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OLLO - Comité permanent

Langues officielles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Langues officielles

Fascicule no 30 - Témoignages du 24 octobre 2018


MONCTON, le mercredi 24 octobre 2018

Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd’hui, à 14 heures, afin de poursuivre son étude de la perspective des Canadiens au sujet d’une modernisation de la Loi sur les langues officielles.

Le sénateur René Cormier (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Honorables sénateurs et sénatrices, bonjour.

Comme aime bien me l’entendre dire mon collègue, le sénateur McIntyre, je m’appelle René Cormier. Je suis sénateur du Nouveau-Brunswick et j’ai le plaisir de présider cette réunion aujourd’hui.

Le Comité sénatorial permanent des langues officielles poursuit son étude portant sur la modernisation de la Loi sur les langues officielles. Nous sommes particulièrement heureux d’être à Moncton pour ces consultations.

Alors, j’aurais besoin, avant qu’on commence, qu’une personne propose la motion suivante :

Que le personnel des communications du Sénat soit autorisé à prendre des photos pendant la séance.

J’aurais besoin d’un proposeur. La sénatrice Moncion? Donc, tout le monde est d’accord avec cette proposition? Merci beaucoup.

Alors, nous avons le plaisir d’accueillir aujourd’hui Mme Suzanne Cyr, qui est présidente du Festival Frye, qui est le plus important festival littéraire de l’Atlantique et qui crée des occasions de rencontres entre les auteurs anglophones et francophones.

Nous accueillons également Mme Nadine Duguay-Lemay. Elle est présidente-directrice générale de Dialogue Nouveau-Brunswick, un organisme sans but lucratif, qui a pour mandat de contribuer à la cohésion sociale de la province par la compréhension, le respect et l’harmonie entre les communautés linguistiques. Elle est accompagnée d’un membre du conseil d’administration, M. Maxime Bourgeois.

Avant de passer la parole à nos témoins, j’invite les membres du comité à bien vouloir se présenter, en commençant par ma gauche.

La sénatrice Moncion : Lucie Moncion, de l’Ontario.

La sénatrice Gagné : Raymonde Gagné, du Manitoba.

Le sénateur McIntyre : Paul McIntyre, du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Mégie : Marie-Françoise Mégie, du Québec.

Le président : Merci à vous, chers collègues.

Madame Duguay-Lemay, la parole est à vous.

Nadine Duguay-Lemay, présidente-directrice générale, Dialogue Nouveau-Brunswick : Alors, sénateur Cormier, sénatrices, sénateurs, merci beaucoup pour cette occasion. Je suis présidente-directrice générale de Dialogue Nouveau-Brunswick, et je suis accompagnée de Maxime Bourgeois aujourd’hui.

Je n’ai rien préparé d’officiel. Je voulais plutôt vous raconter l’histoire de Dialogue Nouveau-Brunswick et ce qui a motivé un peu le mandat, que vous avez mentionné, qui est très récent et qui date de juin 2018.

Donc, si vous me le permettez, allons-y. Pour ceux qui ne le savent pas, Dialogue Nouveau-Brunswick est né en 1989. C’était dans un contexte historique qui était assez difficile au Nouveau-Brunswick. C’était lors de l’émergence du parti Confederation of Regions, qui est un parti qui prônait vraiment un discours anti-bilinguisme. Donc, la réponse des citoyens ainsi que de la société civile a été de dire qu’on a besoin d’une entité indépendante qui va s’occuper du rapprochement des deux communautés linguistiques.

En 1990, Dialogue Nouveau-Brunswick a vu officiellement le jour, donc nous avons plus de 30 ans d’existence. Ce qui est remarquable, c’est que nous avons des gens comme Antonine Maillet, qui ont signé nos lettres patentes, donc des gens d’envergure qui croyaient beaucoup à la mission et à la vocation de Dialogue.

Maintenant, nous voici en 2018. Moi, en assumant la présidence-direction générale, j’ai fait un état des lieux avec plus de 200 Néo-Brunswickois et, dans ces consultations individuelles, je m’assoyais toujours et je posais les mêmes questions. Voici les trois constats qui sont ressortis de ces consultations-là.

La première était que Dialogue Nouveau-Brunswick n’avait pas une bonne notoriété. Près de 90 p. 100 des gens sondés ne connaissaient pas l’existence de Dialogue et pensaient même que c’était une initiative que j’avais lancée et dont j’étais maintenant à la barre.

Deuxième chose — et on va y revenir, parce que c’est très pertinent pour notre conversation d’aujourd’hui —, 66 p. 100 des gens sondés, donc deux tiers, pensaient que le mandat de Dialogue Nouveau-Brunswick était de faire la promotion du bilinguisme. Et enfin — à peu près la même chose —, 90 p. 100 ne pouvaient identifier aucun des programmes ou des initiatives de Dialogue. Donc, on peut dire que c’était un peu ça, l’état des lieux.

Ces consultations comprenaient vraiment des gens de partout, donc, de tous les âges, des quatre coins de la province du Nouveau-Brunswick. J’ai entendu des ambulanciers, des gens qui sont dans le domaine de la santé, où ça houle un peu en ce moment, en termes de langues officielles. Ce dont je me suis rendu compte, c’est qu’on avait besoin d’empathie. On avait besoin d’écoute. Donc, j’ai eu des conversations qui ont duré deux heures. Ça m’a coûté très cher en café, pendant des mois, mais ça a été un très bon investissement.

Je me suis rendu compte aussi que, lorsqu’on parlait de cohésion sociale, les tensions s’apaisaient, alors que si j’essayais d’amener les points de vue linguistiques en premier, on n’arrivait nulle part. En fait, les gens prenaient encore davantage position, si vous voulez, dans leurs opinions.

Ç’est ce qui nous a amenés au 28 avril. J’ai présenté au conseil d’administration deux voies. Je leur ai dit que Dialogue était en crise existentielle, si on peut dire, que les Néo-Brunswickois étaient confus quant au mandat de Dialogue, parce que chaque fois qu’il y avait quelque chose qui se passait en termes de bilinguisme au Nouveau-Brunswick, la société civile se tournait vers Dialogue : « Dialogue, qu’est-ce que vous allez faire? » Et Dialogue répond : « Non, nous, notre mandat, c’est le rapprochement. Ça ne nous touche pas. » Alors, ça alimentait la confusion.

Donc, ce que j’ai proposé au conseil d’administration, c’était deux choses. La première était de décider de s’afficher vraiment, de faire la promotion des langues officielles, de devenir même, peut-être, le prolongement du Bureau du commissaire aux langues officielles du Nouveau-Brunswick – l’option A.

L’option B : de prendre la voie d’actualiser notre mandat et de s’orienter vers la cohésion sociale. C’est celle-là, sénateurs et sénatrices, comme vous pouvez le voir, que nous avons entreprise, pour beaucoup de raisons, mais surtout pour alimenter la confiance et un climat — ça se cultive, un climat — d’appartenance et de confiance, et cetera.

Donc, en juin, nous avons officialisé le tout, et ce que je veux vous faire remarquer aussi, c’est que lorsque je parlais avec de nouveaux arrivants ou des gens des Premières Nations, dans mes consultations, les propos qui ressortaient étaient qu’on se sentait exclu. On parle de deux solitudes. On parle de deux communautés linguistiques. Où sommes-nous là-dedans? On nous exclut. Donc, même sans avoir de mauvaises intentions, on entretenait un discours exclusif, si vous voulez.

Alors, voilà pourquoi on est retourné à la case de départ après le feu vert du conseil d’administration à la fin avril. Pendant deux mois, nous avons reconsulté plein d’organismes, comme la SANB, la Anglophone Rights Association of New Brunswick, le Conseil multiculturel du Nouveau-Brunswick, ainsi que les Premières Nations du Nouveau-Brunswick, incluant les Micmacs et les Malécites. Tous ont appuyé unanimement notre pivot vers la cohésion sociale — tous! Les individus nous ont appuyés aussi dans notre démarche avec une nouvelle vision qui s’est officialisée à l’assemblée générale annuelle en juin. Et donc, maintenant, la vision que Dialogue Nouveau-Brunswick préconise est celle d’une province où chaque personne se sent écoutée, valorisée et comprise. Le mandat, comme on en a parlé, est de faire le rapprochement entre tous les Néo-Brunswickois.

Donc, pour ceux qui avaient vraiment un problème, qui se sentaient exclus, si vous voulez, avec le positionnement antérieur de Dialogue Nouveau-Brunswick, dans le fond, cet argumentaire-là n’existe plus dans notre nouveau mandat. C’est plus inclusif. C’est ça un peu le mandat que je véhicule tous les jours; je leur rappelle ceci : Dialogue Nouveau-Brunswick, c’est la seule entité à but non lucratif qui représente près de 730 000 Néo-Brunswickois en ce moment.

Donc, la façon d’intervenir dans les langues officielles, c’était de se préoccuper de la place qu’allait prendre la langue. En fait, c’est encore très présent. C’est juste qu’on change la façon d’avoir ce discours.

La semaine dernière, je présentais un programme dans la région de Kent, qui est pour les communautés de Dialogue. Il y avait 30 communautés présentes. Donc, Kent représente 20 communautés qui sont sans gouvernance locale; sept villages ou villes; trois communautés des Premières Nations, et on a parlé des langues officielles. Il y a une petite altercation qui s’est produite. Nous sommes intervenus — avec la permission du président, évidemment — et j’ai dit : « Bien, voilà! C’est une province où chaque personne se sent écoutée. » Cette vision-là, je la répète, parce qu’elle résonne.

Et encore une fois, les tensions ont disparu. Je les ai encouragés en disant que ce dialogue sur les langues officielles doit avoir lieu. Oui, on sera là pour l’entretenir avec eux, mais il faut s’assurer que les Premières Nations et les nouveaux arrivants seront à la table aussi, parce que quand on parle de deux communautés, il faut faire attention. Donc, quand on change ça, les gens se sentent plus inclus. Alors, ça, c’est le grand message que je veux vous laisser aujourd’hui.

Le président : Merci beaucoup, madame Duguay-Lemay. On aura l’occasion d’avoir plus d’échanges avec vous.

Suzanne Cyr, présidente, Festival Frye : Monsieur le président, honorables membres du Comité sénatorial permanent des langues officielles, au nom de mes collègues du conseil d’administration du Festival Frye, je vous remercie de l’invitation que vous nous avez faite. Sachez que nous sommes très sensibles à cette marque de reconnaissance à l’égard de notre organisation.

Alors, permettez-moi de vous présenter le Festival Frye en quelques minutes, le plus important festival littéraire au Canada atlantique. L’une des spécificités de l’événement est son caractère bilingue, à l’image de notre communauté. Depuis sa première édition en avril 2000, le Festival a su se tailler une place enviable et devenir un événement phare du secteur littéraire et culturel, non seulement au Nouveau-Brunswick et dans les provinces de l’Atlantique, mais à l’échelle du pays.

Donc, c’est avec beaucoup d’enthousiasme et de fierté que nous nous apprêtons à célébrer notre 20e anniversaire du 27 avril au 4 mai, et j’en profite d’ailleurs pour vous lancer l’invitation.

Chaque année, à la dernière semaine d’avril, le Festival accueille une quarantaine des plus grands noms de la littérature canadienne — 20 francophones, 20 anglophones — pour une célébration sous le signe de la découverte et du partage.

En réunissant des auteurs francophones et anglophones de notre région, et également des auteurs autochtones, du pays et d’un peu partout dans le monde, nous faisons la promotion de l’héritage littéraire bilingue du Canada et de Moncton.

Notre festival célèbre aussi la mémoire de Northrop Frye, critique littéraire, essayiste, penseur, humaniste de grande renommée qui a grandi à Moncton dans les années 1920, où il a développé les idées qui l’occuperaient le reste de ses jours, comme son engagement envers une société civile et informée. Il a d’ailleurs fréquenté l’école Aberdeen, devenue le magnifique Centre culturel Aberdeen, un lieu incontournable de la modernité acadienne.

La conception de Northrop Frye de la nation canadienne est d’ailleurs très éclairante et très inspirante pour nous, les organisateurs. Pour Northrop Frye, l’unité est le contraire de l’uniformité. Permettez-moi de le citer :

L’uniformité, où tout le monde est à sa place, utilise les mêmes clichés, pense et se conduit de la même façon, produit une société qui semble rassurante de prime abord, mais qui manque totalement de dignité humaine. La véritable union tolère le désaccord et se réjouit de la diversité des points de vue et des traditions.

Or, fort de cette inspiration et fidèle à sa mission de célébrer la lecture et l’écriture en créant des occasions de rencontre entre des auteurs et notre communauté bilingue, le Festival propose une programmation riche et variée, ouverte sur le monde, les styles et les gens, avec des lectures, entretiens, conférences, ateliers de création, soirées littéraires, tables rondes, lancements, activités jeunesse et autres plaisirs littéraires.

Une cinquantaine d’activités sont déployées dans des lieux différents de notre communauté pendant une semaine. Les activités se déroulent en français, en anglais et dans les deux langues simultanément.

Nous organisons aussi des événements tout au long de l’année. Par exemple, le 15 novembre prochain, nous organisons à l’Université Mount Allison un entretien avec Mark Critch, comédien de l’émission This Hour Has 22 Minutes, pour discuter de son dernier livre.

Alors, depuis la première édition du Festival en 2000, nous avons accueilli près de 600 auteurs de partout dans le monde, dont Margaret Atwood, Alistair MacLeod, France Daigle, Jean-Christophe Rufin, Herménégilde Chiasson, Kathy Reichs, Alexandre Jardin, Richard Ford, Yann Martel, Serge Patrice Thibodeau, Nancy Huston, Antonine Maillet, Diana Gabaldon, Marie-Claire Blais, Roch Carrier, pour ne nommer que ceux-ci.

Nous sommes particulièrement fiers de notre volet jeunesse, une composante importante du Festival. Lors de l’édition 2018, une centaine de visites scolaires ont eu lieu dans 53 écoles et centre communautaires, non seulement dans le Grand Moncton, mais aussi dans des communautés telles que Port Elgin, Salisbury, Elsipogtog, Saint-Louis-de-Kent, Notre-Dame, Hillsborough, Rogersville, Bouctouche et Memramcook.

Au-delà des visites en milieu scolaire, nous organisons aussi des activités pour tous les groupes d’âge, qu’il s’agisse d’écrivains en herbe où les élèves de la 5e à la 8e année font des lectures publiques, du Café Underground, mettant en vedette des auteurs de la 9e à la 12e  année, ou encore du concours provincial de création littéraire.

Nous avons aussi créé la Frye Académie, qui réunit un jury bilingue du secondaire. Tout au long de l’année, ce jury se rencontre pour débattre de quatre romans d’auteurs canadiens contemporains, deux en français et deux en anglais, et pour choisir un livre gagnant. Par la suite, l’auteur est invité à venir rencontrer les jeunes lecteurs.

Un événement de l’envergure du Festival ne serait pas possible sans l’appui de commanditaires généreux et de bénévoles merveilleux. Nous leur en sommes très reconnaissants.

Au Festival Frye, toutes nos actions sont guidées par l’amour de la littérature et notre conviction profonde que les mots et l’imagination ont le pouvoir de transformer la société, particulièrement dans notre contexte provincial, où le taux d’analphabétisme est très élevé, surtout chez les francophones. Tout comme Northrop Frye, nous croyons que, dans un monde où les certitudes s’affrontent, la littérature favorise l’esprit de tolérance.

À l’instar de l’écrivaine Dominique Demers, qui a prononcé cette année la conférence Antonine Maillet-Northrop Frye, nous sommes persuadés qu’avec 26 lettres nous pouvons changer le monde dans les deux langues officielles.

Je vous remercie.

Le président : Merci pour vos présentations. Nous allons maintenant commencer notre échange, en commençant par le sénateur McIntyre.

Le sénateur McIntyre : Merci à vous trois pour vos présentations.

D’abord, je m’adresse à Dialogue Nouveau-Brunswick. Je pense que vous avez très bien résumé la situation, madame Duguay-Lemay, en nous disant que le mandat de votre organisme est de contribuer à la cohésion sociale dans la province par la compréhension, le respect et l’harmonie.

Cela étant dit, je comprends que vous organisez des cafés linguistiques à Moncton. Pourriez-vous nous en parler un peu?

Mme Duguay-Lemay : Merci, sénateur McIntyre.

Alors, le café linguistique, en fait, maintenant, c’est un Café Dialogue qui est un projet pilote. Nous ne l’avons pas encore démarré. Ça va commencer en janvier, en partenariat avec le Festival de l’humour HubCap, où nous allons lancer un concours. Vous entendez donc tout ça en primeur. Maxime et moi, on lance ça en primeur. Ça s’est fait cette semaine. Alors, nous allons lancer un concours chez les jeunes, afin qu’ils nous présentent ce que ça veut dire pour eux de vivre au Nouveau-Brunswick. Donc, il y aura de petites capsules humoristiques qui seront suivies par le Café Dialogue, avec des humoristes, qui vont faire de petites présentations, dont Monika Kimmel, une nouvelle arrivante, et c’est très bien. Et ça nous permettra des échanges, justement, avec ces humoristes et ces jeunes, pour connaître leurs perspectives. Donc, ça me fera plaisir de faire un suivi en janvier, après cette édition.

Le sénateur McIntyre : Parfait.

Peut-être une deuxième question. Je comprends que vous avez reçu de l’appui du gouvernement fédéral en ce qui concerne les projets visant les jeunes. Pourriez-vous nous en dire davantage à ce sujet?

Mme Duguay-Lemay : Oui. Est-ce que vous parlez de notre entente fédérale-provinciale et du financement que nous recevons?

Le sénateur McIntyre : Oui.

Mme Duguay-Lemay : Alors, c’est-à-dire qu’effectivement, la jeunesse est au cœur de notre plan d’action, ainsi que les communautés et la recherche. Ce que nous faisons pour la jeunesse, c’est que nous avons mis en place un laboratoire de cohésion sociale, et c’est tout simplement un lieu à la fois physique et virtuel permettant à des jeunes d’essayer des choses.

Donc, la première initiative que nous avons lancée, c’est que nous avons choisi sept jeunes à la grandeur du Nouveau-Brunswick âgés de 15 à 30 ans, qui ont des idées de rapprochement, surtout au moyen de projets communautaires, et nous allons les outiller au cours de sept mois à l’aide de formations, de mentorat et de ce qu’on appelle du « seed money », donc un peu de financement pour démarrer leurs projets. Le but, c’est que dans sept mois, avec Dialogue dans le laboratoire, leur projet sera déployé. Il y a des projets absolument fantastiques. On a un jeune de 16 ans de l’école Louis-J.-Robichaud qui a un beau projet de rapprochement, justement. Alors, ça, c’est l’approche.

Le sénateur McIntyre : Très bien.

Madame Cyr, votre organisme a été fondé en 1999. Il existe depuis une vingtaine d’années. D’ailleurs, c’est le plus important festival littéraire de l’Atlantique. Alors cela étant dit, je lisais dans l’Acadie Nouvelle de ce matin que Mme Émilie Turmel devient la nouvelle directrice générale du Festival Frye en Atlantique à compter du 5 novembre.

Mme Cyr : Oui.

Le sénateur McIntyre : Je pense que c’est très bien. Elle a un très beau parcours professionnel, donc c’est un ajout pour votre organisation.

Je comprends que le défi de la littératie occupe une grande place dans votre festival. Pourriez-vous nous en dire un peu plus?

Mme Cyr : En fait, la littératie occupe une place — je ne dirais pas une très grande place —, c’est-à-dire que toutes nos actions sont guidées par notre désir de transmettre le goût de la lecture et de l’écriture aux jeunes.

Le sénateur McIntyre : Mais il y a un défi là, n’est-ce pas?

Mme Cyr : C’est clair. Et on a entrepris aussi des activités avec des organismes d’apprenants adultes. Donc, on choisit un roman qu’on donne à ces groupes d’apprenants, et lorsque l’écrivain vient les rencontrer, ça provoque toujours des moments très émouvants, parce que ce sont des apprenants adultes et ils disent à l’écrivain ou à l’écrivaine : « Quand je vais savoir lire, monsieur, je vais lire ton livre. Je ne suis pas encore capable. » Or, ce ne sont pas des enfants d’école. On parle de groupes d’adultes. Donc, on a des collaborations avec un groupe d’apprenants adultes anglophones, et un groupe de francophones.

Ce n’est pas dans notre mission fondamentale. L’alphabétisme par ricochet, oui, mais on veut transmettre le goût de la lecture et de l’écriture aux gens du Nouveau-Brunswick, province qui est confrontée à un taux d’analphabétisme très élevé.

Le sénateur McIntyre : D’accord.

La sénatrice Gagné : Merci d’avoir accepté notre invitation. Je dois avouer que ça fait du bien de revenir à Moncton. Le Nouveau-Brunswick a été pour moi une province d’accueil. Il y a quand même plusieurs années, mais j’aime bien y retourner, y revenir.

J’ai apprécié aussi vos présentations, parce que ça nous a permis de vous connaître davantage et de constater aussi la panoplie d’activités sur le terrain qui visaient justement à entretenir un dialogue avec les gens, autant pour vous, le Festival Frye, que Dialogue Nouveau-Brunswick.

Notre étude porte sur la modernisation de la Loi sur les langues officielles, et j’aimerais peut-être vous entendre sur la façon dont vous êtes interpellées par la Loi sur les langues officielles? Comment ça vous interpelle, cette loi-là?

Mme Duguay-Lemay : Vas-y.

Mme Cyr : Je vais vous répondre. Nous, en fait, le Festival Frye est un organisme sans but lucratif. On n’est pas régi par la Loi sur les langues officielles, mais on est très préoccupé par le bilinguisme, et toutes nos activités sont bilingues. Toute notre paperasse et nos programmes aussi. Donc, ce n’est pas quelque chose de coercitif pour nous. Au contraire, c’est dans une volonté de communiquer avec les deux communautés linguistiques qu’on prépare tout dans les deux langues. J’aurais dû, d’ailleurs, faire mon discours dans les deux langues, mais j’ai manqué de temps pour faire la traduction.

Donc, être interpellé par la Loi sur les langues officielles, je dirais plutôt par les langues officielles. La loi, pour nous, ce n’est pas…

La sénatrice Gagné : D’accord. Je vais poser une question de suivi par la suite, et je vais demander peut-être une réponse de la part de M. Bourgeois.

Maxime Bourgeois, administrateur, Dialogue Nouveau-Brunswick : Merci, madame la sénatrice. Je pense que du point de vue de Dialogue, par les langues officielles, à la base, on cherche à reconnaître les particularités de notre pays quant à la composante linguistique. Dialogue Nouveau-Brunswick cherche à favoriser la cohésion sociale, et je pense que la Loi sur les langues officielles, en reconnaissant le statut officiel de la langue de certaines personnes, complète le mandat de Dialogue. Notre mandat a changé avec les années. C’est une question difficile, tout de même.

La sénatrice Gagné : Ce que j’entends, finalement, c’est que ce n’est pas dans votre esprit, et vous ne passez pas votre temps à lire la Loi sur les langues officielles.

Mme Duguay-Lemay : Peut-être plus Maxime.

La sénatrice Gagné : D’accord. Mais c’est que, finalement, vous rendez un service à votre communauté en les rapprochant, en engageant les gens dans une vie, que ce soit en français ou en anglais.

M. Bourgeois : La Loi sur les langues officielles encourage les Canadiens à vivre dans leur langue, et au niveau de la fonction publique, à travailler dans leur langue. Notamment, la partie VII cherche à faire la promotion de l’épanouissement des communautés linguistiques.

Par défaut, nous, à Dialogue Nouveau-Brunswick, on cherche à faire en sorte que tout le monde se sente bien en tant que Néo-Brunswickois, donc on va écouter, valoriser, et cetera. Puis je pense que la reconnaissance de la langue maternelle est un pas dans cette direction-là. Donc, je pense que les deux, que ce soit le Nouveau-Brunswick et la LLO, se complètent bien.

La sénatrice Gagné : J’aimerais poursuivre la réflexion. Il y a certains témoins, toujours dans le contexte de la modernisation de la loi, qui ont demandé que la loi puisse affirmer l’importance des arts et de la culture comme facteur de vitalité des communautés de langue officielle en situation minoritaire. Il y en a qui ont aussi mentionné que c’était important d’inclure dans la loi des objectifs qui sont très précis, en ce qui a trait aux arts et à la culture, et d’établir un lien clair entre la langue et la culture, qui l’accompagne. J’aimerais vous entendre là-dessus.

Mme Cyr : Ce que je trouve merveilleux comme approche, c’est de reconnaître un secteur d’activités qui est au cœur de nos cultures, qui est au cœur de nos communautés. Et je dis toujours au Festival Frye qu’on est une force tranquille, parce que c’est dans un contexte culturel. C’est dans un contexte agréable. C’est dans un contexte de plaisir, où il n’y a pas de grands débats économiques. Et je me dis que tout le travail qu’on fait en ce qui a trait au respect des deux langues officielles de notre communauté, nous en sommes très heureux.

Et pour répondre à votre question, je trouve que c’est une idée extraordinaire.

Mme Duguay-Lemay : En fait, c’est en termes de rapprochement, parce que si vous regardez les activités que Dialogue Nouveau-Brunswick propose dans son offre de programmes et de services, beaucoup de choses, en fait, gravitent autour des arts et de la culture, parce que c’est un acteur important. C’est un mécanisme de rapprochement. J’ai parlé de l’humour, tantôt, des artistes, des capsules, des vidéos, de l’art médiatique, et cetera. Ça, c’est au cœur. Je vous confirme qu’à titre d’ancienne directrice générale du Centre des arts et de la culture de Dieppe, j’applaudirais ça. Et je vous inviterais à faire un suivi au mois d’août 2019, car nos experts en résidence sont en train de nous doter d’une stratégie sur la cohésion sociale au Nouveau-Brunswick. Une de ces expertes, en fait, a une maîtrise en arts, et c’est justement une de ces intersections qui l’interpellent beaucoup, la langue et la culture. Donc, j’aimerais lui relancer la question ou le positionnement et vous revenir afin de vous partager cette stratégie au mois d’août.

La sénatrice Gagné : Merci.

La sénatrice Mégie : Ma première question s’adresse à Mme Duguay-Lemay. Vous parliez tantôt de cohésion sociale. Quand ça discute fort ou que ça se chicane un peu, concrètement, qu’est-ce que vous leur dites pour calmer les tensions?

Mme Duguay-Lemay : Je vais vous avouer, j’utilise exactement le même langage que je fais avec les gens. Je vais leur dire ceci : « Toi et moi, nous habitons cette province. On se doit de collaborer dans le but de faire avancer la province. On est d’accord? » Et les gens sont d’accord avec ça. Donc, c’est ça, notre point de départ. C’est comme ça, et ça marche à tout coup. Je n’ai encore rencontré personne qui ait été en désaccord avec le désir de collaborer. Quand on le positionne comme ça, on s’entend.

La sénatrice Mégie : Mais le Nouveau-Brunswick a déjà sa Loi sur les langues officielles. Est-ce que ça vous est arrivé de vous en servir — ou pas du tout — dans votre dialogue avec eux?

Mme Duguay-Lemay : La réponse, c’est oui. Au début, comment je m’en servais, c’était en disant que nous, à Dialogue, comme Maxime l’a dit, notre vision est celle d’une province où chaque résidant se sent écouté, valorisé, chez lui. Donc, aussitôt qu’il y a un pourcentage de la population ou une communauté, qui pourrait être aussi bien la communauté linguistique que la communauté LGBTQ — d’ailleurs, cette semaine, je travaille sur ce dossier-là — on va intervenir et on est guidé par les principes directeurs.

Pour les communautés linguistiques, ça devrait être facile, parce qu’il y a la loi, non seulement fédérale, mais aussi la Loi sur les langues officielles au Nouveau-Brunswick.

Donc, ce que je dis comme argumentaire, c’est qu’on ne va pas remettre en question ces acquis-là. La loi, elle existe. Quand ça pousse plus loin et qu’on dit qu’elle va cesser d’exister, il s’agit des extrémistes.

La sénatrice Mégie : D’accord.

Mme Duguay-Lemay : Moi, je leur réponds en leur souhaitant bonne chance avec ça; cependant, c’est inscrit dans la Charte des droits et libertés. Je ne pense pas que c’est ça la discussion qu’on devrait avoir. Et là, ça change. On change de discussion.

Alors, c’est comme ça que je m’en sers, de dire qu’on ne remet pas ça en question, car c’est un acquis. C’est là. Ça fait partie de la Charte. Mais je fais comprendre aussi d’une certaine façon que ce n’est pas aussi évident que ça, de changer.

La sénatrice Mégie : D’accord. Et justement, votre présence ici prouve que vous voulez participer à l’effort de modernisation de la loi, donc je ne sais pas dans quelle mesure vous pouvez vous servir de ça pour surenchérir.

Mme Duguay-Lemay : Bien, je vais inviter Maxime à intervenir à ce sujet.

M. Bourgeois : Au niveau de la modernisation de la Loi sur les langues officielles, je pense que selon Dialogue, il y a deux points qu’on aimerait dire d’abord. Premièrement, c’est la question de la promotion. Je pense qu’au Canada plusieurs pensent que la Loi sur les langues officielles, c’est une question d’accommodement et non une valeur fondamentale canadienne. Je pense que le gouvernement fédéral a la responsabilité d’en faire la promotion et de s’assurer que les gens comprennent bien l’importance des valeurs qui en découlent, que ce soit dans le contexte de l’offre active, ou le fait que les droits linguistiques découlent d’une approche réparatrice des erreurs du passé, ou quelque chose comme ça. Je pense que c’est important d’en faire la promotion, et des valeurs qui en découlent.

Deuxièmement, en termes de modernisation, je pense qu’on a besoin de développer un modèle et une loi où on peut avoir une certaine position de leadership, à un moment donné, par exemple, quelqu’un qui pourrait vraiment prendre en charge les dossiers et en faire la promotion, et être vu comme le leader, que ce soit le commissaire ou le ministre du Patrimoine canadien. Je pense que nos interventions se développent dans ces deux cas-là.

La sénatrice Mégie : Merci.

La sénatrice Moncion : Moi, je trouve ça tellement intéressant de vous entendre, parce que vous avez une façon de vous exprimer, dans le choix des mots et aussi dans les définitions que vous donnez aux mots, qui sont beaucoup plus larges que celles du dictionnaire. Par exemple, je pense que c’est vous qui avez parlé de l’union versus l’uniformité, où vous avez vraiment donné la définition d’uniformité par rapport à tout ce que vous faites au niveau de l’union. Dans votre cas, c’est tout ce qui touche la cohésion sociale et comment vous arrivez à faire de la cohésion sociale. Je trouve ça très intéressant comme information.

Au niveau du Plan d’action pour les langues officielles, est-ce que vous recevez du financement? En fait, la question que je voudrais vous poser, c’est à savoir comment vous financez vos activités dans différents organismes.

Mme Duguay-Lemay : Alors, dans le cas de Dialogue Nouveau-Brunswick, la grande majorité du financement à l’heure actuelle provient justement de l’entente fédérale-provinciale sur les langues officielles. Ça varie au fil des années et pour nous c’est transmis par l’entremise du ministère des Affaires intergouvernementales, qui est notre bailleur de fonds. Alors, oui, c’est près de 95 p. 100, ce qui représente des sommes d’environ 320 000 $ l’an dernier, 450 000 $ cette année, qui assurent nos opérations ainsi que notre programmation.

J’aimerais vous spécifier que moi, j’ai vraiment une stratégie de diversification, parce que ça devient, en fait, un argumentaire contre Dialogue, le fait qu’on reçoit du financement de cette source. Je le dis en toute humilité. Mes propos sont vraiment très candides, pour vous partager l’état des lieux sur le terrain.

Je dis souvent que j’ai très hâte au jour où Dialogue pourra bénéficier de cet argent-là pour renflouer les programmes, mais que son financement de base proviendra des citoyens. Le jour où on pourra faire ça, c’est là que je vous dirai que la cohésion sociale au Nouveau-Brunswick est vraiment assurée.

Mme Cyr : Pour ce qui a trait au Festival Frye, notre financement provient, à un tiers, de Patrimoine canadien, du Conseil des arts du Canada et du gouvernement du Nouveau-Brunswick, et nous sommes très fiers de pouvoir dire à nos bailleurs de fonds que nous allons chercher un tiers du financement auprès de la communauté, des commanditaires au privé et des donateurs. Donc, ça, c’est un aspect de notre festival qui nous réjouit, qui demande beaucoup de travail, parce qu’on est dans une petite communauté, évidemment, et tout le monde veut un morceau de la tarte. Donc, c’est ça. Mais c’est essentiellement de là que provient notre financement.

La sénatrice Moncion : Alors, quant au financement des programmes qui a été annoncé dans le cadre du Plan d’action pour les langues officielles, ou en tout cas, pour Patrimoine canadien, le gouvernement canadien a ajouté quand même pas mal d’argent dans la cagnotte. Vous aviez déjà, je crois, accès à un financement de base. La majorité des organismes qu’on a rencontrés nous ont mentionné que ça fait longtemps que le financement de base est plafonné, donc vous n’avez pas beaucoup d’espace pour prendre de l’expansion.

Mme Duguay-Lemay : Oui.

La sénatrice Moncion : Quant à ce nouveau financement, vous semblez avoir reçu des sommes additionnelles, si je comprends bien. Non?

Mme Duguay-Lemay : Non, non. Alors, nous, rien n’a changé. Le fonds dont vous parlez, probablement parce que je suis nouvelle et pas assez connaissante de tout, j’ai manqué la date butoir en septembre pour manifester une lettre d’intention pour obtenir du financement additionnel. Toutefois, je cherche à renforcer les capacités de nos communautés avec le programme Communautés Dialogue, que nous avons en ce moment, auquel je suis très fière de vous dire que 35 communautés ont adhéré. Je pense que c’est décembre qui est la date butoir, alors peut-être qu’on va essayer avec ce volet-là pour renforcer les capacités des communautés.

Mme Cyr : L’année dernière au Festival on a eu un montant, sous une enveloppe, pour favoriser l’exportation — j’oublie le nom du programme —, mais finalement, ce qu’on a pu réaliser à travers ça, c’est d’accueillir quatre intervenants du monde littéraire de la Suède, deux responsables du plus gros festival de Suède, une éditrice et une journaliste. Donc, tout est dans la mouvance, car ils viennent ici et repartent chez eux, mais notre financement n’a pas été augmenté, nous non plus, et il s’agit de différents programmes comme ça.

La sénatrice Moncion : Je vais revenir plus tard vous parler encore de chiffres.

Le président : Très bien.

Alors avant de passer au deuxième tour, je vais à mon tour vous poser quelques questions.

D’abord, je vous remercie pour la vision que vous avez des langues officielles, et aussi de cette idée de rapprochement. Vous faites partie des organismes qui sont porteurs de sens et porteurs de vision dans nos actions.

On est, nous, dans le mode de moderniser la Loi sur les langues officielles, alors j’essaie de voir comment on pourrait inscrire cette vision-là à l’intérieur de la Loi sur les langues officielles. Il y a un préambule à la loi qui en énonce l’objet. Comment pourrait-on traduire cette vision que vous avez à l’intérieur de la Loi sur les langues officielles? Alors, quand vous parlez, par exemple, de cohésion sociale, comment peut-on définir ça dans une loi? Qu’est-ce qu’on dit par rapport à ça? Qu’est-ce que c’est, la cohésion sociale, dans le contexte législatif, par exemple? Si vous avez des idées.

Je vous lance ma série de questions et vous verrez comment y répondre. Ça, c’est la première chose, cette vision qui donne un sens, en fait, à tous les mécanismes de mise en œuvre de la loi. Comment peut-on traduire ça dans la loi?

Autre question pour vous. Le Nouveau-Brunswick a une Loi sur les langues officielles, mais le Nouveau-Brunswick a également une loi qui établit l’égalité des communautés linguistiques. On sait que, dans la Charte canadienne des droits et libertés, cette notion apparaît. Est-ce que ça devrait apparaître, à votre avis, dans la modernisation de la Loi sur les langues officielles fédérale? Est-ce qu’on devrait inscrire dans la loi fédérale cette notion d’égalité des deux communautés linguistiques du Nouveau-Brunswick, qui est bien spécifique à la réalité du Nouveau-Brunswick, qui est une province bilingue au Canada? Ça, c’est ma deuxième question.

Et ma troisième touche les mécanismes de rapprochement. En fait, ce qu’on entend, c’est que la loi, de par sa mise en application, de par sa mise en œuvre, permet aux communautés linguistiques en milieu minoritaire, de façon spécifique — les anglophones au Québec, les francophones à l’extérieur du Québec —, de se développer et d’acquérir les outils dont elles ont besoin pour se développer. Maintenant, ce qui favorise le rapprochement… Et si ma mémoire est bonne, on cherchait à comprendre à un moment donné s’il y avait des programmes réels pour favoriser le rapprochement entre les deux communautés. Je voudrais vous entendre là-dessus, sur l’importance, peut-être, que cette loi ouvre la porte à cette idée de mécanisme de rapprochement.

Mme Duguay-Lemay : Vas-y.

Mme Cyr : Je vais te laisser penser, Nadine.

En ce qui concerne tout l’aspect législatif, je disais ceci à M. Michaud : « Nous, on fait un festival et puis on ne se questionne pas chaque jour, mais on a le bonheur et le privilège de vivre dans un pays bilingue, dans une province bilingue et dans une ville bilingue, à Moncton. » Donc, je pense que chaque jour, comme francophone minoritaire, c’est un atout, parce qu’on vit mieux notre vie. On s’épanouit dans une communauté qui accepte et qui valorise la différence.

Les mécanismes de rapprochement, je vous dirais que c’est la créativité des gens qui font le Festival, qui ont fondé le Festival et qui continuent de le porter. C’est la créativité qui produit des mécanismes de rapprochement, des activités. On essaie des choses et on se rend compte que ça, ça fonctionne, et que ça, ça ne fonctionne pas. Il y a des formules dans le Festival — notre vingtième cette année — des formules bilingues qui sont trop stériles, et on s’ajuste au fil des années.

Le président : Quand vous dites ça, c’est dans quel sens? Qu’est-ce que vous voulez dire par « trop stériles »?

Mme Cyr : Trop législatif, justement. Par exemple, quand on fait une réunion du conseil d’administration, on ne calcule pas les minutes parlées en français, en disant : « Toi, tu viens de parler 15 minutes en français. »

Mais il y a un respect mutuel qui s’installe — c’est incroyable —, et ça se fait par osmose. Donc, ce sont des activités où on ne met pas le bilinguisme dans la gorge des gens. Ça se fait organiquement, je dirais. Je ne sais pas si c’est trop abstrait, mais il s’agit d’avoir des activités où on ne comprend pas toujours ce que l’autre lit ou ce que l’autre dit, mais on a le respect de garder le silence et d’écouter.

L’année dernière, il y avait une écrivaine de la Norvège qui a fait une lecture dans sa langue maternelle et c’était extraordinaire. On ne comprenait rien, mais on pouvait entendre les mouches voler dans la salle, parce que c’était extraordinaire. C’était un moment d’extase. Alors, je me dis que, avec la littérature, avec le partage d’idées, le partage de deux langues, parfois trois, avec les communautés autochtones, on arrive à trouver des mécanismes de rapprochement, mais il n’y a pas de recette officielle. C’est ce que je vous dirais.

Mme Duguay-Lemay : Alors, merci, sénateur Cormier, pour la question, que je trouve magnifique, parce que quand on parle de vision on alimente les gens. Et vous avez sûrement noté que j’ai plus utilisé la description de notre vision que je ne l’ai fait de notre mandat. Il y a une raison pour ça. Les gens ont besoin de savoir où on s’en va.

Alors, dans un préambule à une loi, qu’est-ce qu’on cherche à accomplir dans le paysage sociodémographique actuel? Qu’est-ce que ça veut dire? Où est-ce qu’on est rendu? Qu’est-ce qu’on cherche à accomplir? Où veut-on s’en aller? Et comment peut-on employer un langage, comme je l’ai bien dit tantôt, qui n’exclut pas nos peuples autochtones ni les nouveaux arrivants. C’est une nuance tellement importante.

Alors, moi, je vous encouragerais vraiment dans ce sens-là. Il me fera plaisir encore une fois de partager tous les outils que nous avons à notre disposition en termes de définition de cohésion sociale et de vision.

En termes de rapprochement, je laisserai Maxime en parler en ce qui a trait à la loi. C’est lui qui est plus connaissant.

Moi, je vais vous citer, en fait, deux expériences qui sont tout à fait fabuleuses. Pour faire comprendre un point de vue qui est complètement opposé au nôtre, il faut passer par les expériences vécues, n’est-ce pas? C’est vraiment de se placer dans le contexte.

Moi, j’ai eu la chance et le privilège de participer à la Conférence du gouverneur général. Je suis allée au Nunavut en 2015 au moment de la publication du rapport de la Commission de vérité et réconciliation. Je ne suis plus capable de voir les Premières Nations de la même façon. J’entretiens ce discours, parce que je l’ai vécu. J’ai visité huit communautés au Nunavut.

Ici, au Nouveau-Brunswick, on avait 21 Inc, dont j’étais à la tête pendant trois ans, qui visait le même genre de rapprochement. Donc, on choisissait 21 jeunes qui faisaient le tour du Nouveau-Brunswick. On amenait des gens de St. Andrews, qui n’étaient jamais allés à Caraquet, et vice versa.

Ce sont des expériences comme ça, et je peux vous citer Oprah Winfrey, qui l’a fait avec les républicains et les démocrates, et Heineken, qui a fait la campagne Worlds Apart. Moi, cette année, je suis arrivée et je devais livrer une programmation avec seulement deux mois à l’intérieur de mon mandat, mais je peux vous promettre que c’est ça, les idées de rapprochement que j’ai, c’est de faire vivre des expériences aux gens et de les mettre dans des situations où ils sont dépaysés, d’aller dans d’autres communautés. C’est ça, la piste de solution.

En fait, si vous n’êtes pas encore partenaires de la Conférence du gouverneur général, certainement, c’est un bon mécanisme, ou ça peut être un bon moyen de l’inciter, justement.

M. Bourgeois : Pour répondre à la deuxième question en ce qui concerne l’idée de l’intégration des communautés de langue officielle en leur donnant un statut officiel, moi, je pense que c’est une très bonne idée. Je pense qu’au Nouveau-Brunswick, ça nous a vraiment permis de nous épanouir et de nous identifier aussi comme Néo-Brunswickois.

Le fait que cette partie manque dans la Loi sur les langues officielles aujourd’hui fait justement en sorte que les francophones hors Québec, peut-être à l’exclusion du Nouveau-Brunswick, se sentent comme si la Loi sur les langues officielles, c’est une question d’accommodement et non un droit fondamental. Donc, lui donner ce statut officiel, je pense, serait un pas dans la bonne direction.

Mme Duguay-Lemay : Je peux renchérir? L’une des choses dont on a beaucoup discuté, en fait, comme conseil d’administration, à ce point-là, était le fait que la Loi sur les langues officielles au Nouveau-Brunswick découle, en fait, de la loi fédérale, n’est-ce pas? Laquelle découle, en retour, de la Charte. Et ça, ce n’est pas assez connu. Donc, le fait de l’incorporer, justement, pourrait renflouer cette notion d’importance.

Nous avons eu Mélanie Joly, la ministre, au cours de sa tournée, qui est arrivée au Nouveau-Brunswick et qui ne comprenait pas les perspectives d’ici. Elle disait qu’en Alberta, les gens veulent apprendre le français. On voit à quel point c’est important, et au Nouveau-Brunswick, vous avez le statut officiel. Mais quand on en parle, on se rend compte que les gens ne saisissent pas cette nuance-là. On ne leur enseigne pas l’importance de tout ça.

M. Bourgeois : Je viens juste d’y penser. Une des choses qui pourraient être intéressantes en ce qui concerne la modernisation de la loi, c’est de voir si la loi fédérale va être rédigée de manière à favoriser une collaboration étroite avec les différents paliers provinciaux qui travaillent dans le domaine des langues officielles. Ça, ça pourrait être intéressant. Parce qu’on parle beaucoup de la loi provinciale et fédérale au Nouveau-Brunswick, mais on pourrait prévoir la collaboration avec le commissaire, avec les services en français en Ontario, et cetera. Donc, c’est peut-être une bonne idée d’explorer les possibilités pour voir comment on peut rédiger la loi pour rapprocher les deux instances.

Le président : Merci.

Mme Cyr : Je voudrais juste renchérir sur ce que Mme Duguay a ajouté à propos du volet expérientiel. Je suis tout à fait d’accord et on le voit depuis 20 ans au Festival Frye, des événements et des activités, comme l’Académie Frye, avec des jeunes de l’école Riverview qui côtoient – ce sont des activités parascolaires —, un samedi matin, des jeunes de l’école Mathieu-Martin. Ce qui les unit, c’est un livre d’un auteur canadien, qu’il soit francophone ou anglophone, et il y a un respect mutuel qui se dégage, parce qu’ils se côtoient et qu’on démystifie les choses. C’est ça, le mot.

Le président : D’accord. Merci beaucoup.

Le sénateur McIntyre : Dialogue Nouveau-Brunswick, votre organisme met l’accent sur les échanges entre les communautés francophones et anglophones. Au cours de ces échanges, est-ce qu’on aborde des sujets qui demeurent assez chauds, depuis des années, des sujets de nature politique au Nouveau-Brunswick, des sujets comme l’élimination du transport scolaire homogène, le fusionnement des régies de la santé, ou l’abolition du Commissariat aux langues officielles? Est-ce qu’on aborde ces sujets, et le cas échéant, est-ce que c’est négatif ou positif?

Mme Duguay-Lemay : Alors, en fait, dans la nouvelle approche de Dialogue, c’est très inclusif, et nous faisons exprès de ne pas dire que c’est un rapprochement juste entre ces deux communautés-là. Donc, on dit bien, dans notre programme Communautés Dialogue, par exemple, que les quatre groupes culturels que nous retrouvons au Nouveau-Brunswick, qui sont les Anglo-Saxons, les francophones — qui incluent les Acadiens et Brayons —, les Micmacs et Malécites, donc nos peuples autochtones, et les nouveaux arrivants, sont à la table. Donc, déjà là, en entretenant ce langage-là, ça change la donne.

Est-ce que nous abordons ces sujets-là? En fait, je vais vous donner l’exemple d’aujourd’hui. Parce que je vous ai mentionné brièvement tantôt qu’on était en train d’intervenir auprès de la communauté LGBTQ, et vous allez voir le parallèle que je vais faire. Alors, à Chipman cette semaine, il y a eu la levée du drapeau hétérosexuel. Ça a été perçu comme une insulte à travers le monde. Encore une fois, oui, ça nous touche, car nous voulons une province où chaque personne se sent écoutée et valorisée chez elle. Donc, là, présentement, il y a un pourcentage élevé de la population qui ne se sent pas comme ça. Et de plus, c’est que ça alimente la société civile et ça divise.

J’ai pris le temps de lire 600 commentaires hier, sur la page Facebook du village de Chipman. On est rendu à dire qu’aucun drapeau ne devrait voler. Donc, quand on est rendu dans des propos comme ça, ça veut dire qu’on parle aussi du drapeau acadien. Ça veut dire qu’on s’en va vers ces propos-là.

Alors, j’ai appelé le maire de Chipman. Je lui ai offert notre aide, avec Dialogue, et l’approche étant de dire qu’avec nos experts en résidence, on peut faciliter un dialogue. C’est à eux de voir si c’est un forum public ou non. Sinon, je l’ai invité, par la même occasion, à joindre notre programme Communautés Dialogue, parce que les objectifs de ce programme sont d’exclure la marginalisation, de cultiver un sentiment d’appartenance et de confiance et de créer des rapprochements. C’est tout ça, les objectifs.

Donc, je suis en train de répondre de façon détournée à votre question précise, mais ça s’en vient, l’occasion de parler de ces choses-là. J’ai plus de discussions en coulisses, présentement, parce que c’est comme ça qu’on peut découvrir ce que les Néo-Brunswickois pensent vraiment. On est encore là-dedans. Quand on dit une chose, jusqu’où peut aller cette pensée-là? Tant qu’on n’est pas au courant de ça, ça va être dur de commencer tout de suite à se positionner publiquement sur plein de choses.

Et on voit le climat politique actuel, où on a un gouvernement qui n’est pas encore nécessairement fondé. Donc, je vous dirais qu’on est encore à l’étape de la recherche, mais mon message, c’est que nos programmes sont déjà un peu en train d’apaiser, si vous voulez, ou de permettre une tribune pour faire ces échanges-là.

Le sénateur McIntyre : Les sujets que j’ai à aborder sont plutôt des sujets de nature politique, mais par contre, ce sont des sujets qui préoccupent beaucoup les Néo-Brunswickois et les Néo-Brunswickoises.

Mme Duguay-Lemay : Oui, tout à fait, et c’est pour ça qu’il n’y a pas longtemps, en fait, après le résultat des élections, nous avons publié un communiqué public pour offrir notre aide aux quatre chefs des partis politiques, pour leur dire que nous sommes là pour les aider, parce que peu importe le résultat, ça alimente, justement, la division au sein de la société civile.

Mais lorsqu’on parle aussi de leadership, sénateur McIntyre, c’est un peu ça. Au Nouveau-Brunswick, je vais vous dire très franchement, c’est devenu un sujet tabou de parler de bilinguisme et de langues officielles. Nos politiciens vont même… Encore une fois, je n’ai rien à cacher. On m’a carrément dit ceci : « Ne parle pas de ça, Nadine. C’est toxique. » Alors, vous voyez le climat? Donc, quand on parle de leadership, le voilà. Avec une vision, en assumant une position, nous, on peut aller faire notre travail auprès de la société civile. Mais si j’endosse un message auprès de la société civile qui n’est même pas endossé du côté du gouvernement, ça va mal.

Alors, c’était pour mettre un peu plus de couleur et de contexte à ma réponse.

Le sénateur McIntyre : Alors, je comprends la création de Dialogue Nouveau-Brunswick et du Festival Frye.

La sénatrice Moncion : Pour revenir aux fameux chiffres de tout à l’heure, dans votre financement de base, où allez-vous chercher vos compléments?

Mme Duguay-Lemay : Alors, pour nous, c’est du côté des communautés, donc des municipalités, soit les 35 municipalités dont je vous parlais. Ça permettra de renflouer notre budget de 10 p. 100. Du secteur privé, il est prévu aussi qu’on aille chercher un autre 10 à 15 p. 100. Et le reste provient d’autres sources gouvernementales, d’autres programmes, comme Opportunités Nouveau-Brunswick, par exemple, qui nous voit comme un acteur de développement économique, parce qu’on travaille avec les communautés. Est-ce que ça répond à votre question?

La sénatrice Moncion : Oui. Et dans le cas du Festival Frye?

Mme Cyr : On a des commanditaires privés, comme les banques; la Banque TD est un commanditaire important de notre festival. Les municipalités, les villes de Moncton, de Dieppe et de Riverview contribuent également au Festival. Et on fait une campagne auprès de médecins, dans les deux hôpitaux, des espèces de campagnes auprès des amis du Festival. On va chercher un peu de sous de cette façon, et auprès des commanditaires privés, des entreprises de notre communauté.

La sénatrice Moncion : Quelles sont les retombées économiques du Festival?

Mme Cyr : On avait fait une étude il y a quelques années. J’espère qu’elle est encore à jour. Mais on parlait de 3 millions de dollars de retombées. Mais c’est quand même une cinquantaine d’écrivains qui descendent, des détails. Pendant une semaine, il y a un buzz au centre-ville, donc les restaurants, les salles, les locations. On va au Théâtre Capitol. On va au Centre Aberdeen. On va au Théâtre l’Escaouette. Donc, il y a la location de ces espaces culturels.

Le président : Merci beaucoup.

La sénatrice Mégie : Monsieur Bourgeois, tout à l’heure, vous avez dit, en répondant à une de nos questions, qu’il faudrait que, dans la loi fédérale, on s’organise pour qu’elle fasse la promotion de la dualité linguistique. Pensez-vous que des organismes comme le vôtre, s’il en existait dans d’autres provinces, ou même plusieurs organismes au Nouveau-Brunswick, pourraient agir à titre d’instigateurs de tout ça, pour faire suite à la publication de tout ce qui sortirait de la modernisation? Ou bien vous ne voyez pas de rôle du tout? Je ne sais pas; je vous pose la question.

M. Bourgeois : Effectivement, je pense que oui. Je pense que les associations et les organismes comme le Festival Frye et Dialogue Nouveau-Brunswick pourraient jouer un rôle en ce qui concerne la promotion de la modernisation, et s’il y a de nouvelles initiatives, effectivement. À ma connaissance, je n’en connais pas, mais peut-être aussi qu’il en existe déjà à l’extérieur du Nouveau-Brunswick. Pour vous donner une réponse courte, oui.

La sénatrice Mégie : Oui, c’est ça. Mais peut-être aussi par le truchement d’activités comme les vôtres, avec les livres. Enfin, je voyais ça et je me suis dit que c’est peut-être ces organismes-là qui pourraient nous aider dans le cadre du volet de la promotion des langues officielles. Merci.

La sénatrice Gagné : Comment est-ce que vous vous êtes associés avec d’autres organisations francophones du Nouveau-Brunswick? Est-ce qu’il y a une collaboration entre vos organisations?

Mme Duguay-Lemay : Oui. En fait, dans nos efforts de concertation, comme je l’ai dit, dans l’état des lieux qu’on a fait, pratiquement tous ont été consultés. Au quotidien, dans la livraison de notre programmation, nous avons plusieurs partenaires, comme l’Association francophone des municipalités du Nouveau-Brunswick, au même titre que l’Union des municipalités du Nouveau-Brunswick et l’Association des cités du Nouveau-Brunswick. Il y a trois entités qui sont à la table. Donc, oui, ils font partie soit d’une consultation, surtout lorsqu’on fait une prise de position, ou dans l’accompagnement de ce que l’on fait, que ce soit au niveau scolaire, auprès du ministère de l’Éducation. Je pourrais tous vous les énumérer.

La sénatrice Gagné : D’accord.

Mme Duguay-Lemay : Je fais pas mal le tour de tout l’écosystème du Nouveau-Brunswick.

Mme Cyr : Au Festival Frye, on a des collaborations avec au-delà de 80 organismes dans nos communautés, soit des théâtres, des écoles, l’Alliance française, les associations d’artistes, des ateliers d’estampe Imago. Donc, selon les années, selon les projets, disons, en comptant l’Association pour la fierté gaie, toutes les maisons d’édition, les bibliothèques, les apprenants. Il y a au-delà de 65 partenariats en fait. J’ai été ambitieuse. J’avais vu 80 hier, dans ma documentation, mais en 2017-2018, il y a eu 65 partenariats avec des organismes culturels, littéraires et communautaires. C’est peut-être ça, la force, aussi, parce qu’on a deux employés.

La sénatrice Gagné : Oui; alors, c’est un tour de force.

Mme Cyr : Oui.

La sénatrice Gagné : Bravo!

Je peux poser une question?

Le président : On va conclure bientôt, mais allez-y.

La sénatrice Gagné : Déjà?

Le président : Oui, déjà.

La sénatrice Gagné : Rapidement; vous avez fait allusion aux ententes fédérales-provinciales. Ça veut dire qu’il y a des enveloppes qui sont négociées et transférées à la province. Est-ce que vous savez si l’argent qui est consenti dans les ententes se rend réellement dans les communautés, dans les organisations? Est-ce qu’il y en a qui reste au sein du gouvernement provincial? Alors, quant à la traçabilité des fonds, ce n’est pas quelque chose qui a déjà été discuté?

Mme Duguay-Lemay : Non, non.

Le président : Merci.

Pour conclure, j’ai une question pour vous. Je vous ramène à la question de la vision. Si vous aviez, en quelques mots, à dire aux majorités de ce pays — c’est-à-dire à la majorité anglophone de ce pays et à la majorité francophone de ce pays, disons, le Québec, notamment — pourquoi la Loi sur les langues officielles, c’est aussi leur loi à elles; qu’est-ce que vous leur diriez?

Mme Duguay-Lemay : C’est simpliste comme réponse, mais j’encouragerais pratiquement la même vision que nous avons adoptée pour le Nouveau-Brunswick. C’est-à-dire, c’est un pays où tout le monde se sent écouté, valorisé et chez lui. Parce que cette notion, ça part d’un principe fondamental. Je sais qu’on parle spécifiquement des langues officielles, mais à la base, c’est ça, que ce soit l’anglophone ou le francophone qui n’est pas certain de s’y retrouver. On habite tous ce pays. On a tous intérêt à collaborer. Ce sont les principes fondateurs de notre nation.

Mme Cyr : Est-ce que je peux vous partager, avant de répondre directement à votre question, une observation?

Au fil des années, lorsque les écrivains arrivent la première journée et qu’ils débarquent à Moncton, à l’hôtel, au Delta, les Québécois s’assoient tous ensemble, en groupe. D’autres communautés le font également, donc là, on se dit que tout le monde va vivre son festival de façon isolée. Mais après la première soirée, il y a comme — on va revenir à la cohésion — un rapprochement qui se fait, et c’est la découverte de l’autre. La découverte de l’autre et la découverte de soi. On fait partie d’un grand pays qui est le Canada, et c’est ce que je vois à la fin du Festival, lorsque tout le monde jase et qu’il y a plein de discussions en coulisses.

Et si j’avais trois mots, ce serait ceux-ci : richesse, découverte, tolérance, pour répondre à votre question.

Le président : Sur ce, madame Duguay-Lemay, monsieur Maxime Bourgeois, madame Cyr, merci beaucoup pour votre contribution d’aujourd’hui, mais merci surtout pour le travail que vous faites. Je pense que si on avait au Canada plus d’organisations comme vous, la compréhension de la Loi sur les langues officielles serait améliorée et enrichie. Merci beaucoup.

Honorables sénateurs et sénatrices, le Comité sénatorial permanent des langues officielles poursuit son étude portant sur la modernisation de la Loi sur les langues officielles.

[Traduction]

Il va sans dire que nous sommes très heureux d’être ici, à Moncton, dans le cadre des consultations. Nous avons le plaisir d’accueillir Son Honneur Dawn E. Arnold, mairesse de Moncton. Elle est accompagnée de Mme Nicole Melanson, gestionnaire des communications et des services bilingues.

[Français]

Alors, madame Arnold, madame Melanson, la parole est à vous.

Dawn Arnold, mairesse, Ville de Moncton : Merci beaucoup pour l’invitation. C’est toujours un honneur d’avoir l’occasion de vous partager l’expérience de Moncton.

Alors, notre histoire compte deux volets pertinents : la contribution des citoyens francophones et francophiles depuis les années 1960, et l’évolution au sein de l’hôtel de ville comme administration depuis les années 1990.

Chez nous, la création de l’Université de Moncton en 1962 a offert aux francophones de l’Atlantique un endroit unique où poursuivre leurs études postsecondaires et contribuer au développement économique de la région, tout en préservant leur culture et leur langue.

L’évolution dans la reconnaissance des droits linguistiques se poursuit en 1969 avec l’adoption de la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick.

Le prochain jalon majeur a lieu en 1982, avec l’adoption des nouvelles clauses dans la Charte canadienne des droits et libertés. Moncton progresse, bien que tranquillement, dans ce contexte linguistique changeant, et c’est en 1991 que la municipalité adopte sa première politique en matière de langues officielles.

Dans les années 1990, deux événements importants ont incité une résurrection de la fierté du peuple acadien à Moncton — si on peut le décrire ainsi — et grâce auxquels le français occupe une place importante dans notre quotidien actuel. Je parle donc du premier Congrès mondial acadien moderne en 1994, et du Sommet de la Francophonie en 1999.

En fait, la jeunesse locale a témoigné de l’importance du français à l’échelle internationale et a pu redécouvrir sa musique, ses dialectes et son histoire. Puis, en 2001, la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick déclare que les arrêtés municipaux de la Ville de Moncton ne sont pas valides, car ils ont été adoptés en anglais seulement. On juge que cette pratique n’est pas constitutionnelle. Voilà que les sept cités du Nouveau-Brunswick sont visées par la révision de la Loi sur les langues officielles en août 2002.

La portée de la langue et de la loi est dorénavant beaucoup plus large, mais également, en août 2002, l’ancien maire de Moncton, Brian Murphy, propose au conseil municipal l’adoption d’une déclaration de bilinguisme officiel qui reconnaît ainsi au niveau municipal le statut égal des deux langues, adoptée à l’unanimité. C’est une première au pays.

Depuis ce temps, la politique municipale a fait l’objet de trois révisions. Notre prochaine version, qui compte beaucoup d’améliorations, sera adoptée par le conseil le 5 novembre prochain.

En résumé, je vous dirais que, par moments, notre ville a été poussée dans la bonne direction par des circonstances externes, et que deux ou trois fois, ces choix conscients nous ont mis le vent dans les voiles, avec les résultats dont nous pouvons être très fiers.

Alors, je vous remercie encore une fois, et je laisse le soin à Nicole — elle est l’experte — de vous expliquer comment s’accomplit notre statut de bilinguisme officiel de façon plus concrète.

Nicole O. Melanson, gestionnaire, communications et services bilingues, Ville de Moncton : Monsieur le président, distingués membres du comité, bonjour, et merci infiniment de cette occasion de venir vous parler aujourd’hui de notre expérience en matière de langues officielles.

Pour vous clarifier un peu mon rôle, depuis 2013, je suis en fait gestionnaire des communications et des services bilingues. Je suis donc responsable du dossier comme tel des langues officielles pour la municipalité et je suis la toute première à occuper ce poste. Je vous dirais que le fait même de dédier un poste à ce dossier est une indication claire de l’appui des élus, de la direction et des dirigeants municipaux envers l’épanouissement des deux groupes linguistiques à Moncton.

Et j’aimerais aussi vous dire que je n’ai pas le rôle de protéger des droits linguistiques, parce qu’à Moncton, on semble être au-delà de ça. Ce n’est jamais une question de revendication, chez nous, car il s’agit plutôt de déterminer ce qu’on peut faire pour s’améliorer. Parce qu’on a souvent l’impression que c’est un acquis. Il faut être vigilant, mais tout de même.

Donc, mon travail consiste à trouver des moyens pour appuyer des groupes communautaires, faciliter la prestation des services, ou rehausser la qualité des services, le cas échéant. Ce n’est pas pour dire que tout est parfait. D’un, voilà un objectif assez irréaliste. De deux, tant qu’il y aura une minorité et une majorité linguistique, il y aura toujours des leçons à apprendre et ainsi des occasions pour s’améliorer.

De nos jours, on parle souvent de données mesurables, mais comment fait-on pour réellement mesurer le succès, quand on parle des langues officielles? C’est une notion qui peut paraître assez abstraite, mais chez nous, je vous assure que ce n’est pas en comptant le nombre de plaintes, en partie, parce qu’on en reçoit très peu. En deux ans, seulement trois plaintes officielles ont été soumises à la municipalité, dont une pour une affiche assez drôlement traduite, donc des choses assez faciles à régler.

Donc, si vous me le permettez, je vais donc présenter ma perspective sur la réalité actuelle à Moncton.

Donc, premièrement, je vois une concurrence entre l’obligation et la volonté. Oui, on a certainement des obligations en tant que municipalité en vertu de la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick, mais dans l’ensemble, je suis d’avis que nous agissons plutôt dans un contexte de volonté, avec le désir de vouloir bien faire les choses et de toujours faire mieux ou en faire plus.

Deuxièmement, il y a la protection des droits par rapport aux processus intégrés. Donc, pour nous assurer qu’on respecte le premier objectif, en fait, ces droits linguistiques définis, on veille à ce que nos processus soient intimement intégrés dans toutes les tâches pertinentes. Un exemple assez simple et concret, c’est que nous avons créé des genres de gabarits, si vous voulez, pour les innombrables documents que nous avons à faire pour communiquer avec le public. Ça facilite beaucoup les choses, pour tous les services municipaux aussi.

Quant à notre nouvelle version de la politique municipale qui s’en vient, nous avons d’ailleurs étendu la définition du terme « employé » pour y inclure tous les sous-traitants, les consultants qu’on embauche pour exécuter des activités au nom de la municipalité. Ce n’était pas le cas auparavant, surtout s’ils doivent interagir avec le public.

Mais ça prend aussi des leaders avec conviction et des collègues qui en comprennent l’importance. Au cours des 10 ans et plus que j’ai passés avec la municipalité, j’ai vu une nette progression et des améliorations au sein de l’hôtel de ville. C’est parce que chez nous, on met surtout l’accent sur le comment faire les choses, ainsi que sur le pourquoi faire les choses.

Donc, un exemple, ce sont nos épinglettes d’accueil Hello/Bonjour, soit nos épinglettes de l’offre active. Nous avons fait le choix conscient de mettre l’accent sur le rôle. C’est qu’est-ce qu’on veut dire plutôt que sur la langue comme tel. C’est le choix qu’on offre aux gens, plutôt que d’opposer les langues l’une à l’autre constamment.

Donc, pour le troisième point, il y a l’égalité versus l’équité. On a sûrement vu la petite caricature des bonshommes qui essaient de voir par-dessus la clôture la partie de baseball, puis on tasse les boîtes d’une manière ou d’une autre. Chez nous, c’est une des grandes questions : comprendre cette distinction entre offrir la même chose à tous par rapport à offrir le soutien nécessaire aux groupes pour que tout le monde soit sur le même pied d’égalité. Bref, il faut être créatif. Il faut se laisser guider par les citoyens.

Quatrièmement, il y a l’autonomie versus le partenariat. Si j’avais à vous nommer un élément qui nous a permis de devenir l’un des chefs de file en matière de bilinguisme, c’est ce qui nous a permis de trouver l’équilibre, de permettre l’autonomie de nos groupes communautaires et de nos employés pour qu’ils puissent fonctionner au jour le jour, mais aussi de privilégier dans les instances appropriées des partenariats clés, par exemple avec le Commissariat aux langues officielles fédéral, qui a un bureau régional ici, entre autres.

Et pour mon dernier point, il y a la réalité versus l’utopie. Ce qui nous permet d’avoir une progression continuelle, c’est que nous suivons une démarche réaliste et non pas utopique. Ce que nous réussissons à faire aujourd’hui n’aurait probablement pas été possible il y a 20 ans. Donc, en tenant compte de nos besoins, des demandes et des résultats, et de notre capacité en termes d’organisme public, nous trouvons le meilleur compromis possible.

Donc, là-dessus, je conclus ma présentation. Voyez cette belle affiche, qui vous montre un peu d’où on part chez nous. Donc, c’est l’égalité, le soutien, la célébration, le sentiment d’appartenance. C’est comme ça qu’on approche les choses et les questions par rapport au bilinguisme, et c’est une invitation de vous joindre à nous au Congrès mondial acadien l’année prochaine, et aux Jeux de la Francophonie en 2021. Merci.

Le président : Merci beaucoup pour votre présentation. On va commencer l’échange avec le sénateur McIntyre.

Le sénateur McIntyre : Merci, et félicitations, madame la mairesse! Je comprends que vous êtes en poste depuis mai 2016. Je comprends également que vous avez été présidente du Festival Frye durant une quinzaine d’années.

[Traduction]

Pourriez-vous nous donner des détails sur votre rôle et votre travail à ce titre?

Mme Arnold : Mon Dieu, je n’y ai pas vraiment réfléchi. J’ai été plutôt préoccupée ces deux dernières années et demie. Je dirais cependant que c’était une énorme passion pour moi. Je crois que Suzanne Cyr vient de comparaître devant vous. Elle a donc dû vous donner tous les détails.

Le sénateur McIntyre : Oui, mais j’aimerais que vous nous parliez de votre expérience personnelle.

Mme Arnold : Eh bien, je suis, de naissance, une snobinarde du Haut-Canada. Lorsque nous avons déménagé à Moncton, nous avons décidé sciemment de vivre dans une communauté bilingue, car nous en comprenions l’importance, mais j’ignorais ce que j’allais faire. Je suis éditrice. C’est ce que j’avais toujours fait. Donc, lorsque j’ai su que des gens voulaient créer une forme quelconque de festival bilingue à l’époque, cela m’a semblé formidable. J’y ai participé dès le début et je dois dire que mon expérience a été incroyable.

C’est drôle qu’à propos de mon travail de mairesse, les gens me disent « oh, cela doit être très stressant ». Je peux vous dire que parfois, diriger un organisme sans but lucratif est beaucoup plus stressant qu’occuper les fonctions de mairesse, car c’est à nous que revenait toute la responsabilité.

C’était une occasion unique de rencontrer des auteurs talentueux de partout dans le monde et de célébrer ce que nous avons ici. Je crois que l’une des choses les plus marquantes pour moi, c’était de rencontrer ces auteurs qui venaient d’ailleurs et qui étaient renversés de voir que notre communauté était bilingue et que les gens pouvaient communiquer sans problème. Vous savez, c’est quelque chose que nous tenons pour acquis, mais ce que nous avons a une valeur inestimable.

Y a-t-il des questions précises sur le Festival Frye?

Le sénateur McIntyre : Non. Je crois que vous avez très bien répondu concernant l’histoire du bilinguisme de Moncton.

[Français]

Madame Melanson, comme le mentionnait Mme la mairesse, en vertu de la Loi sur les langues officielles au Nouveau-Brunswick, tous les services provinciaux doivent être offerts dans les deux langues officielles dans la ville de Moncton.

Alors, dites-nous un peu comment ça fonctionne au niveau de la traduction des documents. Par exemple, si la Ville de Moncton reçoit des documents dans la langue anglaise, est-ce que ces documents sont automatiquement traduits dans la langue française, et existe-t-il un délai pour la traduction de ces documents?

Mme Melanson : Merci. Nous avons une traductrice à temps plein à l’interne. Nous avons aussi embauché une firme, à contrat, qui fait la traduction du plus gros volume de nos documents.

Dans les dernières années, on fait en moyenne 650 000 mots par année, et c’est pas mal pour nous, pour la taille de notre municipalité. Tous les documents destinés au public sont automatiquement traduits. De plus en plus, pour les gros projets, on tient compte des délais de traduction. Donc, par exemple, si on rédige un nouvel arrêté qui est assez volumineux et qu’on sait que ça pourrait prendre jusqu’à trois mois pour la traduction, on le sait dès le départ. On estime ça. On planifie pour ça, pour ne pas que les gens aient l’impression que c’est la question du bilinguisme ou de la traduction qui crée un retard inutile. Il faut juste que les gens planifient.

Je suis moi-même traductrice de formation également, donc pour les choses plus ponctuelles, les urgences, Facebook, Twitter, ces choses-là, qui sont beaucoup plus urgentes, on les fait à l’interne assez rapidement. Donc, c’est assez relié chez nous.

Le sénateur McIntyre : Donc, si le conseil municipal décide d’adopter un arrêt municipal, je comprends que la traduction est déjà faite?

Mme Melanson : C’est ça.

Le sénateur McIntyre : Donc, le dépôt est tout simplement une question officielle?

Mme Melanson : Exactement.

Le sénateur McIntyre : Parfait.

Mme Melanson : Il y a eu parfois des processus au préalable, pour s’assurer que le contenu est acceptable. S’il y a de légères modifications à apporter par la suite, ça se fait quand même assez rapidement, pour les afficher en ligne. Même pour des documents comme le Plan culturel, on a traduit l’ébauche du Plan culturel en vue des consultations publiques, pour que les gens puissent participer dans la langue de leur choix.

Le sénateur McIntyre : Bon. Dernière question. Parlez-nous un peu du déroulement lors des séances du conseil municipal. Si le citoyen se présente au conseil municipal pour écouter les débats et qu’il est un unilingue anglophone, j’imagine qu’il y a des appareils pour offrir l’interprétation.

Mme Melanson : Exactement. Nous avons exactement la même installation, une cabine permanente et l’accès aux écouteurs. Les conseillers et les employés municipaux également ont tous leurs écouteurs, et ça se passe de façon assez fluide.

Le sénateur McIntyre : Bien, félicitations pour votre beau travail! Les quatre étapes sont faciles à suivre. Merci beaucoup.

La sénatrice Gagné : Bienvenue à nouveau. Merci d’avoir accepté notre invitation, et félicitations pour votre élection, madame la mairesse!

Mme Arnold : Merci.

La sénatrice Gagné : Moi, j’ai vécu à Moncton dans les années 1980, et je reviens aujourd’hui, quoique je sois revenue faire de petits tours depuis ce temps-là, mais il reste quand même que je constate un énorme changement culturel.

Ce que j’entends de vous, c’est qu’il existe quand même une certaine cohésion sociale au sein de la ville, et la question que j’aimerais vous poser, c’est à savoir si, pour atteindre cette cohésion sociale, il a fallu passer par des jugements de la cour pour rendre obligatoire l’offre des services dans les deux langues officielles, ou si ça s’est fait tout naturellement.

Mme Melanson : Je vous dirais que c’est un peu des deux. Donc, le jugement qui est venu en 2001, qui a obligé la Ville de Moncton de faire la traduction de tous ses arrêtés municipaux a fait en sorte que la province a révisé sa loi et a élargi sa portée pour inclure les sept grandes cités, ainsi que les municipalités ayant un faible pourcentage de francophones ou d’anglophones. On a été poussé dans ce sens-là, mais dans l’ensemble, c’était pour le mieux, parce qu’on venait de vivre le Sommet de la Francophonie. Il y avait beaucoup de travail qui avait déjà été fait au sein de la communauté pour faire valoir cette communauté-là, et on est très chanceux à Moncton d’avoir ce noyau bilingue.

Justement, la génération des années 1990… et j’avoue que je suis de cette génération-là. Si je vous parle de mon expérience personnelle, le Congrès mondial acadien m’a fait découvrir des groupes comme 1755, des poètes comme Gérald Leblanc, dont on ne parlait pas vraiment à l’école. Mes parents n’étaient pas vraiment de cette gang-là. J’écoutais Sesame Street et Passe-Partout.

Ce que je veux dire, c’est que l’évolution s’est faite assez naturellement. L’ajout de l’immersion française dans le curriculum anglophone, par exemple, a vraiment joué un rôle là-dedans, parce que les couples exogames ont commencé de plus en plus à faire le choix d’inscrire leurs enfants en immersion française, sinon dans le système francophone. J’ai beaucoup d’amis anglophones qui sont passés par là, et on se parle d’une langue à l’autre. C’est très naturel chez nous.

[Traduction]

Mme Arnold : Je dirais que c’est tout à fait vrai, mais je crois que c’est davantage lié à un véritable sentiment de fierté. Or, je crois que certains changements, comme ceux qui ont été apportés à l’immersion française, ont fait réagir les gens, qui se sont dit « wow, nous avons quelque chose de très spécial ici que nous tenons pour acquis ».

J’ai examiné la situation d’un point de vue très personnel. Lorsque mon fils était en quatrième année, il était en immersion française, et c’est exactement à ce moment-là qu’on a modifié les règles. Cela l’a rendu très mécontent. On en parlait dans les médias, et il a dit que c’était ridicule. Il a donc dit qu’il voulait aller à l’école française. Nous ne sommes pas des ayants droit. Mon mari et moi sommes anglophones. J’ai un diplôme en littérature française de l’Université de Toronto — on devrait me rembourser. En tout cas, puisque je n’ai pas fait mes études secondaires en français, nous n’y étions pas autorisés, mais il a passé tous les examens et il m’a dit « je vais le faire, maman », et il l’a fait.

Ma fille ne l’a jamais fait. Elle est demeurée dans le réseau anglophone.

J’ai donc vraiment pu voir la différence entre les deux. Le sentiment de fierté chez les jeunes Acadiens est assez incroyable, et c’est un sentiment très différent. Par exemple, en juin, je suis allée aux cérémonies de remise des diplômes de toutes les écoles secondaires, et les choses sont bien différentes chez les jeunes anglophones. Ils disent qu’il n’y a rien ici et qu’ils quitteront le Nouveau-Brunswick.

Les jeunes francophones veulent vivre ici. Ils ont ce sentiment. Ils voient leur avenir ici. Ils peuvent raconter leur histoire ici. Il y a une grande différence entre les deux communautés. Je crois que c’est également un facteur; ce sentiment de fierté est de plus en plus important.

[Français]

La sénatrice Gagné : Je veux poser une deuxième question. Le but de nos audiences publiques, c’est la modernisation de la Loi sur les langues officielles. Certains témoins nous ont indiqué qu’il serait peut-être important de reconnaître le rôle des municipalités ou des villes bilingues dans la promotion du bilinguisme et de la dualité linguistique. J’aimerais vous entendre là-dessus.

Mme Melanson : Je suis complètement d’accord.

C’est comme tous les autres types de services. C’est nous qui sommes nécessairement le plus près des gens. Donc, l’influence qu’on peut avoir parfois, de parler justement avec un voisin, peut avoir un impact très important. Appuyer le fédéral, ces exercices-là pourraient être un partenariat très intéressant pour nous.

On le fait déjà de façon informelle, si vous voulez, dans de grandes aventures comme les Jeux de la Francophonie et ces choses-là, mais il pourrait être important aussi pour nous de savoir que le fédéral nous appuie dans nos démarches, oui.

La sénatrice Gagné : Au Manitoba, il existe des centres de services bilingues, où on regroupe les services de la ville, de la province et du fédéral dans le même bâtiment; des comptoirs un à côté de l’autre, où on est en mesure de partager, finalement, les mêmes espaces et de s’entraider et de collaborer. Est-ce que c’est un modèle que vous avez déjà tenté de mettre en place ou envisagé?

Mme Melanson : J’avoue que non, parce que nos installations municipales sont nécessairement déjà bilingues, et les installations provinciales le sont aussi. Mais ce n’est pas pour dire que ce ne serait pas quelque chose à explorer pour voir s’il y aurait des synergies, oui.

La sénatrice Gagné : C’est juste que, parfois, le client doit passer d’un bureau, qui est situé ici, à un autre bureau, qui est situé à l’autre bout de la ville. Il y a toutes sortes de raisons pour ça, mais je voulais juste vérifier ça.

Mme Melanson : Oui.

La sénatrice Gagné : J’aurais une autre question, mais je pourrai la poser pendant la deuxième ronde.

Le président : Très bien.

La sénatrice Moncion : Ma question est pour vous, madame Arnold, en tant que mairesse de la Ville de Moncton. À Ottawa, le maire n’est pas nécessairement enclin à vouloir faire de la Ville d’Ottawa — qui est la capitale nationale — une ville bilingue, et j’aimerais vous entendre, vous qui êtes mairesse d’une ville bilingue, qui avez une ouverture de ce côté-là, par rapport à la Ville d’Ottawa.

[Traduction]

Mme Arnold : Eh bien, je crois qu’il est temps que Jim Watson dépense une partie de son capital — de sa bonne volonté. À mon avis, il est temps qu’il veille à ce qu’Ottawa soit une ville bilingue. Aucun autre maire n’a une cote de confiance plus élevée que lui.

Mme Melanson : C’est vrai.

Mme Arnold : Puisqu’il est dans une situation qui lui permettrait vraiment de le faire, il devrait le faire.

La sénatrice Moncion : Savez-vous pourquoi il refuse de le faire?

Mme Arnold : Disons simplement que lorsqu’on prend des décisions, des gens sont contents, d’autres sont mécontents. Si l’on veut se faire aimer de tout le monde, on n’a qu’à offrir de la crème glacée. Je suis sérieuse. Si l’on veut être un leader, il faut faire ce genre de choses. Je l’encouragerais vraiment à le faire.

Ironiquement, mon fils est à l’Université d’Ottawa. Il est directeur des communications de l'AISP, un groupe syndical étudiant ou quelque chose du genre. Le groupe a présenté des observations à Jim Watson et l’incite vivement à faire en sorte qu’Ottawa soit une ville bilingue. Les étudiants sont au rendez-vous sur cette question.

La sénatrice Moncion : Oui, ils le sont. C’est le cas de bien des gens.

Mme Arnold : Oui.

La sénatrice Moncion : J’aimerais maintenant obtenir votre point de vue au sujet d’une question qui concerne la Loi sur les langues officielles. En tant que mairesse d’une ville, que pensez-vous de l’idée d’inclure dans la loi la partie bilingue de la capitale nationale du Canada?

Mme Arnold : Je crois que c’est exactement ce qui devrait se produire. C’est vraiment important. Soit c’est inclus, soit ce ne l’est pas, et la capitale nationale ne devrait-elle pas être incluse? Je dirais que oui. Cela va de soi, à mon avis.

La sénatrice Moncion : D’accord. Merci.

J’ai cherché à comprendre pourquoi le maire Watson n’y tient pas nécessairement, et il n’a pas voulu me rencontrer. Je crois que c’est parce qu’il a entendu un assez grand nombre de francophones de l’Ontario lui demander de rendre la Ville d’Ottawa officiellement bilingue. Il vient d’une petite ville de la région de Montréal et il a vécu les changements qui se sont produits au Québec. Je dirais qu'il a la même position sur les langues officielles que certains certains d’entre nous, en Ontario. C’est un anglophone qui parle français et puisqu’il n’y a jamais eu, je crois, d’approche collaborative, c’est un peu comme pour nous, les francophones. Il y a eu très peu de collaboration quand on pense à la communauté anglophone. Donc, il y a toujours une bataille.

Je crois que vous parlez ici de collaboration et vous dites qu’il faut trouver des moyens pour que cela fonctionne. En tant que dirigeante, vous avez la volonté de faire avancer les choses, et nous avons besoin d’un plus grand nombre de leaders comme vous.

Mme Melanson : Oui.

Mme Arnold : Eh bien, c’est tout simplement quelque chose d’incroyable pour notre communauté. Nous ne serions pas dans la situation actuelle si ce n’était de cela. Mille emplois viennent d’être créés par TD. Ce sont d’excellents emplois, et ils sont offerts ici, parce que notre communauté est bilingue — et parce que Frank McKenna aime Moncton.

Pour revenir sur le point que vous avez soulevé, je crois que la volonté est essentielle. Donc, si l’on réfléchit un peu aux mesures imposées à cet égard, ce n’est peut-être pas la bonne approche. Il y a peut-être cependant un moyen collaboratif de favoriser cela avec un échéancier en quelque sorte; il s’agirait d’aller plus loin que de simples encouragements.

Nous avons un conseiller qui a un regard très similaire. Il s’appelle Blair Lawrence. Il a grandi dans les Cantons de l’Est en tant qu’anglophone et il parle couramment les deux langues. Je dirais qu’il aurait un point de vue similaire à celui de Jim Watson. Son expérience de vie serait la même.

Je crois seulement que nous sommes passés à autre chose depuis ce temps, et j’aime penser que Moncton est ailleurs sur le plan linguistique. Après le Festival Frye, Jean Fugère, de Radio-Canada, dans un résumé sur le festival, a dit que Moncton avait transcendé la barrière linguistique.

Mon objectif ultime, ce serait de vivre dans une ville où les gens ne noteraient pas pendant combien de temps quelqu’un a parlé en anglais ou en français, une ville où les gens ne se souviendraient même pas quelle langue a été utilisée parce qu’ils sont tous bilingues. Ce serait l’objectif ultime, mais nous n’en sommes pas encore là.

La sénatrice Moncion : Oui.

[Français]

Le président : Merci beaucoup.

La sénatrice Mégie : Bien, je suis très heureuse d’entendre à quel niveau se trouve le bilinguisme à Moncton, mais est-ce qu’il y a d’autres villes au Nouveau-Brunswick qui sont aussi engagées que vous dans ce niveau de bilinguisme?

Mme Melanson : Je dirais que oui. Il y a plusieurs municipalités qui offrent des services bilingues, mais qui ne s’identifient pas nécessairement comme ville officiellement bilingue. Par exemple, Dieppe, juste à côté de chez nous, est une ville qui s’identifie comme francophone, mais qui offre tous ses services publics dans les deux langues. Il y en a plusieurs comme celle-là, comme Bathurst, Edmundston, Campbellton… Donc, il y en a plusieurs. Le mouvement est là. À Fredericton, il y a réellement des francophones, de nouvelles écoles qui se font construire, le mouvement est là. On le reconnaît et c’est vraiment positif.

La sénatrice Mégie : Et est-ce que vous pourriez être le leader pour donner de l’expansion au mouvement? Non?

Mme Melanson : J’aimerais bien. À un moment donné, la commissaire aux langues officielles provinciale nous a donné l’indication qu’elle souhaitait que nous pussions jouer ce rôle-là. Il s’agit de savoir quel mécanisme utiliser. Est-ce qu’on passe par l’Association francophone des municipalités du Nouveau-Brunswick? Mais peut-être que c’est par l’Union des cités?

Mme Arnold : Municipalités du Nouveau-Brunswick.

Mme Melanson : Donc, est-ce qu’on passe par ces associations-là? Est-ce qu’on crée quelque chose de différent? Est-ce qu’on passe par le Commissariat provincial? Donc, ce sont des choses à explorer, justement.

La sénatrice Mégie : Pourrait-il y avoir quelque chose dans la loi fédérale qui puisse vous aider et vous donner une sorte de point d’appui pour aller de l’avant? Est-ce que vous pensez qu’il y aurait quelque chose à y ajouter?

Mme Melanson : Je vous dirais très sincèrement que je ne refuserai jamais d’aide.

Donc, on voudrait certainement participer à ces discussions et à ces dialogues-là pour voir qu’est-ce qui pourrait être réaliste pour nos communautés, sachant aussi que Moncton est maintenant la plus grande ville de la province aussi, donc je veux comprendre les réalités des plus petites municipalités, et tout le reste, mais oui, absolument.

La sénatrice Mégie : Merci.

Le président : Je vais à mon tour poser quelques questions qui font suite à l’intervention de la sénatrice Mégie.

J’essaie de comprendre — parce qu’on est dans un contexte fédéral — quelle est la relation entre le fédéral, la province et les municipalités, et comment le fédéral est un appui pour vous, à la fois dans la livraison des services et dans l’amélioration de ces services à la population. Alors, est-ce qu’à votre avis, il serait nécessaire d’inclure, par exemple, dans la loi fédérale sur les langues officielles, le rôle des municipalités bilingues à l’égard de l’épanouissement des communautés de langue officielle, de la promotion de la dualité linguistique, du recrutement, de l’accueil et de l’intégration des immigrants? Puisque les municipalités ont un rôle important à jouer à ce chapitre. Est-ce qu’à votre avis on devrait inclure spécifiquement ces éléments-là, par exemple, dans une loi fédérale?

Ma deuxième question, c’est de savoir comment vous qualifiez pour l’instant la collaboration entre le gouvernement fédéral, les provinces et la municipalité de Moncton. Quels sont vos attentes, vos besoins, vos aspirations, par rapport à cette relation-là?

Mme Melanson : Merci. Excellentes questions. Je vous dirais que, comme municipalité, je me sens éloignée de la loi fédérale. Parce que, vraiment, ce que je dois accomplir au jour le jour est clairement précisé pour moi dans les règlements de la loi provinciale.

Le président : D’accord.

Mme Melanson : Ce que je pourrais voir comme très intéressant, c’est l’appui qu’on reçoit déjà, plus ou moins du ministère du Patrimoine canadien et du Commissariat fédéral. Donc, si on définit un peu plus clairement comment on peut s’appuyer et avoir des projets en commun, et cetera, ça pourrait vraiment être intéressant.

Comme la province, Moncton s’est fixé comme objectif d’attirer un tel pourcentage d’immigrants francophones. Donc, voilà une occasion en or d’encourager ça, de trouver des partenariats. L’équipe qui s’occupe de l’immigration chez nous est très forte sur la collaboration avec les trois municipalités. Donc, absolument, il y aurait des occasions excellentes à explorer.

Le président : Et dans le financement que vous recevez du fédéral, quels sont les critères de financement pour que vous puissiez recevoir des fonds, et de quelle manière? Est-ce qu’on vous demande une reddition de comptes? Avez-vous une reddition de comptes à faire? Et si oui, de quelle nature?

Mme Melanson : Il y a des projets, assez spécifiquement. Dans le passé, je suis passée par le Programme de soutien aux langues officielles, qui est le partenariat entre le fédéral et le provincial, où le provincial nous octroie des fonds. Donc, je m’en suis déjà servie pour embaucher un étudiant l’été, pour nous aider avec des projets spécifiques aux langues officielles. On a en ce moment un projet où on va partager à 50/50 le coût de créer un plan d’aménagement linguistique pour la municipalité. Donc, c’est en marche.

C’est surtout pour des projets, ou dans le cadre de nos festivals, pour appuyer ces choses qui permettent le rayonnement des deux communautés linguistiques.

Le président : Avant de passer au deuxième tour, j’ai une dernière question.

C’était significatif, madame la mairesse, car vous avez fait votre présentation en français uniquement, et vous avez beaucoup parlé des mouvements de la francophonie et de l’Acadie, dans votre présentation.

Quelle est la relation, avec les langues officielles ou avec le bilinguisme de Moncton, de la majorité de Moncton? Et quels sont les défis que vous rencontrez comme municipalité, par rapport à l’adhésion de la majorité anglophone, à cette idée de bilinguisme? Puisque la Loi sur les langues officielles — je le rappelle toujours avec plaisir —, ce n’est pas une loi strictement pour les minorités. C’est une loi qui concerne l’ensemble des Canadiennes et des Canadiens. C’est un contrat social qu’on prend entre nous pour vivre ensemble comme communauté linguistique. Alors, qu’est-ce que vous pourriez nous dire sur la question de la relation que la ville entretient avec la majorité anglophone sur cette idée du bilinguisme?

[Traduction]

Mme Arnold : C’est une question intéressante. Cela nous ramène au sentiment de fierté, je crois. J’ai un conseil consultatif jeunesse composé d’élèves du secondaire de partout à Moncton. C’est un groupe de réflexion qui examine différentes questions. Ces élèves proviennent d’écoles secondaires francophones et anglophones et ils sont tous bilingues; l’endroit d’où ils viennent importe peu. Ces jeunes sont très intelligents de toute façon, mais ils sont bilingues et en sont très fiers.

Ce sera donc très intéressant de voir cette prochaine génération de jeunes avec le Congrès mondial et les Jeux de la Francophonie, car ce sont des événements très importants. Après la dernière fois, il faut que des anglophones participent à de grands événements comme ceux-là. C’est indéniable. Nous avons besoin de 5 000 bénévoles.

Je crois donc qu’il sera très intéressant de voir dans quelle mesure les anglophones deviendront beaucoup plus... Leur fierté d’être bilingues sera toujours plus forte.

Sur le plan de l’emploi, les possibilités à Moncton sont beaucoup plus grandes pour les personnes bilingues à l’heure actuelle.

[Français]

Mme Melanson : Dans le contexte du quotidien, des services qu’on offre, on agit généralement… Par exemple, nos choix sur Facebook sont anglais/français, à moins que le contexte indique le contraire. Donc, naturellement, pour le 15 août, ce sera français/anglais.

On ne voit pas vraiment de gros défis, honnêtement. Comme je vous le dis, officiellement, j’ai reçu trois plaintes dans les deux dernières années. Les gens sont rendus assez habitués. La cohabitation se fait de façon calme. Il y a tellement de couples et de familles exogames.

[Traduction]

Je pense que nous sommes choyés dans notre petite bulle, jusqu’à un certain point, mais je n’aurais pas dit cela il y a 25 ans.

Mme Arnold : Non.

Mme Melanson : Même dans le quartier où j’ai grandi, j’étais en quelque sorte l’enfant intruse, mais la situation est tellement différente maintenant.

Mme Arnold : Les choses changent vraiment. On peut le voir. Autrefois, si l’on osait mettre le français en premier, des gens paniquaient. Cela ne pose plus problème maintenant. Les gens s’habituent à voir les deux langues partout. Ce n’est plus comme c’était auparavant, ce qui est formidable, en fait.

Le président : Merci beaucoup.

Nous passons au deuxième tour. Allez-y, sénateur McIntyre.

[Français]

Le sénateur McIntyre : Moi, j’abonde dans le même sens que le sénateur Cormier, mais d’une autre façon.

Depuis l’adoption de sa déclaration de bilinguisme officiel, tous les services provinciaux dans la ville de Moncton doivent être offerts dans les deux langues officielles, chose qui est très claire. Alors, ma question est la suivante : est-ce que tous les services fédéraux sont également offerts dans les deux langues officielles?

La raison pour laquelle je vous pose cette question, c’est parce que je comprends qu’en vertu du règlement fédéral sur les langues officielles, ce ne sont pas tous les bureaux fédéraux situés à Moncton qui doivent offrir des services dans les deux langues officielles, en vertu de la demande importante. Je prends par exemple les bureaux de poste. Alors, par le passé, par exemple, cinq des six bureaux de poste à Moncton étaient touchés par ce critère. Est-ce qu’il y a eu une amélioration assez grande au niveau des services fédéraux?

Mme Melanson : Dans ce contexte, je vous parlerais peut-être comme citoyenne, mais ça ne m’est jamais arrivé de ne pas recevoir des services dans les deux langues, peu importe. De par ma formation de traductrice, je m’amuse souvent à lire les deux langues pour m’assurer que c’est la même chose. Mais honnêtement, ça ne m’est jamais arrivé à Moncton de rencontrer ce problème-là. Mais ça m’étonnerait que les bureaux ne soient pas obligés de l’être, chez nous, surtout avec le contexte de l’immigration francophone grandissante, et ces choses-là.

Le sénateur McIntyre : Je comprends qu’il y avait un certain problème, mais grâce à une modification au règlement, faite par le gouvernement fédéral, on a permis le maintien de la prestation des services dans les deux langues officielles, ici, à Moncton. Est-ce que j’ai raison de dire ça?

Mme Melanson : Côté prestation des services fédéraux, je ne crois pas être nécessairement la meilleure personne pour répondre, parce que je peux juste vous parler comme citoyenne. Mais moi, je vous dirais qu’il faudrait que ce soit offert en tout temps.

Le sénateur McIntyre : Oui.

Mme Melanson : Je pense que si quelqu’un arrivait dans un bureau fédéral à Moncton et qu’il n’avait pas accès immédiatement à un service en français, ça créerait un problème.

Le sénateur McIntyre : Merci.

[Traduction]

Mme Arnold : Parce qu’il s’agit du fédéral, je dois dire qu’il n’y a pas de bureau d’immigration ici. Nous travaillons tellement fort pour faire venir de nouveaux arrivants, et nous avons désespérément besoin d’un bureau. J’en profite simplement pour le dire. Nous avons besoin d’un tel bureau ou d’un quelconque bureau d’immigration fédéral, même de gens qui feraient le tour. Il faut que des humains viennent à Moncton à l’occasion pour régler des questions d’immigration.

Excusez-moi, mais il fallait que je le dise.

[Français]

Le président : Question complémentaire?

La sénatrice Moncion : Au sujet de l’immigration; jusqu’à quel point comptez-vous sur l’immigration ici? Qu’est-ce que vous recevez? Parce que ça aussi, c’est à l’intérieur de la Loi sur les langues officielles, et là, vous parlez de ne pas avoir de bureau. Donc, jusqu’à quel point êtes-vous comblés ou pas comblés? Parce que nous, en Ontario, juste du côté anglophone, la croissance de la population anglophone en Ontario s’est faite par les immigrants anglophones. Ce qui signifie que la population des francophones a beaucoup diminué en pourcentage. Donc, je voudrais connaître votre expérience avec le volet immigration, autre que le bureau, pour savoir comment ça se passe ici.

[Traduction]

Mme Arnold : Bien sûr, nous cherchons activement de nouveaux arrivants francophones. Le fait que nous avons l’Université de Moncton et la francophonie, c’est formidable.

Il y a un autre problème qui concerne le fédéral. Bon nombre de nos étudiants n’ont pas de permis de travail postdiplôme, et ce serait tellement utile — c’est juste une autre petite chose que je veux dire. C’est un problème.

Nous avons beaucoup travaillé au dossier des immigrants économiques. Cela n’a pas été un grand succès ici. Nous ciblons certains endroits comme le Maroc, par exemple. L’âge moyen est de 24 ans, et pour nous, c’est 44 ans. Il y a là une main-d’œuvre très instruite et souvent bilingue qui est soit sans emploi, soit sous-employée. Nous avons maintenant un groupe marocain fabuleux qui devient de plus en plus grand.

Nous usons donc davantage de stratégies quant au type de nouveaux arrivants que nous recherchons, et cela fonctionne très bien. Les nouveaux arrivants francophones constituent assurément l’un de nos objectifs. Or, par exemple, à l’Université de Moncton, bon nombre des étudiants de la Côte d’Ivoire, du Sénégal — peu importe d’où en Afrique — viennent ici sous de fausses représentations en quelque sorte en pensant qu’il deviendront bilingues, ce qui ne se produit pas.

Ce qui se produit, c’est qu’ils viennent et veulent vivre ici, et ils ne se sont pas nécessairement bien intégrés à la communauté. Ils restent sur le campus. Ils disent alors que l’endroit leur plaît et qu’ils aimeraient rester ici, qu’ils sont en train d’obtenir leur diplôme. Cependant, puisque leur connaissance de l’anglais n’est pas suffisante, ils s’en vont à Montréal ou ailleurs. C’est une vraie perte pour nous.

Nous collaborons donc davantage avec l’université présentement. Nous avons des projets de jumelage entre des étudiants internationaux francophones et des familles anglophones. Ils font des soupers de Noël, par exemple.

[Français]

La sénatrice Moncion : Dans le fameux projet de jumelage que vous mentionniez, jusqu’à quel point le gouvernement fédéral… Parce que chaque personne, quand elle demande la résidence permanente et demande de devenir citoyenne canadienne — jusqu’à quel point avez-vous de la collaboration ou jusqu’à quel point avez-vous des embûches?

Mme Arnold : Je ne connais pas le mot « embûches ».

[Traduction]

La sénatrice Moncion : Hurdles.

Mme Melanson : Obstacles.

La sénatrice Moncion : Obstacles, oui.

Mme Arnold : Oh, pour immigrer ici? Les étudiants internationaux? Il y a assurément le niveau de compétence linguistique, mais ce n’est pas la seule chose. Par exemple, il y a les étudiants qui vont dans les collèges privés — le Grand Moncton compte 18 collèges et universités, ce qui est beaucoup pour une ville de cette superficie. Le permis de travail postdiplôme constitue donc un très grand obstacle. Et je pense que c’est une bonne occasion pour notre communauté, en fait, car les gens d’ailleurs dans le monde qui viennent ici veulent souvent simplement avoir un aperçu de la culture nord-américaine. Supposons que vous avez un enfant de 17 ans. Ne voudriez-vous pas qu’il aille dans une ville sécuritaire comme Moncton plutôt qu’à Vancouver, à Toronto ou à Montréal, par exemple?

Je crois qu’une excellente occasion s’offre, mais il faut que le problème des permis de travail postdiplôme soit réglé. C’est un grand problème pour nous.

[Français]

Le président : Avant de conclure, j’ai des questions. Vous aviez indiqué que la Ville de Moncton a reçu trois plaintes, à peu près, mais où ces plaintes sont-elles déposées? Est-ce qu’elles sont déposées chez vous, directement à la Ville? Vous avez un mécanisme, ou c’est auprès du commissaire aux langues officielles? De quelle manière cela se fait-il?

Mme Melanson : Donc, il y a deux voies. Il y a des gens qui choisissent de passer par le commissariat provincial. Dans ce cas-là, on suit le mécanisme et le processus d’enquête tel que dicté par le commissariat.

Chez nous, lorsqu’on reçoit une plainte, la plupart du temps, c’est moi qui les reçois, parce qu’il y a quelqu’un qui a fait une plainte auprès d’un conseiller municipal, qui me l’envoie. Je n’ai jamais eu à faire une grosse enquête, parce que c’est souvent des situations assez simples, comme des affiches mal traduites qui ont été installées par le service de construction, ou des choses comme ça, ou une lacune dans les services de l’offre active, au service à la clientèle. Mais là, c’est juste une jasette avec l’employé. D’habitude, c’est juste un oubli, et les gens le savent. Ils le font 98 p. 100 du temps. Donc, c’est assez bien rodé chez nous.

Je vous dirais que la nouvelle politique qu’on est à veille d’adopter prévoit beaucoup d’améliorations, beaucoup plus de spécificité. J’ai fait le choix cette fois de créer un groupe de travail, si vous voulez, avec des dirigeants et des représentants de nos syndicats, justement pour comprendre ce qui se passe sur le terrain pour eux. Je leur ai dit ceci :

[Traduction]

« Il s’agit d’un espace sûr. Il ne s’agit pas de débattre d’affaires syndicales, mais j’ai besoin de comprendre votre situation. » Parfois, cela concernait le libellé de leur convention collective, parce que l’ancienneté l’emportait sur les services bilingues aux citoyens. Ainsi, si l’employé bilingue de l’équipe est malade, alors on passe à la prochaine personne sur la liste, mais cela signifie qu’on n’offrira peut-être pas de services bilingues.

[Français]

Donc, comment est-ce qu’on fait pour gérer ces défis-là? Il y a des gars des Travaux publics qui nous ont juste demandé un lexique.

[Traduction]

« Quel est l’équivalent de manhole en français? Je peux tenir une conversation, mais il y a des termes... »

[Français]

Donc, des fois, il y a des solutions assez simples où il faut juste qu’ils nous disent ce dont ils ont besoin. C’est ça. Je ne voulais pas deviner et leur dire ce dont je croyais qu’ils avaient besoin. Donc, c’était très collaboratif, dans ce sens-là.

Le président : Vous dites que vous n’avez pas de grandes enquêtes, mais est-ce que vous êtes équipés, si vous deviez mener une enquête importante, en termes de mécanismes ou d’outils?

Mme Melanson : Oui, c’est ça. Notre politique décrit un processus, et si c’était vraiment quelque chose d’assez sérieux, on ferait appel à un service juridique pour nous aider.

Le président : D’accord.

Je veux vous remercier, au nom de mes collègues, pour votre présentation.

Et comme je suis du Nouveau-Brunswick et que j’ai aussi travaillé pour gagner mon pain, je voudrais vous dire, madame la mairesse, que vous êtes plus qu’une source d’inspiration. Vous savez, comme francophones, nous avions de la difficulté à un certain moment à parler français dans la rue ici, et beaucoup de générations sont restées un peu traumatisées par ces événements-là. Quand on regarde l’évolution de la Ville de Moncton, on peut en être fier, et pas seulement au Nouveau-Brunswick. Je crois que le Canada peut être fier d’avoir une ville comme Moncton.

Alors, merci beaucoup de vos présentations.

Mme Melanson : Merci.

Mme Arnold : Merci beaucoup.

Le président : Honorables sénateurs et sénatrices, nous avons le plaisir d’accueil M. Denis Roy, doyen de la Faculté de droit de l’Université de Moncton, et M. Yves Goguen, président de l’Association des juristes d’expression française du Nouveau-Brunswick.

Bienvenue. Nous sommes très heureux de vous recevoir. Donc, la parole est à vous, monsieur Roy.

Denis Roy, doyen, Faculté de droit, Université de Moncton, à titre personnel : Monsieur le président, distingués membres du comité, bonjour. Je m’appelle Denis Roy et je suis doyen de la Faculté de droit de l’Université de Moncton. Permettez-moi avant toute chose de vous remercier de l’occasion qui m’est offerte aujourd’hui de pouvoir faire connaître mes recommandations dans le cadre de votre consultation.

Le temps qui m’est accordé est très court — cinq minutes —, et comme j’ai l’intention de m’y conformer, je vais directement énumérer mes recommandations, et j’imagine que, par la suite, on aura l’occasion de revenir sur mes justifications.

J’utiliserai les mots « la loi » pour désigner la Loi sur les langues officielles du Canada et le Règlement sur les langues officielles. Je parle du règlement qui porte sur les communications avec le public et la prestation des services. Je ne prends évidemment pas en considération le Décret d’exemption de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada.

J’ai identifié trois domaines où la réforme s’impose. Ces domaines sont les suivants : le service au public, les services juridiques et le traitement des plaintes. Je vais me concentrer sur le domaine juridique. À mon avis, dans ce domaine, on doit traiter de l’accès à la justice et des services de qualité égale, et j’en ai déduit les recommandations suivantes.

Recommandation 1 : la loi devrait préciser que les juges des tribunaux fédéraux ont l’obligation de rendre leurs décisions dans la langue du justiciable et dans les deux langues officielles lorsque les deux justiciables ont choisi d’employer des langues différentes.

Recommandation 2 : la Loi devrait préciser que les décisions des tribunaux fédéraux doivent être publiées simultanément, dans les deux langues officielles, en toutes circonstances.

Recommandation 3 : la loi devrait préciser que les versions anglaises et françaises des décisions des tribunaux fédéraux ont la même autorité. Je parle évidemment des décisions de la Cour suprême, de la Cour fédérale, de la Cour d’appel fédérale et de la Cour canadienne de l’impôt.

Recommandation 4 : la loi devrait préciser que les juges à la Cour suprême du Canada doivent être bilingues dès leur nomination.

Recommandation 5 : la loi devrait préciser que les juges des cours supérieures du Nouveau-Brunswick doivent être bilingues dès leur nomination.

Recommandation 6 : le principe de corédaction des lois fédérales devrait être codifié dans la loi.

Recommandation 7 : le Programme de contestation judiciaire devrait être codifié dans la loi.

J’en ai onze, si vous voulez savoir où je m’en vais avec ça.

Le président : Très bien. Merci de la précision, monsieur Roy.

M. Roy : Recommandation 8 : la loi devrait établir que les conclusions du commissaire aux langues officielles sont des décisions et non des recommandations.

Recommandation 9 : la loi devrait prévoir un système de sanctions à la disposition du commissaire aux langues officielles.

Recommandation 10 : le système de sanctions devrait être sous forme ascendante. Par exemple : première offense, un avertissement; deuxième offense, une amende; troisième offense, une amende plus importante; et cetera.

Et cette dernière recommandation, la recommandation 11 : l’étendue des obligations du gouvernement découlant de la partie VII de la loi devrait être précisée.

Je m’arrête ici pour l’instant, et comme je le disais, il y aura sans doute des questions tantôt.

Le président : Très bien. Merci beaucoup, monsieur Roy.

Monsieur Goguen, la parole est à vous.

Yves Goguen, président, Association des juristes d’expression française du Nouveau-Brunswick : Merci, monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs.

J’aimerais commencer par vous remercier de m’avoir invité afin que l’association dont je suis le porte-parole, l’Association des juristes d’expression française du Nouveau-Brunswick, puisse vous faire part de ses suggestions à l’égard de la modernisation de la Loi sur les langues officielles.

L’une des modifications les plus importantes qui doivent être apportées à la loi est sans contredit celle qui a pour but de supprimer l’exception relative au bilinguisme des juges à la Cour suprême du Canada. C’est la plus importante, et peut-être la plus facile. De nombreuses tentatives visant à exiger que les juges de la Cour suprême du Canada comprennent le français et l’anglais sans l’aide d’un interprète ont eu lieu depuis 2008, mais en vain.

Cette exception a vu le jour lors de la modification de 1988, et ce, malgré la recommandation de la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme en 1967, voulant notamment que l’anglais et le français soient formellement déclarés langues officielles des tribunaux fédéraux. Et comme vous le savez, la Cour suprême du Canada est un tribunal fédéral, comme tous les autres.

Donc, si la Loi sur les langues officielles a besoin d’être modernisée et modifiée, supprimer l’exception qui est prévue pour que les juges de la Cour suprême du Canada n’aient pas à comprendre l’anglais ou le français sans interprète devrait constituer le point de départ. Toute discussion au sujet de la modernisation de la Loi sur les langues officielles devrait commencer par une mise à jour qui se fait attendre depuis 49 ans.

Ensuite, l’autre modification, selon nous la plus importante, vise à préciser une fois pour toutes l’étendue des obligations qu’a le gouvernement en vertu de la partie VII de la loi. L’article 41 est d’une importance capitale pour les communautés de langue officielle en situation minoritaire et pour un organisme communautaire sans but lucratif, comme le nôtre.

L’AJEFNB exerce le rôle crucial de porte-parole de la communauté en matière de droits linguistiques judiciaires, mais elle n’a aucun employé et elle n’arrive pas à retenir les services à temps plein d’un agent contractuel. Nos interventions ont pourtant des conséquences importantes pour la communauté francophone du Nouveau-Brunswick, comme en témoignent notre intervention à la Cour d’appel dans l’affaire Charlebois c. Moncton, qui a mené à l’adoption d’une nouvelle Loi sur les langues officielles en 2002, nos démarches pour que la question de la capacité linguistique soit ajoutée au formulaire de candidature à la magistrature de la Cour provinciale, et aussi la plainte déposée auprès du Commissariat aux langues officielles du Nouveau-Brunswick en juin 2017 concernant des délais inhabituels pour un justiciable francophone qui attendait de recevoir une date d’audience bilingue dans une région majoritairement anglophone.

Alors que le débat persiste au sujet de l’étendue des obligations qu’a le gouvernement en vertu de la partie VII, les communautés de langue officielle en situation minoritaire, comme la nôtre, en paient le prix.

L’AJEFNB est bien placée pour le savoir, puisqu’elle a déposé une plainte auprès du Commissariat aux langues officielles le 1er décembre 2014, en s’appuyant sur la partie VII de la loi pour justifier que le gouvernement du Canada devait maintenir le financement de base, lequel a pris fin en mars 2013, à la suite d’une décision du gouvernement Harper. Bien que nous attendions toujours le rapport de suivi du commissaire, dans son rapport final d’enquête, le commissaire a jugé que la plainte était fondée et a émis trois recommandations, lesquelles semblent avoir reçu une suite positive, puisque le gouvernement du Canada a récemment annoncé, dans le Plan d’action pour les langues officielles, en mars dernier, le rétablissement du financement de base.

Cela dit, la situation est précaire. Nous n’avons toujours pas reçu de financement de base, et voilà qu’on apprend que le commissariat modifie la façon dont il traite les plaintes déposées en vertu de la partie VII, à la suite du jugement de la Cour fédérale dans l’affaire Fédération des francophones de la Colombie-Britannique c. Canada. Cette prise de position est inquiétante et difficile à comprendre, puisque l’affaire n’est pas terminée. Certes, il y a un jugement, mais il est porté en appel et on s’attendait à ce que le commissaire attende l’issue de toute l’affaire avant de modifier la façon dont il traite les plaintes déposées en vertu de la partie VII de la loi.

Cette situation témoigne toutefois de l’importance de préciser cette partie de la loi une fois pour toutes.

Enfin, il aura été question d’un point de vue à l’égard des pouvoirs du Commissariat aux langues officielles. Quelle que soit la modification que proposera ce comité, elle doit avoir pour but d’alléger le fardeau qui retombe toujours sur les épaules des communautés de langue officielle en situation minoritaire, en vue de faire respecter leurs droits. C’est un fardeau trop grand, donc toute modification en ce sens devrait tenir compte du particulier, du justiciable et de la partie plaignante.

Merci de votre attention, et merci encore une fois d’avoir invité l’Association des juristes d’expression française du Nouveau-Brunswick. Merci beaucoup.

Le président : Merci pour vos présentations. Nous allons commencer notre échange avec mes collègues, en commençant par le sénateur McIntyre.

Le sénateur McIntyre : Merci, messieurs, pour vos présentations.

Monsieur Roy, la Faculté de droit de l’Université de Moncton a mis sur pied deux centres de recherche. Pouvez-vous nous en parler un peu?

M. Roy : Oui. Évidemment, vous parlez du CTTJ, qui est là depuis presque les débuts de la faculté.

Alors, son rôle, c’est principalement de nous accompagner dans cette aventure qui est d’étudier et d’enseigner la common law en français. Donc, on avait besoin d’instruments. On avait besoin de construire tout un univers linguistique qui n’existait pas. On était des pionniers dans le domaine. Et d’ailleurs, je crois que Karine McLaren, la directrice du centre, va passer chez vous également.

Et donc, c’est un centre qui a été primordial au projet comme tel. On n’aurait pas pu envisager la construction — le développement de la Faculté de droit — sans ce centre de traduction et de terminologie juridique. Encore une fois, on a construit un univers linguistique qui n’existait pas auparavant.

C’est un centre qui est toujours très actif, qui apporte également une contribution importante au niveau de la traduction. On a parlé de la traduction des décisions, notamment. Donc, c’est encore vraiment un centre d’une importance incontournable pour la faculté et pour l’Université de Moncton, et ça dépasse, en fait, les murs de la Faculté de droit pour être un centre qui, non seulement est connu et utilisé par les juristes Néo-Brunswickois, mais aussi par les juristes canadiens et même les juristes au niveau mondial, qui s’intéressent à ce qui se fait dans ce centre.

Le sénateur McIntyre : Parlez-nous un peu des défis auxquels votre université est confrontée. Par exemple, existe-t-il un manque de ressources humaines et financières?

M. Roy : Je vais vous répondre avec un exemple assez choquant. La Faculté de droit au pays qui est le plus près de la Faculté de droit de l’Université de Moncton en termes de ressources et de financement est l’UNB, et l’UNB a le double des ressources et du financement que nous avons à la Faculté de droit de l’Université de Moncton. On fait des miracles à l’Université de Moncton. Il y a longtemps que je le dis, et maintenant que je m’occupe de la gestion financière, je constate qu’effectivement on fait des miracles. C’est vraiment une équipe de professeurs et d’employés de soutien qui ont mené à bout de bras une aventure extraordinaire, mais il manque de ressources, de toute évidence.

Une autre image choquante : Toronto a 20 fois le budget que j’ai, mais je me permets une parenthèse pour dire qu’on va quand même gagner les tribunaux-école contre ces grandes universités.

Le sénateur McIntyre : Oui.

Peut-être une dernière question, monsieur Roy. Je comprends que des partenariats ont été conclus avec d’autres universités de la francophonie canadienne, afin d’assurer l’offre de programmes en français ailleurs au pays, comme à l’Île-du-Prince-Édouard, en Nouvelle-Écosse, en Saskatchewan, en Ontario et au Manitoba. Pourriez-vous nous en dire davantage?

M. Roy : Si votre question est rattachée à celle des ressources, ce n’est pas une avenue qui va nous aider beaucoup, parce qu’en fait, ce qu’on vient chercher, c’est une expertise qu’on a certainement, mais je viens de dire qu’on est très limité au niveau des ressources. Alors, très souvent, ça ajoute un fardeau à mes collègues du corps professoral, qui est très petit, et donc en termes de ressources, ce n’est pas la solution.

Évidemment, nous, on n’aime pas dire non, alors lorsqu’on nous demande une aide, lorsqu’on nous demande une contribution, on est heureux d’embarquer dans des projets, mais je pense qu’il y aura une limite à ça. Mais en termes de budget, ce n’est pas là où on va trouver des ressources nouvelles.

Le sénateur McIntyre : Merci.

Monsieur Goguen, quelles relations l’AJEFNB entretient-elle avec l’Association du Barreau du Nouveau-Brunswick, mieux connue sous le nom de New Brunswick Barristers Society? Est-ce que la vision est la même? Est-ce qu’il y a des défis? Par exemple, je comprends que l’AJEFNB désire faire la promotion de l’accès à la justice en français. Elle travaille à l’avancement de l’exercice du droit en français dans la province et ailleurs au Canada. Est-ce que l’Association du Barreau du Nouveau-Brunswick vous appuie dans cette démarche?

M. Goguen : Je vais répondre en deux temps. Donc, d’abord, l’AJEFNB a été créée en 1987 pour combler une carence. Il faut se rappeler que, dans les années 1980, le Barreau du Nouveau-Brunswick était composé d’une majorité écrasante d’anglophones. Les juristes francophones pouvaient difficilement faire entendre leurs revendications en matière de droits linguistiques judiciaires au sein de leur ordre professionnel. C’est dans ce contexte que l’AJEFNB a été créée et que ses membres l’ont dotée d’une mission ambitieuse, en vue de remédier aux obstacles à l’accès à la justice en français.

Et au moment de la création, il y avait un débat au sein même du Barreau, à savoir si le Barreau devait proposer des réformes. Est-ce que c’est vraiment le rôle de l’ordre professionnel de proposer ou de militer pour des réformes en matière d’accès à la justice ou pour les droits linguistiques? Ce n’était pas clair.

Alors, c’est dans ce contexte-là que l’association a été créée en 1987. Depuis ce temps-là, beaucoup de choses ont changé. La composition du Barreau a beaucoup changé, grâce en grande partie à la Faculté de droit de l’Université de Moncton, ce qui a permis aux juristes de s’intégrer au Barreau du Nouveau-Brunswick et de pratiquer le droit en français.

Mais, c’est sûr que la mission, la raison d’être de l’ordre professionnel et de notre association est on ne peut plus revendicatrice. Nous, on porte plainte contre les gouvernements. On intervient très activement dans les médias et avec des interventions, aussi, à titre d’amis de la Cour.

Alors, pour moi, les deux organismes ont des missions tout à fait différentes, mais il est certain qu’on a un dialogue et une coopération, et qu’on discute avec le Barreau.

Le sénateur McIntyre : Oui. Je ressens une certaine coopération, parce que moi, je suis avocat de formation. J’ai obtenu un bac de l’Université de Moncton, une maîtrise en histoire de l’Université du Nouveau-Brunswick, et j’ai fait mes études en droit à l’école de droit de l’Université Dalhousie. J’ai pratiqué pendant 40 ans dans la province du Nouveau-Brunswick, tant dans la langue française que dans la langue anglaise. Je n’ai jamais senti de froid, disons, entre les deux associations. D’ailleurs, je suis membre des deux associations, de l’association francophone comme de l’association anglophone.

Mais on est en 2018, et je pense que c’est important pour des associations d’avoir une certaine vision commune, la même vision de plusieurs enjeux. Êtes-vous d’accord avec affirmation?

M. Goguen : Oui. Idéalement, dans la mesure où le Barreau du Nouveau-Brunswick est en faveur d’un bilinguisme judiciaire.

Le sénateur McIntyre : Est-ce que le Barreau du Nouveau-Brunswick doit faire plus et s’avancer beaucoup plus dans les dossiers?

M. Goguen : À mon avis, oui.

Le sénateur McIntyre : Oui? C’est ce que je voulais savoir. Merci, monsieur Goguen.

La sénatrice Moncion : Ma question s’adresse à M. Roy. Pourriez-vous préciser votre recommandation numéro 7, où vous parlez du Programme de contestation judiciaire qui devrait être codifié dans la loi? Pourriez-vous peut-être préciser un peu plus votre pensée? C’est la même chose pour votre recommandation 11. Comment, vous ne les savez pas par cœur?

M. Roy : Attention, il y a certaines recommandations où, si on aborde le sujet, on en a pour un bon bout de temps. Pour la recommandation 7, ça va assez bien. Ça va être raisonnable pour un juriste.

La sénatrice Moncion : Parfait.

M. Roy : Avant de commencer à répondre à des questions, j’aimerais amener une précision. Je pense que ça va être une évidence pour beaucoup d’entre vous, mais je veux quand même le dire. J’ai écarté de mon analyse toute considération pragmatique. Je cherche à m’inscrire dans une cohérence juridique. Je ne prends pas en compte dans mon analyse des considérations qui peuvent être évaluées par des décideurs, des administrateurs, ce que vous allez devoir faire, ce que d’autres vont devoir faire. Moi, j’ai essayé de définir les contours cohérents du droit canadien à partir d’un cadre constitutionnel, législatif et jurisprudentiel canadien.

Donc, je ne me suis pas posé la question à savoir si c’était faisable en pratique. Moi, j’essaie de trouver la cohérence. Je le répète souvent à mes étudiants, et je pense que mes collègues l’entendent souvent aussi, que, pour moi, le droit, c’est une idée qui sert à protéger d’autres idées. Ce n’est pas idée bonne ou mauvaise, c’est une idée qui cherche à protéger d’autres idées, et mon questionnement, c’est toujours de savoir ce qu’on essaie de protéger ici, avec le droit. C’est comme ça que j’arrive à mes arguments.

Pour ce qui est de la recommandation 7, le Programme de contestation judiciaire qui devrait être codifié; je m’étais fait une petite note qui m’avait moi-même fait sourire, où j’avais écrit qu’il faut se protéger des égarements politiques engendrés par les éblouissements du populisme démagogique. On vit dans une époque où on semble beaucoup subir cette réalité, et je pense qu’il y a des politiques qui nous éloignent de la cohérence sociale, d’une construction sociale politique inscrite dans l’histoire d’un peuple. Pas toutes les politiques sont de bonnes politiques, et je pense qu’on a le droit, comme société démocratique, de se donner des garde-fous. Et j’avais même écrit : pour nous protéger des ignares et des fous. Je suis d’accord avec vous, je vais un peu loin.

Mais je pense qu’on a le droit, comme société, de se donner des garde-fous, non pas pour s’assurer de ne pas s’ingérer dans les décisions politiques et des choix politiques, mais simplement pour s’assurer qu’il y a une cohérence sociétaire qui est inscrite, qui dépasse le cadre juridique et politique. C’est quelque chose qui est historique, qui s’inscrit dans une histoire commune du peuple, pour s’assurer qu’on n’est pas constamment en train de réparer des dégâts qui pourraient être provoqués par des gens qui n’ont pas compris là où on s’en allait, alors qu’il y a des signes quand même très, très clairs. Un contrat social est comme une Constitution. Ce n’est pas une loi comme les autres. Ça nous indique un choix de société.

Moi et mes enfants, nous avons grandi dans une société où on ne se sent pas opprimé parce qu’on est issu d’une culture minoritaire, et mes concitoyens anglophones sont fiers de ça. Ils sont fiers qu’on puisse se sentir comme ça dans ce pays, ce qui est très rare sur la planète, présentement.

Donc, je pense qu’on a besoin de s’assurer, et encore une fois de se protéger des soubresauts du populisme ambiant qui ne nous épargne pas, ici, comme un peu partout sur la planète.

La sénatrice Moncion : J’avais une question…

M. Roy : Au sujet de la recommandation 11?

La sénatrice Moncion : C’est ça.

M. Roy : On avait posé une question à ce sujet. Je ne sais pas si mon collègue, Érik Labelle, de l’observatoire, a déjà comparu devant votre comité. C’est demain? C’est le grand spécialiste de la partie VII de la loi. Donc, j’imagine qu’il vous en dira davantage.

Mais quand j’ai réfléchi à la recommandation 11, qui parle de préciser le rôle du gouvernement, c’était parce qu’on est nombreux à avoir constaté le flou autour de cette question. Mon collègue, tout à l’heure, l’a soulevé. C’était notamment en pensant aux AJEF, les associations de juristes d’expression française canadiennes. Alors, l’AJEFNB est un membre d’une sorte de fédération canadienne qui a des juristes d’expression française, et je trouve qu’en raison notamment du changement au niveau du financement au cours des années, ces AJEF ont été forcées un peu de s’éloigner de leur mandat. Je trouve ça dommage. Je pense que ça s’inscrit dans ce que j’ai dit il y a un instant, à savoir qu’on a atteint une maturité au Canada qui devrait nous permettre d’accueillir la critique, et les AJEF, selon moi, au départ, avaient ce rôle, un rôle important, et ce n’était pas n’importe quelle critique.

Si vous allez voir l’histoire de ces AJEF, notamment celle du Nouveau-Brunswick, elles ont toujours donné des critiques très constructives. Oui, il y a eu parfois la nécessité de se tourner vers le judiciaire, mais vous savez que, lorsqu’on se retourne vers le judiciaire, c’est parce qu’on fait face à des sociétés qui sont paisibles. Lorsqu’on se sert du droit pour défendre des idées, c’est parce qu’on ne se sert pas de la guerre. Donc, on ne devrait pas avoir peur nécessairement, mais ce que j’allais dire, en fait, ce que je pense est plus important, c’est que même lorsque les AJEF sont allées dans cette voie, c’était toujours en hésitant, en regardant toutes les options possibles.

Je sais qu’il y a eu aussi un courant de pensée qui disait qu’il y avait de l’activisme judiciaire, mais il n’y a jamais eu d’activisme judiciaire sur la question linguistique au Canada. L’activisme judiciaire, c’est de courir vers la solution judiciaire avant de regarder autre chose. Allez voir tous les dossiers qui se sont retrouvés devant les tribunaux. Ce sont des dossiers habituellement qui ont traîné pendant 20, 25, 30 ans, jusqu’au moment où on s’est dit qu’il fallait vraiment que la question soit approfondie, pour qu’on avance, donc on est allé devant les tribunaux, et à chaque fois on a gagné. Donc, on n’a pas tort non plus, sur le fond.

Donc, c’est dans ce sens que je pense que cette partie de la loi, qui est très importante, doit être précisée, mais de façon plus concrète. J’ai beaucoup pensé aux AJEF lorsque j’ai réfléchi à cette question. Je pense que les AJEF ont beaucoup de difficulté présentement. Je m’inquiète de l’avenir des AJEF, et je trouve ça très intéressant qu’elles soient capables d’offrir des services qui servent à tous les Canadiens, d’ailleurs. Encore une fois, comme pour les universités, on n’aime pas dire non à de beaux projets, mais j’ai vraiment l’impression qu’on s’est beaucoup éloigné des mandats qu’on s’était donnés au départ, qui était une sorte de critique constructive faite par des spécialistes de la question.

La sénatrice Moncion : Je dirige la question vers M. Goguen. Ça veut dire que s’il y avait de l’activisme judiciaire, pour ne plus en avoir, on coupe le financement.

M. Goguen : C’est certainement mon interprétation de l’affaire. Il faudrait demander au gouvernement en place qui a pris la décision. Quelles étaient les raisons pour lesquelles ils ont décidé de couper le financement de base? Je ne peux pas me prononcer sur ça, mais je peux certainement vous parler des effets que cette coupure a pu avoir sur l’AJEFNB, mais aussi sur toutes les AJEF à travers le Canada.

Je pense que l’objectif est un peu sournois, mais c’était de faire des AJEF l’extension de l’appareil fédéral, de mener à terme des projets ponctuels, qu’il s’agisse de faire des manuels, des projets intéressants, mais qui découlent quand même de la responsabilité du fédéral. Mais on a réussi à avoir, à moindres coûts, des projets, des services, de la part des AJEF.

Nous, au Nouveau-Brunswick, les coupes au financement de base nous ont particulièrement fait mal, parce qu’on a décidé de ne pas ouvrir un centre d’information juridique, comme dans toutes les autres provinces. On est dans une province officiellement bilingue, et c’est certainement la responsabilité du gouvernement de rendre accessibles les informations juridiques à la population. Dans les autres provinces, ça a été un peu délégué aux AJEF de créer et de gérer ces centres d’information juridique, et je n’ai pas les chiffres, mais de façon anecdotique, on sait que ce sont majoritairement les anglophones qui vont se servir de ces centres d’information juridique, parce qu’évidemment, le service est offert dans les deux langues officielles. Malheureusement, c’est ce qui occupe le plus de temps pour les AJEF aujourd’hui, parce que c’est essentiellement leur seul gagne-pain.

La sénatrice Moncion : Monsieur le président, puis-je faire un commentaire par rapport à ce point-là?

Le président : Oui.

La sénatrice Moncion : C’est qu’on a entendu plein de choses qui se répètent, mais ce point-là en est un qui mérite d’être élaboré dans notre rapport. Parce que ça donne la permission à un gouvernement qui ne les aime pas de couper et d’empêcher ces gens-là de travailler, alors qu’on devrait avoir une loi qui leur permet de fonctionner quand ça va bien et quand ça va moins bien aussi, que le gouvernement soit d’accord ou non.

M. Roy : D’autant plus, si je peux me permettre, lorsqu’on est face à un gouvernement qui, pour toutes sortes de raisons, pour des préférences politiques ou des préférences de vues de société, n’est pas tellement d’accord avec ce projet. C’est à ce moment-là qu’on a particulièrement besoin d’une critique pour rappeler à l’ordre le gouvernement. Donc, oui, je pense que ce qui se passe avec les AJEF présentement, c’est fort inquiétant.

La sénatrice Moncion : Vous êtes sûr que la loi doit protéger cet aspect-là, et c’est peut-être quelque chose qui, comme je le disais…

M. Roy : J’ai dit d’entrée de jeu que je parlais de la loi en parlant de la loi et du règlement. Ça pourrait être quelque chose qui pourrait se faire dans le règlement très facilement.

La sénatrice Moncion : Oui. On pourra en parler après, du règlement.

La sénatrice Gagné : Merci pour vos présentations, et merci aussi d’être aussi transparents et candides dans vos remarques et vos commentaires.

Dans le contexte de la modernisation de la loi, on a entendu différents témoins nous indiquer qu’il serait important de reconnaître dans la loi la spécificité constitutionnelle du Nouveau-Brunswick. Quoiqu’il y ait eu aussi un autre témoin qui s’est présenté, qui nous a dit qu’on n’avait pas besoin de le reconnaître, parce que finalement, la spécificité constitutionnelle du Nouveau-Brunswick se retrouve aussi dans la Constitution et dans la Charte canadienne. Alors, j’aimerais savoir ce que vous en pensez.

M. Roy : Je partage la deuxième opinion. Je ne pense pas que c’est nécessaire. Si on ajoute des éléments au niveau de la législation, ça ouvre toujours une porte supplémentaire à une interprétation. Je pense qu’avec le dispositif législatif du Nouveau-Brunswick, avec le fait qu’on a drapé d’une protection constitutionnelle la question linguistique du Nouveau-Brunswick, je ne vois pas la nécessité de le faire, effectivement.

La sénatrice Gagné : D’accord. Monsieur Goguen?

M. Goguen : C’est déjà prévu dans la loi suprême du pays. Si on voulait l’ajouter dans le préambule, ça pourrait ajouter une fonction symbolique, mais ce n’est probablement pas nécessaire.

La sénatrice Gagné : J’ai une autre question. Est-ce que vous croyez que les obligations qui incombent à Justice Canada devraient être clairement énoncées dans la Loi sur les langues officielles?

M. Roy : Oui.

La sénatrice Gagné : Dans quelle partie?

M. Roy : Bien, je me demande si ce ne serait pas justement dans la partie VII dont on parlait. Ça pourrait amener un élément plus précis. Parce qu’il ne faut pas oublier qu’il y a ce que la loi va nous dire, mais il y a aussi ce qui va suivre. Le message n’est pas uniquement ce qu’on retrouve dans les mots. Il y a le geste. Il y a le symbolisme. C’est très important. Donc, je pense que si on l’ajoutait à la partie VII, ça nous donnerait deux choses, soit l’intention de répondre aux critiques qui trouvent que cette partie est trop floue, et ensuite de réaffirmer notre engagement au niveau des ministres.

La sénatrice Gagné : Monsieur Goguen?

M. Goguen : Oui, et très récemment, on a eu un exemple de l’importance de le faire, puisqu’il y a un juge de la Cour fédérale qui nous a dit que le libellé de l’obligation prévue à l’article 41 est essentiellement vague et peu contraignant. Ça peut avoir comme conséquence que la plupart des plaintes en vertu de la partie VII seront maintenant jugées non fondées.

Si on regarde l’article 41, on voit que le paragraphe 1 nous parle de l’obligation, de l’engagement du gouvernement d’appuyer le développement et de promouvoir les communautés en situation minoritaire. Le paragraphe 2 nous parle de mesures positives que le gouvernement doit prendre pour arriver à cette obligation-là prévue au paragraphe 1. Et le paragraphe 3, en fait, nous parle d’un règlement qui pourrait venir préciser ces mesures positives. Alors, est-ce que ce serait une façon de le faire, en vertu du paragraphe 3 de l’article 41, et d’en faire un règlement pour préciser une obligation qui est, selon les termes du juge, « essentiellement vague et peu contraignante »? La réponse est oui.

Pour nous, ça pourrait nous empêcher de constamment avoir recours au judiciaire et de perdre énormément de ressources. Pour nous, ça fait depuis 2014. On attend le rapport final, et il se pourrait que ce ne soit pas fini. Il se peut qu’on doive aller en cour. Pendant combien d’autres années? Durant ce temps, l’assimilation bat son plein et les choses ne sont pas réglées.

Donc, avec une précision dans la loi, ça pourrait empêcher de toujours devoir défendre ou faire valoir nos plaintes devant les tribunaux.

La sénatrice Gagné : Merci.

La sénatrice Mégie : Étant donné le statut officiellement bilingue du Nouveau-Brunswick, est-ce que tous les jugements sont rendus dans les deux langues officielles?

M. Roy : Tous ceux de la Cour d’appel le sont. Pour ce qui est des cours inférieures, ça ressemble un peu à ce qu’on retrouve, en fait, dans la loi fédérale, à savoir si c’est justifié. Mais de plus en plus, depuis quelques années, on traduit les décisions au Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Mégie : Mais quand vous dites « si c’est justifié », y a-t-il beaucoup de critères?

M. Roy : Il y a le même flou que ce qu’on retrouve du côté fédéral. J’ai l’impression — mais c’est vraiment juste une impression — qu’on est quand même un peu plus généreux au Nouveau-Brunswick. La question, c’est de savoir si ça apporte un changement jurisprudentiel, si c’est une question qui n’a pas été abordée dans le passé — je parle au juriste à côté de vous.

Donc, ça peut paraître flou à interpréter, mais en réalité, si on y appliquait des critères juridiques, on pourrait arriver à des critères objectifs très facilement.

La sénatrice Mégie : D’accord. Mais en général — mettons qu’on sort du Nouveau-Brunswick —, parce que vous aviez dit tantôt que les jugements des tribunaux devraient être publiés dans les deux langues officielles. Là, vous vouliez parler de tout?

M. Roy : Oui.

La sénatrice Mégie : Quand je parlais de ça à un collègue, il m’a dit qu’au Québec, il y a près de 18 000 jugements qui sont rendus par année.

M. Roy : Oui.

La sénatrice Mégie : Donc, est-ce qu’ils vont se taper tout ça dans les deux langues officielles? Parce qu’ils se disent qu’ils n’ont pas les ressources pour ça. Qu’est-ce que vous pensez de ça?

M. Roy : Oui. Mais c’est pourquoi je vous ai dit tout à l’heure que je n’ai pas tenu compte de la dimension pragmatique dans mon analyse. Si on est dans un pays où on dit que les deux langues officielles sont à égalité, je pense que tout devrait être disponible dans les deux langues.

Je suis conscient que ça voudrait dire… Si on pose la question à un juriste en lui demandant si l’élément économique ou pratique doit peser dans son analyse juridique, la réponse, c’est non. C’est comme si on posait la question à un scientifique en lui disant : « Oui, c’est vrai ce que vous nous dites scientifiquement, mais en pratique, on ne pourra pas le faire. Ça, ça sera à d’autres gens de le faire. »

Mais vous avez raison. Ce serait colossal. Je pense, par exemple, au niveau du droit de l’immigration, que j’enseigne, il peut y avoir 1 700, 2 100 décisions par année, à la Cour d’appel, qui sont rendues là-bas. Mais effectivement, d’un point de vue de pratique, ça pourrait créer beaucoup d’emplois pour les traducteurs.

La sénatrice Mégie : Parfait. Merci.

Le président : Avant de passer au deuxième tour, je vais poser à mon tour une question — deux questions, peut-être — par rapport à votre recommandation numéro 8 sur le commissaire aux langues officielles. C’est-à-dire que ses recommandations soient reçues comme des décisions et non comme des recommandations. Alors, est-ce qu’il devient un tribunal, dans ce cas-là? Est-ce que ce genre de pouvoir existe auprès d’autres commissaires? Et que pensez-vous de la suggestion ou de la proposition de certains témoins qui parlent de l’importance d’avoir un tribunal administratif qui permette au commissaire aux langues officielles d’enquêter et de faire la promotion, mais de ne pas être à la fois juge et partie ?

M. Roy : Oui. Donc, vous avez remarqué que cette recommandation 8 — en fait, 8, 9 et 10, ce sont des recommandations qui vont ensemble. Donc, ces recommandations proposent d’établir que les conclusions du commissaire aux langues officielles soient des décisions et non des recommandations, que la loi devrait prévoir un système de sanctions, et, ensuite, je vais même vous proposer que parfois on puisse rassembler les étapes de la sanction. Pourquoi on parle de cette question? C’est parce qu’on a constaté que le commissaire aux langues officielles ne possède pas les pouvoirs nécessaires pour assurer le respect de la loi.

J’ai lu le rapport de la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada. Je pense qu’on cherche aussi à répondre à la question de créer un tribunal administratif. C’est peut-être une avenue un peu rassurante, parce qu’on a déjà un système semblable dans le domaine des droits de la personne.

Moi, je l’ai entendu, cet argument, de l’appréhension d’avoir un commissaire qui accorde des sanctions. Ce n’est pas une appréhension que je partage. Ça ne m’inquiète pas. En fait, je trouve que d’ajouter une autre structure administrative au système, ça ne m’intéresserait pas beaucoup. Je pense comprendre que le Commissariat aux langues officielles compte à peu près 120 personnes, des gens très compétents, une grosse équipe solide. Et je ne sais pas pourquoi on aurait peur du fait que quelqu’un qui tranche le litige ou la question enchaîne ensuite et décide de la conséquence de sa décision. Parce qu’après tout, ce sont les personnes qui vont faire enquête, qui vont étudier le dossier qui sont très bien placées ensuite pour savoir quelle est la sanction, la pénalité ou l’amende qui serait juste et raisonnable.

C’est pour ça que je disais tout à l’heure aussi que je souhaiterais voir des offenses par étapes, en commençant par un premier avertissement. Sachant dès le premier avertissement que la prochaine fois, ce n’est plus un avertissement, mais une amende… On a des récalcitrants. Je ne nommerai personne, mais on connaît des gens qui, année après année, depuis longtemps, on leur tape toujours sur les doigts. On m’a dit que ça mettrait peut-être le commissaire dans une situation inconfortable, parce qu’il va prendre son gin pour essayer de convaincre les gens, et tout ça. Mais je préfère qu’il n’ait pas à prendre de gin et qu’il puisse donner une sanction.

La sénatrice Moncion : Il va fumer un joint maintenant.

M. Roy : Il va peut-être fumer un joint maintenant.

Je peux vous dire tout de suite que je connais le commissaire, et non, ça n’arrivera pas. Non. Moi aussi, je vous trouve bien candides, et j’aime ça.

Sérieusement, je ne pense pas que l’idée de la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada soit une mauvaise idée, mais je pense qu’on pourrait très bien faire avec le commissaire, et qu’on pourrait très bien s’habituer à cette idée du commissaire qui, après avoir rendu sa décision, se retrouve avec son équipe et décide, après six avertissements, quelle sera la prochaine étape. Non seulement ils connaîtraient le dossier devant eux, mais ils connaîtraient l’historique derrière le dossier, et je pense que le commissaire serait bien placé pour faire ce travail.

Est-ce que c’est une situation un peu exceptionnelle? Vous avez posé un peu cette question. Peut-être, mais on fait face à un système qui est tout à fait exceptionnel, alors, pourquoi ne pas l’adapter exactement comme on le souhaiterait?

Le président : J’aurais une deuxième question à vous poser sur le volet de la formation, mais auparavant, j’aimerais avoir votre point de vue sur la décision du commissaire par rapport au jugement qui a été porté sur la partie VII, en Colombie-Britannique, et quant au commentaire du commissaire par rapport à ça. Quelles sont les conséquences, à votre avis, d’une telle prise de position?

M. Goguen : Là, je me réfère à la Fédération des communautés francophones et acadienne, qui s’est prononcée sur le sujet et qui est très inquiète. L’AJEFNB va faire une demande d’intervention, pour intervenir de sorte que la partie VII ne reçoive pas cette interprétation restrictive, comme c’est le cas, puisque nous avons aussi une démarche. On a une plainte en cours qui porte directement sur cette question de la partie VII.

Le professeur Érik Labelle Eastaugh, que vous allez entendre demain, est un expert de la partie VII de cette loi. Il est membre du CA de l’AJEFNB, et il va nous représenter dans cette affaire. Je pense qu’il pourrait vous éclairer mieux que moi sur cette question.

Mais certainement, lorsque le juge — et c’est le juge Gascon — nous dit que ce n’est pas assez clair, que c’est trop vague, et que l’article 41 n’est pas contraignant, ça nous inquiète. Et lorsque le commissaire agit sur ces mots en disant qu’il doit désormais changer un peu sa façon de traiter les plaintes en vertu de la partie VII… Une des conséquences qui nous inquiète beaucoup, c’est que la plupart des plaintes, en vertu de la partie VII, seront désormais jugées non fondées. Alors, c’est un peu comme si le juge nous disait qu’il faut préciser, sinon il ne peut rien faire.

Le président : D’accord.

M. Roy : Je suis assez d’accord avec les propos de mon collègue. Je serais peut-être un peu moins sévère que ce qu’on a entendu dans les médias. Le nouveau commissaire est arrivé avec un style, avec une réputation de ne pas être un va-t-en-guerre. On le connaît bien, en Acadie.

Maintenant, c’est une situation nouvelle. Je ne sais pas si quelqu’un d’autre se serait comporté d’une façon différente. Il y a quand même une décision judiciaire qui a été rendue. C’est quand même assez complexe. C’est vrai aussi qu’on va interjeter appel de la décision. Donc, je pense que si ça s’étire dans le temps, ça peut devenir effectivement un problème important, mais j’aurais tendance à laisser un peu la chance au coureur pour voir comment on va réagir.

Est-ce que, par exemple, toutes les demandes qui vont être faites, les plaintes qui vont être faites dans cette catégorie seront complètement écartées? Ou est-ce qu’on va plutôt attendre un peu pour voir ce qui va se passer en appel, pour revenir ensuite et étirer les délais ? Je pense qu’on pourrait faire preuve, justement, d’un certain pragmatisme, pour s’assurer qu’il n’y aura pas de demandes qui seront perdues en route, parce qu’on est en attente de ce qui va se passer au niveau judiciaire.

Donc, je n’ai pas le sentiment d’urgence, et je ne pense pas que c’est la catastrophe pour l’instant. Attendons de voir un peu la suite des choses.

Le président : D’accord; merci.

Alors, avant de poser ma question sur la formation, je veux saluer la présence de la sénatrice Rose-May Poirier, qui est vice-présidente du comité.

La sénatrice Poirier : Bonjour.

Le président : Bienvenue, madame Poirier.

Je voudrais savoir en gros quels sont vos défis sur le plan de la formation, à l’école de droit de l’Université de Moncton. C’est-à-dire que quand je dis ça, je pense au fait qu’il y a au pays, par exemple, un nouvel organisme qui participe à l’évaluation des compétences linguistiques des juges.

M. Roy : Oui.

Le président : Il y a différents types de formations, et de façon simpliste, je vous pose la question à savoir quels sont les défis par rapport à la formation actuellement? Avez-vous des défis de recrutement? Avez-vous des défis liés aux capacités linguistiques des étudiants à leur sortie? Qu’est-ce que vous pouvez nous dire sur ça?

M. Roy : Il y a des défis qu’à peu près tous les gestionnaires universitaires rencontrent aujourd’hui. On a parlé du sous-financement tout à l’heure. Ça, c’est un défi qu’on connaît, et pas uniquement dans les facultés de droit, pas uniquement à l’Université de Moncton. Ce sont des défis que tout le monde doit affronter.

Il y a des défis d’ordre d’éducation générale. On a un peu l’impression que les étudiants qui arrivent dans les universités présentement, au niveau du français, par exemple, sont moins forts que par le passé. Donc, ça, c’est un défi. Nous, on travaille avec quoi? On travaille avec la langue. J’ai toujours dit que je ne pouvais pas arriver à la déduction qu’une personne est un excellent juriste ou une excellente juriste, si elle n’est pas capable d’écrire. Ce n’est pas possible à mes yeux. Donc, c’est un peu comme un charpentier. On ne peut pas dire que c’est un excellent charpentier s’il ne sait pas comment se servir d’un niveau. La maison va être toute croche.

Ce sont des défis que tout le monde rencontre dans le milieu universitaire présentement. On a un peu l’impression que la démocratisation des universités a entraîné aussi un affaiblissement un peu général. Maintenant, il y a encore des candidats absolument extraordinaires qui vont se rendre à nous, mais ça, ça n’a pas changé. Je pense que ça a toujours été comme ça, même si on recule dans le temps. Donc, ça, ça va assez bien.

Il y a, évidemment, la question des ressources. On s’en tire assez bien au niveau du recrutement. La Faculté de droit de l’Université de Moncton a une bonne réputation. L’idée maintenant de pouvoir fonctionner dans les deux langues officielles a fait son chemin. Il y a beaucoup d’autres universités où on enseigne uniquement aux anglophones et qui nous font signe pour nous demander si on pourrait contribuer, collaborer à aider à former, en quelque sorte, les étudiants de leurs universités en français. Évidemment, nous, on n’est pas très intéressé, parce que s’ils veulent faire faire leur common law en français, qu’ils viennent chez nous. Ça montre quand même qu’il y a un intérêt, qu’on a compris que ça pouvait être important.

Vraiment, le défi principal, c’est la question des ressources, et la raison pour laquelle on n’est pas trop pénalisé, c’est parce qu’il y a des gens autour de la table qui sont dévoués, qui adorent enseigner, on est chanceux. Parce que, par exemple, au niveau des salaires des profs, je ne vous cacherai pas qu’on n’est pas compétitif. On ne peut pas amener un avocat chevronné à la Faculté de droit. Certains d’entre eux font trois, quatre fois les salaires qu’on offre à la faculté, donc, on n’est pas compétitif à ce chapitre. Mais on a de l’aide. On a des gens qui viennent contribuer, qui vont donner des charges de cours, donc, on réussit.

Je dirais que dans le monde juridique - si ça peut répondre à votre question —, on a beaucoup parlé de traduction. J’imagine qu’on en a beaucoup parlé pendant vos réunions. Là, il y a un défi important. Il n’y a pas assez de traducteurs et on n’en forme pas assez. Et là encore, c’est une question de sous, parce que pour un programme avec un nombre d’années d’études pratiquement équivalent à celui qu’un avocat doit faire, on va se retrouver avec des salaires très bas. Donc, là, il y a un coup de barre à donner très certainement, si on veut véritablement investir et si on croit en ce système où on aura accès à la législation et à la jurisprudence dans les deux langues officielles. Il va y avoir une pénurie, et ça ne sera pas long.

Le président : D’accord.

Vous voulez ajouter quelque chose, monsieur Goguen?

M. Goguen : J’ajouterais simplement, sur la question des traductions, l’importance d’une traduction de qualité. On entend de façon anecdotique qu’il y a des traductions faites par des généralistes, alors qu’aujourd’hui, on a des personnes qui sont formées en jurilinguistique, donc qui ont les deux formations. Elles ont le droit et la traduction, et ce sont des traducteurs juridiques. Ils peuvent traduire des jugements, des arrêts et des lois de meilleure qualité.

Le président : D’accord.

La sénatrice Moncion : Vous avez parlé tout à l’heure de travailler avec les règlements. L’une des inquiétudes que j’ai par rapport aux règlements, c’est qu’ils sont facilement modifiables, sans avoir à passer par tout le rouage, la Chambre des communes, le Sénat et tout ça. Donc, il y a des changements qui peuvent être glissés rapidement, qui ne seront pas revus, et qui peuvent influer, par exemple, sur la mise en application d’une loi. J’aimerais vous entendre là-dessus.

M. Roy : En fait, vous avez un peu répondu déjà à la question. C’est effectivement ça, le règlement. La raison pour laquelle c’est plus simple, c’est parce que c’est dans le règlement qu’on va préciser le grand projet qu’est la loi. Donc, on veut se permettre d’évoluer un peu, et il peut y avoir des choses qui vont changer. Je ne sais pas. On parlait tantôt d’amendes. Comme il y a des éléments qui peuvent changer, ça pourrait se faire plus facilement.

Par exemple, si on revenait à certaines des questions dont on a discuté aujourd’hui, je pense que l’idéal, c’est de s’assurer que c’est bien ancré dans la loi, et ensuite de préciser les contours au niveau des règlements. Donc, on pourrait par exemple grandement clarifier la partie VII en se servant du règlement. Cependant, si je l’ai présenté comme ça, je me suis mal expliqué. Ce n’est pas une excuse pour ne pas préciser la loi comme telle. Il faut déjà commencer avec ça.

La sénatrice Moncion : Je crois, en tout cas, que ce qu’il faudrait, surtout dans les règlements, ce sont des éléments qui évolueraient plus vite que la loi, par exemple.

M. Roy : Notamment, des précisions qui feraient que la loi serait trop lourde si on les y ajoutait.

Ce sont des parenthèses, les notes de bas de page, les précisions, les directives qui font en sorte que tout ce qu’on a décidé au niveau de la loi peut être concrétisé. Tantôt, j’ai dit que je n’avais pas mis mon chapeau de pragmatisme, mais quand on est en train de préparer un règlement, là, on est dans cet univers du pragmatisme, notamment.

La sénatrice Moncion : Plus ça va, plus on a, dans les lois qui nous sont présentées, des portions réglementaires qu’on ne voit pas.

M. Roy : C’est une inquiétude qui est tout à fait justifiée, parce que, ce qu’on peut voir, c’est justement un engagement moins important dans la loi, lorsqu’on dit que, de toute façon, il y a un règlement. Comme vous l’avez bien expliqué, le règlement se modifie beaucoup plus facilement. Mais ça reste une loi. Il faut faire attention, parce qu’au niveau de l’interprétation jurisprudentielle, ça a la même valeur.

La sénatrice Moncion : Le règlement a la même valeur que la loi?

M. Roy : Oui, oui.

La sénatrice Moncion : Merci. Je ne sais pas si vous avez quelque chose à ajouter là-dessus.

M. Goguen : C’est sûr qu’on y a pensé quand on a parlé d’en faire un règlement, en fait, en ce qui a trait au paragraphe 41(3). Mais je pense qu’il faut donner la chance au coureur. On peut attendre de voir ce que contiendra le règlement et, ensuite, l’expliquer, l’évaluer et en analyser les mérites. Je pense que c’est quand même mieux que rien. Alors, au moins, on pourra, de façon transparente, regarder ce qui est dans le règlement et en faire la critique si nécessaire.

La sénatrice Moncion : Merci.

Le président : Merci.

La sénatrice Gagné : En ce qui concerne le règlement, il faut cependant s’assurer qu’il ne limite pas la portée de la loi.

M. Goguen : Oui.

Le président : J’ai une question complémentaire à poser, avant de donner la parole à la sénatrice Mégie.

Est-ce qu’il devrait y avoir des règlements associés à d’autres parties de la loi? Là, on a un règlement pour la partie IV de la loi, mais selon des suggestions qui nous ont été apportées par des témoins, est-ce qu’il devrait y avoir d’autres règlements associés à d’autres parties de la loi? Et qu’est-ce que cela signifie comme avantages ou possibles désavantages?

M. Roy : Je n’ai pas regardé la question sous cet angle. Moi, je pense un peu comme la sénatrice. Je pense que le plus d’éléments on peut insérer dans une loi, le mieux que c’est, parce qu’effectivement, ça laisse moins de place à l’interprétation et à une évolution qui avancerait trop rapidement.

En fait, un bon règlement, c’est très utile aussi. Finalement, ça nous aide encore une fois à nous assurer qu’on établisse bien les contours de la grande règle. C’est un peu ça qu’on veut faire.

Le président : Comme pour la partie VII, par exemple, il y avait eu cette idée de faire un règlement. Finalement, les gens ont dit que ce serait trop contraignant dans l’interprétation. Qu’est-ce que vous en pensez?

M. Roy : Si on adopte l’idée qu’on peut tout corriger dans la partie VII avec un règlement, on va faire fausse route. Il faut d’abord bien travailler la partie VII. La raison pour laquelle on n’a pas vraiment de règlement, c’est parce qu’il y a tellement de flou au niveau de la loi. Moi, j’ai travaillé dans le domaine de la rédaction juridique auprès du procureur général, et à partir du moment où on commence à avoir une loi qui a vraiment du mordant et qui vaut la peine, très rapidement, on commence à réfléchir à ce qu’il faudra ajouter dans un règlement.

Un légiste qui travaille sur la partie VII va vous dire qu’il ne voit rien au niveau des règlements, parce que c’est trop flou. Il ne saura pas ce qu’il doit préciser, parce que c’est trop flou au niveau de la loi. Alors, au moment où on va commencer à travailler la partie VII et comprendre ce qu’il faut maintenant ajouter sous forme de règlement, ça voudrait dire qu’on sera sur la bonne piste, qu’on sera en train, effectivement, de donner du concret à la partie VII.

Je défie quelqu’un de prendre la partie VII et de déterminer ce qu’il y ajouterait comme règlement, car c’est trop vague. Parce que l’autre chose, comme légiste, c’est qu’on ne veut pas non plus faire dire quelque chose au gouvernement qu’il n’a pas dit. Donc, il faut que la partie VII soit précisée avant toute chose.

Le président : D’accord.

La sénatrice Mégie : J’aimerais revenir à votre point 2, selon lequel les jugements devraient être publiés dans les deux langues, même si le pragmatisme reste un peu en dehors de votre introduction. On a eu des invités qui nous ont dit qu’il était bien malheureux que certains jugements qui ont été faits seulement en français au Québec n’aient pu servir aux anglophones. Ils y ont accès, mais il faudrait les faire traduire, au moment où eux en ont besoin. Est-ce que, dans cette recommandation, vous seriez prêt à dire que les jugements devraient être publiés dans les deux langues partout, même au Québec?

M. Roy : Oui.

La sénatrice Mégie : Même dans les deux langues?

M. Roy : La réponse, c’est oui. Effectivement, je ne laisse pas un peu de côté le pragmatisme. Je laisse complètement de côté le pragmatisme. Est-ce que, du point de vue d’une analyse juridique, ça serait sensé? Je vous donne un exemple simple. Si on parlait de la publication de cinq lois, est-ce qu’on arriverait à la conclusion qu’on en publierait quelques-unes, une ou deux? Non, on publierait les cinq. On dirait que c’est ça, la logique. C’est ce qui respecte l’esprit de la Constitution.

La raison pour laquelle on hésite, c’est par pragmatisme, en se disant que oui, mais est-ce qu’on peut mettre ça en application? Ce qui va se passer après, avec le juriste, c’est une autre histoire. Chacun va jouer son rôle. Mais je pense qu’au niveau de la cohérence du droit, il serait pour moi tout à fait cohérent et logique que tout soit traduit dans les deux langues.

Imaginez si je vous disais qu’on ne peut pas, parce qu’on n’a pas les ressources nécessaires, et qu’on va simplement s’assurer que tout soit disponible en français sans se préoccuper des anglophones. Ce serait totalement inacceptable. Donc, la même chose doit s’appliquer pour les francophones.

La sénatrice Mégie : Merci.

Le sénateur McIntyre : Décidément, Justice Canada a des obligations. Est-ce que ces obligations devraient être clairement énoncées dans la Loi sur les langues officielles?

M. Roy : Oui. Je pense que, tout à l’heure, on l’a abordé, et ma réponse, c’est oui. Ça devrait être clarifié. Il me semble avoir dit que la partie VII pourrait justement bien servir à clarifier ces obligations.

Le sénateur McIntyre : Quels principes de la jurisprudence faudrait-il codifier dans la Loi sur les langues officielles?

M. Roy : Quels principes de la jurisprudence? Bien, je pense qu’on doit toujours rester accroché à la fameuse trilogie du début des années 2000 : Beaulac, Cameron, sécession du Québec. Je pense qu’on ne doit pas s’éloigner de ça, d’autant qu’elle corrigeait une autre trilogie qui nous avait amenés dans le champ très loin, qui était très difficile à expliquer. Quand je présente des choses à l’extérieur du pays et que j’essaie de leur expliquer la Société des Acadiens, on me regarde de travers. Lorsqu’on m’a parlé d’activisme judiciaire, je pensais à la Société des Acadiens. Je ne pense pas à la trilogie des années 2000. C’est là où on s’est écarté d’une direction du droit qui était très claire.

Donc, je pense que la jurisprudence doit toujours rester liée à ces trois décisions, qui sont trois décisions très, très bien construites, qui énonçaient très clairement où on voulait s’en aller. C’était cohérent par rapport à la lecture qu’on faisait de notre Constitution. Alors, à partir de nos obligations constitutionnelles et de ces trois décisions, je pense qu’on devrait toujours suivre cette direction qui nous a été dictée par la Cour suprême, la plus haute cour du pays.

Le sénateur McIntyre : Merci.

Le président : Merci beaucoup. Alors, si nous n’avons pas d’autres questions, messieurs Roy et Goguen, merci beaucoup pour vos présentations. Merci aussi pour votre engagement envers les communautés en situation minoritaire. C’est un grand plaisir de vous avoir entendus, et vos témoignages nous seront certainement d’une grande utilité pour notre rapport.

M. Roy : Bien, merci.

M. Goguen : Merci beaucoup.

M. Roy : En ce qui concerne notre engagement, c’est facile, parce qu’on y croit, mais c’est de plus en plus facile, parce qu’on ne se sent plus tout seul. C’est un beau projet commun.

Le président : Merci beaucoup.

(La séance est levée.)

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