Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie
Fascicule no 26 - Témoignages du 8 juin 2017
OTTAWA, le jeudi 8 juin 2017
Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui, à 10 h 30, pour poursuivre son étude du projet de loi S-228, Loi modifiant la Loi sur les aliments et drogues (interdiction de faire de la publicité d'aliments et de boissons s'adressant aux enfants).
Le sénateur Kelvin Kenneth Ogilvie (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Je vous souhaite la bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.
[Traduction]
Je suis le sénateur Kelvin Ogilvie de la Nouvelle-Écosse et je préside ce comité. J'invite mes collègues à se présenter eux-mêmes.
La sénatrice Seidman : Je suis Judith Seidman, de Montréal, au Québec.
La sénatrice Stewart Olsen : Je suis Carolyn Stewart Olsen, du Nouveau-Brunswick.
La sénatrice Raine : Je suis Nancy Greene Raine, de la Colombie-Britannique.
[Français]
Le sénateur Cormier : René Cormier, du Nouveau-Brunswick.
La sénatrice Petitclerc : Chantal Petitclerc, du Québec.
[Traduction]
La sénatrice Hartling : Je suis Nancy Hartling, du Nouveau-Brunswick.
Le sénateur Neufeld : Je suis Richard Neufeld, de la Colombie-Britannique.
Le sénateur Dean : Je suis Tony Dean, de l'Ontario.
La sénatrice Frum : Je suis Linda Frum, de l'Ontario.
Le sénateur Eggleton : Je m'appelle Art Eggleton et je suis sénateur de Toronto et vice-président du comité.
Le président : Je rappelle que nous traitons aujourd'hui du projet de loi S-228, Loi modifiant la loi sur les aliments et drogues (interdiction de faire de la publicité d'aliments et de boissons s'adressant aux enfants).
Chers collègues, on vous a remis un mémoire que nous avons reçu dans les deux langues. Il y en a deux autres que nous n'avons reçus que dans une langue. Si vous les voulez, vous devrez en faire la demande, car je ne suis pas autorisé à distribuer des documents qui ne sont pas dans les deux langues officielles.
Je vais maintenant donner la parole à nos témoins, dans l'ordre où ils sont mentionnés sur la convocation puisque personne n'a fait la demande expresse de s'exprimer en premier. Je donne donc la parole au Dr Tom Warshawski, président et chef de la direction de la Childhood Obesity Foundation.
Dr Tom Warshawski, président et chef de la direction, Childhood Obesity Foundation : Merci, monsieur le président, de m'avoir invité à comparaître devant votre comité.
La Childhood Obesity Foundation est extrêmement heureuse que le projet de loi S-228 ait été présenté au Sénat, car nous pensons qu'il est essentiel que les enfants et les adolescents soient protégés contre toute tentative de persuasion de consommer des aliments et des boissons risquant de nuire à leur santé, de leur causer des maladies chroniques ou de réduire leur espérance de vie.
Mes remarques porteront sur deux projets d'amendements du projet de loi. Selon nos informations, le Sénat sera invité à modifier le projet de loi S-228 afin d'en limiter la portée strictement aux aliments et boissons malsains, plutôt qu'à tous les aliments et boissons. Nous croyons que limiter la commercialisation de tous les aliments et boissons coûterait moins cher, serait moins bureaucratique et serait plus efficace que de créer un système servant à déterminer le caractère sain des aliments, mais nous comprenons la crainte du gouvernement qu'une prohibition générale étendue puisse être invalidée par les tribunaux.
L'amendement proposé est acceptable à condition que le système de classification de la valeur nutritive des produits soit robuste et repose sur les avis de scientifiques indépendants en matière d'alimentation et de nutrition. Notre méthode d'évaluation de la valeur nutritive des produits ne saurait être sujette à une influence de la part de l'industrie alimentaire. Nous suivrons attentivement l'élaboration des textes réglementaires, qui seront des éléments cruciaux du système.
Je voudrais toutefois m'attarder un peu plus sur l'amendement visant à étendre la protection aux jeunes âgés de 16 ans ou moins. Cela concorde avec les recommandations de l'Organisation mondiale de la Santé et avec la législation actuellement en vigueur au Royaume-Uni.
Les adolescents sont nettement plus vulnérables à la publicité que les adultes, et c'est un facteur que l'industrie des boissons et des aliments exploite habilement. Je vais vous en donner un exemple de l'industrie des boissons.
Les meilleures données que nous avons au sujet des ressources consacrées à la commercialisation des produits alimentaires sont des données américaines de 2006. Cette année-là, l'industrie des boissons gazeuses a consacré 550 millions de dollars à la commercialisation destinée aux enfants de 17 ans ou moins, dont 85 p. 100 à l'intention des adolescents. Il est probable que le total était moins élevé au Canada, mais avec des proportions similaires. Nous savons que cet argent n'a pas été dépensé en vain et que ce marketing est efficace.
Un adolescent canadien typique consomme plus de 500 ml de boissons sucrées par jour, soit plus d'un demi-litre. C'est le double des adultes et cela dépasse largement la consommation quotidienne maximum de sucre recommandée par l'Organisation mondiale de la Santé et par la Fondation des maladies du cœur et de l'AVC.
La commercialisation destinée aux adolescents est très efficace, très lucrative, mais aussi très contraire à l'éthique. Les adolescents sont vulnérables et n'ont pas autant de capacité de raisonnement que les adultes. La vulnérabilité particulière du cerveau adolescent est d'ailleurs reconnue dans nos lois. C'est pourquoi la conduite d'une automobile sans supervision est interdite avant l'âge de 16 ou 17 ans. L'âge du consentement sexuel varie de 16 à 18 ans; il faut avoir 18 ans pour avoir le droit de voter; il faut avoir 18 ou 19 ans pour avoir le droit de consommer de l'alcool ou pour pouvoir acheter des produits du tabac.
Les adolescents sont capables de faire des calculs complexes, de mémoriser des statistiques et d'inventer de belles histoires. Ils sont intelligents, mais ils ont tendance à avoir des priorités différentes des adultes. Cela les rend particulièrement vulnérables à une commercialisation sophistiquée, en tout cas bien plus que les adultes et, à certains égards, plus même que les enfants plus jeunes.
Nous savons aujourd'hui que les changements hormonaux de la puberté exercent une profonde influence sur le cerveau humain. Le cerveau est l'organe de la pensée, et le cortex préfrontal, la partie qui se trouve à l'avant du cerveau, est la partie que l'on considère comme la plus active dans l'exercice d'un contrôle décisionnel. Elle régit l'attention, réfrène les pulsions et prévoit les conséquences des actions. Le cortex préfrontal se développe lentement de manière linéaire au cours des années et n'est pas totalement formé avant la fin de la vingtaine.
La progression ordonnée de la capacité de raisonnement qui accompagne la maturation du cortex préfrontal semble être dominée par les hormones sexuelles qui déclenchent la puberté, la testostérone et l'œstrogène. La montée de ces hormones provoque des changements à la fois dans la fonction et dans la structure du cerveau. Le striatum ventral devient plus dominant, ce qui se traduit par un désir de récompense plus fort et par la recherche de la gratification immédiate. On a tendance à ne plus tenir compte des risques. Cette prédisposition est plus marquée chez les adolescents que chez les jeunes enfants et les adultes.
Le fabricant de boissons énergisantes Red Bull en est parfaitement conscient, et sa publicité présente généralement des adolescents ou de jeunes adultes se livrant à des acrobaties intrépides défiant la mort. Le cerveau adolescent qui ne comprend pas le danger que représente un double saut périlleux en motoneige n'est généralement pas réceptif aux avertissements indiquant que la consommation de boissons sucrées augmente à long terme les risques d'obésité, de diabète de type 2 et de maladie du cœur.
L'adolescence est également caractérisée par une vulnérabilité particulière à l'influence des pairs. Cela est probablement relié aux changements structurels induits par les hormones dans le réseau du cerveau social. Les adolescents transfèrent leur affiliation sociale de leurs parents à leurs pairs et valorisent plus l'opinion des adolescents que celle des adultes. Le besoin d'être accepté par les pairs et d'éviter le rejet social est un puissant moteur du comportement adolescent. L'image de soi est fortement affectée par l'opinion des pairs. Les vendeurs futés de boissons gazeuses sont bien conscients de l'influence des pairs sur les adolescents et conçoivent leur marketing en conséquence.
Le cerveau adolescent se caractérise aussi par l'influence de l'émotion sur la prise de décision. Nous savons que, pendant l'adolescence, l'amygdale, un centre cérébral profond influant sur le contrôle des émotions, se développe et que ses connexions avec le cortex du cerveau deviennent plus denses. Ces changements anatomiques sont associés à une sensibilité accrue aux émotions lors de la prise de décision. Ce phénomène semble s'atténuer à l'âge adulte. L'influence de la stimulation émotionnelle sur le cerveau adolescent est bien connue des publicitaires, de sorte que les produits sont souvent présentés dans des scénarios chargés d'émotion positive. Un grand fabricant de boissons gazeuses va jusqu'à promettre le bonheur en canettes.
En résumé, les changements hormonaux de la puberté s'accompagnent de changements structurels dans des parties du corps humain telles que le cortex préfrontal, le striatum ventral et l'amygdale. Ces changements coïncident avec des changements importants de la fonction cérébrale. De nombreuses manières, ces changements renversent temporairement la progression ordonnée, avec l'âge, de la capacité de raisonnement et de jugement qui accompagne la maturation du cortex préfrontal.
Les adolescents ne sont pas seulement des adultes manquant d'expérience. Ils ont tendance à rechercher la gratification immédiate, à prendre des risques excessifs et à être excessivement influencés par la pression de leurs pairs et par leurs émotions. Le cerveau humain n'acquiert pas la capacité de décision de l'adulte avant le milieu ou la fin de la vingtaine. On ne peut tout simplement pas dire aux adolescents de mieux raisonner. La société se doit de les protéger jusqu'à ce que leur jugement s'améliore avec la maturation du cerveau.
La coalition Arrêtons la publicité destinée aux enfants recommande au Sénat d'étendre à tous les enfants et adolescents de 16 ans ou moins la protection contre la publicité d'aliments et de boissons malsains. Bien que cette limite d'âge n'étende pas la protection jusqu'à ce que tous les adolescents aient achevé leur puberté, elle fournit une protection importante à la plupart d'entre eux alors qu'ils sont à l'étape la plus vulnérable de leur développement. L'amendement proposé concorde avec les attentes sociétales généralement reconnues au sujet des compétences cognitives des adolescents et de l'adoption d'une politique fondée sur des données probantes.
Merci.
Le président : Merci beaucoup. Je donne maintenant la parole à Manuel Arango, directeur, Politique de la santé et promotion et défense des droits, Fondation des maladies du cœur et de l'AVC du Canada.
Manuel Arango, directeur, Politique de la santé et promotion et défense des droits, Fondation des maladies du cœur et de l'AVC du Canada : Bonjour, monsieur le président et mesdames et messieurs les sénateurs. Notre équipe a eu le grand plaisir de rencontrer beaucoup d'entre vous ces dernières semaines pour discuter de notre appui au renforcement du projet de loi S-228. Nous félicitons la sénatrice Nancy Greene Raine d'en avoir pris l'initiative. Nous félicitons aussi le comité pour son rapport sur l'obésité, qui constitue une plate-forme et une assise importantes pour ce projet de loi.
Votre comité a entendu bon nombre des partenaires et experts de notre coalition sur ce sujet. Nous convenons tous que le projet de loi S-228 représente une étape importante pour protéger la santé de nos enfants et combler les failles graves des initiatives volontaires visant à réduire la publicité d'aliments et de boissons destinée aux enfants. L'approche contraignante du projet de loi S-228 est essentielle pour améliorer la santé et le bien-être des enfants du Canada, comme l'a très clairement expliqué la Dre Monique Potvin Kent hier, devant votre comité.
En qualité de vice-présidente de la coalition Arrêtons la publicité destinée aux enfants, la Fondation des maladies du cœur et de l'AVC du Canada a mené un sondage détaillé qui a montré que cette question préoccupe sérieusement les Canadiens puisque près de 80 p. 100 sont en faveur d'une intervention législative dans ce domaine et estiment que les parents sont gravement désavantagés lorsqu'ils essayent d'inculquer de saines habitudes alimentaires à leurs enfants, surtout face aux milliards de dollars que l'industrie déverse dans la publicité d'aliments et de boissons en Amérique du Nord. Rien qu'aux États-Unis, le total s'élevait à 1,6 milliard de dollars en 2008.
L'adoption d'une loi contraignante permettra à tout le monde — parents, enfants et producteurs d'aliments — de lutter à armes égales, mais à condition de veiller à ce que la loi mette tout le monde sur un pied d'égalité avec un régime de réglementation exhaustif et robuste.
Le Dr Warshawski vous a parlé de la nécessité de protéger les enfants vulnérables en relevant la limite d'âge dans ce projet de loi jusqu'à 16 ans ou moins. Nous espérons que vous examinerez attentivement cette proposition quand vous vous pencherez sur les amendements proposés.
Je crois comprendre aussi que votre comité sera invité à examiner deux autres projets d'amendements importants, notamment pour remplacer les restrictions s'appliquant à tous les aliments et boissons par des restrictions s'appliquant seulement aux aliments et boissons malsains, et pour supprimer les dispositions détaillées concernant les formes de publicité devant être restreintes. Si le comité et le Sénat s'engagent dans cette voie, il sera essentiel d'inclure dans la loi des engagements de haut niveau pour garantir deux choses : premièrement, l'élaboration et l'adoption d'un système robuste de classification de la valeur nutritive des produits, fondé sur des données probantes et sur les pratiques de santé publique, en faisant appel à des experts indépendants de la santé publique; et, deuxièmement, se garder la possibilité d'imposer un large éventail de restrictions à la commercialisation, lors de l'élaboration des textes réglementaires.
J'aimerais consacrer le reste de mon temps de parole à cette dernière question. Nous craignons que le retrait de ce projet de loi de certains supports publicitaires ne nous laisse au final aucune garantie que les textes réglementaires définitifs s'appliqueront à toute la panoplie des méthodes de commercialisation. Si nous ne faisons pas cela, nous risquons de nous retrouver dans une situation très semblable à celle qui s'est produite au Royaume-Uni, où la première version des textes réglementaires portait uniquement sur la publicité à la télévision et à la radio. De ce fait, l'industrie a simplement transféré toutes ses dépenses de commercialisation dans la publicité en ligne et numérique, faisant perdre ainsi tout leur sens aux restrictions touchant la télévision et la radio. Nous ne voulons pas faire la même erreur au Canada. Heureusement, le gouvernement du Royaume-Uni envisage actuellement de corriger cette faille en élargissant la portée de ses textes réglementaires pour couvrir un plus large éventail de supports publicitaires, notamment les supports numériques et les réseaux sociaux.
Hier, Mme Monique Potvin Kent s'est adressée au comité au sujet de la publicité sur les supports numériques. Nous savons que la technologie de l'information change rapidement et que les enfants utilisent chaque jour de nouvelles plates- formes et de nouveaux supports numériques. En fait, saviez-vous que Facebook n'a même plus la cote aujourd'hui auprès des adolescents et des jeunes, qui préfèrent maintenant Instagram et Snapchat? Nous devons donc nous assurer que la loi aura une portée suffisamment vaste pour couvrir les médias sociaux nouveaux et émergents ainsi que tous les supports numériques.
Au-delà des nouvelles applications et plates-formes qu'utilisent les enfants, l'environnement bâti est un espace que les publicitaires exploitent de plus en plus. La publicité dans les écoles publiques et les centres récréatifs, les mascottes dans les festivals, le placement de produits dans les épiceries, les émissions télévisées pour enfants, les personnages de dessins animés sur les emballages de produits alimentaires, la commandite d'activités communautaires et l'offre de coupons et de promotions lors de manifestations sportives sont les méthodes qu'utilisent les publicitaires pour attirer nos enfants.
Voilà pourquoi la Fondation des maladies du cœur et de l'AVC recommande d'inclure dans le préambule du projet de loi S-228 un engagement de haut niveau pour une définition large du marketing et un large éventail de restrictions. Le projet de loi doit permettre d'y inclure des supports tels que les emballages de produits, les médias numériques, les espaces destinés aux enfants, et cetera. Sinon, nous risquons de nous retrouver avec des règlements qui ne s'appliqueront qu'à la télévision et à la radio, alors que l'expérience du Royaume-Uni nous a appris que c'est complètement insuffisant et inefficace.
En conclusion, la Fondation des maladies du cœur et de l'AVC félicite le Sénat du Canada, votre comité et la sénatrice Nancy Greene Raine de reconnaître que le marketing est un problème. Nous vous implorons de faire du projet de loi S- 228 un outil qui protégera réellement nos enfants, en veillant à ce que sa portée soit suffisamment vaste pour s'appliquer à ce que les enfants font et voient et à ce que les publicitaires conçoivent et diffusent. Veillons à ce que le projet de loi soit correctement formulé dès le départ pour protéger efficacement nos enfants.
Merci. Je répondrai avec plaisir à vos questions.
Le président : Merci beaucoup. Je donne maintenant la parole à Russell Williams, vice-président, Relations gouvernementales et politiques publiques, Diabète Canada.
Russell Williams, vice-président, Relations gouvernementales et politiques publiques, Diabète Canada : Je vous remercie, de me donner l'occasion de témoigner au sujet du projet de loi S-228.
Si vous voulez bien m'accorder une minute, je voudrais vous féliciter pour le leadership incroyable dont vous faites preuve depuis des années en matière de politiques publiques. Je tenais simplement à le souligner et à rendre hommage à votre comité pour ses excellentes études et sa contribution aux débats publics.
L'association Diabète Canada est très fière de représenter les 11 millions de personnes, selon les estimations, qui vivent avec le diabète et le pré-diabète. Notre rôle est d'aider les personnes qui risquent d'avoir le diabète à l'éviter, dans toute la mesure du possible. C'est la raison pour laquelle Diabète Canada et la coalition Arrêtons la publicité destinée aux enfants appuient le projet de loi S-228.
[Français]
Je répète que Diabète Canada et la Coalition Arrêtons la pub destinée aux enfants soutiennent et appuient le projet de loi S-228. D'ailleurs, je tenais à féliciter la sénatrice Raine pour son leadership dans le dossier.
[Traduction]
Les mesures volontaires existantes se sont révélées inefficaces, et nous avons maintenant besoin d'une loi qui impose des restrictions obligatoires au marketing destiné aux enfants, essentiellement pour mettre les enfants et l'industrie sur un pied d'égalité. Il est donc important d'adopter ce projet de loi sans tarder.
[Français]
En tant que société, nous devrions être inquiets de ce qui arrive aux enfants et aux jeunes. Nous traversons une crise grave qui continue d'être négligée par les gouvernements, les entreprises et les particuliers. Cette crise, c'est le surpoids et l'obésité chez les enfants. Le taux d'obésité chez les enfants et les jeunes au Canada a pratiquement triplé au cours des 30 dernières années, et le pourcentage d'enfants qui ont un surpoids ou qui sont obèses est maintenant de 30 p. 100, donc trois enfants sur dix.
[Traduction]
Ces taux ont contribué au développement du diabète de type 2 chez les enfants, maladie qui ne touchait auparavant que les adultes, jamais les jeunes. Aujourd'hui, beaucoup d'enfants ont une tension artérielle élevée ou un taux de cholestérol élevé, ce qui leur promet un avenir difficile sur le plan de la santé. Les jeunes en surpoids et obèses sont plus susceptibles de devenir des adultes en surpoids et obèses. Ces enfants font face à un avenir beaucoup plus sombre que les adultes vivant avec le diabète de type 2 parce qu'ils vivront plus longtemps avec la maladie.
Un facteur important relié à l'obésité des enfants est le marketing des aliments et des boissons auprès des enfants et des adolescents. Le marketing destiné aux enfants ne se limite plus aujourd'hui à des publicités dans lesquelles des personnages de bandes dessinées font la promotion de certains produits à la télévision, dans les dessins animés du samedi matin. Avec les campagnes de marketing sophistiquées qui sont menées à la télévision, en ligne, dans les médias sociaux, dans les écoles et dans les centres récréatifs, il est difficile aux enfants de ne pas y être exposés tous les jours, voire toutes les heures, dans tous les lieux où ils vivent, étudient, mangent et jouent, comme mes collègues l'ont déjà mentionné.
Nous savons que les goûts et les habitudes alimentaires des enfants deviendront ceux des adultes. En moyenne, les jeunes boivent plus d'un demi-litre de boissons sucrées chaque jour, boissons qui peuvent contenir jusqu'à 16 cuillerées à café de sucre, soit 64 grammes. Le lien entre l'obésité et la consommation de boissons sucrées est particulièrement troublant. On estime que les boissons sucrées pourraient causer jusqu'à une livre de gain de poids par mois chez les jeunes.
Les habitudes d'alimentation et les niveaux d'activité physique des enfants et des adolescents sont affectés et influencés par de nombreux facteurs. Je peux donc vous assurer qu'il n'existe pas de solution unique à cette situation. Nous ne sommes pas ici pour vous dire qu'on pourra résoudre tous les problèmes d'un seul coup, mais que ce projet de loi est un pas en avant crucial dans la bonne direction.
Le problème de l'obésité au Canada est complexe. On y réagit souvent de manière simpliste en disant : « Mangez moins, bougez plus. » En réalité, il faut prendre des mesures multiples parce que le problème est complexe, notamment au niveau de l'éducation, des bonnes habitudes alimentaires, d'un meilleur étiquetage des aliments et d'un meilleur accès aux aliments sains. Une démarche exhaustive en la matière doit absolument reposer sur l'idée que ce sont non seulement les individus, mais aussi les gouvernements qui ont un rôle à jouer. Les politiques publiques sont importantes dans ce domaine.
[Français]
La province de Québec limite le marketing destiné aux enfants depuis 1980. Le taux de surpoids et d'obésité chez les enfants de cette province est actuellement inférieur, et le taux de consommation de fruits et de légumes est supérieur. Nous savons que les règlements limitant le marketing destiné aux enfants sont efficaces et rentables. En effet, le fait de restreindre la publicité alimentaire destinée aux enfants serait l'une des mesures les plus rentables que le gouvernement puisse prendre.
[Traduction]
Je voudrais terminer en formulant quelques remarques essentielles. Si nous réclamons des restrictions, c'est parce que les mesures d'autoréglementation de l'industrie n'ont pas marché et qu'il est temps maintenant d'aller plus loin pour faire face à la crise sanitaire qui touche les enfants et les adolescents du Canada, comme nous le savons tous.
Je crois comprendre que vous serez saisis d'amendements au projet de loi dans le but de limiter la réglementation de la commercialisation visant les enfants aux seuls aliments et boissons malsains, au lieu de l'appliquer à tous les aliments et boissons. Si vous acceptez cet amendement, il sera essentiel d'adopter un système robuste de classification de la valeur nutritive des produits, reposant sur les meilleures pratiques de santé publique, et de veiller à ce que cela fasse partie intégrante de cet amendement.
En outre, nous appuyons vigoureusement les restrictions visant la publicité destinée aux enfants de 16 ans et plus. Ayant personnellement élevé deux garçons, je préférerais que la limite soit fixée à 18 ans, mais c'est une autre question. En jetant un coup d'œil autour de cette table, je me dis qu'il faudrait peut-être demander l'avis des jeunes gens avant de prendre une décision. Ils comprennent sans doute les médias actuels mieux que nous.
Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de présenter le point de vue de notre coalition et de Diabète Canada. Ce sont nos jeunes et les générations futures qui sont exposés au risque d'obésité. Si nous n'agissons pas, leur santé risque d'être inutilement mise en danger par le marketing des aliments et des boissons dont ils sont la cible.
Le président : Je vous remercie tous de vos exposés. Je rappelle aux sénateurs qu'ils doivent préciser à quels témoins ils veulent poser leurs questions. Les autres témoins pourront me faire un signe s'ils veulent aussi répondre à une question qui ne leur est pas directement adressée, ce qui permettra à tout le monde de participer au débat.
La sénatrice Raine : Je vous remercie tous d'être venus témoigner aujourd'hui. Je tiens en particulier à remercier le Dr Tom Warshawski qui a accepté de délaisser pendant un moment son cabinet de pédiatrie pour venir ici et qui travaille avec diligence sur ce dossier depuis plus de 10 ans, si ce n'est 15.
Je suis heureuse que ce projet de loi reçoive un large soutien de la population, mais je sais que certains de mes collègues s'interrogent encore à son sujet. Je vais donc rapidement leur laisser la parole pour qu'ils puissent poser leurs questions.
Docteur Warshawski, si nous fixons la limite d'âge à 16 ans, quel effet cela aura-t-il sur l'ensemble des enfants qui ont de mauvaises habitudes alimentaires à cause de la publicité? Votre témoignage a été particulièrement convaincant au sujet des boissons sucrées, mais la loi s'appliquera également à d'autres produits.
Dr Warshawski : Oui, à tous les produits que nous jugeons néfastes pour la santé. Les boissons sucrées sont les produits qui sont le plus publicisés auprès des enfants. J'ajoute aux remarques de Russell que le lien extrêmement fort entre la consommation de boissons sucrées et le diabète de type 2 ne doit pas être envisagé seulement en relation avec le surpoids et l'obésité; c'est un facteur de risque indépendant. Quel que soit votre poids, si vous buvez de grandes quantités de ces boissons, elles seront toxiques pour votre pancréas. C'est peut-être à cause de leur taux de fructose, mais nous ne savons pas vraiment pourquoi. Quoi qu'il en soit, il n'y a aucun doute à ce sujet.
Si nous relevons l'âge à 16 ans ou moins, nous accorderons vraiment beaucoup plus de protection aux adolescents. À l'heure actuelle, la majorité de la publicité des boissons gazeuses est destinée aux adolescents, mais elle a des répercussions sur les plus jeunes. Quand ma fille était pré-adolescente, elle n'avait qu'une envie, devenir adolescente. À 10 ans, quand elle voyait un jeune de 16 ans faire quelque chose, elle voulait absolument faire la même chose. Si vous voulez protéger les jeunes de 13 ans et moins, vous devez relever l'âge jusqu'à 16 ou 17 ans.
C'était une réponse indirecte à votre question sur l'élargissement de la portée du projet de loi. Celle-ci doit être assez vaste pour inclure la malbouffe, par exemple. Certes, on peut aller dans un établissement de restauration rapide et y manger raisonnablement bien, mais à condition de faire très attention. On n'y sert pas vraiment le genre de portions qu'on voit à la publicité. La publicité va totalement à l'encontre d'une alimentation saine, dans ce genre d'établissement.
Il y a aussi une publicité très maligne sur les produits de collation. Doritos fait actuellement une superbe campagne, et c'est incroyable de voir comment ils réussissent à associer leurs produits à Halloween. C'est une campagne de marketing virale que les enfants adorent regarder. Évidemment, elle permet à la société de vendre plus de produits. C'est une campagne extrêmement sophistiquée dans sa manière de s'adresser à son public.
Il y a longtemps que je m'intéresse à ce problème, comme vous l'avez dit, car, quand j'ai commencé en pédiatrie, j'ai dû conseiller des familles et des enfants sur la façon de perdre du poids. Tout ce qu'on peut dire dans son cabinet de médecin n'est qu'une goutte d'eau dans l'océan des boissons sucrées, des croustilles et de toutes les autres choses dont on nous inonde de publicité. C'est beaucoup plus sophistiqué et beaucoup plus percutant que tout ce que je peux dire sur une bonne alimentation. Les gens sortent de mon cabinet en se disant : « Il faut absolument que j'arrête », mais ils sont ensuite inondés d'une publicité qui annule littéralement tout ce que j'ai pu leur dire.
Les informations cliniques sont importantes, mais il faut aussi agir en amont. C'est pourquoi ce projet de loi est si important.
La sénatrice Raine : Merci.
Le sénateur Eggleton : Merci de vos exposés. Nous examinons la possibilité de modifier la réglementation de la publicité des aliments et des boissons malsains en utilisant un système de classification de la valeur nutritive des produits.
Docteur Warshawski, vous pensez qu'il serait probablement plus facile de protéger la loi contre une contestation judiciaire, mais le système du Québec, qui est un système de plus vaste portée, a été validé par la Cour suprême. Certes, quand on s'adresse à des avocats différents, on risque d'avoir des opinions différentes, mais vous devez avoir une raison pour dire qu'il est probablement plus sûr de choisir le système de classification de la valeur nutritive. Je ne vous demande pas de répéter tous les avis juridiques que vous avez pu obtenir lors de vos consultations à ce sujet, mais pourriez-vous nous parler un peu plus de l'avantage de ce système de classification par rapport à une prohibition générale?
Dr Warshawski : Comme vous le savez, la coalition Arrêtons la publicité destinée aux enfants a tenu plusieurs réunions dans le but de dégager un consensus, et celui-ci s'est établi sur l'idée d'interdire la commercialisation de tous les aliments et boissons auprès des enfants. C'est plus simple, plus net, et cela évite le coût supplémentaire d'élaborer une méthode de classification de la valeur nutritive.
Nous avons ensuite sollicité l'avis juridique d'un ancien juge de la Cour suprême, entre autres. Je répète que je suis médecin, pas avocat, mais les médecins croient parfois tout savoir. Ils administrent parfois ce qu'on appelle un test AIMS (test des mouvements involontaires anormaux) dans lequel on doit prendre la mesure la moins restrictive. En fait, ça ne nous dérangerait pas qu'on fasse de la publicité de carottes, de choux-fleurs ou de brocolis à l'intention des enfants, nous applaudirions des deux mains. Mais on n'en fait tout simplement pas. Et je ne pense pas qu'on en fera un jour.
Interdire la publicité de tous les aliments et boissons est beaucoup plus facile, mais ce n'est pas aussi précis parce que ce que nous voulons viser, en réalité, ce sont les produits malsains. Nos conseillers nous ont dit que ce serait invalidé par les tribunaux.
Pour une fois, j'ai écouté les autres et je pense que nous devrions suivre les meilleurs avis juridiques que nous avons obtenus. Nous ne voulons pas que ce projet de loi soit adopté par le Sénat, puis par la Chambre des communes, avant d'être tout bonnement invalidé par la Cour suprême. Voilà comment j'en suis arrivé à contrecœur à ma position. Je suis sûr que les autres témoins voudront s'exprimer à ce sujet.
M. Williams : Du point de vue de l'industrie alimentaire, une certaine uniformité d'un bout à l'autre du pays serait certainement très utile. Il y a eu des compromis, et cetera, mais nous tenons tous à faire un pas en avant. C'est pourquoi je pense qu'il faut faire des compromis.
Pour revenir sur ce que vous disiez, si ça marche au Québec, ça devrait pouvoir marcher dans le reste du pays.
M. Arango : En ce qui concerne la légalité et la constitutionnalité des diverses propositions, je voudrais faire une remarque sur le modèle du Québec. Il y a dans cette province une Loi sur la protection du consommateur, comme il y en a généralement une dans chaque province. Toutes les provinces ont donc légalement le pouvoir de régir tout le marketing commercial, ce qui n'est pas vraiment le cas au palier fédéral.
Mon collègue, Bill Jeffrey, qui a témoigné hier, vous recommanderait d'agir par le truchement de la Loi sur la concurrence. Si vous voulez agir par le truchement de la Loi sur les aliments et drogues, il sera plus difficile d'appliquer une prohibition générale.
En ce qui concerne la classification de la valeur nutritive, Santé Canada a déjà commencé à agir dans ce domaine avec son initiative d'étiquetage sur le devant des emballages. Nous sommes convaincus que si l'on applique ce processus, on pourra en tirer des leçons et obtenir aussi l'avis d'experts internationaux, pour mettre au point un excellent système de classification.
Le sénateur Eggleton : Bonne réponse, merci. Monsieur Williams, vous avez tous dit qu'il est nécessaire d'exercer également un contrôle sur les médias sociaux et sur la publicité numérique, afin de ne pas s'en tenir à la publicité diffusée à la télévision et à la radio. Vous avez aussi mentionné les écoles. Pouvez-vous me dire en quoi cela concerne les écoles?
M. Williams : Il y a une très forte présence de l'industrie dans nos écoles et dans nos centres récréatifs. Comme les établissements d'enseignement sont toujours à la recherche de soutien et de financement, on voit apparaître des partenariats. Il y a une omniprésence de ce genre de marketing dans tous les aspects de notre quotidien. Comme l'a dit le docteur, on peut bien donner toutes sortes de statistiques dans les cabinets de médecins, mais, à cause de ces partenariats, les jeunes sont exposés toute la journée à cette publicité dans les écoles et les établissements récréatifs de beaucoup de municipalités.
Le sénateur Eggleton : Quand vous parlez de partenariats, voulez-vous parler des machines distributrices de boissons et de ce genre de choses?
M. Williams : Il y a les machines distributrices de nourriture, par exemple, mais il y a aussi le fait que, durant la journée scolaire, les jeunes sont exposés à de nombreuses formes différentes de publicité. Donc oui, il y a des partenariats, et parfois de très bons partenariats, avec l'industrie dans les établissements récréatifs et dans nos écoles. Mais ce qui nous préoccupe, c'est que nous ne voulons pas que ce soit associé à du marketing spécifiquement destiné aux jeunes.
M. Arango : Vous avez parlé de ce que font les municipalités dans les centres récréatifs et les écoles. Beaucoup ont passé des contrats de source unique avec des fabricants de boissons, par exemple, en vertu desquels il leur est interdit d'ajouter un supplément au prix des boissons sucrées. À Kingston, c'est ce que la municipalité a l'intention de faire. Elle essaye d'ajouter un supplément de 25 p. 100 aux boissons vendues dans ses centres récréatifs. À la Fondation des maladies du cœur et de l'AVC, nous préférerions que ces boissons qui plaisent aux enfants soient interdites dans les centres récréatifs qu'ils fréquentent, mais ajouter un supplément est un compromis acceptable. Les contrats de source unique limitent de manière importante la marge de manœuvre des municipalités. Selon nous, c'est un problème qu'il faudrait régler au palier municipal.
La sénatrice Stewart Olsen : Je vous remercie tous de vos exposés. Je vois bien où vous voulez en venir, mais j'essaye de voir exactement comment ça pourrait se faire. Ça paraît très bien, mais, quand on y pense, on réalise que c'est un très vaste projet qui impliquera des dépenses énormes et beaucoup de travail. Or, je n'ai vu aucune indication nulle part de qui sera tenu responsable. Si l'on constate que vous avez fait ce genre de publicité, qui sera jugé responsable? L'entreprise? Ou l'organisme qui a diffusé la publicité? Est-ce que ce sera la personne qui a vendu l'espace publicitaire? Si c'est par Internet, est-ce que ce sera l'agence de publicité? Tout le problème de ce projet est de savoir comment il sera mis en œuvre.
Je vous entends parler du marketing auprès des adolescents, mais, comme vous l'avez dit, cela concerne aussi les préadolescents qui veulent imiter les ados et les ados qui veulent imiter les adultes. Je crois qu'il n'y a plus de publicité visant directement les adolescents aujourd'hui, car tous les adolescents se considèrent comme de jeunes adultes.
En bref, ce projet semble tout à fait merveilleux, mais je ne vois pas comment on va pouvoir le mettre en œuvre. Qu'en pensez-vous, docteur Warshawski?
Dr Warshawski : Je pense que c'est tout à fait faisable. On ne parle pas ici d'envoyer un homme sur la planète Mars, et il y a un précédent. L'Angleterre le fait. Elle a fixé la limite d'âge à 16 ans. Ça ne touche que la radio et la télévision, mais elle est passée à côté de l'Internet.
La sénatrice Stewart Olsen : C'est ce que je veux dire.
Dr Warshawski : Par contre, nous savons bien que la majorité de cette publicité passe par la télévision, qui est encore un médium très puissant. C'est donc quand même un succès.
En ce qui concerne l'Internet, notre but n'est pas de pousser ces entreprises dans l'Internet noir profond, comme dans le jeu où l'on tape sur la tête d'une taupe pour la faire disparaître. Elles ont intérêt à ce qu'on les trouve, facilement. Elles attirent les enfants avec des jeux vidéo qui sont en fait des publicités, sur les sites web de Pepsi et de Coca-Cola. Ces choses-là sont très publiques et elles tiennent à ce qu'elles le soient.
Je crois beaucoup à la solution des 80 p. 100. Nous n'obtiendrons pas une couverture à 100 p. 100, mais nous pouvons atteindre 80 p. 100. Les mécanismes existent déjà au Royaume-Uni. Le Québec a aussi réussi à définir la publicité destinée aux enfants, et divers pays y sont parvenus aussi. Je n'ai pas essayé d'analyser ces politiques en détail, mais les Anglais n'y ont pas renoncé en se disant que ce n'était pas possible. Ils se sont plutôt dit : « Nous l'avons fait, allons maintenant un peu plus loin. »
La sénatrice Stewart Olsen : Mais c'est limité.
Dr Warshawski : Pour le moment, mais ils essayent de l'étendre à l'Internet. Écoutez, nous pourrions atteindre 80 p. 100 de ces grands sites qui essayent de vous faire aller sur le site de Coca-Cola. Ils ne vont pas essayer de se dissimuler parce que la plupart des gens ne réussiront pas à les trouver. Ce serait quand même déjà une victoire pour nous. Il y aura toujours des choses comme ça sur l'Internet, ils essaieront toujours de contourner les règles, mais nous pouvons de toute façon faire beaucoup mieux que maintenant. C'est tout ce que je peux dire à ce sujet.
M. Arango : Ce n'est certainement pas une petite initiative. Nous sommes tous d'accord avec ça. Mais le problème n'est certainement pas petit non plus, comme l'indique le rapport du Sénat sur l'obésité.
La sénatrice Stewart Olsen : C'est incontestable.
M. Arango : Le coût des taux élevés d'obésité et de maladies reliées à l'alimentation s'élève à 26 milliards de dollars par an. C'est le chiffre qu'avait calculé Santé Canada en 2015. Ce n'est pas de la petite bière.
En ce qui concerne le mécanisme d'exécution de la loi, je pense que c'est une question qui sera réglée dans la réglementation. Si vous examinez le système mis en place au Québec, vous verrez que la province s'est basée sur un système de plaintes du public, qui se révèle très efficace. C'est ce qu'on pourrait faire ici, et ça simplifierait les choses.
Pour que mon commentaire soit parfaitement clair, je répète que cela s'est déjà fait ailleurs. Au Royaume-Uni, comme l'a dit le Dr Warshawski et comme je l'ai dit moi-même, on procède actuellement à l'extension de la réglementation aux supports numériques et aux médias sociaux. C'est donc tout à fait possible. Contrairement au Dr Warshawski, je préférerais une solution à 90 p. 100 plutôt qu'à 80 p. 100.
M. Williams : Moi, j'accepterais 95 p. 100.
Ça ne sera pas facile, mais, comme vous l'avez dit, ça vaut la peine. Personne ne conteste l'ampleur du problème. J'allais mentionner le processus de plaintes publiques du Québec, mais il y a d'autres précédents. La législation sur le tabac n'a pas été facile à obtenir. À l'époque où j'étais politicien au Québec, nous avons agi pour interdire la publicité de Loto-Québec aux enfants. Ça n'a pas été facile, mais nous l'avons fait. Est-ce parfait? Je ne sais pas quel est le pourcentage, mais ça a permis de faire un énorme progrès.
Je suis convaincu qu'une fois que nous aurons mis en place le cadre législatif et réglementaire, la loi permettra aux décideurs publics de prendre langue avec certaines de ces agences de publicité afin de mieux comprendre la situation et de voir comment avancer. Je ne saurais vous dire ce qu'il faut faire au sujet des médias sociaux. C'est un domaine que je connais peu, mais je sais qu'il faut s'y attaquer. C'est une bonne question.
Comme vous l'avez dit, les chiffres démontrent assez clairement que nous devons absolument faire quelque chose et que nous devons le faire maintenant. Il y a des précédents internationaux, mais, ici même, le Québec et d'autres juridictions examinent actuellement le problème. Je suis sûr que nous pouvons apprendre comment faire.
La sénatrice Stewart Olsen : Merci.
La sénatrice Seidman : Merci beaucoup de vos témoignages.
Docteur Warshawski, je m'adresse d'abord à vous. Je sais bien qu'il est très important de faire tous les efforts possibles pour protéger la santé des jeunes de ce pays. Cela ne fait aucun doute pour moi. Je dois cependant dire que j'ai moi aussi tendance à préférer la législation du Québec parce que je pense qu'elle serait plus simple à appliquer. Je sais aussi qu'elle a été validée par les tribunaux. C'est donc déjà un précédent.
Cela étant, j'essaye de comprendre comment on peut faire la distinction entre la publicité destinée à des jeunes de 18 ans et celle destinée à des jeunes de 16 ans, puisque c'est ce que ce projet de loi voudra imposer. Pouvez-vous m'aider?
Dr Warshawski : Je ne sais pas si cela concerne encore l'Internet, mais l'été dernier, j'ai consulté le site web de Sprite, qui venait de lancer une grande campagne de publicité intitulée « Étanche ta soif » avec des affiches partout dans les épiceries. On y présentait un adolescent qui se désaltérait avec une jolie bouteille de Sprite. En consultant le site web, on pouvait voir que l'entreprise était très fière que cette publicité soit destinée aux adolescents, en les incitant à ne pas hésiter à exprimer leurs opinions. La publicité ne s'adressait pas aux préadolescents, ce qui était fièrement revendiqué. Il y a des tonnes d'exemples de ce genre de messages clairement destinés aux adolescents.
Que ce soit 80 p. 100, 95 p. 100 ou autre chose, ce qui est important, c'est de réduire sensiblement ce genre de publicités. Je conviens que les gens ont tendance à vieillir plus vite aujourd'hui, mais pas tant que ça quand même. Les adolescents sont très choyés dans notre société, et on accepte qu'ils disent ce qu'ils pensent. Cela en fait un groupe ciblé. Je pense que nous réussirons à en identifier un certain segment. Une partie de cette publicité visera ceux qui veulent avoir 20 ans, et il est certain que nous ne réussirons pas à tout réglementer. Il sera difficile de le faire, mais il y a des exemples évidents, comme les publicités pour les friandises en barre et la campagne de Doritos dont j'ai parlé, qui cible très clairement les adolescents et les enfants d'âge scolaire. Nous pouvons éliminer une bonne partie de ce genre de publicité.
M. Arango : Permettez-moi, madame la sénatrice, une rapide observation. Les organisations qui œuvrent dans le domaine de la santé ont manifesté leur préférence à cet égard. Nous pensions, certes, que le plus simple serait d'interdire toute publicité de boissons ou de produits alimentaires. En définitive, cependant, ces diverses organisations se rallieront à l'approche du gouvernement, qui consiste à n'interdire que la publicité faite aux aliments nocifs pour la santé, dans la mesure, naturellement, où cela est fait correctement.
Permettez-moi de revenir sur un aspect de la question évoqué hier par la professeure Monique Potvin Kent. Ne perdons pas de vue, en effet, que la législation québécoise comporte une importante échappatoire puisque la loi permet de faire de la publicité pour des boissons et aliments nocifs pour la santé, dans la mesure où cette publicité, destinée en fait aux enfants, s'adresse aux adultes. La professeure Potvin Kent en a parlé hier. Il est donc permis de montrer, dans une publicité, un adulte consommant un Big Mac, avec derrière lui le logo de McDonald. C'est une échappatoire manifeste. La question pourrait être réglée soit en interdisant la publicité faite à des boissons et aliments nocifs pour la santé, soit en interdisant à l'adresse des enfants toute publicité par des aliments ou des boissons.
La sénatrice Seidman : Pourrais-je intervenir sur ce point? J'ai quelque difficulté à comprendre ce qui est envisagé au juste, car, en ce qui concerne McDonald's, on ne peut pas interdire l'emploi d'une marque de commerce uniquement parce que l'on estime qu'elle correspond à des aliments nocifs pour la santé. D'ailleurs, dans sa publicité, McDonald's a commencé à vanter une alimentation saine. Il en va de même de Tim Hortons et de diverses autres compagnies qui vantent désormais les bienfaits d'une alimentation saine, reconnaissant ainsi l'importance que la société d'aujourd'hui y attribue. J'ai donc un peu de peine à comprendre le problème que pose l'échappatoire dont vous venez de faire état.
M. Arango : Je comprends. Il y a à cela, deux aspects. La marque de commerce ou le logo affiché en arrière-plan est un autre aspect de la question qui, je le reconnais, est un peu plus compliqué puisqu'il implique des limites à l'emploi des marques de commerce. Ce que je veux dire, essentiellement, c'est qu'il est permis de faire passer, lors d'un programme pour enfants, une publicité pour des boissons et aliments nocifs pour la santé dans la mesure où cette publicité s'adresse aux adultes, c'est-à-dire, par exemple, si la publicité montre non pas un enfant, mais un adulte consommant un Big Mac. J'y vois une échappatoire manifeste, puisque cette publicité faite à des boissons et aliments nocifs pour la santé va être captée par des enfants exposés à la vue d'un adulte consommant un Big Mac, et que cela va peut-être leur paraître désirable. Naturellement, l'attrait sera pour eux encore plus grand, si la publicité s'adresse directement à eux et montre, par exemple, un enfant ou un personnage de dessin animé. C'est comme cela que fonctionne cette échappatoire. En ce qui concerne maintenant les limites qui pourraient être imposées à l'emploi d'une marque de commerce, je reconnais que cela soulève un certain nombre de difficultés.
La sénatrice Seidman : Je ne comprends toujours pas très bien.
Le président : Vous ne saisissez pas le sens de sa question. Nous savons, actuellement, que les grandes marques sont en passe d'élaborer des produits répondant suffisamment aux exigences nutritionnelles pour être considérés comme sains. Ce qui paraît problématique aux yeux de la sénatrice, c'est que si les dispositions envisagées ne font qu'interdire, à certaines plages horaires, la publicité faite à des aliments nocifs pour la santé, mais qu'elles autorisent la publicité pour des aliments sains avec une des grandes marques de commerce clairement en évidence, on ne voit pas très bien où en est l'intérêt.
M. Arango : Je dirais d'abord que si la publicité concerne des aliments sains, il y a déjà progrès puisque cela va tout de même atténuer les risques pour la santé. Cela dit, je reconnais que la publicité faite au logo d'une compagnie qui produit des aliments qui sont pour la plupart nocifs pour la santé ne doit pas nécessairement être encouragée. Peut-être pourrait-on poser certaines limites à la publicité faite à des marques de commerce lorsque la production de la compagnie en cause comporte telle ou telle proportion de produits nocifs pour la santé. Mais je reconnais volontiers qu'une telle approche serait plus difficile. La réglementation de l'usage qui est fait de logos ou de marques de commerce est effectivement problématique.
La sénatrice Seidman : Permettez-moi une dernière question. D'après vous, ce texte éliminerait l'échappatoire autorisant la publicité qui fait figurer un adulte. Là non plus, je ne suis pas sûre de comprendre de quoi il s'agit. Est-ce à dire, selon vous, que le texte interdira même la publicité s'adressant aux adultes?
M. Arango : Je ne sais pas ce que prévoira le règlement, ou quels amendements seront apportés au texte du projet de loi, mais l'essentiel est d'interdire de faire, à l'adresse des enfants, de la publicité pour des boissons et aliments nocifs pour la santé. Théoriquement, donc, il n'y aurait, lors de programmes destinés aux enfants, aucune publicité pour des boissons et aliments nocifs pour la santé. Une fois amendé, le projet de loi S-228 devrait donc interdire toute publicité même celle qui montre un adulte consommant un Big Mac.
La sénatrice Seidman : Le règlement préciserait donc les plages horaires visées par cette interdiction?
M. Arango : Exactement.
La sénatrice Seidman : Ah bon. Je vous remercie.
Le président : Cela devra être précisé, mais laissons cette question de côté pour l'instant.
Le sénateur Dean : Je tiens à vous remercier du travail que vous avez accompli et que vous continuez à accomplir, et aussi de votre participation aux délibérations du comité.
Monsieur Arango, vous venez d'évoquer l'atténuation des risques pour la santé. Il s'agit de mettre en place une réglementation permettant de réduire les risques dont nous avons connaissance, c'est-à-dire de réglementer l'action de groupes disposant de moyens financiers importants, et employant avec beaucoup de succès des techniques avancées mettant à profit les connaissances issues des sciences du comportement. Nous avons tenté d'obtenir de leur part un engagement volontaire. Ceux qui prônaient à l'époque une approche volontaire devaient se charger d'en assurer l'efficacité, mais je crois savoir que cela n'a pas été le cas. La situation n'a pas évolué et elle s'est même peut-être légèrement dégradée. C'est pourquoi nous avons fini par opter pour la voie réglementaire.
D'après ce que vous nous avez dit aujourd'hui, et ce que nous avons entendu hier, votre réflexion englobe la situation à la fois en aval et en amont, et les acteurs du secteur sauront, d'après vous, adapter leurs comportements aux nouvelles dispositions législatives et réglementaires. Vous avez pris les devants en soulignant l'importance qu'il y a à retenir 16 ans comme âge limite et en privilégiant l'aspect nutritionnel de la question.
Compte tenu des divers moyens qu'il y a d'éluder, consciemment ou délibérément, la réglementation, je me demande comment nous pourrions procéder pour mettre en place des instruments réglementaires suffisamment souples et adaptables pour contrer les efforts en vue de contourner délibérément les règles que nous entendons adopter. Vous avez évoqué le besoin d'une approche globale. D'après vous, les partisans d'une atténuation des risques pour la santé sont-ils à même d'employer avec autant de succès que les entreprises visées par ces nouvelles mesures les techniques issues de la psychologie du comportement?
M'en tenant aux conseils du président, c'est à vous, monsieur Arango, que j'adresse ces questions.
M. Arango : Entendu. Il nous faut, manifestement, adopter une approche globale. On ne peut pas se contenter de réglementer la publicité s'adressant aux enfants. Ce point me paraît essentiel. Les techniques de commercialisation exercent, certes, une immense influence, mais le problème a de nombreux autres aspects qui appellent notre attention.
Pourrions-nous nous inspirer, dans notre action, de ces mêmes techniques publicitaires? Tout à fait. Je peux dire, dès maintenant, en ce qui concerne les consultations qui ont actuellement lieu sur les données que nous souhaiterions voir figurer sur le devant de l'emballage, et non au dos, qu'il va falloir réfléchir à la forme et à l'aspect des avertissements qui devront figurer sur le devant d'un emballage. Nous pouvons nous inspirer des techniques de marketing pour décider des avertissements qu'il conviendra de faire inscrire sur la face du produit. C'est un point très important. Et puis, il y a aussi la question de l'exhaustivité des informations figurant sur le devant. Ces avertissements revêtent, eux aussi, une extrême importance.
Il y a, par ailleurs, la question des prix et des ristournes. Diabète Canada, et de nombreuses autres organisations réclament l'instauration d'une taxe spéciale sur les boissons sucrées. C'est une mesure susceptible d'améliorer sensiblement la situation. On pourrait également envisager de subventionner les aliments sains. Aux États-Unis, le gouvernement a instauré un programme de subvention destiné à améliorer l'alimentation des personnes à faible revenu. On devrait peut-être envisager cela ici. Je songe aussi à un zonage destiné à éviter les déserts et les marécages alimentaires.
Il nous faut également intervenir au niveau de l'accessibilité, de la commercialisation et des prix. Seule une approche globale nous permettra d'obtenir les résultats voulus. Nous avons appris cela du tabac. Vous n'avez qu'à consulter les statistiques de la consommation. De 65 p. 100 dans les années 1960, on en est aujourd'hui à environ 50 p. 100. Pour obtenir un tel résultat, nous avons pesé sur les prix, mais nous sommes aussi intervenus au niveau de la publicité et de divers autres aspects de la question.
Le sénateur Neufeld : Je tiens à vous remercier, messieurs, de votre présence parmi nous. Je tiens aussi à remercier Nancy d'avoir piloté ce dossier.
Je suis entièrement d'accord. Nous allons tout de même améliorer la situation, même si je ne suis pas en mesure de citer de chiffres. Ce n'est pas, d'après moi, l'essentiel.
Cela dit, il va, je crois, être assez difficile de définir, dans le cadre d'un règlement, ce qu'il convient d'entendre par des boissons et aliments nocifs pour la santé. Je ne pense pas que cela sera facile, mais cela ne sera peut-être pas aussi difficile qu'on pourrait l'imaginer. Je n'ai pas une grande expérience de l'action réglementaire, mais j'ai l'impression que cela sera néanmoins assez difficile.
Je voudrais, maintenant, passer à autre chose. Je suis stupéfait du chiffre que vous venez de citer, 500 millilitres de boissons sucrées par jour. Nous savons que le sucre, le sel et diverses autres matières sont mauvais pour la santé. Pourquoi ne pas simplement limiter la quantité de sucre qu'une boisson, ou un aliment, peut contenir? Il suffirait de dire, voici la quantité limite de sucre que peut contenir, pas seulement une boisson, mais tout autre produit alimentaire. Voici le maximum de sel qu'il peut contenir. Je ne cite que ces deux cas, car il paraît que ce sont les deux pires, les deux grands coupables de notre chaîne alimentaire.
Docteur Warshawski, pourriez-vous me dire si cela serait plus difficile que de décider quels sont les boissons et aliments qui nuisent à la santé.
Dr Warshawski : Eh bien, les deux sont liés. Pour fixer des limites à la teneur en graisses saturées, en sel ou en sucre, on pourrait se baser sur des données scientifiques qui permettent effectivement de préciser où se situe la barre de la nocivité. La science nous fournit, à cet égard, de plus en plus de renseignements. Nous disposons déjà de données abondantes en ce qui concerne le sel, car c'est quelque chose qu'il est plus facile de mesurer.
On parle beaucoup des graisses saturées, et le public ne sait pas trop qu'en penser. Nous pouvons cependant affirmer que l'alimentation à forte teneur en graisses saturées est beaucoup plus nocive qu'un régime pauvre en matières grasses ou qu'un régime à base de graisses polyinsaturées. On peut également affirmer que les graisses saturées sont préférables aux acides gras trans et aux monosaccharides. Sur ce dernier point, on ne peut pas, cependant, être aussi affirmatif.
À forte dose, le sucre nuit à la santé. C'est un fait établi, même si nous n'avons pas encore pu préciser où se situe le seuil de nocivité. La question est assez compliquée, car le sucre est un mélange de glucose et de fructose. Le glucose favorise la prise de poids, mais c'est le fructose qui semble particulièrement nocif. Nous n'avons pas encore pu en déterminer le seuil de nocivité. Ce que nous savons, cependant, c'est que les quantités actuellement consommées sont dangereuses pour la santé.
On pourrait donc effectivement limiter la quantité de sucre dans une boisson, mais que faire à l'égard des bouteilles de deux ou de quatre litres? On peut, certes, réglementer la teneur en sucre, mais on ne peut pas réglementer le volume consommé. Or, les choses deviennent encore plus compliquées.
Je ne suis pas expert en matière de réglementation. Il y a un certain nombre de variables sur lesquelles nous pouvons jouer pour modifier les comportements. Le cas du tabac nous a enseigné combien les êtres humains sont sensibles notamment à l'évolution des prix. Cela a été pour nous une leçon importante. Mais les êtres humains sont aussi, dans une certaine mesure, sensibles à la pédagogie, et les avertissements, les limites imposées à la publicité et les campagnes de promotion sociale sensibilisent la population à la nocivité du sucre. Les gens commencent à comprendre que le sucre est mauvais pour la santé, et nous acquérons de nouvelles connaissances concernant les effets du sel allié aux aliments gras.
Je suis disposé à employer les moyens susceptibles de donner les résultats voulus. La pédagogie est un pilier nécessaire de notre action, mais cela n'est probablement pas suffisant. Un certain degré de réglementation est, lui aussi, nécessaire, mais il ne faut pas intervenir trop lourdement. Nous devons éviter les excès de la microgestion tout en prenant des mesures efficaces. Nous savons que l'action sur les prix et un moyen qui a fait ses preuves, et cela est vrai aussi, bien que dans une moindre mesure, de l'action pédagogique. Mais, la situation se complique lorsqu'il s'agit d'imposer une limite à la teneur en sel ou en sucre, car si l'on peut effectivement réglementer le taux de concentration, on ne peut pas contrôler la consommation. Les gens n'arrêteront pas nécessairement d'ingérer des quantités excessives. Voilà, en quelques mots, ce que je peux en dire.
M. Williams : Puis-je ajouter quelque chose? Certains ressorts envisagent effectivement ce type d'approche, mais de telles mesures sont difficiles à mettre en œuvre, et elles ne permettent pas toujours d'influer sur les modes de consommation. Le prix est, lui, d'une efficacité éprouvée. Je suis conscient que ce n'est pas le sujet qui retient actuellement l'attention du comité, mais c'est pourtant pour cela que nous sommes partisans d'une taxe sur les boissons sucrées. C'est un moyen qui a démontré son efficacité. Il a, comme on a pu le constater, entraîné une baisse de la consommation. Le Mexique et la France, notamment, envisagent l'adoption d'une telle mesure. Je précise que la consommation n'a pas seulement baissé parmi les personnes à faible revenu, mais qu'elle a aussi vraisemblablement baissé chez les personnes mieux loties — et cela serait, d'après moi, en raison d'une véritable prise de conscience de ce qui est en jeu. Les gens commencent à envisager une telle mesure. Certains s'en plaignant par avance tout en pensant devoir s'y faire.
Une telle mesure serait en outre une source de recettes donnant au gouvernement et aux organismes publics les moyens de mettre en œuvre certains des programmes évoqués par d'autres témoins. Je n'aurais jamais cru qu'un jour je serais partisan d'une augmentation des impôts, mais j'estime en l'occurrence qu'une telle mesure donnera les résultats voulus.
Je souhaiterais ajouter, à la liste très complète de mesures évoquées par les autres intervenants, le besoin d'accorder, dans le cadre de notre système éducatif, davantage de temps et d'efforts à la nutrition. Je sais très bien que notre système éducatif a déjà fort à faire, mais, selon moi, c'est un sujet dont certaines de nos régions ne font pas suffisamment cas.
M. Arango : Permettez-moi d'ajouter à ce qui a été dit au sujet d'une éventuelle taxe, que cela me semblerait être une excellente chose. J'espère que le comité pourra un jour se pencher sur la question.
Pour ce qui est maintenant des limites obligatoires, concernant tant la teneur en graisses saturées, qu'en sucre ou en sel, c'est peut-être la prochaine question qu'il nous faudra étudier. L'idée ne me paraît pas du tout extravagante. Il existe d'ailleurs un précédent, et cette mesure est d'ores et déjà à l'étude. Le gouvernement se propose d'interdire l'usage, dans la fabrication de graisses trans artificielles, d'huiles partiellement hydrogénées. Il n'est pas question de simplement en limiter l'emploi, mais bien de les éliminer de la chaîne alimentaire dans l'année suivant l'entrée en vigueur des dispositions en ce sens. Cette mesure devrait intervenir très bientôt, dès la fin de la période de consultation. C'est quelque chose de tout à fait possible et une telle mesure va, effectivement, être prise à l'égard des graisses trans artificielles. Peut-être devrions-nous aller plus loin encore, et prendre, à l'égard des graisses saturées, du sucre et du sel, les mesures que vous avez évoquées.
Le président : Permettez-moi d'intervenir. Dans le cadre de notre étude intitulée L'obésité au Canada, nous nous sommes penchés sur les questions dont vous discutez actuellement. Le rôle des graisses, des protéines, des hydrates de carbone et de divers autres éléments ne fait désormais plus mystère. Nous comprenons en effet beaucoup mieux ce qu'il en est. S'il existe un problème d'obésité, c'est en raison de l'incompréhension totale qui, depuis longtemps, entoure les questions d'alimentation. Nous avons en ce domaine formulé un certain nombre de recommandations, dont l'élimination des graisses trans. C'est pour cela que l'on entend interdire les huiles hydrogénées, car le processus d'hydrogénation fait subir au gras une transformation isométrique. Ce sont là des choses que nous savons, que nous avons pu analyser, et qu'il faut prendre en compte, ainsi que vous l'avez vous-même dit, dans le cadre de toute solution globale. Il ne faut pas oublier que ce que nous proposons ici fait partie d'une solution plus générale. La plupart des intervenants ont jusqu'ici effectivement fait valoir que cela serait un des éléments d'une solution plus large. Pour un éventail plus complet de mesures, je vous invite à relire un document qui explique les tenants et aboutissants d'une telle solution.
[Français]
La sénatrice Mégie : Merci pour vos exposés. C'était vraiment très intéressant. Je suis heureuse de constater que, à la suite de la mise en oeuvre de la loi au Québec, le surpoids a diminué chez les enfants. Par contre, j'ai constaté que lorsque les spécialistes de l'obésité nous parlent de ce sujet, ils nous montrent une diapositive symbolique illustrant une maman obèse, un papa obèse, un enfant obèse et le chien de la maison, qui est également obèse.
Donc, lorsque vous analyserez les données pour démontrer l'impact de la loi, comment allez-vous éliminer le biais des habitudes parentales? Dans le cas de ces enfants âgés de 3 à 16 ans, ce sont les parents qui font à manger ou qui les emmènent au restaurant. Avez-vous pensé à cet aspect et l'avez-vous déjà inclus dans vos résultats concernant le Québec?
[Traduction]
Le président : Nous allons d'abord passer la parole au Dr Warshawski, mais que chacun se sente libre d'intervenir au gré de la discussion.
Dr Warshawski : Excusez-moi. J'ai manqué la première partie de votre propos, car je jouais avec le sélecteur du système d'interprétation, et je suis tombé sur le français plutôt que sur l'anglais. La question touche au rôle de la culture familiale, et peut-être, dans une moindre mesure, au rôle de la génétique. Tout cela est lié, mais il est clair que la culture familiale ne se développe pas en vase clos. Les parents ne seraient autrement pas favorables à une interdiction de la publicité de boissons et d'aliments nocifs pour la santé s'adressant à leurs enfants.
Nous savons que les parents peuvent eux aussi se laisser influencer par la publicité, dont celle qui montre des enfants consommant avec bonheur des friandises, des croustilles et des boissons gazeuses. Qui, en effet, voudrait priver ses enfants d'un tel plaisir, surtout lorsque les parents sont occupés et préoccupés, voire animés par un léger sentiment de culpabilité?
Selon les statistiques parentales, 15 p. 100 éprouvent une insécurité de revenu, de 15 à 20 p. 100 sont chefs de famille monoparentale, 10 p. 100 éprouvent des difficultés d'alphabétisme, 10 p. 100 des problèmes de santé mentale et 5 p. 100 des problèmes de toxicomanie. On ne voit généralement pas la mère et le père aller ensemble faire les courses, fermement résolus à ne pas céder à leurs enfants en leur achetant des Dunkaroos. Il s'agit plutôt d'un parent pressé, tentant de finir sa journée sans trop d'encombres, et les enfants qui sont là à réclamer : « Achète-moi des Lucky Charms! Achète-moi des Lucky Charms! » Comment résister à un pareil harcèlement? Face à une telle insistance, on finit par céder et leur acheter des Lucky Charms.
Quel mal cela peut-il lui faire? Ça ne lui fait aucun mal; l'enfant ne tombe pas raide mort. C'est au plan cumulatif pourtant que se révèle le problème. Il y a 30 ans, lorsque votre jeune de 14 ans voulait un paquet de cigarettes, vous lui achetiez, parce qu'à l'époque tout le monde fumait et que ça ne devait pas faire de mal. Or, aujourd'hui, nous comprenons le caractère cumulatif des effets toxiques. Les effets cumulatifs d'un petit déjeuner fait de Lucky Charms et de Coca-Cola se manifestent 5, 10 ou 15 ans plus tard. Une telle alimentation paraît impensable, mais, pourtant, on voit cela ici au Canada. Les parents résistent mal à un enfant qui leur rebat les oreilles avec ses exigences. Les recherches en ce domaine montrent que les achats d'une famille sont en grande partie dictés par les enfants et les ados. Nous ne savons pas encore très bien quelles sont, à terme, les conséquences néfastes de cela.
La culture familiale joue en cela, un rôle déterminant. On le constate au Québec, ou en Colombie-Britannique, où il y a de nombreux fanatiques de la santé. J'accueille, dans mon cabinet, deux types de personnes : des personnes fortes, en excellente santé, qui n'achètent pas à leurs enfants ces trucs malsains. Et puis il y a les autres, des gens fatigués, usés, abattus qui, eux, n'hésitent pas à acheter cela. Ils en ont consommé toute leur vie. Ils n'ont eux-mêmes pas la ligne et éprouvent même parfois un certain sentiment de culpabilité. Toutes sortes de facteurs sont en cause. Au nom de certains principes, je leur dis : « Ce n'est pas comme cela qu'il faut faire », mais il est rare que l'on m'écoute.
M. Arango : C'est aussi mon avis. La culture familiale ne peut pas être dissociée du milieu ambiant. Le milieu forme et influence au fil des ans la culture familiale.
Comme vous le disiez tout à l'heure, le pouvoir de harcèlement joue beaucoup sur les parents, et cela finit par transformer la culture familiale. Ajoutons que, comme l'a révélé une récente étude, les parents conservent un souvenir attendri de certains personnages de dessin animé mobilisés par l'industrie alimentaire. J'entends par cela Tony le tigre, Toucan Sam, et divers autres personnages. Les gens y restent attachés 40 ou 50 ans plus tard. Cela aussi contribue à modeler la culture familiale. N'oublions pas que les enfants qui ont subi les assauts de la publicité auront eux-mêmes un jour des enfants et cela aussi influence la culture familiale.
Je suis tout à fait d'accord que tout cela n'a pas lieu en vase clos. Le milieu influence la culture familiale et cela est également vrai du marketing.
[Français]
La sénatrice Mégie : Comment allez-vous pouvoir l'inclure dans le cadre de votre étude sur l'impact de la loi? Êtes- vous en mesure d'évaluer le biais de l'attitude parentale?
M. Williams : Je vais vérifier auprès de nos chercheurs qui travaillent avec les gouvernements, et je transmettrai la réponse au comité plus tard. Par contre, quant au point que vous avez soulevé, vous avez raison à 100 p. 100. L'impact de l'environnement familial est essentiel. Lorsque nous avancerons dans la mise en oeuvre de cette loi, j'espère qu'elle sera accompagnée d'un programme d'éducation et d'un programme de soutien aux familles.
Je me souviens de la caricature de Chapleau dans La Presse, où les personnages disaient : « Pourquoi avons-nous encouragé nos enfants à manger des légumes? C'est trop cher. » Nous avons donc besoin d'un programme d'appui et d'un programme d'éducation.
En ce qui concerne la façon dont le gouvernement a mesuré cet aspect, je vais vérifier, car je ne suis pas chercheur. Je vous transmettrai l'information plus tard.
La sénatrice Mégie : Merci.
[Traduction]
M. Arango : Le gouvernement fédéral va devoir mettre en place un bon mécanisme de suivi et d'évaluation, et intégrer au sein d'un système cohérent les moyens de mesurer l'obésité et autres maladies liées à l'alimentation. Il nous faut pouvoir calculer l'écart entre la situation qui soit la prise des mesures en question, et la situation antérieure.
Mais aussi, comme nous l'avons dit hier, nous devons comprendre combien il est difficile de préciser l'influence que telle ou telle mesure peut avoir sur les résultats, étant donné la multiplicité des facteurs en jeu, dont le prix, l'éducation, et les connaissances en matière d'alimentation.
Nous souhaitons cependant voir le gouvernement fédéral tenter de mettre en place ce type de mécanisme.
Dr Warshawski : Je voudrais ajouter, très rapidement, qu'il est actuellement impossible de déterminer quel est au juste le rôle de la culture. Cela dit, nos travaux reposent cependant, en grande partie sur un raisonnement logique. Les compagnies disposent de données en temps réel. Si, après avoir financé une campagne de marketing, elles constatent une augmentation des achats, elles poursuivront naturellement dans cette voie. On peut en effet supposer qu'une baisse des activités de marketing, sera suivie d'une baisse des achats. Les compagnies ont pu en effet constater que la fin d'une campagne de marketing se traduit par une baisse des ventes. Elles savent donc qu'une réduction de leurs activités de marketing sera vraisemblablement suivie par une baisse de la consommation. C'est un raisonnement logique.
La sénatrice Frum : J'ai beaucoup de sympathie pour ce que vous et la sénatrice Raine avez entrepris de faire.
Pourriez-vous nous expliquer, à partir de ce qui s'est fait au Québec, le système de profil nutritionnel? Je pense en particulier aux jus de fruits. Nous savons en effet que les jus de fruits contiennent souvent plus de sucre que les boissons sucrées. Au Québec, les jus de fruits tombent-ils sous le coup de l'interdiction? Je songe aussi aux craquelins qui, s'ils ne contiennent pas beaucoup de sucre, renferment des calories vides et n'ont aucune valeur nutritive. Entrent-ils, eux aussi, dans le profil nutritionnel? Pourriez-vous nous aider à comprendre comment ce profilage permettra d'orienter les gens vers une meilleure alimentation?
Le sénateur Dean nous a expliqué tout à l'heure que, quelles que soient les nouvelles règles, le secteur saura s'y adapter. Et puis, il y a aussi ces aliments qui, comme le yogourt et les barres de granola semblent être bons pour la santé, ou que l'on peut faire passer pour un aliment santé.
M. Arango : Au Québec, on ne recourt pas au profil nutritionnel puisqu'on interdit purement et simplement le marketing commercial à l'adresse des enfants. C'est ainsi que, pendant un programme destiné aux enfants, il est interdit de faire de la publicité pour un jus de fruit si cette publicité s'adresse aux enfants. Si, toutefois, la publicité s'adresse aux adultes, et qu'elle représente un adulte buvant, par exemple, un jus d'orange, elle est autorisée. C'est comme cela qu'on procède au Québec, sans recourir au profil nutritionnel. Je crois que c'est également le dispositif qui finira par être proposé dans le cadre de ce projet de loi.
Je ne peux pas m'empêcher d'insister sur le cas des jus de fruits. Arrêtons-nous un moment sur leur mode de production? Le jus est extrait du fruit ou du légume. Il est ensuite soumis à haute température afin de détruire les bactéries. Ce qui reste est essentiellement de l'eau sucrée, qui est alors fortifiée par l'ajout de vitamines et de principes nutritifs. C'est un peu comme si l'on voulait fortifier les boissons gazeuses. C'est essentiellement la même chose. Nous savons de source sûre que les calories d'un jus de fruits sont métabolisées exactement comme le sont les calories d'une boisson gazeuse. Les deux sont aussi malsaines l'une que l'autre. J'ai lu hier un article d'une revue américaine rapportant que les spécialistes du diabète demandent que l'on supprime les jus de fruits des programmes alimentaires destinés aux personnes à faible revenu. Les spécialistes de cette maladie ont, à cet égard, formulé un certain nombre de recommandations.
Le président : Nous les appelons boissons gazeuses sans gaz, et nous reprochons à Santé Canada d'avoir inséré, dans des guides nutritionnels à l'intention des Canadiens, la photo d'une boîte de jus de fruits.
Dr Warshawski : Sénatrice Frum, votre question portait sur les méthodes de profilage nutritionnel et sur la manière de classer les aliments. Nous nous sommes basés en cela sur ce qui s'est fait au Royaume-Uni. Les Britanniques ont adopté un système assez compliqué de points en plus et de points en moins. Si quelque chose contient beaucoup de sucre, il perd des points, mais en revanche, sa teneur en fibres peut lui en faire gagner. La teneur en protéines lui fait, elle aussi, gagner des points, et ainsi de suite. Rappelons que selon l'ancien système, une céréale avec une teneur en sucre de 20 p. 100 par volume était classée parmi les aliments sains.
À partir de cela, au moins trois méthodes différentes de profilage nutritionnel ont été établies, deux par l'Organisation mondiale de la Santé, et une par l'Organisation panaméricaine de la santé. Je ne sais pas si Mary L'Abbe a parlé de cela hier. Je crois que les nouveaux profils reposent sur des données scientifiques plus solides, et les produits dont la teneur en graisses saturées, en sucre ou en sel dépasse un certain seuil, sont considérés comme nocifs pour la santé.
Comme Mandy le disait tout à l'heure, l'analyse chimique des jus de fruits démontre qu'il s'agit essentiellement d'eau sucrée à laquelle on ajoute des vitamines. C'est un produit nocif pour la santé pour lequel on ne devrait pas faire de publicité.
Il est tout à fait possible d'obtenir des profils nutritionnels reposant sur de solides bases scientifiques. Il faut bien sûr pour cela s'attacher la collaboration d'experts indépendants.
Le président : Je pense, docteur Warshawski, qu'il faut être prudent lorsqu'on parle de gras, puisque la matière grasse fait elle aussi partie d'une alimentation équilibrée.
Dr Warshawski : Je parlais, bien sûr, des graisses saturées.
Le président : C'est un point important puisqu'en matière alimentaire, c'est généralement l'équilibre qui fait défaut. C'est pourquoi nous reprochons à Santé Canada son guide nutritionnel, car nous estimons qu'il prône une alimentation mal équilibrée. Mais je comprends fort bien ce que vous dites.
La sénatrice Petitclerc : Je tiens à vous remercier des exposés que vous nous avez présentés. C'est une question brève que je vais vous poser, car elle a déjà, il y a quelques instants, reçu un début de réponse. Je m'intéresse en effet à un sujet que la sénatrice Mégie a évoqué tout à l'heure, en l'occurrence l'influence des parents. Si je vous pose la question, c'est parce que je me souviens qu'à l'étape de la deuxième lecture, plusieurs personnes ont demandé si ce travail ne reviendrait pas plutôt aux parents. Pourquoi devrait-on intervenir, en effet, si c'est plutôt la tâche des parents? Plusieurs personnes ont dit que c'est une occasion pour eux d'instruire leurs enfants. C'est la question que je souhaitais vous poser, mais elle a, me semble-t-il, déjà reçu une réponse.
Plus je vous écoute, et plus j'ai le sentiment que l'approche adoptée par le Québec, c'est-à-dire l'interdiction totale de la publicité semble de beaucoup préférable et moins problématique. C'est mon sentiment.
J'aurais, néanmoins, une petite question à vous poser. Les nutriments et l'étiquetage sont deux choses que l'on peut séparer. Ce que je veux dire, c'est que l'une n'exclut aucunement l'autre. Les deux sont utiles. Et donc, même si nous optons pour un dispositif qui interdit toute publicité alimentaire, cela ne veut pas dire que l'on ne peut pas en même temps rendre obligatoires les indications nutritionnelles sur le devant de l'emballage. Nous devons, en effet, nous attaquer au problème sous divers angles.
Dr Warshawski : C'est également mon avis, car, effectivement, ces choses-là sont complémentaires. La pédagogie et la diffusion des données sont certes nécessaires, mais cela ne suffit pas. Il faut en faire davantage.
L'approche retenue par le Québec présente plusieurs avantages, qui portent à réfléchir aux autres raisons justifiant une interdiction générale. C'était à la fin des années 1970, époque à laquelle les gens s'insurgeaient contre la publicité s'adressant aux enfants, à qui l'on voulait éviter d'être exploités. L'argument vaut pour toutes les activités de marketing, dont la publicité faite à la poupée Barbie. Je peux affirmer, en tant que pédiatre, que la sexualisation de la publicité de certains jouets est néfaste. Il en va de même de la publicité pour les jeans, les chemises, les patins ou les bicyclettes. Le champ d'intervention devient alors très large. Je me méfie toujours des projets trop englobants. J'ai pour habitude de dire : « C'est là quelque chose de manifestement nocif. Commençons par cela, et avançons progressivement. » Je serais d'accord si nous disposions en ce domaine d'une sorte de mandat populaire, mais c'est loin d'être le cas. Voilà ce que je pense à cet égard.
La sénatrice Hartling : Je tiens moi aussi, à vous remercier des exposés très intéressants que vous nous avez présentés. C'est un sujet du plus grand intérêt qui a des incidences sur chacun d'entre nous.
Je sais, de source sûre, que l'obésité des enfants est à l'origine de maladies chroniques, et ce qui me préoccupe particulièrement, c'est que l'obésité peut également affecter la santé mentale des enfants. Pourriez-vous, à cet égard, nous citer quelques exemples? Pourriez-vous nous en dire quelque chose? Je ne sais pas qui souhaitera me répondre sur ce point.
Dr Warshawski : À environ 90 p. 100, la clientèle de mon cabinet est composée de personnes me consultant sur les problèmes de santé mentale. Nous comprenons de mieux en mieux le rôle essentiel que joue en cela l'alimentation. Les Grecs, déjà, prônaient « Un esprit sain dans un corps sain ». Nos grands-mères nous disaient un peu la même chose, mais nous n'en tenions pas compte. Le rôle que joue en cela l'alimentation est à peine croyable. Les recherches les plus récentes portent sur le rôle de l'alimentation, les bactéries intestinales et l'importance du rôle de ces bactéries sur le plan mental, notamment au niveau de l'anxiété et de la dépression. On comprend aussi de mieux en mieux les incidences que les bactéries intestinales ont sur les maladies cardiaques. C'est un domaine de recherche tout nouveau, mais il semble clair que lorsque nous mangeons des cochonneries, nous modifions de fond en comble les bactéries de notre intestin et cela a un impact durable sur notre santé.
Les recherches sont encore plus avancées sur les dérèglements du comportement causés par les colorants et conservateurs alimentaires. Lorsqu'il y a 30 ans j'étais résident en pédiatrie, on m'affirmait que c'était là pure fantaisie, car ces produits n'avaient pas la moindre incidence. Or, nous avions, parmi nos patients, un petit garçon qui devenait comme fou lorsqu'à Noël on lui donnait des cannes en bonbon. Il se déchaînait. Nous disposons désormais d'essais cliniques à double insu, solides, contrôlés par placébo, qui nous révèlent ce que les parents nous disent depuis 30 ans, c'est-à-dire que chez certains enfants, les colorants et conservateurs alimentaires provoquent des troubles du comportement, des TDAH. Nous ne disposons pas de données sur l'incidence de la dépression chez les enfants, mais nous en avons qui établissent le lien, chez l'adulte, entre dépression et alimentation. Il est donc probable qu'il en va de même pour les enfants. Il est clair que la mauvaise alimentation n'a rien d'anodin.
Le président : Avant d'entamer la seconde série de questions, je voudrais aborder un sujet que j'entendais soulever plus tôt. C'est une des questions évoquées aujourd'hui par certains membres du comité, et qui figurent parmi les questions dont nous avons fait état dans notre rapport. J'entends par cela les mesures susceptibles d'aboutir à des résultats concrets. Vous êtes au moins deux à avoir évoqué une taxe sur le sucre. Nous avions, dans notre rapport, fortement recommandé l'adoption d'une telle mesure. Nous avons rendu notre rapport il y a un an, et depuis, les recherches effectuées dans les pays qui ont imposé une taxe sur le sucre montrent bien qu'une telle mesure a eu une incidence sur la consommation. Le Dr Warshawski en a parlé tout à l'heure. Un gouvernement ne peut pas légiférer sur tous les aspects de l'activité humaine, mais il peut, dans certains cas, intervenir par le biais de la fiscalité. Je voudrais revenir un peu sur ce que deux d'entre vous ont dit au sujet de la taxe sur le sucre, et rappeler qu'il s'agit d'une mesure que nous avons fortement recommandée dans le cadre d'une approche globale des problèmes en question.
La sénatrice Raine : Il s'est dit ici des choses très intéressantes. Il y a un ou deux points que je voudrais vous soumettre. Le premier est que j'ai constaté, à l'occasion de conversations avec des Québécois, qu'ils sont contents qu'une loi fédérale vienne renforcer la législation actuellement en place au Québec. Ma première question sera donc la suivante : entendez-vous encourager d'autres provinces à adopter une réglementation en matière de protection du consommateur?
Vous représentez tous des groupes œuvrant dans l'intérêt de la santé. Vos organisations sont-elles prêtes à suivre de près l'élaboration du règlement qui doit être adopté dans le sillage de ce projet de loi?
M. Arango : Nous encourageons effectivement les provinces, et même les municipalités à avancer dans cette voie. C'est ainsi, par exemple, qu'Ottawa envisage de limiter, dans le cadre des activités relevant des autorités municipales, la publicité de boissons et d'aliments nocifs s'adressant aux enfants. Un des avantages de l'action au niveau provincial et municipal, est que de telles mesures peuvent encourager le gouvernement fédéral à agir plus rapidement. Un autre avantage est lié au fait que les limites imposées par le gouvernement fédéral comporteront peut-être un certain nombre d'échappatoires que les provinces seront à même de supprimer par des mesures prises dans le cadre de leur législation sur la protection du consommateur. C'est ce qui s'est passé avec le tabac. Les provinces et les municipalités ont été les premières à agir, puis le gouvernement fédéral est intervenu par d'autres mesures. Il y a eu une action combinée des divers paliers de gouvernement et nous encourageons en effet les provinces et municipalités à prendre de leur côté certaines mesures.
En ce qui concerne le besoin de vigilance lors de l'élaboration du règlement, je peux dire que nous sommes, effectivement, décidés à rester vigilants. Nous savons que cela va être une phase critique de l'action en ce domaine, et il est clair que nous allons devoir nous montrer extrêmement attentifs à ce qui se fait.
M. Williams : Les autorités municipales m'ont toujours paru être un grand facteur de progrès social, surtout lorsqu'elles agissent de concert avec les autorités provinciales. Je ne souhaite pas voir adopter, sur l'ensemble du territoire national, des mesures uniformes, car chaque région est différente, mais l'impulsion donnée par les autorités provinciales est un facteur essentiel de progrès en ce domaine.
Vous avez parfaitement raison de soulever la question, mais je peux vous assurer que nous entendons tous faire preuve de vigilance. Nous allons, ensemble, aller de l'avant. Nous nous sommes d'ores et déjà penchés sur diverses autres questions. De nombreux acteurs du secteur réfléchissent déjà aux ajustements et aux adaptations que cela exigera d'eux, et nous avons nous-mêmes réfléchi aux moyens de ne pas nous laisser distancer ou déborder. Je recommanderais donc à chacun de faire preuve de vigilance. Je recommande en outre la mise en place d'une procédure d'examen permettant d'évaluer les changements de comportement. Le législateur devrait en outre avoir la possibilité d'ajuster ces procédures d'examen afin d'adapter la réglementation, notamment aux nouvelles techniques et modes de marketing. Nous allons par ailleurs renforcer notre mobilisation.
Je peux dire, au vu des autres textes de loi qui ont été adoptés, qu'il est souhaitable d'instaurer un mécanisme de révision qui met chacun face à ses responsabilités, car le tir n'est pas toujours parfaitement ajusté au départ. Tout le monde peut avoir agi avec une parfaite bonne foi, et fait de son mieux compte tenu des compromis qui seuls ont permis d'aboutir à un consensus. Je n'entends pas détailler les débats internes qui ont permis de dégager un consensus. Rallions-nous à ce qu'il est possible d'accomplir.
La situation évolue rapidement. Il est fait état, dans votre rapport, de la crise à laquelle nous allons devoir faire face. Agissons sans attendre afin d'être prêts, dans deux, trois ou quatre ans, à procéder ensemble à l'étape suivante.
Dr Warshawski : Nous allons, effectivement devoir faire preuve de vigilance.
Madame la sénatrice, je ne sais pas si vous pensez que notre organisation entend se prononcer en faveur d'une interdiction de toute publicité commerciale, comme c'est actuellement le cas au Québec. La Childhood Obesity Foundation s'est fixé des objectifs précis, et nous ne prônons aucunement l'interdiction de toutes formes de commercialisation. Peut-être est-ce quelque chose que la Société canadienne de pédiatrie souhaiterait promouvoir, mais ce n'est pas le cas de notre organisation.
Le président : Je voudrais que nous nous entendions clairement sur ce qui a permis à la loi québécoise de résister aux efforts de contestation en justice. Les règles instaurées en ce domaine par le Québec s'inscrivent, n'est-il pas vrai, dans le contexte d'une législation plus générale — en l'occurrence la Loi sur la protection du consommateur? J'imagine que si les règles en question ont pu résister à la contestation judiciaire, c'est que la Loi sur la protection du consommateur englobe, au Québec, tout un éventail de domaines. Les règles mises en place par le Québec font donc, si je ne m'abuse, partie d'un plus large ensemble, en l'occurrence la Loi sur la protection du consommateur. J'imagine que si le Québec a pu repousser les efforts de contestation en justice, c'est en grande partie parce qu'il avait adopté une Loi sur la protection du consommateur qui englobe tout un éventail de domaines.
M. Arango : Puis-je vous demander de répéter votre question?
Le président : La loi québécoise qui interdit la publicité s'adressant aux enfants a résisté à sa contestation en justice. Si les règles en question ont pu résister aux efforts faits pour les contester en justice, est-ce parce que les dispositions en cause font partie d'un texte de loi plus général, en l'occurrence la Loi sur la protection du consommateur.
M. Arango : Je ne suis, hélas, pas juriste.
Le président : Ce n'est pas à ce titre que je m'adresse à vous. Je voulais simplement savoir s'il y a, parmi vous, quelqu'un qui pourrait nous dire si c'est effectivement la raison.
M. Arango : Je pourrais vous référer à notre collègue, Jacob Shelley, de l'Université Western Ontario, qui s'est intéressé de près à la question, et qui a effectué des recherches sur le procès qui a eu lieu.
Le président : Je ne m'attends pas à un exposé détaillé. Le simple fait que vous ne puissiez pas répondre à ma question sera pour moi une réponse suffisante. Au cours de nos deux séances, certains témoins ont fait valoir qu'une telle interdiction décrétée par le gouvernement fédéral ne résisterait pas à une contestation en justice. Il faudrait ainsi adopter un autre texte et formuler autrement l'interdiction.
Je voudrais souligner à nouveau combien il est important d'avancer sur ces diverses questions. N'oublions pas qu'il s'agit de nos enfants. Pourquoi envisageons-nous de telles mesures à l'égard des enfants? C'est parce que c'est à cet âge- là, que se prennent des habitudes entraînant des conséquences qui dureront toute la vie.
S'agissant d'obésité, des données scientifiques solides confirment que le surpoids à l'enfance entraîne le surpoids à l'âge adulte. La prévention du surpoids et de l'obésité chez les jeunes aura une influence décisive sur la santé de la population canadienne. Il y en a, parmi vous, au moins un qui a évoqué en particulier l'influence que cela aura sur l'incidence du diabète au Canada, et, bien sûr, le Dr Warshawski a évoqué le cas particulier des jeunes et des problèmes de santé que le surpoids risque de leur causer pendant le restant de leurs jours.
L'obésité pose donc un risque sanitaire important. Sans parler de ses incidences sur la qualité de vie de la population, on a fait état des énormes coûts que cela entraîne ne serait-ce qu'au niveau des dépenses médicales. Les mesures et les stratégies que nous pouvons adopter pour prévenir ces problèmes chez les jeunes permettront à la fois d'améliorer la qualité de vie des adultes et de réduire le montant des dépenses médicales.
Je tiens à vous dire, au nom des membres du comité, combien nous apprécions votre présence parmi nous aujourd'hui. Nous vous savons gré d'avoir partagé avec nous les connaissances pratiques que vous avez acquises, soit directement, soit dans le cadre de votre activité au sein des organisations que vous représentez. Nous espérons que le Canada parviendra à mettre en place un ensemble de mesures qui permettront d'améliorer la situation dans ce domaine essentiel de la vie nationale.
Encore une fois, je tiens à vous recommander, à vous et à toutes les personnes qui assistent à la transmission de nos délibérations, la lecture de notre rapport sur l'obésité.
Dr Warshawski : Permettez-moi une dernière observation. Je voudrais en effet recommander en même temps la lecture d'un deuxième rapport. Le rapport que vous avez remis est, à n'en pas douter, un document précurseur. C'est lui qui a mis tous ces travaux en marche. En tant que partisan du Sénat, je peux dire que ce projet de loi est un excellent exemple de ce qui peut être accompli lorsque les deux Chambres travaillent de concert. Le fait qu'un projet de loi qui provient du Sénat soit repris aux Communes souligne bien l'importance de la Chambre haute. Je tiens donc à féliciter aussi bien votre assemblée que la sénatrice Greene.
Le rapport dont je vais maintenant faire état évoque bon nombre des questions auxquelles vous venez de faire référence. Intitulé The Health and Economic Impact of a Tax on Sugary Drinks, ce rapport, préparé par Amanda Jones et David Hammond et d'autres chercheurs de l'Université de Waterloo, expose et analyse l'incidence du diabète et des maladies cardiaques, les coûts que cela entraîne pour notre pays, et le nombre de vies qui pourront être sauvées par l'adoption des mesures recommandées dans votre rapport. Il est le parfait complément de votre propre rapport. S'il y en a parmi vous qui voudraient en recevoir un exemplaire, la sénatrice Raine n'a qu'à nous contacter et je vous en ferai parvenir une copie.
Le président : Je vous remercie. J'espère que, de notre côté, nos efforts seront couronnés de succès. Nous ne pouvons pas prévoir ce que la Chambre décidera de faire, mais notre rapport sur la démence en donne peut-être une indication. La Chambre des communes a tout récemment adopté le projet de loi, qui vient d'être transmis à notre assemblée. Nous espérons le voir adopter et recevoir la sanction royale avant que notre assemblée n'ajourne pour l'été. Ce serait, docteur Warshawski, tout à fait conforme au modèle que vous avez évoqué.
Encore une fois, je vous remercie de votre participation à nos travaux.
(La séance est levée.)