Aller au contenu
 

Délibérations du comité sénatorial spécial sur
l'Antiterrorisme

Fascicule 2 - Témoignages du 7 juin 2010


OTTAWA, le lundi 7 juin 2010

Le Comité sénatorial spécial sur l'antiterrorisme se réunit aujourd'hui, à 13 h 3, pour étudier des questions relatives à l'antiterrorisme (sujet : le contexte actuel du terrorisme — la menace terroriste dans l'environnement canadien).

Le sénateur Hugh Segal (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Honorables sénateurs, il s'agit de la troisième réunion du Comité sénatorial spécial sur l'antiterrorisme de la troisième session de la 40e législature.

Alors que nous attendons soit le projet de loi S-7 provenant du Sénat, soit le projet de loi C-17 provenant de la Chambre des communes, nous poursuivrons notre étude sur la nature en constante évolution de la menace terroriste au Canada. Les honorables sénateurs se rappelleront que, quand nous nous sommes rencontrés la semaine dernière, nous avons entendu les témoignages de représentants du Service canadien du renseignement de sécurité, du Centre intégré d'évaluation des menaces, de la Gendarmerie royale du Canada et de la Direction générale de la production du renseignement du ministère de la Défense nationale.

Aujourd'hui, nous avons la chance d'accueillir parmi nous trois experts en matière de terrorisme qui ont accepté de nous communiquer leurs points de vue. Je vous présente John Thompson, qui s'adressera à nous au nom du Mackenzie Institute; avant de se joindre à l'institut, M. Thompson a travaillé à l'Institut canadien des études stratégiques et il est un ancien officier de renseignement des Forces canadiennes.

M. Thompson sera suivi par Wesley Wark, professeur à la Munk School of Global Affairs de l'Université de Toronto. C'est un ancien président de l'Association canadienne pour les études de renseignement de sécurité. C'est un ancien membre du conseil consultatif sur la sécurité nationale du premier ministre, auquel il a siégé sous deux administrations différentes. M. Wark siège toujours au Comité consultatif de l'Agence des services frontaliers du Canada. C'est un auteur reconnu en matière de sécurité et de terrorisme.

Nous attendons encore l'arrivée d'un troisième témoin. S'il arrive, je le présenterai officiellement aux honorables sénateurs. Sans plus attendre, je donne la parole à M. Thompson. Nos invités ont accepté de présenter des déclarations liminaires de dix minutes, puis nous passerons à une période de questions.

John Thompson, président, Mackenzie Institute : Bon après-midi, honorables sénateurs. Je vous remercie de m'offrir l'occasion de vous parler de terrorisme. Toute ma vie adulte, j'ai étudié les questions relatives à la violence organisée, et je porte un intérêt particulier au terrorisme depuis 1985. Pourtant, je réalise que plus j'en apprends, moins j'en sais à ce sujet. Chaque fois que je trouve la réponse à une question, deux autres surgissent.

Je suis d'avis qu'il n'y a pas de définition véritablement satisfaisante de la notion de terrorisme. Le mieux que je puisse dire, c'est que le terrorisme est un domaine dont les frontières floues peuvent entrecouper celles d'autres activités, comme la protestation, la guerre, la criminalité organisée et, parfois, la gouvernance.

Lorsqu'on parle de terrorisme, il y a deux vérités absolues. Premièrement, le mahatma Gandhi, Lech Walesa, Martin Luther King et Nelson Mandela ont démontré que, quand vient le moment d'entrer en relation avec une nation occidentale, même si elle est caractérisée par un régime de répression comme l'était la Pologne du Pacte de Varsovie ou l'Afrique du Sud de l'apartheid, la violence est inutile quand on défend une cause juste, et la persuasion morale donne souvent de meilleurs résultats. Deuxièmement, le terrorisme est toujours une question de choix personnel. Yasser Arafat, Osama ben Laden, Ilich Ramirez Sanchez et Ayman al-Zawahiri — pour n'en nommer que quelques-uns — étaient tous très instruits, et leur père était des hommes nantis. Ils ont tous choisi le terrorisme alors qu'ils auraient probablement pu mener des carrières très prospères. Les idéologies que ces hommes représentent ne les ont pas poussés à la violence : ils ont choisi d'épouser une idéologie qui autorise la violence à leur place. Je vous incite à vous souvenir de ces deux vérités quand vous vous pencherez sur cette question au cours des prochains mois.

On m'a demandé d'aborder trois questions qui peuvent être résumées ainsi : quoi de neuf? Comment nous débrouillons-nous? Comment pouvons-nous faire mieux?

Au Canada, certaines choses ne changent pas tellement. Il y a toujours des extrémistes, tant de la gauche que de la droite. Quand le terrorisme émerge du premier camp, ces extrémistes vont rarement s'engager dans une violence meurtrière et prendront généralement des mois avant d'en arriver à un tel degré de violence, par le truchement d'actes de vandalisme qui iront en s'aggravant. Le deuxième camp a été mis en pièce il y a presque 20 ans, ne laissant derrière lui que des fragments incohérents. Lorsque des actes de violence sont commis — et cela est très rare —, il s'agit généralement d'actes individuels et impulsifs.

Je ne m'inquiète pas trop des imbéciles comme ceux qui ont posé une bombe incendiaire dans une banque du quartier Glebe, à Ottawa, le mois dernier. Leur technique criait à l'amateurisme, et leur tentative de se présenter comme des menaces était comique. Compte tenu de leurs antécédents, ils seront probablement pris d'ici un an ou deux, idéalement avant qu'ils ne parviennent à tuer quelqu'un. Ils devront purger des peines plus dures que leurs prédécesseurs. Malheureusement, il faudra déployer beaucoup de ressources policières pour les retrouver, et ils risquent de causer beaucoup de dommages matériels d'ici à ce qu'on leur mette la main au collet.

Le Canada a subi les répercussions de la guerre ou de la violence des autres importée d'ailleurs. Thomas D'Arcy McGee a été assassiné à un coin de rue d'ici en 1868. Jusqu'à l'attentat à la bombe d'Air India en 1985, le terrorisme issu des collectivités immigrantes était un phénomène facilement géré. Cependant, par la suite, le Babbar Khalsa et les Tigres tamouls se sont révélés plus difficiles à contrôler, et, encore aujourd'hui, nous sommes loin d'avoir cette situation bien en main.

Notre véritable défi reste cependant les activités et les terroristes en lien avec le mouvement jihadiste qui visent à humilier le monde occidental et à mener l'islam à la gloire. Al-Qaïda et les enjeux qui ont émergé en 2001 ne représentaient qu'un aspect d'une menace plus complexe et plus vaste.

Il y a trois éléments à prendre en considération. Premièrement, les attentats terroristes complexes comme ceux du 11 septembre ou les attaques à l'aide d'armes de destruction massive demeurent une éventuelle menace pour le Canada et les Canadiens à l'étranger. Ce n'est pas parce que nous n'avons pas vu Al-Qaïda en dehors du Moyen-Orient depuis mars 2003 que la menace s'amenuise.

Deuxièmement, les attentats commis par des terroristes de l'intérieur, c'est-à-dire des gens qui vivent au Canada et qui ont souvent été élevés ici, sont de plus en plus nombreux. Dans l'Europe de l'Ouest, en Amérique du Nord et en Australie, il y a eu presque 200 attentats depuis le 11 septembre. Seulement deux ont réussi : l'attentat du métro de Londres et les attentats à la bombe de Madrid. On a réussi à établir un lien entre les conspirateurs arrêtés et l'islam dans environ 10 à 25 p. 100 des cas. L'islam radical est la nouvelle idéologie toute-puissante, qui attire souvent des gens qui étaient autrefois attirés vers d'autres croyances.

Troisièmement, les complots sont découverts de plus en plus tard dans le cycle de planification, souvent seulement quelques jours avant la date prévue d'un attentat. Qui plus est, un certain nombre d'attentats ont effectivement eu lieu, mais, dans plusieurs cas, les bombes n'ont pas explosé en raison de l'entraînement déficient des protagonistes. Le monde a été chanceux lors de l'attentat-suicide deux semaines après le 7/7 — l'attentat de Londres — à l'extérieur d'une boîte de nuit bondée de Londres il y a deux ans, l'attentat raté le jour de Noël 2009 sur un vol de la Northwest Airlines et, il y a quelques mois, celui de Times Square à New York.

Combien de temps encore pourrons-nous nous fier à notre bonne étoile? Des attaques isolées, au moyen d'armes à feu, de couteaux ou de voitures, sont de plus en plus fréquentes. Les médias et la police décrivent souvent les agresseurs comme des forcenés ou des psychotiques, comme ça a été le cas lors de l'attentat de Fort Hood, au Texas, en octobre dernier. Les médias et les policiers ont négligé le rôle incitatif que l'islam radical a joué dans ces attaques. Habituellement, nous avons peu, voire aucun avertissement au sujet des attentats isolés. Un terrorisme ne fonctionne pas indépendamment d'une idéologie, mais les partisans d'une idéologie radicale ne sont pas tous des terroristes.

En concentrant leurs efforts sur la défense contre le terrorisme, presque toutes les nations occidentales font complètement fi de la menace politique que représentent les activistes d'organismes de façade comme Wahhabi Dawa, le Tablighi Jamaat, l'Association des Frères musulmans et les partisans du Hezbollah et du Hamas. Ce n'est pas parce que nous n'aimons pas penser à la subversion et à l'infiltration politique que nous pouvons nous permettre d'en faire fi. Les vœux pieux ne sont pas plus utiles que le fait de se fier à sa bonne étoile.

L'antiterrorisme est hanté par un dilemme terrible. Le succès mène à la complaisance, qui entraîne la vulnérabilité. À l'heure actuelle, nous devenons beaucoup trop complaisants. Les ressources que le Canada consacre à la lutte au terrorisme sont surexploitées, et le sentiment d'urgence que nous ressentions pendant les mois qui ont suivi le 11 septembre s'est dissipé.

Le Canada est une nation où les forces policières sont insuffisantes. Pour chaque tranche de 100 000 habitants, la France compte 366 policiers, l'Italie, 358, l'Allemagne, 305, le Royaume-Uni, 254, et les Américains, 244. Le Japon et la Corée du Sud en comptent 197; pendant ce temps, le Canada compte 194 policiers pour chaque tranche de 100 000 habitants. Le Japon et la Corée du Sud sont des sociétés homogènes caractérisées par une forte conformité sociale, ce qui n'est pas vrai au Canada.

La plupart des corps policiers canadiens manquent de ressources. Pour tout ce qui touche aux ressources humaines et financières, nos forces opérationnelles interarmées contre le terrorisme doivent concurrencer d'autres forces opérationnelles dont les priorités sont différentes. Une équipe intégrée de la sécurité nationale — EISN — pourrait être liée à une Équipe intégrée — police des marchés financiers — EIPMF — et une équipe intégrée de la police des frontières — EIPF — ainsi qu'avec des forces opérationnelles interarmées de lutte contre le crime organisé et contre les gangs. Souvent, un inspecteur surmené peut porter plusieurs chapeaux à la fois.

Quand de nouvelles priorités surgissent, les agents chargés de l'antiterrorisme sont souvent les premiers à être affectés à d'autres fonctions. Écartelés entre les Jeux olympiques et les sommets du G8 et du G20, bon nombre d'agents chargés de l'antiterrorisme n'ont pas pu vaquer à leurs tâches normales depuis des mois. À Toronto, les agents du renseignement des forces policières servent souvent de renfort de sécurité lors des visites de dignitaires. C'et un travail important, certes, mais ce n'est pas leur travail de lutte au terrorisme. Le SCRS et l'ASFC sont souvent confrontés à des problèmes similaires.

Les tentatives effectuées par la PPO et l'ASFC pour offrir de la formation en antiterrorisme à tous les agents de première ligne se sont toutes frappées au même obstacle : le manque d'argent ou de temps.

Les nouveaux organismes de renseignement ont tendance à attirer des non-conformistes et des innovateurs qui adorent relever des défis et résoudre des problèmes de manière créative. Au début, cette stratégie entraîne quelques réussites, et ces personnes apportent du cachet au groupe; par la suite, l'organisme peut parfois attirer davantage de gestionnaires dépourvus d'imagination et de carriéristes. La deuxième génération est peu portée à prendre des risques, et l'esprit d'innovation et de débrouillardise finit souvent par être lentement étouffé.

Comme l'a souligné Richard Fadden, des « ONG à priorité unique, des journalistes et des avocats militants » mènent une cabale involontaire qui est parvenue à entraver l'efficacité de nos activités antiterroristes. Certains chercheront délibérément à miner nos défenses. Un plus grand nombre encore le font de manière inconsciente, et certains sont convaincus de bien faire. Peu importe, des situations comme l'enquête Arar, qui n'a jamais abordé les questions qu'il aurait fallu poser, ainsi que le débat autour des personnes détenues en vertu de certificats de sécurité nationale ont gravement affaibli la capacité des services policiers de réagir de façon proactive ou de coopérer à l'échelle internationale.

Il est vrai que Babbar Khalsa et les Tigres tamouls représentent un problème moins important au Canada qu'auparavant, mais nous ne pouvons pas vraiment nous en attribuer le mérite. C'est plutôt attribuable à la défaite des insurrections dans leur pays et au vieillissement de la génération des fondateurs de ces mouvements. Qui plus est, la plupart des groupes terroristes qui se financent au moyen du crime organisé ont tendance à évoluer pour devenir de nouvelles sociétés criminelles. C'est le cas pour Babbar Khalsa et cela semble également s'avérer pour les Tigres tamouls. Les Sikhs et les Tamouls canadiens continueront d'en être victimes, et notre réaction continue d'être inadéquate.

Comment nous débrouillons-nous? En tant que société, nous n'en faisons pas assez, et, inévitablement, il nous faudra en payer le prix. Presque tous les agents de police et les agents de sécurité de première ligne sont convaincus qu'ils obtiendront peut-être enfin les ressources dont ils ont besoin seulement après que le Canada se sera retrouvé au cœur d'un grave attentat sur son propre territoire.

Le besoin en matière d'argent, de formation et de ressources humaines est manifeste. Le véritable défi pour les législateurs, c'est de trouver l'équilibre entre nos droits et nos lois et les moyens efficaces de mener la lutte aux groupes terroristes et à leur idéologie. Il nous faut trouver un moyen de remettre en place des modes de communication de renseignements rapides et efficaces entre les organismes et les forces. Malheureusement, l'enquête Arar a presque complètement éliminé les avantages du système de forces opérationnelles que nous avons mis en place de 2002 à 2004. À la lumière de notre manque de ressources matérielles et humaines, ces gains sont désespérément nécessaires.

L'antiterrorisme s'appuie non seulement sur la collecte de renseignements, mais également sur leur utilisation proactive afin de perturber les activités terroristes. Cela se révèle particulièrement utile pour lutter contre des groupes dont le but consiste à contrôler des communautés ethniques entières ou de recruter activement de jeunes Canadiens. Tout ce qui les perturbe ou les embarrasse relève des services de police communautaire; cela brise l'emprise que les militants ont sur une grande collectivité et encourage les citoyens ordinaires à divulguer les renseignements qu'ils possèdent. L'Association des Frères musulmans, le Wahhabi Dawa et d'autres organismes de façade idéologique du mouvement jihadiste constituent de graves menaces à nos institutions et à nos libertés traditionnelles, même en l'absence de violence terroriste.

Il nous faut de toute urgence trouver des méthodes et des techniques pour limiter leur influence et leur présence ici. Je comprends toutefois que cet enjeu est largement, sinon entièrement, en dehors du mandat de votre comité.

Dès que j'obtiens une réponse dans le cadre de mes recherches sur le terrorisme, habituellement, deux autres questions surgissent. Ici, vous avez du travail à faire, et, quand vous aurez fini, vous en en aurez encore plus devant vous. Telle est la nature de l'antiterrorisme.

Wesley Wark, professeur, Munk School of Global Affairs, Université de Toronto, à titre personnel : Je vous remercie de m'avoir invité à comparaître devant vous. Je vais lire une déclaration préparée. Il s'agit d'un extrait d'une déclaration plus longue que j'ai fait parvenir à votre greffière et dont j'espère qu'elle sera mise à la disposition du comité.

Le président : Elle n'a pas été distribuée parce que nous ne l'avons reçue qu'en une seule langue. Elle est entre les mains des interprètes, ils pourront donc en faire une traduction temporaire.

M. Wark : Je devrais ajouter qu'elle n'est arrivée que ce matin.

J'ai intitulé cet exposé « Le terrorisme : Comprendre la menace et la réaction ». Inévitablement, certains éléments chevaucheront certaines des remarques de M. Thompson, mais je pense que nous abordons ces enjeux d'un point de vue différent.

Le terrorisme constitue toujours une des principales menaces à la sécurité nationale du Canada et il demeurera une menace à l'horizon de l'avenir prévisible. Le terrorisme pose une menace démontrable au Canada sur son territoire, aux alliés du Canada, où qu'ils soient, et à la conception canadienne d'un système mondial stable et pacifique. On ne saurait laisser aucun des vecteurs de cette menace masquer la réalité que le terrorisme représente un défi global à la paix, à l'ordre et au bon gouvernement.

Mais les Canadiens, et c'est sans doute compréhensible, ne sont enclins à mesurer la menace qu'en fonction de ses manifestations dans leur propre société. La menace terroriste continue d'évoluer dans notre monde du XXIe siècle. On observe actuellement trois grandes manifestations de cette menace. L'une vient du noyau opérationnel de l'organisation Al-Qaïda au Pakistan et de l'autre côté de la frontière, en Afghanistan. Même si les États-Unis mènent depuis neuf ans une guerre contre Al-Qaïda, utilisant des outils de collecte de renseignements, de guerre et de maintien de l'ordre de plus en plus perfectionnés, et qu'Al-Qaïda a encaissé de durs coups dans ce conflit, elle demeure vivante et dangereuse, et le restera, notamment, tant qu'elle jouira d'une certaine forme de sanctuaire opérationnel et que ses principaux dirigeants, dont Ben Laden lui-même et son numéro deux égyptien, Ayman al-Zawahiri, seront en vie.

Les États-Unis, sous l'administration Obama, se sont engagés à mener une nouvelle campagne ciblée pour détruire Al-Qaïda. Le conseiller en antiterrorisme du président, John Brennan, a déclaré récemment dans un discours : « Les États-Unis vont perturber et démanteler Al-Qaïda et ses organisations extrémistes violentes affiliées, et veiller à ce qu'ils subissent une défaite durable. »

Selon moi, pour infliger cette défaite durable, les États-Unis devront tuer ou capturer les plus hauts dirigeants d'Al- Qaïda, maintenir une pression cinétique constante sur les combattants de l'organisation, en découdre au Pakistan et en Afghanistan pour éviscérer son principal sanctuaire, continuer de combattre son idéologie et son message, et aider d'autres États et sociétés à acquérir les moyens d'en faire autant.

La contribution du Canada à cette lutte contre le noyau d'Al-Qaïda a pris deux formes. L'une d'elles est notre engagement militaire en Afghanistan depuis la fin 2001. L'autre porte sur nos efforts que nous déployons afin d'être un bon citoyen international en souscrivant à des initiatives antiterroristes des Nations Unies et à d'autres initiatives internationales dans des domaines comme la sécurité, des mesures visant à entraver le financement du terrorisme et la mise en œuvre de lois antiterroristes vigoureuses et efficaces.

À mon avis, la population canadienne n'adhère pas à l'idée voulant que le Canada lui-même soit en guerre avec Al- Qaïda. Elle y a peut-être adhéré brièvement, après le choc des attentats du 11 septembre; si elle y a adhéré à ce moment- là, ce n'est plus le cas aujourd'hui. Le retrait du Canada des opérations de combat en Afghanistan en 2011 laissera à d'autres la lutte contre le noyau opérationnel d'Al-Qaïda.

Je vous demande à l'avance de me pardonner le commentaire éditorial que je ne peux m'empêcher de faire à ce sujet. Je considère cela comme une grave erreur stratégique et un motif de honte pour notre pays, et j'espère qu'au cours de la prochaine année, nous allons sérieusement repenser notre position.

Une deuxième manifestation de la menace posée par le terrorisme international découle de la création d'organisations affiliées à Al-Qaïda — des groupes terroristes implantés dans des régions et qui ont fait le serment d'entretenir des liens avec Al-Qaïda, de sorte qu'on peut voir en eux des membres d'un « réseau de Ben Laden », selon la description qu'en fait notre Service canadien du renseignement de sécurité. La création et l'évolution de groupes affiliés à Al-Qaïda n'ont pas été comprises ni étudiées de manière adéquate. Ces organisations affiliées représentent un effort des dirigeants d'Al-Qaïda d'utiliser un des plus vieux instruments des pouvoirs politiques — la formation d'alliances — à leur avantage comme agent multiplicateur de forces, comme forme de partage des fardeaux et comme puissant instrument de propagande et de diffusion de messages idéologiques.

Parmi les groupes actuellement affiliés à Al-Qaïda qui sont les plus préoccupants, mentionnons : Al-Qaïda dans la péninsule arabique, l'organisation derrière le complot du « bombardier en sous-vêtements » du jour de Noël; Al-Qaïda au Maghreb islamique, l'organisation qui a kidnappé et séquestré en échange d'une rançon deux diplomates canadiens de haut rang, Robert Fowler et Louis Guay; Al-Qaïda en Irak, qui poursuit une campagne meurtrière pour porter atteinte à la sécurité fragile de la république iraquienne; le mouvement Al-Shabab en Somalie, à propos duquel les autorités tant canadiennes qu'américaines ont exprimé leurs inquiétudes en raison de pratiques de recrutement visant à mettre en place un noyau de combattants étrangers provenant de communautés d'expatriés dans nos deux pays. La campagne mondiale contre Al-Qaïda doit donc cibler à la fois le noyau d'Al-Qaïda et ses groupes affiliés — la défaite de l'un sans celle des autres, en dépit des liens qui les unissent, ne suffira pas.

La contribution du Canada à cet effort de lutte contre les groupes affiliés va, en grande partie, se poursuivre en coulisse, qu'il s'agisse de communication internationale de renseignements, de mesures d'application de la loi, de la surveillance des flux financiers, et ainsi de suite. Certaines de ces activités en coulisse, ont, sans aucun doute, fait partie des efforts du Canada pour obtenir la libération de MM. Fowler et Guay. Mais nous ne devrions pas écarter la possibilité qu'à un certain moment à l'avenir, le Canada puisse se retrouver avec la nécessité de faire appel à une force plus musclée pour régler des situations de prise d'otages ou d'autres menaces à des citoyens et à des intérêts canadiens — après tout, c'est pour cette raison que nous avons créé la Force opérationnelle interarmées-2 et je présume que cela doit être une justification opérationnelle de la poursuite de son expansion et de l'accroissement de son financement.

La troisième dimension de la menace terroriste contemporaine n'est liée que de manière ténue à Al-Qaïda et à ses organisations affiliées — cette menace est posée par le phénomène du terrorisme d'origine locale, dans lequel des individus ou de petites cellules se radicalisent et se perçoivent comme des disciples de la cause d'Al-Qaïda, et se lancent dans des attentats terroristes contre leurs propres sociétés ou contre des cibles occidentales, de manière plus générale. Cette menace est reconnue dans le plus récent rapport annuel du SCRS pour 2008-2009.

Le Canada a fait l'expérience de ce phénomène, notamment dans les cas de Mohammed Mansour Jabarah — actuellement détenu aux États-Unis —, de Momin Khawaja — jugé et reconnu coupable au Canada, et condamné à une peine de 14,5 ans en 2009 —, et de la cellule dite des 18 de Toronto. Le phénomène de radicalisation est transnational et a suscité des préoccupations dans une foule de pays occidentaux.

Les autorités américaines perçoivent un nouveau danger sous la forme d'une radicalisation qui déboucherait sur un terrorisme plongeant ses racines chez eux. Depuis janvier 2009, plus de 20 individus ont été arrêtés et accusés de crimes terroristes aux États-Unis, notamment Najibullah Zazi, qui avait planifié d'attaquer le métro de New York et qui avait été formé au Pakistan.

Le Canada n'a pas observé d'augmentation similaire du terrorisme d'origine nationale, mais nous devons faire preuve de vigilance devant cette éventuelle menace et en déterminer nous-mêmes l'importance à lui accorder. Il faudrait que nos fonctionnaires et décideurs de haut rang en matière d'antiterrorisme établissent s'ils sont d'accord avec l'évaluation actuelle faite par leurs homologues américains, pour lesquels, selon les termes de John Brennan, « il est clair que nous sommes maintenant aux prises avec une nouvelle phase de la menace terroriste. »

À en juger d'après de récentes déclarations officielles aux États-Unis, il semble que les États-Unis croient qu'Al- Qaïda et ses groupes affiliés sont en train d'adapter leur stratégie et leurs tactiques à l'environnement opérationnel et de sécurité actuel en encourageant des attaques vexatoires menées par individus n'ayant que peu de formation, et dont les techniques opérationnelles ne sont peut-être pas très perfectionnées. Ce changement d'orientation stratégique, qui met de côté les attentats soigneusement planifiés nécessitant un investissement lourd conçus dans le but de faire un nombre massif de victimes, pourrait résulter en partie du fait qu'il est plus difficile d'atteindre des cibles dans les États occidentaux après les attentats du 11 septembre, car ils ont beaucoup investi dans la sécurité; il pourrait, en partie aussi, traduire la conviction qu'Al-Qaïda, ses groupes affiliés, et des particuliers et des groupes de tendance similaire, peuvent, cumulativement, faire beaucoup de dégâts au moyen d'une série de petites attaques et de tentatives d'attentats.

Des pays comme le Canada doivent investir, sans jamais oublier leur rôle d'alliés et de contributeurs à la sécurité internationale. Les éléments d'une bonne stratégie antiterroriste sont nombreux et divers, et j'en énumère au moins sept caractéristiques clés dans ma liste : un renseignement de qualité; une application de la loi de qualité; de bonnes lois; un bon régime juridique; une bonne gouvernance; de bonnes politiques; une bonne information destinée à la population.

Je ne peux aborder tous ces aspects, mais je vais vous en décrire les éléments les plus importants, de mon point de vue. Il nous a fallu établir des institutions et des politiques, ou les adapter, dans tous ces domaines afin de faire face à l'environnement de sécurité d'après le 11 septembre. Selon moi, la meilleure nouvelle découle des efforts que nous avons déployés pour façonner des lois en matière de sécurité nationale et pour mettre à l'essai leur validité dans le cadre d'une société démocratique.

Malgré l'appréhension qui a entouré l'adoption de la première loi antiterroriste du Canada en décembre 2001, à mon sens, la Loi antiterroriste s'est révélée applicable dans des affaires juridiques complexes comme celles concernant les poursuites contre Momin Khawaja et les 11 de Toronto, comme on les connaît maintenant. On ne peut toutefois accoler le même jugement positif à la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, et, en particulier, les délibérations entourant le fonctionnement du système de certificats de sécurité demeurent troubles et problématiques.

La pire nouvelle, en ce qui concerne la stratégie antiterroriste intérieure du Canada et les efforts que nous avons déployés pour nous adapter au nouvel environnement de sécurité, provient du domaine de l'information du public. Sur ce plan, le Canada se trouve notablement en queue de peloton comparativement à ses proches alliés; il n'a pas réussi à faire des investissements et à élaborer des politiques appropriées dans le domaine de l'information du public pour faire en sorte que les Canadiens soient adéquatement et régulièrement informés des menaces à la sécurité nationale et du rôle du gouvernement face à celles-ci.

Selon moi, les gouvernements canadiens qui se succèdent continuent de faire preuve d'une attitude paternaliste et négative en matière d'information relative à la sécurité nationale, ce qui tient à des préoccupations partisanes et à la crainte de retombées politiques négatives, à des hypothèses erronées au sujet des tendances à l'alarmisme de la population canadienne, à une sensibilité exagérée concernant la confidentialité en matière de sécurité nationale, et à l'incapacité d'apprécier la valeur de la réflexion stratégique.

Entre les sommets relatifs d'un nouveau système juridique et les bas-fonds relatifs de l'information destinée au public se trouve un espace de réalisations mitigées, où beaucoup reste encore à faire. Nous avons investi massivement dans les capacités en matière de renseignement, et nous en sommes arrivés à la conviction que le renseignement doit être considéré comme étant la première ligne de défense du Canada, ce qui va à l'encontre de politiques et de choix budgétaires établis de longue date. Et pourtant, nous continuons de travailler, dans la majorité des cas, dans de vieux décors institutionnels, qui ne sont peut-être pas complètement adaptables aux exigences d'aujourd'hui et de demain.

Ce à quoi nous ne nous sommes pas bien attaqués, à mon sens, ce sont deux problèmes de longue date qui se posent en matière de politique de la sécurité nationale. Le premier concerne le surinvestissement dans la collecte du renseignement par opposition à l'évaluation du renseignement. Si divers nouveaux services de l'évaluation du renseignement sont apparus depuis le 11 septembre, notamment le Centre intégré d'évaluation des menaces, CIEM, et si nous disposons d'un Bureau de l'évaluation internationale doté de plus grandes ressources au Bureau du Conseil privé, la question de la qualité analytique d'ensemble de la communauté canadienne du renseignement de sécurité continue de ne pas faire l'unanimité.

Le deuxième problème tient à la persistance d'un système de formulation de politiques dans lequel le renseignement n'est pas couramment intégré. Le renseignement devrait être perçu non pas comme étant un facteur exotique et périphérique dans un processus décisionnel, mais comme un élément central d'une politique bien informée. Cela doit être le cas pour les rangs intermédiaires de la bureaucratie, pour nos hauts fonctionnaires et à la table du Cabinet.

La réalité d'un environnement de menaces terroristes à volets multiples appelle une stratégie canadienne distincte en fonction de nos analyses de la menace dans chacune de ses manifestations — noyau d'Al-Qaïda; groupes affiliés à Al- Qaïda; terroristes d'origine nationale — et une réaction stratégique adaptée à chacun de ces volets. Notre engagement en Afghanistan nous a fourni une occasion de formuler une analyse et une politique, occasion que nous n'avons pas saisie. On peut en dire autant des actions des groupes affiliés à Al-Qaïda, dès lors qu'elles ont des incidences sur des citoyens et des intérêts canadiens — notamment dans l'affaire de la prise d'otages de Robert Fowler et de Louis Guay.

Pour ce qui est de l'évolution de la menace posée par le terrorisme d'origine nationale, le gouvernement canadien s'est fait remarquer par son silence, laissant ses citoyens se perdre en conjectures, si tant est qu'ils veuillent le faire, sur le fait de savoir si notre gouvernement partage l'opinion de son homologue américain, selon lequel nous entrons dans une nouvelle phase du terrorisme.

Aucun gouvernement ne souhaite paraître négligent dans l'exécution de ses responsabilités en matière de sécurité nationale — un mandat fondamental, s'il en est un. Depuis le 11 septembre, aucun gouvernement canadien ne peut raisonnablement être accusé de négligence. La question, plus subtilement, a à voir avec la qualité du travail — quelles ont été la qualité et la rapidité de notre adaptation aux nouvelles réalités de l'environnement de sécurité après le 11 septembre.

Le principal chef d'accusation formulé contre le Canada est de s'être montré réactif au lieu de proactif. Pour passer de l'un à l'autre, il faudra faire preuve d'un nouveau respect à l'égard de la réflexion stratégique menée non seulement à huis clos, mais aussi sur la place publique.

Le président : Merci beaucoup, professeur Wark. Nous avons également la chance d'entendre maintenant le témoignage de Jez Littlewood, directeur du Canadian Centre of Intelligence and Security Studies, à l'Université Carleton. Les travaux de recherche de M. Littlewood portent sur la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive, le terrorisme et la sécurité intérieure. Ses recherches s'enrichissent de son expérience en tant que conseiller au service de lutte contre la prolifération du Foreign and Commonwealth Office du Royaume-Uni, ainsi que de son travail au Mountbatten Centre for International Studies à l'Université de Southampton et au Department of War Studies du King's College, à Londres.

Jez Littlewood, directeur, Canadian Centre of Intelligence and Security Studies, Université Carleton, à titre personnel : Je vous remercie. Je prie les membres du comité et mes collègues témoins d'excuser mon retard. Je suis très honoré de m'adresser à vous cet après-midi. Je vous remercie de votre invitation. J'ai remis à la greffière un bref résumé de mes commentaires généraux. Je vais poursuivre sur la lancée des commentaires de M. Wark et de M. Thompson — nos opinions convergent pour la plupart — et tenter de dresser un portrait de la situation et d'illustrer sa complexité.

Le terrorisme est un enjeu complexe, ce qui fait en sorte que tout effort antiterroriste doit l'être tout autant. Il est important de reconnaître l'existence de différents types de terrorisme partout sur la terre : les terrorismes traditionnels de gauche et de droite, l'ethnonationalisme, le terrorisme d'inspiration religieuse et le terrorisme dédié à une cause unique. La prédominance d'une ou de deux formes de terrorisme dans chaque État ou dans diverses régions peut modifier notre perception au fil du temps. Par exemple, ce mois-ci, nous commémorerons l'attentat à la bombe du vol d'Air India, perpétré il y a 25 ans. En 1985, le terrorisme d'influence ou d'inspiration islamique n'était pas un facteur important en matière de sécurité au Canada. Il l'est aujourd'hui, alors que le terrorisme d'inspiration sikhe ou khalistanaise n'est pas un enjeu de sécurité important au Canada de nos jours, bien qu'il y ait des signes inquiétants dans cette région.

Au moment d'examiner des mesures antiterroristes au Canada et chez ses alliés ainsi que les mesures que le Canada a déjà mises en place où avec lesquelles il doit coopérer, nous devons tenir compte du fait que le terrorisme n'est que l'un de nombreux enjeux de sécurité qui préoccupent notre collectivité de sécurité et de renseignement.

L'ensemble de la collectivité doit se pencher sur d'autres enjeux, qu'il s'agisse de la prolifération d'armes de destruction massive ou de technologies connexes, d'espionnage, d'influences politiques étrangères, de cyberattaques, voire de l'évolution des tendances économiques, démographiques ou politiques, et il faut les combattre, les surveiller et les gérer.

Je vais aborder brièvement les trois questions d'ordre général que le comité m'a soumises, tout en tenant compte du fait que je ne suis pas un spécialiste de chacun de ces domaines.

Au moment de porter un jugement sur une organisation et sur les changements qui ont eu lieu au cours des dix dernières années, il est tentant de chercher une méthode unique pour définir la situation ou encore une organisation archétypale qui menace le Canada. Des groupes différents exercent leurs activités de manières différentes. Il est important de prendre en considération le niveau de compétences du groupe ou des membres, et d'établir une distinction entre les diverses formes de formation auxquelles ils ont eu accès. C'est peut-être la meilleure distinction à faire entre les terroristes en herbe, qui adoptent une approche relativement marquée par l'amateurisme, et les terroristes formés et expérimentés qui mènent des activités d'inspiration islamique dont le Canada a jusqu'ici eu la chance de contrecarrer les attentats directs ou encore tout simplement d'en être épargné. De même, la motivation peut être différente d'une cellule ou d'un groupe à l'autre. Si nous présumons de la justesse de la recherche d'ordre général en matière de terrorisme dans le milieu universitaire et que nous adoptons l'approche de Louise Richardson, nous pouvons examiner trois facteurs de motivation d'ordre général : la revanche, la renommée et la recherche d'une réaction de la collectivité ou du gouvernement attaqué.

Bien entendu, le terrorisme est un acte politique. Il se situe le long d'un spectre d'activités politiques et le long d'un spectre de différents types de violence politique. Ses auteurs veulent un changement politique, même si ce dernier est occulte ou qu'il n'est pas formulé. L'un de nos problèmes consiste à déterminer quel est le changement souhaité. Étant donné le profil des activités d'application de la loi et de poursuites criminelles, mentionné par mes collègues, les groupes auront le souci du secret, du moins on peut s'y attendre, exerceront souvent leurs activités dans une structure de cellule et restreindront délibérément leur visibilité. Nous devrions présumer que des groupes d'adeptes chercheront à exercer et à planifier leurs activités sous couvert et à contrer toute forme de surveillance, qu'elle soit réelle ou perçue.

D'après des pratiques passées, nous savons qu'il est possible d'infiltrer des groupes publics ou des groupes de grande taille, de sorte que le souci du secret et de la protection peut être un facteur de motivation pour certains groupes. Ce souci du secret et de la protection rend beaucoup plus difficiles les aspects de la lutte au terrorisme liés à la sécurité et à la sécurité publique. Parmi le spectre d'activités qu'il nous faut envisager, mentionnons la formation de terroristes déclarés et de groupes spontanés, la manière dont ils sont formés, le lieu de cette formation, ou encore s'il s'agit de terroristes amateurs ou expérimentés.

En ce qui concerne le fait de savoir si les forces policières et la collectivité ont changé la manière dont ils agissent au cours de la dernière décennie, la lutte au terrorisme est un processus dynamique. Nous entendons parler des terroristes en raison des poursuites et des condamnations, de même que des échecs à l'étranger de par les actes terroristes perpétrés. L'hypothèse est la suivante. Pour assurer la sécurité de la société, il faut passer de la sensibilisation et de la surveillance à la collecte de renseignements qui sont recevables au tribunal à des fins de poursuites. Dans un monde idéal, cette hypothèse serait peut-être valable. Cependant, nous ne sommes plus disposés à attendre la détonation de la bombe. Nous cherchons plutôt une intervention précoce en cas de soupçon de l'existence d'une cellule terroriste ou de ses activités, ce qui fait en sorte qu'il y a moins d'éléments de preuve recevables devant un tribunal. En ce sens, la perturbation des activités terroristes pourrait se révéler être une entreprise suffisante pour certains éléments de notre collectivité de renseignement ou de sécurité.

De même, si nous nous impliquions dans des liens internationaux avec des groupes terroristes, cela nécessiterait peut-être l'élaboration d'arrangements différents entre le Canada et ses alliés. Parfois, un tel arrangement pourrait mener à une poursuite, comme l'illustre l'affaire Khawaja. Il faut tenir compte du fait que, dans le cas d'arrestations préventives à des d'application de la loi, la collecte des éléments de preuve recevables nécessaires pourrait se révéler plus longue que dans le cas d'affaires criminelles normales. Les éléments de preuve ne seront peut-être pas bien définis. Certaines procédures ont été élaborées en raison du manque d'autres solutions pour les collectivités, pas nécessairement parce qu'elles sont bien adaptées à la tâche, parce qu'elles sont là et qu'elles peuvent servir à régler un problème. On pourrait dire que les certificats de sécurité sont un exemple dans ce domaine.

Enfin, j'aborde brièvement les autres choses que la société canadienne et d'autres sociétés peuvent faire. Je souscris au point de vue de mon collègue, M. Wark. Alors que nous nous engageons dans la prochaine décennie d'activités terroristes, j'estime que la transparence et la connaissance sont des enjeux clés. Le Canada dans son ensemble, qu'il s'agisse du public, de la collectivité ou des parlementaires, doit être beaucoup plus sensibilisé et informé, et doit également reconnaître les limites et les tensions inhérentes aux stratégies antiterroristes. Je vais vous donner un exemple : le 7 avril, aux Pays-Bas, le ministre de la Justice et le secrétaire d'État de l'Intérieur et des Relations du Royaume ont fait parvenir une présentation à la chambre basse, laquelle esquissait les grandes lignes d'une évaluation sommaire publique de la menace terroriste depuis le début de 2010. Le Canada ne possède aucun document comparable. Et pourtant, je suis convaincu que cela serait utile, non seulement pour les parlementaires et la collectivité dans son ensemble, mais également pour le public canadien; tous pourraient prendre connaissance d'un document public mesuré et réfléchi qui décrit la nature de la menace à l'heure actuelle.

Par exemple, nous savons que certaines personnes sont du point de vue que la menace terroriste a été montée en épingle. Pour d'autres, c'est l'ignorance de la portée et de l'ampleur des différents types d'activités terroristes qui pose problème, qu'il s'agisse de la planification d'un attentat ou des activités de financement du terrorisme dans d'autres pays. Comme l'a dit mon collègue, pour la plupart des Canadiens, le terrorisme n'est pas véritablement un problème jusqu'à ce qu'il produise réellement quelque chose. Et pourtant, la prévention du terrorisme et l'établissement d'une stratégie antiterroriste réussie nécessitent des efforts constants ainsi que des ressources. Le fait qu'il y ait peu d'incidents terroristes au Canada constitue un indicateur positif, mais cela ne signifie pas que nous devrions nécessairement réduire les ressources consacrées aux efforts antiterroristes à tous les niveaux.

Le sénateur Joyal : Monsieur Thompson, monsieur Wark et monsieur Littlewood, vous avez tous trois soulevé la question des certificats de sécurité. Pourriez-vous nous dire quel aspect de la procédure, telle qu'elle est employée à la suite de la décision de la cour, a compromis l'outil que les certificats de sécurité représentent?

M. Thompson : Voulez-vous que l'un d'entre nous en particulier réponde à la question?

Le sénateur Joyal : Vous semblez tous trois préoccupés par cette question, alors vous pourriez tous faire des commentaires.

M. Thompson : Ce qui est préoccupant, c'est que le débat a été en très grande partie à sens unique. Nous avons entendu l'opinion des avocats et de la communauté militante. Nous avons entendu toutes les protestations, mais personne ne peut faire valoir les arguments de l'autre côté. Nous avons constaté que c'était également le cas dans d'autres affaires. Les forces policières et le SCRS doivent garder le silence. Dans ce débat, il n'y a qu'un seul côté qui présente sa version des faits. De plus, les gens ne connaissent habituellement pas certains aspects des autres affaires dans d'autres pays.

Par exemple, mentionnons le guide Internet Al-Qaïda, qui s'est réincarné à plusieurs reprises, dans lequel tous les membres reçoivent l'ordre de tromper, mentir et désinformer délibérément. Les jihadistes souscrivent également au principe de taqiyya, c'est-à-dire la désinformation délibérée, tout particulièrement dans les débats en matière de sécurité.

Par conséquent, quand nous tenons ces débats, ils sont souvent à sens unique; il n'y a qu'un seul point de vue de présenté. L'information que reçoivent les membres du public ne provient que d'une seule source, et ils commencent à entretenir un préjugé, ce qui, comme nous le savons, peut avoir une incidence sur la suite des choses.

M. Wark : Je vais faire précéder ma réponse à cette importante question d'une précision et vous expliquer pourquoi je m'intéresse à ces questions. Je dois vous dire que j'ai été assigné à témoigner à titre d'expert et que j'ai effectivement témoigné dans le cadre d'une des affaires dont la Cour fédérale est présentement saisie, c'est-à-dire l'affaire Mohammed Harkat. J'ai également été assigné à témoigner dans deux des autres affaires portant sur des certificats de sécurité. Par conséquent, j'ai eu l'occasion d'observer ce processus de très près.

Mes commentaires seront considérablement différents de ceux de John Thompson. J'estime que ces procédures sont problématiques tant sur le plan du fonctionnement actuel du système que, honnêtement, sur le plan de son objectif final. En ce qui a trait au fonctionnement du système, à la suite de la décision de la Cour suprême en vertu de la Charte selon laquelle le système précédent n'était pas adéquat pour qu'un accusé ait droit à une défense équitable, le Parlement a conçu un processus révisé de certificats de sécurité.

Je suis d'avis qu'il y a deux aspects qui restent problématiques, et qui seront probablement contestés de nouveau devant la Cour suprême. L'un porte sur le caractère adéquat du régime d'avocats spéciaux. Dans quelle mesure les avocats spéciaux peuvent-ils faciliter la défense équitable de la personne nommée dans le cadre de la configuration actuelle où ils sont autorisés à exercer? L'autre problème — du moins, c'en est certainement un, à mon avis —, c'est le rapport de renseignements de sécurité public, qui correspond à la version préparée par le SCRS et fournie aux avocats de la défense.

Dans mon esprit, deux questions découlent de mon expérience des instances relatives à un certificat de sécurité. L'une consiste à déterminer si le sommaire public de la preuve en matière de renseignements classifiés recueillie contre une personne nommée est suffisant pour défendre les intérêts de cette dernière. La deuxième question renvoie à un autre élément que j'ai soulevé dans ma déclaration, c'est-à-dire la qualité du travail d'analyse de ces aspects importants des rapports de renseignement.

L'objectif stratégique d'une instance relative à un certificat de sécurité est, bien entendu, de renvoyer du Canada une personne raisonnablement soupçonnée d'être un terroriste ou de présenter une menace à la sécurité nationale de son pays d'origine. Si vous réfléchissez à cet objectif pendant un instant, il soulève des questions troublantes. Cette approche est-elle une manière de s'attaquer au terrorisme et à d'autres menaces? Allons-nous nous contenter de simplement renvoyer une personne à l'extérieur de nos propres frontières et de notre propre domaine politique? Cela règle-t-il le problème que nous croyons que cette personne représente? C'est l'un des aspects de cette question.

L'autre aspect, comme nous l'avons déjà vu dans les instances relatives à un certificat de sécurité, c'est que bon nombre des pays où nous pourrions vouloir renvoyer ces personnes, si un juge de la Cour fédérale décide qu'il est raisonnable de le faire, sont des pays où nous ne pouvons les renvoyer en raison de la possibilité qu'elles y soient torturées, maltraitées, voire condamnées à la peine de mort.

Même quand une instance relative à un certificat de sécurité réussit, j'estime que deux des résultats possibles sont problématiques. Le premier consiste à renvoyer un éventuel terroriste dans un bassin sur lequel nous n'exerçons aucun contrôle en ce qui a trait à ses futurs déplacements. Le deuxième, c'est que nous créons inévitablement une situation dans laquelle nous devenons responsables de personnes qui se retrouvent dans une espèce de flou juridique au sein de notre pays.

M. Littlewood : J'appuie ce que mes deux collègues ont dit et je suis d'accord avec eux. Manifestement, dans le cas des certificats de sécurité, on observe la prédominance d'un côté de ce débat au détriment de l'autre pour des motifs compréhensibles, compte tenu de la nature classifiée des renseignements. Cependant, cette situation fait partie de la vie, et, d'une certaine manière, la communauté du renseignement et, plus largement, la communauté de la sécurité, devra l'accepter et s'y adapter. Nous ne savons pas encore comment cela se fera, mais cela doit arriver parce que, de plus en plus, les accusations et les enjeux juridiques qui sont soulevés par les préoccupations en matière de participation à des activités terroristes seront traités et réglés dans un cadre juridique. L'ensemble de la communauté n'a d'autre choix que de faire face à cette prochaine réalité. Les affaires de certificats de sécurité et les difficultés qu'elles soulèvent en sont un signe avant-coureur.

L'autre côté de cette question, comme l'a dit monsieur Wark, c'est qu'il n'y a pas de solutions faciles, ce qui signifie que les choix que nous devons faire ne le seront pas non plus. Il pourrait y avoir une tendance, que je peux comprendre, à faire cheminer les difficultés dans les diverses instances juridiques pour obtenir une réponse juridique. Et pourtant, il est fondamental que certaines choses fassent l'objet d'une discussion politique menant à un résultat politique qui cherchera au moins à étayer le processus ou à justifier l'existence de choses comme les certificats de sécurité. Cela nous ramène à un enjeu de base qui consiste à mettre en place une communauté, qu'il s'agisse des parlementaires ou du public en général, qui est au courant des complexités de ces enjeux et s'y intéresse. Voilà ce qui a fait défaut jusqu'ici. Les certificats de sécurité, dans leur forme première, n'étaient manifestement pas conçus pour s'attaquer à des affaires de terrorisme pures et dures. Dans leur nouvelle forme à la suite de la décision de la Cour suprême, dans une certaine mesure, ils se sont révélés inadéquats jusqu'ici quand ils ont été mis à l'essai dans le cadre de poursuites judiciaires. À l'avenir, nous serons confrontés à des discussions politiques et juridiques difficiles, et il est important que nous ne cherchions pas à les esquiver.

Le sénateur Joyal : Monsieur Wark, vous avez abordé un élément important, je crois; c'est l'une des perceptions qui ont été créées en raison de l'utilisation des certificats de sécurité et des décisions rendues par la cour. En lisant la décision de la cour ainsi que les témoignages sur lesquels elle s'appuie en partie, on a l'impression, comme vous l'avez mentionné, qu'il y a eu des lacunes du côté du travail d'analyse. La cour a fait naître des soupçons que les renseignements sur lesquels les certificats de sécurité s'appuyaient n'étaient pas appropriés. Cette impression fait du tort à l'opinion publique. Comme vous l'avez dit, les membres du public ne connaissent pas suffisamment bien la réalité qui se trouve derrière le certificat.

Le fait que la guerre en Irak n'a pas été déclenchée pour les motifs avancés, c'est-à-dire la preuve de la présence d'armes de destruction massive, a accru le risque d'actes terroristes en regroupant un grand nombre de terroristes en Iraq. Ce fait a causé du tort à la crédibilité des États-Unis et à sa capacité de s'attaquer de front au terrorisme. Pour différentes raisons, les gens ont la perception que la situation n'est pas si dangereuse ou encore que le renseignement n'est pas digne de foi.

Vous avez tous parlé de la façon dont nous pouvons mieux informer les membres du public canadien de ce qu'ils doivent faire, et il nous faut reconnaître que cette situation fait partie intégrante de l'équation qu'il nous faut résoudre.

M. Wark : Dans la mesure où mon commentaire peut être utile aux sénateurs de votre comité, j'en suis arrivé à la conclusion qu'il est du devoir du gouvernement de faire preuve de circonspection au moment de décider d'entreprendre des poursuites judiciaires relatives à des certificats de sécurité. Il faut également reconnaître que l'élaboration d'un sommaire de la preuve en matière de renseignements de sécurité publique contre des personnes est une tâche difficile pour le SCRS; cependant, d'après mon expérience des affaires que le SCRS a mises à la disposition du public, ces rapports se sont révélés inadéquats, de l'avis analytique expert de qui que ce soit. Les juges de la Cour fédérale sont arrivés à la même conclusion et, en outre, ils se sont inquiétés de différentes formes d'abus de procédure qui se sont déroulés dans le cadre du montage de ces preuves.

Comme l'a dit M. Littlewood, à l'origine, les instances relatives à un certificat de sécurité n'étaient pas conçues pour s'attaquer à des affaires complexes de terrorisme, et nous ne nous sommes peut-être pas bien adaptés à la nécessité d'utiliser cet instrument dans de tels cas. Quelle que soit l'utilité de cet instrument, je crains que cela n'ait pour résultat, en raison des erreurs commises et des analyses inadéquates, de faire en sorte qu'il ne soit retiré des outils de politique dont nous disposons.

Le président : Nous dites-vous que le travail d'analyse inadéquat qui a pu être présenté dans le cadre de ces certificats de sécurité est le résultat d'une capacité insuffisante en matière d'analyse compétente et approfondie, ou qu'il s'agit d'une décision de la part des services de sécurité de ne pas révéler des renseignements dont ils estiment qu'ils doivent demeurer secrets, en raison de la principale obligation de ces services d'assurer la protection de la sécurité nationale, qui pourrait être plus importante que leur obligation de remporter une affaire juridique donnée?

M. Wark : C'est une excellente question, et je n'ai pas de réponse à vous donner. On peut imaginer qu'il s'agit de l'une ou de l'autre raison, ou d'une combinaison des deux.

La difficulté que pose un résumé de renseignements de sécurité publique qui n'a pas fait l'objet d'une analyse adéquate présentée dans le cadre d'une instance relative à un certificat de sécurité, c'est que cela entretient la distinction entre la preuve publique, que la personne nommée peut connaître, et la preuve secrète, que la personne nommée ne peut pas connaître. Dans la mesure où il existe un écart entre la preuve secrète et la preuve publique, cela soulève une fois de plus la question de déterminer si les instances relatives à un certificat de sécurité satisfont aux critères obligatoires de l'équité pour la personne nommée. Par conséquent, la preuve secrète doit être très proche de la preuve publique. D'après mon expérience, ils ont échoué à rapprocher suffisamment ces deux preuves, pour quelque raison que ce soit, qu'il s'agisse de protéger les sources, d'un mauvais travail d'analyse ou d'une combinaison des deux; ainsi, cet écart soulève d'importantes questions juridiques en matière d'équité.

Le sénateur Nolin : Durant votre déclaration préliminaire, monsieur Thompson, vous avez brièvement fait allusion à l'enquête Arar, laquelle n'a jamais, selon vous, abordé les questions qu'elle aurait dû poser. Quelles sont ces questions?

M. Thompson : Si vous voulez obtenir de plus amples renseignements à cet égard, je vous renvoie aux livres rédigés par Paul Palango à propos de la GRC, lesquels constituent les meilleures sources de référence à propos de l'affaire Arar. Ces livres en parlent longuement, puis ils mentionnent notamment quelques-unes des questions qui n'ont jamais été posées et révèlent certains détails qui n'ont jamais été dévoilés.

L'une des choses qui m'ont plus particulièrement frappé, c'est que nous avons automatiquement admis son allégation de torture. Il ne s'est jamais présenté devant le comité pour livrer un témoignage — il a soumis un témoignage enregistré sur bande vidéo. En outre, tout reposait sur la question de la torture. Quand un examen médical indépendant a-t-il été effectué? Au départ, il a expliqué que, en Syrie, on l'avait fouetté et frappé sur les mains avec des câbles de téléphone de deux pouces de diamètre. J'ai vu les cicatrices que portaient des personnes ayant subi des traitements de cet acabit en Irak sous le régime de Saddam Hussein. Ces personnes portent des cicatrices permanentes, et tous leurs doigts sont cassés. Nous étions en présence d'une personne qui faisait des allégations relatives au terrorisme; si nous avions pris ces allégations tellement au sérieux, n'aurions-nous pas eu recours aux services d'un médecin légiste reconnu par le tribunal qui aurait pu examiner les marques que portait M. Arar et déterminer si cela prouvait qu'il avait effectivement été torturé?

Il s'agit de l'une des choses qui ne se sont jamais produites.

Le sénateur Nolin : Monsieur Wark, durant son témoignage devant le comité, Gilles Michaud, commissaire adjoint de la GRC, a affirmé ce qui suit :

[. . .] Je crois que la seule façon de protéger nos droits et nos libertés sans compromettre la sécurité consiste à criminaliser les menaces terroristes qui pèsent sur les Canadiens.

Êtes-vous du même avis?

M. Wark : Il s'agit d'une excellente question. À mon avis, la position du commissaire adjoint Michaud rejoint celle défendue par Bill Elliott, commissaire de la GRC, lequel a tenu des propos similaires en 2009 au cours de l'une de ses assez rares déclarations publiques concernant des questions liées à la sécurité nationale. Je ne me rappelle plus les termes exacts qu'il a employés, mais il a fait valoir qu'il était temps que le Canada effectue un « changement de paradigme », à savoir que l'on cesse de nous concentrer exclusivement sur les méthodes liées à la collecte de renseignements pour défendre le pays contre la menace terroriste et que nous mettions davantage l'accent sur l'application de la loi et les poursuites. En principe, je suis tout à fait d'accord avec ce point de vue. J'estime que ce changement d'orientation constitue la voie à suivre. Comme nous l'avons vu, aux États-Unis, l'administration Obama a décidé d'emprunter cette voie. Pour l'essentiel, les autorités du Royaume-Uni ont également décidé de procéder de cette manière. Si le Canada décidait de s'engager dans cette voie et de changer complètement son approche, il se mettrait en phase avec quelques-uns de ses principaux alliés.

La question consiste à déterminer si nous sommes prêts à effectuer ce changement et si nous avons la capacité de le faire. La GRC est-elle prête à donner suite à ces affaires? Le système de justice pénale est-il prêt à donner suite à ces affaires? Il s'agit d'affaires complexes et de longue haleine. Certains signes montrent que nous allons dans cette direction, mais le fait est que, à la suite de l'enquête Arar, pour laquelle j'ai beaucoup plus d'estime que n'en a John Thompson, et à la suite de l'enquête Iacobucci, un bon nombre de modifications radicales ont été apportées à l'organisation et aux politiques de la Direction des renseignements criminels, entité clé de la GRC en matière de sécurité nationale. Il faudrait procéder à un examen approfondi des capacités de la GRC sur le plan des ressources, de l'expertise, de la relation entre le renseignement et l'application de la loi et de la capacité de la GRC de maintenir une présence dans les tribunaux et de soutenir les procureurs de la Couronne au moment de l'engagement des poursuites. Il faudrait examiner en détail quelques-unes des parties qui composent cette question avant qu'il me soit possible d'affirmer que nous devrions passer de façon systématique de la théorie à la pratique à cet égard.

En principe, j'estime que nous devons le faire, mais en pratique, je suis quelque peu préoccupé par le fait que la GRC n'en soit pas encore arrivée à un point où nous pourrions affirmer sans l'ombre d'un doute qu'un changement de paradigme aurait l'effet désiré.

Le sénateur Nolin : Le problème tient non pas aux outils, mais à la façon dont nous les manipulons.

M. Wark : Pour replacer la question dans son contexte, il y a deux choses que j'aimerais dire. Tout d'abord, la Direction des renseignements criminels de la GRC en matière de sécurité nationale n'était pas prête à affronter les défis posés par l'environnement de sécurité mise en place après les événements du 11 septembre. Pour le dire de façon un peu trop brutale, et peut-être même injuste, il s'agissait du cadet des soucis de la GRC, et cela a été une question à laquelle on a accordé peu d'importance depuis 1984, année de la création du SCRS. Je pense que les hauts fonctionnaires honnêtes de la GRC vous diraient à peu près la même chose. Ainsi, on a considérablement modifié la GRC de manière à réaffirmer l'importance du rôle joué par cette organisation en matière d'utilisation des renseignements criminels relatifs à la sécurité nationale, ce qui s'est traduit par le recours à de nouvelles personnes, de nouvelles ressources et de nouveaux cadres stratégiques. Nous avons constaté que ces personnes n'étaient pas à la hauteur, sur certains plans cruciaux, à mon avis. Nous avons constaté cela grâce à l'enquête Arar, et l'enquête Iacobucci a soulevé des questions troublantes. La GRC a reconnu la nécessité du changement, et le gouvernement a insisté sur l'importance du changement, même si celui-ci a été effectué de façon interne, sans qu'il fasse l'objet d'un véritable débat public. Ces changements sont une initiative récente. En d'autres termes, il s'agit de changements et d'une réforme dont la nécessité est admise depuis quatre ou cinq ans. On ne peut demander à une organisation de modifier de fond en comble son orientation en matière de capacités et de ressources en si peu de temps.

Je crois que ce travail est en cours. Tout ce que je dis, c'est que nous en sommes arrivés à un point où nous pouvons modifier en bloc nos politiques nationales en matière de sécurité de façon à ce qu'elles privilégient une approche fondée sur les poursuites. Il s'agit là de l'orientation que nous devons prendre, mais il se peut que nous devions progresser un peu plus lentement et nous assurer que nous disposions des outils nécessaires pour bien effectuer ce virage.

Le sénateur Nolin : J'ai utilisé le mot « manipuler », mais, bien sûr, j'aurais dû employer le terme « utiliser ».

Le sénateur Jaffer : J'aimerais tout d'abord que nous parlions de l'incident d'Air India. Vous avez souligné que cet incident s'était déroulé il y a 25 ans. Je proviens de la Colombie-Britannique, où cet incident a laissé de très douloureuses séquelles. Vous avez dit qu'elles avaient disparu, mais si vous aviez assisté aux processions qui ont eu lieu récemment, vous auriez constaté que la douleur qu'éprouvent les familles à ces moments-là demeure très vive.

Ma préoccupation est la suivante : comment mettre fin à la menace d'origine intérieure? À mes yeux, il s'agit d'une menace d'origine intérieure, et depuis 25 ans, je constate que ma communauté en Colombie-Britannique subit également les contrecoups de ce que j'appellerais une menace d'origine intérieure, et a souffert de voir des gens être tués.

Comment les groupes terroristes s'y prennent-ils pour recruter des gens, principalement des jeunes? Assurément, l'un des moyens utilisés pour établir le contact avec ces jeunes est Internet. Que pouvons-nous faire pour les arrêter?

M. Littlewood : Durant ma déclaration préliminaire, j'ai mentionné que les activités actuelles des extrémistes sikhs soulèvent, à mon avis, des inquiétudes. Il s'agit d'un exemple de dossier qui ne fait pas l'objet de discussions sur la place publique ou dont on ne mesure pas l'importance, mais il s'agit néanmoins d'un dossier dont la communauté elle-même — celle de la Colombie-Britannique ou celle de la sécurité et du renseignement — doit être informée. Nous devrons déployer des efforts, affecter des ressources et consacrer du temps à cet égard, entre autres.

Comment mettre fin au terrorisme d'origine intérieure? L'un de nos problèmes, c'est que les médias ont de la difficulté à se rendre compte que les individus se radicalisent, que la radicalisation mène à des actes de violence et que, en elle-même, la radicalisation ouvre la voie au terrorisme. Lorsque nous nous penchons sur des cas de personnes déclarées coupables de terrorisme et que nous tentons de déterminer comment ces personnes se sont radicalisées, nous constatons qu'il n'existe pas de modèle unique : plusieurs voies peuvent mener à la radicalisation, et il n'est pas possible de mettre le doigt sur le moment précis où telle ou telle personne décide d'emprunter cette voie. Cela rend d'autant plus difficile la prise de mesures à l'égard des diverses questions.

L'une des réponses classiques et justifiables consiste à affirmer que nous devons établir le contact avec les jeunes puisque, dans de nombreux cas, il s'agit d'un problème qui touche les jeunes, en plus d'être une question qui concerne l'éducation. Cela est peut-être vrai dans une certaine mesure, mais pour être efficace, la lutte antiterroriste exige l'intervention non seulement de toute une série de ministères, mais également de la communauté. Cette participation exige, en elle-même, que certains types de communications puissent être établis entre la police, les services de renseignement et divers éléments de la communauté — et je ne parle pas ici forcément des seules figures de proue de la communauté, peu importe qui elles sont.

Ces processus font apparaître des signes divers et contradictoires, et il n'est pas toujours possible d'établir qu'une personne s'intéresse à la politique et nourrit peut-être des idées radicales, mais il peut se révéler que cette personne s'intéresse effectivement à la politique et nourrit des idées radicales ouvrant la voie à la violence. Ces idées radicales et violentes présentent un intérêt pour ce qui est du terrorisme.

La triste réalité, c'est que tout cela exige beaucoup d'effort, et que, dans une certaine mesure, nous devons suivre une kyrielle de fausses pistes et nous sortir de nombreuses impasses pour parvenir à faire la lumière sur quelques cas d'actes de violence, et bien souvent, nous ne trouvons rien. C'est la triste réalité. Nous tentons autant de prévenir la radicalisation violente que de déterminer comment composer avec elle lorsqu'elle se manifeste dans la communauté.

Je vais mentionner brièvement un exemple concret. À mon avis, au cours des 18 à 24 derniers mois, il est devenu évident pour les autorités américaines et canadiennes qu'il existait, de façon générale, un problème potentiel lié aux Somaliens en Amérique du Nord. Il y a trois ans, ce problème n'était pas à l'ordre du jour, mais à présent, il l'est.

D'autres communautés canadiennes et américaines ne sont pas inscrites à l'ordre du jour au moment où l'on se parle, mais nous devons être attentifs, car ces communautés présentent le même type de signes inquiétants. Nous devons être conscients du fait que, bien souvent, les efforts que nous déploierons à cet égard n'auront pas un grand retentissement, et que nous ne serons peut-être pas en mesure d'en évaluer l'efficacité ou l'inefficacité.

Le sénateur Jaffer : Vous collaborez avec le Royaume-Uni, lequel dispose de programmes communautaires novateurs permettant d'établir le contact avec les jeunes gens dans les mosquées et d'autres choses du genre. Savez- vous si le Canada dispose d'un quelconque programme qui contribuerait à déceler les personnes posant des risques? Actuellement, nous tenons pour acquis que la menace provient de la communauté musulmane — il arrive que nos soupçons pèsent sur une autre communauté, mais à l'heure actuelle, c'est la communauté musulmane qui en est la cible.

M. Littlewood : Le Royaume-Uni a lancé une initiative intitulée CONTEST, stratégie antiterroriste comportant un volet d'information du public. Le Royaume-Uni collabore étroitement avec les communautés dans le cadre d'une initiative maintenant connue sous le nom de Channel Project, projet pilote de collaboration avec diverses mosquées et toute une série d'imams et de porte-parole communautaires. Les initiatives de ce genre peuvent être utiles dans la mesure où elles permettent d'accroître le niveau de sensibilisation et de connaissance qu'ont les différents groupes de la collectivité les uns à l'égard des autres. Cela peut avoir des répercussions positives sur une stratégie antiterroriste, mais peut également créer des clivages au sein des communautés.

En outre, le fait de s'adresser aux porte-parole connus des communautés sans comprendre la dynamique de la communauté elle-même peut, d'une façon ou d'une autre, nous induire en erreur. Quelles sont les bonnes personnes auxquelles nous devons nous adresser? Comment fonctionne, en pratique, telle ou telle communauté? Est-ce que des personnes qui ne sont pas reconnues comme étant des porte-parole de leur communauté peuvent nous parler de celle-ci de façon éclairée? Est-ce que la communauté de la sécurité peut avoir confiance en l'un ou l'autre de ces processus ou en privilégier un?

L'autre problème concerne la filière des mosquées. À l'heure actuelle, au Royaume-Uni, c'est un fait connu que les mosquées ou les imams qui adoptent des idées radicales feront probablement l'objet d'une certaine forme de surveillance ou de sensibilisation qui sera portée à l'attention de la communauté de la sécurité. C'est ce qui explique que les mosquées non officielles, clandestines ou secrètes appartenant à des groupes particuliers voient le jour. L'accès à ces mosquées est réservé à certaines personnes triées sur le volet. La localisation de ces mosquées est une question qui relève des services de renseignement et des services policiers, mais elles doivent compter, du moins en partie, sur la collaboration de la communauté.

Nous devons suivre cette voie qui consiste à tenter d'établir le contact, pour toute bonne raison, avec la communauté, mais nous ne devons pas tomber dans le piège de croire que ce contact peut être établi une fois pour toutes ou que nous avons réglé le problème puisque les relations entre la communauté et les services policiers ou de renseignement sont bonnes. Il nous arrive de croire que nous avons réglé un problème, et que celui-ci se manifeste de nouveau, sous une autre forme, six ou 12 mois plus tard, et que nous devions alors adopter une stratégie quelque peu différente. C'est la raison pour laquelle il s'agit d'un processus dynamique. C'est tout ce que je peux dire à cet égard.

M. Wark : Sénateur Jaffer, au Canada, nous avons au moins la chance d'être en mesure de maîtriser le phénomène du terrorisme d'origine intérieure. Je n'insisterai jamais assez sur le fait que, à mon avis, nous ne devons pas exagérer l'ampleur passée ou présente de la menace terroriste d'origine intérieure au Canada, ou celle qu'elle revêtira dans un avenir prévisible.

Dans une certaine mesure, j'estime que la menace terroriste d'origine intérieure est plus susceptible d'avoir des répercussions sur nos alliés et, par conséquent, de susciter leur intérêt, que d'avoir des répercussions directes sur nous. Cela dit, le terrorisme d'origine intérieure est un phénomène que nous devons surveiller, car il fait partie de cette série plus vaste de menaces à la sécurité auxquelles nous faisons face. À cette fin, trois principaux outils sont nécessaires.

Tout d'abord, nous devons disposer de bons services de renseignement qui fonctionneront à l'intérieur des cadres juridique et démocratique appropriés. Comme nous avons pu l'observer dans de nombreux autres pays, il est nécessaire d'avoir de bonnes capacités en matière de police communautaire. Comme l'a laissé entendre M. Littlewood, nous devons disposer d'une certaine forme d'engagement communautaire soutenu, car dans le cadre de la lutte contre le terrorisme d'origine intérieure, les communautés ethniques seront nos principaux alliés. Nous devons être capables de faire confiance, dans une certaine mesure, d'avoir confiance en la capacité de ces communautés de déceler les problèmes en leur sein, et nous devons croire que ces communautés s'exprimeront à propos de ces problèmes et s'adresseront aux autorités lorsqu'elles en constateront l'existence.

En outre, l'une des choses qui entravent tous ces différents aspects d'une lutte contre le terrorisme d'origine intérieure est, là encore, l'absence d'éducation publique et la réticence à briser le silence et à expliquer aux Canadiens — à l'ensemble des Canadiens et non aux seules communautés ethniques — en quoi consiste la nature en constante évolution de la menace terroriste et les outils que le gouvernement du Canada utilise pour lutter contre cette menace.

Par le passé, l'une des difficultés auxquelles le SCRS a été en butte dans le cadre des divers efforts qu'il a déployés pour nouer le dialogue avec les communautés tient à la nature épisodique de ces efforts, lesquels sont parfois motivés par une crise de sécurité. Inévitablement, les communautés visées accueillent ces efforts avec une certaine méfiance et un certain degré d'ignorance — elles se demandent pourquoi le SCRS s'intéresse soudainement à elles et veut pénétrer dans leurs mosquées, leurs églises, et ainsi de suite.

Les communautés comprennent mal ce qui pousse le SCRS à apparaître subitement ici ou là ou sont méfiantes à l'égard des motifs évoqués pour justifier cette intervention. Pour venir à bout de ces sentiments, nous devons mettre en place un processus soutenu d'éducation publique de manière à ce que chaque communauté puisse contribuer aux activités des services policiers et n'ait pas l'impression d'être montrée du doigt et de faire l'objet d'un traitement injuste qui les vise directement.

Le sénateur Wallin : J'aimerais revenir sur le point soulevé par le sénateur Joyal, car il s'agit d'une question qui me trouble. À mon avis, l'attitude consistant à mettre le terrorisme sur le compte de George Bush et de la guerre en Irak était beaucoup trop répandue, et cette attitude était peut-être utilisée pour porter atteinte à certains points de vue exprimés sur cette question.

Nous sommes arrivés en Afghanistan en 2001, et nous nous sommes concentrés sur l'endroit d'où provenaient les terroristes. Je crois que nous disposions de renseignements à propos de ce qui se passait là-bas. Toutefois, le gouvernement de l'époque croyait — et, par conséquent, comme nous venons de parler d'éducation publique, le public croyait également — que, d'une façon ou d'une autre, tout cela ne concernait que les États-Unis, ou même, pire encore, que le gouvernement des États-Unis avait réagi de façon disproportionnée et nous avait entraînés trop loin.

J'aimerais que tous les témoins disent quelques mots sur cette question. Croyez-vous, à cet égard, que nous continuons à refuser d'admettre la réalité?

Je porterai plus particulièrement mon attention sur notre pays. Ensuite, comme nous refusions d'admettre la réalité, du moins c'était ce que j'affirmais à l'époque, nous n'avons pas mis en place l'infrastructure nécessaire, sur laquelle nous pourrions faire fond aujourd'hui. Nous discutons de la question de la criminalisation des menaces terroristes. À cet égard, j'aimerais savoir si nous disposons des agents de renseignement et des mécanismes pénaux qui nous permettraient de réagir en cas d'incident terroriste, et cetera? Il s'agit d'une vaste question. Voulez-vous y répondre en premier, monsieur Thompson?

M. Thompson : Il s'agit d'une vaste question, sénateur Wallin. Le hic, c'est qu'elle appelle d'abord une réponse tout aussi vaste.

Si l'on examine l'histoire du Canada, on constate que, de façon générale, nous formons un pays pacifique. La plupart des Canadiens ont une grande difficulté à réagir aux menaces extérieures, voire même à en admettre l'existence. Il s'agit d'une chose avec laquelle ils ont beaucoup de difficulté.

J'ai mentionné plus tôt que, chaque fois que je trouve la réponse à une question, de nouvelles interrogations surgissent. Par exemple, en ce qui concerne la menace terroriste d'origine intérieure, si vous me permettez de revenir sur cette question, si je ne m'abuse, selon les statistiques, le Canada se classe au second rang mondial pour ce qui est du rapport entre le nombre d'habitants nés à l'extérieur du pays et le nombre d'habitants nés au pays. Seule l'Australie surclasse légèrement le Canada à ce chapitre. Malgré cela, les Pays-Bas, l'Angleterre et les État-Unis sont aux prises avec de plus graves problèmes que le Canada. Je n'arrive pas à comprendre pourquoi le Canada n'a pas autant de problèmes que ces pays. Il y a quelque chose qui fonctionne bien dans notre société. Si quelqu'un a une théorie à présenter pour expliquer cela, je serai heureux de l'entendre. Cela demeure un mystère pour moi, sur lequel nous refusons parfois de nous attarder.

Le président : Ne croyez vous pas que le hockey est la clé de ce mystère?

M. Thompson : Il s'agit peut-être d'une partie de la réponse. Cela s'explique par un certain nombre de choses, mais si nous voulons entamer une discussion à propos de l'identité canadienne, de ce qui la constitue...

Le président : Dieu merci, le comité n'a pas à se pencher sur cette question.

M. Thompson : ... cela ne nous a pas été profitable. Tout d'abord, les gens ont beaucoup de difficulté à se sentir personnellement menacés. L'anti-américanisme canadien est en partie un réflexe qui ne disparaîtra jamais tout à fait. Nous avons l'habitude de dire : les Américains n'ont que ce qu'ils méritent. La simple réalité, c'est que nous sommes une menace, mais la plupart des citoyens ont de la difficulté à l'admettre. C'est aussi simple que cela.

Cette attitude me rappelle ce qu'une kyrielle de policiers et d'agents frontaliers de première ligne m'ont dit, à savoir que les Canadiens ne se sentiront menacés que lorsqu'un grand nombre de leurs compatriotes feront l'objet d'une attaque sur notre propre territoire.

Le sénateur Wallin : Ma question suivante allait porter là-dessus.

M. Wark : En ce qui a trait à la question de savoir si nous refusons d'admettre la réalité, j'aurais tendance à y répondre par l'affirmative, mais j'ajouterai que, dans une certaine mesure, il s'agit d'une attitude appropriée. Je ne veux pas porter atteinte à des points sur lesquels j'insiste depuis des années.

Cela dit, nous refusons d'admettre que le Canada est effectivement en guerre — pas nécessairement de son propre gré — contre Al-Qaïda, contre les groupes qui y sont affiliés et contre les idéaux qu'ils défendent. Nous sommes en guerre contre cette idée. Refusons-nous d'admettre cette idée? Certainement. Refusons-nous d'admettre l'idée selon laquelle une grave menace terroriste plane sur le Canada au moment où l'on se parle? J'estime que nous refusons, à juste titre, d'admettre cette idée.

Au Canada, nous avons de la difficulté à comprendre que le terrorisme du XXIe siècle, de nature mondiale et transnationale, représente une menace pour les valeurs et les intérêts canadiens, pas nécessairement parce qu'il nous touchera directement, mais parce que à un moment donné, quelque part, il portera un coup à ce sentiment de stabilité internationale et aux valeurs internationales.

Comme je l'ai indiqué durant ma brève déclaration préliminaire, notre engagement en Afghanistan, de même que certaines des attaques menées par des groupes affiliés à Al-Qaïda contre des intérêts canadiens, nous ont fourni une occasion, mais nous n'avons pas trouvé le moyen d'expliquer à la population canadienne pourquoi nous estimons — à juste titre, à mon avis — que le type de terrorisme pratiqué par Al-Qaïda constituait un fléau mondial. Il ne s'agit peut- être pas du plus terrible des fléaux mondiaux, mais le Canada a la responsabilité de contribuer à le combattre. Il s'agit là d'un aspect de la question que, à mon avis, nous refusons d'admettre.

M. Littlewood : Merci, sénateur Wallin. Selon moi, ce que M. Thompson voulait dire, c'est que, dans le passé, l'engagement ou l'expérience du Canada en matière de terrorisme a été lié en grande partie à sa participation à des guerres menées par d'autres pays. C'est ce simple fait qui explique l'engagement du Canada, et non pas le fait qu'il soit directement visé par le terrorisme, même s'il pourrait l'être. La triste réalité, c'est que, dans certains cas, les Canadiens sont indirectement mêlés à des actes de terrorisme posés dans d'autres pays — de façon générale, c'est de cette façon que le terrorisme a une incidence sur le Canada. C'est pourquoi il est difficile de présenter des explications convaincantes au public, et c'est pourquoi, bien entendu, les membres des services de sécurité ou les parlementaires ont toutes les peines du monde à indiquer les raisons pour lesquelles nous devrions porter attention à tel ou tel détail, même si la menace terroriste n'est pas d'une évidence qui nous saute aux yeux, si je peux m'exprimer ainsi, de façon régulière.

Dans une certaine mesure, j'estime que nous refusons d'admettre la réalité. Je suis d'accord avec M. Wark là-dessus. Nous n'avons pas pris conscience des répercussions néfastes que peut avoir Al-Qaïda — ce fléau, pour reprendre les termes de M. Wark — sur le Canada et les intérêts canadiens. Toutefois, nous avons également échoué à nouer le dialogue avec les Canadiens pour tenter de leur expliquer pourquoi il est important pour nous de combattre Al-Qaïda, même si cette organisation est peu susceptible de mener au Canada une campagne continue, systématique et violente visant directement le Canada.

Nous vivons dans un village planétaire, et le terrorisme est l'un de nos problèmes. Or, cela signifie que le Canada a des responsabilités à l'égard de ses alliés, et, selon moi, la menace indirecte que font planer des Canadiens sur certains de nos alliés est un facteur qu'il est important de prendre en considération au moment de réfléchir à propos de la lutte actuelle contre le terrorisme.

Le sénateur Wallin : Pour faire suite au point soulevé par le sénateur Nolin concernant la criminalisation des menaces terroristes, je crois que vous avez tous convenu que nous avons probablement des lacunes sur le plan de la capacité de recueillir du renseignement, ou même sur le plan du cadre à l'intérieur duquel nous recueillons ce renseignement. Si ces lacunes étaient toutes comblées, disposerions-nous des outils nécessaires? S'agit-il de la bonne façon d'aborder cette question, ou sommes-nous en train de faire toutes sortes de contorsions en raison de ces autres questions liées à notre identité et qui nous poussent à combattre cela non pas en tant que terrorisme, mais en tant que crime?

M. Thompson : Au Canada, dans certains cas, nous avons œuvré en vue d'élaborer d'autres solutions ou de trouver d'autres solutions partielles pour lutter contre le terrorisme. Le terrorisme prend naissance dans certaines communautés particulières, et l'un des problèmes auxquels nous nous sommes continuellement butés, c'est le fait que nous ne disposions pas des ressources nécessaires pour comprendre ces communautés. Il y a déjà 31 ans que des Sikhs radicaux ont commis un premier meurtre afin d'avoir la haute main sur les finances d'un temple, et pourtant, d'une façon ou d'une autre, nous sommes toujours surpris lorsqu'un acte de violence est commis dans un temple sikh, alors que nous devrions savoir que ce genre d'incident ne date pas d'hier.

Les Tigres de libération de l'Eelam tamoul, les TLET, étaient établis au pays depuis une douzaine d'années lorsque la police canadienne a commencé à saisir quelque chose à ce problème. En Ontario, plus particulièrement à Toronto, où se trouvaient un si grand nombre de TLET, l'un des problèmes que nous avons connus tient à ce que la police a mis beaucoup de temps pour acquérir les ressources dont elle avait besoin et pour obtenir de l'information à propos de la communauté. Lorsque le travail des policiers contre les TLET a commencé à porter ses fruits, à tout le moins de façon partielle, les tamouls canadiens ont commencé à se manifester et à fournir de façon volontaire des renseignements. À un certain moment, des actions visaient à entraver le déroulement d'importants événements organisés par les TLET et pour saper l'autorité de ces derniers. Ils tentaient de conserver la maîtrise de l'ensemble de leur communauté.

Par exemple, les TLET donnaient aux Tamouls ordinaires l'ordre d'assister aux événements qu'ils organisaient. Les membres des TLET responsables de percevoir l'impôt de guerre annonçaient : « Aujourd'hui est le jour des Martyrs — tout le monde est tenu d'assister à cet événement. » Au cours des deux ou trois dernières années, les célébrations entourant le jour des Martyrs ont été gravement perturbées. Entre autres, la police s'est rendue dans les salles de réunion qui avaient été louées pour les grandes célébrations du jour des Martyrs et a rappelé aux propriétaires de ces installations ou aux fonctionnaires qui les dirigent que le fait d'accueillir un événement de la sorte constituait une violation des lois antiterroristes canadiennes. Par conséquent, les TLET ont eu beaucoup de mal à tenir un événement : dès qu'il y en avait un de prévu à tel ou tel endroit, on pouvait s'apercevoir que la police était sur place et prenait en note les numéros de plaque d'immatriculation dans le stationnement de l'immeuble accueillant la réunion, et de nombreuses personnes à qui il avait été ordonné d'y assister avaient ainsi une bonne excuse pour ne pas s'y présenter. Les gens se sont passé le mot, et ces interventions policières ont porté atteinte à la mainmise des militants du groupe terroriste sur l'ensemble de la communauté. Cela a eu pour effet que, soudainement, ce service de police pouvait compter sur un bon nombre d'informateurs : il recevait davantage de renseignements qu'il ne pouvait en traiter. Toutefois, cela a entraîné un nouveau problème : comme les membres de ce service sont envoyés en mission pour assister à toutes sortes d'événements, par exemple les Jeux olympiques et les sommets du G8 et du G20, il n'y a presque plus personne de disponible pour répondre aux appels téléphoniques.

M. Wark : Pour répondre à votre question, je vous dirai que, dans l'idéal, nous intentons des poursuites chaque fois que nous avons la possibilité de le faire, car il s'agit du meilleur moyen dont nous disposons pour nous assurer que le dossier que nous avons constitué est valide. Il s'agit du meilleur moyen dont nous disposons pour nous assurer que nous enclenchons un processus visant à prévenir toute autre activité criminelle éventuelle dans l'avenir.

En fin de compte, la meilleure stratégie à adopter consiste certainement à nous en remettre à leur système juridique, mais il faut bien comprendre que ce ne sont pas tous les cas de terrorisme qui peuvent faire l'objet de poursuites. Dans les cas où il n'est pas possible, pour diverses raisons — parce que la preuve n'est pas complète ou ne peut être présentée au tribunal —, d'intenter une poursuite, nous faisons face à des difficultés avec lesquelles nous devons composer, il me semble, en nous fiant aux capacités et au bon jugement de notre service de renseignement et en tablant sur le fait qu'il décèlera de façon compétente les menaces et tentera de prendre des mesures préventives contre ces menaces, et ce, à l'intérieur des limites fixées par la loi.

Pour nous assurer que le système fonctionne bien — et nous y aurons encore recours à maintes reprises puisque ce ne sont pas tous les cas de terrorisme qui peuvent faire l'objet de poursuites —, nous devons avoir un niveau élevé de confiance à l'égard de notre service de renseignement, en l'occurrence le SCRS. En outre, à mon avis, nous devons bénéficier de la collaboration intelligente du milieu politique. Ce que je veux dire par là, c'est non pas que les ministres du Cabinet doivent mettre leur nez dans les dossiers, mais que les ministres du Cabinet et les hauts fonctionnaires — les sous-ministres et les sous-ministres adjoints — doivent être très au fait des tenants et aboutissants des dossiers, de leur portée et des difficultés qu'ils peuvent poser.

Au Canada, l'un des problèmes avec lesquels nous devons composer depuis longtemps, c'est le fait que, bien souvent, un service de renseignement comme le SCRS ou ceux qui l'ont précédé fonctionne de façon très indépendante, c'est-à-dire qu'il est très peu assujetti à ces types d'autorité politique et aux mécanismes redditionnels qui en découlent. Cette situation a commencé à changer à la suite des événements du 11 septembre, mais je ne crois pas que nous avons entièrement compris qu'il n'était pas suffisant de simplement faire confiance à notre service de renseignement, et que nous devrions disposer des moyens nécessaires pour nous assurer que cette confiance est justifiée, et d'un processus continu d'examen et de surveillance. Quelques mécanismes nous permettent d'avoir une certaine confiance à l'égard du service, par exemple l'existence du bureau de l'Inspecteur général, qui relève du ministre et du Comité de surveillance des activités de renseignements de sécurité, mais il convient de se demander si ces mécanismes sont adéquats, dans la mesure où leur fonctionnement ne fait pas l'objet d'une surveillance étroite de la part des instances politiques et si celles-ci n'ont pas leur mot à dire quant à la façon dont ils sont administrés.

M. Littlewood : Je suis tout à fait d'accord avec l'idée selon laquelle nous devrions intenter des poursuites lorsque nous avons la possibilité de le faire. Cependant, nous devons savoir qu'il n'est pas toujours possible d'intenter des poursuites, et nous devons nous préparer à de telles éventualités. Cette préparation suppose que nous devons réfléchir aux diverses options qui s'offrent à la communauté du renseignement de sécurité dans son ensemble, qu'il s'agisse d'options d'ordre juridique ou politique. Oui, intentons des poursuites, mais soyons conscients du fait que nous n'aurons pas toujours la possibilité de le faire. Il est possible que nous nous retrouvions dans cette zone grise, et nous devons être prêts, sur le plan pratique, à faire face à une telle éventualité.

Le sénateur Smith : Ce que j'entends aujourd'hui me donne à penser que les Canadiens marchent dans les pas des Borduas, Riopelle et autres Gauvreau — ils manifestent leur refus global, mais ce refus, c'est à la réalité qu'ils l'opposent.

Ma question s'adresse au professeur Wark et fait suite au point sur lequel s'est attardé le sénateur Jaffer, à savoir les troubles d'origine intérieure. Vous êtes établi à Toronto. Moi aussi, même si je passe le plus clair de mon temps dans des avions. Les accusations contre les 18 de Toronto ont été déposées il y a plus de deux ans. Je devrais peut-être taire ce que je m'apprête à dire, mais je n'en ferai rien : certaines personnes appartenant au courant dominant de la communauté musulmane de Toronto étaient sceptiques et croyaient que la police avait peut-être réagi de façon excessive. Selon moi, ces personnes étaient de bonne foi lorsqu'elles ont exprimé cette opinion. Cependant, à présent, bien plus de la moitié des personnes inculpées ont plaidé coupable, et des peines importantes ont été imposées.

Vous avez mentionné la nécessité d'une éducation publique soutenue, et je suis entièrement d'accord avec vous là- dessus, mais je me dis souvent que le message aurait plus d'effet sur la communauté s'il était transmis par des membres de la communauté. Je parle ici non pas des éléments radicaux de la communauté, mais des éléments du courant dominant. D'après ce que je crois comprendre, la religion musulmane prêche la non-violence. À votre avis, avons-nous fait des progrès pour ce qui est de faire comprendre aux éléments du courant dominant de la communauté musulmane qu'ils ne pouvaient pas tenir la non-violence pour acquise, mais que ce message devait être transmis non seulement par le truchement de programmes d'éducation publique, mais également par leurs propres chefs? Savez-vous si des progrès ont été réalisés à cet égard?

M. Wark : À ce propos, j'ai l'impression — et ce n'est qu'une impression — que la communauté musulmane du Canada est consciente du fait qu'elle est parfois traitée avec une certaine méfiance par les autres membres de la société canadienne, et qu'elle n'est pas insensible à cela. La communauté musulmane souhaite s'assurer que sa religion et ses valeurs ne sont pas comprises de travers.

Pour reprendre votre exemple des 18 ou des 11 de Toronto, je dirai que nous avons pu observer deux différents types de phénomène. Tout d'abord, de façon générale, au sein non seulement de la communauté musulmane, mais également de la société canadienne dans son ensemble, on a le sentiment que cette menace n'était pas réelle — on a l'impression qu'il est impossible qu'un groupe de 18 personnes ait pu menacer de décapiter le premier ministre du Canada, de faire exploser le Parlement, de lancer une attaque contre la SRC, et cetera Cette nouvelle a créé une certaine onde de choc, justifiable dans les circonstances, et un certain degré de scepticisme a peut-être accompagné cette onde de choc.

La difficulté qui surgit tient, d'une part, à une question de détail, et, d'autre part, à quelque chose qui appartient tout simplement aux poursuites de ce genre. La question de détail qui pose problème, c'est que, au Canada, nous devons trouver un moyen de faire en sorte que le gouvernement puisse, au moment où des poursuites sont engagées dans des affaires de ce genre, présenter ses arguments de façon un peu plus claire en ce qui concerne la nature de la menace, sans que cela ne porte préjudice aux intérêts des personnes nommées. Le gouvernement du Royaume-Uni est aux prises avec le même type de difficulté, et j'espère que les membres du gouvernement du Canada discutent avec leurs homologues du Royaume-Uni à propos des mesures qui pourraient être prises pour leur permettre d'expliquer de façon plus exhaustive au public les raisons pour lesquelles ils estiment devoir intenter des poursuites contre telle ou telle personne. Ce genre de discussion pourrait dissiper une partie du scepticisme qui entoure les événements de ce genre, qui créent une véritable commotion dans la population canadienne.

Nous devons également trouver une façon d'accélérer le traitement de ces poursuites judiciaires. Les 18 de Toronto ont été arrêtés en 2006. En 2011, quelques-uns des procès relatifs à cette affaire — deux ou trois, si j'ai bonne mémoire — seront toujours en cours. Il s'agit d'affaires complexes, et nous ne voulons pas bâcler le travail, mais j'aurais tendance à affirmer que l'intervalle qui sépare le dépôt des accusations et le prononcé de la sentence — à savoir cinq ans — est trop long. Au cours de cette période de cinq ans, toutes sortes d'idées peuvent voir le jour — par exemple, d'aucuns affirmeront que la menace était grave, et d'autres, qu'elle était nulle et avait été montée en épingle par le gouvernement. Seule la décision d'un juge ou d'un jury permettra de trancher la question. Toutefois, il vient un moment où les juges et les jurys doivent rendre une décision de manière à ce que le public puisse être informé à propos de ces affaires. Nous devons contribuer à la prise de ces décisions en faisant en sorte que le gouvernement ait une plus grande capacité de présenter sa version des faits, là encore, sans que cela ne porte préjudice aux intérêts des personnes nommées.

Pour revenir sur l'affaire des 18 de Toronto, comment avons-nous appris ce qui était en train de se passer? Grâce à des fuites et à des affirmations faites par l'avocat de la défense. Comment devrions-nous traiter ce genre d'information? Elles sont peut-être exactes, mais elles ne le sont peut-être pas.

Si l'affaire a été traitée de toute sortes de façons, c'est notamment en raison du fait que tant les experts que la population canadienne en général disposaient de trop peu de renseignements pour porter un jugement. Tout expert en la matière qui se serait penché sur cette affaire à ses débuts aurait affirmé : « Quelque 600 policiers ont été mobilisés par la communauté du maintien de l'ordre afin de procéder à des arrestations à grande échelle en Ontario à l'issue d'une enquête qui s'est étalée sur plusieurs années. Il y a peut-être plus de fumée que de feu, mais il n'y a pas de fumée sans feu. » Il s'agit là de la prémisse de tout point de vue raisonnable. S'agit-il du point de vue que nous avons adopté dans les faits? Non, en raison de nos lacunes en matière d'éducation publique.

Je ne suis pas d'accord avec l'opinion du directeur du SCRS, Dick Fadden, selon laquelle certaines personnes ont monté une cabale officieuse afin de faire circuler leurs propres points de vue au sein de la population canadienne.

À mon avis, il s'agit là d'une affirmation excessive et exagérément alarmiste, et je l'ai fait savoir l'an dernier après avoir pris connaissance de ces propos de M. Fadden. Je ne pense pas qu'il existe la moindre cabale. Nous ne devons pas sous-estimer la capacité des médias canadiens de mettre au jour certaines histoires et de les traiter de façon objective, ou leur capacité de relativiser les points de vue exprimés par certaines personnes à propos de ces événements.

Il n'y a pas de cabale. Toutefois, notre capacité d'éducation et d'information du public est insuffisante, et notre processus judiciaire est trop lent.

Le sénateur Nolin : Votre dernière observation soulève la question suivante : devons-nous modifier l'ancien système ou créer un système judiciaire spécial qui serait appelé à ne traiter que les poursuites de ce genre? D'autres pays ont emprunté cette dernière voie. J'aimerais connaître votre opinion là-dessus.

M. Wark : Sénateur Nolin, votre question est intéressante. Avant d'y répondre, nous devrions peut-être attendre de voir ce que le juge Major a à dire à ce sujet dans le cadre du rapport de la commission d'enquête sur le vol d'Air India, lequel sera — enfin — rendu public, si tout va bien, ce mois-ci. La présentation de recommandations à cet égard fait partie du mandat de cette commission d'enquête. Personnellement, j'estime que nous ne devons pas modifier de fond en comble le système judiciaire.

Le sénateur Nolin : Je suis du même avis.

M. Wark : Nous pouvons conserver notre système traditionnel de procès avec juges et jurys. Cependant, nous devons donner un caractère d'urgence à ce processus. Certaines des difficultés et des retards avec lesquels nous devons composer découlent, bien entendu, des contestations de la Loi antiterroriste fondées sur la Charte. Avec le temps, nous apprendrons à mieux connaître la Loi antiterroriste et à réagir aux contestations de cette loi fondées sur la Charte, et, par conséquent, ce type d'affaires sera moins susceptible de traîner en longueur, car ces contestations auront été réglées.

Je maintiens que nous devons donner un caractère d'urgence à ce processus, et que nous ne nous rendons pas suffisamment compte du fait qu'il est nécessaire d'accélérer le traitement de ces affaires. D'une façon ou d'une autre, il s'agit d'un aspect du processus de réforme que nous devrons aborder.

Le sénateur Marshall : Ma question s'adresse à M. Thompson, même si je crois que M. Littlewood a abordé le sujet en réponse à une question du sénateur Jaffer.

Vous avez parlé de l'intégrisme islamique. Que savons-nous à propos des traits distinctifs des personnes pouvant être caractérisées comme étant radicales ou terroristes? Il semble que beaucoup de ces jeunes personnes sont des hommes d'âge moyen ou de jeunes hommes assez scolarisés. Pouvez-vous nous parler de l'ampleur du travail qui a été fait sur cet aspect de la question?

M. Thompson : Sénateur Marshall, l'une des choses qui m'ont amené, dans un premier temps, à m'intéresser de plus près au terrorisme il y a 25 ans, c'est l'idéologie terroriste en tant que telle et les raisons qui poussent des personnes à s'engager dans le terrorisme. Là encore, il s'agit d'un aspect de la question à propos duquel je ne possède toujours pas toutes les réponses.

Au sein même de l'islam, il existe plusieurs courants de pensée distincts. On a l'habitude de considérer l'islam comme un ensemble monolithique, mais cette perception est bien loin de la réalité. L'islam est composé de divers courants, par exemple le wahhabisme en Arabie saoudite, de nature militante, et son aile missionnaire, la da'wa. La plupart des activités menées par les organisations relevant de ce courant sont légitimes, mais aussi elles défendent farouchement leurs idées — leurs membres sont beaucoup plus militants que la majeure partie des autres musulmans.

L'équivalent indien de ces organisations est le Tablighi Jamaat, de l'école de pensée deobandi. Là encore, il s'agit d'un courant extrémiste et fondamentaliste.

En Égypte, il y a les Frères musulmans. Habituellement, lorsqu'on fait allusion à telle ou telle théorie du complot, j'ai envie de rire. La nature humaine étant ce qu'elle est, il est à peu près impossible de mener à bien un complot sans que celui-ci ne s'ébruite. Cependant, les Frères musulmans constituent l'une des exceptions à la règle — cette organisation tente systématiquement de s'infiltrer dans de nombreux pays et d'y mener des activités subversives systématiques. Ce n'est pas un grand plan délibérément arrêté. Que je sache, nous n'avons pas affaire à un groupe de personnes portant masques et cagoules et ourdissant consciemment une vaste machination. Vous avez raison, je fais peut-être fausse route. Je crois pourtant que nous avons affaire à des groupes de militants qui, au fil des ans, ont suivi une même direction. Leurs messages et leurs croyances concernent d'abord et avant tout l'idée d'un islam purifié, qui correspond beaucoup à leur vision des choses. Cette organisation a assassiné davantage de musulmans que tout autre groupe. Si vous examinez la liste des victimes de l'intégrisme islamique, vous constaterez que la plupart d'entre elles sont des musulmans. En outre, les Frères musulmans ont souvent et ouvertement affirmé que leur mission consistait à rétablir la foi Khali, à régner sur l'ensemble des musulmans et à donner une leçon d'humilité au monde occidental. Il s'agit de leurs croyances, et ils œuvrent en vue de les concrétiser.

L'idéologie existe. Elle est bien définie. Les personnes qui la propagent existent, et mènent leurs activités de prosélytisme au sein des communautés islamiques de toutes les régions du monde occidental. Cette organisation représente l'un des défis auxquels nous faisons face. Il s'agit d'une question d'immigration sur laquelle nous ne nous sommes pas penchés sérieusement, car nous n'aimons pas réfléchir sur les questions religieuses et fermons les yeux sur le degré de complexité qu'elles peuvent atteindre.

Notre société est fondée sur l'immigration. Si on nous donne suffisamment de temps, nous pouvons assimiler à peu près n'importe qui, et nous l'avons fait. Il s'agit de la première fois que nous nous trouvons en présence d'une organisation qui exerce une influence contraire directe pour tenter d'empêcher l'assimilation, et nous lui permettons de poursuivre ses activités au pays. Il s'agit là de la toile de fond idéologique.

Pour traduire son idéologie dans les faits, cette organisation utilise tous les moyens à sa disposition — les mosquées, les madrasas, Internet et les écoles. Nous constatons que certaines personnes deviennent des terroristes pour renforcer la perception qu'ils ont d'eux-mêmes — il s'agit pour elles d'une façon de s'exprimer. D'aucuns veulent pouvoir se considérer eux-mêmes comme des héros, et d'autres joignent les rangs d'une organisation terroriste parce qu'il leur semble qu'il s'agit de la bonne chose à faire.

On dit parfois que la pauvreté est la cause fondamentale du terrorisme. J'estime que, de façon générale, une personne se joint à une organisation terroriste pour des questions d'identité personnelle. Il s'agit d'un luxe pour quelqu'un dont tous les autres besoins ont été comblés.

Oui, les organisations recrutent des enfants troublés, des personnes au comportement dysfonctionnel, mais elles recrutent également des personnes n'ayant aucun problème fonctionnel, des personnes scolarisées et aisées dont tous les besoins sont comblés, à l'exception, là encore, du besoin de se donner une image héroïque d'elles-mêmes.

Si vous interrogez un groupe de 50 terroristes et leur demandez pourquoi ils sont devenus ce qu'ils sont, on vous fournira 50 raisons différentes.

Le sénateur Marshall : Cette situation rend les choses encore plus difficiles, et fait presque peur, car il est impossible de ranger les personnes dans des catégories. On dirait presque que les terroristes sont partout.

Les terroristes poursuivent assurément divers objectifs, mais a-t-on raison de croire que celui qui prime est la destruction du monde occidental? S'agit-il de leur objectif primordial?

M. Thompson : Après 25 années passées à réfléchir sur cette question, j'en suis arrivé à la conclusion que, pour un terroriste, ce qui compte davantage que tout, c'est le besoin de se convaincre lui-même qu'il est un héros, qu'il est important et qu'il est l'envoyé du destin. L'idéologie est une chose qu'il adopte par la suite et qui lui permet de donner expression à ses désirs. Il existe toujours une gauche radicale, une droite radicale et d'autres tendances radicales. À l'heure actuelle, l'islam est l'idéologie du pouvoir, celle qui semble la plus puissante et qui est défendue par tous ces groupes qui veulent changer le monde. Il faut prendre cela au pied de la lettre : ce que veulent ces groupes, c'est changer le monde, et ils travaillent en vue de réaliser cet objectif. Que cet objectif soit réaliste ou non n'entre pas en ligne de compte — pour eux, l'important, c'est d'essayer.

Les gens qui veulent se sentir importants et se considérer eux-mêmes comme des héros seront attirés par une idéologie qui leur permet de tenter de réaliser ces objectifs.

Le sénateur Marshall : Toutefois, il s'agit là d'une explication un peu courte, lorsque l'on songe aux répercussions qu'a le terrorisme partout dans le monde. À vous entendre, on dirait presque que les gens s'engagent dans la voie du terrorisme pour des raisons personnelles, et non pas, comme je le crois, pour des raisons qui les dépassent.

M. Thompson : À tous les égards, des raisons personnelles entrent en ligne de compte. Personne n'a à devenir un terroriste. Quiconque est devenu un terroriste a choisi, à un moment ou un autre, de devenir un terroriste.

Le président : Il y a peut-être d'autres membres du comité qui souhaitent faire des observations à propos de la question posée par le sénateur Marshall.

M. Littlewood : Nous en arrivons à un point où nous devons reconnaître que les stratégies peuvent varier d'un terroriste ou d'une organisation terroriste à l'autre. Certaines activités terroristes visent le maintien du statu quo, alors que d'autres ont des visées réactionnaires.

Au Canada, ce que nous savons du terrorisme, c'est que celui-ci vise généralement la mise en place d'une politique différente ou une modification de politique. Un tel objectif peut avoir une signification différente pour les divers membres d'un même groupe ou pour les personnes qui se reconnaissent dans le groupe ou ont des affinités avec lui. Pour certaines personnes, le retrait des troupes canadiennes de l'Afghanistan serait peut-être suffisant. Pour d'autres, le Canada doit cesser de soutenir les efforts des États-Unis. Ici, on commence à s'aventurer en terrain glissant : quelles sont les véritables motivations de telle ou telle personne, et à quel moment celle-ci risque-t-elle de basculer dans le terrorisme? Nous n'avons pas de modèle ou d'analyse à notre disposition pour répondre à ces questions.

Dans un pays démocratique et multiculturel, il faut être honnête. Nous n'avons rien contre les idées politiques radicales, même pas celles qui ont pour but de modifier pacifiquement le système sur une période plus ou moins longue et de se débarrasser du système actuel. De telles idées font partie du paysage politique.

Cependant, nous en avons contre les idées politiques radicales qui s'expriment par la violence. Ces idées doivent être combattues pour des raisons de sûreté et de sécurité nationales.

M. Thompson a raison. Chaque personne est différente. Si nous établissons le profil de 50 terroristes, nous obtiendrons 50 profils différents. Même si ces terroristes présentent des caractéristiques communes, celles-ci ne sont pas suffisantes pour nous permettre de porter un jugement à propos des autres membres de la communauté à laquelle ils appartiennent ou des membres des autres communautés qui les entourent.

Le président : L'histoire compte beaucoup d'autres organisations terroristes. L'IRA, l'Armée républicaine irlandaise, avait une aile terroriste, qui a été neutralisée dans une certaine mesure. En Palestine, avant 1948, à l'époque du protectorat britannique, l'Irgoun était considérée comme une organisation terroriste. Le Congrès national africain avait une aile armée considérée comme un groupe terroriste avec laquelle il a fallu composer pour créer la nouvelle Afrique du Sud démocratique. De toute évidence, le visage du terrorisme a changé. La nature des visées des terroristes ont changé. Je vous prie de réfléchir à cette dynamique au moment de répondre à la question du sénateur Marshall.

M. Wark : Je vais essayer de fournir des réponses. Tout d'abord, en réponse à la question du sénateur Marshall, de nombreuses études sur ce processus de radicalisation mettent l'accent non pas sur le phénomène en tant que problème, mais sur la manière dont la radicalisation donne lieu au terrorisme et à la violence politique. Toutes ces études se font ailleurs. Rien ne se fait au Canada — à ce que je sache — que ce soit par le gouvernement ou au sein de la communauté d'experts. Encore une fois, cette situation soulève la question des stratégies d'information du public.

Le président : Je veux m'assurer que j'ai bien compris ce que vous avez dit. À ce que vous sachiez, aucune étude sur les tendances actuelles en matière de radicalisation n'est en cours dans le pays, qu'il s'agisse d'études commandées par le gouvernement ou par toute autre organisation intéressée.

M. Wark : C'est exact. Je ne suis au courant d'aucune étude à ce sujet. La seule étude dont je sois au courant, c'en est une que le ministère de la Sécurité publique a commandée à une organisation du Royaume-Uni pour explorer la radicalisation au Canada. Je trouvais que c'était une étrange manière de procéder.

Nous avons beaucoup de ces études. J'aimerais attirer l'attention du comité sur une étude récente réalisée par un expert du terrorisme très respecté, Brian Jenkins. Il s'agit d'un document hors série de la RAND Corporation intitulé Would-Be Warriors : Incidents of Jihadist Terrorist Radicalization in the United States Since September 11, 2001. J'en remettrai un exemplaire à la greffière du comité au cas où ça vous intéresserait.

En ce qui concerne notre compréhension des visées des personnes qui passent de la radicalisation au terrorisme, il faut diviser ces visées en deux catégories. Tout d'abord, un terroriste peut mener une lutte révolutionnaire visant le renversement violent d'un régime particulier. Dans le contexte du jihadisme, cet objectif est souvent le renversement violent de l'un des nombreux États du Moyen-Orient qu'il considère comme un régime apostat. Ensuite, les terroristes peuvent avoir des visées plus panislamiques dans lesquelles ils cherchent à utiliser le terrorisme pour provoquer un changement plus large de la nature de l'umma musulman. Pour atteindre cet objectif, ils doivent cibler non pas un régime apostat, mais l'Occident.

Je crois que les visées peuvent être divisées en ces deux catégories. Cette division ne rend pas le processus ou l'état psychologique lié à ce processus plus faciles à comprendre. Toutefois, elle nous permet au moins de distinguer différentes menaces.

Le sénateur Segal a demandé ce qui a changé dans le terrorisme depuis le XXe siècle. Le terrorisme est véritablement un phénomène mondialisé. Il y a des organisations d'avant-garde comme Al-Qaïda qui ont adopté des visées et une idéologie terroristes transnationales. Auparavant, nous avions des groupes terroristes aux préoccupations locales et régionales qui croyaient que le terrorisme était le moyen le plus approprié de parvenir à leurs fins. Le phénomène mondial actuel, à tout le moins sous sa forme panislamique, est lié à des objectifs mondiaux. Sous sa forme révolutionnaire, les objectifs sont peut-être plus localisés. Cependant, il peut y avoir un va-et-vient entre les visées révolutionnaires et les visées panislamiques.

Dans un contexte canadien, nous devrions être alarmés de constater que nous ne réalisons pas nos propres études sur la radicalisation. Ces études ne doivent pas nécessairement être purement théoriques. Il y a des personnes qui peuvent explorer cette question en profondeur. Nous avons placé derrière les barreaux des terroristes qui étaient nés ici — Mohammad Momin Khawaja, les membres des 11 de Toronto et d'autres. Il incombe à l'État, directement ou indirectement, d'essayer de comprendre, à l'aide d'experts, comment ces personnes sont devenues qui elles sont dans un contexte canadien. Nous n'étudions pas cette question.

Le sénateur Smith : Vous avez parlé d'études sur les motivations des terroristes. Il est juste de dire que, si tous les kamikazes sont des terroristes, les terroristes ne sont pas tous des kamikazes. Les dirigeants d'un groupe ne sacrifient presque jamais leur vie. Les kamikazes semblent venir des classes moins instruites, plus pauvres et moins renseignées.

Les conclusions de certaines de ces études expliquent-elles pourquoi les kamikazes qui commettent des attentats- suicides, y compris ceux en Irak, sont motivés par la notion d'un passage direct au paradis et par l'idée de devenir un héros?

M. Wark : C'est une question intéressante.

Le sénateur Smith : On ne peut poser la question à ces kamikazes après coup.

M. Wark : Les Israéliens ont incarcéré et interrogé certains kamikazes qui avaient raté leur coup. Ils ont peut-être tiré des leçons de leur expérience. Les femmes qui commettent des attentats-suicides sont une préoccupation importante au Moyen-Orient et en Israël. Dans de nombreux cas, les femmes sont plus difficiles à détecter.

En réponse à votre question, les kamikazes sont, par leur nature, des exécutants plutôt que des dirigeants. Ils sont des éléments sacrifiables d'un régime terroriste, et on les prépare à jouer ce rôle. Toutefois, on ne doit pas sous-estimer les exécutants et les considérer comme de simples pions au sein d'un jeu plus large.

Par exemple, on peut donner l'exemple du médecin libanais que le service de sécurité du Liban croyait être un informateur travaillant pour lui et capable de les mener aux cercles internes d'Al-Qaïda. On l'a accueilli dans une station de la CIA dans l'est de l'Afghanistan, et il a tué sept agents de la CIA en se faisant exploser.

Ce type de personnes se distingue de celles qui commettent normalement des attentats-suicides à la bombe. Nous n'avons pas de profil pour les kamikazes qui commettent ce genre d'attentats. L'idée qu'une personne soit prête à commettre un tel acte nous horrifie.

Nous avons vécu ce genre de choses par le passé. Les attentats-suicides à la bombe ne sont pas chose nouvelle. Les Japonais ont utilisé ce genre d'attentats dans leur tactique durant la Seconde Guerre mondiale; en fait, le mot kamikaze est un mot japonais. Nous avons fini par comprendre pourquoi et comment ils commettaient de tels actes à mesure que nous avons compris le contexte dans lequel évoluait la société militarisée japonaise. Nous pouvons réussir à comprendre les attentats-suicides dans le cadre d'une tactique et en tant que stratégie. Nous ne serons peut-être pas capables de comprendre ces personnes qui sont prêtes à perdre la vie dans un attentat-suicide, mais nous pouvons néanmoins comprendre le phénomène.

Le sénateur Furey : Mes premières questions s'adressent à M. Thompson. Au sujet du contre-terrorisme, vous avez dit que le succès mène à la complaisance, que la complaisance entraîne une vulnérabilité et que nous devenons beaucoup trop complaisants. Qui représente ce « nous » — les particuliers, les organisations, les gouvernements ou toutes ces réponses?

M. Thompson : Je dirais la société canadienne et, dans une moindre mesure, le gouvernement canadien. Les personnes sur les premières lignes des efforts en matière de terrorisme ne sont pas complaisantes. Elles sont souvent nerveuses parce qu'elles sont au courant des attentats manqués de peu et des tentatives ratées dont le public n'est pas informé.

Le sénateur Furey : Cela s'applique-t-il à la GRC et au SCRS?

M. Thompson : Je ne peux pas parler au nom des commandants, mais les agents avez qui je parle commencent à être nerveux.

Le sénateur Furey : Vous avez également déclaré ceci : « Nous devons réinstaurer une méthode de partage de l'information rapide et efficace. » Je présume que vous parlez de la communication à l'échelle nationale et internationale, mais concentrons-nous sur la scène nationale.

La semaine dernière, on a posé une question à Monik Beauregard, directrice du Centre intégré d'évaluation des menaces. On s'interrogeait sur l'échange et le cheminement de renseignements entre le SCRS, le Centre intégré d'évaluation des menaces, la GRC et le ministère de la Défense nationale. Elle a répondu que l'échange de renseignements entre ces organismes est très satisfaisant. Êtes-vous d'accord avec elle?

M. Thompson : À de nombreux égards, la communication entre certains organismes est très satisfaisante. Dans d'autres cas, les communications se sont raréfiées au cours des dernières années. Tout de suite après le 11 septembre, nous avons commencé à mettre en place un système intégré de forces opérationnelles dans le cadre duquel nous avions des forces antiterroristes à l'échelle fédérale, provinciale et municipale, et même dans des lieux plus restreints. Par exemple, à l'aéroport international Pearson de Toronto, nous avions une force de lutte contre le terrorisme et le crime organisé qui comprenait des membres de divers organismes. Les services de police de Durham, de York, de Peel et de Toronto avaient des forces opérationnelles faisant partie de leurs cellules de renseignements. Elles pouvaient ainsi communiquer avec la section antiterroriste provinciale et la division ontarienne de l'EISN et même avec le gouvernement fédéral.

À ce niveau, beaucoup de renseignements étaient échangés dans les cinq années qui ont suivi le 11 septembre. Par exemple, le service de police de Toronto avait des agents de liaison qui communiquaient avec leurs homologues à Chicago et à New York. Il y avait un agent du service de police de Toronto aux services de police de New York et de Chicago, et l'information circulait de part et d'autre.

Ces agents ne sont plus là. Il n'est plus du tout aussi facile d'appeler quelqu'un et d'obtenir de l'information rapidement. Il faut maintenant passer par la filière habituelle. Une réponse que l'on pouvait obtenir en quelques heures à cette époque nous parvient maintenant trois ou quatre semaines plus tard.

La nature inhérente de la police est tribale. Dans ce milieu, on hésite à échanger ses renseignements. Traditionnellement, un service de police hésitera à communiquer ses sources à un service de police à proximité. Le système des forces opérationnelles a été mis en place de manière à éliminer cette réticence tribale à collaborer. Cela a fonctionné pendant un certain temps, mais les services de police ont repris leurs vieilles habitudes.

Il y a une plainte concernant le SCRS. Au tout début, il participait directement au système des forces opérationnelles et, encore une fois, il communiquait rapidement et de manière ouverte avec les agents assignés à une force opérationnelle particulière. Ces communications ne sont plus du tout aussi rapides qu'elles l'étaient. Il faut maintenant passer par la filière habituelle et composer avec des retards. C'est l'un des problèmes. Les voies de communication empiètent sur le temps de réaction, et le personnel doit consacrer plus de temps aux demandes d'information. Auparavant, il pouvait demander de l'information officieusement.

Le sénateur Furey : Je voudrais poser une autre question à M. Littlewood, mais, auparavant, y a-t-il d'autres témoins qui voudraient commenter l'échange de renseignements entre les organisations?

M. Wark : Sénateur Furey, j'aborde la question d'un point de vue légèrement différent de celui de mon très estimé collègue, M. Thompson. Tout d'abord, je ne suis pas au courant des détails relatifs au temps nécessaire à la communication de renseignements.

La filière habituelle est peut-être nécessaire. C'est peut-être une leçon que nous avons tirée de l'enquête Arar et de l'enquête Iacobucci. Si nous communiquons de l'information de nature délicate, qu'il s'agisse de renseignements de sécurité ou de toute autre forme d'information et que ce soit avec d'autres organismes à l'extérieur de nos frontières ou avec d'autres ordres de gouvernement ou d'autres services de police, nous devons faire attention à la nature de ces échanges pour protéger les droits et la vie privée des personnes concernées.

Cela ne veut pas dire que nous devons permettre à une bureaucratie démesurée d'engorger le système, et je ne suis pas certain — j'en ai aucune preuve — que ce soit la manière dont le système fonctionne actuellement. Cependant, à la suite du 11 septembre, je crois que nous avons appris, de manière appropriée, que nous devons nous préoccuper des répercussions possibles de l'échange d'information et y porter attention.

Selon mes propres sources limitées sur la question, il n'y a pas de preuve à l'appui d'une dégradation importante de l'échange de renseignements, en pratique ou en théorie. Je crois que l'idée qu'on se fait de ces pratiques ainsi que notre compréhension ont été renforcées; l'échange de renseignements entre les organismes canadiens et avec nos alliés est important.

Les vraies difficultés résident ailleurs : l'échange de renseignements avec des partenaires que nous ne connaissons pas, comme de nouveaux partenaires étrangers dans le domaine du renseignement; des organismes avec qui nous n'avons pas l'habitude d'échanger des renseignements et entre le gouvernement et le secteur privé. Cela est de plus en plus important pour la protection de nombreuses dimensions de la sécurité canadienne.

Prenons comme exemple les pratiques en matière de cybersécurité. Comment allons-nous assurer la cybersécurité au Canada? Ce n'est pas une chose que le gouvernement fédéral peut garantir par des mesures. La cybersécurité dépendra de partenariats avec le secteur privé. Si nous voulons être certains de contrer les menaces de manière appropriée, nous devons pouvoir échanger des renseignements avec le secteur privé.

Il s'agit d'un domaine fondamentalement nouveau, et je ne sais pas si nous l'abordons de la manière qui convient même si je sais que nous ne faisons pas intentionnellement un mauvais travail. C'est tout simplement un nouveau domaine.

La question de l'échange de renseignements avec des partenaires étrangers est un problème continu qui exige une grande attention de la part de nos politiciens, comme l'a laissé entendre le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité dans son dernier rapport annuel. Ces inspecteurs généraux ont également indiqué que nos politiciens doivent davantage porter attention à nos relations en matière d'échange de renseignements afin de s'assurer qu'elles sont appropriées.

La seule chose troublante que j'ai remarquée relativement à ce processus, c'est qu'on semble hésiter de moins en moins à laisser des personnes d'un échelon inférieur prendre des décisions importantes. Selon moi, ces décisions doivent être prises par les directeurs du SCRS, par des hauts fonctionnaires ou par le Cabinet lui-même.

Le sénateur Furey : Monsieur Littlewood, vous avez dit que les trois facteurs de motivation du terrorisme sont la vengeance, la renommée et la réaction. Vous avez probablement redéfini les trois matières de base de l'école du terrorisme. Dans quel ordre d'importance classeriez-vous ces trois facteurs?

M. Littlewood : Tout d'abord, je dois dire que ces trois facteurs ne sont pas de moi. Je les ai tirés du travail d'un autre universitaire. Ne m'attribuez pas cette nouvelle interprétation des trois matières de base.

Il est difficile de dire, avant les faits, que telle personne ou que tel groupe cherche la vengeance et que tel autre groupe cherche à se faire une renommée ou à provoquer une réaction. Nous ne pouvons peut-être arriver à expliquer les motivations d'un groupe qu'après qu'il a commis un attentat.

Cela ne veut pas dire que nous ne devons pas essayer de mieux comprendre les manières de penser des groupes ou des personnes qui sont une préoccupation pour la communauté.

Lorsqu'il y a eu des incidents dans la famille, qu'un cousin, un frère, une sœur ou un père a été tué, emprisonné ou maltraité, nous pouvons présumer que la vengeance joue un rôle pour la personne. S'il s'agit d'une personne malheureuse qui chercher à mériter l'estime des autres ou à renforcer son estime de soi, on peut supposer que la renommée entre en jeu. Si un théoricien ou un stratège politique est impliqué, nous pouvons déterminer qu'il s'agit d'un effort à long terme et que l'incident vise une réaction.

Personnellement, je suis d'avis que, en ce qui concerne le terrorisme, nous devons toujours essayer de cerner les objectifs politiques qui sous-tendent l'acte tout en reconnaissant que l'incident particulier est peut-être seulement l'un de plusieurs éléments d'une stratégie globale.

Je commence toujours par tenter de déterminer la réaction que vise le groupe. Dans un bon nombre des documents sur les stratégies terroristes, le groupe cherche à provoquer une réaction excessive de la part de l'État ou de la communauté. C'est comme ça qu'il s'assurera la solidarité du peuple parce que, à priori, la réaction excessive cible une communauté particulière. Cette réaction excessive cause l'aliénation de la communauté, ce qui donne de l'importance au groupe au sein de cette communauté qui a commis des actes violents et donne à la communauté envie de l'aider.

Je vous mets en garde contre le danger d'essayer de déterminer lequel de ces trois facteurs est le plus important. Il ne s'agit que de trois catégories génériques qui visent à ouvrir le dialogue et n'expliquent pas en elles-mêmes les complexités du terrorisme.

Le sénateur Tkachuk : Plus tôt, vous avez parlé de l'information du public avec le sénateur Jaffer. Que voulez-vous dire exactement par « information du public »? Quelles sont les deux choses que le public ne sait pas et au sujet desquelles il doit être informé?

M. Wark : J'ai utilisé ce terme pour parler de processus plutôt que du fond. Le fond peut être variable et peut évoluer au fil du temps, selon le contexte de sécurité nationale.

Lorsque je parle de la nécessité d'améliorer l'information du public, je fais allusion à deux choses. M. Littlewood a mentionné l'une de ces choses lorsqu'il a dit que la population canadienne mérite que le gouvernement du Canada lui communique des rapports réguliers sous une quelconque forme systémique — que ce soit directement ou par l'entremise du Parlement — afin qu'elle puisse être au courant des évaluations des menaces. Ce genre de rapports réguliers existe dans beaucoup d'autres pays. Aux États-Unis, au Royaume-Uni, aux Pays-Bas et dans d'autres pays, il s'agit d'un processus habituel parce que ces gouvernements comprennent qu'une population renseignée pourra reconnaître les menaces, appuiera les politiques et contribuera aux stratégies antiterroristes.

Comme je l'ai déjà dit, les gouvernements successifs, que ce soit les conservateurs ou les libéraux, ont failli à leur responsabilité de renseigner la population à cet égard. En 2004, il y a eu la déclaration sur la sécurité nationale. Il s'agissait peut-être d'une expérience utile, mais, depuis, elle dort sous la poussière.

Il n'y a aucune raison pour laquelle le gouvernement du Canada ne devrait pas renseigner les Canadiens directement, régulièrement et sur le fond, que ce soit par l'entremise du Parlement ou des deux voies de communication — je veux dire par là qu'une déclaration stratégique selon laquelle le gouvernement maîtrise la situation et la population ne doit pas s'inquiéter ne suffit pas. Les Canadiens doivent être informés des faits réels non seulement relatifs aux menaces internes à la sécurité canadienne, mais également concernant les menaces sur la scène internationale.

Ensuite, nous devons trouver un moyen de permettre aux jeunes d'étudier ce sujet de manière appropriée dans des établissements d'enseignement postsecondaire. Vous croyez peut-être qu'il s'agit d'une responsabilité qui incombe aux établissements d'enseignement postsecondaire eux-mêmes, mais ces établissements ont déjà de la difficulté à faire face aux nouveaux enjeux qui font surface. Ils n'ont pas fait grand-chose dans ce domaine au Canada après le 11 septembre. Nous avons besoin de mécanismes spécialement conçus et d'un coup de fouet du gouvernement pour garantir qu'il y aura une nouvelle génération d'universitaires et d'étudiants bien informés qui peuvent entreprendre des études dans ce domaine à l'avenir.

La demande existe; l'offre n'y est pas. Il s'agit de l'un des deux éléments clés que je considère comme une lacune dans la politique de sécurité nationale canadienne. Le gouvernement n'a pas pris d'initiatives pour renseigner la population, et les universités, elles non plus, n'ont rien fait à cet égard.

M. Thompson : Je suppose que nous pouvons évaluer l'un des aspects du niveau d'information du public grâce aux tribunes comme le courrier des lecteurs des journaux ou les émissions-débats dans lesquelles on répond aux appels téléphoniques du public. Je trouve que, généralement, le public bien renseigné est souvent au courant des enjeux.

Cela a pris un certain temps, mais ce public a fini par comprendre qui étaient les Tigres tamouls. Ça a pris un certain temps, mais il a finalement compris que l'attentat contre Air India était un problème canadien, et non un problème indien. Je pense que cela a pris environ 15 ans.

Encore une fois, c'est de ce public qu'il est question. Je ne peux pas dire que la population générale connaît beaucoup de choses sur le terrorisme, et il y a des attitudes qui se perpétuent. Je ressens beaucoup de frustration quand j'entends dire que tous les terroristes sont fous. Ils ne le sont pas. Il est évident que ce n'est pas le cas, mais cette opinion est toujours répandue parmi une grande partie de la population. Il y a également des gens qui croient que le terrorisme est le moyen employé par les pauvres ou les faibles pour se défendre contre les forts, ce qui est une autre idée fausse.

Comment devons-nous régler ce problème? Je suis du même avis que M. Wark. Nous devons organiser une campagne soutenue d'information dans les écoles. Dans les cours d'éducation civique et dans tous les autres cours, il faut intégrer une section sur le terrorisme et rappeler aux gens certaines des vérités fondamentales à son sujet.

M. Littlewood : Je crois que ce qui permet de comprendre la menace terroriste ou le manque de compréhension à son égard, en général, au sein de la société canadienne, c'est le discours sur toutes les questions de sécurité au sein du Canada, qui est déroutant pour un étranger comme moi qui est arrivé du Royaume-Uni il y a quatre ans. Pourquoi les questions de sécurité ne font-elles pas l'objet de plus de discussions à la Chambre des communes et au Sénat, ou dans l'ensemble de la société? Le Canada est une démocratie sûre, stable et sans risque.

Le sénateur Tkachuk : C'est à cause de nos voisins immédiats.

M. Littlewood : C'est peut-être vrai. Pour la plupart des Canadiens, il s'agit du problème de quelqu'un d'autre. Cette situation est peut-être justifiable et acceptable, mais, pour les responsables de la sécurité, les organismes législatifs et les décisionnaires, il faut reconnaître que ce n'est tout simplement pas le cas; il y a une zone grise qu'il faut prendre en considération. Pour informer la population, il faut lui faire prendre connaissance de la situation mondiale et des répercussions qu'elle a sur le Canada. Il s'agit de petits pas; il n'y a pas de solution qui fera disparaître le problème pour nous.

Le sénateur Tkachuk : Dans cet ordre d'idées, nous aimions les films de James Bond parce qu'il y avait toujours une conspiration internationale visant la destruction ou la conquête de la planète.

Le président : C'était l'une des choses que nous aimions.

Le sénateur Tkachuk : Oui. Nous entendions souvent parler des gens qui partaient en guerre et nous faisions des lectures sur les guerres entre les États, mais nous ne savions rien des guerres menées contre des organisations. Dans ce cas précis, l'organisation est une organisation terroriste internationale qui laisse beaucoup d'indices — autant d'indices qu'en a laissé Hitler dans Mein Kampf. Quiconque avait lu le livre aurait dû savoir ce qu'il allait faire. Ce n'aurait pas dû être surprenant. C'était si incroyable que personne ne croyait ce qui se passait.

Comment mène-t-on une guerre contre une organisation? Si elle avait pris possession de l'un de nos sous-marins et détruit le port d'Halifax, nous aurions su à qui nous avions affaire. Comment déclarons-nous la guerre à cette organisation et comment déployons-nous nos forces pour mener cette guerre?

M. Thompson : Si nous prenons le cas du mouvement jihadiste, parfois, nous avons affaire à des personnes qui sont les mandataires d'un gouvernement hostile. Par exemple, les Gardiens de la révolution islamique en Iran représentent l'Iran. Il y a des milices régionales; des organisations tribales; des personnes autonomes qui prennent connaissance de l'idéologie par Internet et décident d'y adhérer; et tout ce que l'on peut imaginer. Al-Qaïda n'est que l'une des composantes d'un mouvement beaucoup plus large. La seule chose que tous ces groupes et toutes ces personnes ont en commun est leur idéologie, et c'est ça qu'il faut combattre; mais les démocraties occidentales ont de la difficulté à mener un combat contre une idéologie particulière.

Si nous revenons 30 ans en arrière, l'idéologie qui nous posait le plus gros problème — et par rapport à nos problèmes actuels, ce n'était rien —, c'était la gauche radicale, et vous voyez comment nous avons réussi à la combattre. Nous n'avons même pas essayé, et ce n'était pas nécessaire.

L'idéologie qui sous-tend le mouvement jihadiste ne suit pas un fil conducteur unique. Nous ne pouvons pas commencer à lutter contre le mouvement sans d'abord nous engager à prendre des mesures ou à adopter des approches qui nous sont étrangères, que nous avons consciencieusement éliminées de notre psychologie — il s'agit de pratiques que nous évitons depuis longtemps.

Nous ne pratiquons plus de discrimination religieuse. Nous ne pouvons plus le faire. Que faisons-nous lorsque nous faisons face à une idéologie hostile fondée sur la religion? Nous avons appris à ne pas pourchasser les enseignants ni les institutions particulières et à laisser les gens pratiquer ce qu'ils veulent. Toutefois, maintenant, il y a des enseignants, des groupes communautaires et plein d'autres gens qui propagent l'idéologie en question. Comment combattons-nous l'idéologie?

C'est le problème que pose le terrorisme; il s'est toujours agi d'une situation de double contrainte. Dans ce cas particulier, il y a gros à perdre. Cependant, demeurons-nous une démocratie pour nous attaquer à chaque aspect de l'idéologie ou commençons-nous à penser aux circonstances particulières dans lesquelles nous pouvons combattre les points de transmission de l'idéologie?

Comment pratiquer la discrimination contre le Wahhabi Dawa et pas contre les autres aspects de l'islam? Je ne sais pas où commencer. Nous avons besoin d'un débat plus large sur la question. Comment lutter contre les Khomeini?

Nous parlons d'Al-Qaïda, mais le groupe le plus dangereux sur l'échelle planétaire est le Hezbollah. C'est lui qui fait le plus d'argent, qui a le plus d'armes et qui est le plus discipliné. Nous ne nous rendons presque pas compte de sa présence parce qu'il est discret et parce que les agents idéologiques qui soutiennent le groupe sont méconnus. Le Jamaat-ud-Dawa pratique presque ouvertement. Quand avez-vous entendu parler de l'organisation de prêcheurs de Khomeini pour la dernière fois? Y en a-t-il une? Il semblerait qu'il y en ait une parce qu'elle recrute des gens et propage l'idéologie, mais nous ne savons pas comment elle le fait.

Le sénateur Jaffer : Par souci de clarification, le sénateur Smith vous a posé une question sur les 18 de Toronto. Je ne me souviens plus du nom de l'opération, mais il y a eu du scepticisme parce que 12 ou 14 autres personnes ont été arrêtées. Au bout du compte, pour la plupart de ces personnes, il n'était question que de problèmes d'immigration ou de visas expirés. Cette affaire n'a mené nulle part. Vous souvenez-vous des détails? Les gens n'ont pas vraiment su ce qui était arrivé.

M. Wark : Je me souviens de l'affaire, mais j'ai oublié le nom de code de l'opération. On a convenu du fait qu'il s'agissait d'une enquête bâclée qui avait été lancée de manière inappropriée par Citoyenneté et Immigration Canada. Au début, il ne s'agissait pas d'une affaire de sécurité, et la plupart des accusations ont dû être retirées parce que la situation avait été exagérée. Je crois que c'est l'opération Project Thread, et, même si j'ai oublié l'ordre précis des événements, elle a été menée quelques années avant les arrestations effectuées dans l'affaire initiale des 18 de Toronto. Peut-être les deux affaires ont-elles été reliées dans le souvenir de la population. Je n'en sais rien.

Le sénateur Jaffer : Pour la communauté, ça avait pas mal d'importance. C'est la raison pour laquelle certains de nous ont espéré que cette opération ne serait pas mal vue comme l'autre.

Mes questions porteront sur deux choses. Vous avez parlé de la Somalie. Nous examinons les menaces actuelles pour notre pays. Nous avons abordé la question de la Somalie. Pourriez-vous nous renseigner davantage sur la question et sur les choses dont nous devons prendre connaissance, particulièrement en ce qui concerne la menace interne? J'aimerais entendre parler de la Somalie.

M. Littlewood : Je dois être honnête et vous dire que je ne suis pas un expert sur la Somalie et sur le terrorisme somalien. Ce qu'il est peut-être important de souligner, c'est que, en partie, le cas de la Somalie reflète les problèmes au sein d'un État qui est ou qui a été exploité par des groupes externes qui font partie des menaces violentes. La défaillance de l'État en Somalie commence à avoir des répercussions négatives sur d'autres pays qui ont une population somalienne importante, comme le Canada et les États-Unis. Au cours des 18 derniers mois, nous avons dû faire face, à quelques reprises, à des personnes qui étaient allées en Somalie, probablement pour être formées par des groupes islamiques extrémistes ou pour participer aux activités de tels groupes. Dans la plupart des cas, ils retournent aux États-Unis pour commettre des actes terroristes liés à un objectif quelconque.

Compte tenu de l'existence d'une communauté somalienne au Canada, nous devons être au courant de cette situation. Les communautés somaliennes sont capables de voyager en Amérique du Nord. Nous devons donc être conscients de la situation, non seulement d'un point de vue national, mais également pour le bénéfice de nos relations et de notre alliance avec les États-Unis. Je ne connais pas, pour le moment, les détails précis du cas de la Somalie.

Le sénateur Jaffer : J'ai de la difficulté à déterminer si nos politiques étrangères encouragent les terroristes nés ici. Je vous demanderais à tous les trois de répondre et de parler de la Somalie.

M. Thompson : Comme vous l'avez peut-être remarqué, j'ai tendance à maintenir, pour expliquer le terrorisme, l'importance de la motivation émotionnelle et psychologique sous-jacente toujours présente, par opposition à la motivation politique.

Le Canada a vu d'autres peuples mener des guerres, et nous avons appris que le terrorisme est souvent lié à l'identité. Par exemple, un groupe de gens qui ont quitté leur pays d'origine, souvent dans des circonstances troublantes, sont venus au Canada pour commencer une nouvelle vie. Les enfants et les petits-enfants n'ont pas les mêmes racines que la génération précédente et ils cherchent à combler ce vide. Le problème, c'est qu'ils ne voient pas le pays d'origine pour ce qu'il est, mais ils sont prêts à entendre une autre histoire. Par exemple, les nationalistes féniens étaient les enfants de la génération qui avaient vécu la famine de la pomme de terre, en Irlande.

Les enfants des Tigres tamouls ne comprennent pas ce qui a véritablement eu lieu au Sri Lanka et ils sont beaucoup plus militants que leurs parents. Les parents sont arrivés ici au début des années 1990 dans des circonstances malheureuses, mais les jeunes n'ont pas vécu cette expérience. Certains d'entre eux ont l'impression qu'il leur manque une partie de leur identité et qu'il reste des choses à régler dans leur pays d'origine. Là où ce sentiment existe, il y aura toujours quelqu'un qui est prêt à l'exploiter. On a recruté des gens du Canada pour la milice somalienne, qui a précédé le groupe Al-Shabab actuel.

L'autre côté de la médaille, c'est que certains Canadiens d'origine somalienne, y compris certains de ceux qui sont arrivés au début des années 1990, retournent là-bas pour agir en tant qu'éléments stabilisants. Certains des combats que l'on croit opposer le gouvernement somalien et la cellule d'Al-Qaïda en Somalie opposaient en fait des Canadiens de positions divergentes. Selon moi, les Canadiens qui sont retournés en Somalie en vue de stabiliser le pays ne sont pas un problème important, contrairement à ceux qui gravitent autour des militants.

Notre problème avec la Somalie comporte diverses dimensions. Bien sûr, au sein de la communauté somalienne, il y a tous les ingrédients classiques qui favorisent la participation des jeunes au crime organisé. En Alberta et dans certaines parties des États-Unis, il y a de plus en plus de crime organisé au sein de ces communautés. Ce phénomène n'est pas nouveau, et, par le passé, il a touché des groupes venus d'autres pays, ce qui ajoute une autre dimension aux troubles au sein des communautés somaliennes. Le taux de meurtres est élevé parmi les Somaliens en Alberta, ce qui est lié au crime organisé.

M. Wark : J'aimerais rapidement faire un commentaire sur la situation de la Somalie et sur ses liens avec la politique canadienne ou occidentale. Les États-Unis ont récemment arrêté deux citoyens américains à la suite d'allégations selon lesquelles on les avait appréhendés tandis qu'ils se rendaient en Somalie pour commettre des actes terroristes. Aujourd'hui, dans le New York Times, il y avait quelques renseignements intéressants sur cette situation. Ce qui est intéressant, c'est que ces personnes et d'autres veulent participer aux combats en Somalie, en partie, parce qu'elles veulent combattre les forces américaines qui occupent illégitimement la Somalie, mais il n'y a pas de forces militaires américaines ni canadiennes en Somalie présentement.

Le commissaire de la GRC, William Elliott, de même que les autorités américaines, se disent préoccupés par le fait que le mouvement Al-Shabaab contribue clairement à l'instabilité et aux activités d'insurgés en Somalie. Le mouvement Al-Shabaab semble vouloir créer un groupe de combattants étrangers composé de membres de la communauté d'expatriés en Occident, et il effectue sciemment son recrutement aux États-Unis et au Canada. L'organisation a trouvé le moyen de faire cela en utilisant Internet et des sermons religieux, y compris des messages transmis par un ecclésiastique de Khomeini du nom d'Anwar al-Awlaki. Ce dernier encourage les gens à adhérer au mouvement de manière à contribuer à l'objectif panislamique qui consiste à faire obstacle à la présence et aux intérêts occidentaux en Somalie.

Ce qui est préoccupant, c'est cette contribution à l'instabilité en Somalie et le refoulement possible des jeunes Somaliens qui se rendent là-bas, combattent, sont témoins des turbulences et de l'effusion de sang, acquièrent des aptitudes paramilitaires et miliaires, reviennent au Canada encore plus radicalisés et peuvent utiliser ces aptitudes au Canada ou aux États-Unis. Cette suite d'événements est une préoccupation.

Le sénateur Joyal : Monsieur Wark, dans votre exposé, vous avez mentionné qu'il y a deux problèmes déjà anciens. Le premier, c'est la trop grande importance accordée à la collecte de renseignements, et le peu d'évaluation qui pourrait mener à un plan stratégique d'intervention.

Pouvez-vous être plus précis? Il s'agit d'un jugement assez large sur le travail du SCRS et des autres organismes canadiens.

M. Wark : Je vais faire de mon mieux. C'est une question intéressante, et vous m'avez mis dans une position qui ne me permettra peut-être pas de répondre de manière appropriée.

Les organismes de renseignement et le milieu de l'orientation stratégique ont toujours eu ce problème. Les services de renseignement ont tendance à consacrer trop d'argent à la collecte de renseignements au lieu de déployer leurs efforts pour évaluer l'importance de cette information et garantir qu'il y a des systèmes en place pour la communiquer aux décisionnaires et leur donner l'occasion d'y réfléchir.

Ce problème ne touche pas seulement le Canada; il est présent dans de nombreux services de renseignement. Nous consacrons beaucoup de ressources à la collecte de renseignements et, en partie, nous sommes obligés de le faire parce que nous sommes tenus, de plus en plus, d'investir dans des systèmes de haute technologie pour la collecte de renseignements, qu'il s'agisse d'espionnage électronique sur Internet, de l'interception et de la surveillance de renseignements électromagnétiques ou d'autres formes de surveillance. Ces systèmes sont de plus en plus complexes et produisent des quantités de plus en plus importantes d'information.

Logiquement, peu importe la quantité d'information que l'on collecte, si l'on n'a pas la capacité de comprendre la signification de cette information, on génère de plus en plus de données sans les comprendre de manière adéquate.

J'expliquerai quelle forme prend ce problème au Canada, même si je ne peux pas fournir de détails puisqu'une grande partie de cette information est protégée par la confidentialité en matière de sécurité nationale. Depuis le 11 septembre, je crois que nous avons compris que nous ne sommes pas assez forts en analyse de renseignements, et le SCRS a essayé de renforcer ses capacités. De nombreux autres organismes se sont soudainement mis à faire de l'analyse de renseignements, dont Transports Canada, pour n'en nommer qu'un seul. Le ministère de la Défense a multiplié les ressources affectées à sa direction du renseignement pour l'analyse, tout comme l'ont fait le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international et plusieurs autres. Tout le monde a adopté la logique selon laquelle il fallait des ressources plus nombreuses et plus efficaces, si l'on veut. Toutefois, ce processus s'est fait au coup par coup. Nous avons créé diverses unités analytiques pour couvrir le large éventail des activités du gouvernement, et ces unités n'étaient pas toujours en lien les unes avec les autres. À mesure que nous avons créé ces unités, nous avons dilué le bassin de véritables talents analytiques, dont le développement et la croissance avaient été longs. Nous n'avions pas compris ce qu'il fallait faire. Nous avions peut-être compris que de meilleures analyses étaient nécessaires, mais notre réaction ponctuelle à ce phénomène a été insuffisante.

Le Centre intégré d'évaluation des menaces est un phénomène intéressant, mais il s'agit d'une expérience qui pose de nombreux problèmes. Nous pourrons peut-être en discuter une autre fois.

Je vais essayer de répondre à votre question en disant qu'il s'agit d'un problème de longue date. Nous avons commencé à l'aborder, mais je ne pense pas que nous avons trouvé la solution. Nous avons permis la création, dans le système canadien, d'un trop grand nombre d'unités analytiques à divers degrés d'administration étatique sans investir dans une unité analytique centrale solide du type dont nous avons besoin, c'est-à-dire un véritable centre de fusion. C'est ce que le CIEM devait être. Cependant, il n'a pas la capacité de remplir cette fonction.

Le sénateur Joyal : Vous avez dit que le processus décisionnel d'élaboration des politiques ne tient pas compte de la nature de la menace et ne l'intègre pas dans sa capacité décisionnelle. Pouvez-vous nous donner plus de précisions à ce sujet?

Nous avons soulevé ce point devant les représentants de la GRC, du SCRS et du MDN la semaine dernière. Selon la réponse que nous avons reçue, le verre était soit à moitié plein soit à moitié vide. Autrement dit, on n'était pas entièrement convaincu que le système de gouvernement était organisé de manière à être suffisamment intégré pour être efficace dans chaque ministère de même qu'au centre.

M. Wark : Encore une fois, j'essaie aveuglément de me faire un aperçu du problème, d'une certaine manière, et, je le répète, les questions de confidentialité liées à la sécurité nationale sont un obstacle. Tout observateur extérieur aura de la difficulté à répondre honnêtement à votre question, tandis que tout observateur intérieur hésitera à le faire dans une tribune ouverte.

Selon moi, la difficulté à laquelle nous faisons face relève du fait qu'il n'est pas dans les habitudes d'un bon nombre de ministères du gouvernement d'intégrer pleinement les renseignements secrets, l'analyse et les produits de ces renseignements dans la prise de décisions. Traditionnellement, on n'intègre pas ces choses au niveau supérieur, c'est-à- dire au Cabinet. Je crois que cela reflète ce que les gens disent souvent être l'absence d'une culture du renseignement au Canada, quel que soit le sens qu'on veuille attribuer à cette affirmation. Il est incontestable que nous n'avons pas cette culture du renseignement, mais les raisons pour cela sont complexes. Nous évoluons lentement dans ce sens, mais cette évolution a été précipitée par les événements du 11 septembre.

Pour donner succinctement une indication de notre compréhension du problème et de notre incapacité de le régler entièrement, nous pouvons nous demander qui, parmi les plus hauts dirigeants, porte constamment attention aux renseignements de sécurité. Au Canada, le premier ministre n'a toujours pas de service régulier de renseignement de haut niveau pouvant ressembler au comité conjoint du renseignement au Royaume-Uni. Le président des États-Unis reçoit quotidiennement une séance d'information sur les renseignements de sécurité. Nous n'avons jamais eu cela ni cru que c'était nécessaire. Je pense que c'est nécessaire maintenant, mais ça n'existe toujours pas.

Nous avons créé un comité du Cabinet de niveau supérieur pour examiner régulièrement les questions de renseignement de sécurité, et John Manley en a été le président pendant un certain temps. Nous avons eu un comité de la sécurité publique. Au cours des dernières années, après 2006, nous avons élargi le mandat du comité du Cabinet, lequel se penche maintenant sur la sécurité publique et les affaires étrangères.

À mon avis, le fait que nous croyions qu'un seul comité du Cabinet est suffisant pour examiner ces deux domaines complexes et différents, quoique reliés, indique que nous n'avons pas encore saisi toute l'importance d'utiliser le renseignement de sécurité dans l'élaboration des politiques sur les questions de sécurité dans leur ensemble.

Le sénateur Furey : Monsieur Thompson, vous avez mentionné le commentaire de M. Fadden sur la cabale involontaire qui existe. Vous avez dit que certaines personnes contribuent consciemment à cette cabale tandis que d'autres y contribuent inconsciemment. Nous savons que M. Wark a nié l'existence de ce phénomène à plusieurs reprises.

Pourquoi croyez-vous à ce concept? Est-ce que c'est parce que vous croyez que les membres des groupes dont il a parlé, c'est-à-dire « les ONG à but unique, les journalistes qui défendent les présumés terroristes et les avocats », accordent trop d'importance aux droits individuels par rapport à la sécurité, ou avez-vous d'autres raisons?

M. Thompson : Au fil des ans, j'ai appris que les réflexions politiques de la plupart des gens sont souvent inconscientes. Il y a des gens qui sont considérés comme étant de la gauche progressiste et qui s'opposent donc à tout ce qui semble être conservateur ou réactionnaire. Il y a des gens qui, instinctivement, n'apprécient pas la défense ni les services de police. Il y a des gens qui croient sincèrement qu'il s'agit de violations des droits de la personne auxquelles on doit mettre fin. D'autres gens utilisent les violations des droits de la personne pour masquer leurs propres croyances, parfois inconsciemment. De plus, il y a, encore une fois les organisations de front des divers groupes islamiques qui travaillent en vue d'invalider nos services de police et notre appareil de sécurité chaque fois qu'elles en ont l'occasion.

Le sénateur Furey : Êtes-vous prêt à souscrire à l'idée d'une cabale involontaire?

M. Thompson : Une cabale involontaire; encore une fois, j'ai dit que je croyais que les cabales volontaires étaient très rares.

Le sénateur Furey : Vous avez fait une distinction entre ceux qui contribuent consciemment et ceux qui contribuent inconsciemment à ce phénomène.

Le président : Monsieur Wark, j'aimerais vous parler de votre position selon laquelle, si je vous ai bien compris, nous avons besoin d'un rapport public annuel sur les menaces à la sécurité nationale, comme il en existe dans d'autres démocraties comme la nôtre.

Si je me fie à deux ou trois des commentaires que vous avez faits, j'en conclus que, comme nous n'avons pas de culture du renseignement, les gouvernements formés par divers partis au fil des ans n'ont pas été enclins à adopter cette orientation.

Mis à part le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité, nous n'avons également pas de surveillance parlementaire structurée des activités de sécurité menées par la Gendarmerie royale du Canada ou par le ministère de la Défense et de la Sécurité. J'imagine que les distingués représentants qui ont comparu devant nous la semaine dernière et qui ont fait un excellent travail avaient des autorisations de sécurité beaucoup plus élevées que n'importe quel membre du comité sénatorial, et cela est justifié.

Si un rapport de ce genre existait, je présume que vous croyez qu'on en débattrait au Parlement, qu'on tiendrait des audiences à son sujet et qu'il permettrait de renseigner le public.

Quels sont les éléments, par catégorie, que vous et vos collègues ici présents aimeriez voir inclus dans ce type de rapport?

M. Wark : Merci de me donner l'occasion d'essayer de décrire ce rapport. Ce type de rapport pourrait se fonder, par exemple, sur le modèle des déclarations américaines sur les stratégies en matière de sécurité nationale — il s'agit de documents de fond, dont la plus récente version a été diffusée la semaine dernière par l'administration Obama — ou peut-être qu'il pourrait s'agir d'un document plus pointu comme les évaluations annuelles de la menace que le directeur du renseignement national aux États-Unis doit fournir au Congrès.

Nous voyons une combinaison de choses dans ces types de documents, lesquels prennent d'autres formes dans d'autres pays, par exemple, la stratégie de sécurité du Royaume-Uni, et d'autres déclarations aux Pays-Bas, en France et dans d'autres États. Ces documents rendent compte de la nature du contexte de la sécurité internationale et des types de menaces qui sont présentes au XXIe siècle, lesquelles sont, bien sûr, complexes. Elles peuvent comprendre les menaces posées par des nations-États et des acteurs non étatiques, de même que des menaces posées par des forces qui ne dépendent pas des humains, comme la dégradation de l'environnement et les catastrophes naturelles. Un portrait du contexte de la sécurité internationale et des répercussions qu'il peut avoir sur les intérêts canadiens dans le domaine serait une composante clé de ce document.

Les interventions stratégiques canadiennes y seraient également expliquées. Comment le gouvernement du Canada, à l'échelle fédérale, où il a la compétence principale, mobilise-t-il ses ressources et dépense-t-il l'argent des contribuables pour tenter de réagir à ces menaces actuelles et futures? Un tel rapport annuel sera d'autant plus utile si on s'assure qu'il ne s'agit pas tout simplement d'un aperçu ponctuel de la situation durant une année particulière. Il devra comprendre un regard sur le passé et des prévisions, et aborder les tendances parce que ces dernières sont une partie importante de ce type de communication. Il pourrait s'agir d'un document produit directement par le gouvernement, peut-être par le conseiller en matière de sécurité nationale au Parlement, ou d'un rapport préparé pour un comité parlementaire. Les possibilités sont nombreuses.

Cependant, comme vous l'avez dit, cela nous rappelle l'absence d'un comité parlementaire qui se pencherait sur les questions liées à la sécurité et au renseignement. Par le passé, on a suggéré la création d'un tel comité, ce qui, à une certaine époque, avait recueilli le consensus de tous les partis. Le projet de loi est mort au Feuilleton en 2006, si je m'en souviens bien. Les outils que nous avons créés en tant que remplacement, par exemple, les versions publiques du rapport du Comité de surveillance des activités de renseignements de sécurité et le certificat de l'Inspecteur général, sont des documents si épurés que, du point de vue d'une personne qui les lit depuis de nombreuses années, ils ont peu de valeur en tant qu'outils informatifs.

Je vais donc mentionner avec deux choses, en conclusion. Nous avons besoin de ce genre de rapport annuel de fond de la part du gouvernement, par l'entremise du Parlement. Nous avons besoin d'un comité parlementaire bénéficiant d'une autorisation de sécurité lui permettant d'évaluer, de critiquer et de juger de manière éclairée la nature de ces rapports, et nous devons communiquer ce document aux médias, à la communauté renseignée et aux Canadiens afin qu'ils l'interprètent comme bon leur semble.

M. Thompson : La seule chose que j'aimerais ajouter, c'est que, dans ce document, on doit être franc, honnête et clair. L'ancien document américain sur les modèles de terrorisme global, qui était diffusé à la population générale, ce qui veut dire les médias, a été le document de référence pour les médias et les discussions publiques sur le terrorisme pendant de nombreuses années. Nous pourrions produire quelque chose de semblable, surtout pour aborder les questions d'ordre national.

L'autre chose que je voulais souligner, c'est que, bien sûr, les déclarations publiques du CSARS étaient de véritables modèles de concision, ce qui veut dire que leur publication était essentiellement inutile : il n'y a rien à signaler; tout va bien; citoyens, reprenez le cours normal de votre vie.

Si nous voulons un débat fondé sur des faits, il nous faut des faits.

M. Littlewood : Je suis d'accord avec mes collègues. Je suggérerais un rapport annuel, peut-être produit par le conseiller en matière de sécurité nationale, quelle que soit la manière que l'on décide de le communiquer au Parlement ou au Cabinet. Ce document serait public, ce qui nous permettrait, au fil du temps — ça ne serait pas quelque chose d'instantané — d'examiner les diverses tendances qui influent sur la sécurité. Ainsi, à tout le moins, des gens comme M. Wark et moi serons mieux outillés pour répondre aux gens qui se laissent impressionner par les titres des journaux du jour. Si les gens peuvent déceler des tendances, ils ne se préoccuperont pas des titres des journaux. C'est ça, la clé. Nous voulons donner un aperçu au fil du temps.

Le sénateur Smith : Dans quelle mesure êtes-vous confiant devoir le gouvernement au pouvoir publier un rapport empreint de franchise et d'honnêteté comme ce que vous avez décrit?

Le président : Ou, par souci d'impartialité, n'importe quel gouvernement.

Le sénateur Smith : N'importe quel gouvernement.

M. Thompson : L'espérance est un puits sans fond.

Le sénateur Smith : C'est une bonne réponse.

Le sénateur Joyal : À titre d'information, monsieur le président, j'aimerais aviser les membres du comité et nos témoins du fait que c'était l'une de nos premières recommandations, il y a longtemps. Le gouvernement a failli accepter l'établissement d'un comité permanent. Il y a eu des élections, et les électeurs canadiens en ont décidé autrement. Je crois que pour vous, messieurs, et pour nous en tant que sénateurs, nous devons revenir sur cette recommandation, d'abord et avant tout.

Le président : Je suis tout à fait d'accord sur cette proposition. Sur ce, je vous remercie, monsieur Littlewood et monsieur Wark, au nom du comité et au nom du Sénat. Monsieur Thompson, vous avez été ouvert et généreux de votre temps. En tant qu'experts, vous nous avez énormément aidés. Nous vous remercions beaucoup du travail que vous continuez de faire dans ce domaine.

(La séance est levée.)


Haut de page