Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Langues officielles
Fascicule no 40 - Témoignages du 27 mai 2019
OTTAWA, le lundi 27 mai 2019
Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd’hui, à 16 h 2, afin d’étudier l’application de la Loi sur les langues officielles ainsi que des règlements et instructions en découlant, au sein des institutions assujetties à la loi.
La sénatrice Rose-May Poirier (vice-présidente) occupe le fauteuil.
[Français]
La vice-présidente : Bonjour. Je m’appelle Rose-May Poirier, sénatrice du Nouveau-Brunswick, et j’ai le plaisir de présider la réunion d’aujourd’hui.
Le Comité sénatorial permanent des langues officielles poursuit son étude sur l’application de la Loi sur les langues officielles ainsi que des règlements et instructions en découlant au sein des institutions assujetties à la loi.
Nous avons le plaisir d’accueillir M. Raymond Théberge, commissaire aux langues officielles du Canada. M. Théberge est accompagné de Mme Ghislaine Saikaley, commissaire adjointe, de M. Pierre Leduc, commissaire adjoint, et de Mme Pascale Giguère, avocate générale.
Avant de céder la parole à nos témoins, j’invite les membres du comité à bien vouloir se présenter.
Le sénateur Dawson : Bonjour. Dennis Dawson, sénateur du Québec.
La sénatrice Gagné : Raymonde Gagné, du Manitoba.
La sénatrice Moncion : Lucie Moncion, de l’Ontario.
Le sénateur Smith : Larry Smith, du Québec.
Le sénateur McIntyre : Paul McIntyre, du Nouveau-Brunswick.
La vice-présidente : Avant de donner la parole au commissaire, je signale que certaines personnes n’ont pu être présentes aujourd’hui. Nous commencerons donc en accordant cinq ou six minutes par personne. S’il reste du temps, nous prévoirons une deuxième et troisième ronde de questions.
Monsieur le commissaire, merci d’être avec nous aujourd’hui. La parole est à vous.
Raymond Théberge, commissaire aux langues officielles, Commissariat aux langues officielles : Merci, madame la présidente.
[Traduction]
Mesdames et messieurs, bonjour.
Je comparais devant vous afin de vous présenter mon rapport annuel 2018-2019 ainsi que mon document de positionnement sur la modernisation de la Loi sur les langues officielles. Avant de commencer, j’aimerais souligner, encore une fois, le travail acharné que votre comité a accompli au cours des deux dernières années concernant la modernisation de la loi. Je suis vraiment ravi de voir que cet enjeu nous tient tous à cœur, et je me réjouis à la perspective de voir le rapport final.
Je tenais à présenter ces deux documents essentiels à la modernisation de la loi afin d’influencer le processus décisionnel du gouvernement, et de proposer des solutions sur la façon dont ce dernier devrait procéder. Le gouvernement du Canada, les institutions fédérales, les tribunaux, les communautés et de nombreuses personnes ont contribué à faire du français et de l’anglais les langues de conversation au pays.
Les langues officielles ont fait beaucoup de chemin depuis 1969, mais, 50 ans plus tard, le Canada est loin d’être arrivé là où il doit être. En 2019, les droits linguistiques fondamentaux des Canadiens ne sont toujours pas respectés systématiquement. Hélas, les Canadiens ne peuvent pas toujours obtenir des services dans la langue officielle de leur choix de la part des institutions fédérales, même quand ils y ont droit.
Par exemple, les fonctionnaires fédéraux ne sont pas toujours en mesure de travailler dans la langue officielle de leur choix dans les régions désignées bilingues. Les communautés de langue officielle en situation minoritaire ne sont pas toujours consultées ou écoutées lorsque le gouvernement adopte de nouvelles politiques ou modifie des programmes. La population canadienne ne reçoit pas toujours d’importants renseignements de sécurité dans la langue officielle de son choix. Enfin, les électeurs canadiens ne peuvent pas toujours voter dans la langue officielle de leur choix, même s’il s’agit d’un droit fondamental.
[Français]
Nous devons trouver des solutions à long terme à ces problèmes systémiques. Mon rapport annuel propose quatre recommandations, dont l’une d’elles vise à demander au premier ministre de déposer un projet de loi pour moderniser la loi d’ici 2021. Les 18 autres recommandations formulées dans mon document de positionnement sur la modernisation de la Loi sur les langues officielles sont des pistes de solution pour faire progresser les langues officielles de façon concrète et durable. Je crois fermement que le gouvernement peut réaliser des progrès considérables dans ces dossiers s’il met en œuvre mes recommandations, qui sont le fruit des 50 ans d’expérience et d’expertise du Commissariat aux langues officielles.
Ces recommandations appuient également les trois grandes priorités que j’ai établies au début de mon mandat, soit d’assurer la surveillance du Plan d’action pour les langues officielles, de veiller à ce que les institutions fédérales respectent leurs obligations en matière de langues officielles, et de moderniser la Loi sur les langues officielles.
Mon rapport annuel comprend des recommandations précises à l’intention de la ministre du Tourisme, des Langues officielles et de la Francophonie. L’objectif est la mise en œuvre de mécanismes de responsabilisation visant les fonds consacrés aux langues officielles, comme ceux que prévoit le Plan d’action pour les langues officielles. Nous devons veiller à ce que ceux-ci donnent des résultats dans les communautés ciblées. Je parle notamment des fonds que le gouvernement fédéral verse aux provinces et aux territoires par l’entremise d’ententes en matière d’éducation en langues officielles. Il faut s’assurer que ceux-ci rendent compte de l’utilisation de ces fonds.
De plus, je propose des solutions pour améliorer le degré de conformité des institutions fédérales à la Loi sur les langues officielles. La répartition actuelle des responsabilités liées aux langues officielles au sein du gouvernement porte à confusion et se révèle inefficace. C’est pourquoi je tiens à ce qu’une structure de gouvernance efficace soit intégrée à la version modernisée de la loi, afin que les institutions fédérales et leurs représentants comprennent mieux leurs obligations et leurs responsabilités. Je recommande donc que le premier ministre précise, avant le dépôt du prochain budget fédéral, les rôles et les responsabilités du gouvernement du Canada en matière de langues officielles.
[Traduction]
De nombreuses communautés à l’échelle du pays ont réalisé d’importantes avancées depuis l’adoption de la Loi sur les langues officielles en 1969. Cela dit, le fait que la loi n’ait pas évolué au même rythme que les réalités canadiennes et les besoins des communautés a bien trop souvent freiné son progrès. Mon document de positionnement sur la modernisation de la Loi sur les langues officielles comprend un ensemble clair de recommandations destinées au gouvernement fédéral. Ces dernières visent à garantir que la loi modernisée est actuelle, dynamique et robuste.
Nous savons où se trouvent les maillons faibles de la loi, et mes recommandations proposent 18 solutions pour les corriger. Par exemple, aux termes de la loi, les obligations relatives à la prestation de services au public dans les deux langues officielles — partie IV — et les droits des fonctionnaires en matière de langue de travail — partie V — ne sont pas harmonisées. Ainsi, mes recommandations soulignent l’importance d’harmoniser ces deux parties de la loi afin que les droits et les obligations concernant la langue de travail à la fonction publique soient clairs, actuels et cohérents.
Aussi, la mise en œuvre et l’interprétation de la partie VII de la loi, soit la promotion du français et de l’anglais, continuent de poser d’importantes difficultés. C’est pour cette raison que je recommande l’élaboration d’un règlement relatif à la partie VII, ce qui permettrait de clarifier certains concepts et d’établir des paramètres pour diriger les institutions fédérales dans l’adoption de mesures positives.
Les communautés de langue officielle garantissent une présence notable des deux langues officielles aux quatre coins du pays. Elles sont la pierre angulaire de la dualité linguistique au Canada. En tant que commissaire, je profiterai de toutes les occasions pour porter à l’attention du gouvernement fédéral et du Parlement les difficultés de ces communautés.
De plus, en tant que promoteur et protecteur des droits linguistiques, je crois qu’il est important d’innover. Cela peut se faire, entre autres, en offrant aux institutions fédérales des outils pertinents et utiles afin de les aider à se conformer à leurs obligations en matière de langues officielles. Bien que la majorité de mes recommandations soient mises en œuvre par les institutions fédérales grâce aux enquêtes menées par mon équipe, cela n’aboutit pas nécessairement à un comportement durable. En effet, les plaintes se sont multipliées depuis 2012, et nous sommes passés d’environ 400 plaintes à plus d’un millier.
[Français]
Afin de pallier les problèmes systémiques auxquels il n’est pas toujours possible de répondre par des enquêtes, mon équipe lancera en juin 2019 un nouvel outil, le Modèle de maturité des langues officielles. Cet outil permettra aux institutions fédérales de poser un diagnostic sur leurs pratiques en matière de langues officielles, afin de les aider à progresser de façon continue. Enfin, j’aimerais saisir l’occasion de préciser que ma vision va bien au-delà des modifications de nature législative et réglementaire.
De nombreux jalons ont été franchis depuis l’adoption de la première loi en 1969, je le concède. Toutefois, peut-on réellement affirmer que la vision du législateur s’est concrétisée? Que nous réserve l’avenir si l’on continue à répéter les mêmes gestes, à prendre les mêmes décisions et à adopter les mêmes réflexes? Aurons-nous des visionnaires et des ambassadeurs au sein du gouvernement fédéral et dans la société canadienne pour porter et célébrer le dossier des langues officielles pendant les 50 prochaines années?
Je n’attends rien de moins qu’un engagement, un leadership et un changement de culture de la part du gouvernement fédéral afin que la dualité linguistique puisse s’épanouir pleinement, partout au Canada. En 2019, j’entends remettre les pendules à l’heure.
[Traduction]
En 2019, j’entends remettre les pendules à l’heure.
Pour assurer la pertinence et la pérennité de la loi et en viser l’application optimale, trois choses sont nécessaires pour le gouvernement fédéral : stopper l’érosion des droits linguistiques; moderniser la loi; et, enfin, assurer un leadership clair et affirmé. Il est essentiel que le gouvernement fédéral réfléchisse aux changements dont la loi doit faire l’objet. Les recommandations de mon rapport annuel et celles qui ciblent la modernisation de la loi sont des pistes de solution qui serviront à protéger les droits linguistiques des Canadiens et à favoriser la dualité linguistique dans l’ensemble du pays.
Je vous remercie de votre attention. Je suis maintenant prêt à répondre à vos questions, que je vous invite à poser dans la langue officielle de votre choix.
[Français]
Je suis ravi de voir que ces enjeux nous tiennent tous à cœur. Je suis tous vos travaux avec grand intérêt et j’ai hâte de lire le rapport final du comité. Je vous remercie de votre attention.
La vice-présidente : Merci de votre présentation, monsieur le commissaire.
Passons maintenant à la période des questions. Nous avons un peu de souplesse quant aux cinq minutes qui vous sont accordées.
Le sénateur McIntyre : Bienvenue à vous et à votre équipe, monsieur le commissaire. Vous avez déposé votre rapport annuel de 2018-2019 au Sénat le 9 mai dernier. Comme vous l’avez mentionné, le rapport annuel contient quatre recommandations. La première recommandation exige que le gouvernement fédéral dépose son projet de loi modifiant la Loi sur les langues officielles d’ici 2021. Ma question est la suivante : comptez-vous prendre des mesures particulières au cours des prochains mois pour faire en sorte que le gouvernement fédéral dépose effectivement ce projet de loi? Si oui, lesquelles, et pourquoi avez-vous fixé le délai à 2021?
M. Théberge : Merci de la question. Avant de déposer notre rapport annuel et notre document de positionnement, j’ai rencontré le premier ministre du Canada de même que le chef de l’opposition pour leur parler de la modernisation de la loi et leur demander de s’engager en faveur de cette modernisation. Le premier ministre s’était déjà engagé, le 6 juin 2018, à aller de l’avant avec une modernisation de la loi, et M. Scheer, le chef de l’opposition, nous a assurés également que la modernisation de la loi est un dossier qui l’intéresse particulièrement. Au cours des prochains mois, le 21 octobre, il y aura un exercice de démocratie au Canada. Par la suite, ce que nous devrons faire, peu importe le résultat, c’est de rencontrer de nouveau les joueurs clés pour remettre le dossier dans la liste des priorités publiques. Cela dit, le travail se poursuit au sein de l’appareil fédéral en ce moment, à la suite des consultations menées par la ministre Joly.
Donc, est-ce que c’est réaliste? Pourquoi 2021? Parce qu’il y a une certaine urgence quant à la modernisation, particulièrement en ce qui a trait à la partie VII de la loi, étant donné la décision du juge Gascon de mai 2018, qui, en pratique, a rendu la partie VII de la loi inefficace. La partie VII revêt une grande importance, car elle traite de l’épanouissement et du développement des communautés. C’est la partie de la loi qui aborde le concept des mesures positives. Or, tant et aussi longtemps que la décision du juge Gascon fera partie de l’état du droit au Canada, nous serons très limités en matière d’enquêtes et dans la façon de fonder des plaintes, en raison d’une définition très étroite et compte tenu du fait que le principe des mesures positives est très large, ce qui a été décrit dans la décision. Cela a un impact sur nos enquêtes, quant à la façon de déterminer si la plainte est fondée. La partie VII est cruciale pour la promotion de l’anglais et du français. Il y a urgence puisque, tant et aussi longtemps que cette décision est en vigueur, nous sommes liés par une interprétation très étroite de la partie VII.
Le sénateur McIntyre : Monsieur le commissaire, je comprends qu’en juin 2019, vous lancerez un nouvel outil, le Modèle de maturité des langues officielles. Ma question est suivante : en quoi ce modèle se différencie-t-il des bilans que les institutions fédérales remettent au Conseil du Trésor et à Patrimoine canadien? Autrement dit, les institutions fédérales continueront-elles de présenter un bilan à ces deux institutions?
M. Théberge : Dans le rapport annuel de l’année passée, nous avions effectivement recommandé que le Conseil du Trésor et le ministère du Patrimoine canadien revoient leurs outils d’évaluation. Donc, le Modèle de maturité des langues officielles, c’est un outil diagnostique élaboré par le commissariat, et nous avons mené des projets pilotes auprès de certains ministères et de certaines institutions fédérales. La différence entre cet outil et les bilans actuels, c’est qu’on reçoit de nombreux rapports d’activité. Il s’agit de listes d’activités, qui sont parfois présentées dans un langage qu’on ne comprend pas nécessairement très bien et qui ne donnent pas la vraie mesure de la place qu’occupent les langues officielles au sein de l’institution. Le Modèle de maturité des langues officielles, c’est un outil diagnostique qui permet aux institutions de déterminer où elles se situent dans le continuum de la mise en œuvre de la loi, afin de savoir, par exemple, où sont les manquements et quelles actions peuvent être menées pour parvenir à une meilleure mise en œuvre de la loi. Il y a plusieurs indicateurs, et nous avons l’intention d’établir un cycle auprès d’une trentaine d’institutions fédérales au cours des trois prochaines années pour mettre en œuvre cet outil.
Le sénateur McIntyre : Selon vous, ce modèle aidera-t-il les parlementaires à suivre les progrès des institutions fédérales?
M. Théberge : Effectivement, l’outil permettra d’obtenir une meilleure représentation de la position des institutions fédérales dans le cadre de la mise en œuvre de la loi ou du respect des leurs obligations. Jusqu’à quel point est-ce que les langues officielles font partie de la culture de l’organisation? À l’heure actuelle, on parle souvent d’appliquer une lentille de l’égalité des genres pour évaluer les activités du gouvernement, mais il faut revenir à la lentille des langues officielles dans toutes les activités. Au lieu de penser aux langues officielles à la fin du processus, les institutions fédérales doivent les intégrer à leur planification stratégique, à leur planification des ressources humaines et à tous les éléments. À mon avis, nous aurons certainement une meilleure représentation de ce qui se passe dans l’appareil fédéral.
Le sénateur McIntyre : Merci, monsieur le commissaire.
La sénatrice Gagné : Bienvenue à vous tous et toutes, et merci encore une fois d’être parmi nous aujourd’hui. J’ai parcouru votre rapport annuel, plus précisément la section qui traite de la décision de la Cour fédérale sur l’interprétation de la partie VII, dont vous avez fait appel. J’aimerais comprendre davantage la position du Commissariat aux langues officielles au sujet de la partie VII. Vous en avez parlé dans votre présentation, mais aussi à la page 5 de votre rapport.
La partie VII est-elle assez claire, ou est-ce le juge Gascon qui a fait erreur en en faisant une interprétation trop restrictive? Ou encore, est-ce la partie VII qui doit être clarifiée par voie de règlement parce qu’elle est ambiguë et laisse trop de marge de manœuvre aux institutions fédérales?
M. Théberge : La réponse correspond à la deuxième partie de votre question. La partie VII, telle qu’elle est rédigée en ce moment, manque de clarté et de précision. Sans l’élaboration d’un cadre réglementaire, je crois que l’intention du législateur ne sera jamais réalisée. En parlant d’un cadre réglementaire, je pense à un préambule à la partie VII pour en préciser l’objectif. Je pense aussi à des directives et à des définitions. Lorsqu’il est question de « mesures positives », qu’entend-on par là? Il serait bon de prévoir des définitions claires pour certains termes, comme « épanouissement » et « développement ».
On pourrait aussi inclure, dans un règlement, une liste des institutions fédérales qui ont un rôle particulier à jouer dans la promotion des langues officielles. Je pense par exemple à Statistique Canada et au problème du dénombrement des ayants droit ou de ceux dont la langue maternelle est le français. On pourrait insérer dans un règlement une liste de ce genre d’institutions. On pourrait aussi prévoir un plan pangouvernemental. Le plan d’action pourrait faire partie d’un règlement. L’idée est de préciser l’ampleur et l’objectif de cette loi.
Il faut aussi s’entendre sur les termes. Dans l’allocution de M. Graham Fraser, ce matin, on parlait de l’interprétation de termes comme « les » et « des ». Lorsqu’on en est rendu là, on se rend compte que la marge d’interprétation est trop grande. Il faut vraiment clarifier et préciser.
Plusieurs suggestions provenant des communautés pourraient trouver leur place dans un règlement, surtout lorsqu’on parle d’un plan pangouvernemental. Cela pourrait inclure, par exemple, la petite enfance et l’immigration. Le plan en tant que tel ferait partie du règlement. On pourrait aussi prévoir l’élaboration d’un nouveau plan tous les cinq ans.
L’idée derrière un cadre réglementaire est de donner des balises à la partie VII. Celui-ci permettrait aussi de clarifier les obligations réelles des institutions fédérales pour les aider à répondre aux exigences de la partie VII et de préciser la pensée du législateur en 2005.
La sénatrice Gagné : Les cadres réglementaires sont toujours des couteaux à double tranchant. On le constate avec le règlement lié à la partie IV, qui est assez limitatif pour ce qui est du respect de cette partie. Comment peut-on réglementer l’interprétation large et libérale?
M. Théberge : Plus on précise les termes et le langage, plus leur interprétation est aisée. La question de précision est relative. Je crois qu’on devrait revoir le règlement de la partie IV, car je ne suis pas convaincu qu’on ait fait beaucoup de progrès avec le nouveau règlement. Par exemple, on dit que tous les aéroports situés dans les capitales y sont assujettis. Or, ils l’étaient tous, sauf celui de Charlottetown. Le progrès n’est donc pas énorme. Il y a aussi le concept de vitalité qui est limité à la présence d’une école. Cette notion est encore très complexe en ce qui a trait aux calculs mathématiques.
Une chose est importante dans ce genre de règlement. Tout d’abord, il ne faut pas que ce soit trop complexe. Il faut que les choses soient compréhensibles pour les institutions fédérales. Parlant de la partie VII, nous devrions aussi prévoir un mécanisme de consultation auprès des communautés. Nous aurions ainsi une bien meilleure idée de leurs besoins si ce mécanisme est en place. Je laisse le soin aux sénateurs d’en déterminer le mode. Toutefois, il est important que les communautés soient consultées, entre autres pour la mise en œuvre de la loi et en ce qui concerne le plan d’action.
Il reste beaucoup de réflexion à faire sur le type de cadre réglementaire, mais il est clair que ce qu’on a en ce moment est inadéquat.
La sénatrice Gagné : Merci de votre réponse. J’approfondirai peut-être mon propos à la deuxième ronde de questions, car il y a aussi l’état du droit et les cadres réglementaires qui peuvent offrir une certaine marge de manœuvre afin de permettre aux communautés de se développer.
Vous avez mentionné dans votre rapport les lacunes dans la structure de gouvernance actuelle en matière de langues officielles. Le Conseil du Trésor est responsable des parties IV, V et VI, et Patrimoine canadien est responsable de la partie VII. Depuis l’été 2018, les dossiers des langues officielles ont été transférés, par décret, de Patrimoine canadien au ministère du Tourisme, des Langues officielles et de la Francophonie. Cela fait en sorte de rendre ambiguë la position de la ministre responsable des Langues officielles. On constate qu’elle a un titre, mais pas nécessairement de pouvoir en ce qui a trait à la loi.
Pouvons-nous tirer des leçons de son mandat, bien qu’il ait été court? Comment évaluez-vous cette expérience qu’a tentée le gouvernement fédéral en transférant des dossiers à un autre ministère? Quelles seraient vos recommandations au prochain gouvernement? Vous avez déjà mentionné qu’il serait important de faire un ménage à ce chapitre.
M. Théberge : Avant d’élaborer notre document, nous avons commandé une étude sur la gouvernance. Tout le monde s’entendait pour dire qu’il fallait une agence centrale. La question de savoir laquelle était moins évidente. On devrait retenir certains principes lorsqu’on parle de gouvernance.
Premièrement, il faut vraiment clarifier les rôles et les responsabilités des entités responsables des langues officielles au sein de l’appareil fédéral. En ce moment, c’est très flou. À titre d’exemple, j’ai rencontré le ministre des Transports pour lui parler d’Air Canada et des langues officielles. Il m’a répondu ceci : « Écoutez, monsieur le commissaire, ce n’est pas de mes affaires. » Or, je crois donc qu’il est important de savoir qui est responsable de quoi.
Deuxièmement, il faut élaborer un cadre redditionnel pour déterminer qui est responsable et quelles sont ses responsabilités. Il faut ensuite s’assurer que les langues officielles sont au cœur des priorités du gouvernement, des programmes et des initiatives. Il est également important de faire une bonne gestion des langues officielles, c’est-à-dire la promotion des langues officielles au sein de l’appareil fédéral. On a accompli certains progrès. Cependant, depuis une décennie, on voit un plafonnement en ce qui a trait à la mise en œuvre de la loi au sein de la fonction publique. Enfin, il faut combler le recul que l’on constate dans le domaine.
Quant au respect de ces principes, certains diront qu’on devrait se tourner vers le Conseil du Trésor. Le Conseil du Trésor a des fonctions particulières pour ce qui est des parties IV, V et VI. Toutefois, le problème est le suivant. Lorsqu’on divise la responsabilisation, qui est réellement responsable?
En 2003, le ministre des Langues officielles était Stéphane Dion. Il siégeait au Conseil privé, en compagnie d’autres ministres qui étaient aussi responsables des langues officielles. Il y avait aussi un comité de sous-ministres responsables des langues officielles. Aujourd’hui, nous avons un ministre des Langues officielles. Il ne siège pas au Conseil privé et il n’est pas secondé par d’autres ministres ni par un comité de sous-ministres.
Comme je le dis souvent, si le signal ne vient pas d’en haut, rien ne se passera en bas. Il est donc important qu’un comité de sous-ministres puisse faire les suivis nécessaires.
J’ai également assisté à une conférence à laquelle quelqu’un a dit ceci : « Vous savez, le Conseil du Trésor, c’est comme une grosse boîte de comptables, et le ministère de la Justice, c’est un gros bureau d’avocats. Toutefois, peut-être que le Bureau du Conseil privé est un endroit où on pourrait assurer une meilleure gestion de la Loi sur les langues officielles. » Donc, c’est au législateur de le déterminer. Nous avons proposé des principes. Ce qu’il faut éviter, c’est de morceler la loi de sorte à créer de la confusion auprès des institutions fédérales.
La sénatrice Moncion : Ma question porte sur votre troisième recommandation. Ce qui est intéressant à la lecture de votre rapport, ce sont justement les mesures qui sont prises par les différentes provinces en ce moment pour réduire les fonds offerts aux services dans la langue de la minorité. La troisième recommandation concerne une entente fédérale-provinciale-territoriale qui a un impact sur le développement des communautés de langue officielle en situation minoritaire, et traite de l’importance d’insérer des dispositions linguistiques, des obligations de consultation et des mécanismes de transparence. Comment fait-on à l’heure actuelle pour concilier votre recommandation et ce qui se produit au sein des provinces, et pour ramener les gens à réexaminer l’importance des langues officielles dans leur province?
M. Théberge : Il y a plusieurs ententes fédérales-provinciales-territoriales (FPT) qui ont un impact sur les communautés. Bien sûr, celle qu’on connaît le mieux, c’est le PLOE, le Protocole sur les langues officielles dans l’enseignement. Depuis plusieurs années, certains critiquent le fait que, dans bon nombre d’administrations, il n’est pas possible de savoir où sont versés les fonds liés à cette entente. Ce n’est pas uniquement en matière d’éducation; il y a aussi les domaines de la santé, de la petite enfance et de l’immigration. Dans le domaine des services en français, souvent, les provinces reçoivent des fonds destinés aux services en français offerts par les provinces.
Selon mon expérience, il existe parfois des dispositions linguistiques, mais elles peuvent être vagues. Il n’y a pas nécessairement de suivis adéquats qui sont faits. Aussi, il faut comprendre que certaines administrations ne s’intéressent pas aux dispositions linguistiques ni à l’idée de rendre compte des dépenses. Ce qui est important, c’est que le réflexe vienne du gouvernement fédéral. Si c’est le gouvernement fédéral qui a le pouvoir de dépenser, c’est en utilisant ce pouvoir qu’il peut changer les comportements des provinces.
En outre, je pense que la question des dispositions linguistiques est une question de volonté. Il faut vouloir le faire, il faut insister et, une fois qu’une disposition linguistique est en place, il faut prévoir des indicateurs pour savoir comment elle a été respectée. De plus, il faut qu’il y ait des conséquences. C’est un commentaire qui provient des communautés, et ce, depuis toujours. Les transferts FPT représentent un outil extrêmement important pour le développement des communautés, donc il faut s’en servir et il faut maximiser ce levier. À l’heure actuelle, il y a un manque de transparence. S’il y a un cadre de reddition de comptes, il y a un manque de transparence.
La sénatrice Moncion : Dans ce contexte, pourriez-vous nous donner votre opinion sur l’importance de la conférence ministérielle qui existait à un moment donné et qui n’existe plus? Je crois qu’il y avait une conférence...
M. Théberge : Sur la francophonie?
La sénatrice Moncion : Oui. Est-ce qu’elle existe encore?
M. Théberge : Oui.
La sénatrice Moncion : On en parlait plus tôt au symposium, et on disait qu’elle n’avait pas eu lieu depuis quelques années; est-ce que je me trompe?
M. Théberge : J’y ai assisté l’an passé. J’aimerais émettre quelques commentaires. La Conférence ministérielle sur la francophonie canadienne regroupe les ministres responsables des affaires francophones des provinces et des territoires. Elle prévoit des rencontres strictement entre les provinces et les territoires et, par la suite, une rencontre FPT.
Cette conférence est extrêmement importante pour faire avancer la dualité et les services en français au sein des provinces et des territoires. Cela dit, trop souvent, des ministres se présentent qui ne parlent pas français. Ils ne connaissent pas leur communauté francophone. Donc, il est difficile pour ces ministres de bien véhiculer et de bien exprimer les besoins de leur communauté. Je crois que ce comité a un rôle important à jouer, surtout au chapitre de la promotion.
Comme je le mentionnais dans mon rapport annuel ou à la conférence de presse, il y a plusieurs années que nous ne faisons pas la promotion des langues officielles, ou très peu. Cela fait en sorte que ce dossier est de moins en moins connu au sein des provinces et des territoires, mis à part le Nouveau-Brunswick, par exemple. Il y a une méconnaissance de cette réalité. Il serait intéressant de renouveler le mandat de cette conférence ministérielle et de lui confier un rôle de leadership. La prochaine rencontre, soit dit en passant, aura lieu en juin prochain à Iqaluit.
La sénatrice Moncion : Iqaluit? Très bien. Lorsque vous dites « renouveler », de quelle façon le feriez-vous?
M. Théberge : Je pense qu’il est important de revoir la raison pour laquelle les ministres se rencontrent et de susciter un nouvel engagement de la part des provinces et des territoires à l’égard de la francophonie. C’est pour cette raison que j’ai mentionné au comité de la Chambre des communes qu’il serait peut-être temps — ça ne se produira pas dans les prochains mois — d’organiser une conférence FPT sur la dualité linguistique et d’engager à nouveau un dialogue sur le concept de la dualité pour essayer de sensibiliser les nouveaux premiers ministres, un peu partout au Canada, qui ne semblent pas connaître cette réalité.
Depuis plusieurs années, nous n’avons pas tenu ce genre de rencontre et le gouvernement fédéral n’a pas exercé de leadership à ce chapitre. Si on veut que cette conférence ministérielle soit plus active, il est important de communiquer un message éloquent sur l’importance du rôle qu’elle joue.
Le sénateur Smith : Lorsque je lis un rapport qui comporte 18 recommandations, je deviens nerveux, car, dans mon passé d’homme d’affaires, la norme était de 3 ou 4 recommandations maximum. Les gens ne peuvent pas comprendre et intégrer 18 objectifs dans leur quotidien. Ce n’est pas une critique, c’est davantage une question.
Si, d’ici 2029, nous avons une situation dynamique qui soutient les idées que vous mentionnez dans votre rapport, et que les leaders dans les provinces et au sein du gouvernement fédéral ont fait un excellent travail, quels seraient les 3 ou 4 facteurs qui seraient mis en œuvre au cours des 10 prochaines années et qui nous permettraient d’atteindre les objectifs et de favoriser le succès en matière de langues officielles?
M. Théberge : Si on choisit des éléments clés, comme vous le dites, premièrement, il y a une question de volonté politique. S’il n’y a pas de volonté politique, je peux énoncer les meilleures recommandations au monde, mais rien ne va se passer. Concrètement, il faut s’assurer que les parties IV et V sont cohérentes et harmonisées. Si on harmonise les parties IV et V, cela améliorera notre capacité d’offrir les services aux Canadiens et Canadiennes. La partie VII est cruciale et si, dans 10 ans, nous avons bien fait notre travail, nos communautés en situation minoritaire seront dynamiques, qu’il s’agisse des communautés francophones à l’extérieur du Québec ou de la communauté de langue anglaise au Québec.
Aussi, il est extrêmement important d’assurer une bonne gouvernance, ce qui favorisera la mise en œuvre des parties IV, V et VII. De fait, les 18 recommandations sont regroupées en 3 thèmes et plusieurs d’entre elles sont interreliées. Donc, il n’y en a pas réellement 18; 3 d’entre elles concernent la justice, les rapports et les tribunaux administratifs. Les recommandations 4, 5 et 7 sont reliées, car lorsqu’on parle d’enquêtes, de conformité et de gouvernance, ça va ensemble. Bref, s’il nous est possible d’harmoniser la partie IV et la partie V, de bien encadrer la partie VII et de nous doter d’ une structure de gouvernance qui fonctionne, je crois que nous ferons de réels progrès.
Le sénateur Smith : Comment pouvez-vous livrer le message que vous venez de nous transmettre au commun des mortels, soit aux Canadiens moyens, qui n’ont pas vos connaissances ni celles de votre groupe ou du gouvernement? Quel type de message sera transmis au grand public qui permettra de renforcer le tout? J’écoutais ce que vous disiez, et c’est un peu complexe dans le sens où les citoyens ordinaires ne comprendront pas tout ça, même s’ils s’intéressent vivement aux langues officielles. Je crains que la plupart des Canadiennes et des Canadiens ne comprennent pas cela, car ils ne le vivent pas au quotidien. Comment transmettre le message en anglais et en français pour que les gens comprennent exactement quels sont les motifs qui pourront vraiment changer la culture pour les Canadiens et Canadiennes?
M. Théberge : Si on regarde les sondages en ce qui concerne l’appui des Canadiens et des Canadiennes envers le concept du bilinguisme officiel, c’est toujours très élevé, soit de plus de 80 p. 100. Donc, il faut prendre comme point de départ le fait que, déjà, il y a une réceptivité chez les Canadiens et Canadiennes lorsqu’on parle de bilinguisme officiel. Le défi en matière de promotion du concept, c’est de démontrer ce que cela signifie pour les gens dans leur quotidien. Quel est l’impact de la Loi sur les langues officielles sur leur identité, sur le concept du Canada? Imaginez un Canada où il n’y a pas de langues officielles, où il n’y a pas de comités francophones et où il n’y a pas de dualité; donc, nous n’avons plus de Canada. Il est important de vendre cette idée comme étant une valeur canadienne. C’est ainsi qu’on l’a vendue depuis 50 ans. Cela fait partie de l’identité canadienne et il est important de susciter ce sentiment chez les gens.
Comme je l’ai dit plus tôt, nous n’avons pas fait de promotion depuis longtemps. C’est peut-être le temps de le faire. Nous n’avons pas fait la promotion de la dualité linguistique au 150e anniversaire du pays. Il est important que la dualité, les langues officielles et le bilinguisme officiel soient plus présents.
Il est aussi important de s’assurer que le paysage linguistique reflète les deux langues officielles, peu importe où nous sommes, et il y a certainement des lacunes à ce chapitre. Il y a des spécialistes qui pourraient certainement se pencher sur la question de la promotion des langues officielles.
Le sénateur Smith : Merci beaucoup.
La sénatrice Gagné : Je vais changer de sujet; j’aimerais que l’on parle d’éducation. On sait très bien que l’éducation est au cœur du développement de nos communautés, de la petite enfance au postsecondaire, en passant par le système scolaire. Étant donné que l’éducation est au cœur du développement communautaire, comment peut-on assurer, dans le cadre d’une modernisation de la Loi sur les langues officielles, la présence de l’éducation dans cette loi?
M. Théberge : À mon avis, lorsqu’on parle d’éducation, on croit que c’est de compétence provinciale; par contre, le gouvernement fédéral investit des sommes importantes en faveur de l’éducation de la minorité et de l’enseignement du français langue seconde, et ce, partout au pays. Une approche possible serait d’inclure, dans le règlement de la partie VII, des éléments qui touchent l’éducation, que ce soit le PLOE ou le dénombrement des ayants droit, qui est un gros problème. Ce serait une façon d’utiliser la partie VII pour répondre à certains points particuliers aux minorités, qui sont sous l’égide de la loi. Il ne faut pas oublier non plus que l’article 23 de la Charte est toujours en voie d’interprétation. Un dossier important sera porté devant la Cour suprême en septembre. Nous sommes toujours en train de clarifier et de préciser l’impact de l’article 23 de la Charte. Cependant, je crois que nous pouvons prévoir certains éléments dans la partie VII qui pourraient offrir des garanties en matière d’éducation en milieu minoritaire.
La langue seconde, c’est autre chose, mais je suis convaincu que lorsqu’on parle de l’éducation des minorités, on peut parler de petite enfance, d’enseignement primaire et secondaire, sans oublier le postsecondaire et le continuum de l’éducation. Une avocate est ici présente et pourrait me corriger au besoin, mais il y a toujours la possibilité de déterminer jusqu’où nous voulons aller. L’éducation, c’est le fondement du développement de nos communautés. Il s’agit simplement de se rappeler ce qui existait avant la création des conseils scolaires francophones et de constater l’expansion des écoles et du nombre d’étudiants pour comprendre que c’est ce qui alimente les communautés. Donc, sans l’éducation, je crois que l’avenir est plutôt sombre. Il faut trouver des façons, et je crois que c’est par l’intermédiaire du règlement et de points spécifiques qui peuvent appuyer nos efforts, comme le dénombrement des ayants droit, le PLOE, les dispositions linguistiques et le cadre redditionnel. On peut inclure ce genre éléments dans un cadre réglementaire.
La sénatrice Gagné : Je crois que vous mentionnez la partie VII dans votre présentation ou dans votre rapport et que vous dites que l’on devrait élaborer un règlement qui y serait lié. La prise d’un règlement est donc importante dans le cadre de la partie VII. Est-ce que vous envisagez des changements à la partie VII, avec l’intégration du concept selon lequel l’éducation est au cœur du développement de nos communautés?
M. Théberge : Je pense que ce qui est nécessaire pour la partie VII, c’est d’élaborer un préambule; nous n’avons pas de préambule.
La sénatrice Gagné : D’accord.
M. Théberge : Aussi, je pense qu’il faut revoir le préambule de la loi et se pencher à nouveau sur cette question, dans une perspective de dualité linguistique. Je vois trois éléments. J’entends parler de bilinguisme officiel, c’est une chose. Les langues officielles, c’est une autre chose, mais au cœur de tout cela, il y a la dualité. En fin de compte, la loi doit assurer le développement de la dualité et la primauté de la dualité, et cela passe par les communautés. Sans les communautés, il n’y a pas de dualité.
La sénatrice Gagné : Merci.
La sénatrice Moncion : Je regardais justement le site par curiosité. L’an passé, il n’y avait que sept provinces ou sept ministres dans la photo officielle. Je trouve dommage qu’il y ait des années où il n’y a pas d’entière participation des provinces et des territoires. J’imagine que cela peut être lié aux élections ou à des raisons de ce genre.
M. Théberge : Il y a toutes sortes de facteurs. Les provinces ne se sentent pas obligées d’y participer. Chaque province a pris certaines mesures. Certaines ont un conseiller spécial auprès du premier ministre et d’autres ont un bureau des affaires francophones. Au Nouveau-Brunswick, il y a le commissaire aux langues officielles. Il y en avait un aussi en Ontario. Cela est interprété différemment par chaque province. Dans le cas du Québec, par exemple, c’est tout récent; il y a maintenant le Secrétariat aux relations avec les Québécois d’expression anglaise.
Si l’on tient compte de la perspective historique, avant 1985, ce genre de bureaux provinciaux n’existait pratiquement pas. Il y a eu un certain progrès, et je trouve qu’il y a maintenant des reculs, étant donné la situation en Ontario. En Saskatchewan, la responsabilité en cette matière a été transférée du conseil exécutif au ministère des Parcs, de la Culture et du Sport, je crois. Puis, l’Alberta a une nouvelle loi, mais c’est une question de mise en œuvre.
On avance à petits pas. La conférence est importante pour faire progresser les choses, et le gouvernement fédéral l’utilise à cette fin. Toutefois, on avance toujours à petits pas. Nous devons nous poser la question à savoir à quel point c’est important pour les provinces.
La sénatrice Moncion : Cet exercice est à refaire constamment. À chaque changement de gouvernement, de nouvelles personnes sont nommées et elles doivent être sensibilisées à l’importance des langues officielles dans leur province respective. C’est un travail en continu qui est à refaire selon le résultat des élections.
M. Théberge : Absolument. On a vu, par le passé, des ministres dynamiques qui ont vraiment fait preuve de leadership au sein de la conférence ministérielle. On peut penser au premier ministre Greg Selinger, qui s’occupait des langues officielles au Manitoba, et au ministre Jean-Marc Fournier, du Québec, qui était un grand défenseur des langues officielles. Une bonne part des concepts dont on discute aujourd’hui dépend du leadership. On peut avoir la meilleure loi au monde, mais sans cette volonté politique de faire avancer les dossiers, rien ne va se produire.
J’aimerais revenir aux commentaires du sénateur Smith. On parle beaucoup des communautés de langue officielle lorsqu’il est question de la Loi sur les langues officielles, mais on parle très peu de la majorité et de son rôle. Nous avons tendance à en discuter entre nous. Le problème avec la dualité linguistique, c’est qu’elle doit appartenir à tous et non seulement aux francophones. Si on retourne en arrière, il y a un certain nombre d’années, on avait une différente façon de voir les choses; il y avait un genre d’engouement pour le concept. Il est très important de trouver une façon d’engager la majorité. Évidemment, nous allons faire le nécessaire pour appuyer le développement des communautés; toutefois, il faut créer des ponts avec cette majorité qui, comme le disait M. Fraser, y est peut-être insensible, mais sans avoir de motifs ultérieurs. La seule façon de le faire, c’est grâce à un leadership politique très fort.
Pour revenir à votre question sur la conférence, lorsqu’il y a des ministres dynamiques, des progrès sont accomplis.
La sénatrice Moncion : J’aimerais laisser de côté ce sujet et me diriger vers celui de l’immigration. À une certaine époque, j’ai fait une étude du secteur d’activité économique dans lequel je me trouvais pour voir ce qui se passait dans les communautés francophones du Nord de l’Ontario. Finalement, mon étude s’est étendue à la province au complet. Lorsque j’ai assisté au symposium, on parlait de l’immigration francophone. Au cours des 20 dernières années, la croissance anglophone en Ontario est venue de l’immigration. La croissance n’est donc pas intérieure, mais elle vient plutôt de l’extérieur. On se retrouve alors avec cette croissance qui vient gonfler les chiffres de la province, en faisant diminuer le nombre de francophones et, éventuellement, en mettant en jeu l’accès à des services en français dans certaines collectivités, à cause de l’immigration qui, en Ontario, se fait beaucoup en anglais.
On parle d’utiliser des chiffres absolus et d’examiner d’autres facteurs. Je sais que vous vous êtes penché sur la question, mais que peut-on faire pour protéger encore plus les groupes minoritaires dans les collectivités en milieu minoritaire et qui sont touchés par cette fameuse immigration anglophone?
M. Théberge : On parle d’immigration francophone depuis plusieurs années. L’an dernier, 1,8 p. 100 de l’immigration était francophone. L’objectif est de 4,2 ou de 4,4 p. 100. Le pourcentage en Ontario est de 5 p. 100 et, au Nouveau-Brunswick, il est de 30 p. 100. Nous sommes loin d’atteindre ces cibles.
IRCC a un plan d’action et il prend des mesures. Toutefois, on n’obtient pas les résultats voulus. Je ne sais pas quelle est la formule magique pour encourager l’immigration francophone, non seulement dans les grands centres, mais aussi dans les régions rurales qui ont tout de même des défis importants à relever, pour maintenir une certaine proportion de francophones dans ces régions. Nous avons tenu plusieurs rencontres avec des représentants d’IRCC. Ils ont mené un projet pilote du Modèle de maturité des langues officielles. Je ne connais pas tout le processus d’immigration, mais il y a quelque chose qui ne fonctionne pas dans le système, ce qui fait en sorte qu’on se pose la question à savoir s’il y a suffisamment de francophones de l’étranger qui désirent venir ici. Quels sont les mécanismes d’accueil? On me dit que, bien souvent, il y a un problème d’accueil et d’intégration.
À l’aéroport Pearson, on aura désormais un centre d’accueil francophone. Est-ce que cela va aider? Je ne le sais pas. Il est clair que les moyens dont nous disposons ne livrent pas les résultats attendus. À mon avis, il faut redoubler d’efforts, et cela se fera grâce à l’immigration. Il faut voir ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. On prend souvent l’exemple du Manitoba, qui connaît un certain succès. Comment le Manitoba a-t-il pu réussir comparativement à d’autres provinces? C’est à IRCC de trouver les solutions.
Dans une partie du règlement, on pourrait insérer une mesure qui porte sur l’immigration. La démographie est une tendance lourde, et la renverser est très difficile, d’autant plus que dans la Charte, à l’article 23, il est indiqué « où le nombre le justifie ». En parlant de services où la demande est importante, si les nombres n’y sont pas, il y aura un impact sur la qualité des services.
La sénatrice Moncion : Dans le Nord de l’Ontario, on commence à voir beaucoup plus de membres des minorités visibles et de francophones qui s’y installent, chose qu’on ne voyait pas il y a une quinzaine d’années. Or, tout doucement, c’est une tendance qui est intéressante et que l’on commence à constater. Il est assez impressionnant de le constater, surtout dans le Nord de l’Ontario où on retrouvait très peu de membres des minorités visibles, alors que maintenant des communautés sont en train de se développer. On voit cette migration qui se fait de façon très lente.
Quant aux transferts, c’est peut-être le cas dans les autres provinces, mais en Ontario le gouvernement semble vouloir réduire certains services et lancer la balle au gouvernement fédéral. J’aimerais vous entendre à ce sujet. On en a vu un autre exemple aujourd’hui.
M. Théberge : Bien souvent, dans certaines administrations, on perçoit l’appui à donner aux communautés comme étant le devoir ou la responsabilité du gouvernement fédéral. De plus, dans certaines provinces, on détermine que, désormais, ce sera aux municipalités d’offrir certains services.
Il existe une certaine dépendance à l’égard du gouvernement fédéral pour tout ce qui a trait aux minorités linguistiques du Canada. La plupart des programmes sont fédéraux. Dans certains cas, il est censé y avoir un appariement dans la province. Or, cela ne se produit pas toujours. Le phénomène en est un de déresponsabilisation. La question est à savoir jusqu’à quel point les provinces se sentent responsables du développement de leurs communautés.
Dans le cas de l’Ontario, à l’heure actuelle, il n’y a pas de réel dialogue. La question fondamentale est à savoir si on devrait recevoir davantage de soutien de la part du gouvernement fédéral pour offrir des services aux Franco-Ontariens et aux Franco-Ontariennes. Cette dépendance n’est pas nouvelle. À une certaine époque, alors que j’étais fonctionnaire, on m’a demandé de me rendre à Ottawa afin de demander des fonds pour l’éducation en langue française. J’ai répondu ceci : « Pourquoi? Monsieur le ministre, avec tout le respect que je vous dois, l’éducation est de compétence provinciale. » Il m’a dit : « Même l’éducation en français? » Je lui ai répondu que oui.
Nous avons donc créé cette dépendance, et je sais que c’était nécessaire au début, car il fallait encourager les provinces et les territoires et mettre en place les infrastructures. Par contre, il vient un temps où les provinces et les territoires ont la responsabilité de répondre aux besoins de leurs communautés.
Très souvent, on entend dire que si le gouvernement fédéral n’investit pas dans un secteur, il n’est pas possible de progresser. Oui, mais il y existe un autre ordre de gouvernement, le provincial, qui doit lui aussi investir dans la prestation de services.
La sénatrice Gagné : J’aimerais revenir à la question de l’immigration. L’une des premières choses à faire, à mon avis, c’est de s’assurer que tous les bureaux d’immigration et les ambassades peuvent offrir des services dans les deux langues officielles.
De plus, pour ce qui est du financement de l’éducation, on dit toujours que l’éducation est de compétence provinciale, mais, compte tenu du fait que l’éducation est au cœur du développement des communautés, le gouvernement fédéral a une responsabilité également. Dans votre présentation, vous faites surtout référence à la reddition de comptes par rapport à l’utilisation des fonds. Il n’en demeure pas moins que, depuis 15 ans, le financement prévu dans l’entente-cadre n’a pas changé. Selon moi, il s’agit là d’une perte d’acquis au chapitre de l’éducation. Comment une loi peut-elle en arriver à corriger cela?
M. Théberge : Je ne crois pas que la loi puisse garantir des résultats quant aux investissements de la part d’un gouvernement. Toutefois, il est possible de codifier certains principes dans la loi. Le premier principe est l’égalité réelle. Il faut se demander jusqu’à quel point les systèmes d’éducation sont égaux. Le deuxième principe qui devrait faire partie de la codification de la loi est celui de la nature réparatrice des droits linguistiques, qui permettrait une certaine interprétation.
Lorsqu’on parle de l’égalité réelle et du caractère réparateur des droits linguistiques, le terme « égalité » signifie aussi « équité ». Comment en arrive-t-on à des systèmes égaux? Si nous voulons respecter ces deux principes, nous pouvons certainement inclure dans la loi certains éléments qui traitent d’éducation, en fonction de l’égalité réelle et du caractère réparateur des droits linguistiques.
Donc, il y a des possibilités. Certaines décisions ont été prises dans le Plan d’action pour les langues officielles de 2018-2023, où des investissements ont été redirigés. L’enveloppe de 2,2 milliards de dollars existe depuis au moins 10 ans, et une décision a été prise en faveur de réinvestissements dans d’autres domaines. C’est la prérogative du gouvernement.
La sénatrice Gagné : Merci beaucoup.
La vice-présidente : Avant de terminer, j’aimerais poser quelques questions. À la page 5 de votre présentation, vous mentionnez ce qui suit : « [...] mon équipe lancera en juin 2019 un nouvel outil, le Modèle de maturité des langues officielles. »
Pouvez-vous nous dire ce qu’accomplira ce nouvel outil à l’avenir, qui n’est pas réalisé en ce moment?
M. Théberge : Le Modèle de maturité des langues officielles est un outil diagnostique pour les institutions fédérales qui n’existe pas à l’heure actuelle. Cet outil diagnostique va permettre aux institutions fédérales de savoir où elles se situent sur un continuum par rapport à la mise en œuvre de la Loi sur les langues officielles. Ce n’est pas un bulletin de rendement, ce n’est pas une note A, B ou C. Il s’agit plutôt de savoir où l’institution fédérale se situe et quels sont les obstacles auxquels elle est confrontée pour en arriver à la mise en œuvre de la loi. Nous en avons beaucoup parlé au Conseil du Trésor, à Patrimoine canadien ainsi qu’à d’autres institutions, et ces dernières souhaitaient vivement utiliser l’outil pour démontrer un progrès.
À l’heure actuelle, cela se résume à des rapports d’activités qui ne disent pas grand-chose, y compris une liste d’activités. Certaines institutions ont de très longues listes d’activités qui, en fin de compte, ne veulent rien dire par rapport à la mise en œuvre de la loi.
Cet outil comporte 2 vecteurs et 28 indicateurs et, en fonction de ces vecteurs et indicateurs, il est possible de se situer sur un continuum. Il s’agit alors de cerner les obstacles que rencontre l’institution fédérale et de définir le plan d’action qui va lui permettre d’avancer. C’est un outil différent, et nous espérons qu’il aura un impact sur les institutions fédérales. Il y a eu beaucoup d’intérêt de la part des institutions fédérales lors de la présentation du modèle au Comité des sous-ministres adjoints sur les langues officielles, au Conseil du Trésor et à Patrimoine canadien. Il y a donc un intérêt important pour cet outil diagnostique.
Si une institution fédérale veut apporter des changements, elle doit savoir quelles sont ses lacunes.
La vice-présidente : Existe-t-il un mécanisme à l’intérieur de cet outil qui va permettre de faire un suivi afin de voir si les institutions fédérales l’utilisent?
M. Théberge : Effectivement, un plan d’action doit découler de chaque diagnostic. Ensuite, il devient possible de vérifier la mise en œuvre du plan d’action.
La vice-présidente : Et si les institutions ne le font pas?
M. Théberge : À l’heure actuelle, dans le cas où elles ne le font pas, le commissaire aux langues officielles peut formuler des recommandations, mais il ne dispose pas nécessairement des mécanismes de conformité nécessaires pour passer à la prochaine étape.
La vice-présidente : Pouvez-vous nous expliquer les récentes décisions en ce qui concerne le rejet de certaines plaintes liées à la partie VII de la loi, qui, auparavant, étaient jugées fondées et qui ne le sont plus?
M. Théberge : Avant le jugement Gascon, il y avait l’état du droit qui faisait en sorte que nous avions certaines règles d’interprétation des plaintes. À la suite du jugement Gascon, les règles d’interprétation ont changé, ce qui fait que l’état du droit, une fois que la décision est rendue, devient la loi du pays. Il faut donc revoir le travail que nous faisons pour qu’il soit conforme à la loi.
En ce qui a trait à la partie VII, j’ai souvent entendu le commentaire suivant : « Je ne suis pas avocat, mais je crois que vous devez l’ignorer.» Or, moi, je vous dis ceci : je ne suis pas avocat, mais mes avocats me disent qu’il faut respecter la loi.
La vice-présidente : En 2018-2019, quel a été le délai moyen pour mener un processus d’enquête formel?
Ghislaine Saikaley, commissaire adjointe, Direction générale de l’assurance de la conformité, Commissariat aux langues officielles : Il est difficile de répondre à cette question, car cela dépend de beaucoup de choses. Par contre, je peux dire qu’il existe deux processus. Il y a le processus facilité qui dure en moyenne 70 jours. J’aime mieux parler de médiane que de moyenne, parce que la médiane ne tiendra pas compte des extrêmes. Donc, en médiane, le processus est d’environ 70 jours pour un dossier facilité.
Dans le cas d’un dossier d’enquête formelle, c’est environ 185 jours, mais cela dépend des dossiers. Lorsqu’on ouvre une enquête, il est difficile de prévoir combien de temps elle va durer, parce que, souvent, à première vue, une enquête peut paraître facile ou simple, mais elle peut devenir assez compliquée. Nous essayons, dans les meilleurs délais, de respecter des normes qui sont les plus acceptables possible pour les Canadiens. Dans les meilleurs délais, nous essayons de mener à terme nos dossiers, mais il est difficile d’affirmer que chaque dossier sera complété à l’intérieur d’un délai particulier. Quoi qu’il en soit, cela se fait toujours dans les meilleurs délais.
La vice-présidente : Merci beaucoup. Est-ce qu’il y a d’autres questions?
Merci beaucoup, monsieur le commissaire. Vous avez réussi à nous faire bien comprendre les enjeux liés à votre mandat.
Honorables collègues, avant de mettre fin à cette dernière réunion du comité dans le cadre de la 42e législature, je demanderais à un collègue de bien vouloir proposer la motion suivante :
Il est convenu que la transcription et les enregistrements audio des réunions tenues à huis clos par le Comité sénatorial permanent des langues officielles soient détruits par le greffier, au plus tard à la fin de la présente session parlementaire.
La motion, proposée par la sénatrice Gagné, est adoptée.
(La séance est levée.)