Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie
Fascicule no 43 - Témoignages du 7 mai 2018
OTTAWA, le lundi 7 mai 2018
Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, auquel a été renvoyé le projet de loi C-45, Loi concernant le cannabis et modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, le Code criminel et d’autres lois, se réunit aujourd’hui, à 14 h 30, pour poursuivre l’étude de ce projet de loi.
Le sénateur Art Eggleton (président) occupe le fauteuil.
Le président : Bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.
[Traduction]
Je suis Art Eggleton, sénateur de Toronto et président du comité. Je vais demander à mes collègues du comité de se présenter.
La sénatrice Seidman : Judith Seidman, de Montréal, au Québec.
La sénatrice Stewart Olsen : Carolyn Stewart Olsen, du Nouveau-Brunswick.
La sénatrice Poirier : Rose-May Poirier, du Nouveau-Brunswick.
Le sénateur Manning : Fabian Manning, de Terre-Neuve-et-Labrador.
La sénatrice Bernard : Wanda Thomas Bernard, de la Nouvelle-Écosse.
[Français]
Le sénateur Pratte : André Pratte, du Québec.
La sénatrice Mégie : Marie-Françoise Mégie, du Québec.
La sénatrice Petitclerc : Chantal Petitclerc, du Québec.
[Traduction]
Le président : Nous poursuivons aujourd’hui notre série d’audiences sur le projet de loi C-45, Loi concernant le cannabis et modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, le Code criminel et d’autres lois.
Jusqu’à 18 heures, nous recevrons deux groupes de témoins et nous aurons une pause d’une demi-heure entre les deux. Pour la deuxième fois, nous entendrons des témoins qui ont l’expérience de la légalisation ou de la décriminalisation de la consommation de cannabis dans d’autres États. Je vais présenter les témoins dans un instant. Nous ferons une pause entre 16 h 30 et 17 heures, et le deuxième groupe de témoins sera le troisième des autres comités du Sénat qui se sont penchés sur des aspects précis du projet de loi. Aujourd’hui, ce sera le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense, qui comparaîtra entre 17 et 18 heures. Nous allons lever la séance à 18 heures, juste à temps pour nous rendre à la séance du soir du Sénat.
Sur ce, je souhaite la bienvenue aux personnes qui sont au bout de la table. Je suis désolé que vous soyez si loin. Nous nous réunissons habituellement dans une salle plus petite, mais nous sommes ici aujourd’hui et nous vous souhaitons la bienvenue. Je vais vous présenter dans l’ordre du programme, et c’est dans cet ordre que vous interviendrez.
Tout d’abord, nous accueillons Andrew Freedman, ancien directeur du comité de coordination de la marijuana du Colorado Marijuana Coordination Committee, puis Beau Kilmer, codirecteur du RAND Drug Policy Research Center, à titre personnel, la Dre Bertha Madras, professeure de psychobiologie au Département de psychiatrie de la faculté de médecine de Harvard, et enfin, Amy Margolis, directrice générale de l’Oregon Cannabis Association.
Bienvenue à tous. Je demanderai à chacun d’entre vous de nous faire un exposé de sept minutes, après quoi nous passerons aux questions des membres du comité.
Andrew Freedman, ancien directeur, Colorado Marijuana Coordination, à titre personnel : Bonjour. C’est un plaisir d’être dans cette salle spacieuse. Je m’appelle Andrew Freedman et j’ai été le directeur du gouverneur pour ce qui est de la coordination de la marijuana. J’étais donc essentiellement le principal responsable de la mise en œuvre de la légalisation de la consommation de marijuana par les adultes et à des fins médicinales dans l’État du Colorado. C’était une position unique en ce sens qu’on ne m’a jamais demandé de me prononcer sur la question de savoir si la légalisation était une bonne ou une mauvaise chose, mais simplement sur la façon de légaliser après coup.
Ce débat devient souvent un amalgame de données sur les avantages et les désavantages de la légalisation et les meilleures façons de taxer et de réglementer la marijuana ou le cannabis, alors il devient difficile d’aborder cette deuxième partie sans être pris dans le débat sur la légalisation. Notez que mes observations aujourd’hui portent principalement sur la façon d’examiner les données dans le contexte de la légalisation plutôt que sur les bons ou les mauvais côtés de la légalisation.
J’ai lancé récemment une entreprise appelée Freedman and Koski, qui procède à des consultations avec d’autres gouvernements quant aux meilleures façons de mettre en œuvre la légalisation. Nous ne prenons pas l’argent de la marijuana. J’ai continué de recueillir ces renseignements d’un État à l’autre. Du point de vue du Colorado, je vais vous présenter des données de très haut niveau à prendre en considération quant aux préoccupations soulevées et aux enseignements tirés.
On commence toujours par une discussion sur la consommation chez les jeunes, et je pense que c’est là notamment où les données sont confondues. Parmi les enquêtes dont nous disposons, aucune n’a révélé une augmentation statistiquement significative de la consommation chez les jeunes. Il y a un point de données d’enquête qui montre une diminution statistiquement significative de la consommation chez les jeunes, mais ce n’est qu’un seul point de données et il est beaucoup trop tôt dans cette expérience pour tirer des conclusions dans un sens ou dans l’autre à ce sujet. Dans l’ensemble, je dirais qu’il y a de bonnes nouvelles. Selon nos données préliminaires et ultérieures, il semble que l’argent que nous investissons dans les services de prévention donne des résultats et nous sommes donc heureux que ces ressources soient consacrées à la prévention auprès des jeunes.
Deuxièmement, dans les autres cohortes sur lesquelles nous avons mené des enquêtes publiques — les 18 à 25 ans et les 26 ans et plus —, on observe une tendance constante à l’augmentation de la consommation de marijuana, notamment au-delà de 30 jours. Cela n’a pas été statistiquement significatif d’une année à l’autre, mais la tendance au cours de la dernière décennie a montré qu’un plus grand nombre de personnes, particulièrement au Colorado, aiment consommer de la marijuana et cette tendance à la hausse se poursuit, particulièrement chez les 18 ans et plus. Le plus gros problème avec ces données, c’est qu’elles concernent une utilisation sur 30 jours, ce qui ne nous dit pas grand-chose du point de vue de la santé publique au Colorado. Nous n’avons pas de bons ensembles de données sur la consommation problématique ou sur les abus graves. C’est probablement l’ensemble de données le plus important à avoir, et pourtant nous n’en disposons pas au Colorado.
Les centres d’appels antipoison présentent un autre bon ensemble de données qui ne sont pas aussi biaisées que la plupart des autres. Ce système est meilleur que celui de questions-réponses puisque les gens choisissent eux-mêmes d’appeler le centre. Ces données ont révélé un problème de surconsommation et d’ingestion accidentelle au fil du temps, surtout chez les utilisateurs naïfs qui soit ne savaient pas que le produit contenait de la marijuana ou qui ne connaissaient pas les conséquences sur leur système d’un nouveau type de produit, comme les produits comestibles ou l’huile de haschich, et qui ont fini par avoir une crise psychotique. La bonne nouvelle, c’est qu’elle disparaît rapidement, mais la mauvaise nouvelle, c’est que la personne peut être un danger pour elle-même et pour les autres. Sans vouloir exagérer l’ampleur du problème, au cours de l’année où les centres antipoison ont reçu le plus grand nombre d’appels, il y a eu 230 appels pour la marijuana contre 6 700 pour l’alcool.
La conduite avec facultés affaiblies est un autre point sur lequel nous avons obtenu des données inquiétantes. En particulier, si j’étais à votre place, je n’examinerais que les données du système de signalement des accidents mortels plutôt que les données sur la conduite avec facultés affaiblies. Ces données montrent que de plus en plus de gens obtiennent un résultat positif au test de dépistage du THC lorsqu’ils sont impliqués dans un accident mortel. Cette hausse s’ajoute à un problème de perception révélé par les sondages selon lequel les gens ne pensent pas qu’ils représentent un problème lorsqu’ils conduisent en état d’euphorie. Il sera donc nécessaire de lancer une campagne de sensibilisation du public qui transmettra avec exactitude cette information. Pour mettre les choses en perspective, mentionnons que le Colorado a atteint des creux historiques en ce qui concerne les accidents de la route et ce nombre correspond toujours au nombre relatif d’accidents chez nos voisins, dont certains ont légalisé la marijuana et d’autres non. Il ne s’agit pas d’une évolution majeure de nos statistiques, mais il s’agit néanmoins d’une tendance préoccupante qu’il convient de suivre.
Pour parler rapidement du marché noir, du moins comme nous l’avons vu au Colorado, la vente de marijuana à l’intérieur de l’État est passée rapidement au système réglementé. Il y a beaucoup de débats sur les obstacles à l’importation et sur les taxes qui permettent au marché noir de subsister. D’un point de vue purement économique, il peut évidemment y avoir une taxe trop élevée, mais dans l’ensemble, la dynamique des économies d’échelle prend rapidement le dessus et le prix de la marijuana baisse rapidement. Pour ce qui est du Canada, je pense qu’on peut s’attendre à ce qu’on passe rapidement de la vente de marijuana sur le marché noir au système réglementé.
Le problème que nous avons observé au Colorado était davantage lié à notre marché de la culture à domicile, ce qui, je le sais, est une source de débat ici. Je dirai qu’avant de tirer trop de conclusions sur la situation au Colorado, nous avons permis que 99 plants à usage médicinal soient cultivés chez nous. Nous avons également permis que les aspects thérapeutiques et récréatifs soient regroupés, de sorte qu’on peut facilement cultiver 300 à 400 plants chez soi, au Colorado, ce qui a fini par être une source importante d’action des cartels et de détournement criminel. Je ne pense pas que cela s’appliquerait beaucoup à votre loi actuelle, mais ces grandes cultures à domicile sont liées à des crimes violents au Colorado.
Enfin, je pense que la principale chose à laquelle nous devrions prêter attention est une dynamique à beaucoup plus long terme, c’est-à-dire le problème des 80-20. C’est que 20 p. 100 des consommateurs utilisent environ 80 p. 100 du produit pour le cannabis. Cela s’est avéré au Colorado et sur d’autres marchés au fil du temps. Je pense qu’au début, ce que vous verrez, c’est un marché convergent où le marché réglementé essaiera de prendre la relève du marché noir, lequel est estimé au Canada à environ 5,7 milliards de dollars. Toutefois, lorsque ce marché est conquis, où va-t-on à partir de là, comment peut-on développer ce marché et comment peut-on mettre en place des mesures de sauvegarde dès maintenant?
Je dirai que les enseignements acquis au Colorado — et je n’irai pas jusqu’à dire que nous en sommes là —, c’est que nous avons besoin de données fiables pour nous assurer que nous ne cultiverons pas ce 20 p. 100 et que nous n’augmentons pas la quantité que ces 20 p. 100 consomment. Il faut des pouvoirs réglementaires forts et des mesures de protection contre une emprise réglementaire. Je ne m’attends pas à ce qu’il y ait un système qui permette de faire tout cela la première fois. C’est un processus itératif. Nous constatons au Colorado et aux États-Unis qu’il faut activer le système et être en mesure de l’évaluer continuellement au fil du temps.
Sur ce, je vous remercie de votre temps et je suis prêt à répondre à vos questions.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Freedman.
Beau Kilmer, codirecteur, RAND Drug Policy Research Center : Merci beaucoup de me donner l’occasion de témoigner devant vous aujourd’hui.
Je suis chercheur principal en orientation à la RAND Corporation, où je codirige également le Drug Policy Research Center. RAND est un organisme de recherche non partisan à but non lucratif qui n’a pas de position officielle sur la politique relative au cannabis, et nous ne militons pas pour ou contre les projets de loi ou les initiatives électorales.
J’étudie la politique sur le cannabis et l’économie du cannabis depuis plus de 15 ans, et j’ai passé beaucoup de temps à travailler avec des administrations qui envisagent de légaliser ou qui ont récemment légalisé le produit. Par exemple, peu de temps après la légalisation dans l’État de Washington, j’ai dirigé des activités visant à aider les responsables à comprendre la taille du marché pour qu’ils puissent prendre des décisions sur le nombre de magasins à autoriser et faire des projections fiscales plus précises. Lorsque l’État du Vermont a voulu une analyse des avantages et des inconvénients des diverses décisions relatives à la légalisation, j’ai dirigé cette équipe également. J’ai passé du temps en Uruguay avant la légalisation et j’étais là après l’adoption du projet de loi pour aider le pays à réfléchir aux questions qui concernent la façon d’évaluer cet important changement de politique.
Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions sur ces pays, surtout en ce qui concerne la réglementation de la puissance du cannabis. Aux États-Unis, les États ont imposé des limites à la teneur en THC dans les produits comestibles, mais je ne connais aucun État qui ait imposé un plafond pour le THC que contiennent les fleurs ou les concentrés. En revanche, l’Uruguay ne permet pas la vente de produits comestibles ou de concentrés dans les pharmacies et a limité les ventes à environ quatre variétés de fleurs ayant une teneur maximale en THC de 9 p. 100.
Comme je sais que c’est un sujet de discussion ici, au Canada, j’aimerais faire quatre observations. Premièrement, nous savions très peu de choses sur les conséquences pour la santé, tant les bienfaits que les risques, de nombreux produits du cannabis vendus actuellement sur les marchés du cannabis médicinal et non médicinal. La plupart des études sur la santé qui sont citées dans les débats sur la légalisation sont fondées sur des personnes qui fumaient du cannabis à faible puissance dans les années 1980 et 1990. Les choses ont changé. Dans le travail que j’ai fait pour l’État de Washington, où nous avons analysé des dizaines de millions de transactions, nous savons que pour toutes les ventes de fleurs, la teneur moyenne en THC est maintenant supérieure à 20 p. 100.
Il existe quelques publications, qui sont de plus en plus nombreuses d’ailleurs, sur les conséquences pour la santé de la consommation de fleurs de cannabis plus puissantes. Le Lancet Psychiatry a cité quelques études selon lesquelles un cannabis plus puissant est associé à des résultats délétères pour la santé mentale. Cependant, les auteurs ont noté que la plupart de ces études ne mesuraient pas directement le THC et le CBD : elles faisaient appel à des mesures indirectes qui étaient loin d’être idéales. Les auteurs ont également trouvé des indications selon lesquelles le CBD peut atténuer certains des effets du THC, mais ils ont affirmé qu’il fallait davantage de preuves avant de pouvoir tirer des conclusions solides sur ce que serait le ratio approprié THC/CBD.
On en sait encore moins sur les conséquences pour la santé de la vaporisation éclair d’un petit morceau de cannabis concentré dont la concentration peut dépasser 75 p. 100 de THC. Une analyse exploratoire publiée en février 2018 a permis de conclure qu’il y a encore peu de données rigoureuses et de grande qualité sur les conséquences pour la santé des divers modes de consommation du cannabis, mais que certaines études de cas laissent entendre que la vaporisation peut entraîner des préjudices graves comme des épisodes psychotiques et un grave affaiblissement qui risque d’accroître les risques de blessures.
La vaporisation des fleurs et du concentré de cannabis dans des dispositifs de type cigarette électronique présente un avantage distinct par rapport à la combustion des fleurs puisque la fumée contient des taux plus élevés de monoxyde de carbone et d’autres substances nocives. Cela ne veut pas dire que la vaporisation est sans risque. Cela dépend en grande partie du produit chimique utilisé pour faciliter la vaporisation ou pour créer le concentré. Cela dépend aussi des pesticides employés pour cultiver la plante.
Deuxièmement, nous savons très peu de choses sur la mesure dans laquelle les consommateurs mesurent leur consommation de THC. Bien que la puissance augmente, cela ne signifie pas nécessairement que tous les utilisateurs sont plus intoxiqués. Par exemple, si un utilisateur fume habituellement un joint entier contenant 5 p. 100 de THC et si la teneur en THC est maintenant de 15 p. 100, consomme-t-il seulement le tiers de cette quantité? En d’autres termes, la consommation de THC est-elle mesurée? Malheureusement, les ouvrages scientifiques sur le titrage du THC sont très limités. En fait, je ne suis pas au courant d’études ayant porté sur la question, que ce soit au Canada ou aux États-Unis.
Le troisième point que je veux faire valoir est que les administrations, et surtout les décideurs prudents, ont la possibilité d’interdire temporairement certains produits du cannabis ou d’imposer une limite à la puissance de certains produits jusqu’à ce qu’on en sache davantage à propos de leurs effets sur la santé. Bien sûr, si certains produits ne sont pas disponibles sur le marché légal, certains utilisateurs pourront les chercher sur le marché illicite ou essayer de les produire, alors que d’autres ne le feront pas. Cela dépendra en grande partie de l’importance du marché illicite après la légalisation, qui sera façonnée non seulement par la concurrence avec les marchés du cannabis médicinal et non médicinal, mais aussi par les pressions exercées par l’application de la loi sur les participants au marché illicite. Dans les pays qui cherchent activement à limiter le plus possible la taille du marché illicite, les coûts d’application de la Loi sur le cannabis pourraient, en fait, augmenter à court terme après la légalisation.
Je tiens à préciser que, avec la légalisation, le marché illicite ne disparaîtra pas du jour au lendemain. La question que doivent se poser les décideurs est s’ils souhaitent diminuer rapidement la taille de ce marché. Si le seul objectif est d’éliminer le plus vite possible les produits illicites, les décideurs politiques inonderont le marché de produits à réglementation minimale jusqu’à ce qu’il ne soit plus logique de les vendre sur le marché illicite. Toutefois, ceux qui se soucient davantage de la santé publique voudront probablement un marché bien réglementé qui accorde la priorité à des tests et à un étiquetage précis, même si cela maintient des prix plus élevés et ralentit la diminution du marché illicite. Comprendre où les gens se situent dans le spectre peut rendre les débats sur la politique relative au cannabis beaucoup plus productifs.
Enfin, je souhaite ajouter que les administrations peuvent inciter les consommateurs à utiliser des produits du cannabis moins puissants en augmentant le prix par unité de THC pour les produits puissants. Dans les pays où le gouvernement contrôle le marché de gros ou de détail, les organismes de réglementation peuvent tout simplement fixer un prix plus élevé par unité de THC pour certains produits. Lorsque la fixation des prix n’est pas une option, les gouvernements peuvent percevoir une taxe basée sur la concentration de THC qui augmente avec la quantité de THC contenue dans le produit. N’oublions pas que le rapport final du Groupe de travail sur la légalisation et la réglementation du cannabis recommande au Canada :
[d’]élaborer des stratégies pour encourager la consommation de cannabis moins puissant, y compris un régime de prix et fiscal fondé sur la puissance pour décourager l’achat de produits très puissants.
En résumé, il est courant d’avertir les nouveaux consommateurs de produits comestibles à base de cannabis d’y aller petit à petit pour les empêcher d’ingérer trop de THC. La question qui se pose maintenant au Canada est de savoir si vous devriez adopter une approche semblable et y aller petit à petit pour réglementer la puissance du cannabis si le projet de loi C-45 devait être adopté. Les décideurs prudents qui se soucient de la santé publique ont de nombreuses options en matière de puissance, allant de l’interdiction temporaire de certains produits de forte puissance, en passant par l’établissement des prix, et l’imposition de taxes fondées sur la teneur en THC. Ces options comportent toutes des avantages et des inconvénients qui méritent plus d’attention dans les discussions sur la légalisation du cannabis au Canada.
Sur ce, je termine. J’ai hâte d’entendre vos commentaires et de répondre à vos questions.
Le président : Merci beaucoup.
Dre Bertha Madras, professeure de psychobiologie, Département de psychiatrie, faculté de médecine de Harvard, à titre personnel : Merci beaucoup de m’avoir invitée et de me donner l’occasion de témoigner. Mon témoignage est fondé sur six responsabilités et rôles convergents que j’ai assumés au fil des ans, soit celui d’une spécialiste des sciences fondamentales, d’un témoin expert unique auprès du département américain de la Justice pour ce qui est de la déréglementation de la marijuana, de fonctionnaire à titre de directrice adjointe pour la réduction de la demande au Bureau de la politique nationale de lutte contre les stupéfiants de la Maison-Blanche et enfin, tout récemment, de la Commission présidentielle pour la lutte contre la toxicomanie et la crise des opioïdes.
Mes convictions et mes connaissances m’amènent à déclarer que, de mon point de vue, la légalisation de la marijuana au Canada serait une mauvaise mesure sur le plan de l’intérêt public, de la santé publique et de la sécurité publique. Les données statistiques et autres évoquées jusqu’à présent ont des angles différents ainsi que diverses sources.
Quels sont les objectifs visés actuellement et quelles sont les conséquences? La commercialisation de la marijuana dans certains États a entraîné des conséquences sur lesquelles nous commençons à peine à recueillir des données très utiles parce que bon nombre d’États n’ont pas accumulé suffisamment de données au cours des deux à cinq dernières années.
La consommation de marijuana au cours du dernier mois continue de dépasser la moyenne nationale chez les jeunes de 12 à 17 ans au Colorado, dans l’État de Washington, en Oregon, en Alaska et dans le district de Columbia. La consommation de drogues chez les jeunes de l’Alaska a augmenté de 20 p. 100 depuis la légalisation, et pour le Colorado, le chiffre le plus fiable vient de l’enquête nationale sur l’usage des drogues et la santé, qui révèle une hausse entre 2016 et 2017. En Oregon, la consommation mensuelle chez les jeunes a augmenté depuis l’an dernier. Dans l’État de Washington, c’est la même chose.
Certains partisans de l’industrie prétendent que l’assouplissement des lois portant sur la consommation de marijuana réduira la consommation d’alcool chez les utilisateurs, mais ce n’est pas vrai.
Quelle est la réalité? La réalité, c’est que certains prétendent que les conséquences pour les utilisateurs seront moindres. La réalité, c’est que les conséquences sont plus lourdes que dans d’autres États. De plus en plus de rapports toxicologiques provenant du Colorado parlent d’un résultat positif au test de dépistage de la marijuana chez des adolescents morts par suicide. Le nombre de suspensions d’élèves pour possession de marijuana dans les écoles d’Anchorage, en Alaska, a augmenté de 141 p. 100. Au Colorado, environ la moitié des jeunes qui suivent un traitement ambulatoire pour consommation de substances illicites déclarent faire usage de marijuana détournée.
Il est interdit de vendre à des mineurs. Quelle est la réalité? Dans l’État de Washington, sur les 424 infractions commises par les entreprises de vente de marijuana autorisées, 288 concernaient la vente de marijuana à des mineurs. En Oregon, un échantillonnage aléatoire de 66 détaillants autorisés de marijuana a révélé que 16 de ces entreprises vendaient de la marijuana à des mineurs, et la densité des points de vente de marijuana est associée à une consommation accrue chez les mineurs.
Les injustices sociales seront aplanies grâce à la légalisation de la marijuana. En réalité, c’est le contraire qui se produit. Les minorités sont arrêtées plus souvent, car l’accès à la marijuana n’est pas encadré.
La consommation d’alcool diminuera. En fait, elle augmente chez les consommateurs de marijuana.
Les consultations dans les hôpitaux et dans les salles d’urgence ainsi que les appels aux centres antipoison du Colorado ont augmenté de 210 p. 100, selon une étude sérielle des moyennes sur quatre ans avant et après la légalisation de la marijuana récréative. Dans l’État de Washington, les appels ont augmenté de 70 p. 100, selon les moyennes sur trois ans. Les hôpitaux du centre de l’Oregon ont enregistré une hausse de près de 2 000 p. 100 des consultations à l’urgence.
Les saisies de marijuana illégale sur le marché noir du Colorado sont particulièrement importantes. Aux États-Unis, le marché noir a enregistré une hausse de 844 p. 100 en marijuana saisie par le service postal depuis le début du mouvement en faveur de la légalisation.
La criminalité a subi une croissance 11 fois plus rapide au Colorado que dans le reste du pays, depuis la légalisation. Une étude financée par les instituts nationaux de la santé montre que la densité des points de vente de marijuana est en rapport direct avec le nombre de délits contre les biens commis dans la région. Je pourrais continuer sur le même ton.
Dans le milieu du travail, les tests de dépistage de la marijuana sont beaucoup plus fréquents. Les réclamations d’assurance préoccupent de plus en plus les sociétés. Une demande croissante rend ainsi très difficile de trouver des employés aptes à passer avec succès un test de dépistage de drogues préalable à l’embauche, et le problème est d’autant plus grave pour les emplois où la sécurité est un enjeu, dans le milieu minier ou de la construction, par exemple. Je pourrais continuer.
En ce qui concerne la conduite avec facultés affaiblies, le nombre de conducteurs en état d’ébriété qui ont été impliqués dans un accident mortel a augmenté de 88 p. 100 entre 2013 et 2015 au Colorado. La conduite avec facultés affaiblies par la drogue a également augmenté. Dans l’État de Washington, le nombre de décès liés à la conduite avec facultés affaiblies par la drogue a doublé dans les années qui ont suivi la légalisation de la marijuana; en Oregon, la moitié de tous les conducteurs testés par un expert en reconnaissance de drogues a échoué le test.
Je n’entrerai pas dans les détails par manque de temps, mais il faut tenir compte de l’impact global. Je n’ai parlé que des répercussions de ce que nous avons pu observer. Il y en a beaucoup d’autres auxquelles mes honorables confrères assis à ma gauche ont fait allusion, notamment la psychose à long terme qui est fonction des doses prises dans une certaine mesure, la psychose qui fait suite à la consommation de marijuana. Beaucoup d’autres facteurs, à mon avis, ont une incidence énorme sur l’avenir des jeunes au Canada. Je suis née au Canada, j’ai fait mes études à McGill et je dirige actuellement un projet de recherche sur la marijuana avec un chercheur canadien de l’Université de Toronto. Je suis extrêmement inquiète du sort de mes concitoyens canadiens et de mes collègues, le Canada occupant toujours une grande place dans mon cœur. Merci.
Le président : Merci.
Amy Margolis, directrice générale, Oregon Cannabis Association : Je vous remercie beaucoup de m’accueillir aujourd’hui. Je m’appelle Amy Margolis, et je suis directrice générale de l’Oregon Cannabis Association. Cette association est la plus grosse organisation patronale dans l’industrie du cannabis, et elle représente les gens d’affaires aux niveaux local, étatique et fédéral. Je suis également avocate et, depuis 2002, j’ai une clientèle du secteur du cannabis pour qui je fais du travail dans le domaine du droit pénal, des titres de sociétés et autres transactions, tant aux États-Unis qu’ailleurs dans le monde, y compris au Canada.
On m’a demandé de venir ici aujourd’hui pour vous parler de l’expérience de l’Oregon, mais je crois qu’on a prévu mon audience à la toute fin pour me permettre en quelque sorte de réfuter certaines données. En Oregon, nous avons un programme de vente de cannabis thérapeutique depuis 1998. En 2005, ce programme a été largement développé et a pris sa forme actuelle. En 2013, l’Assemblée législative de l’Oregon a adopté un projet de loi légalisant la distribution commerciale du cannabis thérapeutique et, en 2014, un vote populaire au scrutin secret a légalisé la consommation du cannabis à l’âge adulte en Oregon.
Ayant participé à presque toutes les étapes menant à la légalisation, j’ai eu la chance d’assister aux efforts de l’État en vue de réglementer le cannabis, et la plupart ont été un succès. La légalisation du cannabis en Oregon a permis d’augmenter les recettes fiscales, de financer les écoles et les services de santé mentale et de créer des milliers d’emplois au salaire minimum. Contrairement à ce qu’a dit le témoin précédent, nous n’avons pas observé une augmentation de la consommation chez les jeunes, et nous nous attendons à voir certains des autres effets positifs que d’autres États ont observés, notamment la baisse de la criminalité et le dénouement de la crise des opioïdes.
L’Oregon a également pris la mesure unique de permettre la suppression des délits liés au cannabis, de réduire la plupart des délits liés au cannabis à de simples infractions et de réexaminer les sanctions pénales imposées pour grave menace à la sécurité publique en raison de la transformation du cannabis. L’État de l’Oregon permet également la culture à des fins personnelles de quatre plants par ménage et a toujours admis la culture à plus grande échelle à des fins personnelles. Depuis le lancement du programme en 1998, l’Oregon n’a constaté aucun effet étayé sur la santé et la sécurité publiques en raison de la culture à des fins personnelles, y compris nulle hausse perceptible du nombre d’appels aux centres antipoison après avoir consommé la matière première.
Le projet de loi C-45 vise principalement à réduire le risque de consommation de cannabis chez les jeunes. Nous sommes d’accord avec le gouvernement qui cherche à garder le cannabis hors de portée des mineurs et nous sommes encouragés par ces efforts. Des États où la consommation du cannabis par des adultes est permise ont pris des mesures du même genre. Dernièrement, l’enquête nationale sur la consommation de drogues et la santé a révélé qu’au Colorado, la consommation de cannabis chez les adolescents a atteint son plus bas niveau depuis 2008, après la légalisation du cannabis. Nous avons constaté la même chose dans tous les États où le cannabis récréatif est admis. Lorsque je rapporte ces données sur un tableau PowerPoint où tous les États sont représentés, on peut constater soit une situation stagnante, soit une baisse de la consommation chez les jeunes. Le Colorado a connu la baisse la plus importante, mais cette étude montre qu’à l’échelle nationale, la consommation du cannabis chez les adolescents a diminué et que son usage n’a augmenté dans aucun État.
Comme le projet de loi C-45 met l’accent sur la santé publique, il faut souligner qu’à la suite de la légalisation du cannabis, dans plusieurs États, les ventes d’alcool ont diminué de 15 p. 100. Il est bon de souligner la différence marquée entre la dépendance au cannabis et celle à l’alcool. D’autres études sont nécessaires à ce sujet, mais environ 9 p. 100 des consommateurs de cannabis tombent dans la dépendance, alors que le pourcentage pour l’alcool est d’environ 16 p. 100.
Néanmoins, l’un des effets les plus importants de la légalisation du cannabis s’est fait sentir dans la crise des opioïdes. L’American Public Health Association a réalisé une étude qui a été évaluée par des pairs et dont les résultats ont été publiés sous le titre de « Recreational Cannabis Legalization and Opioid-Related Deaths in Colorado, 2000-2015 » dans l’American Journal of Public Health. Cette étude neutre visait à mettre en lumière le lien entre la légalisation du cannabis à usage récréatif au Colorado et le nombre de décès liés aux opioïdes. Les auteurs ont utilisé une méthode de recherche où des séries temporelles interrompues sont comparées; ils ont ainsi comparé le volume et l’ampleur des décès. Ils ont constaté que la légalisation de la vente et de la consommation du cannabis récréatif au Colorado avait entraîné 0,7 décès de moins par mois et 6,5 décès de moins en tout.
Aux États-Unis, cependant, une partie des problèmes importants auxquels est confrontée l’industrie du cannabis pourrait être résolue en supprimant la mention de la drogue dans l’annexe du document législatif et en autorisant le commerce entre les États et le commerce fédéral. Bien que des études et des recherches très solides aient démontré ses effets positifs sur la santé publique et la protection de la jeunesse, jusqu’à ce que la drogue, du moins aux États-Unis, soit retirée de l’annexe pertinente, l’industrie restera confrontée à de nombreux problèmes que le Canada peut éviter en adoptant le projet de loi C-45.
Comme je l’ai dit au début, la légalisation du cannabis est surtout l’histoire d’une réussite pour les États participants. Bien que notre organisation soit consciente des défis à relever et continue de travailler avec les organismes de réglementation de la santé publique et les chercheurs pour assurer une consommation sécuritaire, la prévention de l’usage chez les jeunes et la prévention de l’abus de cannabis, elle considère que ces préoccupations peuvent être atténuées par l’éducation, l’emballage et l’étiquetage, la réglementation et l’application de la loi.
Merci. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.
Le président : Je vous remercie tous les quatre de nous avoir fait partir du bon pied pour nous attaquer aux statistiques et aux différentes interprétations possibles.
Chers collègues, nous allons faire comme d’habitude, c’est-à-dire avoir cinq minutes chacun, questions et réponses incluses, donc plus les préambules sont courts, plus les questions sont nombreuses. Je vous demanderais de nommer la personne à qui s’adresse la question. Si un autre témoin veut intervenir pendant qu’un témoin répond à une question, je lui demanderais de lever la main. Je tenterai alors de vous donner la parole avant que ne prenne fin le délai de cinq minutes. Je tiens à prévenir les témoins qu’il se peut que des questions soient posées en français; je vous invite donc à utiliser vos écouteurs. Nous allons commencer par les vice-présidentes du comité.
La sénatrice Petitclerc : Ma question s’adresse à M. Kilmer. Vous en avez déjà touché un mot dans votre exposé. J’aimerais que vous développiez votre réflexion et que vous évoquiez un peu plus votre expérience se rapportant à différentes instances quant à ce qui constitue un juste équilibre en matière de prix. Vous avez mentionné qu’un bas prix peut donner un avantage concurrentiel par rapport au marché clandestin, mais que de même, un prix élevé peut aider à dissuader les gens de consommer du cannabis. Pouvez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet?
M. Kilmer : Avec plaisir. Le prix est important, puisque l’examen des divers résultats sur lesquels portent les discussions sur la légalisation du cannabis, que ce soit la taille du marché clandestin, la consommation chez les jeunes ou les recettes fiscales, nous montre bien que tout est fonction du prix de détail.
Il y a un certain nombre de raisons qui peuvent expliquer pourquoi la légalisation entraîne normalement une baisse spectaculaire des coûts de production et de distribution. D’abord et avant tout, on élimine les risques, mais également, comme Andrew l’a expliqué, les économies d’échelle et les changements technologiques devraient entraîner une baisse des coûts de production et de distribution.
La question est de savoir si ces baisses sont répercutées sur les consommateurs. C’est vraiment au gouvernement de décider, parce qu’il a le choix. Même si les coûts de distribution diminuent, les prix peuvent augmenter pour diverses raisons. Par exemple, vous pouvez imposer des taxes, resserrer la réglementation, réduire la concurrence ou même fixer un prix plancher.
La fiscalité reçoit beaucoup d’attention. Sincèrement, personne ne connaît la recette pour taxer le cannabis. Toutes les options comportent des avantages et des inconvénients. La formule la plus populaire aux États-Unis, c’est la taxe ad valorem, qui est en fonction du prix. Dans l’État de Washington, par exemple, elle est de 37 p. 100 au détail. L’avantage évident, c’est qu’elle est facile à appliquer directement sur le prix de vente au détail. Elle présente aussi des désavantages. En effet, puisque la taxe est calculée sur le prix, dans la mesure où le prix baisse, les recettes fiscales suivent et diminuent également. Avec ce type de taxe, il faut aussi faire preuve d’astuce dans les offres groupées, par exemple, offrir du cannabis gratuit à l’achat d’une pipe d’une valeur de 50 $. Il faut être malin à ce jeu. Le montant de la taxe peut aussi être en fonction du poids.
Une autre option consiste à taxer en fonction du THC. Pour ceux qui mettent l’accent sur la santé publique, c’est l’option qu’a recommandée le groupe de travail dans son rapport. C’est une bonne idée d’un point de vue toxicologique, surtout si vous n’allez pas interdire de produits et que vous voulez amener les gens à opter pour les produits les moins forts, mais l’inconvénient, c’est que la mise en place de ce système exige beaucoup de travail, et personne ne s’y est essayé. Si vous envisagez sérieusement une taxe en fonction du THC, il faut porter la plus grande attention à la précision de votre méthode d’analyse et d’étiquetage. Si, au bout du compte, vous faites confiance aux résultats d’analyse, que vous vérifiez vos analyseurs et que vous êtes certain de l’exactitude des pourcentages de THC et de CBD inscrits sur l’emballage, alors l’imposition d’une taxe sur le THC ne sera pas difficile. Par contre, si vos méthodes d’analyse sont remises en question ou peuvent être trafiquées, comme ce fut le cas à certains endroits aux États-Unis, c’est une autre paire de manches. Nous avons ce conflit entre Washington et les États, ce qui signifie que beaucoup de laboratoires qui seraient prêts à effectuer les analyses et qui ont l’accréditation de la DEA ne veulent pas s’impliquer. Étant donné que le Canada s’engage dans cette voie, s’il fait confiance à ses méthodes d’analyse et à son étiquetage, la taxe en fonction du THC est une option facile à appliquer.
Comme je l’ai dit, personne ne connaît la meilleure façon de procéder. Quoi que vous décidiez, que ce soit les taxes ou le contrôle des prix, je crois qu’il faut prévoir une certaine flexibilité, car ce qui peut sembler optimal aujourd’hui ne le sera peut-être pas dans cinq ans. Merci.
Mme Margolis : Je vais essayer d’être brève. J’aimerais parler de la taxe sur le THC. Plusieurs instances l’ont envisagée, mais ne l’ont pas mise en place parce que ce serait proposer une simplification excessive de la science du cannabis. La plupart des instances l’ont écartée parce que le cannabis ne se résume pas à du THC et à du CBD, et plus nous fouillons la question, plus nous trouvons que ça n’a rien à voir avec la qualité. Nous nous intéressons plutôt à des choses comme le poids ou le pourcentage des ventes parce que nous observons de nombreux progrès dans la science du cannabis et dans la compréhension de la valeur de cette plante et des différents cannabinoïdes présents dans la plante.
La sénatrice Seidman : Merci beaucoup de vos exposés.
Ma question s’adresse d’abord à la Dre Madras. Plusieurs témoignages ont fait état de l’existence de peu d’éléments probants concernant la marijuana et ont expliqué que c’est en raison de son caractère illégal, et que le seul moyen de mieux connaître le cannabis et d’accélérer la recherche dans ce domaine, c’est de légaliser son utilisation. En tant que chercheuse, j’aimerais connaître votre point de vue sur cette question. Si on légalise le cannabis au Canada, peut-on espérer une course pour de nouveaux essais cliniques, par exemple? Qu’est-ce qui s’est passé aux États-Unis à cet égard?
Dre Madras : Merci pour ces questions. J’aimerais démystifier la situation tout de suite. Actuellement, il y a 25 000 écrits qui portent sur le cannabis. N’importe qui peut lancer une recherche sur PubMed et les trouver. Il y a un foisonnement de recherches sur les cannabinoïdes isolés et sur la plante entière de cannabis. Le statut juridique de la marijuana n’a jamais nui à la recherche.
J’ai fait des recherches sur les primates. J’ai actuellement une bourse de cinq ans des instituts nationaux de la santé; mes travaux portent sur le THC et le cannabidiol ou CBD et le lien entre leurs concentrations et leurs effets sur le cerveau.
Je peux vous dire, simplement pour que ce soit consigné au procès-verbal, que ce que révèlent les données préliminaires qui ont été présentées dans des résumés et des réunions jusqu’à présent, c’est que le cannabidiol atténue en profondeur les effets du THC. Le THC est psychodysleptique. Il entraîne une psychose, il peut entraîner l’anxiété et une intoxication. Le cannabidiol a plutôt l’effet contraire. Ce n’est pas un psychodysleptique et n’a pas d’effet d’accoutumance, contrairement au THC. Il n’entraîne pas une psychose. En fait, les données semblent montrer que c’est un antipsychotique. Je pourrais continuer longtemps. Il a des effets anxiolytiques plutôt qu’anxiogènes. Il est efficace dans une certaine mesure pour atténuer les convulsions, surtout dans les types de crises d’épilepsie chez les enfants, alors que le THC peut favoriser ou réduire les convulsions, selon la personne.
Le ratio THC : CBD est passé à 90 pour 1, par opposition à ce qu’il était à l’origine sous forme de plante sauvage, c’est-à-dire 10 pour 1, jamais 90 pour 1. Ce que nous constatons en science fondamentale, c’est que ce changement de ratio pourrait avoir des effets très néfastes sur le développement du cerveau des adolescents.
Pour en revenir à votre question la plus importante, nous n’avons pas légalisé l’héroïne et pourtant personne n’a eu de difficulté à faire des recherches à ce sujet. Nous n’avons pas légalisé la marijuana. En fait, cela demeure à l’annexe 1. J’ai eu un rôle à jouer dans cette annexe au cours d’une discussion historique en Californie.
Les gens continuent de faire de la recherche, de changer les ratios de THC et ainsi de suite. Ils n’aiment pas les formalités administratives supplémentaires. Il y a une étape de plus dans la paperasse comparativement à toutes les drogues inscrites à l’annexe. Il y a eu un mouvement en faveur de l’élimination de la paperasse. De mon point de vue, devoir légaliser une drogue potentiellement nocive pour l’étudier est un faux débat. Ce n’est tout simplement pas le cas à mon avis ni selon celui des scientifiques que je connais qui font des recherches là-dessus depuis des décennies. Liam Howlett, Steven Childers, Alex Makryannis… Je pourrais nommer de nombreux scientifiques du domaine qui n’ont jamais considéré cela comme un problème.
Je veux simplement réfuter une chose. Nous parlons d’un potentiel de dépendance à la marijuana de 9 p. 100 par opposition à 16 p. 100 pour l’alcool. Il s’agit de très vieilles données de Jim Anthony remontant à 1994. Les chiffres actuels publiés par Wilson Compton, du National Institute on Drug Abuse, dépassent les 12 p. 100, et pour Deborah Hasin, qui est l’une des meilleures épidémiologistes de l’Université Columbia, environ 30 p. 100 des consommateurs actuels ont des troubles de dépendance au cannabis aux États-Unis, d’après une vaste enquête nationale.
Le président : Merci beaucoup. Les cinq minutes sont écoulées.
Le sénateur Pratte : J’ai deux questions, une pour la Dre Madras et l’autre pour M. Kilmer.
Ma première question est une simple précision. J’ai examiné les données de l’enquête nationale sur la consommation de drogues et la santé. Après avoir consulté les données sur les jeunes de 12 à 17 ans et celles de 2008 à 2015-2016, j’ai eu l’impression que pour le Colorado, le taux de consommation de marijuana au cours du dernier mois était resté assez stable. Il avait diminué un peu, mais il n’était pas important. C’était mon impression, mais j’ai peut-être mal lu les données. C’est ce que j’aimerais clarifier.
Monsieur Kilmer, j’ai lu un article d’opinion ou un commentaire que vous avez publié dans le San Francisco Chronicle il y a quelques années, et où vous sembliez remettre en question la validité des sondages par autodéclaration. Je pense que c’est très important vu que la plupart des données que nous avons proviennent de ce type d’enquête autodéclarée. Vous semblez indiquer que, par exemple, après la légalisation, les gens pourraient se sentir plus à l’aise de signaler qu’ils ont consommé de la marijuana, ce qui pourrait expliquer une partie de l’augmentation que nous avons constatée dans ces données. J’aimerais entendre vos commentaires à ce sujet.
Dre Madras : D’après l’enquête, le taux moyen de consommation de marijuana chez les adolescents dans les États légalisés de l’Alaska, du Colorado, de l’Oregon et de Washington est supérieur de 30 p. 100 à celui de l’ensemble des États-Unis entre 2006 et 2017. Toutefois, les fluctuations annuelles ne sont pas aussi valables que les tendances sur une décennie. La consommation du dernier mois continue de dépasser la moyenne nationale chez les jeunes. Autrement dit, est-ce qu’il augmente dans certains États où l’on trouve de la marijuana à des fins médicinales — qui a été une source très importante de marijuana pour les jeunes avant la légalisation — le détournement de la marijuana fournie à des fins médicinales aux adultes? Le taux continue d’augmenter comparativement à d’autres États qui n’ont pas légalisé ni permis l’usage sous contrôle médical en fonction d’une moyenne. Je pense donc qu’il faut en tenir compte.
L’autre chose qui s’est produite, c’est que la consommation quotidienne a augmenté de façon spectaculaire au cours des 10 dernières années et la perception des torts causés aux jeunes a diminué considérablement au cours des dernières années. Je peux vous montrer les graphiques. Je les ai sous les yeux.
M. Kilmer : Avant de dire quoi que ce soit sur les enquêtes autodéclarées, il faut mentionner que vous entendez ici différentes interprétations des données. Il ne faut pas oublier que lorsqu’on parle de légalisation, même si le Colorado et l’État de Washington ont adopté l’initiative en 2012, les magasins n’ont ouvert leurs portes qu’en 2014. Certaines des données les plus récentes dont nous disposons sur l’utilisation au cours du mois dernier, qui sont propres au Colorado ou à l’État de Washington, ne portent que sur la période de 2015-2016. C’est très court. En gros, on parle de tendances. Eh bien, avant la légalisation, il y avait de la criminalité et après la légalisation aussi, et les gens attribueront cette augmentation ou cette diminution à la légalisation. Ce n’est pas de cette manière que nous faisons de la recherche. Il est important de demander à ceux qui font ces allégations s’ils disposent d’un exemple contrefactuel. Quel est le groupe témoin? À quoi comparez-vous cela?
La Dre Madras a fait allusion à cela, à la fin de sa dernière réponse, lorsqu’elle a dit que c’est ce que nous avons maintenant en ce qui concerne certains des changements apportés à la législation dans le domaine médical. Depuis le début, nous avons eu suffisamment de temps pour en apprendre davantage sur les différences entre les lois mises en œuvre dans ces États, mais en ce qui concerne la légalisation à des fins récréatives, on entend beaucoup parler des tendances simplement. Lorsque vous entendez des gens faire ces affirmations sur l’augmentation ou la diminution, j’insiste pour que vous leur demandiez quel est leur groupe témoin. S’ils n’en ont pas, assurez-vous d’accueillir leur opinion avec plusieurs grains de sel.
Je me réjouis que vous ayez lu ce vieux document, mais il s’applique toujours. Aux États-Unis, nous dépensons probablement 50 millions de dollars par année pour mener notre enquête nationale sur la consommation de drogues et la santé, où nous demandons aux gens s’ils ont consommé toutes ces diverses substances au cours du dernier mois ou de l’année qui vient de s’écouler. Toutefois, la dernière fois que nous avons essayé de valider cela — c’est-à-dire que nous avons demandé aux gens de répondre au sondage et de se soumettre à un test de dépistage des drogues pour vérifier s’ils étaient honnêtes —, c’était en 2000-2001. C’est important parce que, comme vous l’avez laissé entendre, si, avec le temps, la stigmatisation associée à la consommation de cannabis diminue et que vous constatez une augmentation avant et après, même après avoir tenu compte d’autres explications, il est difficile de déterminer quelle proportion de l’augmentation était en fait attribuable à la croissance de la consommation ou au fait que les enquêtés étaient plus honnêtes au sujet de leur consommation de cannabis.
Je sais qu’au Canada l’enquête auprès des ménages ne se fait pas tous les ans. C’est tous les trois ans, n’est-ce pas? Il pourrait être utile, dès que possible, la prochaine fois que vous l’effectuerez, de sélectionner un échantillon et de demander ensuite à ces personnes de se soumettre à un test de dépistage des drogues. Je veux dire qu’il n’y aura pas d’implications juridiques. Il existe une documentation qui examine la question parce que cela va être très utile à mesure que vous vous engagez dans cette voie et que vous essayez d’apprendre ce qui se passe en matière de consommation. Les changements diffèrent-ils selon les provinces? Vous voudrez avoir une bonne idée tout au moins de la proportion des personnes qui sont honnêtes au sujet de leur consommation de cannabis à l’heure actuelle. Ce n’est pas quelque chose à répéter chaque année, mais au moins dans le contexte des États-Unis, si vous dépensez 50 millions de dollars par année pour mener une enquête, pourquoi ne pas consacrer quelques millions de dollars de temps à autre pour chercher à confirmer cela?
Le président : Merci beaucoup. Je suppose que tout cela prouve que, compte tenu de ce que nous entendons des États-Unis, nous devrons nous-mêmes faire le tri pour ce qui est des autres faits.
La sénatrice Poirier : Merci à tous pour vos exposés. J’ai deux questions. J’espère avoir assez de temps pour les poser. Les deux s’adressent à M. Freedman.
Dans une entrevue accordée au Westword en septembre 2017, vous avez dit :
Une fois qu’une industrie s’oriente dans une certaine direction, il est difficile de revenir en arrière et de la réexaminer parce que beaucoup de gens ont beaucoup de capital investi peu importe la direction choisie. Il y a donc un élan en soi. Certains des changements qui ont peut-être été faciles au départ deviennent plus difficiles à obtenir au fur et à mesure.
D’après votre expérience au Colorado, quels changements auraient été plus faciles à apporter au départ, c’est-à-dire là où se trouve le Canada, comparativement à ce qui est plus difficile à faire plus tard?
M. Freedman : Vous êtes de loin les personnes les plus difficiles devant qui agir à titre de témoin parce que vous faites effectivement vos recherches au préalable.
Parmi les trois premiers qui me viennent à l’esprit, il y a les produits comestibles, et je pense que c’est ce dont je parlais à cette occasion. C’est-à-dire proposer des règles intuitives sur les produits comestibles pour qu’un consommateur naïf sache qu’il s’offre une dose de marijuana. C’est quelque chose que j’aurais aimé que nous fassions dès le début, parce que les gens paient l’équipement utilisé pour créer ces produits comestibles passablement au début du processus; il s’agit donc soit de tout limiter à 10 milligrammes, soit de veiller à ce qu’ils soient facilement notés et démarqués et à ce que le symbole universel soit estampillé directement sur le produit.
De plus, il faut commencer par interdire certaines formes. Il n’y a tout simplement aucune raison d’utiliser un ourson en gélatine. Il faut non seulement bannir ces formes, mais aussi s’adresser directement aux membres de l’industrie pour les prier de ne pas même tenter d’aller dans ce sens sans quoi nous l’interdirons à l’avenir et ils auront donc acheté de l’équipement inutilisable plus tard. Je pense que ces deux mesures conjointes permettent à l’industrie de s’autoréglementer jusqu’à un certain point.
Le deuxième point porte sur la culture à domicile une fois qu’un droit a été accordé aux citoyens. Au Colorado, nous avons entendu des gens soutenir qu’ils avaient besoin de 99 plantes cultivées à domicile; c’est un argument que nous n’avons entendu nulle part ailleurs. Assurez-vous de disposer d’un droit irréfutable à cet égard. J’aime bien la partie de votre loi qui interdit la coopérative et qui définit clairement ce qu’est la résidence ou le logement.
Le troisième point, c’est la publicité. Encore une fois, c’est l’un de ces aspects pour lequel certains dépensent beaucoup d’argent en croyant que c’est la voie à suivre pour conquérir un vaste marché. Fixer au début du processus des règles établissant les formes les plus strictes de publicité aidera à mettre un terme à ce genre de profit industriel.
La sénatrice Poirier : Vous en avez parlé un peu au cours de votre exposé, monsieur Freedman, mais dans la même entrevue au sujet de la conduite sous l’effet de drogues, vous avez aussi traité de l’importance de faire adopter un projet de loi sur le cannabis un an à l’avance et d’utiliser cette période pour former adéquatement nos agents et recueillir des données pendant un an avant de passer à la légalisation. À votre avis, d’après votre expérience au Colorado, dans quelle mesure une année peut-elle être cruciale pour assurer la sécurité publique et l’éducation du public?
M. Freedman : Je ne suis pas sûr de pouvoir quantifier à quel point c’est crucial. Je peux vous dire que les deux ou trois premières années où nous avons recueilli des données — et c’est un peu ce que mentionnait Beau — selon notre rapport intitulé Driving While High, c’était juste après la modification des lois sur la conduite sous l’effet de drogues illicites; nous avons ensuite dépensé quelques millions de dollars pour former des experts en reconnaissance de drogues de même que des policiers. Les distorsions dans le système ont suffi à elles seules à rendre toute tendance absolument inutile.
Si vous n’arrivez pas à obtenir une formation d’un an, je suggère de choisir quelques provinces et territoires et d’offrir rapidement la formation; il est bon de recueillir des exemples de ce que vous voyez dans la rue à l’heure actuelle. Je pense qu’il serait utile à l’avenir de voir si vous observez une nouvelle dynamique du problème ou si vous avez simplement le même problème, mais que vous le repérez davantage.
Dre Madras : Je viens tout juste de voir des données de l’Hôpital général du Massachusetts produites il y a quelques jours qui comparent les opinions d’experts en reconnaissance de drogues sur des personnes intoxiquées par la marijuana à leur autoévaluation lorsqu’ils ont consommé passablement de drogue, et à l’augmentation de la tension artérielle et d’autres paramètres. Leur taux d’exactitude était parmi les plus faibles de tous les autres paramètres qui étaient testés pour comprendre qui a ou n’a pas de facultés affaiblies en ce qui concerne la capacité de conduite.
Mme Margolis : J’ai défendu des dizaines de cas de conduite avec facultés affaiblies par le cannabis au cours des 15 dernières années. Nous sommes arrivés plus tard que le Colorado et plus tôt que vous, mais je pense qu’il est important de reconnaître que les compétences dont se servent les agents pour évaluer l’intoxication, à la fois à partir de substances contrôlées et de l’alcool et avec d’autres produits, ne sont pas nouvelles aujourd’hui. Nous n’aurons pas besoin d’un nouveau programme de formation tout comme nous n’en avions pas besoin en Oregon. Au Colorado, nous avons constaté une diminution de 16 p. 100 pour tous les types de conduite avec facultés affaiblies entre 2011 et 2016. La conduite avec facultés affaiblies par la marijuana a diminué de 33,2 p. 100 entre le premier trimestre de 2016 et celui de 2017. Dans l’État de Washington, nous avons constaté une diminution de 32,9 p. 100 pour tous les types de conduite avec facultés affaiblies entre 2011 et 2016. Au Colorado, seulement 4 p. 100 des cas de conduite avec facultés affaiblies mettaient en cause des personnes ayant obtenu un résultat positif au test de dépistage du THC, et dans l’État de Washington ce taux était de 8 p. 100.
Le sénateur Manning : Je remercie les témoins de leur témoignage.
Ma question s’adresse à la Dre Madras. Au cours des dernières semaines, nous avons tellement entendu parler de statistiques, de recherches et d’études que, pour être honnête avec vous, il est un peu ahurissant de suivre tout cela. Il semble que, peu importe ce que vous voulez entendre, vous allez l’obtenir si vous payez suffisamment quelqu’un pour qu’il le trouve pour vous. Ce que j’essaie de dire, c’est que nous avons encore entendu des commentaires mitigés à nouveau aujourd’hui. J’essaie de voir comment nous pouvons aller au fond des choses. Existe-t-il un moyen de le faire, ou avons-nous tout simplement trop d’information, ou pas assez? Pour l’instant, il est très difficile pour nous de savoir exactement où en sont les recherches et quels sont exactement les faits auprès des personnes qui s’occupent de ce dossier depuis un certain nombre d’années comme c’est le cas aux États-Unis. J’ai posé la question à la Dre Madras, mais l’un ou l’autre d’entre vous peut y répondre.
Dre Madras : J’espère ne pas dépasser le temps qui m’est alloué, mais je viens de quitter la commission présidentielle sur les opioïdes. Nous venons de déposer le rapport. Découvrir les causes de l’épidémie d’opioïdes aux États-Unis s’est révélé d’un grand intérêt. L’une des conclusions qui se trouvent à la dernière page du rapport porte sur les leçons apprises pour d’autres médicaments. Une bonne partie de ces leçons s’appliquent à la marijuana, notamment sur le plan des statistiques, de la défense des droits et ainsi de suite.
La première chose à faire avec les témoins consiste à déterminer quels sont leurs conflits d’intérêts. Qui les paie? Qui leur verse des honoraires pour défendre des intérêts d’une façon ou d’une autre? La divulgation complète devrait être obligatoire, car cela aide à comprendre si ces données sont torturées ou non jusqu’à ce qu’elles avouent ce que vous voulez bien qu’elles disent.
Voici donc les leçons apprises, et je pense qu’elles sont dignes d’intérêt pour les membres de ce comité. Des sommes considérables ont été dépensées pour promouvoir les opioïdes. Ils ont été préconisés pour de nombreux troubles médicaux. On a dit qu’ils étaient sans danger et non toxicomanogènes. Il n’y avait aucune preuve scientifique de consommation chronique. Les défenseurs des opioïdes ont reçu de l’attention, mais pas leurs adversaires. La dépendance et le détournement n’étaient pas prévus. L’éducation médicale a pris beaucoup de retard et la réglementation gouvernementale n’a pas réussi à protéger le public. Voilà les leçons tirées de la crise des opioïdes. Je crois qu’elles s’appliquent directement à la marijuana à l’heure actuelle.
Le président : Le sénateur a invité d’autres personnes à répondre. D’autres réponses ou des déclarations, comme le professeur le suggère?
Mme Margolis : Je crois que je dois répondre à cette question, même si j’ai l’impression, encore une fois, que nous avons des points de données divergents.
Je tiens à souligner qu’aux États-Unis, nous sommes aux prises avec une grave épidémie d’opioïdes dont les victimes meurent dans les rues. Elles sont réduites à l’itinérance. Cela crée un problème énorme surtout pour les personnes à faible revenu. Il n’existe absolument aucune donnée permettant d’établir une corrélation entre le résultat final de la consommation et de l’abus d’opioïdes, de la consommation et de l’abus d’héroïne et la façon dont le cannabis est consommé et utilisé.
Je veux simplement ajouter que nous pourrions peut-être faire un aller-retour entre nous, mais nous ne voyons pas ces mêmes choses en corrélation. Nous constatons une reconnaissance accrue de l’efficacité du cannabis dans le traitement de la douleur chronique. Nous constatons qu’il s’agit d’un médicament de sortie approprié. Des études ont démontré que la consommation de marijuana à des fins médicinales a entraîné une réduction de 64 p. 100 de la consommation d’opioïdes d’ordonnance, et une autre étude a montré une réduction de 44 p. 100 chez les membres de l’échantillon. Dans les États où l’on trouve de la marijuana à des fins médicinales et de la marijuana, les taux de mortalité par surdose sont de 25 p. 100 inférieurs à ceux des États qui n’offrent pas d’accès légal au cannabis. Par conséquent, je crois qu’il est faux d’amalgamer les deux…
Le président : Je suis désolé, nous avons dépassé les cinq minutes. Soit dit en passant, chers collègues, je crois que nous entamerons aujourd’hui un deuxième tour. Il y a de fortes chances que nous y arrivions aujourd’hui.
La sénatrice Raine : Merci beaucoup à tous d’être ici.
J’aimerais que vous me disiez qui a investi dans le commerce du cannabis aux États-Unis et de quel genre de contrôle les gouvernements disposent pour empêcher que les stocks actuels de marijuana illégale soient transférés vers les stocks légaux. J’aimerais que vous nous fassiez part de votre expérience. En ce qui concerne l’augmentation des ventes au détail de cannabis, comment les diverses administrations ont-elles fait pour empêcher le marketing des produits?
Le président : À qui adressez-vous la question?
La sénatrice Raine : Je vais commencer par M. Freedman.
Le président : Et ensuite quelqu’un d’autre?
La sénatrice Raine : Oui, s’il vous plaît.
M. Freedman : Je pense que ce sont d’excellentes questions.
Pour ce qui est de la propriété, chaque État a sa propre façon de faire. Les règles générales semblent être qu’au départ, il faut être résidant de l’État et être une personne physique. L’exigence de résidence dans le même État a disparu dans tout le pays, alors vous pouvez venir de n’importe où aux États-Unis et détenir une part de propriété. Jusqu’à maintenant, cependant, aucune société cotée en bourse n’a été autorisée à investir et cette structure d’entreprise n’est pas admise. Il y a du changement à l’horizon. La Californie permet à des sociétés cotées en bourse d’intervenir et une bonne partie de ces entreprises viennent du Canada et investissent aux États-Unis. On entend constamment des rumeurs.
Simplement, je dirais que l’argent investi au départ était l’argent des amis et de la famille. Il n’était pas possible d’obtenir un prêt bancaire ou d’avoir accès à des capitaux privés sans payer beaucoup d’argent, alors bien des gens ont investi leurs économies de toute une vie pour lancer ces entreprises. Cela a changé avec le temps. On observe maintenant différents types de capitaux et des structures financières plus complexes dans le milieu et on verra cela de plus en plus avec le temps. Je ne suis pas en mesure de vous dire dans quelle proportion ces nouveaux types de financement sont issus du commerce du tabac ou de l’alcool.
En ce qui a trait à la façon dont nous maintenons à jour notre inventaire, au Colorado et dans beaucoup d’États, chaque plant de cannabis fait l’objet d’un suivi de la semence à la vente grâce à une radio-étiquette posée dès le moment où le plant mesure plus de cinq pouces, au Colorado, jusqu’au point de vente. Ainsi, un organisme de réglementation peut intervenir à tout moment, vérifier le nombre de plants recensés et s’assurer que ce nombre correspond bel et bien au nombre de plants qui devraient être dans le système. Lorsque vous dites qu’on analyse des dizaines de millions d’éléments d’information, la plupart sont issus du système de suivi des semences jusqu’à la vente.
Pour ce qui est de la troisième partie sur la façon d’empêcher la publicité, du moins au Colorado — nous avons également conclu des contrats avec la Californie, la Floride et le Massachusetts —, on parle surtout de faire passer les restrictions de publicité sur le tabac déjà en vigueur vers le cannabis, ce qui est un peu difficile parce que nombre de ces restrictions sont exercées par simple consentement et ne sont pas inscrites dans la loi. Cela fait partie de l’entente. Cependant, dans la mesure du possible, la plupart des gens font de leur mieux pour appliquer les restrictions publicitaires, et quand ils ne le font pas, on voit rapidement de la publicité apparaître.
M. Kilmer : En ce qui a trait à la propriété, quand on songe aux compagnies de tabac et d’alcool, cela soulève la question plus vaste de savoir ce que nous pensons des conséquences de la légalisation sur la santé publique. Oui, nous allons vouloir porter une attention particulière à la consommation chez les jeunes, à la dépendance des jeunes et à d’autres problèmes vécus par les adultes. Toutefois, ce n’est là qu’une partie de ce que nous voulons examiner lorsque nous examinons les répercussions globales de la légalisation du cannabis sur la santé publique.
Nous voulons également examiner comment la consommation du tabac, des opioïdes d’ordonnance, des autres opioïdes et de l’alcool a évolué. Il faut voir comment cette modification juridique affectera tous ces aspects. En tant que chercheur en santé publique, je porte une attention particulière à cette question. Si on lit les études sur le tabac, notamment, elles laissent entendre que le tabac et le cannabis sont des compléments économiques. Les gens sont plus susceptibles de les utiliser ensemble. Cependant, la plupart de ces recherches ont été faites avant l’arrivée des cigarettes électroniques et avant que les gens vapotent de l’huile de haschich, alors je ne sais pas s’il s’agit toujours de compléments économiques. Nous allons nous pencher là-dessus.
Il faudra songer à cela quand il sera question de propriété. Voulez-vous permettre aux compagnies de tabac de participer? Si j’étais une compagnie de tabac, mettez-vous à leur place : vous feriez tout ce que vous pouvez pour trouver une façon d’amener plus de gens à consommer non seulement du cannabis, mais aussi du tabac. À l’heure actuelle, dans la plupart des États, il est impossible de vendre des produits contenant du cannabis et du tabac, mais cela pourrait faire l’objet d’un changement juridique et vous devrez y porter une attention particulière lorsque vous réfléchirez à la question de la propriété.
Aux États-Unis, en raison de l’interdiction fédérale, les compagnies de tabac ne sont pas vraiment engagées, mais nous avons entendu des histoires au sujet de compagnies américaines de tabac qui investissaient dans des compagnies de cannabis ici au Canada. Je n’ai aucune idée si c’est avéré ou si c’est même légal. Cependant, si c’est légal, s’il est possible pour les compagnies de tabac d’investir dans les entreprises de production de cannabis, je pense que vous devriez prendre un peu de recul. Je ne vois pas comment cela pourrait être avantageux du point de vue de la santé publique.
La sénatrice Omidvar : J’ai deux questions à poser à M. Freedman. L’expérience du Colorado confirme-t-elle les craintes et les préoccupations de Mme Madras? Je vais poser ma deuxième question si j’en ai le temps.
M. Freedman : Il m’est presque impossible de répondre à cette question. Je pense que ce dont vous êtes témoin actuellement est la réaction très émotive de beaucoup de gens face à la situation.
Pour ce qui est du rendement économique du Colorado en tant qu’État, je dirais que nous suivons toujours la même courbe de tendance que par le passé. Notre économie est l’une des plus vigoureuses des États-Unis. C’est l’un des endroits les plus sécuritaires où vivre. Il y a certaines statistiques que nous aimerions voir augmenter et d’autres que nous aimerions voir diminuer. Un rapport du U.S. News & World Report vient de nommer Denver la meilleure ville où vivre aux États-Unis. Tout cela pour dire que ça ne reflète qu’une infime partie de l’état général de l’économie, de la santé publique et de la sécurité publique de votre pays. Il se peut que ce soit une bonne idée ou pas, mais cela ne se répercutera pas de façon importante sur la santé de votre État et de votre économie dans l’ensemble.
La sénatrice Omidvar : Ma question portait plus précisément sur la consommation de cannabis et les preuves présentées par Mme Madras quant au danger qu’elle représente, à ses effets sur le cerveau et à son lien avec l’alcool et le tabac. Vous avez vécu cette expérience, aussi courte soit-elle, mais vous pourriez la détailler un peu pour nous, la contraster par rapport aux indicateurs de rendement que vous avez présentés.
M. Freedman : Madame la sénatrice, il est difficile pour moi d’en parler, car je me tiens toujours à l’écart de cet aspect du débat, mais je dirais que cela ne s’est pas concrétisé au Colorado. Pour l’instant — et je ne dis pas que cela va continuer, car il y a certainement une dynamique qui me préoccupe —, le Colorado n’a pas constaté de conséquences négatives sur la santé.
La sénatrice Omidvar : Ma deuxième question s’adresse encore à vous, monsieur Freedman. La semaine dernière, nous avons entendu M. Kenneth Finn, également du Colorado, associé à une organisation appelée Parents Opposed to Pot. Il nous a dit que la majorité des municipalités du Colorado avaient choisi de se retirer de la légalisation. Il nous a aussi dit que les cartels de la drogue ne se cachaient même pas des représentants de l’État. Pouvez-vous nous aider à voir clair dans cette situation?
M. Freedman : Tout d’abord, la majorité des municipalités n’ont pas choisi d’octroyer des permis et de mettre en place une structure de vente par permis, mais cela a été décidé en fonction de la taille géographique et non de la population. Le droit criminel est le même, peu importe où l’on se trouve au Colorado, mais M. Finn parle principalement de grands comtés ruraux et personne n’a l’obligation de permettre la culture ou la vente de cannabis. Il faut créer de façon active une structure d’octroi de permis dans ce but particulier et cela ne s’est tout simplement pas produit. La plupart des titulaires de permis se trouvent le long des routes et dans les zones plus peuplées.
Quant à la deuxième question, au sujet des cartels, il est vrai que nous avons eu un problème, et je pense qu’il existe encore dans une certaine mesure, mais il concerne les grandes cultures que j’ai mentionnées. Le fait de permettre la culture de 99 plants à la maison a fait dire aux cartels qu’ils aimeraient bien eux aussi participer. Nous avons trouvé de nombreux exemples de cartels qui arrivaient à obtenir six permis pour la marijuana médicinale et à les utiliser en un seul programme, dans le but d’en vendre dans un autre État. Jusqu’à maintenant, du côté des ventes réglementées, nous n’avons pas trouvé un seul cartel. Nous venons de découvrir un premier stratagème, à très petite échelle, qui visait à détourner des substances pour les activités du marché noir à l’extérieur de l’État.
Mme Margolis : L’Oregon a également adopté des règlements et des mesures de légalisation, et nous n’avons vu aucun de ces préjudices se concrétiser. Il y a aussi chez nous des comtés et des villes qui ont choisi de se retirer, mais bon nombre d’entre eux choisissent de participer en raison des avantages économiques considérables que le cannabis a apportés aux villes et aux comtés qui sont en mesure de le taxer tant au niveau de l’État qu’au niveau local.
Nous avons eu l’occasion d’entendre un représentant du secteur de la santé publique présenter des données au sommet des procureurs des États-Unis sur les répercussions sur la santé publique dans notre État. Une bonne partie des données dont je dispose au sujet de l’Oregon viennent de lui, et toutes les inquiétudes concernant les surdoses, la dépendance, la consommation chez les jeunes, les visites aux urgences et les appels aux centres antipoison ne se sont pas concrétisées. Cela ne s’est pas produit dans l’État de l’Oregon.
Le président : Je vais poser une petite question à la suite de la dernière réponse de M. Freedman. L’une des choses que nous avons entendues, c’est que le Colorado a réduit le marché illicite d’environ 70 p. 100 depuis qu’il a légalisé et réglementé le cannabis. Est-ce un chiffre exact?
M. Freedman : Je crois que ce chiffre est tiré d’un rapport sur la demande publié par l’État en 2014, qui a été payé avec les recettes fiscales de l’État. Dans ce rapport, nous avons pris l’estimation de la demande totale de marijuana au Colorado et ensuite, à partir de nos données de suivi des semences jusqu’à la vente, nous avons pu dire combien, selon le poids, provenaient de notre système réglementé. Par conséquent, une simple soustraction indique que le marché réglementé satisfait 70 p. 100 de la demande au Colorado. Je pense que si on mettait à jour ce rapport, il indiquerait plus de 70 p. 100.
Le président : La sénatrice Omidvar a mentionné M. Kenneth Finn. Ce dernier a affirmé devant nous que le gouverneur du Colorado avait signalé un manque à gagner de 500 millions de dollars dans le budget de 2018, si bien qu’il risquait de devoir faire des compressions importantes dans la voirie, les écoles et les hôpitaux, en plus d’augmenter les frais de scolarité de l’État et d’éliminer les remboursements aux contribuables. Il a fait le lien avec le coût de la légalisation. Je ne sais pas si c’est l’opinion de M. Finn ou celle du gouverneur. Pouvez-vous clarifier cela?
M. Freedman : Ce n’est certainement pas l’opinion du gouverneur. Comme vous le savez mieux que quiconque, l’établissement d’un budget est beaucoup plus complexe que l’ajout d’une source de recettes fiscales par rapport à l’ensemble de la situation financière. Notre déficit budgétaire provient principalement d’un ensemble de règles complexes qu’on appelle la Charte des droits du contribuable, qui n’a absolument rien à voir avec les recettes provenant de la taxe sur la marijuana.
La première chose à laquelle nous consacrons des recettes provenant de la taxe sur la marijuana, qui étaient estimées à 250 millions de dollars l’an dernier, c’est le coût de la réglementation. Je ne parle pas du coût sociétal important : je parle des coûts directs de la réglementation, y compris les coûts d’application de la loi, et cela représente environ 30 millions de dollars sur ces 250 millions de dollars. Encore une fois, les coûts directs de la marijuana sont couverts par les recettes fiscales, mais le coût sociétal à long terme est une question beaucoup plus complexe.
La sénatrice Stewart Olsen : Merci de vos exposés.
Nous parlons des données contradictoires, et mes questions s’adressent à la Dre Madras et à M. Kilmer. Le Canada est nouveau dans ce domaine. Selon vous, d’après les connaissances que vous possédez, quelles statistiques le gouvernement canadien devrait-il observer pour assurer la sécurité des Canadiens? Docteure Madras?
Dre Madras : C’est une excellente question. Des représentants de l’État du Colorado et d’autres États préoccupés par ce problème me l’ont posée il y a un an et demi. Je me suis retrouvée avec un résumé de six pages des types de questions qui devraient faire l’objet d’un suivi, et ce ne sont là que les points les plus importants.
Je pense qu’il faut inévitablement parler de l’augmentation des épisodes de psychose dans les hôpitaux. La question de la conduite avec facultés affaiblies par la drogue est très importante, mais le problème est qu’à l’heure actuelle, si une personne a un résultat positif au test d’alcoolémie, à 0,08 ou 0,05 p. 100, selon les règlements en vigueur au Canada, on ne passera pas d’autres tests et il y a pourtant des preuves très claires que la combinaison de marijuana et d’alcool affecte de façon plus aiguë les facultés de conduite.
Je pourrais littéralement continuer jusqu’à faire six pages, mais je vais essayer de ne pas me rendre jusque-là. Je pense que les conséquences pour les jeunes sont d’une importance capitale. Combien de jeunes abandonnent l’école? Combien de jeunes ne font plus de demande d’études collégiales? Il n’y a aucun doute que c’est lié à la marijuana.
Les données que nous avons entendues au sujet du lien entre les opioïdes et la marijuana de la part de ma collègue, Mme Margolis, sont des études d’associations qui ont été terriblement discréditées par les épidémiologistes, parce qu’elles ne sont pas propres à la personne. Ce ne sont que des problèmes au niveau de l’État qui ne veulent rien dire. Le Canada dispose d’une très bonne étude qui montre que les personnes qui consomment de la marijuana sont plus susceptibles d’abandonner le traitement de leur dépendance aux opioïdes que les personnes qui ne consomment pas de marijuana, et les personnes qui consomment de la marijuana sont beaucoup plus susceptibles de consommer des opioïdes. Ce que je dis, c’est qu’on en revient encore à la question de la marijuana.
Il ne faut pas tenir compte des taux globaux de décrochage, mais des taux globaux de décrochage chez les jeunes qui consomment de la marijuana, car le syndrome amotivationnel a été examiné de façon longitudinale. C’est une façon éloquente d’étudier l’épidémiologie des conséquences, et il y a au moins trois études indépendantes qui montrent qu’une personne qui consomme, selon la quantité qu’elle a consommée pendant sa jeunesse, est beaucoup plus susceptible de décrocher, beaucoup moins susceptible d’obtenir un diplôme d’études collégiales, beaucoup plus susceptible de toucher des prestations d’aide sociale et beaucoup plus susceptible d’être sans emploi.
La sénatrice Stewart Olsen : Pourriez-vous transmettre ce résumé à notre greffière?
Dre Madras : J’aimerais que cela figure au compte rendu parce que je pense que c’est absolument essentiel. Ce qui est également essentiel — et la raison pour laquelle j’espère que le Canada fera preuve de retenue avant de porter des jugements et de tirer des conclusions — est d’établir des données préalables et postérieures, parce qu’il y a des paramètres sur lesquels vous n’avez pas de statistiques nationales vraiment solides. Il serait vraiment important que vous disposiez de cette base de données, de sorte que vous puissiez dire que, depuis l’arrivée de la marijuana, il y a eu un changement dans ce paramètre, mais je vais le consigner au compte rendu alors je n’insisterai plus.
M. Kilmer : Je suis impressionné par le sérieux avec lequel le Canada a pris la collecte de données préalables. J’ai consulté Santé Canada dans le but de participer à la création de son enquête sur le cannabis et les résultats ont été publiés il y a un certain temps. Il sera utile, surtout pour obtenir l’information par province et par territoire, de commencer à faire certaines de ces comparaisons avant et après, car il semble qu’il y aura des variations dans la façon dont la légalisation sera mise en œuvre dans les différentes provinces si le projet de loi C-45 est adopté.
Il faut vraiment porter attention à la quantité consommée et à ce qui est consommé. Comme Andrew l’a mentionné plus tôt, une grande partie de la recherche citée aux États-Unis est maintenant fondée sur la consommation d’une personne au cours du dernier mois. Du point de vue de la santé publique, il faut plus que cela. Je sais qu’à Santé Canada on s’est efforcé de recueillir plus de renseignements sur la consommation.
Il faudrait également que vous suiviez l’évolution des prix. Je crois aussi que Statistique Canada a déjà commencé à tenter de recueillir cette information de différentes sources. Elle est très utile.
Un dernier point concerne la conduite avec facultés affaiblies et l’influence de la légalisation du cannabis sur la sécurité routière. Vous devez porter attention à l’évolution des accidents ou des décès. Il ne s’agit pas simplement de s’attarder à la proportion de décès dans des circonstances où le test de dépistage de THC d’une personne s’est avéré positif. Oui, au Colorado et dans l’État de Washington, si l’on tient compte de la légalisation, la proportion de conducteurs impliqués dans des accidents mortels qui ont obtenu un résultat positif au test de THC a doublé. C’est un fait, mais cela ne veut pas nécessairement dire que la sécurité routière s’est détériorée. Le THC reste dans l’organisme pendant un certain temps, de sorte que vous pouvez obtenir un résultat positif sans que la substance vous ait affectée au moment de l’accident.
De nouvelles recherches sont sur le point d’être publiées. En 2017, l’American Journal of Public Health a publié un article dans lequel on a fait appel à des groupes de contrôle pour essayer de comprendre ce qui se passait au Colorado et dans l’État de Washington sur le plan du nombre total d’accidents et de décès. Ils n’ont trouvé aucun effet. Par ailleurs...
Le président : Je m’excuse, mais nous devons poursuivre.
M. Kilmer : Nous pourrons en discuter plus tard.
La sénatrice Bernard : J’ai plusieurs questions, et je ne pourrai probablement pas toutes les poser. Je vais donc passer au deuxième tour.
Permettez-moi de commencer par dire que la guerre contre les drogues aux États-Unis a eu des répercussions disproportionnées sur les personnes radicalisées et les personnes pauvres et nous avons constaté la même chose au Canada. Pouvez-nous nous dire comment la légalisation pourrait régler ce problème?
Mme Margolis : Merci beaucoup. C’est une excellente question qui a un lien direct avec, à tout le moins, la façon dont nous percevons l’échec de la guerre contre les drogues dans son ensemble et en particulier contre le cannabis. Nous savons que chez les personnes de couleur et à faible revenu, le nombre d’arrestations, en particulier pour le cannabis, a été disproportionné et considérable.
Les États ont cherché, de diverses façons, à régler ce problème. J’en ai fait brièvement mention dans mes remarques liminaires. En Oregon, nous avons réduit les peines, nous avons diminué la criminalité et nous avons offert une possibilité de radiation pour pratiquement toutes les infractions liées au cannabis, à l’exception de certaines dont les infractions liées au cannabis mettant en cause des enfants ou des infractions concomitantes ayant un lien avec les crimes contre la personne. C’est l’une des façons adoptées par les États pour régler le problème. Washington vient tout juste de mettre en œuvre un programme de radiation semblable aux termes duquel il est possible d’effacer presque toutes les infractions liées au cannabis qui auraient été légales.
Des programmes font leur apparition un peu partout, comme à Oakland. Oakland a réglementé son programme de délivrance de permis et a fait quelque chose d’intéressant. Les autorités ont établi, en collaboration avec un groupe de jeunes Afro-Américaines, un incubateur d’entreprises pour aider les gens à acquérir des compétences en affaires et à donner la priorité aux personnes qui ont été condamnées pour des infractions liées au cannabis, afin de les intégrer au système et de réparer certains des dommages qui ont été causés. Voilà le genre d’initiatives que nous constatons à divers endroits.
En encourageant les gens de couleur à se lancer dans un secteur, en visant à radier les infractions et en réduisant les peines pour les crimes, certains États américains s’efforcent de remédier à cet effet disproportionné et de réparer les torts causés.
Le président : Voulez-vous que quelqu’un d’autre réponde ou voulez-vous poser une autre question?
La sénatrice Bernard : Si un témoin a quelque chose de différent à ajouter…
M. Freedman : Cela concerne les données dont nous avons pris connaissance au Colorado. Pour être honnête, le volet justice pénale et équité sociale de la légalisation n’a pas été à la hauteur. Nous avons constaté une diminution générale des arrestations liées au cannabis. Le nombre d’arrestations chez les Blancs a reculé de façon disproportionnée contrairement à ce que nous avons pu constater dans les communautés afro-américaines et hispaniques.
En outre, quelques renseignements nous indiquent que la proportion d’hommes riches et blancs qui possèdent des dispensaires de cannabis et des installations de culture est la même que dans toute autre industrie au Colorado. Ainsi, sous l’angle du développement socioéconomique, je ne pense pas que vous ayez constaté que quelque chose de particulier s’est produit dans le milieu de la guerre contre les drogues.
Le dernier petit point, c’est que personne n’a réfléchi à deux ou trois questions de zonage et ainsi, la culture dans les limites de la ville de Denver se fait surtout dans des quartiers hispaniques. Ce sont tous des aspects que j’aborderais différemment si je devais revenir en arrière.
La sénatrice Bernard : Avez-vous essayé d’intervenir à cet égard?
Dre Madras : Je reprenais simplement ses données, soit que le nombre de jeunes Afro-Américains et hispaniques arrêtés ou suspendus de l’école au Colorado est toujours élevé et demeure disproportionné depuis la légalisation.
La sénatrice Bernard : Vous avez dit plus tôt qu’aucune nouvelle formation n’était nécessaire pour appliquer la loi. Si ces arrestations ont un lien quelconque avec le profilage racial, peut-être faudrait-il exiger une formation dans ce domaine?
Le président : Qui veut répondre à cette question?
La sénatrice Bernard : Tous ceux qui le peuvent.
Le président : Ils ne disposent que de 10 secondes.
M. Freedman : À ce chapitre, on nous a demandé de recueillir de meilleures données que nous ne l’avons fait, en particulier sur l’entrée en contact visant à trouver de la marijuana, des données qui, à long terme, auraient été utiles pour mettre au point des programmes de formation plus efficaces.
[Français]
La sénatrice Mégie : En vous écoutant, je constate que les statistiques sont vraiment contradictoires. Si je comprends bien, parmi les questions qu’on posait, on demandait le taux de consommation des 30 derniers jours chez les jeunes.
Pour toucher aux autres aspects de cette consommation, est-ce qu’on a vérifié séparément le fait de fumer et celui de consommer, des muffins, par exemple? On parle de la consommation dans les 30 derniers jours, mais a-t-on vérifié la fréquence? Est-ce qu’il y a d’autres sous-questions comme celles-là qui ont été posées lors des sondages?
[Traduction]
M. Kilmer : C’est une excellente question.
Comme je l’ai dit, aux États-Unis, tous les ans, il y a l’enquête nationale sur la consommation de drogues et la santé, la NSDUH. Cet exercice vise à générer des points de vue représentatifs à l’échelle nationale de sorte que je peux vous dire ce qui s’est passé au niveau de la consommation totale du dernier mois dans l’ensemble du pays. De l’information est recueillie sur l’État et même le comté dans lequel les Américains vivent, mais les chercheurs ont de la difficulté à avoir accès à ces données.
Avec le temps, deux années de données ont pu être combinées, et ainsi, ces données ne me permettent pas de vous dire ce qu’était le taux de consommation du dernier mois au Colorado en 2015, mais si je combine les données de 2015 et de 2016, je peux vous fournir une estimation. Le gouvernement fédéral publie ces chiffres et, malheureusement, ils ne portent que sur la consommation du dernier mois. Il n’y a pas, dans ce rapport, d’information sur la fréquence. Je ne peux vous dire combien de personnes au Colorado en 2015 et en 2016 ont consommé tous les jours ou à peu près tous les jours. Cela dit, le vent commence à tourner. Les chercheurs pourront dorénavant fouiller dans ces données et générer des données sur la fréquence afin que nous puissions commencer à avoir un peu plus d’information sur autre chose que la consommation.
Ce qui est encore plus important, c’est que nous ne recueillons toujours pas de très bons renseignements sur la quantité totale consommée et les produits. Par exemple, j’ai mentionné qu’il y a quelques années, j’ai collaboré avec l’État de Washington pour aider les autorités à estimer la taille de leur marché. Bien sûr, je peux consulter les données fédérales et obtenir des données sur le nombre total de consommateurs. Même à l’époque, les données sur le nombre total de consommateurs étaient disponibles, mais comme il n’y avait pas d’information sur la quantité totale consommée, j’ai dû administrer mon propre sondage sur le Web avec des photos de joints non roulés et de bourgeons non éclos à côté d’une règle et d’une carte de crédit pour illustrer ce qu’était un gramme et demander si pendant une journée ordinaire, le répondant consommait cette quantité, la moitié de cette quantité ou le double de cette quantité. J’ai attribué de façon aléatoire ce à quoi ressemblaient les images. Nous nous sommes prêtés à l’exercice pendant quelques mois, car nous ne disposions d’aucune autre donnée. J’espère que nous pourrons aller au-delà de cela et administrer des enquêtes assorties des bons tests psychométriques nous permettant de dépasser les aspects consommation et fréquence pour répondre à la question sur la quantité que les gens consomment et sous quelles formes. Ce sera très important pour nous lorsque nous tenterons d’évaluer les répercussions de la légalisation sur la santé publique.
Dre Madras : En fait, trois enquêtes sont menées, et si j’inclus les données de la NESARC, il y en a quatre : l’enquête sur le comportement à risque chez les jeunes, l’enquête de surveillance de l’avenir, Monitoring the Future, et l’enquête nationale sur la consommation de drogues et la santé, la NSDUH.
Nous pouvons dénigrer l’autodéclaration, comme le sénateur l’a dit tout à l’heure, mais lorsque tous les sondages concordent assez bien, la conclusion se renforce. L’enquête NSDUH surveille environ 70 000 personnes, celle sur l’avenir, environ 40 000 jeunes de 8e, 10e et 12e années, et l’enquête sur les comportements à risque chez les jeunes surveille également des milliers de personnes. Elles confirment toutes les tendances dans les trois domaines. Je ne pense pas qu’avec la taille de ce bassin — nous en sommes maintenant à bien plus de 100 000 personnes interrogées —, on remette en question les données. Je pense qu’elles sont fondées.
Pour en revenir à ce que Beau disait tout à l’heure, dans le cadre d’une étude menée dans un collège il y a quelques années, les étudiants ont été répartis en deux groupes. Les étudiants d’un groupe ont été branchés à une machine appelée Verifactor et ceux de l’autre n’ont pas été branchés à une machine. Puis, les responsables ont indiqué aux étudiants qu’ils n’allaient pas confirmer leurs réponses en se fondant sur cet instrument. Il n’y avait pas d’instrument. En fait, ils avaient dupé les étudiants. Ils ont constaté des écarts assez importants entre la façon dont les élèves ont répondu aux sondages, selon qu’ils pensaient ou non qu’ils seraient découverts s’ils mentaient. Les écarts étaient plus grands pour les drogues que les étudiants craignaient, par exemple, la cocaïne et l’héroïne, et beaucoup moins pour le cannabis et le tabagisme et l’alcool.
Le président : Avant de passer au deuxième tour, j’aimerais poser une question à Mme Madras. Au Canada, la consommation de cannabis est très élevée, l’une des plus élevées du monde occidental, surtout chez les jeunes, les adolescents jusqu’à 25 ans. Nous avons également procédé à d’importantes arrestations pour consommation et possession de cannabis, de façon disproportionnée, dois-je ajouter, dans les communautés minoritaires. Tout cela alimente une industrie des drogues illicites de 7 milliards de dollars au Canada. Nous sommes donc à la recherche de solutions pour mieux gérer les enjeux concernant la santé. Nous cherchons à éliminer ce marché illicite avec le temps. En même temps, nous ne voulons pas emprisonner nos jeunes et les affliger d’un dossier criminel.
Vous êtes contre la légalisation? Que préconisez-vous? À votre avis, quelle serait la solution, car de toute évidence, la campagne traditionnelle Disons non à la drogue ou la guerre contre les drogues ne fonctionne pas dans notre pays.
Dre Madras : Oui, je pense que c’est une question très pertinente. J’aimerais répondre en faisant valoir quelques points qui, à mon avis, méritent d’être soulignés.
Premièrement, la légalisation d’une drogue peut certainement, en ce qui concerne le tabac et l’alcool, des drogues légales et largement disponibles, entraîner son lot de conséquences physiques sur le cerveau, en particulier l’alcool.
Le ratio des coûts pour le gouvernement fédéral, les États et les municipalités, les coûts des soins de santé, est d’environ 10 pour 1 par rapport aux recettes fiscales. Autrement dit, pour chaque dollar d’impôt que nous percevons, nous dépensons près de 10 $. C’est une estimation qui varie sans doute. Nous dépensons 10 $ pour faire face aux conséquences. Je ne suis donc pas d’accord, en ce moment, pour dire que la légalisation et la fiscalité vont régler ou atténuer le problème.
La question est donc de savoir ce que l’on fait. Est-il question de renoncer à une nouvelle norme, celle de recourir aux drogues chimiques pour s’évader ou y trouver un plaisir? Toutefois, cela n’a pas été une norme acceptée, et nous partons plutôt de l’hypothèse qu’il est impossible de faire machine arrière. Les jeunes vont en consommer, un point c’est tout.
Je pense qu’il y a suffisamment d’information sur la santé publique et sur les conséquences indésirables pour commencer à lancer une campagne très importante. Comme vous pouvez le constater pendant cette séance et, j’en suis persuadée, comme vous avez pu le voir lors de séances précédentes, cette question sera toujours contestée parce que les partisans sont beaucoup plus bruyants et beaucoup plus méprisants à l’égard des données scientifiques que ne le sont les scientifiques de première ligne.
Deuxièmement, nous parlons de la guerre contre les drogues. Nous reconnaissons, sans l’ombre d’un doute, les disparités raciales sur lesquelles elle influe, mais j’aimerais vous donner un exemple des raisons pour lesquelles la réduction de l’offre fonctionne. En 2006, il y a eu une crise du fentanyl aux États-Unis dont personne ne se souvient. Moi, je m’en souviens parce qu’à l’époque, j’étais fonctionnaire et que je m’intéressais de très près à cette question. Le fentanyl a fait environ 1 000 morts. Lorsqu’un super laboratoire au Mexique a été démantelé, les décès causés par le fentanyl sont revenus au niveau de référence, qui était très bas.
Ainsi, à mon avis, il est absurde de dire que la réduction de l’offre, qui est un volet de la soi-disant guerre contre les drogues, ne fonctionne pas. Il y a bien des façons de réduire l’offre et donc, la consommation.
Le président : Merci. Je me suis également chronométré et mon temps est écoulé.
Il nous reste maintenant 22 minutes, et je crois qu’il y a sept noms sur la liste pour le deuxième tour; nous en sommes donc à trois minutes chacun, s’il vous plaît, y compris la question et la réponse.
La sénatrice Seidman : Ma question s’adresse à vous, monsieur Kilmer. Vous avez beaucoup parlé de la puissance du THC et du fait que la plupart des données dont nous disposons portent sur la réduction de la puissance pour contrer les effets sur la santé et sur une approche de santé publique à l’égard du cannabis.
Dans votre exposé, ainsi que dans l’article que vous avez publié dans le New England Journal of Medicine, vous avez parlé des niveaux de THC. Vous avez dit que le segment du marché légal qui croît le plus rapidement dans l’État de Washington est celui des extraits pour inhalation et vous avez indiqué, soit dit en passant, qu’il s’agit d’une concentration supérieure à 65 p. 100, ce qui est plutôt étonnant.
J’aimerais revenir à la question de savoir si nous devrions limiter la puissance des produits, imposer des restrictions ou imposer des taxes sur les produits plus puissants. Si nous voulons vraiment adopter une approche axée sur la santé publique, comment pouvons-nous régler ce problème particulier?
M. Kilmer : Je pense qu’il y a au moins quatre options et elles ne sont pas nécessairement totalement inconciliables.
La première serait d’interdire temporairement certains produits. Vous pourriez mettre en œuvre une disposition de temporarisation. « Pendant les cinq premières années, nous n’autoriserons pas les concentrés à plus de X p. 100 de THC, et ensuite, au bout de cinq ans, nous déciderons si nous voulons continuer ou essayer autre chose. » Dans le même ordre d’idées, la deuxième option serait d’imposer un plafond de THC. On pourrait parler des produits. L’autre pourrait être : « D’accord, nous allons permettre ces cires, mais seulement en deçà d’un certain volume. »
La troisième option, qui pourrait être mise en œuvre ici, au Canada, serait simplement de fixer les prix. Donc, dans la mesure où beaucoup de provinces et de territoires vont avoir des grossistes gouvernementaux ou même des détaillants gouvernementaux, ce serait très facile. Vous pourriez fixer des prix plus élevés pour les produits qui contiennent une plus grande quantité de THC si vous voulez couper l’herbe sous le pied de certaines personnes.
L’autre option consisterait à établir la taxe en fonction du THC. J’ai dit qu’il y aurait du travail à faire à cette fin. Comme Amy l’a mentionné également, à l’heure actuelle, on pourrait envisager la taxation en fonction du THC, mais peut-être que dans cinq ans, nous aurons des renseignements nous permettant de déterminer ce qu’il faudrait vraiment taxer en fonction du THC et du CBD. Vous voulez donc intégrer cette souplesse. Cela exigerait un certain travail, mais si vous croyez que votre système de tests et d’étiquetage est vraiment bon et fiable, cela ne devrait pas être difficile.
La sénatrice Petitclerc : Ma question s’adresse à M. Freedman. Nous associons ce projet de loi à une approche de santé publique. Au Canada, comme dans bien d’autres endroits, l’un des défis auxquels nous faisons face est la très forte consommation chez les jeunes et les conséquences de cette consommation. Je prends connaissance de diverses données et même si elles sont toutes très différentes, il y a une chose qui fait défaut et que j’aimerais voir, c’est un recul ou un recul très important de la consommation chez les jeunes ou de la perception des torts éventuels.
Vous avez parlé de sensibilisation et d’éducation, mais je ne sais pas si vous avez des données ou des commentaires sur l’importance du rôle que l’éducation peut jouer. De toute évidence, la légalisation en soi n’a pas eu un impact énorme sur la diminution de la consommation chez les jeunes, alors qu’est-ce qui pourrait en avoir un? Quel rôle la publicité ou l’éducation pourrait-elle jouer si nous voulons atteindre ces objectifs?
M. Freedman : Je vais y aller très rapidement pour répondre en trois minutes.
Tout d’abord, je sais que nous avons entendu beaucoup de données. Vous avez tous eu droit au même flux de données aujourd’hui, c’est-à-dire les données de l’enquête nationale sur la consommation de drogues et la santé et cela concerne spécifiquement le Colorado. Pour certaines personnes, le point de départ, c’est 2006 et pour d’autres 2008. J’ai parlé de 2014 parce que c’est l’année du début de la légalisation au Colorado. Il n’y a eu qu’une année statistiquement significative, soit une diminution l’an dernier, mais encore une fois, je suis d’accord avec Beau. Nous devrions faire preuve de patience avec les données et nous tirons des conclusions beaucoup trop rapidement. Je dirais que nous ne savons rien. Nous avons une vague idée de l’impact sur les jeunes.
La perception du risque a diminué avec le temps, mais ce qui est intéressant, c’est qu’il y a d’autres raisons pour lesquelles les enfants ne consomment pas. Je dirais que notre confiance dans le risque en notre qualité de gouvernement a ruiné notre crédibilité. Mon étude de cas à ce sujet serait notre première campagne de prévention auprès des jeunes, intitulée Don’t Be a Lab Rat. Même si nous n’en avions pas l’intention, cette campagne est devenue une initiative du genre Disons non à la drogue ou Menons la vie dure à la drogue, et les vérifications que nous avons faites avant et après ont révélé que c’était totalement inefficace. Notre initiative la plus récente, qui s’appelle Protège l’avenir, transmet un message plus positif à propos des enfants qui visent des objectifs à court terme dans leur vie, peu importe ce qu’ils sont. Les enfants croient que la marijuana nuit à l’atteinte de leurs objectifs à court terme. Je pense que nous devrions envisager toutes sortes de démarches différentes et que nous devrions parler directement aux jeunes de ce qui les influence plutôt que de nous en remettre au langage qu’on utilise depuis toujours.
Le sénateur Manning : Monsieur Freedman, pour revenir à votre déclaration liminaire, vous avez mentionné qu’en ce qui concerne les discussions sur le marché noir, les ventes se sont davantage déplacées vers le marché réglementé. La question qui se pose alors est la suivante : est-ce que d’autres médicaments sont intervenus pour remplacer ce qui se vendait avant sur le marché noir? C’est une question qui nous préoccupe.
M. Freedman : La réponse, c’est que je n’en ai aucune idée et, pour être honnête, je pense que personne n’en a une. Il y a eu des tendances au fil du temps, mais personne n’a fait d’étude illustrant un lien de causalité, soit du côté de l’offre, soit du côté de la demande, pour tout autre type de drogue au cours des quatre dernières années. Je ne pense pas être en mesure de répondre à cette question d’une façon un tant soit peu valide.
Le sénateur Manning : Très rapidement, en ce qui concerne l’ingestion accidentelle, existe-t-il des statistiques à ce sujet pour ce qui est des hôpitaux et des établissements médicaux? Cela semble être une préoccupation, les produits disponibles par rapport aux…
M. Freedman : Malheureusement, il n’y a pas de moyen infaillible de savoir si nous sommes en face d’un problème de surconsommation ou d’un problème d’ingestion accidentelle avec nos systèmes de codage. Si cette question vous préoccupe, je l’intégrerais au dépistage effectué pendant les appels au centre antipoison, pour m’assurer qu’un code permet de faire la distinction entre un problème de surconsommation délibérée et une ingestion accidentelle. Il serait très utile d’avoir ces données.
La sénatrice Raine : J’aimerais en savoir un peu plus sur le financement des producteurs autorisés dans les États que vous connaissez. J’ai vu de l’information au sujet d’une grande partie du financement consacré à la production de cannabis au Canada, et ces entreprises sont cotées en bourse. À l’heure actuelle, il y a une véritable ruée vers l’or sur les marchés boursiers, mais une partie du financement provient d’investisseurs secrets à l’étranger. J’aimerais tout d’abord demander à M. Kilmer ou à M. Freedman s’ils ont de l’information à ce sujet. J’aimerais ensuite demander à Mme Margolis de nous expliquer comment cela s’est passé au Colorado.
Le président : Elle représente l’Oregon.
La sénatrice Raine : Je m’intéresse aussi à la Californie, si vous êtes au courant.
M. Freedman : Je dirais qu’au Colorado et dans la plupart des États, au début, nous avions besoin d’une personne qui, au bout du compte, pouvait faire l’objet d’une prise d’empreintes digitales et d’une enquête au criminel. C’est tout à fait nouveau pour les sociétés cotées en bourse, et la Californie et le Canada seront les premiers à cet égard. Cela signifie que nous savons très peu de choses sur les investisseurs et sur la façon dont ils investissent.
Mme Margolis : J’ai conclu des milliers d’ententes de financement, et nous travaillons beaucoup avec des sociétés canadiennes cotées en bourse. Nous travaillons aussi beaucoup en Oregon avec des investisseurs de l’extérieur du pays et de l’extérieur de l’État, et je représente des clients partout aux États-Unis. En fait, l’Oregon, la Californie, le Massachusetts et la Floride sont tous des États qui permettent aux sociétés cotées en bourse de détenir une certaine participation, voire la totalité. Il m’en manque quelques-uns, mais je parle vite. Presque tous les États exigent que l’identité de l’investisseur soit déterminée. Dans les États qui autorisent les sociétés cotées en bourse — et il s’agit dans presque tous les cas de sociétés cotées en bourse canadiennes parce que vous autorisez les sociétés productrices de cannabis à être cotées en bourse —, nous exigeons que l’identité des propriétaires d’au moins 5 p. 100 d’une société soit divulguée et, comme une grande partie du financement public ici est constituée d’achats fermes et de placements privés, même dans les sociétés cotées en bourse, il y a de nombreux propriétaires dont le pourcentage de propriété dépasse 5 p. 100. En conséquence, presque tous les États exigent que soit divulguée l’identité des propriétaires des entités, et ils ont établi un très bas seuil de propriété au-delà duquel l’identité doit être dévoilée.
La sénatrice Raine : Est-ce que ce seuil fonctionne? Savez-vous qui investit?
Mme Margolis : Oui. Partout où j’ai travaillé — et je me répète, mais j’ai travaillé partout —, nous voyons qui investit, du moins qui sont les principaux investisseurs en pourcentage du capital déployé. C’est vraiment l’information qu’il faut déterminer. On n’imagine pas un cartel détenir 1 p. 100 d’une société cotée en bourse. Cela serait très étrange. Nous voyons d’où provient la majeure partie de l’argent investi, même jusqu’à un très faible pourcentage, et cela fonctionne bien.
Le sénateur Pratte : Ma question s’adresse à M. Freedman. J’aimerais revenir aux statistiques sur les accidents de la route. Ces données sont assez claires. Je sais que nous devons être prudents dans notre interprétation, mais au Colorado et dans d’autres États, il est clair que le pourcentage de conducteurs impliqués dans des accidents mortels et le nombre de personnes ayant obtenu un résultat positif au test de dépistage du THC ont sensiblement augmenté au Colorado et dans d’autres États. Ils ont augmenté plus rapidement que le pourcentage d’utilisateurs, ce qui est assez frappant. Comment doit-on interpréter cela? Le nombre de tests a-t-il augmenté? Y a-t-il des raisons évidentes pour lesquelles ces résultats peuvent être observés?
M. Freedman : Il est possible qu’il y ait un biais d’observation, et que nous exercions désormais une surveillance plus étroite, mais je suis d’accord pour dire que c’est une statistique préoccupante à l’heure actuelle, surtout parce que les résultats sont observés non seulement dans le THC, mais aussi dans le THC actif, qui se dissipe en trois heures. Je ne sais pas quoi vous dire, et je suis aussi préoccupé par le fait que ces résultats sont largement supérieurs à ce que montrent nos données sur l’utilisation. La situation est préoccupante. Pour situer le problème dans son contexte, je répète que les routes du Colorado sont au même niveau que celles de partout ailleurs aux États-Unis. Nous n’avons pas moins de routes sécuritaires par 100 000 milles parcourus. Les routes sont moins sécuritaires en Arizona, notre État voisin, qu’au Colorado. Je pense que c’est un problème distinct qui doit être réglé en soi, mais ce n’est assurément pas un alarmant problème de sécurité publique.
M. Kilmer : C’est l’une de ces situations dans lesquelles il faut s’assurer d’avoir un groupe de contrôle. Le simple fait d’observer ces augmentations à différents endroits ne doit pas nous empêcher de comprendre si cela peut se produire pour d’autres raisons.
On m’a coupé la parole tout à l’heure. L’American Journal of Public Health a publié un article à partir des mêmes données pour l’État de Washington et le Colorado, en tenant compte d’un certain nombre d’autres facteurs, afin de déterminer si le nombre total de décès pouvait être attribuable à la légalisation, et la conclusion a été négative. Il y a aussi un autre document de travail dont je viens de prendre connaissance, qui n’a pas encore été publié dans une revue à comité de lecture, et qui utilise une méthodologie plus rigoureuse. Il est de Ben Hansen, de l’Université de l’Oregon, et il n’a pas observé de lien lui non plus. N’oubliez pas que c’est encore assez tôt. En ce qui a trait aux conséquences sur la santé, nous devons examiner ce qui se passe non seulement à court terme, mais aussi à long terme, mais il est encore très tôt pour tirer des conclusions.
La sénatrice Poirier : Ma question s’adresse à Mme Madras. Le gouvernement a justifié sa décision de légaliser le cannabis en disant qu’elle empêcherait les jeunes de s’en procurer. En fait, Bill Blair, secrétaire parlementaire de la ministre de la Santé, a témoigné devant notre comité. C’est lui qui s’occupait du projet de loi. Il est venu devant notre comité il y a quelques semaines et il a dit que l’objectif de la légalisation était d’éliminer la consommation chez les jeunes. Est-ce que l’expérience des États américains qui ont légalisé le cannabis confirme cette théorie? Est-ce une observation réaliste?
Dre Madras : C’est tout à fait irréaliste, et en voici quelques-unes des raisons. L’élimination de la vente de marijuana aux jeunes n’empêche pas nécessairement les jeunes d’avoir accès à la marijuana. Par exemple, si les parents consomment de la marijuana et si les frères et sœurs plus âgés en consomment, qu’est-ce qui les empêchera de partager de la marijuana entre eux? Qu’est-ce qui va empêcher la banalisation de sa consommation dans la famille? Rien n’indique que cela changera quoi que ce soit.
Rien n’indique que la consommation de marijuana diminue de facto chez les jeunes. Les tendances observées vont dans le sens contraire. La consommation a plutôt augmenté. Nous avons observé un ralentissement jusqu’en 2007. En fait, entre 18 à 24 p. 100 des jeunes ont consommé de la marijuana alors qu’elle était illégale dans tous les États entre 2002 et 2007, selon deux enquêtes différentes. La première était de la NTF et l’autre, de la NSDA. Le retour de la normalisation et de la permissivité au sein du gouvernement fédéral a entraîné une augmentation en flèche de la consommation chez les jeunes. La consommation a augmenté, et nous avons perdu tous les gains que nous avions faits pendant cette période.
J’ai l’impression qu’en légalisant la drogue, nous contribuons à la perception chez les jeunes — j’ai des données à ce sujet ici — qu’elle est sans danger, qu’elle n’est pas nocive et que la perception de ses effets nocifs ira en diminuant.
L’excuse selon laquelle il n’y aura pas de ventes directes aux jeunes est la même que celle qui est invoquée pour l’alcool et le tabac. Il faut avoir plus de 18 ans pour acheter de l’alcool et plus de 21 ans pour acheter du tabac, mais cela n’a jamais empêché les jeunes d’avoir accès à ces substances.
La sénatrice Omidvar : Ma question s’adresse à Mme Madras et fait suite à vos observations sur l’alcool et le tabac. Croyez-vous que l’alcool et le tabac sont plus ou moins dangereux que le cannabis?
Dre Madras : On m’a probablement posé cette question 50 fois. J’ai l’impression qu’on ne peut pas les comparer. Si vous prenez les taux de mortalité dans l’ensemble, la consommation sur une longue période de tabac chez nous, aux États-Unis, tue environ 380 000 personnes, mais c’est à très long terme. Il faut de nombreuses années avant que les maladies cardiovasculaires et le cancer surviennent en raison du tabagisme.
À court terme, le tabac n’a pas d’effet enivrant. Si un pilote de ligne fumait un joint de marijuana une heure avant le vol, je descendrais de l’avion et j’attendrais qu’un autre pilote monte à bord. S’il fumait une simple cigarette, je n’aurais aucune crainte.
Les comparaisons directes dépendent des paramètres dont vous tenez compte. La marijuana en soi ne tue pas. Si vous examinez l’état psychiatrique des personnes atteintes de troubles liés à la consommation de marijuana, vous constatez qu’elles ont une surabondance d’autres problèmes psychiatriques. Outre les troubles liés à la consommation de marijuana, de nicotine, d’alcool et d’autres drogues, elles sont beaucoup plus susceptibles de présenter des troubles bipolaires, de schizophrénie et de dépression. Il n’en va pas de même pour les autres drogues.
C’est donc dire que si vous observez le taux de mortalité, vous constaterez des différences évidentes. Si vous tenez compte d’autres paramètres de conséquences négatives, il est très difficile d’établir des comparaisons. Les conséquences sont différentes.
La sénatrice Omidvar : Ne diriez-vous pas que l’alcool mène directement à des comportements violents, alors que je n’ai pas entendu dire que le cannabis entraînait des comportements violents?
Dre Madras : Il y a de plus en plus de preuves que la psychose provoquée par le cannabis mène à la violence et que le sevrage du cannabis peut entraîner une augmentation de la violence. Ces données sont très récentes. Cela ne fait que commencer, mais je ne dirais pas qu’il n’y a pas de preuve dans ce cas-ci. Les preuves commencent à s’accumuler.
Le président : La séance est terminée. Je tiens à remercier nos quatre témoins qui nous ont présenté divers points de vue, sans parler des différentes statistiques. Je remercie mes collègues de leurs questions.
Pour notre deuxième groupe de témoins, je suis heureux d’accueillir nos collègues, la présidente et le vice-président du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense, la sénatrice Boniface et le sénateur Dagenais, qui sont venus nous présenter leur exposé. Je vous demanderais de limiter votre exposé à 10 minutes. S’il est plus court, c’est tant mieux. Nous passerons ensuite aux questions de nos collègues réunis autour de la table.
L’honorable Gwen Boniface, présidente, Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense : Honorables sénateurs, je vous remercie de me donner l’occasion de présenter un compte rendu de notre rapport sur le projet de loi C-45, Loi concernant le cannabis et modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, le Code criminel et d’autres lois.
Comme vous le savez, le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense a été autorisé par le Sénat à examiner la teneur du projet de loi C-45 dans la mesure où il concerne les frontières du Canada. Dans nos remarques cet après-midi, nous allons vous présenter un compte rendu du rapport que vous avez maintenant devant vous.
Lors des réunions du 19 mars, 26 mars et 16 avril 2018, 13 témoins ont comparu devant le comité pour s’exprimer au sujet du projet de loi C-45. Dans le rapport, le comité a soumis les recommandations suivantes afin de minimiser tout effet négatif du projet de loi C-45 sur le passage des voyageurs et des biens à la frontière.
En termes de nos objectifs, le comité souhaite éviter autant que possible que les voyageurs canadiens soient interrogés ou fouillés davantage par les douaniers américains à la suite de la légalisation du cannabis au Canada. Le comité veut aussi éviter, dans la mesure du possible, qu’il y ait une augmentation du nombre de voyageurs canadiens et américains arrêtés à la frontière pour possession de cannabis.
Le comité a entendu l’avis de témoins qui estiment que, à la suite de l’entrée en vigueur du projet de loi C-45, les Canadiens pourraient faire face à des délais et un plus grand nombre de voyageurs canadiens pourraient faire face à des procédures judiciaires. Des témoins ont aussi mentionné que les Canadiens pourraient se voir interdire l’entrée aux États-Unis à vie en lien avec des infractions liées au cannabis, ou simplement pour avoir admis à un agent des douanes américain avoir déjà consommé du cannabis.
Afin de prévenir ces problèmes, le comité encourage le gouvernement canadien à avoir des discussions formelles avec le gouvernement américain afin de clarifier sa position en ce qui concerne les voyageurs canadiens qui admettent avoir déjà consommé du cannabis. Plus précisément, le comité encourage le gouvernement à avoir des discussions formelles au niveau politique afin de clarifier si les Canadiens qui admettent avoir déjà consommé du cannabis feront face à une interdiction de territoire aux États-Unis si le projet de loi C-45 est adopté. Si oui, le comité encourage le gouvernement à communiquer clairement aux autorités américaines qu’à la suite de l’entrée en vigueur du projet de loi C-45, les voyageurs canadiens ne devraient pas se voir interdire l’entrée aux États-Unis pour des activités qui seront désormais légales au Canada.
Le comité encourage le gouvernement à poursuivre son dialogue avec le gouvernement américain et à communiquer clairement et fermement la position canadienne afin de minimiser l’impact du projet de loi C-45 sur les voyageurs canadiens. Ce dialogue pourrait aussi servir à trouver des solutions aux enjeux et problèmes qui pourraient survenir à la frontière à la suite de l’entrée en vigueur du projet de loi C-45.
Dans le cadre de ce dialogue avec les États-Unis, le comité encourage le gouvernement à négocier une entente avec les États-Unis afin d’encadrer le traitement des voyageurs à la frontière sur les questions liées au cannabis. Cette entente pourrait notamment clarifier le type de questions que les douaniers des deux pays posent aux voyageurs sur les questions liées au cannabis. Nous croyons que ces questions devraient refléter le fait que la consommation de cannabis sera légale au Canada et qu’elle l’est déjà dans plusieurs états américains. Cet accord bilatéral pourrait aussi protéger les travailleurs des entreprises canadiennes dans le secteur du cannabis afin de s’assurer que les employés de ces entreprises ne se voient pas interdire l’entrée aux États-Unis parce qu’ils sont « associés au trafic de drogue », comme l’indique la loi américaine actuelle.
En ce qui concerne la campagne de sensibilisation, le comité encourage le gouvernement à augmenter la portée de sa campagne. L’objectif serait de communiquer clairement aux Canadiens que traverser la frontière entre le Canada et les États-Unis en possession de cannabis demeurera illégal même si le projet de loi C-45 entre en vigueur. Cette campagne de sensibilisation devrait aussi expliquer clairement aux Canadiens qu’ils pourraient se voir refuser l’accès aux États-Unis s’ils indiquent avoir déjà consommé du cannabis.
Une telle campagne de sensibilisation sera lancée bientôt, mais le comité croit que des efforts additionnels devront être faits dans les prochains mois. Par exemple, le comité croit que des campagnes de sensibilisation additionnelles, une ciblant les jeunes et l’autre ciblant les candidats ou membres des programmes pour voyageurs dignes de confiance, devraient être mises en place étant donné les vulnérabilités uniques de ces groupes.
[Français]
L’honorable Jean-Guy Dagenais, vice-président, Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense : Honorables sénateurs, en ce qui concerne l’affichage aux postes frontaliers, le comité encourage le gouvernement à installer des panneaux aux postes frontaliers et aux sites de précontrôle qui indiquent clairement aux voyageurs qu’il demeure illégal de traverser la frontière canado-américaine avec du cannabis.
Les témoins de Sécurité publique Canada ont indiqué au comité que de telles affiches seraient installées à la frontière. Le comité encourage le gouvernement à s’assurer que l’installation des affiches soit effectuée avant l’entrée en vigueur du projet de loi C-45. Les voyageurs doivent être conscients des conséquences auxquelles ils s’exposent s’ils tentent de traverser la frontière canado-américaine avec du cannabis.
Le comité s’est aussi penché sur les effets du projet de loi C-45 sur le système de précontrôle. À ce sujet, le comité encourage le gouvernement à moderniser les mesures de précontrôle à la lumière du projet de loi C-45. En vertu de la Loi relative au précontrôle de personnes et de biens au Canada et aux États-Unis, les voyageurs sont tenus de répondre véridiquement à toute question que leur pose un douanier américain. Cela signifie que les Canadiens qui se soumettent au précontrôle doivent répondre véridiquement à toute question sur leur utilisation de cannabis.
Aux postes douaniers réguliers, les voyageurs qui refusent de répondre à ce type de question peuvent se voir refuser l’accès aux États-Unis, mais ils ne s’exposent pas à une interdiction à vie ou à des peines d’emprisonnement. Par contre, les voyageurs qui refusent de répondre à des questions posées dans une zone de précontrôle s’exposent à des peines allant jusqu’à deux ans d’emprisonnement, dans la mesure où ils entravent volontairement un contrôleur, un policier ou un agent des services frontaliers dans l’exercice de leurs fonctions. Le comité encourage le gouvernement à moderniser la Loi relative au précontrôle de personnes et de biens au Canada et aux États-Unis à la lumière du projet de loi C-45.
Enfin, le comité demande au gouvernement de déposer devant le Parlement un plan de protection des voyageurs canadiens à la frontière. Ce plan devrait expliquer les mesures que le gouvernement compte prendre afin de minimiser les effets du projet de loi C-45 sur le passage des voyageurs et des biens à la frontière canado-américaine. Selon le comité, ce plan devrait également expliquer l’approche que le gouvernement compte adopter lors des négociations avec les États-Unis pour faire en sorte que les voyageurs canadiens ne se voient pas refuser l’entrée aux États-Unis pour avoir pris part à toute autre activité qui serait légale à la suite de l’adoption du projet de loi C-45.
Chers collègues, voilà les éléments principaux de notre rapport. Nous croyons que si le gouvernement accepte ces recommandations, les voyageurs canadiens auront moins de chances de faire face à des problèmes à la frontière, puisqu’ils comprendront mieux leurs droits et leurs obligations. Le comité recommande un dialogue de haut niveau entre le Canada et les États-Unis, ce qui permettra aux deux pays de préparer le terrain pour la légalisation du cannabis au Canada et de trouver des solutions aux enjeux et problèmes qui pourraient survenir à la frontière à la suite de l’entrée en vigueur du projet de loi C-45. Prises ensemble, ces recommandations permettront de minimiser les délais pour les voyageurs et les biens à la frontière.
Nous serons maintenant heureux de répondre à vos questions au sujet de ce rapport.
[Traduction]
Le président : Merci beaucoup. Nous allons maintenant passer aux questions. Je pense qu’une période de cinq minutes devrait convenir pour les questions et les réponses, chers collègues. Nous allons commencer par les vice-présidentes.
La sénatrice Seidman : Chers collègues, je vous remercie infiniment de votre présence parmi nous aujourd’hui, et je vous remercie, vous et les membres du comité, de tout le travail que vous avez accompli pour venir témoigner et faire des recommandations à notre comité.
Le rapport de votre comité indique que le gouvernement canadien doit agir rapidement pour clarifier la position du gouvernement des États-Unis sur les voyageurs canadiens et la consommation de cannabis. D’après les renseignements fournis à votre comité par Affaires mondiales, Sécurité publique, l’Agence des services frontaliers du Canada et la Gendarmerie royale du Canada, où en sont les discussions avec leurs homologues américains, et a-t-on fixé des échéanciers ou des dates limites pour les discussions sur le cannabis et la frontière?
[Français]
Le sénateur Dagenais : Des témoins de la GRC, de l’Agence des services frontaliers et d’Affaires mondiales ont affirmé qu’ils sont en discussion avec leurs homologues américains. Cependant, on n’a pas été en mesure d’obtenir des réponses claires sur les résultats de leurs discussions. C’est la raison pour laquelle on a indiqué dans notre rapport qu’on encourage fortement le gouvernement à poursuivre les discussions. Jusqu’à présent, on n’a pas obtenu de réponses claires de la part des différents organismes de sécurité.
Il faut toujours garder à l’esprit que les États-Unis sont un État souverain et que les lois fédérales concernant la frontière américaine seront exécutées. On exige — le mot est peut-être un peu fort — que le gouvernement canadien intensifie ses efforts pour que les Canadiens puissent obtenir des réponses claires avant de traverser la frontière s’ils admettent avoir fumé de la marijuana ou en avoir en leur possession.
[Traduction]
La sénatrice Boniface : J’ai une citation devant moi. Lorsque le ministre Goodale a témoigné, il a dit : « Ce sujet revient dans pratiquement toutes nos conversations. » Pour en revenir au point soulevé par le sénateur Dagenais, il était difficile d’avoir une meilleure idée de l’état de progression de cette conversation, et l’on ne s’attend pas à ce qu’il soit bien défini de toute façon.
La sénatrice Seidman : Si je vous comprends bien, ce sujet revient dans toutes leurs conversations, mais dans quelle mesure ces discussions sont-elles structurées et quels sont les échéanciers? Y a-t-il des échéanciers ou des dates limites, par exemple, pour conclure une entente avant l’entrée en vigueur de la loi?
La sénatrice Boniface : Nous n’avons pas obtenu ce genre de détails. C’est la raison pour laquelle nous précisons dans notre rapport que nous estimons qu’il serait utile de mettre en place un plan, et nous avons aussi indiqué qu’il devrait être déposé au Parlement. Il y a des discussions en cours, mais nous n’avons pas été en mesure d’établir clairement où elles en sont.
La sénatrice Seidman : Au point 7 de vos recommandations, vous dites que votre « comité demande au gouvernement de déposer devant le Parlement un plan pour protéger les voyageurs canadiens à la frontière. Ce plan devrait expliquer les mesures que le gouvernement compte prendre afin de minimiser » — et ainsi de suite. Vous nous l’avez lu. Pensez-vous que ce plan devrait être déposé avant l’entrée en vigueur de cette loi?
[Français]
Le sénateur Dagenais : Sénatrice Seidman, l’idéal serait que ce plan soit déposé avant l’adoption du projet de loi. Il ne faut pas oublier que des milliers de Canadiens traversent la frontière américaine. Souvent, les Canadiens croient à tort que, parce que la marijuana est légalisée dans cinq États, ils pourront circuler librement. Me Sanders, un avocat spécialisé en immigration, gère des dossiers aux États-Unis et au Canada. Il nous expliquait la situation de la Colombie-Britannique qui est limitrophe à l’État de Washington où la marijuana est légalisée. Il faut comprendre que les frontières relèvent de la juridiction fédérale. Les Canadiens doivent savoir que, même si le cannabis est légalisé à Vancouver, ils ne pourront pas traverser les douanes librement pour se rendre à Washington.
De plus, lorsqu’un voyageur arrive aux douanes américaines, il se fait souvent demander à quel endroit il va séjourner, pendant combien de temps et quel montant d’argent il a en sa possession. On peut aussi lui demander s’il fume du cannabis. S’il répond oui, les douaniers pourraient présumer qu’il ira en acheter aux États-Unis. Cela place les Canadiens en état de vulnérabilité. C’est pourquoi il est très important que le gouvernement canadien poursuive ses discussions avec ses homologues américains afin d’obtenir des réponses claires, nettes et précises pour que les Canadiens fassent preuve de prudence.
[Traduction]
La sénatrice Petitclerc : Tout d’abord, je vous remercie beaucoup d’être venus et de nous consacrer de votre temps.
Je voudrais savoir si, en écoutant vos différents témoins, vous vous êtes fait une idée des risques et des difficultés auxquels font face les Canadiens qui, par exemple, répondent par l’affirmative lorsqu’on leur demande s’ils consomment du cannabis. J’essaie de comprendre l’ampleur du problème ou des risques que cela pourrait causer ainsi que des conséquences que ces Canadiens subiront. Avez-vous entendu parler de ces problèmes?
La sénatrice Boniface : Je demanderai au sénateur Dagenais de compléter ma réponse, mais un des témoins, qui est avocat de la défense dans un cabinet qui traite de nombreux cas de ce genre, nous a dit qu’il reçoit à peu près deux fois par semaine des clients qui lui présentent cette situation. Si vous pensez au nombre de personnes qui passent la frontière chaque semaine, ce chiffre vous donnera une petite idée. De nombreux témoins nous ont répondu qu’on ne leur avait jamais posé cette question. C’est plus difficile.
L’autre observation importante est le fait de ne pas avoir pu obtenir d’information sur le point de vue opposé dans l’État de Washington, où le cannabis est légal, et de la frontière de la Colombie-Britannique. Nous n’avons trouvé aucune indication, et je crois même que les gens n’y pensaient pas. Cette observation était aussi très intéressante.
[Français]
Le sénateur Dagenais : J’aimerais ajouter une précision à la réponse de la sénatrice Boniface. L’année dernière, je suis allé au Colorado dans le cadre d’une mission de l’Association parlementaire Canada-États-Unis. La marijuana est légalisée dans cet État. On a appris que ce n’est pas parce qu’on achète de la marijuana dans un État où la marijuana est légalisée qu’on peut se permettre de se promener librement aux États-Unis. On peut se faire intercepter dans un autre État américain. Parmi les États américains, 51 sont souverains, et on peut se faire arrêter pour y avoir transporté de la marijuana illégalement. De là l’importance d’obtenir des réponses claires, nettes et précises.
On exhorte le gouvernement canadien et le ministre Goodale à sensibiliser davantage les Canadiens à cette réalité. On nous dit qu’il y aura des affiches aux frontières. Vous savez très bien que lorsqu’on traverse la frontière et qu’on arrive aux douanes, on peut être accompagné d’un adolescent ou d’une personne qui est en possession de cannabis. Il faut prendre conscience du fait que la légalisation de la marijuana met en danger les Canadiens qui voyagent régulièrement. Je dis « elle met en danger » parce que, par exemple, les utilisateurs de cartes NEXUS qui admettent avoir fumé du cannabis peuvent se faire confisquer leur carte. De plus, le gouvernement américain pourrait refuser de renouveler la carte d’une personne qui aurait déclaré deux ans auparavant avoir fumé du cannabis. On doit donc obtenir des réponses claires pour assurer la sécurité des Canadiens.
La sénatrice Petitclerc : Cela dit, sénateur Dagenais, selon vous, est-ce qu’on a déjà amorcé des campagnes de sensibilisation pour s’assurer que les Canadiens sont bien informés et qu’ils pourront prendre des décisions judicieuses?Sinon, si ce n’est pas suffisant, cela fera-t-il partie de vos recommandations?
Le sénateur Dagenais : Écoutez, je suis l’actualité avec attention et, jusqu’à maintenant, je n’ai pas constaté de campagnes de sensibilisation qui informeraient les Canadiens des risques liés au passage aux États-Unis à la suite de l’adoption de ce projet de loi. J’espère qu’on va commencer à en voir bientôt, de préférence avant l’adoption du projet de loi. Il s’agit de la frontière la plus longue avec nos voisins américains, et cette situation vise des milliers et des milliers de Canadiens.
Le maire de Windsor est venu témoigner devant notre comité, et il est très inquiet. Il y a cinq postes frontaliers dans la ville de Windsor; pour lui, c’est une inquiétude. Cela relève aussi du commerce avec Detroit. On ne parle pas seulement des visiteurs, mais des gens qui font des affaires entre Detroit et Windsor, notamment ceux qui conduisent des camions de livraison. Si une livraison de pièces automobiles doit être effectuée à Detroit et que le chauffeur admet avoir fumé du pot, celui-ci sera retardé de plusieurs heures pour subir une inspection. Je ne veux pas devancer vos questions, mais j’ai posé cette question. On nous a dit que le fait de retarder un camion coûte environ 100 $ l’heure. Si vous êtes retardé pendant cinq heures, ça coûtera 500 $ et la facture sera refilée aux consommateurs.
Comprenez-vous l’importance de sensibiliser les gens et de les mettre au courant de ce qui peut se passer une fois le projet de loi C-45 adopté?
[Traduction]
La sénatrice Boniface : En repassant le témoignage du ministre, je vois qu’il fait des plans pour installer des panneaux aux points d’entrée et pour mener des campagnes de sensibilisation. L’ASFC a indiqué qu’elle obtiendrait un financement d’environ 40 millions de dollars sur cinq ans pour améliorer ses systèmes.
Le président : J’aurais besoin d’un petit éclaircissement. Les gens savent-ils que les agents américains des douanes posent ce type de question d’une manière ou d’une autre, comme : « Fumez-vous du pot? Avez-vous déjà fumé du pot? » Avons-nous des preuves indiquant qu’ils posent ces questions?
La sénatrice Boniface : J’étais absente quand ces témoins ont comparu, mais le seul exemple dont j’ai entendu parler est celui de cet avocat qui reçoit, à peu près deux fois par semaine, des clients qui ont dû répondre à ces questions.
Le président : Que l’on pose cette question non pas à une personne ayant un casier judiciaire pour possession ou autre, mais simplement : « Avez-vous déjà consommé du cannabis ou fumé du pot? » Quelle qu’en soit la forme, savons-nous si les agents posent cette question aux douanes?
La sénatrice Boniface : Je crois qu’il faudrait se mettre dans la peau de l’agent américain des douanes et savoir de quelle information il dispose quand il pose cette question, mais c’est une question que ces agents risquent de poser.
Le président : Je suppose qu’ils peuvent le faire, en effet. Mais avons-nous des preuves indiquant qu’ils le font, ou parlons-nous seulement d’une éventualité?
La sénatrice Boniface : Non. D’après le témoignage de l’avocat qui représente ces clients, il s’occupe au moins deux fois par semaine de personnes à qui les agents américains ont posé cette question.
Le président : Je comprends.
Le sénateur Pratte : Il semble être bien difficile de savoir quelles politiques et quelles intentions les États-Unis appliquent à leurs frontières. D’après les témoignages que vous avez entendus, d’où vient ce problème? Est-ce que le gouvernement américain n’a pas établi de politique sur ses frontières au sujet de la légalisation du cannabis au Canada? Ou alors, est-ce qu’il a établi une politique, en a parlé au gouvernement canadien, mais celui-ci ne veut pas la dévoiler aux Canadiens? Quelle est votre impression? Il est incroyable que nous, les parlementaires, ayons essayé pendant des mois de comprendre la politique américaine à ce sujet sans réussir à obtenir de précisions.
La sénatrice Boniface : J’ai l’impression que les Américains n’ont pas encore pris position sur cette question. D’après tout ce que j’ai entendu, je pense qu’ils se considèrent comme un pays souverain et qu’ils ont décidé de faire les choses à leur façon. Je ne pense pas que ce soit une question de savoir s’ils y voient un problème. Je ne pense pas que nous sachions s’ils y voient un problème. Je soupçonne que d’autres priorités entrent en ligne de compte. Ils s’intéressent autant aux Canadiens qui voyagent aux États-Unis et aux marchandises qui entrent dans leur pays que toutes les autres nations. Ils participent au dialogue, mais je ne sais pas s’ils sont prêts à prendre position.
Le sénateur Pratte : On s’attendrait à ce qu’ils prennent position un de ces jours et qu’ils envoient une directive à leurs agents des douanes les informant que le cannabis sera légalisé au Canada à partir du 1er octobre et leur indiquant de quelle manière traiter les citoyens canadiens dorénavant. Je ne sais pas.
La sénatrice Boniface : J’ai justement mené cette discussion avec un témoin. Je lui ai demandé ce qu’il ferait s’il dirigeait l’agence. On s’attendrait à ce que le gouvernement informe ses agents de la légalisation du cannabis et de la nouvelle politique canadienne. Cependant, il faut être réaliste; cette agence est immense, et les agents se comporteront en fonction de l’information dont ils disposeront et des mesures qu’ils jugeront adéquates. Si vous amenez du cannabis avec vous, vous faites malgré tout de l’exportation et de l’importation. Il leur sera toujours très important de surveiller cela.
Le sénateur Pratte : Votre comité recommande au gouvernement canadien de négocier une entente avec les États-Unis. Vous recommandez aussi que nous examinions les dispositions sur le précontrôle de la loi que nous venons d’adopter il y a quelques mois afin de négocier aussi sur cette question avec les États-Unis. Vos témoins vous ont-ils donné l’impression d’être prêts à négocier de telles ententes?
La sénatrice Boniface : Non. Il nous a semblé évident que les témoins américains ne comparaissent jamais devant des comités. Notre recommandation visait plutôt à encourager le dialogue pour que les Canadiens sachent à quoi s’en tenir. Cependant, nous leur avons fait comprendre très poliment que nous considérons les États-Unis comme un État souverain qui peut agir comme il le désire. Tout ce que le gouvernement canadien peut faire est de continuer à dialoguer afin qu’ils sachent que le Canada a légalisé le cannabis en espérant qu’ils désirent autant que nous traiter les citoyens de manière équitable.
Comme vous le verrez dans l’une de nos recommandations, dans le cadre de certaines de nos discussions, nous avons également pu parler de la surveillance et de la capacité de repérer des situations particulières. C’est pourquoi j’ai posé à plusieurs témoins la question au sujet de la frontière entre l’État de Washington et la Colombie-Britannique. Avons-nous considéré la situation de leur point de vue? Aurions-nous pu en tirer une leçon? Pourrions-nous adapter certains processus? Les témoins n’en savaient rien.
Le sénateur Pratte : Merci beaucoup.
La sénatrice Raine : Merci pour ce rapport. Je l’ai étudié, mais vous n’y présentez pas de recommandations précises. En auriez-vous à nous donner pour que nous les intégrions dans notre rapport, ou préférez-vous que nous y fassions un résumé de ce que vous nous dites aujourd’hui?
La sénatrice Boniface : Je crois que vous pouvez reprendre notre rapport. Notre principale préoccupation était la poursuite du dialogue, et la suivante était le besoin de mener des campagnes de sensibilisation auprès des Canadiens.
Le sénateur Dagenais a choisi l’excellent exemple de la monnaie. Les Canadiens ont appris qu’ils ne peuvent pas apporter à l’étranger plus d’un certain montant d’argent. Comment avons-nous réussi à leur enseigner cela? Inspirons-nous par exemple d’un processus similaire qui vise particulièrement les jeunes et les détenteurs de cartes NEXUS.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Lorsque vous traversez les douanes, et on l’a tous fait à un moment donné, on est un peu à la merci du douanier américain. Il a le droit de nous poser toutes les questions qu’il juge importantes. Le ministre Goodale a été très clair, il a dit que, pour l’instant, traverser les douanes américaines avec de la marijuana, c’est défendu. Si, pour une raison quelconque, on vous demande si vous fumez ou si vous avez déjà fumé de la marijuana... On a la chance d’avoir deux anciens policiers parmi nous aujourd’hui. Je ne sais pas si vous avez déjà senti l’odeur de la marijuana. Lorsque j’étais policier et que mon patron me demandait d’aller saisir une plantation de cannabis, ce n’était pas une tâche qui me plaisait. Mes vêtements restaient imprégnés de cette odeur pendant deux, trois ou quatre jours. Parfois, il fallait les faire nettoyer ou tout simplement les jeter. Imaginez un Canadien qui fume de la marijuana légalement et qui, le lendemain matin, traverse les douanes américaines. Il est certain que le douanier lui demandera s’il fume de la marijuana, car il décèlera l’odeur sur ses vêtements. C’est à la discrétion des douaniers américains.
C’est pourquoi, dans notre rapport, nous encourageons fortement le gouvernement à adopter une politique claire : s’il n’y a pas d’entente avec les Américains, les Canadiens doivent être très prudents. Il faut également penser à ceux qui ne fument pas et qui ne consomment pas de marijuana. Imaginez que vous vous faites arrêter aux frontières américaines pour une seconde inspection. Cela peut causer des retards importants aux douanes. Chaque retard aux douanes entraîne des coûts. De là l’importance de poursuivre les discussions avec le gouvernement. À l’heure actuelle, l’administration américaine n’autorise personne en possession de marijuana à traverser les douanes.
J’ai eu le privilège de rencontrer un représentant de l’ambassade des États-Unis. Il m’a dit qu’il n’y a pas d’entente pour l’instant. Donc, toute personne en possession de marijuana ne peut traverser les douanes. Cela nous indique que le gouvernement doit continuer à mener des discussions très sérieuses avec les autorités américaines.
[Traduction]
La sénatrice Raine : Merci. Je comprends tout à fait. En fin de compte, si un voyageur a déjà fumé de la marijuana ou consommé des produits du cannabis et que l’agent des douanes lui pose la question, si le voyageur répond en disant la vérité, il subira des conséquences sur-le-champ. Il pourra en subir les conséquences.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Les témoins qui sont venus nous rencontrer ont été très clairs. On n’a pas intérêt à mentir quand on traverse les douanes. Les douaniers peuvent le savoir d’une manière ou d’une autre. Si on vous demande si vous en avez déjà fumé, vous avez intérêt à dire la vérité. Vous en subirez ensuite les conséquences.
[Traduction]
La sénatrice Raine : D’après l’expérience de votre comité, avez-vous une idée du temps qu’il faudrait pour faire adopter un accord sur cette question par le gouvernement américain?
La sénatrice Boniface : Non.
La sénatrice Raine : J’ai bien l’impression que nous n’y parviendrons pas avant cet été.
La sénatrice Boniface : Rien ne nous a indiqué que les États-Unis s’y intéressent. Il faut être deux pour signer une entente.
La sénatrice Raine : En effet. Merci beaucoup.
Le sénateur Manning : Je remercie nos témoins et leur comité pour le travail qu’ils ont accompli. J’ai passé rapidement à travers votre rapport, et vous n’y proposez aucun amendement au projet de loi. Vous ne présentez que des recommandations.
Vers le milieu de votre deuxième recommandation, vous affirmez que les voyageurs canadiens ne devraient pas être refoulés aux douanes des États-Unis pour des activités qui sont légales au Canada, comme de consommer du cannabis ou de travailler pour une entreprise qui en produit légalement. Avez-vous entendu des témoignages à ce sujet? Nous avons surtout parlé de voyageurs qui ont fumé du cannabis ou autre, mais c’est la première fois que j’entends parler de la situation des voyageurs qui travaillent légalement pour une entreprise. Il est possible que ces personnes n’aient jamais consommé elles-mêmes de la marijuana. En avez-vous discuté aussi? Je me demande ce qui a déclenché cette discussion. Voilà une nouvelle préoccupation que je n’avais pas avant d’entendre votre témoignage aujourd’hui.
La sénatrice Boniface : La loi américaine contient une disposition à ce sujet. Je crois l’avoir mentionnée en parlant du trafic de drogue. Je me demandais justement de quelle manière les agents américains interpréteraient le fait qu’un voyageur travaille légalement dans une entreprise de production de cannabis. Si son emploi est illégal dans leur pays, ce voyageur participe à une activité illégale et fait du trafic de drogue. Voilà donc la distinction : son emploi est légal d’un côté de la frontière et illégal de l’autre côté.
Le sénateur Manning : Est-ce que des témoins ont soulevé cette question devant votre comité? D’où vous vient cette préoccupation?
La sénatrice Boniface : Les témoins l’ont simplement mentionnée parmi les enjeux que le gouvernement devrait considérer. En réalité, le Canada permet la consommation de cannabis médicinal depuis assez longtemps, et bien des personnes qui travaillent dans ce domaine passent régulièrement la frontière. Ils nous ont souligné que 30 ou 31 États, si je ne m’abuse, ont déjà légalisé le cannabis médicinal. Je pense donc que les États-Unis commencent à interpréter ces situations d’une manière différente.
Le sénateur Manning : Parlons un peu de la campagne de sensibilisation. Avez-vous eu l’impression que le gouvernement la prépare et produit de la documentation? On parle de poser des pancartes. Il faudra beaucoup de temps pour déterminer le contenu de cette campagne. Est-ce que certains témoins vous ont donné l’impression que le gouvernement s’y prépare et que cette campagne sera prête, sinon exactement à l’adoption de la loi, tout au moins peu de temps après?
La sénatrice Boniface : Le ministre a témoigné à ce sujet. Il nous a dit que l’ASFC se prépare à afficher des pancartes aux points d’entrée pour indiquer les restrictions et surtout pour que les Canadiens comprennent qu’une fois de l’autre côté de la frontière, ils seront considérés comme des exportateurs s’ils transportent de la marijuana. Ces pancartes décriront clairement la situation. Le ministre a ajouté qu’elles font partie de sa stratégie et qu’elles seront posées aux frontières.
Le sénateur Manning : Il faut être deux pour discuter de ces choses et pour s’entendre. Je suppose que vous nous dites que ces deux parties n’en discutent pas à l’heure actuelle.
La sénatrice Boniface : Au contraire, le ministre nous a dit qu’il participe à presque toutes les discussions. Nous n’avons toutefois pas réussi à obtenir, et peut-être à juste titre, de renseignements plus précis sur les progrès de ces discussions et sur l’atteinte d’une sorte d’entente officielle.
La sénatrice Omidvar : Je vous remercie tous deux d’être venus et d’avoir travaillé si fort sur cet enjeu.
Le témoignage que Lorne Waldman a présenté à votre comité était intéressant. Je vais le paraphraser; il me semble qu’il vous a dit qu’il serait plus facile pour le Canada de régler les problèmes liés au passage des frontières une fois que le cannabis serait légalisé. En effet, le Canada disposerait d’arguments juridiques et moraux plus solides pour s’opposer à une interdiction d’entrée aux États-Unis, peut-être même à vie. Quelle a été la réponse de votre comité à cette façon de penser? Vous pourriez peut-être tous deux répondre à cette question?
[Français]
Le sénateur Dagenais : Je le répète : les États-Unis sont un pays souverain. Je ne pense pas que ce sera plus facile d’appliquer les lois avec la légalisation du cannabis. Ce qui est préoccupant, c’est que la seule réponse claire qu’on a obtenue du ministre est que des affiches seront installées aux postes frontaliers pour informer les Canadiens qu’ils n’ont pas le droit de traverser les douanes s’ils sont en possession de marijuana. Même si c’est légal du côté du Canada, je ne crois pas que cela y changera quelque chose.
D’ailleurs, l’administration américaine fédérale qui gère les frontières a été très claire : elle ne tolérera pas que des Canadiens en possession de marijuana traversent les douanes. Il faut faire attention, parce que les Canadiens, parfois, ne font pas nécessairement la différence entre la souveraineté d’un État américain et les frontières qui relèvent de l’administration fédérale. Malgré le fait que les discussions se poursuivent entre le ministère de la Sécurité publique et l’Agence des services frontaliers, on n’obtient pas de réponse sans équivoque quant au sort des Canadiens une fois le projet de loi adopté. La seule réponse claire, c’est qu’il y aura des affiches aux postes frontaliers pour avertir les Canadiens de ne pas traverser la frontière avec de la marijuana. Est-ce que ce sera suffisant? On verra. En ce moment, rien n’est clair de l’autre côté de la frontière.
[Traduction]
La sénatrice Boniface : Me Waldman était un bon témoin, comme il fallait s’y attendre. Je pense qu’il voulait dire qu’une fois le cannabis légalisé, nous pourrions faire face à nos homologues américains en leur demandant pourquoi ils pénalisent les Canadiens pour une activité qui est légale au Canada. Ils ne l’exportent pas et ne le transportent pas dans leurs poches, ce qui serait absolument interdit, mais ils se font accuser d’une activité qui est permise par la loi au Canada. C’est l’argument qui renforce notre position.
La sénatrice Omidvar : Je vais très souvent aux États-Unis et, comme je vis au Canada depuis de nombreuses années, j’ai appris à ne pas amener d’aliments aux États-Unis, parce que c’est interdit. D’autres pays permettent que nous le fassions. Je suppose qu’avec le temps, ces pancartes… Nous ne parlons pas de quantités énormes, il suffit d’une pomme ou deux ou autre.
Avez-vous examiné la question de l’angle opposé? Le cannabis est légal dans neuf États, et de nombreux autres États l’ont décriminalisé. À l’heure actuelle, le cannabis n’est pas légal au Canada. Quelles questions posons-nous aux Américains qui se rendent à leurs chalets en Nouvelle-Écosse ou en Colombie-Britannique?
[Français]
Le sénateur Dagenais : Si je peux me le permettre, sénatrice Omidvar, vous l’avez clairement exprimé. Vous voyagez régulièrement aux États-Unis — moi aussi, d’ailleurs —, et il est interdit de traverser la frontière avec de la nourriture. Les tomates sont légales au Canada et aux États-Unis, mais n’essayez pas de traverser avec une tomate au poste frontalier. J’ai déjà vécu l’expérience, et je ne le ferai plus. On parle d’une simple tomate. Alors, imaginez avec de la marijuana. Votre humble serviteur a pu renouveler sa carte NEXUS, mais, dans mon cas, on m’avait bien averti de ne plus traverser les douanes avec des tomates. J’ose espérer que même si la marijuana est légalisée au Canada... Nos collègues américains sont parfois assez sévères. Je ne souhaite à personne de traverser les douanes en ce moment avec de la marijuana.
[Traduction]
La sénatrice Boniface : Dans ce cas particulier, si je me souviens bien, le ministre a souligné que nous pouvons refouler les personnes qui ont été condamnées dans le passé pour conduite avec facultés affaiblies. Ce serait un argument de notre discussion. Je suis sûre que si j’étais du côté américain, je voudrais discuter d’autres enjeux. Cette question a donc une très grande portée.
Pour en revenir à Me Waldman, il nous a dit que cet argument ajouterait du poids à une discussion sur les pénalités imposées pour des activités que notre pays a légalisées. Chaque pays jouit de sa souveraineté. C’est pourquoi il est important de respecter les règles des pays où l’on voyage.
La sénatrice Bernard : Je vous remercie d’être venus.
En faisant des recherches sur ce projet de loi, mon équipe s’est adressée à un avocat, qui nous a dit que les agents des douanes posent plus de questions aux femmes d’origine ethnique. Il a expliqué que ces femmes font habituellement l’objet de profilage racial et de préjugés inconscients qui donnent à penser qu’elles sont des trafiquantes. Suivant d’où elles viennent, on les traite de « passeuses de drogue ». D’après leur expérience, elles sont plus susceptibles d’être arrêtées, fouillées et autre. Est-ce que certains de vos témoins ont abordé ce sujet?
La sénatrice Boniface : Non.
La sénatrice Bernard : Leur avez-vous posé des questions à ce sujet?
[Français]
Le sénateur Dagenais : Je ne pense pas. On n’a pas posé la question.
[Traduction]
La sénatrice Boniface : Je ne m’en souviens pas.
La sénatrice Bernard : Merci.
La sénatrice Boyer : Merci beaucoup pour ce rapport. Je suis impatiente de le lire.
Ma question reprend celle de la sénatrice Bernard. Vous avez entendu 13 témoins, et nous savons qu’il y a des communautés des Premières Nations le long de la frontière canado-américaine. Votre rapport présente-t-il aussi leurs points de vue? Nous parlons des risques que courent les Canadiens, et nous savons que les membres des Premières Nations sont vulnérables eux aussi, alors je me demandais si vous mentionnez cela dans votre rapport.
La sénatrice Boniface : Non, le rapport ne le mentionne pas. Nous nous sommes surtout concentrés sur la sensibilisation des voyageurs de la population générale qui passent les frontières. Nous n’avons pas présenté de renseignements particuliers comme le traité Jay ou autre.
La sénatrice Boyer : D’accord, merci.
Le président : J’ai demandé tout à l’heure si l’on demandait aux voyageurs s’ils fument ou s’ils consomment du cannabis sans même qu’on en ait trouvé en leur possession ou qu’un délit lié au cannabis ne soit inscrit à leur casier judiciaire. Vous m’avez répondu qu’un de vos témoins avait un client à qui cela arrivait deux ou trois fois par semaine. Est-ce que les voyageurs à qui l’on a posé la simple question « Avez-vous déjà fumé du pot? » ont été refoulés à la frontière? Quels résultats leurs réponses ont-elles produits?
[Français]
Le sénateur Dagenais : On a posé la question, mais on n’a pas eu de réponse à savoir s’il avait été interdit d’entrer aux États-Unis. Me Sanders nous a dit que certains de ses clients, pour quelque raison que ce soit, ont admis avoir fumé de la marijuana et n’ont pu entrer aux États-Unis. Me Sanders travaille autant dans l’État de Washington qu’en Colombie-Britannique. Il a relaté des évènements où certains de ses clients avaient été interdits d’entrée aux États-Unis, parce qu’ils avaient été accusés de trafic ou qu’ils avaient un casier judiciaire pour possession de marijuana. Certains de ses clients sont même interdits d’entrée aux États-Unis à vie. Ces gens avaient peut-être un casier judiciaire pour avoir possédé ou vendu de la marijuana.
[Traduction]
Le président : Vous nous dites que le ministre qui témoignait devant vous, M. Goodale, je crois, ne vous a pas confié où en était le processus. Je crois que la sénatrice Seidman vous a demandé où en était le processus, et vous n’en aviez aucune idée. Cependant, l’usage médicinal du cannabis est légal depuis plusieurs années. Qu’en est-il des personnes qui le consomment à des fins médicinales d’une manière très scrupuleuse? Leur pose-t-on cette même question quand elles se présentent à la frontière? Sont-elles refoulées elles aussi? Les gouvernements des États-Unis et du Canada ont-ils établi un protocole sur la manière de traiter les personnes qui consomment le cannabis à des fins médicinales?
La sénatrice Boniface : Rien n’indique l’existence d’un protocole. Trente États américains ont légalisé le cannabis à des fins médicinales ou autres et se trouvent dans cette même position. Rien n’indique la présence d’un protocole. Cependant, même à des fins médicinales, on ne peut pas le transporter à travers la frontière, parce qu’on pourrait être accusé de l’exporter.
Il est surtout très difficile de comprendre le fonctionnement de ce processus. Je pensais pouvoir résoudre cette question en examinant la situation de la frontière entre la Colombie-Britannique et l’État de Washington, qui a légalisé le cannabis, mais nous nous heurtons toujours au fait que la frontière relève du gouvernement fédéral et non de l’État. Personne ne pouvait nous faire part de son expérience dans ce domaine.
Le président : D’autres gouvernements n’ont pas nécessairement légalisé la marijuana ou le cannabis, mais ils l’ont décriminalisé. Deux ou trois pays me viennent à l’esprit, comme les Pays-Bas et le Portugal en Europe. De nombreux citoyens de ces pays viennent aux États-Unis de temps en temps. Votre comité a-t-il trouvé des données sur des problèmes éventuels auxquels ces voyageurs se seraient heurtés? Ils le consomment probablement de bien des façons, puisqu’il n’est pas illégal dans leur pays. Savez-vous s’ils se heurtent à des problèmes quand ils voyagent aux États-Unis?
[Français]
Le sénateur Dagenais : On n’a pas suivi les cas d’autres pays, parce qu’on s’est plutôt concentré sur la légalisation de la marijuana au Canada et sur son impact à la frontière canado-américaine. On n’a pas posé de questions concernant la légalisation de la marijuana dans d’autres pays qui partagent des frontières. On s’est vraiment concentré sur la frontière canado-américaine.
[Traduction]
Le président : Je comprends. Il serait utile de savoir comment les agents américains des douanes traitent les voyageurs d’autres pays et ce qui risque d’arriver aux Canadiens.
La sénatrice Raine : J’aurais besoin d’un éclaircissement. Si je comprends bien, lorsqu’on quitte le Canada avec du cannabis en sa possession, on viole la loi canadienne, qui considère que l’on exporte du cannabis.
La sénatrice Boniface : Cela s’applique dans les deux sens. Vous l’exportez du Canada et vous l’importez aux États-Unis.
La sénatrice Raine : Je pense aux voyageurs qui vont dans d’autres pays. De nombreux autres pays considèrent la possession de cannabis comme un délit très grave. D’autres pays dans le monde pourraient les empêcher d’entrer à cause de cette possession, mais ils ne peuvent pas non plus rentrer au Canada parce qu’ils y ont violé la loi en sortant avec du cannabis. Avez-vous examiné ce problème?
La sénatrice Boniface : Non.
Le président : Il est presque 18 heures. La sonnerie retentit, et le Sénat nous attend à l’étage. Je remercie les sénateurs Dagenais et Boniface d’être venus répondre à nos questions.
Je vous rappelle que notre prochaine réunion aura lieu mercredi à 15 h 15 à notre salle habituelle de l’édifice Victoria.
(La séance est levée.)