous permettrait d'améliorer de façon utile notre capacité de recueillir des renseignements sur les problèmes qui existent dans le monde, renseignements qui seraient utiles au gouvernement. En outre, cela nous placerait dans une meilleure position pour négocier avec nos alliés et obtenir d'eux de l'information et qu'ils nous racontent tout ce qu'ils savent.
En général, on peut dire que le Canada profiterait de la mise sur pied d'un organisme de renseignement humain de taille moyenne qui serait axé sur le renseignement étranger. Je ne suis pas sûr du choix de l'organisation à laquelle il faudrait intégrer cet organisme. Dans le passé, nous avons pu constater que l'intégration d'organismes de renseignement humain aux services de sécurité posait problème. Cependant, ce pourrait être un point départ acceptable, surtout les premiers temps.
J'insiste sur le fait que le véritable enjeu, c'est d'obtenir des renseignements que nous puissions utiliser — des connaissances servant à agir. À de nombreux égards, la question que nous devons nous poser est la suivante: quel genre de choses le Canada fait-il sur lesquelles il serait avantageux pour lui d'obtenir des renseignements?
Gavin Cameron, à titre personnel: Il semble que lorsque nous abordons la question d'une capacité de renseignement étranger auCanada, nous posons deux questions. Premièrement, le Canada a-t-il besoin d'une capacité de renseignement étranger? Cette question semble être beaucoup plus fondamentale. La deuxième, si la réponse à la première est oui, c'est: où devrait-on loger cette capacité? Il s'agit de deux questions différentes, auxquelles il faut répondre à part plutôt qu'ensemble.
Pour ce qui est de la première question, celle de savoir si le Canada a besoin d'une capacité de renseignement étranger, pour être réaliste, on a beaucoup parlé de ce sujet au cours des derniers mois. Il semble y avoir un consensus assez fort, et je suis d'accord avec M.Charters et M.Ferris pour dire que la réponse à cette question, c'est oui.
Lorsque nous parlons de renseignement étranger, nous devons expliquer clairement ce que nous voulons dire. À mon sens, le renseignement étranger, ce sont les questions économiques ou politiques du genre dont s'est occupé dans le passé le ministère des Affaires étrangères. À cet égard, le Canada dispose d'une capacité limitée de renseignement étranger par l'intermédiaire du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international. Le Centre de la sécurité des télécommunications ou CST effectue aussi des activités de collectes de renseignements de transmissions, ce qui suppose qu'il joue un rôle lié au renseignement étranger. Il semble donc que c'est le volet de renseignement humain secret qui fait défaut à la capacité de renseignement étranger du Canada.
Ce volet manquant semble poser problème pour un certain nombre de raisons. Premièrement, le monde dans lequel nous vivons est de plus en plus un monde de communications, ce qui signifie non seulement que la mondialisation fait son œuvre, mais aussi que la distinction entre le renseignement de sécurité et le renseignement étranger n'est pas tout à fait claire. Nous ne pouvons pas mettre le renseignement étranger d'un côté de l'équation, et le renseignement de sécurité de l'autre, parce que ces deux types de renseignements se fondent dans une zone grise. Nous risquons de passer à côté de certains éléments de l'ensemble si nous excluons le renseignement de sécurité.
Comme M.Ferris l'a dit, le fait d'utiliser nos alliés comme source d'information et de renseignements étrangers ou d'autres formes de renseignements pose deux problèmes, et il a parlé des deux: la fiabilité de sources que nous n'avons aucun moyen de vérifier et la capacité du Canada d'échanger les renseignements avec ses alliés au fil du temps. Je suis d'accord avec ces deuxconstats.
Il y a à tout le moins la possibilité importante qu'une lacune porte préjudice à un éventail d'intervenants canadiens. L'exemple évident, c'est l'industrie, mais il y a tout un éventail d'autres intervenants canadiens qui feraient partie de l'amélioration du renseignement étranger. Comme on l'a mentionné, le Canada est la seule puissance importante qui ne dispose pas d'un quelconque organisme de renseignement étranger, que ce soit un organisme intégré ou à part entière. Voilà qui, en soi, n'est pas un argument en faveur de la création de cette capacité. Le fait que nous soyons le seul pays à ne pas disposer d'un organisme de renseignement étranger ne veut pas nécessairement dire que nous devrions en avoir un. Cela soulève cependant la question de savoir ce que les autres voient que nous ne voyons pas. Ma conclusion, c'est que le Canada a besoin d'une capacité de renseignement étranger renforcée.
Pour ce qui est de la deuxième question, celle de savoir où il faudrait loger l'organisme de renseignement étranger dont nous avons besoin, nous avons trois options évidentes. Premièrement, si la réponse à la première question est que nous avons besoin d'une capacité renforcée par rapport au statu quo, la réponse est une option qui n'en est pas une. La deuxième option, ce serait d'étendre le rôle du SCRS, ce qui, sur le plan politique, a le plus de chance de se concrétiser à l'heure actuelle. La troisième option, ce serait la création d'un organisme de renseignement étranger qui relèverait probablement d'Affaires étrangères Canada. Il est probable que le modèle utilisé serait semblable à celui du Secret Intelligence Service ou SIS du Royaume-Uni. Pour ce qui est des deux options que je n'ai pas écartées, comme tout bon universitaire, j'aime me situer entre les deux. Les deux ont des avantages et des inconvénients. Il n'y a pas qu'une seule bonne réponse claire.
Mon option préférée, c'est celle du SCRS. Comme M.Ferris l'a laissé entendre, au départ, ce serait le moyen le plus rapide et le plus efficace de mettre cette capacité en branle. À l'heure actuelle, le SCRS s'occupe à l'étranger du renseignement qui a trait à la sécurité du Canada, et, ainsi, il existe une certaine capacité dans le domaine. Si nous parlons de frontières qui ne sont pas claires entre le renseignement étranger et le renseignement de sécurité, il semblerait que le fait de loger les deux capacités au sein de la même organisation ait un certain mérite, du moins au départ.
Le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international ne recueille cependant pas de renseignements secrets. Par contre, il travaille intensivement à entretenir des liens avec des gens qui sont des sources d'information, de façon ouverte et légale. Logiquement, si nous choisissons l'option des affaires étrangères, cela signifierait qu'il faudrait passer des années à mettre sur pied une capacité à partir de rien, ou encore qu'il faudrait prendre l'expertise ailleurs dans le milieu de la sécurité et du renseignement du Canada. Présenter ce dernier argument revient un peu à noyer le poisson. Si nous décidons de nous doter d'une capacité au sein des affaires étrangères, alors nous allons répartir encore davantage le personnel du milieu de la sécurité et du renseignement, peu importe où nous logeons cet organisme. C'est inévitable. Ainsi, l'argument selon lequel il s'agit d'une raison convaincante pour intégrer une telle organisation au sein du SCRS n'est pas tout à fait convaincant à mes yeux.
Cependant, l'argument selon lequel le ministre des Affaires étrangères et son ministère s'occupent des politiques étrangères, alors que le ministre de la Sécurité publique ne le fait pas, semble être un argument plus convaincant qui peut pousser à opter pour le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international.
En ce qui concerne les avantages et les inconvénients des deuxcôtés, on présente deux arguments principaux contre le fait d'étendre le rôle du SCRS au renseignement étranger. Le premier argument, c'est que le renseignement intérieur et le renseignement étranger sont deux choses différentes qui exigent l'adoption destratégies différentes et des compétences différentes. C'est peut-être vrai en ce qui concerne le choix des personnes recrutées. Je ne suis pas aussi sûr que c'est vrai en ce qui concerne la formation et les techniques propres à ces deux types de renseignement.
Le deuxième argument clé, c'est que nous risquons de subir une perte importante sur le plan éthique et sur le plan de l'accès, si le renseignement étranger et le renseignement de sécurité sont fusionnés en une seule organisation — surtout si cela signifie qu'il faut enfreindre les lois d'autres pays et ne pas respecter d'autres conventions, par exemple. Cet argument ne nous semble pas convaincant. Les normes canadiennes sont d'une importance capitale, mais il ne semble pas impossible que nous contraignions une organisation de renseignement étranger à respecter les normes canadiennes.
Ce qui est important, c'est que nous mettions en branle une capacité de renseignement étranger le plus rapidement possible au Canada. Voilà qui semble être une raison suffisante pour défendre le fait d'étendre le rôle du SCRS, de modifier la Loi sur le SCRS et de changer le régime de surveillance du SCRS plutôt que de créer de toutes pièces une nouvelle organisation dotée d'un régime législatif et de surveillance. Voilà un point de vue important sur les raisons qui font que l'une des options est meilleure que l'autre, plutôt qu'une décision claire fondée sur d'autres motifs, à mon sens.
James Gould, à titre personnel: Je vais aborder deux questions: le renseignement étranger en général, et j'entends par là l'utilité du renseignement étranger et le besoin du Canada de procéder à la collecte de renseignement étranger, et la proposition d'étendre le mandat du SCRS pour y intégrer le renseignement étranger.
Nous parlons aujourd'hui de renseignement étranger, et j'admets le point soulevé par M.Cameron, selon lequel le renseignement étranger n'est pas clairement distingué du renseignement de sécurité. Fait intéressant, c'est dans la Loi sur le SCRS que la chose est, selon moi, le mieux définie: «informations ou [...] renseignements sur les moyens, les intentions ou les activités d'un État étranger ou d'un groupe d'États étrangers».
Le Canada a besoin du renseignement étranger pour éclairer le premier ministre et le ministre des Affaires étrangères lorsqu'ils doivent prendre des décisions concernant les politiques étrangères. S'ils n'obtiennent pas en temps opportun des renseignements clairs, exacts et objectifs, nos décideurs avancent à tâtons; ils ne disposent pas des outils dont ils ont besoin.
Nous devons nous assurer que le Canada ne soit pas pris au dépourvu lorsque des événements se produisent. Je prends l'exemple du fait qu'il aurait été utile d'avoir une source ou un élément auprès du bureau du premier ministre espagnol pendant la guerre du poisson. Pensez aux enjeux actuels par rapport à la Chine; si nous avions un contact de haut niveau, un élément au sein du gouvernement de la Chine qui pourrait nous fournir des renseignements.
La question qui se pose ensuite, c'est: avons-nous besoin d'une organisation à part entière, ou quelques amendements apportés à la Loi sur la SCRS suffiraient-ils à combler nos besoins? Si je peux me permettre de dire quelques mots sur ce qu'un organisme de renseignement étranger fait, je dirais que ce genre d'organisme fournit des renseignements de toutes sources: il entreprend des opérations secrètes, humaines et techniques visant à recueillir de l'information, il travaille du côté de la contre-ingérence et il peut effectuer des opérations secrètes lorsque le gouvernement juge que ce genre de chose est nécessaire. Je présume que le Canada n'est intéressé que par les deux premières activités, c'est-à-dire l'analyse et la collecte de renseignement. Le SCRS s'occupe déjà très bien de la troisième activité, et je ne croirais pas que la population du Canada souhaite créer un organisme du gouvernement chargé d'effectuer des opérations secrètes en matière de politiques.
Le Canada a besoin de pouvoir effectuer une excellente analyse des renseignements à jour — et non de faire du journalisme «secret» après les événements — et il va pouvoir faire en secret la collecte de renseignement de ressources humaines ou par des moyens techniques. Les analystes du Bureau du Conseil privé et d'autres unités d'analyse travaillent déjà auprès d'un certain nombre d'organismes gouvernementaux: ils peuvent effectuer l'analyse en question si on leur fournit les ressources suffisantes.
Le SCRS peut-il nous fournir les renseignements dont nous avons besoin, ou devrions-nous envisager une autre option? L'intégration des rôles de renseignement étranger secret et de collecte technique au mandat du SCRS me rend très perplexe. En faisant cela, nous nous trouverions à copier un modèle qui n'est pas un modèle de choix. Le KGB et les autres organismes du Bloc de l'Est étaient d'éminents exemples de la fusion des deux rôles.
Le SCRS est un organisme de renseignement de sécurité. Il effectue des opérations à l'étranger dans ce cadre. Le renseignement étranger est un objectif différent, et la distinction entre les deux est importante. Elle n'est pas clairement établie, mais elle est importante.
Les personnes chargées d'effectuer la collecte de renseignement étranger doivent rendre des comptes aux principaux clients. Elles doivent rendre des comptes au ministre des Affaires étrangères et au Premier ministre, et non au ministre de la Sécurité publique. Elles doivent entretenir des liens étroits avec leurs principaux clients, de façon à pouvoir répondre à leurs demandes. Le rôle peut être modifié et mis à jour fréquemment, en fonction des événements.
Le recours à une couverture diplomatique est la norme dans la plupart des organismes de renseignement, pour toutes sortes de raisons. Les personnes occupant ce genre de postes et effectuant la collecte de renseignement doivent faire partie du milieu diplomatique pour leur propre sécurité et pour être plus efficaces. D'après mon expérience personnelle à l'étranger, dans les autres ambassades, il est souvent trop facile de repérer les gens qui ne cadrent pas.
Je ne devrais laisser planer aucun doute sur le fait que je pense qu'un organisme chargé de la collecte de renseignement étranger devrait être lié au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international — et, bien sûr, nous adopterions alors le modèle du SIS du Royaume-Uni ou le modèle du MI6. Le ministère des Affaires étrangères offrirait la couverture dont ces personnes auraient besoin pour les opérations à l'étranger. Le ministère a des années d'expérience dans l'envoi de gens à l'étranger pour recueillir des renseignements et fournir de l'information pertinente aux décideurs, en matière de politiques.
Bon nombre de professionnels voient les ambassades comme des plates-formes pour la collecte de renseignement. Les rapports diplomatiques sont souvent vus comme étant officiels, alors qu'ils contiennent des renseignements classifiés. Remarquez que j'ai dit «lié», et non «faire partie». Il faut faire en sorte que le ministère des Affaires étrangères n'intervienne pas, si l'on veut que la collecte et la diffusion de renseignements restent objectives et neutres sur le plan des politiques, et ne soient pas biaisées par l'exigence pour le ministère de donner des conseils stratégiques au ministre et au premier ministre.
Vous pourrez aussi proposer que le ministère des Affaires étrangères effectue des opérations de collecte de renseignement secret à l'étranger sans qu'il soit nécessaire d'adopter une nouvelle loi ou de modifier une loi existante — considération qui n'est pas sans importance sur le plan de la sécurité.
Lorsque vous réfléchirez à votre recommandation et rédigerez votre rapport, au cours des mois qui viennent, gardez en tête que la collecte de renseignement étranger présente certains dangers et que vos décisions doivent tenir compte des inconvénients. Le processus sera coûteux. Dans certains endroits, des vies seront en jeu — et pas seulement les vies des personnes chargées de la collecte de renseignement.
La réputation du Canada à l'échelle internationale sera aussi en jeu. Ce n'est pas le moment de chipoter. Les États- Unis consacrent plus de 30 milliards de dollars par année aux programmes de renseignement. Si nous nous fondons sur la règle de 10 pour 1 — le pays est dix fois plus gros que le Canada — je ne pense pas que nous laisserions entendre que nous allons obtenir trois milliards de dollars pour la collecte de renseignement. Cependant, les coûts vont presque certainement être plus élevés que ce nous pouvons envisager à l'heure actuelle.
Les choses ne vont pas se dérouler rapidement. Comme on l'a déjà dit, il va peut-être falloir dix ans pour que nous puissions trouver et former des agents, des éléments ou des sources là où nous avons besoin d'eux.
Il va y avoir des échecs. L'objectif du renseignement étranger, c'est d'éliminer les surprises. On ne peut jamais être sûr d'y parvenir complètement. Il n'y a qu'à songer à Pearl Harbour, à la guerre du Yom Kippour en 1973 et aux événements du 11septembre 2001. Ça ne fonctionne pas toujours. La collecte de renseignement étranger doit s'effectuer dans le secret. Malgré les pressions pour que le gouvernement agisse de façon ouverte et transparente, la collecte de renseignement humain, la formation des agents et les autres méthodes de collecte doivent s'effectuer dans l'ombre. Enfin, vous devez savoir que nous allons nous faire prendre. C'est certain. La collecte de renseignement humain n'est pas une tâche agréable. Malgré les déclarations du ministre Day, on va enfreindre des lois, pas des lois canadiennes, mais des lois d'autres pays. Si le Canada entreprend d'effectuer ce genre de collecte de renseignement, nous allons chercher à convaincre des gens de trahir leur pays, leurs idéaux et leurs amis par des moyenshonorables ou non. Comment la population canadienne réagira-t-elle lorsqu'elle apprendra que des Canadiens ont fait du chantage, ont distribué des pots-de-vin, ont fait des menaces, ont séduit ou convaincu d'une manière ou d'une autre les gens à nous fournir des renseignements? Il y aura des retombées politiques.
Le Canada devrait-il aller de l'avant? Le jeu en vaut-il la chandelle, même si nous ne pouvons être certains d'obtenir des résultats? Nous devrions relever ce défi même si nous ne devons connaître qu'un succès modéré. Non seulement nos décideurs obtiendront-ils des renseignements étrangers produits et générés par des Canadiens, mais nous allons aussi nous assurer de continuer d'occuper la même place auprès de nos alliés et de partager les renseignements qu'ils collectent.
Le sénateur Zimmer: Intéressant. Merci, de vos exposés. Vous souhaitez lier cette capacité au SCRS. Monsieur Gould, vous avez proposé la création d'une nouvelle organisation.
Vous avez déterminé ce qu'il en coûterait — trois milliards de dollars —, si nous dépensons le dixième de ce que les États-Unis dépensent. Ce qui est plus important, cependant, c'est la question des risques politiques et économiques si l'organisme est rattaché au SCRS?
M.Gould: Je ne suis pas sûr que les risques seraient différents en fonction d'autres sources. C'est le Canada qui est confronté à un risque, notamment pour sa réputation. On nous perçoit, dans de nombreuses régions, comme faisant partie des bons. Nous n'avons jamais ce que nous nous proposons de faire, et tout à coup, nous allons le faire. Nous allons nous faire prendre, que ce soit la semaine prochaine ou dans dix ans. Ça va se produire. Le risque, c'est une atteinte à la réputation du Canada dans le monde. Au Canada, le gouvernement fera face à un coût politique lorsque les Canadiens se réveilleront et se rendront compte que nous nous occupons d'une tâche désagréable.
Les risques ne sont pas différents selon que nous créons un organisme lié au ministère des Affaires étrangères ou que nous étendons le mandat du SCRS.
Le sénateur Zimmer: Selon vous, quels sont les avantages, et ces avantages ont-ils plus de poids que les risques?
M.Gould: À mon avis, oui. J'ai été agent du service extérieur pendant 30 ans, et je me suis occupé du renseignement étranger pendant dix à douze ans, là-dessus. Nos décideurs ont besoin d'avoir accès aux meilleurs renseignements possibles lorsqu'ils doivent prendre des décisions. Par exemple, nous nous sommes demandé s'il fallait ou non aller en Irak? Ça a été une décision difficile. Disposons-nous de toute l'information accessible? Nous, au ministère des Affaires étrangères, au ministère de la Défense nationale et au SCRS, avons fourni au ministre les meilleurs renseignements qui étaient en notre possession. Leur avons-nous fourni tout ce que nous aurions pu avoir? Avons-nous obtenu de nos alliés tout ce que nous aurions pu obtenir? Je ne sais pas. Pourrions-nous obtenir davantage? Si nous effectuons des échanges, oui. Si nous offrons un service aux États-Unis et au Royaume-Uni, si nous leur fournissons des renseignements sur le pays Y, ils seront davantage prêts à partager les renseignements dont ils disposent sur le pays X.
Le sénateur Zimmer: M.Ferris a parlé d'échange d'information. Est-ce que les autres pays qui obtiennent de l'information sur le Canada nous en font part, même si nous n'avons rien à échanger?
M.Gould: Oui, sénateur.
Le sénateur Zimmer: Partageraient-ils autant d'information avec nous si nous étions en mesure de leur fournir en échange une partie de notre information, ce dont ils ont besoin?
M.Gould: Nous obtiendrions probablement davantage d'information. J'ai été agent de liaison à Washington pendant trois ans, et j'ai eu affaire à des organismes américains qui échangeant de l'information. Plus nous avons d'information, plus nous en recevrons.
Le sénateur Zimmer: Nous sommes une société passive, et, à certains égards, nous n'arrivons pas à changer cette situation. Si nous finissons par créer un nouvel organisme, nous allons nous faire une réputation, qui sera peut-être positive, peut-être négative. Au bout du compte, ce serait peut-être une bonne idée de donner l'impression que nous protégeons notre pays.
M.Gould: La question de savoir si nous allons recueillir des renseignements au sein d'un organisme à part entière ou au sein du SCRS n'a pratiquement aucune importance. Ce qui importe, c'est de recueillir des renseignements.
Le sénateur Zimmer: Quelles leçons pouvons-nous tirer de l'établissement d'organismes étrangers qui ont été un succès, par exemple MI6 et la Central Intelligence Agency, ou CIA?
M.Gould: Les Britanniques effectuent ce genre d'activité depuis 500 ans. Les Américains le font depuis 50 ans ou peut-être davantage. J'espère, puisque ce sont nos amis et nos alliés, qu'ils nous aideraient en nous donnant des conseils, en nous orientant et en nous offrant de la formation, et cela supposerait qu'ils nous communiquent les leçons qu'ils ont tirées lorsqu'ils ont fait des erreurs.
Nous souhaiterions éviter le volet des opérations secrètes. Les Américains et les Britanniques ont effectué des opérations secrètes dans le passé, et ce genre d'opérations est désagréable. Les Canadiens n'en veulent pas, pas plus que le gouvernement en a besoin. Ce sont de bons amis qui sont prêts à nous aider.
Le sénateur Zimmer: Pensez-vous que les systèmes actuels d'examen et de reddition de comptes sont adéquats? Faut-il davantage d'examens de surveillance, monsieur Charters?
M.Charters: Les mécanismes d'examen existants sont adéquats pour le genre de choses que nous faisons à l'heure actuelle. Si le mandat du SCRS devait être étendu, le mécanisme d'examen devrait être modifié pour en tenir compte.
Il serait impossible de commencer à effectuer des activités de renseignement étranger sans assurer un examen plus approfondi, de façon à rendre des comptes comme le souhaitent le gouvernement et la population.
J'irais plus loin et j'éclaircirais la question. Nous parlons d'examen, et non de surveillance. La surveillance consiste à gérer la direction des services. Nous n'avons pas suivi cette voie au Canada. Je m'en tiendrais à un processus d'examen.
M.Cameron: Je suis d'accord avec ça, ainsi qu'avec ce que M.Gould a dit. Il est clair que nous ne sommes pas en train de discuter d'une capacité de renseignement étranger qui inclut des opérations secrètes. Le mécanisme de surveillance devrait être étendu et retravaillé, mais il ne serait pas nécessaire d'en créer un nouveau de toutes pièces. Tout comme nous parlons, en ce qui concerne la capacité de renseignement étranger, de tirer parti des bons éléments qui existent à certains égards, et aussi du fondement organisationnel à partir duquel nous voulons réaliser cela, la même idée fondamentale s'applique au mécanisme d'examen.
M.Ferris: Je vais commencer par dire que la meilleure solution, même si elle n'est pas immédiatement applicable, ce serait d'avoir un service de renseignement étranger distinct du service de renseignement de sécurité.
Cependant, je ne vois pas du tout cette solution comme étant pratique pour le Canada. Comme moyen temporaire de mettre sur pied une capacité, je recommanderais que le service de renseignement étranger fasse partie du SCRS, sans modification, ou je serais en faveur de cette idée. À long terme, le fait qu'il y ait deux institutions encadrées par des régimes législatifs différents au sein de la même institution pose problème. L'organisme de collecte de renseignement étranger ne sera pas en mesure de fonctionner à l'étranger dans le respect de la Charte ou des lois canadiennes. Cet organisme fera des choses que nous, les citoyens, condamnerions. En ce qui concerne un service de renseignement étranger faisant partie du SCRS, tout système d'examen qui sera mis en place devra tenir compte de la nécessité d'envisager les opérations extérieures comme étant différentes des opérations effectuées au pays. Le système d'examen devra faire deux poids deux mesures, ce qui supposera un changement de mentalité, et, éventuellement, une modification des directives données aux responsables de ce système d'examen.
À long terme, nous serions plus avisés de mettre sur pied un système tout à fait distinct, mais il n'y a aucun moyen pratique d'y arriver à court terme.
Le sénateur Zimmer: Pensez-vous que les éléments du Bureau du Conseil privé qui participent aux activités de renseignement devraient participer aussi au processus d'examen?
M.Ferris: Parlez-vous aussi des fonctions d'analyse et du Centre de la sécurité des télécommunications?
Le sénateur Zimmer: Oui.
M.Ferris: On peut présumer qu'il est possible de faire l'examen des fonctions d'analyse et qu'elles ne présentent aucun problème. Le CST est plus complexe, et cette situation exige un système d'examen d'une espèce différente, parce que le Centre travaille en collaboration étroite avec des partenaires internationaux. Ainsi, la capacité de fonctionnement de tout système d'examen canadien sera très limitée. À l'intérieur de certaines limites, le processus qui s'applique au CST serait approprié, mais il ne pourrait aller aussi loin que dans le cas du SCRS.
M.Charters: Nous devons nous pencher sur le mécanisme du CST et déterminer si les tâches effectuées par le commissaire sont suffisantes. Je ne suis pas en mesure de vous dire si cette personne fait du bon travail, parce que je ne le sais pas. Si elle ne le fait pas, alors nous avons besoin d'un autre mécanisme. Je ne peux pas vous dire si le mécanisme d'examen actuel fonctionne ou non.
M.Gould: Je suis d'accord avec mes collègues pour dire que la situation du CST est suffisamment complexe. Si l'on devait étendre le mandat du Centre de façon qu'il devienne davantage axé sur les opérations qu'à l'heure actuelle, nous devrions nous pencher sur le mandat et réviser le mécanisme.
Le sénateur Atkins: J'aimerais revenir aux choses fondamentales. Il y a beaucoup de confusion autour des notions de renseignement de sécurité et de renseignement étranger. Pourquoi tant de confusion? Que peut-on faire pour éclaircir les choses?
M.Ferris: La fonction de renseignement de sécurité consiste essentiellement à prévenir les menaces à la sécurité intérieure, même si celles-ci peuvent être liées à d'autres pays. Le renseignement étranger, c'est toute espèce de renseignement sur n'importe quel sujet et obtenu à l'extérieur de notre pays. Il s'agit habituellement de renseignements militaires, politiques et économiques. Le renseignement de sécurité a trait à une menace intérieure. Ce qui rend les choses plus compliquées, c'est que les services de sécurité effectuent souvent des activités à l'étranger. Lorsque la prévention d'une menace intérieure passe par l'obtention de renseignements à l'échelle internationale, ils le font. Les services de renseignement étranger s'occupent des menaces à la sécurité qui viennent de l'extérieur aussi. La confusion vient en grande partie du genre de problème sur lequel on recueille de l'information. Si le problème touche au bout du compte le territoire national, alors c'est une question de sécurité. Si le problème vient de gens qui se trouvent à l'extérieur, alors c'est une question de renseignement étranger.
Le sénateur Atkins: Y a-t-il moyen de rendre la distinction claire dans l'esprit du public?
M.Ferris: Le renseignement de sécurité peut être clairement distingué. Pour ce qui est du reste, tout le monde comprend la différence entre les espions et les cryptographes. Il peut être utile de connaître la différence entre ces gens et les gens qui recueillent des renseignements grâce à l'imagerie. Là où la plupart des gens ont des doutes, c'est en ce qui concerne le rôle des analystes. Au XXIe siècle, l'analyse est devenue une partie essentielle du renseignement, et, sans elle, on n'obtiendrait pas de renseignements dans une proportion de cas, sinon la majorité des cas.
Le sénateur Atkins: Quelqu'un d'autre veut dire quelque chose?
M.Charters: Je ne peux qu'insister sur ce qui a déjà été dit. M.Cameron a dit quelque chose tout à l'heure avec quoi je suis d'accord. Il y a une espèce de zone grise entre la sécurité et le renseignement étranger. Certaines des menaces à notre sécurité sont d'origine étrangère. Elles peuvent venir du Canada ou encore venir de l'extérieur. La distinction tient à la région où on effectue la collecte d'information et où on juge que se trouve la source du problème. Un problème militaire survenant dans la région du Darfour est un problème de renseignement étranger qui n'a pas de répercussions sur la sécurité intérieure du Canada. Il peut être utile pour nous d'avoir certains éléments sur le terrain qui puissent nous fournir des renseignements sur la région. Je ne pense pas que personne envisage le problème du Darfour comme un problème menaçant la sécurité intérieure du Canada. C'est la façon la plus facile de faire la distinction.
Le sénateur Atkins: Vous parlez souvent des «utilisateurs». Qui sont ces utilisateurs?
M.Ferris: L'utilisateur, c'est tout décideur, c'est-à-dire un agent de bureau du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, un premier ministre ou un commandant sur le terrain. Un lieutenant qui commande un peloton en Afghanistan est un utilisateur. L'utilisateur, c'est la personne qui agit en fonction des renseignements qu'on lui offre après avoir effectué la collecte et l'analyse. L'utilisateur, c'est tout décideur ordinaire qui obtient des connaissances qui peuvent l'aider à prendre des mesures. Le comportement des utilisateurs varie de façon spectaculaire. Un lieutenant réfléchit différemment d'un premier ministre.
Le sénateur Atkins: Y a-t-il un écart? Pouvez-vous me dire que, dans notre cas, il n'y a pas de faille?
M.Ferris: Il n'y a pas de système de renseignement sans faille. Dans notre cas, il y a toute une dimension qui nous échappe, et nous ne savons pas à quel point elle est importante. La plupart des pays occidentaux pensent avoir besoin d'en prendre connaissance pour bien comprendre la situation. Dans la mesure où les historiens peuvent nous en parler, il est clair que le renseignement secret, tant l'analyse cryptographique et le renseignement humain, est un élément fondamental des grandes puissances politiques. C'est comme pouvoir évaluer les chances de gagner tel ou tel cheval dans une course et connaître les vrais pourcentages, de façon que, à long terme, on puisse faire le pari le plus rationnel. C'est comme jouer au poker en sachant ce que son adversaire a en main. Ça peut permettre d'éviter d'être victime de bluff, et, en de rares occasions, le renseignement transforme ce qu'il est possible de faire. Il arrive parfois que les capacités soient multipliées de façon spectaculaire. Au jour le jour, c'est ce qui permet de faire jouer le hasard en sa faveur.
M.Charters: Il y a eu des moments, au cours de la Seconde Guerre mondiale, où les Britanniques perçaient les codes allemands, ce qui n'a jamais été un processus infaillible. Il y a eu des moments où ils n'arrivaient pas à percer les codes ou à le faire à temps. Je me fais l'écho de ce que M.Ferris a dit: ce n'est jamais un processus sans faille. Ni la collecte ni le processus de transformation des données brutes en un produit fini et de diffusion de ce produit auprès de ceux qui en ont besoin n'est sans faille. Certains dirigeants sont réceptifs et utilisent les renseignements qu'on leur fournit, alors que d'autres le sont moins. Parfois, les mécanismes grâce auxquels ils reçoivent l'information ne sont pas les bons pour eux.
Le livre de Christopher Andrews sur les présidents américains et l'usage qu'ils ont fait du renseignement en est un bon exemple. Chacun des présidents avait son style propre lorsque venait le temps de traiter l'information. Certains réussissaient bien; d'autres moins.
Le sénateur Atkins: Monsieur Ferris, vous avez parlé du renseignement humain. J'ai eu l'impression que vous pensiez que le fait de recueillir des renseignements humains était la première chose à faire dans le cadre de la mise sur pied d'un organisme. Le SCRS compte 2000 employés, la CIA en compte peut-être 100000 et M15 et MI6 en ont des tonnes. Nous ne sommes qu'une goutte d'eau dans l'océan. Puisqu'il en est ainsi, comment nos activités peuvent-elles avoir des répercussions et comment pouvons-nous être pris au sérieux?
M.Ferris: Prenez par exemple l'armée canadienne. C'est une petite armée — probablement du même ordre de grandeur que ce dont vous venez de parler, comparativement aux armées américaines et de la plupart des pays européens. Cependant, elle a joué un rôle efficace dans l'augmentation du pouvoir d'action du Canada. Elle a aussi obtenu des résultats que la population et le gouvernement souhaitent obtenir. Ce n'est pas parce qu'elle est petite qu'elle n'est pas efficace.
Le CST est beaucoup plus petit que la National Security Agency ou NSA, mais le CST s'est forgé une excellente réputation, ce qui a beaucoup aidé le Canada sur le plan du renseignement militaire et des relations avec les États-Unis. Pour autant que nous disposions d'une capacité de renseignement humain d'une qualité raisonnable, il n'y a aucune raison pour que même une organisation de 100 personnes soit insignifiante à l'échelle mondiale.
Le sénateur Atkins: C'était ma prochaine question.
M.Ferris: Si vous me demandez s'il serait raisonnable d'affronter la CIA, le SIS ou les Israéliens dans les domaines où ils sont forts, je vous répondrai que non. Il est peu probable que nous trouvions quoi que ce soit dans les régions où le SIS, la CIA ou le Mossad concentrent leurs efforts. Cependant, nous pouvons découvrir des choses que nous aimerions connaître, que d'autres aimeraient connaître et contre lesquelles ils seraient prêts à échanger d'autres renseignements.
M.Cameron: Pour reprendre votre image, une seule goutte d'eau peut parfois faire la différence. Elle ne disparaît pas nécessairement dans l'océan.
Je me fais l'écho d'une bonne partie de ce que M.Ferris a dit, et je répète aussi que l'influence que nous avons sur nos alliés en ce qui concerne les accords réciproques en matière de renseignement est attribuable précisément au fait que c'est quelque chose de réciproque. Ce que nous faisons est important non seulement parce que nous sommes en mesure de recueillir des renseignements qui nous intéressent directement, mais aussi parce que nous sommes capables de faciliter ces accords réciproques avec nos alliés.
M.Gould: Voici la question qui peut être la plus importante si nous décidons de mettre sur pied une quelconque unité de collecte de renseignement: qu'allons-nous cibler, comment et combien de ressources allons-nous consacrer à cela? Allons-nous tenter de concurrencer la CIA, ou allons-nous plutôt choisir un secteur très précis que les autres ont négligé? Il faudra que les gestionnaires posent cette question, et qu'ils reçoivent des directives de la part des décideurs, des politiciens.
Le sénateur Atkins: Le SCRS recueille certains renseignements étrangers dans le cadre de la loi actuelle. Si on étend le rôle du SCRS, envisagez-vous qu'on apporte certains amendements à cette loi? Le cas échéant, quels sont selon vous les principaux amendements qu'il faut y apporter?
M.Charters: Ça dépend du genre de tâches que nous aimerions voir le nouveau SCRS effectuer. Si nous voulons nous doter d'une capacité de collecte de renseignement étranger plus générale, il faudra probablement modifier plusieurs articles de la Loi sur le SCRS. D'autres spécialistes sont mieux placés que moi pour en discuter, et ils seront peut-être en mesure de faire la lumière là-dessus au cours de la séance suivante. Cependant, je pense que les articles 2, 12 et 16 sont probablement ceux qui seraient touchés par les amendements relatifs au mandat, à la mission et aux tâches du SCRS. Cependant, d'autres personnes pourraient mieux répondre à la question que moi.
M.Gould: La chose la plus simple à faire, c'est-à-dire supprimer cinq mots de l'article16 — «dans les limites du Canada» — permet de franchir les premières étapes en vue de la collecte de renseignement étranger dans d'autres pays. Si vous partez de là, vous devez ensuite vous pencher sur le reste de la loi pour déterminer quelles en sont les parties qui empêcheraient le service d'agir de telle ou telle manière. C'est à cet égard que je ne connais pas les détails.
Cependant, à l'heure actuelle, vous avez raison. Le CRS pourrait recueillir des renseignements étrangers à la demande du ministre des Affaires étrangères et du ministère de la Défense nationale au Canada — c'est ça, la différence.
Le sénateur Atkins: Si l'organisme devait être lié au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, faudrait-il apporter des amendements à la loi constitutive de ce ministère?
M.Gould: Le ministre des Affaires étrangères a le pouvoir de mener les affaires du Canada à l'étranger. C'est une question sur laquelle des avocats devraient se pencher, mais, à première vue, je dirais que nous pourrions envisager d'aller de l'avant au ministère des Affaires étrangères du commerce international, sous les auspices du ministre, sans avoir besoin de modifier la loi. Cependant, je suis sûr qu'on demanderait à beaucoup d'avocats d'étudier la question avant de prendre les mesures.
Le président: Je tiens à vous remercier. C'est une aide précieuse que vous nous avez apportée aujourd'hui en ce qui concerne la planification. Nous allons communiquer de nouveau avec vous. Nous vous remercions aussi de votre exposé de ce soir et nous avons hâte de vous reparler dans le cadre de notre étude.
Mesdames et messieurs les sénateurs, nous allons écouter maintenant Wesley Wark, Stuart Farson, Bob Brule, Al Hensler et Jim Corcoran. Les trois dernières personnes que j'ai nommées pourront répondre aux questions sur le sujet général que nous abordons, mais seul MM.Wark et Farson présenteront un exposé, de courte durée.
Wesley Wark, à titre personnel: Nous avons passé une séance à la fois longue et intéressante à discuter la question de la capacité du Canada en matière de renseignement étranger, et je ne vais pas répéter ce que j'ai dit plus tôt. Je veux aborder une série de questions qui est un peu différente.
Premièrement, je souhaite attirer l'attention sur l'importance des décisions que nous sommes peut-être sur le point de prendre. Il importe de savoir que le Canada cherche à savoir depuis plus de 60 ans s'il doit oui ou non établir un service de renseignement étranger ou accroître ses capacités établies à cet égard. Le débat est né immédiatement après la Seconde Guerre mondiale et il renaît de façon épisodique depuis, le dernier volet étant survenu avant le 11 septembre, puis, après le 11 septembre, pour des raisons évidentes, l'intérêt pour la question s'est renouvelé.
Si, comme je l'espère, nous décidons de franchir le seuil fatidique et de porter enfin ce long débat à sa conclusion et de créer un service de renseignement étranger ainsi que d'accroître notre capacité à cet égard, nous pouvons y parvenir en délaissant des pratiques, des peurs et des angoisses qui appartiennent au passé.
Je veux m'attarder pendant une minute aux raisons pour lesquelles, d'après les historiens, nous avons débattu de la question sans adopter de mesures pendant toutes ces années. Jusqu'à un certain point, nous pouvons dire qu'il existe certains éléments qui sont utiles à la discussion que nous avons en ce moment et qu'il faut garder à l'esprit.
Voici donc, dans le désordre, les raisons... Il importe de savoir que nous n'avons jamais décidé de créer un service de renseignement étranger avant cette année — nous semblons maintenant sur le point de le faire —, pour plusieurs raisons: une inquiétude quant aux coûts; une inquiétude quant à l'efficacité et aux moyens d'action du Canada, autrement dit, par modestie ou par humilité face à nous-mêmes — nous ne pourrions probablement pas faire un bon travail, alors pourquoi faire un travail bâclé? ... L'idée que la création d'un tel service, si attrayante que cela puisse paraître, serait soit anticanadien, soit nuisible à la perception qu'ont les gens du Canada ici même au pays ou à l'étranger; et, c'est l'élément qui est probablement le plus important de tous, si nous n'avons pas créé un tel service par le passé, c'est que nous avons présumé que nous pouvions nous fier à nos alliés. Ce n'était pas une forme de naïveté; c'était une idée née de l'expérience considérable que nous avons acquise à travailler à l'intérieur d'une alliance internationale, une association avec de grandes puissances et des puissances semblables au Canada, les grandes puissances étant la Grande-Bretagne et les États-Unis, et les puissances de taille semblable au Canada, ou puissances intermédiaires, l'Australie et les pays membres de l'alliance «Four or Five Eyes». Historiquement, le Canada a déterminé que notre contribution à une telle alliance prendrait la forme du renseignement de sécurité, d'une analyse ou d'une évaluation quelconque, sinon le renseignement électromagnétique, tâches relevant du renseignement étranger, et que cela suffirait. Nous pouvions éviter les coûts, les difficultés complexes et d'éventuels ennuis politiques associés à un service de renseignement étranger en effectuant de telles tâches pour nos alliés. Nos alliés, à leur tour, réaliseraient le travail auquel renonce le milieu canadien du renseignement parce que nous n'étions pas prêts à nous donner une capacité propre en matière de renseignement étranger.
Ayant décidé dans le passé que nous n'avons pas besoin d'un service de renseignement étranger qui nous est propre, pourquoi envisageons-nous aujourd'hui de revenir sur cette décision? Pourquoi nous faudrait-il une telle capacité? Pour répondre à cette question, je crois qu'il faut dire que bon nombre des peurs que nous avions dans le passé, si nous les soumettons à un examen rigoureux, commencent à se dissiper. Quant à la question du coût, la création d'un service ne serait pas un si grand fardeau pour un pays relativement riche comme le nôtre. Quant à la question de la capacité et de l'efficacité, je crois que le Canada forme aujourd'hui une puissance plus confiante et plus mûre, que nous nous voyons comme un acteur sur la scène internationale, une puissance importante sur la scène mondiale, et que la modestie de ces réflexions que nous avions sur nous-mêmes fait maintenant partie du passé. L'idée que ce type d'activité puisse être «anticanadien», à mon avis, est également disparue, du moins en partie, du fait de la place que nous avons prise dans la lutte mondiale contre le terrorisme à la suite des événements du 11septembre et aussi de la lutte que nous menons aux côtés d'autres pays, par exemple en Afghanistan. Nous nous voyons comme un pays militant qui est engagé militairement dans la lutte contre le terrorisme. Peut-être que le fait de recueillir du renseignement étranger ne serait pas une chose si nouvelle ou si stigmatisante dans le contexte.
Étant donné les besoins et les intérêts du Canada, quant à la sécurité du Canada et à la défense de nos intérêts au pays et à l'étranger, nous constatons qu'il nous faut nos propres moyens d'action à cet égard, même s'ils sont modestes au départ, qu'ilnous faut recueillir nos propres renseignements et porter nous-mêmes un jugement sur la nature des renseignements qui nous parviennent de l'étranger en rapport avec toute une série de menaces et d'enjeux, en dehors du cadre strict du renseignement de sécurité.
Dans la mesure où cette lecture de la situation est juste, je crois que nous sommes moins enclins à croire que nous pouvons continuer à nous fier à d'autres pays pour obtenir certains types de renseignements. Peut-être prêtons-nous un peu moins foi à certains types de renseignements et d'évaluation des renseignements que peuvent fournir même les pays amis dans un monde qui a changé depuis les événements du 11 septembre. Les enjeux dans le monde représentent quelque chose de complexe, et les amis et alliés en qui nous avons par ailleurs confiance ont visiblement fait des erreurs en rapport avec les attaques du 11 septembre et l'évaluation de la menace représentée par les armes de destruction massive en Irak.
Tout ça pour dire que nous regardons maintenant notre capacité avec une confiance nouvelle. Nous nous voyons autrement en tant que pays et nous voyons autrement nos besoins en information, car l'essentiel est là. Nous voyons d'un œil nouveau les informations qu'il faut posséder pour conduire la politique canadienne à l'étranger.
En outre, à long terme, pour que le Canada puisse bien exercer un rôle de premier plan dans le monde du renseignement, il doit impérativement préserver ses liens avec les quatre ou cinqpartenaires en question. Ce n'est pas dire que, si jamais nous ne créons pas de services de renseignement, nous serons expulsés de ce cercle privilégié. Personne n'avance cela. Il existe des menaces et des exigences nouvelles en rapport avec le renseignement étranger, depuis le 11 septembre. Du point de vue du Canada et de celui des alliés, la seule façon d'atteindre le but consiste, pour le Canada, à apporter une plus grande contribution à la tâche du point de vue du renseignement de source humaine.
Tandis que nous réfléchissons à ce nouvel environnement et à cette nouvelle façon de nous voir nous-mêmes, j'espère que cette question historique est réglée. Nous n'en sommes plus à débattre de cette vieille question d'ordre général: nous faut-il, oui ou non, un service ou une capacité quelconque en ce qui concerne le renseignement étranger? Quant à moi, la réponse me paraît claire comme de l'eau de roche. Cela tient à un monde marqué par de nouvelles menaces et à notre nouvelle façon de nous voir en tant que Canadiens et aux besoins que présente notre époque de l'information.
Nous allons pouvoir aborder de véritables enjeux si nous acceptons d'enterrer ce débat sexagénaire. Or, comment y arriver et comment faire pour bien faire ce travail? Rien ne sert d'édifier une capacité ou un service en matière de renseignement étranger si c'est pour bâcler le travail, sans véritable plan. Si nous n'avons pas de plan professionnel à proposer aux alliés, aux Canadiens et au Parlement, ce sera la catastrophe. Il n'y aura probablement qu'une occasion d'agir, certainement, du moins de notre vivant. Soit que nous travaillons bien et que nous planifions bien les choses, soit que nous bâclons le travail et que nous sommes forcés d'attendre encore 60 ans avant d'envisager la question de nouveau.
J'applaudis au fait que le comité ait décidé d'aborder cette question. Je presse le comité de rester ouvert aux diverses options qui existent. Le gouvernement en place semble avoir conclu qu'il n'existe qu'une seule façon de lancer un service de renseignement étranger, soit de le greffer sur le SCRS et de le laisser croître. Il existe peut-être de bons arguments en faveur de cette option, mais ce ne sont pas les seules qui existent. Une façon de régler le problème consisterait à laisser les parties intéressées au gouvernement canadien soumissionner afin d'obtenir le contrat. Le SCRS dit avoir intérêt à élargir son champ d'action de manière à évoluer dans la sphère du renseignement étranger. Il prétend être le mieux placé pour instaurer et élargir les moyens d'action à cet égard, à partir de ce qu'il fait déjà, et compte tenu aussi des lois, de l'expertise, des talents à son service, de l'infrastructure et ainsi de suite...
Vous allez entendre les arguments des experts d'autre ministères ayant eu affaire avec le milieu du renseignement, le ministère de la Défense nationale ou le ministère des Affaires étrangères, où on affirme ne pas être sûr de ce qui constitue le meilleur modèle. Cela devrait peut-être faire partie du ministère des Affaires étrangères, sinon du ministère de la Défense nationale ou d'un organisme central directement comptable au premier ministre, comme cela se fait dans certains régimes parlementaires de type britannique.
Au bout du compte, tous les modèles proposés peuvent s'appliquer. Il faut examiner attentivement chacun d'entre eux. Il faut se garder d'acquiescer au fait accompli qui est actuellement dû à l'appareil bureaucratique — soit la décision que le SCRS est le meilleur endroit où mettre sur pied ce service de renseignement étranger —, plutôt que de prendre en considération le meilleur usage ou le meilleur règlement d'un point de vue stratégique. Écoutez tous les arguments formulés par les divers organismes qui finiront par mettre la main à la pâte d'une manière ou d'une autre.
À qui faudrait-il faire confiance en rapport avec cette question? Vous allez entendre le témoignage de nombreuses personnes. Vous allez entendre des praticiens en service ou à la retraite, et peut-être des experts internationaux et des universitaires canadiens. Chacun apportera au débat sa propre expérience, ses idées de prédilection et ses préjugés.
N'oubliez pas qu'il vaut la peine de prêter attention aux conseils des universitaires sur la question, mais qu'il faut aussi tenir compte des limites de tels conseils. Ce ne sont pas les universitaires qui dirigeront l'organisme. Le travail universitaire permet de comprendre, de manière générale, les comparaisons internationales que proposent les historiens: ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. Les intérêts bureaucratiques n'entrent pas en jeu. Les universitaires n'ont pas d'expérience concrète du domaine; il vous faudra donc faire la part des choses entre ce que disent les universitaires et les praticiens.
Si nous réglons la question du débat et décidons de créer quelque chose, le plus grand défi consistera à déterminer où il faut mettre sur pied un tel service. Quel organisme en aura la charge et quels seront les contrôles exercés sur le service en ce qui concerne les orientations du service, les responsabilités ministérielles et l'examen externe? Il y a aussi la difficulté qui consiste à déterminer quelle sera la tâche de ce service de renseignement. J'insiste pour dire que toutes les solutions différentes qui sont proposées ne visent pas collectivement à donner l'impression de foutoir et fatras, fouillis et embrouillamini. Ce sont simplement des solutions appropriées. Un service de renseignement étranger peut effectuer de nombreuses tâches. La vérité, c'est que nous en avons pour dix ans environ à faire des expériences et à innover, à essayer de créer une chose que nous n'avons jamais eue. Il importe de s'engager dans cette expérience, d'apprécier que c'est bien une expérience et de ne pas croire connaître toutes les réponses au départ. C'est l'expérience qui fera ressortir certaines réponses aux questions posées, en ce qui concerne les tâches particulières du service.
Cela dit, nous pouvons brosser un tableau général de la situation. Le Canada n'est pas chanceux, dans le sens où nous n'avons pas de créneau géographique où évoluer. Nous ne pouvons dire que le Canada va cibler ses activités de renseignement sur une partie particulière du monde parce que ce serait logique pour nous de le faire et que ce serait justifiable dans l'intérêt national. Nous ne sommes pas l'Australie. Par ailleurs, nous ne sommes pas une puissance mondiale du monde du renseignement. Nous ne saurions l'affirmer aujourd'hui, pas plus que nous ne pourrons le faire dans dix ans, ni jamais. Nous serons toujours un allié dans ce monde. Le Canada a toujours bien fait ce travail, et nous devrions concentrer nos moyens d'action là-dessus. Nous formons un pays qui sait utiliser intelligemment son intérêt national et ses liens avec ses alliés. En créant un service de renseignement étranger, nous allons changer, adapter et utiliser à notre avantage maximal la longue histoire des activités alliées de renseignement du Canada. Cela veut dire que nous allons collaborer avec nos principaux partenaires étrangers afin de désigner des champs d'action ainsi que des questions et des cibles précises auxquelles le Canada voudra s'attaquer de concert avec les puissances en question. Nous n'allons pas agir seuls, car ce serait là une erreur. Il y a aussi une sorte de défi complémentaire à relever. Nous n'allons pas agir seulement au nom de nos alliés non plus. Il y aura d'importantes négociations et tractations entre le Canada et ses alliés, quant à savoir ce que le Canada peut et doit faire.
Jusqu'à ce que ces discussions aient lieu, il faudra que ce soit des discussions secrètes, mais sous surveillance politique, il sera difficile de dire quel sera le rôle précis du Canada.
Pour une grande part, ce que le Canada fait ainsi dans le contexte du travail avec les alliés sera motivé par les besoins et les priorités relevés par les responsables canadiens en matière de sécurité nationale. Nous avons bien une politique de sécurité nationale. En avril 2004, cette politique soulevait les thèmes et les enjeux principaux dont il est question, que les services de renseignement peuvent venir éclairer. Indubitablement, le terrorisme figure parmi les thèmes et enjeux principaux en question. Il y a des aspects du problème du terrorisme qui transcendent les opérations et capacités actuelles du SCRS, voire le champ d'action de la Loi sur le SCRS. La prolifération représente un grand enjeu où le Canada pourrait faire appel davantage à un service de renseignement étranger. Le Canada pourrait accomplir un travail de contre-espionnage qui serait plus efficace. La menace provenant des services de renseignement étranger ira en s'accroissant au fil des années à venir, plutôt que l'inverse, et le Canada pourrait être plus efficace s'il se donnait des moyens d'action à cet égard.
Notre capacité d'être en lien avec les États faillis, élément de reconnaissance important et approprié dans le contexte d'une politique en matière de sécurité nationale, exige le recours à un service de renseignement étranger. Notre volonté de contribuer à la sécurité internationale et à la prospérité mondiale peut aussi faire intervenir un service de renseignement étranger. L'apport du Canada aux débats qui ont lieu aux Nations Unies et aux mesures collectives adoptées aux Nations Unies comme ailleurs peut bénéficier grandement des éléments d'information que procure un service de renseignement étranger.
Nous en serons à essayer de définir cette chose nouvelle connue sous le nom de «service de renseignement étranger», en procédant à tâtons et en innovant. Les mesures de protection qu'il nous faudra pour cheminer en ce sens seront l'aide fournie par nos proches alliés, notre propre capacité de définir l'intérêt canadien soigneusement, de manière à ne pas être dirigés à distance ou dupés par nos alliés étrangers et l'idée que les menaces existantes ne seront plus les mêmes. Le paysage informationnel comporte de nouveaux acteurs et de nouvelles données, ce pourquoi seul un service humain convient. C'est particulièrement le cas des menaces atypiques et des acteurs qui ne sont pas reliés à un État particulier. Le terrorisme y figure, mais pas seul. Il y a là le trafic des êtres humains et les organisations criminelles internationales, par exemple. Un service de renseignement humain peut s'attaquer à un champ d'activités tout à fait nouveau, même si nous avons fini par croire que les services humains sont des services traditionnels. C'était des services traditionnels à l'époque où les services de renseignement sont nés, mais ils sont appelés à jouer de nouveaux rôles. Voilà pourquoi, en partie, le Canada a besoin d'un service de renseignement étranger dans le contexte du XXIe siècle.
Le président: Merci, monsieur Wark. Lorsque vous avez proposé que nous demandions aux différents intervenants de soumissionner, est-ce que vous pensiez à des enchères publiques, à des enchères silencieuses, à des enchères au rabais ou carrément à l'émission Le Banquier?
M.Wark: Un truc où il y a du suspense.
Stuart Farson, à titre personnel: Pour ce qui est de faire confiance aux universitaires, je crains de devoir vous donner un point de vue qui est différent de celui de M.Wark, car nous avons, lui et moi, des divergences d'opinion fondamentales sur la question. Nous sommes tout de même d'accord sur un point: il a dit que la discussion n'avait rien de nouveau et que le débat a lieu depuis plusieurs décennies. Or, on peut dégager l'essence de ce que le débat a pu représenter depuis 25 ans. Il s'agit essentiellement de savoir si le Canada doit se doter d'un service de renseignement étranger. La question a été dépeinte comme étant de nature organisationnelle. Cela ne s'est pas révélé aussi utile que cela aurait pu l'être. On nous dit que ce sera coûteux, mais on ne nous dit pas où les renseignements de sources humaines seront recueillis ni ce que l'organisme pourra faire ou ne pas faire par ailleurs. On présume qu'il est nécessaire d'avoir un tel organisme, sans expliquer pourquoi c'est le cas ou préciser ce que l'organisme devrait faire et où il devrait le faire. Le débat a plutôt été centré sur l'idée de savoir si le Canada doit enrichir ses moyens d'action en matière de renseignement étranger, dans la mesure où cela existe, et, le cas échéant, quelle forme un tel enrichissement des moyens d'action pourrait prendre. Autrement dit, la question a été présentée comme renvoyant à la capacité ou aux moyens d'action, et non pas à un problème d'organisation.
Je ne suis pas sûr que le gouvernement en place ou l'un quelconque de ses précurseurs ait jamais procédé à un examen détaillé des besoins du Canada en ce qui concerne le renseignement recueilli à l'étranger. Je crois que votre comité doit insister auprès des autorités gouvernementales et de toute autre insistance à laquelle il a accès pour savoir si un tel examen a déjà été fait. Nous devons savoir s'il existe des lacunes et savoir où elles se situent. Je parle du renseignement de sécurité et du renseignement étranger à la fois, de la nécessité de savoir comment combler les lacunes en question. Même si nous ne connaissons pas la réponse à cette question, nous pouvons formuler l'hypothèse selon laquelle il existe bel et bien des lacunes, peut-être dans plusieurs secteurs différents, du point de vue de la collecte de renseignements de source humaine, de la collecte de renseignements de source technique, de la collecte de renseignements de source ouverte et ainsi de suite. Dans les trois catégories en question, la lacune peut toucher des régions ou des pays en particulier, où les intérêts du Canada sont en jeu.
Il faut examiner les lacunes en question en cherchant à savoir si nous devons donner de l'ampleur aux autres activités du milieu du renseignement. Par exemple, dans quelle mesure faudrait-il accroître le personnel chargé des évaluations et des analyses? Étant donné la culture du renseignement qui règne au pays, les consommateurs du renseignement réserveraient-ils un accueil favorable à un tel accroissement du renseignement évalué et en feraient-ils usage?
Quelles sont les conclusions que je pourrais tirer? Mon point de vue n'a pas changé sur cette question particulière depuis les années 1990. Je crois toujours qu'il serait à la fois sage et prudent pour le Canada d'accroître sa collecte de renseignements à l'étranger, particulièrement, mais non pas exclusivement, la collecte de renseignements de source humaine. Cependant, l'accroissement à cet égard serait d'une valeur limitée si d'autres questions importantes ne sont pas prises en considération: un meilleur usage du renseignement de source ouverte; un accroissement important du personnel chargé des évaluations et des analyses, surtout dans les centres de fusion; une évolution positive de la culture du renseignement au Canada, ce qui ne sera pas une mince tâche, mais je crois que c'est un élément essentiel pour un usage optimal de la somme accrue de renseignements recueillis à l'étranger; une modification des méthodes d'examen et de surveillance actuellement appliquées; et l'intensification de la coordination et de la coopération dans le milieu du renseignement.
Il y a une question supplémentaire que je voudrais soulever, et on en a déjà parlé: à l'avenir, le Canada sera parfois en désaccord avec ses alliés, comme il est arrivé dans le passé, quant à la manière de traiter d'une question particulièrement délicate relevant de la politique étrangère, par exemple la question de l'Irak. Il est possible d'avancer que, dans le cas de la question de l'Irak, le renseignement anglo-américain a présenté de graves déficiences. La présentation au public des fruits du renseignement a été adaptée aux préférences de l'administration et, étant donné que le Canada compte depuis plusieurs années sur les deux pays en question pour la majeure partie de ses renseignements étrangers, l'échec en question justifie d'autant l'idée que le Canada installe à l'étranger un système autonome de collecte de renseignements digne de ce nom.
Avant de faire de tels aménagements, il serait prudent de préciser un certain nombre d'autres questions: là où il faudrait recueillir des renseignements; l'organisation qui devrait se charger de recueillir le renseignement; l'établissement du mandat à cet égard; l'établissement des principes qui devraient sous-tendre le mandat en question, soit qu'ils privilégient la sécurité du Canada et les intérêts du Canada, soit qu'ils reposent sur un autre ensemble de principes, par exemple; et, ce n'est pas la question la moins importante, le choix des éléments qui seraient exclus d'un tel mandat. Il a été dit que nous ne voulons pas d'un mandat qui comporte des actions clandestines posées à l'étranger, particulièrement en rapport avec des questions comme la remise de prisonniers, des interrogatoires sévères et des assassinats. De même, à court terme tout au moins, nous ne voulons pas recueillir de renseignements étrangers. Le besoin de recueillir davantage de renseignements sur les menaces qui planent sur le Canada et les intérêts du pays à l'étranger suffiront à nourrir nos soucis à court terme.
Néanmoins, dans la situation actuelle, je crois qu'il serait faisable que le SCRS étoffe son rôle actuel, d'une manière qui serait relativement facile, compte tenu du mandat qui lui est actuellement confié. À mon avis, les vieux arguments qui nous sont servis depuis l'époque de la guerre froide contre l'idée d'intégrer les services de sécurité et les services de renseignement étranger ne sont pas forcément très convaincants ni ne s'appliquent particulièrement bien en ce moment.
En guise de conclusion, pour insister sur une question que j'ai déjà soulevée, on peut faire valoir que le mandat du SCRS, tel qu'il a été établi en 1984, ouvrait la voie à une telle intégration des renseignements intérieurs et extérieurs au Canada en ce qui concerne un domaine: les menaces pour la sécurité du Canada et les intérêts du pays. Vaste programme que celui-là, et qui est suffisamment large pour correspondre à nos besoins actuels.
En intégrant le renseignement de sécurité et le renseignement étranger, à mon avis, contrairement à ce que certaines personnes ont laissé entendre, nous ne créons pas une structure semblable à ce qui existait en Europe de l'Est, ni ne créons quelque chose de semblable à la CIA ou au SIS. Nous créons quelque chose de proprement canadien au moyen d'une approche proprement canadienne des problèmes du renseignement.
Le président: Merci. Nous avons ici trois praticiens chevronnés à la retraite. L'un d'entre vous voudrait-il présenter une courte déclaration à propos de ce que nous avons entendu jusqu'à maintenant?
Bob Brule, à titre personnel: Les deux hommes ont bien traité de la question de savoir s'il nous faut un service ou non. Si nous pouvions cesser de débattre de cette question, nous pourrions aborder des sujets plus importants. La discussion là-dessus a été fructueuse.
J'ai travaillé au Centre de la sécurité des télécommunications. Ce que je pourrais ajouter à ce qui a déjà été dit, c'est que les organismes comme le CST ont désespérément besoin d'un service de renseignement étranger pour connaître du succès à l'avenir. D'un point de vue purement égoïste, je dirai que ce que le gouvernement peut décider pour faire progresser le dossier sera utile à un organisme dont le travail est technique comme le CST.
Al Hensler, à titre personnel: Ayant vécu une bonne partie des 60 années où il y a eu débat, je dirais que je suis d'accord. Je crois que le débat ne vise plus à déterminer s'il y a un besoin à ce point de vue; cela a été établi. Pendant les discussions que j'ai entendues aujourd'hui, je n'ai entendu personne dire qu'il ne nous faut pas plus de renseignement étranger. Le débat visera à savoir ce à quoi cela va ressembler.
Je suis d'accord avec M.Charters quand il parle de l'intégration du renseignement de sécurité et du renseignement étranger sous la coupe d'un seul organisme. Nous n'avons pas à nous en soucier. En 1980, la Commission MacDonald a affirmé que le fait de confier les deux fonctions à un seul organisme est dangereux dans une démocratie. L'argument demeure valable.
Il suffit de songer aux exemples que M.Charters a donnés, notamment les pays d'Europe de l'Est. Une des premières mesures adoptées par les Russes après la révolution a été de démanteler le KGB et de dissocier les deux fonctions. Il faut qu'il y ait une raison à cela, et aucun pays démocratique ne confie les deuxfonctions à un seul et unique organisme. Si nous faisons cela, je ne suis pas sûr que nous ayons raison alors que tous les autres auront tort.
Les auteurs de la commission MacDonald, qui nous a donné le SCRS à la suite d'une décision pondérée — et c'est probablement un des meilleurs services à avoir été créés dans le monde en si peu de temps — avaient raison: il faut dissocier service policier et renseignement de sécurité. La commission avait également raison de faire valoir qu'il ne faut pas confier à un seul organisme le renseignement étranger et le renseignement de sécurité. J'espère que vous allez tenir compte de cet aspect des travaux de la commission MacDonald pendant vos délibérations.
Jim Corcoran, à titre personnel: Pour revenir aux travaux de la commission MacDonald, je dirais que je ne suis pas forcément d'accord avec l'idée que ce qui valait en 1980 vaut nécessairement aujourd'hui. Nous devons regarder ce que devrait représenter un modèle canadien. D'après ce que le ministre a affirmé récemment, le gouvernement en place semble, pour l'heure, avoir déjà décidé de ne pas créer de service de renseignement étranger distinct. Jusqu'à maintenant, il affirme que nous souhaitons accroître au SCRS la capacité de recueillir des renseignements étrangers. Cela pourrait changer en fonction de la situation politique et des élections.
La tâche que vous vous donnez est difficile. Ce serait plus intéressant si le gouvernement n'avait pas déjà très bien arrêté sa décision. Notre travail ici est utile dans le sens où il permet de soulever toutes ces questions. Je ne sais pas s'il s'agit de choisir entre une bonne solution et une mauvaise, mais, à mon avis, nous n'avons pas à regarder les autres services de renseignement étranger et à nous dire que, étant donné que les autres pays ont agi comme ceci ou cela, le Canada doit forcément faire de même.
Le sénateur Atkins: Vous avez raison. On peut bien parler de la CIA ou d'organismes de sécurité, mais il nous faut un organisme proprement canadien. Même s'il fallait commencer tout de suite à élaborer la chose, il faut songer au fait que la formation ne se fera pas du jour au lendemain. Il faut parfois des années pour qu'un agent devienne assez efficace pour se voir confier les responsabilités que toute bonne organisation s'attendrait à le voir remplir. Qu'en pensez-vous?
M.Corcoran: Au moment de la création du SCRS, en 1984, c'est moi qui ai été chargé en premier lieu de mettre sur pied les nouveaux programmes de formation de l'organisme. Des collègues et moi avons fait le tour du monde, nous nous sommes entretenus avec tous les services de renseignement étranger qui acceptaient de nous parler de formation; nous avons discuté en particulier avec nos alliés et, dans une certaine mesure, avec des gens qui n'étaient pas forcément nos alliés à ce moment-là. Nous avons mis sur pied un programme de formation complexe que nous avons lancé au camp de Borden en 1984. Depuis, il a été transféré ici à Ottawa.
Pour qu'un agent de renseignement devienne efficace, il faut compter cinq à dix ans. Ayant géré les opérations au SCRS, tout comme M.Hensler, je peux vous dire que l'agent qui est envoyé sur le terrain au Canada doit posséder l'expérience nécessaire pour se débrouiller. S'il est question en plus d'envoyer quelqu'un à l'étranger, qui doit se débrouiller dans un autre pays, il doit s'agir de quelqu'un qui possède beaucoup d'expérience. La personne doit connaître l'environnement, la façon de procéder, la façon de recruter des sources et la façon d'y recourir à l'étranger, tâche qui devient plus complexe ailleurs qu'au pays.
Il faudrait du temps. Cela peut se faire. On peut créer un service de renseignement étranger distinct. Cela ne fait aucun doute. Ce qui m'inquiète, c'est que, au début, cela prive la structure existante de ressources.
C'est peut-être raisonner à court terme, mais j'y vois un problème initial qui se posera pendant les cinq premières années, tout au moins. Les gens passeront du SCRS à ce nouveau service de renseignement étranger, sinon ils voudront le faire, tout comme les gens d'autres ministères dont le travail touche déjà à la fonction de renseignement dans une certaine mesure. Nous devons garder cela à l'esprit. Nous ne pouvons empêcher que cela se produise, mais nous pouvons en être conscients.
M.Hensler: Je ne suis pas d'accord avec mon collègue. Au gouvernement canadien et au sein de la société canadienne, nous avons accès à beaucoup d'expertise en ce qui concerne le travail à l'étranger. Nous avons des gens qui possèdent les aptitudes linguistiques voulues pour travailler dans notre pays dès maintenant. L'appareil militaire compte bon nombre d'éléments expérimentés en opérations menées à l'étranger. Oui, on ne veut pas forcément priver les organismes en question de ressources, mais une fusion permettrait de mettre sur pied un groupe de base sous la forme d'un seul organisme. Nous avons la capacité théorique voulue. Nous pourrions recruter deux hommes qui se trouvent à droite, qui possèdent les connaissances nécessaires. Nous avons les moyens de former des agents de renseignement et d'en accroître le nombre au fil des ans, mais, à court terme, nous disposons quand même au gouvernement canadien d'un groupe d'éléments solides qui pourrait servir à lancer l'organisation.
Le sénateur Atkins: Comment faites-vous votre recrutement? Si nous songeons au modèle qui est appliqué aujourd'hui au SCRS, où il y a 2000 personnes, il faut voir qu'il y a probablement une certaine attrition. Je n'en connais pas l'ampleur, mais il doit y en avoir. Si vous voulez engager des gens, quelle serait la meilleure source?
M.Wark: Je crois que MM.Corcoran et Hensler ont tous les deux raison. Nous disposons d'un riche bassin d'employés au gouvernement canadien lui-même et, inévitablement, la création d'un service de renseignement étranger, au début, aurait pour effet de grever un peu les ressources des organismes existants, dans le sens où certaines personnes y seraient recrutées. Nous devons réfléchir à la situation à long terme, car il s'agit d'un projet qui vaut sur le long terme.
À y penser, je suis ahuri de savoir qu'il a même jamais été question du fait que le Canada serait incompétent du point de vue du renseignement étranger. Nous sommes à la fine pointe de la technologie, nous sommes riches, biens instruits et multiculturels. Nous possédons tous les attributs nécessaires, sans exception, en tant que société, pour créer une telle capacité. En ce moment, le recrutement est le moindre de nos problèmes dans le sens où, comme Jim Judd a pu le souligner au comité, la difficulté consistera non pas à engager des recrues, mais plutôt à en refuser. Toutes sortes de personnes seront intéressées, pour des raisons qui seront bonnes ou mauvaises, condamnables ou trompeuses, mais il y aura toute une vague de personnes qui souhaiteront s'engager dans le service de renseignement étranger. Il faut recruter avec soin en prenant pour critère des profils sans équivoque, avec les cotes de sécurité voulues, mais nous avons beaucoup d'expérience à cet égard.
D'après moi, le Canada est dans une position idéale pour recueillir des informations internationales. C'est vraiment de cela qu'il s'agit. Nous possédons toutes les compétences voulues. Il ne manque plus que la détermination nécessaire pour mettre ce projet en branle, ce à quoi il faut ajouter que nos alliés souhaitent notre succès en la matière. Nous allons recevoir de l'aide, ce qu'il faut toujours voir avec un grain de sel, mais nous allons recevoir de nos alliés de l'aide quant à l'accès au programme de formation, notamment la formation croisée, les instructeurs, les cours spécialisés et ainsi de suite — ce seront là des éléments précieux, le genre de truc qu'il ne sera pas facile de créer ici à partir de rien.
Le président: Au début, je pensais qu'il décrivait le Sénat.
Le sénateur Zimmer: Vous posez des questions, puis vous y répondez. De fait, ma question ressemble davantage à un commentaire. Quelle forme doit prendre la bête en question? M.Wark a parlé des ressources, des compétences et des groupesde candidats. Nous avons parlé de l'idée de nous brancher peut-être sur les systèmes de certains de nos alliés. Quant à savoir quelle taille, quelle forme, quel but et quelle ampleur, nous sommes en quelque sorte en terrain inconnu. Ilnous faudra bien réfléchir à la question et mettre ensemble tous les morceaux du puzzle, car il y a même des ministres qui ont signalé qu'il nous faudra une capacité accrue. Nous avons accepté cela. Quelle forme prendrait selon vous ce service de renseignement étranger?
M.Corcoran: Nous avons tous notre réflexion personnelle sur la question, et je ne suis pas sûr qu'il y ait une bonne solution et une mauvaise entre lesquelles il faudrait choisir. J'opterais pour un modèle hybride au point où nous en sommes. Cela finira peut-être par donner un service de renseignement distinct.
À songer au rôle du Canada dans le monde et au genre d'information que nous souhaitons recueillir ainsi qu'à ce que nous voulons en faire, depuis les années où j'évolue dans le milieu du renseignement, j'ai toujours dit que nous ne parvenons jamais à convaincre nos maîtres politiques de la nécessité du renseignement étranger ni encore de l'application du renseignement au processus décisionnel. Si nous n'arrivons pas à susciter cet intérêt, il est difficile pour eux d'envisager sérieusement d'appliquer le renseignement. Historiquement, sauf en cas de catastrophe, nous n'appliquons pas le renseignement au processus décisionnel. Tout le monde s'est intéressé au renseignement le lendemain du 11 septembre et le jour où le type s'est fait prendre à la frontière américaine avec des explosifs. Ces jours- là, tout le monde s'y intéresse, mais à part cela, personne ne veut entendre parler de renseignement et personne n'est d'avis que le renseignement peut l'aider à accomplir son travail quotidiennement. C'est le dilemme que nous semblons avoir au pays. La faute est imputable à nous, qui oeuvrons dans le milieu du renseignement, car nous nous sommes tenus cois. Nous avons été réfractaires à l'idée de parler aux gens, aux politiciens et aux Canadiens de ce que nous faisons, de la façon dont nous le faisons et des difficultés liées à la tâche. Nous ne leur avons pas dit volontiers ce que nous pouvons faire pour eux de façon à être utiles au processus décisionnel canadien dans le monde d'aujourd'hui.
Le sénateur Zimmer: Je crois que vous avez raison: il est bien beau de recueillir le renseignement et de mettre sur pied l'organisme, mais les gens de l'autre côté doivent être prêts à s'en servir, et je ne suis pas sûr que nous en sommes là.
M.Brule: Il n'y a pas un commandant en Afghanistan qui ne fonde pas ses décisions opérationnelles sur le renseignement. Nous vivons une évolution importante de la situation. L'Afghanistan représente un grand progrès. Vous parlez de l'importance du renseignement pour les décideurs. D'après mon expérience, je vous dirais que nous produisons beaucoup de renseignement tactique, et il n'est pas étonnant de savoir que les ministres et premiers ministres ne s'y intéressent pas, mais, les fois où nous avons recueilli un renseignement de nature stratégique, l'accès aux décideurs de haut rang était difficile, mais la communication s'établissait habituellement. Nous ne sommes ni les États-Unis ni la Grande-Bretagne, mais, depuis dix ans, nous avons été témoins d'une évolution positive à cet égard.
Je crois que vous avez posé une question, sénateur Zimmer, qui est restée sans réponse... La question portait sur l'établissement de l'organisme en question à partir de fondements non législatifs. Je serais d'accord avec vous. Ce serait possible. J'ai travaillé pendant longtemps dans un organisme de renseignement dont le mandat ne reposait sur aucune loi. Cela compliquait le travail. Si éprouvant que cela puisse être, il est nettement mieux de travailler à partir d'une loi et il est nettement mieux de pouvoir compter sur une loi pour diriger une telle organisation.
Le président: Merci, sénateur Zimmer. Aux cinq témoins, je dis: merci beaucoup. Nous avons eu une journée à la fois merveilleuse et utile, et les meilleurs moments sont ceux où il y avait désaccord. Le travail du comité devient beaucoup plus intéressant lorsque les spécialistes présentent des perspectives divergentes. Vous êtes amis, cela se voit, mais vous avez tous votre propre point de vue, et voilà qui est précieux. Nous apprécions l'aide fournie. J'espère que ce sera utile à l'établissement d'un bon cadre de travail pour nous. Nous espérons vous revoir à nouveau au cours des prochains mois pour mieux sonder, éprouver ou rejeter vos points de vue. Merci au nom du comité.
La séance est levée.