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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES SOCIALES, DES SCIENCES ET DE LA TECHNOLOGIE

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 17 octobre 2012

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd’hui à 16 h 15 pour faire une étude sur les produits pharmaceutiques sur ordonnance au Canada (sujet : surveillance après approbation).

Le sénateur Kelvin Kenneth Ogilvie (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Honorables sénateurs, la séance est ouverte.

[Français]

Je vous souhaite la bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.

[Traduction]

Je m’appelle Kelvin Ogilvie. Je préside le comité et je suis un sénateur de la Nouvelle-Écosse. J’invite mes collègues à se présenter. Commençons à ma gauche.

Le sénateur Eggleton : Art Eggleton, sénateur de Toronto. Je suis vice-président du comité.

Le sénateur Cordy : Jane Cordy, sénateur de la Nouvelle-Écosse. Je vous souhaite la bienvenue.

[Français]

Le sénateur Verner : Je suis le sénateur Josée Verner du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Enverga : Tobias Enverga, sénateur de Toronto, en Ontario.

Le sénateur Seth : Je m’appelle Asha Seth, et je viens de Toronto, en Ontario.

Le sénateur Seidman : Judith Seidman, de Montréal, au Québec.

Le sénateur Dyck : Lillian Dyck.

Le président : Je rappelle aux sénateurs que nous avons deux séances aujourd’hui, dont la première se terminera à 17 h 15 et la deuxième à 18 h 15.

Je tiens à rappeler également que nous examinons, dans le cadre de notre étude des produits pharmaceutiques, la surveillance après l’approbation. Le premier groupe est formé de deux témoins, soit le Dr Alain Beaudet, président des Instituts de recherche en santé du Canada, et le Dr Robert Peterson, directeur exécutif du Réseau sur l'innocuité et l'efficacité des médicaments. Bienvenue à vous deux.

Je vais maintenant céder la parole au Dr Beaudet. Allez-y dès que vous êtes prêt.

Dr Alain Beaudet, président, directeur exécutif, Instituts de recherche en santé du Canada : Merci, monsieur le président.

Honorables sénateurs, je vous remercie de me donner l'occasion de m'adresser à vous pour discuter de la surveillance postcommercialisation des produits pharmaceutiques. Je partagerai la tribune aujourd'hui avec le Dr Bob Peterson, directeur général du Réseau sur l'innocuité et l'efficacité des médicaments des Instituts de recherche en santé du Canada ou IRSC.

Sénateurs, les Canadiens veulent avoir l’assurance qu'ils reçoivent le diagnostic, le traitement et l'ordonnance qui correspond à leurs besoins en matière de soins de santé. Pour garantir que c'est bien le cas, de nombreux projets de recherche sont entrepris chaque année au Canada pour évaluer les nouveaux médicaments et déterminer comment les Canadiens utilisent les médicaments approuvés et y réagissent.

Bien que nous ayons connu de grandes réussites dans le domaine de la surveillance postcommercialisation, nous devons nous rendre à l'évidence : nous pouvons en faire plus.

Comme vous le savez, selon le patient, les médicaments peuvent avoir des effets imprévisibles, non intentionnels ou indésirables. En plus de causer préjudice au patient, cette situation représente un fardeau financier important pour notre système de soins de santé. Par exemple, selon une étude récente de l'Institute of Medicine des États-Unis, environ 750 milliards de dollars ont été gaspillés dans le système de soins de santé américain, dont 55 milliards dépensés pour soulager les effets non intentionnels et indésirables des médicaments.

Enfin, mentionnons la question du mauvais usage des médicaments. Les événements récents liés à l'Oxycontin illustrent parfaitement cette question. Comme vous le savez sans doute, l'Oxycontin est un narcotique utilisé comme analgésique pour le traitement à court et à long terme de la douleur d'intensité moyenne à élevée; il produit un effet opioïde semblable à celui de la morphine. Les médias ont mis en évidence divers cas de collectivités au Canada aux prises avec des problèmes liés aux pratiques de prescription de l'Oxycontin et à sa consommation abusive.

Les IRSC se consacrent non seulement à appuyer la recherche qui détermine l'efficacité et la rentabilité des médicaments, mais aussi la recherche qui maximise la sécurité des patients et du public en fournissant rapidement des données pertinentes sur les risques. Voilà pourquoi nous avons créé le Réseau sur l'innocuité et l'efficacité des médicaments, dont le Dr Peterson vous parlera dans un moment.

C'est aussi pour cette raison que, dans le cadre de la Stratégie de recherche axée sur le patient, nous sommes déterminés à mieux appuyer la recherche sur l'efficacité comparée des médicaments, qui évalue non seulement les nouveaux médicaments, mais aussi l'efficacité pratique et la rentabilité des médicaments déjà sur le marché. Et c'est aussi pourquoi nous appuyons les travaux sur le mauvais usage des médicaments et la toxicomanie. Par exemple, soulignons les travaux du Dr Benedikt Fischer, de l'Université Simon Fraser, sur les liens entre l'usage à des fins non médicales des opioïdes sur ordonnance, la santé mentale et la douleur.

[Français]

Notre but ne se limite pas à la production de connaissances. Nous visons également à travailler en étroite collaboration avec des décideurs et des représentants gouvernementaux de secteurs clés, et d'autres intervenants des domaines et organismes professionnels concernés, pour faire en sorte que les résultats de la recherche soient systématiquement disséminés, puis intégrés dans les politiques, les programmes et les pratiques des domaines pertinents.

[Traduction]

Durant tout le processus, les IRSC s'engagent résolument envers l'éthique de la recherche avec des êtres humains. Pour être admissibles à recevoir et à administrer des fonds de recherche d'un des trois organismes de financement fédéraux, les récipiendaires doivent accepter de se conformer à l'Énoncé de politique des trois conseils sur l'éthique de la recherche avec des êtres humains.

[Français]

Monsieur le président, les IRSC s'engagent à collaborer avec les provinces, leurs partenaires des universités et les centres hospitaliers universitaires canadiens, les professionnels de la santé, les décideurs du système de santé et de l'industrie pour élaborer une vision et des processus communs permettant à la fois de créer des connaissances et de les mettre au service des meilleurs soins aux patients, tout en s'assurant que le système de soins de santé canadien devienne plus efficace.

[Traduction]

Je crois que, grâce à des initiatives comme le Réseau sur l'innocuité et l'efficacité des médicaments, ainsi qu'à des mesures de protection rigoureuses comme l'Enoncé de politique des trois conseils et les politiques connexes sur la recherche, nous sommes en mesure d'y parvenir.

Je cède maintenant la parole au Dr Peterson, qui traitera des activités du RIEM.

Dr Robert Peterson, directeur exécutif, Réseau sur l’innocuité et l’efficacité des médicaments, Instituts de recherche en santé du Canada : Honorables sénateurs, beaucoup d'entre vous connaissent déjà le mandat du Réseau sur l'innocuité et l'efficacité des médicaments, ou RIEM, des IRSC. Permettez-moi tout de même de vous rappeler ses grands objectifs. La mise sur pied du RIEM a été annoncée en 2009, dans le but de recueillir des données pour orienter les décisions politiques en matière de médicaments au Canada, tant à l'échelle fédérale que provinciale. Plus précisément, le RIEM donne suite aux requêtes des gestionnaires des régimes publics d'assurance-médicaments, des responsables des politiques ou de la réglementation, et des évaluateurs des technologies de la santé afin d'accroître les données sur l'innocuité et l'efficacité postcommercialisation des médicaments au Canada.

Le RIEM comble un grand vide, notamment en ce qui concerne l'évaluation des avantages et des risques comparatifs des médicaments approuvés pour la vente sur le marché canadien des soins de santé. Si les IRSC comptent le RIEM parmi leurs initiatives stratégiques, c'est qu'ils sont conscients des limites du cadre réglementaire international, qui ne permet pas d'obtenir des données complètes sur les avantages et les risques des nouveaux médicaments.

Bien qu'ils respectent les exigences réglementaires, de nombreux essais cliniques ne sont pas généralisables à la population canadienne, qui se verra prescrire les médicaments étudiés. Il est donc important de recueillir davantage de données sur les avantages et les risques de ces médicaments dans le monde réel. Le risque est un concept qui s'applique non seulement aux effets indésirables que peuvent avoir les nouveaux médicaments, mais également à la possibilité qu'ils ne procurent pas les avantages prévus lorsqu'ils seront utilisés par des populations de patients non étudiées dans le cadre des essais cliniques précommercialisation.

Le RIEM finance et coordonne les travaux des plus grands experts de la recherche du Canada afin de trouver des réponses fondées aux requêtes soumises par les décideurs grâce à la recherche indépendante jugée par les pairs. Cette initiative vient donc compléter les exigences de Santé Canada en matière de mise à l'essai précommercialisation rigoureuse des nouveaux médicaments, en permettant d'étudier comment la population réagit à long terme aux médicaments approuvés dans le « monde réel » des soins de santé au Canada, sans les restrictions imposées par les essais cliniques randomisés.

Je voudrais souligner que ce processus est totalement indépendant de l'industrie pharmaceutique. Permettez-moi également de vous faire remarquer que ni les IRSC ni le RIEM n'exercent de responsabilités en matière de réglementation : les données produites par le RIEM sont transmises dans les meilleurs délais aux responsables fédéraux de la réglementation pour qu’ils puissent prendre des décisions.

Par ailleurs, le RIEM remplit son mandat en finançant des projets de recherche visant à recueillir les données nécessaires pour que les gestionnaires des régimes d'assurance-médicaments aux échelons fédéral et provincial puissent prendre de meilleures décisions. Souvent, la recherche financée par les IRSC ou le RIEM constitue une source importante de données pour les analyses pharmacoéconomiques, qui contribuent à l'évaluation de la proposition de valeur des médicaments sur le marché, sur laquelle se fondent les décisions sur le remboursement.

En ce moment, le RIEM finance sept équipes de recherche dans trois centres de collaboration. Ce réseau de chercheurs canadiens et étrangers rassemble plus de 150 chercheurs dans huit provinces. Ensemble, ils confèrent au RIEM sa capacité de recherche.

Un comité directeur national aide le RIEM à établir la priorité des projets de recherche, dont le financement actuel s'élève à approximativement 25 millions de dollars.

Depuis l'annonce officielle de sa création il y a trois ans, le Réseau sur l'innocuité et l'efficacité des médicaments a réalisé des progrès importants. Toutes ses composantes organisationnelles sont en place et opérationnelles, la recherche sur les sujets prioritaires est bien entamée, des relations solides ont été établies avec Santé Canada et d'autres relations sont en développement avec les décideurs provinciaux et territoriaux.

Le RIEM a établi des partenariats avec ses homologues aux États-Unis et en Europe, et il envisage également une expansion à l'échelle internationale afin d'accroître l'impact de ses études.

Honorables sénateurs, comme le RIEM évalue à la fois les avantages et les risques des médicaments, son rôle ne se limite pas au concept plus précis de « pharmacovigilance » dont les autres participants vous ont tant parlé. Le programme du RIEM des IRSC permet l'évaluation équilibrée de la valeur comparative des médicaments commercialisés, en ce qui concerne non seulement les risques associés à leur utilisation dans le monde réel, mais aussi la production de données servant à en déterminer la valeur économique, un facteur essentiel pour assurer la viabilité du système de santé canadien.

Le sénateur Eggleton : Merci, messieurs. J’essaie de voir clair dans ce que vous faites, par opposition à ce que fait le ministère chargé de la réglementation, Santé Canada. En ce qui concerne la surveillance après approbation, Santé Canada a MedEffet Canada, à l’intérieur duquel on retrouve le Programme CanadaVigilance. Quant à vous, vous avez ce RIEM ainsi qu’une entité secondaire qui en relève, le Réseau canadien pour l’étude observationnelle des médicaments. Toutes ces entités prêtent à confusion, et on se demande comment elles peuvent collaborer à la surveillance après approbation.

Je comprends que Santé Canada se charge de la réglementation alors que vous ne le faites pas. Mais évidemment, vous essayez de rendre les médicaments plus sûrs pour les patients et d’avoir des médicaments plus efficaces. D’un côté comme de l’autre, on assure une surveillance. Utilisez-vous les mêmes renseignements des déclarations de réactions indésirables. En quoi ce que vous faites est-il différent? Comment les travaux de chacun s’harmonisent-ils?

Dr Peterson : Je vais essayer d’être bref, sénateur Eggleton. Comme vous le dites, l’organisme de réglementation exerce l’autorité à l’égard des médicaments mis sur le marché au Canada. Il décide quand les médicaments peuvent aller sur le marché, s’ils peuvent y rester et s’il faut en modifier la licence pour les autoriser sur le marché canadien.

Nous ne nous occupons pas de l’exploitation d’un système de déclaration des effets indésirables des médicaments. C’est l’organisme fédéral de réglementation qui s’en charge. Souvent, les responsables se fondent sur les renseignements qu’ils reçoivent dans ce cadre et ils peuvent déceler des signaux. Ce sont des problèmes qui les préoccupent, mais pour lesquels il est très difficile et problématique de produire des décisions fondées sur des faits, à partir de déclarations sur les effets indésirables puisque les déclarations sont volontaires et de caractère souvent anecdotique, concernant un patient donné.

Ce qu’ils font, par conséquent, c’est se tourner vers diverses sources d’information à l’étranger pour leur poser une question précise qui a surgi à cause d’un signal donné. Au Canada, ils se tournent vers le Réseau sur l’innocuité et l’efficacité des médicaments. Ils nous demandent si nous pouvons trouver, à partir de l’utilisation du produit au Canada pendant une période donnée, des faits qui confirment le signal provenant des études d’observation dont vous avez parlé. Le RCEOEM est l’une des sept équipes que nous finançons en ce moment. Nous avons six équipes qui emploient des méthodologies différentes et auxquelles nous pouvons faire appel pour répondre à ces questions. Toutefois, elles n’ont pas recours à des essais cliniques randomisés. Nous n’en sommes pas là pour l’instant.

Nous allons toutefois fixer notre attention sur l’expérience qu’on a eue du médicament dans les provinces canadiennes en formulant une question pour la recherche, s’il s’agit en fait d’une recherche dans les dossiers administratifs liés en matière de santé. Nous allons prendre la question qui vient des responsables de la réglementation. Nous allons assurer une interface entre les chercheurs et les responsables de la réglementation afin de préciser la question, pour qu’on puisse s’y attaquer dans le milieu de la recherche.

Ensuite, la question est traduite en une demande qui est examinée par les pairs de la façon habituelle dans les IRSC. Ainsi, l’autorité derrière les recherches effectuées par suite de ces questions est recueillie dans le cadre du processus des IRSC.

S’il s’agit d’une étude observationnelle, nous élaborons une question définie de façon centrale pour la base de données répartie. Nous établissons une requête en statistique créée de façon centrale. Cela est envoyé aux provinces et aux autres détenteurs des données. La recherche porte là-dessus. Les résultats nous reviennent. Les provinces en prennent connaissance avant qu’ils ne soient centralisés. Nous prenons alors ces résultats tous ensemble. Nous considérons les données de huit provinces au Canada, plus une importante base de données au Royaume-Uni et plusieurs bases de données américaines sur les soins gérés. Nous les interrogeons séparément et réunissons toute l’information, et cela constitue la base d’une réponse qui fait passablement autorité au signal qui a été observé dans le champ d’action de l’organisme de réglementation.

Le sénateur Eggleton : Est-ce que tout ce travail se rapporte à ce que l’organisme de réglementation, Santé Canada, tente de trouver? S’il reçoit des déclarations de réactions indésirables, est-ce qu’il s’adresse à vous pour vous demander de faire des recherches plus poussées? Comment cela fonctionne-t-il? Travaillez-vous à sa demande?

Dr Peterson : Oui.

Le sénateur Eggleton : Lui faites-vous rapport ensuite?

Dr Peterson : Tout à fait exact. Nous avons créé la base pour le financement de ce programme de façon à permettre d’être très attentifs aux besoins des décideurs. L’organisme fédéral de réglementation pose souvent des questions dans le domaine de la sécurité des médicaments. Des provinces, nous recevons des questions sur la sécurité et sur l’efficacité comparée des médicaments. Il ne s’agit pas, cependant, de projets de recherche subventionnés indépendants lancés par des chercheurs. Le travail se fait entièrement pour répondre aux questions posées par les responsables de la réglementation à partir de ce qui les préoccupe, et tout dépend de la méthode que nous pouvons utiliser. Parfois, il existe dans la littérature un important corpus où nous pouvons puiser. Nous utilisons des méthodes statistiques plutôt poussées pour rassembler des études diverses, comparer des médicaments directement et indirectement, de façon à pouvoir répondre aux questions.

Les différentes méthodes que nous utilisons comportent des délais variables. Nous répondons aux responsables de la réglementation en fonction de leurs délais. S’il leur faut une réponse rapide, nous tâcherons de la trouver probablement en six mois.

Le sénateur Eaton : Je reprends là où le sénateur Eggleton a laissé. Docteur Peterson, vous avez parlé de l’expérience de l’utilisation du médicament et des recherches. Dans vos requêtes, tenez-vous compte de l’état psychotique ou psychologique de la personne, de son poids, de son âge, de certaines caractéristiques? J’imagine qu’un médicament agit différemment chez chaque patient. Il ne s’agit pas ici d’une mauvaise utilisation. Il est question simplement de l’âge, du poids et des autres médicaments qu’un patient peut prendre au même moment. Est-ce que tout cela est pris en compte dans vos requêtes?

Dr Peterson : Pour l’essentiel, oui. Cela fait partie de l’interface entre la source de la requête, le décideur et le chercheur. Pour formuler la question sous l’angle de la recherche, nous faisons exactement ce que vous dites. Nous trouvons une définition du type de patient à propos duquel nous nous proposons de poser la question. Il se peut effectivement qu’il y ait des fourchettes d’âge qui définiront des catégories et des fourchettes de poids, si cela convient, compte tenu de la question posée. Toutefois, tout cela se traduit dans des termes qui permettent de poser la question en tenant compte des données.

Il y a des limites à nos données en ce qui concerne les résultats en matière de santé, par exemple. Ce ne sont pas toutes les bases de données auxquelles nous avons accès qui contiennent des résultats sur les recherches en laboratoire. Nous pouvons savoir qu’une personne a fait l’objet de tests portant sur un facteur important lorsqu’elle prenait le médicament, mais il se peut que nous ne connaissions pas la réponse si nous nous servons simplement des études observationnelles qui se trouvent dans les bases de données. Par conséquent, nous pouvons peut-être donner une réponse préliminaire, après quoi nous aurons recours à une deuxième méthode pour franchir une étape de plus.

Le sénateur Eaton : J’ai eu une expérience personnelle, l’été dernier. J’ai une hernie discale, et on m’a donné un médicament, le Lyrica. Mon médecin me l’a prescrit à ma demande. Un voisin m’en avait parlé. Personne d’autre ne semblait capable de me donner un médicament. Au bout de quatre ou cinq jours, je faisais des chutes. J’allais renouveler mon ordonnance parce que je partais en voyage. J’ai dit à la pharmacienne — cela va nous mener quelque part — que je songeais à réduire la posologie. Elle m’a répondu : « Non. Depuis combien de temps le prenez-vous? » Puis, elle a d’abord expliqué les effets secondaires et m’a dit ensuite qu’il s’agissait d’un neurotransmetteur et qu’il devait s’accumuler dans mon organisme, que je devais le prendre pendant trois semaines avant qu’il ne fasse vraiment effet.

Dans vos recherches, entretenez-vous de bonnes relations avec les pharmaciens? À mon sens, ce sont eux qui sont en première ligne. Ils distribuent les médicaments, et ils peuvent dire, selon le médicament que prend quelqu’un d’autre et selon l’âge du client, si tel produit convient. Ils sont mieux placés que le médecin. Faites-vous quelques fois appel à eux pour vos questions et vos recherches? Ils sont en première ligne, davantage que les médecins, à certains égards.

Dr Peterson : Vous faites preuve d’une grande perspicacité en remarquant que les effets indésirables aux médicaments sont déclarés par des pharmaciens qui ont des interactions en première ligne avec les patients, et en disant que vous avez communiqué cette information à votre pharmacienne plutôt qu’à votre médecin parce que l’occasion était plus facile à saisir.

Le sénateur Eaton : Elle est accessible. On entre à la pharmacie, et on la voit.

Dr Peterson : Cela donne le niveau d’activité que nous remarquons chez les pharmaciens, qui signalent des effets indésirables des médicaments. Ils sont probablement plus près de la source des signaux que nous ne le sommes pour l’instant.

Je peux vous dire que, pour répondre à l’une des questions que nous nous posons maintenant, celle des effets et des avantages et inconvénients comparés des thérapies de sevrage du tabac, nous avons accordé une subvention pour des programmes communautaires de pharmacie qui permettent de recueillir exactement le type d’information auquel vous songez. Nous avons constaté que nous ne pouvions l’obtenir d’aucune autre manière. Nous avons eu recours à ce moyen.

Le président : Docteur Beaudet, vous avez quelque chose à ajouter?

Dr Beaudet : Premièrement, votre question sur les divers degrés de réceptivité aux médicaments selon l’âge, le sexe et le bagage génétique est absolument fondamentale. Voilà pourquoi nous investissons tant d’argent en ce moment dans ce qu’on appelle la médecine personnalisée.

L’un des objectifs de la médecine personnalisée est de déterminer, par le bagage génétique du patient d’abord, s’il répondra ou non au médicament. Si le récepteur d’un médicament est absent, à quoi bon l’administrer? Le médicament n’aurait que des effets secondaires.

Les mêmes mécanismes nous permettent de savoir si certains patients seront plus portés à avoir des effets secondaires, auquel cas nous saurions qu’il ne faut pas leur administrer un médicament donné.

D’après nous, l’avantage de la médecine personnalisée est que, à l’avenir, nous pourrons cibler les traitements vers les patients qui y réagiront en ayant le minimum d’effets secondaires, et que nous ne traiterons pas les patients qui ne réagiront pas au traitement ou seront portés à avoir des effets secondaires. Cela est vraiment important dans la conception des médicaments et dans celle des essais aussi, car lorsque nous choisirons des gens pour des essais cliniques, nous pourrons les réunir en groupes qui seront plus susceptibles de répondre au traitement. Nous pourrons donc nous contenter d’un échantillon de patients plus modeste. Et nous éviterons d’infliger des effets secondaires à des patients qui ne répondraient pas favorablement au médicament.

Le président : Nous en revenons aux essais cliniques, mais nous voulons nous en tenir ici à la surveillance postcommercialisation. Je vais passer au sénateur Cordy et reviendrai à vous au deuxième tour. Nous allons manquer de temps.

Je dirai aux témoins que, lorsqu’il sera clair que nous allons manquer de temps, je vais faire poser les questions qui restent et vous demander d’avoir l’obligeance d’y répondre par écrit. La greffière vous remettra un résumé détaillé de la question qui a été posée.

Le sénateur Cordy : Je voudrais savoir comment fonctionne tout ce processus.

Une fois l’approbation accordée, nous voulons exercer une surveillance. Faites-vous simplement une recherche sur tous les médicaments qui ont été approuvés ou faites-vous un choix entre les médicaments que vous surveillerez et ceux que vous laisserez de côté? Travaillez-vous avec les sociétés pharmaceutiques? Si vos recherches révèlent quelque chose d’inquiétant, passez-vous le dossier aux IRSC ou avez-vous une démarche à suivre? Que faites-vous au juste lorsque vous avez un sujet de préoccupation?

Dr Beaudet : Soit dit en passant, le témoin travaille pour les IRSC.

Le sénateur Cordy : Oui, mais c’est un service particulier des IRSC. Merci. Vous faites bien de signaler ce point.

Dr Peterson : Merci de cette occasion de préciser un certain nombre de points.

Pour commencer, le programme du RIEM ne vise pas à surveiller les drogues, à proprement parler. Ce programme n’a pas un caractère global. La surveillance relève de l’organisme de réglementation. Il contrôle l’innocuité grâce à ses programmes de pharmacovigilance et à d’autres exigences faites aux fabricants, pour chaque médicament dont la commercialisation a été autorisée au Canada.

Ce que nous faisons, c’est écouter les questions et les problèmes qu’ont les responsables de la réglementation, et c’est là-dessus que portent nos efforts. Il ne s’agit pas d’une surveillance générale de tous les médicaments sur le marché. Nous répondons aux questions qui ont été soulevées.

Je ne veux pas dire par là que le nombre des médicaments examinés est faible. En ce moment, nous avons plus d’une cinquantaine de programmes de recherche pour répondre à des questions qui ont surgi au niveau des décideurs fédéraux ou provinciaux. Souvent, il s’agit de questions de sécurité à propos d’un médicament particulier. Plus fréquemment, dans notre milieu de recherche, nous examinons les préjudices comparés que peut occasionner une catégorie de médicaments, qu’il s’agisse du Lyrica ou d’un autre des médicaments qui peuvent servir dans ce contexte. Nous examinons leurs avantages et inconvénients comparés, et nous tentons de le faire simultanément.

Il n’y a probablement pour l’instant aucun médicament d’ordonnance qui soit sûr sur le marché canadien ou sur quelque autre marché. S’il doit y avoir une personne qui prescrit le médicament et une autre qui le distribue, comme intermédiaires entre le médicament et le patient, c’est à cause de ces questions de sécurité et du tort que le médicament peut causer.

Pour en revenir à ce que le Dr Beaudet faisait remarquer, tous les médicaments ne sont pas utiles à tout le monde. En fait, nous remarquons qu’il faut administrer un médicament à un grand nombre de patients avant d’obtenir un bon résultat en matière de santé. Grâce à la pharmacogénomique, le programme de médecine personnalisée, nous voudrions qu’un seul patient soit traité avec le médicament : avec un médicament administré à un seul patient, nous pouvons compter sur le fait qu’il y aura un avantage. Nous espérons que notre programme personnalisé nous permettra d’en arriver là.

Nous voyons aujourd’hui des médicaments dont la commercialisation est approuvée et qu’il faut administrer à plus de 50 personnes pour obtenir un bon résultat en matière de santé. Cela veut dire que 49 fois sur 50, le médicament ne sert à rien. Cela ne se remarquera pas forcément dans les essais avant la mise sur le marché. Il se peut qu’on ne puisse pas définir ces patients. Dans la mesure où nous pouvons consulter les dossiers médicaux pour voir les résultats du médicament dans la population en général, nous pouvons maintenant commencer à nous intéresser un peu plus à cette mesure.

Le sénateur Cordy : Vous avez parlé tout à l’heure des limites de l’environnement réglementaire international. Je présume que vous travaillez avec des organismes étrangers.

Dr Peterson : Oui. Nous avons établi des relations de travail avec des organismes étrangers. Vous constaterez que, tout comme nous avons été financés pour que nous soyons très réceptifs, en matière de surveillance postcommercialisation, envers l’organisme fédéral de réglementation et les provinces canadiennes, nos homologues d’autres pays sont également responsables envers leurs autorités nationales ou locales. Nous sommes donc en mesure de mettre des renseignements en commun. Nous pouvons donner accès à l’information qui devient disponible pour nous.

Le sénateur Cordy : Des témoins qui ont comparu devant le comité s’inquiètent du fait que, si un médicament fait l’objet d’un examen, ils n’ont pas d’information à son sujet. Nous nous tournons vers l’information disponible à l’étranger. Comme le sénateur Eaton, je vais prendre l’exemple d’un médicament. La procédure a été accélérée pour le Tysabri. Nous savons qu’il cause une infection cérébrale fatale. Jusqu’en septembre dernier, il y a eu 285 cas de LEMP dans le monde entier, et 62 personnes sont mortes. Pourtant, le médicament est fréquemment prescrit aux patients atteints de sclérose en plaques.

Le médicament fait l’objet d’un examen, et les patients atteints de sclérose en plaques se demandent s’ils doivent le prendre. Il arrive que, à considérer les effets secondaires d’un médicament, on se demande si on a vraiment envie de le prendre. C’est un choix à faire en considérant les risques et les bienfaits.

Si la procédure a été accélérée, on se dit plus ou moins que ça doit aller. Quelle information peut-on obtenir si un médicament fait l’objet d’un examen? Si on apprend qu’un médicament fait l’objet d’un examen et qu’on s’inquiète, faut-il continuer à le prendre? Cela doit certainement ajouter un risque dans l’équation.

Dr Peterson : Oui. Là encore, il faut apporter une précision. Les médicaments que l’organisme fédéral de réglementation soumet à un examen, cela ne se rattache pas au domaine dont il est question aujourd’hui. Les échanges entre l’organisme fédéral et le fabricant du médicament au sujet du contenu de l’étiquette, du maintien sur le marché, de la suspension ou non du médicament, cela ne se situe pas dans notre champ de travail. Si l’organisme de réglementation a une question à poser au sujet des cas de LEMP attribuables à ce médicament en particulier, du virus responsable de cette maladie, alors nous intervenons.

Si nous considérons ce qui se passe au Canada, comme vous l’avez dit, il faut reconnaître que les incidents sont plutôt rares. Compte tenu de la taille de notre population, il ne peut pas y avoir de nombreux cas. Soit dit en passant, il se trouve que c’est un risque connu du médicament. Sans outrepasser mon mandat aux IRSC, je dirai que l’organisme de réglementation doit veiller à ce que l’étiquette du produit, l’information mise à la disposition de ceux qui prescrivent le médicament et de ceux qui le prennent, soient le plus à jour possible. Toutefois, si une question était adressée au RIEM, nous soumettrions le dossier à notre processus de priorisation sans en parler publiquement. Au moment où nous lancerions les recherches à ce sujet, nous fournirions de l’information sur notre site Web dans la mesure où c’est la question qui nous est posée et où nous tentons d’y répondre en accordant une subvention de recherche. Voilà comment les choses se déroulent; c’est la méthodologie que nous appliquons. Lorsque les résultats nous sont communiqués, il y a une obligation de publication.

Le sénateur Seidman : Je voudrais vous poser des questions au sujet de la version d’avril 2012 du cadre de gestion du Réseau sur l’innocuité et l’efficacité des médicaments. Comme vous y avez fait allusion dans votre exposé, vous y définissez clairement les parties qui peuvent soumettre une requête au RIEM.

J’ai des questions à vous poser à ce sujet. Vous dites ici que l’organisme fédéral de réglementation, les régimes FPT d’assurance-médicaments et les organismes mandatés pour aider à la décision des autorités fédérales, provinciales et territoriales face aux remboursements des médicaments peuvent tous présenter des requêtes au RIEM, ce qui, dès le départ, est le principal signal. Vous dites toutefois que les « intervenants ne pouvant pour le moment présenter directement une demande au RIEM » — et je vous demanderai d’expliquer cela — sont « les organismes de santé bénévoles, les entreprises à but lucratif, les praticiens individuels, les pharmacies communautaires et le public », c’est-à-dire les patients et les groupes de consommateurs.

Ce sont les groupes qui, pour le moment, ne peuvent présenter une requête. Pourriez-vous en parler?

Dr Peterson : Oui. Je suis déçu que nous ne puissions pas accepter les requêtes de nombreuses personnes qui ont besoin de faits pour prendre des décisions. Pour des raisons d’ordre économique et parce que nos capacités sont limitées, nous avons ciblé pour l’instant, au début du programme, des décideurs de niveau relativement élevé, mais je reconnais que, à un moment donné, je me retrouverai au côté du vérificateur général du Canada à expliquer pourquoi une valeur de 32 millions de dollars a été tirée de ce programme pour la population canadienne. Par conséquent, nous avons voulu avoir la certitude que, au début du programme, nous examinions des problèmes qui sont au premier plan des préoccupations des décideurs de haut niveau.

Cela dit, les questions soumises au programme de Santé Canada qui porte sur les effets indésirables des médicaments viennent du public également. Un portail permet de soumettre des questions. Les pharmacies exercent une influence par l’entremise de l’Association des pharmaciens du Canada. À l’occasion d’une autre étude que vous avez réalisée, j’ai pris place ici au côté du président de cette association, avec laquelle nous avons des contacts. Il existe donc une volonté ferme de ne perdre de vue aucune question qui soit suffisamment importante et pertinente pour un segment de la population pour que nous puissions chercher une réponse. En ce moment, nos ressources sont utilisées au maximum, étant donné le nombre de questions qui nous sont adressées.

Nous avons mis sur pied un comité directeur national qui compte des SMA du gouvernement fédéral, de Santé Canada, ainsi que des SMA d’au moins trois provinces canadiennes, des SMA qui sont chargés des programmes d’assurance-médicaments, ainsi qu’un représentant des patients et d’autres personnes, pour nous aider à établir les priorités. Le travail n’est pas facile, car nous recevons un nombre relativement élevé de questions et notre capacité est limitée pour le moment.

Cela dit, je suis enchanté du nombre de questions auxquelles nous avons pu répondre jusqu’à maintenant, et je crois que, si nous faisons bien attention aux gains d’efficacité, nous pourrons faire davantage, mais pas tout de suite. Il faudra un certain temps avant que nous puissions élargir notre champ d’action à ce point. Nous avons malgré tout des documents d’orientation clairs.

Il existe un modèle de présentation des requêtes. On aborde notamment la nature de la question, sa pertinence et aussi les défis à relever pour les décideurs. On leur demande : qu’allez-vous faire des résultats que nous allons pouvoir vous fournir pour que nous puissions cibler nos efforts? Quelle influence cela aura-t-il dans un domaine donné? Un guide accompagne le formulaire. Tout cela est accessible à tous. Par exemple, si vous aviez une question à poser, bien que, pour l’instant, nous ne puissions pas l’accepter directement, eh bien nous avons une belle relation de travail avec le régime d’assurance-médicaments du Québec pour faire en sorte que les questions qui surgissent au niveau local puissent être entendues.

Le sénateur Seidman : Très bien, car vous avez répondu à la deuxième partie de ma question, qui était exactement celle-là : quel genre de relation de travail avez-vous avec les gouvernements et organismes de réglementation régionaux et provinciaux?

Le sénateur Dyck : Merci de vos exposés. Ma question porte sur la pharmacoéconomie. Docteur Beaudet, dans votre exposé, vous avez dit que, aux États-Unis, on avait estimé à 750 milliards de dollars le gaspillage dans le système de santé, dont 55 milliards pour les effets secondaires indésirables et les réactions à risque aux médicaments. Avez-vous des données correspondantes pour le Canada?

Dr Beaudet : Non, pas que je sache.

Le sénateur Dyck : Cela s’inscrit-il dans les recherches que le RIEM peut entreprendre?

Dr Beaudet : Non.

Dr Peterson : Non. Cette question serait plutôt abordée dans les milieux chargés de la politique. Nous nous intéressons beaucoup plus à un produit pharmaceutique donné ou à un groupe de produits : quels en sont les bienfaits, les effets indésirables et comment peut-on les comparer? Les résultats servent à prendre les décisions.

Je me trouve près de ces milieux, et je ne suis au courant d’aucun renseignement faisant autorité à ce sujet-là au Canada. Il ne faut pas perdre de vue le fait que des réactions indésirables accompagnent les bienfaits des médicaments. À peu près tous les médicaments apportent des bienfaits et ont des effets indésirables. Il faut donc prendre soin d’éviter de s’intéresser uniquement à la sécurité ou aux effets indésirables, puisque, indéniablement, les médicaments ont apporté des bienfaits qui ne sont pas nécessairement signalés au même moment.

Le sénateur Dyck : Exact. Dans votre exposé, vous avez dit que les recherches du RIEM peuvent être un apport dans les analyses pharmacoéconomiques, qui contribuent à évaluer les produits pharmaceutiques mis sur le marché, ce qui permet de prendre les décisions sur le remboursement. Qu’est-ce que cela veut dire?

Dr Peterson : Un grand nombre de questions que nous avons reçues des provinces portaient sur des comparaisons. Ces questions sont posées dans l’intérêt des gestionnaires des régimes d’assurance-médicaments qui ont des budgets fixes à respecter et doivent décider si un nouveau médicament doit être ajouté au formulaire provincial et remboursé. Quelle est la valeur de ce médicament par rapport à ceux qui existent sur le marché et qui sont déjà remboursés?

Un bon exemple est celui des nouveaux anticoagulants oraux qui ont été conçus de façon à surmonter un certain nombre de difficultés que présente l’utilisation du Coumadin ou du Warfarin comme anticoagulants. Ces médicaments coûtent plus cher que le vieux Warfarin, bien établi. On nous demande d’examiner trois nouveaux anticoagulants oraux qui sont arrivés sur le marché et de donner des renseignements comparatifs sur les avantages et les inconvénients relatifs de cette catégorie de médicaments par opposition au médicament qui existe déjà sur le marché et coûte peut-être 25 ¢ par jour pour l’ordonnance et peut-être 1,50 $ par jour, si on tient compte de la surveillance et de tout le reste, par opposition aux produits plus chers qui arrivent sur le marché.

Nous allons étudier toutes ces questions en faisant des comparaisons. Il ne faut pas oublier que l’analyse pharmacoéconomique tient compte des problèmes associés aux lésions qui peuvent être provoquées : quels sont les effets indésirables, quels sont les coûts qui y sont associés, quels sont les avantages, comment peut-on prendre une décision qui tient compte de la valeur réelle du produit sur le marché canadien?

Soit dit en passant, cela est devenu le deuxième obstacle pour les sociétés pharmaceutiques qui doivent implanter leur produit sur le marché où d’autres produits sont établis. Le premier obstacle est d’ordre réglementaire. Il faut obtenir la licence ou l’autorisation pour commercialiser le produit. La deuxième difficulté consiste à mettre au point une proposition qui établit la valeur du produit grâce à ses avantages comparatifs qui permettent de convaincre celui qui paie qu’il vaut la peine de payer.

Le président : Voilà qui est intéressant, mais nous nous éloignons de la question de la surveillance, sur laquelle porte notre étude.

Docteur Beaudet, est-ce que votre intervention porte sur la surveillance?

Dr Beaudet : Je veux simplement dire que notre surveillance ne s’exerce pas uniquement au moyen du RIEM. Nous mettons énormément l’accent sur ce réseau. Comme le Dr Peterson l’a signalé, le RIEM ne finance pas d’essais cliniques. Néanmoins, nous finançons des essais cliniques, et certains de ces essais consistent à comparer l’efficacité des produits. Nous faisons exactement ce que le Dr Peterson a dit, c’est-à-dire examiner la nouveauté qui coûte une fortune et la comparer au vieux médicament qui ne coûte que 5 ¢ le cachet, étudier les avantages et les inconvénients grâce à des essais rigoureusement contrôlés des deux produits.

Le sénateur Dyck : Puis-je ajouter une observation? On dit que le fait qu’un médicament ne présente aucun avantage fait aussi partie du risque, et que ce fait sera relevé grâce à votre surveillance. Cela fait partie de l’analyse du risque.

Le président : Cela devient une autre analyse du problème, et elle est très importante, sénateur Dyck. Vous avez tout à fait raison. Nous en avons pris note. Mais pour en arriver là, il faut une surveillance. C’est l’aspect auquel je voudrais revenir, puis nous allons entendre les autres questions qui restent.

Je voudrais en revenir à la question de la surveillance et à la collecte de l’information qui permettra à l’organisme de réglementation d’apporter des modifications à l’étiquette ou d’approuver un médicament. Je comprends que vous n’avez pas le pouvoir de faire cela, et c’est pourquoi la question que je vais vous poser est la suivante : le suivi est-il une bonne idée? Dans l’affirmative, quelle entité devrait s’en occuper?

Je vais étoffer un peu le contexte en disant, docteur Peterson, que, comme vous l’avez dit, une fois qu’un médicament a été approuvé, il est prescrit à l’ensemble de la population. Il rejoint donc des segments de la population qui n’ont pas été identifiés au cours des essais cliniques initiaux, et cette observation est cruciale. Il y a les femmes, les enfants et les femmes enceintes, par exemple.

Une autre chose que vous avez dite me préoccupe un peu. Peut-être pourriez-vous préciser votre réponse. Vous avez dit que les pharmaciens avaient un rôle à jouer. Je n’ai pourtant pas eu l’impression que leurs observations allaient directement à un certain endroit où elles seraient recueillies de façon que l’organisme de réglementation reçoive des données qui lui seraient utiles.

Je comprends que vous avez parlé tous les deux de médecine personnalisée, mais elle n’est possible que lorsqu’on a assez d’information pour connaître les segments de la population et savoir avec lesquels le médicament peut s’utiliser. À moins que vous n’ayez fait des essais cliniques exprès sur un segment, le gros des observations portent sur la population générale, une fois l’approbation accordée, si nous obtenons des renseignements sur la réaction de l’ensemble des patients.

D’après ce que j’ai entendu et lu, le problème se résume au fait que, nettement, il ne s’agit pas d’un processus efficace pour recueillir la réaction des patients pris individuellement, d’abord sous l’angle du rapport avec le médicament, et puis sous l’angle de la transmission de l’information à un endroit où on peut la recueillir et s’en servir.

Voici ma question : quelle est la meilleure organisation pour recueillir ces données? Est-ce que le suivi est un moyen utile de recueillir l’information et de la communiquer à cette organisation? Les pharmaciens doivent communiquer directement avec elle pour faire état de leurs observations. Comme la pandémie de grippe H1N1 a permis de le constater, cela peut être une bonne expérience, très utile, si l’information est mise à la disposition de quelqu’un qui a un pouvoir de décision. Il y a eu cette semaine un reportage au sujet de patients qui utilisent les médias sociaux et d’une situation où les patients peuvent utiliser les médias sociaux, centraliser l’information à un endroit où on peut la recueillir et la trier, et il est évident que cette information est utile.

Mes questions sont les suivantes : quelles entités devraient recueillir les renseignements des pharmaciens, par exemple, à partir des médias sociaux? Faudrait-il exiger des médecins qui prescrivent des médicaments à des patients qui n’étaient pas représentés dans les essais initiaux, comme des enfants et des femmes enceintes, qu’ils prêtent davantage attention au comportement de leurs patients, lorsqu’ils prescrivent un médicament pour des utilisations non prévues sur l’étiquette? Cela fournirait un ensemble de données extrêmement important. Elles seraient communiquées à l’organisme prévu, afin qu’on puisse prendre des décisions sur les modifications qui peuvent s’imposer dans l’étiquette.

Vous n’avez pas le temps de répondre à tout cela. Je laisse ces questions à votre disposition. Je voudrais que quelques autres de mes collègues posent aussi leurs questions, et la période prévue sera terminée. Nous allons entendre les autres questions, mais je voudrais que vous apportiez des réponses ultérieurement.

Le sénateur Enverga : Vous avez dit que vous fournissiez des faits pour appuyer les décisions sur la politique relative aux médicaments. Pourriez-vous nous donner des exemples de vos recherches et de leur influence sur les décisions des pouvoirs fédéraux et provinciaux?

Le président : Si vous pouviez répondre brièvement et donner ensuite une réponse par écrit, cela serait acceptable.

Dr Peterson : Avec plaisir. Comme le programme en est à ses débuts, il y a relativement peu d’exemples de dossiers qui ont été menés jusqu’au bout, le décideur utilisant le résultat des recherches, mais je vous communiquerai ce que je pourrai.

Dans le domaine de la politique de santé, nous nous attaquons aux questions liées à la décision d’inscrire ou non un nouveau médicament au formulaire pour qu’il soit remboursé par le régime public; la recherche sert à prendre cette décision, favorable ou non. La décision ne nous appartient pas. Nous fournissons les faits qui permettent au décideur de considérer objectivement les bienfaits, les inconvénients et la valeur économique du médicament.

Au niveau de l’organisme fédéral de réglementation, lorsqu’on nous adresse des questions, c’est parce que la réponse n’est pas nettement tranchée. Les questions faciles, il y répond lui-même. Il y en a d’autres qui sont auréolées d’incertitude.

Le président : Je vous ai demandé un bref résumé; vous pourrez fournir tous les beaux détails plus tard.

Je veux qu’on pose les questions. Ce sera d’abord le sénateur Eggleton.

Le sénateur Eggleton : Deux de mes questions sont brèves et les témoins pourraient peut-être y répondre tout de suite, mais la troisième nécessitera une réponse écrite.

Le président : S’il vous plaît, posez vos questions. D’autres sénateurs veulent intervenir.

Le sénateur Eggleton : Le gouvernement a présenté en 2008 le projet de loi C-51, qui est resté en plan au Feuilleton à la fin de la 39e législature, en septembre. Ce que vous faites revient-il à remplacer ce projet de loi?

Le président : Si la réponse est un simple oui ou non, d’accord. Sinon, passez à la deuxième question.

Dr Peterson : Non.

Le sénateur Eggleton : Il pourrait donc toujours y avoir un projet de loi.

Dr Peterson : Le projet de loi C-51…

Le président : Poursuivez. Je veux qu’on pose les questions. Je veux qu’on réponde à toutes les questions. Prochaine question, s’il vous plaît.

Le sénateur Eggleton : Les témoins pourront peut-être répondre rapidement à la prochaine question.

Il est important que le public puisse faire confiance à ces processus, et il y a d’ailleurs des fonds publics en jeu. Vous n’êtes rattachés ni à l’organisme de réglementation, ni au gouvernement. L’une des critiques que nous avons entendues ici concerne l’insistance de l’industrie pharmaceutique. Est-ce que cette industrie n’est pas représentée au conseil d’administration des IRSC?

Dr Beaudet : Je ne dirais pas que l’industrie pharmaceutique siège au conseil d’administration des IRSC. Elle y a un représentant, tout comme le secteur des biotechnologies en a un, et il y a un représentant des fournisseurs de soins de santé, et un autre pour…

Le président : Vous pourrez nous procurer une liste des membres de votre conseil.

Messieurs, nous voulons que les sénateurs fassent connaître leurs questions. Toutes les questions et toutes les réponses sont importantes, mais nous n’aurons pas les réponses si les questions ne sont pas posées.

Le sénateur Eggleton : J’en ai une autre. Comment mesurerez-vous la réussite de votre activité, la valeur qu’elle apporte au système? Comment le public en bénéficiera-t-il? Comment ces résultats seront-ils communiqués au public, directement ou par l’entremise du Parlement?

Le sénateur Cordy : Nous avons beaucoup parlé des médicaments qui ont des effets indésirables, mais ne faites-vous pas aussi des recherches sur les pratiques en matière d’ordonnances? Cela rappelle ce que l’un de vous a dit. L’exemple était l’Oxycontin. J’ai entendu parler de gens qui ont eu des ordonnances de 30 tablettes d’Oxycontin d’un seul coup, ce qui semble beaucoup.

Le président : Rattachez cela à la surveillance du nombre d’ordonnances par patient ou autrement, selon ce qui convient.

Dr Beaudet : C’est plus une question de pratique qu’une question de recherche.

Le président : Effectivement, mais il s’agit simplement de connaître votre opinion.

Le sénateur Cordy : Nous nous occupons des pratiques en matière d’ordonnance. Aujourd’hui, nous avons discuté des effets indésirables. Quels autres éléments examinez-vous, et les pratiques en matière d’ordonnance en font-elles partie?

Dr Peterson : Nous allons fournir une réponse.

Le sénateur Eaton : Y a-t-il une catégorie spéciale pour l’évaluation postcommercialisation concernant les patients qui ont des antécédents de problèmes de santé mentale?

Dr Peterson : Ce sera un plaisir de vous donner des exemples de ce que nous faisons dans ce domaine.

Le président : Merci beaucoup à vous tous. Avec un peu d’encouragement, nous avons obtenu toutes les questions. Il est important pour nous d’obtenir des réponses détaillées. Je vous suis reconnaissant d’avoir accepté d’assurer le suivi et de nous fournir ces réponses. La greffière veillera à ce que les questions vous soient communiquées de façon que vous puissiez nous donner des réponses très utiles.

J’invite les prochains témoins à faire leurs exposés selon l’ordre que j’ai sur ma liste, puisque nous n’avons pas discuté avec vous du choix de celui qui s’exprimera en premier.

Monsieur Young, vous d’abord. Je vous en prie.

Terence Young, député d’Oakville et fondateur de Drug Safety Canada : Merci de m’avoir invité aujourd’hui. Il s’agit d’une question qui me tient à cœur. Je travaille à des problèmes comme ceux-là depuis 12 ans, depuis bien avant mon élection comme député. Je crois qu’un certain nombre de choses que j’ai à dire vous intéresseront.

Je vais lire les deux premières pages de mon mémoire, après quoi j’irai aux éléments numérotés, simplement pour lire les titres. Je vais m’en tenir à environ sept minutes, comme le prévoit votre programme.

Au Canada, la surveillance des médicaments sur ordonnance après leur mise sur le marché repose essentiellement sur les grandes pharmaceutiques qui vendent les médicaments : elles doivent veiller à leur propre sécurité. La société dans son ensemble traite ces sociétés avec la plus grande déférence et le plus profond respect, car elles soignent méticuleusement leur image d’excellents citoyens qui créent des emplois et investissent leurs revenus massifs afin de sauver des vies. Ces prétentions et leurs actes échappent à peu très complètement aux remises en question.

La réalité est fort différente. Les grandes pharmaceutiques sont en fait les machines de marketing les plus perfectionnées de l’histoire; elles tirent des milliards de dollars de la vente de produits souvent inefficaces à des dizaines de millions de personnes qui n’en ont pas besoin, ce qui entraîne chaque année des millions d’hospitalisations en Amérique du Nord. Il s’agit même de la quatrième cause de décès en Amérique du Nord.

Les sociétés qui se prétendent vouées à la recherche dépensent en réalité davantage pour l’administration et le marketing que pour la R-D. Il y a notamment des milliards de dollars par année en cadeaux pour les médecins, eux qui sont la porte d’entrée du système médical. Ces cadeaux servent à influencer leurs décisions en matière d’ordonnances et d’achat, pratique qui est illégale dans tous les autres champs d’activité dans le monde civilisé.

Paradoxalement, le contrôle des médicaments sur ordonnance après la mise sur le marché, ce qui semble le moyen le plus important de protéger les patients qui prennent des médicaments sur ordonnance et de faire en sorte qu’ils ne les utilisent que lorsqu’ils sont sans danger, a été complètement faussé par les grandes pharmaceutiques. Ce contrôle fait exactement l’inverse, car il fait en sorte que ni les médecins, ni les patients ne puissent savoir si un médicament est sûr ou non. C’est que le contrôle après la mise sur le marché est laissé avant tout aux grandes pharmaceutiques elles-mêmes. Or, leur objectif premier est de mettre sur le marché des médicaments qui se vendront massivement — soit les médicaments de bien-être et ceux qui traitent des maladies chroniques, qui permettent d’engranger plus d’un milliard de dollars par année — et de les garder sur le marché même si on signale que leur utilisation entraîne un nombre croissant de lésions et de décès. C’est ainsi qu’on a laissé le Vioxx de Merck tuer entre 55 000 et 65 000 patients, victimes d’attaques cardiaques.

Comment avons-nous pu nous égarer à ce point? À la fin des années 1990, le ministère de la Santé, dirigé par Alan Rock, a reçu l’ordre de fermer ses laboratoires d’essais, de s’en remettre aux pharmaceutiques pour vérifier leurs propres médicaments et de « s’associer » à l’industrie pharmaceutique. Comment se portent les patients depuis? Depuis 1997, 27 médicaments dont les grandes pharmaceutiques nous avaient garanti l’innocuité pour nos familles ont été retirés du marché parce qu’ils avaient causé des lésions chez des patients ou les avaient tués. Pour des centaines d’autres médicaments, les étiquettes ont été modifiées à répétition, visiblement pour atténuer les réactions indésirables aux médicaments qui faisaient du tort aux patients ou les tuaient, tandis que les ventes continuaient leur progression.

Quelle est l’ampleur du problème? Tous les médicaments provoquent des réactions indésirables. Pas certains d’entre eux, mais leur totalité. Il s’agit seulement de savoir quelle est la gravité et la fréquence de ces réactions. Tous les médicaments sont toxiques. La seule différence entre médicament et poison, c’est la posologie. Bien des médicaments se caractérisent par ce qu’on appelle un « index thérapeutique étroit », ce qui veut dire que la différence entre la posologie utile au patient et celle qui peut lui nuire est faible.

Les médicaments sur ordonnance sont aujourd’hui au quatrième rang des causes de décès en Amérique du Nord, et 70 p. 100 des décès qu’ils provoquent sont évitables. Depuis que Vanessa Young est décédée, le 19 mars 2000, la situation, loin de s’améliorer, s’est aggravée.

Étant donné que tous les médicaments provoquent des réactions indésirables, la décision de les prescrire doit toujours dépendre de la réponse à une question : les avantages possibles du médicament l’emporteront-ils sur les risques auxquels le patient sera exposé?

Les grandes pharmaceutiques font tout leur possible pour éviter que les médecins et les patients n’aient aucun moyen de répondre correctement à la question ou même d’en saisir l’importance. Elles y parviennent en s’assurant que les médecins n’entendent que les éléments positifs au sujet de leurs médicaments et en dissimulant le nombre réel et la gravité des réactions indésirables; ce sont des pratiques de corruption.

Comment le contrôle des médicaments après l’approbation laisse-t-il tomber les patients et aide-t-il les grandes pharmaceutiques à dissimuler les réactions indésirables? Je vais m’en tenir aux premières lignes.

Les avertissements sont conçus pour être inefficaces. Les étiquettes des médicaments sont rarement lues par les médecins, et tous les intéressés le savent. Les étiquettes sont rédigées de façon que les médecins n’aient aucun moyen de savoir si un médicament est assez sûr ou non pour le prescrire. Elles sont rédigées par des juristes pour des juristes. Si la société se retrouve devant les tribunaux, elle peut indiquer la page 19 et dire : « Voyez, Votre Honneur. L’avertissement en matière de sécurité se trouve là. » Les étiquettes peuvent faire jusqu’à 60 pages. Elles sont imprimées avec une police de caractères en huit points. Elles fourmillent de passages que même les médecins n’arrivent pas à comprendre, parfois. C’est un fouillis.

Les lettres aux médecins approuvées par Santé Canada sont rarement lues par les destinataires. Bien des médecins peuvent recevoir une centaine de pages par télécopieur tous les jours. À la fin de la journée, après avoir vu un grand nombre de patients défiler dans leur bureau, à 7 heures du soir, ils ne vont pas chercher ces pages sur leur télécopieur pour les lire. Voici le problème : les médecins croient que, si un médicament est dangereux, Santé Canada ordonnera son retrait du marché. En réalité, Santé Canada estime que les médecins doivent se fier à leur propre jugement.

Santé Canada n’a aucun processus efficace pour informer la population lorsque de nouvelles contre-indications s’ajoutent concernant des médicaments ou lorsque des médicaments sont retirés du marché.

Les notices d’information des patients, comme ceux qu’on reçoit à la pharmacie, donnent un faux sentiment de sécurité et sont donc dangereuses pour les patients. Elles donnent des indications sur les effets secondaires courants comme les maux de tête ou la diarrhée, mais pas sur les plus importants, ceux qui sont rares et dangereux.

Les rapports sur les réactions indésirables aux médicaments sont une mascarade. Les réactions indésirables que les médecins et professionnels de la santé signalent à Santé Canada représentent moins de 1 p. 100 environ de la réalité. Cela veut dire que, si on consulte le site Web de Santé Canada et vérifie les chiffres pour n’importe quel médicament, on peut habituellement les multiplier par cent pour se faire une idée juste de la situation, en matière d’innocuité.

Les fonctionnaires de Santé Canada n’analysent pas les rapports sur les réactions indésirables, et ils n’en font rien d’utile.

Une enquête récente du Toronto Star a porté sur les médicaments qui traitent les troubles d'hyperactivité avec déficit de l'attention. L’auteur de l’article, David Bruser, conclut :

Tandis que les rapports s’accumulent, l’organe canadien de réglementation dit sur son site Web qu’il n’a pas la compétence voulue pour analyser l’information et dégager les tendances, et qu’il compte sur l’aide de la U.S. Food and Drug Administration.

Les grandes pharmaceutiques ne font rapport sur les réactions indésirables aux médicaments qu’après des mois d’analyse, ce qui retarde toute alerte au sujet des médicaments qui nuisent aux patients. Inévitablement, leurs rapports blâment le patient d’une façon ou d’une autre : il doit en avoir trop pris; il doit l’avoir mélangé avec quelque autre médicament.

Chose incroyable, il arrive souvent que les grandes pharmaceutiques ne déclarent que les décès et lésions signalés dans le pays. Il se peut qu’elles déclarent les décès et les lésions survenus au Canada, mais sans rien dire de ceux qui ont été enregistrés dans une centaine d’autres pays. Cela donne aux responsables de la réglementation une idée fausse de la situation.

Des consignes du silence sont imposées aux chercheurs, ainsi qu’aux patients, qui se font proposer des règlements à l’amiable pour les lésions ou décès, de façon à occulter les torts causés par les médicaments et à garder sur le marché les produits qui font recette.

Les pratiques corrompues des grandes pharmaceutiques restent incontestées. Les pharmaceutiques n’admettent jamais que leurs médicaments ont provoqué la mort ou des lésions, même après avoir versé des milliards de dollars en dommages aux victimes. C’est qu’elles souscrivent des assurances contre l’échec et le retrait de leur médicament sur le marché. Si elles admettent que leur médicament a causé du tort, l’assurance ne tient plus. Elles peuvent obtenir un règlement, comme Merck l’a fait dans le cas du Vioxx, mais elles ne peuvent pas toucher leur assurance.

Nous avons cruellement besoin de transparence : les chercheurs indépendants sont incapables d’étudier le bilan des médicaments sur le plan de la sécurité, parce que Santé Canada refuse de communiquer ce que ses partenaires, les grandes pharmaceutiques, prétendent être les données exclusives des essais cliniques que la concurrence ne doit pas connaître. L’information sur les réactions indésirables que les patients éprouvent pendant les essais cliniques n’a rien de commercial. C’est une information qui peut sauver des vies et qu’on cache souvent aux chercheurs et au public.

Le président : Merci.

Nous entendrons maintenant Mme Currie, du Psychiatric Medication Awareness Group.

Janet Currie, représentante, Psychiatric Medication Awareness Group : Merci. Je vous suis reconnaissante de votre invitation. Je suis la coordonnatrice du Psychiatric Medication Awareness Group. Cette organisation modeste dirigée par des consommateurs, bénévole et indépendante procure de l’information aux consommateurs sur les médicaments utilisés en psychiatrie, leurs risques et leur efficacité. Elle fait aussi beaucoup de sensibilisation. Son site Web reçoit environ 12 000 requêtes par mois. Que je sache, il s’agit de la seule organisation au Canada qui soit une source d’information indépendante.

Nous nous occupons des médicaments utilisés en psychiatrie. Je tiens à le souligner, car ces médicaments, qui comprennent les somnifères, les sédatifs, les antidépresseurs et les antipsychotiques sont au deuxième rang des médicaments les plus prescrits au Canada et dans la plupart des pays, et c’est le cas depuis de longues années. Ils servent à traiter toutes sortes de problèmes, notamment les troubles affectifs et les problèmes liés au mode de vie. Des milliers, des millions de Canadiens, et surtout des femmes, en consomment. En effet, les deux tiers des médicaments psychiatriques sont prescrits aux femmes qui, par conséquent, sont celles qui sont le plus touchées par les réactions indésirables des médicaments après l’approbation.

Je voudrais dire un mot de l’importance de la surveillance après approbation, que j’appellerai pharmacovigilance. D’abord, il y a aujourd’hui beaucoup plus de gens qu’autrefois qui consomment des médicaments sur ordonnance, et les médicaments utilisés en psychiatrie sont un excellent exemple. De 20 à 25 p. 100 des femmes qui sont dans la cinquantaine prennent des antidépresseurs. Ajoutons à cela les somnifères, les benzodiazépines et peut-être les antipsychotiques, et nous pouvons trouver des segments où de 40 à 60 p. 100 des gens consomment un médicament utilisé en psychiatrie. Les réactions indésirables aux médicaments sont beaucoup plus étendues.

Nous savons que les réactions indésirables aux médicaments constituent l’un des problèmes de santé publique les plus graves que nous ayons. Elles sont la cause d’au moins 10 000 décès et de 150 000 lésions au Canada. De nombreux coûts sont cachés : le rôle des médicaments utilisés en psychiatrie dans les accidents de voiture, les chutes et les fractures de la hanche qui coûtent à la Colombie-Britannique, par exemple, 75 millions de dollars par année, les coûts des prestations d’invalidité, les visites aux urgences, les hospitalisations, les tests diagnostiques. À un moment donné, je m’occupais du sevrage de sept à dix femmes qui prenaient des médicaments utilisés en psychiatrie. Elles avaient toutes une pension d’invalidité d’un type quelconque, et elles exerçaient toutes une profession libérale. Certaines n’ont jamais pu reprendre le travail, bien que toutes aient réussi à se sevrer.

Les réactions indésirables aux médicaments mettent des mois, des années, des décennies ou des générations à se manifester. Voilà pourquoi la surveillance après approbation est tellement importante. Il nous faut d’imposantes bases de données. Il nous faut en faire une analyse méticuleuse, car il arrive que des effets rares ne se remarquent que dans les grandes bases de données, mais il se peut que nous ayons des effets qui touchent les enfants de nos enfants, et cela est déjà arrivé.

Enfin, il y a deux exemples où la surveillance après approbation a beaucoup d’importance. L’un est celui des médicaments dont l’approbation est accélérée. Ils ne font pas l’objet de tests complets à l’étape antérieure à l’approbation. Les pharmaceutiques sont tenues de faire des tests sur l’innocuité une fois le médicament sur le marché. Elles se conforment souvent si mal à cette demande que nous estimons qu’il y a là un problème : l’organisme de réglementation doit insister pour que les pharmaceutiques exécutent les études sur l’innocuité qu’elles négligent souvent. Santé Canada n’insiste pas sur le respect de cette exigence.

L’autre problème, c’est la prescription des médicaments pour des fins non prévues sur l’étiquette. Rares sont les Canadiens qui savent que le médecin peut prescrire n’importe quel médicament pour n’importe quelle raison. Pas besoin d’essais ni d’approbation. Il est très courant qu’on prescrive des médicaments pour des fins non indiquées sur l’étiquette, notamment dans le cas des médicaments à usage psychiatrique. Plus de 50 p. 100 des psychotiques sont prescrits de cette manière, sans aucun essai.

Quels sont les problèmes de l’heure? À mon sens, le problème actuel, c’est que Santé Canada a un conflit d’intérêts inhérent. Il doit assurer la sécurité des médicaments, mais, d’un autre côté, on attend de lui qu’il accélère l’approbation des médicaments. Pour répondre à une de vos questions : quand l’approbation est accélérée, pouvons-nous présumer que le médicament est plus sûr? Non, étant donné qu’il n’a pas fait l’objet d’essais suffisants.

Comme organisme et comme ministère, Santé Canada est plongé dans un conflit d’intérêts inhérent, et c’est pourquoi il nous semble qu’il faut un organisme indépendant qui garantira la sécurité des médicaments sur ordonnance et axera étroitement ses efforts sur la surveillance après approbation.

Nous sommes inquiets du déséquilibre dans les ressources qui sont consacrées à la sécurité des médicaments et à la protection de la population par opposition à l’approbation des médicaments et à leur approbation accélérée. Nous sommes préoccupés par le conflit d’intérêts qui se retrouve à tous les niveaux de Santé Canada et par l’influence excessive de l’industrie pharmaceutique sur la prise de décisions.

Nous sommes très préoccupés par l’actuel système passif de collecte des renseignements sur les réactions indésirables aux médicaments. Le sénateur Eaton a décrit une réaction très grave à un médicament. Peu de Canadiens savent qu’il faut signaler ces réactions à Santé Canada. Nous avons une base de données pathétique de seulement 13 000 déclarations de réactions indésirables par année.

Nous devrions non seulement créer un organisme indépendant chargé de la sécurité, mais aussi stimuler, soutenir, renforcer la capacité de produire de meilleures déclarations sur les réactions indésirables aux médicaments. Nous devrions élaborer des méthodes originales pour recueillir les renseignements sur les réactions indésirables. Au Royaume-Uni, par exemple, tous les nouveaux médicaments sont marqués d’un triangle à l’envers qui indique au pharmacien, au médecin et au patient qu’il faut signaler les réactions indésirables. Nous devrions aussi employer des méthodes comme l’échantillonnage des établissements et la création de groupes de médecins pour obtenir des rapports beaucoup plus approfondis sur les réactions indésirables aux médicaments. Nous devrions amener la population à comprendre que tous les médicaments sont toxiques, comme M. Young l’a dit. Cela dépend de la dose, du but visé et du besoin. Les Canadiens doivent mieux comprendre les médicaments et devenir des consommateurs plus critiques et responsables. Nous estimons qu’un organisme indépendant serait beaucoup plus apte à jouer ce rôle.

Le président : Merci. Je cède maintenant la parole à mes collègues, en commençant par le sénateur Eggleton.

Le sénateur Eggleton : Je ne sais pas par où commencer. Quel contraste avec ce que nous avons entendu plus tôt.

Madame Currie, voyons votre proposition d’organisme indépendant chargé de veiller à l’innocuité des médicaments. Vous dites que Santé Canada ne peut pas s’en charger, que le ministère n’a pas une culture de la sécurité, qu’il ne peut pas appliquer correctement la procédure.

Proposez-vous qu’un organisme indépendant assume le rôle du ministère tant pour les essais cliniques que pour la surveillance après approbation?

Mme Currie : Je ne m’intéresse pour l’instant qu’à la surveillance après approbation. Je ne veux pas écarter complètement Santé Canada. La Direction des produits de santé commercialisés a un mandat relatif à l’innocuité, mais elle manque de ressources et sa capacité est limitée, si on la compare à celle du service du ministère chargé de l’étape postérieure à l’approbation. Il y a là un conflit d’intérêts inhérent. C’est semblable au cas du Bureau de la sécurité des transports qui surveille la sécurité dans l’industrie aérienne tout en faisant du marketing pour WestJet et Air Canada. C’est un conflit inhérent. Séparer les deux fonctions serait un excellent point de départ si nous voulons mettre de nouveau l’accent sur la protection de la santé des Canadiens.

Le sénateur Eggleton : Dans des mémoires antérieurs, il a été dit que nous n’avions plus assez d’essais cliniques. Nous avons parlé de l’approbation accélérée. Selon vous, est-ce que cela fait apparaître une culture dans laquelle nous voulons avoir plus d’essais cliniques, ce qui peut toucher aussi le processus postérieur à l’approbation, et accélérer le processus pour que les produits soient mis sur le marché? Est-ce là que vous percevez un conflit sur le plan de la sécurité?

Mme Currie : Il existe un conflit. L’homologation progressive, que vise Santé Canada, peut être un processus d’approbation accéléré. Actuellement, les médicaments sont approuvés de façon accélérée selon un processus appelé « avis de conformité conditionnel ». Le stade antérieur à l’approbation de ces médicaments est télescopé et une partie des essais cliniques tombe, avec la présumée garantie que l’industrie va faire des études sur l’innocuité, une fois le médicament distribué dans l’ensemble de la population, mais cette condition est très mal respectée.

Il y a des problèmes au stade des essais cliniques, comme vous le savez probablement, parce que les médicaments ne font pas l’objet d’essais complets avant d’être autorisés pour l’ensemble de la population. Ils subissent les essais nécessaires à l’approbation, mais on ne vérifie pas pleinement les réactions indésirables avant qu’ils ne soient distribués dans la population en général, soit le monde réel où nous avons tous des problèmes de santé différents, où certains peuvent prendre d’autres médicaments en même temps, où l’âge varie et les deux sexes sont représentés. En un sens, la population canadienne se prête à un grand essai clinique, puisque c’est à ce niveau que se manifestent les réactions indésirables réelles aux médicaments.

Le sénateur Eggleton : Pourriez-vous nommer d’autres endroits où il existe une agence indépendante de l’innocuité, si je reprends fidèlement vos termes?

Mme Currie : Excellente question. Il est certain que d’autres pays ont des agences indépendantes chargées de l’innocuité, mais elles sont habituellement rattachées à d’autres ministères. Je ne peux pas vous donner une réponse complète.

Le sénateur Eggleton : Peut-être pourriez-vous vous renseigner et nous communiquer l’information.

Mme Currie : Oui.

Le sénateur Eggleton : J’ai une question à poser à M. Young, qui a écrit un livre sur le sujet. Je sais qu’il s’y intéresse avec passion et je suis au courant du drame personnel qu’il a vécu.

Monsieur Young, vous avez lancé des accusations sévères contre ce processus et contre Santé Canada. L’une des pratiques qui vous préoccupent le plus, c’est la distribution d’échantillons gratuits aux médecins, à hauteur de 3 milliards de dollars par année. Je crois savoir qu’on a imposé des restrictions à cet égard.

M. Young : Selon les rumeurs, il y a bien des choses sur lesquelles on impose des restrictions dans l’industrie pharmaceutique. Que je sache, elle distribue toujours des échantillons gratuits. Je sais qu’on a donné à un jeune homme un échantillon gratuit d’un antidépresseur ISRS sans aucun avertissement ni ordonnance, et il n’a pas eu la possibilité d’en parler à un pharmacien. Il est allé se pendre à un arbre dans un parc public. Le bureau du coroner refuse à la famille la preuve médico-légale pour qu’elle puisse connaître la quantité de médicament qui se trouvait dans son corps. À ma connaissance, l’industrie donne encore des échantillons gratuits. C’est une pratique dangereuse qui favorise les médicaments les plus coûteux et seulement les nouveaux médicaments, qui occasionnent de nouvelles réactions indésirables. Mme Currie a parfaitement raison : quand on obtient un nouveau médicament, c’est la quatrième étape des essais. Votre médecin vous dit-il jamais qu’on essaie un nouveau médicament et vous demande-t-il si vous voulez l’essayer? Il n’en dit rien. Les faits ne sont pas divulgués.

En ce qui concerne le processus d’approbation accéléré, il y a quelques années, Santé Canada, sous les pressions de l’industrie pharmaceutique, a accepté de ramener de 300 à 180 jours les délais d’approbation ou de rejet des médicaments. Le 8 octobre, le Dr Joel Lexchin, expert canadien de premier plan, a passé en revue tous les médicaments qu’il faut retirer du marché et ceux qui nécessitent de nouveaux avertissements dans leurs étiquettes parce qu’ils causent du tort à des patients. Il a considéré les médicaments soumis au processus d’approbation accéléré, qui servent avant tout à traiter le cancer et d’autres maladies graves, par rapport aux médicaments ordinaires. Il a constaté que 35 p. 100 des médicaments soumis au processus accéléré devaient être retirés du marché ou s’accompagner d’un nouvel avertissement sur l’innocuité.

J’ai pris la parole au Comité permanent de la santé de la Chambre des communes en 2005, et je lui ai dit qu’il ne fallait pas s’engager dans cette voie. Si on se trouve dans un avion, on ne veut pas que quelqu’un qui surveille le contrôleur aérien lui dise de se dépêcher et de faire atterrir les appareils. Ce n’est pas une pratique sûre. Il faut prendre tout le temps voulu pour veiller à ce que le médicament soit sûr au lieu de se précipiter parce que la société pharmaceutique a hâte de faire de l’argent et qu’elle n’a que des brevets de 20 ans sur ses médicaments.

Le sénateur Eggleton : Les témoins précédents, représentant les IRSC, ont parlé du Réseau sur l’innocuité et l’efficacité des médicaments. Où cela a-t-il sa place? Ce réseau est-il utile ou non?

Mme Currie : C’est une bonne idée, selon moi. La plupart des études après approbation sur l’innocuité ont été faites jusqu’ici par l’industrie. Tout effort en vue de confier un plus grand nombre de ces études à un organisme de recherche plus indépendant est une bonne idée. Des mises en garde s’imposent. Il ne faut pas que l’industrie décide d’être trop directe lorsqu’il s’agit de déterminer quelles sont les recherches qui se font, et il faut que le réseau ait une certaine liberté. Chose certaine, toute évolution vers une recherche plus indépendante sur les questions d’innocuité après l’approbation est souhaitable.

M. Young : C’est vraiment un bon progrès. Je voudrais que l’initiative prenne plus d’importance. Le réseau répond à des demandes. Il fait des recherches sporadiques, étant donné que ses ressources sont limitées. Le gouvernement a injecté 30 millions de dollars dans cette initiative. Dès que j’en ai entendu parler, je me suis réjoui. Toutefois, comme les deux premiers témoins l’ont dit, il ne s’agit pas d’un organisme de réglementation. Le réseau peut fournir des résultats et des réponses. Avez-vous remarqué qu’un témoin a dit qu’une réponse rapide pouvait demander six mois? Une bonne réponse, au terme d’une étude complète, peut prendre deux ans. Entre-temps, le nombre des victimes d’un médicament dangereux augmente.

Mme Currie : Santé Canada parle de « signaux » quand il examine ses bases de données sur les réactions indésirables, et les données viennent avant tout de l’industrie et des consommateurs. Le travail de Santé Canada consiste à déterminer quand un signal révèle quelque chose de grave et quand il faut agir. J’ai été étonnée d’entendre les représentants du RIEM dire que Santé Canada leur communique des données pour interpréter des signaux. Je consulte Santé Canada depuis nombre d’années au sujet de bien des problèmes. Nous n’avons jamais pu obtenir du ministère une réponse sur la façon d’interpréter les signaux, sur le processus qu’il utilise, sur le moment où il y a une alerte chez lui, sur le moment où il décide de lancer un avis ou un avertissement sur MedEffet. Je m’étonne d’entendre qu’il demande au RIEM de s’en charger, puisque cela occasionnera des retards, ce qui veut dire qu’un plus grand nombre de gens seront victimes entre-temps de réactions indésirables.

Le sénateur Cordy : Les questions que j’avais prévues au départ se sont dissipées, une fois que j’ai entendu vos exposés. C’est très bien. Tout à l’heure, le Dr Alain Beaudet a dit que, même si ses services ont eu beaucoup de succès dans le domaine de la surveillance postcommercialisation, il faut reconnaître qu’ils peuvent faire davantage. Je vous dirais qu’il n’y a pas eu de réussite dans le domaine de la surveillance postcommercialisation.

Monsieur Young, j’ai lu votre livre, il y a quelques années. Il faudrait en conseiller la lecture à tous les membres du comité. C’est un excellent ouvrage. Merci beaucoup de l’avoir écrit, et merci à vous deux de ce que vous faites.

Vous avez parlé du marketing pratiqué par les pharmaceutiques. Nous savons tous qu’elles offrent des voyages de golf, des dîners et d’autres cadeaux semblables. Devrions-nous avoir, au Canada, une loi d’ouverture semblable à ce qui existe aux États-Unis pour que les gens sachent que, peut-être, une société pharmaceutique a amené le médecin et sa famille pour un voyage de golf la semaine précédente? Devrions-nous avoir ce genre de loi ou quelque chose de semblable?

M. Young : Il nous faut plus que cela. Nous devrions interdire tous les cadeaux aux médecins. Cela commence par un tapis à souris, des tasses à café, un déjeuner et une partie de golf. Si tel médecin est un leader d’opinion qui influence les décisions d’autres médecins ou décide des médicaments utilisés dans les hôpitaux, il peut avoir droit à un voyage en Égypte ou aux Bahamas. Le problème, c’est la naïveté des médecins. Ce sont des êtres merveilleux, et je les aime. Toutefois, ils pensent qu’on ne peut les influencer. C’est le rêve du représentant en médicaments. Ils prétendent : « Cela ne peut pas influencer mon jugement clinique. » Et leurs collègues? Ils répondent : « Cela pourrait influencer leur jugement. » Les représentants de vente les inondent de cadeaux. Ils dépensent 3 milliards de dollars en échantillons gratuits et 4 milliards de dollars en cadeaux, ce qui crée de lourdes dettes de gratitude. Il faudrait interdire tous les cadeaux.

Les États-Unis ont des lois d’ouverture. Les médecins qui siègent aux conseils consultatifs de la FDA qui font approuver les médicaments et rapportent des milliards de dollars aux pharmaceutiques disent : « Oui, j’ai travaillé pour la société. » C’est un secret de polichinelle, et ils restent en poste tout de même. Ils ne devraient pas siéger à ces conseils s’ils acceptent de l’argent des pharmaceutiques. Il est utile que la vérité soit connue, mais pourquoi ne pas imposer une simple interdiction et dire : « Vous devez être loyal envers votre patient. Vous avez prêté serment de ne lui causer aucun préjudice. Vous n’avez pas le droit d’accepter de l’argent d’un tiers. » Le seul moyen, pour un médecin, de rendre ses faveurs à un représentant est d’injecter ses médicaments dans vos veines. S’il s’agit d’un médicament tout nouveau, on n’a pas idée des conséquences.

Le sénateur Cordy : Si les cadeaux ne rapportaient rien, les médecins ne continueraient pas à en donner.

M. Young : Exact.

Mme Currie : Dans le même ordre d’idées — et c’est probablement une question plus importante, à mon avis —, les médecins reçoivent la quasi-totalité de leur information sur les médicaments des représentants des pharmaceutiques, qu’elles appellent des détaillants. Des projets pilotes sont en cours au Canada qui font appel à des détaillants universitaires objectifs pour renseigner les médecins, dans leur cabinet, au sujet des médicaments sur ordonnance. Ces projets pilotes me semblent très précieux. Si on tient compte non seulement des dettes de gratitude, mais aussi du fait que l’information primaire que les médecins reçoivent provient des représentants des pharmaceutiques, cela m’inquiète.

M. Young : Des études ont prouvé que les représentants disent tout ce qu’il y a de bien sur leur médicament, quitte à souvent exagérer. Ils ne disent pas un mot des aspects négatifs. Ils les escamotent. Dans le cadre de la surveillance postcommercialisation, les médecins doivent, pour conserver leur permis d’exercer, assister à des séances de formation permanente en médecine. Au Canada, 70 p. 100 de ces séances sont financées par des pharmaceutiques. Elles n’envoient pas leurs représentants de vente au front; elles ont un médecin qui est à leur solde et qui est un leader d’opinion. Il va à la séance, et il fait le boulot. C’est tout à fait incroyable. Il leur dit tout ce qu’il y a de bien, et ce qu’il y a de négatif est plus ou moins écarté. C’est amusant; la langue de la sécurité des médicaments, ce sont les euphémismes.

Le président : Nous nous intéressons à la surveillance après approbation. Vous venez de dire que c’est un problème dont il faut s’occuper; je ne crois pas que nous ayons besoin d’en entendre davantage.

Le sénateur Cordy : Je voudrais parler des médicaments soumis à l’approbation accélérée, dont vous avez parlé tous les deux tout à l’heure. J’ai l’impression que les Canadiens pensent que, lorsqu’un médicament est retenu pour la procédure d’approbation rapide, il ne peut pas y avoir grand-chose à redire à leur sujet. J’ai donné aux témoins précédents l’exemple du Tysabri. Le Genelia se retrouverait dans la même catégorie, puisqu’il a été soumis au processus d’approbation accéléré. Cela me rend vraiment nerveuse lorsque vous dites que nous devrions multiplier les chiffres par 100 parce que 62 personnes sont mortes à cause du Tysabri. Il y a eu aussi 285 cas d’infection cérébrale dans le monde à cause d’une maladie. Multiplier par 100, c’est beaucoup.

Je voudrais en savoir plus long sur le processus accéléré, car 35 p. 100 des médicaments en cause ont été retirés du marché. De nouveaux avertissements ont été envoyés aux médecins, mais ils ne lisent pas forcément les nouvelles alertes. En fin de compte, vous avez raison. Je doute qu’ils aillent à l’ordinateur pour en prendre connaissance. Vous avez des documents, dans votre recherche, qui attestent le fait que les gens ont tendance à ne pas regarder à l’intérieur de l’emballage, lorsqu’ils reçoivent un médicament sur ordonnance. Que devrions-nous faire au sujet de l’approbation accélérée, de la surveillance et de l’obtention de l’information?

Mme Currie : Je vois le fait qu’un médecin rédige une ordonnance presque comme un processus de consentement entre le patient et le médecin. Selon moi, le patient devrait savoir qu’un médicament a fait l’objet d’un processus d’approbation accéléré et que des éléments des essais cliniques ont été escamotés. Au cours de la séance précédente, vous avez demandé comment on peut savoir ce qui se passe entre Santé Canada et le fabricant, à propos d’un médicament, et s’il y a des problèmes de sécurité. La réponse, c’est qu’on ne le peut pas. Santé Canada ne communique pas cette information, et les pharmaceutiques ne le font pas non plus. Nous ne savons donc pas à quoi nous en tenir sur le médicament.

Si Santé Canada accélère l’approbation d’un médicament, c’est avec un accord pour que le fabricant fasse certaines études sur l’innocuité. Or, ces études ne se font que dans 50 p. 100 des cas. Ces accords doivent être mieux respectés. Si on a facilité les choses pour le fabricant, il doit honorer certaines obligations, et, pour l’instant, on n’exige pas qu’il le fasse.

M. Young : La question est beaucoup plus vaste. Il faut voir comment les patients reçoivent l’information ou non. Le pharmacien pourrait être davantage un élément de la solution, s’il avait plus de pouvoir. Parfois, les médecins se mettent en colère lorsque les pharmaciens se mettent à poser des questions sur les ordonnances.

Voici un exemple. J’ai dit que les gens ne lisaient pas les étiquettes des médicaments. Elles sont trop longues, et les caractères sont trop petits. Voici deux étiquettes de médicament, l’une des États-Unis et l’autre du Canada, pour le même médicament, l’Oxycontin, apparemment le médicament qui provoque le plus de dépendance au monde. Si on lit l’avertissement canadien intégralement, comme je l’ai fait, on ne trouve rien sur l’innocuité du médicament avant la page 10. On lit qu’il faut avaler le médicament sans le mâcher ni le faire dissoudre. Puis, il est question de dépression respiratoire fatale. Voyez maintenant l’avertissement américain. Dès la première page, il y a un avertissement dans un encadré noir. Aux États-Unis, 200 des médicaments les plus dangereux sont accompagnés de ce genre d’avertissement. La première chose qu’on lit, c’est que le produit est semblable à la morphine et qu’il peut être utilisé de la même manière que d’autres analgésiques opioïdes. L’avertissement est donné dès la première page. C’est là une pratique qui tient de la corruption, et elle a cours depuis des années. Les mêmes sociétés, avec les mêmes médicaments, donnent aux Américains un avertissement dans un encadré noir et une documentation qui fournit la même information en pharmacie. Les Canadiens n’ont pas droit à cet avertissement, pas plus qu’à cette documentation, ou bien on leur signale des risques de diarrhée et de maux de tête. Purdue a versé 600 millions de dollars, aux termes d’un accord à l’amiable, pour avoir commercialisé illégalement l’Oxycontin. Vous pensez que la commercialisation illégale, ce n’est pas très grave? Lorsqu’on commercialise des médicaments illégalement, bien des gens en meurent.

Le sénateur Seth : Tout ce que je viens d’entendre est intéressant. Voici ma question, et je ne la pose pas parce que je suis médecin : pourquoi a-t-il fallu tant de temps pour qu’on s’aperçoive que ces représentants des pharmaceutiques viennent donner de la fausse information chez les médecins? Pourquoi sommes-nous restés inattentifs aussi longtemps? Tant de choses se sont produites pendant de longues années, et nous ne nous sommes aperçus de rien. Toutes les mesures ont été prises aux États-Unis, et le Canada a laissé faire.

Je n’ai jamais eu ce genre de cadeau ou d’offre. J’ai trouvé intéressant d’apprendre cela.

En ce qui concerne l’Oxycontin, comme vous le savez, aux termes du nouveau règlement, nous ne pouvons écrire à aucun patient. Nous devons écrire notre numéro de l’Ordre des médecins et chirurgiens de l'Ontario pour qu’on puisse nous retrouver, et nous devons inscrire sur l’ordonnance qui est le patient et ajouter son numéro d’assurance-maladie pour qu’on puisse constituer le dossier. Cela se fait déjà. Qu’avons-nous fait jusqu’à maintenant? Pourquoi ne nous sommes-nous pas aperçus qu’on nous donnait une information inexacte?

Voilà toutes mes questions.

M. Young : À moi, sénateur?

Le président : S’il vous plaît, que l’un d’entre vous commence; nous allons bientôt manquer de temps.

Mme Currie : Je pense honnêtement que c’est parce que l’industrie a un poids énorme à Santé Canada. Les représentants des consommateurs qui sont indépendants de l’industrie n’ont pas vraiment le même poids que les sociétés pharmaceutiques, qui participent à tous les processus et à toutes les prises de décisions. En fait, les consommateurs tirent la sonnette d’alarme depuis des années. Pour ma part, je m’occupe de ce dossier depuis plus de 12 ans. À mon avis, les groupes de consommateurs n’ont qu’une capacité limitée de saisir l’opinion canadienne de cette question. La plupart de nos groupes sont formés de bénévoles; comme nous n’acceptons pas d’argent des pharmaceutiques, nous ne recevons pas de fonds du tout. Santé Canada vient tout juste d’éliminer tous les fonds pour les Centres d’excellence pour la santé des femmes dans tout le Canada à la fin de l’exercice en cours. Ces centres de recherche étaient souvent à l’avant-plan pour discuter de santé et de sécurité relativement aux médicaments sur ordonnance, et ils vont disparaître. Quelques consommateurs courageux ont essayé de propager le message, mais la tâche n’est pas facile.

M. Young : Je suis d’accord avec tout ce que Mme Currie a dit jusqu’à maintenant.

La quatrième cause de décès. Comment est-ce possible? Les gens pensent que j’exagère. Ils disent, ce pauvre type a perdu sa fille; maintenant, il a perdu la tête.

Je vais vous expliquer quelques-uns des moyens dont les pharmaceutiques cachent les décès. D’abord, il y a la Loi sur les coroners de l’Ontario. Lorsque quelqu’un décède, un jury ou un coroner doit indiquer la cause du décès. Si le décès est attribuable à un médicament sur ordonnance utilisé de la façon prescrite et non à un accident, il s’agit d’une mort naturelle, aux termes de la loi ontarienne. Nous avons essayé de faire modifier cette disposition. En Ontario, c’est une mort naturelle. Voilà une façon de dissimuler.

De façon générale, les réactions indésirables aux médicaments ne sont pas signalées. Je n’ai jamais rencontré un médecin, en dehors des médecins avec qui je travaille dans le dossier de la sécurité des médicaments, qui en ait déclaré une seule. Les organismes de réglementation ont éprouvé de graves problèmes; il leur faut plus de pouvoir.

Au Canada, il n’existe pas de registre des décès. Beaucoup de pays en ont un, et on peut y faire des recherches sur ce genre de chose. Statistique Canada n’a aucune catégorie pour consigner les décès attribuables aux médicaments sur ordonnances. L’organisme est donc loin du compte. De plus, l’influence des pharmaceutiques se fait sentir partout; leur argent est omniprésent. Elles ont des fonds sans limite pour susciter la bonne volonté, par exemple dans les universités, dans tous les établissements sur lesquels nous comptons pour obtenir une pensée créative.

Les groupes d’intérêts spéciaux — ceux qui sont créés autour d’une maladie —, il arrive qu’elles les créent et les financent. Ce sont des filiales. Elles ont donc un groupe d’intérêt spécial qui dit qu’il faut approuver tel médicament. Ces groupes reçoivent de l’argent. Ils se font donner ce qu’on appelle des « subventions sans restriction à l’éducation ». Autrement dit, de l’argent gratuit. L’influence des pharmaceutiques se fait sentir partout. Elles parlent de sauver des vies et, grâce à leur argent, elles se donnent cette image.

Il y a un an et demi, j’ai rendu visite à Bart Stupak, qui siège depuis 20 ans au Congrès, à Washington. Son fils est mort trois mois après ma fille Vanessa à cause de l’Accutane, un médicament pour l’acné qui cause le suicide et des déficiences congénitales. Avant de le prendre, les jeunes femmes doivent s’engager à utiliser deux formes de contraception. Son fils s’est suicidé.

Il s’est battu pendant 10 ans devant les tribunaux, et il n’a pas pu prouver que son fils n’avait pas reçu un avertissement correct. Je lui ai dit : « Je travaille dans ce dossier depuis 10 ans. Vous y travaillez depuis aussi longtemps au Congrès. Pourquoi n’avons-nous pas pu faire passer le message? » Il m’a répondu : « Les gens sont incrédules. C’est la nature humaine. Il est trop difficile de croire qu’ils peuvent aller chez le médecin et se faire donner un produit qui va leur faire du mal ou les tuer. C’est trop difficile à croire. »

Le sénateur Ataullahjan : Comment renseignons-nous les consommateurs sur les risques que présentent les médicaments qu’ils prennent? Je ne savais pas que, si on avait une réaction indésirable à un médicament, il fallait le déclarer, et j’estime être raisonnablement bien éduqué et être conscient de ce qui se passe. Comment diffuser cette information?

Mme Currie : Pour y arriver, il nous faut des organismes indépendants qui sont à l’abri de l’influence des pharmaceutiques. Quelqu’un a posé une question au sujet de l’utilisation des médias sociaux. Oui, c’est une possibilité.

Nous devons mieux éduquer les Canadiens au sujet des médicaments qu’ils consomment, les aider à devenir des consommateurs plus éclairés. Par exemple, la plupart des Canadiens ne savent pas que, lorsqu’ils vont acheter un médicament sur ordonnance et lisent le dépliant qui se trouve dans l’emballage, comme vous l’avez fait lorsque vous avez pris votre médicament, que cette documentation est créée par la pharmacie avec ses propres logiciels. Au Canada, aucun règlement n’oblige les fabricants à énumérer toutes les réactions indésirables que le médicament risque de provoquer. Par conséquent, la documentation est tout à fait minime. Si vous achetiez le même médicament en Europe, vous recevriez la liste complète des réactions indésirables parce que la loi l’exige.

Les consommateurs ne savent pas que beaucoup de médicaments ne sont pas soumis à des essais complets. Vous avez tout à fait raison; nous devons communiquer avec le public et le renseigner. Je songe à un organisme indépendant qui s’occuperait de la sécurité et qui auraient des antennes un peu partout. La Direction des produits de santé commercialisés a sept bureaux régionaux qui font du bon travail, même s’ils manquent de ressources et de personnel. Des instances comme celles-là peuvent se donner une stratégie de communication avec le public, et des groupes de consommateurs indépendants peuvent le faire aussi.

En un sens, en matière de sécurité des médicaments, nous en sommes aux premiers balbutiements. Prenons les décès attribuables à des accidents d’avion. Dans mon mémoire, j’ai mis un tableau qui compare les décès attribuables aux accidents d’avion. Les transports aériens sont aussi un secteur qui a besoin de sécurité. L’an dernier, il y a eu moins de 100 décès. Et les décès attribuables aux médicaments sur ordonnance? Plus de 10 000. Pourquoi ne sommes-nous pas plus inquiets? C’est le plus grave problème de santé publique que nous ayons.

Je conviens avec vous que l’information et la communication avec le public doivent être une priorité. Et il faut agir en dehors des sociétés pharmaceutiques. Il nous faut des organisations et des organismes qui ont la crédibilité nécessaire. Il nous faut des moyens qui permettent de rejoindre les jeunes. Les médias sociaux sont donc la réponse.

M. Young : Je voudrais faire valoir un point que je n’ai pas encore souligné et qui est vraiment important. Les représentants des pharmaceutiques diront : « Nous nous préoccupons des réactions indésirables aux médicaments. » Ils présentent cette belle image parce qu’ils veulent parler d’incidents où une personne n’a pas pris le bon médicament, ce qui est un grave problème, où quelqu’un a dépassé la dose, ce qui est aussi un grave problème Les morts dont Mme Currie et moi parlons ont été causées par des médicaments sur ordonnance qui ont été pris de la façon prescrite. Il y a plus de 10 000 décès comme ceux-là chaque année au Canada.

Sénateur, j’ai une motion d’initiative parlementaire inscrite au Feuilleton depuis un an et demi. À cause des élections et de tout le reste, elle n’a pas été mise à l’étude. Cela se produira au cours de la prochaine année. Elle prévoit la création d’un organisme indépendant chargé des médicaments analogue au Bureau de la sécurité des transports du Canada et à la Commission canadienne de sûreté nucléaire. Il serait chargé d’assurer la sécurité des Canadiens lorsqu’ils consomment des médicaments sur ordonnance ou en vente libre et de faire diminuer le nombre de lésions et de décès.

Je m’efforce depuis 12 ans de faire en sorte que, à la pharmacie, les patients reçoivent des feuillets d’information rédigés dans une langue simple. Ces feuillets donneraient la liste des risques réels que le médicament présente et les contre-indications. Le mot le plus important, en matière de sécurité des médicaments, c’est « contre-indication », ce qui veut dire par exemple qu’il ne faut jamais prendre deux médicaments ensemble ou encore qu’il ne faut pas prendre tel médicament avec du jus de pamplemousse. Il existe 50 médicaments qui, si on les prend avec du jus de pamplemousse, peuvent provoquer un arrêt cardiaque. Qui le savait?

La langue serait simple, et il y aurait une liste de toutes sortes de choses liées à l’innocuité des médicaments. Ce serait un excellent point de départ. Cela se fait aux États-Unis, mais j’ai appris que même le bon vieil encadré noir n’y est utilisé que 17 p. 100 du temps. Ils ont donc un problème eux aussi.

Le sénateur Seth : Nous sommes tous…

Le président : Nous n’allons pas nous lancer là-dedans.

M. Young : Nous nous efforçons de responsabiliser les patients. Un organisme indépendant pourrait examiner toutes ces questions et assurer la coordination avec les provinces. À l’échelon fédéral, nous n’avons aucun pouvoir sur les médecins. Ils peuvent prescrire n’importe quel médicament n’importe quand, à n’importe quel patient et pour n’importe quoi. C’est la foire. Ce sont les provinces qui ont compétence à cet égard, et nous devons travailler avec elles. Un organisme indépendant pourrait prendre le temps de le faire, il me semble.

Le président : Ce sont d’excellentes propositions pour nous.

Le sénateur Seidman : Vous avez tous les deux commencé à répondre à mes questions. Je les pose donc sans détours. Je voudrais savoir quels changements vous proposeriez concernant la déclaration des réactions indésirables aux médicaments. Si vous aviez deux ou trois propositions claires et nettes à faire pour modifier notre mode de déclaration, quelles seraient-elles?

Pour revenir aussi à la question des consommateurs dont Mme Currie a commencé à parler, quelles propositions avez-vous à faire — peut-être deux ou trois propositions claires et nettes —, pour donner aux consommateurs canadiens de l’information plus objective et impartiale?

Mme Currie : Pour ce qui est de l’augmentation du nombre de déclarations sur les réactions indésirables aux médicaments, il faut dire qu’il y a fort peu de réactions indésirables qui sont déclarées. Les rapports aux consommateurs sont très utiles. Il arrive même parfois que des consommateurs découvrent des réactions très courantes par exemple à des médicaments à usage psychiatrique grâce à des systèmes de rapport semblables.

D’abord, je renforcerais la capacité des bureaux régionaux. Le personnel a les compétences voulues. Ces bureaux devraient dans une bien plus grande mesure appliquer une stratégie de communication avec le public.

Santé Canada devrait promouvoir les déclarations des réactions indésirables aux médicaments pour que les consommateurs et les professionnels de la santé signalent ces réactions. Je souhaiterais des projets pilotes de déclarations obligatoires par des fournisseurs de soins de santé — des déclarations par les médecins — dans certains secteurs. Je ne crois pas qu’un régime général de déclarations obligatoires pour tous les médecins puisse fonctionner, mais si certains groupes de médecins ou certains établissements étaient tenus de faire ces déclarations pendant une brève période, cela pourrait marcher, me semble-t-il.

Je voudrais que tous les nouveaux médicaments soient étiquetés comme ils le sont au Royaume-Uni, avec un triangle inversé, et que de l’information soit donnée en pharmacie : « Ce produit est un nouveau médicament. Si vous remarquez quelque chose d’inquiétant, voici comment le signaler. »

Il faudrait beaucoup simplifier les déclarations. J’ai encouragé bien des gens à signaler des réactions, mais c’est très difficile, bien que le personnel soit réceptif. Les aînés ont du mal à signaler les réactions indésirables. Or, ce sont eux qui en éprouvent le plus, puisque ce sont eux qui consomment le plus de médicaments.

Je voudrais donc que le processus soit simplifié. Je souhaiterais un système de déclaration en ligne fort simple pour les médecins et les patients. Et j’ai une autre idée. Je souhaiterais voir ce qu’on appelle une « méthode des signaux ». Par exemple, on choisirait certains établissements partout au Canada — des hôpitaux pédiatriques, généraux et gériatriques, et des cliniques — et on aurait à chaque endroit un champion qui appuierait, encouragerait et pousserait les gens pour qu’ils fassent des déclarations, et on accorderait un soutien suffisant à ces établissements pour qu’ils puissent faire ces déclarations. Là encore, l’échantillon serait plus petit, mais en y mettant l’effort, on peut obtenir de bons renseignements grâce à ce système. Santé Canada s’en est servi pour évaluer des produits médicaux. Le ministère a donc l’expérience de ce système. C’est une bonne méthode à utiliser, une approche beaucoup plus ciblée et créative. Il faudrait encourager Santé Canada ou un nouvel organisme de réglementation à s’en servir.

M. Young : Je suis tout à fait d’accord. Selon moi, il faut que la déclaration des réactions indésirables aux médicaments soit obligatoire. Cette information peut sauver des vies. C’est une conspiration du silence. Les médecins ne font pas les déclarations parce qu’ils sont pressés, qu’une foule de patients attendent. Ils sont mal à l’aise parce qu’ils ont causé du tort à un patient, mais ils n’en sont pas sûrs, ils ne veulent pas se faire poursuivre, ou bien ils ont toute une série de raisons, mais la loi devrait les contraindre.

Combien de temps faut-il pour aller sur un site Web et remplir un formulaire d’une page qui dit : Réaction indésirable possible à un médicament? Pas la peine de donner le nom du patient, il n’y a pas de renseignements personnels, mais on indiquerait l’âge et d’autres données. Qu’on donne ce système d’alerte précoce à notre organisme de réglementation. Un médicament comme le Vioxx a tué de 55 000 à 65 000 personnes en quatre ans, mais s’il y avait eu des déclarations comme celles-là dans les quelques premiers mois, le médicament aurait pu être retiré du marché plus tôt.

Le Dr David Healy a écrit 17 livres. Il est l’un des plus grands spécialistes de la psychiatrie et des antidépresseurs ISRS. Il est en train de créer une base de données mondiale dans laquelle les consommateurs, des patients ordinaires, pourront saisir des renseignements sur les médicaments qu’ils prennent. On obtiendra ainsi des renseignements utiles très rapidement parce que la base de données sera présente dans les 100 pays où les pharmaceutiques vendent les médicaments.

Il faut aussi que les dentistes soient de la partie. Dans ma collectivité et ailleurs, des adolescents se font extraire les dents de sagesse, et les dentistes se servent de l’oxycodone — une autre version de l’OcyContin — pour calmer la douleur aux dents de sagesse. Un certain nombre de patients sont devenus dépendants. Ils vont deux fois par semaine avec leurs parents à Burlington, dans une clinique, pour recevoir leur méthadone. Des dentistes les ont rendus dépendants de l’OxyContin. Ce qui se passe est ridicule.

Le sénateur Eaton : Avec votre idée de surveillance postcommercialisation, je crois vraiment que vous sous-évaluez le rôle d’un pharmacien très accessible. Les pharmaciens ont beaucoup de connaissances. Ils sont là quand on vous remet le médicament. Ils peuvent vous dire : « Sénateur Cordy, s’il vous plaît, revenez si vous l’un de ces effets indésirables » ou encore : « Ne prenez pas des Advil », comme l’un d’eux me l’a dit, « parce que cela va vous abîmer l’estomac » — puisque que je prenais un médicament. Ils sont là. On les connaît. On traite avec eux. Les médecins ont autre chose à faire. Je suis convaincue que les pharmacies pourraient jouer un rôle énorme.

M. Young : En faculté de pharmacie, on étudie la pharmacologie. Les pharmaciens comprennent comment les médicaments se comportent dans le corps. Dans la plupart des facultés de médecine, les futurs médecins n’étudient pas la pharmacologie. Ils suivent peut-être un petit cours. Les médecins apprennent plutôt à faire des ordonnances. C’est la thérapeutique. Selon moi, les pharmaciens peuvent jouer un rôle bien plus grand. Vous avez absolument raison.

Le président : Une observation à ce sujet. Je crois que c’est un point important. Il a été souligné au cours de séances antérieures. C’est une question importante.

Le sénateur Enverga : Votre réponse au sujet de la banque de données mondiale a répondu à ma question. Tout va bien pour l’instant.

Le sénateur Seth : Je vous ai entendu dire qu’une nouvelle loi avait été mise en application pour les pharmaciens. Si je fais une ordonnance pour un médicament qui est fourni par un pharmacien, celui-ci donne toute l’information sur les effets secondaires, et de l’eau avec ça. Toute l’information. Le patient me rapporte le médicament parce que la lecture de tous ces effets secondaires le rend nerveux. Il le rapporte et se demande s’il doit le prendre ou non parce qu’il y a interaction entre différents médicaments. Le patient prend quelques médicaments.

Cela arrive. Il n’est pas vrai que cela ne se fait pas au Canada. C’est le cas, et depuis longtemps. Des pleines pages d’effets secondaires. On donne parfois 10 pages de documentation à chaque patient lorsqu’il achète des médicaments à la pharmacie. Je tenais à faire cette mise au point. J’exerce toujours la médecine et je connais les règles. Elles existent déjà.

M. Young : Peut-être que, après la séance, je pourrai vous montrer la différence entre les documents canadiens et américains. Vous constaterez que les patients et les médecins américains reçoivent des documents de qualité supérieure.

Le sénateur Seth : Je ne saurais rien dire à ce sujet.

Le président : Nous pouvons discuter de l’existence de ces pages. Ce dont le témoin a voulu parler, c’est de la valeur des documents, de la qualité et de la nature de l’information qui s’y trouve. Tout cela est consigné, et nous pourrons y revenir.

Le sénateur Cordy : Madame Currie, vous avez parlé des ordonnances en cascade. Un patient reçoit une ordonnance. Le médicament provoque des effets secondaires. On lui prescrit un autre médicament pour combattre ces effets secondaires, et cet autre médicament a lui aussi des effets secondaires. On entend parler de ce problème, notamment chez les aînés, dont certains ont une dizaine de médicaments à prendre. Est-ce que le problème des ordonnances en cascade est courant?

Mme Currie : C’est un problème grave. Il est grave pour tous les médicaments, mais surtout pour les médicaments à usage psychiatrique. J’ai essayé de votre donner l’exemple d’Effexor. Ce produit a des dizaines et des dizaines d’effets secondaires. Je parle de ce qui se passe dans le monde réel. Cela n’a rien de théorique. Je travaille avec des gens en chair et en os. J’aide les gens qui souffrent d’effets secondaires.

Une jeune femme de la fin de la vingtaine qui exerce une profession libérale m’a abordée un jour. Elle avait commencé par prendre un somnifère. Son médecin lui a dit qu’elle était gravement atteinte par l’arthrite. Elle souffrait beaucoup. Nous avons passé en revue tous les médicaments qu’on lui avait prescrits. Elle a commencé par prendre un somnifère. Puis, elle est devenue anxieuse parce qu’elle était dépendante du somnifère. Je parle de dépendance parce que c’est exactement ce qui se passe. Les pharmaceutiques disent plutôt qu’il y a des « effets de sevrage ». En réalité, c’est de la dépendance.

Elle a donc commencé à se sentir anxieuse et à paniquer pendant la journée. Elle a obtenu un antidépresseur. Je crois qu’on lui a prescrit ensuite un antipsychotique parce qu’elle devenait de plus en plus agitée pendant la journée. C’est ce qu’on appelle la dépression agitante. Elle prenait deux médicaments, et elle souffrait d’effets secondaires. Puis, elle a commencé à avoir des douleurs musculaires, ce qui est un effet secondaire courant des médicaments à usage psychiatrique. Et voilà que son médecin lui disait qu’elle était déprimée, anxieuse et arthritique.

Les gens ont des problèmes gastriques? Ils se procurent un inhibiteur de pompe à protons. Ils ont des problèmes de dysfonctionnement érectile? Ils se procurent du Viagra.

Et je n’ai rien dit des tests diagnostiques. Bien des gens que j’aide à se sevrer de médicaments ont subi des tests diagnostiques et vu beaucoup de spécialistes. Je voudrais bien qu’on étudie ce que les réactions indésirables des médicaments coûtent à notre système de santé simplement à cause des tests diagnostiques. J’en entendu parler de gens qui ont subi des interventions chirurgicales. Par exemple, les douleurs à la mâchoire sont un effet secondaire courant des benzodiazépines. J’ai entendu parler de gens qui se sont fait arracher plusieurs dents. Des gens ont reçu un diagnostic de démence, alors qu’ils n’étaient aucunement atteints. D’autres se sont fait dire qu’ils avaient la sclérose en plaques, ce qui était faux.

Ce sont des incidents rares, mais il est très courant que des gens éprouvent des problèmes causés par un médicament sur ordonnance, comme la dépression. Si on prend des benzodiazépines comme l’Ativan ou le clonazépam pendant un certain temps, on devient déprimé parce que les benzodiazépines sont des dépresseurs du système nerveux central. Alors, on leur prescrit un antidépresseur, et ainsi de suite. C’est la cascade des ordonnances.

M. Young : Pourrais-je décrire un autre cas?

Le président : Il faut passer à la conclusion, sans l’exemple, si cela se rapporte à la surveillance. Je voudrais en revenir à la question de la surveillance, car vous avez tous les deux soulevés un certain nombre de problèmes.

Madame Currie, dans votre rapport dont le sénateur Seidman a parlé, vous formulez un certain nombre de recommandations au sujet de ce qu’il faudrait faire de l’information, une fois qu’on l’a. Le vrai problème, le problème crucial qui nous préoccupe, c’est la collecte des renseignements. Toutes ces choses merveilleuses dont vous avez parlé sont impossibles si nous n’obtenons pas les renseignements.

C’est le problème de collecte que je veux cibler. Les problèmes de l’étape postcommercialisation comportent bien d’autres aspects.

Je voudrais revenir à la question du pharmacien. Au cours de notre étude de la pandémie de grippe H1N1, l’Association des pharmaciens du Canada nous a dit qu’elle était au courant deux semaines plus tôt. Je laisse de côté la question de savoir qui a fait l’annonce, mais le pays savait qu’il y avait une épidémie de grippe, sans qu’on sache de quel type de grippe il s’agissait. Les pharmaciens savaient, à cause du nombre d’ordonnances de Tamiflu, qu’il y avait une éclosion importante de grippe. Déjà dans ce rapport, nous recommandions que les pharmaciens jouent un rôle beaucoup plus important dans la surveillance des médicaments.

Vous avez fait allusion à la question que j’ai posée au cours de la première séance au sujet du mécanisme de communication de l’information. M. Young a donné des chiffres montrant qu’il y a beaucoup plus de réactions indésirables que ce qu’on déclare. Ce que je comprends, c’est que l’un des problèmes les plus difficiles consiste à obtenir les déclarations de réaction indésirable. D’où l’idée de faire appel aux médias sociaux qui servent d’interface avec le monde pour transmettre cette information.

Vous avez parlé d’une organisation qu’on pourrait créer pour s’occuper de cette question. Monsieur Young, vous avez fait des recommandations en ce sens. Je voudrais vous demander à tous les deux de pousser votre réflexion sur ce point. Vous y avez beaucoup réfléchi, mais si vous pensez à autre chose, après votre passage ici, au sujet de l’utilisation de moyens modernes de communication — comme les médias sociaux, auxquels les gens adhèrent nombreux — et du type de mécanisme utilisé pour afficher l’information, du mécanisme qui la reçoit et la transmet à une organisation capable de la traiter, nous vous en serions reconnaissants. De plus, nous serions heureux de recevoir les autres réflexions que vous pourriez avoir après nous avoir quittés, à la lumière des questions que mes collègues vous ont posées et qui feraient apparaître une nouvelle idée plus tard. Nous serions heureux que vous nous communiquiez un mémoire écrit à ce sujet.

Là-dessus, je tiens à vous remercier tous deux de votre présence, et à remercier aussi mes collègues de leurs questions.

(La séance est levée.)


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