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LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mardi 22 juin 2010

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été déféré le projet de loi C-23A, Loi modifiant la Loi sur le casier judiciaire et modifiant d’autres lois se réunit aujourd’hui à 11 heures pour étudier le projet de loi.

Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, il y a quorum.

Je vous souhaite la bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.

Dans le cadre de notre étude du projet de loi C-23A, nous sommes ravis d’accueillir ce matin le ministre qui parraine ce texte législatif, l’honorable Vic Toews, ministre de la Sécurité publique. Il est accompagné par une représentante du ministère de la Sécurité publique Canada, la directrice générale des Affaires correctionnelles, Mme Mary Campbell.

Vous êtes tous les deux des témoins bien connus de nous, et nous sommes ravis de vous accueillir de nouveau. Je crois savoir que le ministre a une déclaration préliminaire à faire.

L’honorable Vic Toews, ministre de la Sécurité publique : Oui, madame la présidente. Je n’ignore pas tous les efforts déployés par le Sénat pour qu’on étudie ce projet de loi et vous remercie d’y avoir consacré votre temps et de m’avoir invité à témoigner devant vous.

Mme Campbell est disposée à répondre à vos questions, tout comme moi d’ailleurs. Mme Campbell a davantage de connaissances formelles sur le sujet et sera certainement en mesure de répondre à toutes les questions de ce genre.

Mesdames et messieurs les sénateurs, vous n’ignorez sans doute pas que bon nombre de Canadiens ont été choqués d’apprendre qu’on avait accordé le pardon à un contrevenant reconnu coupable d’infractions sexuelles contre des enfants. La manière dont le système fonctionne à cet égard a d’abord fait l’objet d’un examen par l’un de mes prédécesseurs, M. le ministre Day, en 2007. À l’époque, en réponse aux préoccupations qu’il avait exprimées eu égard au fonctionnement du système de réhabilitation, on a modifié quelque peu la manière dont il était administré pour que les demandes de réhabilitation fassent l’objet d’une étude plus poussée.

Toutefois, en 2008-2009, 99 p. 100 des demandes de réhabilitation étaient approuvées. Une telle proportion de réponse positive sous-entend qu’aux yeux de la Commission nationale des libérations conditionnelles, la Loi sur le casier judiciaire exigeait qu’on accorde la réhabilitation dans tous les cas, sauf les exceptions très graves.

Récemment, les médias ont fait écho au cas de M. Graham James, contrevenant condamné pour graves abus de confiance commis à l’encontre d’enfants dont il avait la charge, et cela a confirmé l’existence de cette tendance au pardon automatique. Cette décision a mis en relief une situation qui a incité bien des Canadiens à se montrer préoccupés au sujet d’un système prêt à réhabiliter les auteurs de crime de cette nature.

À cet égard, j’aimerais citer un extrait d’un article éditorial paru dans le Times Colonist de Victoria car il illustre bien cette inquiétude. Il y est dit, et je cite :

Bien que la loi se fonde sur de bonnes intentions, elle ne se conforme pas le moindrement à des normes essentielles. Elle s’abstient par exemple de faire des distinctions pertinentes sur le plan moral… Elle impose à ceux qui l’administrent la norme la plus relâchée. Elle porte aussi atteinte à notre sens de ce qui est juste.

Notre gouvernement est du même avis. Le cas de M. James confirme que les problèmes déjà cernés par notre gouvernement en 2006 et qu’il a tenté de corriger au moyen de mesures administratives, n’ont pas disparu. Ces correctifs n’ont pas réussi à corriger le problème et par conséquent, nous avons décidé de présenter les amendements législatifs.

L’objectif prioritaire de notre gouvernement est la sécurité des Canadiens et c’est d’ailleurs pourquoi il a agi rapidement afin qu’on limite le nombre de réhabilitations dans les cas de crimes graves, ce qui, à notre avis, élimine les défauts inacceptables que l’on trouve présentement dans la Loi sur le casier judiciaire.

Les amendements apportés au projet de loi C-23A reconnaissent qu’il importe de faire certaines distinctions morales entre diverses infractions, que certaines d’entre elles sont plus graves et entraînent des conséquences à plus long terme pour la société. Les Canadiens s’enorgueillissent de leur système de justice parce qu’il est équitable et équilibré. Or, les amendements proposés par le biais du projet de loi C-23A ont justement les mêmes qualités; ils sont équitables et équilibrés.

L’idée du pardon comporte implicitement l’absolution de celui qui en fait la demande par rapport à sa responsabilité criminelle. Or, avant que toute décision soit prise, il importe que la société tienne compte de la nature du crime, de l’incidence de la décision sur le contrevenant et sur le risque de récidive que représente ce dernier.

Ce projet de loi allonge la période d’inadmissibilité dans le cas de délinquants reconnus coupables de crimes graves. Il exige d’eux qu’ils démontrent être capables de vivre en citoyens respectueux des lois pendant une plus longue période avant d’être admissibles à une demande de réhabilitation.

Il est tout à fait indiqué que la période d’attente précédant une demande de pardon soit proportionnelle à la durée des conséquences de l’infraction en question. Les victimes des crimes assujettis à cette plus longue période d’attente en souffriront leur vie entière.

Ces victimes ont subi des préjudices personnels tellement graves que l’infraction les ayant causés a fait l’objet d’une peine de plus de deux ans de réclusion. Dans d’autres cas, les victimes ont subi l’horreur d’une agression sexuelle lorsqu’elles étaient enfants. Tous les membres de votre comité savent fort bien que lorsqu’il y a eu crime sexuel commis à l’égard d’un enfant, qu’il s’agisse d’une infraction punissable soit sur déclaration sommaire de culpabilité, soit par mise en accusation — le choix de la poursuite se fondera sur la probabilité d’obtenir un verdict de culpabilité et sur le désir d’éviter de soumettre l’enfant à un procès — les conséquences du crime durent toute la vie.

Le gouvernement aurait préféré que ce genre de contrevenant ne soit jamais autorisé à demander la réhabilitation. Toutefois, les partis d’opposition à la Chambre des communes n’ont pas voulu de cela. Nous avons donc cherché à allonger la période d’inadmissibilité à une demande de pardon dans le cas de ces crimes. En vertu de la nouvelle loi, les personnes reconnues coupables de sévices graves à la personne aux termes de l’article 752 du Code criminel ne seront pas autorisées à demander une réhabilitation avant que 10 ans ne se soient écoulés après la fin de la peine.

Le projet de loi C-23A comporte l’insertion de l’homicide involontaire coupable afin que l’on comprenne clairement l’intention du Parlement. Il n’est pas précisé que cette infraction d’homicide fait partie des sévices graves à la personne, mais, à mon avis, de toute manière, sa définition le met dans cette catégorie. Cela dit, c’est à dessein qu’on a inséré l’homicide dans le texte.

Cette catégorie couvre les délinquants poursuivis par mise en accusation, reconnus coupables et dont la peine était d’au moins deux ans — autrement dit, les cas les plus graves. De même, les délinquants poursuivis par mise en accusation et reconnus coupables d’une infraction sexuelle à l’égard d’un enfant devront maintenant attendre 10 ans avant d’avoir le droit de demander la réhabilitation, ou cinq ans s’ils ont été déclarés coupables sur déclaration sommaire.

Le projet de loi C-23A veillera à ce que la commission dispose des moyens législatifs dont elle a besoin afin que, dans certaines circonstances, les personnes reconnues coupables de crimes graves ne puissent pas bénéficier de l’avantage pour elles de savoir leurs dossiers scellés. Il donnera aussi à cet organisme les pouvoirs d’appréciation qui lui permettront d’arriver à des décisions judicieuses en matière de pardon et de tenir compte d’autres éléments à part la bonne conduite.

Le projet de loi C-23A impose aussi au demandeur l’obligation de démontrer que la réhabilitation lui sera d’un secours évident et l’aidera à se réinsérer dans la société. Les amendements permettront aussi à la commission de tenir compte d’une vaste gamme de facteurs lorsqu’elle se penchera sur la demande d’une personne ayant commis des crimes graves.

La Commission nationale des libérations conditionnelles s’efforcera de savoir si une mesure de pardon est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice. En prenant sa décision, l’organisme tiendra compte d’un certain nombre de facteurs, y compris la nature, la gravité et la durée de l’infraction. Il pourra aussi tenir compte des circonstances entourant le crime ainsi que des antécédents criminels du demandeur.

Après examen de ces facteurs, l’organisme pourra refuser un pardon à un contrevenant reconnu coupable d’un crime grave, s’il arrive à la conclusion qu’une telle réhabilitation est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.

Il est tout à fait approprié que les personnes reconnues coupables de crimes ayant des conséquences à long terme — de sévices graves à la personne ayant fait l’objet d’une peine de plus de deux ans et d’agressions sexuelles à l’égard d’enfants — fassent l’objet de l’examen le plus minutieux. Il faudrait tout au moins que la mesure de réhabilitation ne soit pas accordée de manière automatique dans le cas de ce genre de crimes.

À mon avis, mesdames et messieurs les sénateurs conviendront sans hésiter que les amendements sur lesquels on les prie de se pencher sont conformes à un système de justice juste et équitable et correspondent aux attentes des Canadiens. La réhabilitation a été conçue pour donner une seconde chance à ceux qui s’efforcent de se réinsérer dans la société mais aussi pour maintenir la protection de cette même société.

Les dispositions du projet de loi C-23A allongeant la période d’inadmissibilité dans le cas de crimes graves et créant un cadre décisionnel plus ferme ont pour effet d’amender la Loi sur le casier judiciaire afin de l’aligner sur les attentes des Canadiens en matière de justice, c’est-à-dire d’en faire une démarche juste et équitable en ce qui concerne la réhabilitation accordée aux personnes qui se sont engagées à respecter les lois et le refus de ce même pardon à celles qui demeurent un risque pour la sûreté publique.

C’est pour cela que le projet de loi C-23A allonge la période d’inadmissibilité dans les cas les plus graves de criminels reconnus coupables d’infractions sexuelles à l’égard des enfants. Ainsi, une période reflétant la gravité de ces crimes devra s’écouler avant qu’une demande puisse être formulée, ce qui permettra aux contrevenants de prouver qu’ils sont en mesure de vivre assez longtemps dans le respect de la société

Nous avons entendu les réactions de nombre de victimes, dont celles des victimes de M. James. Je le répète, le projet de loi C-23A donnera la preuve aux victimes criminels que notre gouvernement les respecte, que nous prenons sérieusement en compte les préjudices physiques et émotionnels qu’elles ont subis. C’est bien le moins que nous puissions faire.

Le projet de loi C-23A est la résultante du compromis collectif auquel on est arrivé à l’autre endroit lors de l’étude du projet de loi C-23. Je rends donc hommage à la collaboration de tous les partis, grâce à laquelle on a scindé le projet de loi en deux, créant ainsi le C-23A et le C-23B, et je sais fort bien que le Sénat est animé par le même esprit. Je recommande donc vivement à tous les honorables sénateurs de faire adopter ce projet de loi dans les plus brefs délais.

Je vous remercie madame la présidente.

La présidente : Je vous remercie beaucoup, monsieur le ministre. Nous allons maintenant passer aux questions.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Monsieur le ministre, je vous remercie d’être avec nous ce matin pour discuter du projet de loi C-23A.

Comme vous le savez, Monsieur le ministre, on a porté tous les deux ce projet de loi. Ce projet de loi tenait beaucoup à cœur à l'association que je présidais.

Ma première question touche un élément qui apparaissait fondamental à l'Association des familles de personne assassinée ou disparue. Il s’agit de l'usage du mot « pardon ».

Au départ, on avait pensé utiliser davantage le terme « suspension du dossier criminel » que le mot « pardon », à la limite, la « clémence ». Et on retrouve encore dans le projet de loi soumis au Sénat le mot « pardon » et aussi on retrouve dans l'autre traduction le mot « réhabilitation ». Pour les victimes d'acte criminel, la notion de pardon a un peu une connotation d'oubli. Pour elles, il est très difficile d’apprendre que le criminel a reçu un pardon de l’État alors que c'est une démarche qui devrait être une propriété de la victime. D'autant plus que dans le système carcéral, il y a déjà un programme qu'on appelle « justice réparatrice », où l’on fait rencontrer la victime et le criminel et où il y a une forme de réconciliation entre la victime et le criminel; une forme de « pardon » adressé au criminel. Pour nous, ce sont deux démarches tout à fait dissociées; le fait que la victime puisse rencontrer le criminel durant sa période d’incarcération et pour faciliter sa réhabilitation, la victime peut comprendre le geste du criminel, et à la limite, lui pardonner.

Que l'État pardonne, c'est d’une très grande envergure lorsqu’on parle de 25 000 personnes — on ne parle pas de 10 personnes — on parle d'une grande partie des criminels. Pour les victimes, c'est une substitution de l'État pour une responsabilité qui leur appartient.

Pourquoi a-ton renoncé dans le projet de loi actuel à abandonner le mot « pardon » pour le substituer au terme « suspension du dossier criminel » qui, à notre avis, nous paraît plus réaliste?

[Traduction]

M Toews : Avant de répondre à votre question, je tiens à vous remercier d’avoir parrainé le projet de loi ici au Sénat. Nous vous sommes très reconnaissants du travail que vous avez abattu par rapport au projet de loi C-23A, surtout que votre voix donne à ce texte une crédibilité que bon nombre d’entre nous ne peuvent égaler. Merci beaucoup de l’appui que vous avez donné à ce projet de loi.

Ainsi que je viens de le dire, le projet de loi a été scindé en deux, le 23A et le 23B. Le projet de loi C-23A témoigne du compromis auquel nous sommes arrivés à la Chambre des communes. Sur d’autres questions, nous n’avons pas réussi à nous entendre à l’autre endroit entre autres choses, au sujet de la manière dont on désigne l’acte posé par l’État.

À l’heure actuelle, le projet de loi C-23A poursuit cet usage, on utilise le terme « pardon » — et son équivalent français tel que vous l’avez indiqué — par opposition à l’expression « suspension du casier » que nous avions d’abord proposée dans le projet de loi C-23.

La suspension du casier est maintenue dans le projet de loi C-23B, et nous reprendrons les débats là-dessus à l’automne. De notre côté, nous n’avons pas renoncé à nos idées sur cette question. Je suis d’accord avec vous lorsque vous affirmez que ce n’est pas à l’État qu’il revient de pardonner aux criminels au nom des victimes, car il s’agit d’un pardon personnel. Comme vous l’avez dit avec beaucoup d’éloquence, c’est un geste à poser par les victimes. L’État a certainement à faire sa part pour favoriser la réinsertion sociale des personnes reconnues coupables, et à mon avis, le recours à l’expression « suspension du casier » reflète plus fidèlement un tel rôle.

Je suis tout à fait d’accord avec vos observations. Ce n’est pas moi qui ai fait ce choix mais cela dit, c’est par respect pour le Parlement et son travail que nous avons déposé le projet de loi C-23A. Malgré cela, je vous assure que notre gouvernement demeure déterminé à présenter le projet de loi C-23B, qui porte justement sur les questions que vous avez soulevées.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Monsieur le ministre, j’ai été surpris en regardant les statistiques dans le projet de loi. Les gens pensaient au départ que 90 p. 100 des criminels perdraient leur droit au pardon alors qu’on voit qu’à peine de 10 à 15 p. 100 seront touchés par ces mesures.

Quelle est votre perception de la réceptivité des Canadiens à l’égard de ce projet de loi?

[Traduction]

M. Toews : Je ne connais pas les chiffres exacts là-dessus. Madame Campbell seriez-vous en mesure d’ajouter quelque chose. Tout ce que je peux vous dire c’est que l’accueil plus que favorable que les Canadiens ont fait au projet de loi C-23A a dépassé toute espérance.

Certes, beaucoup de gens seront déçus par le côté incomplet de notre train de mesures; mais vous ne l’ignorez pas, cela s’explique par plusieurs raisons. Je suis moi-même déçu, mais j’attends avec impatience de passer à l’étude de nos autres initiatives l’automne prochain.

Mary Campbell, directrice générale, Direction générale des Affaires correctionnelles, ministère de la Sécurité publique Canada : Quelques mots pour tirer certaines choses au clair, sénateur Boisvenu. La proportion de 98 p. 100 signifie que 98 p. 100 des personnes autorisées à demander la réhabilitation et qu’ils l’ont fait l’ont obtenue. Elle ne correspond pas à 98 p. 100 des personnes ayant un casier judiciaire dans l’ensemble du pays.

Je crois savoir que la Commission nationale des libérations conditionnelles va peut-être témoigner cet après-midi, elle aura donc peut-être d’autres éclaircissements à fournir au sujet de telles données.

Le sénateur Carstairs : Lorsque je lis le Code criminel au sujet des diverses sortes de réhabilitation, je demeure perplexe. Il y est toujours écrit qu’en fin de compte, c’est soit vous, en tant que solliciteur général, soit le ministre de la Justice qui avez la haute main par rapport à ces questions; toutefois, ici, vous ne semblez pas avoir le dernier mot. Qui exerce l’autorité?

M. Toews : À ma connaissance, l’autorité en la matière repose dans la Loi sur le casier judiciaire. En tant que solliciteur général, je ne crois pas être en mesure d’exercer quelqu’autorité que ce soit lorsqu’il s’agit d’accorder des pardons.

J’ignore aussi s’il existe une prérogative de la Couronne à cet égard comme il y en a dans le Code criminel, ce qui est une question tout à fait distincte. Ainsi par exemple, dans le cas où le projet de loi C-23B refuserait de manière absolue à certaines personnes l’admissibilité à la demande de réhabilitation — par exemple, aux criminels ayant commis des agressions sexuelles à l’égard d’enfants — il resterait toujours la prérogative de la Couronne. Mme Campbell pourrait peut-être développer un peu plus cette idée.

Mme Campbell : Dans le Code criminel, il est question de ce que nous appelons la réhabilitation obtenue par clémence ou la prérogative royale de clémence, en vertu de laquelle le gouverneur en conseil et le gouverneur général disposent de certains pouvoirs de réhabilitation; il s’agit toutefois de mesures tout à fait différentes de la réhabilitation telle qu’elle est envisagée dans la Loi sur le casier judiciaire.

Ainsi que l’a précisé le ministre, le pardon accordé en vertu de la Loi sur le casier judiciaire a pour effet de sceller le casier du demandeur. Cette mesure ne modifie en rien les faits au dossier; elle ne fait que sceller le casier. Quant aux réhabilitations accordées par voie de clémence en vertu du Code criminel et de la prérogative royale, elles sont beaucoup plus vastes et sont tout à fait distinctes.

Le sénateur Baker : J’ai essentiellement deux questions à vous poser. D’abord, monsieur le ministre, je dois vous féliciter pour le nombre de projets de loi que vous avez déposés au Parlement. Vous avez certainement dépassé tout ce qui s’est fait dans votre ministère avant votre arrivée. Je tiens aussi à féliciter le sénateur Boisvenu de sa participation active.

Dans le cas des crimes les plus graves, qui entraînent un délai de 10 ans après la fin de toutes les conditions rattachées à une peine de détention, vous avez mentionné les infractions couvertes par l’article 752 du Code criminel et celles qui figurent également dans l’annexe qu’on trouve à la fin.

Je ne sais pas s’il y a moyen de contourner cela, à moins que vous ayez à dessein éliminé certaines dispositions de l’article 752. Ainsi par exemple, toujours en vertu de l’article 752, les voies de fait simples, à l’article 266 sont couvertes; à l’article 344, le vol, l’introduction par effraction sont aussi couvertes ainsi que toutes les infractions les plus graves. Vous ajoutez une précision en disant que cela concerne les infractions « ayant causé des lésions corporelles graves », mais la définition d’une lésion corporelle grave précise qu’il ne peut s’agir de quelque chose de fugace. Si par exemple, vous donnez un œil au beurre noir à quelqu’un, il s’agit d’une lésion fugace, mais vous pouvez quand même être reconnu coupable de voies de fait simples. Cependant, si vous fracturez le dos de la même personne, on ne jugera pas cela comme grave, à moins que vous ne sortiez de l’article 752 toutes les infractions très graves, des voies de fait simples à l’introduction par effraction et à toutes les autres choses semblables.

Ma deuxième question concerne l’exigence qu’utilisera la commission des libérations conditionnelles pour refuser un pardon; il s’agit de l’expression « est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice », ce qui est une exigence très élevée, comme vous le savez, monsieur le ministre. Cependant, ma question est d’ordre technique.

Je ferai référence à l’affaire Carswell Alberta 651 de 2005. Le juge dit au paragraphe 85 — c’est une référence commune — que le mot « would » de la version anglaise correspond à « could » dans la version française. On parle du paragraphe 24(2) de la Charte et de l’expression « est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ». La version française, selon la Cour suprême du Canada, correspond à « could », ce qui est une exigence moins élevée.

Le juge poursuit en disant que puisqu’il s’agit de l’exclusion d’une preuve, il doit utiliser l’exigence qui profite au demandeur. Conséquemment, il a utilisé l’exigence la moins élevée qui correspond à « serai susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ».

Le projet de loi C-23A présente le même problème d’interprétation. On dit « would » en anglais; et la version française utilise le mot « susceptible », que l’on pourrait définir en anglais comme « could ». Le ministère a-t-il songé à utiliser en anglais le mot « could » plutôt que « would » afin que les versions française et anglaise soient équivalentes? Cela donnerait plus de latitude à la Commission nationale des libérations conditionnelles pour l’application de la loi.

M. Toews : Je vais d’abord répondre à la première question que vous avez posée; les deux points sont excellents.

En ce qui concerne les lésions corporelles graves, pendant les négociations, un des partis politiques a présenté ce point pour arriver à un compromis. Le même parti a dit plus tard qu’il s’inquiétait que c’était trop inclusif. Puis il a suggéré que la personne devrait recevoir une peine d’au moins deux ans.

Voilà comment nous pouvons exclure les infractions mineures — si une telle chose existe — grâce au seuil de la peine de deux ans. Vous soulevez un point important. Voilà la façon dont on l’a résolu, et les quatre partis politiques sont d’accord avec cette solution.

En ce qui concerne la déconsidération de l’administration de la justice, c’est un extrait de la Charte qu’on a décidé d’utiliser parce que les tribunaux l’appliquent de façon quotidienne. Puisqu’il y a la même différence entre « would » et « could » dans les versions anglaise et française de la Constitution, et que les tribunaux appliquent cette exigence sans créer une norme de justice différente pour les demandeurs francophones ou anglophones, nous croyons qu’il est possible de faire la même chose avec ce projet de loi.

Je crois que cela créerait de plus grandes difficultés si l’on changeait maintenant cette exigence dans la version française afin de mieux correspondre au mot que l’on aurait dû choisir. Franchement, je suis prêt à laisser la commission en décider, de la même façon que nous laissons les tribunaux interpréter cet article d’une façon cohérente. Je crois qu’il y aurait un certain réexamen des cas si la commission disait que malheureusement l’exigence était plus élevée ou bien plus faible pour les francophones. Il est évident que cela ne serait pas acceptable.

Je préférerais ne pas jouer avec ce mot, puisqu’il y a tout un ensemble de précédents à ce sujet. Je crois qu’on a réconcilié l’interprétation des versions française et anglaise.

Le sénateur Baker : En d’autres mots, le français correspond généralement à la version correcte. Merci.

La présidente : C’est absolument fascinant.

Le sénateur Joyal : En toute équité envers mon collègue le sénateur Baker, la version française de la Charte utilise le temps présent plutôt que le conditionnel comme l’anglais. Au paragraphe 24(2) de la version française, on indique assez clairement :

[Français]

… s’il est établi, eu égard aux circonstances, que leur utilisation est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice.

[Traduction]

La traduction littérale signifie « est susceptible », ce qui est le temps présent. En anglais il y a un temps différent. On dit :

. . . the admission of it in the proceedings would bring the administration of justice . . .

… que leur utilisation déconsidérerait l’administration de la justice…

C’est une exigence différente. L’une est au futur. En français, c’est au présent, alors il y a une nuance entre les deux, monsieur le ministre. Je ne suis pas ici pour vous faire passer un examen du barreau.

M. Toews : Je ne suis pas ici pour proposer un amendement à la Constitution. J'applique seulement une exigence de la même façon qu’elle l’a été dans ce contexte d’une façon cohérente. L’affaire mentionnée par le sénateur Baker est un exemple de problème d’interprétation lorsque l’on a affaire avec deux langues. Je suis confiant que les tribunaux réconcilieront ces deux versions.

Le sénateur Baker : Ou la Commission nationale des libérations conditionnelles aura à les réconcilier.

[Français]

Le sénateur Carignan : J’aimerais revenir sur ce point d'interprétation. Lorsqu'il y a une différence entre la version française et la version anglaise, la règle est que les tribunaux ne s'arrêtent pas au sens littéral des mots, mais essaient plutôt de détecter l'intention du législateur en regardant le contexte. Ils peuvent également lire les travaux parlementaires afin de déterminer l'intention du législateur.

Pouvez-vous nous expliquer rapidement, dans vos mots, votre intention quant à l'utilisation du critère susceptible de déconsidérer l'administration de la justice?

[Traduction]

M. Toews : Sans trop entrer dans les détails techniques, peut-être que l’un des constitutionnalistes du ministère de la Justice pourrait vous donner cette explication. Je crois qu’ils comparaîtront plus tard et c’est avec eux que vous devriez en parler.

Nous avons débattu du critère que devra utiliser la commission pour accorder un pardon. Évidemment, c’est permissif, on confère un pouvoir; mais quel sera le critère? Nous ne pouvions décider du critère à être utilisé, surtout dans ce genre de situation où on ne traite pas de la culpabilité ou de l’innocence d’une personne. Comme l’a souligné un éditorial du Times Colonist, c’est presque une question morale, et le droit criminel est plein de distinctions et d’enjeux moraux, quoi qu’en disent certaines personnes. Ces distinctions existent.

Il faut utiliser une sorte de norme ou de règle qui donne à la commission une certaine discrétion — une norme juridique mais quand même assez souple pour tenir compte d’une myriade de facteurs sans avoir à en dresser la liste. J'ai participé à cette discussion, et nous avons suggéré « déconsidérer l’administration de la justice ». C’est une norme qu’ont interprétée les tribunaux depuis 20 ans et elle est suffisamment souple pour tenir compte des différents enjeux qui seront soulevés dans ce contexte.

Conséquemment, l’examen par la commission de cette exigence ne serait pas vague; ce ne serait pas trop technique; et il y aurait un fondement juridique sur lequel se baser s’il y avait un réexamen d’une affaire. Nous essayons de donner des pouvoirs aux tribunaux, mais en vertu de la loi actuelle, lorsque la commission reçoit une demande, parce qu’il n’y a pas de critère, si la personne s’est bien conduite et a purgé sa peine et attendu le temps nécessaire, la commission doit accorder le pardon; c’est une approbation automatique.

Nous voulions donner à la commission une certaine exigence et de la souplesse pour que dans les cas où un Canadien ordinaire se dirait que c’est de toute évidence injuste ou insensé, on puisse dire que c’est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice; on utilise cette expression pour couvrir ce genre de situation. Toutefois, c’est la meilleure explication que je peux vous donner.

Nous aurions pu inclure 20 critères, mais je crois que cette phrase convient très bien, malgré la différence entre les versions française et anglaise, que les tribunaux sont en train de réconcilier, si ce n’est déjà fait.

[Français]

Le sénateur Carignan : Le critère de déconsidérer l’administration de la justice est un critère connu par les tribunaux. Il doit choquer. Ce sont des éléments qui choquent la population.

Le projet de loi établit des critères pour ce qui devrait déconsidérer l’administration de la justice. On parle de la perpétration du crime, de la durée de la perpétration et de différents éléments, et on laisse également la place à d'autres critères qui seront déterminés par règlement. Cela sous-entend donc qu'il y aura un règlement à venir qui ajoutera des éléments pour préciser ce qu'on entend par « déconsidérer l’administration de la justice ».

Les tribunaux sont habitués à appliquer ce critère, mais la Commission nationale des libérations conditionnelles — qui est évidemment un tribunal spécialisé en matière de libération conditionnelle — n'a pas cette tradition de mesurer ce qui déconsidère l'administration de la justice et ils sont habitués à entendre des histoires de toute sorte. Donc ils sont plus difficilement scandalisés quant à ce qui pourrait déconsidérer l'administration de la justice.

A-t-on prévu des lignes directrices ou des formations particulières à la Commission nationale des libérations conditionnelles pour expliquer le changement de culture au niveau de la Commission? Ce que l'on veut, c'est que la perception du public prenne une part importante dans la décision.

[Traduction]

M. Toews : Vous avez raison. Il y a des différences entre une cour supérieure qui interprète une disposition de la Charte — l’article 24, je crois — et la Commission nationale des libérations conditionnelles, qui est un tribunal administratif avec une juridiction spécialisée. Votre référence à ceux qui scandalisent les Canadiens ou la nation arrive au même point. Ce genre de choses peut être élaboré dans les politiques et leur interprétation.

Ces politiques seraient sujettes à l’examen des tribunaux s’il y avait une contestation judiciaire disant que l’on applique une exigence trop élevée, mais pour tous les tribunaux administratifs, en tout cas ceux que je connais, le tribunal lui-même élabore des politiques qui l’aident à utiliser des dispositions précises afin que l’application soit cohérente, et on me dit qu’il est possible de le faire dans ce contexte. Il faudrait demander à Mme Campbell ou aux avocats du ministère de la Justice quels sont les pouvoirs juridiques précis, mais je suis convaincu qu’il est possible de le faire.

La présidente : Afin de ne pas utiliser votre temps, nous allons demander à Mme Campbell de garder sa réponse pour plus tard.

Le sénateur Joyal : Ma question fait suite à une réflexion semblable. Lorsque je lis le paragraphe 4.1(3) de l’article 3 du projet de loi, j’en comprends que les critères qui déconsidéreraient l’administration de la justice comprennent ce qui suit :

a) la nature et la gravité de l’infraction ainsi que la durée de sa perpétration;

b) les circonstances entourant la perpétration de l’infraction;

c) les renseignements concernant les antécédents criminels du demandeur…

d) tout critère prévu par le règlement.

Est-ce que ce règlement est adopté par vous, par la commission ou par le gouverneur en conseil? Est-ce une procédure normale que d’adopter un règlement en vertu d’une loi qui touche au droit criminel?

M. Toews : C’est exact. En général, la commission préparerait le règlement, et ensuite elle devrait suivre le processus réglementaire. Je ne crois pas que la commission ait le pouvoir de faire adopter elle-même le règlement.

Le sénateur Joyal : C’est mon impression, mais je voulais que ce soit dit pour le compte rendu. Vous allez comprendre pourquoi, monsieur le ministre.

J’ai une seconde question à ce sujet. L’expression « tout critère prévu par règlement » est très vague. On ouvre la porte à n’importe quoi, y compris, comme vous l’avez dit, peut-être une certaine influence morale. Le sénateur Carignan l’a présenté en des termes différents, en disant que la commission a vu tant de choses si horribles que ses membres sont plus ou moins immunisés contre une réaction scandaleuse à un crime épouvantable.

Toutefois, je vais lire la décision de la cour dans l’affaire Calder, 1996, afin de donner un exemple de ce dont a parlé le sénateur Carignan. La cour a dit « ce n’est pas le juré ayant reçu des directives soigneusement conçues qui est l’arbitre de l’effet sur l’administration de la justice, mais le citoyen bien informé ». En d’autres mots, ce n’est pas la réaction d’un membre de la Commission nationale des délibérations conditionnelles qui a tout vu qui constitue le test; c’est la réaction d’un citoyen bien informé, selon le paragraphe 24(2) de la Charte.

Je vous dirais qu’en établissant ces critères, vous aurez le pouvoir d’adopter ou de prescrire par règlement, ou serez guidé par la jurisprudence existante en ce qui concerne l’interprétation du paragraphe 24(2).

Quels sont les critères identifiés par la jurisprudence dont il faut tenir compte en adoptant ces règlements? Nous n’avons pas ces règlements sous les yeux aujourd’hui.

M. Toews : Vos observations nous sont très utiles. Essentiellement, les phrases que vous avez citées — la nature et la gravité de l’infraction ainsi que la durée de sa perpétration ainsi que les circonstances entourant la perpétration de l’infraction — tous ces éléments nous permettent de définir ce qui est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice. Cela nous permet d’obtenir un fondement plus solide.

Cependant, il y a un dernier élément : « tout critère prévu par règlement ». Cela veut dire qu’il faut non seulement tenir compte de la jurisprudence existante mais qu’il faut aussi avoir une certaine cohérence avec la loi. Cette loi sert de guide essentiel au tribunal, à mon avis, en déterminant les critères que vous pourrez prévoir par règlement. Dans le cas où ces critères seraient trop étendus ou peu pertinents, le règlement serait jugé ultra vires. On voit ce genre de critère étendu dans la plupart des instances qui prévoient des règlements pour les tribunaux administratifs. Souvent cela se limite aux questions d’ordre administratif ou aux éléments qui reflètent clairement les principes et les objectifs de la loi.

Je ne veux pas dire davantage pour le moment. Peut-être que l’un des avocats pourrait vous fournir des directives supplémentaires quant à cette question. Cependant, il faut comprendre que le gouverneur en conseil ne va pas tout à coup dire, « Eh bien, cette idée qu’un criminel ayant perpétré ce genre d’infraction soit admissible après cinq ans ne nous enchante pas ». Et ensuite dire, « dans ce cas-là, le criminel va devoir attendre sept ou dix ans, » lorsque la loi stipule cinq ans. Une telle décision doit se conformer aux principes de la loi.

Le sénateur Joyal : Je suis tout à fait d’accord avec vous. Les règlements ne peuvent pas aller au-delà de l’objectif de la loi; ils ne peuvent pas dépasser l’autorité conférée au ministre selon les limites de la Loi sur le casier judiciaire.

Cependant, le ministre ne peut pas prévoir une porte ouverte à ce critère qui, à mon avis, dépasserait de beaucoup la jurisprudence en ce qui concerne l’interprétation du paragraphe 24(2). Étant donné que le même libellé existe dans la Charte, vous serez donc tenu de tenir compte de cette Charte en définissant ces critères, dans les limites, bien entendu, de la loi, ce qui constitue une autre contrainte, mais également selon les limites de la Charte établies par le tribunal en ce qui concerne ce que nous comprenons ou ce que nous devrions comprendre au niveau de l’administration de la justice.

Comme je viens de dire dans l’exemple, qui est le juge? Qui doit réagir? Un membre de la commission ou un membre bien éclairé de la collectivité tel que le tribunal a stipulé?

M. Toews : Je crois que vous avez raison; ce serait un membre bien éclairé de la collectivité. Un aspect intéressant d’un tribunal comme celui-là, c’est le mandat limité de la plupart des membres, contrairement aux juges, ils n’y siègent pas jusqu’à l’âge de 65 ou 75 ans— ou dans le cas du Manitoba, où il n’y aucune limite pour les juges provinciaux, qui peuvent y rester jusqu’à toujours. D’après moi il s’agit d’une tentative d’atteindre l’immortalité, et je ne suis pas convaincu de son succès.

Le sénateur Joyal : Nous avons déjà vu cela au Sénat.

M. Toews : Grâce à cette limite sur le mandat de façon générale, et grâce à l’arrivée régulière des nouveaux membres, j’ose croire que même les membres de leur commission seraient choqués de temps à autre et convaincus que quelque chose risque de déconsidérer l’administration de la justice.

Il reste que ça doit être fait de façon objective; il ne s’agit pas simplement d’une réflexion personnelle sur une norme propre à quelqu’un. Nous essayons d’établir une norme objective tout en donnant au conseil la marge de manœuvre nécessaire pour qu’il puisse prendre des mesures.

« Tout critère prévu par règlement », manifestement, doit être conforme au principe de la loi et sera interprété de façon beaucoup plus limitée que les autres pouvoirs, à mon avis. C’est en général la façon de faire lorsque l’on parle de pouvoirs réglementaires et qu’on est saisi d’un énoncé si vaste. Certaines lois stipulent que ce ne peut être en lien qu’avec des questions administratives. Dans ce contexte, je ne pense pas que cela serait limité à des considérations administratives, mais ce sera limité par la loi et conforme à celle-ci.

Le sénateur Wallace : Merci, monsieur le ministre, pour votre exposé. Comme vous l’avez dit dans votre déclaration, c’est en lien non seulement avec ce projet de loi mais aussi à d’autres lois visant les criminels. Il faut trouver un équilibre entre la protection des droits de nos citoyens, la protection de la société et, en même temps, les droits des condamnés, dans ce cas.

Qu’avez-vous à dire au sujet de cet équilibre et de la façon dont le projet de loi C-23 permet de l’atteindre? Est-ce que l’équilibre actuel sera modifié? Que pensez-vous en particulier des protections additionnelles qui seraient conférées à la société?

M. Toews : J’estime que l’équilibre en est complètement modifié; on atteint un point beaucoup plus équilibré. En toute honnêteté, le conseil exerce ses pouvoirs et accorde des pardons aujourd’hui en vertu de la loi actuelle et suit un processus plus administratif que judiciaire. Une fois qu’une personne est condamnée pour un crime, qu’elle a purgé sa peine et attendu pendant la période nécessaire, le conseil accepte essentiellement sa demande. Il accepte tout simplement les demandes dans 98 p. 100 des cas. Je ne sais pas pourquoi il en refuse 2 p. 100. Est-ce que les intéressés n’attendent pas le temps nécessaire? Est-ce que la personne visée a été accusée d’une infraction entre la fin de sa peine et l’expiration de la période d’attente de trois ou de cinq ans? Ce pourrait être pour des raisons techniques de ce genre plutôt que pour des raisons liées à l’utilisation du pouvoir discrétionnaire des juges.

À mon avis, sous réserve de ce que pourrait dire Mme Campbell ou les avocats du ministère de la Justice au sujet des 2 p. 100 des cas, il s’agit d’une fonction administrative, donc il n’y a pas de soi-disant équilibre. Lorsque les critères sont respectés, c’est essentiellement accordé.

Le projet de loi tient compte du fait qu’il y a un impact sur les victimes, ce que ne faisait pas l’ancienne loi. Il s’agit d’une évolution. Je ne veux pas critiquer les gens qui ont rédigé la loi actuelle il y a nombre d’années parce que, en toute honnêteté, lorsque vous et moi avons commencé à pratiquer le droit, les victimes étaient la cinquième roue du carosse dans le processus; elles n’étaient pas vraiment nécessaires et souvent les gens estimaient qu’elles étaient tout simplement embêtantes.

Au cours des 30 dernières années, la situation a changé considérablement, et à mon avis, pour le mieux. Nous reconnaissons qu’un crime a été commis non seulement contre l’État, mais aussi contre une personne et que cette personne doit être incluse dans le processus pour qu’il y ait une réconciliation appropriée. L’État défend ses intérêts et la victime, ses droits. Il s’agit d’équilibrer tout le système pour que la victime puisse, pour la première fois, se faire vraiment entendre.

Certains types de crime sont commis par des personnes qui, nous le savons, ont du mal à se réadapter. Je ne l’ai pas constaté moi-même, mais je me fie aux écrits et aux témoins que j’ai entendus au fil des années. Je pense notamment aux auteurs récidivistes de crimes contre les enfants. C’est pourquoi je pense que le projet de loi dans sa forme originale s’opposait fermement à ceux qui commettent des crimes de nature sexuelle, surtout contre les enfants.

Il a été difficile de trouver un équilibre entre ces questions dans ce projet de loi. J’étais convaincu que le projet de loi C-23 original présentait le bon équilibre. Certains partis d’opposition s’inquiétaient grandement de l’élimination de la possibilité d’une suspension du casier judiciaire après quatre condamnations d’infractions punissables par voie de mise en accusation. Je dois admettre que ce point m’a également préoccupé.

Quel est le bon nombre d’infractions punissables par voie de mise en accusation? Devrait-on indiquer un tel nombre? Devrions-nous plutôt songer au nombre d’années pendant lesquelles ces infractions ont été commises? Comme vous le savez, un jeune homme de 20 ans peut commettre 20 introductions par infraction pendant une courte période de temps. Dans un tel cas, le projet de loi C-23 éliminerait toute possibilité de pardon et de suspension du casier judiciaire. Voilà le genre de points dont on a discuté avec les trois autres partis.

Certaines de ces questions ont été remises à l’automne, et nous pourrons alors juger si le cadre original du projet de loi était le bon, ou si l’on devrait prévoir plus de souplesse. Je suis beaucoup plus ouvert à des changements sur ce point que sur celui des crimes sexuels contre les enfants.

Je prends une position très ferme à ce sujet. En tant que procureur, je sais à quel point il est difficile d’intenter des poursuites pour ce type d’infraction, car il est difficile de faire témoigner les enfants, à cause de problèmes psychologiques et liés à la preuve. On songe à l’enfant de cinq ans et on se demande si on veut qu’il témoigne alors que l’accusé est prêt à plaider coupable à une infraction moins grave. Souvent, on accepte de telles ententes pour le bien de l’enfant. Conséquemment, je crois que la société devrait traiter ce type de condamnation de façon très stricte.

Le sénateur Wallace : Monsieur le ministre Toews, comme vous l’avez mentionné, le projet de loi exige que le demandeur convainque la commission que l’octroi du pardon lui amènerait un avantage mesurable qui l’aiderait dans sa réhabilitation à titre de citoyen respectueux des lois. Le fardeau de la preuve repose donc sur les épaules du demandeur. Est-ce un changement par rapport à la situation actuelle? Pourquoi est-ce important?

M. Toews : Je ne crois pas qu’on en tenait vraiment compte dans l’ancienne loi. Je pense que c’est très important. Si les pardons ou la suspension du casier judiciaire est considéré comme un processus par lequel on facilite la réhabilitation, ne faudrait-il pas que la personne qui en fait la demande démontre comment le pardon l’aidera?

Je crois que c’est une partie essentielle au processus pour que les demandeurs ne pensent pas qu’ils aient droit à un pardon parce qu’ils ont purgé leur peine. La société ne leur dit pas qu’ils y ont droit. Ils ont droit de présenter une demande, mais ils doivent nous convaincre qu’ils méritent d’être pardonnés. Voilà pourquoi le fardeau de la preuve repose sur le demandeur.

Je pense que c’est logique puisque nous parlons de personnes qui ne profitent plus de la présomption d’innocence. Ces gens ont été condamnés; il n’y a plus de présomption d’innocence. En fait, la seule présomption, c’est qu’ils sont coupables, qu’ils ont commis une infraction et qu’ils méritent d’avoir un casier judiciaire pour le reste de leur vie à moins qu’ils puissent prouver que ce pardon ou cette suspension du casier judiciaire facilitera leur réhabilitation, et le fardeau de la preuve doit reposer sur eux et pas sur la société.

Le sénateur Lang : Lorsque le projet de loi a été présenté au Sénat, j’ai été assez surpris d’apprendre qu’il n’y a presque pas eu de débat à son sujet à la Chambre des communes. Je suis ravi que nous examinions le projet de loi afin qu’il y ait un débat public, et que les Canadiens qui s’y intéressent plus entendent votre point de vue directement et examinent le projet de loi et ses détails.

Je pense qu’il est temps de revoir notre système de justice. Les Canadiens pensent maintenant qu’en vertu des lois actuelles, l’octroi d’un pardon se fait automatiquement. Cela a été tout un choc pour les Canadiens.

J’aimerais parler d’un autre sujet, la Commission nationale des libérations conditionnelles elle-même. Les changements qu’on y apporte et les responsabilités qu’on lui donne sont importants. Avec ces nouvelles responsabilités, la commission recevra-t-elle de nouvelles ressources, comment fera-t-elle face à cet ajout de responsabilités? Peut-être pourriez-vous nous l’expliquer?

M. Toews : En ce qui concerne votre premier point, la discussion que nous avons aujourd’hui sera très utile pour les discussions qui suivront à l’automne. C’est très important. Les commentaires faits aujourd’hui par les sénateurs des deux partis m’aideront à formuler mes idées. J’apprécie les efforts et le sérieux évidents que les sénateurs mettent à examiner ce projet de loi, et je vous en remercie tous.

Premièrement, oui, la Commission nationale des libérations conditionnelles recevra des ressources additionnelles. Mme Campbell pourra vous en parler plus tard.

Deuxièmement, je veux souligner la haute compétence dont font preuve la plupart des membres de la commission, sinon tous. Chaque candidat fait l’objet de tests rigoureux, il y a de tests écrits et des entrevues. Je ne suis pas certain qui s’en occupe, mais je crois que c’est le président et les membres de la Commission nationale des libérations conditionnelles. C’est une exigence assez élevée qui correspond à celle de nombreux autres comités des affaires juridiques qui examinent la candidature de juges provinciaux ou même fédéraux.

Je suis ravi de savoir que ces personnes répondent à cette exigence élevée puisque nous leur donnons des pouvoirs supplémentaires, presque quasi-judiciaires, alors qu’ils remplissaient avant des fonctions simplement administratives.

La présidente : Monsieur le ministre Toews, merci beaucoup. Nous avons couvert beaucoup de terrain dans une courte période de temps, et nous vous en sommes particulièrement reconnaissants, car comme le sénateur Lang l’a dit, les comités de la Chambre des communes n’ont pas tenu d’audience au sujet de ce projet de loi.

Le sénateur Baker : Il n’y aura pas une deuxième série de questions?

La présidente : Pas avec le ministre. Je suis désolée; ce n’est pas moi qui l’aie décidé. Nous suspendons la séance jusqu’à 13 h 30.

(La séance est suspendue.)

(La séance reprend.)

La présidente : Honorables sénateurs, nous poursuivons notre étude du projet de loi C-23A, Loi modifiant la Loi sur le casier judiciaire et d’autres lois en conséquence.

Nous sommes ravis de revoir en comité au sujet de ce projet de loi, de la Commission nationale des libérations conditionnelles, Harvey Cenaiko, président; Mme Shelley Trevethan, directrice générale exécutive; et Denis Ladouceur, directeur, Clémence et pardon.

[Français]

Nous accueillons également M. Denis Ladouceur, qui est directeur, Pardon et Clémence. Bienvenue. Nous sommes ravis de vous revoir.

Je pense que vous avez une déclaration à faire, monsieur Cenaiko?

[Traduction]

Harvey Cenaiko, président, Commission nationale des libérations conditionnelles : Je vous remercie de m’avoir invité à m’adresser aux membres du comité aujourd’hui. Comme j’ai comparu très récemment devant le comité pour un autre projet de loi, vous êtes déjà au courant du bagage de connaissance et de l’expérience que j’ai acquis au sein du système de justice pénale. Je vais donc tout de suite entrer dans le vif du sujet de mon exposé.

Pour vous aider dans votre étude du projet de loi C-23A, j’entends d’abord vous donner un bref aperçu du système en place, ainsi que de ses objectifs et de ses résultats. Je compte aussi, au fil de mon exposé, aborder certaines des questions et des préoccupations qui ont ressorties de la réaction du public concernant le programme du pardon au cours des deux derniers mois. Puis, pour terminer, je vais vous faire part de quelques-uns des effets qu’aurait le projet de loi C-23A sur les activités de la commission s’il recevait la sanction royale. Nous vous avons distribué quelques documents, qui comprennent des renseignements statistiques, de même qu’un exemplaire du guide pour la demande de pardon.

Comme vous le savez sans doute, l’octroi du pardon à des personnes qui ont un casier judiciaire n’est pas unique au Canada. Nombre de pays, y compris l’Australie, la Nouvelle-Zélande, le Royaume-Uni, la Belgique et l’Allemagne ont un régime de pardon dont les objectifs globaux sont sensiblement les mêmes que le nôtre. Chaque régime est, bien entendu, assorti de ses propres règles et exigences.

Ici, au Canada, le régime de pardon actuel a été instauré il y a 40 ans. Le principe fondamental qui le sous-tend n’a pas changé depuis ce temps. L’objectif est d’amoindrir les obstacles et l’opprobre associés au fait d’avoir un casier judiciaire pour les personnes qui sont à même de démontrer qu’elles peuvent mener leur existence en tant que citoyens respectueux des lois. Le programme présente un double avantage : il favorise la réadaptation des personnes concernées et il contribue à accroître la sécurité dans les collectivités en motivant ces personnes à mener une vie honnête et à adopter une bonne conduite.

Depuis l’instauration du programme de pardon, on s’intéresse davantage à ce processus. Cela s’explique, en partie, par le fait qu’on assiste à une augmentation du nombre de Canadiens qui ont un casier judiciaire. On constate, en outre, que le passé des personnes est examiné plus attentivement lorsqu’il est question de postuler pour un emploi, de demander un prêt, de faire du bénévolat, d’obtenir certains permis ou de poursuivre ses études.

D’après les chiffres du recensement de 2006, quelque 3,3 millions de Canadiens ont un casier judiciaire. Plus de 400 000 Canadiens ont obtenu un pardon, ce qui représente environ 10 p. 100 des Canadiens ayant un casier judiciaire. Un petit nombre de pardons ont été révoqués au fil des ans. La plupart des pardons octroyés, environ 97 p. 100, demeurent en vigueur.

J’aborderai les taux d’octroi et de révocation du pardon un peu plus tard dans mon exposé, car il s’agit là d’un sujet qui a suscité un intérêt et une réaction considérables de la part de la population.

Pour commencer, j’aimerais vous éclairer sur quelques définitions et succinctement vous décrire les rouages du processus actuel.

La Commission nationale des libérations conditionnelles est la seule organisation habilitée à délivrer, octroyer, refuser, révoquer ou annuler un pardon en vertu de la Loi sur le casier judiciaire. Chacun de ces mots a un sens bien précis au regard de la loi. Par exemple, pour une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, le pardon est délivré, ce qui indique que la demande est traitée différemment. Le terme « pardon » a lui aussi un sens particulier. Bien des gens ont tendance à parler indistinctement de « pardon » ou de « clémence », mais au Canada, il existe une différence entre ces concepts.

En bref, la prérogative royale de clémence est un pouvoir discrétionnaire qui a son origine dans l’ancien pouvoir des monarques britanniques de gracier leurs sujets. Au Canada, des pouvoirs analogues ont été conférés au gouverneur général ou au gouverneur en conseil.

Les personnes qui ne sont pas admissibles au pardon selon les conditions prescrites par la Loi sur le casier judiciaire peuvent choisir de présenter une demande de clémence; il faut cependant savoir que la clémence est accordée rarement et uniquement dans les cas où le bien-fondé de la demande a été établi et où il est question d’infractions à des lois fédérales. Il faut clairement établir qu’il y a eu injustice ou que la sévérité du châtiment est disproportionnée par rapport à la nature et à la gravité de l’infraction commise et est plus importante que pour d’autres personnes se trouvant dans une situation semblable.

L’exercice de la clémence n’a pas pour objet de contourner d’autres dispositions législatives. Le rôle de la commission en ce qui concerne la clémence consiste à examiner les demandes, à effectuer les enquêtes ordonnées par le ministre de la Sécurité publique et à formuler des recommandations au ministre en vue de l’éventuel exercice de la prérogative royale de clémence. Au cours des cinq dernières années, cinq personnes se sont vu accorder la clémence, bien que nombre d’autres aient présenté une demande dans ce sens.

Le projet de loi sur lequel vous êtes aujourd’hui appelés à vous pencher traite du pardon, et pas de clémence. Il est néanmoins raisonnable que l’on anticipe, advenant l’adoption de la loi proposée, une augmentation du nombre de demandes de clémence adressées à la Commission nationale des libérations conditionnelles. Cela aurait une incidence sur nos ressources, mais il est trop tôt pour en déterminer l’ampleur.

Permettez-moi de revenir au régime de pardon actuel. Avant qu’une personne condamnée pour une infraction à une loi fédérale ou à ses règlements puisse présenter une demande de pardon, elle doit purger la totalité de la peine qui lui a été imposée. Cette personne doit d’abord avoir purgé l’ensemble de sa peine d’emprisonnement, achevé toutes les périodes de liberté sous conditions, payé toutes les amendes et satisfait à toutes les conditions de l’ordonnance de probation. Cela signifie, bien évidemment, que les délinquants condamnés à perpétuité ou à des peines d’une durée indéterminée ne sont pas admissibles au pardon en vertu de la Loi sur le casier judiciaire.

Une fois que la peine a été purgée, la personne doit également attendre pendant une période déterminée avant de présenter sa demande, cette période d’attente est de trois ans si la personne a été reconnue coupable par procédure sommaire et de cinq ans si elle a été reconnue coupable par voie de mise en accusation. Il est possible de présenter une demande de pardon même si l’on vit à l’extérieur du Canada.

Il n’y a pas davantage réel à passer par une entreprise du secteur privé pour présenter sa demande de pardon. La commission accorde la même attention à toutes les demandes qu’elle reçoit. Il s’avère donc moins coûteux de tout simplement suivre soi-même les étapes proposées aux fins d’une telle demande et de traiter directement avec la commission.

L’intéressé doit ensuite envoyer ses empreintes digitales afin d’obtenir une copie de son casier judiciaire de la GRC. Cela coûte habituellement 25 $. Il faut également demander une vérification des dossiers de la police locale. La police a alors, à cette étape du processus, l’occasion de fournir sur le formulaire de demande toute information additionnelle ou observations qu’elle voudrait que la commission prenne en considération. Celle-ci s’appuie en effet sur les renseignements de qualité qu’elle reçoit de la police et d’autres sources aux diverses étapes du processus.

Le demandeur peut enfin soumettre à la commission toute la documentation requise ainsi que les frais de 50 $ exigés pour le traitement de cette demande. De ce montant, 35 $ reviennent à la commission tandis que la GRC reçoit les 15 $ restant pour le travail qu’elle a effectué dans le cadre du processus. Seul le paiement pour les demandes retenues à des fins de traitement est encaissé.

Quels sont les effets du pardon exactement? Concrètement, le pardon permet que le casier judiciaire de la personne réhabilitée soit gardé à part des autres casiers judiciaires. Toutes les informations touchant la condamnation sont donc retirées de la base de données du Centre d’information de la police canadienne, le CIPC, et ne peuvent être divulguées qu’avec l’approbation du ministre de la Sécurité publique. Ces exigences ne s’appliquent qu’aux dossiers détenus par les ministères et les organismes fédéraux; cependant, les organismes provinciaux et municipaux d’application de la loi acceptent en général d’agir dans le même sens en limitant l’accès à leurs dossiers concernant les personnes réhabilitées. Les dossiers des délinquants sexuels sont toutefois marqués d’un indicateur dans le système du CIPC afin que le pardon ne serve pas à protéger les personnes qui se chercheraient de nouvelles victimes.

Un peu plus tôt, j’ai fait référence aux circonstances qui pourraient expliquer qu’une personne ait besoin d’un pardon : se trouver du travail et ainsi réduire sa dépendance à l’égard des programmes sociaux, se faire accorder une licence et démarrer son entreprise, ou contracter un prêt, par exemple. Or, le pardon a aussi des limites. Par exemple, de nombreux pays étrangers, y compris les États-Unis, ne reconnaissent pas le pardon obtenu au Canada. Ainsi, le fait de s’être fait octroyer ou délivrer un pardon ne garantit pas de privilèges d’entrée ou de visa pour un autre pays, et cela n’annule pas non plus les ordonnances d’interdiction de conduire ou de posséder une arme à feu.

Comme je l’ai mentionné un peu plus tôt, selon les exigences de la loi, le traitement d’une demande de pardon pour une infraction punissable par procédure sommaire et d’une autre pour une infraction punissable par voie de mise en accusation se fait différemment. Le traitement de la demande de pardon pour une infraction punissable par procédure sommaire s’effectue au moyen d’un processus non discrétionnaire. La commission doit délivrer le pardon au demandeur après que celui-ci a purgé la totalité de sa peine, que la période d’attente obligatoire est écoulée et que le demandeur est parvenu à mener une vie exempte de crime.

Quant au traitement de la demande de pardon pour une infraction punissable par voie de mise en accusation, la Loi sur le casier judiciaire précise que la commission peut octroyer le pardon s’il a été établi que le demandeur a purgé l’ensemble de sa peine, qu’il n’a pas été condamné pour aucune infraction pendant la période d’attente de cinq ans et qu’il a adopté une bonne conduite. On entend par bonne conduite un comportement qui témoigne du respect des lois et qui cadre avec un style de vie honnête. La commission octroie donc le pardon lorsque les organismes d’application de la loi n’ont pas de preuve que la personne concernée a été impliquée dans des agissements criminels soupçonnés ou présumés depuis sa dernière condamnation. Les enquêtes menées à cet égard comprennent l’échange d’informations avec les tribunaux et les services de police locaux, nationaux et internationaux; la vérification des bases de données de la police ainsi que toute autre vérification qui s’avérerait nécessaire pour permettre aux commissaires de prendre une décision dans un cas donné. La commission est largement tributaire de ces échanges d’informations avec ses partenaires au sein du système de justice pénal.

L’information reçue concerne parfois des incidents ayant donné lieu à une accusation retirée par la suite, une absolution inconditionnelle ou conditionnelle, des condamnations en vertu des lois provinciales, des allégations de comportement criminel, des renseignements obtenus par des victimes, d’observations du demandeur, et cetera. Dans le cas d’infractions d’ordre sexuel punissables par voie de mise en accusation, la commission procède à des vérifications supplémentaires auprès des services de police.

La loi exige que la commission tienne compte de tous les renseignements pertinents, fiables et convaincants fournis. Si la commission reçoit de l’information sur des allégations ou des soupçons d’activités criminelles, elle doit prendre cette information en considération et déterminer s’il convient d’accorder ou de refuser le pardon.

Les décisions sont prises par un seul commissaire, à moins que le demandeur ait été reconnu coupable d’une infraction d’ordre sexuel punissable par voie de mise en accusation; dans un tel cas, la décision est prise par deux commissaires. Le président a aussi le pouvoir d’ordonner qu’une demande de pardon soit examinée par plus d’un commissaire.

La personne dont la demande de pardon est rejetée peut présenter une nouvelle demande après un an.

Si un réhabilité est déclaré coupable d’une nouvelle infraction, le pardon est automatiquement sans effet et son casier judiciaire est réactivé. Et s’il existe des preuves d’une éventuelle mauvaise conduite, la commission est en droit de révoquer le pardon.

J’aimerais maintenant vous donner un aperçu de nos activités de traitement des demandes, de la quantité de demandes reçues et des résultats obtenus en vous fournissant quelques statistiques pour l’exercice financier 2009-2010. Au cours de l’exercice en question, la commission a reçu un peu plus de 32 000 demandes. La commission a accepté de traiter presque 25 000 d’entre elles. Cela veut dire qu’environ 7 000 demandes reçues étaient inadmissibles, incomplètes ou ont été retirées.

Il est inexact de dire que la commission accorde le pardon à presque tous les demandeurs. Premièrement, il y a un certain degré d’autosélection, parce que les personnes qui présentent une demande sont la plupart du temps celles qui sont admissibles. Malgré cela, la commission rejette généralement dès le départ environ 25 p. 100 des demandes qu’elle reçoit.

En 2009-2010, la commission a accordé presque 8 000 pardons à des personnes qui avaient un casier judiciaire en raison d’infractions punissables par procédure sommaire. Comme vous le savez, ces infractions sont moins graves que les infractions punissables par voie de mise en accusation et entraînent normalement l’imposition d’une amende allant jusqu’à 5 000 $ ou d’une peine d’incarcération d’au plus six mois, ou encore les deux. Dans la vaste majorité des cas, il s’agit de condamnations pour conduite avec facultés affaiblies, de voies de fait, de vols ou d’infractions liées à la drogue.

La commission a aussi octroyé plus de 16 000 pardons à des personnes qui avaient un casier judiciaire en raison d’infractions punissables par voie de mise en accusation. Comme c’est le cas pour les infractions punissables par procédure sommaire, il s’agit, dans la vaste majorité des cas, de condamnations pour conduite avec facultés affaiblies, de voies de fait, de vols ou d’infractions liées à la drogue.

En 2009-2010, la commission a rejeté au total 425 demandes de personnes qui demandaient un pardon pour des infractions punissables par voie de mise en accusation. La commission les a rejetées parce qu’elles n’étaient pas convaincue de la bonne conduite des demandeurs.

Pendant la même année, presque 900 pardons ont été révoqués ou déclarés sans effet. Ces pardons avaient été délivrés ou octroyés à un moment donné au cours des 40 dernières années. Le pardon est révoqué si le réhabilité est condamné pour une infraction punissable par procédure sommaire, s’il a cessé de bien se conduire ou si la commission apprend qu’il a eu une déclaration inexacte lors de la demande. Le pardon peut être déclaré sans effet si le réhabilité est condamné pour un autre crime ou s’il n’était pas admissible au pardon lorsqu’il lui a été octroyé ou délivré.

Je mets fin ici à la description de nos activités pour me concentrer sur certaines questions clés qui pourraient présenter un intérêt pour les membres du comité. Je vais aussi expliquer ce que les modifications proposées à la Loi sur le casier judiciaire signifieraient pour la commission.

Pour la commission, la modification la plus importante proposée par le projet de loi C-23A serait la nécessité de déterminer si l’octroi d’un pardon pour une infraction grave serait susceptible de déconsidérer l’administration de la justice. Ce critère fait intervenir d’autres facteurs que la bonne conduite dans la collectivité depuis la dernière condamnation du délinquant. Pour prendre une telle décision, les commissaires tiendront compte de la nature et de la gravité de l’infraction ainsi que de la durée de sa perpétration, des circonstances entourant la perpétration de l’infraction ainsi que des antécédents criminels du demandeur.

Tous les commissaires sont adéquatement formés pour prendre des décisions dans des cas complexes. Tous les commissaires peuvent être rappelés à rendre une décision concernant un pardon, bien que la plupart d’entre elles soient actuellement examinées par des commissaires de la Section d’appel ici à Ottawa. Il faudra fournir aux commissaires de la formation supplémentaire sur les nouveaux critères décisionnels énoncés dans la nouvelle loi. Ce pouvoir discrétionnaire accru augmentera la complexité et la prise de décision et nécessitera des ressources supplémentaires. Le gouvernement a fait savoir qu’il verrait à ce que les demandeurs assument la totalité des coûts du programme de pardon.

Le projet de loi C-23A exige également que les demandeurs convainquent la commission que l’octroi du pardon apporterait au demandeur un bénéfice mesurable et soutiendrait sa réadaptation en tant que citoyen respectueux des lois au sein de la société. Nous modifierons notre façon de procéder pour tenir compte de ce nouveau facteur.

Le projet de loi modifie également les périodes d’attente pour certaines infractions. La période d’inadmissibilité sera de dix ans au lieu de cinq pour les personnes qui ont commis une infraction sexuelle punissable par voix de mise en accusation, des voies de fait ou des sévices graves à la personne visée à l’article 752 du Code criminel. De plus, les personnes qui ont commis une infraction sexuelle punissable par voie de procédure sommaire seront inadmissibles pendant cinq ans au lieu de trois. Je souligne encore une fois que nous modifierons nos façons de procéder pour prendre en compte les nouvelles périodes d’inadmissibilité lors du traitement des dossiers.

Dans le cas des demandes présentées par des délinquants sexuels qui ont commis des crimes graves ou des infractions sexuelles punissables par voie de mise en accusation, la commission procède à des vérifications supplémentaires auprès de ses partenaires du système de justice pénale. En vertu des nouvelles dispositions législatives la commission pourra aussi procéder à une évaluation plus rigoureuse du dossier des délinquants sexuels qui ont fait l’objet d’une poursuite par procédure sommaire.

Pour ce qui est des principes de responsabilité et de transparence, l’objet du processus du pardon n’est pas de faire subir un nouveau procès au demandeur ni de tenir une nouvelle audience de libération conditionnelle. L’objectif de la loi actuelle est de permettre à une personne admissible de rendre compte de sa conduite pour atteindre une nouvelle étape de sa réadaptation.

En retour, l’avantage immédiat pour la société est que la personne adopte un comportement respectueux des lois. Étant donné la nature de l’exercice, il est logique que les renseignements personnels sur la personne soient protégés par la Loi sur le casier judiciaire et la Loi sur la protection des renseignements personnels. Le fait de révéler qu’une personne a présenté une demande ou a obtenu un pardon, ce qui correspond à révéler qu’elle a été condamnée, irait à l’encontre de l’objectif du pardon. Cependant, conformément à l’objectif du régime de pardon, des mécanismes sont en place pour protéger la société, car on peut déclarer sans effet un pardon si la personne est reconnue coupable d’une nouvelle infraction ou si d’autres informations sur sa conduite émergent.

La commission s’acquitte de l’obligation de rendre compte prévue par la loi en tenant compte de tous les renseignements fiables et convaincants et en produisant une décision lorsqu’elle octroie ou refuse un pardon. Selon le régime actuel, les renseignements obtenus des victimes sont pris en compte par les commissaires lorsqu’ils évaluent un dossier. Toute déclaration de la victime ou lettre de plainte contenue dans le dossier est fournie aux commissaires. Cette information est transmise à la commission et conservée au dossier pour permettre de vérifier la bonne conduite du demandeur si la demande de pardon est traitée. De plus, conformément au projet de loi, les commissaires prendront en considération l’information reçue des victimes et la nature du crime au moment d’évaluer le bien-fondé d’une demande.

Avant de mettre fin à mes remarques et de répondre à vos questions, j’aimerais ajouter que, comme vous le savez, notre rôle de tribunal nous oblige à rester neutres et à utiliser, dans le cadre de notre travail, une approche fondée sur des informations factuelles. La commission n’est pas un organisme de revendication; nous existons pour appliquer la loi. Étant donné la nature de nos activités, nous comprenons pourquoi nous pouvons attirer l’attention du public et être la cible de critiques. Néanmoins, notre principal objectif sera toujours de remplir le mandat que nous confie la loi, comme le Parlement s’attend à ce que nous le fassions. La commission s’adaptera aux nouvelles dispositions législatives lorsqu’elles seront en vigueur. Les lois sont modifiées avec le temps pour rendre compte des changements observés dans la société. Nous continuerons de tenter de rendre les décisions les plus judicieuses possible et nous nous efforcerons d’être aussi efficaces et efficients que possible dans le cadre de nos activités, toujours au service des Canadiens.

Je vous remercie beaucoup de votre attention et du temps que vous nous avez consacré, et je serai maintenant plus que ravi de répondre à toutes vos questions.

La présidente : Merci beaucoup. C’était très utile.

Le sénateur Baker : D’abord, ce projet de loi ajoutera une nouvelle ère en matière de la décision arbitrale à la Commission nationale des libérations conditionnelles. Je suis certain que vous seriez d’accord avec cette déclaration. Afin de déterminer si un pardon sera oui ou non accordé, la phrase « susceptible de déconsidérer l’administration de la justice » est mentionnée trois fois dans le projet de loi.

Avez-vous considéré comment composer avec ce nouveau processus de décision arbitrale que vous êtes sur le point d’entamer? Avez-vous réfléchi au nombre d’avocats qu’il faudrait embaucher et à la façon d’exécuter ce nouveau processus de décision arbitrale?

M. Cenaiko : C’est une très bonne question, sénateur Baker. Le conseil est composé de membres de la collectivité issus de différents milieux. Ils sont nommés par le ministre de la Sécurité publique. La commission compte des avocats, des enseignants, des infirmiers, des policiers, des agents correctionnels, des psychologues, des psychiatres, tous ayant des antécédents différents.

Nous avons travaillé en collaboration avec Sécurité publique Canada et le ministre ce printemps afin de considérer et de fournir des conseils au bureau du ministre, au niveau opérationnel en ce qui nous concerne, parce qu’il s’agit d’un changement majeur au sein de la loi actuelle et la nouvelle loi. Ce faisant, nous nous sommes préparés à la nouvelle loi, parce que nous avons participé à la rédaction de l’avant-projet. Comme vous l’avez mentionné, les membres de la commission auront besoin d’une formation supplémentaire dans certains domaines.

La loi actuelle impose des tests très simples. La nouvelle loi assurera que nous examinerons des activités au-delà de la bonne conduite — l’infraction elle-même et le bénéfice mesurable pour le demandeur d’un pardon afin d’appuyer sa réhabilitation. Le demandeur sera obligé de communiquer ces renseignements par écrit. Nous considérerons la nature, la gravité, l’importance et la durée de l’infraction.

Ce sont les renseignements que nous examinons durant les audiences de libération conditionnelle. Pourtant, il ne s’agit pas d’audiences de libération conditionnelle. Nous ne sommes pas en train d’évaluer le risque de libérer un criminel d’une institution. Pourtant, lors de notre examen d’un individu avant d’accorder ou non la réhabilitation, nous voulons nous assurer que cette partie de la réhabilitation a été complétée et que la personne est devenue un citoyen respectueux de la loi. Comme j’ai dit la semaine dernière, notre rôle est aussi d’assurer la protection de la société. Nous voulons nous assurer que les membres de la commission ont reçu la formation nécessaire pour évaluer des individus, la nouvelle loi ou les nouveaux outils qui seront prévus dans le projet de loi. De plus, nous voulons nous assurer qu’ils respecteront les nouvelles exigences prévues par la loi et qui entreront en vigueur lors de la promulgation de la loi.

Le sénateur Baker : Avant de poser ma deuxième question, quelque chose me préoccupe par rapport à la discussion du projet de loi à la Chambre des communes et dans les médias. On a fait référence à Karla Homolka. On a dit qu’elle deviendrait admissible à faire une demande de réhabilitation à partir du 5 juillet 2010. Pourtant, cinq ans auparavant, ce même jour, elle a été libérée, mais dans des conditions très strictes. Ces conditions étaient renversées cinq mois plus tard par la Cour d’appel du Québec. Pourtant, pendant les cinq mois suivant sa libération, elle était assujettie à de très strictes conditions.

Je veux vous poser une question technique : Ai-je raison de dire qu’une personne devient admissible à faire une demande de réhabilitation, une fois qu’elle a purgé sa peine, ce qui comprendrait toute période de libération conditionnelle, de probation ou de conditions de la libération? Est-ce la norme?

M. Cenaiko : C’est exact.

Le sénateur Baker : C’est ce que j’ai pensé, madame la présidente. Cela contredit en quelque sorte l’information qui circule à la Chambre des communes.

En d’autres mots, il faudrait attendre la fin de la période d’application des conditions. Il s’agit donc de cinq mois après le mois de juillet; ce n’est pas le 5 juillet.

La présidente : N’ont-ils pas dit qu’elles avaient été invalidées en appel?

Le sénateur Baker : Oui, mais ce n’est pas important.

La présidente : La question supplémentaire est de savoir l’incidence sur l’échéancier de n’importe quel dossier. Il ne s’agit pas tout simplement d’un projet de loi visant un particulier.

Le sénateur Baker : La cour d’appel l’a invalidé et il a pris fin à ce moment-là. Le ministère de la Justice du Québec avait demandé à la cour d’appel de prolonger les conditions. C’est un petit point, mais il me chicotait.

J’ai une deuxième question. Il ne s’agit plus maintenant de votre décision arbitrale; vous avez une analyse subjective et une analyse objective à faire par rapport à chaque personne qui demande une réhabilitation afin de déterminer si cela déconsidérerait l’administration de la justice. J’ai constaté que vous avez utilisé le mot, « déconsidérerait » mais en français on dit « serait susceptible de déconsidérer », ce qui est une norme complètement différente. Certains suggèrent que vous devriez utiliser la version française et non la version anglaise. Toutefois, ce n’est pas là ma question.

Pour vous, cela va mener à un nouveau domaine d’appels. Pour faire appel de la décision de la Commission nationale de la libération conditionnelle, je présume que quelqu’un se présente devant la Cour fédérale; en vertu des règles de la Cour fédérale, c’est le tribunal compétent auprès duquel on interjette appel de vos décisions. Avez-vous songé à attacher votre personnel et à avoir des avocats à votre disposition, ou est-ce que le ministre, le procureur général, va assumer tout ce processus à votre place? Donc ce serait le ministre contre l’individu et non pas la Commission nationale des libérations conditionnelles, et cela ajoute toute une autre dimension.

M. Cenaiko : Tel qu’indiqué dans la loi, il n’y a pas de mécanisme d’appel. Pour ce qui est d’octroyer ou de refuser un pardon à un individu, si la commission estime qu’il existe suffisamment de preuves pour refuser un pardon, la commission en avise la personne par écrit et cette personne peut présenter une nouvelle demande par écrit ou demander une audience publique à la commission. Cette décision de la commission sera finale.

Le sénateur Baker : Oui, mais en vertu des Règles des Cours fédérales, qui ont établi nos Cours fédérales, l’article 300 renvoie au contrôle judiciaire d’une décision prise par une instance fédérale créée en vertu des lois fédérales. C’est votre cas. Il y a une disposition dans les Règles des Cours fédérales qui permet le contrôle judiciaire des décisions prises; les règles 300 et 308 s’appliquent.

Y avez-vous pensé? Vous n’avez jamais fait face à cette situation auparavant, mais ce sera sans aucun doute une fois que cette loi sera entrée en vigueur.

La présidente : C’est la réponse.

M. Cenaiko : Je ne suis pas avocat. Nous avons notre conseillère juridique ici.

Le sénateur Baker : Pourrait-elle vérifier si un contrôle judiciaire d’une décision de la Commission nationale des libérations conditionnelles existe en vertu de l’article 300 des Règles des Cours fédérales.

[Français]

La présidente : Voulez-vous vous identifier s'il vous plaît?

Gertrude Lavigne, avocate-conseil, Commission nationale des libérations conditionnelles : Bonjour Madame la présidente. Je suis avocate au service juridique de la Commission nationale des libérations conditionnelles.

La présidente : Je vous souhaite la bienvenue chez nous à nouveau.

Mme Lavigne : Merci Madame la présidente.

[Traduction]

Les décisions en matière de libération conditionnelle prises par la Commission nationale des libérations conditionnelles seront entendues par la Section d’appel. En ce qui concerne le pardon, elles seront contestées directement en Cour fédérale. Ce sera contre le procureur général. C’est typique; c’est toujours contre le procureur général du Canada. Toutefois, un avocat plaidant de Justice Canada préparera, avec mon aide, des arguments et les présentera afin de s’assurer que la décision de la commission n’est pas mise de côté et renvoyée à un autre groupe d’experts composés de différentes personnes.

Le sénateur Baker : C’est le genre de cause qui détermine le nom de l’affaire. Ainsi, vous aurez procureur général du Canada contre la personne au lieu de la Commission nationale des libérations conditionnelles.

Ma question vaut toujours. Cela signifie que dorénavant vous aurez un nouveau rôle, plus élargi. Lorsque vous déterminez si une cause déconsidère l’administration de la justice, vous aurez de toute évidence de nombreux appels. Qu’avez-vous prévu? Vous devez comparaître devant le tribunal afin de justifier vos décisions; vous serez convoqués dans de telles circonstances. Votre plan va-t-il aussi loin?

Mme Lavigne : Pour l’instant, nous sommes encore en train d’élaborer les règlements, comme vous le savez. On l’a dit plus tôt. De plus, la politique sera rédigée et la formation sera donnée. Il y a une dimension juridique à la formation. Nous allons revoir la jurisprudence qui existe en vertu de l’article 24 de la Charte afin de voir si le texte peut servir. Bien sûr, nous devrons l’adapter à la commission parce qu’il sera question de savoir si l’octroi d’une réhabilitation signifierait la déconsidération de l’administration de la justice.

Le sénateur Baker : Vous avez utilisé le mot anglais « would ».

Mme Lavigne : Oui, c’est le mot que j’ai utilisé. Je n’ai pas employé « could ».

Le sénateur Baker : Le français n’est-il pas mieux? Ce n’est pas une question juste; je m’en excuse.

Mme Lavigne : Avec tout le respect que je vous dois, je n’y répondrai pas. Nous allons examiner la jurisprudence. En fin de compte, j’aurai peut-être une opinion personnelle à ce sujet, mais puisque je n’ai pas examiné la jurisprudence, je n’en parlerai pas maintenant.

Tout cela pour dire que tous ces facteurs seront pris en considération. Nous élaborerons un modèle permettant aux commissaires de mieux connaître l’expression « déconsidérer l’administration de la justice ». Tel qu’on l’a dit plus tôt, il faut tenir compte du point de vue de la personne qui estime qu’il y a déconsidération de l’administration de la justice? Nous avons parlé de l’homme raisonnable. Cela aussi sera pris en compte lors de l’élaboration de notre approche. Le tout permettra des décisions bien raisonnées, et il sera facile de comparaître devant la Cour fédérale et de défendre notre cause.

Bien sûr, la jurisprudence découle de tout ce qu’il y a de nouveau dans la loi, et nous en tirons des leçons. Il y aura des contestations, sans aucun doute.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Combien y a-t-il de contestations par rapport aux pardons dans l'état actuel des choses?

Mme Lavigne : Au niveau de la Cour fédérale?

Le sénateur Boisvenu : Oui.

Mme Lavigne : On en compte très peu. Je peux vous citer trois causes qui ont été entendues en cour et pour lesquelles des décisions ont été rendues.

Le sénateur Boisvenu : On parle d’un nombre inférieur à dix?

Mme Lavigne : Il n’y en a pas beaucoup.

[Traduction]

Le sénateur Baker : Bien évidemment, vous en prévoyez beaucoup après l’adoption du projet de loi. Vous avez parlé d’une « personne raisonnable, » mais nous ne voulons pas donner l’impression que cela signifie seulement une personne raisonnable. Une personne raisonnable, c’est quelqu’un qui connaît la loi et toutes les ramifications de la Charte et de la jurisprudence, selon le cas.

À mon sens, vous avancerez un pas à la fois, et vous n’avez pas songé à l’avance combien de temps cela prendra pour vous et votre personnel, et de combien d’employés supplémentaires vous aurez besoin. M. Cenaiko a indiqué dans son exposé que les ministres feraient payer le tout par les demandeurs.

Est-ce vrai, ou voulez-vous tout simplement parler des demandes qu’ils présentent ou pour les appels qu’ils interjettent par la suite?

La présidente : J’allais, moi aussi, poser cette question. Pourriez-vous nous indiquer le coût? Vous avez donné des chiffres, mais j’ai compris que les chiffres donnés par rapport aux montants maintenant demandés ne couvrent pas tout. Quel serait le coût, et comment est-ce que cela fonctionnera?

M. Cenaiko : Je demanderais à Mme Trevethan de répondre à la question sur les coûts.

Shelley Trevethan, directrice générale exécutive, Commission nationale des libérations conditionnelles : Nous sommes en train d’examiner la loi afin de déterminer les coûts totaux. Le coût direct d’une demande de réhabilitation a été estimé à 150 $. Tel qu’on l’a dit lors de notre exposé, le demandeur paie actuellement environ 50 $. À ce montant, on ajoute aussi les coûts indirects, alors une demande de réhabilitation coûterait environ 250 $ à l’heure actuelle. Nous nous attendons à ce que le projet de loi fasse doubler le coût d’une demande de réhabilitation.

Le sénateur Baker : En conclusion, le coût pour le demandeur sera très élevé lors de l’appel devant la Cour fédérale. En raison du nombre de motions qui sont permises en vertu du Règlement, les procédures à la Cour fédérale sont très complexes et coûteuses. Il existe des motions pour radier des affidavits et toute une série d’autres mesures. Je présume qu’on s’attend que le demandeur reçoive de l’aide juridique, mais l’aide juridique ne s’applique pas à cette situation dans certaines provinces.

Il n’y a pas d’autre programme, à moins que le procureur général paie les honoraires des avocats. Anticipez-vous que, aux tarifs valables pour le procureur général, qu’on paie les honoraires d’avocats de la défense?

Mme Lavigne : Je ne saurais pas vous répondre.

Le sénateur Runciman : Les questions étaient très intéressantes, mais je ne sais toujours pas si le sénateur Baker appuie ou non le projet de loi.

Quoi qu’il en soit, je veux féliciter le gouvernement d’aller dans ce sens avec cette mesure assez limitée. Le sénateur Baker souhaite soulever le spectre de toutes sortes de complications, mais nous nous occupons, par exemple, de la personne qui a récemment porté cette situation à l’attention du grand public.

Quand vous octroyez une réhabilitation, prenez-vous en considération le travail que fait le demandeur? Si quelqu’un qui a été condamné pour une agression sexuelle contre un jeune reçoit une réhabilitation, il pourrait être plus facile pour lui de travailler comme entraîneur de hockey ou de travailler auprès des jeunes. Est-ce qu’il en sera tenu compte pendant le processus? Sinon, pourquoi?

M. Cenaiko : En vertu de la loi actuelle, la commission n’est pas en mesure de tenir compte de certains de ces domaines. Si le projet de loi est adopté, la commission pourrait le faire davantage. Encore une fois, il y a une distinction entre ceci et une audience de libération conditionnelle où on devrait prendre en considération le crime et la nature du crime. Le projet de loi nous donnerait des outils qui nous permettraient de tenir compte de ces facteurs. La nature et la gravité du crime seraient prescrites dans la loi. Il s’agira de domaines critiques à la détermination de l’octroi ou non d’une réhabilitation.

Le sénateur Runciman : En vertu du processus actuel, y a-t-il un rôle quelconque pour les victimes, notamment en ce qui concerne une infraction punissable par mise en accusation? Quand un contrevenant demande une réhabilitation, y a-t-il une possibilité de rétroaction?

M. Cenaiko : Sur le plan de la loi, non, il n’y en a pas. Nous travaillons sur une base quotidienne avec les victimes. Durant une journée normale de travail à travers le pays, lors des audiences de libération conditionnelle, nous avons des milliers de communications avec des victimes. Nous travaillons de très près avec le Service correctionnel du Canada, qui travaille également auprès des victimes, pour s’assurer qu’elles ont l’information de sa part et de notre part.

Il est illégal de divulguer si une personne présente une demande ou non, mais nous recevons des lettres des victimes qui peuvent être jumelées à un dossier si et quand la personne en question demande une réhabilitation. Par le passé, on a pris en considération ces renseignements et, en vertu du projet de loi, ils auraient aussi une incidence sur l’évaluation de l’information sur la nature et la gravité du crime, et il faudrait tenir compte également des commentaires des victimes.

Le sénateur Runciman : Je pense vous avoir entendu dire que la perception selon laquelle il s’agit d’un processus automatique est fausse. Je regardais vos chiffres pour 2009-2010. Vous avez dit que vous avez traité 25 000 demandes, et que 8 000 réhabilitations ont été octroyées à des personnes qui ont fait l’objet d’une déclaration de culpabilité par procédure sommaire, et 16 000 à des personnes coupables d’une infraction punissable par mise en accusation. Cela totalise environ 25 000. Il s’agit d’un taux d’approbation important pour des personnes coupables d’infractions punissables par mise en accusation.

Je suis surpris de voir qu’on a rarement rejeté des demandes, même si en vertu de la loi actuelle, vous disposez d’un certain pouvoir discrétionnaire quand il s’agit d’infractions punissables par mise en accusation.

Quelle est la justification pour ce qui est arrivé dans le passé?

M. Cenaiko : Encore une fois, les anciens contrevenants s’auto-choisissent; certains ne présentent pas de demandes à cause de la gravité de leur crime, alors nous ne les verrons jamais; par ailleurs, il y a plusieurs contrevenants qui ont commis des infractions graves punissables par mise en accusation qui souhaitent recevoir une réhabilitation.

Nous avons certaines statistiques à ce sujet, et je demanderai à Mme Trevethan d’en fournir d’autres.

Le sénateur Runciman : Je préférerais plutôt passer à d’autres questions, puisque il ne me reste pas beaucoup de temps.

Le sénateur Baker parlait de la charge de travail et des préoccupations. Par rapport à des directives plus serrées et votre approche d’une demande, n’est-il pas aussi possible que cela aura des conséquences sur le nombre de demandes que doit traiter la commission? C’est également une possibilité par rapport à la situation que décrivait le sénateur Baker. Je pensais que le recouvrement complet des coûts — une initiative que j’applaudis — pourrait être un facteur limitatif jusqu'à un certain point. Si c’est perçu comme étant une approbation automatique ou que les chances d’obtenir une réhabilitation sont à 75 ou à 80 p. 100, il est plus probable que quelqu’un dépensera les 250 ou 500 $ ou peu importe le montant, mais maintenant que nous sommes en train de resserrer le processus, vous charge de travail pourrait être réduite. Cela aussi est une possibilité.

M. Cenaiko : C’est vrai. En vertu du projet de loi C-23B, la Commission nationale des libérations conditionnelles doit faire rapport au Parlement tous les ans. Évidemment, certaines de ces statistiques s’y trouveraient afin que les parlementaires puissent examiner et évaluer le travail de la commission. C’est extrêmement important à mon avis.

Mme Trevethan : J’ajouterai que les chiffres pourraient baisser à cause du coût ou des critères. Il est également possible que les chiffres ne diminuent pas parce qu’il est de plus en plus essentiel pour les gens de recevoir une réhabilitation afin de trouver un emploi, et cetera. Pour l’instant, nous examinons toutes les possibilités, et il est difficile de déterminer ce que nous obtiendrons.

Le sénateur Runciman : Je pensais qu’il faudrait présenter les deux possibilités.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : D'abord, j’aimerais vous remercier de votre présence très éclairante. Depuis 2005, j’examine les statistiques relatives au pardon, alors que j’étais président de l'association qui défendait les droits des victimes. Je suis d’avis qu’on peut faire dire aux statistiques à peu près ce qu'on veut, dépendamment si on les défend ou si on les attaque.

J'exclus déjà de votre analyse les 25 p. 100 de gens qui ne sont pas allés jusqu'au bout du processus. Lorsque j’achète une paire de pantalons, je ne suis pas acheteur tant et aussi longtemps que je n'ai pas remis l'argent à la caissière. C’est pourquoi je pense que le 25 p. 100 représente plutôt des gens qui sont passés à travers une partie du processus. Ce ne sont pas des dossiers que vous avez analysés à fond.

En examinant les statistiques de 2005 à 2007, il est évident qu'il y a eu une augmentation des demandes de pardon, particulièrement en 2007, où environ 99 p. 100 des demandes de pardon ont été acceptées. Et ce qui m'a le plus surpris en 2007, c'est que 800 agresseurs sexuels ont obtenu le pardon et plusieurs d’entre eux étaient des récidivistes qui en étaient à leur deuxième ou troisième crime.

Lorsque vous obtenez un pardon, le dossier est relativement discret par la suite. On sait qu'un prédateur sexuel récidivera dans la mesure où l'anonymat qui entoure son crime est le plus fort. Tant et aussi longtemps qu'il se sent surveillé ou traqué, le prédateur sexuel se tient relativement tranquille.

Lorsqu'on accorde le pardon à un prédateur sexuel récidiviste, relativement dangereux, et qui se tient près d'une école primaire, les policiers sont-ils au courant qu'il a obtenu le pardon? L'information au sujet de ce criminel est-elle aussi disponible via le CRPQ ou le SPIC qu'elle l'était avant l'obtention du pardon?

[Traduction]

M. Cenaiko : C’est une excellente question. Si une personne a purgé sa peine et vit dans la collectivité, si elle n’est pas classée comme un délinquant dangereux en vertu de l’article 752, si je ne m’abuse, et vit dans la collectivité, il n’y a pas d’indication de communiquer, sauf s’il existe une vive préoccupation que la personne pourrait récidiver dans la collectivité. Bien sûr, la personne aurait été déclarée délinquant dangereux ou délinquant sexuel dangereux et libérée au sein de la collectivité.

Comme vous le savez tous, il existe des critères très simples dans la loi actuelle par rapport au projet de loi.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Le projet de loi actuel touchera à peu près 15 p. 100 des criminels et pour 85 p. 100 d'entre eux, la procédure sera relativement simple. En tant que haut fonctionnaire qui avez la responsabilité de protéger la population, je vous pose la question suivante.

Pour ce type de criminel qui représente un certain danger, est-ce que les règles du jeu doivent être différentes de celles d'autres types de criminels pour qui les niveaux de récidive et de risque sont beaucoup moins élevés?

Le projet vise à rendre les règles du jeu plus sévères pour ceux qui représentent un plus grand danger tandis qu’il tend à moins déranger ceux dont le risque de récidive est plus faible. Est-ce que cela vous apparaît rationnel?

[Traduction]

M. Cenaiko : Je suis d’accord avec vos commentaires. Les domaines d’évaluation du risque dont les commissaires tiennent compte lors des audiences de libération conditionnelle sont semblables à ce que vous dites. Les facteurs que proposent le projet de loi — la nature et la gravité du crime, les antécédents et l’historique de la personne — sont de nouveaux outils que nous devrons mettre au point en allant de l’avant et en nous assurant que les commissaires reçoivent cette formation sur la prise de décisions en matière de réhabilitation. Nous prenons ces décisions maintenant pour ce qui est des réhabilitations. Le problème est qu’il faut un minimum d’environ deux heures pour une audience de libération conditionnelle et environ deux heures à deux heures et demie pour l’étude du dossier. Nous devrons envisager de nouveaux processus lors de l’examen des demandes de réhabilitation concernant des infractions punissables par mise en accusation et lors de l’examen des crimes graves et violents qui ont causé des préjudices graves. Encore une fois, ces dossiers seront répartis par opposition à ceux des conducteurs aux facultés affaiblies qui passeraient.

Évidemment, le critère simple continuerait à s’appliquer, mais en passant aux infractions qui sont de toute évidence graves, il faudrait prendre en considération les critères proposés dans le projet de loi pour que la Commission nationale des libérations conditionnelles puisse prendre une décision juste.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Dans votre texte, vous mentionnez que vous tenez compte des informations provenant des victimes. Est-ce que dans tous les cas de pardon accordé à des criminels dangereux les victimes sont informées?

[Traduction]

M. Cenaiko : Ils ne le sont pas pour les demandes de pardon. Pour le moment, il n’existe aucune loi qui donne aux victimes un accès. Il est illégal d’informer une victime qu’un individu a présenté une demande de pardon.

Les cas de libération conditionnelle sont différents. Cette mesure législative existe en vertu de la Loi sur le système conditionnel et la mise en liberté sous condition. Il n’existe rien pour les victimes. Toutefois, comme je l’ai dit plus tôt, s’ils envoient des déclarations à la Commission nationale des libérations conditionnelles, à notre division de la clémence et des pardons, ces renseignements servent à la prise de décision.

La présidente : Corrigez-moi si je me trompe. Je présume que si une personne pose un danger pour le public, même si la peine a été purgée, vous n’accorderiez pas de pardon à cette personne à ce moment-là en vertu de la loi actuelle?

M. Cenaiko : Non. Voici une des statistiques que j’ai vues plus tôt : en vertu de la loi actuelle, je crois que 455 demandeurs n’ont pas obtenu le pardon l’année dernière parce qu’ils ne se sont pas comportés correctement.

La présidente : Ils ne se sont pas comportés correctement.

M. Cenaiko : Oui. Cela pourrait vouloir dire qu’ils ont fait l’objet d’une enquête policière. Le fait de faire l’objet d’une enquête policière n’est pas un critère. La question est de savoir s’ils ont eu un bon comportement. Faisaient-ils l’objet d’une enquête policière? Est-ce qu’ils ont été arrêtés, puis peut-être libérés pour une raison quelconque? Font-ils l’objet d’une enquête par quelqu’un d’autre? Ont-ils eu un comportement violent, mais sans faire l’objet d’accusations? Ces sortes de situations seraient toutes prises en considération.

Le sénateur Joyal : Concernant l’information reçue des victimes, votre déclaration à la page 9 de votre mémoire, dans le paragraphe avant « Conclusion », me laisse perplexe :

De plus, conformément au projet de loi, les commissaires prendront en considération l’information reçue des victimes et la nature du crime…

La nature du crime est l’expression reprise à l’article 3 du projet de loi, à l’alinéa 4.1(3)a) proposé, qui dit que la commission peut tenir compte de la nature et de la gravité de l’infraction ainsi que de la durée de sa perpétration. Mais je ne vois pas l’information reçue des victimes énoncée comme vous l’avez fait dans votre mémoire. Je me demande si c’est peut-être couvert par l’alinéa 4.1(3)d) « tout critère prévu par règlement ». Ce sera établi par Mme Lavigne.

Pouvez-vous être plus précis? Je pense que votre déclaration, comme telle, ne se retrouve dans aucun de ces alinéas, à moins que ce soit à l’alinéa d). Ai-je tort de tirer cette conclusion?

M. Cenaiko : En vertu du projet de loi, la nature et la gravité de l’infraction ainsi que la durée de sa perpétration et les circonstances entourant la perpétration de l’infraction sont toutes prises en considération si nous avons reçu de l’information des victimes. À l’article 4.2 proposé, sous « enquêtes », nous disons que la commission peut considérer si le fait d’octroyer la réhabilitation serait susceptible à déconsidérer l’administration de la justice. Est-ce qu’on devrait à ce moment lire toute l’information reçue des victimes? Moi je crois que la réponse serait oui, on devrait le faire. Si l’information figure dans nos dossiers, je pense qu’il faut en tenir compte, comme ce serait le cas avec n’importe quel rapport policier ou autre rapport ou information.

Le sénateur Joyal : Mais vous ne seriez pas à la recherche de cette information?

M. Cenaiko : Ce n’est pas exigé dans la loi. Nous ne sommes pas des législateurs; nous sommes là pour respecter la loi adoptée par les parlementaires pour nous. En tant que tribunal administratif indépendant, nous respecterons les lois que vous nous donnez.

Le sénateur Joyal : Ma deuxième question s’adresse à Mme Lavigne.

[Français]

Maître Lavigne, quand croyez-vous que le projet de règlement qui est mentionné au sous-paragraphe d) sera prêt?

Mme Lavigne : Le plus tôt possible. Ce serait vous induire en erreur si j'essayais de vous donner un temps précis. Il va de soi que c'est une priorité. On est en consultation présentement et on essaie de fignoler un projet qui sera le plus avancé possible avant le mois de juillet.

Le sénateur Joyal : Laissons-nous un peu de temps, on pourrait donc espérer qu’au début de l'automne, vous pourriez avoir un projet de règlement qui pourrait être soumis à la consultation?

Mme Lavigne : On espère un peu plus tôt. On est quand même à la merci, jusqu'à un certain point, du processus.

Le sénateur Joyal : Votre objectif est de l'avoir complété avant la fin de l'été, la fin de l'été étant le 21 septembre?

Mme Lavigne : Avant la fin de l'été, c'est certain.

[Traduction]

Le sénateur Joyal : Je voudrais revenir sur l’une de vos déclarations, à la page 9, sous le titre « Obligation de rendre compte ». Il me semble que c’est là le point crucial de votre mémoire :

Pour ce qui est des principes de responsabilité et de transparence, l’objet du processus du pardon n’est pas de faire subir un nouveau procès au demandeur ni de tenir une nouvelle audience de libération conditionnelle.

Voici comment je vois la situation : pendant le procès, le juge pourrait avoir à exclure des preuves en conformité du paragraphe 24(2) de la Charte, selon lequel il ne faut pas déconsidérer l’administration de la justice. Ensuite, nous passons à l’établissement de la peine. Le code établit clairement les facteurs ou éléments dont doit tenir compte le juge dans l’établissement de la peine. Par la suite, il y a les audiences de libération conditionnelle; à cette étape, il y a une autre série d’éléments dont il faut tenir compte. Ensuite, c’est l’étape de la réhabilitation : là encore, le critère de ne pas déconsidérer l’administration de la justice, qui est une norme élevée.

La décision d’octroyer ou de refuser une libération conditionnelle doit tenir compte du critère de la déconsidération de l’administration de la justice, critère qui, à mon avis, est beaucoup plus élevé qu’à l’étape de l’établissement de la peine. En d’autres mots, octroyer une réhabilitation en vertu de cette loi n’est de fait rien d’autre que d’ajouter un palier de conclusion dont un juge ne devrait pas tenir compte au moment d’établir la peine. C’est pourquoi j’ai de la difficulté à accepter ces critères. Ils sont définis d’une façon aux alinéas 4.1(3)a), b) et c), ainsi que d), que nous verrons tout à l’heure. À cela s’ajoutent d’autres facteurs qui devront être présentés ou vérifiés par vous-même. En fait, les critères dont on doit tenir compte à l’étape de la réhabilitation sont beaucoup plus exigeants qu’aux deux étapes préliminaires d’établissement de la peine et d’audience pour libération conditionnelle.

Vous dites dans votre mémoire, sous « Obligation de rendre compte », que l’objet du processus n’est pas de faire subir un nouveau procès au demandeur. Toutefois, c’est exactement ce que vous faites, puisque vous devrez tenir compte du nouveau critère de la déconsidération de l’administration de la justice.

[Français]

Mme Lavigne : Voici la façon dont je perçois cela en tant qu'avocate. Il est certain que la déconsidération de l'administration de la justice dans le processus, bien que l'on connaisse le concept en vertu de la charte, par rapport à la Loi sur le casier judiciaire, il faudra l'adapter quelque peu. À mon avis, ce ne sera pas tout à fait le même niveau. Il faudra décider si octroyer ou non une réhabilitation déconsidère l'administration de la justice. Pour ce faire, il y aura des critères. Il y a déjà des facteurs dans le projet de loi; il y en aura aussi dans le règlement et il y aura la politique qui viendra compléter tout cela. Il faudra s'adapter. Je ne pense pas que ce sera le même niveau que celui qui est appliqué présentement dans le processus judiciaire.

Le sénateur Joyal : Vous voulez dire sur le plan de l'évaluation de la preuve?

Mme Lavigne : En ce qui concerne l'article 24. Du côté des libérations conditionnelles, la commission a déjà été amenée en cour pour savoir si la commission était un tribunal compétent aux fins de l'article 24. On a eu l'affaire Maureen en 1996, qui est venue expliquer qu'on n'était pas un tribunal quasi judiciaire et qu'on n'avait pas à exclure de la preuve. C'est un autre processus qui s'applique. Présentement, on adapte le processus à nos décisions en matière de réhabilitation. Je pense qu'avec les modifications au projet de loi, ces concepts en droit demeureront et on devra les réconcilier avec l'administration de la justice si on veut que cela fonctionne légalement.

Le sénateur Joyal : Parce que vous vous retrouverez très rapidement devant la cour fédérale, sans vouloir faire de prédiction. Parce que c'est un concept qui a fait l'objet de plusieurs décisions des tribunaux — j'en ai noté au moins une quarantaine — et évidemment, les tribunaux sont restés extrêmement sensibles à ce critère parce que c'est un critère qui est, d'une certaine façon, un peu fluide, selon la nature du crime et selon le passé de la personne, son activité professionnelle, ses liens avec la justice ou non et sur les autres facteurs qu'on pourrait mettre dans la balance.

Lorsque je lisais tout cela, je me souvenais du projet de loi S-6 que nous avons présentement seulement pour obtenir d'un jury la décision de pouvoir présenter une demande de libération conditionnelle, il y a une preuve qu'on met en balance qui est moins élevée que celle qu'on mettra ici dans le pardon. Alors, le pardon devient la décision la plus difficile à obtenir dans le processus judiciaire.

C'est là où je me dis : est-ce que placé dans le contexte de la Charte, vous le sentez aussi, ce niveau de preuve à faire va aller au-delà de ce qu'un juge, dans les circonstances du cas, voudra conclure que la personne a droit ou non au pardon?

Mme Lavigne : La jurisprudence pourra le dire, mais il faudra s’adapter parce que dans le contexte de réhabilitation, ce n'est pas le même contexte que ceux auxquels vous avez fait référence. Il faudrait voir comment le concept des considérations évolue par rapport à la Loi sur le casier judiciaire.

Le sénateur Joyal : Vous partagez l'opinion qu'il y a dans la définition de ce critère une moins grande exigence que les tribunaux devraient apporter, eu égard aux circonstances particulières de chaque cas, étant donné qu'on est à la fin du processus de réhabilitation d'une personne. On n’est plus au début. On n’est plus au niveau de la sentence. On n'est pas au niveau de la libération, on est vraiment au niveau terminal où la personne, théoriquement, aurait purgé sa peine et de retour à la société, aurait réparé pour tous les dommages qu'elle aurait pu causer par la perpétration du crime.

Alors, comment être plus exigeant à la fin que dans les étapes précédentes? C'est ce que je n’arrive pas à saisir parfaitement dans la logique de ce projet de loi.

Mme Lavigne : Quand on lit la jurisprudence par rapport à l'article 24, il y a certaines causes qui ont reconnu que parfois certains juges étaient mieux placés que d'autres pour évaluer une communauté et savoir si, par exemple, pour un crime de drogue, est-ce que la communauté accepterait que la preuve soit exclue ou non par rapport au contexte? Je pense que c'est ce genre d'approche qui devra être adapté au contexte des pardons et de déterminer, par rapport à un décideur, un commissaire de l’inspection d’appel, à la lumière de cette information, compte tenus critères, des valeurs sociales, serait-ce normal que X, par rapport au crime qu'il a commis, à sa réhabilitation, à ce qu'il peut apporter la société, est-ce que tout cela mis ensemble ferait fi de l'administration de la justice finalement?

Le sénateur Joyal : Ces raisons seront écrites d'après la réponse que vous avez donnée tantôt. Vous avez dit well reasoned, donc les décisions sont par écrit selon le paragraphe 4.2(2).

[Traduction]

… elle en avise par écrit le demandeur …

[Français]

Ce n’est pas juste que votre demande soit acceptée ou refusée?

Mme Lavigne : Non.

Sén. Joyal : Elle est refusée pour telle ou telle raison?

Mme Lavigne : Oui, si on va en cour fédérale, je devrai avoir de bons motifs. En ayant de bons motifs, la décision se tient d’elle-même et on peut la défendre en cour fédérale.

Le sénateur Joyal : À ce niveau la personne peut être représentée en vertu de l'article 4.2(2).

[Traduction]

… et lui fait part de son droit de présenter ou de faire présenter pour son compte les observations…

[Français]

Mme Lavigne : Oui, parce que les garanties procédurales, les principes de justice fondamentale sont respectés. La commission se doit de les respecter.

Le sénateur Joyal : Elles sont appelables sur tous les motifs de fait ou de droit.

Mme Lavigne : En Cour fédérale. Voilà.

Le sénateur Joyal : Vous vous êtes préparée pour des demandes en Cour fédérale.

Mme Lavigne : Oui, la commission est amenée en Cour fédérale pour les libérations conditionnelles et parfois pour les réhabilitations, ce ne sera pas nouveau. Et cela suivra son cours et on les défendra comme il faut.

[Traduction]

La présidente : Sénateur Joyal, j’inscris votre nom pour la deuxième série de questions.

Le sénateur Lang : Merci, madame la présidente. Je ne suis pas sûr s’il y a eu consensus ou pas.

Le sénateur Joyal : L’objectif à cette étape-ci de l’étude est d’essayer de comprendre le projet de loi, non pas de viser qui que ce soit.

Le sénateur Lang : Ce n’était pas mon intention, sénateur Joyal.

Le sénateur Joyal : C’est que je n’aime pas des insinuations pendant qu’on étudie un projet de loi qui fera l’objet d’un vote.

Le sénateur Lang : Je trouve cela présomptueux de votre part. Ce n’est pas ce que j’ai dit.

La présidente : Chers collègues, je croyais que le sénateur Lang me taquinait parce que j’ai tendance à vouloir être équitable envers tous les membres. Nous aurons une deuxième série de questions.

Le sénateur Lang : Je voudrais passer à un autre sujet. Dans les documents d’information, les témoins ont fait référence à d’autres pays, c’est-à-dire l’Australie, la Nouvelle-Zélande et le Royaume-Uni. Est-ce que les membres de leurs commissions des libérations conditionnelles ont un pouvoir discrétionnaire semblable à ce qui est prévu dans le projet de loi à l’étude?

Denis Ladouceur, directeur, Clémence et pardons, Commission nationale des libérations conditionnelles : Pour ce qui est du Royaume-Uni, les infractions sont effacées du casier. Il n’y a pas vraiment de pouvoir discrétionnaire. Il y a une liste d’infractions qui sont précisées en vertu de la loi, et après un certain temps, le casier judiciaire est supprimé ou effacé.

C’est beaucoup plus strict en Nouvelle-Zélande et en Australie. Chaque type d’infraction est clairement désigné, mais il n’y a pas de pouvoir discrétionnaire. Les personnes doivent se conformer à certains critères essentiels, et c’est presque automatique.

Le sénateur Lang : Est-ce exact de dire que le projet de loi que nous étudions aujourd’hui est comparable aux lois dans ces pays?

M. Ladouceur : Pour les infractions punissables par voie de déclaration sommaire de culpabilité, oui.

Le sénateur Lang : J’ai une question au sujet des coûts, plus particulièrement la récupération des coûts. Les règlements préciseront-ils un chiffre de 250 ou 500 $ afin que le demandeur sache combien sa demande coûtera?

Mme Trevethan : Nous sommes actuellement en train de revoir la Loi sur les frais d’utilisation afin de modifier les frais en question. Le coût actuel est de 50 $, dont 35 reviennent à la Commission nationale des libérations conditionnelles. Nous sommes en train de déterminer ce qu’il en coûte en vertu de la loi actuelle et ce qu’il en coûtera en vertu de la nouvelle loi, pour pouvoir déterminer les frais que le demandeur devra payer pour ce service.

Le sénateur Lang : Si je comprends bien, ce sont les contribuables qui subventionnent le système dans sa forme actuelle.

Mme Trevethan : C’est exact.

Le sénateur Lang : Je voudrais revenir à une question qu’a posée le sénateur Runciman, au sujet du nombre de personnes qui pourraient présenter une demande en vertu du nouveau projet de loi. Les délais passeront de trois à cinq ans et de cinq à dix ans. Ne serait-il pas logique qu’il y ait un genre de pause, une période pendant laquelle moins de personnes présenteront une demande en raison de ce délai?

Mme Trevethan : Nous aurons peut-être moins de demandeurs pendant une certaine période, mais selon certaines statistiques que nous avons examinées, les gens attendent pendant un certain temps.

M. Ladouceur : Environ 9 p. 100 attendent pendant la période de 10 ans. Cette période de 10 ans touchera entre 2 et 2,5 p. 100 des demandeurs, selon le volume actuel. Cela ne changerait pas nécessairement pour les infractions punissables par voie de déclaration sommaire de culpabilité. Les volumes pourraient fluctuer, mais je ne crois pas qu’il y ait une réduction marquée.

Le sénateur Lang : Est-ce que la commission tiendra des audiences pour les demandeurs de réhabilitation ou examinera-t-elle plutôt les preuves écrites avant de prendre une décision?

M. Cenaiko : Les personnes devront présenter une demande par écrit et ensuite présenter leur dossier, comme le prévoit le projet de loi. La commission examinera le dossier par la suite. Bien sûr, nous allons également prendre en compte les empreintes digitales, la vérification des antécédents faite par la GRC, et les rapports de police. Nous tiendrons compte de tout cela.

La commission étudierait la nature et la gravité des infractions afin de déterminer s’il s’agit d’une infraction punissable par voie de mise en accusation, infraction de violence, ou agression sexuelle. Si la commission décidait d’accorder une réhabilitation, le demandeur recevrait une lettre et le commissaire rédigerait la décision rendue au sujet de la demande.

Le paragraphe 4.2(2) proposé se lit comme suit : « Si elle se propose de refuser la réhabilitation, elle en avise par écrit le demandeur… » Il existe un autre processus qui permet au demandeur de présenter ses observations à la commission ou de faire une soumission orale devant la commission, ou, si la commission est d’accord, de comparaître lors d’une audience.

Le sénateur Lang : À votre avis, la commission entendra-t-elle souvent ces témoignages oraux? J’essaie de voir comment tout cela fonctionnera à l’avenir.

M. Cenaiko : C’est difficile de répondre à votre question. Nous ne prévoyons pas un grand nombre de témoignages oraux, mais en fait nous n’en savons rien. Il s’agit d’un nouveau projet de loi. Nous pourrons vous en faire rapport l’an prochain.

La présidente : Avant de passer à la deuxième série de questions, j’ai quelques questions au sujet de cette feuille de statistiques très intéressantes que vous nous avez distribuée. On voit une accumulation importante du nombre de demandes sur une période de trois ans. En 2005-2006, vous n’aviez aucune demande reportée des années précédentes; l’année suivante, vous en aviez 12 000; l’année d’après, 16 000; et ensuite 13 000. Puis, l’an dernier, 2009-2010, vous étiez revenus à seulement 78 demandes. Qu’est-ce qui a causé cette accumulation, et comment l’avez-vous liquidée?

M. Cenaiko : On a eu du mal à comprendre pourquoi nous avions reçu tant de demandes.

La présidente : Le nombre de demandes a augmenté, mais pas à ce point.

M. Cenaiko : Il y a eu cette date butoir pour se munir d’un passeport pour entrer aux États-Unis. Cette date a changé de juin à décembre ou janvier de l’année suivante, et ensuite à juin 2008, je crois. C’est pendant cette période que nous avons vu une énorme augmentation.

La présidente : vous avez dit que les États-Unis ne reconnaissent pas nos réhabilitations, alors quelle différence cela aurait-il fait pour les demandeurs?

Mme Trevethan : En général, pour pouvoir entrer aux États-Unis, pour être admissibles à un visa, les gens ont d’abord besoin d’une réhabilitation. Cela ne veut pas nécessairement dire qu’ils pourront entrer aux États-Unis, mais c’est un premier pas.

La présidente : Merci.

M. Cenaiko : Nous avons dû engager du personnel supplémentaire afin d’étudier cette accumulation de dossiers, car autrement le délai pour traiter une demande de réhabilitation aurait été de 12 à 18 mois. Nous avons dû réaffecter des fonds de nos tâches de libération conditionnelle vers nos tâches de réhabilitation, et il est devenu évident que les frais de 35 $ par demande n’étaient pas suffisants.

Nous sommes toujours au même point, même si le nombre de demandes est en décroissance. Il reste toujours une légère accumulation comme vous pouvez le constater, mais ce n’est rien par rapport aux années précédentes. C’est la seule explication que nous avons trouvée pour cette énorme augmentation du nombre de demandes. Je crois que c’était la seule explication.

La présidente : Voyez-vous des éléments dans le projet de loi à l’étude qui pourraient créer une accumulation ou un goulot d’étranglement semblable?

Mme Trevethan : Depuis bien des années, le programme de réhabilitation de la commission n’est plus viable. Il y a trois ans environ, nous avons effectué une analyse de rentabilité et préparé un solide plan d’action afin de tenter de réduire l’accumulation de demandes, mais cette accumulation est cyclique. Nous avons pu réduire le nombre de demandes en utilisant des fonds affectés aux libérations conditionnelles, mais ce n’est pas une solution. Nous voulons augmenter les frais d’utilisation afin de rendre le programme de réhabilitation viable, mais il ne l’est pas actuellement.

[Français]

Le sénateur Joyal : Madame Lavigne, compte tenu de la nature des nouveaux critères mis de l'avant au paragraphe 4, 4.1 et 4.2, est-ce que vous allez développer des lignes directrices ou des avis pour les commissaires, les personnes qui auront à juger de ces cas pour les familiariser avec les nouvelles implications juridiques du projet de loi tel qu’il est écrit actuellement?

Mme Lavigne : Oui, il y aura des documents. Il y aura de la formation, il y aura des documents, sans toutefois empiéter sur leur discrétion. Mais il y aura des outils pour mieux cerner ce qui est devant eux et comment comprendre le concept. Il y aura des outils juridiques de développer.

Le sénateur Joyal : Est-ce qu’éventuellement ces outils seront publics et on pourra en prendre connaissance?

Mme Lavigne : Certains aspects seront incorporés au niveau politique.

Le sénateur Joyal : Quand vous dites politique, qu’est-ce que vous entendez?

Mme Lavigne : « Policy », les directives, les orientations. Et ces politiques sont adoptées par le comité exécutif de la commission. Il y aura une partie de cela qui sera incorporée là-dedans, il y aura des modules de formation juridique. Maintenant les avis juridiques en tant que tels, à ce moment, il n'y en a pas eu qui ont été élaboré de façon définitive. Mais au niveau juridique, les commissaires auront toute l'aide nécessaire pour comprendre ce qui est devant eux et ce dont ils doivent tenir compte pour prendre leurs décisions.

[Traduction]

Le sénateur Joyal : Monsieur Cenaiko, quelle est la durée en poste d’un commissaire? Quel est le taux de roulement à la commission?

M. Cenaiko : En vertu de la loi, une personne peut siéger à titre de membre de la commission pendant une période de 10 ans, dans la plupart des cas. Depuis à peu près 10 ans, les gouvernements successifs ont nommé des membres à temps plein pour des mandats de cinq ans ou, parfois, de trois ans. Les membres à temps partiel sont toujours nommés pour des mandats de trois ans. Il y a toujours un renouvellement qui se fait à la commission, soit par la reconduction de mandats, soit par la nomination de nouveaux membres.

Le sénateur Joyal : Je vous demanderais de nous donner des chiffres approximatifs. Quel est l’effectif total? Combien de membres cette année seront nommés pour un mandat de trois ans, de cinq ans; e t combien y en aura-t-il à leur dernière année?

M. Cenaiko : Je n’ai pas les chiffres sur les postes qui deviendront vacants. C’est une décision qui relève du ministre. Selon la loi actuelle, il y a 45 membres de la commission à temps plein. Le projet de loi C-39 va porter ce nombre à 60. Nous avons aussi 44 membres à temps partiel. Les membres de la commission sont répartis dans six bureaux au Canada, et ils ont des mandats de durée variable. La durée des mandats peut varier de trois ans, dans le cas des membres à temps partiel et de certains à temps plein, à cinq ans pour la plupart des membres à temps plein. Les mandats des membres de la commission peuvent venir à échéance à différents temps de l’année, soit en août, octobre ou janvier. Nous formons à peu près une douzaine de nouveaux membres de la commission par année.

Le sénateur Joyal : Pouvez-vous nous donner le taux de roulement pour les quelque 100 membres?

M. Cenaiko : Le taux est de 15 p. 100 par année.

Le sénateur Joyal : Cela inclut les gens qui sont partis et aussi ceux que vous avez dû former.

M. Cenaiko : Durant la dernière année, nous avons aussi donné une séance de formation sur l’évaluation des risques; c’est la première fois que nous offrons ce genre de séance depuis quelque temps. Nous avons donné la formation ici à Ottawa à l’intention de tous les membres de la commission de même que tous les agents d’audience au Canada. La formation portait sur l’évaluation des risques lors des audiences de mise en liberté sous condition ou de libération conditionnelle, afin de s’assurer de bien examiner et de bien comprendre les rapports psychologiques et psychiatriques, et de les mettre en lien avec ce genre de statistiques.

Bien évidemment, il sera essentiel que les membres de la commission partout au pays reçoivent de la formation sur la nouvelle mesure législative proposée. Ce ne sont pas tous les membres de la commission au Canada qui devront prendre des décisions en matière de réhabilitation. La section des pardons et de la clémence se trouve ici à Ottawa. La Section d’appel se trouve aussi dans la capitale nationale. Normalement, les quatre membres de la commission qui travaillent dans cette section s’occupent de tous les appels. Il y aura bien sûr des changements, parce que la charge de travail à la section des pardons va augmenter, et nous aurons à nous occuper des questions de ressources ou de pénurie en matière d’effectifs au cours des prochains mois.

Le sénateur Joyal : D’après ce que j’ai compris, la commission est en train d’examiner les cas difficiles, ceux qui sont frappés d’une période de 10 ans. Vous voudrez peut-être former un groupe de personnes parmi votre équipe qui sera mieux outillé et formé pour entendre et traiter ces cas. Comme vous l’avez dit, c’est bien plus complexe que l’on pourrait croire à prime abord, étant donné les rapports psychologiques et psychiatriques, rapports de police, déclaration sur les répercussions sur la victime, évaluation de l’impact sur l’administration de la justice, et cetera. Vous avez besoin de personnes avec les capacités d’un magistrat, ou presque.

Mme Trevethan : En ce moment, les membres de la commission reçoivent de la formation sur bon nombre de ces questions. Ils sont renseignés sur le système de justice pénale lors de la formation sur le processus de libération conditionnelle. Ils comprennent les casiers judiciaires des contrevenants. Ils s’en servent pour prendre leurs décisions en matière de libération conditionnelle. Nous offrons une bonne formation de base pour tous les membres de la commission. Notre programme de formation est assez vaste. Nous donnons 20 jours de formation par année aux membres de la commission. C’est loin d’être négligeable. Je suis d’accord avec vous lorsque vous dites qu’il faudra avoir de la formation particulière en matière de réhabilitation, mais nous avons actuellement une bonne base. Les membres de la commission reçoivent une formation approfondie sur un bon nombre de questions dont ils devront aussi se saisir lors de l’examen des demandes de réhabilitation.

[Français]

Mme Lavigne : Pour les commissaires à la section d'appel, les motifs devant la section d'appel sont très similaires, sinon identiques à ceux qu'on retrouve pour aller en Cour fédérale. Alors, les commissaires à la section d'appel sont déjà beaucoup exposés aux principes de droit. Alors pour eux, d'avoir devant eux d'autres principes, cela va être quand même acceptable, ils ne sont pas étrangers au droit pour pouvoir faire le lien ou le saut. Effectivement, au niveau de la formation, il y a toujours un volet juridique donné constamment aux nouveaux commissaires et même aux commissaires en place, s'ils ont des questions et s'ils veulent comprendre les nouveaux principes, car cela fait 18 ans que je suis au service juridique, au niveau correctionnel, mise en liberté sous condition, la loi a changé et il y a eu des nouveaux concepts. Les commissaires, avec l'appui des employés et des autres secteurs de la commission, ont réussi à assimiler et à appliquer les critères juridiques comme il se devait.

Le sénateur Joyal : Merci.

[Traduction]

Le sénateur Baker : Êtes-vous en train de dire que quelqu’un qui voudrait en appeler d’une décision en matière de réhabilitation pourra toujours le faire devant votre Section d’appel?

Mme Lavigne : Non.

Le sénateur Baker : C’est ce que je pensais.

Mme Lavigne : Contrairement à ce qui se fait pour les libérations conditionnelles, l’article 147 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition permet aux contrevenants d’interjeter appel devant la Section d’appel. Les motifs pour en appeler devant la Section d’appel sont identiques à ceux exigés par la Cour fédérale : une erreur de droit ou une atteinte à la justice fondamentale.

Pour ce qui est de la réhabilitation, il n’y a pas de mécanisme d’appel. Une fois que la commission a rendu sa décision, le demandeur pourrait exiger qu’une décision négative soit soumise à un contrôle judiciaire par la Cour fédérale.

Le sénateur Baker : Oui. Dans le cas d’un contrôle judiciaire, à l’article 300 des Règles des Cours fédérales, la Cour fédérale, en décidant s’il y a eu erreur de droit ou si la commission a agi de façon déraisonnable, ayant démontré une négligence grave ou autre incurie, a le pouvoir non pas de renverser la décision mais de renvoyer le dossier à la Commission nationale des libérations conditionnelles afin qu’une nouvelle décision soit prise par des membres autres que ceux qui ont pris la décision initiale.

Donc, êtes-vous prêt à embaucher des effectifs additionnels et de les former pour prendre ce genre de décision?

Mme Lavigne : Oui.

Le sénateur Baker : Je ne sais pas si vous allez pouvoir répondre à ma dernière question. Vous êtes peut-être trop prudente. Mme Lavigne répond de façon très prudente. Le ministre a comparu devant le comité avec sa conseillère juridique, et elle aussi nous a donné des réponses très prudentes.

Nous avons déjà soulevé cette question auprès de vous auparavant, et peut-être que vous ne pouvez ou ne voulez pas y répondre. Il y a deux normes : une en anglais et l’autre en français. Vous dites que vous vous en remettrez à la jurisprudence. Permettez-moi de vous dire que ces décisions sont prises tous les jours, de façon différente, selon des normes différentes en vigueur dans les différentes provinces. Comme vous le savez, les cours d’appel rendent leurs décisions dans les provinces. Puis, il y a la Cour suprême du Canada.

Pouvez-vous nous dire si les décisions seront prises en se fondant sur la version anglaise du projet de loi, où on retrouve la mention « would bring the administration into disrepute » [déconsidérerait l’administration de la justice], ou sur la version française, où on retrouve la mention « serait susceptible de… »?

Mme Lavigne : Je sens que vous n’aimerez pas ma réponse. Je vous répondrai que je vais informer les membres de la commission de la différence entre les versions française et anglaise et les aviser de la jurisprudence en ce qui a trait à cette différence, mais il leur reviendra d’exercer leur discrétion.

Le sénateur Boisvenu : Très sage.

Le sénateur Baker : Mme Lavigne n’a pas vraiment répondu à la question, ce qui est un signe de sagesse.

Madame Lavigne, vous êtes un excellent témoin.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : J'aurais une demande à vous faire pour que vous fassiez parvenir l'information au comité. Le projet de loi actuel va interdire ou empêcher la possibilité de donner un pardon dans les cas d'homicide. J'ai analysé vraiment à fond les statistiques de 2005, 2006 et 2007 et je ne sais pas si c’est en 2006 ou en 2007, il y a deux cas d’homicide qui ont eu un pardon, un meurtre au deuxième degré et un homicide involontaire. Serait-il possible de fournir au comité les raisons pour lesquelles on aurait accordé un pardon, en 2006 ou en 2007, dans deux cas d'homicide? C'est une information que j'aimerais avoir. Je n'ai pas pu l'avoir à l'époque quand j'étais ailleurs.

Je reviendrais sur le cas des pédophiles, des prédateurs sexuels, car c'est vraiment ma préoccupation dans ce projet de loi. On sait que les pédophiles, entre autres, la façon la plus facile de récidiver sans qu'il puisse se faire prendre, c'est par Internet, la façon d’hameçonner les enfants de 12, 13, 14 ans, c'est par Internet. Ces gens risquent de récidiver, malgré qu’ils aient reçu un pardon, sans se faire prendre, car c'est un niveau de criminalité très difficile à arrêter. C'est la pédophilie sur Internet.

La question que j'aimerais vous poser et ce n'est peut-être pas facile pour vous. Vous l'avez dit tantôt. Un pédophile qui obtient son pardon, pour un policier c'est beaucoup plus difficile de le retracer, car le dossier devient un peu confidentiel, même pour les policiers.

Dans les cas des pédophiles, il y en a eu 800 en 2007 qui ont obtenu un pardon. Ma préoccupation, c'est la protection de la population. Dans ces cas, ferez-vous des investigations encore plus poussées lorsqu’arrivera le temps de donner un pardon à des gens où on sait que la récidive est beaucoup plus présente dans la société. Je pense à la récidive dans les cas de conduite en état d’ébriété, d’agresseurs sexuels et des pédophiles, qui est beaucoup plus fréquente, parce que ce n'est pas un comportement qui se corrige.

Ce sont des comportements qui se contrôlent. C’est pour cela qu’on veut modifier le registre des prédateurs sexuels pour être certain que tous les gens qui ont un comportement déviant soient dans le registre. Donc moi ce qui me préoccupe par rapport au pardon, ce sont les gens qui ont un comportement déviant à qui on va accorder un pardon et dont on risque de perdre la trace sur le plan de la sécurité publique. Est-ce que vous allez vous donner des moyens de suivre ces gens de façon particulière quand vous savez que le taux de récidive est beaucoup plus élevé?

[Traduction]

M. Cenaiko : C’est une question difficile. J’aimerais revenir à certaines des statistiques que vous avez mentionnées. En 2005, un membre de la commission prenait une décision sur ces cas, et les critères à l’époque étaient les mêmes qu’aujourd’hui. Il y a eu des changements en 2007, et deux membres de la commission ont dû revoir le dossier et prendre une décision à savoir s’ils devaient octroyer ou refuser une demande de réhabilitation.

Comme vous l’avez mentionné, même si des pardons sont octroyés à des personnes qui ont commis des infractions sexuelles, leurs infractions sont maintenues dans le système afin que les forces policières puissent être au courant. Les forces de l’ordre partout au Canada savent que ces personnes ont pu commettre des infractions sexuelles. La plupart des services de police connaissent l’adresse de ces gens, et ils veillent à la sécurité de ces collectivités et des gens qui y habitent. Ce n’est pas facile à faire, mais beaucoup de services de police font ce genre de suivi approfondi afin de protéger leurs collectivités.

Je ne crois pas pouvoir vous donner de renseignements supplémentaires. Revenons au pardon octroyé à ces personnes — je ne crois pas que la loi nous le permette — mais si elles désiraient obtenir un poste de bénévole dans une équipe pour jeunes, on ferait évidemment alors des vérifications auprès de la GRC pour s’assurer que leurs casiers judiciaires indiquent qu’elles ont été condamnées pour un crime sexuel.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : C’est une clientèle de criminels qui me préoccupent vraiment, les prédateurs sexuels, ce sont des gens qui se cachent, qui manipulent et le taux de récidive est élevé à cause de cela. Est-ce que dans ces cas, la commission pourrait, plutôt qu'émettre un pardon par la poste, tenir une audience avec ces gens? Je crains que tout se fasse dans l'anonymat. Souvent, rencontrer le criminel est très révélateur, cela peut même pousser le criminel réhabilité à abandonner sa demande, sachant qu'il va avoir une rencontre avec un spécialiste. Est-ce que dans ces cas, on ne pourrait pas aller un peu plus loin que seulement émettre un pardon par la poste, mais avoir une rencontre avec la personne qui demande le pardon?

[Traduction]

M. Cenaiko : Sénateur Boisvenu, j'ai fait enquête sur plus de 600 agressions sexuelles au cours de ma carrière précédente. Est-il possible de modifier la loi actuelle? Évidemment, je ne fais plus de politique; ce sont les parlementaires qui adoptent les lois. Nous allons suivre la loi telle qu’adoptée. Nous appliquerions la loi et nous tiendrions des audiences pour ces personnes, si cela était exigé par la nouvelle loi.

[Français]

Le sénateur Joyal : Toujours au paragraphe 4.2(2), Madame Lavigne, lorsque le demandeur a reçu un refus et qu'il désire faire appel, par écrit évidemment, avec les raisons que vous avez mentionnées et qu'on lui octroie une audition, c'est-à-dire qu'il peut faire ses représentations oralement, est-ce que les membres de la commission qui l'entendent sont les mêmes ou le même qui celui qui a rédigé l'avis refusant la demande?

Mme Lavigne : Non, présentement, de la façon dont cela fonctionne, lorsque le demandeur veut une audience et qu'on lui accorde, ce sera dans la région où il est. Par exemple, les commissaires à la section de l'appel auront décidé de ne pas lui accorder la réhabilitation, il va demander une audience, ce sera en région, de là où il vient. J'ai un cas en tête, c'était au Québec, ce n'est pas le même, c'est devant un commissaire et ce n'est pas un commissaire qui a déjà rendu la décision.

Le sénateur Joyal : Mais dans le cas où il n’y a pas d'audience, mais simplement un appel par écrit, est-ce que c'est le même principe qui s’applique, c'est un autre commissaire que celui à qui il a fait la demande?

Mme Lavigne : C'est un autre commissaire qui se penche sur la cause, autrement, il y aurait crainte raisonnable de partialité, ce qu'on ne veut pas.

Le sénateur Joyal : Dans la décision rendue à ce moment, j'imagine que si la demande est refusée en appel, il y a également les motifs écrits pour lesquels la demande est refusée.

Mme Lavigne : Présentement oui, quand on refuse, il faut démontrer pourquoi une bonne conduite n'a pas été rencontrée, par exemple.

Le sénateur Joyal : Entre autres, cela peut être ce facteur ou un autre.

[Traduction]

M. Cenaiko : Tous ces points seront définis par les règlements et les politiques qui permettront de mettre en place les processus.

Le sénateur Joyal : Avec ces nouveaux règlements et ces nouvelles politiques qui en découleront.

[Français]

Mme Lavigne : Cela sera développé via l’orientation, les politiques qui ne seraient pas prévues par règlement, on se comprend.

Le sénateur Joyal : Évidemment.

[Traduction]

La vice-présidente : Merci beaucoup, chers témoins. Cette discussion a été très instructive. Je suis certain que nous pourrions poursuivre pendant une autre heure et demie, mais nous avons déjà fait un énorme travail. Merci beaucoup. Nous vous sommes reconnaissants d’être venus.

Nos prochains témoins sont arrivés. Du Centre canadien de ressources pour les victimes de crimes, le CCRVC, nous recevons Mme Heidi Illingworth, directrice générale; et de l’Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry, nous recevons Mme Kim Pate, directrice générale.

Il est bon de vous revoir. Nous continuons à vous inviter parce que nous examinons des projets de loi qui touchent à votre secteur d’activité. Veuillez débuter vos exposés liminaires.

Heidi Illingworth, directrice générale, Centre canadien de ressources pour les victimes de crimes : Merci de nous avoir invités dans le cadre de votre examen du projet de loi C-23A. Quotidiennement, nous aidons les Canadiens dont la vie a été bouleversée par des crimes graves tels que l’homicide involontaire et les agressions sexuelles. Notre expérience d’aide aux survivants nous démontre que les conséquences de la victimisation durent toute une vie. Malheureusement, les victimes de crimes sont une catégorie de gens les plus marginalisés de notre société, recevant peu de soutien ou d’aide pour se rétablir. Nous sommes ravis d’être ici aujourd’hui pour faire connaître nos inquiétudes et nous faire entendre, comme ces victimes le font souvent, afin que personne d’autre ne vive les souffrances qu’elles ont vécues.

Notre centre appuie le projet de loi C-23A, qui modifie la Loi sur le casier judiciaire afin de prolonger la période d’inadmissibilité de certaines demandes de réhabilitation. Le projet de loi permet également à la Commission nationale des libérations conditionnelles de prendre en compte d’autres facteurs avant de décider d’octroyer une réhabilitation pour certains crimes. Notre organisation était présente aux côtés du gouvernement, de survivants d’agressions sexuelles et d’autres défenseurs des victimes du secteur de la sécurité publique lorsque le projet de loi a été présenté le 11 mai.

Nous croyons que les demandes de réhabilitation sont utiles pour aider les criminels non violents à devenir et continuer d’être des membres actifs de notre société en supprimant leurs casiers judiciaires du CIPC afin qu’il leur soit plus facile de trouver un emploi, entre autres choses. Les délinquants qui arrivent à se trouver du travail ont moins tendance à récidiver et à dépendre de l’aide sociale. C’est une bonne chose que, depuis 1970, plus de 400 000 personnes aient obtenu une réhabilitation, et que 96 p. 100 de ces réhabilitations soient toujours en vigueur.

Néanmoins, nous croyons que le projet de loi apporte des changements raisonnables et nécessaires à la Loi sur le casier judiciaire afin que les délinquants fassent l’objet d’un examen plus approfondi pendant le processus d’octroi de la réhabilitation. Nous appuyons la prolongation de la période d’attente à 10 ans pour les sévices graves à la personne visés à l’article 757 du Code criminel, y compris l’homicide involontaire, et à cinq ans pour les infractions punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire.

Les délinquants ayant purgé leur peine devraient avoir à vivre une longue période en respectant les normes sociales de la collectivité avant d’être admissibles à une réhabilitation. Cela contribue à améliorer la sécurité publique.

Le CCRVC est également ravi que l’octroi de réhabilitations ne soit plus automatique. Comme vous le savez, la Commission nationale des libérations conditionnelles approuve actuellement 98 p. 100 des demandes de réhabilitation présentées chaque année. Nous croyons qu’il est juste que la commission jouisse d’une plus grande discrétion et que les délinquants la convainquent qu’ils méritent cette réhabilitation. Le projet de loi exige plus qu’une bonne conduite et l’absence d’une condamnation suite à une infraction à une loi du Parlement. Il faut que l’octroi de la réhabilitation offre un avantage mesurable au demandeur, qu’il facilite sa réhabilitation dans la société en tant que citoyen respectueux des lois, et qu’il ne déconsidère pas l’administration de la justice.

Le centre croit que le Sénat devrait adopter ce projet de loi immédiatement, et pas seulement parce que Karla Homolka pourrait bientôt demander une réhabilitation. Bien que cela soit une affaire très médiatisée, cela ne veut pas dire que le dossier de l’octroi de réhabilitations à des délinquants condamnés pour des crimes graves est médiatisé. Les médias et la population ont le droit de dire que certains crimes sont si horribles que même si une personne a été condamnée pour un crime moins grave, elle ne devrait pas recevoir une réhabilitation. Nous croyons que la réhabilitation n’est pas appropriée pour certains délinquants.

Le projet de loi C-23A améliorera le processus d’octroi de la réhabilitation en faisant en sorte que les délinquants fassent preuve d’une bonne conduite pendant une longue période, tout en leur demandant de démontrer pourquoi le pardon est nécessaire. Nous croyons qu’il est essentiel que la Commission nationale des libérations conditionnelles puisse refuser une réhabilitation si elle était susceptible de déconsidérer l’administration de la justice. Les points dont il faut tenir compte à ce sujet ont été longuement discutés aujourd’hui.

La souffrance des victimes de violence et des survivants ne disparaît pas lorsqu'un délinquant a purgé sa peine. La justice n’est pas rendue si les délinquants obtiennent rapidement et subrepticement une réhabilitation pour leurs crimes, pas plus que la sécurité publique. Le projet de loi C-23A améliore le processus de réhabilitation au Canada en permettant aux délinquants de présenter une demande de réhabilitation après avoir vécu plus longtemps comme citoyens respectueux de la loi, et leur demande également d’expliquer pourquoi l’octroi de la réhabilitation serait bénéfique. Il s’agit aussi d’une modification cruciale pour savoir si la réhabilitation est susceptible de déconsidérer l’administration que la justice constitue.

Nous exhortons fortement le comité à appuyer ce projet de loi et à l’adopter rapidement.

Kim Pate, directrice générale, Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry : Merci de nous avoir invités à comparaître. Malheureusement, à cause de l’examen rapide de ce projet de loi, aucun des membres de notre conseil d’administration ne pouvait être ici aujourd’hui, alors vous vous retrouvez encore avec moi.

Je suis très ravie qu’on m’ait demandé de venir. Nos inquiétudes ont débuté lorsque le projet de loi a été présenté pendant la semaine nationale de sensibilisation aux victimes d’actes criminels. On semblait clairement chercher à obtenir l’appui de la population et peut-être même enflammer l’opinion publique contre certaines personnes alors qu’il était difficile de savoir exactement quel était le problème au sujet des demandes de réhabilitation. S’il y a un problème, il aurait été très utile qu’on nous le décrive. Il aurait également été utile que l’on consulte les groupes qui travaillent avec les victimes et ceux qui, comme nous, travaillent avec des marginaux, des victimes et des criminels, comme la Commission nationale des libérations conditionnelles l’a fait par le passé lorsqu'il y avait des problèmes. De fait, par le passé, même s’il ne s’agissait que de l’augmentation des frais, il y aurait eu consultation. Cela nous amène à nous poser de nombreuses questions à propos du but du projet de loi, qui vise peut-être à enflammer l’opinion publique et à créer des problèmes là où il n’y en avait pas pour commencer.

Pour la première fois aujourd’hui, j’ai entendu que les frais augmenteront peut-être, ne passant pas seulement de 50 à 150 $, mais vraisemblablement à 250 ou 500 $. Je crois que le comité devrait s’inquiéter de cet aspect, parce qu’un certain nombre de personnes ne seront pas en mesure de rassembler cette somme si elles dépendent de l’aide sociale et essaient d’obtenir une réhabilitation afin de trouver un emploi. Les tarifs actuels créent déjà un obstacle important.

Nous nous demandons également pourquoi il y a un problème avec ces cas ayant retenu l’attention du public et dont les dates approchent, cas que l’on a présentés comme étant ceux qui justifient l’adoption rapide de ce projet de loi par la Chambre basse et le Sénat, alors qu’il n’y a aucun signe que la Commission nationale des libérations conditionnelles ait fait preuve de discrimination positive envers ces personnes par le passé.

Nous savons également que de nombreuses personnes ne demandent pas la réhabilitation, pour toutes sortes de raisons. Lest statistiques démontrent que la période d’inadmissibilité est beaucoup moins longue que la période pendant laquelle les personnes attendent avant de présenter leurs demandes, que ce soit des hommes ou des femmes. On dit que le taux se situe entre 3,5 mois et 12 à 17 mois. Mon expérience avec les demandeurs m’indique qu’il s’agit plutôt de 18 mois à 2 ans avant qu’ils se voient octroyer une réhabilitation.

Si cette réhabilitation est octroyée, souvent, si la personne se comporte d’une façon qui déconsidérerait l’administration de la justice ou qui menacerait la sécurité publique, on peut révoquer la réhabilitation. Comme vous le savez, le taux de révocation varie entre deux à quatre pour cent par année.

La commission peut déjà refuser des réhabilitations, et en refuse. On peut même demander des audiences, bien que je ne sois pas au courant qu’on en ait déjà tenu. Cela ne veut pas dire qu’il n’y en a pas eu, mais cela vous indique qu’elles sont assez rares. En 27 ans, je n’ai connu aucun demandeur qui est passé par une audience pour une réhabilitation. On a souvent vu des arriérés de dossiers par le passé, et comme votre comité le sait déjà, je n’y reviendrai pas.

Il faut maintenant se demander quel est le but de ce projet de loi autre que de rendre plus difficile l’obtention d’une réhabilitation à des gens qui ont déjà de la difficulté à l’obtenir. À notre avis, s’il y a un besoin de réforme, présentons ce besoin très clairement, non pas seulement en soulignant une ou deux affaires qui ont posé problème, mais en expliquant comment le processus pose problème. Comme je l’ai déjà dit, notre organisation ne sait pas quels sont ces problèmes.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Mme Pate, vous avez fait une affirmation que j'aimerais commenter. Quand vous avez dit que beaucoup de projets de loi semblent vouloir régler des problèmes qui n'existent pas, peut-être que du côté des criminels, il n’y avait pas de problème, mais du côté des victimes il y en avait beaucoup.

La première question que je vous poserai concerne la loi. Je pense qu'il va falloir enlever cela dans l'idée de beaucoup de gens qui pourraient la critiquer. Elle va toucher environ 10 p. 100 des gens qui demandent le pardon, ce n'est pas 100 p. 100. Ce sont les gens qui ont commis des crimes dont la gravité est plus importante, dont la récidive peut être plus élevée. On va donner des pouvoirs discrétionnaires à la Commission nationale des libérations conditionnelles pour porter des jugements plus étoffés plutôt que d’avoir une attitude strictement bureaucratique à émettre un pardon.

Est-ce que cette logique de rendre le parcours d'un ex-délinquant aussi facile, on parle de 90 p. 100 qui vont avoir le même parcours en terme de facilité pour obtenir un pardon et d'avoir un parcours un peu plus difficile pour ceux dont le crime est plus grave ou la récidive peut être plus élevée, d'avoir un parcours différent, plus organisé, plus critique, est-ce que cela ne vous paraît pas logique?

[Traduction]

Mme Pate : Merci de débuter avec ce point, car nous croyons que la Semaine nationale de sensibilisation aux victimes d’actes criminels aurait pu être utilisée pour annoncer l’octroi de ressources aux groupes de femmes, aux groupes de victimes et à tous les groupes qui ont vécu des compressions, si effectivement on essaie vraiment de limiter le nombre de victimes pour que moins de personnes le deviennent plutôt que d’agir après coup pour les victimes.

De plus, la loi ne s’applique pas seulement aux crimes graves; on instaure des délais pour les personnes reconnues coupables par procédure sommaire ou par mise en accusation. Ce qui me frappe, c’est que si ces gens ont accès à des recours légaux, ce qui est un tout autre enjeu, ils demanderont peut-être plus souvent des réexamens s’ils essaient d’obtenir un emploi.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Ma question n’est pas là, vous l’avez dit dans votre introduction, je l’ai bien compris. Ma question est beaucoup plus fondamentale. Je comprends que lorsqu'on a des lois plus serrées, cela amène des contraintes. C'est un autre débat.

Ce que je vous dis, je veux que vous répondiez de façon honnête à ma question. Si un projet de loi vient toucher 10 p. 100 des gens qui demandent un pardon et non 100 p. 100, il faut apprendre à relativiser un peu dans votre argumentaire. Est-ce que le fait que ce projet de loi s'adresse à des gens qui ont commis des crimes plus sérieux, qui ont des chances de récidiver plus grandes, est-ce qu'il n'est pas normal d'avoir deux processus différents, un aussi facile qu'avant pour 90 p. 100 des gens qui sortent de prison et pour le 10 p. 100 dont le niveau de risque est plus élevé, d'avoir une attitude plus rigoureuse pour accordera un pardon? Est-ce que cela ne vous apparaît pas plus logique à sa face même?

[Traduction]

Mme Pate : Avec tout le respect que je vous dois, je pense que c’est ce qui est en place.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Ce n'est pas ce que le commissaire disait tantôt.

La présidente : Laissez le témoin répondre.

[Traduction]

Je crois que cela existe déjà. Évidemment, une personne toujours impliquée dans ces activités n’obtiendrait pas une réhabilitation; elle ne l’obtiendrait pas à moins qu’il y ait un autre type d’intervention, un autre type d’influence qui n’aurait rien à voir avec le processus de réexamen, si j’ose dire.

Si les personnes sont toujours impliquées dans des activités criminelles, ou même dans une activité qui est jugée inappropriée, voire menaçante, même si elles n’ont pas été accusées, leur chance d’obtenir une réhabilitation n’est pas très bonne, je crois. D’après moi, il y a déjà un processus rigoureux en place, même pour les personnes accusées de crimes mineurs.

J’ai suivi le processus de demande de réhabilitation avec un certain nombre de personnes. Parfois elles ne comprennent pas le processus, parfois elles n’ont pas les ressources pour présenter leur demande, pas seulement le frais mais aussi la vérification des casiers judiciaires, par exemple. En fait, il y a déjà un processus assez rigoureux, autant que je le sache.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je vous dirais qu’en 2007, le registre du pardon ne devait pas accorder des pardons à ceux qui ont commis un homicide. Il y a eu deux personnes au Canada qui ont eu le pardon, meurtre au deuxième degré et meurtre au premier degré. Ce n'est pas vrai que le système actuel ne permet pas des erreurs.

La présidente : Je pense que vous dépassez le champ d'expertise de Mme Pate. On va essayer de poser cette question aux fonctionnaires qui vont venir tout à l'heure.

Le sénateur Boisvenu : Mme Illingworth, lorsqu'on a un registre de pardon, où l’on fait deux catégories, ceux qui ne représentent pas de risque, un processus relativement facile et automatique comme actuellement, mais ceux qui représentent un risque plus élevé, on fait référence à ceux qui ont commis des crimes graves, des crimes crapuleux, des prédateurs sexuels, des pédophiles, donc avec une capacité de récidive plus grande, est-ce qu'il n'est pas normal d'avoir pour cette clientèle-là une approche du pardon un peu plus rigoureuse, structurée, documentée, et un peu plus critique?

[Traduction]

Mme Illingworth : Je crois que nous sommes d’accord avec vous à ce sujet. Nous avons dit clairement dans notre exposé que nous serions d’accord avec une telle approche.

Le sénateur Joyal : Ma première question s’adresse à Mme Pate. Selon votre expérience de la réhabilitation, quelles seraient les conséquences d’une attente supplémentaire de 5 ans afin de respecter la période de 10 ans proposée par le projet de loi, ou d’une attente supplémentaire de deux ans qui fait passer la période de trois ans à cinq ans, pour la personne qui cherche à obtenir une réhabilitation? Quelles sont les conséquences pour cette personne? En d’autres mots, que fait-on vivre à ces gens lorsqu’on leur demande d’attendre deux ou cinq ans de plus?

Mme Pate : Pour les femmes avec qui j’ai travaillé le plus récemment — et j’ai aussi travaillé avec des hommes —, l’une des conséquences qui me vient immédiatement à l’esprit, c’est le nombre de femmes qui ne pourront pas faire de bénévolat à l’école de leurs enfants si elles veulent les accompagner lors d’un voyage. Dans la plupart des cas auxquels j’ai eu affaire, ces femmes avaient purgé leurs peines dans un pénitencier fédéral et avaient été condamnées pour une infraction punissable par voie d’accusation, même s’il s’agissait d’une infraction mixte. Elles doivent attendre une certaine période. Parce qu’elles doivent se soumettre à des vérifications de leur casier judiciaire, si elles ont des enfants, cela les empêche de participer à des activités scolaires ou récréatives, comme le soccer, le hockey et toutes les autres activités auxquelles elles voudraient participer.

Bien sûr, ce délai peut être un obstacle à l’emploi. Bien que cela n’empêche pas d’obtenir un passeport, de nombreuses personnes croyaient que c’était le cas, comme on vous l’a dit plus tôt, il y a eu une augmentation rapide des demandes parce que l’on croyait la réhabilitation nécessaire afin d’obtenir un passeport pour voyager aux États-Unis, si c’était ce que l’on prévoyait faire.

Les situations diffèrent, mais il y a toutes sortes de conséquences. J’ai vu que des personnes attendent souvent plus de cinq ans parce qu’elles craignent que si elles ne le font pas, on pensera qu’elles ne prennent pas au sérieux leur responsabilité de vivre en citoyens respectueux des lois.

Avec sa permission, je vais vous parler d’une jeune femme qui a été déclarée délinquante dangereuse : c’est le genre de personne à qui votre comité s’intéresserait, ou du moins cette nouvelle loi. Cette jeune personne a attendu 10 ans. En fait, elle approche maintenant de son 11e anniversaire pour obtenir une réhabilitation. Elle n’a pas pu poursuivre les études postsecondaires qui l’intéressaient car il aurait fallu qu’elle fasse des travaux sociaux. Pourtant, elle faisait ce genre de travaux depuis 11 ans parmi ses pairs et de façon bénévole, toujours encadrée par une équipe, pour la protection des autres. Cette personne a maintenant demandé une réhabilitation, car nous l’encouragions à le faire depuis plusieurs années. Mais cette période d’attente a eu des répercussions importantes. Les tribunaux ont reconnu qu’elle n’aurait jamais dû être déclarée une délinquante dangereuse, et dans le contexte de cette nouvelle loi elle aurait eu encore plus de difficulté à avoir accès à cette réhabilitation.

Je pense que la période d’attente accroîtra les difficultés en ce qui concerne l’emploi, la participation à la vie familiale et communautaire, et rendra le processus de réinsertion d’autant plus difficile, et Dieu sait qu’il est déjà assez difficile comme cela.

Le sénateur Joyal : J’ai l’impression que les objectifs du projet de loi sont intéressants puisqu’il vise à protéger le public. Par contre, il a également des effets néfastes sur certaines personnes qui souhaitent obtenir une réhabilitation; de fait, le projet de loi peut même les empêcher d’obtenir cette réhabilitation. Comme vous l’avez dit, le processus de réhabilitation n’est considéré terminé qu’une fois que la personne a repris toutes les activités habituelles que n’importe qui d’autre pourrait entreprendre dans le domaine éducatif, social, ou culturel, par exemple : déménager, chercher du travail. Le projet de loi est-il assez souple pour tenir compte des cas pour lesquels il y va de l’intérêt du public d’octroyer une réhabilitation après une période de trois ou cinq ans? Quelle est votre expérience?

Mme Pate : Il est déjà très difficile d’obtenir une réhabilitation, et je sais d’après ceux avec qui j’ai travaillé, et qui ont demandé des réhabilitations, que ce processus est pris très au sérieux. Je pense que la loi actuelle est déjà assez stricte, particulièrement lorsqu’on tient compte de la longueur relative des peines dans notre pays et du fait que ces peines ne cessent de s’allonger. Vraisemblablement, conjugué à la longueur des peines et à l’imposition des peines minimales, le projet de loi va rendre le processus encore plus difficile.

J’habite au sein de ma communauté. J’habite au Canada. Nous habitons tous ici. Nous nous inquiétons tous de la sécurité publique. On pourrait certainement parler d’un paradoxe. Si j’ai dit que cette nouvelle mesure avait été annoncée dans le cadre de la Semaine nationale de sensibilisation aux victimes d’actes criminels, c’est parce que nous nous intéressons tous à la sécurité du public et nous voulons tous protéger les femmes et les enfants qui sont le plus à risque. En effet, la promotion de cette semaine se fait sur le dos des femmes et des enfants, et nous devrions donc nous pencher sur les approches universelles qui fonctionnent à tout coup. Il s’agit de centres pour les femmes, de meilleurs services sociaux, davantage de services éducatifs, d’autres programmes de soutien, par exemple, des logements abordables qui peuvent être financés à même l’assiette fiscale, grâce à des normes nationales, et bien d’autres mesures. Mais se pencher sur toutes ces mesures après s’en être pris au processus de réhabilitation, eh bien, cela ne tient tout simplement pas debout.

Le sénateur Joyal : Madame Illingworth, étiez-vous présente dans la salle lors du témoignage des témoins précédents de la Commission nationale des libérations conditionnelles?

Mme Illingworth : Je suivais le tout en ligne dans mon bureau au commencement, et je suis arrivée tout juste à la fin.

Le sénateur Joyal : Les représentants de la Commission nationale des libérations conditionnelles nous ont dit dans leur mémoire qu’ils tiennent compte de certaines choses, et je cite :

… conformément au projet de loi, les commissaires prendront en considération l’information reçue des victimes et la nature du crime…

Je souligne « l’information reçue des victimes » mais lorsque nous avons posé cette question directement aux représentants de la commission, le projet de loi ne précise pas clairement que la commission doit prendre en compte l’information reçue des victimes. Bien entendu, la nature du crime, la durée de sa perpétration et le reste, y compris les circonstances de l’affaire, doivent être prises en considération, mais la Commission nationale des libérations conditionnelles ne cherche pas directement l’information reçue des victimes.

Voulez-vous nous faire part de vos observations à ce sujet? Est-ce que cela vous dérange? Avez-vous l’impression d’être suffisamment protégée par ce projet de loi dans son libellé actuel?

Mme Illingworth : Il ne s’agit pas d’un domaine où nous pouvons travailler à notre centre avec des victimes pour aider à fournir des renseignements à la commission. Lorsqu'un délinquant présente une demande de réhabilitation, on n’avise pas la victime comme ce serait le cas pour une audience de libération conditionnelle, où les victimes ont le droit de contribuer des renseignements.

Oui, j'ai vu que la Commission nationale des libérations conditionnelles a déclaré que quelqu’un pouvait présenter une lettre. On peut présenter une lettre maintenant pour plus tard lorsque le délinquant X pourrait présenter sa demande, mais on ne sait pas si le délinquant finira par demander une réhabilitation. Je crois qu’il y a probablement beaucoup d’autres problèmes de protection des renseignements personnels dans ce contexte.

Comment est-ce que la commission pourrait faire participer davantage les victimes? Je ne sais pas comment la commission pourrait y parvenir. Certainement, il serait bon que les victimes aient voix au chapitre, comme c’est maintenant le cas pour les procédures de libération conditionnelle.

Le sénateur Joyal : Les victimes participent dans la procédure des libérations conditionnelles parce que la loi le précise très clairement. Comme vous le savez, la loi ne prévoit pas de réhabilitation. Le libellé du projet de loi n’oblige pas la commission à informer les victimes du fait qu’une demande de réhabilitation est présentée, et les victimes ne peuvent pas vraiment présenter une argumentation officiellement là-dessus.

Mme Illingworth : Il est peut-être impossible pour la Commission nationale des libérations conditionnelles d’avertir toutes les victimes. Pour l’instant, seul un petit nombre de victimes reçoit des renseignements sur le délinquant qui leur a fait du tort. Parfois il est même impossible de communiquer avec une victime pour demander sa contribution au processus de la réhabilitation.

Le sénateur Joyal : Êtes-vous d’avis que vous devez officiellement faire officiellement une représentation afin d’ajouter ceci au projet de loi?

Mme Illingworth : Il serait bon que ce soit inclus, mais cela ne se trouve certainement pas dans la partie A du projet de loi et je ne crois pas que ce soit dans la partie B non plus.

Il est important pour les victimes, si elles le veulent bien, d’avoir voix au chapitre tout au long de la procédure, mais malheureusement ceci n’est pas possible à présent.

Le sénateur Joyal : Comme je l’ai dit, au niveau de la sentence, les victimes peuvent faire leurs représentations — c’est prévu par le Code criminel. Au niveau de la libération conditionnelle on les prend aussi en considération, mais au niveau de la réhabilitation, on ne les prend pas officiellement en considération. C’est la raison pour laquelle je porte cette situation à votre attention, pour voir si à ce niveau, étant donné que le parrain du projet de loi a dit que le projet de loi cherche à protéger les victimes et à donner satisfaction à leurs revendications, la victime aurait une occasion de faire une déclaration. Voici pourquoi je vous pose cette question.

Mme Illingworth : Il est clair que certaines des familles et des personnes auprès desquelles nous travaillons auraient leur mot à dire, mais je ne pourrais pas parler au nom de l’ensemble des victimes.

Le sénateur Lang : J’essaye de me souvenir de la teneur des discussions relativement au texte législatif précédent. Si je ne m’abuse, à l’étape de l’audience de libération conditionnelle, il n’y a aucune disposition juridique qui contraint les personnes responsables à prendre contact avec la victime. Je pense qu’il s’agit plutôt d’une politique, n’est-ce pas? J’essaye de me souvenir de la réponse à cette question.

Le sénateur Joyal : Il s’agit de l’article 745.63(1) du Code criminel. Le jury doit prendre en compte :

a) le caractère du requérant;

b) sa conduite durant l’exécution de sa peine;

c) la nature de l’infraction pour laquelle il a été condamné;

d) tout autre renseignement fourni par la victime au moment de l’inflictionde la peine ou lors de l’audience prévue au présent article…

En d’autres termes, la victime aurait deux occasions de se faire entendre : au moment de l’imposition de la peine et à l’audience devant un jury, selon ce dont nous avons discuté. Il était question de meurtre au premier et au deuxième degrés, et non pas des obligations générales en vertu du code.

La présidente : Désolée, on s’écarte quelque peu de votre mandat, mais je pense que le sénateur Boisvenu désire faire un commentaire.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Sénateur Joyal, ce n'est pas une obligation, mais une directive qui, depuis 2002, consiste à rendre disponible de l'information de la part des victimes si celles-ci ont voulu la rendre disponible. Le gouvernement n'a pas d'obligation d'entrer en contact avec la victime pour lui demander de venir témoigner. Cela sera inclus dans l'actuel projet de loi.

[Traduction]

Le sénateur Wallace : Madame Illingworth, le ministre Toews a comparu devant notre comité un peu plus tôt aujourd’hui pour nous expliquer la raison d’être du projet de loi. Selon lui, il est primordial d’atteindre un meilleur équilibre que celui qui existe aujourd’hui entre les droits de la société en matière de protection et les droits des accusés en matière de réhabilitation, par exemple. Il a précisé qu’il y a toujours eu un déséquilibre entre ces deux catégories de droits. Qu’en pensez-vous?

Mme Illingworth : D’après nous, au centre, il existe un déséquilibre important au sein de notre système de justice criminelle. Beaucoup de protections sont accordées aux accusés d’actes criminels, mais il n’est aucunement question des victimes d’actes criminels dans la Charte des droits et libertés. En général, les indemnisations accordées aux victimes émanent de politiques. En effet, leurs droits ne sont pas enchâssés dans la loi. Même les provinces ont des textes de loi qui précisent que les victimes devraient avoir accès à ces renseignements, mais il est impossible de faire respecter ces droits. Pour en revenir à votre question, nous sommes entièrement d’accord avec le ministre.

Le sénateur Wallace : Madame Pate, il y a un autre point qui a été soulevé par le ministre, qu’il estime très important, et il n’est pas seul, à savoir qu’en vertu du projet de loi, c’est le requérant qui devrait convaincre la commission d’accorder le pardon car le requérant jouirait alors d’avantages mesurables qui pourraient assurer sa réintégration au sein de la société plus facilement.

Qu’en pensez-vous? Estimez-vous que c’est une bonne façon de traiter de la question du fardeau de la responsabilité?

Mme Pate : Par rapport aux deux questions que vous avez posées à Mme Illingworth et celles que vous m’adressez, il faudrait déterminer sur quoi se fonde l’évaluation du ministre. Comme je l’ai dit plus tôt dans ma réponse à la question du sénateur Joyal, bon nombre des personnes que nous poussons à faire une demande de pardon n’en saisissent pleinement l’incidence que plus tard, lorsqu’ils profitent tout à coup des avantages associés à l’obtention du pardon.

Ce n’est pas tout le monde, et là je pense particulièrement à bien des femmes que je connais et avec qui je travaille, qui est en mesure de faire valoir ses droits. Si on voulait vraiment atteindre un équilibre en assurant la protection des victimes, on s’intéresserait de plus près à certaines des mesures que j’ai mentionnées plus tôt et qui ont été éviscérées au cours des dernières années et des dernières décennies, à savoir la possibilité pour les personnes les plus marginalisées de contribuer pleinement à leur collectivité. Dire que nous allons tenter d’atteindre un équilibre après le fait, alors que nous ne faisons rien pour venir en aide aux plus vulnérables, c’est très problématique. Sur quoi le ministre fonde-t-il son évaluation?

Le sénateur Wallace : J’aimerais revenir à ma question qui portait sur l’auteur de la décision d’accorder, ou non, un pardon. Est-ce que c’est l’État qui devrait être tenu de démontrer qu’il ne devrait pas être accordé, ou les requérants devraient-ils s’assurer de satisfaire aux critères et démontrer qu’un pardon devrait leur être octroyé? Pensez-vous que la responsabilité d’établir qu’un pardon est justifié devrait reposer sur les épaules des requérants?

Mme Pate : Désolée de ne pas avoir répondu clairement à cette question plus tôt.

La loi est claire. Il existe un processus par l’entremise duquel nous tentons d’être justes et d’encourager la réhabilitation des individus quand leur réinsertion ne pose de risque ni pour eux ni pour les autres.

Pratiquement parlant, je vous dirais que le fardeau de la preuve repose déjà sur les épaules du requérant. En effet, il faut faire une demande pour recevoir un pardon. Nous n’avons pas de processus automatique, comme c’est le cas ailleurs. En effet, dans certains pays, un individu qui a purgé sa peine vit sa vie à moins de commettre un autre crime. Dans notre contexte, le fardeau repose sur les épaules du requérant parce qu’il faut qu’il fasse une demande pour que son dossier soit étudié.

Si une victime fournit des déclarations de la victime, qu’elle a participé aux audiences de libération conditionnelle et qu’elle a choisi de s’exprimer, ces renseignements sont pris en compte dans le cadre du processus de demande de pardon non pas parce que c’est obligatoire en vertu de la loi, mais plutôt parce que c’est logique d’un point de vue pratique. Mon expérience me permet de dire que la commission de libération conditionnelle prend systématiquement en compte l’ensemble de ces facteurs dans le cadre de ces processus décisionnels.

Le sénateur Wallace : Est-ce raisonnable que ce soit le requérant, c’est-à-dire la personne ayant été reconnue coupable, qui a la responsabilité de convaincre la commission en prenant en ligne de compte la nature, la gravité et la durée de l’infraction ainsi que les circonstances s’y rattachant? Les critères sont énumérés, bien établis; il s’agit des facteurs que le requérant doit aborder lorsqu’il tente de convaincre les autorités de lui accorder un pardon. Est-ce cela vous semble raisonnable? Je n’essaie pas de me faire l’avocat du diable; je tente uniquement de déterminer si vous êtes d’accord avec le ministre qui estime que cette partie du projet de loi est importante et qu’elle permet d’améliorer la situation de façon significative.

Mme Pate : En fait, il s’agit de la description du statu quo de ce qui existe dans la pratique. Bien que notre organisation n’ait pas pris pas position, j’estime personnellement que le fardeau est déjà très lourd, sans parler du fait que l’obtention d’un pardon coûte très cher et que certains n’ont tout simplement pas les ressources financières adéquates. Je ne voudrais pas qu’on impose encore plus de limites et qu’on complique la vie de ces individus qui devraient pouvoir tourner la page et qui peuvent réellement contribuer à leur collectivité, en leur empêchant d’obtenir un pardon, tout simplement parce qu’ils sont analphabètes, parce que l’anglais n’est pas leur langue maternelle ou parce qu’ils ne sont pas conscients de leurs droits. Les dispositions relativement au fardeau de la preuve compliquent les choses encore plus pour ces personnes-là. Comme, en réalité, c’est déjà ce qui se passe concrètement, je ne suis pas convaincue qu’on ait justifié l’inclusion de ces dispositions dans la loi, pour le moment du moins.

Le sénateur Wallace : Madame Illingworth, voulez-vous réagir par rapport à cela?

Mme Illingworth : À l’agence, nous pensons qu’il est raisonnable et équitable que le requérant soit obligé de convaincre la commission plutôt que de se contenter de faire une demande. En vertu du système, à l’heure actuelle, 98 p. 100 des pardons sont accordés. Pour le bien de la société en général et des victimes en particulier, il serait bon que la commission fasse un travail approfondi dans le but de déterminer si les individus en question ont bel et bien un style de vie positif.

Je dois vous admettre que cela me fait sursauter d’entendre dire que les délinquants sont les personnes les plus marginalisées au pays. Sachez qu’il est très difficile pour les victimes de tourner la page, de reprendre le travail et de trouver quelqu’un qui veuille bien les entendre parler des préjudices dont elles ont souffert.

À mon avis, présenter une demande et payer 50 $, ce n’est pas sorcier.

Le sénateur Carstairs : Madame Pate, je crois que les Canadiens connaissent dans l’ensemble la différence entre une condamnation pour acte criminel et une déclaration de culpabilité par procédure sommaire. De façon générale, ils pensent qu’une déclaration de culpabilité par procédure sommaire porte sur des actes criminels moins graves. Qui sera visé par cette prolongation de la période d’attente de trois à cinq ans?

Mme Pate : Je dois présenter mes excuses à mon collègue. Je ne voulais certainement pas dire que les victimes ne sont pas marginalisées. En fait, c’est le contraire qui se passe. C’est d’ailleurs pourquoi notre organisation travaille auprès de femmes victimisées et marginalisées ainsi qu’auprès de femmes criminalisées et institutionnalisées.

Ce sont elles qui auront moins de chance d’intervenir, celles qui ont été reconnues coupables d’actes criminels relativement mineurs qui seront le plus gênées et qui hésiteront le plus à demander la réhabilitation, et ce pour toutes sortes de raisons. Elles sont déjà marginalisées au point de vue économique, et d’après ce que les témoins précédents ont dit, il se pourrait que les droits à payer s’élèvent à 500 $. Cela pourrait représenter pour les femmes qui reçoivent l’aide sociale le revenu de tout un mois. Ainsi, les victimes de cette décision seront les détenus les plus pauvres, un nombre toujours croissant de détenus autochtones, et ceux qui ont des problèmes de santé mentale qui ne seront peut-être pas en mesure de s’exprimer de façon lucide à la commission. De plus, ceux qui demandent la réhabilitation ne peuvent pas être représentés par un avocat.

Nombre d’organisations sont mises sur pied pour aider ceux qui demandent la réhabilitation. Cette procédure est assez dispendieuse. Ceux qui ont proposé le projet de loi ne songeaient certainement pas à ceux qui seront le plus directement touchés par ces propositions et qui auront donc moins de chance d’obtenir la réhabilitation.

Le sénateur Carstairs : Ma deuxième question porte sur les perspectives d’emploi pour ceux qui ont été emprisonnés et qui ont été libérés. Vous avez parlé du bénévolat et des limites imposées au bénévolat pour les anciens détenus. Qu’en est-il des limites imposées aux perspectives d’emploi? Pouvez-vous nous en donner un exemple?

Mme Pate : Par exemple, des limites sont imposées à ceux qui demandent un cautionnement. S’ils ne sont pas en mesure d’obtenir la réhabilitation, il est donc beaucoup plus difficile d’obtenir le genre d’assurance dont ils auraient besoin pour obtenir des emplois car ils ne sont pas en mesure d’accorder le genre de sécurité que recherche l’employeur.

Parfois, vous êtes victime de discrimination si vous n’avez pas pu recevoir le pardon. C’est certainement le cas au niveau fédéral. Il y a des gens qui ont obtenu des emplois comme chauffeurs, camionneurs sur de longues distances. Ils auront probablement plus de difficulté à obtenir le type d’emploi qui leur permet de s’intégrer à la société sans pour autant, par l’entremise des services sociaux, coûter cher à la société — ainsi, ces personnes se retrouvent pénalisées.

J’ai été surprise d’apprendre que quelqu’un avait obtenu un pardon après avoir été reconnu coupable d’un meurtre parce qu’il s’agit là d’une peine à perpétuité. Je ne sais pas comment quelqu’un peut avoir obtenu un pardon pour un meurtre.

La présidente : Il s’agit peut-être d’un cas de clémence. Il faudra poser la question aux représentants du ministère.

Le sénateur Carstairs : Ma dernière question s’adresse à Mme Illingworth. On nous a beaucoup parlé des victimes, à la fois lors de l’étude de ce projet de loi et un peu plus tôt, lors de l’étude du projet de loi sur la clause de la dernière chance. Je crois que je comprends assez bien la situation puisque j’ai été moi-même victime d’un acte criminel. Le fait est qu’il existe très peu de programmes pour les victimes d’actes criminels.

Dans quelle mesure votre organisation exerce-t-elle des pressions sur le gouvernement afin d’obtenir l’aide nécessaire? Ce qui m’inquiète, c’est que parfois nous revictimisons les victimes en nous attardant trop à leur victimisation.

Mme Illingworth : Notre organisation défend les victimes dans les provinces et les territoires en expliquant comment nous pouvons améliorer les services offerts aux victimes d’actes criminels et comment des programmes de dédommagement pourraient, dans certains cas, répondre aux besoins des victimes. Nous sommes en contact avec tous les autres groupes de défense des victimes du Canada et nous les appuyons, comme le groupe dont parlait le sénateur Boisvenu dans le projet de loi qu’il avait proposé afin d’obtenir des prestations d’assurance-emploi pour les victimes au Québec. Notre organisation est une ressource, si bien que nous communiquons ces renseignements partout au Canada et, évidemment, nous avons nous aussi de graves problèmes financiers.

Cet après-midi, j’ai reçu des mauvaises nouvelles de notre agent des finances. Comme bon nombre d’organismes non gouvernementaux au Canada, nous avons de la difficulté à survivre et à continuer d’offrir nos services aux victimes. Nous avons pu obtenir du ministère de la Justice un financement partiel pour des projets récemment, mais c’est quand même très difficile pour les petits groupes comme le nôtre de se faire entendre. La majorité des groupes n’ont pas de personnel rémunéré. Ceux qui travaillent pour ces organisations sont en fait des victimes qui cherchent simplement une façon de s’exprimer. Nous créons des réseaux dans toutes les régions du pays où ces personnes ont été victimisées. Malheureusement, nous n’avons simplement pas suffisamment d’argent, certainement beaucoup moins que ce que les groupes représentant les contrevenants reçoivent.

Ces groupes font également du travail très important pour ceux qu’ils représentent, mais nous voudrions quand même qu’il y ait un équilibre quant au financement accordé à ceux qui représentent les contrevenants et à ceux qui travaillent auprès de leurs victimes. Nous l’avons affiché sur notre site Internet; ce sont des choses que nous répétons sans cesse. Nous essayons de communiquer ce message.

Le sénateur Carstairs : Entre-temps, vous ne recevez pas de financement adéquat du gouvernement pour aider votre organisation.

Mme Illingworth : Nous avons reçu un petit montant de Sécurité publique Canada; il s’agit d’un montant annuel de 19 000 $.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Êtes-vous au courant, Mme Illingworth, que l'aide aux victimes relève des provinces et l'aide aux criminels relève du fédéral? Ce sont des champs d'occupation très sévères. Donc un criminel qui commet son assassinat au Québec...

La présidente : Est-ce que c'est une question?

Le sénateur Boisvenu : Oui, je vais poser une question. Un criminel qui commet son assassinat au Québec et qui est interné en Colombie-Britannique va avoir les mêmes services, car on a des normes nationales pour l'aide aux criminels, mais il n’y a pas de norme canadienne pour l'aide aux victimes. C'est chaque province qui décide. Vous êtes au courant de cela?

Mme Illingworth : Oui.

Le sénateur Joyal : Et il y a des provinces où il n'y en a aucun — pour ne pas nommer la province de mon collègue.

Le sénateur Boisvenu : Donc il faudrait avoir des normes canadiennes.

[Traduction]

La présidente : Merci beaucoup. Vos commentaires ont été fort utiles, et je dois dire que nous vous sommes très reconnaissants de votre intervention puisque ce projet de loi nous a été renvoyé par la Chambre des communes un peu comme un cheveu sur la soupe. Nous n’avons pratiquement pas pu vous donner de préavis pour vous inviter à comparaître aujourd’hui, mais vous êtes tout de même venues. Nous sommes donc fort reconnaissants d’avoir pu entendre vos propos, mesdames.

Nous accueillerons maintenant les fonctionnaires qui viendront tout nous expliquer clairement. Nous accueillons à nouveau aujourd’hui Mme Mary Campbell, directrice générale des Affaires correctionnelles du ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile Canada.

[Français]

Nous avons Madame Gertrude Lavigne, qui est avocate-conseil à la Commission nationale des libérations conditionnelles, qui était avec nous il y a quelques instants. Nous avons en plus M. Paul Shuttle.

[Traduction]

Il est directeur exécutif et avocat général principal au ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile Canada. Nous sommes très heureux de vous accueillir aujourd’hui. J’ai noté que vous étiez assis dans la salle et que vous avez écouté attentivement les échanges toute la journée. Vous savez donc que nous avons des questions à vous poser.

Voulez-vous faire une déclaration liminaire avant que nous passions aux questions? J’ai entendu les questions posées par les sénateurs Boisvenu et Baker. J’ai moi aussi une question. Peut-être vais-je changer la façon normale de faire les choses et poser d’abord ma propre question. C’est probablement parce que je ne connais pas vraiment le système que je pose la question.

J’aimerais savoir comment le système fonctionne, tout particulièrement en ce qui a trait à ce qui suit. Si une personne reçoit la réhabilitation, son casier judiciaire est retiré du Centre d’information de la police canadienne, n’est-ce pas? Dans l’affirmative, comment la Commission des libérations conditionnelles peut-elle savoir si cette personne a commis un autre acte criminel afin d’être en mesure de décider de révoquer la réhabilitation? Je vous ai dit que c’était une question bien simple fondée sur mon ignorance.

Mme Campbell : J’essaie de m’assurer que je présenterai les choses dans leur ordre approprié. Si une personne reçoit la réhabilitation, son casier judiciaire, qui est entre les mains du système fédéral, sera scellé et conservé séparément des autres casiers judiciaires.

Par exemple, lorsqu’on demande la divulgation du casier judiciaire d’une personne qui a reçu la réhabilitation, ce qui est prévu dans la Loi sur le casier judiciaire, nous pourrons noter sur le document remis par le centre l’estampe « réhabilité » sur le dossier.

La présidente : Il n’est pas retiré, ce dossier?

Mme Campbell : Oui, puisque tous ceux qui ont accès aux dossiers du CIPC ne peuvent pas le voir.

La présidente : Comme je l’ai toujours dit, dès que votre nom est sur une liste, vous ne pouvez jamais le faire effacer.

Mme Campbell : La GRC serait mieux placée pour nous expliquer comment cela est géré, parce qu’elle administre le CIPC. Je ne suis pas la plus ferrée en technologie. Le casier continue d’exister quelque part dans le cyberespace, mais on l’a supprimé des registres quotidiens du CIPC. Si vous vérifiez le casier de quelqu’un qui a reçu un pardon, vous ne le trouveriez pas.

La présidente : Mais ensuite la même personne commet un autre acte criminel et elle est condamnée pour cet acte. À ce moment-là, il doit y avoir un élément déclencheur quelconque pour aviser la commission des libérations conditionnelles que le temps est venu de révoquer le pardon.

[Français]

Madame Lavigne, est-ce que vous pouvez répondre à cela?

Mme Lavigne : Mon expérience a été que la Couronne, dans des procédures provinciales, va apprendre que la personne qui sera condamnée a obtenu un pardon. Évidemment, quand il y a un pardon, on ne peut pas utiliser l'information. Donc il faut aller au-delà du pardon pour pouvoir utiliser cette information si on veut une sentence plus sévère. La Couronne peut obtenir cette information de la police.

La présidente : Est-ce que la Couronne, la cour ou quelqu'un d’autre va ensuite transmettre aux autorités de libération l’information qu’il y a eu un autre crime?

Mme Lavigne : Oui, cela arrive. C'est de deux ordres. D'abord, ils vont écrire en vertu de l'article 6(3) de la Loi sur le casier judiciaire pour demander au ministre de la Sécurité publique d'approuver la divulgation du casier. Également, la Couronne va écrire à la commission pour l'informer de ce qui se passe.

La présidente : C'est exactement ce que je voulais savoir. Merci, comme je vous ai dit, je suis d’une ignorance totale; je le suis un peu moins à présent, c'est fort agréable.

La parole est au sénateur Carignan, suivi par le sénateur Boisvenu.

Le sénateur Carignan : Je reviens sur la déconsidération de l'administration de la justice. C'est un critère qui est vraiment fondamental et il est inspiré de la Charte, je crois, au niveau de l’exclusion de la preuve. J’aimerais être rassuré quant au fait qu'il n’y aura pas d'effet pervers à ce critère.

Je donne l'exemple au niveau de la preuve, en ce qui a trait à la Charte : la preuve n'est pas toujours exclue lorsque cela a des conséquences sur l'administration de la justice, parce que dans certaines occasions on considère que ce serait l’inverse, à savoir que, exclure la preuve aurait pour effet de déconsidérer l'administration de la justice. Je veux m'assurer ici que cet aspect ne pourra pas se produire. C'est-à-dire que le fait de ne pas accorder le pardon déconsidérerait l'administration de la justice.

Donc, je veux m'assurer que la notion de déconsidération de l'administration de la justice est vraiment liée au fait d'accorder le pardon, non pas à celui de ne pas accorder pardon. Et c'est pour cela que je m'intéresse aux autres critères fixés par règlement et à la formation — j'en ai parlé avec le ministre un peu tantôt. Est-ce que vous avez établi déjà des intentions, premièrement au niveau de la formation, et deuxièmement au niveau des autres critères pour assurer qu'il n’y aura pas un effet pervers à la déconsidération de l'administration de la justice et qu'on ne le prendra pas à l’inverse, a contrario, un peu comme au niveau de la preuve?

On a importé là un concept, mais il faut faire les adaptations nécessaires pour être certain qu'on n’aura pas d'effet pervers. Je ne sais pas si je suis assez clair dans ma question.

[Traduction]

Mme Campbell : Je m’en remettrai aux deux conseillers juridiques officiels.

Paul Shuttle, directeur exécutif et avocat général principal, Sécurité publique Canada : Dans ce projet de loi, comme dans la plupart des projets de loi, il y a plusieurs intentions. D’une part, il s’agit de prévoir le scellage et la mise de côté des casiers en temps utile. D’autre part, il s’agit de nous assurer qu’il y a un critère pour déterminer si cette mesure est convenable dans tel ou tel cas.

Le projet de loi le permet dans l’article proposé 4.1(3), à la troisième clause, où certains de ces éléments sont mis de l’avant. Donc, en fait, ce à quoi vous faites allusion à l’article 24(2) de la Charte, c’est l’autorisation de déterminer pour chaque individu si les circonstances permettent à la commission d’établir qu’il est convenable d’accorder le pardon sans discréditer l’administration de la justice, quoique dans certaines circonstances, ce pourrait être le cas. Vous voyez que ces dispositions sont enchâssées dans le projet de loi. Autrement dit, cela vise essentiellement à permettre à la commission de déterminer, selon les faits de l’affaire et les considérations proposées à l’article 4.1(3), si le demandeur mérite un pardon ou non.

[Français]

Le sénateur Carignan : Pourrait-il y avoir une situation où la commission déciderait d'accorder le pardon parce que ne pas le faire déconsidérerait l'administration de la justice?

[Traduction]

M. Shuttle : Le critère proposé à l’article 4.1(1) est l’un des cinq critères pour déterminer si le fait d’accorder un pardon pourrait discréditer l’administration de la justice. Je ne peux pas imaginer quelles circonstances pourraient mener au résultat que vous venez de montrer, mais la commission devra déterminer, à partir de toutes les données qui lui sont présentées, si c’est le résultat ou non.

Mme Campbell : Normalement, il me semblerait que si le Parlement voulait indiquer l’accord ou le refus, alors le Parlement le dirait d’une manière très explicite, soit que l’octroi ou le refus discréditerait l’administration de la justice. Dans le cas qui nous occupe, la loi fait simplement allusion à la possibilité que l’octroi du pardon pourrait discréditer l’administration de la justice, et c’est sur quoi notre politique est axée.

[Français]

Mme Lavigne : C'est sûr que les décisions rendues par la commission doivent s'inscrire dans le cadre juridique de la loi habilitante. J'ai peine à imaginer par exemple quelqu'un qui ayant commis un crime 20 ans auparavant, ce qui ne tombe pas dans les dix ans, qui n'aurait pas récidivé depuis ce temps, ayant toujours eu une bonne conduite, rencontrant tous les critères et participant à la société, ce qui est une valeur ajoutée, que la commission ne lui accorde pas son pardon parce que cela risquerait de déconsidérer l'administration de la justice.

Cette décision serait probablement débattue en Cour fédérale puis cassée, parce qu'elle serait déraisonnable. Ce serait la norme judiciaire qu’on appliquerait à ce genre de décision. Les décisions doivent s'inscrire dans le cadre où les pouvoirs sont donnés à la commission. Tous les outils seront développés afin que les commissaires connaissent les tenants et aboutissants des nouveaux principes juridiques.

Le sénateur Carignan : En ce qui concerne les critères qui seront développés pour déterminer ce qui va déconsidérer l'administration de la justice, avez-vous commencé à en établir certains? Lors de l'adoption de la charte, les auteurs ont traité de la notion de déconsidérer l'administration de la justice. Ils ont même songé à faire des sondages pour connaître l'opinion publique pour déterminer ce qui pourrait déconsidérer ou non l'administration de la justice.

La Cour suprême n'a pas retenu nécessairement la question des sondages, mais pourrait-on l'envisager pour voir si une situation ou un cas où on accorderait le pardon pourrait déconsidérer l'administration de la justice?

Mme Lavigne : À ce moment-ci, il y a beaucoup de discussions quant aux facteurs qui seront inclus dans le règlement. C'est encore à l'étape de l'élaboration. Beaucoup d'idées sont sur la table. On examine tous les angles afin de voir ce qui pourrait répondre à ce qu'est l'administration de la justice. Il faut mesurer ce qui peut ou non être inclus dans un règlement, mais nous ne voudrions pas via le règlement empiéter sur la discrétion des commissaires.

Le sénateur Carignan : Actuellement, les critères sont indicatifs.

Mme Lavigne : Voilà! Et le règlement devrait refléter la même chose. On ne devrait pas trop réglementer afin que les commissaires ne puissent aller au-delà d’un certain point, ce qui est prévu par le règlement.

Le sénateur Boisvenu : Je souhaite la bienvenue à nos témoins. Lorsque l'on confirme à un citoyen, après trois, cinq ou dix ans, qu'il est maintenant réhabilité, c'est sûrement le plus beau diplôme que cet ex-détenu recevra. Il faut maintenir ce programme, j'en suis un ardent défenseur, par contre, il faut y mettre de la rigueur, sinon ce serait comme donner à tous les enfants d'une classe du primaire un diplôme sans qu'ils aient eu à faire d'efforts. Le diplôme n'aurait alors plus de valeur.

Vingt à 30 000 ex-détenus reçoivent annuellement un pardon. Je suis persuadé que les forces policières n'en sont pas toutes informées. Ce sont les pédophiles et les agresseurs sexuels qui me préoccupent le plus. Si on prend l'exemple d'un pédophile qui aurait obtenu son pardon, sera-t-il fiché dans les dossiers du Centre de renseignement policier du Québec ou du Centre de renseignement canadien? Les policiers auront-ils accès à son dossier criminel? Seront-ils à même de l'identifier s'ils le trouvent rôdant autour d'une école primaire?

[Traduction]

Mme Campbell : Si quelqu’un a reçu un pardon et que ce pardon est encore valide, alors non, ils n’auront pas accès à ces renseignements. Si une personne a reçu un pardon, mais qu’elle figure au registre des délinquants sexuels, l’agent pourrait, bien entendu, interroger le registre, ou il en aura l’autorité si le projet de loi S-2 reçoit la sanction royale, parce que vous savez que cela donne l’autorité à la police de mener ce genre d’enquête.

Bien entendu, chaque fois que des agents de police observent un comportement suspect chez quelqu’un, ils peuvent exercer leurs pouvoirs normaux de faire des enquêtes et des arrestations.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Vous comprendrez le sens de ma question. Je voudrais revenir à la catégorie des prédateurs sexuels et des pédophiles, qui sont les contrevenants les plus difficiles à contrôler une fois qu'ils sont sortis de prison. Le fait de dissoudre l’information, une fois le pardon accordé est risqué pour la population. Pour ce qui est du projet de loi devant nous, êtes-vous d'accord avec nous pour dire qu’on l’étudie d’abord et avant tout pour assurer la sécurité de la population contre un type de criminels qui représentent un risque élevé?

[Traduction]

Mme Campbell : C’était seulement la semaine dernière que la version originale du projet de loi C-23 a supprimé, je crois, toute éligibilité de pardon pour certains délinquants sexuels, et c’est une option que nous pourrions considérer. L’option proposée actuellement par le projet de loi C-23A prévoit que les délinquants sexuels devront attendre plus longtemps et subir un examen plus rigoureux. Vous avez raison; il y a des délinquants sexuels qui récidivent plus que d’autres. Les recherches nous l’ont appris, et le groupe qui compte le plus grand nombre de récidivistes, apparemment, ce sont les hommes qui ciblent des jeunes males étrangers. Ainsi, ce scénario ressemble beaucoup au cas de quelqu’un qui pourrait rôder aux abords d’une cour d’école.

La structure du régime de pardon, et surtout les amendements du projet de loi C-23A, aidera beaucoup à rendre la procédure des pardons plus rigoureuse. La personne devra attendre cinq ans ou bien dix ans après avoir purgé sa peine et ensuite elle fera l’objet d’une plus grande surveillance que ce n’est le cas actuellement.

Est-il possible qu’à un moment donné quelqu’un reçoive un pardon et qu’ensuite il récidive? Oui, je dois dire que c’est possible.

J’ose espérer — et nous en avons discuté avec nos collègues de la police — que des mesures seront prises dans tous les cas où l’on observe un comportement suspect chez quelqu’un. Cela fait partie du tableau. Aucun de ces mécanismes, à lui seul, ne représente toute la solution. L’idée, c’est d’avoir suffisamment d’outils pour gérer la situation en toute sécurité.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : J'aimerais comprendre la différence entre le rôle de la Commission nationale des libérations conditionnelles et celui du service correctionnel concernant le processus de pardon.

[Traduction]

Mme Campbell : Dans la procédure des pardons?

Le sénateur Boisvenu : Oui.

Mme Campbell : Le Service correctionnel du Canada ne joue aucun rôle dans la procédure des pardons. Les délinquants, lorsqu’ils deviennent admissibles, n’ont plus à traiter avec le Service correctionnel du Canada, alors ils font leur demande de leur propre chef, et c’est la Commission nationale des libérations conditionnelles qui fait les enquêtes qu’elle juge bon de faire. Bien entendu, il est possible, surtout avec le projet de loi C-23A, que la commission fasse certaines enquêtes auprès du Service correctionnel du Canada. Cela n’est pas exclu.

Le sénateur Boisvenu : Au sujet de leur passé?

Mme Campbell : C’est exact.

Le sénateur Baker : Pour revenir à la question que le président a posée au départ au sujet du registre des pardons, j’ai compris que la copie papier du registre des pardons est gardée à part par la GRC, dans un dossier distinct qui est intitulé, j’imagine, « pardon », mais comme vous l’avez dit, les renseignements restent toujours dans le CIPC et l’autre base de données. Je ne me souviens pas du nom de l’autre base de données de la police, mais c’est celle-là qui contient toutes les preuves par ouï-dire. Des preuves présentées par un tiers servent parfois à compiler des mandats de 500 et de 600 pages. Elles restent là.

Si quelqu’un commet une infraction en fin de semaine et qu’il comparaît pour la première fois au cours de la semaine, s’il plaide coupable et qu’il veut en finir avec l’affaire, le juge peut, avant de prononcer la peine, considérer le fait que cette personne a déjà reçu un pardon pour un délit commis auparavant. Ce doit être le cas, sinon, le système ne fonctionnerait pas.

Évidemment, les données sont conservées dans le CIPC pour la police au cas où il y a violation des conditions du pardon. Une fois que vous avez commis un délit et que vous avez plaidé coupable, votre pardon est annulé, et il doit y avoir une manière de le démontrer, n’est-ce pas?

Mme Campbell : Oui. Là encore, même si je ne possède pas les connaissances des membres de l’équipe chargée du CIPC de la GRC, je sais que le dossier est conservé dans un endroit distinct, et la police peut y accéder selon les fins prévues par la loi. Voilà l’idée. Le pardon n’efface pas le passé, mais il le scelle; le dossier est gardé à part, et quiconque révèle l’existence du pardon ou du casier pardonné sans l’autorisation du ministre de la Sécurité publique commet une infraction.

Le sénateur Baker : En l’an 2000, nous avons en quelque sorte remanier cette loi; nous avons adopté des règlements, et les formulaires font partie des règlements maintenant. Si un emploi présente des risques pour des personnes telles que les enfants, l’employeur éventuel demande au postulant de remplir un formulaire. Cela divulgue alors automatiquement le casier criminel de cette personne ainsi que tous les délits pour lesquels elle a reçu un pardon et qui se retrouvent dans cet article.

Au sujet de la question du sénateur Carignan en ce qui concerne le renversement de l’applicabilité du critère relatif à la crédibilité de l’administration de la justice, bien entendu, on peut toujours soutenir que la décision d’octroyer un pardon pourrait constituer un déni de justice naturelle ou de justice en matière de procédure, ou bien un abus de procédure, ce qui pourrait déclencher la même procédure qui viole la Charte. Êtes-vous d’accord avec moi pour dire que ce serait une possibilité pour quelqu’un qui fait appel d’une décision au sujet d’un pardon?

M. Shuttle : Une décision de la Commission nationale des libérations conditionnelles est une décision d’un tribunal fédéral qui est rendue conformément à la Loi sur les Cours fédérales et qui est assujettie au contrôle judiciaire pour les raisons que vous avez énumérées, oui.

Le sénateur Baker : Exactement. Comme le sénateur Carignan l’a indiqué, l’article 24(2) de la Charte vient tout de suite après les droits juridiques, parce que l’article 24 est le recours contre les violations de la partie précédente.

Il y a deux recours : les articles 24(1) et 24(2). Le gouvernement a pris le libellé de l’article 24(2) — « discréditer l’administration de la justice » — et ils l’ont transplanté dans cette loi.

Savez-vous pourquoi le principe de l’article 24(1) n’aurait pas été appliqué? Est-ce qu’on a considéré de le faire? Je ne me rappelle plus du libellé exact, mais le principe de l’article 24(1) s’applique aux décisions des juges, par exemple, là où il y a de multiples violations de la Charte. Pourtant, c’est un critère beaucoup plus général que ne l’est l’article 24(2), qui est très élevé, quand on parle de discréditer l’administration de la justice, comme le sénateur Carignan l’a indiqué.

Savez-vous si on a envisagé d’utiliser le libellé de l’article 24(1) au lieu de l’article 24(2), ce qui aurait permis à la Commission des libérations conditionnelles de prononcer un jugement subjectif sans respecter ce critère élevé qui est à présent dans le projet de loi?

Mme Campbell : Sans nuire à la confidentialité du cabinet, je peux dire que de nombreuses options sont prises en considération pour formuler le bon libellé. Ce cas n’est pas différent des autres situations où il s’agit de trouver le bon libellé pour capter l’intention de la politique, ce qui pourrait nous amener à discuter de plusieurs options, et le gouvernement pourrait enfin déterminer celle qui lui semble la plus appropriée.

Le sénateur Baker : « Choquer la conscience de la communauté » est une expression très connue.

Mme Campbell : Oui, cette phrase est très connue. Je ne suis pas certaine qu’elle ait un sens juridique de la même façon que l’expression « l’administration de la justice » a un sens juridique. Comme le ministre Toews le disait ce matin, « discréditer l’administration de la justice » est une expression qui a été revue par les tribunaux, donc elle a un certain fondement. On en a discuté. « Choquer la conscience » pourrait être compris par le public, mais je ne pense pas que cela ait le même sens juridique.

Il y avait auparavant un service très utile pour la terminologie juridique, et on me dit que cela n’existe plus. C’est une source que j’ai toujours estimée très utile afin de trouver où une phrase avait été utilisée et quel en était le sens.

Le sénateur Baker : Ce qui est malheureux avec le libellé choisi par le gouvernement, c’est que tout le monde sait pertinemment que le français n’est pas pareil à l’anglais, et donc l’interprétation est soumise aux tribunaux. La version anglaise de l’article 24(2) se lit « pourrait » alors que la version française se lit « soutiendrait ».

Je me demande pourquoi une telle chose ne serait pas changée lors de l’élaboration de tout nouveau projet de loi. Je sais que vous reprenez les mots qui sont là et qui sont réputés avoir un sens différent en anglais et en français, mais pourquoi? Pourquoi ne pas faire concorder le français et l’anglais et régler la question plutôt que de reprendre cette divergence de sens, qu’on voit déjà dans la jurisprudence, et qui établit des normes différentes en anglais et en français?

Mme Campbell : Il y a eu une discussion intéressante sur ce point aujourd’hui, que je vais transmettre à mes collègues. Je ne sais pas si vous connaissez le processus de rédaction juridique. Un rédacteur anglophone et un rédacteur francophone travaillent conjointement avec les conseillers politiques et les avocats, au besoin. Les avocats donnent des instructions en français et en anglais en même temps, et les rédacteurs rédigent chacun de leur côté en même temps.

En général, tout le monde à la table de travail comprend ce qu’on est en train de rédiger. Pour ma part, je n’étais pas dans la pièce en même temps que les membres du mon personnel, même si j’ai souvent été en contact téléphonique avec eux. Je ne sais pas exactement ce qui s’est produit à ce moment précis, mais je peux vous assurer que nous prenons la concordance française-anglaise très au sérieux, et je vais donc certainement en parler à mes collègues. Peut-être aurons-nous l’occasion de revenir à ce libellé.

Le sénateur Baker : Le juge Lamer a rendu une décision en 1987 dans l’affaire R. c. Collins entendue devant la Cour suprême du Canada. Les deux versions ont deux sens différents, et pourtant, elles existent toujours. C’est une question qui soulève un débat, selon votre province d’origine et la Cour d’appel qui rend la décision. Merci de votre réponse.

Mme Campbell : De rien. Je vous dirais que les rédacteurs juridiques sont très compétents. L’équipe qui a travaillé sur ce projet de loi est exceptionnellement compétente. Je vais lui poser la question, même si c’est juste par curiosité.

Le président : Nous avons une dernière question rapide du sénateur Carignan.

[Français]

Le sénateur Carignan : Ma première question touche le fardeau de la preuve. À l’article 4,1, on dit : « Lorsqu'elle est convaincue ». Quel est le fardeau? Parle-t-on de « balance des probabilités », de « hors de tout doute »?

Également, au deuxième paragraphe de l’article 4,1, on dit que le demandeur a le fardeau de convaincre la commission que la réhabilitation lui apporterait un bénéfice mesurable et soutiendrait sa réadaptation en tant que citoyen respectueux des lois, mais il ne traite pas du critère de déconsidérer l'administration de la justice.

Donc, il ne semble pas y avoir le fardeau de prouver que son pardon n'aura pas pour effet de déconsidérer l'administration de la justice. C'est comme si cette partie du critère était laissée à l'appréciation sans qu'il y ait un fardeau pour le requérant de prouver qu'il ne déconsidère pas l'administration de la justice. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi cette partie n’a pas été incluse?

[Traduction]

M. Shuttle : En vertu de l’article 4.1(2), le demandeur a le fardeau de convaincre la commission de deux choses qui lui sont connues personnellement, à savoir que la réhabilitation va lui apporter un avantage mesurable et soutenir sa réinsertion. Comme l’a dit le ministre ce matin, ce sont des choses connues par le demandeur. Vous avez raison de dire que le troisième critère n’incombe pas aux demandeurs. C’est plutôt une question polycentrique et polyvalente qui n’est peut-être pas de la seule connaissance du demandeur. Nous avons reçu des commentaires au sujet de la norme de la personne raisonnable. Le gouvernement n’a pas cru bon d’imposer le fardeau de la preuve à cet égard au demandeur ou d’obliger le demandeur de faire des observations sur les incidences sur le système. Ce que je dis, en gros, c’est qu’il y a une différence entre les deux premiers critères et le troisième, ce qui explique le choix qui a été fait.

Pour ce qui est de la première partie de votre question, le projet de loi est clair. En anglais, il prévoit que la commission doit être « satisfied », alors que la version française utilise le mot « convaincue ». Ces deux mots veulent dire la même chose. En général, c’est la norme civile qui est requise pour convaincre la commission, et non pas la norme criminelle.

[Français]

Sénateur Carignan : Être convaincu, c’est donc n’avoir aucun doute. C’est « balance des probabilités ».

[Traduction]

La présidente : Merci beaucoup à vous tous. Cela nous aide grandement d’entendre vos témoignages. Votre expertise éclaire nos réflexions, et nous vous en sommes reconnaissants.

Sénateurs, nous allons nous réunir dans cette pièce demain à 12 h 30 pour l’étude article par article du projet de loi S-6, suivie par l’étude article par article du projet de loi C-23A.

(La séance est a levée.)


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