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Délibérations du comité sénatorial spécial sur
l'Antiterrorisme

Fascicule 9 - Témoignages du 22 novembre 2010


OTTAWA, le lundi 22 novembre 2010

Le Comité sénatorial spécial sur l'antiterrorisme se réunit aujourd'hui, à 13 heures, pour examiner des questions relatives à l'antiterrorisme.

Le sénateur Hugh Segal (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Honorables sénateurs, il s'agit de la dixième séance du Comité sénatorial spécial sur l'antiterrorisme de la troisième session de la 40e législature.

En attendant que la Chambre des communes nous soumette un projet de loi, nous poursuivons notre enquête sur l'évolution de la menace terroriste au Canada. Aujourd'hui, nous allons discuter par vidéoconférence avec deux spécialistes de l'antiterrorisme du Royaume-Uni.

J'ai eu le privilège de rencontrer ces deux universitaires de premier plan l'été dernier dans le cadre d'activités du Commonwealth, et j'ai pensé qu'ils pourraient apporter une contribution importante à notre étude. Je suis très heureux qu'ils aient pu se libérer aujourd'hui pour participer à la séance par téléconférence depuis Londres. Permettez-moi de vous présenter nos deux invités.

Tobias Feakin est le directeur du Département de sécurité nationale et de résilience au Royal United Services Institute (RUSI) for Defence and Security Studies. Il y a notamment pour mandat de développer une équipe de recherche sur des questions telles que la radicalisation, le terrorisme, les politiques et les technologies de contre- terrorisme, la résilience, l'infrastructure nationale essentielle et les répercussions des changements climatiques sur la sécurité.

Il a présenté des exposés au Joint Services Command and Staff College, au Collège de la défense de l'OTAN à Rome, de même qu'à une multitude de conférences et de tables rondes internationales. Il a été vu sur des réseaux télévisés tels que BBC, Channel 4, NBC, Al-Jazeera et Sky News et a été fréquemment cité par les journaux du monde entier.

Le professeur Andrew Silke est titulaire d'une chaire de criminologie à l'Université d'East London où il est également expert sur le terrain en criminologie et directeur du programme en études sur le terrorisme. Il possède une formation en psychologie judiciaire et en criminologie et a travaillé tant à l'université qu'au gouvernement.

Le professeur Silke a publié de nombreux écrits sur le terrorisme, les conflits, le crime et le maintien de l'ordre dans des revues et des livres, ainsi que dans la presse populaire. Il a publié plus de cent articles et communications sur ces sujets et a été invité à de nombreuses reprises à s'exprimer dans des conférences ou dans des universités aux quatre coins du monde.

Messieurs, merci de vous être libérés et de nous permettre de profiter de votre expertise. Ça fait plaisir de vous revoir, de constater que vous avez survécu aux aléas des derniers mois et que vous semblez être en grande forme. Merci d'être ici.

D'après ce que je sais, vous avez des déclarations préliminaires à présenter. Je vais commencer par M. Feakin, puis céder la parole à mes collègues qui pourront vous poser des questions. Il y a ici des sénateurs de la Saskatchewan, du Manitoba, de l'Ontario, de Terre-Neuve-et-Labrador et de la Colombie-Britannique. Monsieur Feakin, vous avez la parole.

Tobias Feakin, directeur, Département de sécurité nationale et de résilience, Royal United Services Institute : Merci de m'avoir invité à vous présenter aujourd'hui quelques-unes de mes réflexions au sujet de la menace terroriste à laquelle fait face le Royaume-Uni et de ses réactions. Je vais essayer de faire en sorte que mon exposé soit bref de façon que nous puissions passer à la période de questions.

La menace terroriste n'est évidemment pas une chose nouvelle pour le Royaume-Uni, qui a passé une bonne part de la deuxième partie du XXe siècle à composer avec le terrorisme en provenance de l'Irlande. Cette menace était très complexe sur le plan de ses origines et des méthodes utilisées pour la contrer, mais des objectifs politiques et un mode opératoire clairs étaient visés, ce qui signifiait que les terroristes qui procédaient aux attaques tenaient à leur vie.

Les attentats à la bombe survenus à Londres en 2005 ont changé les règles du jeu pour nous, au Royaume-Uni, pour deux raisons principales : premièrement, le concept d'attentat-suicide se concrétisait dans les rues de Londres pour la première fois en Grande-Bretagne, ce qui était tout à fait incompréhensible quelque temps auparavant seulement, et, deuxièmement, les personnes qui ont mené les attaques étaient nées et avaient vécu au Royaume-Uni.

Malgré la résurgence de la vague menace républicaine irlandaise que nous découvrons depuis quelques mois, et qui est préoccupante en raison de la nature changeante de cette menace, si nous jetons un coup d'œil sur la stratégie nationale en matière de sécurité du Royaume-Uni, publiée au cours des dernières semaines, la principale menace terroriste qui plane sur le Royaume-Uni demeure celle d'Al-Qaïda et des groupes affiliés, c'est-à-dire les groupes inspirés par Al-Qaïda et par son idéologie.

'aimerais passer en revue la menace à laquelle fait face le Royaume-Uni et la conceptualiser dans une certaine mesure. Je l'imagine comme un oignon, une série de couches concentriques, le noyau d'Al-Qaïda étant au centre, encore formé d'un petit nombre de personnes entretenant des liens étroits, résidant dans les régions tribales du Waziristan et offrant inspiration, formation et planification en vue d'attaques éventuelles au Royaume-Uni. D'après les témoignages entendus dans le cadre des procès de terroristes au Royaume-Uni, des liens avec le noyau d'Al-Qaïda et avec les régions tribales du Waziristan, fondés sur la formation, l'influence et la planification d'attaques, existent encore dans cette région. Il s'agit encore clairement d'un danger pour le Royaume-Uni.

La couche suivante autour de ce noyau peut être vue comme étant composée des groupes qui ne sont pas directement liés aux dirigeants au noyau d'Al-Qaïda, mais qui appuient les idées, la doctrine et les méthodes découlant de l'idéologie du noyau d'Al-Qaïda. Nous pouvons voir ces groupes comme étant des franchises d'Al-Qaïda, par exemple Al-Qaïda au Maghreb islamique et Al-Qaïda dans la péninsule d'Arabie.

Le fait que la Somalie et le Yémen soient de plus en plus souvent des endroits où l'on forme et l'on radicalise des personnes est évidemment, comme nous l'avons vu dans les médias, une source de préoccupation croissante au Royaume- Uni. Il est cependant important de noter que ce n'est pas tout à fait nouveau. C'est quelque chose qui se poursuit depuis un certain nombre d'années et qui date d'avant l'affaire Umar Farouk Abdulmutallab, à Noël l'an dernier. Vous pouvez consulter le discours prononcé par Jonathan Evans il y a deux ans, dans lequel il insistait déjà sur le danger que posaient ces régions en particulier selon lui.

L'influence croissante d'Anwar al-Awlaki au Yémen est évidemment troublante, surtout compte tenu de la célébrité nouvelle qu'il connaît grâce aux médias et de son utilisation brillante et créative de la langue anglaise dans la publication Inspire dans un but de radicalisation, ainsi que de son utilisation d'Internet.

La couche suivante de ces cercles concentriques, c'est la menace intérieure. Cette couche est celle qui a le plus préoccupé et choqué le public britannique au cours des cinq dernières années : des groupes de personnes qui font partie d'un réseau et qui sont nées au Royaume-Uni ou sont des citoyens britanniques qui mènent des attaques entraînant des pertes de vie massives contre d'autres citoyens britanniques.

Le cercle d'influence le plus éloigné du noyau d'Al-Qaïda est peut-être l'élément de l'activité terroriste le plus difficile à détecter et à combattre au Royaume-Uni, c'est-à-dire les personnes qui agissent indépendamment de tout réseau ou de toute structure. Ces gens acquièrent la capacité de fabriquer des engins explosifs ainsi qu'une connaissance de l'idéologie surtout au moyen d'Internet. Aux États-Unis comme au Royaume-Uni, il y a eu récemment un certain nombre d'incidents qui témoignent de l'accroissement du nombre de personnes qui agissent seules, mais qui sont fortement influencées par l'idéologie d'Al-Qaïda et les membres influents de ce groupe.

Quelle a été la réaction au Royaume-Uni? Cette réaction figure dans la stratégie de lutte contre le terrorisme intitulée CONTEST. J'ai remarqué que vous effectuez un examen des différents moyens législatifs pris pour combattre le terrorisme, y compris au Royaume-Uni, mais la stratégie britannique est fondée sur les quatre P : la prévention, la préparation, la protection et la poursuite.

Au cours des 10 dernières années, nous avons été témoins de changements importants dans les mécanismes de sécurité du Royaume-Uni et de la façon dont le gouvernement britannique a essayé de composer avec la menace qui plane ici. Tout d'abord, il y a eu le passage d'un mode réactif de maintien de l'ordre, à un mode préventif. Au Royaume-Uni, nous avons mis au point des stratégies de prévention.

Si nous revenons en arrière, en 2002-2003, nous n'étions pas tout à fait certains de la nature de la menace à laquelle faisait face le Royaume-Uni. À l'époque, les méthodes de renseignements étaient plutôt grossières, et elles consistaient souvent à défoncer des portes et à envahir des immeubles pour obtenir de l'information, plutôt que d'agir en fonction de renseignements obtenus avant ces raids.

Ça a permis de mieux comprendre la menace qui planait au Royaume-Uni, et surtout ce qui se passait à la mosquée de Finsbury Park dans le Nord de Londres, mais, par contre, ça a engendré un fort ressentiment envers les musulmans dans les collectivités, puisque les gens avaient l'impression que la police intervenait de façon beaucoup trop musclée sans obtenir de preuves au préalable.

La police avait commencé à avoir beaucoup plus recours aux opérations fondées sur le renseignement, surtout à la lumière de l'affaire Dear et Bowery en 2004, qui a été un événement marquant dans l'histoire de la police au Royaume- Uni, et aussi en lien de plus en plus étroit avec MI5, le service du renseignement britannique. La doctrine des mesures policières préventives a pu être appliquée par l'intermédiaire de l'adoption accrue de nouveaux moyens législatifs renforçant le pouvoir de la police d'agir ainsi.

L'autre aspect des changements que nous avons vus au Royaume-Uni, c'est l'expansion et la régionalisation des ressources policières et du renseignement consacrées à la lutte contre le terrorisme.

Le succès des mesures de prévention dépend de ces liens étroits entre le service du renseignement, MI5, et la police antiterroriste. La prévention a exigé un changement de culture, puisqu'il y avait auparavant beaucoup de méfiance entre les deux organisations et parfois une certaine réticence à échanger de l'information.

Toutefois, cette relation étroite a été rendue possible dans une large mesure par la décentralisation de l'initiative de police antiterroriste et aussi par la décentralisation du service de renseignements. Ces deux organisations ont maintenant une portée nationale, et leur coordination est assurée à l'échelle nationale par quatre centres de lutte contre le terrorisme au Royaume-Uni. Les deux organisations, mais surtout MI5, ont pris beaucoup d'expansion au cours des dix dernières années, ce qui leur a permis de devenir habiles à surveiller et à démanteler les complots pendant qu'ils se forment.

Ensuite, tout un lot de nouveaux textes législatifs portant sur la lutte contre le terrorisme ont été adoptés pour permettre à la police d'agir comme elle le fait. Le nombre d'activités de préparation d'attaques terroristes qui sont illégales est maintenant plus grand, ce qui permet d'arrêter les auteurs au bon moment, avant que les attaques n'aient lieu. Encore une fois, je crois que vous avez pu voir tous les textes législatifs qui ont été adoptés au Royaume-Uni. Cependant, ces mesures législatives ont engendré énormément de controverses au sein de la société britannique, surtout à l'égard des questions comme le pouvoir d'intercepter et de fouiller des gens, les ordonnances de contrôle et les périodes de détention sans accusations qui sont permises.

À l'heure actuelle, le gouvernement en place effectue un examen des mesures législatives. Beaucoup de segments de la population ont l'impression que notre démarche est trop musclée sur le plan des lois et que certaines de ces mesures législatives sont appliquées de façon inappropriée et dans les mauvais domaines. Les résultats de cet examen qui est en cours à l'heure actuelle seront publiés avant Noël.

Le quatrième aspect du changement, ce sont les tentatives de s'attaquer aux causes fondamentales du terrorisme dans le cadre du programme de prévention de l'extrémisme violent, c'est-à-dire le volet de prévention. Environ 60 millions de livres ont été investis dans le programme de prévention visant à s'attaquer aux causes fondamentales de la radicalisation et du terrorisme au Royaume-Uni.

La difficulté qui s'est posée dans le cadre de ce programme venait de la confusion à l'égard de ce que le programme visait dans les collectivités ciblées. La confusion découlait tout particulièrement d'une certaine méfiance liée à la question de savoir si les programmes financés relevaient du travail social ou de la sécurité. Beaucoup de gens dans les collectivités croyaient que les programmes étaient des mécanismes de renseignement et sont ainsi devenus beaucoup plus réticents à y participer.

Toutefois, il ne faut pas oublier que le travail effectué dans le cadre de ce programme pour tenter de comprendre ce qui mène à la radicalisation ainsi que l'excellent travail effectué dans le milieu universitaire ont permis une compréhension beaucoup plus fine de ce qui se passait exactement au Royaume-Uni et des processus par lesquels les gens étaient attirés vers l'activité terroriste.

Le dernier élément que je vais aborder concerne la responsabilité du gouvernement, la rapidité avec laquelle les gouvernements réagissent et les conséquences de cette réaction. Étant donné la menace terroriste qui plane au-dessus de nous à l'heure actuelle, toute tentative d'attaque importante donne lieu à une réaction du gouvernement, qui doit être vue comme un moyen de régler les problèmes de sécurité qui se posent et de combler toute lacune apparente dans ses mécanismes de protection du pays.

Si l'on combine cette réaction aux médias et communications instantanées dont nous disposons aujourd'hui, la conséquence est que toute attaque, qu'elle soit réussie ou non, reçoit de l'attention et fait l'objet des manchettes partout dans le monde, ce qui exige une réaction des gouvernements, qui doivent démontrer qu'ils peuvent agir de façon décisive pour protéger leur population.

Ainsi, dans une certaine mesure, le pouvoir est entre les mains des terroristes ou des aspirants terroristes, qui savent que, même leur tentative échoue, s'ils peuvent mettre en lumière les faiblesses du système de sécurité, que ce soit dans un aéroport ou un autre élément important des systèmes de transport, ils vont modifier les activités de la population.

Le terrorisme vise en soi à modifier nos activités quotidiennes et à y nuire et, idéalement, à nous faire craindre l'inimaginable et l'inconnu. L'exigence politique de montrer que nous réagissons aux tentatives d'attaques terroristes suppose que nous réagissons fréquemment aux événements et tentons de faire du rattrapage.

Il est important que nos réactions soient mesurées, pour nous permettre de devancer la tendance. Il est essentiel que les réactions ne profitent pas directement aux terroristes en nous forçant à apporter des changements à notre vie quotidienne et à abandonner des libertés que nous avons lutté si fort pour obtenir dans le passé.

Le président : Je vais maintenant céder la parole à M. Silke, et nous passerons ensuite à la période de questions.

Andrew Silke, directeur, Études sur le terrorisme, Université d'East London, à titre personnel : Merci de m'avoir invité à prendre la parole devant le comité aujourd'hui. Je suis d'accord avec une bonne partie de ce que mon collègue a dit, et je vais permettre que ma déclaration reprenne en partie ses commentaires. Je vais donc faire les miens rapidement.

Si quelqu'un avait dit il y a dix ans que la menace la plus importante à laquelle le Royaume-Uni ferait face pour ce qui est du terrorisme, ce serait les attentats-suicides commis par des extrémistes provenant du pays même, peu de gens auraient cru que ce serait vrai — peut-être même personne —, néanmoins, c'est exactement ce que nous avons vu se produire. Il y a eu plusieurs tentatives d'attentats-suicides au Royaume-Uni, dont certaines ont réussi. Cinquante-huit personnes ont été tuées, y compris cinq bombes humaines et un agent de police. Pour contrer cette menace, le gouvernement britannique a adopté un vaste éventail de mesures législatives et une nouvelle politique nationale complète de lutte contre le terrorisme et a aussi accru considérablement ses dépenses dans le domaine du contre-terrorisme.

Dans ma déclaration, je souhaite insister sur quelques points importants. Je pense que l'expérience des dix dernières années au Royaume-Uni appuie la vieille thèse selon laquelle il y a deux facteurs cruciaux dans la lutte contre le terrorisme. L'un d'eux est le renseignement. Nous devons gagner la guerre du renseignement; nous devons être en mesure de nous renseigner sur ce que l'ennemi fait et d'agir en fonction du renseignement recueilli. Le second facteur, c'est la lutte pour gagner les cœurs et les esprits. Nous devons pouvoir gagner les cœurs et les esprits de la collectivité dont les terroristes cherchent à obtenir le soutien. Il s'agit là de deux éléments clés.

Pour ce qui est de la lutte parmi les cœurs et les esprits au Royaume-Uni, c'est-à-dire de la stratégie CONTEST dont il a déjà été question, le volet PRÉVENIR est axé sur l'élément clé qui consiste à empêcher que les gens se radicalisent au départ et à miner le soutien et la sympathie à l'égard de l'extrémisme au sein des collectivités à risque.

Cet élément a aussi été l'un des éléments les plus controversés de la stratégie CONTEST pour toutes sortes de raisons. De façon générale, les investissements dans le contre-terrorisme au Royaume-Uni ont augmenté de façon considérable au cours des dix dernières années. Ils atteignaient environ un milliard de livres par année en 2000. L'an dernier, environ 2,5 milliards de livres ont été consacrées au contre-terrorisme, ce qui constitue une augmentation considérable. Au départ, l'objectif était de faire passer ce financement à 3,5 milliards de livres l'an prochain, mais le climat économique actuel a eu pour effet de réduire ce montant, quoique les sommes dépensées dans ce domaine soient plus ou moins réservées à cette fin.

Pour ce qui est du volet PRÉVENIR, mes chiffres sont un peu différents de ceux de mon collègue, mais nous pourrons en discuter plus tard. Cependant, d'après un rapport gouvernemental récent, environ 140 millions de livres ont été consacrées l'an dernier aux travaux liés à ce volet. Cette dépense représentait environ 5 p. 100 du budget global du contre-terrorisme, ce qui est assez modeste par rapport à la taille du budget total.

Je pense qu'il y a plusieurs raisons pour lesquelles le financement du volet PRÉVENIR est modeste comparativement à celui des autres domaines. L'une des raisons principales, c'est l'absence de données probantes. Pratiquement aucune évaluation du travail lié au volet PRÉVENIR n'a été effectuée, et la conséquence, c'est qu'on se pose des questions importantes au sujet de ce qui fonctionne et de ce qui ne fonctionne pas.

Puisque nous ne disposons d'aucune information sur les répercussions des différentes initiatives, il est difficile d'adopter des politiques axées sur des données probantes. Or, il est possible d'obtenir des preuves de certains types. Il y a eu plusieurs sondages d'opinion et enquêtes auprès des communautés musulmanes au Royaume-Uni, par exemple. Ces sondages d'opinion ont montré que les attitudes à l'égard du gouvernement semblent s'être améliorées dernièrement. En 2006, 66 p. 100 des répondants musulmans croyaient que les politiques et les méthodes policières du gouvernement britannique étaient antimusulmanes. Ce chiffre est maintenant passé à 33 p. 100, ce qui demeure une importante proportion de la population, mais qui semble refléter un changement d'attitude et d'opinions.

Ce changement semble correspondre à ce que nous constatons pour ce qui est des nouvelles recrues d'Al-Qaïda et de mouvements extrémistes connexes au Royaume-Uni, du nombre de complots et du nombre de déclarations de culpabilité; tout cela semble montrer une réduction du niveau de violence et d'activité, comparativement à ce que nous pouvions constater il y a quatre ans.

Une chose qui me frappe, et qui semble controversée pour certains, c'est que l'un des principes de base de beaucoup de mesures contre-terroristes visant Al-Qaïda et les groupes extrémistes liés à Al-Qaïda, c'est qu'il faut s'attaquer à l'idéologie. Il s'agit d'un enjeu fondamental de la lutte contre cette menace. J'ai remis en question ce principe de base dans une certaine mesure dans le cadre de mon travail. J'ai eu l'occasion d'interroger de nombreux prisonniers déclarés coupables d'infractions de terrorisme et emprisonnés au Royaume-Uni. Leur conception de l'idéologie, à tout le moins au moment où ils ont été recrutés et ont pris part à des actes de violence, était simpliste. Ces personnes n'étaient pas érudites ni très versées dans l'idéologie. Leur compréhension de la chose était superficielle et, dans certains cas, variable. Une approche fondée sur des messages ou une idéologie contraire n'aurait pas eu beaucoup d'effet sur ce genre de personne.

Il est clair que la politique étrangère joue un rôle. C'est l'une des leçons importantes à tirer de ce qui s'est passé au Royaume-Uni au cours des dix dernières années. Pendant une bonne partie de cette période, le gouvernement britannique a essayé de résister à l'idée que la politique étrangère avait un effet sur la radicalisation au pays. On a fini par admettre que oui, ça avait une incidence. L'intervention en Irak, en particulier, a été un facteur important de radicalisation. Une chose que nous avons constatée au Royaume-Uni, c'est que le déclin de la radicalisation a découlé du déclin de la participation du Royaume-Uni aux opérations en Irak. Ce ne sont pas toutes les politiques étrangères qui ont la même importance. Le conflit en Afghanistan, par exemple, ne semble pas avoir la même emprise et le même effet sur les communautés musulmanes du Royaume-Uni que l'intervention en Irak.

Une autre observation qui paraîtra peut-être surprenante, c'est que, depuis 2001, plus de 400 personnes ont été condamnées au Royaume-Uni pour activités terroristes liées à Al-Qaïda. Bon nombre de ces personnes se sont vu infliger des peines d'incarcération relativement courtes, et environ 300 d'entre elles ont déjà été libérées. La plupart de ces personnes circulent librement au Royaume-Uni. L'une des constatations qui ont été faites, c'est qu'il ne semble y avoir aucune preuve montrant qu'elles recommencent à se livrer à la violence et à l'extrémisme. Le taux de nouvelles condamnations ou de récidive de ces personnes est extrêmement faible. C'est quelque chose qui a surpris beaucoup de gens qui présumaient que, si une personne était radicalisée, qu'elle recourait surtout à la violence et qu'elle avait passé du temps en prison, elle serait encore dangereuse au moment de sa libération. Pour la plupart d'entre elles, nous constatons que la prison est une période de transition au cours de laquelle elle s'intéresse à d'autres enjeux et se désintéresse de la violence.

L'un des principaux défis qu'a dû relever le Royaume-Uni au cours des dix dernières années a été de trouver l'équilibre entre les différents objectifs de la stratégie de contre-terrorisme. Sa stratégie vise différents buts qui ne sont pas toujours compatibles. La pression en faveur de l'augmentation des pouvoirs policiers et des pouvoirs de détention, par exemple, a souvent nui aux efforts de prévention de la radicalisation et aux efforts visant à gagner les cœurs et les esprits. Nous continuons d'être aux prises avec ce problème aujourd'hui. D'autres défis importants que le Royaume- Uni doit relever, c'est que la nature de la menace n'est pas stable. L'extrémisme lié à Al-Qaïda demeure un problème grave, mais le Royaume-Uni a connu une importante résurgence de la violence dont les dissidents républicains irlandais sont à l'origine, ce dont témoignent les annonces faites par le Home Office et par différents organismes chargés d'assurer la sécurité. Ceux-ci commencent à réaffecter de plus en plus de ressources pour lutter contre cette menace. Ce qui serait révélateur, ce serait d'examiner à quel point la stratégie CONTEST en vigueur permettra de lutter contre les actes terroristes commis par les dissidents républicains irlandais. La plupart des éléments de la stratégie CONTEST sont conçus pour lutter précisément contre l'extrémisme lié à Al-Qaïda. Il est possible qu'ils ne fonctionnent pas aussi bien lorsque nous essaierons de lutter contre la menace que posent les dissidents républicains irlandais.

Le président : Merci à vous deux, messieurs. Nous avons une longue liste de sénateurs qui veulent poser des questions. Je cède la parole au sénateur Jaffer, de la Colombie-Britannique.

Le sénateur Jaffer : Merci beaucoup de vos deux exposés, que j'ai trouvés extrêmement intéressants. Avant de poser ma question, je veux que vous sachiez que j'ai la double citoyenneté. J'ai passé la majeure partie de ma jeunesse en Angleterre. Je crois que je connais certaines des communautés dont vous parlez. Une chose que, selon moi, vous avez mieux fait en Grande-Bretagne que nous, c'est d'empêcher les gens de devenir terroristes ou d'appuyer un mouvement extrémiste violent, comme l'indique le second de vos quatre volets dans le cadre de la stratégie CONTEST, c'est-à-dire PRÉVENIR. Je parle du dialogue que vous tenez, à partir du haut avec votre premier ministre et vers le bas avec les communautés pour le renseignement et pour gagner le cœur et l'esprit des gens. Je veux que vous nous éclairiez tous les deux. Lorsque vous parlez du volet PRÉVENIR, est-ce que vous essayez de gagner le cœur et l'esprit de la communauté musulmane?

M. Silke : Il y a deux ou trois enjeux différents. Le volet PRÉVENIR a, de façon générale, pris la forme d'un grand nombre de projets relativement petits et financés à l'échelon local. Ces projets portent sur toutes sortes de choses. Ils vont par exemple du fait de parler aux enfants dans les écoles pour leur présenter des idées sur l'extrémisme et la radicalisation et sur la façon de les reconnaître à des projets qui visent à travailler auprès des jeunes qui sont vulnérables, parfois en demandant à un ancien membre d'un mouvement radical de venir travailler avec eux, en passant par des initiatives visant à remettre en question l'idéologie extrémiste en présentant un point de vue contraire.

Beaucoup de petits projets comme ceux-ci ont bénéficié d'un financement de dizaines de millions de livres. Il est difficile de déterminer si le programme fonctionne. Nous avons constaté un déclin de la radicalisation au Royaume- Uni au cours des cinq dernières années. Les gens qui sont en faveur du volet PRÉVENIR diraient que ce déclin est le fruit du travail lié à ce volet. À mes yeux, les données probantes ne sont pas suffisantes pour l'affirmer avec certitude. Je jetterai un coup d'œil sur les politiques étrangères et sur d'autres choses et je dirais que ce sont ces choses qui jouent le rôle le plus important.

M. Feakin : Nous avons constaté, contrairement à ce que vous avez dit, sénateur Jaffer, qu'il y a parfois une différence entre ce qui est énoncé au centre, surtout pour ce qui est de dire ce à quoi les programmes doivent ressembler et ce qu'ils visent à accomplir, et ce qui s'est produit dans les régions où les programmes sont mis en œuvre. Il est souvent arrivé que le message fondamental du gouvernement n'ait pas été repris correctement à l'échelon local. En ce sens, les programmes ont parfois dérivé sur le plan de leurs objectifs. Le gouvernement britannique a peut-être connu passablement de succès pour ce qui est de gagner les cœurs et les esprits, mais on peut encore être critique de la démarche à beaucoup d'égards. Dans certaines régions, les gens ont l'impression qu'on consacre beaucoup d'argent au volet PRÉVENIR, mais qu'il n'y a peut- être pas suffisamment de stratégies et qu'il n'y a peut-être pas eu suffisamment de réflexion par rapport à la façon d'orienter le financement pour assurer, comme M. Silke l'a dit, une responsabilisation et une compréhension adéquates de ce qui a fonctionné et de ce qui n'a pas fonctionné. Nous avons examiné les travaux de recherche, et il semble que ça a été le cas dans certaines régions où le programme a été mis en œuvre. Il ne semblait pas y avoir de mécanismes de rétroaction permettant de comprendre dans quelle mesure le programme avait fonctionné. Les examens effectués étaient fondés sur une analyse hautement subjective.

Le sénateur Jaffer : Après le 11 septembre, le premier ministre britannique a discuté avec les dirigeants musulmans, ce qui lui a permis de continuer à gagner des cœurs et des esprits. Est-ce que ce groupe existe toujours? À quel point le dialogue avec les dirigeants de la communauté musulmane est-il efficace?

M. Feakin : Votre réflexion sur ce dialogue initial entre les dirigeants musulmans et le Royaume-Uni met en lumière l'une des erreurs que ce dernier a commises. Peut-être que d'autres peuvent profiter de la leçon. Les dirigeants musulmans ont été appelés par le gouvernement du pays à discuter des enjeux avec le premier ministre. En fait, beaucoup de communautés disent que ces gens ne les représentent pas, qu'ils ne savent même pas qui ils sont et que ce sont des dirigeants qui se sont nommés eux-mêmes. L'une des leçons que nous avons tirées, c'est qu'il faut examiner attentivement qui se déclare dirigeant et s'assurer qu'ils le sont vraiment avant de les faire participer au processus. Si l'ex-premier ministre Tony Blair avait à refaire tout ça, il serait peut-être plus prudent. C'était la bonne chose à faire, mais il faut peut-être mettre en place des freins et contrepoids pour s'assurer que les dirigeants à qui l'on s'adresse jouissent du respect des communautés qu'ils servent.

M. Silke : Je suis d'accord. Il y a un consensus général quant au fait que le volet PRÉVENIR est une bonne chose et qu'il est sensé et important dans le cadre de la stratégie de lutte contre le terrorisme de disposer d'un volet axé sur les cœurs et les esprits en particulier. Ce volet est assurément l'un des bons aspects de la stratégie CONTEST. Le problème, c'est de déterminer ce qui fonctionne.

L'autre chose dont il est question, c'est l'identité des personnes avec lesquelles nous travaillons. C'est quelque chose qui a suscité la controverse au Royaume-Uni. Certaines des personnes qui demandent du financement sont des personnes auxquelles on ne souhaite pas se mêler. Ils font partie du problème, pas de la solution. Il y a eu un processus d'apprentissage au cours des deux ou trois dernières années dans le cadre duquel les personnes qui ne convenaient pas ont été écartées, mais, malheureusement, elles ont reçu du financement. Cette question est à l'avant-plan de la stratégie de prévention, c'est-à-dire que nous devons travailler avec les bonnes personnes. Pour le gouvernement, au départ, il a été difficile d'en juger.

Le sénateur Smith : Ma question s'adresse à M. Feakin, mais j'aimerais entendre les commentaires de M. Silke aussi. Je suis intrigué par le fait que vous avez fait vos études doctorales à Bradford. Je connais bien la composition ethnique de Bradford. En proportion, cette ville a l'une des plus fortes concentrations de musulmans au Royaume-Uni.

Je suis curieux au sujet d'une chose liée aux commentaires du sénateur Jaffer concernant les éléments radicaux et au fait d'essayer d'encourager la présence d'éléments de déradicalisation. Je crois me rappeler que des gens de cette région recouraient à la violence. Du côté universitaire, lorsqu'on pense au médecin qui était en Écosse et s'est fait exploser, on se demande pourquoi une personne ayant une formation en médecine ferait une chose du genre.

Pouvez-vous prendre Bradford comme exemple? Peut-être que c'est une coïncidence que vous ayez étudié là-bas, je ne sais pas. Néanmoins, est-ce que la pensée radicale était très répandue dans le secteur de l'université? Comment les gens pensaient-ils? Comment qualifieriez-vous ce secteur par rapport au reste de la collectivité? Dites-nous ce que vous pensez au sujet du degré de réussite des initiatives qui ont été mises en place là-bas?

Nous avons entendu, par exemple, des gens de Mississauga, qui était le siège des activités des 18 de Toronto, ainsi que des groupes de la collectivité musulmane qui souhaitent obtenir de l'aide dans le cadre de leur programme de déradicalisation. Avez-vous des idées là-dessus, en utilisant la région de Bradford comme exemple?

M. Feakin : Je n'ai pas fréquenté l'Université de Bradford dans un but précis à cet égard. Il est cependant surprenant de constater à quel point cette question revient souvent dans les conversations. J'ai vécu là-bas pendant sept ans. C'est un bon sujet d'étude de cas permettant d'examiner les enjeux de façon concrète. À Bradford, une communauté qui est surtout pakistanaise et une communauté de travailleurs blancs vivent côte à côte, mais ne se mêlent volontairement pas. Lorsque je suis parti de Londres pour m'installer dans la région, j'ai été choqué de constater à quel point les deux clans sont divisés. L'université en tant que telle est située dans cette communauté qui compte surtout des Pakistanais, et j'ai côtoyé des femmes qui portaient une burka complète et j'ai connu une forme de l'islam que je n'avais pas connue à Londres.

Les problèmes auxquels on fait face à Bradford sont semblables à ceux que connaissent bon nombre de villes du Nord de l'Angleterre. Un certain nombre de leçons peuvent être tirées de cette expérience. Tout d'abord, il semble que les réseaux de police et de renseignements du Royaume-Uni étaient à ce point concentrés sur Londres qu'il n'y avait pas de compréhension de ce qui se passait et de la haine qui montait au sein des collectivités. J'ai pu constater moi-même le genre de haine qui montait entre les communautés de Blancs et de Pakistanais. Souvent, cette haine s'exprimait dans des batailles de gang. Il arrivait fréquemment que des gangs pakistanais, blancs et afro-antillais patrouillent dans le secteur. Les gangs pakistanais avec lesquels nous avons eu des contacts lorsque nous étions étudiants semblaient particulièrement violents.

Ces gens étaient désenchantés. Il y avait peu de possibilités d'emploi, et ils étaient déconnectés de leurs parents, ce qui correspondait aux préoccupations dont fait état la documentation universitaire au sujet de la radicalisation et de ce qui y mène. Quelques-uns des éléments qui mènent à la radicalisation étaient en jeu, dont l'absence de possibilités sur le plan économique et une déconnexion entre leurs valeurs et les concessions que leurs parents et leurs grands-parents avaient faites au gouvernement britannique parce qu'ils avaient vécu tant de haine et de racisme au cours de leur période d'établissement au Royaume-Uni.

Il y avait aussi un lien étrange entre les éléments de la pensée extrémiste islamique et la culture des gangs américains aussi. C'était un mélange étrange à voir.

Voilà donc un exemple. Comme vous l'avez dit, les personnes à l'origine du bombardement de Glasgow étaient très scolarisées et auraient pu profiter de toutes sortes d'occasions dans la vie. Des rapports de MI5 qui ont été diffusés à la suite de fuites et toutes sortes d'autres rapports existent qui soutiennent l'idée selon laquelle il n'y a pas qu'un seul processus de radicalisation. Cependant, beaucoup de leçons ont été tirées. Beaucoup d'émeutes motivées par le racisme avaient eu lieu au cours des 20 années précédentes. La décentralisation des capacités de contre-espionnage était en lien direct avec les bouleversements qui avaient lieu à de nombreux endroits dans le Centre et dans le Nord de l'Angleterre.

Le sénateur Smith : Croyez-vous que la différence idéologique est la racine du problème, ou est-ce que celui-ci a davantage trait à l'absence d'avenir économique? Certains cols bleus dépendent en permanence de l'aide sociale, et les changements apportés récemment par le budget de la Grande-Bretagne vont les toucher. Croyez-vous que ce soit davantage économique qu'idéologique?

M. Feakin : Je crois que ça a trait à des gens qui cherchent quelque chose. Ces gens cherchent quelque chose pour combler un vide, émotionnel ou autre. C'est lié à des gens qui cherchent une sorte d'explication ou une façon de s'exprimer. D'après ce que j'ai vu dans le cadre de mon travail, il s'agit souvent de gens qui se sentent perdus dans ce qu'ils font ou de gens qui ont un désir intellectuel authentique de comprendre et d'apprendre quelque chose qui dépasse ce qu'ils sont habituellement. Cette compréhension et cet apprentissage viennent souvent d'une personne intelligente et influente qui leur montre comment aborder la littérature et comment interpréter la littérature d'une certaine façon. Il y a des gens pour qui c'est l'absence de possibilités qui les a poussés à adopter une idéologie extrémiste, mais l'absence de possibilités n'est pas toujours la cause : les causes sont multiples. Je semble en revenir à l'idée qu'il s'agit de gens qui sont en quelque sorte perdus dans la vie, mais qui cherchent quelque chose que la vie ordinaire ne peut pas leur offrir.

M. Silke : Les données qui concernent les communautés musulmanes du Royaume-Uni nous apprennent que ce sont ces communautés qui ont le taux de chômage le plus élevé et le degré d'éducation le plus faible et qui vivent dans les quartiers les plus défavorisés. Néanmoins, nous savons que de nombreuses personnes qui se sont jointes à un mouvement extrémiste ne viennent pas des milieux les plus pauvres; il peut s'agir par exemple de médecins. Les médecins qui ont pris part aux attaques de Glasgow sont un bon exemple. Le rapport de MI5 souligne le fait que bon nombre d'entre eux sont issus de la classe moyenne.

Nous savons que le lien entre la pauvreté et la violence et la radicalisation n'est pas la réponse simple à la question. Il s'agit davantage d'un catalyseur que d'un élément fondamental qui transforme les gens. Lorsqu'on interroge ces gens, on constate qu'il y a beaucoup d'autres facteurs qui ont joué un rôle dans le fait qu'ils sont devenus des terroristes. Il est difficile d'isoler ce facteur et de déclarer qu'il s'agit du plus important. Les facteurs contribuent au résultat et agissent ensemble. Chez certaines personnes, la pauvreté et le fait d'être issues d'un milieu pauvre ont joué un rôle dans leur cheminement. Une autre personne de la même cellule peut avoir une trajectoire différente vers la radicalisation. Cette différence entre les deux appuie la conclusion générale selon laquelle il n'y a pas qu'un seul profil qui explique pourquoi ces personnes prennent part à des activités terroristes.

Le président : Avant de céder la parole au sénateur Wallin, je veux poser une brève question au sujet de l'expérience de la prison que vous abordez, monsieur Silke. Je sais que cette question va intéresser le sénateur Wallin, puisqu'elle a été travailleuse sociale dans les prisons en Saskatchewan il y a de nombreuses années et qu'elle comprend cette expérience.

Vu ce que vous avez conclu au sujet de l'absence de récidive chez les personnes qui ont été emprisonnées pour activités terroristes, y avait-il quelque chose de constructif, en dehors des activités normales des prisons, qui avait contribué à ce résultat positif? Croyez-vous que les personnes concernées avaient également pris un peu de maturité et avaient tiré de nouvelles conclusions au sujet de ce qui est important dans la vie? Votre point de vue m'intéresse.

M. Silke : Aucune des personnes que j'ai interrogées n'avait subi un programme de déradicalisation en prison. Il y en a un qui est en cours d'élaboration et qui a été déployé, mais aucune de ces personnes ne l'avait suivi. La plupart des 300 personnes ont été libérées, et elles n'ont suivi aucun programme du genre.

Pour ce qui est de la raison pour laquelle elles ont changé, nous pouvons examiner différents facteurs, mais elles- mêmes parlent de l'expérience vécue en prison et du fait qu'elles ont payé très cher ce qu'elles ont fait et qu'elles veulent essentiellement refaire leur vie. C'est le même genre de chose qu'on entend de la part d'autres types de délinquants.

Ce qui est différent, dans le cas des délinquants dont la motivation est politique, c'est ce faible taux de récidive, qui est attribuable en partie au milieu duquel ils sont issus, qui est différent de celui duquel sont issus d'autres types de délinquants. Le portait d'une situation semblable se dégage de travaux du même genre effectués auprès de paramilitaires en Irlande du Nord. Ils n'abandonnent pas nécessairement la cause — ils l'appuient toujours, sur le plan personnel, mais ils ne sont plus prêts à enfreindre des lois et à commettre des actes de violence. Ils se sont détournés de la violence et sont plus ouverts à des stratégies pacifiques et ont davantage recours à ce genre de stratégies pour atteindre leurs buts. Nous constatons quelque chose du même ordre à l'égard de l'extrémisme lié à Al-Qaïda.

L'autre chose qui caractérise beaucoup de ces gens, c'est qu'ils sont très croyants. La plupart des personnes que j'ai interrogées en prison m'ont dit que leur foi est devenue plus forte en prison. Elles se voient comme étant plus épanouies qu'avant d'être incarcérées.

Cette croyance, dans le cas de l'islam, en tout cas, c'est que Dieu a planifié leur vie. La croyance de certaines de ces personnes, c'est que leur vie a été écrite et qu'il était écrit qu'elles participeraient à un mouvement extrémiste. Toutefois, il était aussi écrit qu'elles allaient se faire prendre, qu'elles allaient être déclarées coupables et qu'elles allaient passer du temps en prison. À leurs yeux, ce que ça signifie, c'est que Dieu veut maintenant qu'elles fassent autre chose. Pour d'autres — c'est ce genre d'attitude — il est temps de passer à autre chose et d'occuper leur vie autrement, et cette transition peut être compatible avec leur foi.

Le sénateur Wallin : C'était l'une des questions sur lesquelles je voulais me concentrer, parce que ces chiffres vont à l'encontre de ce qu'on croirait. Ils n'indiquent pas la même chose que ce qui se produit dans la population criminelle en général, et votre dernière explication était intéressante.

Ça m'amène à une question qui revient tout le temps — vous ne vous en rendez pas compte, mais, mes collègues, oui. Si vous dites que l'expérience en prison est un facteur de déradicalisation, pour quelque raison que ce soit, mais entre autres en raison de leur foi, quel est votre point de vue sur la procédure judiciaire qui s'applique à ce genre de crime?

Il y a un débat ici sur la question de savoir si ces actes devraient être traités simplement comme des actes criminels, comme d'autres types d'activités criminelles, ou s'il faut distinguer l'activité séparatiste et charger les cours martiales de trancher ce genre de questions, à l'américaine.

Le président : Vouliez-vous dire « terroriste »?

Le sénateur Wallin : Oui, les tribunaux terroristes — la question de savoir si ces deux démarches, compte tenu de ce que vous avez dit au sujet de l'autre question, donneraient donc des résultats différents.

M. Silke : Au Royaume-Uni, environ la moitié des prisonniers ont été déclarés coupables d'une infraction à une loi pénale, et non à une loi sur le terrorisme. La déclaration de culpabilité concerne la possession d'explosifs ou de quelque chose du genre, mais elle est liée à l'activité terroriste.

Selon moi, il est préférable de charger le système de justice pénale de s'occuper des terroristes que de créer un système à part pour leur procès. Je pense que ça pourrait engendrer toutes sortes de problèmes graves. Cela semble fonctionner assez bien au Royaume-Uni.

Au départ, on craignait beaucoup au Royaume-Uni que le fait de placer ces prisonniers avec les autres mènerait à une radicalisation à grande échelle et au recrutement d'autres prisonniers. Cela ne semble pas s'être produit, même si beaucoup de gens s'en inquiètent encore. En fait, nous n'avons pas vu beaucoup de cas où c'est ce qui s'est produit.

Le sénateur Wallin : Pour revenir en arrière encore une fois, vous préférez le processus pénal parce que vous pensez que ça les radicalise encore davantage ou que ça a des répercussions différentes si vous avez recours à des procédures spéciales pour les terroristes, n'est-ce pas?

M. Silke : Je pense que oui. Pour mettre en œuvre une procédure spéciale visant les terroristes, il faut probablement aussi avoir des prisons spécialisées où les détenir. Il y aurait une politique de concentration. Il y aurait une ou deux prisons au Royaume-Uni où seraient détenus ces 150 prisonniers ou à peu près. Nous avons pu constater dans le passé que ce n'était pas toujours une bonne chose que de placer tous ces gens au même endroit; ce qui s'est passé dans le cas de l'Irlande du Nord est révélateur à cet égard.

Naturellement, il y avait des craintes au sujet du fait que ces personnes soient dispersées de façon plus générale. Certains prisonniers étaient dangereux; c'était des idéologues qui avaient du charisme. Il ne fallait pas que ces personnes puissent se promener dans une aile de la prison et parler à beaucoup de prisonniers. Cependant, dans l'ensemble, je pense que la démarche axée sur la justice pénale a fonctionné ici.

M. Feakin : Je crois qu'il est impératif que nous réglions ces problèmes dans le cadre d'un processus juridique en bonne et due forme et que nous évitions de faire intervenir un quelconque élément militaire dans le processus de poursuites judiciaires. Le processus juridique est l'un des éléments fondamentaux de la lutte pour gagner les cœurs et les esprits : nous n'allons pas vous traiter de la même façon que vous nous traitez; nous allons vous offrir de suivre une procédure juridique en bonne et due forme.

Cette façon de faire a été parfois la source de difficultés, mais je pense que c'est la bonne façon de procéder. En faisant les choses de cette façon, nous ne donnerons pas un statut plus important au terroriste aux yeux des gens. En plaçant le terrorisme dans un scénario du genre de Guantánamo, nous élèverions le statut d'une personne soupçonnée de terrorisme au-delà de ce qu'elle devrait mériter.

Comme mon collègue l'a dit tout à l'heure, beaucoup des personnes déclarées coupables de terrorisme n'ont pas une bonne compréhension de l'islam et ne sont pas capables de bien expliquer ce qu'ils en comprennent. Ce que nous devrions essayer de faire autant que possible, c'est de leur faire le moins de publicité possible.

Le sénateur Wallin : Mon instinct me dit toujours le contraire, mais vous nous avez présenté des arguments rationnels.

Monsieur Feakin, vous avez parlé de la façon dont les terroristes cherchent de nouvelles façons de faire les choses. En fait, Al-Qaïda a annoncé pendant la fin de semaine que l'organisation réfléchit à une nouvelle stratégie composée d'éléments de portée moins grande, mais engendrant davantage de bouleversements économiques. Les membres d'Al- Qaïda ne veulent plus démolir les tours jumelles; ils veulent envoyer des colis par United Parcel Service, UPS, parce que ça perturbe davantage, dans un sens.

Comment devons-nous aborder ce problème en général, mais aussi en particulier lorsqu'il s'agit de gens radicaux issus du pays même et vu la tendance de plus en plus forte que des gens ont à agir seuls, motivés par l'ampleur de ce qu'une seule personne peut faire? Cette situation pourrait être encore plus grave que celle à laquelle nous faisons face en ce moment.

M. Feakin : Comme je l'ai dit, le plus grave problème auquel un gouvernement et les personnes chargées de réagir aux actes de terrorisme doivent faire face, ce sont les actes des personnes qui agissent indépendamment d'un réseau ou d'un groupe. Il est beaucoup plus facile d'intercepter un groupe de personnes qui communiquent entre elles qu'une seule personne ou même que deux personnes. Cette situation est en train de devenir difficile.

Si nous jetons un coup d'œil sur le genre d'idéologie fondamentale qui caractérisait Al-Qaïda à l'époque du 11 septembre, Ousama ben Laden a rapidement fait remarquer la symétrie qui existait, sur le plan économique, entre les attaques du 11 septembre et le fait que l'organisation les avait commises à peu de frais. C'est un but fondamental d'Al- Qaïda, depuis le début. Si on jette un coup d'œil en arrière sur « Chevaliers sous la bannière du Prophète » et d'autres textes du genre, il est toujours question du fait que la symétrie sur le plan économique est un élément pivot des activités d'Al-Qaïda. L'organisation essaie toujours de mettre en évidence nos points faibles sur le plan de la sécurité dans le but de susciter une réaction à grande échelle sur le plan économique.

C'était quelque chose que j'essayais de mettre en lumière. Nous devons être prudents, lorsque nous réagissons à la découverte de colis dans des marchandises, ne pas nous emporter et dépenser des milliards de dollars ou quoi que ce soit pour réagir à cette menace en particulier. Lorsque Al-Qaïda déclare vouloir mener des opérations à petite échelle et plus viables sur le plan économique, le but est de susciter une réaction. C'est exactement ce que veut l'organisation.

Le sénateur Wallin : Si nous ne réagissons pas, ce qui est l'autre point de vue, alors la complaisance augmente, et on ne veut plus dépenser l'argent que nous devons investir dans la sécurité pour régler le problème.

M. Feakin : Je ne dis pas que nous ne devrions pas réagir du tout, mais les réactions ne doivent pas être annoncées tout de suite après le dévoilement d'un complot, ce que nous avons vu se produire au Royaume-Uni à de nombreuses reprises.

Il s'agit d'assurer une bonne gouvernance. Nous devons nous dire : « D'accord, voilà ce qui est arrivé; nous allons écouter ce que les experts ont à dire avant de réagir. » Je sais que ça prend quelqu'un de brave pour faire ça, mais personnellement, je pense que c'est la bonne façon de gérer la situation. Toutefois, je ne suis pas politicien, et je ne subis pas les pressions que les politiciens subissent.

Le sénateur Wallin : Je pense qu'il faudrait aussi convaincre les médias de changer leur façon de faire, ce qui pourrait être plus difficile que dans les autres cas.

Le sénateur Furey : Merci d'avoir pris le temps de vous joindre à nous aujourd'hui.

Ma première question s'adresse à M. Feakin. Lorsque vous avez parlé de programmes proactifs visant les causes fondamentales du terrorisme, vous avez dit qu'il y a eu une certaine dose de confusion et de méfiance, surtout en ce qui concerne le programme PRÉVENIR. Je peux comprendre qu'il y ait de la méfiance et de la confusion lorsque les gens voient le programme comme un programme de renseignement, mais que voulez-vous dire lorsque vous avez parlé de la question de savoir s'il s'agissait d'un programme social ou d'un travail de sécurité?

M. Feakin : Je parlais de certaines choses dont M. Silke avait parlé. Si vous observez bon nombre des projets qui s'inscrivent dans le cadre du volet PRÉVENIR, vous ne sauriez probablement pas immédiatement qu'ils visent à lutter contre le terrorisme. Vous penseriez probablement que ce sont des clubs d'activités parascolaires ou encore un groupe de gars qui jouent au soccer ensemble. Vous ne feriez peut-être pas immédiatement le lien entre cette activité et la lutte contre l'idéologie terroriste dans une collectivité.

La confusion et la méfiance ont vu le jour dans les collectivités lorsque les gens ont pris connaissance de ces programmes. Ils demandent si le programme est financé dans le cadre du programme PRÉVENIR. S'agit-il seulement de renseignement? Le cas échéant, disent-ils, oubliez ce programme et ne vous adressez pas au club de soccer ou au groupe de jeunes.

C'est difficile. Si vous aviez accès aux projets financés dans le cadre du volet PRÉVENIR, je pense que ce serait beaucoup plus clair dans votre esprit. Je ne sais pas quel genre de droits ou privilèges vous devez demander pour que le gouvernement du Royaume-Uni vous donne accès à certains de ces renseignements, mais vous pourriez trouver utile d'examiner certains des projets financés dans le cadre du volet PRÉVENIR, et les enjeux deviendraient clairs immédiatement.

Le sénateur Furey : Je vais utiliser le chiffre cité pour le programme PRÉVENIR, qui est de 60 millions de livres. Si nous devions créer un programme du genre, quel conseil nous donneriez-vous pour éviter ce genre de complications?

M. Silke : Mon principal conseil, c'est d'utiliser une partie de cet argent pour l'évaluation. À l'heure actuelle, il n'y en a pratiquement pas. Ainsi, après avoir dépensé ce que l'un estime être 60 millions de livres, et l'autre, 140 millions de livres, nous ne savons pas exactement ce qui fonctionne et quelles sont les répercussions. Quoi que vous fassiez, assurez-vous qu'une partie de la somme est consacrée à l'évaluation des différents projets.

L'autre chose, c'est que vous devez consacrer du temps et de l'énergie à la sélection des partenaires avec lesquels vous allez travailler, de façon à travailler avec les bonnes personnes. Il y a eu des problèmes dans le cadre du programme PRÉVENIR parce que les mauvaises personnes ont participé. L'autre problème qui se pose, dans le cas du programme PRÉVENIR, c'est que certains des groupes avec lesquels on veut travailler et qui feraient de bons partenaires ne veulent pas participer parce que le financement lié au programme PRÉVENIR est étiqueté. On a l'impression qu'il s'agit de renseignement, et que le programme est financé par les services de sécurité. Les gens sont réticents à participer au programme à cause de cette étiquette. C'est dommage. Ainsi, tout effort visant à garantir qu'il n'y ait pas d'étiquette du genre serait utile, tout comme le fait de choisir les bons partenaires.

M. Feakin : Je veux répéter une chose que j'ai dite pendant mon introduction. Assurez-vous que les liens et les messages entre le centre et la collectivité — les gens qui doivent faire le programme de prévention, si vous voulez — sont bien interprétés et qu'il y a un bon dialogue entre les deux échelons. Assurez-vous aussi que le processus est transparent. Ensuite, vous pourrez peut-être régler certains des problèmes touchant la sécurité et le travail communautaires.

Le sénateur Furey : J'ai une dernière petite question. Monsieur Silke, vous avez dit dans vos observations qu'un accroissement rapide des pouvoirs policiers peut être improductif. Nous savons que la plupart des organismes d'application de la loi et de sécurité, sinon tous, disent constamment qu'ils ont besoin de plus de pouvoirs. Nous conseillez-vous d'éviter de nous engager sur cette voie?

M. Silke : Oui; je n'ai jamais rencontré un policier qui n'aimerait pas avoir plus de pouvoirs ou d'autres ressources, et j'ai travaillé avec beaucoup de policiers. Nous dirions tous la même chose. Cependant, la réalité est celle que mon collègue ici présent a décrite : la lutte contre le terrorisme est une affaire de relations publiques dans une certaine mesure, en ce sens qu'il faut gagner les esprits et les cœurs. C'est une question de propagande; il faut qu'ils aient l'air d'être les bons.

C'est l'un des problèmes qui se sont posés au Royaume-Uni. Lorsqu'on a accru les pouvoirs, par exemple quant à la durée de la période pendant laquelle les policiers pouvaient détenir des gens, quant aux ordonnances de contrôle, et ainsi de suite, ça a commencé à nuire à la perception selon laquelle ils étaient du bon côté sur le plan moral. C'était un argument que les extrémistes pouvaient utiliser.

Une chose que vous ne devez donc pas oublier, c'est que s'il y a des pouvoirs et d'autres choses que vous aimeriez faire, il est parfois mieux dans l'ensemble de résister et d'essayer de jouer le jeu selon les règles. Vous en tirerez un avantage. C'est en enfreignant les règles de façon si évidente et si extrême que les terroristes s'isolent et se marginalisent. Une chose importante, c'est de ne pas tomber dans le piège que les terroristes nous tendent.

Nous savons que l'une des principales stratégies d'Al-Qaïda et d'autres groupes terroristes, c'est de pousser le gouvernement à adopter ce genre de mesures parce qu'ils espèrent en tirer un avantage une fois que les mesures auront des conséquences. Nous avons vu quelles étaient ces conséquences en 2006 lorsque les communautés musulmanes du Royaume-Uni étaient insatisfaites du gouvernement, des politiques et des services de police. Les choses se sont améliorées constamment à cet égard au cours des quatre ou cinq dernières années, et beaucoup de pouvoirs sont utilisés de façon de plus en plus restreinte. L'ordonnance de contrôle, par exemple, est une chose controversée, mais on n'y a eu recours que dans 13 cas.

Le sénateur Furey : Je vais garder ma question au sujet des ordonnances de contrôle pour le deuxième tour.

Le sénateur Tkachuk : Bienvenue, messieurs. Merci beaucoup de vous être joints à nous aujourd'hui.

Je veux poursuivre sur un point que M. Silke a soulevé au sujet des politiques étrangères. Je pense que vous avez dit que les politiques étrangères sont une cause partielle ou la cause d'une bonne partie de la pensée terroriste. Vous avez pris l'Irak en exemple, et vous avez dit que, selon vous, le retrait d'Irak est la raison pour laquelle les aspirations terroristes diminuent. Pouvez-vous nous en dire davantage à ce sujet, s'il vous plaît?

M. Silke : Au départ, pendant assez longtemps, le point de vue officiel du gouvernement du Royaume-Uni était que les politiques étrangères n'étaient pas un facteur de radicalisation. Le gouvernement avait cité à l'appui le fait qu'il y avait des extrémistes au Royaume-Uni avant le 11 septembre et que des attaques terroristes avaient eu lieu dans les années 1990.

Ce point de vue n'a pas bien passé. Il y avait beaucoup de colère dans les communautés musulmanes du Royaume- Uni qui venait de ce genre de commentaires. Les gens qui ont interrogé des terroristes et les chercheurs qui ont travaillé dans le domaine ont exprimé un point de vue contraire. Le gouvernement britannique admet maintenant que les politiques étrangères jouent un rôle. Les gens peuvent ergoter sur l'importance de ce rôle, mais le fait est que c'est un facteur.

L'Irak a eu beaucoup plus de conséquences que l'Afghanistan. Ces conséquences découlaient principalement du fait que le conflit en Irak était vu au Royaume-Uni comme étant douteux. Les gens pensaient qu'il pouvait être illégal et douteux sur le plan moral, et ce point de vue n'était que celui de la population en général. Au sein de la population musulmane, le conflit était vu comme étant tout à fait injustifié, surtout lorsqu'on n'a pas découvert d'armes de destruction massive.

Les images de violence en provenance d'Irak ont été galvanisantes. L'innocence a joué un rôle important dans la radicalisation. Les auteurs des attentats du 7 juillet ont cité l'Irak dans leur déclaration comme motif pour lequel ils avaient commis leurs actes de violence.

Les politiques étrangères peuvent jouer un rôle. Les données probantes recueillies au Royaume-Uni étayent ce point de vue. Toutefois, ce ne sont pas toutes les politiques étrangères qui ont le même effet. Le conflit en Afghanistan, par exemple, n'a pas eu le même effet au Royaume-Uni que le conflit en Irak. L'Irak a suscité beaucoup plus d'émotions pour toutes sortes de raisons différentes.

Maintenant que le conflit en Irak est chose du passé, en un sens, au moins dans la conscience britannique, la tension a vraiment diminué ici.

M. Feakin : Je pense que nous avons constaté aussi que ce point de vue s'est reflété dans les politiques britanniques. Il y a maintenant une reconnaissance claire dans notre stratégie nationale en matière de sécurité, et elle y est depuis la première version, qui date de 2008. La politique indique clairement qu'il y a un lien direct entre les décisions prises ailleurs dans le cadre des politiques étrangères et ce qui se produit au Royaume-Uni. Le gouvernement britannique a eu de la difficulté à admettre qu'il avait commis une erreur à cet égard. Si nous jetons un coup d'œil sur la façon dont le Foreign and Commonwealth Office, le FCO, dirige son travail de lutte contre le terrorisme, ce travail est lié à l'ensemble du programme PRÉVENIR et il y a des liens aussi avec les représentants du Home Office britanniques qui s'occupent de ce domaine, de façon à garantir que ces domaines sont liés.

Je suis d'accord avec tout ce que M. Silke a dit à ce sujet. Le gouvernement britannique comprend maintenant tout à fait que les déclarations qu'il fait et les mesures qu'il prend à l'étranger ont des conséquences directes au pays.

Le sénateur Tkachuk : Les politiques étrangères peuvent avoir un effet, mais, bien entendu, le genre de politiques étrangères peut dépendre d'une divergence d'opinions. Qu'est-ce qui justifie une radicalisation plus forte, par exemple, lorsqu'un gouvernement laïc en Irak, pas un gouvernement musulman, a engendré un problème plus important que l'attaque lancée contre un gouvernement taliban en Afghanistan, qui est probablement davantage liée à l'extrémisme musulman?

Pourquoi l'Afghanistan ne pose-t-il pas de problème? Il semble que l'Afghanistan devrait poser davantage problème que l'Irak sur le plan de la doctrine.

M. Silke : L'une des choses importantes en ce qui concerne l'Irak, c'est la justification du conflit. Le récit que diffuse Al-Qaïda, c'est que l'Occident occupe des terres qui appartiennent à l'Islam pour en tirer un bénéfice et est là pour les exploiter. L'Irak s'inscrit bien dans ce récit.

Comme nous le savons aujourd'hui, la guerre était injustifiée, puisque l'Irak ne possédait pas d'armes de destruction massive. La légalité a toujours été douteuse. On a prétendu que c'était une façon pour les États-Unis de s'approprier les ressources pétrolières de l'Irak. Résultat : la guerre s'inscrit dans le discours que tient Al-Qaïda selon lequel ce genre de vol est typique de la façon d'agir de l'Occident et que c'est de ça qu'il s'agit.

C'est la raison pour laquelle la guerre a eu tant de répercussions. C'était essentiellement une guerre illégale qui semblait injuste. Les images de violence provenant de la guerre, de gens qui se faisaient tuer, de bains de sang et de destruction étaient la faute de l'Occident. C'était une idée facile à propager pour Al-Qaïda.

Les images de la prison d'Abou Ghraïb ont fait beaucoup de dommages. La plupart des gens qui ont pris part à des complots au Royaume-Uni ont regardé beaucoup de DVD et de propagande liée au jihad sur Internet. Les images en provenance d'Irak jouent un rôle de premier plan dans ce genre de vidéo. Ce sont des messages empreints d'émotions et subjectifs, mais ils brossent un portrait négatif de l'Occident. Dans un sens, c'est une justification morale pour les personnes qui participent à des activités terroristes.

Dans le cas de l'Afghanistan, ce n'est pas aussi simple. Les attaques du 11 septembre ont permis de justifier l'intervention là-bas. Il y a aussi le fait que les communautés au Royaume-Uni dont sont issues la plupart des recrues sont d'origine pakistanaise. Pour ce qui est des répercussions au Pakistan, les attaques-suicides qui ont lieu là-bas ont lieu dans des zones civiles. Ces attaques ont enlevé la légitimité morale au message des talibans ou d'Al-Qaïda dans le cadre de ce conflit en particulier.

L'Afghanistan était vu comme étant plus justifié que l'Irak. C'est l'une des raisons pour lesquelles la réaction face à l'Irak a été si différente.

Le sénateur Tkachuk : Je ne suis pas sûr de cette impression, mais il me semble qu'Al-Qaïda change la version des faits lorsque l'organisation pense pouvoir tirer un petit avantage d'une histoire concernant les politiques étrangères. Je vais prendre l'exemple d'Israël. Al-Qaïda n'aimait pas particulièrement les Palestiniens avant de se rendre compte qu'il y avait moyen de recruter davantage de gens en se plaçant du côté des Palestiniens dans le mouvement anti-Israël. C'était fort probablement en raison de l'évolution de la perception des gens à la maison par rapport à la décision en matière de politiques étrangères en tant que telle. Au départ, lorsqu'il y a eu beaucoup de succès contre l'Irak, il n'y a pas eu une grande mobilisation de terroristes. Cependant, lorsque la guerre est devenue moins populaire au pays, ils ont eu l'intelligence de galvaniser les gens et d'utiliser ça comme un prétexte. Ils n'ont pas été en mesure de le faire pour ce qui est de l'Afghanistan, parce que la guerre est encore soutenue par la population, et ce n'est donc pas un terreau fertile. Je pense qu'il s'agit non pas de la décision, mais plutôt de la façon dont les gens ordinaires en Occident voient la décision qui fait en sorte que les terroristes utilisent cette situation comme exemple pour recruter des jeunes et les rallier à leur cause.

M. Feakin : Vous avez raison, en ce sens qu'Al-Qaïda... Ne sous-estimez pas la puissance de son discours et sa façon de le manipuler. Les attentats survenus à Madrid en 2004 étayent votre exemple. Al-Qaïda a attaqué Madrid et a ainsi essentiellement forcé le retrait d'Irak des troupes espagnoles. Il n'y a qu'à jeter un coup d'œil sur ce qui se passe en Europe en ce moment. Il paraît qu'Ousama ben Laden fait des déclarations au sujet des Français et de l'interdiction de la burka. L'alerte au terrorisme est accrue en France, où des attaques pourraient avoir lieu. Le niveau de menace est aussi accru en Allemagne ce qui n'est pas sans lien important avec le déploiement des troupes allemandes en Afghanistan ainsi que les déclarations de la chancelière, Angela Merkel, selon lesquelles le multiculturalisme n'a pas fonctionné en Allemagne. Al-Qaïda a une propension à tirer parti des décisions prises dans les pays occidentaux. Le groupe manipule et divise les populations. Le point essentiel, c'est qu'il semble que nous perdons cette bataille du discours trop facilement parfois, quoique ce ne soit pas le cas chaque fois.

Le sénateur Tkachuk : J'ai une dernière observation à faire au sujet de votre commentaire. La radicalisation fait partie d'une communauté et d'une culture lorsque cette culture enseigne que la violence est le moyen de régler les problèmes. L'Inde a été transformée par des moyens pacifiques, parce que ça faisait partie de la culture et des enseignements de cette culture, ce qui a mené l'Inde vers l'indépendance.

Cependant, régler les problèmes en décapitant ou en lapidant les gens fait partie de la culture dont nous parlons. Lorsqu'on vit dans une culture du genre et que c'est ce qui est enseigné, il est facile de radicaliser la communauté et de dire : « Nous pourrions peut-être démolir quelques édifices et tuer quelques milliers de personnes. Ça va peut-être les faire changer d'idée. »

Voilà l'enjeu que nous devons réussir à comprendre. C'est le genre de choses avec lesquelles nous devons composer et qui existent dans les communautés d'où ces jeunes sont issus.

M. Feakin : Il faut faire attention lorsqu'on affirme qu'il s'agit d'une culture de la violence. Je ne crois pas que beaucoup des musulmans que je connais seraient d'accord pour dire que c'est une culture de la violence. Les gens se font une idée de cette culture.

Le sénateur Tkachuk : N'interprétez pas mal ce que j'ai dit.

M. Feakin : En vous répondant, je vais insister sur le fait que vous devez faire attention à la façon dont vous formulez vos pensées.

Le sénateur Tkachuk : Pourquoi devons-nous faire attention?

M. Feakin : Les gens vont prendre ce que vous avez dit et vont l'utiliser dans leur propre discours. Cela se résume à la difficulté que pose le choix des mots que nous employons et la façon dont nous formulons nos réactions face au terrorisme. Le Royaume-Uni a appris à la dure qu'il faut bien choisir les mots qu'on emploie et faire attention à la façon dont nous décrivons les différents actes ou groupes. C'est un problème qui est extrêmement difficile à régler.

Le sénateur Plett : Monsieur Silke, je veux revenir sur votre réponse à la question du sénateur Segal sur les prisons et ainsi de suite.

Je crois que vous avez dit que beaucoup de gens qui ont subi un procès au Royaume-Uni ont été déclarés coupables, ont purgé une peine de prison et ont été libérés. Bon nombre d'entre eux ont été convertis, ne posent plus de menace et ont passé à autre chose.

Je ne partage pas votre optimisme. De toute évidence, Al-Qaïda n'a pas connu la même transformation que ces gens dont vous parlez. Ceux-ci ont été au service d'Al-Qaïda pendant un certain temps, et c'est la raison pour laquelle ils ont fait ce qu'ils ont fait. Maintenant vous dites qu'ils croient que Dieu leur a dit de passer à autre chose. Le Dieu qu'ils ont servi dans le passé est très près d'Al-Qaïda, et Al-Qaïda n'a pas vécu cette conversion.

Est-ce que vous gardez un œil sur ces gens? Est-ce qu'ils vont être considérés comme une menace que vous allez continuer de surveiller ad vitam aeternam? Nous avons eu l'occasion de constater que ces gens sont patients. Ils n'ont pas besoin d'agir aujourd'hui ni demain. Ils peuvent attendre des années et continuer de préparer leur attaque.

Est-ce que vous gardez un œil sur eux? Y a-t-il une période après laquelle ils sont libérés et réputés être réadaptés et ne plus poser de menace pour le Royaume-Uni ou d'autres pays?

M. Silke : Certains prisonniers au Royaume-Uni sont visés par des ententes multilatérales de protection publique, des MAPPA. Il s'agit d'ententes de gestion des risques dans le cadre desquelles la police, les services de probation et d'autres organismes se chargent de la supervision et de la surveillance d'une personne. Ce sont des ententes assorties d'une date d'échéance. Après un certain temps, elles ne sont plus en vigueur, c'est-à-dire que la surveillance prend fin. Dans certains cas, elles durent des années, et dans d'autres, quelques mois seulement.

Il y a d'ex-prisonniers qui n'ont pas fait l'objet d'une surveillance officielle et qui ne sont pas surveillés officiellement en ce moment. Au Royaume-Uni, on craint beaucoup que ces gens prennent de nouveau part à un mouvement terroriste. Cependant, les chiffres concernant une nouvelle arrestation et une nouvelle déclaration de culpabilité montrent que ces cas sont très rares. Nous avons tendance à présumer qu'un terroriste sera toujours un terroriste. Autrement dit, une fois qu'une personne a pris part à ce genre d'activités, elle n'en échappe plus. On a dit ça aussi de l'Armée républicaine irlandaise. En réalité, pour ces gens, leur participation à ce qu'ils voient comme un jihad violent ne doit pas durer éternellement. Ce n'est pas quelque chose qui doit durer toute leur vie. C'est quelque chose qu'ils ont à faire avant de passer à autre chose. Ils ont une période de service, et c'est tout. Ils ne reviennent pas constamment et ne consacrent pas toute leur vie au jihad violent. C'est quelque chose qu'ils font, mais, pour la plupart des gens, ce n'est pas ce à quoi ils vont consacrer toute leur vie.

C'est un peu comme les gens qui s'enrôlent dans une armée ordinaire, que ce soit au Canada ou au Royaume-Uni. En moyenne, au Royaume-Uni, la plupart des gens ne sont dans l'armée que pendant environ sept ou huit ans, puis ils quittent l'armée. Combien d'entre eux s'enrôlent de nouveau? Vraiment pas beaucoup. Dans un sens, ils passent à autre chose, et l'armée fait partie d'une vie qu'ils laissent derrière eux.

Une chose importante, c'est que, pour ce qui est de leur façon de voir la cause, beaucoup d'entre eux demeurent sympathiques à la cause et continuent d'y croire. L'un d'entre eux m'a dit que c'est une cause morale. Selon lui, la moralité était de son côté ou du côté de la cause, et qu'ils ne faisaient qu'agir. Toutefois, il n'est plus prêt à enfreindre les lois; il a donné. Il a fait sa part. C'est maintenant à d'autres, pas à lui, de porter le fardeau. Il se désengage du terrorisme. Dans les articles universitaires, le terme « désengagement du terrorisme » est devenu plus courant que le terme « déradicalisation ». Nous croyons que le désengagement est chose courante et que la déradicalisation peut soulever davantage de doutes.

Le sénateur Plett : Merci de votre réponse. Je ne sais pas si nous allons nous entendre parfaitement sur cette question. Je pense que le criminel qui veut tuer des gens, voler ou faire quoi que ce soit d'autre, mais qui accorde quand même de la valeur à sa vie est une personne que nous pouvons être en mesure de réadapter. Vous avez dit que les terroristes qui viennent du pays même sont la menace la plus importante. Ces gens, de l'enfance à l'âge adulte, sont formés pour ne poser qu'un seul acte, c'est-à-dire pour porter une bombe, se faire exploser et tuer le plus d'infidèles occidentaux possible.

Vous n'avez pas à répondre si vous ne voulez pas, mais soyez à l'aise si vous voulez répondre. Je ne suis pas sûr qu'une personne qui s'entraîne pendant 20 ou 25 ans — par exemple le médecin dont nous parlions qui était très scolarisé et qui a décidé de se faire kamikaze — puisse se réadapter.

J'espère que notre gouvernement va au moins garder un œil sur ces gens pendant le reste de leur vie, s'il y a des gens comme ça ici. Je vous encourage à vous assurer que leur nom figure sur une liste de surveillance.

Le président : Avant de passer au second tour, je vais utiliser ma prérogative de président pour poser des questions à nos distingués témoins, par rapport à certaines des choses qu'ils ont dites et certains des éléments de leur déclaration préliminaire.

Je pense que c'est M. Feakin qui a mentionné l'influence croissante d'Anwar al-Awlaki au Yémen, et son statut de vedette, c'est-à-dire qu'il y a des reportages sur lui dans les médias, qu'il est né aux États-Unis et ainsi de suite. Je veux essayer de comprendre et vous demander votre avis quant à la façon dont — et je pense que nous avons vu cette tendance se dégager les premiers temps dans le cas du crime organisé — la tendance journalistique était de créer une espèce de personnage culte avec différents membres du crime organisé, ce qui rendrait les articles plus spectaculaires et plus intéressants et, dans une certaine mesure, rendait ces gens plus charismatiques. Bien sûr, le point de vue de la police, c'était qu'il s'agissait de criminels ordinaires qui devaient être arrêtés, et non transformés en héros.

Dans quelle mesure la propension à réagir rapidement dont vous avez parlé tous les deux au sujet du gouvernement des États-Unis, du Canada et du Royaume-Uni, entre autres, pour cibler des personnes et magnifier leur personnalité et l'importance de la chose est-elle profondément improductive du point de vue de l'objectif consistant à ne pas radicaliser davantage de jeunes et à ne pas créer des sujets ou des objets de culte du héros et d'aspirations à devenir un héros qui finit par devenir improductive et rend notre propre tâche difficile à accomplir?

Mon autre question a trait aux adolescents de sexe masculin, et, si je puis dire — chrétiens, catholiques, musulmans et d'aucune foi en particulier. Nous savons certaines choses et je vais demander à notre professeur de psychologie de nous aider à répondre à cette question. Nous savons que le cerveau de l'homme se développe plus lentement que celui de la femme. Nous savons que le développement — et c'est un distingué professeur d'anatomie de l'Université Queen's qui me l'a appris — du cerveau de l'homme n'est pas terminé avant l'âge de 18 ou de 19 ans.

Le sénateur Wallin : Il ne l'est jamais!

Le président : Le sénateur Wallin dit « jamais », mais c'est un débat tout à fait différent — et je m'empresse d'ajouter que c'est un autre comité qui est concerné par ce débat.

Sérieusement, le monde civilisé et le monde barbare comptent des milliers de parents qui essaient de trouver une façon de s'en sortir avec leurs garçons d'âge adolescent.

Le sénateur Tkachuk : Ils n'ont manifestement jamais eu de jeunes filles de 14 ans.

Le président : J'en ai eu une, et, d'après l'opinion qu'elle avait des gars dans sa classe, il était clair que l'évolution mentale des gars ne se faisait pas aussi rapidement qu'on aurait pu l'espérer.

Je pose la question d'un point de vue clinique, parce que, si nous jetons un coup d'œil sur la radicalisation des jeunes, sur les jeunes adolescents et les jeunes adultes — c'est-à-dire les gens qui commencent à chercher autre chose dans la vie —, il est clair que la compréhension de la physiologie et de la psychologie joue un rôle important dans ce que devrait être notre approche stratégique, ainsi que ce que devrait être la démarche stratégique des établissements d'enseignement, les services de police et du programme PRÉVENIR, dans nos deux pays.

J'aimerais connaître votre avis quant à la question de savoir, du point de vue britannique, s'il y a eu des études cliniques en lien avec autre chose qu'avec le terrorisme, parce que nous avons des ensembles de données qui touchent un peu à ça et qui ont trait seulement aux adolescents et à la conduite automobile. Les sociétés d'assurances ont des tonnes de données sur les raisons qui font que les jeunes hommes d'un certain âge doivent payer une prime d'assurance plus élevée que les jeunes femmes d'un âge donné.

J'aimerais savoir si, d'après vous, pour ce qui est des opérations antiterrorisme en Grande-Bretagne, ces ensembles de données font partie de l'analyse ou s'ils ne sont pas intégrés parce qu'ils viennent d'un autre domaine.

La troisième question, et je pense que c'est M. Silke qui a dit ça, mais je peux me tromper, c'est que beaucoup de jeunes qui sont attirés par la radicalisation et la violence sont très en colère contre leurs parents et leurs grands-parents, qui, pour eux, se sont vendus. Je veux être sûr que je comprends ce que vous voulez dire par là. Voulez-vous dire que le problème, c'est qu'ils se sont intégrés à la société britannique et qu'ils ne sont plus aussi ouvertement — peut-être en apparence, par leurs vêtements ou leurs comportements — associés à l'image traditionnelle des premiers immigrants en provenance de pays musulmans et qu'ils ont changé avec le temps, ce qui est le cas de beaucoup d'autres immigrants et de la génération qui les suit? Est-ce que c'est un enjeu culturel ou est-ce que c'est parce que ça fait partie de ce qui donne à ces jeunes un sentiment de perte et donc le sentiment qu'ils doivent chercher quelque chose d'autre à quoi s'accrocher, pour trouver qui ils sont et se forger une identité, ce que vivent les jeunes de toutes sortes de manières différentes — parfois par rapport à l'appartenance ethnique, parfois par rapport à leur sexe et parfois par rapport à ce qu'ils veulent faire de leur vie.

J'aimerais savoir le rôle que jouent ces enjeux selon vous et si vous pensez qu'il s'agit d'un terrain fertile pour que les établissements d'enseignement, entre autres, viennent en aide à nos services de police et autres organismes dans le cadre de cette fonction de « prévention » en trouvant le moyen d'orienter ce processus en particulier. Je suis désolé que mes questions soient aussi emberlificotées, mais j'espère que vous avez une idée de ce que je recherche dans vos conseils.

M. Feakin : Pour ce qui est du rôle des médias, vous avez fait ressortir une des difficultés, c'est-à-dire que les médias adorent les personnages cultes. Ousama ben Laden en était un et il l'est toujours; la question de savoir s'il est encore vivant en est une autre.

Toutefois, Anwar al-Awlaki correspond à cette description. C'est un citoyen d'origine américaine qui, à un moment donné, était très près du gouvernement américain et discutait avec les représentants de celui-ci de questions liées à la radicalisation et de la façon d'aborder les jeunes musulmans. Il parle couramment anglais, ce qui fait qu'il peut parler avec des jeunes musulmans qui vivent en Occident. Il a accès à des gens qui peuvent fabriquer des bombes extrêmement complexes. Il est astucieux dans la façon dont il essaie d'interagir avec les jeunes musulmans des pays occidentaux, surtout dans son utilisation de l'anglais dans le magazine Inspire.

Il est difficile pour la presse de ne pas sauter sur l'occasion, parce que c'est un personnage intéressant à aborder pour les journalistes, et à juste titre. Il est évident que c'est un personnage influent.

Toutefois, les reportages dans les médias posent problème, comme vous dites. Au Royaume-Uni, après les attentats de 2005, les médias britanniques ont souvent été incroyablement rapides à faire état de toute indication même vague d'un complot terroriste au pays. Il y avait un dialogue dans les coulisses entre le gouvernement et les médias, et le gouvernement demandait aux médias de l'aider, de se calmer un peu et de réagir aux événements de façon un peu plus mesurée, parce que la réaction pouvait créer plus d'hystérie que nécessaire.

Ce dialogue est difficile, parce qu'il fait intervenir tout le débat de la liberté de presse. La plupart des journalistes sont cependant enchantés de discuter de la question. Ce qui est malheureux pour nous en ce moment, ou pour les citoyens, c'est la presse non sollicitée — les gens qui font eux-mêmes des reportages.

On n'a aucune emprise sur la façon dont la nouvelle sera diffusée, parce que les gens vont décrire les choses comme ils les voient. Je me rappelle les premiers enregistrements de la tentative d'attaque à la bombe à l'aéroport de Glasgow que les gens ont faits avec leur téléphone cellulaire. Il arrive souvent que la nouvelle se répande d'elle-même.

L'influence des médias est énorme. Idéalement, élever ces personnages presque au rang de figures mythiques est une chose qu'on devrait leur demander d'éviter. Encore une fois, cependant, je ne suis pas plus journaliste que je ne suis politicien. Ces personnes sont pour les médias une source d'histoires intéressantes à raconter et à renvoyer constamment au public.

Pour ce qui est de la façon dont nous devons régler le problème que posent les médias, il est important de tenir un dialogue mature. Il faut s'assurer que le gouvernement est prêt à parler aux médias de certaines choses de façon que son point de vue soit connu avant que les médias ne racontent les choses à leur façon. C'est une question qui exige un dialogue mature entre les deux.

M. Silke : Je suis d'accord. Je pense que le problème qui se pose au Royaume-Uni est un problème de média. Les médias se concentrent sur les personnages clés, et ce sont eux qui reçoivent l'attention. Ce choix ne vient pas du gouvernement. Le gouvernement ne cherche pas à attirer l'attention sur certaines personnes.

Je me rappelle une visite l'an dernier à la prison de Belmarsh et le fait qu'à un moment donné, le personnel de la prison se plaignait de ce que, chaque fois que quelque chose se produit à Belmarsh — il s'agit de la prison où la plupart des terroristes sont détenus lorsqu'ils subissent un procès à Londres —, les médias mentionnent toujours le nom d'Abou Hamza, parce qu'il est le terroriste le plus connu qui est détenu dans cette prison. Peu importe le sujet du reportage, le nom d'Abou Hamza et mentionné. C'est ce profil médiatique. Ils ne tenaient pas à ce que ce soit comme ça, mais c'est ce que font les médias, et non une idée du gouvernement.

Pour ce qui est de la question des jeunes, ça ne fait aucun doute, lorsque nous jetons un coup d'œil sur les gens qui sont recrutés par les groupes extrémistes, qu'ils sont presque tous âgés de 17 à 25 ans. Il y en a qui seront là dans 10 ou 15 ans, mais l'âge du recrutement, c'est de 17 à 25 ans. La plupart d'entre eux, dans tous les groupes, sont des hommes.

En théorie, oui, si nous pouvions mettre tous les hommes âgés de 17 à 25 ans sous les verrous, nous éradiquerions probablement le terrorisme très rapidement.

Le président : Le sénateur Wallin veut savoir pourquoi vous ne les mettez plus sous les verrous après un certain âge, mais c'est une autre question.

M. Silke : Ma femme serait peut-être d'accord.

Ce à quoi nous touchons, lorsque nous examinons la situation des hommes à la fin de l'adolescence et au début de la vingtaine, c'est qu'ils sont attirés par le risque et par le danger. Nous touchons aussi aux besoins psychologiques de puissance et de prouver leur valeur. Ainsi, ce que nous avons constaté dans l'ensemble, c'est que les jeunes hommes prennent part à toutes les activités dangereuses et à risque élevé. Ce sont eux qui boivent trop, qui pratiquent des sports à haut risque, qui conduisent trop vite et qui se battent. Ce sont les auteurs de la plupart des actes de violence et aussi les victimes de la plupart de ces actes.

La participation à des activités terroristes est liée à ce comportement, mais je crois aussi que le fait de s'enrôler dans l'armée, par exemple, est lié à ça. La plupart des recrues de l'armée sont des personnes âgées de 17 à 25 ans, et la plupart sont aussi des hommes.

Le problème auquel nous faisons face, c'est ce qu'on a appelé en psychologie le problème de la spécificité. Il y a énormément de jeunes de 17 à 25 ans, mais il n'y en a qu'une poignée qui vont finir par devenir des terroristes. Qu'est- ce qui distingue ceux qui vont prendre part à des activités terroristes du reste des jeunes qui ne vont pas le faire? C'est le problème avec lequel nous sommes aux prises, et la recherche en psychologie essaie de trouver les réponses à cet égard. Il y a eu environ 400 déclarations de culpabilité au Royaume-Uni. La population de musulmans de sexe masculin âgés de 17 à 25 ans au Royaume-Uni est probablement d'environ 350 000 personnes, et seulement 400 d'entre elles se sont radicalisées.

Le président : D'après ce que je comprends, il n'y a aucune étude longitudinale qui permette de commencer à penser que nous allons trouver une réponse. Est-ce qu'une partie des activités du programme PRÉVENIR serait consacrée au financement de certaines de ces études longitudinales sur le comportement, vu qu'il y a aujourd'hui énormément de gens qui étudient le comportement, des centaines dans votre pays? Est-ce que ces études seraient utiles ou non?

M. Silke : Il y a eu des études longitudinales sur le crime. Il y a eu ce genre d'études dans le cadre desquelles on a suivi des gens pendant leur enfance, leur adolescence et dans la vingtaine et après et où on a examiné leur participation à des activités criminelles ordinaires. Le problème que pose le terrorisme, c'est que c'est un phénomène si rare — il s'agit de 400 personnes sur l'ensemble de la population du Royaume-Uni, qui est de plus de 50 millions de personnes.

Nous pourrions suivre un échantillon de 1 000 personnes, même si elles venaient toutes de communautés musulmanes, et il serait probable, statistiquement, qu'aucune d'elles ne prendrait part à des activités terroristes. C'est une étude qui coûterait cher. C'est le problème auquel nous faisons face. La démarche générale qui a été adoptée à la place, ça a été d'étudier le passé des personnes qui ont été déclarées coupables d'actes du genre. Ce n'est pas l'approche idéale, mais c'est la démarche qui a été adoptée.

Le président : Le commentaire que l'un d'entre vous a fait tout à l'heure au sujet des gens qui se sont vendus — il y a de l'interférence dans la transmission; espérons que ça va se régler.

M. Feakin : Le dernier — excusez-moi, je suis distrait à cause de l'interférence. J'ai fait un commentaire au sujet des immigrants de troisième génération. C'était en rapport avec ce qui s'était passé dans le Nord de l'Angleterre.

J'imagine que c'est une question de désenchantement par rapport aux racines familiales. Nous examinons la situation des grands-parents qui, au départ, sont venus au Royaume-Uni parce qu'on leur promettait un emploi. Dans le Nord du Royaume-Uni, ils étaient nombreux à travailler dans la meunerie. Essentiellement, ces emplois ont cessé d'exister, et la raison première pour laquelle ils se trouvaient au pays n'est plus. Ils ont été victimes de beaucoup de racisme, mais ils ont composé avec ce racisme pour s'intégrer du mieux qu'ils pouvaient.

Une fois qu'on arrive à la troisième génération de jeunes, ils ont l'impression qu'ils vivent dans des régions où il n'y a pas de possibilité d'emploi. Ils ont l'impression que leurs grands-parents essaient de s'intégrer alors qu'ils ne devraient peut-être pas le faire, puisqu'ils ont tant souffert à cause de gens racistes. Ils font encore face à beaucoup de racisme. J'ai assurément pu le constater à Bradford.

Ça commence à s'exprimer d'une façon presque identique aux problèmes auxquels ils font face. J'ai pu constater moi- même que beaucoup d'immigrants de la troisième génération se livrent à des actes de violence raciale. Je ne peux pas expliquer cette violence. Il y avait beaucoup de ressentiment qui remontait aux générations précédentes et à ce qu'elles ont enduré. Essentiellement, ils disent qu'ils ne vont pas supporter ce traitement. En ce sens, comme vous l'avez dit avec raison, il y a un manque sur le plan de l'identité et de l'idée qu'ils se font de la place qui leur revient au sein de notre société. C'est ce sentiment qu'ils ont perdu, si vous voulez.

À l'époque, la culture des gangs s'installait à Bradford. J'avais un bon ami qui était un ex-chef de gang qui avait échappé à cette culture grâce à son amour du taekwondo et à une personne influente qui était le chef du club de taekwondo. Il disait : « Si j'étais la même personne qu'il y a 10 ans, qu'avant d'être sorti du milieu des gangs, ça aurait pu être moi. »

À l'époque, il se sentait perdu au sein de sa famille, de son quartier et de sa région. Son moyen d'expression, c'était les actes de violence que commettent les gangs. Il a dit que ça aurait pu être lui, la personne radicalisée et attirée vers cette violence parce qu'il se sentait perdu.

Le sénateur Furey : Monsieur Silke, vous avez parlé des ordonnances de contrôle dans vos derniers commentaires en réponse à mes questions. J'aimerais connaître votre point de vue général sur celles-ci. D'après ce que je comprends, on y a eu recours à deux ou trois reprises chaque année depuis leur création en 2005. Certains diraient que c'est deux ou trois fois de trop par année.

Plus précisément, quel est votre point de vue sur les répercussions qu'a eues, le cas échéant, la décision de votre cour d'appel cette année? Je parle de la décision qui permet aux personnes soupçonnées de terrorisme de poursuivre le gouvernement pour préjudices subis en cas de recours abusif à ces ordonnances.

M. Silke : À la lumière de l'histoire des ordonnances de contrôle au Royaume-Uni, mon point de vue est le suivant : les ordonnances de contrôle sont une politique qui a été adoptée à une époque où les ressources étaient beaucoup moins importantes dans les domaines des services de renseignement et de police. Le régime des ordonnances de contrôle a essentiellement permis au gouvernement de détenir des personnes soupçonnées de participation à des activités graves, mais qui auraient autrement été difficiles à surveiller.

Personnellement, je pense que c'était une mauvaise idée. Je pense que maintenant que les ressources accessibles sont beaucoup plus importantes, on a laissé le régime mourir de sa belle mort. Le problème, c'était qu'il était impossible pour les personnes visées par le régime de se défendre parce qu'elles n'étaient jamais informées des accusations portées contre elles, alors il leur était impossible de présenter une défense. Ainsi — et ce n'est pas étonnant —, le système judiciaire a déterminé que le régime était illégal, et le gouvernement s'est fait taper sur les doigts avec assez de vigueur.

La différence entre les ordonnances de contrôle et l'internement en Irlande du Nord en est peut-être une d'échelle. Les ordonnances de contrôle étaient utilisées avec parcimonie. Au plus fort du régime, je pense que seulement 13 personnes étaient visées par des ordonnances de contrôle, comparativement à 1 300 personnes en Irlande du Nord au sommet des mesures d'internement. Cet internement était préjudiciable et improductif. Si on avait pris beaucoup d'ordonnances de contrôle, elles auraient eu les mêmes répercussions.

Je pense que le régime faisait partie de ces politiques qui causent trop de problèmes. Je soupçonne que le gouvernement en place va le laisser mourir de sa belle mort.

M. Feakin : Je n'ai pas grand-chose à ajouter à cela, mis à part l'idée que c'est une chose que nous ne connaissons pratiquement pas, de toute façon, parce que nous ne possédons pas de connaissances aussi approfondies. Toutefois, j'ai discuté des ordonnances de contrôle avec notre examinateur indépendant des lois de lutte contre le terrorisme, lord Carlile, et c'est une chose qui semblait vraiment le frustrer, parce qu'il n'aimait pas les ordonnances de contrôle. De mon point de vue extérieur, je les détestais vraiment. C'étaient des mesures qui semblaient limiter nos libertés civiles en général.

J'ai entendu — et nous l'avons vu au sein du gouvernement en place, dont les responsables débattent entre eux de la question de savoir s'il faut se débarrasser des ordonnances de contrôle et de la forme qu'elles devraient prendre — le point de vue de gens qui étaient contre les ordonnances de contrôle avant de faire partie du gouvernement et qui ont semblé changer d'avis lorsqu'ils ont eu un meilleur accès au renseignement. C'est une chose dont lord Carlile a parlé. Il déteste les ordonnances de contrôle, mais il ne voit pas de solution de rechange.

Il est difficile d'argumenter, parce que le débat sur les ordonnances de contrôle est fondé sur des éléments de preuve auxquels nous n'avons pas accès. Nous détestons ces mesures, mais il serait très intéressant de voir cette preuve qui fait qu'il n'y a peut-être pas d'autre solution de rechange viable.

Je ne suis pas sûr que les ordonnances de contrôle vont disparaître avec le gouvernement en place. Je pense que les représentants du gouvernement sont déjà inquiets, à l'interne. L'une des politiques qu'ils ont rapidement adoptées, c'est le fait qu'il s'agit du genre de liberté civile qu'ils vont rétablir. Une fois qu'ils connaissent mieux le débat interne et qu'ils ont accès à plus d'informations, ils constatent qu'ils ne savent plus très bien quelle approche adopter.

Le président : Au nom des membres du Comité sénatorial spécial sur l'antiterrorisme, je veux remercier MM. Feakin et Silke de la générosité avec laquelle ils nous ont fait part de leurs points de vue, réflexions et expertises et de leur temps.

Merci beaucoup de votre aide. Nous vous souhaitons du succès dans les activités que vous continuez de mener et qui profitent au milieu universitaire, à la recherche et aux autres choses qui sont nécessaires pour faire en sorte que l'une de nos mères patries demeure le plus sécuritaire possible. Merci beaucoup.

Chers collègues, notre prochaine séance aura lieu le 6 décembre. Nos témoins seront Thomas Hegghammer, spécialiste des études sur le terrorisme à la Kennedy School, qui œuvre actuellement au Centre norvégien de recherche sur la défense, et Brian Jenkins, conseiller principal du président-directeur général de la RAND Corporation et auteur d'une importante monographie fondée sur ses travaux de recherche sur la menace terroriste et nucléaire dans différents pays.

Nous avons hâte à cette séance. Si quelqu'un peut présenter une motion d'ajournement, je vais l'accepter. Merci, sénateur Plett. Chers collègues, chers témoins, merci beaucoup.

(La séance est levée.)


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