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NFFN - Comité permanent

Finances nationales

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Finances nationales

Fascicule n° 46 - Témoignages du 7 novembre 2017 (séance du matin)


CALGARY, le mardi 7 novembre 2017

Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd’hui, à 9 h 1, pour étudier les modifications proposées par le ministre des Finances à la Loi de l’impôt sur le revenu concernant l’imposition des sociétés privées et des stratégies de planification fiscale connexes.

[Traduction]

Le sénateur Mockler : Honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des finances nationales. Je m’appelle Percy Mockler et je suis sénateur du Nouveau-Brunswick.

D’abord, j’aimerais demander aux sénateurs de se présenter, en commençant par ma gauche, s’il vous plaît.

La sénatrice Jaffer : Je m’appelle Mobina Jaffer et je viens de la Colombie-Britannique. Bienvenue.

Le sénateur Pratte : André Pratte, du Québec.

Le sénateur Neufeld : Richard Neufeld, Colombie-Britannique.

Le sénateur Oh : Victor Oh, Ontario.

La sénatrice Marshall : Elizabeth Marshall, Terre-Neuve-et-Labrador.

La sénatrice Cools : Anne Cools, Toronto, en Ontario.

Le sénateur Mockler : Merci. Chers témoins, je vous remercie d’avoir accepté notre invitation à venir nous fournir vos commentaires, vos recommandations et vos opinions.

Le Comité sénatorial permanent des finances nationales a été autorisé par le Sénat du Canada à étudier, en vue d’en faire rapport, les modifications proposées par le ministre des Finances à la Loi de l’impôt sur le revenu concernant l’imposition des sociétés privées et les stratégies de planification fiscale connexes, et, plus particulièrement : la répartition du revenu, la détention de placements passifs dans une société privée et la conversion du revenu régulier en gain en capital.

Aussi, le comité doit porter une attention particulière aux répercussions des changements proposés sur les petites entreprises et les professionnels constitués en société, la croissance économique et les finances publiques, l’équité de l’imposition des différents types de revenus et d’autres questions connexes.

Le comité va présenter son rapport final au Sénat au plus tard le 15 décembre et conserve tous les pouvoirs nécessaires pour diffuser ses conclusions dans les 180 jours suivant le dépôt du rapport final. Il s’agit de l’ordre de renvoi qui a été confié au Sénat du Canada.

À ce jour, à Ottawa, nous avons tenu 13 séances publiques. Nous avons entendu plus de 60 témoins et reçu plus de 30 mémoires écrits. Cette étude suscite beaucoup d’intérêt, et le comité a ressenti le besoin de tenir davantage de consultations. Nous avons donc décidé de parcourir le Canada pour entendre les commentaires et les opinions de Canadiens. Hier, nous étions à Vancouver pour une journée complète d’audiences publiques.

Aujourd’hui, nous poursuivons notre travail ici, à Calgary, en Alberta. Au cours de la journée, nous recevrons des gens qui ont demandé à comparaître en personne ou qui représentent différentes associations, des gens dont le nom a été proposé par des sénateurs et d’autres, du public en général.

Ce matin, honorables sénateurs, nous recevrons le premier groupe de témoins composé de M. Adam Legge, président-directeur général, de la Chambre de commerce de Calgary. Monsieur Legge, merci d’avoir accepté notre invitation.

Adam Legge, président-directeur général, Chambre de commerce de Calgary : Merci.

Le sénateur Mockler : Ensuite, nous accueillerons M. Ken Kobly, président-directeur général de l’Alberta Chambers of Commerce.

J’inviterais maintenant les témoins à présenter leur exposé, et, à la suite de vos exposés, les sénateurs vous poseront des questions. La greffière m’a informé que M. Legge sera le premier intervenant, suivi de M. Kobly, et nous vous avons chacun attribué une plage de cinq minutes. Monsieur Legge, s’il vous plaît.

M. Legge : Merci, honorables sénateurs. Bienvenue à Calgary. Merci de prendre le temps d’explorer cette question très importante pour un si grand nombre d’entrepreneurs et de propriétaires d’entreprise canadiens. Je ferai de mon mieux pour tout dire dans les cinq minutes qui me sont accordées, et je m’exprimerai donc rapidement.

La Chambre de commerce de Calgary croit que le système fiscal au Canada devrait être juste et peu complexe et qu’il devrait encourager la croissance pour l’ensemble des Canadiens. Je compare cet ensemble de propositions que nous abordons aujourd’hui avec les conséquences négatives visant des entrepreneurs dévoués et engagés dans nos collectivités qui investissent dans leur entreprise, la création d’emplois et nos collectivités et avec les enjeux récemment mis en lumière des abris fiscaux à l’étranger que notre propre agence de perception des impôts, l’ARC, n’est pas prête à aborder, faisant du Canada un des seuls pays de l’OCDE qui ne connaît pas son propre écart fiscal. C’est un enjeu que votre homologue, le sénateur Downe, a étudié, et le ministre des Finances et le premier ministre devraient accorder plus d’attention à ces questions plutôt que de faire en sorte qu’il soit plus difficile pour les agriculteurs et les petites entreprises de prospérer.

Les changements tels qu’ils ont été proposés au départ vont créer des incertitudes et des exigences administratives supplémentaires pour les petites entreprises, décourager les investissements et l’entrepreneuriat et augmenter le fardeau fiscal. Bien qu’elles ne soient pas parfaites, les mises à jour des propositions fiscales annoncées en octobre représentent des mesures positives, contrairement aux propositions originales. Toutefois, il demeure de grandes inquiétudes au sujet des détails des propositions, et nous devrons attendre la législation pour voir ce qui a changé afin de déterminer les répercussions. Par conséquent, mes commentaires vont porter sur les modifications proposées annoncées en juillet et les amendements d’octobre.

Après avoir consulté nos membres, soit le milieu des affaires de Calgary, nous avons présenté au ministère des Finances des recommandations dans les domaines suivants : en premier lieu, la compétitivité des entreprises du Canada; en deuxième lieu, la répartition du revenu; en troisième lieu, la détention de placements passifs dans une société privée, en quatrième lieu, la conversion du revenu régulier en gains en capital; et en cinquième lieu, le processus de consultation lui-même.

Premièrement, en ce qui concerne la question de la compétitivité des entreprises du Canada : le Canada fait partie d’une compétition mondiale pour attirer des talents, des entreprises et des investissements. La chambre est préoccupée par le fait que ces modifications fiscales vont non seulement augmenter le fardeau fiscal en matière d’observation de la loi pour les entreprises, mais aussi réduire de façon importante la compétitivité globale du Canada. Nous pressons le gouvernement de tenir compte non seulement des coûts de ces modifications proposées, mais aussi des coûts supplémentaires qui sont instaurés à un moment où des politiques de tous les ordres de gouvernement font en sorte qu’il est plus difficile pour les entreprises de prospérer — ce que nous appelons une hausse des coûts cumulatifs pour les entreprises.

À Calgary, les entreprises font face à une nouvelle taxe sur le carbone, à la hausse du coût de la main-d’œuvre attribuable à des augmentations du salaire minimum, à de nouvelles réformes du code du travail, à l’augmentation des impôts fonciers à l’échelle municipale, à la hausse des taux d’imposition du revenu des sociétés et des particuliers, à des contributions supérieures au Régime de pensions du Canada et à une plus grande incertitude sur le plan commercial, alors que les faibles prix du pétrole et les dépenses de consommation continuent de présenter des difficultés.

Comme les États-Unis cherchent à réduire le fardeau concernant les impôts des sociétés, le gouvernement du Canada doit s’assurer que le Canada a une structure fiscale compétitive. La chambre appuie l’annonce du gouvernement fédéral de réduire le taux d’imposition des petites entreprises, le faisant passer de 10 p. 100, en 2018, à 9 p. 100, en 2019.

Deuxièmement, en ce qui concerne le fractionnement du revenu : les modifications proposées montrent qu’on ne comprend pas comment de nombreuses entreprises, particulièrement les petites entreprises et les entreprises en croissance, fonctionnent vraiment. Les familles, particulièrement les conjoints ou les partenaires, font de grands investissements et sacrifices pour assurer la réussite d’une entreprise. Souvent, un conjoint peut abandonner un travail à temps plein pour soutenir directement et indirectement l’entreprise. Les lois canadiennes sur le mariage fonctionnent selon la reconnaissance des efforts et des droits des partenaires collectifs de posséder des biens familiaux. Étant donné que les deux tiers des entreprises constituées en société au Canada sont détenues majoritairement par des hommes, l’élargissement de l’impôt sur le revenu fractionné pour l’appliquer aux conjoints aura de plus grandes conséquences négatives sur les femmes, et 63 p. 100 des entreprises sondées à Calgary ont dit qu’elles seront touchées négativement par le changement original proposé.

Nous appuyons l’engagement du gouvernement fédéral à simplifier la proposition originale et à réduire le fardeau en matière d’observation de la loi. Cependant, il nous manque encore les détails. Nous recommandons au gouvernement de ne pas appliquer les règles de l’impôt sur le fractionnement du revenu, ou l’IRF, aux dividendes versés aux époux et aux conjoints de fait.

Troisièmement, la détention de placements passifs dans une société privée : la proposition originale nuirait aux propriétaires d’entreprise en ciblant les économies et l’argent, qui a été épargné non pas pour éviter de payer des impôts, mais plutôt pour soutenir des activités durant des ralentissements, pour financer de nouvelles entreprises, de nouveaux emplois ou l’augmentation des investissements de capital. La pratique juridique existe depuis 1972, et elle a encouragé des entreprises et la croissance économique.

Le raisonnement qui sous-tend les modifications semble donner à penser que le gouvernement croit que le revenu gagné par les propriétaires d’entreprise devrait être pris en compte et imposé de la même manière que celui des employés. C’est une façon de penser qui est simplement erronée et malavisée. Contrairement à un employé, un propriétaire d’entreprise ne reçoit pas de prestations du Régime de pensions, de protections de l’assurance-emploi, de prestations de maladie, de jours de congé de maladie payés, d’indemnités de vacances ni de chèques de paie garantis. On considère que les propriétaires d’entreprise créent leur propre filet de sécurité, puisque le chemin qu’ils ont choisi élimine une bonne partie des mesures classiques qui ont été mises en place au sein du système canadien.

Puisque les femmes touchent des prestations d’assurance-emploi limitées durant leur congé de maternité, les entreprises dirigées par des femmes s’appuient sur les placements passifs pour assurer la poursuite des activités durant leur congé de maternité. Ces placements protègent le revenu des entrepreneures et les emplois de leurs employés, et 76 p. 100 des entreprises sondées à Calgary ont dit qu’elles seront touchées par les éléments des propositions originales.

L’annonce du gouvernement d’autoriser le revenu passif annuel de 50 000 $ n’est pas suffisamment détaillée et va ajouter un degré de complexité au régime fiscal actuel. Cette somme est aussi trop petite pour favoriser la croissance ou le réinvestissement dans l’entreprise.

Nous avons recommandé à Finances Canada d’autoriser des sociétés privées à conserver un certain niveau de placements passifs associés à un pourcentage de capital existant ou une norme semblable qui tient compte des besoins en capital particuliers et des réalités cycliques de toute industrie donnée. À tout le moins, les sociétés privées devraient être en mesure de suivre un modèle semblable à celui qui régit les organismes de bienfaisance enregistrés, lesquels sont autorisés à faire des investissements passifs de fonds excédentaires qui vont constituer leurs actifs afin qu’ils puissent réaliser des activités futures.

Quatrièmement, la conversion du revenu en gains en capital : de nombreux propriétaires d’entreprise soulèvent des préoccupations selon lesquelles les propositions originales feraient en sorte qu’il serait plus difficile de conserver leur entreprise au sein de la famille que de la vendre à un acheteur national ou étranger sans lien avec eux, et 66 p. 100 des entreprises sondées à Calgary ont dit qu’elles seront touchées négativement par les éléments de la proposition originale.

La chambre appuie la décision du gouvernement fédéral de ne pas aller de l’avant avec ces mesures et est encouragée d’entendre le gouvernement fédéral dire qu’il s’est engagé à travailler avec des entreprises familiales, y compris des entreprises des secteurs de l’agriculture et des pêches, et à rendre plus efficace ou moins difficile le legs de leur entreprise à la prochaine génération.

Enfin, le processus de consultation lui-même : il y a une perception croissante au sein du milieu des affaires selon laquelle le Canada est en train de fermer ses portes aux entreprises. Selon le sondage de la Chambre de Calgary sur la perception du marché des chefs d’entreprise mené ce printemps, après la réduction des frais et des impôts, la prochaine mesure que le gouvernement peut prendre — et la plus importante — pour soutenir les entreprises est simplement d’adopter une attitude plus favorable aux entreprises et d’adoucir son approche. Ce changement simple et gratuit permettrait de montrer que le gouvernement comprend l’importance du milieu des affaires, reconnaît le travail qu’il fait pour créer des emplois et la prospérité et reconnaît les difficultés auxquelles il fait face actuellement.

Malheureusement, la rhétorique utilisée durant la période de consultation, y compris le propre document de travail du gouvernement, a contribué à la perception selon laquelle tous les ordres de gouvernement du Canada ne comprennent pas les réalités commerciales ni ne reconnaissent les avantages et la prospérité que les entreprises aident à créer. En fait, on a fait sentir à de nombreuses petites entreprises qu’elles font de la fraude fiscale en suivant simplement la règle de droit, et 92 p. 100 des entreprises sondées à Calgary souhaitaient que le gouvernement prolonge la période de consultation. Malheureusement, cela ne s’est pas produit.

En conclusion, les modifications fiscales proposées font la lumière sur le principal enjeu touchant le système fiscal canadien, c’est-à-dire sa complexité. Celle-ci influe tout particulièrement sur les petites entreprises.

Pour terminer, il est malheureux et décevant de constater que notre gouvernement fédéral a choisi de cibler le groupe exact que nous devrions favoriser. Ces propriétaires d’entreprise créent des emplois, de la croissance économique, paient des impôts et représentent un esprit et une éthique que nous devons encourager davantage au Canada, et non pas décourager. Il y a des enjeux bien plus importants et pertinents dans notre paysage fiscal auxquels nous devrions nous attaquer, des enjeux qui ne nuiront pas à la prospérité et à l’activité économique du Canada. Ce pays s’est construit grâce à des gens qui sont venus ici pour commencer quelque chose de nouveau. Nous devons préserver cela, l’encourager et le favoriser.

Je vous remercie beaucoup de votre temps et de votre attention aujourd’hui et je serai heureux de répondre à des questions.

Le sénateur Mockler : Merci.

Monsieur Kobly, veuillez présenter votre exposé.

Ken Kobly, président-directeur général, Alberta Chambers of Commerce : Merci, mesdames et messieurs, d’être venus en Alberta en plein cœur de l’hiver. Nous en sommes certainement reconnaissants. Il fait habituellement beaucoup plus chaud que cela à Calgary en novembre, environ 12 à 15 degrés, donc je vous remercie d’être quand même venus dans notre ville.

Je présume que vous avez reçu notre mémoire officiel, et je suis prêt à répondre à toute question à ce sujet. Je vais parler un peu de différents enjeux dans mon exposé oral.

Je sais que vous avez entendu hier mon homologue de la Chambre de commerce de la Colombie-Britannique et que vous entendrez plus tard mes homologues de la chambre de la Saskatchewan et de celle du Manitoba également.

L’Alberta Chambers of Commerce est une fédération de 126 chambres communautaires dans la province de l’Alberta, qui représentent à leur tour 24 000 entreprises dans la province, dont 95 p. 100 sont de petites et moyennes entreprises. Nous avons donc assurément reçu beaucoup de commentaires au sujet de ce qui se passe avec ces modifications fiscales proposées.

Dans l’ensemble, je dirais que les modifications fiscales qui ont été proposées par le gouvernement du Canada au milieu de l’été font face à la plus grande résistance que j’aie jamais vue concernant toute modification fiscale proposée depuis l’introduction de la TPS. Cela vous donnera une idée de l’ampleur de l’importance de ces modifications et, dans une certaine mesure, de l’indignation qu’ont ressentie des gens par rapport à ces modifications fiscales touchant les petites entreprises.

Le processus concernant les modifications fiscales comportait, à mon avis, des lacunes dès le début. Je pense qu’il a été mal conçu et malavisé, selon les modifications qui ont été proposées.

Nous avons aussi tenu des consultations en ligne sur cette question. Mis à part vos audiences — merci au sénateur Black de les avoir proposées et défendues, nous vous en remercions assurément — il n’y a eu aucune consultation en personne sur ces modifications proposées de la part du gouvernement du Canada qui n’a été tenue avec des petites et moyennes entreprises individuelles. Il y a eu quelques rares exposés et exposés en personne avec des députés, mais je dois vous dire que, tout au long de ce processus, il a été très difficile pour nous de rencontrer notre député pour aborder ces questions, et nous avons trois députés libéraux dans la province de l’Alberta.

La consultation ne durait que 75 jours. Elle a été lancée au milieu de juillet. Il n’y a eu que des consultations en ligne. Bien honnêtement, je ne crois pas que le gouvernement du Canada s’attendait vraiment à voir autant de résistance que ce qu’il a reçu à ce sujet, puisqu’elle a été introduite à l’été. Par conséquent, selon ce que je comprends, 21 000 mémoires écrits ont été présentés au ministère des Finances à cet égard.

Une des choses que je trouve probablement les plus dérangeantes au sujet de ce processus entier, c’est la rhétorique incendiaire qui a été utilisée et qui a encadré cette question dès le tout début. Dans une certaine mesure, elle m’a beaucoup offusqué. Je pense que cela visait à générer un appui des modifications de la part de certains Canadiens au détriment d’autres Canadiens. Je pense qu’il s’agissait essentiellement d’établir une cible qui viendrait soutenir les modifications proposées. Parmi ces choses dont je parle, il y a le fait de laisser entendre que des PME, des petites et moyennes entreprises, se constituent en société simplement pour éviter les impôts. C’est faux.

Dans une vie antérieure, j’ai été comptable dans la pratique publique. Je suis comptable professionnel agréé. Je peux vous dire que, pour la majorité des gens à qui j’ai eu affaire qui représentaient des petites et moyennes entreprises, assurément, l’imposition était une considération, la responsabilité limitée en était une autre, et, dans de nombreux cas, s’ils cherchaient à faire des affaires avec une grande entreprise, comme nous en avons en Alberta, la seule façon dont ils pouvaient le faire, c’est en constituant leur propre société à responsabilité limitée, pour diverses raisons que je peux vous expliquer en répondant à des questions.

Il y a la connotation négative de certains mots qui ont été utilisés dès le début : échappatoire. Assurément, ce ne sont pas des échappatoires. Ce sont des éléments qui font partie de la Loi de l’impôt depuis de nombreuses années, et ce ne sont pas des échappatoires. Elles font partie de la loi. Le fractionnement en soi a une connotation négative. Il ne s’agit pas de fractionnement du revenu. C’est un partage des revenus entre les partenaires de la petite et moyenne entreprise. Le message global selon lequel les propriétaires de petites et moyennes entreprises, les agriculteurs et les professionnels sont riches et contournent simplement le système est purement offensant.

Je pense que les trois enjeux que le gouvernement a sélectionnés dans ce dernier changement fiscal consistent à cibler trois questions particulières figurant dans la Loi de l’impôt sur le revenu, c’est-à-dire le revenu passif, le partage des revenus, la conversion du revenu en gains en capital, ce qui, comme mon collègue l’a mentionné, ferait en sorte qu’il serait beaucoup plus difficile, selon la proposition originale, de transférer une entreprise et des exploitations agricoles d’une génération à l’autre.

Maintenant, des modifications ont été apportées à des modifications. Nous n’avons pas vu les documents techniques sur ces modifications proposées. Selon ma compréhension des choses, le changement apporté aux gains en capital fera l’objet d’une étude supplémentaire au cours de la prochaine année. Avant que nous l’avalisions ou le condamnions, nous aimerions voir les détails techniques parce que, comme nous l’avons constaté dans de nombreux cas, et, tout particulièrement avec ces modifications également, vous ne savez pas vraiment ce à quoi vous avez affaire, jusqu’à ce vous voyiez les documents techniques.

Nous comprenons que les propositions initiales ont été réduites, et je pense que c’est une bonne chose. De plus, un changement a été apporté au taux d’imposition des petites et moyennes entreprises. La réalité, c’est que notre organisation, l’Alberta Chambers of Commerce, ne prônait pas à ce moment-ci une diminution du taux d’imposition des petites et moyennes entreprises. Nous avons en place une politique selon laquelle nous invitons le gouvernement du Canada et le gouvernement de l’Alberta à réduire le taux d’imposition des petites et moyennes entreprises lorsqu’ils ont la capacité budgétaire de le faire. Lorsque le gouvernement fédéral et le gouvernement provincial affichent un déficit de plusieurs milliards de dollars, nous sommes heureux qu’ils aient réduit le taux d’imposition des petites et moyennes entreprises, mais ce n’est pas quelque chose que nous cherchions en fait à obtenir à ce moment-ci.

Soit dit en passant, compte tenu du changement apporté au taux d’imposition des petites et moyennes entreprises, je crois comprendre que M. Moody s’adressera à vous cet après-midi, mais cela pourrait, en fait, entraîner une modification de la modification de la modification, à moins qu’il y ait un amendement applicable au crédit d’impôt pour dividendes. De fait, d’ici 2019, lorsque le plein montant de la réduction fiscale entrera en vigueur, les propriétaires de petites et moyennes entreprises paieront une augmentation de leur taux d’imposition de 1,5 p. 100. En fait, cela va le déclencher, à moins qu’il y ait un amendement touchant le taux d’imposition des dividendes, ce qui explique mon allusion à une modification de la modification de la modification.

Savez-vous quoi? Je crois que cela révèle aussi ce que nous constatons dans le cas de certaines des autres modifications et interprétations les plus récentes de l’ARC, des choses comme essayer d’imposer les prestations médicales et dentaires versées par les employeurs ou le crédit d’impôt pour personnes diabétiques, qui ont éclaté il y a quelques semaines.

Je vais conclure. Désolé. Je m’enflamme très facilement par rapport à cette question, comme vous pouvez le voir. En résumé, nous avons une loi de l’impôt qui n’a pas fait l’objet d’une commission royale d’enquête depuis bien plus de 40 ans. Pour mettre cela en perspective, j’étais au secondaire lorsque la Commission d’enquête Carter est arrivée. Ce que nous proposons, et ce que 99 p. 100 des délégués de l’assemblée annuelle de la Chambre de commerce du Canada ont proposé, c’est de mettre en place une commission d’enquête royale impartiale, qui survit aux cycles électoraux et apte à examiner l’intégralité de la Loi de l’impôt dans une optique d’équité et de simplicité, plutôt que de continuer de colmater encore et encore un vieil édifice.

Merci, mesdames et messieurs les sénateurs.

Le sénateur Mockler : Merci. Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs.

La sénatrice Marshall : Un de nos mandats consiste à examiner les répercussions sur l’économie, parce que cela n’a pas été fait par le gouvernement avant qu’il communique ses propositions. Je voulais me faire une idée de qui sont vos membres exactement et de leur nombre. Vous avez fourni les chiffres, mais combien seront touchés par ces modifications et comment?

M. Legge pourrait commencer, parce que vous représentez Calgary, puis nous pourrions probablement passer à la province entière. Pourriez-vous simplement commencer et nous donner une idée du nombre de vos membres qui seront touchés et de la façon dont ils le seront?

M. Legge : Nous représentons environ 1 700 entreprises. Il y a environ 50 000 entreprises à Calgary. Nos membres emploient environ 400 000 Calgariens, soit environ la moitié de la population active de Calgary.

Durant notre période de consultation avec elles sur ce sujet, pour parler en chiffres ronds, environ 75 p. 100 des entreprises ont dit qu’elles seraient touchées. Certains de nos membres sont des sociétés cotées en bourse, notamment, qui ne tombent pas nécessairement sous le coup de cette mesure, mais 75 p. 100 des entreprises qui se trouvent dans cette situation seraient touchées de façon négative.

La sénatrice Marshall : On parle donc d’environ 1 000 entreprises?

M. Legge : Oui.

La sénatrice Marshall : D’accord.

M. Legge : Donc, si vous deviez ensuite extrapoler, vous pourriez dire que sur les quelque 50 000 entreprises, il y en a environ 30 000 à Calgary qui pourraient être touchées d’une façon ou d’une autre.

Nous avons entendu diverses idées de la façon dont elles seront touchées. Je sais que de nombreux entrepreneurs auraient dit qu’ils iraient jusqu’à complètement relocaliser leur entreprise à l’extérieur du Canada. Ils cesseraient entièrement tout investissement et toute croissance au sein du Canada et chercheraient à prendre de l’expansion à l’échelle internationale, dans des lieux qui offrent des régimes fiscaux meilleurs, et plus compétitifs. Nous avons entendu des gens dire : « Je vais juste fermer complètement l’entreprise et me trouver un “véritable emploi”. » Nous avons vu des gens dire qu’ils vont cesser d’embaucher des employés. Ce sont des conséquences importantes.

Vous pourriez ou non assister à des fermetures importantes d’entreprises au Canada, mais ce que je vois, c’est un effet très néfaste sur une trajectoire ascendante de la croissance du Canada du point de vue de l’économie, de l’emploi, des investissements et de l’innovation. Vous pouvez penser à ces milliers d’entreprises à Calgary seulement et appliquer ce modèle partout au pays.

Je suis du même avis que M. Kobly. Durant les sept années que j’ai passées à la chambre, je n’ai jamais été témoin d’un enjeu qui a galvanisé le milieu des affaires autant que celui-ci. C’est un enjeu qui va au cœur même de la raison pour laquelle ces personnes ont lancé leur entreprise, de la raison pour laquelle elles travaillent 7 jours par semaine, 24 heures par jour, et font de nombreux sacrifices : elles veulent faire quelque chose de différent, tracer leur propre voie et utiliser le système pour le faire, de façon à croître et à générer de la prospérité.

La sénatrice Marshall : Voyez-vous des signes selon lesquels ces types de choses se passent? Un des points dont nous avons parlé, c’est que, bien souvent, des changements sont apportés, et les entreprises vont réagir et dire que telle et telle chose va se passer et que le ciel va leur tomber sur la tête, mais habituellement, les entreprises vont seulement composer avec n’importe quelle modification qui est apportée et s’y adapter. Vous entendez ces propos de la part des entreprises, mais voyez-vous des preuves? Les gens vous disent-ils précisément qu’ils vont fermer leurs portes? Que se passe-t-il en réalité?

M. Legge : Oui, nous voyons tout à fait les répercussions réelles. La réalité, c’est que nous sommes toujours dans cette zone d’incertitude, pendant que la législation est rédigée et examinée, et les décisions relatives aux investissements et à l’expansion sont tout à fait en suspens.

La sénatrice Marshall : À Calgary, vous venez de passer quelques très mauvaises années.

M. Legge : Oui.

La sénatrice Marshall : Mettez les modifications fiscales de côté pendant une minute. L’économie a-t-elle commencé à se redresser? Qu’entendez-vous dire de la part de vos membres? Ont-ils déjà atteint le fond du baril et remontent-ils la pente, ou sont-ils encore au fond du puits?

M. Legge : Je pense que le milieu des affaires dirait que nous avons touché le fond et trouvé la stabilité. Je ne crois pas que quiconque ici a l’impression que nous avons amorcé une trajectoire de croissance importante. La réalité, c’est que nous continuons de travailler en tant que communauté pour rééquilibrer, recalibrer…

La sénatrice Marshall : Survivre.

M. Legge : … diversifier et, bien franchement, reprendre le contrôle de nos structures de coûts de sorte que les entreprises puissent survivre à 50 $ le baril et faire de l’argent. Cela demeure une reprise très fragile.

Je me suis exprimé haut et fort et de façon très précise : je crois qu’il va falloir environ 10 ans avant que cette province…

La sénatrice Marshall : Avant qu’elle rebondisse.

M. Legge : … dans l’ensemble et que la ville sente que le pire est derrière elle.

La sénatrice Marshall : D’accord. Monsieur Kobly, cela me donne une idée de ce qui se passe à Calgary et une certaine idée de ce qui se passe dans la province, mais pourriez-vous poursuivre sur cette lancée? Selon mes renseignements, vous représentez 24 000 entreprises. Combien d’entre elles sont de petites entreprises et, selon ce que vous savez, combien seront touchées par les modifications fiscales?

M. Kobly : Bien sûr. Selon notre estimation, 95 p. 100 des entreprises qui sont des membres des chambres communautaires par l’intermédiaire des chambres de l’Alberta sont de petites et moyennes entreprises, donc cela se situerait autour de 23 000 entreprises.

Assurément, le nombre de petites et moyennes entreprises qui sont maintenant touchées, après les modifications apportées aux modifications que nous avons vues, a diminué. En particulier, la question du revenu passif réduit à coup sûr le nombre de personnes qui seraient touchées.

L’incidence majeure à ce moment-ci est la question du partage des revenus ou — je n’aime vraiment pas le terme — la « répartition des revenus »…

La sénatrice Marshall : Non. Le fractionnement du revenu.

M. Kobly : … parce que je vous dirais que, pour la majorité des petites et moyennes entreprises, c’est simplement la façon dont elles établissent la société à responsabilité limitée. S’il y a un mari et une femme qui deviennent associés dans une petite et moyenne entreprise, c’est automatiquement établi comme une répartition de 51 p. 100 par rapport à 49. Cet effet-là va donc se produire.

La sénatrice Marshall : Vous parlez d’environ 23 000 entreprises. Combien d’entre elles, à votre connaissance, seront touchées par les propositions sur le fractionnement du revenu?

M. Kobly : Je le répète, cela s’appuie en quelque sorte sur mon expérience précédente en tant que comptable professionnel agréé et comptable général accrédité. Je dirais que probablement environ 90 p. 100 des structures qui sont établies concernent un mari et une femme.

La sénatrice Marshall : Quatre-vingt-dix pour cent?

M. Kobly : Vous avez fait un commentaire ou posé une question plus tôt concernant le fait de savoir si les gens vont en réalité déménager en raison de ces modifications fiscales.

La sénatrice Marshall : Oui.

M. Kobly : Je vais vous dire « oui ». Je connais la situation d’une petite pratique comptable, une pratique comptable très bien établie, à Edmonton, qui est actuellement en train de déménager la pratique de trois dentistes de la vallée du bas Fraser de la Colombie-Britannique à Bellevue. Ils en ont eu assez, un point c’est tout.

Je sais que, durant les témoignages devant le Sénat de la semaine passée, il y a eu des commentaires selon lesquels les entreprises ont laissé entendre qu’elles allaient ramasser leurs pénates et partir.

La sénatrice Marshall : Et elles vont s’adapter.

M. Kobly : Nous n’avons vraiment pas vu la preuve de cela. En réalité, lorsque les entreprises ou les professionnels ramassent leurs pénates et s’en vont, ils ne disent pas au revoir. Ils partent, tout simplement, et c’est donc très difficile pour vous d’avoir les renseignements sur le nombre de personnes qui sont en réalité déménagées ou qui vont le faire, parce qu’elles déménagent tout simplement, sans tambour ni trompette.

La sénatrice Marshall : Mais êtes-vous au courant de cas réels?

M. Kobly : Oh, oui. Celui de la petite pratique où trois dentistes déménagent.

La sénatrice Marshall : D’accord.

M. Kobly : Et les conséquences liées au fait que des médecins ou des dentistes quittent les régions rurales de l’Alberta ne représentent pas seulement un enjeu du point de vue médical. C’est aussi un enjeu qui touche la viabilité économique de ces petites collectivités.

Par exemple, il y a des années, la collectivité de Manning, qui est très au nord, a perdu ses deux médecins de famille, et les gens se sont simplement rendus en voiture à Peace River pour obtenir leurs soins médicaux. Eh bien, lorsqu’ils sont à Peace River, ils achètent tout ce dont ils ont besoin pour survivre, comme de la nourriture, des vêtements, tout, ce qui touche directement l’économie locale à Manning. Heureusement, leur médecin est maintenant revenu.

Mais tout processus qui retirerait des médecins ou des dentistes, particulièrement des régions rurales de l’Alberta, aura un effet sur l’économie de cette collectivité particulière. Je vous le garantis.

La sénatrice Jaffer : Merci à vous deux d’être ici. J’ai bien aimé vos commentaires et les mémoires que vous avez fournis. Je les ai lus attentivement.

Je veux faire suite à ce que la sénatrice Marshall disait au sujet des répercussions économiques. Je viens d’une province voisine, et nous voyons de très près à quel point une bonne partie de l’Alberta a été touchée par les incendies et par le pipeline, et ça n’arrête pas, puis ces modifications arrivent. Ce que j’ai entendu dire de la part de gens de cette région, c’est que c’est en quelque sorte la goutte qui fait déborder le vase, surtout en raison de la façon dont cela a été présenté, que c’était comme de la fraude. Comme vous avez pris le pouls de si nombreux groupes, de si nombreuses personnes, pouvez-vous nous donner une idée des dommages que ce genre de rhétorique a causés pour l’Alberta?

M. Legge : Comme je l’ai dit dans ma déclaration, je pense qu’il y a un sentiment omniprésent parmi — je ne parlerais pas des entreprises canadiennes, mais, bien franchement, je ne peux vraiment parler qu’au nom de mes mandants, qui composent le milieu des affaires de Calgary. Le gouvernement a tout simplement perdu de vue, et cela concerne les trois ordres, ce que cela signifie d’être entrepreneur et propriétaire d’une entreprise et ce qu’il faut pour le devenir. Ces propriétaires se sentent absolument attaqués de tous côtés et de toutes les façons possibles, non seulement par l’augmentation des impôts et des coûts essentiels, mais aussi par cette rhétorique soulevée par mon homologue, M. Kobly, selon laquelle ils sont vilipendés comme étant des fraudeurs, simplement parce qu’ils utilisent les mécanismes qui existent au sein de notre code fiscal. Ils se tiennent là et disent : « Qu’avons-nous fait de mal? Nous faisons ce que nous sommes autorisés à faire, sans plus. » Quelqu’un au sein du gouvernement fédéral a concocté cette histoire selon laquelle toutes ces personnes ont échafaudé des plans pour frauder et pour éviter ou réduire au minimum les impôts qu’ils doivent payer et qu’elles sont vraiment, foncièrement, de mauvaises personnes.

La réalité, c’est que notre communauté entrepreneuriale regroupe certains des Canadiens les plus travaillants, dévoués et engagés que je n’ai jamais rencontrés. J’ai eu le privilège d’occuper mon poste pendant sept ans. Je peux vous dire que ces gens sont animés d’un esprit, d’une passion et d’un engagement à l’égard de notre pays. Je ne saurais penser à une meilleure façon d’établir des racines dans une collectivité que d’y lancer une entreprise et de la faire croître. Vous êtes lié à cette collectivité. Vos collègues et vos employés vivent dans cette collectivité.

Les gens éprouvent une incrédulité et une stupéfaction absolues par rapport à ce qui se produit, et, en revanche, nous ne voyons nulle part au gouvernement la reconnaissance de ce qu’il faut pour être entrepreneur. Personne ne dit : « Vous savez quoi? Merci de créer des emplois. Merci de soutenir cette collectivité. »

Cela fait longtemps que je le dis — et je continue de le dire de plus en plus souvent ces temps-ci — tout ce qui est cher à notre pays, la qualité de vie, que ce soient nos parcs, nos loisirs, notre éducation ou nos soins de santé, tout cela commence par un dollar de profit, parce que celui-ci peut être utilisé pour être imposé, pour créer un emploi et pour créer des investissements. Nous devons nourrir cet esprit pour générer des affaires et des attitudes entrepreneuriales, soutenir la création de profits, les imposer équitablement — tout à fait, personne ne dit cela — et reconnaître la valeur et les contributions des entrepreneurs dans notre collectivité.

M. Kobly : J’aimerais m’attacher à ce sentiment et l’amener un peu plus loin en ce qui concerne les collectivités rurales qui sont touchées. Les petites et moyennes entreprises ne sont simplement pas là pour profiter de tout, encore et encore. Allez dans n’importe quelle petite entreprise et petite collectivité en Alberta, au Canada, et vous verrez que les gens qui se portent bénévoles pour être coach au baseball et au hockey et pour travailler dans leur église sont probablement des propriétaires de petites et moyennes entreprises.

Encore une fois, simplement pour renforcer mes points initiaux, que cela concerne le gouvernement fédéral ou provincial ou l’administration municipale, les entrepreneurs sont vraiment las d’être présentés comme l’ennemi et comme la raison pour laquelle le Canada accuse une position déficitaire; et simplement, encore une fois, de passer pour des personnes ultrariches ou riches, et non pas pour des membres de la classe moyenne. Je vous dis que la majorité de ces gens que je connais et que j’ai connus qui ont des petites et moyennes entreprises font réellement partie de la classe moyenne et paient leur juste part d’impôts. Toutefois, dans cette proposition particulière qui a été mise de l’avant par le gouvernement du Canada, comme l’a dit mon collègue, ils ont été vilipendés à ce sujet, et ce n’est pas juste.

La sénatrice Jaffer : Monsieur Kobly, hier soir, je me préparais en vue d’aujourd’hui et j’examinais ce que nous avons entendu hier. Une des choses vraiment frustrantes à mes yeux, c’est qu’on n’oppose vraiment pas le concept de propriétaire d’entreprise à celui d’employé. Les deux sont des personnes très honorables. Je n’enlève rien à qui que ce soit.

Je vais vous donner une tâche, si je peux. Nous traversons le pays pour parler aux gens. Ce serait vraiment utile si vous pouviez nous dire quelles recommandations nous devrions présenter pour faire comprendre à notre gouvernement et aux gens ce qu’est un propriétaire d’entreprise. Je suis étonnée qu’on ait opposé ces deux personnes l’une à l’autre. Le gouvernement a causé des dommages énormes, je crois, en raison de cela. C’est comme si on comparait des pommes et des oranges. J’ai essayé de discuter avec un enseignant hier. Cela ne sert à rien de discuter avec un expert qui peut contourner tout ce que vous dites. Je vous laisse donc ça entre les mains.

J’ai une question pour vous avant qu’on m’interrompe, monsieur Legge, et c’est au sujet des femmes. Vous avez dit que les femmes étaient plus touchées. Je dois vous dire que cela me fâche beaucoup lorsque j’entends dire que des femmes tirent avantage du fractionnement du revenu, plutôt qu’on dise que c’est elles qui fournissent le soutien. J’aimerais vraiment qu’on inscrive au compte rendu ce que vous disiez tous deux, par rapport à la façon dont les femmes sont touchées, parce que je crois que nous devrions savoir ce que vous disent vos membres.

M. Kobly : Eh bien, je pense qu’il est clair que, lorsque vous avez vu les renseignements qui proviennent, disons, des femmes médecins, elles n’ont aucune couverture pour leur congé de maladie; donc, elles se retrouvent en fait avec le revenu passif, et elles l’emmagasinent dans leur société à responsabilité limitée en vue de payer leur congé de maternité. C’est là un exemple clair de femmes qui sont plus touchées que des hommes. Cette idée selon laquelle le fractionnement du revenu ou le partage des revenus enrichit en fait davantage un époux ou l’autre est inexacte, parce qu’il s’agit essentiellement du revenu familial.

Ces propositions ont été présentées comme une façon de faire croître la classe moyenne, comme si on essayait de rendre le système juste et de rendre les impôts justes pour les personnes à revenu moyen. Il faut peut-être seulement revenir en arrière, il y a environ un an et demi, peut-être deux, au moment où, dans le budget fédéral, la baisse d’impôt pour les familles a été éliminée du budget; en réalité, cela a coûté à la famille de ma fille, qui fait fortement partie de la classe moyenne, 2 000 $ d’impôts supplémentaires.

Nous devons non seulement nous occuper de l’équité et de son incidence sur les unités familiales, mais également examiner l’incidence de ces changements, comme vous l’avez souligné, sur les femmes. Honnêtement, je crois que ces modifications fiscales particulières devraient être complètement éliminées, et j’estime que nous devons remettre sur la planche à dessin l’ensemble de la loi de l’impôt.

Le sénateur Mockler : Monsieur Legge, sur la même question, avez-vous un commentaire à faire?

M. Legge : Je n’ai rien d’autre à dire, mais je suis d’accord avec les commentaires de M. Kobly.

Le sénateur Mockler : Merci.

Le sénateur Neufeld : Merci, messieurs, d’être venus ici. Je viens moi-même d’une région rurale du Nord de la Colombie-Britannique, et il est certain que je sais ce que M. Kobly veut dire quand il parle des professionnels, médecins ou dentistes. Leur départ de la collectivité a un effet dramatique. Nous avons déjà suffisamment de difficulté à en obtenir un nombre suffisant, sans parler de l’utilisation qu’on en fait, et c’est pourquoi c’est devenu pour moi aussi très important. Je l’ai dit dans d’autres réunions; quand le gouvernement fédéral commence à brouiller les cartes et nous fait perdre encore davantage de médecins, je m’inquiète vraiment pour les gens qui vivent dans des collectivités ou dans la région où je vis, dans le Nord de la Colombie-Britannique.

Vous avez utilisé l’expression « classe moyenne », et je l’apprécie. Le gouvernement, je suis certain que vous êtes au courant, parle constamment de la classe moyenne, et cela fait deux ans, sinon plus, qu’il en parle; pourtant, à ce jour, à ma connaissance, et malgré les nombreuses questions qui ont été posées au ministre quant à ce qui constitue à son avis la classe moyenne, il n’a pas réussi à répondre. Le gouvernement ne sait toujours pas ce qui constitue la classe moyenne, et il ne sait rien non plus des petites entreprises. C’est intéressant.

J’aimerais moi aussi, comme l’ont fait quelques autres sénateurs, vous poser des questions sur le revenu passif. Le ministre a déclaré, et cela figure au compte rendu, qu’il ne veut pas que les entreprises utilisent le revenu passif pour la retraite. Je trouve cela assez intéressant, et j’aimerais connaître votre opinion sur le sujet. Après tout, cela vient de la bouche même du ministre. Je crois que c’est une mauvaise idée, mais j’aimerais savoir ce que vous en pensez.

Il y a aussi la question du seuil de 50 000 $ que le gouvernement fixe pour le revenu passif. Je ne sais pas si vous savez d’où vient ce chiffre, comment il a été calculé. Nous n’arrivons pas à le savoir. Il semble que c’est un chiffre qui est tombé du ciel et que quelqu’un a décidé de retenir. Nous ne savons pas de qui il s’agit, mais vous pourriez peut-être nous en parler un peu et nous aider à le savoir.

Cela ne concerne pas les fiducies de revenu, mais nous savons que certaines personnes, très concernées par ces changements du régime fiscal, possèdent des fiducies de revenu. Ne s’agit-il pas d’un mécanisme qui permet de mettre de l’argent de côté en vue de la retraite? J’imagine entendre le ministre des Finances dire : « Non! Les petites entreprises ne peuvent pas utiliser le revenu passif en vue de leur retraite; par contre; nous pouvons utiliser nos fiducies de revenu, et cela ne pose pas de problèmes. »

J’aimerais entendre votre commentaire à ce sujet; j’aurai ensuite une autre question.

M. Kobly : C’est vraiment une bonne question. Toute cette question du revenu passif accumulé par une société à responsabilité limitée afin de s’assurer un revenu de retraite répond en bonne partie à un besoin, étant donné que les sociétés à responsabilité limitée… Et nous connaissons trop bien, en Alberta, le cycle de l’économie. Je veux dire par là que cela fait quatre fois que j’assiste à ce rodéo au cours de ma vie. Il y a les personnes prudentes qui mettent de l’argent de côté en vue d’une éventuelle récession et qui utiliseront cet argent lorsque la récession sera arrivée, peut-être pour conserver leurs employés et en prendre soin.

Toutefois, on a suggéré, je l’ai entendu à un certain nombre de reprises : « Pourquoi ne retirez-vous pas cet argent de votre société à responsabilité limitée pour le placer dans un REER, comme tout le monde? » En réalité, étant donné l’incertitude du milieu des affaires, et en particulier les changements économiques que nous vivons, si vous décidez de retirer cet argent de votre entreprise à responsabilité limitée pour le placer dans un REER en vue de votre retraite et que vous devez par la suite le réinjecter dans votre entreprise, vous serez obligé de vider votre REER, en payant un impôt au taux marginal le plus élevé qui soit, probablement, et ensuite le prêter à votre société à responsabilité limitée. Dans les faits, si une société à responsabilité limitée accumule de l’argent qui dort, c’est pour des motifs changeants.

Quant à la question de savoir comment ce seuil de 50 000 $ a été fixé, laissez-moi deviner, disons que cela représente 5 p. 100 de 1 million de dollars. Je ne pourrais pas vous donner d’autres sources crédibles quant au calcul qui a abouti à ce chiffre.

Ah, oui! Pour répondre à votre troisième question, les fiducies de revenu sont une sorte de mécanisme d’assurance-retraite, ce qui me ramène encore une fois à ce que je disais : si vous voulez une loi fiscale juste et simple, nous devons examiner toutes ses dispositions, l’impôt des particuliers, l’impôt des sociétés et la TPS.

M. Legge : Sénateur, je crois que, si vous demandiez à un entrepreneur ou au propriétaire d’une entreprise ce qu’il en est du revenu passif et de la retraite, ils vous répondraient que leur entreprise, c’est leur fonds de retraite. Que ce soit en vendant leur entreprise ou en accumulant certaines économies grâce au revenu passif permis, c’est de cette façon qu’ils planifient la convergence des réalités, c’est-à-dire la façon dont ils vont assurer la croissance de l’entreprise, dont ils vont se tirer d’affaire lorsque l’économie est incertaine ou que les temps sont difficiles, et la façon dont ils pourront s’assurer de subsister lorsqu’ils vont prendre leur retraite ou vendre leur entreprise. C’est tout cela en même temps.

Je crois que cette notion de seuil de 50 000 $ est ridicule et qu’elle n’a ni fondement, ni mérite. Ma seule hypothèse serait, si nous devions tenir compte de la classe moyenne, que le revenu moyen d’un ménage de la classe moyenne est de 100 000 $ par année, et 50 000 $, c’est la moitié de cela, ou ce que gagne une personne dans ce ménage. C’est un scénario possible.

Je ne suis pas un expert des fiducies de revenu; je vais donc laisser cette question à mon distingué confrère, M. Kobly, comptable professionnel agréé, et je dirais que les dispositions sur le revenu passif, dans cette structure, devraient rester en place.

Le sénateur Neufeld : D’accord, merci. Tout simplement pour que ce soit clair sur le compte rendu, diriez-vous que le gouvernement devrait laisser tomber immédiatement toutes ces mesures et entamer un examen en profondeur de l’ensemble du régime fiscal en tenant compte de tout le monde, plutôt que de quelques personnes choisies seulement? J’aimerais qu’il y ait quelque chose dans le compte rendu à cet égard. J’aimerais en fait savoir si vous êtes d’accord avec moi.

M. Legge : Oui. La Chambre de commerce de Calgary est d’avis que le gouvernement fédéral devrait laisser tomber en bloc les changements fiscaux proposés. Oh, oui!

M. Kobly : Certainement, la Chambre de commerce de l’Alberta croit la même chose, et c’est d’ailleurs la position que la Chambre de commerce du Canada a adoptée.

Le sénateur Neufeld : Et entamer un examen de…

M. Kobly : Entamer un examen approfondi de la loi de l’impôt, par l’entremise d’une commission royale, et éliminer tous ces changements spécifiques.

Le sénateur Neufeld : Merci.

Le sénateur Pratte : Eh bien, il se peut que de nombreuses personnes souhaitent que le gouvernement retire toute cette proposition, mais je ne crois pas que ce soit vraiment probable. Nous cherchons des solutions de rechange, d’autres recommandations que nous pourrions présenter au gouvernement. Dans l’éventualité où il n’abandonne pas toutes ces propositions, nous pourrions lui suggérer des moyens de les améliorer.

Monsieur Legge, je ne suis pas certain d’avoir bien compris, alors je vais vous demander d’en dire un peu plus sur votre recommandation touchant les investissements passifs. Plutôt qu’un seuil de 50 000 $, vous proposez, si j’ai bien compris, d’utiliser un pourcentage. Voudriez-vous s’il vous plaît nous donner des précisions, car j’aimerais comprendre, et le Comité aussi aimerait comprendre votre proposition?

M. Legge : En réalité, nous croyons qu’il ne faudrait pas imposer un montant précis, puisque la situation d’une entreprise varie de la situation d’une autre, en ce qui concerne les besoins cycliques, les besoins en investissement, la nature de la société elle-même, la structure de la famille qui soutient cette société, sa situation géographique et le secteur dans lequel elle évolue.

Nous proposons, si le gouvernement va de l’avant, qu’il y ait un mécanisme quelconque qui relie toutes ces réalités et permet à une entreprise de poursuivre ses activités de façon à avoir suffisamment d’argent pour investir ou pour résister aux récessions cycliques. Nous n’avons pas encore fait tous les calculs nécessaires, mais le mécanisme qui permettrait de déterminer quelle part du revenu passif peut demeurer à l’intérieur de l’entreprise et quelle part doit être imposée doit tenir compte d’une partie de ces réalités.

Par exemple, certaines entreprises ont de très faibles besoins en capital ou au chapitre des acquisitions. D’autres entreprises ont besoin d’investir des millions de dollars, des dizaines et des centaines de millions de dollars, pour croître et créer des emplois. Il ne faut pas penser qu’elles sont toutes pareilles. Nous devons comprendre et traiter avec respect les différences au chapitre des besoins et de la nature cyclique des différentes entreprises, et créer un mécanisme qui permettra à certaines entreprises de conserver un revenu passif plus élevé à l’intérieur de leur structure, alors que d’autres n’en ont tout simplement pas besoin.

Cela dit, cela vaut si le gouvernement va de l’avant, mais nous recommandons qu’il n’adopte pas ces modifications.

Le sénateur Pratte : Il s’agirait donc d’un pourcentage, mais de quoi? Des revenus?

M. Legge : Un pourcentage des immobilisations, des niveaux d’investissement historiques, des revenus ou des pertes cycliques historiques, et cetera.

Le sénateur Pratte : D’accord. En ce qui concerne les répercussions de ces propositions sur les petites et moyennes entreprises, l’une des difficultés auxquelles notre comité s’est buté tient au fait que le gouvernement nous a donné, à nous et au public, des chiffres touchant le fractionnement du revenu ainsi que le revenu passif et que ces chiffres révèlent qu’une petite minorité seulement des sociétés privées sous contrôle canadien sera touchée.

De nombreux représentants de petites entreprises nous ont donné une autre version de la situation, et vous en avez parlé vous aussi ici aujourd’hui. M. Legge a parlé, je crois, d’un sondage mené au sein de son organisation qui a révélé que 63 p. 100, je crois, de vos membres disaient que les changements les affecteraient. Monsieur Kobly, vous avez mentionné un pourcentage de 90 p. 100, et mentionné que, selon votre expérience personnelle, quelque 90 p. 100 des entrepreneurs fractionnaient d’une manière ou d’une autre leur revenu. Le gouvernement affirme que le partage du revenu ne sert qu’à moins de 3 p. 100 des sociétés privées sous contrôle canadien et que le revenu passif, au-delà du seuil de 50 000 $, ne concerne ici aussi que 3 p. 100 de ces sociétés.

Nous avons ici deux images complètement différentes. D’un côté, le gouvernement affirme que 3 p. 100 seulement, voire moins de 3 p. 100, des sociétés privées sous contrôle canadien seront touchées, et nous avons, d’un autre côté; des gens qui nous disent que la plus grande partie des petites entreprises, des petites sociétés privées, seront touchées. Qui a raison et qui a tort?

M. Kobly : Sénateur, je crois que je vais vous répondre comme j’ai répondu à l’autre sénateur, qui voulait savoir d’où venait le chiffre de 50 000 $. Je crois que ces chiffres sont probablement tombés du ciel.

Je me poserais une autre question : si le gouvernement a dit que 3 p. 100 seulement des sociétés privées sous contrôle canadien se prévalent des dispositions sur le partage du revenu et qu’une proportion équivalente détient des revenus passifs, pourquoi a-t-il pour commencer présenté ces propositions? Si leur nombre est si faible, ce que personnellement je ne crois pas, parce que j’ai de l’expérience dans le domaine, je ne suis pas certain de savoir pourquoi il aurait voulu ouvrir le panier de crabes et plonger dans l’anxiété toutes les petites entreprises du pays ni, non plus, pourquoi il voudrait maintenant faire marche arrière et modifier sa proposition originale en y apportant les changements récents que nous avons vus.

Le sénateur Pratte : Permettez-moi de me faire l’avocat du diable; s’il s’agit du revenu passif, le gouvernement vous dirait que ces 3 p. 100 détiennent ou reçoivent plus de 80 p. 100 du revenu passif.

M. Kobly : J’imagine que le problème, encore une fois, si nous parlons d’équité fiscale, puisque c’est sous cet angle que tous ces changements de politique ont été présentés et nous n’entendons parler que d’équité fiscale depuis deux ans, nous devrions examiner toutes les dispositions de la loi de l’impôt pour nous assurer de ne pas engendrer au bout du compte des conséquences involontaires et avoir à changer la loi encore et encore.

En ce qui concerne les changements suggérés de ce texte de loi en particulier… savez-vous quoi? Je crois qu’il est désormais impossible de la réparer, et je crois que les entreprises canadiennes n’ont pas la capacité d’y adhérer, en raison tout simplement de la façon dont elle a été présentée au départ.

Le sénateur Pratte : Merci.

M. Legge : Sénateur, j’aimerais confirmer certains chiffres qui concernent ceux parmi nos membres qui seront touchés; parmi les SPCC, 63 p. 100 disent qu’elles seront négativement touchées par la mesure de fractionnement du revenu, et 76 p. 100 ont dit qu’elles seraient affectées par la mesure relative au revenu passif; c’est donc un écart important par rapport au chiffre de 3 p. 100 avancé par le gouvernement fédéral.

Le sénateur Pratte : Merci.

La sénatrice Andreychuk : Je suis désolée, j’avais une entrevue et j’arrive en retard; je vais donc reprendre à partir de ce que vous avez dit.

J’aimerais revenir à une question que je n’arrête pas de poser : pourquoi faisons-nous tout ça? La réponse qu’on me donne toujours, c’est : par souci d’équité. C’est une définition intéressante, étant donné que l’équité dépend du point de vue où l’on se place, pour ainsi dire.

Le gouvernement en place, en particulier, a accordé beaucoup d’attention aux petites et moyennes entreprises. Il a dit, dans d’autres ministères, que c’est par elles que nous assurerons la croissance de notre économie, qu’elles sont notre espoir pour l’avenir, qu’elles mettront à contribution les jeunes innovateurs en leur donnant une marge de manœuvre suffisante pour soutenir la concurrence à l’échelle internationale. Le ministre Champagne se trouve aujourd’hui en Asie de l’Est, et c’est là-dessus qu’il se concentre : donner davantage de débouchés aux petites et moyennes entreprises.

Parlons maintenant de la question des médecins. Nous savons que notre société vieillit. Il suffit de me regarder, on le voit tout de suite. Nous avons besoin de médecins et de spécialistes en plus grand nombre. La ministre de la Santé s’efforce d’établir le niveau de confiance et la capacité dont nous allons avoir besoin.

Je constate que tous les ministres y voient — ils ne font peut-être qu’en parler, je n’ai encore rien vu de concret —, et pourtant, dans un ministère, les avis au ministre se donnent de l’intérieur, étant donné que ces propositions ont déjà été lancées, mais elles n’avaient pas été acceptées.

Êtes-vous allés au-delà du ministère, avez-vous essayé de dire au gouvernement que « ça n’ira pas bien pour les Canadiens qui voudraient être concurrentiels dans un marché incertain »?

Je dis cela en pensant à l’Alberta, parce que j’ai beaucoup travaillé en Alberta, il y a des années de cela, et quand des entrepreneurs, qui représentaient des entreprises dérivées du secteur pétrolier, par exemple, venaient me dire : « J’ai une idée », je leur répondais : « Vous n’arriverez jamais à la réaliser. » Et pourtant, malgré tous les obstacles, ils réussissaient. Ils trouvaient des moyens d’être créatifs et de créer des petites entreprises qui assuraient la subsistance de leur famille.

Comment pouvons-nous attirer l’attention du gouvernement? Je crois qu’il a saisi le message, qu’il connaît sa place dans le monde et qu’il sait que nous devons être concurrentiels, et pourtant, au moment d’agir, les gens mêmes qu’il faudrait encourager sont pris pour cible. Comment expliquez-vous ça, si c’est possible de l’expliquer?

M. Kobly : Pour répondre à votre dernière question, nous nous sommes en effet adressés au ministre Morneau, au nom de la Chambre de commerce du Canada, et il a fini par accepter d’assister à notre assemblée générale annuelle, qui a eu lieu au Nouveau-Brunswick cet automne.

Quant à communiquer avec les autres députés, en particulier…

La sénatrice Andreychuk : Les ministres.

M. Kobly : … en particulier ceux du parti au pouvoir, pour parler de cette question, cela a été très difficile. Ils ne sont pas vraiment disposés… En Alberta, du moins. Je ne peux pas parler des autres provinces. Mais ils ne sont pas particulièrement disposés à rencontrer les gens d’affaires de leurs circonscriptions. Il y a eu quelques réunions ponctuelles, mais il n’a certainement pas été possible d’organiser de grandes réunions avec les petites et moyennes entreprises.

L’enjeu dont nous entendons constamment parler, surtout en période électorale, c’est que les petites et moyennes entreprises sont l’épine dorsale de notre pays, qu’elles sont un moteur de l’économie et qu’elles génèrent des emplois, dans l’économie. Le bon travail fait par les autres ministères, qui cherchent à mobiliser les petites et moyennes entreprises et à améliorer leur sort, a certainement subi le contrecoup de toutes ces propositions touchant les petites et moyennes entreprises et en particulier du discours qui les a accompagnées.

Vous avez dit que ces propositions avaient déjà été soumises aux ministres des Finances précédents et elles leur ont été soumises, oui. Malheureusement, c’est le premier ministre des Finances qui a mordu à l’hameçon. Je suis convaincu que les gens des Finances l’ont mis en garde et lui ont dit de ne pas toucher à la question épineuse des petites et moyennes entreprises. Mais je n’ai rien vu qui me convainque que cette mise en garde a été entendue. Je vois qu’ils ont modifié les modifications, encore une fois, mais je crois que c’est tout simplement en réaction aux pressions des gens et que ce ne sont pas nécessairement les bons changements.

La sénatrice Andreychuk : Monsieur Legge, à propos des 50 000 $, vous avez proposé une solution de rechange quelconque. Si j’ai bien compris, s’il fallait commencer à juger chaque entreprise, le processus serait encore plus complexe et lourd de préjugés qu’aujourd’hui, pour l’ARC. Nous sommes déjà aux prises avec le problème des entreprises agricoles, de la contribution des membres de la famille et de la valeur de cette contribution. Maintenant, s’il faut décider de la flexibilité d’une entreprise et de sa valeur, cela m’amène à dire que nous ajoutons une couche de complexité supplémentaire et que nous donnons un pouvoir discrétionnaire plus grand à l’ARC, qui affirme déjà que la proposition du gouvernement entraînera des difficultés et de la complexité.

M. Legge : En réalité, personne ne se réjouit à l’idée que l’on donne à l’ARC davantage de règles à faire respecter, mais, si le gouvernement est résolu à créer une réglementation touchant les investissements passifs, dans ce cadre, la solution de rechange serait peut-être de fixer à 100 millions de dollars, une somme suffisamment importante, le seuil d’exemption. En fait, les différences entre les régions, les secteurs et les cycles sont tout simplement trop nombreuses, et nous ne pouvons pas mettre toutes les entreprises dans le même sac. Ce que je veux dire, c’est que cette idée de fixer le seuil à 50 000 $, comme je l’ai dit plus tôt, est ridicule. C’est insultant.

M. Kobly : En ce qui concerne toute cette question du partage du revenu et de la clôture qu’on essaie d’ériger autour, je dirais que, quand on se retrouve devant un vérificateur de l’ARC qui dit : « Voici mon interprétation » et que vous répondez : « Non, voici mon interprétation », c’est parti! Vous allez probablement devoir interjeter appel, car en réalité, le gouvernement du Canada est plus fort qu’un simple petit contribuable. Permettez-moi de vous le dire, cette lutte n’est pas égale.

Nous avons évidemment examiné les détails de la loi de l’impôt qui sont sujets à interprétation, et il y aura toujours des aspects qui le seront. Toutefois, certaines dispositions très récentes illustrent particulièrement bien des éléments sujets à interprétation où l’on a exagéré, par exemple quand on s’en prend aux jeunes qui prennent un hamburger sans le payer, après leur quart de travail chez McDonald, ou quand on n’offre plus le crédit d’impôt pour personnes handicapées aux personnes diabétiques ou à celles qui ont un problème de santé mentale. Ces choses-là existaient et étaient permises depuis plusieurs années, et, tout d’un coup, l’ARC change sa pratique d’évaluation de ces cas.

Voilà pourquoi nous devons nous assurer d’élaborer une loi fiscale très claire et de la repenser de façon qu’elle soit équitable. Elle a tellement été raccommodée au fil des ans qu’elle a perdu de sa clarté et qu’elle est de plus en plus sujette à interprétation. On cherche à améliorer le processus en donnant à davantage de gens de l’ARC un pouvoir décisionnel sur certaines dispositions de la loi de l’impôt, mais, je m’excuse, je ne suis pas d’accord.

Le sénateur Oh : La plupart des questions importantes ont déjà été posées, et j’aimerais vous remercier tous les deux.

Vous comptez plus de 40 000 membres en Alberta, et il est important que vous vous fassiez leur porte-parole, ici. Le Sénat a constaté que le peuple canadien s’exprime. Il s’est exprimé sur les problèmes des PME et de la classe moyenne. Le ministre Morneau et le premier ministre se sont tous deux présentés comme étant issus de la classe moyenne. Pourriez-vous me donner une définition de la classe moyenne et d’une PME?

M. Kobly : Il est probablement très difficile de répondre, puisque cela varie d’une collectivité à l’autre. La classe moyenne de Calgary est probablement différente de la classe moyenne de, disons, Fort McMurray, et c’est pourquoi il est très difficile de répondre à cette question.

Encore une fois, cela fait partie du problème, quand vous voulez formuler votre loi de l’impôt dans le but de soutenir la classe moyenne. La cible change constamment d’une municipalité et d’une province à une autre. Je souhaite bonne chance à qui veut définir de manière factuelle ce qu’est la classe moyenne.

Quant à ce qui constitue une petite ou moyenne entreprise, selon l’interprétation fiscale, il s’agit d’une organisation ou d’une entreprise qui déclare un revenu net inférieur à un certain seuil sur sa déclaration d’impôt. Je connais d’autres définitions, voulant par exemple qu’une petite entreprise soit toute entreprise qui emploie moins de 50 personnes.

M. Legge : Sénateur, la seule réponse à faire, à mon avis, c’est que la classe moyenne est une conception sociale. Il est impossible de la cerner. J’ai vu toutes sortes de définitions, qui varient à l’échelle du pays et qui tiennent au potentiel de revenus et au coût de la vie de chaque collectivité. Il s’agit d’une définition sociale qui remonte à l’époque qui a suivi la Seconde Guerre mondiale et qui s’applique à un certain segment de la société, lequel reste nébuleux. C’est la même chose pour les petites entreprises. En réalité, selon certains critères, par exemple le nombre d’employés, la société Berkshire Hathaway de Warren Buffett est une petite entreprise.

Le sénateur Oh : Merci.

La sénatrice Cools : Je tiens à vous remercier tous les deux de votre franchise, mais aussi de votre grande sensibilité envers ces questions et de votre excellente compréhension de ces questions. En fait, vous nous avez recommandé ces derniers jours que le gouvernement fasse table rase, qu’il prenne du recul et recommence à zéro. Je crois que notre rapporteur en a pris bonne note.

Je suis sidérée que vous ayez soulevé toute cette question des propos incendiaires, des termes et du discours parfaitement inutile qui a causé une grande souffrance aux Canadiens. Quand vous en parliez, il m’est venu à l’esprit que la perception des impôts est vraiment une mission sacrée. C’est le fruit de la relation constitutionnelle entre ceux qui gouvernent et ceux qui sont gouvernés, autrement dit, entre les dirigeants et la population. Il me semble que nous devrions rappeler ce fait à nos dirigeants, leur rappeler que, chaque fois qu’ils prélèvent des impôts, ils doivent le faire en tenant compte de toutes les limites constitutionnelles existantes, dans le but de protéger la population.

J’ai beaucoup lu sur le sujet, mes chers collègues, au fil des ans. Je me suis engagée à me renseigner sur l’histoire des finances nationales et des dépenses publiques. Chers collègues, nous devrions peut-être intégrer dans notre rapport un ou deux petits passages pour rappeler ce fait. On ne peut pas imposer sur un coup de tête. Cette façon de faire a disparu au IIIe siècle, au Royaume-Uni. C’est pour cette raison que nous avons une Chambre des communes et que l’expression « pas d’imposition sans représentation » existe. Je crois que nous devrions aussi inclure dans notre rapport un tout petit passage de 200 ou de 300 mots…

Le sénateur Mockler : Et votre question? C’était un commentaire, pas une question.

La sénatrice Cools : Eh bien, non, je ne posais pas de question…

La sénatrice Andreychuk : Êtes-vous d’accord?

La sénatrice Cools : Oui, êtes-vous d’accord?

M. Legge : Oui.

La sénatrice Cools : Je suis de leur côté, parce qu’ils sont d’accord.

Le sénateur Mockler : C’est bien, merci.

La sénatrice Cools : Mais ce que vous avez dit, de nombreuses personnes nous l’ont dit, et la souffrance dont vous parlez est très profonde. Merci.

Le sénateur Mockler : Merci, sénatrice.

Il nous reste une minute. Madame Marshall.

La sénatrice Marshall : Je ne peux penser qu’à une seule autre chose, et je reviens à ma première question sur le genre de répercussion que les petites entreprises subiront. Quelqu’un a dit hier — je crois que c’est hier qu’il en a été question — qu’il est toujours possible que ces petites entreprises soient avalées par des entreprises publiques plus importantes. Quelle est votre opinion à ce sujet?

M. Kobly : Quant au fait que les petites entreprises seraient avalées par de grandes sociétés, ce n’est pas ce que j’observe. Je ne vois pas de grandes sociétés internationales qui voudraient acheter l’atelier de soudage de Bob, une entreprise de Provost, en Alberta. Je ne vois pas de grande société qui voudrait acheter Top’s Pizza, un commerce de Medicine Hat. C’est certainement possible dans le secteur technologique, mais, savez-vous quoi? La majorité des petites entreprises sont là pour de bon, elles vont être léguées aux enfants, mais elles sont là pour de bon et elles travaillent dans la collectivité pour assurer la subsistance de la famille.

La sénatrice Marshall : Oui. Elles doivent donc se battre, fermer leurs portes ou déménager?

M. Kobly : Oui.

La sénatrice Marshall : Merci.

Le sénateur Mockler : Je remercie les témoins de leur point de vue, de leurs commentaires et de leurs opinions. C’était certainement très informatif.

Mesdames et messieurs, notre prochain témoin est M. James Boettcher.

Merci d’avoir accepté notre invitation à nous faire part de votre point de vue et de vos commentaires sur l’ordre de renvoi que nous avons reçu du Sénat du Canada. Je vais maintenant vous demander de faire votre déclaration préliminaire, après quoi les sénateurs pourront poser leurs questions. Veuillez commencer.

James Boettcher, chef de la direction, Fiasco Gelato : Merci, honorables sénateurs, d’être venus à Calgary. Ironiquement, je vends de la crème glacée dans une ville où c’est presque tout le temps l’hiver, même s’il fait toujours soleil.

Merci d’avoir pris le temps d’arriver à comprendre que les recommandations actuelles sur l’impôt des petites entreprises et des entrepreneurs ont été faites trop rapidement et qu’il faudrait les examiner en profondeur avant d’envisager un changement aussi radical.

J’exploite une petite entreprise ici même, à Calgary, qui vient d’être honorée parce qu’elle figure au palmarès Profit 500 pour la troisième année de suite; notre entreprise fabrique et vend de la crème glacée à l’italienne partout au Canada. On a rapidement reconnu que nous étions une entreprise perturbatrice de premier plan, non pas parce que nous fabriquons un produit délicieux, mais parce que notre modèle d’affaires est différent.

Voyez-vous, j’ai commencé ma carrière dans l’entrepreneuriat quand je grandissais ici même, à Calgary, dans une famille monoparentale occupant un logement pour familles à faible revenu, et que j’ai compris que tout changement exigeait un travail acharné et de la détermination. À partir de l’âge de 8 ans, j’ai aidé ma famille à manger en pelletant les trottoirs et en ramassant les bouteilles, et j’ai commencé à remplir les sacs d’épicerie dès que j’ai eu 14 ans. J’ai toujours cherché à être l’employé le plus travaillant dans toutes les entreprises pour lesquelles j’ai travaillé.

Il est ensuite arrivé un moment où j’ai compris que, si je voulais vraiment que les choses bougent, dans le monde, il fallait que je vole de mes propres ailes. Avant la présente entreprise, j’avais lancé sans succès deux autres entreprises et, les deux fois, je devais de l’argent au gouvernement. J’ai acquitté les factures et je me suis retrouvé pour ainsi dire, les mains vides. J’ai repris Fiasco avec les 1 800 $ que j’avais dans mon compte de banque en m’engageant à verser une somme importante au premier fondateur, en trois ans. J’ai réussi, mais c’est seulement parce que je ne me versais presque aucun salaire, même si j’ai toujours payé mes employés comme il le fallait.

Pour décrire les huit dernières années, le seul mot qui convient, c’est « sacrifice ». D’ailleurs, c’est là la véritable nature de l’entrepreneuriat. Quand vous avez une idée, quand vous pensez à un service qui pourrait rendre le monde meilleur, vous donnez tout ce que vous avez pour en faire une réalité.

Fiasco, c’est exactement ça. Nous offrons un salaire plus que suffisant à tous nos employés, de même que toute la gamme des avantages sociaux et beaucoup de soutien et de liberté, de façon qu’ils puissent prendre aussi bien soin de leur famille que de nos clients. Nous donnons beaucoup de temps, de ressources, et, oui, de crème glacée à notre collectivité, de façon à la laisser en meilleur état que nous l’avons trouvée. La gestion de l’environnement est à l’avant-plan de toutes nos décisions, puisque nous nous assurons que 95 p. 100 des déchets soient récupérés, et ce, tout simplement parce que nous nous en soucions vraiment.

Avant d’appliquer un programme qui consiste à mettre toutes les petites entreprises dans le même sac, vous devez reconnaître que, même s’il y avait 1 p. 100 ou, comme nous l’avons établi plus tôt, 3 p. 100 d’entreprises qui profitent du système, peu importe lequel, qui est en place depuis si longtemps, il y a et de loin un bien plus grand nombre d’entreprises qui essaient de rendre des villes comme Calgary attrayantes pour des sociétés du calibre d’Amazon et de raviver la fierté du Canada en étalant ce qui fait la grandeur de notre pays. Un grand nombre de ces petites entreprises ont été fondées par des gens comme moi, qui veulent rendre le monde meilleur, non pas tout simplement payer moins d’impôt. En fait, je ne suis même pas certain de savoir comment il faut s’y prendre.

C’est pour cette raison que j’aimerais amorcer avec vous une discussion plus large en vous demandant de revenir sur votre proposition qui consiste à tout simplement hausser l’impôt des petites entreprises. Une approche si primitive pour régler ce problème va en fait freiner la création d’emplois, la croissance et les exportations, entacher le pouvoir d’attraction du Canada et l’empêcher d’être toujours reconnu comme un pays qui favorise l’innovation et les débouchés plutôt que de les étouffer. Je crois sincèrement qu’une approche à plusieurs volets, qui prévoirait les paramètres des mesures d’allégement fiscal s’adressant aux entreprises pour qui les affaires servent à faire le bien, des entreprises comme la mienne, produirait d’excellents résultats et traduirait un engagement ferme à l’égard des préoccupations des Canadiens.

L’équipe de Fiasco est le parfait véhicule. Nous sommes une entreprise à triple résultats; nous avons obtenu la certification qui s’appelle B Corp, nous stimulons la croissance économique, comme en témoigne notre place dans le palmarès Profit 500, en Alberta, et nous sommes de plus en plus connus dans notre pays. Je siège moi-même à plusieurs conseils consultatifs, notamment le conseil d’administration de la Chambre de commerce de Calgary, et à celui d’une entreprise appelée REAP, Respect for the Earth and All People qui a à cœur la Terre et tous ses habitants.

Ensemble, nous pourrions élaborer une approche plus réfléchie qui fera en sorte que notre pays restera le plus grand pays du monde en s’assurant que l’engagement à l’égard des entrepreneurs et des entreprises du Canada est soutenu par tous. Merci.

Le sénateur Mockler : Merci.

La sénatrice Jaffer : Merci beaucoup d’être venu ici aujourd’hui. Nous n’entendrons jamais assez de témoins comme vous, qui avez tout sacrifié. Vous avez prononcé un mot très important, « sacrifice », et je suis certaine que vous n’auriez pas trop de deux jours pour expliquer tous les sacrifices que vous avez faits, et nous avons pour cela le plus grand respect. Il y a des sacrifices à faire, et il y a aussi des risques à prendre, des risques énormes, comme ceux que vous avez pris le jour où vous avez décidé de contracter ce gros prêt. Vous n’aviez que 1 800 $ et vous avez pris un risque énorme, et vous avez créé des emplois. Il y aurait bien d’autres choses à dire encore.

Malheureusement, je crois que le ministre des Finances a causé un tort considérable quand il a opposé des gens comme vous, qui travaillez si dur pour créer de l’emploi et de la croissance, et d’autres gens qui travaillent tout aussi dur, mais d’une autre manière. Ils prennent d’autres sortes de risques. J’ai trouvé intéressant que vous disiez : « Eh bien, je ne me préoccupe pas de l’impôt. Je me contente de travailler. » C’est ce que vous avez dit, je vous ai bien entendu?

M. Boettcher : C’est exact, oui.

La sénatrice Jaffer : Ce n’est donc pas comme si vous vous demandiez, le matin : « Quelle échappatoire est-ce que je pourrais bien utiliser aujourd’hui? » Vous vous demandez plutôt comment assurer la croissance de votre entreprise, n’est-ce pas?

M. Boettcher : C’est exact.

La sénatrice Jaffer : C’est bien. Je voulais que vous parliez de ça. Vous ne vous levez pas le matin en vous demandant : « comment puis-je payer moins d’impôt? » Vous vous levez en vous demandant : « qu’est-ce que je pourrais faire de plus, comment pourrais-je gagner davantage. » Pourriez-vous nous en parler, s’il vous plaît?

M. Boettcher : Oui, bien sûr. Vous pouvez m’affubler de tous les noms qui vous viennent à l’esprit. Ce n’est pas vraiment aussi important. Je crois que le ministre Morneau a brossé un bien mauvais portrait des entrepreneurs et des propriétaires de petites entreprises, mais je ne suis pas venu ici aujourd’hui pour discuter de son malheureux choix de mots.

Je crois au bout du compte que ce qui m’importe le plus, c’est que nous ne prenions pas une décision arbitraire. À mon avis, le commentaire qu’a fait M. Legge un peu plus tôt au sujet du seuil de 50 000 $ n’est qu’une piètre tentative de réparation des dommages.

Quand je pense à la fraude fiscale, je pense au vendeur de hot-dogs, sur le coin de la rue, qui n’accepte que l’argent comptant et qui ne déclare jamais de revenus. Il se démène lui aussi pour rester en vie, mais au bout du compte, pour notre entreprise… En fait, nous avons reçu entre nos murs, hier, des vérificateurs de l’ARC qui nous ont dit qu’ils seraient sur place pendant deux jours. Ils sont partis à midi, m’ont serré la main et m’ont remercié du magnifique environnement que je fournissais à mes employés. Nous avons eu la chance de les recevoir sur notre propre terrain. C’est la plupart du temps un endroit plaisant.

Mais, en effet, quand je me lève le matin, je ne m’inquiète pas de savoir combien d’impôt je paie ou comment je pourrais faire pour en payer moins, qu’il s’agisse de l’impôt des particuliers ou de l’impôt des entreprises. Tout ce que je veux, c’est croître.

Je reviens encore une fois sur le fait que nous fabriquons de la crème glacée au Canada, à Calgary, en Alberta, rien de moins, et que nous avons fait de cette entreprise une entreprise de gros; cette année, nous allons enregistrer près de 10 millions de dollars de revenu, et, quand j’ai pris l’affaire en mains, ses revenus étaient de 120 000 $ par année. Je m’occupe bien moins de trouver des moyens de payer moins et davantage de cerner les principes qui font en sorte que, quand les choses vont mal, je peux quand même m’occuper des gens dont j’ai pris la responsabilité, mes employés et leur famille, sans craindre de devoir mettre quelqu’un à pied ou de mettre la clé sous la porte.

Nous avons parlé quelque peu des régions rurales de l’Alberta et de quelques petites entreprises. J’ai beaucoup de respect, car je sais à quel point c’est difficile, les premiers temps, et je crois que c’est une preuve d’ignorance que de ne pas en tenir compte.

La sénatrice Jaffer : Vous avez dit également que vous siégiez à un conseil consultatif, et j’imagine que les témoins précédents sont probablement vos collègues.

M. Boettcher : C’est exact.

La sénatrice Jaffer : Entre autres questions, je leur avais posé la question suivante — vous n’avez pas à répondre maintenant, vous pouvez communiquer votre réponse plus tard — : comment allons-nous résoudre ce problème? Je n’avais jamais pensé que j’aurais à poser cette question, mais quelle est la différence entre le travail du propriétaire d’une entreprise ou d’une petite entreprise et le travail d’un employé? Je n’essaie pas de comparer l’un et l’autre, c’est le gouvernement qui le fait en disant que ce n’est pas équitable. Ce n’est pas moi, c’est le gouvernement. Chaque fois que nous recevons un témoin comme vous, nous comprenons pourquoi nous menons ces consultations. Nous voulons que vous puissiez vous faire entendre. Je vous demande de nous aider à formuler un message qui fera comprendre aux gens à quel défi vous faites face, mais aussi quelles récompenses vous tirez de votre entreprise.

M. Boettcher : En effet. C’est un risque énorme, de toute évidence, cela a déjà été dit. C’est des heures innombrables. C’est un engagement insensé. Je me suis engagé, lorsque j’avais quatre employés, à ne jamais mettre personne à pied. J’ai aujourd’hui 41 employés à temps plein. Nous avons vécu des moments difficiles, ces dernières années, à Calgary et en Alberta, et nous avons dû prendre des décisions déchirantes. Et plutôt que tout simplement réduire la main-d’œuvre, je me suis payé pendant trois mois un salaire de 1 $. Je ne gagnais pas beaucoup, à l’époque, je gagnais 45 000 $, mais je dois faire ce genre de sacrifices si je veux que les gens dont je m’occupe aient leur place.

Il y a des gens qui ont quitté mon entreprise et qui ont, pour une raison ou pour une autre, besoin de toucher des prestations d’assurance-emploi ou quelque chose du genre. Quand j’avais 17 ans, l’entreprise pour laquelle je travaillais a fermé ses portes, et au lieu de demander l’aide du gouvernement pour toucher des prestations d’assurance-emploi pendant un certain temps, je me suis immédiatement trouvé un autre emploi. À nouveau, cela témoigne de l’engagement que j’ai pris de ne jamais prendre l’argent du gouvernement si je n’en avais pas besoin.

Selon moi, toutes ces choses ensemble mettent en relief les différences entre un entrepreneur ou un propriétaire de petite entreprise et un employé. C’est difficile pour moi, parce que nous encourageons ce qu’on appelle l’esprit d’entrepreneuriat au sein de l’organisation. Tout le monde participe à la prise de décisions, et comme je l’ai dit, pour nous, le fait d’avoir un salaire de subsistance ou des vacances illimitées permet aux gens de vivre comme s’il s’agissait de leur propre entreprise. Mais, au bout du compte, ce ne sont pas eux qui assument le risque. Si l’entreprise a peu de revenus pendant huit mois, c’est très probablement moi qui vais devoir combler la différence et assumer la plus grande part du risque.

La sénatrice Jaffer : Merci.

La sénatrice Marshall : Merci beaucoup. Votre exposé était très intéressant. Je sais que nous voulons savoir les difficultés que ces propositions pourraient entraîner pour vous, mais j’aimerais avant cela revenir un peu en arrière. Vous avez mentionné que plusieurs de vos entreprises avaient fait faillite avant que votre entreprise actuelle ne prospère. Pourriez-vous nous parler des difficultés que vous avez dû affronter, et veuillez garder à l’esprit que je n’ai que quatre ou cinq minutes. Je trouverais simplement intéressant de savoir quels problèmes se sont posés avec vos entreprises qui ont fait faillite et avec votre entreprise actuelle qui est rentable. Quels problèmes avez-vous eu à surmonter? Les autres sénateurs vont assurément vous demander de parler des impacts des propositions, mais j’aimerais seulement avoir une idée de tous les problèmes qui pèsent sur vous.

M. Boettcher : Bien sûr. Au départ, quand il n’y a que vous, je dis toujours qu’un propriétaire de petite entreprise est quelqu’un qui est autonome et, peut-être, qui ne cherche pas à prendre de l’expansion. Un entrepreneur est quelqu’un qui veut que ses activités aient un impact massif sur la collectivité.

L’accès aux capitaux est probablement ce qu’il y a de plus important. Pour survivre, je n’avais que ce qu’il y avait dans mon compte de banque, et il suffisait d’un mois de vaches maigres pour que l’entreprise fasse faillite. C’est ce genre de choses qui me viennent à l’esprit quand il est question de bénéfices non répartis; il est extrêmement important d’être en mesure de mettre de l’argent de côté dans un compte pour les mauvais jours, et c’est particulièrement vrai lorsque l’entreprise atteint une certaine taille. J’ai une masse salariale mensuelle de 120 000 $, alors il faut que j’aie cette option.

Je crois que ce serait très utile que le gouvernement puisse prendre des mesures pour veiller à ce que les vraiment très petites entreprises qui ne comptent aucun employé et qu’un seul entrepreneur, un propriétaire de petite entreprise, puissent, au bout du compte, avoir une chance de survivre.

J’ai déjà mentionné certains points. Je sais que vous avez posé plus tôt des questions à propos de données tangibles ou concrètes, de suggestions ou de recommandations concrètes relativement à la classe moyenne et d’autres choses en ce sens. Je serai heureux de vous en parler plus tard, parce que j’ai effectivement quelques idées.

Les choses se sont corsées à l’époque où j’ai pris les rênes de Fiasco. En 2009, il y a eu un incendie dans notre magasin; nous n’avons jamais eu l’occasion de même ouvrir les portes. Personne ne m’aurait reproché de laisser tomber, mais j’avais un employé en ce temps-là et j’ai décidé de ne pas baisser les bras. Je voulais remettre l’entreprise sur pied. Quand l’entreprise a rouvert ses portes, nous avons pendant six mois fait d’excellentes affaires, puis le propriétaire de l’endroit est venu nous dire : « Désolé, mais vous allez devoir payer le double de ce que vous payez maintenant. » Vous voyez, les obstacles à l’entrepreneuriat ne viennent pas toujours du gouvernement.

À ce moment-là, j’aurais vraiment aimé qu’un ordre de gouvernement ou un autre prenne des mesures pour nous permettre d’avoir accès à quelque chose qui nous aurait permis de continuer. Cela aurait été…

La sénatrice Marshall : Parlez-vous de financement?

M. Boettcher : Oui, quelque chose du genre. Quand je songe à ce qui s’est fait au Canada, en particulier à Calgary et en Alberta, relativement aux groupes avec lesquels je travaille... Je trouve que c’est une ville géniale à cause de cela. Quand les gens parlent de Calgary, ils parlent des entreprises qui y prospèrent et des choses grandioses qui s’y font et des contributions à la collectivité. La remise des prix pour les petites entreprises a eu lieu récemment, et les entreprises qui ont été félicitées étaient justement les entreprises qu’une personne voudrait voir si elle venait en ville pour cette raison.

C’est exactement le genre de choses qui favorise l’essor de notre pays, et je crois que c’est pour cette raison que nous devons nous assurer de ne pas jeter une lumière défavorable sur ces entreprises, parce que, comme cela a déjà été mentionné, il y a toujours le risque que les gens décident de remballer leurs jouets et d’aller voir ailleurs, et c’est évidemment quelque chose qu’on veut décourager.

La sénatrice Marshall : Donc, la proposition du gouvernement en ce qui a trait au revenu passif, est-ce que cela aurait une incidence sur vous? Vous avez mentionné qu’il faut avoir des fonds pour faire prospérer une entreprise.

M. Boettcher : Oui.

La sénatrice Marshall : Est-ce que cela aurait un impact sur vous?

M. Boettcher : J’aimerais pouvoir dire que l’entreprise est assez rentable pour que nous ayons assez de capitaux de côté pour être à l’abri en cas de mauvaise surprise, mais je dois admettre que, à mesure que l’entreprise continue de prendre de l’expansion, nous allons être touchés de manière non négligeable. Par le passé, quand j’ai dû me débrouiller dans une situation délicate, ce que j’ai fait, c’est aller voir une tierce partie ayant un revenu passif pour lui emprunter de l’argent. Avec les nouvelles restrictions, il me sera moins possible de le faire.

La sénatrice Marshall : L’accès serait plus difficile.

M. Boettcher : Ce que je veux dire, c’est qu’il y a des gens qui ont travaillé dur toute leur vie et qui ont réussi à mettre un peu d’argent de côté, et il est vraiment important qu’on puisse y avoir accès.

Je suis conscient du fait que ce serait très difficile, si on décidait d’un chiffre arbitraire, de dire que c’est le bon chiffre. Je crois qu’un certain pourcentage du revenu… Prenez le budget d’un simple particulier : à combien devraient s’élever les réserves pour les jours difficiles? Les gens disent souvent qu’il faut de trois à huit mois d’épargne. Selon moi, c’est la même chose pour les entreprises.

La sénatrice Marshall : Le dernier budget fédéral a été surnommé le budget de l’innovation. Comprenait-il des avantages, quels qu’ils soient pour vous?

M. Boettcher : Pas vraiment. Je crois, encore une fois — le sujet a été abordé plus tôt —, que c’est une très bonne chose de réduire le taux d’imposition des entreprises, mais je ne crois pas que cela réglera tous les problèmes.

Honnêtement, quand je plante un drapeau dans le sol et que je décide de me battre pour quelque chose de différent dans notre grand pays… je suis sûr que bon nombre de sénateurs ne connaissent pas grand-chose des entreprises certifiées B Corp. C’est quelque chose qui nous vient des États-Unis, où des entreprises font un don une fois par année afin de protéger la planète. Patagonia, par exemple, a fait un don de 10 millions de dollars. Voilà le genre d’organisations qui appartiennent à ce groupe. Il n’y en a que 1 800 dans le monde, et trois d’entre elles sont des entreprises qui oeuvrent dans le domaine des desserts glacés. Il y a tout un processus : on examine le nombre de femmes dans votre organisation, la composition de votre conseil d’administration, la part d’actions détenues par les employés et la gérance de l’environnement.

À mon avis, ce sont des choses très importantes, et les entreprises qui font ça en sont félicitées. Ce serait une excellente façon pour le gouvernement de dire : « Ces entreprises font plus que simplement créer des emplois au Canada. » Peut-être qu’il faudrait ajouter quelque chose là-dedans qui dit qu’une entreprise comme Fiasco Gelato a des pratiques commerciales exemplaires et est une force positive. Peut-être qu’il faudrait traiter ce genre d’entreprise différemment des entreprises dont le seul but est de faire de l’argent, disons.

La sénatrice Marshall : Je représente Terre-Neuve-et-Labrador et j’ai aussi siégé à des comités de sport jeunesse, et nous avions besoin des petits entrepreneurs pour nous aider à financer certaines choses, comme des maillots pour le soccer. Selon l’un des témoins que nous avons reçus — ou peut-être était-ce dans quelque chose que j’ai lu —, l’un des impacts de ce qui est proposé se fera ressentir dans la capacité de petites entreprises de soutenir leur collectivité grâce à des programmes similaires. Vous êtes sur le terrain, alors croyez-vous que c’est une possibilité? Croyez-vous que cela va arriver?

M. Boettcher : Absolument. Nous prévoyons dans notre budget des montants pour nos dons et notre parrainage. Quelqu’un a mentionné plus tôt qu’une contribution peut être aussi simple que le fait, pour un entrepreneur, grâce à son horaire flexible, d’être entraîneur de hockey ou d’un autre sport du genre dans la collectivité, et je crois qu’il faudrait vraiment s’engager à ce que cela puisse continuer.

Nous participons à beaucoup de choses, surtout dans la collectivité, et je crois sincèrement que s’il fallait composer avec d’autres restrictions, même très peu… Nous avons très peu de marge de manœuvre dans l’exploitation de notre entreprise actuellement, et nous redonnons beaucoup à la collectivité. Nous payons nos employés et prenons soin d’eux, et le peu qui reste, nous le réinvestissons dans la collectivité. S’il nous était impossible d’avoir un filet de sécurité pour les jours sombres, je ne pourrais pas me permettre de donner quoi que ce soit aux équipes sportives, parce que je ne peux pas espérer qu’elles vont venir à notre rescousse si la situation se détériore. Donc, sur ce point, je suis d’accord.

La sénatrice Marshall : Merci.

Le sénateur Neufeld : Merci beaucoup. Je trouve très rafraîchissant d’entendre quelqu’un comme vous expliquer en ses propres mots ce que c’est d’être un entrepreneur, et je dois dire que vous semblez avoir visé dans le mille. J’approuve tout ce que vous avez dit. Il y a des personnes qui ont une position différente de la vôtre, mais vous êtes jeune. Vous avez dit que vous avez échoué à deux reprises, mais que votre entreprise est rentable maintenant. C’est très bien. Je comprends tout cela.

Est-ce que quelque chose dans les modifications proposées par le gouvernement aurait un impact défavorable sur vous ou sur votre entreprise dans l’avenir? Il y a une autre chose que je voudrais vous demander : vous êtes jeune, et vous avez encore beaucoup d’années devant vous, mais l’adage dit que les gens devraient préparer leur retraite aussitôt que possible. Je tiens pour acquis que c’est peut-être assez loin dans votre esprit — à moins que je ne me trompe —, mais croyez-vous que vous devriez être en mesure de mettre de côté une partie des revenus de votre entreprise — le montant que vous jugez approprié — pour votre retraite?

M. Boettcher : Eh bien, je me répète, mais je vais commencer par répondre à votre dernière question. Fiasco est mon régime de retraite. Chaque sou économisé est réinvesti dans l’entreprise. J’ai aussi quelques autres entreprises. S’il reste de l’argent de ce côté-là, il est généralement réinvesti dans l’entreprise de gelatos. Au bout du compte, c’est vraiment là que je garde tout mon argent. J’ai encaissé mon REER il y a longtemps pour devenir entrepreneur. Ce n’était peut-être pas la décision la plus sûre, mais c’était la bonne décision à ce moment-là.

Ma fiancée est aussi entrepreneure. C’est parfois très difficile et troublant de voir à quel point ce que nous faisons a un impact sur notre capacité de fonder une famille et sur nos plans d’avenir. Tous les jours, nous disons que nous devons aller au combat, et nous revêtons notre armure. Ce n’est pas que nous n’aimons pas ce que nous faisons, mais après une journée de 12 ou de 16 heures passée à se battre bec et ongles, en particulier pour vos employés et votre collectivité, vous finissez parfois par vous demander s’il ne serait pas plus facile de trouver un vrai emploi et par vous poser d’autres questions du genre.

Oui, j’ai 34 ans. Je suis encore jeune. Il m’arrive parfois d’avoir l’impression que je suis centenaire, mais bon. Tout bien réfléchi, je crois que ce qui me préoccupe le plus dans ces modifications, c’est l’impact que cela va avoir sur les bénéfices non répartis.

Les deux dernières années ont été très intéressantes. Avant, nous devions surveiller de près notre bénéfice net pour demeurer rentables, et maintenant, notre revenu est tout juste suffisant pour que nous soyons sûrs que le bateau ne coulera pas si nous avons un mauvais mois. Nous travaillons fort pour que nous puissions en avoir un peu plus. Je me suis toujours versé un salaire très faible. Il m’arrive de me demander pourquoi je fais tant de sacrifices si, au bout du compte, je ne suis pas en mesure de garantir la durabilité de l’entreprise, et ce n’est pas aisé de répondre à cette question.

Selon moi, plus vous essayez de réglementer ce… Je crois que Trudeau a parlé de combat. Je trouve son choix de mots très intéressant. Nous allons combattre cela. Je viens tout juste de dire que plus vous allez essayer de restreindre cela, plus les gens vont essayer de ne pas payer. Pour me faire l’écho de ce que M. Legge a dit, je crois véritablement qu’un examen exhaustif du système s’impose. Vous ne pouvez pas décider sur un coup de tête que vous allez combattre l’évasion fiscale. Je trouve simplement hallucinant que c’est ce qu’on pense faire présentement, surtout avec toutes les choses qu’on apprend récemment à propos des finances personnelles du ministre Morneau et tout le tralala. La situation est vraiment désordonnée.

Je crois que la meilleure décision qu’on puisse prendre actuellement serait de dire « d’accord, effectivement, peut-être que le régime fiscal est dépassé et que nous devons revoir tout le système et encourager les gens à placer leur argent au Canada et non dans des comptes à l’étranger ou peu importe comment ils s’y prennent ». Il me semble que c’est plutôt simple, mais, encore une fois, c’est vrai que je suis jeune.

Le sénateur Neufeld : Merci.

Le sénateur Pratte : J’aimerais qu’on revienne au sujet du revenu passif. Je ne me rappelle plus si vous aviez dit cela par rapport à votre entreprise actuelle ou à vos entreprises passées, mais vous avez mentionné qu’à un certain moment, vous aviez besoin d’argent et que vous étiez allés voir d’autres entrepreneurs pour leur emprunter des fonds. Bien sûr, ils ont pris l’argent de leurs propres investissements passifs. Je comprends que vous ne pouviez pas demander de l’argent à la banque à l’époque. Aucune banque n’aurait accepté…

M. Boettcher : C’est exact.

Le sénateur Pratte : … de vous prêter de l’argent. C’est quelque chose qu’on entend souvent. Les entreprises qui ont des placements passifs prêtent de l’argent à d’autres entrepreneurs. Dites-nous-en plus à ce sujet.

M. Boettcher : Oui. J’ai fait beaucoup de chemin en ce qui concerne ma relation avec les banques canadiennes. Les banques sont vraiment douées dans le domaine des ventes et du marketing, et je crois que toutes les banques actuellement ont décidé de soutenir l’entrepreneuriat, mais lorsque le souscripteur commence à étudier les risques, on s’aperçoit que les banques sont extrêmement loin d’être enthousiastes lorsqu’il y a des risques, pas vrai? Fiasco est une entreprise de produits de consommation emballés. Ce n’est pas bon pour les affaires d’avoir à se tourner vers une société de capitaux qui prête de l’argent aux taux de Money Mart.

Le fait que je connaissais quelques autres entrepreneurs qui croyaient en moi et en mon entreprise et qui étaient disposés à me prêter de l’argent pendant peu de temps à un taux d’intérêt équitable a été très important. Je dirais même, somme toute, que cela rejaillit même sur la collectivité; il faut être en mesure d’épargner de l’argent au cas où un des employés devrait faire face à une dépense inattendue comme cela est arrivé plus d’une fois. Vous voulez être en mesure de pouvoir aider les gens.

Avec toutes ces restrictions, vous ne permettez pas aux gens de faire ce qu’il y a de plus important, c’est-à-dire leur donner les moyens de survivre lorsque les temps sont difficiles. Je dis toujours que les temps difficiles ne durent pas; les gens, oui. Les gens qui m’ont aidé pendant ces temps difficiles font partie d’un groupe de collègues ou de conseillers que je consulte lorsque ce genre de questions se posent, et ils me disent : « Tu sais quoi, James, si ces modifications avaient été adoptées à l’époque, je ne sais pas si j’aurais été en mesure de t’aider. » C’est très décourageant, de mon point de vue.

Le sénateur Pratte : Donc, votre entreprise continue de s’agrandir, vos revenus augmentent et tout le reste, et vous voyez que vos placements passifs vont être plus importants dans l’avenir. Comment envisagez-vous ces placements passifs? En priorité, à quelles fins utiliseriez-vous cet argent?

M. Boettcher : Avant toute chose, je crois que toute somme d’argent que nous avons serait utilisée pour la croissance de l’entreprise, pour améliorer tout ce qui a rapport à la qualité de vie des employés ou pour réaliser des gains d’efficacité qui vont rendre le travail plus plaisant. Vous voyez, ce genre de choses. Nous sommes parvenus, parfois, à faire de petites choses. Je représente l’industrie du camion-restaurant ici à Calgary, et j’ai été en mesure d’aider les gens à passer au travers de périodes difficiles. Vous voyez, un camion restaurant n’est pas vraiment rentable quand il fait moins 20 degrés à l’extérieur. Il faut voir la réalité en face quant à la façon dont l’argent est utilisé présentement.

À mesure que l’entreprise prend de l’expansion, je crois, en toute honnêteté, que la création d’emplois est véritablement une priorité pour moi. C’est quelque chose que j’ai réalisé à l’époque où j’ai pris les rênes de Fiasco. Nous étions une boutique qui vendait des boules de crème glacée à l’unité et notre chiffre d’affaires était de 100 000 $ par année. J’ai été inspiré par Starbucks, qui disait que si vous pouvez servir une excellente tasse de café à beaucoup de gens, alors vous pouvez créer des emplois pour un millier de personnes. Fiasco a toujours eu un tel objectif. Nous cherchons à créer un milieu de travail idéal pour les gens. Nous y mettons beaucoup d’efforts.

D’autres entreprises, à nouveau, prennent des mesures timides pour en faire autant. J’adore l’entrepreneuriat, et, au bout du compte, lorsqu’une personne a une idée de génie, je veux y participer. Cependant, encore une fois, c’est l’accès à mes revenus passifs qui détermine si je peux y participer ou si je vais devoir me contenter de l’encourager de loin.

Le sénateur Pratte : Pour terminer, nous n’avons toujours pas parlé du fractionnement, de la répartition ou du partage des revenus. Est-ce que cela pourrait poser un problème?

M. Boettcher : Je préfère le mot « partage ». « Partage » est un meilleur mot.

Le sénateur Pratte : « Partage » est le mot le plus approprié. Donc, est-ce que cela pourrait vous poser un problème? Vous avez mentionné que votre femme est aussi entrepreneure.

M. Boettcher : Oui. Nous n’avons pas d’enfant, alors le problème ne se pose pas présentement. J’ai un ami qui est médecin; son épouse est aussi médecin, et ils viennent d’avoir un enfant. Je ne me souviens plus du temps où il n’allait pas à l’école. Il a la trentaine maintenant, et avec tous les sacrifices qu’il a dû faire pour devenir un excellent médecin au Canada, j’affirmerais, en son nom, qu’il devrait vraiment pouvoir veiller à ce que sa famille puisse subvenir à ses besoins. Donc, cela ne me touche pas personnellement, mais je sais qu’il y a beaucoup de gens au pays qui contribuent à notre grande nation et qui devraient avoir le droit de prendre ce genre de décision eux-mêmes.

Le sénateur Pratte : Merci.

Le sénateur Oh : Je vous remercie d’être ici. Hier soir, j’ai entendu dire qu’un grand nombre de petites entreprises avaient fermé leurs portes en Alberta au cours des deux dernières années, et que même si le taux de chômage a diminué, il demeure tout de même élevé. Croyez-vous que les modifications du régime fiscal sont susceptibles de nuire au grand nombre d’entreprises qui sont encore dans un état précaire et qui ont de la difficulté à s’en remettre? Selon vous, le gouvernement offre-t-il des incitatifs aux entrepreneurs tels que vous-mêmes pour rester en affaire, créer les emplois et promouvoir la croissance à l’échelle locale?

M. Boettcher : Présentement, je doute qu’il y ait quoi que ce soit de tangible mis de l’avant par les trois ordres de gouvernement qui puisse aider les entrepreneurs. J’ai l’impression que notre pays a beaucoup de difficulté à déployer des efforts pour aider les petites entreprises ou l’entrepreneuriat en général. La position du NPD est d’augmenter arbitrairement le salaire minimum d’un montant X. De mon côté, je crois qu’il faut bien rémunérer les gens. Un nouvel employé chez Fiasco touche un salaire horaire de 17 ou de 18 $, alors la question du salaire minimum ne me concerne pas, mais je ne crois tout de même pas qu’il faut imposer à l’industrie en entier un montant arbitraire. Ça n’a pas de sens.

Au cours des deux dernières années, environ 7 000 entreprises ont fermé leurs portes en Alberta. C’est beaucoup, et quand je parle aux entrepreneurs qui sont en difficulté ou dont l’entreprise est sur le point de fermer, je dirais que dans la majorité des cas, ils sont tout simplement épuisés. Ils n’ont plus les moyens d’exploiter leur entreprise. Je crois que c’est là où le gouvernement devrait intervenir et demander comment il peut aider ces entreprises.

Ne vous méprenez pas, il y a beaucoup de gens qui lancent une entreprise avec une mauvaise idée de départ, et parfois, les choses n’aboutissent pas. Je crois toutefois sincèrement, au bout du compte, que le gouvernement doit soutenir corps et âme les personnes qui prennent ce genre de risque, vu tous les sacrifices qu’ils font. Aucun entrepreneur ne peut travailler six heures par jour, quatre jours par semaine et empocher ainsi de gros montants. L’entrepreneuriat requiert d’importants sacrifices. Quand je voyage avec des gens, ou que des gens me demandent ce qu’il y a à faire à Calgary, la discussion tourne souvent autour des petites entreprises et des petits entrepreneurs qui ont décidé de prendre un risque, de tenter leur chance.

Dans le même ordre d’idées, je sais que le ministre Morneau s’est mis un peu les pieds dans le plat — disons-le ainsi — à cause de la façon dont il s’est exprimé. On ne peut rien y faire. Selon moi, au bout du compte — je vais me faire un peu l’écho de ce que M. Legge a dit —, il est important de faire preuve d’humilité. On reconnaît un grand leader à son humilité. Si c’était possible, il faudrait dire : « Vous savez quoi, nous avons été trop prompts. Nous n’avons pas fait du tout ce qu’il fallait. Nous n’avons pas consulté suffisamment les vrais entrepreneurs. Nous allons prendre un moment de recul, examiner l’excellent travail des sénateurs, et revenir avec quelque chose d’utile. » Tout à coup, la situation est renversée, et tout le monde cesse de penser que le gouvernement veut lui nuire. Peut-être que le gouvernement veut aider, finalement.

Le sénateur Oh : Vous devez être un entrepreneur prospère, vu tout ce que vous faites pour la collectivité et pour favoriser la croissance à l’échelle locale. Quel est le chiffre d’affaires?

M. Boettcher : Je ne dirais pas que je suis prospère, mais je dors très bien la nuit en pensant à tout le bien que nous faisons dans la collectivité.

Le sénateur Oh : C’est bien.

M. Boettcher : Être capable de dormir paisiblement, je trouve que c’est quelque chose de merveilleux. Chaque matin, je me réveille en ayant hâte de changer les choses pour le mieux. Malgré tout, je ne conduis pas une Tesla, je n’ai pas d’hélicoptère ni quoi que ce soit d’aussi amusant. Je n’ai pas non plus de compte quelque part à l’étranger. Ce serait agréable, mais ce serait un plaisir vide.

La sénatrice Andreychuk : Je tiens à faire un commentaire à propos de quelque chose que vous avez dit. Ce serait bien si M. Morneau faisait preuve d’un peu d’humilité et disait : « Nous avons essayé quelque chose. Cela n’a pas fonctionné. Nous entendons ce que les gens qui seront touchés disent. » Il arrive que les gouvernements fassent cela.

Ce que le ministre Morneau a dit, c’était plutôt : « Nous avons écouté les gens, nous avons préparé des amendements et nous allons les mettre en œuvre coûte que coûte au cours des prochains mois, même si nous ne sommes pas vraiment sûrs de la façon dont cela sera mis en œuvre, ni de la structure et des règles qui seront imposées. » Beaucoup de gens se demandent donc : « Comment sommes-nous censés réagir quand nous ne savons rien de certain. Vous dites : “Faites-moi confiance, ce que nous préparons sera équitable et simple, parce que nous vous avons écouté.” » Croyez-vous que cela est suffisant, ou êtes-vous d’avis qu’il faudrait faire quelque chose de plus?

M. Boettcher : Je crois que ce serait une grave erreur. Comme cela a été mentionné dans les recommandations de la sénatrice Cools quant à ce qui devrait figurer au compte rendu d’aujourd’hui, le gouvernement n’a pas été élu pour prendre des mesures aussi draconiennes sans d’abord veiller à l’intérêt supérieur du peuple. Je crois fortement que s’il est décidé que ces modifications vont être adoptées comme telles, il va y avoir un important revirement dans la situation des entreprises au Canada. Le contexte ne sera plus le même pour les nouvelles entreprises, sans parler de celles qui vont essayer de rester en affaires.

Je vais mettre les choses dans un contexte simple qui s’applique à moi. J’ai décidé d’ouvrir une installation supplémentaire en Ontario. Nous envisageons des endroits où des emplois ont été supprimés, comme Oshawa, et je peux décider d’établir l’installation à cet endroit ou bien de l’établir à Détroit. Je pense qu’au bout du compte, les décisions comme celles-là font qu’il est très tentant de dire : « Fiasco est une entreprise qui a une incidence exceptionnelle au sein de sa collectivité. Il nous faut plus d’entreprises du genre. Assurons-nous que les dirigeants de cette entreprise veulent tout faire au Canada. »

La sénatrice Marshall : J’ai une question rapide. Depuis combien de temps possédez-vous cette entreprise, Fiasco?

M. Boettcher : J’en ai pris la relève en 2009.

La sénatrice Marshall : En 2009.

La sénatrice Cools : Huit ans. Alors, il est sur la bonne voie.

M. Boettcher : Je n’avais aucune idée de ce que je faisais. Je n’en ai toujours aucune, mais c’est une autre histoire.

Le sénateur Mockler : Je disais à la greffière — et je veux vous en faire part — que nous avons quelque chose en commun, vous et moi. Je vais vous poser une question personnelle, mais elle est publique aux fins du compte rendu. Vous avez affirmé avoir été élevé par un parent célibataire. Mère ou père?

M. Boettcher : Père.

Le sénateur Mockler : Père.

M. Boettcher : Oui.

Le sénateur Mockler : Il doit être très fier de vous.

M. Boettcher : Oui. En fait, il travaille pour moi. C’est une formidable tournure des événements. Mon père avait passé 18 ans auprès d’une organisation qui ne reconnaissait pas son dévouement et, un jour, il a demandé s’il pouvait être le concierge. J’ai dit : « Je n’ai pas besoin de concierge, mais j’ai besoin d’un expéditeur-réceptionnaire. » Il est maintenant âgé de 64 ans. Il travaille pour moi depuis cinq ans.

La sénatrice Cools : Est-il heureux?

M. Boettcher : La meilleure et la pire décision que j’aie jamais prise. Mais j’ai l’occasion de côtoyer mon père tous les jours…

La sénatrice Cools : Charmant.

M. Boettcher : … et c’est très gratifiant.

La sénatrice Cools : C’est beau à voir.

M. Boettcher : Alors, passer de — désolé, je deviens un peu émotif quand je parle de ce sujet, mais…

La sénatrice Cools : Bien sûr.

Le sénateur Mockler : Vous êtes formidable. Le savez-vous?

La sénatrice Cools : Nous adorons entendre votre histoire.

M. Boettcher : Passer de fouiller dans les poubelles pour trouver des bouteilles et des cannettes de boisson gazeuse avant l’école à pouvoir employer son père, c’est très spécial.

Le sénateur Mockler : Monsieur Boettcher, je deviens très émotif, moi aussi. Je suis le fils d’une mère célibataire qui touchait de l’aide sociale, et j’ai pris mon premier prêt étudiant pour raccorder cette petite maison à l’aqueduc et aux égouts. Je vivais avec mon grand-père, ma grand-mère, ma sœur et ma mère.

Quand je regarde la description du terme « fiasco » dans le dictionnaire, il s’agit d’un événement, d'une tentative de faire quelque chose qui se termine par un échec, qui est complètement ratée. Mais vous n’êtes pas un raté, mon ami.

M. Boettcher : Merci.

Le sénateur Mockler : J’ai tiré des leçons tout au long de ma vie — j’ai sept élections à mon actif —, et je n’ai jamais pensé servir mon peuple. Je n’ai jamais, au grand jamais pensé ni rêvé que je siégerais ici. Ce dont vous nous avez fait part, c’est cela, le Canada. Je sais que vous le savez, et nous savons tous que les gens se soucient peu de qui nous sommes avant de savoir ce qui nous tient à cœur. Nous savons ce qui vous tient à cœur : faire du Canada le meilleur pays au monde.

M. Boettcher : Tout à fait.

Le sénateur Mockler : Nous vous disons : « Merci beaucoup, et continuez. » Et, si vous voulez déménager dans l’Est, faites-le-moi savoir.

M. Boettcher : Très bien. Merci.

La sénatrice Cools : La région du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Andreychuk : Voulez-vous un emploi? Un véritable emploi?

Le sénateur Mockler : Monsieur Boettcher, merci.

Sénateurs, notre dernier témoin est M. Derrick Hunter, président de Bluesky Equities Limited.

Merci beaucoup, Hunter, d’avoir accepté notre invitation à comparaître devant le Comité sénatorial permanent des finances nationales afin de nous faire part de votre point de vue, de vos commentaires et de vos opinions. Je vais vous demander de présenter votre exposé, qui sera suivi de questions posées par les sénateurs. Si vous avez une déclaration préliminaire à faire, veuillez prendre la parole.

Derrick Hunter, président, Bluesky Equities Ltd. : Bonjour. Je n’ai jamais vraiment rien fait de pareil, alors je vous remercie de me donner cette occasion de présenter mon point de vue sur ce que je considère être un projet de loi fiscal très mal conçu. Les propositions comportent plein de lacunes du point de vue de la conception, qui ont largement été abordées, mais ma principale préoccupation concerne l’effet qu’aura le projet de loi sur la formation de capital pour les nouvelles entreprises au pays.

Je m’appelle Derrick Hunter. Ce sujet me tient à cœur. J’ai été entrepreneur à de nombreuses reprises dans ma vie : j’ai cofondé ou fondé des entreprises dans les secteurs de l’énergie, de l’immobilier et de la technologie. À mon poste actuel de président et de chef de la direction de Bluesky Equities, j’ai investi des capitaux dans plus d’une vingtaine d’entreprises canadiennes en démarrage. J’ai appuyé des entrepreneurs à titre de membre de VA Angels — une organisation d’entrepreneurs —, de fondateur de Creative Destruction Lab Rockies et de directeur de Futurpreneur Canada.

Je suis également un des administrateurs de la Hunter Family Foundation, qui a créé le Hunter Centre for Entrepreneurship and Innovation, à l’école de commerce Haskayne. À ce jour, nous avons formé plus de 2 000 étudiants de l’Université de Calgary pour qu’ils adoptent une pensée entrepreneuriale. En mai 2017, nous avons annoncé l’établissement du nouveau centre Hunter Hub for Entrepreneurial Thinking, qui offre maintenant le programme à plus de 30 000 étudiants de l’ensemble du campus.

De plus, au cours des deux dernières années, j’ai regardé un certain nombre d’initiatives locales passionnantes être mises en œuvre à Calgary, notamment Rainforest Alberta, Nucleus, Creative Destruction Lab et la Calgary Innovation Coalition. Ces groupes ont suscité de l’enthousiasme, pendant que le secteur de l’énergie a connu une période difficile.

À mon avis, le milieu de l’innovation de Calgary ne s’est jamais mieux porté. Ainsi, le projet de loi est un réel coup dur pour ceux d’entre nous qui ont travaillé fort afin de mettre sur pied cet écosystème. Il s’agit précisément du contraire d’une bonne politique. Au lieu d’encourager nos entrepreneurs, nous sommes sur le point de leur mettre les bâtons dans les roues. Je ne sais pas si le gouvernement agit ainsi parce qu’il souhaite créer une lutte des classes pour faire des gains politiques ou par simple ignorance de l’importance de l’entrepreneuriat, mais les deux explications ne sont pas très flatteuses.

En me préparant pour aujourd’hui, j’ai examiné sur Wikipédia la biographie de l’ensemble des membres du Cabinet fédéral, et cet exercice a été révélateur. Par ailleurs, je dois dire que j’ai été plus qu’un peu choqué de découvrir qu’elles ne comportaient pas une seule mention d’une quelconque initiative entrepreneuriale. Cela me semble être un trou assez béant dans l’expérience collective.

Pratiquement tout ce qu’on utilise dans sa vie quotidienne, de la voiture qu’on conduit au iPhone dans sa poche, découle du fait qu’un entrepreneur a trouvé une occasion, pris une initiative et commercialisé le produit. L’entrepreneuriat fait croître l’économie et améliore la qualité de vie des citoyens, mais le Canada est maintenant gouverné par un groupe de gens qui n’ont jamais lancé d’entreprises, payé d’employés, recueilli des capitaux d’amorçage, ni travaillé sur un plan de relève. Il est peut-être peu surprenant que ce groupe n’ait pas pu prévoir les conséquences négatives graves de cette proposition.

Habituellement, les entreprises en démarrage passent par les trois étapes du financement, que nous appelons les amis et la famille, les investisseurs providentiels et les investissements de série A. Au fil de leur croissance, elles franchissent ces étapes à mesure que leurs besoins en capitaux prennent de l’ampleur.

Même si les annonces récemment faites par le gouvernement ont tenté d’atténuer les réactions provoquées par ces propositions, si vous décortiquez ces propos, vous verrez que peu de choses indiquent qu’il comprend vraiment ce qu’il est en train de déchaîner.

Tout d’abord, concernant le financement par les amis et la famille, il s’agit habituellement des premières sommes recueillies par un entrepreneur. Sous le régime des règles étendues en matière d’impôt et de fractionnement du revenu, que le gouvernement a affirmé qu’il va promulguer, ce financement proviendra désormais essentiellement d’amis seulement parce que, si une entreprise connaît du succès, les membres de la parenté qui investissent seront assujettis à une imposition au plus haut taux marginal provincial plutôt qu’aux taux applicables aux gains en capitaux. En guise de contexte, ce taux serait au moins deux fois plus élevé que si la personne avait touché une somme semblable grâce à un investissement dans une entreprise ouverte comme une banque ou un service public. Ainsi, l’investissement présentant un risque élevé et sans liquidité suppose un taux d’imposition deux fois supérieur à celui de l’investissement dans une société ouverte à faible risque.

On m’a avisé que le gouvernement ne considère pas cette source de capitaux comme étant importante, mais, en tant que personne qui a littéralement vu des centaines d’entreprises privées chercher du financement au cours des 10 dernières années, je peux vous dire qu’essentiellement, toutes les sociétés privées comptent sur des membres de la parenté pour le financement des premières étapes. Cet argent ne s’appelle pas du « capital-risque convivial » pour rien.

L’étape de l’investissement providentiel, à laquelle je prends souvent part, peut supposer des investissements d’entrepreneurs expérimentés qui proviennent souvent d’une société de portefeuille d’investissement. Selon le document de travail initial, l’impôt total à payer sur une sortie fructueuse augmenterait de façon importante pour s’établir à un taux nominal d’environ 73 p. 100. Le gouvernement a clairement manifesté son intention d’éliminer les sociétés de portefeuille d’investissement, mais elles représentent actuellement près de 88 p. 100 des capitaux providentiels du Canada. À mon avis, c’est beaucoup plus que ce que nous pouvons nous permettre d’abandonner.

En réaction au tollé général, le gouvernement a mentionné envisager d’exempter les investisseurs providentiels et de protéger les droits acquis sur les investissements existants, mais ce sont les détails qui poseront problème, et on nous dit qu’ils resteront inconnus jusqu’au printemps. Face à cette incertitude, l’investissement providentiel est en grande partie sur pause.

Les investissements de série A reçus de sociétés de capital risque établies ne sont accessibles qu’aux entreprises les plus fructueuses, qui comptent pour un infime pourcentage de celles qui sont établies. Les sociétés de capital risque comptent sur les investisseurs providentiels pour amener les entreprises en haut de la courbe du développement afin qu’elles deviennent assez importantes pour mériter un investissement de capital de risque. Tout comme les investisseurs providentiels, les sociétés de capital risque font face à une incertitude considérable et disposeront d’un bien plus petit flux d’affaires avec lequel travailler en raison de l’incidence sur le secteur providentiel.

Selon moi, les capitaux d’investissement canadiens pour cette catégorie d’actif ont été grandement réduits depuis le 18 juillet. Malgré les récentes déclarations selon lesquelles le gouvernement est à l’écoute, à ce jour, il n’a suscité que des craintes et de la confusion. Les décisions récentes consistant à réduire le taux applicable aux petites entreprises ne font qu’exacerber le gigantesque écart entre les faibles taux d’imposition des petites entreprises et les taux d’imposition marginaux élevés sur le revenu des particuliers, et c’est la cause sous-jacente de la situation.

Le plafond annuel de 50 000 $ s’appliquant au revenu d’investissement est sans fondement, insuffisant et compliqué à mettre en œuvre. Je n’arrive pas à comprendre comment nos dirigeants peuvent sembler ne pas être préoccupés par le fait que notre grand partenaire commercial prend la voie directement opposée au chapitre de ses politiques.

Jusqu’ici, le gouvernement a fait fi de solutions simples pour favoriser des approches complexes qui mèneront à des années de litige, à une fuite de capitaux et à d’énormes coûts liés à la conformité. En réalité, la situation peut être corrigée grâce à deux initiatives simples : premièrement, augmenter le taux d’imposition des petites entreprises ou réduire le maximum déductible, comme cela a été fait au Royaume-Uni; et, deuxièmement, permettre à toutes les familles de fractionner leur revenu, comme on le fait aux États-Unis. Problème réglé.

En somme, si nous nous efforçons de créer un pays de fonctionnaires, nous sommes certainement sur la bonne voie. L’entrepreneuriat n’est pas fait pour les cœurs sensibles. Il suppose des risques et des problèmes graves auxquels on n’a jamais à faire face si on obtient un emploi dans le secteur public, et les entrepreneurs doivent payer des pensions garanties, des journées de maladie et d’autres avantages sociaux dont ils ne bénéficieront jamais. En bref, ils conservent les inconvénients, mais le gouvernement se servira une grosse part de leurs avantages. Malheureusement, une fois que nous aurons annihilé notre classe entrepreneuriale, le reste d’entre nous n’auront plus beaucoup de croissance ni de richesse à se partager, et, en conséquence, le Canada sera bien plus pauvre.

Merci.

Le sénateur Mockler : Merci.

La sénatrice Marshall : De tout ce que vous avez dit, je pense que la plus grande préoccupation que j’aurais tiendrait au fait que les propositions vont avoir une incidence sur l’accès à l’argent de démarrage. Le dernier budget était un budget d’innovation. Pourriez-vous simplement effectuer un rapprochement entre le soutien à l’innovation qu’offre le gouvernement dans son budget et ce qui se passe relativement à ces changements fiscaux proposés? Pourriez-vous tenter de faire un rapprochement entre les deux?

M. Hunter : Je vais tenter de le faire. Il me semble que c’est une chose que d’appuyer l’innovation. Quand nous parlons d’initiatives de supergrappe ou de centres d’excellence et de ce genre de choses, en tant que pays, nous dépensons de l’argent dans la recherche et le développement de technologies, mais c’est très différent de la mise en marché, et il s’agit en réalité de ma principale préoccupation.

Au pays, nous avons vraiment de la difficulté — cela fait des années — à tenter d’encourager les gens à investir dans nos entreprises en démarrage. Nous n’avons pas du tout une abondance de capitaux, en particulier aux stades très précoces. Alors, même si je pense qu’il est bien vu pour un gouvernement d’annoncer qu’il appuie l’innovation — parce que c’est une chose facile et pas mal incontestable —, ce que nous observons dans le cas de ces propositions, c’est vraiment le contraire. La capacité des entreprises de décoller et de commercialiser un produit sera sérieusement endommagée.

Je dirige une entreprise. Nous voyons plus d’une centaine de transactions de démarrage chaque année. Nous investissons dans quelques-unes de ces entreprises. Mais c’est difficile. Les jeunes entrepreneurs canadiens ont de la difficulté à obtenir du financement. Je pense que c’est vraiment la différence entre investir de l’argent dans des institutions et des universités de recherche et vraiment faire en sorte qu’on présente un produit commercial.

La sénatrice Marshall : Les témoins affirment que quelque chose va arriver. Est-ce en train de se produire, ou bien pensez-vous que ce sera le cas?

M. Hunter : De quoi parle-t-on?

La sénatrice Marshall : L’accès au financement. Vous parliez de…

M. Hunter : Oh, c’est gelé.

La sénatrice Marshall : C’est en train de se produire?

M. Hunter : Absolument. Cela ne fait aucun doute. J’ai tenu beaucoup de conversations avec des gens comme moi-même qui investissent dans des entreprises en démarrage. Je ne dis pas qu’il n’y a plus du tout d’investissement, mais la plupart des gens — moi-même y compris — affirment que nous sommes en attente. Nous avons décrété un moratoire au mois de juillet, quand les propositions ont été publiées. Tant que nous ne comprendrons pas quelles sont les règles de base, nous n’investirons pas dans des capitaux de risque de démarrage.

La sénatrice Marshall : Le gouvernement a indiqué que les changements proposés, mais les détails ne sont pas accessibles. Il a reculé à l’égard de certains, mais, dans le cas des autres, les détails figureront dans le budget de 2018. Sans égard au résultat ou à la décision finale, pensez-vous que l’argent sera libéré une fois que les détails seront connus et que ce sera réglé, ou bien est-ce que cela dépend des détails en tant que tels?

M. Hunter : Cela dépend vraiment des détails. Je suis préoccupé parce que personne ne le sait. Beaucoup d’hypothèses sont formulées…

La sénatrice Marshall : Non, c’est exact, personne ne le sait.

M. Hunter : Tout ce qui est arrivé, c’est que le gouvernement a publié des communiqués de presse disant qu’il reconnaît que les investisseurs providentiels et les sociétés de capital risque sont importants, mais personne ne sait vraiment quel sera le libellé des règles. J’ai entendu toutes sortes d’hypothèses différentes au sujet de ce que cela pourrait signifier. Qu’est-ce que cela signifie que d’exempter en quelque sorte certaines catégories d’actifs? Comment peut-on désigner une entreprise en tant que véritable investisseur providentiel et affirmer qu’une autre n’en est pas un? Qu’est-ce que cela signifie que de protéger les droits acquis relativement à un investissement particulier? Est-ce que cela veut dire que les investissements supplémentaires ne comptent pas? Comment établissez-vous la valeur de l’entreprise à ce moment-là? Ce sera compliqué et désordonné.

La sénatrice Marshall : Alors, où vont les investisseurs? Vous avez mentionné le sud de la frontière. Je pense que c’est ce que vous avez dit. Où vont-ils? Se rendent-ils simplement dans d’autres pays?

M. Hunter : Eh bien, je sais d’après des discussions avec quelques amis travaillant dans des cabinets comptables que de l’argent est sur le point de partir.

La sénatrice Marshall : D’être déplacé?

M. Hunter : Et que certaines sommes d’argent sont parties. Je ne pense pas avoir affirmé que l’argent s’en va au sud de la frontière précisément. Selon moi, dans la plupart des cas, le nombre d’investissements qui sont conclus a chuté. Les gens que je connais et qui sont au courant de la situation et investissent dans de tels actifs sont comme moi. Ils attendent de voir, quand le brouillard se dissipera, ce que signifieront vraiment les règles.

On parle d’isoler les entreprises en démarrage. Comment peut-on définir ce qu’est une entreprise en démarrage? Est-ce sa valeur? Est-ce le moment où elle a été fondée? C’est tout simplement une pente glissante. À mes yeux, il paraît évident que nous nous dirigions vers cet ensemble de règles très complexes, alors qu’en réalité, toute la situation pourrait être bien, bien plus simple.

La sénatrice Marshall : Ma dernière question est la suivante : nous savons que certains changements sont à venir dans certains domaines, mais il reste également une certaine incertitude. Simplement parce que certaines propositions sont présentées dans le budget de 2018, il pourrait y en avoir d’autres à venir. À cette période de l’an prochain, nous étudierons peut-être d’autres propositions.

M. Hunter : Exact.

La sénatrice Marshall : Alors, pensez-vous que cela aussi aura un effet? Disons que ce qui est publié en 2018 est assez bon ou que ce n’est pas trop mal. Selon vous, ce climat d’incertitude planera-t-il encore, ou bien pensez-vous que la situation reviendra à la normale?

M. Hunter : Je ne sais pas. Ce qui serait bien, c’est que le gouvernement fasse entièrement marche arrière, en quelque sorte. J’imagine que cela n’arrivera pas. Je soupçonne que, ce qui va arriver…

La sénatrice Marshall : Non.

M. Hunter : … c’est un bidouillage législatif compliqué qui va mener à toutes sortes de cauchemars comptables et entraîner d’importants coûts de conformité, et nous devons créer des catégories différentes pour diverses sources de revenus, et ainsi de suite. Ce sera tout simplement un cauchemar pour les petites entreprises.

Je pense qu’il s’agit actuellement d’une préoccupation. Nous ne nous attendons pas à ce que le projet de loi entre en vigueur avant le mois de mars, probablement, je présume, mais il s’appliquera de façon rétroactive jusqu’au 1er janvier 2018, peut-être.

Selon moi, il y a un problème de crédibilité. Je ne fais pas vraiment confiance aux responsables. C’est un gouvernement assez rapace qui parle de taxer les repas des serveuses après le travail, pour ne donner qu’un exemple. À ma connaissance, personne ne sera pleinement rassuré par ce qu’il va présenter.

La sénatrice Marshall : Il y aura toujours ce climat d’incertitude.

M. Hunter : Eh bien, je pense que la réputation du gouvernement est bien établie.

Je ne peux pas prévoir l’avenir, mais, ce que je peux affirmer, c’est qu’ici, en Alberta, nous avons un groupe providentiel actif. Il compte environ 60 membres entre Calgary et Edmonton. Je fais partie de ce groupe depuis plus de 10 ans. C’est difficile, mais c’est une partie importante de l’écosystème que des gens soient prêts à faire ces chèques de capitaux d’amorçage de 50 ou 100 000 $ afin de rendre opérationnelles les entreprises qui ont du mérite. Si nous rendons cette catégorie d’actifs aussi peu attrayante, je n’arrive pas à comprendre pourquoi les gens envisageront de poursuivre sur cette voie, et c’est clairement dans cette direction que nous nous dirigeons.

La sénatrice Marshall : C’est là que nous nous en allons. Merci.

La sénatrice Jaffer : Merci beaucoup de votre exposé. À vous écouter, je trouve que c’est un peu déprimant, mais…

M. Hunter : J’ai cet effet sur les gens.

La sénatrice Jaffer : Il s’agit également d’un signal d’alarme. À vous écouter, il était vraiment question du cran qu’il faut pour être propriétaire d’entreprise et des risques que prennent les gens. Vous avez évoqué la famille et les amis. L’un des éléments dont je ne vous ai pas entendu parler — mais peut-être que vous l’avez fait et que je l’ai manqué —, c’était la question du revenu passif. Souvent, les familles utilisent le revenu passif pour aider, et je me demandais si vous pouviez formuler un commentaire à ce sujet.

M. Hunter : Dans la mesure où les investisseurs providentiels et les sociétés de capital risque… En réalité, ils génèrent un revenu passif. Lorsque j’ai formulé mes commentaires concernant ces types d’investisseurs, je parlais vraiment de la nature passive. Si on élimine effectivement le compte de dividende en capital, ce qui a pour effet d’augmenter de façon importante le taux d’imposition d’une société d’investissement, pourquoi ferait-on une telle chose? Les occasions d’investissement les plus risquées au pays, ce sont les entreprises privées en démarrage qui manquent de liquidités, dont la plupart vont échouer. Pourquoi assumeriez-vous ce risque si vous devez faire face à ce taux d’imposition? Alors que, si vous placez votre argent à la RBC ou dans Bell ou quelque chose de ce genre, cela sera considéré comme des gains en capitaux, vous aurez des liquidités et vous courrez un risque beaucoup, beaucoup moins élevé.

L’idée de chambouler en quelque sorte le régime fiscal et d’ajouter cette catégorie d’actifs me semble irrationnelle, surtout lorsqu’en réalité, ce dont nous avons besoin, au pays, c’est plus d’entreprises comme Shopify et Hootsuite. Nous devons encourager ces entreprises en démarrage. Certaines d’entre elles vont croître, et ce sera un infime pourcentage, mais plus on investit des capitaux d’amorçage dans ces entreprises, plus la probabilité qu’il y en ait une qui connaîtra du succès sera grande, et ces cas sont vraiment ceux qui mènent à la croissance et à une amélioration du niveau de vie. Toutes les entreprises établies ont été en démarrage à un certain moment.

J’ai fait exprès d’éviter d’aborder le revenu passif dans le contexte des médecins et des autres personnes qui ont parlé de fractionner leur revenu avec leur conjoint ou qui que ce soit. Je pense que c’est problématique. J’ai un très bon ami de Calgary qui a démarré une entreprise de logiciels fructueuse. Son épouse et lui ont hypothéqué leur maison afin de démarrer l’entreprise. Maintenant, ils emploient 100 personnes, et ils ont recueilli quelque 80 millions de dollars en capitaux de démarrage. Alors, c’est un énorme succès canadien. Toutefois, sous le régime de ces nouvelles règles, sa conjointe ne participe pas activement à l’entreprise, même si le couple a consacré ses capitaux communs afin de financer le démarrage de l’entreprise. Elle n’a droit à aucune part du rendement de cet investissement et cela me paraît tout simplement insensé.

La sénatrice Jaffer : Je vous écoute, et je me rends compte encore davantage du fait qu’on dirait que le gouvernement — je n’ai aucune connaissance privilégiée — s’est levé un jour et a dit qu’il avait intégré ce projet dans sa campagne électorale, mais il est de plus en plus important de voir qu’il aurait dû commencer par effectuer une évaluation des répercussions économiques afin de savoir à quoi ce projet de loi nous mènerait, de quoi il s’agirait, et qu’il s’y est pris de la mauvaise façon.

M. Hunter : C’est un point de vue très intéressant. Je pense que vous avez raison. Tout le monde sait que le gouvernement s’inspirait essentiellement d’un groupe d’économistes universitaires : Michael Wilson, à Ottawa, et Kevin Milligan, à l’Université de la Colombie-Britannique. Je suis allé écouter M. Milligan — il est venu à Calgary, ce qui était assez courageux de sa part — et j’ai aussi lu le document de M. Wilson.

J’ai parcouru leurs exposés et ils ont ce genre de croyance fondamentale selon laquelle un dollar, c’est un dollar, et que tout le monde devrait être imposé exactement au même taux. Logiquement, on laisse entendre que l’argent qu’a touché une personne aujourd’hui pour le quart de travail qu’elle a effectué au bureau des passeports il y a une semaine n’est aucunement différent de l’argent que gagnera mon ami quand il vendra son entreprise, même si cet argent a été investi il y a 10 ans. C’est la même chose dans les deux cas.

Si vous adoptez ce genre de point de vue universitaire, qui est vraiment celui qui éclaire l’approche du gouvernement, et c’est manifestement le message envoyé par ces économistes universitaires, qui occupent un poste permanent, qui cotisent à des régimes de pension et qui jouissent de toute la sécurité que n’ont pas les entrepreneurs… à mes yeux, je regarde la situation et je me dis : « Eh bien, le message est très clair. » La perspective de devenir fonctionnaire est très attrayante, alors, si tous ces dollars sont pareils. Toutefois, en tant que collectivité, en tant que pays, nous avons besoin d’un plus grand nombre de ces entreprises en démarrage. Sans de telles entreprises qui sont lancées et prennent de l’expansion, qui se développent et prospèrent, nous n’avons pas de gâteau à partager au moyen de l’imposition.

Personnellement, je pense que la notion selon laquelle tous les dollars sont pareils est erronée. Il y a certaines choses qu’on veut encourager, et nous le faisons de toutes sortes de manières au moyen du système fiscal. Pourquoi voudrions-nous maintenant isoler les petites entreprises et les entrepreneurs pour qu’ils subissent un traitement particulièrement dur? Je ne comprends pas.

La sénatrice Jaffer : Je travaille sur ce dossier et je réfléchis beaucoup à ce sujet. Moi aussi, je viens du peuple, et j’ai aussi eu de petites entreprises, mais j’ai toujours eu l’impression que les petites entreprises, que les personnes qui créent la croissance, donnent l’argent qui sert à payer les fonctionnaires ou les hôpitaux, et je pense qu’on ne comprend pas que ça ne revient pas tout au même. L’argent provient de poches différentes. Ai-je tort?

M. Hunter : Eh bien, je souscris à votre opinion. Pas Michael Wilson.

La sénatrice Jaffer : Je sais.

M. Hunter : C’est une question philosophique. La Loi de l’impôt sur le revenu contient beaucoup de dispositions qui favorisent en quelque sorte certaines activités, ou qui les dispensent de certaines obligations, parce que nous les considérons comme étant souhaitables. Je ferais certainement valoir que nous devrions encourager davantage les petites entreprises à se développer et à croître.

J’ai dit que notre société a investi dans plus de 30 entreprises en démarrage, et beaucoup d’entre elles échouent. C’est une trajectoire risquée et difficile, mais un petit nombre de ces entreprises réussissent, et on ne sait tout simplement pas lesquelles ce sera au moment où on investit son argent. On peut faire preuve de toute la diligence raisonnable du monde, mais il n’y a tout simplement aucune certitude quant à la façon dont les choses vont réellement se dérouler dans le vrai monde.

Nous adoptons une approche axée sur le portefeuille pour affirmer que nous appuyons tel secteur parce que quelqu’un doit le faire, mais il s’agit en réalité d’une recherche de profit parce que nous croyons que, si nous nous faisons suffisamment connaître auprès d’un nombre suffisant d’entrepreneurs, les statistiques joueront en notre faveur. Je pense que cette théorie a été confirmée par les résultats que nous avons observés.

Je pense que le même principe s’applique à un pays. Il faut tout simplement encourager beaucoup d’entreprises en démarrage à se lancer. Cette ville et notre pays comportent beaucoup de gens brillants et talentueux. Nous n’avons pas besoin de leur rendre la tâche plus difficile s’ils décident de créer une entreprise.

La sénatrice Andreychuk : Pour revenir sur l’élément que vous avez mentionné au sujet des universitaires et de leur théorie, il me semble qu’ils ont effectué cette étude préalable dans leur esprit ou dans leurs bureaux avec leurs collègues au sujet de la façon de modifier le système fiscal et du fait que tous les revenus sont équivalents, quelle qu’en soit la provenance. Une partie de cette théorie est fondée sur les modèles scandinaves, où on récompense l’entrepreneuriat d’une façon différente, mais où tout le monde paie un impôt très élevé pour obtenir une structure sociale garantie. Chaque fois que je lis l’une de ces théories, il y a un sous-groupe qui affirme que les Canadiens n’accepteraient probablement pas les fourchettes d’imposition élevées sur lesquelles travaillent, disons, nos collègues danois, et cetera.

Le gouvernement doit établir une théorie fiscale, mais il n’a pas prévu d’en discuter avec le public. Dois-je comprendre que vous pensez que nous sommes pris dans notre situation actuelle?

M. Hunter : Pris?

La sénatrice Andreychuk : Avec les réformes fiscales et les modifications. Ou bien pensez-vous qu’il y a une certaine marge qui nous permette de dire : « Hé, vous êtes vraiment en train de changer le système fiscal du Canada, et nous voulons faire partie de ce dialogue, alors reculez et permettez-nous de prendre la parole »?

M. Hunter : Eh bien, oui. Je sais que Kim Moody s’adressera à vous cet après-midi, et je l’ai entendu parler, et il s’agit manifestement de l’une des personnes qui s’y connaissent le plus dans ce domaine. J’imagine qu’il dira que c’est le plus important changement fiscal à survenir dans sa carrière et que le fait de l’apporter à la suite d’une période de consultation de 75 jours commençant au beau milieu du mois de juillet… En fait, ce n’est pas du tout une période de discussion. Je suppose que je ne devrais pas faire d’hypothèses et lui mettre des mots dans la bouche. Il s’agit également de mon point de vue : que quelque chose d’aussi fondamental ou radical… En réalité, la dernière fois que le pays est passé par ce processus, je pense que c’était dans les années 1960, et le gouvernement avait consacré au moins quatre ans avec la commission Carter à l’élaboration d’un genre de plan complet.

Choisir parmi ces genres de petites mesures éparpillées, alors que nous savons tous qu’il y a d’importantes lacunes… Il y a place à une grande amélioration, même sans égard à la façon dont nous imposons les petites entreprises. Je pense que la meilleure mesure consisterait à prendre du recul pour s’éloigner du précipice et probablement à faire quelque chose de plus grand qui pourra régler le problème d’une façon plus holistique.

Vous avez mentionné les Scandinaves. Je ne suis certainement pas un expert en ce qui concerne cette région du monde, mais, il y a trois ans, je suis allé en Islande, et le gars qui est venu me chercher à l’aéroport, lors du trajet de retour, me disait à quel point l’Islande était un pays où le taux d’imposition est élevé, mais ses taux sont beaucoup moins élevés que les nôtres, alors les Islandais se débrouillent pour avoir ce sentiment de communauté scandinave à un taux d’imposition comparativement inférieur.

La sénatrice Andreychuk : Au début, nous avons beaucoup entendu dire qu’il était avantageux pour les petites entreprises de se constituer en société et que c’était pour cette raison que des entrepreneurs choisissaient cette voie, mais j’ai écouté certains propriétaires d’entreprise, et ils ont dit : « Eh bien, bien sûr, ce pourrait être l’une des raisons, mais j’en ai tout un tas d’autres. Par exemple, si j’achète une franchise, on exige que je sois constitué en société. » Quiconque prête de l’argent exige la constitution en société, et c’est aussi pour permettre aux bailleurs de fonds de tirer le meilleur parti de toute perte si l’entreprise fait faillite et à l’entrepreneur d’éviter certaines des lois sur la responsabilité civile qu’ont établies les provinces. La situation est-elle la même en Alberta qu’ailleurs?

M. Hunter : Oui.

La sénatrice Andreychuk : Pouvez-vous formuler un commentaire sur les raisons pour lesquelles les gens constituent leur petite entreprise en société?

M. Hunter : Eh bien, je pense qu’il y a plusieurs raisons, et je pense que vous en avez nommé plusieurs. La responsabilité limitée est probablement la plus importante. Toutefois, vous avez raison, certains bailleurs de fonds exigent la constitution en société.

Une personne qui touche un revenu passif — c’est-à-dire un revenu d’intérêt ou de dividende à l’intérieur d’une société — paie un impôt plus élevé que si elle touchait le revenu personnellement, alors il n’y a aucun avantage direct à la constitution en société, à part ce que vous faites de la rémunération après que vous l’avez touchée.

C’est un aspect un peu bizarre du Canada, n’est-ce pas? Nous avons ces taux d’imposition très élevés. Si on vit en Ontario ou en Nouvelle-Écosse, on approche les 54 p. 100 au taux maximum, ce qui est horriblement élevé. C’est plus de la moitié. Le gouvernement obtient plus d’argent que vous après que vous avez atteint un certain niveau. À ce stade, le seuil auquel ces taux sont applicables est en fait beaucoup, beaucoup moins élevé qu’aux États-Unis, alors les taux sont plus bas dans ce pays, en plus de s’appliquer à un seuil bien plus élevé.

Ainsi, nous avons ces taux très, très élevés, et, selon le point de vue du gouvernement, eh bien, ce n’est toujours pas juste, et le 1 p. 100 des contribuables les plus riches ne paient pas assez, et ces taux doivent être augmentés constamment, mais pourtant, on ne fait que vanter en quelque sorte les vertus d’imposer les petites entreprises à un taux très bas, qui a récemment chuté pour s’établir à 9 p. 100, à l’échelon fédéral, et je pense qu’en Alberta, cela le porte à 11,5 p. 100 ou quelque chose du genre. Au pays, nous avons ce genre de contradiction bizarre : nous pensons qu’il est important que les taux imposés aux petites entreprises soient peu élevés, mais qu’il est aussi important d’imposer des taux extrêmement élevés aux particuliers. On dirait tout simplement que nous sommes en train de souffler le chaud et le froid. Il est important que l’impôt de tel groupe de personnes soit faible, mais que celui de tel autre groupe soit élevé.

En réalité, je pense que, là où nous rencontrons des problèmes, c’est au chapitre de la différence. L’écart entre les deux est si grand que je ne doute pas que certaines personnes disent : « Eh bien, c’est 54 p. 100 ici, et 11 p. 100 là-bas. » Nous avons concocté cet incitatif incroyable afin de tenter de faire cela dans certains cas où cela n’arriverait peut-être pas autrement. Ce n’est pas la bonne raison de se constituer en société, seulement pour payer moins d’impôts. Je n’ai aucune idée de la mesure dans laquelle on le fait pour cette raison au pays, mais j’adopterais en quelque sorte le point de vue selon lequel, en réalité, ce que nous devrions envisager, c’est de réduire l’écart entre les deux.

Jack Mintz parle de la façon dont les taux très faibles imposés aux petites entreprises agissent essentiellement comme un mur servant à dissuader les entreprises de prendre trop d’expansion parce que leur taux d’imposition effectif devient très élevé après cela. C’est logique. Je me retrouve en quelque sorte en train de me dire : « Bon sang, à 54 p. 100, n’avons-nous pas dépassé les bornes? » Le gouvernement fédéral a en fait tiré moins d’impôt sur le revenu après avoir haussé ce taux maximum et l’avoir porté à 54 p. 100 qu’il n’en a tiré l’année précédente. Sommes-nous rendus au-dessus de la courbe de Laffer, où des taux élevés produisent moins de revenus? Je ne sais pas.

Le sénateur Pratte : Si je regarde le document d’information qui a été publié par le gouvernement à la mi-octobre, quand il a publié les modifications apportées aux changements proposés, il est dit que le gouvernement s’assurera qu’au moment où il procédera aux changements fiscaux, les incitatifs seront maintenus afin que les sociétés de capital risque et les investisseurs providentiels du Canada puissent continuer à investir dans la prochaine génération d’innovations canadiennes et que le gouvernement travaillera avec les intervenants des secteurs des capitaux de risque et de l’investissement providentiel afin de trouver la meilleure façon d’obtenir ce résultat. Êtes-vous rassuré par cette annonce?

M. Hunter : Pas particulièrement. Simplement en guise de contexte, j’ai tenu pas mal de conversations sur ce sujet avec le président de la National Angel Capital Organization et avec la présidente de l’Association canadienne du capital de risque. J’ai l’impression qu’il est positif que le gouvernement ait annoncé qu’il reconnaît l’existence d’un problème.

Personnellement, j’ai trouvé cela très intéressant. J’ai reçu l’avis à ce sujet à la mi-juillet. J’étais en vacances, et ma réaction immédiate a été de me dire que c’était terrible, que cela allait nuire incroyablement à notre économie. Il a fallu longtemps avant que le tollé ne soit soulevé. Du moins, j’ai l’impression qu’il a fallu du temps avant que les protestations se fassent entendre, et cela a fini par arriver, mais la majeure partie de l’attention semblait être ciblée sur des éléments comme les agriculteurs, la relève, les médecins, le fractionnement du revenu et ce genre de choses. Au beau milieu de toute cette agitation, il est positif que le gouvernement ait en quelque sorte prononcé ces paroles apaisantes, mais j’ai parlé aux responsables de l’ACCR pour leur demander : « Avez-vous la moindre idée de l’aspect que cela prendra? » La réponse est non, ils ne le savent pas.

Comme je l’ai affirmé dans mon exposé, c’est une chose que de dire qu’on protégera des droits acquis, exemptera certaines catégories d’actifs ou exclura les investissements d’amorçage d’une certaine façon de l’application de ces règles, mais ce sont les détails qui posent problème, et, tant que le projet de loi n’aura pas été rédigé, nous ne saurons pas vraiment quelles seront les conséquences.

C’est un peu comme tenter de définir le terme « raisonnable ». Selon les règles de l’IRF, on a établi tous ces critères relatifs au caractère raisonnable, mais on ne peut pas dire ce que signifie le terme « raisonnable ». J’ai demandé à des comptables ce qu’il veut dire dans ce contexte, et personne ne le sait. La réponse qu’on me donne, c’est qu’il faudrait 10 ans d’instances judiciaires, que la question fera l’objet de litiges et qu’à un certain moment dans l’avenir, la définition sera établie.

Je crains que les règles relatives aux investissements providentiels et aux capitaux de risque fassent partie du même genre de catégorie. Je pense qu’il est positif que le gouvernement reconnaisse que c’est quelque chose sur quoi il faut se pencher, mais ce sont les détails qui posent problème, et, tant qu’on ne comprendra pas clairement ce qui sera prévu dans le projet de loi, je suis d’avis que ces types de capitaux de placement vont être gravement limités.

Le sénateur Pratte : Je sais que c’est complexe, mais, comme le gouvernement fait en quelque sorte appel à l’industrie ou lui demande des suggestions ou des idées, y a-t-il des recommandations ou des idées que vous avez à formuler quant à la façon dont les investissements providentiels et les capitaux de risque pourraient être protégés contre ces mesures? Avez-vous des idées à ce chapitre?

M. Hunter : Je ne crois pas qu’on devrait les protéger. Je crois que cette boîte de Pandore que nous venons d’ouvrir va seulement compliquer davantage un régime fiscal déjà complexe.

Comme je l’ai dit, je suis d’avis que, si on augmente le taux d’imposition des petites entreprises ou qu’on réduit les déductions de celles-ci pour qu’il n’y ait pas de taux d’imposition très faible, et si on permet aux familles de fractionner leurs revenus, on a essentiellement réglé tous les problèmes qui ont été initialement soulevés. Personnellement, je ne vois pas ce qui ne va pas avec les entreprises prospères qui utilisent une partie de leurs capitaux pour investir dans la prochaine génération d’entreprises florissantes.

Le sénateur Pratte : Le problème auquel nous faisons face, monsieur, c’est que le gouvernement a pratiquement décidé d’aller de l’avant.

M. Hunter : Oui. Pratiquement.

Le sénateur Pratte : Nous essayons de trouver des façons d’améliorer les idées ou le plan du gouvernement et nous cherchons des idées ou des recommandations à cet égard. Je sais que nombre de personnes voudraient éliminer ces propositions, mais cela ne se produira probablement pas.

M. Hunter : Oui, vous avez probablement raison, et c’est malheureux. Je ne sais pas. J’ai posé la question aux gens de l’ACCR. Comment rédiger une formulation qui circonscrit cette classe d’actifs particulière? Je ne sais pas comment le faire. Où doit-on fixer la limite? On ne peut pas vraiment le faire selon la valeur, l’ancienneté ou la région géographique de l’entreprise. Je ne sais même pas comment on peut dire qu’on peut investir dans une entreprise, mais pas dans une autre, car cela se résume essentiellement à ça. À un moment donné, on se retrouve dans une zone grise, et on se demande si elle est admissible.

À mon avis, toutes ces propositions sont seulement conçues pour ajouter de la complexité, et nous devrions vraiment rechercher la simplicité. Je n’ai aucune idée. Je suis désolé.

Le sénateur Pratte : Merci.

Le sénateur Neufeld : Merci de votre exposé. Un des défis d’être le dernier, c’est qu’on a posé toutes les questions, mais vous nous avez très bien expliqué, à mon sens, certains des problèmes auxquels nous ferons face. J’espère que le gouvernement sera disposé à dire que ces modifications sont illogiques, compte tenu des sommes d’argent que nous allons recueillir et de la complexité que nous allons ajouter au régime. C’est peut-être trop pratique. Je suis un peu pratique. Je ne crois pas que c’est le cas du gouvernement avec la théorie qu’il a élaborée.

Pour ce qui est de la répartition du revenu, je crois que c’est environ 250 millions de dollars, ou peut-être moins, que le gouvernement pourrait récolter dans un budget de 300 milliards de dollars. Selon moi, 250 millions de dollars est beaucoup d’argent, mais, diable, si on compare cette somme à 300 milliards de dollars, ce n’est pas beaucoup par rapport à la complexité que cela engendrera et les coûts connexes pour administrer en réalité cette nouvelle réglementation complexe et tout ce que cela suppose. On a peut-être prévu d’embaucher plus de gens au gouvernement, et nous savons parfois que c’est la façon dont le gouvernement fonctionne.

Si, en réalité, comme mon collègue l’a dit, le gouvernement va de l’avant avec les modifications, je suis toujours optimiste et j’espère qu’il examinera soigneusement ce qu’il fait, mais si c’est le cas et qu’on est toujours en désaccord avec les modifications, que peut-on faire? Vous êtes un investisseur. Vous faites confiance aux entrepreneurs. Nous en avons reçu un ici, un grand entrepreneur, qui a parlé de manière réaliste de ce qu’il faut pour être entrepreneur et commencer au bas de l’échelle, mais tout en ayant besoin d’aide d’investisseurs providentiels et de ce type de choses. Où iriez-vous ou que feriez-vous? Qu’est-ce qui s’offre à une personne comme vous et à d’autres qui sont dans la même position que vous?

M. Hunter : Eh bien, j’ai évidemment passé beaucoup de temps à réfléchir à cette question depuis juillet. J’ai moi-même été entrepreneur à de nombreuses reprises. J’ai démarré beaucoup d’entreprises et d’autres projets.

Je crois que la première étape est que, si on adopte les règles telles qu’elles ont été présentées, il serait illogique, à mon avis, pour n’importe quel Canadien de continuer d’investir dans des entreprises privées. J’ai dit dans mes remarques que, dans la version présentée initialement, on propose d’imposer les actifs les plus immobilisés et les plus risqués au taux le plus élevé. Pourquoi ferait-on cela? Je veux dire, vous ne feriez pas cela, n’est-ce pas? Alors pour nous, cela signifierait certainement de ne pas investir dans cette catégorie d’actifs. Vous pourriez investir votre argent dans des sociétés cotées en bourse. Si vous investissez dans une société ouverte donnant droit à des dividendes, votre taux d’imposition en vigueur serait beaucoup plus faible qu’il le serait selon ces règles, et votre investissement serait moins risqué; vous pourriez ensuite vendre vos actions à tout moment. Ce serait donc le premier résultat évident en quelque sorte. Je crois que c’est entièrement prévisible.

D’après moi, la deuxième chose, c’est que vous commenceriez probablement à voir une sortie de capitaux. Je ne devrais pas dire « commencer » parce que cela se produit actuellement. Je connais des gens qui ont choisi de quitter le Canada en raison de son droit fiscal et je suis certain que tout le monde ici est conscient de cela. Je pense que cela ira probablement en accélérant et que des capitaux passeront à d’autres pays pour y être investis n’importe où sauf au Canada, ce qui représente 97 p. 100 du monde. Le reste de la planète est accessible, et il ne fait aucun doute que cela mènerait à un exode de capitaux. Je crois que c’est assez évident.

J’étais à Toronto il y a deux ou trois semaines parce que je collabore avec Creative Destruction Lab, un incubateur exceptionnellement prospère de la Rotman School de l’Université de Toronto, et nous serons à Calgary ce mois-ci pour la première fois. Il y a beaucoup d’enthousiasme dans l’air. Notre participation à ce groupe consiste notamment à utiliser des technologies canadiennes fondées sur la science et à poser des défis à des équipes formées habituellement de jeunes et à les aider. Nous servons de mentor, mais nous les finançons également.

J’ai posé les questions suivantes à beaucoup de gens à Toronto : « Comment vous sentez-vous maintenant que nous sommes un peu dans les limbes? Nous ne connaissons pas les règles, alors qu’allons-nous faire, selon vous, avec le CDL? » Il est évident que la réaction des gens a été beaucoup plus de prudence et d’incertitude et un recul au chapitre des investissements. Je ne parle pas d’arrêter tout investissement, mais du moins d’opter pour une réduction possiblement importante si on adopte ces règles.

Je crois que je me suis un peu égaré, mais je pense que la situation se résume à cela.

Le sénateur Neufeld : Pouvez-vous nous donner une idée de combien de capitaux ont fui le Canada, selon vous?

M. Hunter : Je sais que, c’est dans les milliards de dollars, certainement.

Le sénateur Neufeld : D’accord, je ne m’attends pas à une réponse absolue, mais si c’est de l’ordre de milliers ou de millions de dollars, c’est…

M. Hunter : Oh, c’est de l’ordre de milliards de dollars, assurément.

Le sénateur Neufeld : D’accord.

M. Hunter : Mais c’était dans les médias il y a environ un mois. C’est bien connu en quelque sorte. Honnêtement, je sais qu’il s’agit de milliards de dollars qui ont fui le Canada et de beaucoup plus seulement en parlant avec des collègues de cabinets comptables. On ne publie pas les noms ni quoi que ce soit de semblable, mais il y en a certainement beaucoup qui sont prêts à partir.

Le sénateur Oh : Merci aux témoins d’être ici.

Hier, nous avons reçu un témoin qui a dit que les impôts élevés et les mauvais investissements commerciaux n’ont pas d’importance parce que Bill Gates a démarré son entreprise dans un garage et qu’il ne se souciait pas des incitations fiscales.

Il n’y a eu qu’un seul Bill Gates au cours du dernier siècle. Je me dis que nous avons des millions de PME partout et je crois que la promotion du gouvernement pour créer une bonne occasion d’investissement est toujours ce qui est le plus important.

Comme vous l’avez dit, les impôts en Islande sont beaucoup plus bas que les nôtres. Dans les pays scandinaves, c’est la même chose. Ici, avec la réforme fiscale en cours en plus des impôts provinciaux et du salaire minimum, les coûts augmentent. J’ai un ami à Calgary qui emploie 400 personnes et il fait face à un gros problème en raison de la situation économique actuelle. Pouvez-vous faire des commentaires à ce sujet?

M. Hunter : Eh bien, oui, il n’y a qu’un seul Bill Gates, mais beaucoup d’entrepreneurs prospères, et il serait bon de voir le Canada obtenir sa part. Je crois que certaines personnes auront tendance à continuer d’essayer de réussir avec une entreprise en démarrage, peu importe le contexte fiscal. Les impôts ne représentent qu’une seule composante, quoique très importante. Selon moi, nombre de jeunes entrepreneurs ne pensent pas nécessairement aux ramifications fiscales à l’étape du démarrage parce qu’ils ne feront pas face à des impôts élevés avant d’avoir réussi, mais les investisseurs connaissent certainement les règles fiscales. La question de la disponibilité des capitaux est celle qui m’inquiète le plus. Je ne suis pas certain de répondre exactement à votre question.

Le sénateur Oh : Mais je suis certain que, si Bill Gates recherche actuellement un pays qui offre un cadre propice aux investissements, il va investir de toute façon.

M. Hunter : Je crois qu’il investit partout dans le monde, oui.

Le Hunter Centre est géré par la Haskayne School depuis quatre ans maintenant et, il y a deux ou trois ans, nous avons réalisé un projet pilote, et un cours a été offert. Fondamentalement, nous enseignons l’esprit entrepreneurial. C’est la base. Le cours porte sur l’idéation et la détermination de possibilités, et c’est en fait la seule université en réalité au monde, à ma connaissance, qui impose ce cours à tous les étudiants en commerce. C’est tout un défi.

J’ai parlé à beaucoup d’étudiants qui l’ont suivi, et c’est noir ou blanc : soit c’est le meilleur cours qu’ils n’ont jamais suivi ou le pire parce qu’il exige beaucoup de travail. Je finis toujours par dire, eh bien, vous savez, c’est comme le sirop Buckley. C’est pour votre bien, et, un jour, vous allez nous remercier. Comme les étudiants n’ont que 19 ans, ils ne voient pas la situation tout à fait de la même manière. Mais, quoi qu’il en soit, je continue de croire qu’ils seront un jour heureux d’avoir suivi le cours.

Je dirais que nous démystifions vraiment beaucoup de choses pour eux. Qu’est-ce que ça suppose vraiment que d’être entrepreneur? Parce que les choses et la nature du travail changent. À mon avis, les étudiants d’aujourd’hui ne croient pas qu’ils vont obtenir leur diplôme et travailler pour Deloitte pendant 40 ans. Ils s’attendent à devoir changer de direction plusieurs fois pendant leur parcours professionnel, alors une partie de ce que nous essayons de faire, c’est de les amener à réfléchir de cette façon. Même s’ils vont travailler pour WestJet ou une grande entreprise, c’est correct. C’est tout de même utile au sein de grandes organisations.

De toute façon, il y a environ deux ans, nous avons mené à bien un projet pilote, lequel offert à tous les étudiants de cycle supérieur de l’Université de Calgary; c’était essentiellement le même cours, et il y a eu environ 78 étudiants. On m’a demandé de faire partie du groupe d’experts qui écouteraient les exposés à la fin du cours. Je dois dire que je n’en croyais pas mes yeux. Nous avions des étudiants en médecine, en informatique, en droit, en génie, en commerce… Ils venaient de toutes les facultés. Il s’agissait d’étudiants plus vieux qui en étaient à leur deuxième ou à leur troisième diplôme et qui avaient une expertise dans le domaine. Ils ont entrevu une possibilité et ont utilisé le cours comme fondement sur lequel établir leur modèle opérationnel et concrétiser en quelque sorte dans leur tête ce qu’ils allaient faire dans l’avenir. J’étais une des quelque six personnes qui faisaient partie de ce groupe d’experts, et ils m’ont laissé pantois. Nous avons des étudiants incroyablement brillants et nous pouvons véritablement exploiter en quelque sorte leur force.

Notre défi, comme ville de façon particulière, mais comme pays de façon générale, à mesure que nous encourageons ces étudiants — les meilleurs et les plus brillants — à aller de l’avant et à saisir cette chance, c’est de faire un meilleur travail pour les recevoir dans la collectivité afin qu’ils puissent trouver les personnes-ressources dont ils ont besoin, lever des capitaux et trouver l’expertise, que ce soit du marketing ou de l’aide juridique ou peu importe ce dont ils ont besoin. Nous devons nous y prendre beaucoup mieux si nous voulons faire croître et stimuler l’économie pour les 20 ou 50 prochaines années.

Le droit fiscal n’est qu’un aspect de la situation dans l’ensemble. J’ai parlé d’un tas de choses qui se passent à Calgary. Nous avons une économie centrée sur l’énergie. J’ai commencé dans le secteur de l’énergie — et il est mal en point actuellement —, mais au milieu de tout cela, nous avons observé toutes ces pousses vertes, ce qui est très stimulant. Je regrette seulement que nous commencions vraiment à constater des progrès maintenant et, au cœur de chaque écosystème d’innovation important, que ce soit dans la Silicon Valley, à Kitchener-Waterloo ou à Boston, il y a toujours une université de recherche, n’est-ce pas? Nous nous efforçons de transformer notre université de recherche au centre de ce qui deviendra notre communauté d’innovation et d’entrepreneuriat, et la dernière chose dont nous avons besoin, c’est un gouvernement qui travaille à l’encontre des objectifs et qui complique les choses. C’est la raison pour laquelle je suis ici aujourd’hui.

Le sénateur Oh : Très bien. Merci.

La sénatrice Andreychuk : J’ai deux questions complémentaires à ce sujet. Dans le cadre de mon travail sur les questions internationales au sein du Comité des affaires étrangères, je me suis rendue en Inde et j’ai rencontré des Canadiens d’origine indienne. Ils ont peut-être immigré au Canada ou ils sont peut-être nés ici, et ils gèrent leur entreprise, leur petite entreprise, à Mumbai. Lorsque nous leur avons demandé pourquoi, ils ont dit que c’est là que ça se passe maintenant. Je leur ai demandé s’ils retournaient s’installer là-bas. Ils m’ont répondu : « Non, nous allons trouver le meilleur endroit au monde. Est-ce la Silicon Valley, Toronto ou Calgary? » Ils sont beaucoup plus mobiles et beaucoup plus internationaux. Comme vous l’avez dit, ils ne demeureront pas confinés dans un seul créneau. Ils désirent leurs compétences, leurs défis et leurs récompenses. Ils tiendront donc compte de tous ces aspects.

Nous avons ce problème fiscal auquel nous faisons face, mais il fait partie d’un environnement. Nous ne savons pas ce qui se passe au sud de la frontière. Des changements ont lieu au Canada. Nous voyons le mélange européen. Nous assistons également à la montée de la Chine à bien des égards, et cetera. Dans quelle mesure cela touchera-t-il les nouveaux entrepreneurs et l’environnement au-delà de l’assiette fiscale? S’agit-il de ce qu’on peut appeler le point de rupture ou du signal auquel nous devrions vraiment porter attention, ou s’agit-il d’un élément parmi d’autres?

M. Hunter : Eh bien, je suis programmé en quelque sorte pour m’inquiéter à propos des impôts, mais ce n’est que l’un de nombreux facteurs.

Je siège au conseil d’administration de Futurpreneur, qui est une organisation nationale conçue pour appuyer les jeunes entrepreneurs. Lorsqu’on a publié ces règles, j’ai appelé le PDG et je lui ai dit que nous devions nous tenir debout et dire que c’est inacceptable parce que nous devons essentiellement défendre nos mandants. À ce moment-là, l’organisation n’entendait pas ses commettants, qui étaient tous des Canadiens âgés de moins de 39 ans, et leur a accordé plus de 10 000 prêts. C’est une organisation pertinente, mais elle n’entendait pas parler des gens qu’elle représente. Au final, nous avons effectivement présenté un mémoire en tant qu’organisation.

Je dirais que la plupart des 10 000 jeunes entrepreneurs canadiens que nous appuyons n’étaient pas vraiment au courant des règles, mais cela viendra à un moment donné. Lorsqu’ils vendront ou céderont une entreprise, atteindront leur cible, réussiront au-delà de leurs rêves les plus fous et que, soudainement, ils auront… ils en arriveront là. C’est un peu la raison pour laquelle je soutenais ce groupe. Cela sera un problème même pour les gens qui ne le reconnaissent pas.

Pour ce qui est du genre de contexte international, il est assez intéressant, et je vais juste vous donner un exemple. Un accélérateur technologique assez prospère dans la Silicon Valley, appelé RocketSpace, déménage à Calgary. On en a fait tout un plat. Eh bien, pourquoi les responsables ont-ils choisi Calgary? Ils peuvent aller n’importe où dans le monde. Ils ont ouvert un bureau à Londres et à Sydney, en Australie, et à Calgary. Alors, pourquoi? Je crois qu’il y a beaucoup de raisons. Calgary possède une bonne main-d’œuvre, le coût de la vie y est raisonnable, on a une bonne qualité de vie et beaucoup de sièges sociaux se trouvent dans cette ville. Et nous n’avons pas Trump, alors vous pouvez amener des programmeurs de partout dans le monde sans le problème du visa H-1B. Il y a donc un certain nombre de caractéristiques en notre faveur.

Je soutiendrais que, en tant que pays, nous devrions vraiment essayer d’encourager ce courant de pensée, être concurrentiels et tirer avantage de ces caractéristiques. Mais, par ailleurs, si on approuve le plan fiscal républicain, le taux d’imposition des États-Unis sera deux fois plus faible que le nôtre. Est-ce que cela suffira pour nous permettre de dépasser les États-Unis? Je ne le sais pas. Je crains que nous n’y arrivions pas.

J’ai des enfants, dont un fréquente l’université, et je crois que vous avez raison. Ils sont prêts à se rendre n’importe où dans le monde et ne s’attendent pas à demeurer dans le même domaine pendant 30 ans; ils sont aussi mobiles que les capitaux. J’imagine que nous pesons le pour et le contre d’une certaine façon, mais désirons-nous vraiment nous piéger avec une politique fiscale peu concurrentielle, même s’il ne s’agit peut-être pas de la goutte qui fera déborder le vase?

La sénatrice Andreychuk : Nous possédons tous les avantages.

M. Hunter : Nous avons beaucoup d’avantages, certainement.

La sénatrice Andreychuk : Merci.

Le sénateur Mockler : Monsieur Hunter, merci beaucoup. Votre témoignage a été très informatif, et je vous remercie de nous avoir fait part de votre opinion. À partir de maintenant, si vous avez des commentaires supplémentaires à nous transmettre avant que nous présentions notre rapport au Sénat le 15 décembre, n’hésitez pas à le faire par l’entremise de la greffière.

(La séance est levée.)

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