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OLLO - Comité permanent

Langues officielles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Langues officielles

Fascicule no 22 - Témoignages du 19 mars 2018


OTTAWA, le lundi 19 mars 2018

Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd’hui, à 17 h 1, en séance publique, afin de poursuivre son étude de la perspective des Canadiens au sujet d’une modernisation de la Loi sur les langues officielles, et à huis clos, pour étudier un projet d’ordre du jour (travaux futurs).

Le sénateur René Cormier (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Bonsoir, je m’appelle René Cormier, sénateur du Nouveau-Brunswick, et j’ai le plaisir de présider la réunion d’aujourd’hui. Le Comité sénatorial permanent des langues officielles poursuit le deuxième volet de son étude portant sur la perspective des communautés de langue officielle en situation minoritaire au sujet d’une modernisation de la Loi sur les langues officielles.

C’est avec plaisir que nous accueillons aujourd’hui, de l’Association de la presse francophone, M. Francis Sonier, président, et Linda Lauzon, directrice générale. L’Association de la presse francophone est le point d’ancrage des journaux francophones en situation minoritaire qui sont publiés au Canada. Nous accueillons également Mme Marie-Hélène Eddie, doctorante en sociologie à l’Université d’Ottawa. Mme Eddie est étudiante au doctorat à l’Université d’Ottawa et assistante de recherche à la Chaire de recherche sur la francophonie et les politiques publiques.

Avant de passer la parole à nos témoins, j’inviterais les membres du comité à bien vouloir se présenter.

La sénatrice Poirier : Bonsoir et bienvenue. Je suis la sénatrice Rose-May Poirier, du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Mégie : Marie-Françoise Mégie, du Québec.

Le sénateur McIntyre : Paul McIntyre, du Nouveau-Brunswick.

Le président : Monsieur Sonier, la parole est à vous.

Francis Sonier, président, Association de la presse francophone : Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, monsieur le président, l’Association de la presse francophone (APF) comparaît devant vous ce soir en tant que membre du Consortium des médias communautaires de langues officielles qui dessert les populations francophones et anglophones en situation minoritaire. Les deux autres membres de ce consortium sont l’Alliance des radios communautaires du Canada (ARC du Canada) et la Quebec Community Newspapers Association (QCNA).

Depuis l’été 2016, les trois organismes membres de ce consortium ne parlent que d’une seule voix. Dans le cadre du projet de modernisation de la Loi sur les langues officielles, nous n’avons pas l’intention de vous entretenir sur les modifications possibles au libellé du texte législatif, car c’est le mandat de nos collègues issus des organismes porte-parole des quatre coins du pays, qui s’acquittent très bien de cette tâche. Nous souhaitons partager avec vous notre expérience liée directement à la mise en œuvre de la partie VII de la loi, du dépôt d’une plainte au Commissariat aux langues officielles jusqu’aux tentatives de notre consortium à faire avancer notre dossier de toute urgence après le dépôt du rapport final d’enquête du commissaire.

Permettez-moi de vous situer dans le temps. Tout d’abord, à l’automne 2015, une série de plaintes sont déposées au Commissariat aux langues officielles par plusieurs organismes, y compris l’APF et l’ARC du Canada, alléguant que les institutions fédérales ont davantage recours à Internet pour diffuser leur publicité et pour communiquer avec le public, et ce, au détriment des médias traditionnels que sont les journaux et les radios communautaires de langue officielle, donc en situation minoritaire. Un an plus tard, en septembre 2016, la commissaire intérimaire partage son rapport d’enquête intérimaire avec les plaignants et les quatre ministères visés dans le but d’obtenir leurs commentaires. En juin 2017, huit mois plus tard, la commissaire intérimaire dépose son rapport final d’enquête dans lequel elle conclut que les plaintes sont fondées contre deux des quatre ministères visés, et elle énonce des recommandations en indiquant qu’elle effectuera un suivi en 2018. Nous avons appris que ce suivi se fait habituellement 12 mois après le dépôt du rapport final.

Vous connaissez sans l’ombre d’un doute les durs coups subis par les médias traditionnels depuis l’avènement des services Internet, y compris les médias sociaux. Pour les petits médias de langue officielle isolés dans des régions éloignées ou encore dans un milieu urbain de langue majoritaire, l’état d’urgence a été décrété depuis plusieurs années déjà. Avant de déposer une plainte en 2015, cela faisait déjà sept ans que les revenus de publicité gouvernementale destinés aux médias communautaires de langue officielle fondaient à vue d’œil, année après année.

Il va sans dire que durant les sept années précédant le dépôt de notre plainte, nous ne sommes pas restés les bras croisés. Nous avons multiplié les requêtes auprès des instances gouvernementales responsables pour qu’elles prennent conscience de la gravité de la situation et pour leur demander réparation. Nos demandes sont restées lettre morte. Nous n’avons eu d’autres choix que de déposer une plainte pour tenter d’obtenir gain de cause.

À l’automne 2017, forts du rapport d’enquête final et des recommandations de la commissaire intérimaire, nous avons amorcé une série de rencontres avec plusieurs représentants gouvernementaux, lors desquelles nous avons abordé la problématique avec une approche visant la solution, tout en tenant compte de l’urgence de la situation. Nous avons établi une série de mesures qui pourraient être mises en place très rapidement, et à court, moyen et long terme également, dans le cadre d’un plan d’action harmonisé qui engagerait plusieurs ministères, soit la fameuse approche « interministérielle » si souvent prônée par la ministre du Patrimoine canadien.

Il y a eu une bonne ouverture de la part d’un ministère visé par le rapport, mais ce n’était pas suffisant. Il fallait diversifier. Nous avons même tendu la main à un ministère qui n’était pas visé du tout par le rapport d’enquête de la commissaire, mais qui a accepté de nous appuyer partiellement dans notre démarche. Avec le ministère principal visé par la plainte, nous nous sommes butés à un mur, y compris à une étude bidon que ce ministère a commandée immédiatement après le dépôt du rapport préliminaire de la commissaire intérimaire en septembre 2016, et ce, sans mener de consultations auprès de la communauté ni des membres de notre consortium, comme le requiert pourtant la loi. Cette étude, publiée en décembre 2017, a coûté 200 000 $ aux contribuables canadiens et a été décriée par de multiples organismes de langue officielle francophones et anglophones, ainsi que par des députés membres de deux comités permanents de la Chambre des communes.

Les membres du consortium avaient encore matière à déposer une plainte à la suite de la publication de cette étude, une étude bidon. Toutefois, le fardeau et les délais administratifs nous ont dissuadés rapidement. De toute façon, nous ne voulions pas déposer une autre plainte alors que nous avions un rapport d’enquête et des recommandations en main. C’est à ce moment-là, le 22 décembre dernier, que nous nous sommes adressés au commissaire aux langues officielles. Nous lui avons demandé de faire quelque chose qu’il n’avait jamais fait auparavant. Nous avons proposé un genre de projet pilote qui consisterait à favoriser une rencontre entre les diverses instances gouvernementales susceptibles de contribuer à la mise en œuvre d’un plan d’action harmonisé proposant des mesures d’urgence et des mesures à court, moyen et long termes.

À ce jour, cette rencontre n’a pas encore eu lieu. Bien qu’il existe une ouverture de la part du commissaire, notre demande ne relève pas de son mandat habituel ou des responsabilités inhérentes au Commissariat aux langues officielles. De plus, le commissaire nous a informés que certains ministères sont réfractaires à la tenue d’une telle réunion. Pourquoi y sont-ils aussi réfractaires, me demanderez-vous? Notre expérience à œuvrer auprès de l’appareil gouvernemental fédéral nous permet de conclure que la Loi sur les langues officielles est perçue comme un boulet et non comme un outil de développement. Il ne faut pas oublier que, dans la plupart des ministères, le rôle de champion ou de coordonnateur des langues officielles n’est pas un poste indépendant, mais simplement un cumul de responsabilités additionnelles.

Les ministères fédéraux ayant des obligations en vertu de la partie VII de la loi publient tous les ans un rapport afin de démontrer les mesures positives mises en place par leur ministère. Nous vous invitons fortement à analyser ces rapports de plus près. Vous serez surpris de constater la dichotomie évidente entre les mesures mises en place par les ministères et les besoins réels de la communauté. Plus encore, vous serez surpris du dédoublement dans les ministères également.

Compte tenu de ce qui précède, nous soutenons que, dans le cadre d’un projet de modernisation de la Loi sur les langues officielles, un sérieux questionnement s’impose. Les instances communautaires ne sont ni des multinationales ni des agences gouvernementales. Elles n’ont qu’un rôle et qu’une priorité, soit de contribuer à l’épanouissement de leurs communautés. Elles doivent être considérées comme des partenaires par les instances fédérales et reconnues comme telles dans la loi. On ne peut plus continuer à faire les mêmes choses et à s’attendre à des résultats différents. Cela se répète. D’après l’expérience des 10 dernières années vécue par les membres de notre consortium, dans le cadre de cet exercice de modernisation de la Loi sur les langues officielles, nous vous recommandons de faire ceci : de revoir les rôles et responsabilités du commissaire aux langues officielles afin que ceux-ci deviennent beaucoup plus stratégiques et lui donnent la latitude nécessaire pour faire avancer les dossiers qui ont un impact direct sur la vitalité des communautés de langue officielle; de recommander que les agences et ministères fédéraux ayant des obligations en vertu de la partie VII de la loi aient d’abord accès aux ressources nécessaires pour en permettre la pleine mise en œuvre au sein de leur ministère ou agence, et qu’ils aient l’obligation de mettre en place des mécanismes de consultation permanents avec les intervenants communautaires clés et d’orienter leurs actions en fonction des besoins et des réalités des communautés de langue officielle.

Les membres du consortium demeurent disponibles si vous avez des questions et souhaitez avoir plus de renseignements. Merci de votre attention et de votre invitation.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Sonier.

Marie-Hélène Eddie, doctorante en sociologie, Université d’Ottawa, à titre personnel : Monsieur le président, sénateurs, sénatrices, membres du comité, merci de m’avoir invitée aujourd’hui. Je me présente, je suis doctorante en sociologie à l’Université d’Ottawa. Mes travaux portent sur les communautés de langue officielle, les médias en milieu minoritaire et les minorités et la façon dont ils se servent des médias pour se mobiliser. Dans mon témoignage, j’aimerais rendre clair le lien entre les médias en milieu minoritaire et l’épanouissement des communautés de langue officielle en situation minoritaire ou la vitalité de ces communautés. Je ferai un bref état de la situation des médias en milieu minoritaire, je parlerai de leur rôle pour les communautés francophones et je mentionnerai des pistes pour inscrire les médias au sein de la Loi sur langues officielles.

À l’heure actuelle, les médias occidentaux, comme on le sait, font face à des défis importants et se trouvent dans une période de transition. Au Canada, les médias subsistent donc aujourd’hui dans un contexte de grand changement qui fait que tous les médias, francophones ou anglophones, font face à des défis. En particulier, les médias ont pour la plupart bien entamé le virage numérique, mais dans plusieurs cas, ils n’ont pas encore réussi à trouver un modèle numérique rentable.

Les médias francophones en milieu minoritaire font face à ces mêmes défis et à d’autres défis en plus. Par exemple, ils sont plus petits et ont moins de ressources financières et humaines que plusieurs autres médias au pays. Ils ont aussi des lectorats et des auditoires plus petits et souvent dispersés sur un plus grand territoire, ce qui cause des défis de livraison des journaux, mais aussi, par exemple, des défis en ce qui a trait à l’attente des publics quant au contenu des médias. Certains subsistent aussi dans un contexte de concentration de la presse et doivent faire concurrence à des conglomérats. Enfin, ils servent des communautés de langue officielle en situation minoritaire, qui sont déjà en mode de survie.

Leur rôle est donc doublement important, parce qu’en plus d’avoir le rôle d’informer, comme pour toute autre communauté, ils ont besoin d’avoir accès à des ressources particulières pour continuer à être un outil de combat comme ils l’ont été depuis le début. Ces médias jouent des rôles particuliers pour les communautés qui sont liés directement à l’engagement du gouvernement à l’égard des minorités de langue officielle, tel qu’il est énoncé dans la Loi sur les langues officielles, notamment dans la partie VII.

Premièrement, ils représentent ces communautés. Ils permettent aux communautés de se voir, de se rappeler qu’elles existent, qu’on y vit en français, et que le fait français est quelque chose de réel. Ils agissent comme un miroir, tout en étant aussi une fenêtre ouverte sur le monde. En tant que miroir, ils permettent de refléter une identité, une image de la communauté. Ils participent au développement de l’identité francophone. À titre d’espaces publics, ils sont aussi une façon de permettre et d’appuyer la présence du français sur la place publique, dans le discours public. Ils permettent donc l’épanouissement du français et la promotion de la langue française, et ils appuient le développement de l’identité francophone.

Deuxièmement, en lien avec ce premier rôle, ils rassemblent les communautés, c’est-à-dire qu’ils unissent les individus qui sont parfois éloignés géographiquement, qui ne se connaissent pas personnellement, mais qui sont conscients de faire partie d’une communauté grâce à leur média. L’acte de lire le journal ou d’écouter la radio, c’est un acte qu’on fait souvent seul, mais en sachant qu’il y a des milliers, sinon des dizaines de milliers de personnes qui font ce même acte en même temps. Donc, lorsqu’on croise quelqu’un dans la rue, combien de fois est-ce qu’on va parler de ce qu’on a lu à la une du journal. En d’autres mots, quand on vit dans une région où sa culture est minoritaire, un journal ou une station de radio, c’est un lien fort avec sa communauté, son monde, sa culture. On développe des points en commun, il y a des actualités qui nous concernent, des enjeux à discuter ensemble comme communauté. En ce sens, les médias permettent aux membres d’une communauté de développer une identité plus forte, de s’épanouir et de renforcer son sens d’unité.

Troisièmement, les médias sont le chien de garde de la démocratie. Les médias en milieu minoritaire, qui jouent un rôle crucial pour les communautés francophones à l’extérieur du Québec, ont tendance à être plus spécifiquement des chiens de garde des droits linguistiques des communautés. Nombre de leurs ressources en temps et argent servent à relayer de l’information sur ce que font ou ne font pas les gouvernements pour aider les communautés linguistiques. Ils nous informent lorsque les gouvernements ne respectent pas la Loi sur les langues officielles, quand ils mettent en œuvre une mesure qui touche négativement ou positivement les communautés. De plus, lorsque les groupes se mobilisent autour d’enjeux qui les touchent, ils doivent passer par les médias pour rendre publiques leurs revendications. Lorsqu’ils veulent parler au gouvernement, ils le font par l’entremise des médias. Sans ces médias, les communautés francophones perdraient donc une grande partie de leur capacité à entendre et à se faire entendre. Sans médias forts et indépendants, on doit s’inquiéter de l’avenir des communautés francophones en milieu minoritaire. Si ces médias ne sont pas dynamiques, c’est la capacité de mobilisation de la communauté qui en souffre.

Donc, en ce qui a trait à la Loi sur les langues officielles, les médias sont un pilier de la démocratie. Il est important pour une démocratie d’avoir des médias dynamiques et indépendants. Dans un pays bilingue où l’on a deux communautés linguistiques, dont l’une est en situation de minorité par rapport à l’autre, le rôle des médias francophones devient doublement important afin de respecter cette identité bilingue et la Loi sur les langues officielles. Si le gouvernement veut veiller à favoriser l’épanouissement et le développement des communautés de langue officielle en situation minoritaire, il doit s’assurer que les communautés ne perdent pas leur capacité de se mobiliser et d’agir. Il doit se rappeler que les médias sont leur instrument pour agir. En lançant un cri du cœur au cours des derniers mois, les médias sont en train de sonner l’alerte et de nous avertir que la situation est sérieuse. Il y a ici une occasion, dans la refonte de la Loi sur les langues officielles, de veiller à ce que les médias n’aient pas à lancer un cri d’alarme tous les cinq ans, et à ce que le financement octroyé aux médias soit moins à la merci des gouvernements en poste au moment où l’on prend une décision sur le financement, et qu’il soit plus stable, peut-être en insérant une obligation dans la loi.

Il existe différents modèles utilisés par divers pays occidentaux pour appuyer les médias, dont plusieurs sont axés sur un financement des médias locaux, minoritaires ou particuliers, ou des médias considérés comme fragiles. En d’autres mots, il est possible pour un État de privilégier un soutien en faveur des médias qu’il juge particulièrement importants pour la diversité d’opinion, des médias qui sont considérés comme particulièrement fragiles. Il s’agirait donc d’insérer la protection des médias en milieu minoritaire dans la Loi sur les langues officielles, soit par l’entremise d’un article ou d’un règlement qui découlerait de la loi. Ce serait une façon d’assurer une protection pour ces médias spécifiquement, des médias qui font face à des défis particuliers et qui jouent des rôles précis, des médias qu’aucun autre média ne peut remplacer. C’est pour cette raison qu’il devient important de penser à la façon dont le gouvernement fédéral peut les appuyer, et de ne pas avoir peur de les appuyer par rapport à l’ensemble des médias canadiens.

Je vous remercie.

Le président : Merci beaucoup pour vos présentations. Nous allons entamer la période des questions.

La sénatrice Poirier : Merci pour vos présentations. J’ai quelques questions. Ce sont des questions générales que je pose à tous les témoins ou presque. Je pense que c’est important de connaître la position des différents témoins qui viennent nous parler au sujet de la Loi sur les langues officielles et partager avec nous leurs idées sur certaines choses.

Par exemple, en 2002, le gouvernement du Nouveau-Brunswick, la seule province officiellement bilingue du Canada, a entamé une révision de sa loi sur les langues officielles. J’étais députée lorsque ça a été fait. Nous avions inséré une disposition dans la loi indiquant qu’elle devait être révisée tous les 10 ans. En ce qui a trait à la loi fédérale, il y a plusieurs années que cela n’a pas été fait. Selon vous, serait-il important d’insérer une disposition dans la loi pour en effectuer la révision après un certain nombre d’années? Si oui, quelle période de temps serait acceptable pour mener cette révision?

M. Sonier : Je ne fais pas de politique, mais compte tenu des éléments que nous avons vécus comme situation, où le commissaire aux langues officielles est favorable à notre dossier dans le cadre d’une plainte, mais qu’aucune mesure n’est prise par la suite, je dirais qu’il y a des faiblesses à cet endroit.

Donc, je crois qu’un renouvellement assez fréquent serait de mise. Quant à vous donner un laps de temps, 10 ans me semblent raisonnables, mais je pense que ce serait un exercice récurrent à mener au cours des années. Ce qui était logique il y a quelques décennies est peut-être moins pertinent aujourd’hui.

Linda Lauzon, directrice générale, Association de la presse francophone : J’aimerais ajouter aussi qu’il faut penser que les communautés francophones et acadiennes sont en constante évolution. Si on recule de 50 ans et qu’on observe l’évolution jusqu’à aujourd’hui et le niveau d’autonomie actuel, il y a des secteurs d’activité qui sont très développés, comme les arts, la culture, l’économie, et cetera, qui n’existaient pas il y a 10 ans ou 20 ans.

Moi non plus je ne peux pas proposer de période de temps précise, mais il faudrait évaluer le rythme de l’évolution des communautés francophones et acadiennes des 50 dernières années pour comprendre ce qui s’est passé et arrimer cela à une révision régulière de la loi.

Mme Eddie : Oui, je pense que ce serait une bonne idée d’inclure cet aspect dans la nouvelle loi. Les contextes changent, et peut-être que le besoin d’avoir des médias n’était pas aussi pressant il y a 50 ans. Aujourd’hui, le contexte a complètement changé avec l’apparition du numérique. C’est un exemple parmi tant d’autres qui démontre qu’il faut adapter la loi aux nouveaux contextes.

La sénatrice Poirier : La Feuille de route sur les langues officielles prend fin le 31 mars 2018, et la ministre Joly devrait annoncer un nouveau plan d’action bientôt. Avez-vous été consultés par la ministre concernant ce nouveau plan d’action?

Mme Lauzon : Dans le cadre des consultations pancanadiennes qui ont commencé au printemps 2016, nous avons déposé un mémoire tripartite avec nos deux collègues de l’ARC du Canada et de la QCNA, pour énoncer clairement comment nous percevions notre rôle dans le cadre du prochain plan d’action. Peut-être d’une façon un peu différente, et nous continuons à avoir cette approche du côté du consortium, nous avons proposé des solutions. Nous avons proposé des pistes et des mesures qui pouvaient être mises en place à l’intérieur du cadre du plan d’action. Nous avons été très visibles avec le dépôt de ce mémoire. Nous espérons que la ministre, dans son plan d’action, en tiendra compte et incorporera certaines de nos recommandations de mesures positives qui permettraient de nous appuyer du côté des médias communautaires et qui feraient toute la différence si elles sont mises en œuvre dans le plan d’action.

La sénatrice Poirier : Vous n’avez pas été consultés?

Mme Eddie : Pas moi, non.

La sénatrice Poirier : Comme vous le savez, nous avons entamé une longue étude sur la modernisation de la loi avec les recommandations du gouvernement. J’aimerais savoir ce que vous aimeriez voir dans la modernisation de la loi. Je sais que vous en avez parlé un peu dans le cadre des défis que vous avez présentement. Vous avez parlé du financement qui est un enjeu pour les communautés de langue officielle en situation minoritaire.

Est-ce qu’il y a d’autres choses que vous aimeriez voir dans la loi qui pourraient aider les médias? En tant que représentants des médias, est-ce qu’il y a des choses que vous entendez de la part des gens avec qui vous faites affaire et qui sont issus de communautés de langue officielle en situation minoritaire? Y a-t-il des suggestions de la part de ces gens au sujet d’éléments particuliers de la loi qui devraient être modifiés?

Mme Lauzon : Oui, je pense que M. Sonier en a parlé tout à l’heure. Dans notre cas, le problème qu’il a énoncé est la difficulté d’avoir à passer par un processus administratif onéreux concernant la plainte, et ensuite les rapports, et cetera, puis de se retrouver avec un rapport favorable. Nous ne sommes pas les seuls dans le monde des médias à l’avoir vécu. C’est arrivé à plusieurs autres organismes et instances francophones de se retrouver avec un rapport favorable, mais qu’absolument rien ne bouge.

C’est tellement frustrant pour les communautés de langue officielle. C’est un problème qui est généralisé. Le commissaire fait un suivi 12 mois après le dépôt du rapport. Il faut comprendre le mécanisme, et je pense que vous le connaissez bien. Ce qui arrive après, c’est que, au cours de ces 12 mois, nous et les autres intervenants qui ont déposé une plainte, nous nous attendons à ce que les choses bougent, mais ce n’est pas le cas.

Les mesures qui sont prises sont tellement minimes que la décision n’a aucun impact pour corriger le problème. C’est ça qui est difficile. Quand on arrive comme intervenant communautaire pour aller travailler avec les ministères, il y a toujours ce malaise. Il semble qu’il y ait des mains liées, qu’il n’y ait pas assez de ressources. Je pense que dans votre étude, M. Sonier l’a dit, il faut aller gratter un peu plus profondément, parce qu’il y a un problème systémique au sein de l’appareil gouvernemental qui ne permet pas aux décisions du commissaire d’aller plus loin.

Je travaille dans le milieu minoritaire depuis plus de 20 ans déjà, et je peux vous dire que cela n’a pas changé. C’est toujours pareil. On a de belles décisions, mais quand on arrive à la mise en œuvre de ces décisions, on est en arrêt. Ce qui en ressort est tellement minime que les gens maintenant ne veulent plus passer par le processus de plainte.

La sénatrice Poirier : On entend souvent dire que le commissaire devrait avoir plus de pouvoir. Monsieur Sonier, ma question touche l’Acadie Nouvelle. Pourriez-vous nous en dire davantage sur les enjeux actuels auxquels vous faites face? Pourriez-vous commenter le fait que, dans le dernier budget fédéral, le gouvernement promet 50 millions de dollars sur cinq ans à compter de 2018-2019 afin d’appuyer les journalistes locaux? J’aimerais savoir si vous êtes en mesure de nous indiquer si vous allez avoir accès à ces fonds.

M. Sonier : En ce qui concerne l’Acadie Nouvelle, ce qu’on a fait au cours des dernières années, et on a beaucoup insisté là-dessus, c’est limiter la réduction du personnel et des journalistes, donc de ceux qui produisent du contenu de qualité et original qui parle de l’Acadie, justement. Pour ce faire, il a fallu sacrifier d’autres emplois. Je vous dirais qu’au cours des 10 dernières années, il y a des gens dont le poste a été aboli, des employés de soutien qui s’occupent de la mise en page, du graphisme et du soutien technique. On est convaincu qu’il faut préserver le contenu, ce qu’on crée tous les jours et qui parle des gens de la communauté. Il faudra bientôt sacrifier cela aussi si rien ne se passe. Ça va devenir dramatique, parce que nous sommes pertinents aujourd’hui grâce à notre contenu de qualité, mais si nous n’avons pas de coup de main, ça risque de changer. C’est très inquiétant.

Cependant, vous parlez du budget, c’est votre deuxième question. Quant aux 50 millions de dollars sur cinq ans, nous ne connaissons pas les critères d’admissibilité, nous ne savons pas comment cela va se faire. Je peux cependant vous dire que demain, l’Association de la presse francophone, les radios communautaires, l’ARC du Canada et la QCNA vont rencontrer les fonctionnaires de Patrimoine canadien pour discuter de cet aspect, afin de savoir comment on pourrait participer à l’organisation, à la gestion ou à la répartition d’une partie de cette somme-là comme médias en situation minoritaire.

On entend par les branches qu’il y a des organismes intéressés, mais les organismes dont on entend le nom ne sont pas tellement efficaces, selon notre expérience. Nous croyons que nous pouvons contribuer à améliorer le sort des journaux et nous voulons que l’argent qui a été annoncé se rende directement dans les salles de nouvelles pour favoriser la création d’un contenu de qualité dans les journaux. Nous n’avons pas de détails, mais nous ferons en sorte que, demain, nous amorcerons une discussion pour voir dans quelle mesure nous pouvons collaborer. C’est un point de départ, je crois.

La sénatrice Poirier : Je vous souhaite un bon succès.

M. Sonier : Merci.

Mme Eddie : Puis-je répondre à votre deuxième question? Vous nous demandiez quels sont les autres points qu’il serait intéressant de retrouver dans la loi. Pour déborder du cadre des médias, ce qui m’étonne, c’est le concept de la vitalité mentionné dans la partie VII de la loi, le concept de l’épanouissement et du développement des communautés. Autant en français qu’en anglais, on utilise le mot « vitalité » — « vitality ». Selon moi, c’est un concept difficile à mesurer. Concrètement, on ne sait pas comment atteindre la vitalité. On ne peut pas l’atteindre, c’est un idéal.

Je ne sais trop à quel point cela peut se faire, je ne suis pas juriste, mais il serait intéressant de modifier cette section de la loi. Je proposerais de penser davantage en matière d’égalité réelle au lieu de vitalité. La vitalité est très difficilement mesurable, alors qu’avec l’égalité réelle, on peut comparer deux communautés. Cela définirait une espèce de point d’ancrage et un but à atteindre. Cela déborde du cadre des médias, évidemment, mais ils sont tout de même concernés, parce qu’ils participent à l’égalité réelle des communautés.

La sénatrice Poirier : Merci. C’est intéressant.

Mme Lauzon : C’est très intéressant. J’aimerais ajouter que Patrimoine canadien, dans l’évaluation de ses demandes de financement en vertu des programmes d’appui aux langues officielles, fait face à un défi majeur pour évaluer ou déterminer les indices de vitalité. Ce problème date des 20 dernières années. On demande aux organismes de démontrer leur contribution à la vitalité, mais Patrimoine canadien n’a pas encore trouvé la façon de le mesurer. C’est un concept très flou et trop ouvert.

Cette recommandation est vraiment excellente. Je suis certaine que Patrimoine canadien accueillerait positivement ce changement. L’égalité réelle est mesurable. Comme la gestion de Patrimoine canadien est axée sur les résultats, ce serait de très bon augure.

Le sénateur McIntyre : Merci de vos présentations. Ma première question s’adresse à M. Sonier et à Mme Lauzon. À l’automne 2017, votre association a dévoilé sa Charte de la presse écrite de langue française en situation minoritaire au Canada à laquelle ses journaux membres doivent adhérer; ceux-ci desservent plus d’un million de francophones et de francophiles par année. Je comprends qu’en raison d’un manque de ressources, certains journaux se retrouvent dans une situation financière précaire et ne sont plus en mesure d’offrir la même qualité de service à leur population locale. Pourriez-vous nous parler brièvement de cette charte?

M. Sonier : Je vais faire une histoire courte. L’objectif de mettre en place une telle charte a découlé de quelques événements qui nous ont fait comprendre que, dans certaines communautés, les organismes porte-parole semblaient vouloir faire pression auprès des salles de nouvelles. Nous ne voulions blâmer personne, nous avons pris nos responsabilités et nous nous sommes dit qu’une charte clarifierait le rôle des médias aux yeux des journaux et des organismes qui doivent comprendre les limites.

Cela nous a aussi permis d’établir clairement des valeurs et des principes et de démontrer comment fonctionnent les médias. Nous sommes en train de préciser l’application de cette charte. On en discutera dans les prochains mois avec différents organismes, pour faire de la sensibilisation, si vous voulez.

Dans certaines communautés, il y a une telle proximité que les gens ne comprennent pas tout à fait le rôle des médias. Les médias communautaires ne sont pas des courroies de transmission ou des organismes de relations publiques pour relayer le message des organismes; ils sont là pour contribuer à la vitalité, aux débats et à l’échange d’idées. Parfois, les médias peuvent être critiques, on parle des bons coups comme des mauvais coups, mais tout cela contribue à bâtir une communauté plus informée, plus allumée.

La charte contient essentiellement des valeurs, des principes et établit des paramètres. Ainsi, c’est beaucoup plus clair pour tout le monde.

Le sénateur McIntyre : Ma deuxième question porte sur la Loi sur les langues officielles. Je comprends que, selon vous, la Loi sur les langues officielles doit être modifiée pour répondre à vos besoins en matière de publicité gouvernementale.

Je vous pose cette question, parce que M. Pierre Foucher, professeur de droit à l’Université d’Ottawa, a proposé des modifications à l’article 11 de la loi. Cela dit, lors de son passage devant le comité sénatorial en octobre 2017, il a souligné, et je cite :

[...] un problème récurrent lié au fait que le gouvernement ne publie pas toujours ses avis et annonces dans les médias communautaires des minorités de langue officielle.

Par la suite, il a recommandé d’en faire une exigence dans la loi. D’ailleurs, son mémoire contient des suggestions plus précises pour souligner trois étapes différentes. La première obligerait le gouvernement à publier dans les médias communautaires; la deuxième éliminerait la mention « là où c’est possible » de l’article 11; finalement, la troisième prévoirait des dispositions pour encadrer les publications électroniques.

Jusqu’à maintenant, aucun autre témoin n’a fait de telles suggestions au comité sénatorial. À votre avis, des modifications devraient-elles être apportées au libellé des articles 11 et 30 de la loi?

M. Sonier : Si ce n’est pas indiqué, effectivement, le gouvernement a une responsabilité d’informer ses citoyens. Dans des communautés francophones en situation minoritaire, parfois, le journal est le seul outil pour rejoindre les communautés. Le rôle du gouvernement est d’informer sa population et les canaux idéaux sont les journaux ou les radios communautaires. Donc, oui, en ce sens, le gouvernement devrait assumer sa responsabilité.

La publicité a aussi un autre rôle, si on veut, car elle permet de financer les journaux. D’une certaine façon, c’est de la publicité. À l’heure actuelle, on a un gouvernement qui ne montre peut-être pas le meilleur des exemples en achetant de la publicité dans le GAFA. On sort de l’argent de notre pays, on l’investit chez les Américains qui ne paient pas d’impôt ici et, pendant ce temps, les médias, les radios et les journaux écopent. Ces décisions ont été prises il y a 10 ans et on en ressent les conséquences maintenant.

Cela contribuerait à l’épanouissement des journaux qui sont des piliers dans les communautés. Je crois sincèrement que cela devrait être modifié.

Mme Eddie : Je suis d’accord pour modifier l’article 11, pour vous donner une réponse très courte. Je crois que cela aiderait les médias. Cependant, j’ose espérer qu’on puisse aller plus loin et les aider d’une autre façon. Je crois que ce n’est pas nécessairement suffisant.

Le sénateur McIntyre : De quelle façon?

Mme Eddie : En faisant des amendements à la partie VII de la loi ou en ayant un règlement sur les médias, je ne sais trop. J’ai essayé de faire une petite recherche pour voir ce qui se fait dans d’autres pays, pour avoir une petite idée des options qui pourraient s’offrir à nous. J’ai essayé de voir quels pays prennent des mesures pour des médias particuliers, quels pays conçoivent qu’il est acceptable de donner davantage de financement aux médias qui en ont plus besoin.

Plusieurs pays donnent des subventions à la presse écrite. Il y en a beaucoup, en fait. Pour vous donner quelques exemples, l’Autriche octroie des subventions à tous ses quotidiens, mais elle donne davantage à certains journaux qu’elle considère comme importants pour la diversité d’opinion. En Suède, on donne des subventions aux journaux qui sont considérés comme économiquement fragiles pour les appuyer dans des marchés compétitifs, et au Portugal, on donne un ensemble de primes pour la modernisation technologique, le développement numérique et la formation professionnelle. Apparemment, les études auraient démontré que ce sont les médias locaux et régionaux les plus fragiles qui bénéficiaient davantage de ces primes, et ce, dans le but d’assurer qu’ils puissent continuer à offrir un service essentiel à leur communauté. Il y a toutes sortes d’exemples qui le démontrent.

En Suisse, on conçoit l’octroi, de façon disproportionnée, d’enveloppes monétaires aux minorités linguistiques. Il s’agit spécifiquement de programmes télévisuels qui visent à assurer l’équivalence dans les trois langues. De plus, un article de loi appelle explicitement à la protection de la presse écrite et il y est stipulé qu’en retour, la presse écrite n’a pas besoin de remplir un mandat spécifique. Le gouvernement n’a pas d’impact sur ses activités. Il y a toutes sortes de possibilités pour le Canada en ce sens.

Le sénateur McIntyre : Pour en revenir aux obligations prévues dans la loi, et en faisant de la lecture sur le sujet, je remarque qu’il est important d’obliger le gouvernement fédéral à publier dans les médias communautaires, d’où la nécessité d’éliminer la mention « là où c’est possible » de l’article 11. J’aimerais vous entendre au sujet de cette fameuse phrase. Autrement dit, il faudrait s’en débarrasser.

Mme Lauzon : Oui, il faut définitivement s’en débarrasser. Parce que, par définition, un francophone ou un anglophone en situation minoritaire peut vivre sur le territoire québécois pour les anglophones et n’importe où au Canada pour les francophones. Un francophone du Nunavut devrait avoir les mêmes services qu’un francophone de l’Est ontarien, c’est clair.

Le mot « obligation » me fait peur, et c’est là où le bât blesse du côté de la loi. C’est la mise en œuvre qui nous a vraiment chatouillés du mauvais côté. Quand on arrive à la mise en œuvre, il semble que le travail ne soit pas fait du côté du volet interministériel. Je vous donne un exemple concret. Les publicités émanent de Services publics et Approvisionnement Canada, et leurs représentants nous disent constamment que la directive provient du Conseil privé et que les sommes proviennent du Conseil du Trésor. Ils s’en lavent les mains. Pour eux, si l’obligation n’est pas accompagnée d’enveloppes monétaires, cela ne vaut rien. Un travail d’analyse plus approfondi dans l’appareil gouvernemental doit être effectué pour mettre au jour ces interrelations lorsqu’on arrive à la mise en œuvre de cette obligation. À l’heure actuelle, il est très facile pour un ministère comme Services publics et Approvisionnement Canada de mettre la faute sur le dos d’un autre ministère. Il faut aller un peu plus loin et définir cette obligation, quitte à nommer un responsable dans l’appareil gouvernemental. C’est le Conseil du Trésor qui doit s’assurer que les ministères qui ont des obligations en vertu de la loi aient suffisamment de fonds et de ressources pour les remplir. Si c’était plus clair dans la loi, peut-être que le mot « obligation » serait justifié.

Le sénateur McIntyre : Autrement dit, c’est non seulement une question de renforcer les obligations prévues dans la loi, mais également les obligations liées à la Politique sur les communications et l’image de marque.

Mme Lauzon : Oui, définitivement.

Le sénateur McIntyre : Je terminerais en disant que la mention « là où c’est possible » agit un peu comme une béquille pour le gouvernement fédéral. Si ce n’est pas possible, on passe à autre chose.

La sénatrice Mégie : Je vous remercie de vos présentations. Ma question s’adresse à nos trois témoins et leur semblera très terre à terre.

Depuis plusieurs années, tous les médias se préparent au fameux virage numérique. On sait que cela blesse tous ceux qui n’ont pas beaucoup de financement. Est-ce que tout est gratuit pour vous? Vous ne recevez aucune rémunération autre que celle du gouvernement? Peut-on se procurer votre journal sur support papier par abonnement? Est-ce que les gens paient pour la publicité à la radio communautaire? Est-ce de cette façon que cela se passe?

M. Sonier : Je vais parler pour la majorité des journaux de l’APF dont est membre l’Acadie Nouvelle. C’est le même modèle. La grande majorité des journaux sont payants. C’est un modèle d’abonnement, même sur Internet. Dans le cas de l’Acadie Nouvelle, 26 p. 100 des abonnés sont numériques. Ils ont la réplique du journal, un accès illimité au site web et d’autres avantages. On ne donne pas notre matériel. On en croit la valeur trop élevée pour le donner. Il s’agit d’un marché à créneaux. On touche vraiment des sujets ou des thèmes qui ne sont pas abordés par d’autres médias. Donc, la plupart du temps, c’est effectivement payant.

La sénatrice Mégie : Avez-vous remarqué une baisse de la demande d’abonnements avec le virage numérique ou êtes-vous arrivé à vous créer un marché à créneaux dans la conversion vers le numérique?

M. Sonier : Dans le cas précis de l’Acadie Nouvelle, en deux ans, on a perdu 100 abonnements seulement. Il y a eu un transfert du papier au numérique. Ce sont soit les mêmes personnes ou de nouvelles personnes, mais en termes de nombre, c’est équivalent après deux ans. Il y a vraiment un virage qui s’exécute et il y a aussi des gens qui sont prêts à payer pour l’information. Cela dit, le modèle numérique n’est pas rentable. Les deux éléments ne suffisent pas à soutenir le modèle.

La sénatrice Mégie : Vous devrez vous battre pour que ce soit financé adéquatement par le gouvernement, surtout dans le cadre d’un modèle, comme Mme Eddie l’a souligné tout à l’heure, où il s’agit de donner un peu plus à ceux qui en ont davantage besoin. Ce serait peut-être un modèle à privilégier. Mais où pourrait-on glisser une modification dans la loi pour le permettre?

Mme Eddie : Je ne sais pas pour une modification spécifique, mais je pense que cela s’insère parfaitement dans la partie VII de la Loi sur les langues officielles. Lors de ma présentation, j’ai essayé de vous démontrer que les médias sont des joueurs clés dans l’épanouissement des communautés. Si la partie VII de la Loi sur les langues officielles est axée sur le développement des communautés, la promotion des deux langues officielles et le développement des communautés, les médias y jouent un rôle clé. Je crois que cela peut s’insérer dans la partie VII quelque part, mais sans savoir où exactement. Il y a aussi la possibilité d’un règlement qui découle de la Loi sur les langues officielles et qui serait un règlement sur les médias.

La sénatrice Poirier : Pour faire suite à la question posée par la sénatrice Mégie au sujet du journal en version électronique et en version papier, tous les journaux, francophones et anglophones, se tournent vers le numérique. Les achats de publicité sont-ils différents dans les deux versions? Les publicités sont-elles davantage vues dans la version numérique que dans la version papier? Avez-vous constaté une différence?

M. Sonier : La publicité numérique augmente un peu, mais un peu comme le fait le gouvernement fédéral en ce moment, il y a des gens qui sont attirés par les médias sociaux comme, Google, Facebook, Amazon et Apple. Il s’agit de plateformes. Essentiellement, lorsque le gouvernement fédéral affiche de la publicité sur Internet, même si mon site rejoint un quart de million de personnes par mois, je n’y vois pas de publicité du gouvernement fédéral, et ce n’est pas normal. J’ai énormément de visiteurs, mais je ne la vois pas. Donc, les gens consultent les médias sociaux, et c’est de l’argent qui sort de notre pays et qui n’est pas réinjecté ici. Il n’y a pas de taxe non plus. Lorsque vous achetez 1 $ de publicité sur Facebook, il n’y a pas de taxe. C’est la même chose pour Google. Cela me semble problématique. Si on allait chercher uniquement la taxe sur ces publicités, on aurait un fonds pour réinvestir dans le contenu original d’ici.

La sénatrice Poirier : J’imagine que vous avez déjà fait part de ce problème au gouvernement.

M. Sonier : Oui.

Le sénateur Mockler : Pour ceux qui ne le connaissent pas, l’Acadie Nouvelle est un outil de travail très important pour nous.

J’aimerais d’abord féliciter M. Sonier et son équipe de l’Acadie Nouvelle, tant pour le côté numérique et le côté web que le côté papier. Je sais que Mme Eddie et Mme Lauzon connaissent l’importance des outils pour informer notre population, pour que nos communautés se développent sur le plan de la culture, de la démocratie et du savoir. On connaît très bien l’historique de L’Évangéline, de ce que les gens ont fait avec l’Acadie Nouvelle, qui est une icône importante pour le développement de nos communautés rurales et urbaines.

Je pense qu’il ne faut pas laisser les gens dire que l’Acadie Nouvelle est un luxe. L’Acadie Nouvelle n’est pas un luxe. C’est un besoin, une nécessité pour favoriser notre épanouissement socio-économique. Même les gouvernements précédents ont fait la sourde oreille à un outil comme l’Acadie Nouvelle dans nos régions. Quand je viens à Ottawa, monsieur Sonier, je lis ce journal et je suis surpris de constater le nombre d’abonnés des régions de Madawaska, de Restigouche et de Victoria sur une population de 70 000 habitants, et de voir les jeunes qui prennent le virage numérique. Il faut faire attention. Il faut préserver notre outil de travail. Dans l’Ouest canadien, en Nouvelle-Écosse, à l’Île-du-Prince-Édouard et au Québec, les citoyens en situation minoritaire font face aux mêmes doléances que nous.

Ce matin, j’écoutais Michel C. Auger à Radio-Canada, qui abordait la question de la partie IV de la loi. Mes deux questions concernent les ministres Joly et Qualtrough. En ce qui concerne la partie IV de la Loi sur les langues officielles, qui porte sur les communications avec le public et la prestation des services, la loi devrait-elle, selon vous, être renforcée pour assurer la qualité égale des services offerts au public? La définition sur laquelle repose l’offre de services au public en vertu du critère de la demande importante devrait-elle être modifiée pour vous permettre de vivre et de développer vos communautés?

Le virage numérique qu’a pris l’Acadie Nouvelle représente un travail immense et réussi. Il ne faut pas oublier les autres régions de notre pays si on veut transmettre un message au gouvernement actuel. Il faut cesser d’être tenus pour acquis. Il faut poser des gestes précis qui permettront la survie de nos communautés. Sinon, les langues officielles du Canada sont menacées.

M. Sonier : À quelques reprises, au cours des dernières années, des ministères se sont adressés aux journaux pour obtenir carrément de la publicité gratuite. Parcs Canada, dans les Territoires du Nord-Ouest, je crois, a demandé d’annoncer un message important à la population pour un parc en particulier. On nous a demandé un espace publicitaire faute d’argent. S’il est important de transmettre le message, pourquoi n’a-t-on pas d’argent? Cela veut dire que les journaux sont importants. Si on tient à faire passer un message dans un journal, cela veut dire que c’est un outil important pour rejoindre la communauté. C’est aussi simple que ça.

Le gouvernement fédéral a commencé à faire des coupures dans la publicité. Avec la crise du virus H1N1, si vous regardez les statistiques, il y a eu un pic incroyable dans les journaux. Pourquoi? Parce que les journaux rejoignaient les gens. Cela a été décidé à ce moment-là. On l’a vu à quelques occasions. Cela signifie que les journaux ont leur pertinence.

Ce sont là deux exemples. Il arrive souvent que différents ministères nous approchent pour annoncer une conférence de presse. Ce qui est écrit dans le journal, que ce soit de la publicité ou du contenu rédactionnel, c’est important. On de la difficulté à suivre leur raisonnement. C’est important, mais on ne veut pas accorder d’aide financière. Le gouvernement a la responsabilité de faire connaître ses programmes, de faire du recrutement, notamment en ce qui concerne la Défense nationale. Les médias communautaires, qui sont souvent les seuls médias locaux, sont le canal le mieux choisi pour rejoindre les communautés. Il ne faut pas les ignorer. D’une part, cela les soutient et cela informe la population. Le gouvernement a la responsabilité de parler de ses programmes en vertu de la partie IV. Il faudrait que ce soit renforcé et respecté.

Le président : J’aimerais vous poser deux questions. La première concerne la relation des médias communautaires avec Radio-Canada. On sait qu’il y a des regroupements des médias locaux qui demandent à ce que CBC/Radio-Canada soit financée à 100 p. 100 pour que le diffuseur public ne soit plus en compétition avec les médias locaux sur le plan des revenus publicitaires.

Quelle est la relation entre les médias locaux et CBC/Radio-Canada, qui est perçue comme un diffuseur public? Y a-t-il des défis de coexistence? Je vous pose la question en prévision d’une révision de la loi. Y a-t-il des éléments à affirmer dans la loi qui concernent les médias communautaires ou Radio-Canada?

M. Sonier : Radio-Canada n’a pas suffisamment de fonds, on le sait et on le comprend. On croit que Radio-Canada joue un rôle important. Maintenant, Radio-Canada a des fonds et les journaux communautaires en ont moins. Cependant, Radio-Canada utilise des fonds publics pour nous faire concurrence sur le Web. On n’est pas plus gagnant.

Cela dit, il ne faut pas simplement opposer Radio-Canada aux journaux, car il y a une complémentarité qui existe et qui doit demeurer. Si on maintient uniquement Radio-Canada, on risque de privilégier un seul point de vue, alors que les journaux favorisent une diversité de points de vue, ce qui, à notre avis, est important.

Je ne parlerai jamais contre Radio-Canada. C’est nécessaire. Doit-on modifier le financement? Ce n’est pas à moi de répondre à cette question. On croit que Radio-Canada a sa place et que les radios communautaires ont leur place. L’Acadie Nouvelle et d’autres journaux permettent de publier des lettres d’opinions, ce que Radio-Canada n’est pas en mesure de faire. Donc, les journaux favorisent les débats ou l’échange d’idées, et représentent un complément à l’information provenant de Radio-Canada. En ce sens-là, Radio-Canada est aussi importante dans le paysage, mais nous croyons l’être également, tout simplement.

Mme Eddie : Je suis tout à fait d’accord avec M. Sonier que les deux sont complémentaires. Je pense que Radio-Canada joue un certain rôle, et en même temps, elle n’est pas partout non plus. En fait, Radio-Canada n’est pas très présente dans les régions. Je faisais récemment une étude de contenu des médias francophones en Atlantique, et il est assez intéressant de voir que ce n’est pas toujours Radio-Canada qui parle des dossiers linguistiques, comme on pourrait le croire.

Il y a souvent des dossiers qui ne sont pas touchés par Radio-Canada, et c’est l’Acadie Nouvelle ou les autres médias et les autres hebdomadaires des autres provinces qui abordent ces questions. J’avais l’impression que c’était beaucoup Radio-Canada qui jouait ce rôle, mais je me rends compte qu’il s’agit de rôles très complémentaires, comme M. Sonier le dit.

Le président : Merci. Ma deuxième question s’adresse à Mme Eddie. Vous avez parlé des médias communautaires comme étant des chiens de garde importants pour la démocratie, bien sûr, et pour l’information. Est-ce que la Loi sur les langues officielles, dans son préambule, devrait inclure un énoncé qui permettrait de mieux saisir l’interrelation entre les différents secteurs de la société et le rôle particulier que jouent les médias dans cette dynamique d’épanouissement des communautés de langue officielle?

Mme Eddie : C’est une question intéressante. Je n’ai pas du tout pensé à cela, mais il est frappant qu’on parle toujours des secteurs en situation minoritaire, et j’ai l’impression qu’on ne parle jamais des médias, sauf depuis tout récemment. Il est étonnant de constater à quel point on semble oublier que les médias sont fondamentaux dans la possibilité des communautés minoritaires de s’épanouir.

En y réfléchissant bien, après avoir fait ses études, comment un adulte peut-il s’éduquer, si ce n’est que par l’entremise des médias? Il me semble qu’ils jouent un rôle tellement important dans le renforcement de l’identité francophone dans la capacité à se mobiliser et à agir politiquement.

Donc, pour moi, ce serait une bonne idée d’ajouter si possible dans la loi n’importe quelle disposition qui mettrait en valeur le lien très fort qui existe entre les médias et leur communauté.

Le sénateur McIntyre : Décidément, nous manquons de mécanismes pour assurer que la Loi sur les langues officielles sera pleinement appliquée.

Monsieur Sonier, vous avez mentionné le renforcement des pouvoirs du commissaire aux langues officielles, et je suis complètement d’accord avec vous. Naturellement, il existe d’autres mécanismes. Ma question est la suivante : faudrait-il accorder des pouvoirs à une institution centrale chargée de voir à la mise en œuvre de l’ensemble de la loi?

M. Sonier : Ce que vous suggérez, c’est de centraliser un peu les pouvoirs reliés à la loi?

Le sénateur McIntyre : Une institution centrale qui serait chargée de voir à ce que la Loi sur les langues officielles soit pleinement mise en application.

M. Sonier : J’aurais cru que le commissaire aux langues officielles aurait été cette instance-là. Par contre, avec ce qu’on voit aujourd’hui et si cela reste inchangé, on n’aura pas les résultats qu’on veut. Dans une certaine mesure, votre suggestion serait pleinement recevable, mais nous pensons toujours que le commissaire devrait être cette instance-là.

Le sénateur McIntyre : Je suis d’accord avec vous. On n’aurait peut-être pas besoin d’une institution centrale chargée de voir à la mise en œuvre de la Loi sur les langues officielles si on pouvait renforcer les pouvoirs du commissaire aux langues officielles. C’est sûr.

M. Sonier : Si on ne le fait pas, il faudrait penser à une autre solution.

Le sénateur McIntyre : Je pense que renforcer les pouvoirs du commissaire aux langues officielles réglerait beaucoup de choses.

Madame Eddie, voulez-vous ajouter quelque chose?

Mme Eddie : Je suis d’accord avec la création d’une institution.

Le sénateur McIntyre : Vous pouvez en parler dans votre thèse de doctorat.

Mme Eddie : En ce moment, c’est peut-être Patrimoine canadien qui joue ce rôle. Il est clair qu’il y a peut-être un manque de lien entre les différents ministères. Il y a un problème de ce côté-là. Je ne sais pas si vous parlez d’une nouvelle institution centrale ou de donner plus de pouvoir à l’une des institutions qui existent déjà.

Le sénateur McIntyre : Ce serait plutôt une institution centrale. Maintenant, vous avez parlé du ministère du Patrimoine canadien. Faudrait-il revoir les pouvoirs accordés à la ministre du Patrimoine canadien?

Mme Eddie : Je n’ai pas la réponse à cette question, mais c’est une question sur laquelle il faut se pencher.

Le sénateur McIntyre : Tout cela fait partie des mécanismes manquants. Il faut s’assurer que la Loi sur les langues officielles sera pleinement appliquée, et il y a un manque à ce chapitre.

M. Sonier : Vous avez tout à fait raison. Dans la façon dont nous avons vécu la situation, c’est que même après une décision favorable du commissariat aux langues officielles, tout le monde se renvoie la balle. Si quelqu’un peut jouer ce rôle d’impulsion quelque part, je crois que c’est nécessaire. Le plus près est peut-être Patrimoine canadien, il faudrait voir. En tout cas, la situation est intenable en ce moment.

Dans notre cas, nous avons fait une plainte au commissaire aux langues officielles. Quand on est rendu à cette instance-là, cela fait déjà un certain temps que la situation perdure. On fait une plainte, il y a une démarche, cela fait presque trois ans maintenant et on n’a toujours pas de résultat depuis le moment de notre plainte, donc depuis deux ans et demi. C’est assez lent, assez lourd, il faut que ça bouge plus rapidement.

Le sénateur McIntyre : Peut-être faut-il sanctionner les institutions qui ne se conforment pas à leurs obligations linguistiques?

Mme Lauzon : Je ne crois pas que c’est la solution que de sanctionner les institutions. Je pense qu’il faut que la loi, au lieu de pencher du côté négatif, doive avoir une valeur ajoutée. Il faut qu’on puisse démontrer la valeur ajoutée dans les institutions, les instances gouvernementales et les ministères. M. Sonier a parlé tout à l’heure de la façon, en ce moment, dont les fonctionnaires responsables au sein des ministères sont presque cyniques quant à la Loi sur les langues officielles. C’est un boulet, c’est lourd et c’est une autre responsabilité qui s’ajoute.

Vous avez parlé tout à l’heure de créer une instance, parce qu’en ce moment, vous avez raison, c’est la ministre qui est responsable de la pleine application de la loi dans tous les ministères, la ministre de Patrimoine canadien. Pour créer une autre instance, je ne sais pas comment cela pourrait se faire, mais il est clair qu’il faut que ce soit relié à des ressources du ministère qui permettent justement cette pleine application. Il y a un irritant dans chacun des ministères, et les fonctionnaires se disent toujours : « Ah oui, les langues officielles, on a un rapport à faire, il faut faire des mesures positives, il faut réussir à faire avancer le dossier. » Ils cherchent, et on le voit chaque fois, ce qu’ils peuvent trouver pour leur permettre de faire leur rapport à la fin de l’année. Il ne faut pas que ce soit comme cela.

Le sénateur McIntyre : C’est bien beau, madame Lauzon, mais si cela ne fonctionne pas, qu’est-ce qu’on fait? Faudrait-il avoir recours aux tribunaux pour le non-respect de la loi?

Mme Lauzon : Ça ne fonctionne pas. Je pense qu’il faut trouver le modèle qui ne sera pas punitif, mais qui sera une valeur ajoutée pour les ministères.

Le sénateur McIntyre : Mais cela ne fonctionne pas.

Mme Lauzon : Ce ne l’est pas en ce moment, ce n’est pas une valeur ajoutée en ce moment pour les ministères.

Le sénateur McIntyre : Ne pensez-vous pas qu’on devrait avoir recours aux tribunaux pour le non-respect de la Loi sur les langues officielles?

Mme Lauzon : Personnellement, je suis contre le côté punitif, parce que, premièrement, les contestations judiciaires, lorsqu’on a recours aux tribunaux, sont de longues batailles, et je vais vous en donner un exemple.

Le sénateur McIntyre : Par contre, cela fonctionne.

Mme Lauzon : Ça fonctionne, mais je vais vous donner un argument que nous donnons à tous les ministères que nous rencontrons, M. Sonier et moi. Nous avons des médias communautaires de langue officielle en ce moment qui desservent les communautés. Si on n’a pas gain de cause, on va être obligé d’aller en contestation judiciaire. C’est un processus qui peut prendre de cinq à six ans et, pendant ce laps de temps, 85 p.100 de nos médias seront morts. C’est l’argument qu’on donne au gouvernement.

On veut aller du côté positif. En ce moment, ce qu’on vous dit, c’est d’investir tout de suite, parce que dans cinq ou six ans, pour redémarrer la machine des médias communautaires qu’il va falloir refaire, parce que 80 p. 100 d’entre eux ne seront plus là, cela va coûter beaucoup plus cher. Alors, on vous demande de faire un investissement stratégique en ce moment pour éviter tout ce processus négatif et cette perte de temps, et on vous demande de travailler avec nous. C’est là que l’oreille commence à changer. On ne veut pas passer par un processus, on ne veut pas aller en contestation judiciaire, on va commencer à penser différemment. Justement on rencontre le sous-ministre demain au sujet des 50 millions de dollars. Voici notre approche : investissons tout de suite pour éviter justement de se retrouver avec un long processus qui va nous ramener au point de départ et nous obliger à rebâtir. C’est un peu comme cela que nous approchons les ministères en ce moment.

Le président : Merci. J’ai une question complémentaire. Vous avez parlé du Commissariat aux langues officielles à qui vous avez demandé, si j’ai bien compris, de jouer un rôle en amont pour réunir des ministères avec lesquels vous pourriez converser sur la question des enjeux des médias communautaires. J’aimerais vous entendre à ce sujet. Est-ce que vous espérez un renforcement du rôle du Commissariat aux langues officielles qui irait dans ce sens-là? C’est ma première question.

Ma deuxième question est liée à celle du sénateur McIntyre. Certains témoins que nous avons entendus nous parlent du Conseil du Trésor, par exemple, comme d’une instance qui pourrait être en fait le principal responsable de la mise en œuvre de la Loi sur les langues officielles pour qu’il y ait une capacité d’influencer les différents ministères. Quel est votre point de vue quant à cela?

Mme Lauzon : Je peux répondre à la première question. On a vu que cela ne fonctionnait pas, que cela n’avançait pas. Notre consortium a demandé au commissaire d’asseoir à la même table tous les intervenants qui ont été nommés dans les plaintes originales. On parle du Bureau du Conseil privé, du Secrétariat du Conseil du Trésor, du ministère des Services publics et de l’Approvisionnement et de Patrimoine canadien. Nous avons ajouté à cela Innovation, Sciences et Développement économique Canada, qui a maintenant une enveloppe consacrée à la transformation numérique, et le CRTC, parce qu’on a les radios communautaires. Nous avons précisé que nous voulions mettre en place un plan harmonisé. On comprend qu’il y a plusieurs morceaux du casse-tête à mettre ensemble. On veut développer un plan de travail ou d’action harmonisé avec tous les ministères à la table, et que chacun prenne son côté. Comme consortium, on va le gérer, on va travailler avec chacun de ces ministères. On a fait la demande au commissaire. On lui a dit qu’on sait que ce n’est pas son rôle habituel, mais qu’on lui demandait de faire presque un acte de foi, et un genre de projet pilote avec le consortium, pour voir si cette approche serait plus concluante que l’approche actuelle, avec les suivis et tout cela. Le commissaire n’a pas dit non, mais il nous a dit que le commissariat fera des suivis, qu’il s’apprêtait à faire des suivis, mais cela n’a pas bougé.

On croit que ce genre de rôle plus stratégique, en favorisant le dialogue entre les intervenants communautaires et les ministères clés, nous permettrait d’avoir une approche beaucoup plus harmonisée et beaucoup plus productive. Alors, c’est une idée que nous avons eue, et nous y croyons encore.

Le président : Merci.

Le sénateur Mockler : Merci beaucoup. Dans une autre vie, j’étais invité à des discussions, auxquelles la sénatrice Poirier a participé également. Lorsqu’on a fait, au Nouveau-Brunswick, la modernisation de la Loi sur les langues officielles — vous avez suivi cela de très près —, il y avait un ministère qui chapeautait la mise en œuvre de la loi dans chacun des ministères. À un moment donné, le premier ministre de l’époque, M. Lord, a rassemblé ces responsabilités au sein du Conseil privé et du bureau du premier ministre. J’ai eu l’occasion de jaser avec le commissaire aux langues officielles du Nouveau-Brunswick par le passé, et il m’a dit que c’était un instrument de travail qui avait été très utile. Est-ce qu’on ne pourrait pas recommander la même chose au gouvernement actuel, avec les intervenants, les actionnaires et les partenaires? Est-ce que cela devrait être dirigé non pas seulement par un ministre spécifique, mais être chapeauté par le Conseil privé ou quelqu’un à l’intérieur de la boîte du bureau du premier ministre? Cela pourrait être plus efficace.

Mme Lauzon : Si le modèle néo-brunswickois a été plus efficace, je pense que cela mérite d’être étudié, et nous devrions examiner la façon de l’adapter à l’échelon fédéral. S’il existe un modèle qui a déjà bien fonctionné, pourquoi ne pas le mettre en place?

Le sénateur Mockler : Avec des changements de gouvernement, il y a bien des choses qui ont changé. Je ne sais pas si c’est là présentement, je connais le ministre responsable en ce moment, et on essaie de trouver des mécanismes pour faire avancer le dossier. C’est une grosse machine.

J’aurais une dernière question. Vous avez fait une demande pour rencontrer les ministres Joly et Qualtrough. Est-ce qu’il y a eu un suivi, et que proposez-vous pour muscler le rôle du commissariat?

M. Sonier : On ne s’est pas fait dire non carrément, mais on attend toujours un rendez-vous avec la ministre. Demain, on va rencontrer de hauts fonctionnaires de Patrimoine canadien. On a l’impression qu’on a une oreille beaucoup plus attentive maintenant qu’il y a trois mois, quand on a envoyé les lettres aux ministres. On sent qu’il y a une certaine sensibilité qui s’est développée, mais on veut de l’action. Quand on nous promet des choses depuis des mois et des mois, c’est de l’action qu’il nous faut.

L’exercice financier de bien des journaux se termine le 31 mars, et le 1er avril, c’est une autre année. Il y a des journaux qui auront de la difficulté l’année prochaine, je ne peux pas garantir qu’ils seront toujours ouverts à Noël. C’est à ce point-là. Il faut bouger. Il y a une situation d’urgence ici. Les journaux, ce n’est pas par plaisir qu’ils disent avoir de la difficulté. Ils ont tous leur fierté, leur orgueil, mais quand ils disent qu’ils ont besoin d’aide, c’est vrai. On ne parle pas des grands groupes de journaux nécessairement, on parle des journaux qui remplissent un vide dans les communautés où, justement, les grands groupes de presse n’y sont plus. Que ce soit Bell Media, d’autres groupes de presse, des journaux, ils n’y sont plus. Ce qui reste, ce sont des journaux et des radios communautaires dans certains secteurs. Je ne parle pas d’Ottawa, mais de certains secteurs dans l’Est du Canada, à Terre-Neuve, en Nouvelle-Écosse, par exemple. On est dans une situation où ça presse. On n’a toujours pas de réponse. Cela dit, on sait qu’un plan d’action sera annoncé au cours des prochaines semaines, et on ose croire qu’il y a des choses qui vont bouger. On est patient, mais il faudrait que ça bouge.

Le sénateur Mockler : Monsieur le président, sans poser d’autres questions, il y a peut-être urgence, nous sommes à la croisée des chemins. Peut-être que le président et le comité pourraient faire un suivi, envoyer une lettre au ministre concerné, rencontrer les représentants afin de nous permettre de préparer un plan d’action? C’est une question de vie ou de mort.

Le président : La suggestion est bien entendue.

La sénatrice Mégie : Ce n’est pas une question piège, mais je vais vous la poser. Est-ce que vous percevez que le gouvernement semble fier du travail qui s’est amorcé dans le cadre de la Loi sur les langues officielles? Avez-vous cette impression-là? Dans vos rapports, dans vos échanges, avez-vous ce sentiment-là?

J’aurai une autre question à vous poser ensuite selon votre réponse.

M. Sonier : Je ne sais pas quoi vous dire. Oui, il y a une sensibilité accrue, c’est vrai. Mais ce n’est pas avec empressement, je dirais. C’est peut-être ce qui manque un peu, si on est vraiment déterminé à faire quelque chose. Vous le savez, monsieur Smith, dans le sport, quand on est déterminé à faire quelque chose, on le fait, on fonce, on se prépare. J’ai l’impression… En apparence. Il y a peut-être des choses qui se passent, je ne le sais pas.

La sénatrice Mégie : La raison pour laquelle je pose cette question, c’est que je me demandais si vous sentiez comme un engouement pour informer les gens, puisque vous êtes des médias de proximité. Le gouvernement serait fier de pouvoir informer la population en général des travaux qui se font sur la modernisation de la Loi sur les langues officielles. Donc, vous pourriez le suggérer, en guise de financement, en attendant que les grosses affaires marchent. Cela pourrait être une petite source de financement en attendant. C’est une idée qui m’est venue comme ça.

Mme Lauzon : Cela a un lien avec ce que vous avez dit tout à l’heure. La légalisation du cannabis le 1er juillet prochain nécessitera de la publicité et il faudra transmettre des renseignements. Il s’agira d’une énorme campagne. L’une des mesures d’urgence que nous proposons, c’est de veiller à ce que toute la publicité pour cette campagne soit transmise par nos journaux et nos radios communautaires. Pour le moment, allons-y par campagne. C’est une mesure d’urgence. Cela rejoint ce que vous avez dit. Ce genre de campagne nous donnerait un coup de pouce afin de pouvoir passer à la deuxième étape de notre plan d’action.

Si le gouvernement pouvait faire appel à nos journaux et à nos radios communautaires dans le cadre de grandes campagnes, on aurait le temps de travailler avec lui pour développer un plan d’action harmonisé, avec des mesures solides. Patrimoine canadien veut un projet harmonisé. On ne veut pas revenir ici dans cinq ans. On veut que nos médias soient forts, solides, et qu’ils ne dépensent pas d’énergie à essayer de survivre, mais bien à informer la population, à servir l’intérêt public et la démocratie.

La sénatrice Poirier : Vous recevez votre financement de la part du gouvernement fédéral, par l’intermédiaire de vos clients qui achètent votre journal et par la publicité; en recevez-vous des provinces aussi?

M. Sonier : Certains journaux, oui. À l’Association de la presse francophone, certains journaux bénéficient d’un certain financement de la part des gouvernements provinciaux.

La sénatrice Poirier : Les journaux ou les médias qui ne sont pas en situation minoritaire font-ils face aux mêmes défis?

M. Sonier : Tout à fait. Par contre, à Toronto par exemple, des médias, il y en a quand même beaucoup; s’ils tombent, l’information passe tout de même par la radio, la télévision et d’autres plateformes. En situation minoritaire, les journaux ou les médias sont souvent la seule source d’information. Oui, tous les médias sont touchés, mais en vertu de la loi, le gouvernement a la responsabilité de contribuer à l’épanouissement des communautés. C’est en ce sens que c’est important de soutenir les médias. C’est un canal important d’information et il doit le demeurer.

Mme Eddie : Pour appuyer ce que dit M. Sonier, dans la refonte de la Loi sur les langues officielles, il faut s’assurer que ce secteur des milieux communautaires reste dynamique. C’est la raison pour laquelle certains pays choisissent d’investir, de subventionner des médias spécifiques, parce qu’ils reconnaissent que certains médias sont particulièrement importants et qu’il est primordial de ne pas les perdre. Il s’agit souvent de médias locaux, régionaux ou minoritaires en matière de langue ou qui sont considérés comme fragiles. C’est exactement la situation des médias en milieu minoritaire au Canada. Ils sont régionaux, ils sont locaux, ils sont fragiles, ils sont petits. Ils ont moins de ressources. Ils font face à des conglomérats.

L’idée, c’est que, justement, dans cinq ans, on ne se présente pas de nouveau devant vous pour essayer de trouver des solutions pour les cinq prochaines années. Il est important d’établir des mesures d’urgence à court, moyen et long terme. Il faut voir à ne pas se retrouver tout le temps dans les mesures d’urgence.

La sénatrice Poirier : Présentement, nous sommes en attente d’une réponse sur deux questions; premièrement, le plan d’action qui sera bientôt présenté; ensuite, les 50 millions de dollars sur cinq ans dont on parlait tantôt pour 2018-2019. Ce sont deux points pour lesquels vous attendez de bonnes nouvelles. Avez-vous établi un plan d’urgence au cas où les nouvelles ne seraient pas celles que vous attendez?

M. Sonier : La boîte à idées commence à être vide.

Mme Lauzon : On a un plan avec de multiples mesures interchangeables pour les ministères. Comme le dit M. Sonier, la boîte à idées commence à être vide.

Pour répondre un peu à votre dernière question, vous ne pouvez pas comparer l’hebdo d’un village de 20 000 personnes au Québec au Franco d’Edmonton. Pourquoi? Parce que l’hebdo de la ville de 20 000 personnes profite d’une masse critique de gens d’affaires qui achètent des publicités. Le Franco d’Alberta ne jouit pas de cet avantage. Est-ce pire pour nos médias? Oui, 10 fois pire.

La sénatrice Poirier : Merci beaucoup de vos réponses.

Le président : Merci beaucoup de vos interventions. Sans vouloir faire la synthèse de vos propos, je dirais qu’ils viennent renforcer cette idée que la Loi sur les langues officielles a besoin d’être modernisée. Vous êtes très préoccupés par ces défis à court terme que vous rencontrez. Vous avez beaucoup d’aspirations et d’espérance envers le plan d’action sur les langues officielles et les autres rencontres prévues. Vous avez mis beaucoup en relief les défis de la mise en œuvre de la loi sur le plan des mécanismes, par exemple, qui permettraient aux différents ministères de travailler ensemble pour assurer la mise en œuvre de la loi. Vous avez parlé du renforcement du Commissariat aux langues officielles, et je conclurais en disant que vous avez parlé aussi beaucoup de l’importance des médias communautaires pour la démocratie canadienne, pour la diversité des prises de parole, pour la liberté d’expression. Comme le Sénat est là pour favoriser l’épanouissement des minorités et des régions, je crois que vous nous avez éclairés, et vos propos nous seront fort utiles pour la rédaction de ce rapport. Si vous avez d’autres commentaires, je vous invite bien sûr à nous les envoyer pour que nous puissions en tenir compte dans le rapport.

Le sénateur Mockler : J’ai une suggestion. Vous parlez de démocratie, je suis d’accord avec vous, c’est un instrument de travail pour la démocratie. On est politique, ici au Parlement, dans le sens que des hommes et des femmes élus par le peuple viennent ici pour faire du mieux qu’ils peuvent pour contribuer à améliorer la qualité de vie dans chacune des régions du Canada. Cela dit, avez-vous rencontré ces députés et ces ministres qui sont sensibles au dossier de la francophonie en situation minoritaire?

Mme Lauzon : Depuis l’été 2016, combien de rencontres avons-nous faites? On ne le sait même plus. J’aime bien le concept « in your face »; ça, c’est nous. Avant, on ne nous connaissait pas, mais maintenant on nous connaît. Nous avons fait un énorme travail pour nous assurer que notre message passe, pour faire comprendre à nos élus l’importance d’un investissement stratégique immédiat pour éviter une catastrophe et la perte de nos médias communautaires.

Le dépôt de notre mémoire a tout déclenché à l’été 2016. On n’a pas arrêté d’être là, devant tout le monde. Vous le savez peut-être, le Comité permanent des langues officielles de la Chambre des communes fait une étude concernant les médias et leurs besoins. C’est une étude qu’il traite en priorité, parce qu’il veut transmettre des recommandations au Cabinet à la fin avril ou au début mai. On nous écoute. On semble nous comprendre, mais nous commençons à être un peu essoufflés.

Le sénateur Mockler : Ils nous écoutent avec plus d’attention aux quatre ans.

Le président : Madame Lauzon, monsieur Sonier, madame Eddie, je vous remercie beaucoup de vos interventions.

(La séance se poursuit à huis clos.)

(La séance publique reprend.)

Le président : Honorables sénateurs, nous devons adopter la proposition budgétaire pour la mission du Comité sénatorial permanent des langues officielles qui sera menée en Outaouais et en Estrie, au Québec, du 17 au 20 avril 2018.

Il est proposé par l’honorable sénatrice Poirier, appuyée par la sénatrice Mégie, que la demande de budget aux fins d’une étude spéciale sur la perspective des Canadiens au sujet d’une modernisation de la Loi sur les langues officielles pour l’exercice financier se terminant le 31 mars 2018 soit approuvée et présentée au Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration.

Est-ce que nous avons l’accord de tous?

Des voix : D’accord.

Le président : Le budget est donc accepté.

Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

Le président : La motion est adoptée.

Je vous remercie.

(La séance est levée.)

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