Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Finances nationales
Fascicule no 92 - Témoignages du 9 avril 2019
OTTAWA, le mardi 9 avril 2019
Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd’hui, à 9 h 31, afin d’étudier les processus et les aspects financiers du système d’approvisionnement en matière de défense du gouvernement du Canada.
Le sénateur André Pratte (vice-président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le vice-président : Honorables sénateurs, je déclare la séance ouverte. Je suis le sénateur André Pratte, vice-président du comité. Aujourd’hui, je remplace le sénateur Mockler, notre président, qui voyage avec un autre comité.
[Traduction]
Notre comité poursuit son étude spéciale sur l’approvisionnement militaire, qui a débuté le 30 octobre 2018. Aujourd’hui, nous accueillons un observateur bien informé et un membre de la communauté universitaire. Ils ont tous les deux exprimé un intérêt indéniable à l’égard de la question. Il s’agit de M. David Perry, vice-président et analyste principal à l’Institut canadien des affaires mondiales, et de M. Craig Stone, professeur agrégé et président adjoint du Département de commandement, de leadership et de gestion du Collège des Forces canadiennes.
Chaque témoin aura environ neuf minutes pour faire une déclaration liminaire.
J. Craig Stone, professeur agrégé et président adjoint, Département de commandement, de leadership et de gestion, Collège des Forces canadiennes, ministère de la Défense nationale et les Forces armées canadiennes, à titre personnel : Je vous remercie, monsieur le président et mesdames et messieurs les sénateurs, de m’avoir invité à comparaître devant vous aujourd’hui pour participer à votre étude sur les processus et les aspects financiers du système d’approvisionnement en matière de défense du Canada. Je sais que votre temps est précieux, et j’ai donc l’intention de limiter mes commentaires à deux enjeux, afin de vous laisser plus de temps pour les questions. Je crois sincèrement que répondre à vos questions représente une meilleure utilisation de votre temps que vous dire ce que je crois que je sais ou ce que je crois que vous voulez entendre.
J’ai examiné les témoignages des trois séances précédentes et, en me fondant sur certaines des questions que vous avez posées pendant ces séances, j’ai décidé d’aborder deux enjeux précis, à savoir l’utilité d’un organisme d’approvisionnement unique et l’utilité des retombées industrielles, deux notions en quelque sorte liées entre elles.
Permettez-moi d’abord de préciser que les comptes publics de l’an dernier ont indiqué que le ministère de la Défense avait dépensé 3,8 milliards de dollars pour des activités d’approvisionnement ou des activités liées au crédit 5, et que la plupart de ces dépenses ont été effectuées à temps, dans le respect du budget et sans attirer l’attention. Comme vous le savez tous, la difficulté liée à l’approvisionnement en matière de défense réside dans les gros articles dispendieux comme les navires, les avions et les véhicules blindés. Ce sont des articles coûteux et complexes qui acquièrent inévitablement une composante politique et qui font l’objet de diverses critiques. Tous nos alliés traditionnels font face à ces problèmes.
Cela m’amène à la question d’un organisme d’approvisionnement unique. J’ai déjà écrit qu’une telle solution ne permettrait pas de régler les trois problèmes qui surgissent habituellement dans le cas des acquisitions importantes, à savoir le dépassement des coûts, les retards liés à la production et le non-respect des exigences opérationnelles. En effet, nos alliés font face à ces trois problèmes, qu’ils confient cette tâche à un seul organisme responsable des acquisitions ou à plusieurs divisions du gouvernement. Les causes des retards sont généralement difficiles à déterminer et à corriger.
L’ingérence politique, les budgets changeants, l’évolution des exigences et les objectifs multiples sont généralement des facteurs qui contribuent au dérapage de projets complexes. Lorsque j’ai écrit sur ce sujet, j’étais d’avis qu’un organisme unique pourrait réduire le temps nécessaire au processus, car le gouvernement pourrait tirer parti de la main-d’œuvre disponible au ministère de la Défense nationale et à ce qui était à l’époque Travaux publics et Services gouvernementaux Canada. Toutefois, j’appuie moins la notion que soutiennent certaines personnes selon lesquelles il faut nommer un ministre responsable de l’approvisionnement qui devra rendre des comptes au Parlement.
Mon opinion se fonde sur notre système de prise de décisions par le Cabinet, dans lequel le premier ministre est le premier responsable et les ministres agissent selon ses désirs. Si le premier ministre n’est pas satisfait des résultats obtenus par un ministre, le premier ministre apportera des changements.
Aujourd’hui, je crois que le processus qui oblige les ministres et les sous-ministres à se rencontrer régulièrement pour prendre des décisions fonctionne efficacement. Je crois que certains des problèmes liés à l’expérience du personnel dans des projets complexes se sont beaucoup améliorés, car les gens ont acquis de quatre à cinq années d’expérience depuis la mise en œuvre de la Stratégie d’approvisionnement en matière de défense.
Je crois que les bouleversements que pourraient engendrer la création d’un nouvel organisme, la modification de la législation et la mise en œuvre d’un nouveau processus ne valent pas le coup. De plus, cela causerait probablement des retards, car la création d’un nouvel organisme exigera du temps et des ressources. Ce temps supplémentaire ferait inévitablement augmenter les coûts et, selon les retards, il faudrait peut-être modifier les exigences, ce qui ferait également augmenter les coûts.
Je sais que des témoins précédents ont indiqué au comité que l’approvisionnement en matière de défense n’est pas effectué sur un marché concurrentiel, mais plutôt sur un marché géré où se trouve un seul acheteur et, le plus souvent dans le cas des gros systèmes d’armes, un ou deux fournisseurs. À titre d’économiste en matière de défense, la théorie économique me pousse à affirmer que les profits industriels n’ont pas leur place dans l’acquisition d’une capacité de défense. L’armée devrait acquérir la plus grande capacité possible en fonction du budget disponible.
La théorie est une bonne chose, mais en réalité, la plupart des pays ont certaines exigences en matière d’avantage industriel ou de politique compensatoire. Sur le plan pratique, les Canadiens n’accepteraient pas que notre gouvernement dépense des milliards de dollars de l’argent des contribuables dans un autre pays sans que le Canada en retire un avantage économique.
J’aimerais également souligner que la documentation universitaire sur l’utilité des crédits compensatoires est mitigée en partie parce qu’il est difficile de mesurer la corrélation ou la causalité lorsqu’on présente des arguments sur les avantages pour la base industrielle du pays. Ces mesures de compensation entraînent un coût, car les grands entrepreneurs principaux doivent gérer les obligations. Le coût fait partie du prix.
Néanmoins, à mon avis, la Politique des retombées industrielles et technologiques actuelle du Canada représente une amélioration importante relativement à l’ancienne Politique des retombées industrielles et régionales. En effet, elle oblige l’industrie à agir de façon beaucoup plus délibérée quant à la façon dont elle investira au Canada et où elle le fera en fonction de ce qui est énoncé dans le document de la demande de propositions et de la façon dont les retombées industrielles et technologiques seront cotées et pondérées. Il s’agit d’une amélioration comparativement à la politique précédente, où l’on utilisait une mesure de la réussite ou de l’échec.
Si je fais le lien entre ces deux enjeux, il s’agit de savoir si la nouvelle politique prolongera ou non la période d’approvisionnement. D’autres personnes vous ont dit que ce ne sera pas le cas, mais je crois qu’il est trop tôt pour affirmer cela. Bon nombre des initiatives de la Stratégie d’approvisionnement en matière de défense de 2014 ont été créées parce qu’il y avait un problème de confiance avec le ministère de la Défense nationale et les Forces armées canadiennes au sujet de la validité des besoins. Un grand nombre des nouvelles initiatives et politiques sont conçues pour obtenir un engagement et une validation plus rapides auprès de l’industrie et de la bureaucratie, afin d’éviter de faire face à des défis et à des retards plus loin dans le processus.
Les tensions qui existent actuellement avec les chantiers maritimes me démontrent que les intervenants de l’industrie continueront de contester les décisions du gouvernement lorsqu’ils ne seront pas retenus, peu importe la transparence du processus au départ.
À mon avis, les grands projets complexes d’acquisition de matériel de défense se retrouveront toujours dans l’espace politique, où les gouvernements tenteront d’atteindre plusieurs objectifs en même temps. Notre histoire nous apprend que la question qui se pose le plus souvent est de savoir quel degré l’engagement politique — certaines personnes diraient l’ingérence — atteindra et comment cela fera augmenter les coûts et le temps nécessaires à l’atteinte des résultats. Cela ne signifie pas qu’on ne peut pas faire mieux, mais qu’il n’existe pas de solution universelle qui permettra d’éliminer tous les éléments complexes de ce processus.
Je vous remercie encore une fois de m’avoir donné l’occasion de comparaître. J’ai hâte de répondre à vos questions.
Le vice-président : Merci, monsieur Stone.
David Perry, vice-président et analyste principal, Institut canadien des affaires mondiales, à titre personnel : Mesdames et messieurs les sénateurs, j’aimerais vous remercier de m’avoir invité à comparaître devant vous, à Ottawa, en cette belle journée de printemps.
J’ai examiné les témoignages précédents, et je sais que, en mars dernier, les constructeurs de navires du Canada vous ont parlé des conséquences des cycles de ralentissements et de reprises dans l’industrie de la construction navale. Un cycle comparable de ralentissements et de reprises est à l’œuvre depuis les 30 dernières années dans l’ensemble du processus canadien d’approvisionnement en matière de défense en ce qui concerne la disponibilité du financement et la capacité de dépenser ces fonds.
Nous observons aujourd’hui les conséquences de ces ralentissements et de ces reprises. Même si les grandes variations dans la disponibilité du financement n’expliquent pas toutes les particularités de certains projets, elles aident à mettre en contexte certaines des difficultés que le Canada a éprouvées, dans l’ensemble, avec l’approvisionnement en matière de défense au cours des dernières décennies. C’est la raison pour laquelle j’ai pensé qu’il serait utile de discuter de ces ralentissements et reprises pour aider à établir le lien entre cette étude et le mandat élargi du comité.
La stabilité du financement de l’approvisionnement est extrêmement importante pour assurer le bon fonctionnement du système d’approvisionnement. En effet, même les processus d’approvisionnement relativement rapides sont très lents et peuvent s’étirer sur une décennie. Il faut également des années pour atteindre un niveau de dépenses en matière d’approvisionnement qui permettra au Canada d’atteindre l’équilibre entre ses objectifs en matière d’optimisation de la capacité et de la rapidité d’exécution, de création d’avantages économiques à l’échelle nationale et d’équité procédurale.
Depuis 2008, le Canada stabilise de plus en plus sa base de financement pour l’acquisition de matériel de défense, mais nous sommes toujours aux prises avec les conséquences des fluctuations importantes du financement, qui ont entraîné un ralentissement prolongé et deux cycles de prospérité au cours des trois dernières décennies.
À partir de 1989 jusqu’au milieu des années 2000, l’apport en fonds d’approvisionnement s’est tari et peu de grands projets ont été approuvés. Par conséquent, le volume d’activités a diminué et la main-d’œuvre s’est atrophiée. Pendant cette période, une grande partie de l’équipement et de l’infrastructure militaires du Canada aurait dû être remplacée, mais ne l’a pas été, ce qui signifie qu’elle doit toujours être remplacée aujourd’hui.
Au milieu des années 2000, le gouvernement Martin et le gouvernement Harper ont procédé à d’importants réinvestissements dans la défense, afin de financer un important programme de recapitalisation et d’amorcer la première reprise des acquisitions depuis les années 1970 et 1980. Trois ans après l’annonce de cette recapitalisation par le gouvernement Martin, les dépenses annuelles en matière d’approvisionnement avaient augmenté de 40 p. 100 en dollars réels. Cela s’est produit sans un apport important de ressources humaines et avec des niveaux d’expérience en matière d’approvisionnement moins élevés que jamais auparavant, en partie parce que cela coïncidait avec les opérations militaires du Canada en Afghanistan. Une grande partie de l’approvisionnement était liée à la guerre et la plus grande partie a profité de l’appui de plusieurs gouvernements à l’égard de l’armée pendant la guerre.
Toutefois, en même temps, certaines acquisitions non liées à la guerre, dont une grande partie visait à remplacer du matériel qui aurait dû être remplacé au cours des 15 années précédentes, ont posé problème. L’établissement des coûts du projet, la détermination des exigences, les avantages économiques et le respect du processus ont tous été soumis à un examen minutieux. C’est pourquoi, en 2014, la Stratégie d’approvisionnement en matière de défense a été lancée dans le but d’améliorer les avantages économiques nationaux et d’éviter l’apparition de problèmes catastrophiques.
Ce changement a eu pour effet d’accroître le niveau de rigueur dans ces premiers aspects de l’approvisionnement et de déplacer des tâches importantes encore plus tôt dans la phase d’approvisionnement. La Commission indépendante d’examen des acquisitions de la Défense — vous avez parlé avec certains de leurs membres il y a quelques semaines — est l’un des résultats de cet effort.
Ces changements ont été apportés en présumant qu’ils aideraient les projets à achever plus rapidement tous les travaux nécessaires à l’approvisionnement, une hypothèse qui pourrait s’avérer vraie, mais qui n’a pas encore été confirmée. Toutefois, ces changements ont eu pour effet d’ajouter plus de travail aux premières étapes de la vie d’un projet. Cela signifie qu’il faut plus de temps aujourd’hui qu’il y a cinq ans pour terminer la phase initiale d’un projet de défense.
Avec la publication de Protection, Sécurité, Engagement, le Canada amorce actuellement une deuxième période de reprise encore plus prononcée en matière de défense. Selon mon analyse, le ministère de la Défense nationale tente d’accomplir la recapitalisation la plus ambitieuse depuis la guerre de Corée et la première reprise des acquisitions en temps de paix depuis la fin des années 1970.
À ce jour, les dépenses en immobilisations ont augmenté pendant deux années consécutives en dollars indexés sur l’inflation. C’est la première fois en près d’une décennie que cela se produit, et nous n’avions pas dépensé autant en acquisitions que nous le faisons actuellement depuis la guerre en Afghanistan.
Toutefois, le ministère de la Défense nationale a de la difficulté à répondre aux attentes extrêmement élevées établies dans le cadre de Protection, Sécurité, Engagement, car il ne dépense qu’environ les deux tiers du montant qu’il a prévu pour l’équipement et l’infrastructure.
L’écart entre la politique et la réalité s’explique par le fait que la politique a prévu un rythme trop ambitieux d’augmentation des dépenses en matière d’approvisionnement. Alors que dans la période de reprise sous les gouvernements Martin et Harper, il a fallu trois ans pour que les dépenses augmentent de 40 p. 100, dans le cadre de Protection, Sécurité, Engagement, les dépenses devaient doubler au cours de la première année. Bien que Protection, Sécurité, Engagement vise à couvrir un plan de dépenses sur 20 ans, la plupart des activités d’approvisionnement devaient avoir lieu dans les quatre ans suivant la publication de la politique et presque toutes durant les 10 premières années. Je pense que le ministère de la Défense nationale tente de compenser la période de ralentissement de l’approvisionnement qui a duré une décennie et demie et de remplacer le plus rapidement possible l’équipement et l’infrastructure vieillissants.
Toutefois, la plupart des quelque 50 nouveaux projets approuvés dans le cadre de la politique avaient plusieurs années de travail à accomplir après la publication avant de commencer à dépenser les fonds d’approvisionnement. Tant que ces nouveaux projets approuvés n’auront pas terminé tous les travaux requis dans les premières phases du système d’approvisionnement, les dépenses ne rattraperont pas la politique de défense. De plus, même si les effectifs canadiens chargés de l’approvisionnement ont acquis de l’expérience au cours des dernières années, leur nombre n’a pas augmenté de façon substantielle. Ils doivent donc faire plus de travail et plus de travaux détaillés, plus tôt qu’il ne le fallait auparavant dans la vie d’un projet pour que l’argent soit versé, et ils essaient de faire avancer plus de projets en même temps qu’auparavant.
En résumé, les 30 dernières années d’approvisionnement en matériel de défense au Canada ont illustré l’importance cruciale de la stabilité des ressources financières et humaines, ainsi que les répercussions négatives des cycles de ralentissements et de reprises. Lorsque le financement est rare, la capacité humaine s’érode et un arriéré de travaux de remplacement nécessaires commence à s’accumuler, ce qui aggrave la demande au fil du temps. Lorsque le financement est de nouveau disponible, le système se retrouve avec une capacité réduite pour répondre à une demande beaucoup plus élevée qu’il ne peut le faire et il faut des années pour obtenir de nouveaux fonds.
Grâce aux récents changements apportés à la structure de financement du ministère de la Défense nationale en vue de créer le Fonds d’investissement — et je sais que les représentants du ministère vous en ont parlé il y a quelques semaines —, un mécanisme de financement existe maintenant pour atténuer ce cycle de ralentissements et de reprises. Malheureusement, il faudra plusieurs années pour résorber l’arriéré de la demande d’approvisionnement avant que les avantages du Fonds d’investissement puissent se concrétiser, et le ministère de la Défense nationale pourra, espérons-le, adopter un rythme d’approvisionnement plus continu avec moins de fluctuations importantes.
Entre-temps, même si des progrès réels ont déjà été réalisés, il faudra beaucoup plus de temps pour que le système d’approvisionnement du Canada puisse répondre à la très forte demande créée par la publication de Protection, Sécurité, Engagement.
Le vice-président : Merci. Mesdames et messieurs les sénateurs, nous allons passer aux questions. Comme nous l’avons fait lors des réunions précédentes, nous limiterons le temps de chaque sénateur à quatre minutes par série de questions.
La sénatrice Eaton : Monsieur Perry, lorsque vous nous avez rencontrées l’an dernier, la sénatrice Marshall et moi, je crois que vous nous avez parlé de 35 points de décision. Un de nos témoins des dernières semaines a traité des moyens à prendre pour éviter que les priorités secondaires ne prennent le dessus dans un contexte où il y a 35 points de décision et cinq ministères responsables. C’est la première chose dont je voulais vous parler.
Par ailleurs, un autre témoin nous a expliqué qu’il fallait tenir compte du cycle de vie complet de chaque pièce d’équipement. De nouveaux aéronefs vont être intégrés à la flotte à tel ou tel moment et, 40 ans plus tard, ils seront devenus inutilisables. On semble toutefois toujours négliger de prendre en compte la durée du processus d’approvisionnement à l’intérieur de ce cycle de vie. Ce processus est tout simplement exclu. Je pense par exemple au fait que nous avons seulement deux sous-marins alors que nous sommes le pays qui a la plus vaste superficie de littoral au monde. Pendant ce temps, les Japonais travaillent à la conception de sous-marins supersoniques.
Pouvez-vous nous dire ce que vous pensez de ces deux questions?
M. Perry : Pour ce qui est de votre première question quant aux priorités secondaires, mon collègue nous a déjà fourni une piste de réponse. Il faut d’abord et avant tout trouver le juste équilibre. Je ne pense pas que l’on puisse raisonnablement s’attendre à ce que le Canada se concentre uniquement sur l’achat d’équipement militaire sans tenir compte de quoi que ce soit d’autre, comme la nécessité d’en avoir pour son argent et d’en tirer des avantages économiques pour le pays.
Tous les pays doivent être capables de jongler avec leurs différentes priorités. Le ministère de la Défense est un ministère du gouvernement fédéral canadien et doit composer avec cette réalité. Il faut donc surtout trouver le juste équilibre entre les différents objectifs visés de manière à ce que l’acquisition des capacités requises dans un délai raisonnable ne soit pas par exemple négligée au profit de la recherche d’un avantage économique ou d’un résultat semblable.
La sénatrice Eaton : Nous avons reçu les représentants de Seaspan, qui ne voyaient aucun inconvénient à la participation de cinq ministères. Ils nous ont répété qu’ils pouvaient rencontrer les cinq sous-ministres adjoints et, en cas de désaccord, s’adresser aux sous-ministres. Il y a inévitablement du temps qui s’écoule avant que l’on puisse en arriver à un consensus de cette façon.
Ne devrait-on pas établir un ordre de préséance entre ces cinq ministères afin que l’un d’eux, que ce soit la Défense nationale ou les Affaires étrangères, ait le gros bout du bâton dans ces dossiers?
M. Perry : Je pense qu’il serait bon qu’une entité soit en charge du dossier et ait directement des comptes à rendre. Mon collègue parlait d’un cadre permettant d’y parvenir en suivant un peu le modèle décisionnel du Cabinet. Je crois qu’il est également possible de le faire à l’intérieur du cadre hiérarchique d’un ministère ou en confiant, par exemple, la responsabilité de certains projets à un sous-ministre, comme cela a déjà été fait par le passé, si je ne m’abuse.
J’estime qu’il faut surtout que le gouvernement dans son ensemble détermine quels sont ses objectifs en matière d’approvisionnement. Si vous vous contentez de changer les structures institutionnelles et de modifier la répartition des pouvoirs sans évaluer l’importance relative que vous accordez à vos priorités et à vos objectifs, vous n’allez pas nécessairement réussir à améliorer les choses.
La sénatrice Eaton : Autrement dit, on devrait fonctionner de manière à ce qu’il soit possible, pour les aéronefs par exemple, de confier la responsabilité au ministère de la Défense nationale ou à une autre entité, alors que c’est le premier ministre ou le Cabinet qui déciderait des priorités?
M. Perry : Je crois qu’il faut déterminer le juste équilibre recherché entre ces différents objectifs pouvant être en opposition, puis décider quel ministère et quels gestionnaires au sein du système sont les mieux placés pour diriger le processus.
La sénatrice Eaton : Monsieur Stone, vous aviez quelque chose à ajouter?
M. Stone : Je vais me prononcer dans un sens un peu différent. C’est simplement que j’estime que le gouvernement définit ses priorités lorsqu’il détermine la façon dont les retombées industrielles et technologiques seront évaluées, c’est-à-dire lorsqu’on décide du poids qui sera accordé aux différents éléments examinés, par rapport par exemple aux 15 capacités industrielles clés recherchées par le gouvernement.
Lorsqu’il y a désaccord — et je ne sais pas si on peut vraiment parler de désaccord —, il est difficile de déterminer qui peut prendre la décision au niveau des sous-ministres adjoints ou des sous-ministres lorsque différentes priorités entrent en concurrence.
La sénatrice Eaton : C’est exactement ce que je dis. Ces décisions ne devraient-elles pas revenir au Cabinet?
M. Stone : C’est le Cabinet qui décidera en fin de compte lorsque les ministres seront saisis de ces dossiers.
La sénatrice Eaton : Les décisions devraient donc venir d’en haut. Autrement dit, le Cabinet devrait dire aux cinq sous-ministres quelles sont les priorités à respecter lorsqu’ils se réunissent pour discuter par exemple des navires de combat de surface. Vous êtes plutôt d’avis que l’on devrait partir de la base. Ainsi, les sous-ministres devraient décider entre eux de ce qu’il convient de faire pour laisser ensuite le Cabinet établir les priorités?
M. Stone : Non. Je crois qu’il serait préférable que le Cabinet dicte les priorités et les grandes orientations. Toutefois, je ne pense pas que cela permettrait d’éviter les frictions quand vient le temps de décider des exigences détaillées et de déterminer qui doit trancher lorsque les ministères ne s’entendent pas au sujet des exigences à prioriser.
Même si un ministre était désigné comme responsable, cela n’empêcherait pas ses collègues du Cabinet d’exprimer leur opposition ou leur soutien, ce qui entraverait tout autant la bonne marche du processus.
[Français]
Le sénateur Forest : Merci de votre présence. Vous avez quand même analysé les meilleures pratiques, et particulièrement la politique d’approvisionnement canadienne par rapport à la politique d’approvisionnement australienne. Selon votre expertise, n’y aurait-il pas de meilleures pratiques à mettre en œuvre? Je constate qu’un des éléments qui contribue à ce que les budgets soient respectés — et je sais que ce n’est pas évident de les respecter —, c’est l’élaboration de devis pour des pièces aussi importantes que les navires de combat de surface, les avions, et cetera. Pour ce qui est de l’élaboration des données qui évoluent avec le fournisseur, n’y aurait-il pas moyen d’adopter de meilleures pratiques pour avoir des devis plus précis qui permettraient de respecter les budgets?
[Traduction]
M. Stone : Je dirais que le problème de l’établissement des coûts a été relevé par le passé avec certains projets d’approvisionnement qui ont mal tourné. Je pense que nous avons amélioré nos capacités en la matière. Le ministère de la Défense nationale a maintenant à son emploi un plus grand nombre de fonctionnaires possédant cette expertise. Je vous signale qu’il y en avait tout autant dans les années 1980 alors que les achats se multipliaient, et que ce sont justement ces spécialistes qui ont été mis en disponibilité lorsque le ministère a dû réduire ses effectifs de 20 000 personnes dans les années 1990.
Le Conseil du Trésor a maintenant un Centre d’excellence pour l’établissement des coûts. Le problème vient cependant du moment où ces coûts sont établis. Cela se fait en deux étapes. Au tout début du processus, on établit un ordre de grandeur approximatif pour les coûts, lesquels sont davantage précisés au moment où les exigences détaillées sont déterminées. Malheureusement, c’est toujours l’ordre de grandeur approximatif qui retient l’attention des Canadiens, même s’il est parfois établi cinq ans avant que l’on connaisse les exigences détaillées, ce qui peut entraîner des fluctuations de l’ordre de 30 à 40 p. 100.
L’établissement des coûts est également problématique du fait que l’on demande aux gens de formuler des hypothèses quant à l’utilisation que l’on fera de l’équipement acheté, et ce, pendant une période de 20 ans, et que toutes ces hypothèses peuvent se révéler erronées. Il faut qu’on en arrive à dégager un consensus, malgré les fréquents désaccords que ces hypothèses suscitent au départ. Lorsque nous achetons une voiture, nous n’essayons pas de prévoir combien il nous en coûtera pour l’utiliser pendant les 10 années qui suivent. Dans le contexte militaire, nous essayons de calculer les coûts d’utilisation d’un aéronef pendant les 20 années suivantes sans connaître avec certitude l’usage que le gouvernement va vouloir que nous en fassions. Nous avons bien une petite idée, mais nous n’en sommes pas tout à fait certains.
M. Perry : Si j’ai bien compris votre question, vous vous interrogez quant au temps qui s’écoule entre les différents moments où les coûts sont établis et quant aux moyens à prendre et aux structures à mettre en place pour que ces évaluations soient prises en compte dans les contrats et les budgets des projets.
Je ne crois pas qu’il existe de solution unique pouvant s’appliquer dans tous les cas. Tout dépend du genre de biens que vous essayez d’acheter et de l’étape où vous en êtes rendus dans le processus d’approvisionnement. Lorsque le processus vise l’acquisition d’un produit de série n’exigeant que très peu de modifications, vous pouvez vous faire une idée assez précise des coûts à engager et établir un mécanisme contractuel fondé avec une plus grande certitude sur un prix qui demeurera valide tout au long du processus.
Si vous voulez acquérir des équipements exigeant un effort de développement — et les achats du Canada se rapprochent généralement davantage de cette réalité que de l’acquisition de produits de série —, l’incertitude dans l’établissement des coûts va grimper au fur et à mesure que les transformations requises vont s’accumuler. On y perdra ainsi progressivement en précision et il deviendra plus difficile d’établir au départ un contrat à prix ferme qui permettrait d’atténuer l’incertitude quant au prix que l’entrepreneur va finalement exiger de la Couronne.
La sénatrice Marshall : J’aimerais savoir ce que vous pensez tous les deux de la transparence dans nos approvisionnements. Je pose la question dans le contexte des efforts que mes collègues et moi pouvons déployer pour surveiller l’utilisation des fonds alloués en vertu de la politique Protection, Sécurité, Engagement. Nous essayons de voir à quoi servent les sommes qui sont attribuées pour un exercice donné. On consulte le site web du ministère pour tenter de faire ce suivi, mais c’est loin d’être chose facile.
Vous êtes des experts de l’approvisionnement militaire et je me demande où vous trouvez l’information nécessaire pour écrire vos articles ou effectuer vos analyses.
Où peut-on trouver ces chiffres susceptibles d’intéresser un membre du Comité des finances ou n’importe quel citoyen en fait? Pouvez-vous me dire ce que vous pensez du degré de transparence?
Je crois que vous y avez fait allusion, monsieur Stone. Je sais, monsieur Perry, que vous avez écrit dans un article au sujet de la stratégie de construction navale qu’il y avait lieu d’améliorer la transparence en la matière. Je me permets simplement d’étendre ce commentaire à l’ensemble du processus d’approvisionnement militaire.
J’aimerais donc vous entendre tous les deux au sujet de la transparence.
M. Perry : J’estime qu’il y a eu des améliorations notables en matière de transparence depuis bon nombre d’années, mais que ces progrès ne se font pas ressentir de la même manière dans tous les secteurs. Je crois toutefois qu’il y a une distinction à faire entre la transparence relative aux aspects budgétaires de l’approvisionnement militaire et celle touchant les dépenses à proprement parler.
Pour ce qui est des budgets, parmi les éléments qui ressortent selon moi de cet exercice d’une politique de défense, je note le fait qu’il est impossible de suivre clairement la trace du financement qui y est consacré dans une perspective budgétaire. En effet, ces fonds n’apparaissent pas dans les documents du budget de façon à permettre de faire facilement le tour de la question en connaissant les dispositions prévues dans le cadre financier pour les 20 prochaines années.
Pour ce qui est des plans de dépenses, je crois qu’il y a eu, en général, des progrès considérables en matière de transparence. Pour la toute première fois, à ma connaissance, le gouvernement a rendu publique une prévision de ses dépenses aux fins de sa politique de défense. C’est entre autres ce qui nous permet de discuter de la mesure dans laquelle le gouvernement donne effectivement suite au plan qu’il a établi.
Plusieurs autres mesures ont été prises pour accroître la transparence relativement à différents dossiers. Ainsi, le Programme des capacités de la Défense, que l’on peut maintenant consulter sur Internet, est une mine précieuse d’information permettant de savoir avec un degré raisonnable de certitude à quelles fins et à quel moment le ministère compte dépenser les sommes à sa disposition.
La sénatrice Marshall : Est-ce que l’on précise les dépenses pour chaque projet? Vous parlez de prévisions de dépenses qui sont plutôt bonnes. Est-ce que l’on indique, quelque part sur le site web, les dépenses pour les différents projets?
M. Perry : On fournit un ordre de grandeur approximatif par projet à l’intérieur d’une fourchette de financement. On ne précise pas la façon dont les fonds seront utilisés au million de dollars près, pas plus que les dates de mise en œuvre des différents projets. Vous bénéficiez toutefois d’un portrait général de la situation, qui vous permet de vous faire une idée du moment où le ministère compte investir, de l’objet de ses investissements ainsi que de leur montant approximatif.
La sénatrice Marshall : Est-ce que vous utilisez les données fournies sur ce site web pour en arriver à une estimation la plus précise possible?
M. Perry : Tout à fait. Toutes les étapes du processus sont bien indiquées.
La sénatrice Marshall : Est-ce que le ministère pourrait fournir des données plus précises?
M. Perry : Il pourrait certes le faire. Immédiatement après l’adoption de cette politique, le ministère a transmis des renseignements plus détaillés quant à la ventilation de ses dépenses — personnel, immobilisations et exploitation — et il ne fait aucun doute que cette information est encore disponible aujourd’hui.
M. Stone : Je suis d’accord avec tout ce que vient de vous dire M. Perry. Lorsque j’ai besoin de données sur les dépenses, je consulte les comptes publics, car c’est le seul endroit où l’on peut savoir combien on a dépensé pour chaque article courant. À partir de ces données, on peut déterminer la répartition entre les dépenses en immobilisations, en infrastructures et en frais d’exploitation.
La sénatrice Marshall : Mais est-ce qu’on peut savoir combien a été dépensé pour chaque projet?
M. Stone : Pas nécessairement, mais pour chaque investissement important pour l’acquisition de matériel, il y a une référence dans les plans ministériels, des éléments du budget des dépenses que l’on appelait auparavant Rapports sur les plans et les priorités. On trouve généralement dans ce document un lien permettant d’accéder à de l’information sur les dépenses prévues dans le cadre des grands projets d’investissement. Selon l’étape où on en est arrivé dans un projet, on vous indique quelle somme a été dépensée et quel montant il reste à utiliser.
Je ne suis toutefois pas certain que cette référence soit encore intégrée aux nouveaux plans ministériels. C’était le cas dans les rapports sur les plans et les priorités qui existaient auparavant. Je n’ai pas pu vérifier si on le faisait toujours, car il y a un moment déjà que je ne me suis plus intéressé à ces questions. Reste quand même que je me tourne vers les comptes publics lorsque j’ai besoin de données sur les dépenses.
[Français]
La sénatrice Forest-Niesing : J’ai plusieurs questions à poser, mais je vais essayer de faire de mon mieux avec les quatre minutes qui me sont allouées.
[Traduction]
Monsieur Stone, dans un article intitulé « Improving the Acquisition Process in Canada » que vous avez publié en avril 2015, vous situez la problématique des acquisitions dans le contexte de la Stratégie d’approvisionnement en matière de défense adoptée en février 2014. Vous analysez le tout et formulez des recommandations.
J’ai noté tout particulièrement que vous mentionnez dans cet article la nécessité de procéder à un examen. L’éternelle optimiste que je suis aimerait toutefois savoir ce que vous pensez de la situation quatre ans plus tard. Estimez-vous encore que le Canada est très efficace dans la mise en œuvre de bon nombre des aspects du processus d’approvisionnement? Pouvez-vous nous dire également dans quelle mesure nous progressons vers l’atteinte des trois objectifs très ambitieux fixés dans cette stratégie adoptée en février 2014?
M. Stone : Lorsque j’ai rédigé cet article, l’Australie et le Royaume-Uni avaient entrepris des examens complets de leur processus d’approvisionnement. Le Canada s’est limité pour sa part à des examens partiels de son système. Nous ne nous sommes donc pas penchés sur le fonctionnement de notre système, du début à la fin du processus. Il faut pourtant déterminer ce qui fonctionne bien et ce qui est moins efficace. Lorsqu’on s’intéresse comme nous le faisons à des parties d’un processus seulement, on peut en améliorer partiellement le fonctionnement sans nécessairement comprendre les effets de deuxième et de troisième ordres que peuvent avoir les changements apportés sur d’autres éléments du processus.
La Stratégie d’approvisionnement en matière de défense prévoyait un examen de la sorte, mais nous nous limitons pour l’instant à des relevés partiels. Je sais que l’on est parvenu à réduire le nombre d’étapes à franchir dans le processus d’examen interne du ministère de la Défense nationale. Je sais également que la nouvelle structure de gouvernance permet une orientation tenant davantage compte des volontés des têtes dirigeantes, contrairement au système en place auparavant dans le cadre duquel il était par exemple possible, une fois tout le travail de préparation nécessaire accompli, de soumettre un projet à l’approbation du Comité des capacités de la Défense, peu importe qu’il soit jugé prioritaire ou non.
En raison des échéanciers établis au sein de la nouvelle structure de gouvernance, c’est plutôt le Comité de gestion des investissements et des ressources et le Comité de gestion de projets qui vont dire aux gens qu’ils souhaitent qu’un tel projet leur soit soumis à une date bien précise de manière à satisfaire aux critères de financement prévus dans la politique Protection, Sécurité, Engagement.
Étant donné tout le travail déjà effectué sur différentes parties du processus, je ne suis plus certain, compte tenu du temps nécessaire, qu’il vaudrait encore la peine de procéder à un examen complet. Il faudrait que j’examine le tout et que j’y réfléchisse bien.
[Français]
La sénatrice Forest-Niesing : Monsieur Perry, dans votre rapport de 2016 sur le processus d’approvisionnement militaire, vous mentionnez que le changement de gouvernement a occasionné des délais et des coûts supplémentaires, car certaines décisions ont été inversées.
Croyez-vous qu’il serait possible d’ajouter des clauses au processus d’approvisionnement actuel afin d’éviter que, à l’avenir, cette situation ne se reproduise? Si oui, à quoi ressembleraient ces clauses?
[Traduction]
M. Perry : Je ne sais pas si la solution réside vraiment dans l’ajout de clauses contractuelles, bien que cela puisse être applicable dans le cas de certains processus d’approvisionnement dont l’une des étapes coïncidera avec un changement de gouvernement pouvant avoir des incidences sur le contrat. On peut penser par exemple à des projets pour lesquels un contrat initial a été octroyé, mais qui exige que l’on s’adresse de nouveau au gouvernement pour obtenir des approbations supplémentaires.
Je pense qu’il est surtout important de noter que dans le cadre du système de convention de transition actuellement en place pour les changements de gouvernement, nous avons à mon avis fait montre d’un excès de prudence quant aux pouvoirs décisionnels délégués dans certains cas aux fonctionnaires, ce qui réduit d’autant le travail pouvant être effectué entre le moment où une élection est déclenchée et celui où le nouveau gouvernement prend pleinement les commandes.
Compte tenu de la manière dont les choses se sont passées lors du dernier changement de gouvernement, je ne crois pas que le Conseil du Trésor pourra être tout à fait fonctionnel avant février de l’an prochain. À l’intérieur d’un cycle de quatre ans, c’est une longue période pendant laquelle le gouvernement n’est pas tout à fait fonctionnel et efficace. Si vous avez des projets au titre desquels vous ne pouvez pas obtenir les approbations nécessaires pendant cette période, vous allez devoir attendre jusqu’à ce qu’il vous soit possible d’avoir accès aux autorités compétentes. Il y a aussi des projets dont on retarde intentionnellement le déroulement de telle sorte qu’il ne soit pas nécessaire d’obtenir d’approbation avant le retour du gouvernement. Il peut aussi y avoir par ailleurs, comme on peut le constater actuellement, un sprint final précédant le déclenchement des élections, ce qui n’est pas nécessairement la meilleure façon de gérer la charge de travail. Cela permet de concentrer les efforts, ce qui n’est pas une mauvaise chose, mais si tout le monde essaie de s’adresser au Conseil du Trésor et au gouvernement avant l’été qui vient, il se peut qu’il y ait des tensions quant à savoir quels projets devraient passer avant les autres.
Le sénateur Klyne : Bonjour à tous. Bienvenue à nos témoins, et merci pour tous ces précieux renseignements que vous nous transmettez.
Je veux revenir à la possibilité de confier toutes les activités d’approvisionnement à un seul et même organisme. Je crois que vous pouvez sans doute répondre tous les deux à mes questions, mais je vais m’adresser d’abord à M. Stone.
J’essaie de voir la situation dans son ensemble. C’est ainsi que la nécessité d’envisager sérieusement la création d’un organisme unique m’apparaît non pas superflue ni purement théorique, mais tout à fait fondamentale et justifiée.
Pour la plupart des processus, ce sont les dépassements de coûts, les retards dans la livraison et le non-respect des exigences opérationnelles qui peuvent devenir problématiques. Avec un organisme unique, le risque viendrait surtout des dépassements de coûts. Vous avez abordé quelques pistes de solution en indiquant qu’il fallait faire intervenir l’industrie plus tôt dans le processus et en précisant que les coûts sont établis à deux étapes distinctes. On commence par une estimation approximative pour en arriver ensuite à un chiffre plus précis lorsqu’on connaît toutes les exigences à remplir.
Vous avez notamment suggéré que l’on procède à l’examen de l’ensemble du processus. On le fait déjà pour certaines composantes seulement. Je présume que ces composantes demeurent valables et ont besoin simplement de quelques ajustements. Il y a toutefois d’autres éléments qui n’ont pas encore été examinés.
Nous devrions, il me semble, nous mettre au travail et, en même temps, poser la question du temps; ça pourrait en prendre beaucoup. On aurait dû planter l’arbre il y a 20 ans. Faute d’agir, nous pourrions avoir la même conversation dans cinq ans.
Il y a des leçons à tirer de l’Australie et du Royaume-Uni, de leurs pratiques exemplaires, de ce que ces deux pays pourraient avoir fait différemment et de ce qu’ils devraient faire en plus.
D’où viennent les pressions pour n’entreprendre qu’une partie du processus? J’ai beaucoup confiance dans les comptables agréés. Compte tenu de ce qu’ils sont capables de faire et de vos conseils généraux, ils pourraient trouver une façon de rendre le processus fonctionnel, en faire un processus de contrôle des dépenses qui serait rassurant, sans supprimer tous les motifs de préoccupation. D’où viennent ces pressions?
M. Stone : J’ai deux observations à faire, la première sur la dernière remarque relative aux coûts. Quand le gouvernement a confié l’examen de l’établissement des coûts à un tiers, à KPMG, — je me sers de l’exemple de l’avion de chasse de la nouvelle génération — sa méthode d’établissement des coûts s’est révélée excellente. Elle était conforme à toutes les pratiques exemplaires. Le hic, c’est que ce sont complètement vos hypothèses, sur les échéanciers comme sur les exigences. Nouvelles exigences, nouveaux coûts. C’est un cercle vicieux, parce que plus on prend de temps, plus les conditions de sécurité sont susceptibles de changer, ce qui conduit à modifier les exigences ou, encore, à rendre la technologie désuète et fait opter pour autre chose, de plus coûteux.
Ensuite, sur les leçons et les choses, mon article sur l’organisme unique d’approvisionnement visait à préciser que cet organisme ne permettrait pas de corriger ce qui, généralement, cloche dans les opérations complexes d’approvisionnement, et ça se produit chez tous nos alliés. Certains ont un organisme unique; les autres, non. L’Australie a modifié sa structure d’approvisionnement dans la dernière décennie, le Royaume-Uni aussi.
Pour moi, la question n’est pas de ne pas discuter de l’idée de se donner un organisme unique. Nous devons seulement nous entendre sur ce que nous essayons d’obtenir par lui.
Mon article visait vraiment à contester une croyance qui circulait, selon laquelle nous avions besoin d’un seul ministre responsable, alors que nos lois chargent : le ministre de la Défense nationale de reconnaître les besoins, sous le régime de la Loi sur la défense nationale; le ministre de Services publics et Approvisionnement Canada d’acheter le matériel, sous le régime de la Loi sur la production de défense; et le ministre de l’Industrie, d’ISDEC maintenant, de diverses questions dans sa sphère de compétences.
La difficulté est que, pour en responsabiliser un seul, il faut modifier toutes les lois applicables. Quels avantages escomptez-vous et pendant combien de temps êtes-vous prêt à attendre avant que cela ne se produise? Entre-temps, des opérations seront peut-être retardées. Nos grands chantiers de cette envergure, par exemple Services partagés Canada et Phénix, lancés par des gouvernements en quête d’efficacité, n’ont pas vraiment été couronnés de succès.
Je m’inquiéterais plutôt non pas que nous ne voulions pas en discuter ou l’examiner, mais de ce que nous essayons d’obtenir par un organisme unique.
La sénatrice M. Deacon : Merci d’être ici. Avant de poser ma question, pour faire suite à ce que vous venez de dire, quand vous dites : « Qu’essayons-nous d’obtenir? », je ne peux pas non plus m’empêcher de me demander ce que nous essayons d’obtenir dans cette immense structure de direction collaborative et participative. La collaboration entre groupes, en vue de prendre des décisions, doublée de mesures de responsabilisation peut réellement être forte, mais on a l’impression, bien instruit par l’expérience de Phénix, que ça fait beaucoup de gens, beaucoup de complexité, et cetera : atteignons-nous nos objectifs? C’est en quelque sorte la conclusion des observations et des questions du collègue qui m’a précédée.
Aujourd’hui, je me pose quelques questions, notamment sur les observations que, monsieur Perry, je crois que vous avez faites sur l’argent et l’argent de l’approvisionnement, et l’intention de dépenser une bonne partie de cet argent dans les quatre premières années. Tout le processus m’apparaît comme un cycle complexe de besoins, de demandes et d’offres, et quand ce cycle est retardé, les problèmes croissent exponentiellement ou s’accumulent en couches de plus en plus épaisses — de diverses façons, au niveau des capacités matérielles et humaines à celui du risque, et ainsi de suite. Comment nous trouvons-nous pris dans ce délai ou, d’après vous, quel est le plus grand risque, le plus grand handicap qui en découle pour que, d’après d’autres témoignages de ce matin, d’autres retards s’y ajoutent? Certains des plus évidents me viennent à l’esprit, mais je voudrais en connaître le coût le plus lourd pour nous, avant de poser une deuxième question.
M. Perry : Par rapport au début de ma déclaration préliminaire, je pense que le plus gros risque pour la planification stratégique sous-jacente à la stratégie Protection, sécurité, engagement est l’éventuelle modification de l’enveloppe de financement du travail des fonctionnaires. Actuellement, on s’efforce, difficilement, de suivre un plan, mais avec une certaine flexibilité pour apporter des corrections. Cependant, en fonction du point du cycle économique où nous nous trouvons, je crains que, certainement, le Canada n’entre dans une période d’éventuelles compressions, par un futur gouvernement, de l’ensemble des dépenses fédérales. Je m’inquiéterais beaucoup du sort d’un énoncé de politique à mon avis énergique, dans la stratégie Protection, sécurité, engagement, si le contexte de financement du gouvernement fédéral changeait.
Si le financement est retiré et que l’incertitude s’installe, beaucoup de projets pourraient être mis en question, parce qu’ils n’aboutiraient pas aussi vite qu’on l’escomptait.
Pour être plus précis, beaucoup de tâches d’approvisionnement étaient censées se concrétiser dans les quatre premières années, et les dépenses étaient censées suivre deux ou trois années plus tard. Essentiellement, on est dans une dynamique où il faut accomplir beaucoup de travail. Si les choses vont comme le prévoyaient les plans internes, une grande partie du gros effort survient à peu près quatre ans avant qu’on ne consacre d’argent à tel projet. Il faut d’abord faire le travail avant de parvenir au point où l’État canadien signe un chèque.
La sénatrice M. Deacon : Ce que vous venez de dire, qui s’ajoute aux différents témoignages entendus ces quelques dernières semaines, me laisse songeuse. Je pense que l’expression « du commerce » a été prononcée ce matin. Quels talents et quelles compétences possédons-nous, nous les Canadiens, pour mettre au point, construire et concevoir nos propres systèmes. Je n’ai aucune idée de la comparabilité des deux, mais ça doit rendre toute la situation encore plus complexe, ou plus rationalisée, dans certains sens du terme. Je suis complètement dans le noir.
M. Perry : Je serais d’accord. La troisième option, à laquelle nous recourons très souvent, c’est de prendre ce que quelqu’un d’autre a construit, puis de le modifier.
Sur ce que j’ai dit plus tôt, il existe un continuum entre le produit du commerce qu’on achète et la pièce d’équipement qu’on construit à une fin précise. Nous avons tendance à agir entre ces deux extrêmes, mais plus du côté de la modification.
La plupart des produits que nous achetons tels quels sont des articles de consommation comme des chaussettes, des gilets pare-éclats. Le Canada modifie dans une certaine mesure la plupart des gros systèmes d’armes complexes qu’il achète. Il les modifie dans la mesure nécessaire pour qu’ils répondent aux besoins particuliers des Forces armées canadiennes. Le seul gros équipement qui me vienne à l’esprit et que nous ayons acheté sans vraiment le modifier a été le C-17.
Le vice-président : Je me suis toujours demandé dans quelle mesure nous avons vraiment besoin de modifier le gros équipement pour l’adapter à nos besoins et si les besoins des Forces canadiennes sont vraiment si particuliers pour qu’il faille de nombreuses corrections à cet équipement.
M. Perry : Je pense que la réponse serait que tout dépend de la pièce d’équipement. On s’en préoccupe depuis 20 ans, ce qui, en grande partie, a conduit à la création de la Commission indépendante d’examen des acquisitions de la Défense, pour mettre en confiance le reste du système d’acquisition du gouvernement et lui assurer que les changements officiellement demandés par la Défense nationale ont été validés et annoncés de manière à rassurer les autres joueurs.
Le sénateur Boehm : Merci d’être ici. Essayons de rassembler quelques bribes de la discussion.
D’abord, monsieur Stone, je ne crois pas que vous ayez vraiment déclaré que l’examen approfondi des acquisitions était une bonne idée. Je pense que vous avez été un peu prudent. Vous avez dit que certains éléments avaient été examinés par le passé, et je me demande si, dans le cas du Royaume-Uni et de l’Australie, peut-être aussi d’autres pays comparables, de petites tentatives d’examen avaient eu lieu avant de passer au gros examen. Voilà. Est-ce que cette expérience a vraiment donné de bons résultats? Cela fait quelques années, et nous voyons ce qu’ils font.
Je suis bien conscient que, à l’interne, dans la bureaucratie, puisque j'ai été moi-même un bureaucrate, nous regardons ce que font les autres et nous passons aussi passablement de temps à discuter entre nous pour essayer de conseiller le mieux possible l’échelon politique. Cela se fait aussi dans d’autres pays. Ils ont aussi des cycles budgétaires, des cycles électoraux, où, pendant les campagnes, l’activité ralentit et de nouveau, encore, quand les gouvernements se mettent en place.
Pouvez-vous être plus précis en ce qui concerne l’expérience de l’étranger et si cette expérience nous conduirait à recommander sans réserve un examen approfondi des pratiques d’approvisionnement? Vous avez bien dit que vous ne croyiez pas qu’un ministre distinct était nécessaire pour cette tâche, et c’est intéressant, mais comment est-ce que ça fonctionnerait?
M. Stone : J’ai examiné le cas de l’Australie plus en détail que celui du Royaume-Uni, et l’Australie a effectué deux examens. Le deuxième a consisté à faire le point par rapport aux recommandations du premier examen et, entre-temps, pendant cette période, du début des années 2000 à maintenant, ce pays a effectivement modifié sa structure : il a ramené son organisation unique chargée de l’approvisionnement dans le giron du ministère de la Défense, en n’agissant non pas comme nous, mais en créant un système semblable au système canadien actuel.
Ce pays a fait des progrès, et ma prudence actuelle m’a peut-être fait attendre à peu près trois ans avant d’examiner l’approvisionnement dans le même degré de détail et écrire quelque chose là-dessus. Je sais que, entre-temps, un certain nombre d’initiatives ont été lancées, tant à l’intérieur du ministère qu’entre les ministères. Je voudrais pouvoir examiner la situation actuelle et juger de la réussite de mesures comme la réduction du nombre d’étapes ou la compression des échéanciers avant de préconiser ce genre d’examen continu.
Il y a quatre ans, j’en étais un fervent admirateur, parce que je le croyais utile. Je m’inquiète seulement de notre respect des délais et des éventuels avantages que nous en retirerions, compte tenu de tous les autres changements susceptibles de survenir. Je suis incertain, parce que je n’ai pas vraiment examiné cette question.
Le sénateur Boehm : Il doit exister des données sur les pratiques et la perturbation des projets. J’ai séjourné quelques années à Berlin. Avec leur efficacité coutumière, les Allemands se sont attelés à une tâche semblable et ils ont découvert des lacunes.
M. Stone : Je sais, par exemple, que le ministère de la Défense nationale examine le processus d’approbation des projets et qu’il possède des données sur le nombre d’étapes franchies par un projet, du début à la fin.
Je sais que Pat Finn, sous-ministre adjoint (Matériels), vous dirait que l’une des difficultés que nous éprouvons provient de notre habitude d’appeler « projet » quelque chose qui ne l’est pas encore vraiment. Des fonctionnaires travaillent à des tentatives qui n’aboutiront jamais, faute de financement, mais qui se rattachent à une capacité et à une efficacité que quelqu’un a reconnues. Il se trouve là un espace où l’examen du processus d’approbation des projets était censé parvenir. Je sais qu’on possède des données, parce que j’ai parlé au responsable de cette initiative, mais je ne connais pas la nature des données ni le degré de réussite obtenu depuis deux ou trois ans, parce que, dans la première année, on peut réussir, mais l’inertie de la bureaucratie vous ramène où vous vous trouviez deux ans plus tôt, au moment de l’affectation. Ce genre de choses se produit.
C’est ce qui inquiéterait. Quel a été le degré de réussite? Quel est l’étalon actuel de mesure? Je sais que le ministère essaie de répondre à ces questions, mais je devrais effectuer la recherche et parler aux responsables.
La sénatrice Marshall : Quelques changements sont survenus. En réponse au sénateur Boehm, vous avez parlé de modifier le système, et il se peut que vous le déstabilisiez.
L’année dernière, deux ou trois articles ont paru dans les médias. Selon l’un d’entre eux, la sous-ministre Lemay disait effectuer une sorte d’examen du système d’approvisionnement, puis, en août, a paru ce que j’ai pensé être une étrange annonce du gouvernement selon laquelle le Conseil du Trésor se chargeait désormais des principales livraisons difficiles, notamment du système d’approvisionnement de la Défense et du système modernisé de paie de la fonction publique. C’est comme si on avait formé un tout de ces deux problèmes.
Un ministre chargé du Conseil du Trésor, M. Brison, a comparu une fois devant nous. Je lui ai demandé d’expliquer pourquoi ç’avait été fait ou de nous renseigner à ce sujet, mais très peu d’information nous est parvenue.
L’un d’entre vous voit-il des changements? D’après ce qui est survenu l’année dernière, on semble essayer des changements à l’intérieur du système. Avez-vous eu vent de changement dans le système d’approvisionnement?
M. Stone : L’annonce selon laquelle on confiait au Conseil du Trésor l’approvisionnement s’est en réalité placée dans le contexte de la prise du pouvoir par le gouvernement actuel, quand il a créé un comité spécial des ministres pour examiner l’approvisionnement de la Défense. Ce comité, devenu permanent pendant un certain temps, a décidé que les décisions qu’il envisageait iraient au Conseil du Trésor pour être gérées par lui quand il prendrait des décisions, en partie parce que, maintenant, nous avons la stratégie Protection, sécurité, engagement et qu’un cadre stratégique régit ce qu’on soumet à l’approbation du Conseil du Trésor et ce genre de choses. C’était un système interne du gouvernement pour confier une fonction au Conseil du Trésor.
Je ne crois pas que, en ce sens, cela ait eu quelque chose à voir avec un essai de réparation du processus, sinon, peut-être la volonté de limiter le nombre de comités dont les ministres doivent faire partie.
La sénatrice Marshall : Qu’en est-il de l’information publiée dans l’examen de l’approvisionnement par Mme Lemay? Je pense que, en juin dernier, peut-être, j’ai lu quelque chose à ce sujet. Avez-vous perçu des signes de changements?
J’y songe maintenant, dans le contexte de vos remarques sur la possibilité d’améliorer le système, mais vous ne voulez pas le modifier pour le déstabiliser. Il pourrait survenir maintenant des problèmes, mais vous pourriez changer le système et l’empirer, pas nécessairement l’améliorer.
M. Perry : Bien des changements ont été apportés juste au cours des cinq dernières années; c’est une des raisons pour lesquelles il faut peser les avantages escomptés d’un examen exhaustif systématique du système en tenant compte des changements déjà apportés, mais dont on n’a pas pu évaluer tout à fait l’incidence, ainsi que du volume d’activités auquel on s’attaque. On peut envisager la question sous plusieurs angles.
Dans le cadre de la Stratégie nationale d’approvisionnement en matière de construction navale, une mesure que je juge appropriée, l’examen et la mise en œuvre de l’initiative — qui se sont faits à la vitesse de l’éclair, de l’avis du gouvernement — ont pris près de trois ans, de l’échec de certains achats de navires au cours de l’exercice 2008-2009, en passant par la réévaluation de la situation et la proposition de lancement d’une nouvelle initiative jusqu’au point auquel les contrats ont effectivement été attribués.
L’initiative s’est déroulée dans un secteur concernant quelques aspects de l’approvisionnement du gouvernement; elle a donc essentiellement touché huit ou neuf projets. Si vous envisagiez une initiative d’envergure actuellement, cela pourrait toucher, selon mes calculs, environ 130 grands projets et plusieurs dizaines d’autres projets d’infrastructure juste pour la Défense nationale; c’est sans compter la Garde côtière, et c’est si vous agissiez maintenant. Cette démarche aurait indubitablement un avantage, mais il faudrait tenir compte de ce qui se passerait dans l’intervalle avec tous ces projets qui sont financés et qui se trouvent à diverses étapes de leur cycle de vie.
Pour être précis quant à ce qui a changé au cours des cinq dernières années, nous avons fondamentalement revu la politique de compensation économique à partir de 2014. À peine quelques dizaines de projets assujettis à cette politique ont été lancés, et je ne pense pas qu’un seul d’entre eux ait été mené complètement à terme. Je pense qu’il est trop tôt pour savoir si les changements qu’on entendait apporter dans le cadre de cette initiative ont porté fruit, et nous ne disposons pas d’assez de données pour évaluer leur incidence.
À l’échelle du Cabinet, le gouvernement a modifié à deux reprises la structure du comité qui effectue un examen stratégique des achats de la Défense. Je ne suis pas certain de savoir de quoi Mme Lemay parlait exactement, mais Services publics et Approvisionnement Canada a apporté un certain nombre de modifications à la manière dont il gère les contrats. Il a comme pratique normalisée d’étudier une liste de vendeurs préqualifiés avant de procéder aux acquisitions. Il a adopté les périodes de modification de soumission ou les délais prévus après l’échéance de présentation des soumissions, qui font partie de ses pratiques normalisées. Il envisage d’accorder des prolongations de la période de présentation des soumissions, comme il l’a fait dans le cadre du projet de navires de combat de surface. Ces prolongations tendaient à ne pas être accordées par le passé. Si le ministère avait besoin de plus de temps, le processus arrivait à échéance et le projet tombait à l’eau.
Un certain nombre de changements ont été apportés à la Défense nationale. Je pense que le ministère a lancé quatre ou cinq audits et évaluations internes depuis 2012.
Comme Craig l’a souligné, des discussions sont en cours, selon la terminologie, au sujet du temps que les approvisionnements prendraient en moyenne, mais une évaluation de 15 ans serait assez juste. Avec les changements apportés, si on prend 2014 comme point de départ, un nouvel approvisionnement n’en serait qu’à sa cinquième année s’il partait de zéro en 2014. Le processus ne serait donc pas complètement terminé.
Les projets qui en étaient au dernier tiers de leur cycle de vie quand ces changements ont eu lieu n’ont probablement pas été touchés, car ils en étaient déjà aux étapes de l’exécution et de la livraison.
Quant aux projets qui en étaient au tiers du milieu, ils auraient été touchés par les changements apportés en 2014 en milieu de processus. Ils comportaient peut-être quelques déficiences qui devaient être corrigées grâce à une série de changements, qui n’ont pas vraiment pu avoir d’incidence parce que les projets étaient à mi-parcours.
Il est vraiment difficile d’évaluer tout cela et de ventiler les données de manière claire afin d’avoir un aperçu des changements.
La sénatrice Duncan : Je remercie les témoins qui comparaissent ce matin. Je ne suis pas experte en la matière, loin de là. Les approvisionnements en matière de défense ne sont pas mon domaine d’expertise. Je possède toutefois un brin d’expérience concernant les changements au sein de la fonction publique.
Selon ce que vous dites, même si l’idée de confier les approvisionnements à un seul organisme a du bon et est intéressante, il y a eu trop de changements en ce qui concerne les gouvernements et ce qui se passe au sein des ministères. Je souligne le fait que la haute direction du ministère de la Défense nationale a considérablement changé.
Dispose-t-on de chiffres à ce sujet? Peut-on quantifier ces changements?
Est-ce que je comprends bien que vous affirmez que l’idée de confier tous les approvisionnements à un seul organisme est un changement de trop qui viendrait s’ajouter au système de paie Phénix et au taux de roulement au sein du ministère? Est-ce que je vous comprends bien?
M. Perry : Si vous me permettez de commencer, je dirais que ce n’est pas tant qu’il y a eu trop de changements qu’il y a eu beaucoup de changements, mais peu de temps pour évaluer l’incidence de toutes les mesures qui ont déjà été mises en œuvre jusqu’à maintenant. Le système n’a pas encore eu l’occasion de s’adapter aux divers changements apportés, et comme le tout s’est fait graduellement, il est difficile d’évaluer le plein impact. Nombre de mesures ont été prises en séquence, mises en œuvre séparément et appliquées à des projets se trouvant à diverses étapes de leur vie.
Si vous étudiez l’incidence de la Commission d’examen indépendante que vous avez entendue il y a quelques semaines, par exemple, vous ne saurez pas vraiment si le processus que la Défense nationale suit pour établir les besoins est plus fiable ou non tant que les projets n’auront pas été soumis à l’examen du Conseil du Trésor. S’ils sont soumis au processus d’approbation des dépenses du Conseil du Trésor à un rythme plus rapide, je considère que cela montrerait que le système fonctionne. À l’heure où nous en sommes, toutefois, étant donné que le comité n’est à l’œuvre que depuis quelques années, il est difficile de savoir si les dépenses des projets sont autorisées plus facilement ou non par le ministre de la Défense nationale au moment où les choses se passent. Il faudra du temps pour avoir l’heure juste.
La question du roulement s’est avérée très problématique par le passé. On pourrait utiliser bien des paramètres de mesure. Selon mes calculs, au cours des cinq dernières années, trois sous-ministres et quatre vice-chefs de l’état-major de la Défense se sont succédé. Le roulement est encore plus fréquent aux échelons inférieurs, notamment à certains postes clés au sein de l’effectif du vice-chef de l’état-major de la Défense au bureau du chef de programme, où les gens restaient en poste un an avant de repartir. Je pense qu’il s’agit d’un facteur qui a exacerbé les problèmes au sein de la Défense nationale, car il n’y a pas de continuité et de stabilité. Sachez toutefois que le présent sous-ministre a indiqué, il y a une semaine, que des efforts ont été déployés pour tenter de rectifier la situation en permettant à des homologues civils de travailler avec certains militaires afin d’assurer une meilleure continuité.
M. Stone : Je vais être encore plus cynique que David, car je ne pense pas que, dans le contexte de la Commission d’examen indépendante, par exemple, nous saurons si le processus est une réussite tant que les demandes de propositions n’auront pas été lancées et que l’industrie ne répliquera pas quand elle perd afin de contester la décision devant les tribunaux. C’est essentiellement ce qui se produisait avant que nous n’établissions ce processus. Pour savoir ce qu’il en est, je pense qu’il faudra patienter encore plus longtemps que la durée qu’il faut pour obtenir l’approbation du Conseil du Trésor.
Nous devons attendre de voir si l’industrie acceptera que les besoins étaient valides et que le processus était transparent. À mon avis, elle contestera la décision quand même. Ce qui compte, c’est ce qui se passera devant le tribunal par la suite.
[Français]
Le sénateur Forest : Vous disiez, monsieur Stone, que le gouvernement devrait procéder à un examen du processus pour déterminer ce que nous faisons de bien et ce que nous pouvons améliorer. Des spécialistes aussi compétents que vous ont comparu devant notre comité. Je me demande s’il n’est pas trop tôt pour faire une évaluation objective du processus d’acquisition du matériel militaire. Devrions-nous attendre? Il y a eu beaucoup de changements au cours des dernières années, tant pour le personnel que pour le processus. Est-ce que nous ne devrions pas plutôt attendre, évaluer l’impact de ces changements durant une période de temps plus longue et en arriver à une évaluation objective afin d’apporter des améliorations? Des milliards de dollars de fonds publics sont en jeu pour améliorer le processus d’acquisition du matériel militaire.
[Traduction]
M. Stone : Je ne considère pas qu’il soit trop tôt, mais je demanderais ce qui suit : quelle est la finalité? Qu’est-ce qu’on examine, en fait? Est-ce la manière dont on abrège le processus pour pouvoir réagir plus rapidement ou cherche-t-on à réduire les coûts?
Je ne vois rien de mal à mener un examen objectif du processus d’approvisionnement dans son entièreté. Je voudrais simplement faire la lumière sur ce que vous cherchez à corriger. Il faudrait que la finalité soit claire.
[Français]
Le sénateur Forest : L’objectif ultime de tout cela est une meilleure utilisation des fonds publics, l’atteinte de l’objectif et une plus grande efficacité budgétaire et opérationnelle avec les biens que nous allons nous procurer. C’est, à mon avis, le résultat final que nous devons envisager.
[Traduction]
M. Perry : Vous avez évoqué précédemment des points précis qui se sont avérés problématiques par le passé, comme l’établissement des besoins et du prix, pour n’en nommer que deux. Je ne pense pas que la création d’un organisme d’approvisionnement unique aurait nécessairement une incidence à cet égard.
La Défense nationale est à même d’établir adéquatement les besoins de l’armée. Des problèmes sont survenus par le passé quand d’autres personnes travaillant dans le système d’approvisionnement ou l’industrie considéraient que les exigences de la Défense nationale n’étaient pas raisonnables ou réalisables compte tenu de la technologie actuelle, ou pensaient que ce qui était demandé n’était pas nécessaire. De nombreux changements ont été apportés. La Commission d’examen indépendante a notamment permis de s’attaquer à ce problème. La modification de la structure institutionnelle ne permettra pas de corriger ce problème ou celui de l’établissement du coût.
Par le passé, le problème de l’établissement du coût venait du fait que la Défense nationale tentait d’évaluer précocement ce coût, puis rencontrait des problèmes quand elle constituait un budget fixe. Si un projet durait plus longtemps que prévu ou si l’estimation du coût changeait, le ministère devait demander des fonds supplémentaires au gouvernement.
Tant que vous continuez d’avoir des mécanismes afin de mettre efficacement en œuvre un processus d’approbation des dépenses — que ce soit exclusivement au sein de la Défense nationale ou dans l’ensemble du gouvernement —, je ne pense pas que l’instauration d’un organisme d’approvisionnement unique accélérera beaucoup le processus, si on présume qu’il y aura toujours un processus exhaustif pour veiller à ce que le gouvernement prenne de bonnes décisions afin de faire un usage avisé des deniers publics.
Pour ce qui est des autres questions qui concernent le calendrier, si les problèmes sont attribuables à des conflits interministériels, le recours à un seul organisme pourrait accélérer le processus. Je pense que c’est un problème qu’une partie des changements apportés au cours des cinq dernières années visaient à résoudre. Au lieu d’intervenir à des moments imprévisibles quand des problèmes surgissent et remontent à un échelon assez élevé de la hiérarchie afin d’être résolus alors qu’on les connaît déjà parce qu’ils ont provoqué le blocage du projet, on a tenté d’établir un calendrier de réunions délibéré afin que les problèmes soient mis de l’avant et résolus de manière proactive avant qu’ils n’empêchent le projet d’aller de l’avant.
La sénatrice Eaton : Merci. Monsieur Perry, je pense que vous avez indiqué que les approvisionnements nécessitent en moyenne 15 ans et que nous devrions permettre aux choses de suivre leur cours pendant tout ce temps. La semaine dernière, nous avons entendu le colonel à la retraite Davies et M. Lagueux. Le colonel Davies a déclaré ce qui suit :
[...] au sein de la Défense nationale, les systèmes sont gérés tout au long de leur cycle de vie. Le Groupe des matériels a procédé à une importante restructuration quand M. Lagueux [...]
Ils font donc tous partie du Groupe des matériels : les systèmes de l’armée, de la marine et des forces spéciales sont gérés par des équipes spécialisées qui s’occupent de la question, de l’acquisition à la mise au rancart en fin de vie. La pièce manquante, c’est l’approvisionnement.
Je vous pose donc la question suivante : nous savons que nos navires de guerre ont maintenant 40 ans. Quand ils ont atteint un certain point de leur cycle de vie, à 25 ou à 30 ans, pourquoi n’avons-nous pas planifié la suite des choses ou lancé le processus d’approvisionnement? Pourquoi attendre qu’ils soient en piètre état et doivent être réparés avant de penser au prochain groupe? Si le temps nous le permet ou si j’interviens au cours du troisième tour, je veux savoir comment nous pouvons évacuer un peu la politique du système.
M. Perry : Si l’équipement doit durer une ou deux décennies de plus que prévu, c’est fondamentalement parce que la Défense nationale n’a pas reçu de financement constant pour effectuer des remplacements selon un cycle permettant de remplacer les navires avant qu’ils ne soient 10 ans trop vieux. C’est ainsi que la dynamique s’est déroulée autour du projet de frégates. Au début des années 2000, comme il manquait d’argent pour acheter de nouveaux bâtiments, il a été décidé que le ministère moderniserait les navires afin d’en prolonger la vie. C’est exactement la même chose qui s’est produite avec notre force de chasse.
En l’absence de financement régulier, on ne peut remplacer l’équipement. En vertu des règles en place depuis plusieurs années maintenant, les fonctionnaires ne sont même pas autorisés à effectuer des travaux préliminaires sur les projets, sauf dans quelques cas où ils avaient établi des priorités auxquelles ils s’attaqueraient dès que des fonds seraient disponibles.
La sénatrice Eaton : Nous pourrions donc recommander d’accorder un financement régulier...
M. Perry : Oui.
La sénatrice Eaton : ... et d’autoriser les fonctionnaires à travailler à des projets dans une perspective d’avenir.
M. Perry : Il y a là une arme à double tranchant. C’est ce dont mon collègue parlait.
Avant que ne soit apporté le changement qui empêche les fonctionnaires de travailler à des projets non dotés de financement, divers parrains venant de divers services de l’armée et d’autres N1 avaient des idées d’approvisionnement qu’ils voulaient proposer, sans toutefois disposer des fonds nécessaires. S’il s’agissait de projets que le commandant concerné à ce moment-là voulait concrétiser, le temps que le personnel aurait pu passer à travailler à des projets dotés de financement et qui auraient donc une chance d’être mis en œuvre était accordé à ces projets de prédilection. La question consiste à trouver un juste équilibre.
Depuis plusieurs années, le ministère dresse plutôt une liste comprenant une dizaine ou une quinzaine de projets déterminés et convenus qui, advenant que des fonds se libèrent pour un certain nombre de raisons — si des projets sont prévus dans le budget, par exemple —, pourraient toujours recevoir du financement du gouvernement pour permettre d’effectuer une somme mesurée et contrôlée de travail sur certains d’entre eux. On impose toutefois des contraintes et assure une cohérence accrue dans le cadre du programme pour éviter d’accorder des efforts à des projets qui ne verront jamais le jour.
La sénatrice Eaton : Monsieur Stone, souhaitez-vous ajouter quelque chose?
M. Stone : Je veux formuler une observation sur la culture. Si vous demandiez à la plupart des employés en uniforme travaillant au 101, promenade Colonel dans quelle mesure ils croient que le financement prévu dans la politique Protection, Sécurité, Engagement se concrétisera, la plupart vous répondront que c’est moins de 50 p. 100. Cette attitude est en partie attribuable au fait que, après avoir passé un certain temps au sein des Forces canadiennes, on a entendu plusieurs gouvernements promettre du financement stable à long terme, puis la situation fiscale a évolué, le gouvernement s’est ravisé et le financement stable à long terme s’est volatilisé. Voilà pourquoi il n’y a pas de financement régulier.
Je pense qu’on ne réussira jamais à éliminer ce problème au sein des gouvernements. C’est avec la meilleure des intentions que le gouvernement a adopté la politique Protection, Sécurité, Engagement, mais si le cycle des affaires, qui s’est avéré assez favorable au cours de la dernière décennie, change et que nous entrons en récession, le gouvernement devra prendre des décisions à ce sujet. Comme la Défense nationale dispose invariablement de l’enveloppe discrétionnaire la plus fournie, il y aura des réductions.
Même si nous pouvions conclure une entente pluripartite sur les questions de défense au Canada, à l’instar du Royaume-Uni et de l’Australie, le financement stable nous poserait toujours des difficultés, car c’est la réalité du cadre fiscal.
Le sénateur Klyne : J’ai deux questions. Je n’allais pas poser la question qui suit, mais j’ai décidé d’y revenir. Ce sera intéressant de lire la transcription par la suite, car je crois qu’il y a des pistes de solutions ici et là. Pour reprendre l’expression de mon collègue, je vais essayer de rassembler quelques bribes de la discussion.
À des fins de rentabilité ou avec les meilleures intentions — je comprends le concept des armes à double tranchant —, tout semble indiquer que nous devons faire quelque chose. Pour éviter les dépassements de coûts, les retards et le non-respect des exigences opérationnelles, et pour pouvoir dire que nous avons réalisé des progrès ou apporté des améliorations considérables relativement au processus d’approvisionnement de la Défense et de la Garde côtière canadienne, quelles mesures recommanderiez-vous au comité? Quelles mesures devraient être prises pour faire en sorte que nous ayons le meilleur processus d’approvisionnement parmi tous ceux de nos alliés? Ce n’est peut-être pas la solution idéale ou exaltante que nous cherchons, mais de telles mesures nous permettraient d’affirmer que nous avons réalisé des progrès et que notre processus d’approvisionnement surpasse ceux de nos alliés, en tenant compte de toutes les variables externes liées à l’approvisionnement, à la Défense et à la Garde côtière canadienne. Quelles mesures recommanderiez-vous au comité?
M. Perry : Je vais commencer. J’aurais une recommandation à faire, mais avant, je dirais que, en ce moment et durant les prochaines années, la chose la plus importante que le pays pourra faire pour appuyer la mise en œuvre de la nouvelle politique de défense, ce sera de faire preuve de patience et de prévoir que les attentes très élevées créées par la publication de la politique ne soient pas toutes satisfaites en même temps. Bien franchement, je pense qu’il n’était pas réaliste de croire qu’il pourrait y avoir une façon de verser l’argent aussi rapidement.
Ce que les réformes du passé n’ont pas essayé de faire, c’est d’améliorer substantiellement le capital humain, les employés du secteur de l’approvisionnement, surtout à la Défense nationale et au sein des militaires qui travaillent dans le domaine de l’approvisionnement.
Je suis d’accord avec mon collègue, qui a dit que c’était une question de culture. De façon générale, je ne crois pas que l’approvisionnement soit considéré comme une priorité. Pour de nombreuses raisons valables, l’accent est placé sur les activités opérationnelles. On ne consacre pas assez de temps et d’efforts à l’affectation de personnes qualifiées aux postes qui ont une incidence sur l’approvisionnement, et on ne leur fournit pas la formation, l’encadrement et le mentorat nécessaires à leur réussite.
M. Stone : J’appuie les propos de mon collègue concernant les problèmes de ressources humaines. Je maintiens que la situation s’est améliorée au cours des quatre dernières années; les gens ont plus de compétences aujourd’hui, surtout dans le domaine du matériel. Le défi est de remédier à ce problème du côté de l’armée.
J’ai été officier de l’armée pendant 30 ans. Le dernier endroit où j’aurais voulu être quand j’étais officier d’artillerie, c’était au quartier général national, en train de travailler sur un projet. Ce n’est pas le genre de travail que les officiers de l’armée veulent faire.
Cela dit, je sais que la direction de notre collège a pris conscience des problèmes causés par le déséquilibre entre, d’un côté, les compétences de l’armée sur les plans tactique et opérationnel, et de l’autre, sa faiblesse sur le plan institutionnel et sa mauvaise compréhension du fonctionnement de l’appareil gouvernemental et de l’interaction entre les différents ministères. Aujourd’hui, le programme de 10 mois à l’intention des officiers à partir du grade de major et de capitaine de corvette comprend des volets sur les politiques institutionnelles, le développement des forces, l’approvisionnement et les ressources humaines.
Les forces armées reconnaissent donc qu’il y a un problème, mais il y a encore du travail à faire pour que les militaires acquièrent les compétences nécessaires à la compréhension du milieu.
C’est particulièrement difficile à l’échelon des officiers supérieurs, qui restent dans le même poste un maximum de deux ans avant de passer au suivant. On ne peut pas procéder de cette façon dans le milieu institutionnel, où il faut quatre à cinq ans pour développer des compétences. Je sais qu’il y a des discussions actuellement à l’intérieur du ministère à ce sujet. Le ministère s’interroge sur les postes qui devraient être occupés par des civils plutôt que par des militaires et sur le rôle que les militaires devraient réellement jouer. Les militaires doivent participer au milieu institutionnel.
Je proposerais au comité de recommander que les Forces canadiennes prennent en main leur structure des ressources humaines, qu’elles engagent des personnes qualifiées et qu’elles les maintiennent dans le même poste pendant plus longtemps. Cette recommandation ne touche pas seulement le secteur de l’approvisionnement, mais aussi d’autres secteurs du milieu institutionnel.
Le sénateur Boehm : J’aimerais revenir sur une question de ma collègue, la sénatrice Eaton. Comment peut-on dépolitiser l’approvisionnement?
Certains de nos pays alliés ont des gouvernements de coalition; je pense en particulier aux pays européens appartenant à l’OTAN. Pour eux, c’est relativement facile parce que les partis doivent travailler ensemble et ils peuvent fixer de grandes orientations stratégiques. Au Canada, nous n’avons pas de gouvernement de coalition, mais cela ne devrait pas empêcher les partis, ou du moins les spécialistes, de se réunir pour définir ce que pourraient être les grandes orientations stratégiques en matière d’approvisionnement, plutôt que de devoir tout arrêter ou tout recommencer chaque fois qu’il y a un changement de gouvernement.
J’aimerais savoir si une telle recommandation serait sensée.
Ensuite, j’aimerais poser une question concernant le risque. Le gouvernement est certainement frileux à l’égard du risque, mais nous avons entendu, en menant notre étude, que l’imposition de plus grands risques aux entrepreneurs pouvait en fait entraîner une hausse des coûts; les prix que nous obtenons sont plus élevés.
Y a-t-il une façon magique d’optimiser les dépenses en matière de défense?
M. Perry : Je vais commencer. Pour répondre à votre dernière question, la réponse est non. Je suis d’accord avec mon collègue : il n’existe de solution miracle pour aucun des problèmes. Tout dépend de la nature de l’acquisition, de ce que vous essayez d’acheter et de la manière dont vous vous y prenez. Vous ne pourrez pas employer un seul mécanisme pour régler l’ensemble de vos problèmes.
Pour répondre à votre question concernant la dépolitisation, ma réponse est également non : on ne peut pas dépolitiser l’approvisionnement, qui est par nature une activité politique. Je ne pense pas qu’il soit raisonnable de s’attendre à ce que les gouvernements dépensent des dizaines ou des centaines de milliards de dollars, sans intervenir d’une façon quelconque.
Je dirais toutefois que d’après moi, à l’heure actuelle, le niveau d’entente entre les partis sur les questions d’approvisionnement est assez élevé. Mis à part deux dossiers, probablement — celui des chasseurs, les nouveaux comme les provisoires, et celui des navires de ravitaillement —, à mes yeux, la majorité de ce que prévoit Protection, Sécurité, Engagement est soit des projets qui étaient déjà inclus dans la Stratégie de défense Le Canada d’abord du gouvernement précédent, soit des investissements dans les capacités qui se trouvaient dans le Rapport sur la transformation 2011 du ministère de la Défense nationale, investissements que le ministère n’avait pas les moyens de faire à l’époque. Je crois donc que, en ce qui concerne les investissements dans les capacités, le déplacement du financement déficitaire a comblé le fossé entre Le Canada d’abord et Protection, Sécurité, Engagement.
Enfin, quant à moi, l’intervention politique n’est pas toujours négative. Il existe de nombreux exemples de cas dans lesquels l’intervention politique a fait avancer les projets plus rapidement que s’ils avaient été laissés entre les mains de fonctionnaires.
Le sénateur Boehm : L’Afghanistan, par exemple?
M. Perry : En partie, oui. La construction navale est un bon exemple de dossier auquel l’intervention politique a donné de l’élan. Une grande partie des premiers programmes que le gouvernement Harper a achetés entre 2006 et 2009 ont progressé rapidement en raison de l’influence politique qui a aidé à les faire avancer.
À mon avis, l’intervention politique n’est pas toujours négative. Là où elle devient problématique, c’est lorsqu’il y a un changement de gouvernement et que des engagements sont pris de ne tout simplement pas acheter certains matériels. De telles mesures mettent fin à des processus qui sont presque terminés, ce qui peut être catastrophique.
La sénatrice M. Deacon : Nous parlons de politique et d’approvisionnement; je vais revenir sur la question de la responsabilité et du risque. Parmi les sujets que nous avons abordés dans les dernières semaines au cours de discussions très franches avec des témoins — discussions qui réunissaient des fournisseurs concurrents —, il y avait le déchargement du risque. J’essaie de garder cela en tête aujourd’hui. Lorsque nous leur avons demandé qui assume le risque, ils nous ont rappelé que les entrepreneurs en assument ou en encourent une grande partie. Il est donc probable que les coûts et les devis soient plus élevés puisque les entrepreneurs doivent se réserver une marge pour tenir compte des risques.
Comment le gouvernement devrait-il gérer les risques? Quelles mesures peut-il prendre pour optimiser les dépenses?
M. Stone : À mon avis, le gouvernement s’est amélioré sur ce plan. Avant, le gouvernement croyait que l’industrie cherchait à le tromper et à flouer les contribuables. De son côté, l’industrie pensait que le gouvernement voulait qu’elle assume l’ensemble des coûts et des risques. C’est en partie une question de confiance. La confiance a augmenté, mais elle est encore fragile; le gouvernement doit aller jusqu’au bout de ses projets.
Cependant, le risque doit être partagé. Au bout du compte, si un projet d’approvisionnement militaire déraille, c’est le gouvernement qui en assume tout le risque, car il n’obtient pas le matériel dont il a besoin. Prenez l’exemple du projet des hélicoptères maritimes Cyclone et des nombreux retards et problèmes qu’il y a eu dans ce dossier. Pendant ce temps, c’est le gouvernement, la marine et la force aérienne qui ont encouru tout le risque parce qu’ils continuaient d'utiliser de très vieux hélicoptères. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, mais ce l’a été pendant longtemps.
Le gouvernement doit partager le risque et il doit décider quelle part du risque l’industrie devrait raisonnablement assumer, en sachant que des coûts seront associés à ce partage. L’industrie vous fera payer le risque.
M. Perry : J’appuie tout ce que mon collègue a dit et j’ajouterais qu’il existe des mécanismes contractuels. Obliger l’entrepreneur à s’en tenir à un prix fixe le force à tenir compte de toutes les éventualités, ce qui n’est pas très logique, à moins qu’il soit question d’un projet où tout est entièrement conçu d’avance, où toutes les quantités sont connues et où il est peu probable que l’inflation ou la variation du taux de change influent sur le prix.
Pour les raisons précises que mon collègue vient de présenter, il est insensé de tenir l’entreprise responsable de la différence du prix causée par la fluctuation du prix de l’acier ou de la variation du taux de change entre les dollars canadiens et américains, par exemple.
La sénatrice Forest-Niesing : Monsieur Stone, pouvez-vous m’expliquer la notion du soutien en service autochtone et son lien avec la volonté de favoriser l’approvisionnement auprès de sources canadiennes qualifiées?
M. Stone : Le soutien en service est censé faire partie du contrat. Toute acquisition importante est censée inclure un prix pour 20 ans de soutien en service. Dans ce cas-ci, je ne suis pas certain si cela fait partie du programme du gouvernement qui vise à encourager les entrepreneurs autochtones ou s’il est question d’intégrer les Autochtones au ministère de la Défense.
Je sais que le gouvernement demande aux entreprises qui soumissionnent de préciser si elles offrent la possibilité aux Autochtones et aux petites et moyennes entreprises de participer au projet. Cette question fait partie du processus d’évaluation des soumissions. La décision n’appartient pas aux FAC. Elle relève de la Politique des retombées industrielles et technologiques d’Innovation, Sciences et Développement économique Canada.
La sénatrice Forest-Niesing : Merci pour votre réponse.
Malgré la longueur du cycle d’approvisionnement, certains témoins ont recommandé d’aller plus loin que la livraison et d’inclure l’entretien et la maintenance, malgré les désavantages évidents que comporte la prolongation du cycle, une conséquence indésirable d’une telle mesure. Quels seraient les avantages d’inclure l’entretien et la maintenance au-delà de la livraison?
M. Stone : À l’époque où nous mettions des gens en danger en Afghanistan, plusieurs acquisitions ont été faites avec la volonté de créer un point de responsabilité unique. Ainsi, lorsque nous avons acheté les C-17, Boeing était responsable d’offrir le soutien en service.
De façon générale, l’industrie canadienne déteste cette approche, car elle ne donne pas la possibilité au secteur industriel canadien de tirer parti des projets, de prendre de l’expansion et d’entretenir le matériel.
C’était peut-être logique de procéder ainsi dans le cas des C-17, mais nous avons fait d’autres achats à l’époque pour lesquels il y avait aussi un point de responsabilité unique, ce qui signifie que l’industrie canadienne n’a pas pu tirer parti de la valeur ajoutée liée au soutien. Depuis, nous avons changé de direction avec la Politique des retombées industrielles et technologiques. Aujourd’hui, l’industrie doit fournir des plans en fonction des exigences. S’il s’agit d’une capacité industrielle clé par rapport à laquelle nous voulons développer nos compétences ou si c’est un secteur dans lequel nous possédons déjà des compétences, selon la structure adoptée par ISDE, l’industrie doit expliquer comment elle va atteindre l’objectif fixé. Cela permet à l’industrie de prendre de l’expansion et d’exporter, car le marché canadien de la défense n’est pas assez grand pour soutenir la majorité des entreprises. Le soutien en service et l’entretien sont donc importants, car ces secteurs sont plus lucratifs pour l’industrie canadienne, voire pour l’industrie de n’importe quel pays; l’entretien sur une période de 20 ou 30 ans est beaucoup plus payant que la vente originale du matériel.
La sénatrice Forest-Niesing : Merci beaucoup.
La sénatrice Marshall : Juste à vous écouter ce matin, ma perspective sur l’approvisionnement change. On dirait que le ministère et le gouvernement essaient d’apporter des changements qui vont accélérer l’approvisionnement ou l’améliorer, mais il y a encore une perception très négative à propos de l’approvisionnement. Je trouve que les fonctionnaires du ministère qui comparaissent devant le comité sont très réticents à fournir de l’information additionnelle. Je sais que, en réponse à une question précédente, vous semblez avoir voulu dire qu’ils sont transparents et que l’information existe.
Cependant, je n’arrive pas à trouver cette information, et je suis allée sur le site web. Laissons cela de côté. Que l’information soit là ou non, pourquoi croyez-vous que les fonctionnaires sont réticents à fournir de l’information supplémentaire? Est-ce que cela remonte au conflit entre les politiciens et les fonctionnaires? Je sais qu’il y a des conflits par moments, mais pourquoi est-ce que les fonctionnaires hésitent à fournir de l’information qui, d’après ce que vous dites, est facile à trouver?
M. Perry : Je dirais qu’il y a deux choses. Pour commencer, « facile à trouver », c’est relatif. Je passe un temps malsain à fouiller sur des sites web gouvernementaux, et je crois pouvoir dire que bien des gens affirmeraient que l’information n’est pas si facile à trouver.
Qu’est-ce qui explique ce type de comportement? Je crois que, fondamentalement, il n’y a pas grand-chose qui encourage la plupart des fonctionnaires à vouloir courir le risque de parler de choses pour lesquelles ils pourraient être tenus responsables. S’ils viennent et qu’ils n’en disent pas tant, il n’y a pas beaucoup de détails sur lesquels faire un suivi et leur demander où ils en sont.
Si vous venez et que vous parlez à un très haut niveau de choses très générales, vous ne risquez pas de devoir rendre des comptes. Cependant, il faut dire que j’ai vu un changement au cours des dernières années, en particulier à SPAC et au MDN, dont les cadres supérieurs se sont montrés plus disposés à communiquer et, dans certains cas, à être plus communicatifs, plus francs et plus transparents que leurs prédécesseurs des 10 à 15 années précédentes. Ce n’est pas le cas partout et en tout temps, mais il y a un changement général.
La sénatrice Marshall : D’après ce que vous dites dans votre témoignage de ce matin, il me semble que le système d’approvisionnement en matière de défense du ministère serait mieux servi si l’information était disponible et facile à trouver. Je crois que cela aiderait le système des achats militaires à inspirer la confiance.
Monsieur Stone, avez-vous quelque chose à dire à ce sujet?
M. Stone : Je crois que ce qui arrive, c’est qu’ils sont obligés, en tant que fonctionnaires, de répondre aux politiques gouvernementales. Ils n’ont pas vraiment d’options dans notre régime politique. Ils sont obligés de se faire le reflet des politiques gouvernementales.
Je suis moi-même fonctionnaire, mais, parce que je suis un professeur d’université, j’ai en quelque sorte une liberté universitaire que la plupart des fonctionnaires n’ont pas, à condition que ce soit dans un domaine visé par ma recherche et mes publications; en fait, je peux me présenter ici et faire quelque chose de ce genre. Autrement, une grande partie de ce que j’ai dit serait problématique si j’étais seulement un fonctionnaire.
Contrairement à ce qui se passe dans le régime américain, où les hauts fonctionnaires du gouvernement, en uniforme ou pas, ont l’obligation de dire ce qu’ils pensent aux comités plutôt que d’énoncer les points de vue des dirigeants, nos fonctionnaires sont obligés de refléter les points de vue du gouvernement. C’est alors que s’installe l’aversion pour le risque, la question étant pour le fonctionnaire de savoir quelle marge de manœuvre il y a. Je dirais, d’un point de vue contextuel, que certains seront plus communicatifs que d’autres, mais que cela se fondera sur une décision discrétionnaire tenant compte de tout ce qui se dit dans les médias concernant le gouvernement en place.
La sénatrice Marshall : Est-ce que l’information que je donne reviendra me hanter? Merci beaucoup.
Le sénateur Klyne : Je vais poursuivre dans la même veine que les questions de la sénatrice Forest-Niesing. J’ai eu des réponses à la plupart de mes questions, mais je vais présenter cela différemment. Je reviens à une chose que vous avez dite précédemment et avec laquelle je suis d’accord, et c’est que l’industrie canadienne devrait être favorisée seulement quand il est sensé de le faire. Je veux revenir sur les retombées industrielles régionales et sur les retombées industrielles et technologiques.
On peut dire que les RIR ont fait leur temps. Je pense que l’intention était bonne et que cela a contribué dans une certaine mesure à bâtir la capacité permettant aux entreprises canadiennes de soutenir la concurrence internationale en plus de faire croître leurs industries respectives. Puis, en 2014, il y a eu l’avènement des retombées industrielles et technologiques, et on espérait ainsi associer aux approvisionnements de la Défense et de la Garde côtière des avantages économiques supplémentaires.
Il me semble qu’ils ont peut-être jeté le bébé avec l’eau du bain quand ils ont mis les RIR de côté. Les sociétés qui n’étaient pas canadiennes ne pouvaient-elles pas soumissionner en s’associant à des sociétés canadiennes et, ainsi, ajouter un certain poids à cela, vu que cela se fait en partenariat avec une société canadienne? Il arrive qu’une entreprise canadienne ne soumissionne pas parce qu’un contrat est trop gros. Si elle s’associe à une société non canadienne plus importante, elle pourrait profiter d’une occasion de bâtir sa capacité et son expérience, ce qui lui permettrait d’envisager une croissance et d’augmenter ou d’améliorer sa compétitivité à l’échelle internationale. Est-ce que cela se fait déjà?
M. Stone : Je dirais que cela arrive, particulièrement quand on comprend l’état de l’industrie canadienne. Nous avons des industries qui sont des chefs de file reconnus à l’échelle mondiale pour certaines capacités, mais dans la plupart des cas, à l’exception des véhicules blindés légers, nous ne bâtissons pas des systèmes d’armement complets. Nous ne construisons pas d’avions de chasse; nous ne construisons pas de chars d’assaut. Toutes les principales entreprises qui fourniraient ces articles auront collaboré avec diverses entreprises canadiennes à la préparation d’une soumission. Prenons le chasseur de la nouvelle génération comme exemple. Il y a cinq entreprises qualifiées pour cela. Toutes ces entreprises auront établi des liens avec les industries canadiennes pour faire partie de la soumission et démontrer les avantages pour le gouvernement.
Il faut comprendre l’évolution des RIR, qui remontent au début des années 1970, à l’époque du premier ministre Pierre Trudeau. Vous deviez alors dépenser les 5 milliards de dollars au Canada. Vous pouviez acheter des jeans. Cela a évolué au fil du temps et des améliorations ont progressivement été apportées.
Cette plus récente version forcera les grandes entreprises principales à dépasser cela. Donc, on passe à l’autre obligation qu’il y a ailleurs après s’être acquitté de l’obligation actuelle. Si ces entreprises veulent le contrat, elles doivent penser à la façon dont elles vont investir. On précise comment l’investissement sera évalué du point de vue de la promotion de la recherche et du développement, de la promotion des exportations du secteur de la défense, et de l’industrie canadienne de la défense. La politique comporte un ensemble d’énoncés explicatifs. Cela fera réfléchir l’industrie et l’amènera à être plus évoluée dans sa façon d’investir au Canada pour obtenir le contrat.
Ce n’est qu’une nouvelle évolution qui améliore les choses. Je ne crois pas, en fait, que cela fera disparaître certains des enjeux liés aux retombées régionales. Les grandes entreprises principales savent qu’il y a un enjeu auquel elles doivent également faire face. Je crois que c’est tout simplement une amélioration.
M. Perry : Une grande partie de ce changement vise à améliorer des types particuliers d’activités économiques dans le contexte économique national. Plusieurs cibles ont été établies dans le cadre de ce changement de politique, y compris la croissance générale des mesures de l’industrie. Une cible d’exportation a également été fixée. Il y a effectivement eu des problèmes d’uniformité dans les politiques gouvernementales, concernant l’atteinte de la cible d’exportation en raison des changements que le gouvernement a apportés au processus d’examen des exportations. Je ne sais pas exactement quelle quantité de données existe concernant l’atteinte des autres objectifs.
Pour terminer, mon collègue a mentionné le dossier des avions de chasse. C’est un exemple possible. Il faut que vous soyez prudents. Vous essayez de favoriser l’activité économique intérieure, mais il demeure important de vous assurer que vous répondez aux besoins en matière de capacité que vous essayez d’obtenir pour les forces armées. Pour ce dossier en particulier, nous nous inquiétons un peu de ce qu’on favorise trop les contreparties économiques d’une manière particulière, au détriment de l’obtention de la capacité.
Je crois que, en ce moment, ce que le Canada essaie de faire, c’est de trouver une façon d’amener Lockheed Martin à présenter une soumission comportant une proposition de contreparties économiques dans le cadre du protocole d’entente relatif aux avions d’attaque interarmées, ce qui violerait les modalités de l’entente signée par le Canada. Cela pourrait signifier que nous ne pourrions pas obtenir une soumission de cette entreprise qui, je crois, a un avion très performant.
La sénatrice Eaton : Je veux revenir à la question politique. Un de nos témoins nous a appris, la semaine dernière, que, jusqu’à l’époque du premier ministre Chrétien, les premiers ministres n’étaient pas si intéressés par les résultats. De toute évidence, l’argent a toujours été un facteur, mais c’est dans le contexte des hélicoptères que les premiers ministres se sont vraiment mis à s’intéresser aux résultats.
Est-ce que nous ne pourrions pas revenir à un système selon lequel on achemine au Cabinet tout aspect qui a fait l’objet d’une décision, par exemple, les CF-35, faute d’un meilleur exemple, ou les blindés? Le Cabinet met la question de l’argent aux voix, mais il n’interfère pas dans la recommandation de l’article en question. Comment est-ce que l’on prend cela, quand on est au cabinet? Je pense à Scott Brison, devant ce comité, à l’époque où il était président du Conseil du Trésor et qu’il disait : « J’aimerais que le Sénat étudie cela, parce que nous ne comprenons vraiment rien. »
Les ministres du Cabinet ont des ministères qu’ils doivent comprendre et dont ils doivent s’occuper; est-ce qu’ils en savent vraiment beaucoup à propos des aéronefs et des avions de chasse? Comment pouvons-nous sortir la politique de tout cela? Ils ont toujours l’argent. C’est là que la décision se prend, au bout du compte, à savoir si nous allons obtenir quelque chose ou pas.
M. Perry : Je crois que vous ne pourrez jamais sortir complètement la politique de cela, mais il faut que la politique intervienne de la bonne façon.
Quand le gouvernement a mis sur pied le comité du Cabinet chargé de se pencher sur les approvisionnements dans le secteur de la défense, c’était une bonne façon de contribuer à la conversation. D’après ce que j’ai compris, cela a permis au Cabinet de consacrer plus de temps que normalement, à l’abri des priorités concurrentes qui s’expriment devant un comité. Ils ont pu vraiment comprendre l’enjeu et prendre des décisions après avoir été bien renseignés.
Je ne vois pas comment le gouvernement peut approuver le financement, puis estimer en toute confiance qu’il n’a pas besoin d’en entendre davantage jusqu’à ce que l’équipement en question soit opérationnel.
La sénatrice Eaton : J’ai une question qui n’est pas partisane. Quand un gouvernement annule une chose pour laquelle un autre gouvernement est passé à travers le processus d’approbation, comment pouvons-nous empêcher cela ou déconseiller cela? Une fois que quelque chose a été commandé, ils peuvent empêcher le versement de l’argent, mais ils ne peuvent pas changer ce qui a été commandé. Cela peut se produire à répétition. Le prochain gouvernement pourrait arriver, regarder les bâtiments de combat de surface et dire : « Non. Nous n’en avons pas besoin. Il nous faut des sous-marins. Annulez cela. » Comment pouvons-nous mettre un frein à cela?
M. Perry : Je dirais deux choses. Au cours des 40 à 50 dernières années, cela ne s’est produit que dans des cas très rares, mais très lourds de conséquences. Je ne sais pas s’il existe un bon mécanisme qui vous permettrait de lier efficacement les mains d’un gouvernement et l’empêcher de choisir une telle option stratégique.
Il peut y avoir de bonnes raisons d’annuler des programmes. Pensez à la dernière fois où nous envisagions d’acheter des bâtiments de combat de surface. Compte tenu du contexte financier à l’époque, on a décidé d’acheter 12 frégates au lieu de 18, en partie dans le sillage de décisions financières.
La sénatrice Eaton : Mais c’était une question d’argent. Je parle de quelque chose qui a été commandé. Si c’est une question d’argent, cela se comprend, mais si ce n’est pas une question d’argent, est-ce qu’un gouvernement devrait avoir le droit d’annuler un contrat signé par le gouvernement précédent qui n’a plus le pouvoir? Le gouvernement suivant peut arriver et dire : « Je n’aime pas ces blindés; reprenons le processus d’acquisition du début. »
M. Stone : Je dirais que c’est la prérogative du gouvernement. Quand le premier ministre Chrétien a annulé les EH-101, cela aurait coûté 500 millions de dollars, selon la source que vous écoutez.
La sénatrice Eaton : Puis ils sont revenus, et comme vous le savez, le MDN s’est penché de nouveau sur le processus et est revenu avec la même recommandation.
M. Stone : Le projet a fait l’objet d’un nouvel appel d’offres. EH-101 a obtenu le contrat des hélicoptères de recherche et sauvetage. Je sais que le premier ministre a essayé d’empêcher que cela se produise avec le projet des hélicoptères maritimes. C’est pourquoi ils ont séparé le dossier de sorte que les composantes électroniques et le système d’exploitation ne soient pas dans le même contrat que la cellule. C’est pourquoi il y a autant de difficultés dans ce dossier; à l’origine, c’était une solution commerciale standard, mais c’est devenu un projet de développement soutenu par un financement prévu pour une solution commerciale standard. C’est revenu en raison du processus judiciaire et des tribunaux qui ont affirmé que vous ne pouvez pas faire cela, en fait.
Mis à part l’épisode des hélicoptères maritimes EH-101, il n’y a pas eu tellement d’occasions où…
La sénatrice Eaton : Qu’en est-il des CF-35?
M. Stone : Nous n’avions pas encore attribué le contrat des F-35. Cela dépendait de…
La sénatrice Eaton : Mais est-ce que nous n’avions pas déjà fait des paiements?
M. Stone : Encore une fois, en 2000, nous avions convenu de faire partie du consortium. Les histoires divergent. Selon le vérificateur général, nous avions convenu d’acheter l’avion en 2006. Selon le gouvernement, nous n’avions pas encore convenu d’acheter l’avion. Nous avions convenu de faire partie du consortium et de payer les 35 millions de dollars par année à cette fin, sachant que l’industrie canadienne profiterait de retombées et de contrats. Il y a un vide, mais nous n’avions pas signé de documents avec Lockheed Martin disant que nous allions acheter un nombre donné d’avions, pour un montant donné. Nous n’avons pas fait cela très souvent, car il est coûteux d’annuler un tel contrat.
La sénatrice Eaton : En tant que Canadienne, quand j’entends que les Australiens prennent livraison de F-35 et qu’ils nous vendent leurs CF-18, j’ai le sentiment que quelque chose ne va pas avec notre système d’approvisionnement ou avec notre régime politique. Vous n’avez donc pas de recommandations à nous faire sur les façons d’améliorer cela?
M. Stone : La différence, c’est que les Australiens vivent dans une région dangereuse du monde.
La sénatrice Eaton : Vous avez bien raison. Nous vivons dans ce fantastique pays des merveilles.
M. Stone : Sur le plan contextuel, tous leurs partis politiques s’entendent sur les objectifs de défense et sur ce qui doit arriver. Dans le contexte canadien, beaucoup de gens croient que nos voisins du Sud vont s’occuper de nous. C’est peut-être naïf, mais c’est ce que disent bien des gens au Canada. Cette perspective a probablement changé au cours des deux dernières années, mais c’est ce qu’on dit depuis toujours.
La sénatrice Eaton : Et ils ne demandent rien en retour pour cela. Nous n’allons pas nous entendre là-dessus. Je vous remercie.
M. Perry : En ce qui concerne le dossier des chasseurs en particulier, aucun gouvernement, au cours des 9 ou 10 dernières années, n’a très bien paru, et je ne crois pas que le système et les forces armées en particulier...
La sénatrice Eaton : Vous avez passé la matinée ici à nous dire que nous ne devrions pas nous pencher sur notre système d’approvisionnement parce qu’il fonctionne vraiment bien.
M. Perry : C’est un dossier parmi quelques centaines, même si c’est un dossier très important.
Le vice-président : Messieurs Perry et Stone, je vous remercie d’être venus aujourd’hui et d’avoir répondu à nos questions.
(La séance est levée.)