Délibérations du Comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense
Fascicule 5 - Témoignages du 7 juin 2010
OTTAWA, le lundi 7 juin 2010
Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense se réunit aujourd'hui, à 16 h 1, pour étudier et faire rapport sur les politiques de sécurité nationale et de défense du Canada (sujets : l'état des Forces canadiennes; et le rôle de nos Forces en Afghanistan actuellement et après 2011).
Le sénateur Pamela Wallin (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Mesdames et messieurs, bienvenue au Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense. Nous accueillons aujourd'hui le général Walter Natynczyk, chef d'état-major de la Défense. C'est un plaisir de vous recevoir, monsieur. Merci beaucoup.
Nous avons invité le général Natynczyk pour qu'il nous donne son point de vue sur un vaste éventail de questions. Le général Natynczyk a eu une carrière militaire très longue et fructueuse. Il s'est enrôlé dans les Forces canadiennes en 1975 après avoir été cadet de l'air pendant cinq ans. Il a occupé des postes de commandement régimentaire, depuis guide de troupe dans les blindés jusqu'à commandant des Royal Canadian Dragoons. Sur le plan opérationnel, le général Natynczyk a occupé des postes au sein de l'OTAN en Allemagne, a commandé une mission de maintien de la paix de l'ONU à Chypre, a été chef de secteur des forces britanniques mandatées par l'ONU en Bosnie-Herzégovine, chef des opérations terrestres de la mission de l'ONU en Croatie, et il a aussi commandé le contingent canadien en Bosnie-Herzégovine. Au Canada, il a occupé le commandement des Dragoons quand ils ont aidé durant l'inondation à Winnipeg et aussi après la crise du verglas.
L'armée américaine connaît le général Natynczyk parce qu'il a été le troisième Canadien à servir à titre de commandant général adjoint du troisième Corps et a été déployé avec eux en Irak en 2004, où il s'est finalement retrouvé général commandant adjoint du corps multinational.
De retour au Canada, entre autres postes, il a été le premier chef de la transformation des FC — processus qui est toujours en cours — et plus récemment vice-chef d'état-major de la Défense. Il est chef d'état-major de la Défense depuis juillet 2008.
Bienvenue, général. Nous sommes heureux de vous accueillir ici. Je suppose que vous avez une allocution.
Général Walter Natynczyk, chef d'état-major de la Défense, Défense nationale : En effet, madame la présidente. Bon après-midi à tous.
C'est la première fois que j'ai l'occasion de m'adresser à ce comité en qualité de chef d'état-major de la Défense, et je tiens à vous remercier. Je vous remercie non seulement de l'intérêt soutenu que vous manifestez envers les Forces canadiennes, mais de l'appui que vous accordez aux hommes et aux femmes militaires ainsi qu'au ministère et aux fonctionnaires qui les appuient.
Je suis content que vous ayez déjà eu la chance d'accueillir les chefs d'état-major de la Force maritime, de l'Armée de terre et de la Force aérienne. Leur témoignage vous a sûrement montré à quel point les Forces canadiennes s'emploient chaque jour à défendre le Canada et les intérêts canadiens.
Chacun des hommes et femmes militaires du Canada que j'ai rencontré est fier de son travail. Je pense que vous reconnaissez tous que nous avons une force militaire d'un grand professionnalisme. Nous avons des normes de travail très élevées et nous attendons de nos gens qu'ils fassent ce qui est juste, et c'est ce que j'attends d'eux, moi aussi. Évidemment, nous sommes tous humains et les gens font des erreurs. Mais lorsque cela se produit, nous, en tant qu'institution et profession, faisons ce qui est juste, conformément aux valeurs canadiennes.
Sur le plan opérationnel, nous vivons une époque qui exige beaucoup de nos militaires. J'en suis très conscient, surtout avec les funérailles du soldat Larry Rudd vendredi et la triste nouvelle que le pays a apprise avant-hier au sujet du sergent Martin Goudreault, de Sudbury, qui a été tué en Afghanistan. Nous nous efforcerons de consoler leurs familles au cours des prochains jours, semaines et années.
En fait, c'est mon rôle de faciliter la tâche de tous ceux qui s'exposent au danger et d'atténuer, dans la mesure du possible, les risques qu'ils courent quotidiennement. Et j'admets que nous vivons une période difficile, mais, dans l'ensemble, je suis optimiste quant à ce que nous accomplissons et aux moyens que nous prenons pour y arriver.
[Français]
Madame la présidente, je me sens privilégié d'avoir l'occasion de voir nos Forces canadiennes servir à travers le monde. Au mois de février dernier, nous menions de front quatre des six missions fondamentales énoncées dans la stratégie de défense Le Canada d'abord.
Les Forces canadiennes ont exécuté des opérations nationales et continentales de routine, que ce soit des opérations de recherche et sauvetage dans l'Arctique ou nos activités avec le NORAD. Plus de 4 000 membres de nos effectifs militaires ont aidé la GRC à assurer la sécurité des Jeux olympiques d'hiver à Vancouver.
En même temps, il y avait des militaires canadiens en poste en Afghanistan, où l'on fait des progrès dans nos efforts visant à protéger les Afghans contre un ennemi vraiment fort.
Par dessus tout, nos militaires dévoués ont su répondre à l'appel au secours lancé lorsque Haïti a été frappé par un séisme tragique le 12 janvier. Dans l'espace de quelques semaines, nous y avons déployé nos forces opérationnelles aérienne, terrestre et maritime.
[Traduction]
Cette habileté remarquable à réaliser avec succès des opérations simultanées durant ce mois de février témoigne de la souplesse et de l'ingéniosité de tous nos soldats, marins et aviateurs, hommes et femmes.
Nous ne nous attendons pas à ce que la cadence ralentisse, dans l'avenir prévisible. En prévision des sommets du G8 et du G20, qui auront lieu ce mois-ci, près de 3 000 membres des Forces canadiennes se joindront une fois de plus à la GRC et à d'autres partenaires fédéraux, provinciaux et municipaux pour offrir à nos invités des services de sécurité de premier ordre. Ils tireront profit de toutes les leçons apprises durant les préparatifs des Olympiques l'année dernière.
Permettez-moi d'aborder la mission en Afghanistan, où près de 3 000 soldats accomplissent un travail extraordinaire. J'étais à Kandahar en mars, et j'ai été impressionné par les changements qui s'accélèrent suite à la nouvelle approche adoptée par l'OTAN dans la lutte contre l'insurrection, mais aussi grâce aux renforts envoyés par plusieurs de nos alliés de l'OTAN, surtout les États-Unis.
Bien entendu, les Forces canadiennes mettront un terme à leur mission de combat en 2011, mais il reste beaucoup à faire avant cette échéance. Nous misons sur l'obtention de résultats aujourd'hui, demain, la semaine prochaine et le mois prochain, pour permettre aux Afghans de réussir.
Aujourd'hui, les forces de la coalition offrent une sécurité durable à une plus grande partie de la population qu'auparavant. Et cette sécurité s'accompagne de développement, d'une meilleure gouvernance et de conditions économiques améliorées.
Je suis fier de dire que nous avons aidé à former 50 000 membres de l'Armée nationale afghane et plus de 2 100 membres de la police nationale afghane, une contribution qui aidera les Afghans à voler de leurs propres ailes après notre départ. Même si les talibans utilisent des techniques encore plus astucieuses, nous apprenons de notre côté. Nous réussissons à trouver et à désamorcer plus de dispositifs explosifs de circonstance que l'année dernière et nous trouvons ceux qui ont tué des Afghans et des Canadiens avec leurs bombes.
Et nous facilitons la tâche d'autres ministères et organismes gouvernementaux en renforçant la capacité des Afghans de se débrouiller seuls. Voilà de nombreuses raisons qui justifient un optimisme prudent.
Les Forces canadiennes exécutent aussi avec succès des opérations partout dans le monde. Je viens tout juste de faire une visite à bord du NCSM Fredericton, qui est rentré au pays après avoir mené avec succès une opération au large de la Corne de l'Afrique.
Dans toutes nos opérations, peu importe où elles sont menées, nos efforts s'appuient sur la Stratégie de défense Le Canada d'abord, le plan que le gouvernement a élaboré afin de moderniser les Forces canadiennes. Nous avons réalisé des progrès dans chacun des quatre grands piliers de cette stratégie Le Canada d'abord, nommément l'équipement, l'infrastructure, la disponibilité opérationnelle et le personnel.
Nous sommes actuellement en train de mener l'une des plus vastes initiatives de renouvellement de l'équipement militaire depuis la Seconde Guerre mondiale, et nos hommes et nos femmes ont besoin de l'équipement nécessaire pour être efficaces dans l'exécution de leur mission et pour mieux se protéger.
Nous sommes dans une période prometteuse. En mars, j'étais à bord d'un appareil Hercules de modèle E, ce qui veut dire qu'il a été acheté dans les années 1960. J'ai dit à l'équipage : « Les gars, cet avion marche super bien », et ils m'ont répondu que c'était la dernière mission de l'appareil. Dès son retour à Trenton, il deviendrait un réservoir de pièces de rechange. Vendredi dernier, c'était extraordinaire de voir arriver à Trenton un nouvel avion Hercules C-130J.
Vous m'avez peut-être entendu dire ces derniers temps que c'est bien beau d'acheter des avions et des véhicules, mais qu'il faut aussi construire des navires. Depuis que je suis arrivé à mon poste il y a près de deux ans, je n'ai cessé de dire que la construction de navires est ma première priorité en matière d'acquisition, parce que c'est l'activité la plus difficile. Je suis donc heureux de l'annonce faite la semaine dernière par le ministre de la Stratégie nationale d'approvisionnement en matière de construction navale. J'ai hâte que l'on commence à découper des panneaux d'acier.
J'ai été heureux de constater l'allocation de fonds supplémentaires pour les infrastructures de défense au cours des deux dernières années, depuis que nous avons lancé la Stratégie de défense Le Canada d'abord, et nous obtenons aussi les installations nécessaires pour abriter tout cet équipement neuf. Nous mettons aussi beaucoup l'accent sur l'amélioration de la disponibilité opérationnelle des forces aériennes, terrestres, navales et spéciales.
[Français]
Alors que nous nous préparons pour l'avenir, nous augmentons nos effectifs. Cette année, nous avons atteint nos objectifs en matière professionnelle; à la fois sur le plan du recrutement et sur celui du maintien en poste. Les Forces régulières comptent maintenant un peu plus de 68 000 membres et la Réserve compte 30 000 membres.
Mais, comme vous l'ont déjà dit les chefs de la Force maritime, de la Force terrestre et de la Force aérienne, entraîner une recrue pour en faire un militaire apte au combat prend du temps et nos écoles sont remplies à capacité. Nous avons environ 12 000 hommes et femmes qui suivent l'instruction élémentaire ou professionnelle.
Nous assurons la croissance des Forces canadiennes avec l'apport de Canadiens remarquables, qui possèdent les compétences dont nous avons besoin; pas seulement des personnes habilitées à piloter des avions, à servir à bord de navires ou à conduire des chars d'assaut, mais également des techniciens dont nous avons besoin pour assurer l'entretien de notre matériel.
[Traduction]
Nous continuons d'améliorer les services que nous offrons à nos hommes et femmes, y compris à nos militaires malades ou blessés et à leurs familles, qui appuient notre personnel. Je constate que l'appui aux familles est essentiel, non seulement pour le bien-être de nos militaires, mais aussi pour l'efficacité opérationnelle des Forces canadiennes.
Et tous nos efforts sont indispensables alors que nous tâchons d'équilibrer les quatre piliers de notre Stratégie de défense Le Canada d'abord.
Avant de terminer, je voudrais faire quelques observations sur le budget. Il renferme deux clauses importantes qui ont une incidence sur les Forces canadiennes et le ministère de la Défense nationale. Premièrement, on a annoncé dans le budget un gel des budgets de fonctionnement qui exigera du ministère qu'il absorbe les hausses salariales du personnel civil et militaire jusqu'à la fin du gel en 2012-2013. Deuxièmement, il contenait des dispositions prévoyant le ralentissement du taux de croissance de l'enveloppe budgétaire de la Défense d'environ 525 millions de dollars en 2012- 2013 et de un milliard de dollars annuellement par la suite.
Sur une note plus positive, le financement alloué à la défense continuera d'augmenter grâce au facteur de progression automatique du financement prévu dans la Stratégie de défense Le Canada d'abord. Nous profitons du temps dont nous disposons avant l'entrée en vigueur de ces mesures pour rajuster nos projets de dépenses à long terme et pour équilibrer les ressources entre les quatre piliers et optimiser les sommes qui nous sont accordées.
Nous utilisons aussi le processus de l'examen stratégique exigé par le Conseil du Trésor pour trouver les économies et les gains d'efficience exigés par le budget de 2010. Cela nécessite un examen de la totalité de nos activités et l'examen stratégique nous aide à axer nos efforts sur la réalisation efficace et efficiente des priorités essentielles de la Stratégie de défense Le Canada d'abord.
Comme vous l'ont dit la semaine dernière les chefs d'état-major, même si l'on ne peut nier qu'il y a des défis à relever, les Forces canadiennes sont en mesure de continuer de donner les résultats auxquels s'attendent les Canadiens.
En conclusion, le Canada peut compter sur des militaires qui sont des professionnels et qui forment une force qui est, à mon avis, toutes proportions gardées, sans égal. Nous devons continuer de faire en sorte que nos forces disposent des capacités requises pour accomplir notre devoir : défendre notre pays, être un partenaire solide dans notre collaboration avec les États-Unis, contribuer à la paix et à la sécurité internationales, et être prêt à affronter l'environnement de sécurité de demain.
Merci encore de l'intérêt que vous portez envers nos Forces canadiennes.
La présidente : Je vous remercie pour vos observations. Je voudrais préciser un point au sujet du budget. Comme vous l'avez constaté depuis le voyage du Comité spécial sur la mission canadienne en Afghanistan, on discute maintenant de plus en plus de la possibilité de rester en Afghanistan d'une manière ou d'une autre.
Est-ce qu'on en tient compte dans le budget, ou bien la réduction des dépenses associées à notre présence en Afghanistan est-elle déjà prise en compte dans le budget d'une manière ou d'une autre?
Gén Natynczyk : Aujourd'hui, nous recevons un budget supplémentaire pour des opérations comme celles menées en Afghanistan. Dans mon allocution, je parlais du budget de base du ministère.
La présidente : Qu'arrivera-t-il s'il y a une entente quelconque en vue de prolonger la mission alors même que vous êtes en train de planifier notre sortie?
Gén Natynczyk : Dès que nous menons ou planifions une opération, que ce soit à Haïti ou n'importe où dans le monde, nous incluons dans ce processus de planification l'établissement du coût de cette opération.
Le sénateur Dallaire : Ma question porte sur la procédure. Quand des officiers généraux comparaissent devant notre comité, quelle procédure existe au ministère pour ce qui est de la teneur de leurs exposés? Reçoivent-ils des instructions quant aux propos qu'ils peuvent tenir sur les opérations menées sur le terrain? Y a-t-il une procédure quelconque, ou bien les généraux se fondent-ils sur leurs connaissances pour nous donner des conseils purement militaires?
Gén Natynczyk : Sénateur Dallaire, tout dépend des questions posées par les membres du comité. Dans mon cas, j'ai vu ce qui intéressait le comité et j'ai donné à mes collaborateurs des instructions en vue de répondre à ces questions. Les officiers généraux répondent aux questions comme bon leur semble, quoiqu'ils peuvent compter au besoin sur l'aide de leurs collaborateurs.
Le sénateur Dallaire : En écoutant les chefs d'état-major la semaine dernière, nous avons été un peu étonnés par le ton de leurs observations, qui donnait à entendre que tout allait très bien. Cela ébranle quelque peu leur crédibilité. Nous savons que les augmentations budgétaires ont été bloquées par le dernier budget et que le budget d'exploitation et maintenance a notamment été considérablement réduit parce que vous essayez de protéger les dépenses consacrées au personnel. Ces coûts ont dépassé les 51 p. 100 prévus dans la Stratégie de défense Le Canada d'abord. Vous avez aussi un programme d'immobilisations et je me demande si vous pouvez vous le permettre.
Est-ce que vous réussissez à équilibrer tout cela alors que vous essayez d'obtenir des pièces détachées, de donner une solde raisonnable aux militaires, de fournir assez de munitions et de donner suffisamment de journées en mer aux marins et d'heures de vol aux aviateurs, ou bien avez-vous établi une norme minimale qui est inférieure à ce qui était prévu dans la Stratégie de défense Le Canada d'abord?
Gén Natynczyk : J'ai été nommé vice-chef d'état-major en 2006, en remplacement du vice-amiral Ron Buck. Je sais qu'il avait un budget total de la défense de l'ordre de 13 milliards de dollars en 2005 et en 2006, date à laquelle il m'a confié le dossier. Or cette année, nous avons un budget tournant autour de 21 milliards de dollars. Au cours des dernières années, surtout depuis 2008, nous avons réussi à injecter beaucoup d'argent dans l'exploitation et maintenance, en fait dans tous les services.
Quand je suis devenu vice-chef d'état-major en 2006, le budget d'exploitation et maintenance de la marine, ou le budget national d'acquisition, c'est-à-dire l'argent qui sert à l'achat de pièces de rechange et à l'entretien, représentait 54 p. 100 de la demande totale. Ce chiffre atteint maintenant presque 70 p. 100 de la demande totale. Cela sert en partie à mettre des navires en radoub et tout le reste, mais il faut aussi injecter suffisamment d'argent dans les pièces de rechange.
Si je compare ma situation à celle de mes collègues ailleurs dans le monde, il n'y a jamais assez d'argent pour combler 100 p. 100 de nos besoins. C'est l'une des difficultés dans ce secteur d'activité. Certains de nos alliés au sud, dans le secteur des opérations, sont financés à hauteur de 110 p. 100 des besoins. C'est beaucoup d'argent et c'est quasiment difficile de le dépenser.
Nous gérons constamment le budget tout au long de l'année et de chaque trimestre. L'une de nos difficultés, et je crois que la vérificatrice générale l'a signalé, c'est l'argent que nous reportons d'une année à l'autre. Jusqu'à très récemment, cette somme était de seulement 200 millions de dollars. Quand on a un budget de 21 milliards de dollars, c'est tout un art de gérer un budget avec une précision de 200 millions de dollars, surtout si l'on tient compte de la complexité et de la très grande diversité de notre secteur d'activité, qu'il s'agisse des programmes d'immobilisations pour l'acquisition de navires, d'hélicoptères, d'avions, de blindés, de pièces d'artillerie, et cetera, ou bien du budget d'exploitation et de maintenance. C'est difficile de boucler les livres à la fin de l'année à 200 millions de dollars près, tout en demeurant efficace.
En appliquant la Stratégie de défense Le Canada d'abord, nous avons constaté que de véritables gains d'efficience sont possibles si l'on peut dépenser l'argent tôt dans l'année et faire les meilleurs investissements possible. Cela débouche sur une budgétisation pluriannuelle, et certains de nos alliés l'ont d'ailleurs fait. De cette manière, on n'a pas à équilibrer le budget chaque année à 200 millions de dollars près. Je serais fortement en faveur d'une telle approche. Ainsi, nous pourrions utiliser l'argent de la manière la plus efficiente possible.
Pour revenir à votre question clé, je pense que tous les services peuvent être très à l'aise avec le budget dont ils disposent et pas seulement le budget de départ. Tout au long de l'année, on constate qu'il y a de l'argent affecté à un commandement ou un autre et qu'on n'arrive pas à dépenser. À chaque trimestre, ces sommes sont renvoyées au vice- chef d'état-major qui doit les réaffecter à d'autres services, lesquels vont les consacrer à des priorités plus élevées, ce qui est dans la nature de nos activités.
Le sénateur Dallaire : Je croyais que le report pouvait atteindre 2 p. 100 de votre budget; je ne me rendais pas compte que vous étiez limité à 200 millions de dollars.
Gén Natynczyk : Je pense que cela peut aller jusqu'à 2 p. 100. Certains ministères sont à 5 p. 100.
Le sénateur Dallaire : Avec le mouvement des fonds vers la droite, et quoique vous ayez reçu un budget supplémentaire pour l'Afghanistan, vous avez dû absorber une partie des coûts. L'usure de l'équipement devra en partie être intégrée dans vos coûts d'exploitation et d'entretien, quand vous ferez la mise à niveau.
Est-ce que des projets d'immobilisations ont été déplacés vers la droite à cause du changement annoncé dans le budget et de la suppression de certaines sommes prévues à l'origine dans la Stratégie de défense Le Canada d'abord?
Gén Natynczyk : Pour ce qui est des véhicules, vous avez raison. Les blindés et surtout les véhicules blindés légers ont été durement éprouvés. Nous sommes contents que le renouvellement du parc de VBL fasse partie du programme d'immobilisations. Cela ne fera pas partie du budget d'O et M, mais d'un programme d'acquisition imputé au crédit 5. C'est pourquoi le général Leslie a dit que nous voulons ramener au Canada tous les VBL. Même s'ils sont vraiment fatigués, nous pouvons les remettre en état et en faire des véhicules qui seront prêts à affronter les tâches de demain.
Vous êtes peut-être au courant du véhicule blindé chenillé, le VBLC, qui est un TTB datant des années 1960, dont nous avons prolongé la durée de vie utile en y installant un nouveau moteur et une nouvelle transmission. Il donne une bien meilleure protection et est utilisé aujourd'hui. Les soldats ont très confiance en ces véhicules.
Nous avons lancé un programme d'immobilisations pour assurer l'exploitation et la maintenance de ces véhicules.
[Français]
Le sénateur Nolin : Puisque vous êtes un expert sur la question de la transformation, dont vous avez eu la responsabilité depuis 2005, comment évaluez-vous les progrès accomplis en cette matière depuis les cinq dernières années?
Gén Natynczyk : Nous avons apporté beaucoup de changements en 2005 et en 2006. Tous ces changements ont eu lieu avant l'opération Medusa, en septembre 2006. Nous n'avions pas idée alors du tempo vraiment élevé que les opérations en Afghanistan requerraient à ce moment-là. Alors les retombées bénéfiques de COMFEC sont extraordinaires. Le quartier général du Commandement de la Force expéditionnaire (COMFEC) a eu une telle capacité de commandement et de contrôle et une telle flexibilité qu'on a pu gérer en même temps une opération humanitaire en Haïti, des opérations dans le golfe Persique ainsi que les préparatifs pour les Jeux olympiques.
Avec le quartier général du Commandement Canada, il y a eu tout l'entraînement, la planification et la collaboration avec la GRC et tous les autres ministères et agences canadiens, et même avec le quartier général de NORTHCOM et NORAD.
C'est vraiment un avantage d'avoir ce quartier général ainsi que celui des Forces spéciales et des Opérations de support.
Le sénateur Nolin : Tout fonctionne bien sur les quatre nouveaux commandements que vous aviez imaginés?
Gén Natynczyk : Oui. Au mois de février, nous avons eu la pression de toutes ces opérations en même temps : l'Afghanistan, les Jeux olympiques, Haïti et même le navire Fredericton dans le golfe Persique. Cette structure nous a offert agilité, flexibilité, commandement et contrôle. Nous serons même bientôt prêts pour le G8.
Le sénateur Nolin : Compte tenu de l'importance de nos opérations interalliées et l'interopérabilité de notre équipement et de nos opérations, en tant que Chef de la Transformation, étiez-vous en étroite collaboration avec vos collègues de l'ACT à Norfolk?
Gén Natynczyk : Pas vraiment.
Le sénateur Nolin : Non?
Gén Natynczyk : Ils ont appris beaucoup de leçons de nous.
Le sénateur Nolin : J'ai posé la question aux représentants de l'ACT. Ils m'ont répondu que vous aviez une très bonne collaboration.
Gén Natynczyk : En tant que chef de la Transformation, je suis allé à Norfolk pour partager notre expérience sur l'évolution de notre structure de commandement et de contrôle et même de notre capacité des opérations expéditionnaires. Et pour l'OTAN, c'est toujours difficile de faire cela.
[Traduction]
Le sénateur Lang : Général, la fin de semaine dernière, la présidente du Comité de la défense, le sénateur Wallin et moi-même, étions au Yukon. Elle avait deux engagements de conférencière, mais nous avons trouvé le temps d'aller voir le camp des cadets. Nous avons pu passer un peu de temps avec les membres de la Légion, qui célébraient en grande pompe l'inauguration de leur nouveau local. Ce fut une fin de semaine fructueuse.
J'attire l'attention du comité sur la question de la souveraineté dans l'Arctique et la responsabilité du ministère de la Défense nationale. Nous vivons une époque de grand changement climatique, peut-être plus rapide que la plupart d'entre nous ne s'en rendent compte, surtout dans le Nord. De plus, d'autres pays se montrent de plus en plus intéressés par les ressources dans le Nord.
Pourriez-vous nous donner un bref aperçu de votre réflexion sur l'environnement sécuritaire dans le Grand Nord canadien et dans l'Arctique?
Gén Natynczyk : Absolument. Quand on parle de l'Arctique canadien, c'est un territoire immense. Je suis content que vous y soyez allé récemment. Je rappelle aux gens que le territoire situé au nord du 60e a à peu près la taille de l'Europe, mais une population de seulement 104 000 habitants. C'est immense. Je rappelle aussi aux gens que pour les Forces canadiennes, c'est plus difficile de mener des opérations dans l'Arctique, du point de vue logistique, qu'en Afghanistan, parce qu'il n'y a pas de nation hôte sur laquelle on puisse compter. On n'a que ce qu'on y apporte. Ailleurs, on peut trouver un certain soutien. Dans l'Arctique, on peut seulement compter sur ce que l'on apporte avec soi.
Comme vous l'avez dit, les Forces canadiennes appuient d'autres ministères gouvernementaux. Nous ne sommes pas l'organisme chef de file pour ce qui est des opérations dans l'Arctique, mais nous habilitons tous les autres pour assurer leur succès. C'est évidemment le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien qui est le chef de file dans le Nord, mais tous les intervenants, que ce soit la GRC, le ministère de la Sécurité publique ou la Garde côtière, ont un rôle à jouer pour soutenir les gouvernements territoriaux et municipaux. Les Forces canadiennes les appuient tous. Nous sommes représentés non seulement par la Force opérationnelle interarmées Nord à Yellowknife, qui a un détachement à Whitehorse et son quartier général à Yellowknife, mais aussi par les Rangers des communautés qui travaillent partout dans l'Arctique et dans les régions côtières.
Quand on parle de souveraineté dans le Nord, normalement, on veut dire l'exercice de cette souveraineté. Je ne perçois aucune menace militaire conventionnelle dans l'Arctique canadien, ce qui est le point de vue généralement accepté. J'ose dire que si un pays décide d'envahir l'Arctique canadien, ma première réaction sera d'envoyer une mission de recherche et de sauvetage pour leur venir en aide.
La problématique dans le Nord, c'est tout ce qui n'est pas vraiment militaire : c'est la recherche et le sauvetage, c'est l'environnement, c'est la criminalité et tous les autres aspects qui relèvent du domaine d'autres intervenants. Les Forces canadiennes ont un rôle important à jouer pour habiliter le succès des autres. C'est pourquoi nous dirigeons les trois séries d'opérations annuelles dans le Nord. Celle dont les gens parlent le plus, c'est l'opération Nanook. Nous travaillons avec d'autres ministères gouvernementaux pour déterminer les scénarios qu'ils voudraient mettre en oeuvre, que ce soit un déversement environnemental, un virus à bord d'un navire de croisière, un problème de criminalité ou de drogue. Les Forces canadiennes peuvent aider les autres ministères à atteindre leurs objectifs en matière de formation.
Nous chapeautons encore tout l'effort de recherche et de sauvetage dans l'ensemble de l'Arctique. Récemment, quand je suis allé dans l'Arctique avec le ministre MacKay, nous avons suivi le sauvetage d'un aventurier australien qui était perdu sur les glaces à 500 milles nautiques au nord d'Alert. Cet aventurier était un soldat britannique à la retraite mesurant six pieds huit pouces qui avait décidé de se rendre jusqu'au pôle Nord en ski de fond et à pied. À 500 milles nautiques au nord d'Alert, il est tombé dans l'océan. Il a été dans l'eau pendant 10 minutes et a déclenché sa balise, qu'il avait achetée à tout hasard. Six heures plus tard, un Twin Otter de l'Escadron 440 de Yellowknife l'a survolé et quelques instants plus tard, trois techniciens en recherche et sauvetage de Gander, à Terre-Neuve, sont arrivés.
C'est le technicien en recherche et sauvetage qui m'a raconté l'histoire par la suite, avec son ineffable accent terre- neuvien. Il m'a dit que dès qu'il a mis le pied sur la glace, l'Australien a sorti sa tête de la tente et lui a dit : « Je n'ai pas d'argent et pas d'assurance. » Le TECH SAR a rétorqué : « Pas de problème, m'sieur. Vous êtes au Canada; tout est gratuit. »
Le fait est que c'est la mission de recherche et de sauvetage la plus septentrionale dont j'ai eu connaissance, à 500 milles nautiques au nord d'Alert. Je disais donc que dans le Nord, c'est vraiment une histoire de collaboration entre tous les ministères qui doivent travailler ensemble.
Nous avons ici aujourd'hui à Ottawa le nouveau commandant du NORAD et de NORTHCOM, l'amiral Sandy Winnefeld. Je sais que vous avez entendu il y a peu de temps le général Gene Renuart. C'est maintenant l'amiral Sandy Winnefeld qui occupe le commandement et l'on parle encore une fois non seulement de la dimension du NORAD, mais de la dimension NORTHCOM de la coopération canado-américaine dans le Nord.
Je viens tout juste de recevoir mon collègue danois et nous ne devons pas oublier qu'avec le Groenland, le Danemark est un voisin géographique du Canada. Quand on est à Alert et qu'on regarde l'horizon, on voit le Groenland à seulement 40 kilomètres. Au passage le plus étroit, il y a seulement 20 kilomètres entre le Groenland et le Canada. Par conséquent, nous travaillons ensemble dans l'Arctique pour assurer la survie des gens qui vivent dans des conditions très rigoureuses.
Le sénateur Lang : Je voudrais attirer votre attention sur la question du budget pour le Nord et du budget qui relève de vos responsabilités. Cela met en cause les engagements pris ces dernières années. Compte tenu des rajustements au gouvernement, pourriez-vous faire le point sur les projets qui sont en cours et nous dire si l'on va respecter les échéances prévues au moment de l'annonce de ces projets? Il y a les installations portuaires à Nanisivik. Je crois qu'il y a une installation de formation à Resolute. Il y a un engagement envers les Rangers et un certain nombre d'autres engagements.
Pourriez-vous nous dire si nous allons atteindre les objectifs qui ont été établis ces dernières années?
Gén Natynczyk : Pour les détails, je devrai vérifier auprès du ministère pour chacun de ces projets. Il serait raisonnable que je vous revienne avec les détails.
La présidente : Faites parvenir les renseignements au comité.
Gén Natynczyk : Je ne suis au courant d'aucun obstacle. Dans le cas de Nanisivik, le problème est l'examen environnemental, parce qu'il y avait là une installation minière. Il y avait beaucoup de carburant dans les installations portuaires et tout le reste. Je sais qu'il y a une étude environnementale en cours au Nunavut.
De même, au sujet de Resolute, à l'installation de formation dans l'Arctique, nous travaillons de concert avec RNCan qui en est maintenant le propriétaire. En fait, nous construisons par-dessus leur installation pour en renforcer grandement la capacité.
J'ai eu un entretien avec les responsables du 1er Groupe de patrouilles des Rangers canadiens. Ils travaillent très fort pour recruter des Rangers. Ils ont les ressources pour le faire, et ils vont donc dans les localités pour recruter de nouveaux Rangers pour atteindre cet objectif. Enfin, l'amiral McFadden a fait des observations sur le design d'un navire de patrouille océanique de l'Arctique. Quand je suis allé dans l'Arctique récemment, j'ai rencontré de jeunes réservistes qui faisaient partie de la compagnie arctique basée à Edmonton, les Loyal Eddies. Ils s'entraînent là-bas, beaucoup d'entre eux pour la première fois. Ils s'entraînent avec les Rangers et apprennent beaucoup.
Je vais maintenant demander aux fonctionnaires du ministère de vous donner des réponses détaillées à vos questions, mais, à ma connaissance, il n'y a aucun obstacle.
La présidente : J'ai toujours dit que nous pouvions voir le Groenland depuis notre jardin, mais je suis contente que vous ayez précisé cela pour nous aujourd'hui.
Le sénateur Segal : Général, pourriez-vous mettre de côté — je sais que cela vous serait impossible parce que vous jouez ce rôle 24 heures sur 24 — votre rôle à titre de CEMD et essayer de nous parler à titre de haut gradé militaire qui a participé à des opérations militaires internationales partout dans le monde au nom du Canada et de concert avec nos alliés.
Je sais que la date de notre retrait en Afghanistan, que ce soit sur le plan militaire ou autre, ne relève pas de votre échelle salariale. Votre responsabilité est de servir le Parlement et le gouvernement en place et de donner suite à leurs décisions et je ne vais donc pas poser cette question. Cependant, je vais poser la question dans le contexte du message que devrait à votre avis envoyer l'OTAN, à titre de grande alliance actuellement engagée à l'appui des forces afghanes et du gouvernement afghan, aux talibans et à tous ceux qui appuient les forces de la noirceur dans ce coin du monde. Quel message, à votre avis, l'OTAN devrait-elle envoyer quant à son engagement de garder le cap, son engagement à titre d'alliance, sur le plan militaire, civil et d'autres formes d'aide, de rester présente là-bas aussi longtemps qu'il faudra? Quel message sera envoyé pour que le dicton que l'on entend fréquemment à propos des talibans, c'est-à-dire que vous avez vos montres, mais nous avons l'heure, soit adressé directement par l'alliance, pour que nous disions que nous avons l'heure, nous aussi; nous ne tournons pas le dos à ce pays et nous serons présents aussi longtemps qu'il faudra?
Du point de vue de la stratégie nécessaire pour contrer une insurrection bien enracinée de ce genre, si le chef de l'OTAN vous demandait votre avis sur une telle proposition, quelle serait votre réponse?
Gén Natynczyk : Je sais pour avoir fait beaucoup d'opérations avec bien des gens que le temps est toujours l'ennemi pour nous. Les gens veulent des résultats tout de suite et c'est difficile. Je ne ferai pas de conjecture au sujet de l'une ou l'autre des opérations qui sont actuellement en cours.
Quand je prends la parole devant un grand nombre de soldats et de familles, je parle souvent du fait qu'en septembre dernier, il s'est passé deux choses. Premièrement, j'ai assisté à une réunion de l'OTAN et le monsieur qui était assis à mes côtés était le chef de la Défense de la Croatie. Il y a 15 ans, quand je servais en Bosnie et en Croatie, je n'aurais jamais pu imaginer que la Croatie serait un jour un allié au sein de l'OTAN. Non seulement la Croatie est-elle membre de l'OTAN, mais elle envoie des troupes de maintien de la paix en Afghanistan, de même que la Bosnie-Herzégovine. Cela prend du temps. Il s'est écoulé 18 ans depuis notre mission en Bosnie et en Croatie.
En septembre, j'ai également ratifié la directive qui mettait fin aux opérations dans ce pays parce qu'on n'en avait plus besoin. C'est donc toujours le temps qui fait problème.
Pour ce qui est des opérations que nous menons actuellement, j'ai passé un peu de temps en Irak et je me rappelle où nous en étions en 2004 et à quel point la campagne était difficile. Je n'aurais pu imaginer le revirement de situation que l'on a réussi grâce à l'intensification des opérations en 2007-2008. Le major-général Peter Devlin, qui est maintenant le lieutenant-général Peter Devlin, puisque je l'ai promu il y a environ une heure, a remarqué lui aussi à quel point cette poussée a bien fonctionné. Le succès de cette poussée et la réussite des Sunnites, qui ont pris en main leur pays, a débouché sur les progrès que l'on constate en Irak. C'est la gouvernance qui en a bénéficié.
En Afghanistan aujourd'hui, la question clé est de savoir comment changer la donne en matière de gouvernance. Le renforcement gigantesque des forces là-bas vise à changer le rapport de force. C'est pourquoi je suis certain que tout le monde suit de près la jirga qui a eu lieu il y a quelques jours et les résultats qui en découleront. Certains ont des réserves, mais ce sera le tournant qui changera la situation et les perspectives de tous ceux qui sont assis entre deux chaises et qui attendent de décider s'ils appuieront les talibans ou bien le gouvernement de l'Afghanistan. Je dirais que telle est la problématique actuellement.
Le sénateur Segal : Plus on a de temps, mieux c'est?
Gén Natynczyk : Oui.
Le sénateur Banks : Bien essayé.
Le sénateur Nolin : Avez-vous dit que nous nous retirons de la Bosnie-Herzégovine?
[Français]
Gén Natynczyk : Au mois de mars, on a...
Le sénateur Nolin : Nous, le Canada.
Gén Natynczyk : Les Canadiens.
Le sénateur Nolin : Mais pas le reste?
Gén Natynczyk : C'est une opération de l'Union européenne. On garde un petit contingent de Canadiens au Kosovo, mais pas en Bosnie-Herzégovine.
Le sénateur Nolin : Je comprends qu'en Croatie, ça va bien, mais que nous devons rester en Bosnie-Herzégovine. Il doit y avoir une force étrangère.
Gén Natynczyk : Avec l'Union européenne.
Le sénateur Nolin : Merci. Excusez-moi.
[Traduction]
Le sénateur Segal : J'ai fait de mon mieux, monsieur le président.
La présidente : Merci, sénateur Segal.
Le sénateur Manning : Je souhaite la bienvenue au général et je le remercie, lui et tous ses soldats, pour votre excellent travail au nom des Canadiens et du monde libre. J'ai écouté avec grand plaisir votre histoire du technicien de recherche et sauvetage de Gander, ce qui ne fait que confirmer que nous, Terre-Neuviens, sommes convaincus qu'il y a des Terre-Neuviens et Labradoriens partout, même à 500 milles au Nord d'Alert.
La présidente : Il va vous aider à peaufiner votre accent, général.
Le sénateur Manning : Je suis sûr que l'on comprend partout, dans toutes les langues, quand on offre des soins médicaux gratuits.
Je voudrais passer à la Stratégie nationale pour l'acquisition de construction navale que l'on a annoncée récemment. Je suis ravi de vous entendre dire, général, que c'est votre priorité numéro un en matière d'acquisition. La plupart d'entre nous comprennent que cela vise la construction de grands navires, la construction de petits navires, ainsi que les réparations et radoubs.
Il semble y avoir une certaine inquiétude parmi le grand public à la suite de l'annonce que seulement deux chantiers navals canadiens seront en mesure d'effectuer la plus grande partie de ce travail. Peut-être pourriez-vous nous donner des détails. J'ai cru comprendre que les deux chantiers navals retenus, auxquels on demandera de présenter un plan pour la construction des grands navires, ne pourront pas faire des offres pour la construction de navires plus petits. Cela créerait des possibilités pour d'autres chantiers navals. Quant aux réparations et radoubs, ce sera complètement ouvert et compétitif. Est-ce bien cela?
Gén Natynczyk : À titre de chef d'état-major de la Défense, je représente tous les marins qui doivent prendre la mer à bord de ces futurs navires et je ne suis donc pas au courant de tous les détails de la stratégie. Je tiens ardemment à ce que l'on progresse dans l'octroi des contrats et la construction des navires. Je rappelle que le dernier navire de guerre que nous ayons construit était le NCSM Ottawa. Sa mise à l'eau a eu lieu en 1996. Plus tôt nous commencerons les travaux pour remplacer un navire comme le NCSM Iroquois, qui deviendra l'année prochaine le plus vieux navire de guerre de première ligne au monde, mieux ce sera.
Le sénateur Manning : Je suis certain que nous sommes tous ravis de cette stratégie de construction navale et que nous avons hâte d'en voir les résultats.
Je passe maintenant à l'Afghanistan. J'ai eu le plaisir d'assister au Salon de la défense et de la sécurité de 2010, où vous avez pris la parole la semaine dernière. J'ai bien aimé le ton de votre message, mais j'en ai également apprécié la teneur. Vous avez parlé du succès que l'on constate en Afghanistan et du travail que font nos troupes là-bas.
Vous avez fait une comparaison avec la situation d'il y a deux ans, en comparant nos troupes et la division américaine. Vous avez dit que les Canadiens travaillaient dans cinq localités il y a deux ans et qu'ils travaillent maintenant dans 30 localités et vous avez parlé du renforcement des capacités, notamment de l'Armée nationale afghane.
Pourriez-vous nous parler davantage de ce qui se fait là-bas? Beaucoup de Canadiens s'interrogent sur ce qui se passe en Afghanistan, et c'est compréhensible, surtout quand l'un de nos soldats est tué. À vous écouter, je suis convaincu que nos soldats font une énorme différence dans ce coin du monde et je voudrais vous donner l'occasion de nous en dire plus long sur ce sujet.
Gén Natynczyk : Les Forces canadiennes ont une arme secrète; je veux parler d'un jeune caporal ou soldat qui a un large sourire et la main tendue, toujours prêt à serrer la main de quelqu'un d'autre. Cela fonctionne bien dans un endroit comme l'Afghanistan.
Il y a deux ans, nos Forces canadiennes, de concert avec la Force opérationnelle en Afghanistan, avaient un effectif de moins de 3 000 soldats et nous étions pratiquement seuls dans la province de Kandahar. C'était avant même que le comité indépendant recommande l'ajout d'un bataillon. C'est le 2e Bataillon du 2e Régiment d'infanterie qui est arrivé. Nous avons rendu visite à cette excellente unité au Camp Ramrod, dans la province de Maiwand, à l'ouest de Kandahar. C'était la première unité américaine placée sous le commandement de Canadiens. Leur première bataille a été celle de Lundy's Lane, durant la guerre de 1812. C'était très ironique d'avoir ce bataillon maintenant placé sous notre commandement.
Depuis que nous avons accueilli ce bataillon, qui compte environ 600 soldats, notre effectif est passé de quelque 2 850 à l'effectif que nous avons aujourd'hui, c'est-à-dire qu'en plus de notre force opérationnelle canadienne d'un peu moins de 3 000, il y a aussi 20 000 Américains dans la province de Kandahar. Et je ne parle pas de la province de Helmand à l'ouest ou de celle d'Oruzgan au nord ou de Zabul au nord-est, mais de la région de Kandahar.
Vendredi après-midi, j'ai assisté à une cérémonie de remise de récompenses à Rideau Hall en l'honneur d'un commandant d'escadron, un sergent-major des Royal Canadian Dragoons, que j'ai rencontré dans un camp près de la rivière Arghandab, près du barrage de Dhala. Il y avait là un escadron de 100 soldats à Noël 2008; aujourd'hui, nous avons deux bataillons américains dans ce même champ de bataille.
Dans la ville de Kandahar, où il y avait seulement une compagnie d'infanterie appuyant l'équipe provinciale de reconstruction, il y a maintenant deux bataillons américains, et il y aura bientôt une brigade américaine au complet, ce qui représente entre 4 000 et 5 000 soldats.
On peut en dire autant au sujet de la grand route à l'ouest de Kandahar, dans la Base opérationnelle avancée Wilson, où nous avons une compagnie de 150 ou 200 soldats canadiens qui se chargent de tout le travail le long de la Route 1, une grande artère de transport qui dessert Kandahar et d'autres villes au nord et à l'ouest. On a maintenant là-bas une brigade de la 101e Division aéroportée, autour de 3 000 soldats qui travaillent dans cette région.
Ce qui s'est passé tout au long du processus de l'arrivée de ces soldats depuis un an et demi, c'est que les opérations canadiennes ont été concentrées au sud de la ville de Kandahar, dans un secteur appelé le District de Dand, et un autre au sud-ouest, le district de Panjwaii, des secteurs que nous connaissons et dans lesquels nous sommes présents depuis 2006. L'avantage est qu'on a maintenant une plus grande densité de soldats qui peuvent vivre parmi les Afghans.
Il y a un an, nous étions présents dans cinq localités et nous le sommes maintenant dans trente, de sorte que les troupes sont dispersées dans les villages, renforçant la sécurité là où vivent les Afghans. Ils travaillent en partenariat avec des unités afghanes, et lorsque les talibans tentent de revenir, leurs efforts d'intimidation sont enrayés par le fait que les forces de l'OTAN, des soldats canadiens, américains et d'autres pays, sont sur place.
Voilà comment la situation a évolué depuis quelque temps. Quand je survole la région, je vois des champs verts et la photo que je vous montre maintenant a été prise depuis un hélicoptère en mars, quand j'étais là-bas. C'est tout un contraste, car si l'on avait pris la même photo il y a un an, on n'aurait vu que des champs bruns, parce que les paysans étaient absents ou ne pouvaient pas travailler aux champs. Il faut une certaine sécurité pour que les paysans puissent aller aux champs pour les labourer et ouvrir les vannes pour irriguer leurs champs. J'ai trouvé que c'était le signe d'un très grand espoir.
Le sénateur Manning : Général, nous avons reçu ici même la semaine dernière des représentants qui nous ont parlé du moral des troupes et de l'intérêt envers les Forces canadiennes. La plupart atteignaient leurs objectifs de recrutement et de maintien des effectifs. Quand vous avez pris la parole à la conférence, vous avez mentionné avoir 12 000 soldats en réserve.
Comment voyez-vous l'avenir des Forces canadiennes, à la lumière de ce que nous avons appris en Afghanistan, ou comment avons-nous augmenté l'intérêt envers les Forces canadiennes grâce à notre rôle en Afghanistan?
Gén Natynczyk : Il n'y a jamais eu un meilleur temps pour porter l'uniforme des Forces canadiennes. Cet été, j'aurai 35 ans de service et si l'on ajoute mes cinq années à titre de cadet de l'air, cela ajoute quatre ans à polir des bottes, mais il n'y a jamais eu un meilleur moment, à cause du professionnalisme des forces aériennes, terrestres, navales et spéciales — toutes les forces — et des capacités conjointes. Nous avons maintenant des gens qui sont d'une compétence, d'un professionnalisme et d'une expérience exceptionnels.
Il y a quelque temps, j'ai rencontré à l'aéroport d'Ottawa un officier marinier qui portait un DcamC, l'uniforme du désert. Il descendait d'un avion. Je lui ai demandé d'où il revenait? Il a répondu : « Kandahar. » J'ai rétorqué : « Comment ça, Kandahar? Qu'est-ce que vous faisiez là-bas? » Et il m'a répondu : « Eh bien, j'ai pensé que je pourrais passer ma période de congé du navire à Kandahar, plutôt qu'à la base d'Halifax. » Voyant mon étonnement, il a ajouté : « Oui, c'est la deuxième fois que je fais ça; je débarque d'un navire, je vais faire une période en poste à Kandahar, après quoi je rembarque à bord d'un autre navire, c'est ce que je veux faire. »
L'expérience afghane a porté le niveau de professionnalisme des Forces canadiennes — aérienne, terrestre, navale et spéciale — à un niveau que nous n'avons pas vu depuis des générations.
La personne qui sera à ma place ici même dans 20 ans est actuellement un jeune lieutenant ou capitaine ou major qui a gagné ses galons à titre de commandant d'un peloton ou d'une compagnie, peut-être d'un bataillon, en Afghanistan au cours des dernières années, ou bien à titre de capitaine de corvette ou de capitaine de frégate, grâce à l'expérience que cette opération leur a permis d'acquérir.
Non seulement sommes-nous aujourd'hui en meilleure posture grâce à cette expérience, mais nous avons aussi confiance envers les hommes et les femmes des forces canadiennes, sachant qu'ils peuvent mener une opération de combat dans n'importe quelle condition et que nos soldats nous ferons honneur à l'avenir. En fait, on en a vu le reflet à Haïti. Nous avons débarqué à Haïti quasiment du jour au lendemain. Les forces aériennes, terrestres et navales qu'on a envoyées là-bas avaient beaucoup d'expérience, que ce soit dans la Corne de l'Afrique, dans le golfe, dans l'Afghanistan ou dans l'Arctique.
Je songeais à cela en voyant les aéronefs se poser à l'aéroport de Jacmel, sur une piste asphaltée de 3 000 pieds, ce qui est difficile quand on veut poser un appareil Hercules chargé à bloc. Si vous pouvez poser cet avion à Pangnirtung, vous n'aurez aucun problème à le faire à Jacmel pour y implanter un centre de transbordement.
Je n'insisterai jamais assez là-dessus. Nos alliés qui travaillent avec nous, que ce soit en Afghanistan, à Haïti ou en Cisjordanie ou n'importe où en Afrique, me disent constamment que le professionnalisme de nos hommes et femmes est sans égal.
Le sénateur Banks : Merci, général. J'étais content de vous rencontrer à Edmonton la semaine dernière et je vous suis reconnaissant pour les propos que vous avez tenus là-bas.
J'ai posé ma première question à votre prédécesseur et à son prédécesseur et son prédécesseur. Qu'en est-il du projet de remplacement des aéronefs de recherche et de sauvetage à voilure fixe dans le Nord? Peut-on espérer une décision bientôt?
Pour ma deuxième question, je reviens à l'Afghanistan. Pendant une période, le secrétariat du président de l'Afghanistan et le personnel militaire canadien dirigeaient pratiquement l'appareil gouvernemental du pays. À un moment donné, le colonel Serge Labbé était à sa tête. Je crois qu'il est maintenant devenu le brigadier-général Serge Labbé. Est-ce toujours le cas?
Je sais que vous avez la réponse à ma prochaine question parce que si vous êtes tenu en aussi haute estime par les gens que vous commandez, y compris les caporaux et les simples soldats, c'est parce que vous leur portez attention. Vous vous souciez d'eux. Certaines des choses que le président de l'Afghanistan a dites et faites au cours des six derniers mois environ ont sans doute un certain retentissement — mais non pas pour ce qui est de l'engagement des femmes et des hommes de l'armée canadienne, car nous savons que leur engagement est absolu et qu'ils affichent la bonne attitude. N'est-ce pas un peu décourageant, pour les généraux et les colonels certes, mais aussi pour les caporaux et les simples soldats déployés en Afghanistan lorsque ces choses — et vous savez de quoi je parle — se produisent et que de telles déclarations émanent du gouvernement de l'Afghanistan? Vous avez dit, à juste titre, que nous sommes là pour aider et soutenir ce pays et s'assurer qu'il peut continuer d'être un état fonctionnel.
Gén Natynczyk : Pour ce qui est des avions de recherche et de sauvetage, nous menons des opérations de recherche et de sauvetage avec des hélicoptères Cormorant et des appareils Buffalo et Hercules. Bon nombre des Hercules sont la dernière version de l'ancien modèle H, consacrés à assurer le bon état de fonctionnement des Cormorant. En somme, le projet relatif aux avions de recherche et de sauvetage est de remplacer les Hercules de modèle H et les Buffalo.
Au sujet des aéronefs de recherche et de sauvetage à voilure fixe, je tiens à signaler que les gens ont tendance à mettre l'accent sur les avions Buffalo. Il n'y en a que six et nous les utilisons uniquement à Comox dans des opérations de recherche et de sauvetage dans les montagnes. Le Cormorant est lui aussi capable d'accomplir ce genre de mission. Lorsqu'on parle de remplacer les aéronefs de recherche et de sauvetage à voilure fixe, le principal appareil qu'il faut remplacer, à mon avis, est le Hercules affecté à cette opération.
Cet effort en vue de remplacer ces deux appareils s'inscrit dans la Stratégie de défense Le Canada d'abord. Aux dernières nouvelles, Recherche et développement pour la défense Canada et RNCan ont examiné les besoins et les ont validés. À l'heure actuelle, on se penche sur le rapport. Je souhaite vivement un règlement rapide de ce projet de remplacement des Buffalo et des anciens Hercules.
Au sujet de l'Afghanistan, nous avions en place l'Équipe consultative stratégique, qui s'est transformée en bureau de soutien au gouvernement, une instance dirigée par le MAECI. C'est une bonne chose, parce que ce sont des spécialistes des politiques qui travaillent au renforcement des capacités au sein du gouvernement de l'Afghanistan.
Pour ce qui est du gouvernement afghan, il est à la tête du pays et il lui appartient de parler de gouvernance et de livrer son message. L'essentiel des six priorités du gouvernement du Canada était la réconciliation dans les relations avec les talibans. À cet égard, l'initiative appartient au gouvernement afghan. Il est difficile, dans notre optique d'Occidentaux, d'être témoins de ce qu'il fait et d'essayer de comprendre le message qui est livré.
En bout de ligne, la solution à cette contre-insurrection doit être une solution afghane. Tous les observateurs que nous sommes doivent faire preuve de patience pour voir comment évoluera la situation en vue du revirement dont j'ai parlé tout à l'heure.
Je le répète, il s'agit d'une réconciliation au niveau national. Je sais que le général Stanley McChrystal prévoit une réintégration à un niveau local ou tactique. Ces combattants sont simplement des jeunes démunis sans éducation. S'ils avaient un autre choix que de tirer avec un lance-grenades ou de camoufler des engins explosifs improvisés, EEI, s'ils avaient une meilleure option, que ce soit de cultiver un champ, de travailler à la construction d'une route, dans une échoppe ou dans une petite entreprise, on peut espérer qu'ils saisiraient cette occasion au lieu de poser un EEI. Or, cela ne pourra se produire que dans le cadre d'un effort de réconciliation au niveau national. La communauté internationale, les Nations Unies et l'OTAN doivent permettre au gouvernement afghan de poursuivre cet effort de réconciliation. C'est difficile, mais si nous réussissons, cela changera la donne.
Le sénateur Day : Nous venons d'apprendre que le président Karzaï a demandé à certains talibans de participer à une réunion, ce qui a provoqué la démission du ministre de l'Intérieur et du ministre du Renseignement. Je considère que c'est un recul marqué, compte tenu de vos propos.
Cette évolution vers un revirement de la situation peut-elle se poursuivre au niveau de la reconstruction provinciale et dans l'ensemble de l'Afghanistan, ou doit-elle être dictée par Kaboul, comme nous en sommes venus à le penser depuis un certain temps?
Gén Natynczyk : Pour ce qui est de la jirga, les attaques perpétrées contre la jirga ont été regrettables. Cela dit, j'ai reçu certaines notes en provenance de Kaboul. Ce qui est dommage, c'est que l'attention médiatique est concentrée sur les attaques et non sur le fait que la police nationale afghane et l'Armée nationale afghane ont fait un excellent travail pour contrer de nombreuses attaques, découvrir de nombreuses roquettes, des bombes, et cetera, mais rien n'est parfait. De toute évidence, certaines ont échappé aux mailles du filet.
Je tiens à souligner le fait que la police afghane et l'armée afghane ont énormément progressé grâce au leadership des ministres Atmar et Saleh, les deux ministres qui ont remis leur démission à la suite des attaques. Je conviens avec le sénateur que c'est un recul, car c'étaient des partenaires crédibles.
Dans ce domaine, toutefois, il faut être optimiste. Encore une fois, je répète à quel point il est difficile de mettre en branle la gouvernance dans ce pays. Nous devrons attendre de voir quelle est l'évaluation de la situation et comment le président Karzaï jouera ses cartes.
Le sénateur Day : Merci de ce commentaire. Je suppose que nous attendrons la suite des événements.
Nous réfléchissons aux rôles que nos forces armées et le gouvernement du Canada pourraient jouer après l'an prochain. Pourriez-vous nous dire, approximativement, combien de personnels militaires participent à la Force internationale d'assistance à la sécurité, la FIAS? Pouvez-vous nous dire combien de personnels militaires appuient l'équipe provinciale de reconstruction? Pouvez-vous nous dire combien de personnels sont engagés dans la formation de l'armée, de la police, notamment à Kaboul? Pouvez-vous nous dire combien de personnes travaillent à l'administration centrale et appuient la gouvernance générale?
Gén Natynczyk : Il vous faudra obtenir du ministère les chiffres précis de la composition de la Force opérationnelle en Afghanistan. À Kaboul, quelque 100 hommes et femmes travaillent au siège social de la FIAS à la mission de formation de l'OTAN pour l'Afghanistan, ainsi qu'au collège d'état-major. Nous avons aussi reçu l'autorisation d'augmenter de 90 autres personnes la force opérationnelle totale. Certaines de ces personnes seront affectées à l'administration centrale, mais la plupart travailleront à Kaboul dans une école de langue, une école d'aviation et une école de droit militaire. Le nombre de personnels affectés à Kaboul sera modifié.
La majorité des membres de notre force opérationnelle sont à Kandahar. Il vous faudra obtenir les détails, mais le groupe tactique compte plus de 1 000 hommes et femmes répartis entre l'infanterie, les blindés, l'artillerie et la logistique. L'EPR compte 300 personnels, parce qu'il y a aussi une petite compagnie d'infanterie qui assure la sécurité. Il y a aussi des spécialistes de l'ingénierie et de la reconstruction qui collaborent avec le MAECI et l'ACDI à la conception et à l'externalisation de divers projets. Par conséquent, des ingénieurs militaires canadiens travaillent de concert avec l'ACDI et le MAECI, tout en collaborant avec la GRC à l'école de formation de la police afghane au sein de l'EPR.
Environ 300 hommes et femmes font partie de l'Équipe de liaison observateurs-mentors qui s'attache à la formation de l'armée afghane à l'extérieur du périmètre. Ces personnels sont disséminés dans la province de Kandahar et travaillent au sein de six organisations de la taille d'un bataillon. Quatre sont des kandaks d'infanterie, qui sont des bataillons. L'un d'eux s'occupe du soutien logistique du combat, ce qui signifie qu'il s'occupe de transmissions, d'ingénierie, et ainsi de suite. Un autre bataillon de soutien logistique au combat se concentre sur la logistique. Notre élément national de sécurité nationale compte environ 700 personnes.
En outre, nous avons une escadre aérienne très compétente qui compte huit Griffin, six Chinook et des véhicules aériens sans pilote de modèle Heron. Si ma mémoire est bonne, cette escadre compte environ 700 personnes, mais encore une fois, je vous renvoie aux chiffres précis.
Le sénateur Day : Il semblerait que l'OTAN envisage d'augmenter sensiblement le nombre de mentors observateurs. Pouvons-nous participer davantage à cet égard? J'ai entendu dire que le Canada fait de l'excellent travail, particulièrement en ce qui a trait à l'Armée nationale afghane.
Gén Natynczyk : Nous avons reçu du gouvernement du Canada l'autorisation d'affecter 90 personnels et formateurs supplémentaires à ce volet. Compte tenu de la qualité de la formation que nous offrons, nous servons de modèle à d'autres. Les hommes et les femmes qui font partie de l'équipe de liaison des mentors participent aux opérations avec l'Armée nationale afghane et la police nationale afghane, une fois la formation terminée. Ils s'associent aux opérations, ce qui leur permet de créer des liens de confiance. En même temps, grâce à ces solides liens de confiance, l'armée et la police afghane prennent de l'assurance et de la confiance. Bientôt, elles seront en mesure d'exécuter des opérations sans notre aide. Nous commençons à nous retirer de certaines opérations, mais nous continuons d'offrir notre appui à nos partenaires afghans lorsqu'ils rencontrent des difficultés.
Le sénateur Day : J'espère que vous ferez savoir à tous les soldats à quel point nous apprécions leur travail. Plusieurs d'entre nous participent aux réunions parlementaires de l'OTAN, et nous entendons les mêmes commentaires positifs au sujet de la contribution du Canada en Afghanistan.
Le sénateur Dallaire : Vous avez une force composée d'ex-militaires et d'autres personnels en formation. Cette force sera réduite avec le temps et vous vous retrouverez avec un déficit de 2 000 personnes par rapport à l'objectif ultime de 70 000 soldats de l'armée régulière. J'ignore quelles seront les conséquences de cela. Nous verrons. Vous avez une grande expérience et capacité de combat, mais vous avez également acquis énormément de compétences relativement au renforcement des capacités.
Croyez-vous que le Programme d'aide à l'instruction militaire, le PAIM, sera élargi pour offrir cette capacité aux pays en développement en vue d'aider ces pays à renforcer leurs capacités?
Gén Natynczyk : Je suis enthousiasmé par notre action et par les programmes d'aide à l'instruction militaire. Le nom a été changé simplement pour semer la confusion dans l'esprit de nos anciens collègues. Ce sont les mêmes compétences qu'avant que nous appliquerons ailleurs, que ce soit en Jamaïque ou en Afrique. Nous avons un énorme potentiel pour ce qui est de la capacité de mener à bien ce genre de mission.
La présidente : Merci beaucoup. Vous avez réussi au cours de la dernière heure à condenser bien des informations qui nous seront utiles. Je remercie le chef d'état-major de la Défense, le général Natynczyk, d'être venu comparaître. Et merci encore une fois à tous nos soldats, hommes et femmes, en uniforme.
Nous sommes heureux d'accueillir au Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense l'ambassadeur d'Afghanistan au Canada, Son Excellence M. Jawed Ludin.
Nous avons demandé à l'ambassadeur Ludin de nous communiquer le point de vue de son gouvernement sur le rôle du Canada en Afghanistan, sur l'évolution du conflit là-bas et de la société civile et de nous éclairer sur le processus entrepris par son gouvernement, notamment une mise à jour au sujet de la jirga qui vient d'avoir lieu.
L'ambassadeur Ludin a grandi à Kaboul, où il a commencé ses études, mais celles-ci ont été interrompues lorsque les talibans ont pris le pouvoir. Il a repris ses études à l'Université de Londres, où il a obtenu une maîtrise en théorie politique. Il est maintenant candidat à une maîtrise en droit à l'Université d'Oslo.
L'expérience professionnelle de M. Ludin va du travail humanitaire et de développement à la résolution de conflits, la gestion, les médias et les relations publiques, en passant par la politique. Après avoir travaillé pour un certain nombre d'organisations non gouvernementales internationales à partir de l'Afghanistan, du Pakistan et du Royaume- Uni, il a pris part à l'organisation de la Conférence de Bonn, qui a jeté les bases du cadre démocratique de l'Afghanistan.
M. Ludin a été porte-parole présidentiel et directeur des communications du président Karzaï en 2003. Par la suite, il est nommé chef de cabinet et ambassadeur en Norvège. Il est arrivé à Ottawa il y a un peu plus d'un an.
Je vous souhaite la bienvenue. Nous sommes heureux que vous ayez pu être avec nous aujourd'hui. Souhaitez-vous faire une déclaration liminaire? Allez-y, je vous en prie.
Son Excellence Jawed Ludin, ambassadeur d'Afghanistan au Canada : J'ai préparé une brève déclaration.
Honorable présidente, distingués membres du comité, c'est un véritable privilège d'être ici ce soir. Permettez-moi de remercier tous les honorables sénateurs du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense pour leur intérêt, leur soutien et leur engagement envers l'Afghanistan, engagement attesté par la séance d'aujourd'hui.
Je suis heureux d'avoir l'occasion de comparaître devant vous aujourd'hui. J'ai énormément de choses à partager avec les honorables sénateurs. J'aimerais vous faire part de ma perspective, celle d'un Afghan, au sujet de la situation en Afghanistan et du rôle important que le Canada y joue.
Permettez-moi de vous exprimer mes condoléances pour la mort du sergent Martin Goudreault, du Groupement tactique du Royal Canadian Regiment, mort au combat hier à Kandahar. C'est la dernière vie canadienne sacrifiée pour la mission en Afghanistan. Le sergent Goudreault et les 146 autres soldats canadiens avant lui ont donné leur vie pour une noble cause et méritent l'honneur et la vénération ultime qui puissent être mérités. Fidèles à la grande tradition canadienne de générosité et d'altruisme, ils sont morts non seulement pour leur propre magnifique pays, le Canada, mais aussi également pour la paix, la démocratie, la primauté du droit et l'allégement des souffrances dans mon pays, ce pourquoi mes compatriotes afghans et moi sommes reconnaissants.
Grâce au soutien et aux sacrifices dont nous avons bénéficié de la part du Canada et de nombreuses autres nations qui participent à un effort véritablement international en Afghanistan, nous avons réalisé des progrès considérables. Ces progrès sont aussi attribuables à la volonté soutenue de notre propre peuple, bien entendu, mais nous n'aurions pas été en mesure de le faire sans l'appui que nous avons reçu de la communauté internationale. Ce fut une lutte difficile et la route devant nous est encore longue et ardue. Toutefois, je suis certain que vous êtes au courant des progrès historiques réalisés relativement à l'accès aux soins de santé et à l'éducation, à la reprise économique et dans notre appropriation de certaines des libertés fondamentales qui sont la pierre angulaire d'une société démocratique comme la vôtre, au Canada. L'essentiel est de s'assurer que ces réalisations ne sont pas renversées de quelque manière que ce soit et d'assurer le succès pour ce qui reste à accomplir. Pour cette raison, nous poursuivons la lutte. Notre défi aujourd'hui consiste à consolider ces gains. Nous sommes à un tournant critique. Nous sommes heureux de constater une tendance internationale positive en faveur d'un réengagement. Au cours de la première année de son gouvernement, le président Obama des États-Unis a réitéré l'engagement de son pays envers son important rôle en Afghanistan, envers l'OTAN en général et, ce qui est sans doute le plus important, envers une nouvelle stratégie tangible que nous avons observée dans la région et qui s'avère extrêmement cruciale pour notre succès. Ce qui importe le plus, c'est la situation à l'intérieur de l'Afghanistan et les tendances qui s'y dessinent.
Pendant un certain nombre d'années, la réalité a donné lieu à un constat relativement négatif étant donné l'aggravation des problèmes de sécurité et les difficultés que nous avons traversées. Les nouvelles n'ont pas toujours été bonnes. Toutefois, à l'heure actuelle, au-delà de certains reportages essentiellement unidimensionnels dans les médias, on observe une situation prometteuse caractérisée par la volonté expresse des Afghans de ne pas revenir en arrière à tout prix. Voilà pourquoi le rôle de partenaires comme le Canada s'avère extrêmement important.
Au nom de mon gouvernement et des Afghans, je peux vous dire que nous sommes déterminés à atteindre nos objectifs. Pour nous, en Afghanistan, il n'y a pas de plan B. Nous aimerions que la communauté internationale partage cet objectif avec nous, et je suis certain que c'est le cas. Nous sommes extrêmement reconnaissants au Canada pour ce qu'il a fait pour l'Afghanistan; bien peu de nations dans l'histoire en ont fait autant pour d'autres. Vous pouvez compter sur notre reconnaissance éternelle. Toutefois, nous avons encore des objectifs à atteindre. Il reste encore du travail à faire.
Nous comprenons la résolution parlementaire existante et nous respectons entièrement la décision voulant que la mission à Kandahar se termine l'an prochain. Nous espérons que le Canada continuera de jouer un rôle en Afghanistan à l'avenir et qu'il interviendra dans un certain nombre de secteurs importants pour nous et que sa contribution sera axée sur un certain nombre de domaines qui sont importants pour nous, compte tenu de nos priorités. C'est pour discuter de ces priorités et exprimer notre détermination que j'ai l'honneur de comparaître aujourd'hui devant vous. Je suis impatient de répondre à vos questions.
La présidente : Je vous remercie de vos bons mots au sujet de notre pays. Nous sommes d'accord avec vous : nos soldats et nos civils ont fait un travail extraordinaire.
Le sénateur Dallaire : Dans un contexte d'édification d'une nation, particulièrement dans des démocraties naissantes, on pourrait croire que les pays disposés à apporter leur aide sont prêts à y rester 40 ans. Le Canada est à Chypre, où la situation est stable, depuis 45 ans, mais un jour, les Bérets bleus pourraient partir. Nous sommes présents dans les Balkans depuis 18 ans. Pourtant, nous établissons des limites importantes au volet sécurité de la mission en Afghanistan alors que la situation n'est pas encore stabilisée à cet égard. Cette décision ne semble pas fondée sur une analyse stratégique ou tactique quelconque, mais strictement sur des considérations politiques.
Quel message attendez-vous de la part du ministre des Affaires étrangères du Canada à la réunion des ministres des Affaires étrangères qui aura lieu à Kaboul du 19 au 21 juillet au sujet du développement, de la reconstruction du pays, du renforcement des capacités, de la gouvernance et de la sécurité?
M. Ludin : La voix du Canada est très importante autour de la table. Outre la contribution que le Canada peut apporter en Afghanistan, depuis la démocratisation jusqu'au développement en passant par son rôle au plan de la sécurité, nous espérons pouvoir compter sur sa participation, sous une forme différente, dans le contexte plus large de la sécurité. Le Canada reflète aussi la nature véritablement internationale de l'effort consenti.
Les pays réunis autour de la table à cette conférence vont être à l'écoute les uns des autres et ils évalueront leur niveau d'engagement respectif. Il y a des débats en Europe. Il y a des débats dans les pays de l'OTAN. Je pense que la discussion ne devrait pas porter sur la question de savoir s'il y a lieu d'aider l'Afghanistan ou si la mission est importante, mais plutôt sur les progrès pour communiquer le message politique, pour expliquer comment on entend réussir cette mission. Il y a des demandes expresses.
Pour le Canada, il sera important, peu importe la forme que prendra la mission en 2011, de demeurer un partenaire pour le reste du monde, notamment pour l'OTAN. Cela doit être répété.
J'espère que d'ici là, on en saura plus long au sujet des éléments de la contribution du Canada. La conférence de Kaboul est une conférence très importante. À cette occasion, nous espérons avoir des engagements spécifiques. Les Afghans piloteront le dossier de la réconciliation, mais l'OTAN prendra la direction des opérations militaires dans le Sud et nous nous attendons à ce que les États-Unis assument une plus grande partie de ce rôle. Toutefois, le progrès au plan de la gouvernance est de la plus haute importance. Cela englobe le rôle qu'a joué le Canada à l'appui de l'établissement des institutions en Afghanistan, du processus électoral en septembre et de la société civile en général, autant d'activités qui représentent l'essentiel de l'engagement du Canada. Un renouvellement de ces engagements serait utile.
Le sénateur Dallaire : Croyez-vous que pour favoriser un climat de sécurité, un pays comme le Canada, qui a accompli ce genre de travail particulier dans de nombreux autres pays, devrait modifier sensiblement son approche et se concentrer sur l'efficacité des autorités juridiques et policières pour la période après 2011?
M. Ludin : Absolument, et je suis heureux que vous ayez évoqué la question de la police. Nous avons appris une leçon extrêmement importante au cours des neuf dernières années, soit qu'il y avait un sérieux sous-investissement dans la formation et le renforcement de la police. Le ministre qui a quitté le cabinet a peut-être abandonné son poste, mais il a laissé derrière lui une réalisation extrêmement importante, soit un plan de réforme. Bien entendu, il faudra du temps avant que ce plan soit mis en oeuvre, mais il y a tout lieu de croire que les premières étapes ont déjà été franchies.
Nous devons vraiment nous attacher au nombre. Il nous faut encore recruter des soldats et les former, ce qui est la base, mais nous devons aussi nous attacher à la qualité. Ce serait sans doute là la contribution la plus importante qu'un pays puisse faire dans le vaste contexte de la sécurité. Je ne parle pas uniquement de participer à des combats; on associe la sécurité à la lutte armée. Il ne s'agit pas simplement de participer à des opérations militaires, mais aussi d'habiliter les institutions afghanes à appliquer la règle de droit et à s'attacher à la sécurité. Par conséquent, il est extrêmement important de se concentrer sur la police.
Le sénateur Dallaire : Au lieu de former les cadres, les policiers, les militaires et même les politiciens afghans en Afghanistan, pensez-vous que ce soit une bonne idée d'inviter davantage de dirigeants potentiels afghans choisis à venir au Canada pour y être formés, éduqués et encadrés? Cela serait-il une option viable?
M. Ludin : En fait, je suis très heureux d'entendre cela parce que c'est exactement ce que je pense qu'il faut faire. Je sais d'expérience ce que c'est que d'avoir la possibilité de poursuivre des études dans une université de calibre mondial. J'ai fait mes études universitaires au Royaume-Uni. Cela nous enrichit, non seulement en raison de l'éducation qu'on reçoit, mais parce qu'on y gagne une perspective du monde totalement différente.
Je suis ravi que le Canada se penche déjà dans une certaine mesure sur cette option. Au moment où nous nous parlons, il y a quatre cadets afghans qui étudient au Collège militaire royal du Canada, à Kingston. Il serait immensément avantageux d'élargir ce type de formation. Notre armée a été bâtie à partir de rien il y a neuf ans par l'OTAN; elle est conforme et interopérable avec les structures de l'OTAN, et le demeurera. En tant qu'Afghan, je suis absolument convaincu que nous surmonterons ces difficultés et qu'une fois qu'elles seront derrière nous, cette armée sera à l'avenir un atout pour la région et pour le monde.
Le leadership est extrêmement important. Je serais reconnaissant que l'on multiplie ces occasions de formation et en fait, je discute déjà de l'intensification de cette activité avec le gouvernement.
Le sénateur Banks : Il est très agréable de vous revoir, Excellence. Je vous remercie d'être ici.
Je vais poser deux questions en même temps. Elles sont connexes et elles reprennent toutes deux des questions que nous avons eu le privilège de poser tout à l'heure au chef d'état-major de la Défense.
Avec bienveillance et justesse, vous avez fait état de la noble cause pour laquelle les Canadiens se sacrifient, parfois au risque de leur vie. Les Canadiens ont l'habitude de mener de telles actions à l'étranger. Nous n'avons pas eu à intervenir sur notre propre territoire depuis très longtemps, mais nous répondons habituellement présents dans l'intérêt de gouvernements qui s'apparentent davantage au nôtre et qui ne nous critiquent pas à l'occasion. Cette question peut vous sembler brutale, mais vous verrez qu'elle est motivée par de bonnes intentions.
Nous avons vu en Afghanistan, encore récemment hier et avant-hier, le gouvernement afghan tenir des propos et poser des gestes qui, à première vue, semblent témoigner de son ingratitude. Je sais que les Afghans n'ont pas l'intention de se montrer ingrats. Cependant, les soldats canadiens sont là-bas pour aider à protéger les citoyens afghans et pour permettre au gouvernement afghan de fonctionner comme un État qui, à un moment donné, sera en mesure de protéger ses propres citoyens. C'est parfois difficile pour les Canadiens d'accepter et de comprendre les progrès qui sont toujours lents et, à l'occasion, les retours en arrière. Si vous en aviez l'occasion, en fait je vous en donne maintenant l'occasion, que diriez-vous aux Canadiens au sujet de ces reculs?
Ma deuxième question, qui fait suite à la première, est celle-ci : nous devons faire attention de ne pas présumer que nous allons aider à mettre en place en Afghanistan un gouvernement qui ressemble de près ou de loin au nôtre. Tout ce que nous voulons mettre en place en Afghanistan, c'est un gouvernement qui fonctionne et qui est conçu par les Afghans. Ce qui nous apparaît parfois comme de la corruption — je pose en fait une question supplémentaire — est parfois une réalité, un mode de vie qui existe depuis des temps immémoriaux en Afghanistan et dans beaucoup d'autres pays.
Encore une fois, que dites-vous aux Canadiens qui observent tout cela et qui soutiennent qu'ils envoient leurs fils et leurs filles pour protéger un gouvernement qui semble parfois tolérer ce que nous considérons comme de la corruption? Que diriez-vous aux Canadiens à ce sujet?
M. Ludin : Honorables sénateurs, ce sont des questions très pertinentes. Je dois être clair au sujet de la gratitude, parce que j'ai travaillé de près avec le président Karzaï et je parle de lui au départ parce qu'il est évidemment le président aujourd'hui. Je sais qu'il est rarement plus profondément attristé que lorsqu'il entend dire qu'il y a eu pertes de vie parmi les forces étrangères. Comme vous le savez pertinemment, et il l'a d'ailleurs dit clairement dans ses déclarations, il est également très éprouvé par les pertes civiles, comme nous le sommes tous. Il estime par ailleurs qu'il n'y a pas de plus grand sacrifice que la perte de la vie d'un jeune homme ou d'une jeune femme qui est venu de très loin, de milliers de milles, pour assurer ce qui est essentiellement notre sécurité. Je le connais et j'ai travaillé de très près avec lui; telle est sa mentalité. Quoi qu'il ait pu dire récemment, je ne le reconnais pas dans ces propos. Je le décris comme je le connais.
Cette attitude part du sommet et se vérifie jusqu'en bas. Je dis parfois que c'est l'histoire qui dira ce qui s'est passé. Au Canada, vous avez évidemment beaucoup d'expérience. Vous avez évoqué la Corée, la Seconde Guerre mondiale et les Pays-Bas. À Kandahar, dans 10 ans, les gens auront le temps de faire le point et de réfléchir à la contribution du Canada et à ce qu'elle leur a apporté dans leur vie. Les gens sont actuellement en plein combat et ils n'ont pas eu l'occasion d'exprimer leurs sentiments, mais ils n'en existent pas moins.
Au sujet des reculs et de la corruption, en particulier, je lance un appel aux Canadiens. Depuis un an que je suis dans votre pays, j'ai eu à quelques reprises l'occasion de le faire. J'en appelle à leur compréhension. Je dis seulement : « Imaginez où l'Afghanistan en était il y a 10 ans. ». Ce n'était pas un pays normal, dans une situation normale de pauvreté ou de conflit. Le pays était détruit de fond en comble, il n'y avait aucune structure étatique à proprement parler. De créer tout cela subitement et de charger l'État d'une tâche qui exigerait probablement beaucoup d'efforts même pour un pays très avancé, il ne peut faire autrement que d'y avoir des échecs, des reculs, des choses qui ne sont pas accomplies. La corruption en est un symptôme. Personne, depuis le président Karzaï et en fait aucun Afghan ne pourrait nier le fait que la corruption est un problème. Personne ne l'approuve ou ne nie le problème; cependant, c'est un problème complexe.
Un aspect de cette complexité est que seulement 20 p. 100 de tout l'argent qui est venu en Afghanistan est allé au gouvernement. Autrement dit, 80 p. 100 de cet argent a été dépensé directement par les pays donateurs. Il y a de la corruption de part et d'autre, à la fois dans le 20 p. 100 et dans le 80 p. 100. Dans le 80 p. 100, c'est peut-être de la corruption peu conventionnelle. Cela peut prendre la forme de multiples contrats parce que beaucoup des compagnies qui obtiennent les contrats ne sortent même pas de leur pays. Elles accordent le contrat à une autre compagnie qui le transfère encore à une autre compagnie, et c'est du gaspillage, sinon techniquement de la corruption, ce qui revient au même pour les Afghans.
Je fais appel à votre compréhension; en Afghanistan, nous avons besoin non seulement de votre appui, mais aussi de votre compréhension et, en dernière analyse, de temps. Je suis Afghan et j'étais optimiste la première fois que je suis allé en Afghanistan en 2001. Je pensais que nous pourrions devenir une démocratie et un pays développé rapidement. Cependant, je suis maintenant réaliste et je sais maintenant que tout cela prend du temps.
Le sénateur Lang : Je vous remercie beaucoup d'être venu aujourd'hui. C'est précieux pour nous d'entendre directement un représentant de l'Afghanistan décrire comment vous percevez non seulement votre pays, mais aussi les pays qui sont là-bas pour vous aider à atteindre votre objectif de mettre en place un gouvernement solide. Quelqu'un comme vous, compte tenu de votre âge et, manifestement, de votre éducation, nous donne assurément de l'espoir pour l'avenir.
Je voudrais attirer votre attention sur la question de la montée en puissance, de l'augmentation des effectifs en Afghanistan, un peu comme on l'a fait en Irak. Cela a été fait en une brève période, surtout de la part des Américains, et le succès est venu rapidement.
Pourriez-vous faire le point à notre intention et nous dire où nous en sommes dans cette poussée? Croyez-vous que ce sera couronné de succès à l'automne?
M. Ludin : Sénateur Lang, cette poussée était absolument la bonne stratégie au bon moment. Nous en avions besoin, ce qui ne veut pas dire que certains ne sont pas préoccupés par la dichotomie que l'on perçoit entre la solution militaire et politique, mais les deux sont essentiels. C'était particulièrement essentiel aujourd'hui, et en particulier dans le Sud. Helmand était devenu un bastion des talibans. Kandahar — nombreux sont parmi vous ceux qui sont peut-être mieux informés sur Kandahar que je ne le suis — n'est peut-être pas un bastion des talibans, mais la région n'est pas sûre. Elle est très vulnérable aux tentatives d'assassinats, aux attentats suicides et à d'autres formes d'activités terroristes. C'est nécessaire.
Voici où nous en sommes : un effort considérable est encore déployé à Helmand, après l'opération Marjah menée au début de l'année. Évidemment, l'effort n'était pas censé être une opération permettant d'en mesurer le succès. C'est une opération militaire, mais il s'agit de rester ensuite et de permettre aux communautés de se sentir protégées. C'est alors que nous pourrons voir le succès. La première étape est l'opération elle-même et le nettoyage; cela a été fait. Cependant, les autres phases, qui consistent à rester sur place et à assurer la protection des communautés, se poursuivent.
La même chose a commencé à Kandahar, sauf qu'à Kandahar, comme je l'ai dit, étant donné qu'on n'y trouve aucune des formations organisées nécessaires pour mener une opération, cela n'implique peut-être pas une opération militaire comme celle que nous avons vue à Marjah. Ne vous y trompez pas : Helmand est un défi différent, mais Kandahar est peut-être la plus importante bataille de toute la lutte. Cette bataille ne met pas seulement en cause des opérations physiques, mais aussi de faire disparaître la liberté relative que les terroristes peuvent s'imaginer avoir ou avoir effectivement de mener leurs activités terroristes.
Il y a quelques années, ils étaient libres de s'organiser dans des endroits comme Panjwaii, où les Canadiens ont combattu avec une bravoure exceptionnelle. On leur a maintenant enlevé ces refuges et ces bastions. Aujourd'hui, le défi est différent. La liberté qu'ils ont aujourd'hui ne consiste pas à mener des opérations militaires, mais plutôt à défier notre capacité de renseignement, tuer des aînés tribaux, des religieux de haut rang et des gens ordinaires et attaquer vos forces. Pour l'essentiel, les pertes de vie des deux dernières années ont été causées par des engins explosifs improvisés, des attentats suicides et des attaques de ce genre.
Ce ne sera pas facile. Le plus important, c'est de procéder à cette montée en puissance, ce qui correspond essentiellement à ce que recommandaient les Afghans, et je suis content que l'OTAN et les États-Unis aient subitement adopté cette ligne de conduite et cela devrait comporter une présence internationale. Je ne dis pas qu'il ne doit pas y avoir des forces au Pakistan ou dans d'autres pays, mais en l'absence d'une intervention en amont de cette entreprise terroriste, nous ne serons pas en mesure de sécuriser la moindre localité, sans même parler de Kandahar. C'est important.
Voilà donc où nous en sommes. Nous agissons sur de multiples fronts et des discussions se poursuivent au niveau international et il y a une forte présence à Kandahar. La poussée va se poursuivre. D'autres troupes américaines vont arriver durant l'été à Kandahar, jusqu'en juillet. La contribution canadienne est encore extrêmement utile. Elle cible maintenant un territoire plus restreint autour de la ville et à l'ouest, mais elle est essentielle.
Un élément important de la mission canadienne n'est pas son ampleur, mais la méthode utilisée. L'approche que le général McChrystal, commandant de l'OTAN, a maintenant adoptée, est celle que les Canadiens avaient adoptée il y a longtemps. Il faut en donner le crédit au Canada. Il faut reconnaître l'importance des combats que les Canadiens ont livrés au cours des années précédentes et la grande valeur de l'approche que l'on met maintenant en oeuvre sur une plus grande échelle dans la stratégie de l'OTAN.
Le sénateur Lang : Vous avez entendu tout à l'heure le général parler de changer la donne. Nous avons lu des articles au sujet des rencontres qui ont eu lieu la semaine dernière au gouvernement afghan et avec divers représentants des quatre coins du pays, et l'on a remarqué l'absence des talibans.
Quelle est la feuille de route pour la prochaine année? Verra-t-on une série de réunions où l'on se fera des reproches et l'on tentera de rassembler les diverses factions du pays?
Peut-être pourriez-vous nous parler aussi des talibans et de la possibilité que les talibans les plus modérés soient représentés d'une manière ou d'une autre.
M. Ludin : La jirga de la paix qui a eu lieu la semaine dernière a été le plus important exercice dans le processus de réconciliation et nous reconnaissons tous que c'est un élément important de la stratégie, mais ce n'est pas le seul. Comme je l'ai dit tout à l'heure, l'effort militaire doit se poursuivre; c'est un prérequis si l'on veut que la solution politique ait la moindre chance de succès.
Quelle est la feuille de route? Cette jirga de la paix était un exercice de la part du président Karzaï en vue de forger un consensus dans le pays. Dans certains milieux en Afghanistan, dans la société civile, dans les groupes politiques représentés au Parlement, et surtout parmi les femmes, on se posait des questions sur une éventuelle solution politique ou un règlement négocié ou une réconciliation avec les talibans. Qu'est-ce que cela voudrait dire pour l'Afghanistan, pour sa constitution, pour sa démocratie, pour son avenir et pour eux en particulier?
Le président Karzaï pensait peut-être qu'il avait évidemment le mandat de faire quelque chose du genre, mais il a cru qu'il lui fallait un mandat précis en vue de la réconciliation et c'est ce qu'il est allé chercher. Aujourd'hui, il a ce mandat parce que la jirga de la paix a essentiellement appuyé unanimement un effort en ce sens et l'ouverture de pourparlers avec les talibans. Ce n'était pas censé être un forum avec participation des talibans. C'était seulement censé regrouper tous les autres éléments de la société qui donneraient au président et au gouvernement le mandat et les paramètres en vue d'une réconciliation avec les talibans. Cela débouchera maintenant sur d'autres étapes.
Il fut un temps où il aurait été possible d'avoir la participation de certains éléments talibans modérés, mais c'est devenu impossible depuis que des arrestations ont eu lieu au Pakistan il y a quelques mois.
La présidente : Y a-t-il un représentant des talibans que vous pourriez amener à la table? Y a-t-il un seul taliban qui soit disposé à venir à la table? Nous en parlons de manière générale, mais c'est un groupe diversifié.
M. Ludin : C'est une observation absolument importante. Les Afghans espèrent que l'on ne fera pas venir des gens à titre de talibans. Les talibans, c'est une étiquette plus qu'autre chose. La jirga de la paix a déterminé que, quel que soit l'arrangement conclu, il faudra respecter quelques éléments. Premièrement, la Constitution est intouchable. Deuxièmement, certaines libertés fondamentales inscrites dans la Constitution — l'égalité entre l'homme et la femme — sont également intouchables. Le processus démocratique ne saurait être compromis. Ils ne peuvent pas venir dire : « Nous n'acceptons pas ce processus, nous préférerions une théocratie. » Il ne saurait y avoir de compromis là-dessus. Il y a un certain nombre de traits rouges et c'est important de le souligner.
Quant à savoir qui peut participer, nous nous sommes maintenant rendu compte, avec l'expérience, qu'il n'est pas utile d'exclure des gens à l'avance. C'est mieux de les faire passer par un processus. S'ils ne respectent pas certains critères, par exemple s'ils ont des liens avec Al-Qaïda, autre élément que la jirga de la paix a tiré au clair, ou encore s'ils continuent de se livrer à des activités terroristes et ne respectent pas certains autres critères, alors ils seront automatiquement exclus. D'annoncer à l'avance qu'un tel est exclu, cela n'aide pas à bâtir la confiance dont nous avons besoin.
Le sénateur Manning : Merci, Excellence. Je suis content de votre présence avec nous aujourd'hui.
Partout au Canada, on nous pose toujours des questions au sujet de la mission afghane. Durant mes voyages, je rencontre des gens qui m'interrogent sur la différence que les troupes canadiennes peuvent faire dans votre pays et sur les habitants de votre pays. Nous essayons de leur transmettre certaines anecdotes que nos soldats nous racontent à leur retour. Il s'agit en somme de mesurer l'efficacité de nos troupes dans votre pays.
Dans votre allocution, vous avez abordé les soins de santé et l'éducation. Pourriez-vous nous en dire un peu plus long là-dessus? Je sais qu'à l'époque des talibans, les petites filles n'avaient pas le droit d'aller à l'école, par exemple, et l'on apprend aujourd'hui que plusieurs centaines de milliers d'entre elles font des études — pas seulement les filles, mais les femmes aussi. Pourriez-vous nous décrire cette situation et nous donner une idée de la différence que nos soldats peuvent faire?
M. Ludin : Je pourrais vous en parler pendant des heures. Je ressens vraiment une détresse profonde quand je vois l'image de l'Afghanistan qui est projetée au Canada, surtout par les médias. Ceux-ci ne reflètent pas la réalité. C'est une image unidimensionnelle faisant ressortir les aspects négatifs et les problèmes de sécurité.
En 2001, quand les talibans étaient encore au pouvoir, dans un pays de 33 millions d'habitants, il y avait 900 000 étudiants. C'était tous des garçons et ils n'allaient pas à l'école régulièrement. Aujourd'hui, 6,5 millions d'enfants vont à l'école, dont 35 p. 100 de filles. En fait, le pourcentage de filles dans les écoles afghanes était encore plus élevé de 5 p. 100, mais regrettablement, ces dernières années, beaucoup d'écoles ont été fermées dans le Sud à cause de l'insécurité. Nous nous attendions à ce que les inscriptions scolaires atteignent huit millions, mais cela n'a pas été le cas.
Dans le domaine de la santé, en 2002, 8 p. 100 des 33 millions d'Afghans avaient accès à des soins de santé de base, rudimentaires. Aujourd'hui, c'est 82 p. 100. Ce chiffre de 82 p. 100 date de 2008. Ce n'est pas la situation d'aujourd'hui, car je regrette de ne pas avoir les chiffres les plus récents.
Je vivais en Angleterre en 2001. Si je voulais téléphoner à un parent à Kaboul, celui-ci devait se rendre jusqu'à Peshawar, au Pakistan, voyage qui prenait deux ou trois jours à cause des mauvaises routes. En fait de routes, on peut aujourd'hui se rendre au Pakistan en trois heures. Au sujet des téléphones, si je voulais parler à un parent à Kaboul, celui-ci devait aller jusqu'à Peshawar pour recevoir mon appel. Aujourd'hui, l'Afghanistan a l'un des taux les plus élevés de téléphonie cellulaire dans la région, par habitant.
Le problème que nous avons, c'est que cette insécurité incessante jette de l'ombre et nous empêche de voir tout le reste, tout ce qui se fait dans notre pays. Je ne dis pas qu'il n'y a pas de problèmes. Il y a eu des reculs. Depuis 10 ans, l'histoire de l'Afghanistan est faite d'avancées suivies de reculs : plusieurs pas en avant, suivis d'un ou deux pas en arrière. Je pense que c'est tout à fait naturel.
Le sénateur Manning : Au sujet du retrait des Forces canadiennes, je m'interroge au sujet de la sécurité pour les Afghans et pour nos propres soldats qui pourraient rester là-bas pour participer à un quelconque programme d'aide à l'armée afghane. J'ai lu les observations que vous avez faites au sujet du retrait prévu de nos troupes et, dans vos déclarations, je perçois une vive préoccupation au sujet de la sécurité. Pourriez-vous nous en parler et nous donner une idée de vos principales inquiétudes au sujet des progrès accomplis et de la possibilité qu'ils puissent se poursuivre si le pays n'est pas sûr?
M. Ludin : Comme je l'ai dit dans ma réponse précédente à vos questions, le problème de sécurité non seulement nous empêche de constater tous les progrès, mais a également le potentiel de nous ramener en arrière et d'annuler toutes ces réalisations. Malheureusement, la plupart de ces accomplissements demeurent réversibles.
Par conséquent, l'Afghanistan a besoin de toute l'aide possible. Nous nous développons sur tous les fronts, dans toutes les dimensions. En tant qu'Afghan, si j'avais un seul choix à faire pour ce qui est de l'aide de la communauté internationale, je choisirais la sécurité. Sur ce front-là, nous avons progressé par rapport à la situation d'il y a quelques années, alors qu'il nous fallait seulement un déploiement et une intervention militaire. Aujourd'hui, c'est complexe et il nous faut bien des choses.
J'ai été témoin de l'opération Méduse menée en 2006 à Panjwaii, dans la région de Kandahar. Je félicite les courageux soldats canadiens. Cela, vous l'avez fait, vous vous êtes battus. Maintenant, ce dont nous, Afghans, avons le plus grand besoin dans le domaine de la sécurité, c'est de renforcer nos propres forces — notre police et notre armée — et le plus tôt sera le mieux, et pas seulement grâce à l'aide des Canadiens, mais aussi du reste du monde. Nous pensons qu'il est intolérable que des Américains, des Canadiens, des Britanniques et d'autres soldats meurent pour notre sécurité. Il ne doit y avoir aucune illusion nulle part là-dessus : nous, les Afghans, n'aimons pas cette situation. Nous en souffrons énormément. Nous aimerions être dans une situation meilleure.
Quant aux pays les plus importants pour nous, nous considérons que le Canada fait partie des principaux contributeurs en Afghanistan. Si l'un de ces pays nous dit que son rôle change — je dis bien si cela arrive; je ne dis pas que c'est ce qui se passe —, en tant qu'Afghan, je dois être prêt à répondre. Ma réponse au Canada est de lui demander de continuer à participer à notre effort de sécurité en renforçant nos forces. Je le répète, c'est notre première et plus importante priorité stratégique. Nous voulons bien faire les choses, avec votre aide.
Le sénateur Nolin : Excellence, merci d'avoir accepté notre invitation. Après l'élection du président Karzaï et après avoir lu les rapports de la conférence de Londres, je continue d'espérer que chacun est sur la bonne voie.
Un élément important de la solution est votre relation avec le Pakistan. Quelles sont les relations entre l'Afghanistan et le Pakistan? Je crois que la clé de la solution se trouve à ce niveau.
M. Ludin : Absolument. C'est une question pertinente. Nos relations avec le Pakistan se sont profondément transformées depuis deux ans.
Le sénateur Nolin : Pour le mieux?
M. Ludin : Cela correspond à l'émergence d'un gouvernement civil au Pakistan.
Le changement est positif. Nous croyons que l'on se rend maintenant compte partout au Pakistan, dans la société civile comme dans les milieux politiques, parmi les parlementaires et les membres du gouvernement civil, que le terrorisme est leur ennemi tout autant qu'il est notre ennemi. Ils l'ont constaté. Les terroristes les ont frappés aussi durement que nous.
Il y a place pour une coopération sans précédent. Nous avons également bénéficié de certaines mesures que le Pakistan a prises dans sa lutte contre le terrorisme. Nous n'avons pas encore vu tous les avantages que nous pouvons tirer d'un engagement pakistanais.
Malheureusement, il y a encore des exemples de chefs talibans qui demeurent en liberté au Pakistan et tout indique que l'infrastructure utilisée par les terroristes pour lancer leurs opérations en Afghanistan demeure en partie établie en territoire pakistanais, ce qui est regrettable. L'attentat qui a eu lieu en fin de semaine contre la jirga de la paix à Kaboul a un lien direct avéré avec le réseau Haqqani de l'autre côté de la frontière.
Ce sont des exemples de difficultés qui persistent dans nos relations. Cependant, nous sommes plus confiants que nous ne l'avons été ces derniers temps — je veux dire depuis des décennies — quant à nos relations avec le Pakistan. Nous espérons que le Pakistan modifiera rapidement son approche face au terrorisme, car la communauté internationale n'a pas beaucoup de temps.
Le sénateur Nolin : Certains d'entre nous ont rencontré des représentants des parlementaires de votre pays il y a une semaine. Nous leur avons dit que nous appuyons fermement les pourparlers continus entre les parlementaires afghans et pakistanais. Nous en parlons depuis trois ans et nous trouvons que les progrès ne sont pas assez rapides. Peut-être pourriez-vous être utile à cet égard.
Quand des parlementaires, des représentants de la population se rencontrent, c'est la diplomatie parlementaire qui entre en jeu. J'ai énormément de respect pour la diplomatie au niveau de l'exécutif, mais la diplomatie peut également fonctionner très bien au niveau des parlementaires.
M. Ludin : J'ai le plus grand respect pour la diplomatie parlementaire. J'ai rencontré la semaine dernière le Président du Sénat, le sénateur Kinsella. J'ai trouvé extrêmement encourageant qu'il insiste sur ce point. Il a dit que le Parlement et le Sénat du Canada peuvent avoir un rôle à jouer en encourageant de tels efforts diplomatiques entre l'Afghanistan et le Pakistan et même dans l'ensemble de la région. Nous, en Afghanistan, en serions ravis.
Le sénateur Nolin : Si vous avez besoin d'une tribune...
Le sénateur Day : Merci d'être venu. Je trouve préoccupant que le Parlement élu ne siège pas, ne se réunisse pas. Je trouve inquiétant que deux des meilleurs ministres aient démissionné. Nous avons eu beaucoup de problèmes avec le ministre de l'Intérieur dans le passé; vous avez réglé ce problème pour nous, mais voilà maintenant que le nouveau ministre est parti.
Est-ce que l'on persiste dans l'approche consistant à tout décider à partir du sommet? Pourrait-on inverser le mouvement et revenir à la reconstruction provinciale et susciter un renouveau à partir de la base? Cela ne donnerait-il pas de meilleurs résultats, compte tenu de tous les problèmes que l'on constate dans l'approche initiale de haut en bas?
Je vais poser également ma deuxième question tout de suite. Je voudrais des précisions. Vous avez semblé poser l'hypothèse que nous ne participerons plus à la lutte contre les insurgés l'année prochaine, que nous n'aurons plus les 2 800 soldats qui luttent contre l'insurrection. Cependant, il y a beaucoup d'autres rôles que le Canada joue dès maintenant et qu'il pourrait continuer de jouer. L'un des plus importants, d'après vous, est l'Armée nationale afghane et vous avez aussi évoqué la police. Est-ce que vous vouliez dire les Forces de sécurité nationale afghanes, comprenant à la fois l'armée et la police, ce qui exigerait une participation plus étendue de notre part?
M. Ludin : Pour répondre à la deuxième question, oui, c'est bien ce que je voulais dire. À certains égards, la police a peut-être besoin de plus d'aide que l'armée. Historiquement, l'armée a reçu un généreux soutien.
Étant donné la nature de la menace à laquelle nous sommes confrontés, l'armée et la police jouent des rôles semblables. Quelle que soit la manière dont vous contribuez, les résultats sont visibles.
Quant à votre première question, j'espère qu'on ne cessera pas de soutenir les institutions étatiques. En dernière analyse, les personnes peuvent aller et venir et les deux personnes éminemment respectées et compétentes que nous avons malheureusement perdues en fin de semaine ont laissé un héritage. Nous prions pour que d'autres reprennent le flambeau. Cela fait partie du défi à relever.
Le président Karzaï est conscient que ses priorités les plus importantes sont non seulement d'assumer le fardeau diversifié de la gouvernance, mais aussi de faire en sorte qu'il y ait en place un bon gouvernement. C'est pourquoi il prend son temps dans ses délibérations pour former la moitié de son cabinet; il y a maintenant deux autres postes à pourvoir. Cela prendra du temps. En tant qu'Afghan, je me sens parfois anxieux et malheureux de voir tout le temps qui est gaspillé quand l'assemblée ne siège pas et tout le reste. Mais il faut dire que c'est une expérience nouvelle pour nous. Les cinq dernières années ont été historiques; nous vivons une toute nouvelle expérience démocratique, avec un Parlement et un président élus. Ce n'est pas parfait, mais c'est le mieux que nous ayons eu depuis des générations.
La présidente : Monsieur l'ambassadeur Ludin, nous vous sommes vraiment reconnaissants d'être venu aujourd'hui. Beaucoup de sang et de larmes ont été versés de part et d'autre. Nous espérons que les efforts seront couronnés de succès.
Cela met fin à la partie publique de notre séance. Nous allons maintenant nous réunir brièvement à huis clos.
(La séance se poursuit à huis clos.)